Fiche TD2 DLF
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Le 7 septembre dernier, le Conseil d’Etat qui avait été saisi en référé-liberté par
l’association Action droits des musulmans contestant la circulaire interdisant le port de
l’abaya ou du qamis dans l’enceinte des écoles, collèges, et lycées publics, a rejeté la requête
au motif que l’interdiction en cause ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale
à une liberté fondamentale. Cette ordonnance est ainsi révélatrice du caractère éminemment
actuel et brûlant des questionnements qui entourent la liberté religieuse et dont l’histoire
renvoie d’ailleurs aux pires excès du fanatisme, aux persécutions et aux guerres de religion
dont l’actualité traduit encore les enjeux complexes entourant la liberté de conscience et de
religion.
La liberté de conscience et de religion, souvent entendue dans son acception plus large
de liberté religieuse renvoie ainsi à deux aspects distincts mais complémentaires de la liberté.
Effectivement, cette liberté religieuse signifie d’abord le droit de choisir et d’exprimer sa foi,
un droit que l’on dénomme habituellement sous le terme de « liberté de conscience ». En
réalité, le régime juridique de ce premier aspect de la liberté religieuse n’offre aucune
particularité distincte des particularités propres à la liberté d’opinion dont la liberté de
conscience n’en est finalement qu’une variante. Mais la liberté religieuse recouvre aussi la
liberté de se livrer aux rites et aux pratiques liés à la foi, un droit qui est quant à lui
couramment désigné sous le terme de « liberté de religion ». Sous ce second angle en
revanche, la liberté religieuse implique là un régime juridique spécifique de la part de l’Etat,
et constituant un choix politique fondamental pour l’exercice du culte sur le territoire national.
Historiquement, la France n’a jamais pratiqué de fusion entre l’Etat et une religion
particulière, une solution qui de prime abord peut sembler négatrice de la liberté de religion,
voire même de la liberté de conscience. Mais en réalité, elle s’explique tout simplement par le
fait que le christianisme, qui constitue la religion la plus répandue sur le territoire national,
repose notamment sur un principe de base en vertu duquel le pouvoir spirituel se distingue du
pouvoir temporel. Au contraire, et par comparaison, nous pouvons constater que les pays dans
lesquels la religion musulmane est dominante, pratiquent souvent une fusion de l’Etat avec
l’islam, étant entendu que cette religion parait rejeter la distinction entre le spirituel et le
temporel. C’est notamment ce qui explique pourquoi, en 1979, l’Iran s’est doté d’une
Constitution, dont l’article 1er, affirme qu’elle institue « le gouvernement du droit et de la
justice du Coran ». De manière encore plus radicale, il est loisible de citer l’exemple de
l’Arabie Saoudite, qui refuse toute Constitution, en choisissant d’appliquer directement la
Charia. Il est donc évident que, dans ce type d’Etat, les personnes qui ne sont pas de
confession musulmane sont largement entravées dans la pratique de leur culte. Mais s’agissant
du cas particulier de la France, si elle n’a certes affiché jusque-là aucune confusion entre le
temporel et le spirituel, elle a tout de même longtemps connu l’union de l’Eglise et de l’Etat.
Par conséquent, si l’Etat et la religion demeuraient distincts, l’Etat reconnaissait la religion
catholique comme « religion d’Etat », en contrepartie de quoi l’Etat lui-même était amené à
intervenir dans l’organisation et le fonctionnement de l’Eglise. Mais ce compromis n’est en
réalité pas particulièrement favorable à la liberté de religion si l’on considère qu’il s’agit là
finalement d’un placement sous tutelle de l’Etat. Puis, s’agissant des autres religions, il faut
dire que le Concordat de Bologne signé en 1516 par François 1 er, et instaurant la religion
catholique comme religion d’Etat, ouvre en réalité la voie à une persécution massive des
protestants dont les proportions ont été considérables sous la régence de Catherine de Médicis
et le règne d’Henri III. Ce n’est en réalité que lorsqu’est promulgué l’édit de Nantes sous
Henri IV, qu’une coexistence religieuse pacifique va exister, la liberté du culte étant accordé
aux protestants, même si le catholicisme est maintenu dans son statut de religion d’Etat. Mais
la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV en 1685 va alors rouvrir les persécutions
envers les protestants dont l’exercice libre du culte ne sera reconnu qu’en 1787 par l’édit de
tolérance. La Révolution va elle fonder la liberté religieuse sur des textes clairs avec l’article
10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) de 1789, qui proclame la
liberté de conscience, et le titre 1 de la Constitution de 1791 qui garantit la liberté du culte.
