Gestalt Détresse Et Empathie
Gestalt Détresse Et Empathie
Gestalt Détresse Et Empathie
québécoise de
GESTALT
Détresse
et empathie
VOLUME 6 • 2003
MISSION DE LA REVUE QUÉBÉCOISE DE GESTALT:
COMITÉ DE RÉDACTION:
Janine CORBEIL
Marie-Claude DENIS
Marc-Simon DROUIN
Louise MIRON
Danielle POUPARD
Mari té VILLENEUVE
COORDONNATRICE DE LA PUBLICATION:
Nicole FORTIER, coordonnatrice
MISE EN PAGE:
Infographie DN
COtJT*:
Individu 25,00 $
Institution 40,00 $
* Frais de livraison en sus.
Volume 6 • 2003
La Revue québécoise de GESTALT
• Volume 6 • Automne 2003
ÉDITO1UjU 9
L’ETHNOCULTUREL, DE L’EXPÉRIENCE
À L’INTERVENTION 133
Jorge VASCO
C edenuméro
Gestaltde
fête
la son quinzième
Revue anniversaire.
paraît alors La renie
que l’Association a été un
québécoise
point marquant dans notre histoire comme d’autres faits saillants
qui ont contribué à créer une association pleine de vitalité et de plu
ralité. Par l’entremise de la Revue, cet événement sera inscrit dans
la mémoire de notre communauté.
Nous avons souvent honoré les personnes qui sont les artisans de
l’enseignement de la Gestalt au Québec.Je souhaiterais ici souligner
le travail des militants qui ont permis à l’Association d’exister, de se
développer et de demeurer toujours aussi vivante après quinze années
d’existence. Quinze ans déjà, il me semble que ce n’est pas si loin.
Je me souviens des tous débuts.
Lorsquej’étais étudiante en 2° année au CIG, Gilles Delisle nous
avait fortement incité à assister au 10e anniversaire de la conférence
du GestaltJournal, sur la théorie et la pratique de la Gestalt thérapie.
On y retrouvait des noms prestigieux —Joseph Zinker, les Polster, etc
— qui côtoyaient nos gestaltistes québécois —Janine Corbeil, Gilles
Delisle, Ernest Godin, John Kennedy et Oscar Hamel, tous fiers
représentants d’une école de formation. Ceux-là mêmes qui ont
formé nos membres d’aujourd’hui. Lors de ce colloque, une invita
tion s’adressait particulièrement à ceux qui étaient intéressés à la
création d’une association gestaltiste québécoise. La première réunion
eu lieu le 12juin 1988 à l’hôtel Quatre Saisons de Montréal. Le groupe
de démarrage était formé par Richard Hatto, Marc Parent, Linda
Lagacé, Gérard Bouffard,Jaqueline Coté-Brisson et moi-même.
Je me souviens de ces rencontres mensuelles; nous devions pré
parer le premier colloque annuel tout en organisant la première
assemblée générale et la création de l’Association. La réponse fut
positive et l’AQG a pris son envol avec Richard Hatto comme premier
président. Il y en a eu bien d’autres depuis,je les remercie pour avoir
tenu le phare et permis à notre association de continuer sa route.J’en
profite aussi pour souligner le travail de toutes les personnes qui, à
un moment ou l’autre, ont fait parti du conseil d’administration.Je
ne pourrais pas les désigner toutes, elles sont trop nombreuses mais
je les salue puisqu’elles demeurent pour la plupart actives au sein de
notre association.
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
6
MOT DE LA PRÉSIDENTE
7
Éditorial
Chère lectrice, cher lecteur,
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Reuue Québécoise de Gestalt, volume 6
10
Les quinze ans
de l’14QG
Janine CORBEIL, LYS.’
INTRODUCTION
LAssociation Québécoise de Gestalt (AQO) célébrera à / ‘automne 2003 le quinzième
anniversaire (le SOfl existence. Au Québec, quelques centaines de psychologues se sont
formés à la théorie et à la pratique gestaltistes depuis trente ans.
A cette occasion, il nous a semblé opportun tic présenter à la communauté des
psychologues du Québec un bref aperçu de cette importante branche de la psychologie
existentielle/humanistefondée parFrede;ick S. et Laura Perls.
