Cornevin
Cornevin
Cornevin
des affaires sociales des dommages de guerre et des LettresetCulturesdelanguefrançaise où il milite pour
crimes de guerre. En juillet 1946, son épouse y crée la «francophonie» et encourage les jeunes écrivains
le service de médecine scolaire. R. Cornevin regagne d’expression française par la création de quinze prix
la France en juillet 1947. littéraires annuels. En 1989, l’ADELF comptait deux
En 1948, à la demande du gouverneur Cedile, il mille six cents adhérents appartenant à septante-cinq
rejoint le Togo et s’installe à Atakpamé avec sa femme. nationalités!
Il va y séjourner huit ans de novembre 1948 à juillet Outre ces importantes fonctions, il assure plusieurs
1956, en tant que chef de subdivision, puis commandant enseignements dans des institutions universitaires
de cercle, puis inspecteur du travail. Homme de terrain et (Institut international d’Administration publique, Centre
ethnologue, il œuvre en pleine brousse, opère avec doigté des Hautes Etudes pour l’Afrique et l’Asie modernes,
dans ses contacts avec les ethnies togolaises, effectue des Centre de Formation des Journalistes, Centre de Littéra-
tournées de recensement, commence à rassembler des ture francophone de Villeneuve à l’Université de Paris
traditions orales concernant l’histoire et l’anthropologie, XIII). Il est aussi professeur-visiteur à l’Ecole nationale
et se met à écrire. En 1954, il présente aux éditions Payot de Droit et d’Administration de Kinshasa (ENDA),
un manuscrit rédigé en collaboration avec son épouse. à l’Université de Montréal et à l’Université Laval au
Ce premier ouvrage, intitulé Histoire de l’Afrique des Québec. Il participe encore à de nombreux colloques et
origines à nos jours, paraît en 1956. A cette époque, il congrès africanistes et donne de multiples conférences
n’existe aucune étude valable sur le sujet. C’est pourquoi en France et en outre-mer.
ce livre connaîtra un succès considérable et suscitera Durant cette période, il écrit plusieurs ouvrages, dont
plusieurs carrières d’historiens africanistes. une importante Histoire de l’Afrique en trois volumes:
En juillet 1956, il quitte le Nord-Togo avec le grade le premier tome va des origines au XVIe siècle; le
d’administrateur en chef de classe exceptionnelle de la deuxième est consacré à l’Afrique précoloniale de 1500
France d’Outre-Mer et rentre à Paris où il va se consa- à 1900; le troisième envisage la colonisation, la décolo-
crer à la préparation de ses thèses tout en travaillant nisation et les indépendances. Il s’y efforce de conden-
comme administrateur civil au ministère de l’Education ser les événements, d’en retenir les caractères domi-
nationale (1958-1960). nants et d’embrasser l’ensemble des faits dans une
En janvier 1960, il est proclamé docteur ès lettres évolution aussi continue que possible. Il parvient ainsi
de l’Université de Paris après avoir soutenu une thèse à clarifier, à intégrer et à résumer d’une manière
intitulée Histoiredespeuplesd’Afrique, où l’on retrouve rationnelle les résultats des travaux antérieurs. Il met
l’influence de Diedrich Westermann, et une thèse com- l’accent sur les données concrètes qui lui paraissent
plémentaire sur LesBassariduNord-Togo. essentielles et comble provisoirement les lacunes de
En novembre 1960, il entre à la Direction de la sa documentation en se fondant sur des hypothèses
Documentation française (Services du Premier Ministre) raisonnables. Son histoire se fonde sur la primauté de
et devient en juillet 1961, directeur du Centre d’Etudes l’événementiel. Les pôles de l’analyse restent essentiel-
et de Documentation sur l’Afrique et l’Outre-Mer lement politiques et institutionnels. Il aborde les docu-
(CEDAOM) où se trouvait l’ancien fonds de l’«Agence ments ― tant sources écrites que traditions orales ―
des Colonies» qu’il va enrichir considérablement sans parti pris. Dans l’éclairage qu’il donne aux
jusqu’à sa retraite en 1985. Il crée aussi, en 1961, la événements, il manifeste sa fidélité à la France et à son
revue bimestrielle AfriqueContemporainedont il est le œuvre colonisatrice sans considérer, toutefois, notre
directeur scientifique également jusqu’en 1985. modèle de société comme le seul acceptable.