Mais ces beaux principes ne seront en réalité pas respectés, le catholicisme sera maintenu
comme religion d’Etat, et les prêtres forcés à prêter serment de fidélité à l’Etat par la
Constitution civile du clergé. C’est sous le Directoire qu’une première forme de séparation de
l’Eglise et de l’Etat, mais l’arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte mettra fin à cette
expérience, ce dernier ayant choisi de rétablir, par une négociation avec le pape du Concordat
de 1801, une union de l’Eglise et de l’Etat, si bien que la religion catholique se voit conférer
le statut de « religion de la plus grande majorité des Français ». Mais malgré tout, la liberté de
religion est en réalité mieux respectée que sous l’Ancien régime et la Révolution d’où sans
doute la longévité du Concordat, qui existe toujours en Alsace-Moselle, et qui n’a disparu
pour le reste de la France qu’en 1905.
En effet, le régime juridique actuel de la liberté religieuse est régi par la loi du 9
décembre 1905 qui a réintroduit en France, le système de la séparation des Eglises et de
l’Etat, lequel fera l’objet de notre réflexion, par exclusion des autres régimes, dont l’étude
supposerait une approche essentiellement historique, excluant les enjeux sociétaux profonds
sous-tendant le sujet. A l’échelle européenne, la liberté religieuse est aussi reconnue par
l’article 9 de Convention européenne des droits de l’Homme qui est interprété de façon
différentielle en fonction des Etats signataires et de leur culture. A titre d’exemple, la Grèce
qui est sortie de la dictature depuis 1975, a choisi de faire prédominer la religion orthodoxe
sur les autres religions, mais en même temps, l’Etat garantit le libre exercice de la religion, de
sorte que toutes les religions peuvent librement s’exercer. De même, l’Italie, qui est fortement
marquée par la culture chrétienne, garantit dans sa Constitution, le droit de liberté religieuse à
tout individu. Des privilèges persistent malgré tout vis-à-vis de l’Eglise catholique, mais pour
autant, l’Italie est aujourd’hui à même d’être considéré comme un Etat laïque dont le pcp de
laïcité a été érigé par la Cour constitutionnelle italienne comme un principe suprême de
l’ordre juridique national. Là encore, il ne s’agira pas ici de mener une étude de droit comparé
sur la liberté de conscience et de religion, mais de nous focaliser sur son exercice dans le cas
particulier de la France sans pour autant exclure quelques illustrations de comparaison tirées
du droit international.
S’interroger sur la liberté de conscience et de religion revêt par conséquent un intérêt
historique indéniable, mais il soulève aussi et surtout, des enjeux juridiques, politiques, et
sociaux éminemment actuels, la question de la liberté de conscience et de religion étant au
cœur des préoccupations contemporaines. D’un point de vue juridique d’abord, la liberté de
conscience et de religion apparait comme l’un des droits les plus fondamentaux du citoyen,
impliquant une neutralité de l’Etat, qui ne peut intervenir dans les affaires religieuses, qu’en
cas d’atteinte à l’ordre public, ou aux principes de la République. Aussi, d’un point de vue
social, l’enjeu principal de la liberté religieuse est à la base de la notion de laïcité, à savoir,
l’égalité des hommes et des femmes, et donc le refus de toute discrimination envers
quelconque religion, de manière à ce que chacun puisse exprimer son culte sans en être
entravé. Pour autant, l’enjeu politique derrière cette dimension sociale de la liberté est le
refus, et donc la lutte, contre touts les dérives sectaires qui porteraient atteinte à la liberté, de
même que la mise en place d’un cadre permettant la conciliation entre la liberté religieuse et
les autres droits fondamentaux, à l’instar de la liberté d’expression. L’actualité des quinze
dernières années a d’ailleurs montré que les rapports entre la religion et la liberté religieuse
recouvraient un caractère très sensible, tout particulièrement depuis les attentats de 2015.
C’est la raison pour laquelle, au niveau européen, de nombreux textes sont venus encadrer ces
rapports, la Convention européenne prévoyant notamment à ce titre, le respect des règles
permettant l’acceptation des différences, notamment religieuses. La question du rapport entre
la société et la religion reste donc très épineuse, et surtout à l’heure où la place du religieux
conduit les pouvoirs publics à s’interroger sur la valeur à donner à la liberté de conscience et
de religion.
