Guy de Tervarent - L'iconologie Au XXe Siècle
Guy de Tervarent - L'iconologie Au XXe Siècle
Guy de Tervarent - L'iconologie Au XXe Siècle
de Tervarent Guy. L'iconologie au XXe siècle. In: Journal des savants, 1965, n° pp. 584-589;
doi : https://doi.org/10.3406/jds.1965.1115
https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1965_num_3_1_1115
1. On appelle encore cette science « iconographie », mais le terme iconologie nous paraît
plus adéquat ; il s'agit en effet non pas de décrire, mais d'expliquer des images.
2. Juillet-septembre 1964, p. 235-240.
3- L'art religieux en France, 3 vol., 1898-1922 et L'art religieux après le Concile de Trente.
1932.
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un grief, c'est que l'érudit ne sut pas toujours retenir le poète sur les chemins
de la beauté.
Dans le mouvement qu'il suscita, l'art religieux occupe une grande place.
L'art profane, infiniment plus difficile à connaître, car il se fonde sur un
langage plus vaste et admet des fantaisies que l'Église ne saurait tolérer,
ne fut abordé qu'ensuite et, peut-on dire, par contagion. On le remarquera,
en parcourant la liste des principaux travaux iconologiques parus en français
depuis 1900 4.
Cesare Ripa, qui, pendant deux siècles, fut la providence des peintres,
est bien oublié aujourd'hui. Son nom ne figure même pas dans YEnciclopedia
itcdiana et, ne serait-ce le renouveau des études iconologiques auquel nous
assistons depuis cinquante ans, son livre, car il fut l'homme d'un seul livre,
serait enseveli sous la poussière des bibliothèques. Venu très jeune, « al
principio délia mia fanciullezza », dit-il, de Pérouse, où il était né vers 1560.
à Rome, il fut attaché à la maison du cardinal Antonio Maria Salviati. On
le trouve provisoirement chez le cardinal Montelparo. Après la mort du
cardinal Salviati, il passe au service de son héritier, le marquis Lorenzo Salviati.
Il avait à un haut degré le sens de l'opportunité. Quand, au XVIe siècle, le
goût de l'allégorie envahit l'art, Ripa fut le premier à comprendre que les
artistes avaient besoin d'un guide qui leur offrît deux avantages : être écrit
dans une langue qui leur serait familière et aller de l'abstrait au concret,
c'est-à-dire de la commande à la manière de l'exécuter. La Renommée, la
Justice, la Fureur poétique sont des personnes qu'on ne rencontre guère
sur son chemin. Dans son Iconologia, Ripa les décrit avec précision, mentionne
leurs attributs et jusqu'à la couleur de leur vêtement. Parue en 1593 à Rome,
Xlconologia connut au cours des xvne et xvme siècles, douze éditions
italiennes, cinq françaises, deux allemandes, deux anglaises, une hollandaise et
pendant la même période fut pillée, plus ou moins ouvertement, par tous
ceux qui prétendaient expliquer ou suggérer les allégories où l'art se délectait.
Après une éclipse d'un siècle et demi, Cesare Ripa reparut sous la plume
d'Emile Mâle, dont les articles de la Revue des Deux Mondes, des 1er et
15 mai 1927, furent repris en 1932 dans son livre sur L'art religieux après
le concile de Trente. En 1934, Erna Mandowsky, soutint une thèse à
l'université de Hambourg, intitulée Untersuchungen zur Iconologie des Cesare Ripa.
Elle fit ressortir, mieux encore que ne l'avait fait l'historien d'art français,
l'immense influence que Ripa exerça sur les artistes qui le suivirent. Sa thèse
fut éditée par la revue florentine La bibliofdia, t. XLI, 1939-
L'exemple de Mâle se propagea. Franz Cumont, qui fut un membre
assidu de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, donna en 1942 ses
Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains. Dans l'introduction de
ce beau livre (p. 16), il vante la méthode de l'historien d'art, qu'il avait
bien connu au temps où ce dernier présidait aux destinées de l'École de Rome.
« On sait », écrit Cumont, « avec quel succès M. Emile Mâle s'est servi
de Vincent de Beauvais pour rendre intelligibles ces encyclopédies de pierre
que forment les sculptures des grandes églises du XIIIe siècle » et il se propose
d'expliquer de même les sarcophages antiques par les textes qui leur sont
contemporains.
On le voit : Emile Mâle a fait école, s'il n'a pas fondé d'école. Ce
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privilège allait échoir à Aby Warburg. Issu d'une famille de banquiers ham-
bourgeois, il renonça à l'avenir qui lui était promis, pour se consacrer à
des recherches sur l'art. Ses écrits, qui s'étendent de 1893 à 1927, ont été
réunis par les soins de Gertrud Bing (Teubner, Leipzig et Berlin, 1932)
sous le titre de Gesammelte Schriften. Le plus grand nombre de ces courts
essais, portant sur un point précis et mal connu des rapports qui existent
entre l'art et les textes, ont trait à l'Italie. Dès sa jeunesse, l'homme du Nord
s'était senti attiré par ce pays de lumière. Il y avait vécu deux ans, avant
de présenter sa thèse de doctorat sur les peintures mythologiques de
Botticelli. Sa voie dès lors était tracée. Le renouveau du paganisme antique dans
l'art de la Renaissance ne cessa de l'intéresser et cet intérêt il le léguera
à l'école qu'il devait fonder. Ses recherches trouvèrent leur point culminant,
lorsqu'il identifia une série de personnages mystérieux et beaux, qui occupent
le registre central des fresques du palais Schifanoja à Ferrare. Il put établir
qu'il s'agissait de la personnification des décans, périodes de dix jours, sortis
du calendrier hindou, non sans avatars, mais reconnaissables cependant, et
parvenus, notamment par le truchement de l'astrologue Abû-Maschar (ixe
siècle), à la connaissance des astrologues et des artistes de la Renaissance.
Warburg fit part de sa découverte au congrès de l'histoire de l'art qui se
tint à Rome en 1912.
Fritz Saxl, qui lui fut toute sa vie un précieux auxiliaire, sut prévoir,
dès les premières années de 1930, le danger que constitutait le nouveau
régime totalitaire pour le centre de recherches qui s'était formé à Hambourg
autour de l'importante bibliothèque réunie par Warburg (centre dont
l'activité est attestée par la série des Vortrâge der Bibliothek Warburg). Il
obtint l'autorisation de transférer à Londres cette bibliothèque dont il avait
la garde. Durant la guerre, il négocia patiemment l'incorporation de l'Institut
Warburg dans l'Université de Londres et, grâce à l'appoint de la bibliothèque,
finit par l'obtenir. Cet habile diplomate, sous ses humbles fonctions de
bibliothécaire, était un savant iconologue. L'Institut Warburg, dont il avait été
la providence, réunit les écrits qu'il laissait. Si ces deux volumes font entrevoir
la figure de l'érudit, ils ne disent pas la générosité et la bienveillance que
l'homme mettait à partager son savoir.
La menace de la révolution hitlérienne, avec son idéologie raciale, eut
sur bien des savants de culture allemande l'effet que la perspective de la
prise de Constantinople avait eu sur les savants byzantins : ils émigrèrent
vers l'ouest, au xve siècle à Florence, au xxe vers l'Angleterre et les États-
Unis.
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Guy de Tervarent.