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
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LES QUINZE ANS DE L’AQG
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Revue Québécoise de Gestalt; volume 6
Le lien oiganisme/environnement
Un individu et son environnement sont interreliés de façon organis
mique. L’oranger exposé dans ma fenêtre pourra devenir une jolie
plante ornementée de minuscules petites boules orangées; il ne pro
duirajamais de véritables oranges comme son frère qui a poussé dans
unjardin de Séville. Le Self se développe et se crée dans et à partir
d’un environnement donné; cet environnement contribue à le
façonner et est, en retour modifié par lui. Pour rendre compte de
cette réalité si fondamentale, nos concepts sont inadéquats: il n’y a
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LES QUINZE ANS DE L’AQG
Le ici et maintenant
La capacité de rester dans le ici et maintenant correspond à une dis
cipline mentale d’inspiration orientale. Autour de nous, les nom
breuses méthodes de méditation utilisent ces pratiques. Lorsque le
client se rend indûment anxieux en ruminant son passé où en s’in
quiétant à l’excès pour son avenii une discipline d’arrêt de la pensée,
au moyen de laquelle il se ralentit et ne porte attention qu’à ce qui
est momentanément présent, contribue à diminuer l’anxiété.
Ce principe fut malheureusement trop souvent mal interprété au
cours de l’histoire de la thérapie gestaltiste. Certains imitateurs de
F5. Perls ont voulu comprendre que le passé devait être mis de côté,
et le futur, oublié. D’après un auteur, cette interprétation en-onée cor
respondait à une philosophie hédoniste (d’irresponsabilité) qui eut
pour tni temps une certaine vogue dans la culture environnante
(Staemmler, Fr.-M.,2002). Quelques mises au point se sont imposées
dans les écrits par la suite. Polster nous rappelle que le présent est
le maillon entre le passé, qui fait indéniablement partie de nous, et
le futur, que nous anticipons et préparons (Polster,1985).
Lorsqu’un client évoque un souvenir de son passé, il le fait avec
un ensemble émotif et corporel qui lui, est présent. C’est ce présent
qui deviendra la clé d’accès à ce qui est important pour ce client
dans ce passé. On parle alors de situations inachevées du passé qui
ont besoin d’être complétées.
Le contact, élément vital essentiel de l’organisme, et impliquant
awareness (conscience, attention), énergie et action suivie de retrait
a forcément lieu dans le présent. Une fois le besoin satisfait, ce qui
était figure se relègue à l’arrière-plan. Par opposition à cette notion
centrale du contact, la dimension relationnelle implique une conti
nuité qui se nourrit du passé et tisse le futur. Des auteurs (Yontef,
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
La dimension corporelle
W. Reich a fait l’hypothèse d’une résistance à l’analyse qui s’exprime
dans le corps, résistance qu’il proposait d’observer telle qu’elle appa
raissait au cours de l’analyse. Il insistait sur le pendant physiologique
des émotions.
E Perls, qui entreprend une analyse avec W. Reich, y découvre
une méthode radicalement différente de ce qui existait alors, méthode
directe d’observation et d’intervention qui le fascine et suscite l’en
thousiasme des deux Perls. Cependant, l’approche corporelle de la
Gestalt diffère sensiblement de l’approche d’inspiration reichienne.
On peut distinguer deux points importants de divergence.
1. L’apport de l’euthonie, méthode d’harmonisation des mouve
ments qu’a étudiée L.Perls. Pour cette auteure, ce qui a été assi
milé dans le corps sert de soutien au contact. C’est ce qu’elle
nomme le système interne de soutien (Perls, L.1993). Le but de
la thérapie consiste à rendre accessible à la conscience l’énoncé
existentiel que le langage corporel communique. La prise de
conscience est pré-requise au changement (Corbeil, 1998).
2. La posture de base de la Gestalt-thérapie est de nature Zen ou,
de façon plus générale, bouddhiste (Vanden Eynde,1999). Ces
affinités de base se confirment lors d’une expérience de E Perls
dans tin temple Zen, lors de son voyage aujapon au milieu des
années 1960. Ce qui se clarifie surtout, c’est la position antérieure
de Perls sur le changement. On parle de la théorie paradoxale
du changement: ce dernier se produit lorsqu’une personne
devient d ‘abmrl ce qu’elle est et non pas lorsqu’elle essaie de devenir
ce qu’elle n’est pas (Beisser,1970).
