Document 563889
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66 de la consommation d’énergie :
les matériels agricoles roulants
L’évaluation de l’impact environnemental des biocarburants a été et est encore un sujet très controversé.
À partir d’une synthèse bibliographique, cet article nous présente les éléments connus et les principales
incertitudes concernant les enjeux environnementaux représentés par chaque génération de biocarburants.
E
n France, l’énergie consommée dans les • la production de biomasse, intégrée au cycle natu-
transports routiers était issue à 97 % du rel du carbone, promet des impacts potentiellement
pétrole en 2005, 93 % en 2007, et les émis- réduits en termes d’émissions de GES en comparaison
sions associées de gaz à effet de serre (GES) aux sources fossiles (encadré ➊), et permet d’amélio-
représentaient 32 % des émissions nationales rer la sécurité énergétique des pays via l’utilisation de
en 2009. Ainsi, face à la tension croissante ressources locales ou, a minima, via une diversification
sur les ressources en pétrole et les enjeux du changement géographique des dépendances ;
climatique, ce secteur apparaît à la fois particulièrement • la conversion de produits agricoles, par des technolo-
vulnérable et incontournable à la réussite d’objectifs tels gies issues et maîtrisées par les industries agro-alimen-
que la réduction des émissions de GES d’un facteur 4 taires, permet une production immédiate de certains
dans les pays développés d’ici à 2050. Le défi principal biocarburants, et peut alors constituer un débouché
à résoudre pour le secteur des transports aujourd’hui est alternatif intéressant pour les agricultures occiden-
donc de pouvoir concilier les besoins de mobilité d’une tales inquiètes du devenir des politiques publiques de
part, et la nécessité de réduire ses émissions associées de soutien.
GES et de diversifier son approvisionnement énergétique
Ces enjeux ont ainsi conduit au développement, à la
d’autre part. Parmi les différents niveaux d’actions pos-
reprise ou l’accentuation, selon les pays, de programmes
sibles, de l’accessibilité des services à l’amélioration des
de soutien aux filières de production de biocarburants
motorisations en passant par la modification des habitudes
(figure ➊), depuis grossièrement le début des années
de conduite, le présent article se focalise plus particulière-
2000. Afin de confirmer et quantifier l’intérêt des bio-
ment sur la production des carburants.
carburants produits ou futurs, notamment vis-à-vis de la
De fait, la production de biocarburants1 liquides pour le diminution des émissions de GES et de la réduction de
transport a rapidement été identifiée comme un moyen la dépendance énergétique, ces actions se sont accom-
d’action à court terme, au potentiel intéressant, et ce pour pagnées de travaux d’évaluation environnementale par
plusieurs raisons : analyse de cycle de vie (ACV), c’est-à-dire par comparai-
• la biomasse est l’unique source renouvelable permet- son des consommations et émissions ayant lieu au cours
tant, via la photosynthèse, de fournir des vecteurs énergé- de l’ensemble des cycles de vie des produits (figure ➋).
tiques matérialisés, bien adaptés à une utilisation décen- Cet article vise à clarifier les controverses qui s’en sont
tralisée en véhicules autonomes ; suivies et à présenter une synthèse des enjeux environ-
• l’usage de biocarburants en moteurs, essence ou die- nementaux des biocarburants.
sel, est connu et validé depuis l’invention même de ces
moteurs, ce qui autorise leur utilisation dans les moteurs Biocarburants liquides de première génération
actuels directement ou au prix de modifications mineures ;
Filières et formulation
1. Le terme « biocarburant » s’entend comme Les biocarburants dits de première génération valorisent
« carburant issu de la biomasse », ce qui englobe
les composants alimentaires des végétaux (figure ➊).
l’ensemble des ressources végétales. Il est ici préféré
au terme « agro-carburant », utilisé pour désigner les De ce fait, les technologies de production sont immé-
biocarburants spécifiquement issus de l’agriculture. diatement accessibles car issues de l’expérience des
industries agro-alimentaires. Les biocarburants sont dis- Éthanol et huile végétale peuvent tous deux servir de
tingués en fonction des carburants fossiles auxquels ils base, par réaction avec des produits pétroliers, à la pro-
se substituent : duction d’additifs de carburants. L’éthyl-tertio-butyl-ether
• la voie éthanol, produit à partir du sucre ou de l’amidon (ETBE) est issu de l’éthérification de l’éthanol (45 % en
des plantes sucrières ou amylacées (betterave, canne à masse des réactifs) par l’isobutène (55 % en masse).
