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Exemples de réduction

66 de la consommation d’énergie :
les matériels agricoles roulants

Enjeux environnementaux du développement


des biocarburants liquides pour le transport

L’évaluation de l’impact environnemental des biocarburants a été et est encore un sujet très controversé.
À partir d’une synthèse bibliographique, cet article nous présente les éléments connus et les principales
incertitudes concernant les enjeux environnementaux représentés par chaque génération de biocarburants.

E
n France, l’énergie consommée dans les • la production de biomasse, intégrée au cycle natu-
transports routiers était issue à 97 % du rel du carbone, promet des impacts potentiellement
pétrole en 2005, 93 % en 2007, et les émis- réduits en termes d’émissions de GES en comparaison
sions associées de gaz à effet de serre (GES) aux sources fossiles (encadré ➊), et permet d’amélio-
représentaient 32 % des émissions nationales rer la sécurité énergétique des pays via l’utilisation de
en 2009. Ainsi, face à la tension croissante ressources locales ou, a minima, via une diversification
sur les ressources en pétrole et les enjeux du changement géographique des dépendances ;
climatique, ce secteur apparaît à la fois particulièrement • la conversion de produits agricoles, par des technolo-
vulnérable et incontournable à la réussite d’objectifs tels gies issues et maîtrisées par les industries agro-alimen-
que la réduction des émissions de GES d’un facteur 4 taires, permet une production immédiate de certains
dans les pays développés d’ici à 2050. Le défi principal biocarburants, et peut alors constituer un débouché
à résoudre pour le secteur des transports aujourd’hui est alternatif intéressant pour les agricultures occiden-
donc de pouvoir concilier les besoins de mobilité d’une tales inquiètes du devenir des politiques publiques de
part, et la nécessité de réduire ses émissions associées de soutien.
GES et de diversifier son approvisionnement énergétique
Ces enjeux ont ainsi conduit au développement, à la
d’autre part. Parmi les différents niveaux d’actions pos-
reprise ou l’accentuation, selon les pays, de programmes
sibles, de l’accessibilité des services à l’amélioration des
de soutien aux filières de production de biocarburants
motorisations en passant par la modification des habitudes
(figure ➊), depuis grossièrement le début des années
de conduite, le présent article se focalise plus particulière-
2000. Afin de confirmer et quantifier l’intérêt des bio-
ment sur la production des carburants.
carburants produits ou futurs, notamment vis-à-vis de la
De fait, la production de biocarburants1 liquides pour le diminution des émissions de GES et de la réduction de
transport a rapidement été identifiée comme un moyen la dépendance énergétique, ces actions se sont accom-
d’action à court terme, au potentiel intéressant, et ce pour pagnées de travaux d’évaluation environnementale par
plusieurs raisons : analyse de cycle de vie (ACV), c’est-à-dire par comparai-
• la biomasse est l’unique source renouvelable permet- son des consommations et émissions ayant lieu au cours
tant, via la photosynthèse, de fournir des vecteurs énergé- de l’ensemble des cycles de vie des produits (figure ➋).
tiques matérialisés, bien adaptés à une utilisation décen- Cet article vise à clarifier les controverses qui s’en sont
tralisée en véhicules autonomes ; suivies et à présenter une synthèse des enjeux environ-
• l’usage de biocarburants en moteurs, essence ou die- nementaux des biocarburants.
sel, est connu et validé depuis l’invention même de ces
moteurs, ce qui autorise leur utilisation dans les moteurs Biocarburants liquides de première génération
actuels directement ou au prix de modifications mineures ;
Filières et formulation
1. Le terme « biocarburant » s’entend comme Les biocarburants dits de première génération valorisent
« carburant issu de la biomasse », ce qui englobe
les composants alimentaires des végétaux (figure ➊).
l’ensemble des ressources végétales. Il est ici préféré
au terme « agro-carburant », utilisé pour désigner les De ce fait, les technologies de production sont immé-
biocarburants spécifiquement issus de l’agriculture. diatement accessibles car issues de l’expérience des

:::::::::::::: Sciences Eaux & Territoires n°07 –2012


Exemples de réduction
de la consommation d’énergie : 67
les matériels agricoles roulants