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LES QUINZE ANS DE L’AQG
La notion de soutien
Le soutien psychologique et social est indispensable au changement
psychologique. Ce soutien est à la fois interne: les acquis, les com
pétences personnelles, etc... et externe: le soutien du thérapeute, d’un
groupe, d’un réseau. A ses débuts, F.S. Perls, voulant faire connaître
sa méthode, faisait des démonstrations à de larges auditoires. Ces
auditoires étaient constitués de praticiens qui avaient, pour la plupart,
suivi une psychothérapie. La propagation des vidéos de F.S. Perls a
contribué, pour un temps, à faire croire que le changement psy
chologique pouvait être miraculeux. Beaucoup d’auteurs ont écrit sur
les conditions qui facilitent la façon respectueuse et éclairée du
changement psychologique chez les clients. On insiste pour parler
du changement qui se fait pas-à-pas et non pas de façon brutale et
d’un seul coup. (Zinker, 1977).
La Gestalt aujourd’hui
Le premier institut de formation à la Gestalt Thérapie a été fondé
en 1952, à New York par les Perls, R Goodman, R Weisz et quelques
autres. Le deuxième fut fondé l’année suivante à Cleveland, Ohio.
Depuis, des instituts se sont développés dans presque tous les pays
d’Europe et d’Amérique Latine. Chaque pays possède au moins une
revue portant sur la Gestalt-thérapie.
La Gestalt au Québec
Les premiers gestaltistes du Québec se sont formés aux États-Unis
dans les années 1970 et sont allés offrir de la formation par la suite
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
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LES QUINZE ANS DE L’AQG
Goordonnées:
Association québécoise de Gestalt, C.P. 428, succursale Delorimie:;
Montréal H2H 2N7; Tél: (514) 971-7838; site Web: www.awg.ca
Bibliographie
BEISSER, A. (1970). The Paradoxical Theors of Change dansJoen Fagan Se IrmaLee
Shepherci (Eds) Gestalt TheraJiy Noie Harper Colophon Books, New York.
CORBEIL,J. (1991). Un programme de formation à la Gestalt. Revue Québécoise
de Psychologie, vol. 12, n° 2.
C0RBEIL,J. (1992). Histoire de la Gestalt au Québec. Revue Québécoise (le
Gestalt, Vol. 1,110 1, Les Editions du Reflet.
C0RBEIL,J. (1994). Wilhelm Reich et deux de ses héritiers: la Bio-énergie
et la Gestalt-thérapie. Gestalt,7, 61-81. France.
C0RBEIL,J.(1998). La Gestalt et le corps. Revue Québécoise de Gestalt, 2(2),
40-58. Montréal.
DELI5LE, G. (2002). De la Gestalt-thérapie à la PGRO. Revue Gestalt, 22,
87-104. Paris.
GAGN0N,J. (1999). Prendreforme en relation: fondements pour une com
préheusion gestaltiste des pathologies limites. Cahiers Gestalt Thérapie,
6,65-115.
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
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Une pionnière de la
Gestalt nous a quitu5s
Janine CORBEIL
INTRODUCTION
Elaine Byrd &pneï Ph.D., psychologue, est décédée le 10 décemb,~ 2002 à Clweiand~
EU, àl~ge de 82 ans.
ElaineJht, avec Miriam et Erving Polste, BilI Warner et quelques autres, une
des fondairices du Gestalt institute de Qeveland (dc).
Elaine u eu une contribution marquée au développement de la Gestalt-thérapie
au Québec. Elle est bien connue d ~un certain no,nb,~ de gestaltistes du Québec~ndsqu ‘elle
a enseigné à Montréal dans le programme deformation à ta Gestalt offert au Centre
de G,vissance et dl-lu manisîneAppliqué (GCHA) pendant environ treize ans. On peut
estinerqu. ‘entre cent-trente et cent-cinquante intervenants ont eu. l’eccasion de travailler
avec elle.
Elainefiut pour moi non seulement une excellente collaboratrice et collègue, mais
aussi un mentor et finalement, une amie très chère.
Cet article se p;-op ose d’honorer l’héritage qu Elaine Kepner a laissé, par son
cheminement original, â la Gestalt-thérapie dans son ensemble, et en particulier de
mppeter ce qu’elle a transmis aux gestaltistes du Québec.
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Revue Québécoise de Gestalt, volumt 6
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UNE PIONNIÈRE DE LA GESTALT NOUS A QUITTÉS
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Revue Québécoise de Gestalt, voltu;w 6
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UNE PIONNIÈRE DE LA GESTaT NOUS A QUrrrÉS
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Revue Québécoise de Gestalt, z’olunu, 6
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UNE PIONNIÈRE DE L4 GESTALT NOUS A QUIttÉS
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UNE PIONNIÈRE DE LÀ GEsTALT NOUS A QCflÈS
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UNE PIONNIÈRE DE LÀ GEsTALT NOUS A QUITTÉS
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À l’encontre du stress,
de la fatigue et de
l’t~puisement, une vie
pleinement saine!
