Extrait
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18 euros
Prix TTC France
ISBN : 979-10-285-2924-6
editionsleduc.com
Rayons : Santé, psychologie
REJOIGNEZ NOTRE COMMUNAUTÉ DE LECTEURS !
INTRODUCTION 7
l’isolement social, l’organisation du travail et la violence des
rapports sociaux enfoncent dans la dépression.
2. A. Malla, R. Joober, A. Garcia, « “Mental illness is like any other medical illness”:
A critical examination of the statement and its impact on patient care and
society », Journal of Psychiatry & Neuroscience, 2015.
INTRODUCTION 9
en soit, tu ne pourras pas considérer tous les résultats que je
te présente comme une vérité universelle, car les pathologies
psychiatriques ont pour cause la combinaison de plusieurs
facteurs. Par exemple, malgré des caractéristiques de modernité
communes, le Japon et les États-Unis ont des profils différents
pour un grand nombre de pathologies. Il y a ensuite des effets
de rétroaction des différentes variables. Ainsi, ta dépression
vient perturber ton sommeil, ce qui va influencer ton poids, ce
qui va influencer ta dépression, etc. Établir une connaissance
épidémiologique fiable prend des dizaines d’années. Enfin,
pour vérifier ou compléter les informations fournies dans ce
livre, n’hésite pas à consulter la bibliographie. Je n’ai pas la
prétention d’être un grand penseur ou de pouvoir élaborer des
systèmes complexes de réflexion, mais je sais présenter des
données sur les problèmes psychologiques.
Pourquoi la
société moderne
nous rend tous
dépressifs ?
L a dépression est-elle vraiment beaucoup plus présente
qu’autrefois dans nos sociétés modernes ? Ce qui aurait
été parfait pour les chercheurs, c’est d’avoir à disposition
les données de tous les pays sur les 10 000 dernières années.
Sauf que ces chiffres n’existent pas. Il a donc fallu trouver une
autre méthode. L’une des premières est de comparer les données
que l’on a depuis soixante-dix ans, car c’est à partir de cette
période que l’on commence à avoir des chiffres comparables
grâce aux outils actuels. Que montrent ces études ? Que, depuis
les années 1970 dans des pays développés comme les États-
Unis et la France, les dépressions sont en hausse constante.
L’OMS (Organisation mondiale de la santé) précise ainsi que les
risques d’être dépressif ont augmenté de 18 % entre 2005 et 20155.
En France, on note également une augmentation importante
des cas. Un rapport6 établit que le taux de dépression en France
a quadruplé entre 1970 et 1980 et septuplé entre 1970 et 1996.
D’autres études confirment cette hausse : alors qu’en 1970, le
taux de dépression était de moins de 2 % chez les Français, il
était de 7 % en 2014, et il est monté à 14 % après le Covid et les
confinements7. Une autre étude montre, elle, une augmentation
de la prévalence de 1,8 % chez les Français entre 2010 et 20178.
* L’impuissance acquise
Cette théorie part du principe que la dépression est due à un
apprentissage de l’impuissance. Pour le dire autrement, et plus
clairement : à un moment donné dans ta vie, tu t’es retrouvé
coincé et ce sentiment d’être « foutu » s’est généralisé à d’autres
parties de ta vie. Par exemple, si petit, tu étais un dyslexique qui
rencontrait de nombreuses difficultés scolaires, tu as intégré
l’idée que tu ne t’en sortirais jamais dans la vie, et ton cerveau a
perdu la motivation à agir. Autre exemple : si, au travail, ton boss
te harcèle en permanence en te disant que tu es incompétent,
tu vas intégrer l’idée que tu es nul et incapable, non seulement
au travail mais aussi à la maison avec tes enfants. C’est cela
l’impuissance acquise.
* La dépression comme
économie d’énergie
La troisième théorie est l’une des plus complètes, car elle permet
d’intégrer à la fois les variables biologiques et les variables
psychologiques. L’idée est que la dépression serait un mode
d’adaptation que l’humanité a développé pour économiser
l’énergie, le temps de pouvoir gérer une perte de ressources.
Par exemple, les symptômes dépressifs à la suite d’un deuil
seraient dus au fait que notre cerveau a besoin d’un temps
de réorganisation, durant lequel il va économiser son énergie
après la disparition d’une personne chère pour pouvoir mieux
fonctionner par la suite. Cette approche expliquerait ce qu’on
appelle les dépressions « réactionnelles », c’est-à-dire le fait
de développer un état dépressif à la suite d’un événement. Les
modifications physiologiques qui s’ensuivent seraient donc
des manifestations de cette adaptation : tu dors plus, tu bouges
moins, tu restes affalé dans ton canapé pendant des heures, tu
fais les choses plus lentement… Bref, tu économises ton éner-
gie ! Cela explique aussi la dépression saisonnière, qui survient
comme son nom l’indique lors d’un changement de saison. Il y
L’isolement social
En 1985, quand on demandait à quelqu’un le nombre de
personnes sur lesquelles il pouvait compter, avec lesquelles
il pouvait tranquillement discuter de sujets importants, il en
listait trois en moyenne. Aujourd’hui, on est à moins d’une
personne en moyenne12. Or l’isolement social est véritablement
un fléau. Les problèmes de liens sociaux sont assez fréquents en
psychopathologie, et de nombreuses troubles mentaux, comme
l’anxiété sociale, la jalousie maladive ou encore le trouble de la
personnalité borderline, leur sont associés. Ils jouent également
un énorme rôle dans la dépression. Le manque de relations
sociales explique d’ailleurs la recrudescence des dépressions
chez les enfants et les ados durant les confinements liés au Covid.