1 Principales filières de production de biocarburants.

2 Cycles de vie des carburants pétroliers et biocarburants.

industries agro-alimentaires. Les biocarburants sont dis- Éthanol et huile végétale peuvent tous deux servir de
tingués en fonction des carburants fossiles auxquels ils base, par réaction avec des produits pétroliers, à la pro-
se substituent : duction d’additifs de carburants. L’éthyl-tertio-butyl-ether
• la voie éthanol, produit à partir du sucre ou de l’amidon (ETBE) est issu de l’éthérification de l’éthanol (45 % en
des plantes sucrières ou amylacées (betterave, canne à masse des réactifs) par l’isobutène (55 % en masse).
sucre, céréales, etc.), permet de substituer les essences ; Les esters méthyliques d’huiles végétales (EMHV) sont
• la voie des huiles végétales, c’est-à-dire les produits eux issus de la trans-estérification des triglycérides
issus des cultures oléagineuses (colza, palmier à huile, contenus dans l’huile par un alcool, majoritairement le
tournesol, etc.), permet la substitution des fiouls et des méthanol aujourd’hui à l’échelle industrielle ; les pro-
gazoles. portions peuvent varier selon les huiles mais il peut être

Sciences Eaux & Territoires n°07 – 2012 ::::::::::::::


Exemples de réduction
68 de la consommation d’énergie :
Enjeux environnementaux du développement
des biocarburants liquides pour le transport
les matériels agricoles roulants

➊ Biocarburants et principe de neutralité carbone


Comme l’indique la figure ➌, tous les carburants carbonés, dont font 3 Carburants et flux de carbone.
partie l’essence, le gazole et les biocarburants, émettent du CO2 lors de
leur combustion. Toutefois, alors que l’utilisation de carburants pétroliers
constitue un déstockage de carbone qui a été fossilisé selon un processus
qui a pris des millions d’années, celle des biocarburants s’intègre dans
un cycle du carbone, beaucoup plus court, dont le phénomène clé est la
photosynthèse. C’est le principe de la neutralité carbone des biocarbu-
rants : l’émission de CO2 associée à leur combustion ainsi que l’absorption
photosynthétique de CO2 par les végétaux ne sont pas comptabilisées,
puisqu’ils se compensent exactement.
Deux précautions importantes doivent toutefois être prises quant à l’ap-
plication de ce principe :
• la neutralité carbone concerne uniquement l’émission de CO2 associée
à la combustion des biocarburants, et ne doit pas être généralisée à
l’ensemble des émissions ayant lieu lors de la production de ces biocar-
burants. Tout l’intérêt des approches par ACV est justement de prendre
en compte ces émissions ;
• dans certains cas, tels que lors de déforestations par exemple, le cycle
du carbone n’est pas respecté et la neutralité carbone ne s’applique plus.
Ces cas sont intimement liés aux changements d’affectation des sols, et
les émissions occasionnées sont alors prises en compte lors de la des-
cription de ces phénomènes.