Danielle POUPARD
RÉSUMÉ
Le inonde de travail contemporain, ses innombrables conti-ain tes ainsi que les change
n,ents incessants qu’il entraîne pose des defis de taille â ceux et. celles qui y oeuvrent.
ceci con t,iln,e â la montée constante dans leurs rangs du stress, de la surchaïge et
des arrêts de travail dus â l’épuisement. Tout au long de sa p?-atique, l’auteur s’est
intéressée â cette thématique et â sa pola~ité~ une vie saine et créatrice. Elle exprime
dans cet article sa vision et son expérience professionnelle des indicateurs du stress,
de la surcharge et de l’épuisement et des réactions diverses qu ‘ils engendrent chez les
individus. Elle partage ensuite sa perspective lzolistique et ses ~nodes d’intervention
fondés sur la thérapie Gestalt auprès de ses clients, sans oublier de s ‘adresser égale
ment aux intervenants eux-mêmes.
JNTRODUCTION
f’ suite
t’ ‘idée àd’écrire
l’ateliercet article est
quej’avais venue
animé au de la suggestion
colloque de notredeassociation
collègues
en septembre 2002 sur ce thème. En clin d’oeil à la fable de La Fon
taine,je m’étais amusée à formuler: Un mal qui répand la terreur;
mal que le ciel en sa fureur inventa pour punir les crimes de la terre,
le stress, puisqu’il faut l’appeler par son nom faisait aux humains la
guerre. Ils n’en mourraient pas tous, mais tous étaient frappés».
L’actualité de ce thème ou de ce mal du siècle, en Occident à tout
le moins, ne fait pas l’ombre d’un doute.
Bien qu’on nous ait fait miroiter une société du loisir dans laquelle
nous vivrions libres et heureux en ce millénaire, cela ne s’est pas
encore manifesté jusqu’à maintenant, bien au contraire. Le monde
que nous connaissons est celui du travail précaire, des mises en
disponibilité, de coupures de postes assorties de surcharge pour ceux
et celles qui demeurent en emploi.
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
qui leur sont inhérentes qu’une bonne partie de notre stress trouve
—
L Voir Neboir, M. et Vézina, M . Stnas au travail ri sauté pswluique ainsi que Faucher, R., Savoie,
A. et Brunet, L. (~buurilierfterfin7naure on.~anisaIio,,velk et sauté /~syrhokugique au travaiL
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À L’ENCONTRE DU STRESS, DE LA FATIGUE ET DE L’ÉPUISEMENT...
1. LE STRESS
Quelques mots de définition et de précision
Si l’on s’amusait à le répertorier, on s’apercevrait que sfress est un
des mots les plus employés dans les conversations quotidiennes qu’il
nous est donné d’entendre autant au travail que dans nos activités
sociales. ((Cela m’a stressé-e, mon patron me stresse; ces réunions sont
stressantes
Le premier à avoir utilisé le mot stress est un neurologue qui a
travaillé pendant des années dans son laboratoire de l’Université de
Montréal, Hans Selye. Le chercheur de réputation internationale
désigne sous ce vocable un syndrome général d’adaptation, c’est-
à-dire les manifestations réactionnelles d’un agent agressif sur l’orga
nisme. Il y a des événements et des situations porteurs de stress (les
stresseurs) d’une part, et d’autre part, la pression engendrée dans
l’organisme qui génère une tension (astreinte). On trouve dans le
volume de Bourque et Lelord la définition suivante:
le stress est un formidable processus autant biologique que psy
chologique, permettant à l’individu de mobiliser au maximum ses
capacités d’adaptation, chaque fois que dans son environnement
apparaissent une contrainte, une menace, un danger, une nouveauté
on une incertitude On comprend donc bien que le principe de
la gestion (lu stress est d’aider les individus à mieux maîtriser ce
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
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À L’ENCONTRE DU STRESS, DE LA FATIGUE ET DE L’ÉPUISEMENT...
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
TypesAettypesB
Un autre comportement adopté par les hyper-stressés (un peu comme
la cliente de la lO~ vitesse) est de tenter de faire plus de choses ou
d’activités en moins de temps, en plus, pour certains, d’avoir plus de
mal à s’arrêter ou à ralentir. Le temps est précieux, diront-ils, pas
une minute à perdre! En fait, leur rythme ressemble à celui d’un
mécanisme qui s’est emballé. C’est le cas de ceux que l’on nomme
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À L’ENCONTRE DU STRESS, DE LA FATIGUE ET DE L’ÉPUISEMENT...
les types A, connus pour être des candidats de choix pour l’avène
ment d’une crise cardiaque ou une thrombose de l’artère coronaire.