En 1964, Robert Cornevin est élu membre de l’Aca- Il a également rédigé plusieurs monographies sur le
démie des Sciences d’Outre-Mer. En janvier 1971, il en Togo, le Bénin et le Zaïre (actuelle RDC). La quatrième
devient le secrétaire perpétuel. Il y assure la parution édition revue et augmentée de son Histoire du Zaïre
des Comptes rendus trimestriels de l’Académie des desorigines à nos jours, sortie aux éditions Hayez à
Sciences d’Outre-Mer, devenus Mondes et Cultures, et Bruxelles en 1989, évoque le cadre, la préhistoire, le
d’un dictionnaire biographique en plusieurs volumes peuplement, la période précoloniale, les explorations
Hommes et Destins qui rassemble des notices permet- européennes, Léopold II, l’Etat Indépendant du Congo
tant de retracer la carrière et les écrits des personnalités (1885-1908), le Congo belge (1908-1960), la marche
européennes et autochtones qui ont marqué la vie des vers l’indépendance (1956-1960) et le Zaïre indépen-
pays d’outre-mer et l’action des Français dans le monde. dant. Robert Cornevin estime que «son livre aura
En 1971 également, Robert Cornevin est nommé rempli sa tâche, s’il fait prendre conscience aux Zaïrois
président de l’Association des écrivains de langue fran- de la valeur et de l’intérêt de leur histoire, s’il remet
çaise (mer et outre-mer) (ADELF). Il y anime la revue à sa juste place, hors de toute pression, l’œuvre belge
au Zaïre, et s’il montre aux étrangers, investisseurs, Protestantisme français, de la Société des Africanistes,
coopérants ou visiteurs, les richesses du pays et ses de la Société des Sciences historiques et naturelles de
valeurs de culture». l’Yonne, de la Société de Géographie commerciale et
Robert Cornevin a encore publié des ouvrages sur du InternationalAfricanInstitute à Londres.
les littératures et le théâtre en Afrique noire, à Mada- Officier de la Légion d’Honneur et chevalier des
gascar et à Haïti. Il avait aussi témoigné sa passion pour palmes académiques, il avait obtenu la Médaille colo-
son terroir bourguignon ― ne passait-il pas toutes ses niale avec agrafe «Extrême-Orient», la médaille com-
vacances dans sa maison du Vermenton ― en écrivant mémorative de la guerre 1939-1945 et la Croix du
un petit livre passionnant sur Maurice Boujat et le Combattant volontaire de la Résistance. Il était égale-
patoisdeSacyparu à Dijon en 1980. ment titulaire de nombreuses décorations africaines.
Son dernier livre, paru peu après son décès aux édi- Robert Cornevin était un homme de contact, tou-
tions Tallandier, a pour objet LaFranceetlesFrançais jours disponible en dépit de ses activités intenses et
Outre-Mer, de la première croisade à la chute du multiformes. Il était discret, perspicace, mesuré, prag-
SecondEmpire. matique et très généreux, partisan du dialogue des
A son œuvre d’historien, il faut lier le nom de son cultures et de la reconnaissance de la dignité d’autrui.
épouse, Marianne Cornevin née Réau, docteur en méde- Il militait pour la francophonie, fasciné par la diversité
cine, sa fidèle compagne et collaboratrice sur le terrain des civilisations reliées par la langue française. C’était
comme dans ses ouvrage historiques, qui a elle-même un créateur, mais aussi un découvreur de talents, qui
rédigé des études de grande valeur sur l’histoire aimait guider, conseiller, aider et partager avec ses
contemporaine de l’Afrique, sur l’apartheid en Afrique semblables. Il était doué d’une puissance de travail et
du Sud et sur l’archéologie africaine à la lumière des d’une énergie étonnantes. Il s’était investi corps et âme
découvertes récentes. dans le monde africain dont il voulait valoriser l’héri-
Robert Cornevin a aussi participé à une dizaine tage culturel.
d’ouvrages collectifs et écrit plus de cinq cents articles Le 14 décembre 1988, la mort devait l’emporter
sur le continent africain. Indépendamment des prix inopinément dans sa 70e année et il fut inhumé, confor-
décernés à ses ouvrages par l’Académie française et mément à son vœu, dans le petit cimetière de Sacy. Ses
l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, il a obtenu en amis garderont sa mémoire, celle d’un homme de cœur
1966 le prix René Caillé de la Société de Géographie et d’un esprit de qualité, celle d’un grand humaniste
commerciale pour l’ensemble de son œuvre. toujours à l’écoute du monde, fidèle à la devise de
Il a été élu membre correspondant de l’Académie son Académie des Sciences d’Outre-Mer: «Savoir-
malgache et membre correspondant de la Classe des Comprendre-Respecter-Aimer». Son univers fut celui
Sciences morales et politiques de l’Académie Royale de Léopold Sédar Senghor, ouvert à tout humanisme,
des Sciences d’Outre-Mer en 1972. Il était membre mesurant la dimension réelle des événements et s’enri-
du comité directeur de la Société française d’Histoire chissant sans cesse au contact des cultures du passé et
d’Outre-Mer, de l’Association des historiens et géo- du présent.
graphes de langue française, de l’Institut international
pour l’étude des civilisations différentes (INCIDI) à 24 octobre 2004.
Bruxelles, de l’Association internationale de la presse P. Salmon (†).
pour l’étude des problèmes d’outre-mer (AIPEPO), de
la Ligue maritime et d’outre-mer (LMO), de l’Associa- Sources: SALMON, P. 1991. Robert Cornevin (1919-1988). Bull.Séanc.
Acad.R.Sci.Outre-Mer, 36 (1): 62-68.
tion France-Québec et de l’Association France-Haïti.
Affinités: Pierre Salmon était un ami personnel de l’intéressé et,
Il était encore membre de la Société d’Histoire comme lui, membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer de France et
moderne et contemporaine, de la Société d’Histoire du membre du Jury du Prix littéraire France-Belgique.