considéré que 1 kg d’huile et 0,1 kg de méthanol per- de ces différences très significatives de résultats, deux
mettent la production de 1 kg d’EMHV, accompagnée grands types de causes peuvent être retenus :
de celle de 0,1 kg de glycérine. L’intérêt essentiel de cette • la méthodologie même de l’ACV, notamment dans ses
trans-estérification est d’obtenir un produit possédant des règles de calculs ou les frontières des systèmes étudiés ;
caractéristiques bien plus proches de celles d’un gazole,
notamment du point de vue de la viscosité ou de l’indice • la spécificité locale et la variabilité naturelle des sys-
de cétane, et donc mieux adapté à une utilisation comme tèmes agricoles, tant dans leurs performances (ren-
carburant pour les transports. dements, itinéraires techniques) que dans leur com-
portement vis-à-vis de l’environnement (émissions de
Les principales formes commerciales des biocarbu-
protoxyde d’azote par les sols).
rants liquides de première génération sont l’éthanol et
les EMHV. En Europe, par exemple, en 2009, en termes Résoudre les difficultés du premier point nécessite une
d’énergie consommée, 79 % des biocarburants utilisés homogénéisation des méthodes utilisées, par des travaux
étaient des EMHV, 19 % de l’éthanol, et les 2 % restants portant à la fois sur les concepts de l’ACV et les spéci-
des huiles végétales pures (HVP), dont la consommation ficités des systèmes de biocarburants. Ceci est abordé
n’est significative qu’en Autriche, Allemagne et Irlande. à l’heure actuelle par de nombreux groupes de travail,
Dans cet article, les enjeux environnementaux suivants tant nationaux (Ademe et Afnor) qu’internationaux
relatifs à la 1e génération se concentrent sur l’éthanol et (Commission européenne, Comité européen de normali-
les EMHV. sation, ISO, Roundtable on Sustainable Biofuels, etc.). Le
second point est inhérent aux productions végétales. La
Bilans énergie et gaz à effet de serre réduction des incertitudes associées ne peut être réalisée
que par un travail important de recherche pour la com-
Panorama général
préhension des mécanismes mis en œuvre et de collecte
La consommation énergétique et les émissions de de données très localisées.
GES sont les enjeux environnementaux des biocarbu-
Toutefois, malgré les disparités constatées, la grande
rants qui ont été les plus intensément étudiés ; en 2011, la
majorité des études concordent sur un effet bénéfique,
moitié des ACV publiées dans des journaux scientifiques
bien que variable, des biocarburants sur les bilans éner-
internationaux et relatifs à la biomasse-énergie se foca-
gétiques et GES du transport en comparaison aux pro-
lisait sur ces deux aspects, voire un seul des deux. Cela
s’explique notamment par le fait que ces deux enjeux duits fossiles, hors changement d’affectation des sols :
étaient au cœur de la justification des programmes de • concernant l’éthanol, les bilans énergétiques sont
soutien public aux biocarburants. Or, très rapidement, généralement déterminés par les procédés de transfor-
les études réalisées ont montré d’importantes disparités mation de la matière première agricole en carburant ; les
dans leurs résultats, ce qui a été à l’origine d’importantes bilans les moins favorables sont alors ceux des plantes
controverses. Parmi les nombreux éléments à l’origine amylacées (céréales, tubercules), et les plus intéressants

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Enjeux environnementaux du développement