Comme l’explique DennisJaffe2 ce sont les cardiologues Meyer
Friedman et Ray Rosenman qui les premiers identifièrent ce type de
personnalité ainsi que le type B, son opposé.
Le surmenage nerveux et les impératifs de temps permanents main
tiennent les individus de type A dans un état d’éveil psychophysio—
logique constant. Ils essaient de faire plusieurs choses à la fois,
vivant par leur montre et leur calendrier.
Ceci provoque une tension musculaire, particulièrement autour
du visage, une agitation nen’euse, une élocution rapide et des doigts
qui pianotent. Ils mangent et marchent rapidement, trouvant dif
ficile de rester assis à ne rien faire. Leur esprit n’estjamais dans le
présent mais toujours préoccupé par la tâche à venir....
Que ces individus l’admettent ou non, il est évident qu’une
colère et une hostilité considérables se cachent derrière le com
portement de type A. Ils sont souvent irrités et frustrés par l’attente,
l’inattendu et par le travail imparfait des autres.
Jlsjouent toujours pour gagner et se méfient des motivations
de ceux qui les entotlrent. (laiTe, 1981, p. 130).
L’individu qui correspond au type B est, par contre, plus réaliste
dans sa perception du temps. Il est plus calme et davantage capable
de se détendre, de profiter de la vie et du contact avec les autres. Il
est un bon membre d’équipe, capable de prendre plaisir à l’activité
ou au loisir dans lequel il est inscrit.
Jaffe ajoute que non seulement le schéma B est plus sain mais
qu’en outre, un plus grand nombre de personnes dont les carac
téristiques personnelles y correspondent, accèdent à des positions
élevées. Il semblerait que les A, à cause de leur manque de souplesse
et leur incapacité à bien travailler avec les autres, stagnent au niveau
moyen. La plupart d’entre nous nous si tuons entre les A et les B,
pouvant glisser plus près du comportement de type A si la pression
interne ou externe augmente ou revenir aux caractéristiques du type
B après une période d’accalmie ou de transformations de son style
de vie.
Le W Bensabat parle également d’un type C, qu’il décrit comme
introverti et obsessionnel, qui intériorise sa réaction au stress. Selon
lui, [I] Is seraient plus prédisposés à la dépression nerveuse, aux rhu
matismes, aux infections à l’allergie et peut-être mème au cancer
en liaison avec une baisse plus importante des défenses immunitaires.
(Bensabat, 1980, p.62)
2. Voir La gnéfi~o’t & en soi (le Dennis faiTe pp. 129—133 et Stress du D’ SoIr Bensabat avec la col—
labontion du P’ i-Jans Selye pj- bi-63.
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À L’ENCONTRE DU STRESS, DE LA FATIGUE ET DE L’ÉPUISE?.IENT...
Score Grand
Evénement d’ajustement Oui impact
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Score Grand
Evénement d’ajustement Oui impact
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À L’ENCONTRE DU STRESS, DE LA FATIGUE ET DE L’ÉPUISEMENT...
10 37 8
20 64 11
30 93 14
40 120 40
50 142 50
60 170 58
70 206 83
80 254 120
90 327 209
Adapté d’un instruinenrcléveloppé par R. Cochrane etA. Roberison. “The Life EvenLs Inventory:
A ,neasure o! tise relative severitv of psycho—social stressors’, Journal o! Psycliosoinatic Research,
17, 1973, pp. 135-139.
3. Voir Goidberg, C. 1992 7he seaso~ed ftsvrhollwrapist: i)ii~m/’Ii mir advrryity. New—’d,rk, Norton
anci Coinpanv.
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À L’ENCONTRE DU STRESS, DE lA FATIGUE ET DE L’ÉPUISEMENT...
Nutrition
Il s’agit tout d’abord de se donner de bonnes habitudes alimentaires,
de manger des aliments de qualité, dont la préparation et la cuisson
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À L’ENCONTRE DU STRESS, DE LA FATIGUE ET DE L’ÉPUISEMENT...
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À L’ENCONTRE DU 5HtFSS, DE LA FATIGUE ET DE L’ÉPUISEMENT...
mes intâ-êts, mes goûts, mes preférences, les petites choses qui me font
plaisir? Est-ce que la vie quej’ai correspond à mes besoins et mes
valeurs et quels sont—ils?