sucre, céréales, etc.), permet de substituer les essences ; Les esters méthyliques d’huiles végétales (EMHV) sont
• la voie des huiles végétales, c’est-à-dire les produits eux issus de la trans-estérification des triglycérides
issus des cultures oléagineuses (colza, palmier à huile, contenus dans l’huile par un alcool, majoritairement le
tournesol, etc.), permet la substitution des fiouls et des méthanol aujourd’hui à l’échelle industrielle ; les pro-
gazoles. portions peuvent varier selon les huiles mais il peut être
considéré que 1 kg d’huile et 0,1 kg de méthanol per- de ces différences très significatives de résultats, deux
mettent la production de 1 kg d’EMHV, accompagnée grands types de causes peuvent être retenus :
de celle de 0,1 kg de glycérine. L’intérêt essentiel de cette • la méthodologie même de l’ACV, notamment dans ses
trans-estérification est d’obtenir un produit possédant des règles de calculs ou les frontières des systèmes étudiés ;
caractéristiques bien plus proches de celles d’un gazole,
notamment du point de vue de la viscosité ou de l’indice • la spécificité locale et la variabilité naturelle des sys-
de cétane, et donc mieux adapté à une utilisation comme tèmes agricoles, tant dans leurs performances (ren-
carburant pour les transports. dements, itinéraires techniques) que dans leur com-
portement vis-à-vis de l’environnement (émissions de
Les principales formes commerciales des biocarbu-
protoxyde d’azote par les sols).
rants liquides de première génération sont l’éthanol et
les EMHV. En Europe, par exemple, en 2009, en termes Résoudre les difficultés du premier point nécessite une
d’énergie consommée, 79 % des biocarburants utilisés homogénéisation des méthodes utilisées, par des travaux
étaient des EMHV, 19 % de l’éthanol, et les 2 % restants portant à la fois sur les concepts de l’ACV et les spéci-
des huiles végétales pures (HVP), dont la consommation ficités des systèmes de biocarburants. Ceci est abordé
n’est significative qu’en Autriche, Allemagne et Irlande. à l’heure actuelle par de nombreux groupes de travail,
Dans cet article, les enjeux environnementaux suivants tant nationaux (Ademe et Afnor) qu’internationaux
relatifs à la 1e génération se concentrent sur l’éthanol et (Commission européenne, Comité européen de normali-
les EMHV. sation, ISO, Roundtable on Sustainable Biofuels, etc.). Le
second point est inhérent aux productions végétales. La
Bilans énergie et gaz à effet de serre réduction des incertitudes associées ne peut être réalisée
que par un travail important de recherche pour la com-
Panorama général
préhension des mécanismes mis en œuvre et de collecte
La consommation énergétique et les émissions de de données très localisées.
GES sont les enjeux environnementaux des biocarbu-
Toutefois, malgré les disparités constatées, la grande
rants qui ont été les plus intensément étudiés ; en 2011, la
majorité des études concordent sur un effet bénéfique,
moitié des ACV publiées dans des journaux scientifiques
bien que variable, des biocarburants sur les bilans éner-
internationaux et relatifs à la biomasse-énergie se foca-
gétiques et GES du transport en comparaison aux pro-
lisait sur ces deux aspects, voire un seul des deux. Cela
s’explique notamment par le fait que ces deux enjeux duits fossiles, hors changement d’affectation des sols :
étaient au cœur de la justification des programmes de • concernant l’éthanol, les bilans énergétiques sont
soutien public aux biocarburants. Or, très rapidement, généralement déterminés par les procédés de transfor-
les études réalisées ont montré d’importantes disparités mation de la matière première agricole en carburant ; les
dans leurs résultats, ce qui a été à l’origine d’importantes bilans les moins favorables sont alors ceux des plantes
controverses. Parmi les nombreux éléments à l’origine amylacées (céréales, tubercules), et les plus intéressants
1 Parcelles de
cannes à sucre sur
l’île de La Réunion.