des biocarburants liquides pour le transport de la consommation d’énergie : 69
les matériels agricoles roulants

1 Parcelles de
cannes à sucre sur
l’île de La Réunion.

© S. Brochot (Irstea)

ceux des plantes sucrières (betterave, et surtout canne à Concernant les biocarburants d’origine tempérée,
sucre). Cette hiérarchisation se retrouve pour les bilans chaque filière génère également un coproduit de trans-
GES, avec toutefois une répartition plus équilibrée entre formation qui représente des quantités importantes :
les rôles des phases de culture et de transformation, du pulpes et vinasses pour la betterave, drêches pour les
fait notamment du rôle important de la fertilisation pour céréales, et tourteaux pour les oléagineux. La différence
les émissions de GES ; avec les filières tropicales est que ces coproduits ont
• pour les EMHV, la phase agricole est cette fois-ci l’élé- une valeur alimentaire, et qu’aujourd’hui, le contexte
ment le plus déterminant puisqu’elle est généralement économique est tel qu’il est plus rentable de les valo-
la phase prédominante des bilans GES et compte pour riser comme aliments du bétail que de les utiliser pour
grossièrement la moitié des bilans énergétiques. Du point assurer l’approvisionnement énergétique des installa-
de vue de la comparaison de ces bilans, par mégajoule tions, via leur méthanisation ou leur combustion.
produit, à ceux des filières fossiles, l’effet bénéfique des Cependant, dans une situation où les prix de l’énergie
EMHV tend globalement à être plus important que celui augmenteraient fortement et où les marchés alimen-
des filières d’éthanol. taires resteraient relativement stables, il pourrait devenir
économiquement plus intéressant d’utiliser énergétique-
Cultures tempérées et cultures tropicales ment ces coproduits. Les calculs montrent qu’alors, les
Dans le panorama des ressources possibles pour la bilans énergétiques et GES des biocarburants d’origine
production de biocarburants liquides, la canne à sucre tempérée deviendraient grossièrement équivalents à
(photo ➊), pour l’éthanol, et le palmier à huile, pour ceux issus de la canne à sucre et du palmier.
l’EMHV, se démarquent nettement par des bilans plus
favorables, et ce malgré l’importation nécessaire pour Quel objectif au développement de filières
un usage en Europe par exemple. Ceci s’explique prin- de biocarburants ?
cipalement par trois raisons, communes pour ces deux Vis-à-vis de la comparaison de filières de biocarburants,
filières : deux grands types de questions peuvent être posés :
• ces deux ressources sont issues de cultures tropicales, • « quelles productions de biocarburants présentent les
autorisant la valorisation d’une plus grande quantité meilleures performances environnementales pour une
d’énergie solaire incidente ; utilisation dans les transports ? », ou
• ces cultures sont pérennes, ce qui présente plusieurs • « quelle est la mobilisation des sols la plus efficace
avantages agronomiques et environnementaux ; en termes d’atténuation du changement climatique et de
• l’approvisionnement en énergie des procédés de trans- réduction de la dépendance énergétique ? ».
formation est assuré par un résidu de culture : la bagasse La majorité des études réalisées aujourd’hui, ainsi que les
dans le cas de la canne à sucre, et les régimes de fruits tendances exprimées plus haut, répondent au premier
vides pour le palmier. type de questions. Le point de vue adopté est alors celui