Se pose ainsi la question suivante : peut-on aujourd’hui considérer la liberté de
conscience et de religion comme étant effectivement garantie sur le territoire national français
?
En France, le principe de laïcité, exprimé par la loi du 9 décembre 1905, est parvenu à
instaurer une séparation des Eglises et de l’Etat respectueuse de la liberté religieuse, en
donnant à chaque communauté religieuse, la liberté de pratiquer sa foi, et en imposant une
neutralité de l’Etat vis-à-vis des cultes. Mais dans une optique de conciliation de la liberté
religieuse avec de nombreux autres intérêts, notamment l’exercice d’autres droits
fondamentaux ou la protection des individus vis-à-vis des dérives sectaires, cette liberté
religieuse doit nécessairement être encadrée dans l’espace public.
Ainsi, si la liberté de conscience et de religion bénéficient d’une protection nationale
sous-tendue par le principe de laïcité (I), il n’en demeure pas moins que la liberté religieuse
connait nécessairement des restrictions dans l’espace public de manière à ce que s’opère une
conciliation avec les différents intérêts en présence (II).
I) Une protection nationale de la liberté religieuse commandée par le principe de laïcité
La protection nationale de la liberté de conscience et de religion commandée
aujourd’hui par le principe de laïcité qui fonde ainsi l’exercice de la liberté religieuse sur le
territoire national (A). Mais les dérives sectaires de ces dernières années ont révélé une forme
de rupture avec le principe de laïcité, conduisant à une évolution législative marquée par une
volonté de lutte contre ces dérives (B).
A) Un principe de laïcité fondant l’exercice de la liberté religieuse sur le territoire
national
Il faut tout d’abord reconnaitre que, quel que soit le pays, la condition première à
l’exercice de la liberté de conscience et de religion est la place prise par l’Etat dans le système
de protection de cette liberté. Sur le territoire français, cela se traduit ainsi par le respect par
l’Etat du principe fondamental de neutralité impliquant une absence de religion d’Etat et une
volonté de la part de l’Etat de ne favoriser aucune confession. Est ainsi laissée à la sphère
privée la question des croyances religieuses. A ce titre, la loi de 1905 révèle un aspect
juridique fondamental dans le rôle joué par l’Etat quant à la protection de la liberté de
conscience et de religion. En effet, il en résulte que l’Etat se doit de se soustraire de toute
action en faveur d’une religion, d’un culte ou d’un groupe en particulier, et ce, qu’il s’agisse
du financement ou de la mise à disposition de locaux notamment. Cette loi aboutit ainsi à un
système de séparation nette entre le politique et le religieux conférant à la laïcité une place
toute particulière sur le territoire national et pour le moins unique en son genre.
D’ailleurs, l’article 1er de la Constitution va lui-même dans le sens de cette neutralité
de l’Etat en proclamant le caractère laïque de la République et l’égalité entre les citoyens. Il
s’agit là d’une spécificité propre à la conception française de la laïcité, qui n’est finalement
qu’une conception parmi d’autres des rapports entre l’Etat et les religions. A titre d’exemple,
en Europe, certains Etats ont au contraire préféré organisé un financement public des cultes
reconnus, à l’instar de l’Allemagne ou de la Belgique, voire même, un financement de la seule
religion d’Etat, comme ce qu’il existe en Grande-Bretagne ou en Grèce.
Généralement, on oppose au modèle laïque français, qui vise à empêcher la pression
des religions, le modèle pluraliste anglo-saxon qui repose au contraire sur une logique
consistant dans la mise à l’abri des religions vis-à-vis des éventuelles menaces venant de
l’Etat lui-même. Tel est par exemple le cas des Etats-Unis, la vie courante des Américains
étant largement imprégnée de signes évidents de religiosité comme en témoigne la formule
« In God we trust » présente notamment sur les billets de banque.
Cette neutralité de l’Etat trouve sa manifestation la plus large dans son rapport avec les
usagers du service public où le principe est alors la liberté d’opinion et celle de manifester.
Puis du point de vue de l’administration, cela se traduit par un traitement égal des usagers
sans tenir compte de leurs convictions ou de leurs croyances, ce qui exclut donc toute forme
de discrimination.
Si le principe de laïcité fonde ainsi en France l’exercice de la liberté de conscience et
de religion, ces dernières décennies ont été marquées par des abus et des dérives dans
l’exercice de cette liberté si bien que notre législation contemporaine a évolué vers une
logique de sauvegarde de la laïcité (B).