Nous aidons souvent nos clients à renouer contact avec eux-
mêmes. Leurs capacités sensorielles internes comme externes ne
sont qu’en veilleuse, prêtes à servir d’antennes.J’aime bien parler d’un
retour à soi, un peu comme si on revenait à la maison pour se
fréquenter. C’est un objectif de resensibilisation qui est alors à pour
suivre, celui d’écoute de notre boussole intérieure qui nous informe
de nos besoins, pas de ceux des autres ou de leurs attentes. On peut
développer l’habitude de se consulter d’abord, de faire appel à sa
«fonction Je» avant de faire un choix, d’accepter ou de refuser un
projet ou une activité, que ce soit au travail ou dans la vie sociale.
En écho à cette conscience des capacités et des besoins se trouve
celle de nos limites. Il est impératif de sentir où se trouve le point-
limite, où c’est suffisant, assez sans être trop; sans cette conscience,
on est semblable à un véhicule sans freins! Notre individualité fait
de nous un être avec des contours et des limites précis, ce qui n’em
pêche pas que nous puissions nous dépasser à l’occasion. Sentir où
sont ces limites est un outil indispensable pour avoir une vie de qualité
et éviter la surcharge et l’épuisement.
À ce chapitre, il convient aussi d’ajouter un élément de première
importance, à savoir l’authenticité et l’affirmation de soi. Me montrer
tel(le) queje suis, entrer en contact directement et de façon claire
tout en respectant mon interlocuteur ou mon environnement apporte
force et tranquillité intérieure. Le développement de leurs capacités
d’affirmation fait souvent partie de mon travail avec mes clients sur
menés. Ils ont grandement besoin de sentir ce qui leur convient ou
non et de pouvoir l’exprimer.Je leur apprends à demander (des clari
fications, du soutien...), à dire non (par exemple à des échéanciers
trop serrés, des conditions de travail inacceptables), à recevoir (des
compliments, de l’appui, de la reconnaissance), à manifester de la
détermination. Exercer ces compétences me permet de prendre ma
place, celle qui me convient ici et maintenant.
Un autre item d’importance pourrait porter le titre d~rganisation
personnelle, en fait l’organisation de son temps et de ses dépenses
d’énergie. Il réfère à l’établissement de priorités qui respectent ses
besoins et ses limites personnelles, l’harmonisation des agirs avec les
objectifs qu’on s’est fixés, la gestion de son temps tout en tenant
compte de son propre rythme. C’estjustement ici que se place l’alter
nance entre l’activité et les moments de repos ou (le répit, question de
recharger ses batteries avant d’entreprendre un autre bout de route.
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À L’ENCONTRE DU STRESS, DE LA FATIGUE £1’ DE L’ÉPUISEMEtfl...
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
Avant que soit atteint le point de rupture dont parlent les auteurs,
il y a une période de surcharge ou de surmenage que l’intéressé ne
perçoit pas toujours clairement et pendant laquelle le niveau de stress
augmente alors que les capacités d’adaptation diminuent d’autant.
L’organisme a reçu les signaux et tenté de les transmettre mais on
fait la sourde oreille ou nié la gravité de la situation. Certains font
alors une demande d’aide préventive, comme cette femme dont le
patron avait modifié la tâche de façon telle qu’elle était amenée à faire
des activités en dehors de son champ de compétences, ce qui minait
sa santé et sa confiance en elle-même. D’abord immobilisée par la
crainte de lui donner raison et aussi par le risque d’insécurité finan
cière, elle réfléchit et décida de quitter l’entreprise dans laquelle elle
oeuvrait depuis 18 ans plutôt que de prendre un congé de maladie.
Cette décision, geste d’autonomie par excellence, s’avéra pour elle
libératrice et constructive. Elle se rendit compte que la vie profes
sionnelle était possible en dehors de son ancien milieu de travail;
elle apprit en outre qu’une étude de climat organisationnel y avait
été faite et décrivait une situation peu encourageante. C., unejeune
femme de maintenant 40 ans (elle m’avait consultée il y a plus de 15
ans alors qu’elle fréquentait l’université) revient en thérapie à la sug
gestion de son médecin, qui veut de plus lui prescrire des anti
dépresseurs, ce qu’elle n’est pas disposée à faire pour le moment.