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70 de la consommation d’énergie :
Enjeux environnementaux du développement
des biocarburants liquides pour le transport
les matériels agricoles roulants

du secteur des transports et les carburants sont comparés 2 Colza en fleurs.


sur la base de leur contenu énergétique en mégajoules
(MJ), ou de distances parcourues, en kilomètres. Dans le
second type de question, le point de vue adopté est celui
de l’aménagement du territoire, et les filières sont com-
parées sur la base de l’hectare mobilisé. Entre ces deux
questions, deux paramètres interviennent alors de façon
importante : le rendement en biocarburant final des dif-
férentes cultures, et la capacité des filières à produire,
via la valorisation des coproduits, des aliments du bétail
permettant de libérer des surfaces par ailleurs.
Malheureusement, les performances des filières se hié-
rarchisent différemment selon le point de vue adopté.
En Europe, pour une affectation par impacts évités2 et
exprimés par MJ produit, les résultats d’ACV montrent
des bilans à peu près équivalents pour l’éthanol de blé et
de betterave, et des bilans moindres et donc plus intéres-
sants pour l’EMHV de colza (photo ➋). Dans les mêmes
conditions mais exprimé par hectare mobilisé, l’éthanol
de blé et l’EMHV de colza sont grossièrement équiva-
lents, et l’éthanol de betterave se démarque nettement
par des économies liées à la substitution de carburant
fossile bien supérieures (de l’ordre de 7 à 9 tCO2-éq éco-
nomisées par hectare et par an, contre environ de 2 à © C. Cédra (Irstea).
4 tCO2-éq économisées par hectare et par an pour
l’éthanol de blé et l’EMHV de colza).
Le même phénomène est constaté pour la problématique • la modification de l’offre alimentaire. Ce cas apparaît
de valorisation énergétique des coproduits, où il a été vu lorsque la production de biocarburants vient substituer
plus haut que ce type de valorisation permet une impor- une surface à vocation alimentaire : ceci concerne en
tante amélioration des bilans énergie et GES exprimés premier lieu les surfaces cultivées mais peut aussi tou-
par MJ de biocarburant produit. Cette tendance s’inverse cher les usages destinés à la production animale, où la
lorsque les résultats sont exprimés par hectare mobilisé, diminution des pâturages va créer un accroissement de
et c’est alors la valorisation alimentaire des coproduits la demande en aliments du bétail. Ces modifications de
qui permet les plus grandes économies de GES par hec- l’offre alimentaire vont alors nécessiter la mise en culture
tare mobilisé (puisque celle-ci permet de « libérer » des de nouvelles surfaces, provoquant là encore un CAS mais
surfaces consacrées à l’alimentation du bétail par ail- qui peut se situer dans n’importe quelle région du globe
leurs), auxquelles s’ajoute son rôle dans la réduction de capable d’accroître sa surface agricole. Cet effet est dési-
la dépendance en protéines pour les rations animales. gné sous le nom de CAS indirect.
Ces CAS jouent un rôle important pour les bilans GES
Impact des changements d’affectation des sols (CAS) des biocarburants puisque l’usage d’un sol conditionne
Enfin, le dernier enjeu clé des biocarburants de première fortement le stock de carbone accessible, tant dans le sol
génération, qui concerne en premier lieu leurs bilans que dans la biomasse aérienne (arbres essentiellement).
GES, est l’existence potentielle de changements d’affec- Malheureusement ces changements d’usage conduisent
tation des sols (CAS). Deux facteurs principaux peuvent très généralement, directement ou indirectement, à une
générer des CAS : diminution du stockage de carbone, notamment lorsque
la production de biocarburants est réalisée à base de
• la compétition d’usage des sols. Dans ce cas, le besoin cultures annuelles. Dans de rares cas toutefois, l’effet
de terres pour la production de biocarburants engendre d’un CAS peut être positif, s’il conduit par exemple à
un accroissement de la surface agricole cultivée, qui se la restauration de terres dégradées grâce à des cultures
fait au détriment d’autres usages non alimentaires (terres pérennes (voir notamment, page suivante, les enjeux de
en jachère, forêts, etc.) ou d’usages destinés à la produc- la deuxième génération).
tion animale (pâturages notamment) dont l’activité doit
Or, les quantités de carbone impliquées par ces varia-
alors globalement s’intensifier. Ce phénomène est alors
tions de stockage des sols sont d’un ordre de grandeur
généralement appelé CAS direct ;
bien supérieur aux économies de GES réalisées par la
substitution de carburants fossiles par des biocarburants.
2. L’affectation par impacts évités est une des deux L’ensemble des études réalisées s’accorde pour conclure
grandes familles de règles d’affectation des coproduits, que si un CAS est identifié et implique un retournement
c’est-à-dire la façon dont est réparti l’impact d’un
procédé à l’origine de plusieurs produits. L’autre de prairie ou une déforestation, le bilan GES du biocar-
grande famille est celle de l’affectation par prorata. burant responsable est alors très nettement négatif et le