De la même manière, en matière d’éducation scolaire, la loi du 15 mars 2004 est venue
préciser les conditions d’application du principe de laïcité, concernant le port de signes ou de
tenues religieux dans les écoles, collèges et lycées publics. L’idée était ainsi de protéger les
mineurs, dont le jeune âge, les rend facilement victimes de discours prosélyte, portant par là
même atteinte à leur liberté de conscience. Depuis, l’article L. 141-15-1 du Code de
l’éducation prévoit ainsi l’interdiction du port de signes ou de tenues qui manifestent
ostensiblement une appartenance religieuse dans les établissements publics.
En France, la liberté religieuse est ainsi commandée par le principe de laïcité issu de la
loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat qui proclame la liberté de
conscience et garantit le libre exercice des cultes sans pour autant en reconnaitre, en salarier
ni en subventionner aucun. Mais si cette loi postule tout autant la liberté de conscience et de
religion que la neutralité de l’Etat, de plus en plus de lois sont aujourd’hui votées pour lutter
contre les atteintes à la laïcité, ce à quoi s’ajoute un exercice relativement encadré de la liberté
religieuse dans l’espace public (II).
C’est pourquoi par exemple, dans son jugement rendu le 22 mars 2007, qui disculpa
les auteurs des caricatures de Mahomet, publiées dans Charlie Hebdo, le tribunal administratif
de Paris a proclamé l’idée selon laquelle en France « société laïque et pluraliste, le respect de
toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions quelles qu'elles soient
(...) le blasphème qui outrage la divinité ou la religion n'y est pas réprimé ». En effet,
désormais, le délit de blasphème, qui vise à sanctionner tous ceux qui outragent la religion ou
la divinité, ne figure plus au titre des délits prévus par la loi française depuis la suppression
des délits d’opinion, lors du vote de la loi sur la presse du 29 juillet 1881.
Ce n’est donc en réalité que par exception, lorsque l’atteinte aux convictions
religieuses sera constitutive d’une atteinte à l’ordre public, qu’il sera possible de limiter la
liberté d’expression, mais, dans ce cas, ce n’est pas tant la protection de la liberté religieuse
qui sera recherchée, mais les nécessités de l’ordre public.
Et depuis la loi Pleven de 1972, la frontière entre ce qui est licite et ce qui ne l'est pas,
est claire si bien que critiquer la religion et ses symboles ne fait en aucun cas l’objet d’un
interdit. Cependant, stigmatiser, injurier, ou provoquer le rejet d’une certaine communauté
religieuse est assimilé à du racisme et relève alors du délictuel. Mais, pour que l'injure soit
constituée, l’attaque doit nécessairement être personnelle, directe et dirigée contre une
personne ou un groupe de personnes en raison de son appartenance religieuse.
Cette absence d’interdiction du blasphème et de l’atteinte à la morale religieuse est
notamment ce qui explique pourquoi dans l’affaire dite « Mila », la liberté de conscience n’a
pas justifiée que soit condamnés des propos blasphémant envers une religion. En effet, dans
cette affaire, une jeune lycéenne de 16 ans, Mila, avait affiché sur ses réseaux sociaux, une
vidéo dans laquelle elle avait critiqué la religion de l’islam, et suite à quoi s’était posée la
question de savoir si la liberté de conscience autorisait ou non le blasphème.
Bien évidemment, dans la mesure où le blasphème n’est plus réprimé par la loi, la
lycéenne était totalement libre de critiquer et tourner en dérision la religion musulmane. Dans
la mesure où il ne s’agissait pas d’une attaque directe envers les croyants, elle n’a pas dépassé
ses droits, et c’est qui explique pourquoi l’enquête, « pour provocation à la haine », qui lui
était adressée, a finalement été classée sans suite.
De la même manière, dans le cas particulier de l’entreprise, il est formellement proscrit
d’opérer des discriminations au recrutement à raison des croyances ou des pratiques
religieuses des candidats, le secteur privé n’étant pas soumis à un principe de neutralité
comme le secteur public. C’est ainsi qu’en 2013, la Cour de cassation, dans l’affaire dite
« Baby-Loup », a pu juger que, ni le principe de laïcité envisagé à l’article 1 er de la
Constitution, ni le principe de neutralité, ayant valeur de principe fondamental, ne pouvaient
s’appliquer aux salariés du secteur privé ne gérant pas un service public. Elle a certes
considéré qu’une entreprise privée, et en l’occurrence une crèche privée, pouvait instaurer
dans son règlement intérieur, des restrictions à la liberté religieuse des salariés, mais cela
uniquement si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir, et proportionnées au
but recherchée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Quoi qu’il en soit, cette nécessaire conciliation entre ces deux droits fondamentaux
que sont la liberté religieuse et la liberté d’expression ne s’opère jamais sans difficulté, et en
particulier à une heure où ces deux libertés sont poussées à leur maximum. De la même
manière, si en principe l’Etat français garantie l’exercice de tous les cultes, dans les faits, il y
a en réalité une exclusion volontaire de ce qu’on appelle les « sectes » de la sphère de la
liberté religieuse (B).