Elle-même s’aperçoit qu’elle ressent une fatigue persistante, éprouve
parfois des problèmes de sommeil et a des accès de larmes à certains
moments. En ce qui la concerne, le trop-plein n’est pas d’ordre pro
fessionnel mais d’un cumul d’éléments stresseurs dans sa vie per
sonnelle, dont le soin de deux jeunes enfants et la maladie de sa
mère atteinte de cancer. C. se sentait à la croisée de la dépression et
de l’épuisement au moment oùje l’ai revue; elle avait grandement
besoin de reprendre contact avec ses besoins et exprimer le trop
plein d’émotions qu’elle n’arrivait plus à contenir et qui se transformait
en anxiété.
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À L’ENCONflE DU STRESS, DE LA FATIGUE ET DE L’ÉPUISEMENT...
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CONCLUSION
J’ai survolé dans ces pages un vaste et presque inépuisable sujet,
celui du stress et du surmenage qui peuvent se solder par l’épuise
ment professionnel, une forme de peste contemporaine qui fait des
ravages importants dans nombre de milieux de travail et entraîne
des coûts personnels, émotifs et Sociaux qui ne font qu’augmenter.
De plus en plus de professionnels et de chercheurs tentent d’explorer
des pistes de compréhension et de solution aux difficultés de concilier
performance et santé au travail, de conjuguer vie de famille et activité
professionnelle.
Face à ces enjeux complexes, je prends le parti de prôner une
approche de santé globale qui tient compte des capacités de prise en
charge des individus quant à leur qualité de vie tout en reconnais
sant l’importance des améliorations organisationelles et sociales. Je
crois que la Gestalt, sa vision de l’ensemble corps-esprit et ses façons
d’intervenir auprès des personnes et leurs processus en devenir peut
apporter beaucoup à la restauration et au maintien de leur santé et
de leur créativité.
Bien que votre formation d’intervenants vous aie donné l’occa
sion de développer vos capacités d’écoute de ce qui se manifeste ou
s’immobilise en vous, il peut arriver qu’une surcharge vous fasse
dériver votre boussole interne. Il est bien difficile, me semble-t-il, de
s’occuper d’un autre ou de l’accompagner si on est soi-même en
déficit d’énergie et de ressort, Je souhaite que mon intérêt et mon
plaisir de ramener mes clients vers leur propre qualité de vie tout en
prenant soin de la mienne soit communicatif!
59
Revue Québécoise de Gestalt, volu,,w 6
Abstract
Bibliographie
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61
La fatigue de compassion
chez les intervenants qui
transigent avec la violence
familiale et conjugale’
Janine CORBEIL
RÉSUMÉ
La fatigue de compassion, ou, état de stress post-traumatique (STSD) est reconnue
depuis peu (DSM-lg 1995) comme pouvant affecter non seulement les victimes directes
d’actes c,iminels, mimais aussi ceux qui les soutiennent, dont les intervenants. Après
avoir defini quelques termes comme l’emnpathie~ le contre-transfert et l’épuisement pro
fessionnel, l’an teure rend compte du phénomène de la fatigue de compassion (STSD)
chez les intervenants qui travaillent en violence conjugale et familiale. L’explom-ation
a étéJhite au moyen d’un questioni aire et d’entrevues de groupe enregistrées auprès
d ~ntervenants qui avaient été enformnation/superuision avec l’auteure.
L’article pitsente également une liste des symptômes physiques, professionnels et
psychiques qui, d’api-ès les mecherches, caractérisent lafatigue de compassion, de même
que les divers moyens (le la prévenir:
Mots clés
Contre-transfert, empathie, épuisement professionnel, état secondaire
de stress post-traumatique (STSD), fatigue de compassion, Gestalt,
violence familiale et conjugale.
INTRODUCTION
Publié dans Intervenir auprès des ctnjnints unlents sous la direction de facques Broué e
de Clément Patenaude. Editions Saint-Martin (1999).
63
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
APERÇU HISTORIQUE
C’est en 1980 que l’American Psychiatric Association (APA), dans le
138M-III, classifia le PTSD, Pas! Traumatic Stress Disorder, ou état de
stress post-traumatique, comme un trouble spécifique en soi. La carac
téristique essentielle de ce trouble est «le développement de symp
tômes typiques faisant suite à un événement psychologiquement
traumatique, généralement hors du commun».
En 1995, le DSM-IV fournit une définition plus étendue de ce qui
constitue une expérience traumatique. Cette nouvelle définition
englobe désormais les personnes qui sont reliées â une victime d’expé
rience traumatique. Ainsi, apprendre qu’une expérience trauma
tique, comme la nouvelle d’une mort violente, des menaces de mort,
un suicide ou tout autre événement traumatisant, soit arrivée à des
proches ou à des personnes auxquelles on est relié constitue en soi
une expérience traumatique.