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Enjeux environnementaux du développement
des biocarburants liquides pour le transport de la consommation d’énergie : 71
les matériels agricoles roulants

3 Les biocarburants de deuxième


génération sont issus de ressources
dites ligno-cellulosiques, telles que
le bois et les résidus agricoles. filières par rapport aux références fossiles pourrait être
plus fort, notamment dans le cas d’extension des terres
agricoles au détriment de surfaces boisées, plus riches.
Toutefois les incertitudes sur ce type d’indicateur, encore
très mal connu, sont extrêmement élevées.

Biocarburants liquides de deuxième génération


Filières
Les biocarburants de deuxième génération sont issus
© Goodshoot de ressources dites ligno-cellulosiques (figure ➊), telles
que le bois et les résidus agricoles (photo ➌), c’est-à-dire
constituées essentiellement de lignine (15 à 20 %), de
temps nécessaire pour que l’économie annuelle due à la cellulose (35 à 50 %) et d’hémicellulose (20 à 30 %).
substitution compense la diminution de stock de carbone Deux grandes voies technologiques sont susceptibles de
se compte en décennies. valoriser plus ou moins complètement ces polymères :
Toutefois, si l’enjeu majeur des CAS est clairement • la voie biochimique désigne la filière de valorisation de
reconnu, toute la difficulté consiste à pouvoir les identi- la biomasse ligno-cellulosique par hydrolyse puis fermen-
fier clairement. En effet, compte tenu de la multitude et tation. Le produit final principal est l’éthanol dit « cellulo-
de la complexité des phénomènes régissant l’affectation sique », en référence à la fraction majoritairement valo-
globale des sols (demande alimentaire des populations, risée de la biomasse. Il est exactement de même nature
rôle des stocks de matières premières et spéculation, que l’éthanol de première génération ;
etc.), il est extrêmement difficile d’isoler un phénomène • la voie thermochimique ou BTL (Biomass To Liquid)
particulier, ici le développement des biocarburants, afin
désigne la filière de valorisation de la biomasse ligno-
de lui attribuer de façon quantitative une responsabilité
cellulosique par gazéification puis synthèse. Le produit
dans les mouvements existants d’affectation des sols.
final peut être du diesel, du DME (diméthyl éther), du
C’est pourquoi ce point concentre aujourd’hui l’essen-
méthanol ou encore de l’éthanol. Cette voie doit son
tiel des incertitudes et constitue certainement la source
nom à la réaction de gazéification qui combine des pro-
principale des débats concernant l’intérêt des biocarbu-
cessus thermiques et chimiques à températures élevées
rants de première génération vis-à-vis du changement
(> 800 °C). Elle produit entre autres l’hydrogène (H2)
climatique.
et le monoxyde de carbone (CO) qui dans une étape
Autres indicateurs environnementaux ultérieure du procédé sont valorisés en hydrocarbures
liquides (CxHyOz).
Concernant les enjeux environnementaux autres que
l’épuisement des ressources et le changement clima- Il convient de préciser, que contrairement aux filières
tique, les études d’ACV les ayant pris en compte, bien de première génération, les biocarburants de deuxième
que moins nombreuses, présentent des résultats et des génération ne sont pas encore disponibles sur le mar-
conclusions plus homogènes. D’une façon générale, les ché, et les technologies de conversion dont ils sont issus
grandes problématiques environnementales de l’agri- en sont au stade, soit de la recherche, soit du pilote
culture se retrouvent pour le cas particulier des bio- industriel.
carburants. Ainsi, le potentiel d’eutrophisation, lié essen-
tiellement à la fertilisation des cultures, est de façon Enjeux environnementaux associés
logique bien plus important pour les filières éthanol et Les bilans environnementaux des biocarburants de deu-
EMHV que pour leurs références fossiles. xième génération, basés sur des descriptions prospectives
À l’inverse, la comparaison des impacts associés aux de filières, possèdent un degré d’incertitude supérieur à
enjeux de toxicité humaine et d’écotoxicité ne permet ceux de la première génération. Toutefois, l’ensemble
pas de conclure clairement quant à un désavantage ou un des études réalisées s’accorde globalement, pour les
bénéfice environnemental des biocarburants vis-à-vis des productions tempérées, sur une réduction potentielle
carburants fossiles, notamment du fait des incertitudes des impacts environnementaux associés à la deuxième
importantes attachées à ce type d’indicateurs. En effet, si génération, en comparaison avec la première. En par-
l’emploi de produits phytosanitaires pénalise les filières ticulier, les performances en termes de consommation
biocarburants en comparaison avec les filières fossiles, d’énergie et d’émissions de GES sont améliorées, et ce
cet effet peut être compensé, partiellement compensé ou pour des raisons très similaires à celles pour lesquelles la
aggravé, selon les filières et les usages, et sur l’ensemble canne à sucre et le palmier à huile se distinguent parmi la
du cycle de vie, par la modification des émissions pol- première génération :
luantes au pot d’échappement. • la biomasse récoltée est valorisée à la fois pour être
Enfin, à travers la problématique des CAS principalement transformée en carburants et pour fournir l’énergie néces-
et selon la conduite des cultures dédiées à la produc- saire à cette transformation, permettant une autonomie
tion de biocarburants, l’impact sur la biodiversité de ces du procédé vis-à-vis des énergies fossiles ;

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Exemples de réduction
72 de la consommation d’énergie :
Enjeux environnementaux du développement
des biocarburants liquides pour le transport
les matériels agricoles roulants

1  Synthèse des principaux enjeux technico-environnementaux des différentes générations de biocarburants

Types de biocarburants Filières Ressources Principaux atouts Principales limites

Éthanol Cultures sucrières, céréales Forte emprise au sol,


Technologies matures.
effet majeur des CAS.
Bilans énergie et GES
Impacts locaux liés
Première génération Huiles végétales et globalement inférieurs
Cultures oléagineuses à la phase agricole,
EMHV à ceux de l’essence
inexistants dans le cas
et du diesel.
des filières pétrolières.

Bilans énergie/GES Technologies


Éléments non spécifiques aux et impacts locaux plus en développement (pilotes de
résidus ou aux cultures réduits que pour la première démonstration industrielle),
génération. encore coûteuses.