B) Une exclusion volontaire des sectes de la sphère de la liberté religieuse
S’il est clair que la liberté religieuse est vouée à garantir le libre exercice des
croyances quelles qu’elles soient, la question se pose nécessairement de savoir si toutes les
croyances sont-elles réellement incluses dans cette notion complexe de liberté religieuse. En
réalité, sur cette question, il apparait que le droit français est relativement contrasté, dans la
mesure où l’Etat français fait le choix d’exclure du champ de la liberté religieuse, toutes les
croyances ou pratiques sectaires.
Il est vrai que les sectes sont souvent caractérisées de manière négative comme le
montre la définition de la Commission des droits de l’Homme en 1993 qui les qualifie comme
des « Groupements se présentant ou non comme religions, dont les pratiques sont susceptibles
de tomber sous le coup de la législation protectrice des droits des personnes ou du
fonctionnement de l’Etat de droit ». La position de la France vis-à-vis des sectes se comprend
en réalité relativement bien si l’on admet qu’il est très difficile juridiquement d’encadrer
l’activité de ces groupements qui se revendiquent le plus souvent comme des mouvements
religieux souhaitant bénéficier des mêmes garanties que les autres religieux. La France étant
un pays laïc censé ne reconnaitre aucun culte plus qu’un autre, cela rend donc ces
mouvements a priori licites et sanctionnables qu’en cas d’infractions commises. Or, le
comportement sectaire en lui-même se manifeste justement par un refus des lois qui se traduit
notamment par des incitations à la haine raciale, à l’exercice de voies de fait ou
l’accomplissement d’abus de confiance.
D’ailleurs, plusieurs critères existent aujourd’hui pour déterminer le caractère sectaire
d’un groupement parmi lesquels figurent notamment la manipulation mentale des adeptes, ou
la centralisation du pouvoir entre les mains d’une personne qualifiée généralement de
« gourou ».
Par conséquent, cette exclusion des mouvements sectaires par l’Etat français du champ
de la liberté religieuse est purement et simplement volontaire étant entendu qu’elle a pour
principal objectif de protéger l’ensemble de la population française de ces groupements en
marge de la société. C’est pour cette raison que depuis un peu plus de vingt ans, la France
s’est engagée dans une politique de lutte contre les dérives sectaires en tenant compte des
infractions imputées à ces organisations. La loi du 18 décembre 1998 a ainsi renforcé
l’obligation scolaire, de manière à lutter contre le prosélytisme des sectes en matière
éducative. De même, en 2001, la loi About-Picard est venue renforcer la législation sur la
notion d’abus de faiblesse, en précisant les cas dans lesquels une organisation associée à des
dérives sectaires peut être dissoute.
Il existe d’ailleurs en France, des commissions parlementaires spécialisées sur la
question des sectes qui ont pour objectif de faire un état des lieux du phénomène sectaire en
France. Les rapports rendus n’ont donc aucune valeur juridique, mais ils constituent un
élément d’information et de proposition indispensable pour traiter le phénomène. A titre
d’exemple, en 1993 et 1995, les massacres des membres de l’Ordre du Temple Solaire sont à
l’origine, au Canada, en Suisse et en France, d’une première commission d’enquête
parlementaire, et de la publication, le 10 janvier 1996, du rapport Les sectes en France. Ce
faisant, si la question de la prévention des dérives sectaires a longtemps été laissée au monde
associatif, il est aujourd’hui très clair que l’Etat est fermement engagé dans cette action
préventive et répressive à l’égard des mouvements sectaires. Relativement à notre sujet
d’étude, la mission ministérielle Miviludes créée en 2002 en est peut-être le reflet le plus net
du fait de sa mission essentiellement basée sur l’observation et l’analyse du phénomène
sectaire, dans le cadre particulier des atteintes aux droits de l’Homme et libertés
fondamentales. Elle coordonne ainsi l’action préventive et répressive des pouvoirs publics à
l’encontre des dérives sectaires.