© S. Brochot (Irstea)
ceux des plantes sucrières (betterave, et surtout canne à Concernant les biocarburants d’origine tempérée,
sucre). Cette hiérarchisation se retrouve pour les bilans chaque filière génère également un coproduit de trans-
GES, avec toutefois une répartition plus équilibrée entre formation qui représente des quantités importantes :
les rôles des phases de culture et de transformation, du pulpes et vinasses pour la betterave, drêches pour les
fait notamment du rôle important de la fertilisation pour céréales, et tourteaux pour les oléagineux. La différence
les émissions de GES ; avec les filières tropicales est que ces coproduits ont
• pour les EMHV, la phase agricole est cette fois-ci l’élé- une valeur alimentaire, et qu’aujourd’hui, le contexte
ment le plus déterminant puisqu’elle est généralement économique est tel qu’il est plus rentable de les valo-
la phase prédominante des bilans GES et compte pour riser comme aliments du bétail que de les utiliser pour
grossièrement la moitié des bilans énergétiques. Du point assurer l’approvisionnement énergétique des installa-
de vue de la comparaison de ces bilans, par mégajoule tions, via leur méthanisation ou leur combustion.
produit, à ceux des filières fossiles, l’effet bénéfique des Cependant, dans une situation où les prix de l’énergie
EMHV tend globalement à être plus important que celui augmenteraient fortement et où les marchés alimen-
des filières d’éthanol. taires resteraient relativement stables, il pourrait devenir
économiquement plus intéressant d’utiliser énergétique-
Cultures tempérées et cultures tropicales ment ces coproduits. Les calculs montrent qu’alors, les
Dans le panorama des ressources possibles pour la bilans énergétiques et GES des biocarburants d’origine
production de biocarburants liquides, la canne à sucre tempérée deviendraient grossièrement équivalents à
(photo ➊), pour l’éthanol, et le palmier à huile, pour ceux issus de la canne à sucre et du palmier.
l’EMHV, se démarquent nettement par des bilans plus
favorables, et ce malgré l’importation nécessaire pour Quel objectif au développement de filières
un usage en Europe par exemple. Ceci s’explique prin- de biocarburants ?
cipalement par trois raisons, communes pour ces deux Vis-à-vis de la comparaison de filières de biocarburants,
filières : deux grands types de questions peuvent être posés :
• ces deux ressources sont issues de cultures tropicales, • « quelles productions de biocarburants présentent les
autorisant la valorisation d’une plus grande quantité meilleures performances environnementales pour une
d’énergie solaire incidente ; utilisation dans les transports ? », ou
• ces cultures sont pérennes, ce qui présente plusieurs • « quelle est la mobilisation des sols la plus efficace
avantages agronomiques et environnementaux ; en termes d’atténuation du changement climatique et de
• l’approvisionnement en énergie des procédés de trans- réduction de la dépendance énergétique ? ».
formation est assuré par un résidu de culture : la bagasse La majorité des études réalisées aujourd’hui, ainsi que les
dans le cas de la canne à sucre, et les régimes de fruits tendances exprimées plus haut, répondent au premier
vides pour le palmier. type de questions. Le point de vue adopté est alors celui
sont globalement plus élevés, et surtout puisque, selon l’industrialisation de ces filières sera les dépenses éner-
la conduite des TCR ou espèces pérennes, les stocks gétiques associées : les consommations énergétiques des
de carbone accessibles sous ces cultures peuvent être étapes de culture et d’extraction, où de grands volumes
plus élevés que pour des cultures annuelles. De la même d’eau sont en jeu, sont en effet les principaux contri-
façon, la plus forte présence de ces cultures pérennes buteurs aux impacts environnementaux identifiés. Les
dédiées dans le maillage actuel pourrait potentiellement années à venir vont être déterminantes pour la faisabilité
être favorable localement à la biodiversité. de ces types de carburant.