Éthanol cellulosique Impacts limités de la


Deuxième génération Résidus forestiers Potentiel limité
BTL mobilisation de résidus.
ou de culture de la ressource.
Pas d’emprise au sol.

Emprise au sol réduite


Cultures dédiées Possibilité d'effets négatifs
par rapport à la première
(TCR, herbacés) liés au CAS.
génération.

Emprise au sol réduite


par rapport aux première Technologies immatures.
et deuxième générations, avec Forts besoins énergétiques
Huiles végétales et
Troisième génération Micro-algues possibilité de mobiliser des liés à la production
EMHV
terres non fertiles. des micro-algues
Capacité de capture biologique et l’extraction de l’huile.
du CO2 industriel.

• les potentiels de production en carburants à l’hectare la production de biocarburants pour le transport, et il


sont généralement, la betterave mise à part, plus élevés, semble aujourd’hui peu crédible de voir se développer
du fait que la fraction valorisable de la biomasse ne se des filières de deuxième génération ne reposant que sur
limite plus aux composants alimentaires mais à l’en- l’exploitation de résidus.
semble de la plante ;
Les filières basées sur l’exploitation
• les types de ressources potentielles étant plus diversi-
de cultures dédiées
fiées, il est possible de retenir des sources de biomasse à
l’impact environnemental réduit. Du fait de ces limites quantitatives du potentiel valori-
sable en carburants des résidus, l’exploitation de cultures
Les filières basées sur la valorisation de résidus dédiées est toujours envisagée, ce qui présente potentiel-
Ce dernier point est un atout important de la deuxième lement les mêmes risques liés à la mobilisation des sols
génération. En effet les technologies concernées peuvent que ceux vus pour la première génération. Cependant,
permettre de valoriser des matériaux qui sont aujourd’hui les cultures aujourd’hui identifiées, telles que les taillis
des résidus voire des déchets, d’origine agricole ou fores- forestiers à courte ou très courte rotation (TCR ou TTCR)
tière, et qui possèdent donc un impact environnemental ou les cultures pérennes herbacées (miscanthus ou
réduit puisque celui-ci se limite à l’effet éventuel de leur panic érigé notamment), conduisent à des impacts envi-
prélèvement (modification de la qualité des sols liée au ronnementaux plus réduits que les cultures de première
prélèvement de pailles si elles étaient enfouis auparavant génération du fait de leur plus grande productivité et des
par exemple), à la logistique de collecte et à d’éventuels avantages procurés par leur cycle pérenne. Globalement,
prétraitements avant valorisation. De plus, ce type de res- et toujours en comparaison, leurs performances énergé-
source ne nécessite pas spécifiquement de surfaces, ainsi tiques et de réduction des GES sont alors meilleures et
sa mobilisation n’induit pas de CAS, écueil essentiel de la leur potentiel d’eutrophisation, s’il reste généralement
première génération. plus élevé que celui des filières fossiles, est plus faible.
Toutefois, avec l’intérêt renouvelé pour la biomasse, ces Enfin, les filières de deuxième génération basées sur
résidus n’attirent pas seulement l’intérêt pour la produc- l’exploitation de cultures dédiées mobilisent des sur-
tion de carburants, mais également pour la production faces et jouent donc un rôle dans la problématique
d’énergie au sens large (chaleur, électricité), voire de des CAS. Toutefois, là encore, à production égale en
matériaux. Leur potentiel en tant que ressource risque carburants, l’enjeu est moins fort que pour la première
donc d’être relativement limité vis-à-vis des enjeux de génération puisque les rendements en biocarburants

:::::::::::::: Sciences Eaux & Territoires n°07 –2012


Exemples de réduction
Enjeux environnementaux du développement
des biocarburants liquides pour le transport de la consommation d’énergie : 73
les matériels agricoles roulants

sont globalement plus élevés, et surtout puisque, selon l’industrialisation de ces filières sera les dépenses éner-
la conduite des TCR ou espèces pérennes, les stocks gétiques associées : les consommations énergétiques des
de carbone accessibles sous ces cultures peuvent être étapes de culture et d’extraction, où de grands volumes
plus élevés que pour des cultures annuelles. De la même d’eau sont en jeu, sont en effet les principaux contri-
façon, la plus forte présence de ces cultures pérennes buteurs aux impacts environnementaux identifiés. Les
dédiées dans le maillage actuel pourrait potentiellement années à venir vont être déterminantes pour la faisabilité
être favorable localement à la biodiversité. de ces types de carburant.