* L’individualisme
Dans les recherches, on oppose souvent individualisme et
collectivisme. L’individualisme correspond au fait de se centrer
sur l’épanouissement et le bien-être personnels, tandis que le
collectivisme insiste sur l’attachement au groupe et son inté-
rêt. Une culture plus collectiviste protégerait apparemment
de la dépression, le sentiment d’appartenance à un groupe
permettant d’éviter d’éprouver le sentiment de solitude et de
rester seul dans son coin (même si, il faut aussi le reconnaître,
certaines personnes supportent très bien la solitude). Dans les
études menées pendant le Covid, on a montré que le collec-
tivisme permettrait aussi de resserrer la cohésion sociale et
l’entraide. Il est difficile de se rendre compte jusqu’à quel point
* La compétition
On se représente souvent les pays les plus modernes comme
des pays où les problèmes particulièrement éprouvants
(la famine, la guerre…) ont été éradiqués. Dans ce contexte-là, il
est effectivement difficile de croire que, vu notre qualité de vie,
on puisse être dépressif. Mais il est important de comprendre
que ce n’est pas parce que tu es bien nourri et que tu vis dans
un pays en paix que tu vas bien ! Un enfant maltraité en France
peut être bien nourri, et pourtant, il ne va pas bien (les chiffres
de la maltraitance restent élevés en France : 22 % des adultes
affirment avoir été maltraités13).
Des études ont montré que plus une société est inégale, plus
l’individualisme et la compétitivité s’accroissent. Il y a un effet
de rétroaction entre l’individualisme, la compétitivité et les
inégalités salariales : ce n’est pas juste parce que les individus
ne pensent qu’à eux que les inégalités augmentent, c’est aussi
parce que les inégalités augmentent qu’ils vont penser de plus
en plus à eux. Et cela se voit des deux côtés de la barrière.
D’un côté, les plus pauvres vont développer un stress chronique
qui va augmenter leurs risques de dépression, ainsi qu’une
anxiété de statut social dont on reparlera. De l’autre côté, les plus
riches vont devenir de plus en plus paranos pour se défendre
des pauvres méchants qui, selon eux, jalousent leur richesse.
* La mobilité géographique
Un autre facteur qui va casser le lien social, c’est la mobilité
géographique grandissante. La mobilité est déjà, en soi, une
adaptation qui augmente les risques d’être déprimé. Par exemple,
dans une étude menée aux États-Unis, il a été montré que les
mères célibataires majoraient leurs risques de dépression de
29 % à chaque déménagement14. Le fait de t’éloigner de tes
proches brise le réseau social et l’aide dont tu pourrais bénéficier.
Cela peut expliquer pourquoi les habitants des grandes villes
sont plus déprimés : le turnover dans un immeuble est bien plus
grand que dans une petite ville ! C’est étonnant de constater à
quel point certains politiques trouvent normal de déplacer des
travailleurs sur des centaines de kilomètres, et donc de détruire
leur vie sociale… Sauf si bien sûr on considère qu’être salarié est
le but d’une vie, et que les liens sociaux sont peu importants.
C’est une donnée non négligeable dans les études sur l’immi-
gration. En règle générale, un immigré, quand il arrive dans son
nouveau pays, a une meilleure qualité de vie et souffre moins de
dépression (car la comparaison lui permet de voir qu’il a une bien
meilleure vie que dans son pays antérieur). Mais les effets pour
la seconde génération sont bien différents. Non seulement elle
ne peut bénéficier des effets positifs de la comparaison, mais en
plus, elle va subir les inégalités salariales de sa famille, et être
coupée de ses grands-parents, tantes ou cousins qui auraient
pu faciliter son éducation (les études ont plutôt tendance à
confirmer l’adage selon lequel il faut un village pour éduquer
un enfant). Résultat : cette seconde génération sera davantage
confrontée aux problèmes psys.
Le style de vie
Ton style de vie a une influence non négligeable sur ta santé.
Pendant des milliers d’années, l’être humain a évolué dans un
environnement particulier. Ce cadre « originel »15 est appelé
l’environnement de l’adaptation évolutive. C’est celui auquel
notre organisme s’est adapté. Il se trouve que les changements
sociétaux sont bien plus rapides que les modifications de nos
codes génétiques. Ainsi, l’organisme doit s’adapter à des change-
ments auxquels il n’a pas été préparé, ce qui entraîne différentes
pathologies. La sensibilité à la solitude en fait partie, mais on
verra dans les différents chapitres le même problème pour les
rythmes circadiens, l’alimentation ou le stress chronique.
15. Les guillemets marquent une certaine réserve, car vivre au Groënland n’est
pas la même chose que vivre au Maroc. Il y a des signes de ces évolutions dans
les populations comme les Inuits, qui ne font pas de dépression saisonnière.