Biocarburants liquides de troisième génération Conclusion


Depuis quelques années une troisième génération de car- Le sujet de l’évaluation des biocarburants est particuliè-
burant est envisagée et suscite un vif intérêt : l’utilisation rement complexe car il recouvre de nombreux aspects,
de micro-algues (figure ➊). Le principe est de cultiver des défis technologiques des filières de deuxième et troi-
dans des bassins à ciel ouvert ou dans des photo-bioréac- sième génération aux questions éthiques de la valorisa-
teurs des algues unicellulaires. Elles se multiplient grâce tion énergétique de composés alimentaires par la pre-
à un apport de nutriments et de dioxyde de carbone dis- mière génération. L’objet du présent article a été ici d’en
sous dans l’eau de culture (ce qui permet de valoriser des présenter les effets environnementaux uniquement, ce
fumées industrielles). qui ne saurait suffire à une évaluation globale mais en
De façon générale, l’exploitation de ces organismes offre constitue un premier pas important. En guise de synthèse
de nombreux avantages : les micro-algues présentent une finale, le tableau ➊ regroupe les principaux enjeux de
croissance plus rapide que celle des plantes terrestres chaque génération de biocarburants. ■
supérieures (grâce au milieu liquide, les nutriments sont
directement assimilables) et sous certaines conditions, la
fraction lipidique de cette biomasse est importante, ce
qui permet d’envisager des rendements énergétiques très
élevés. Enfin, le taux élevé de fixation de CO2 par unité
de surface positionne ces micro-organismes comme une
alternative pour la fixation du CO2 d’origine industrielle.
Les auteurs
Récemment, plusieurs travaux se sont intéressés aux
impacts environnementaux de ces filières de troisième Anthony BENOIST,
Laurent VAN DE STEENE
génération. Il s’agit d’études prospectives construites et François BROUST
autour de procédés pilotes, d’extrapolation et de recueils CIRAD, UPR 42 Biomasse-énergie,
bibliographiques. Bien que de nombreux projets de TA B-42/16, 73 rue Jean-François Breton,
34398 Montpellier Cedex 5
recherche soient actuellement en cours au niveau mon-
 anthony.benoist@cirad.fr
dial, les filières industrielles ne peuvent en effet s’envisa-  laurent.van_de_steene@cirad.fr
ger avant plusieurs années. Ces premiers résultats laissent  francois.broust@cirad.fr
clairement entrevoir un réel intérêt au niveau de l’occu- Arnaud HELIAS
pation des terres, avec des rendements à l’hectare très Montpellier SupAgro
largement supérieurs aux carburants de première géné- 34060 Montpellier Cedex 2
ration et l’utilisation de terres non fertiles (sols pauvres, INRA, UR50 LBE, 11500 Narbonne
 arnaud.helias@supagro.inra.fr
salines en reconversion, etc.). Cependant le point clé de

Quelques références clés...


 ENOIST, A., 2009, Éléments d’adaptation de la méthodologie d’Analyse de Cycle de Vie aux carburants végétaux :
B
cas de la première génération, Thèse, École des Mines ParisTech, Paris.
CHERUBINI, F., STROMMAN, A.H., 2011, Life cycle assessment of bioenergy systems :
state of the art and future challenges, Bioresource Technology, vol. 102, n° 2, p 437-451.
EUROBSERV’ER, 2011, Baromètre biocarburants, Systèmes solaires – Le journal des énergies renouvelables,
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ZAH, R., BÖNI, H., GAUCH, M., HISCHIER, R., LEHMANN, M., WÄGER, P., 2007, Life cycle assessment
of energy products : Environmental impact assessment of biofuels, Rapport d’étude, Empa, Bern.

Sciences Eaux & Territoires n°07 – 2012 ::::::::::::::

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