Par ailleurs, une expertise sur la psycho-traumatologie durant la
dernière décennie s’est développée. Quelques auteurs se sont penchés
sur les conséquences immédiates et â long terme des événements
traumatiques. Ces études ont permis dejeter une lumière non seule
ment sur les séquelles et les symptômes dont les victimes de violence
et leurs proches sont affligés mais aussi de découvrir l’impact sur les
intervenants de travailler avec des problématiques de violence. Pour
ces auteurs, ce qu’ils nomment la fatigue de compassion est équiva
lent au STSD, Secondary Traumatic Stress Disorde~ Etat secondaire de
64
LA FATIGUE DE COMPASSION CHEZ LES INTERVENANTS...
QUELQUES DÉFINITIONS
Contre-transfert et empathie
Il y a parfois confusion entre ces termes et les définitions multiples
de chacun. Pour la compréhension immédiate de ce qui suit, quelques
définitions sommaires s’imposent.
On rencontre plusieurs définitions du contre-transfert. Tradi
tionnellement, on le conçoit comme une distorsion de la part du
thérapeute de l’expérience du client, cette distorsion étant due aux
expériences passées inconscientes du thérapeute.Johansen, cité par
Figley (1995), apporte une définition plus large et voit que ce
phénomène englobe toutes les réactions émotives du thérapeute
vis-à-vis son client, peu importe leurs sources. Elles incluent les expé
riences traumatiques vécues par le client et absorbées par le thérapeute.
Dans cette perspective, les réactions du thérapeute aux expé
riences traumatiques du client sont une conséquence naturelle du
traumatisme primaire; elles sont dues à la capacité de soigner (caring),
d’empathiser et sont une condition essentielle à la guérison de la
victime (F’igle» 1995).
Le terme ernpathie d’origine grecque, sentir avec, signifie la capacité
de ressentir ce que l’autre ressent (Le Petit Robert). Ce terme a été
étudié depuis le début du siècle et fut objet de recherche dans le
courant de la psychologie humaniste surtout. La littérature con
temporaine comporte sans doute une bonne douzaine de définitions
de ce terme. Rogers (1967) peut être considéré comme le principal
porte-parole de cette notion; il a mis en évidence l’importance de
l’empathie dans la relation thérapeutique. Il la considère comme
une condition essentielle à la relation et à la guérison thérapeutique
(1985, p. 181) et la définit comme la «capacité de sentir le monde
intérieur du client» (1967, p. 93). Hycner en parle comme du « entre
deux», le « between» de Buber: un mouvement aller et retour
«...
65
Revue Québécoise de Gestalt, volunie 6
66
LA FATIGUE DE COMPASSION CHEZ LES INTERVENANTS...
67
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
(et plus récemment pour deux d’entre eux, avec un groupe de femmes
violentes) de façon à évaluer avec eux le degré de fatigue de compas
sion auquel elles, ils étaient rendus.
Nous avons commencé par nous enquérir de leurs premières
impressions lorsqu’ils furent confrontés à la violence de ces hommes.
Les premières impressions sont souvent les plus claires. Par la
suite, un mécanisme de désensibilisation, d’ajustement de l’organisme
à son environnement, fait que la conscience de celles-ci s’estompe,
ce qui, par ailleurs, fait partie des dangers auxquels les soignants
seront exposés.
Quelles sont les premières impressions de ces intervenants
lorsqu’ils, elles, ont commencé à travailler avec des hommes violents?
La première impression en est une de peun Peur de la violence
masculine sous toutes ses formes. Lorsqu’un intervenant fait face
pour la première fois à un groupe d’hommes violents, c’est avec ses
préjugés sur les hommes en général et sur les hommes violents en
particulier qu’il ou elle entre dans le groupe. «J’étais terrifié, dit l’un
d’entre eux. Mon conditionnement de gars m’avait appris que des
gars, c’est violent’>. Avec le recul, après dix à quinze années de pra
tique, ces personnes sont en mesure de se rendre compte que leurs
peurs étaient reliées aux expériences antérieures de leur enfance et
de leurjeunesse. Les hommes, qui ont tous plus ou moins été agressés
par une gang un jour ou l’autre quand ils étaient enfants, avaient
peur d’être victimes d’agression de la part du groupe d’hommes
qu’ils avaient à rencontrer pour la première fois. Les femmes avaient
surtout peur de la violence verbale: être méprisées, traitées d~ tous
les noms, etc... Elles voient maintenant que cette peur était reliée à
leurs expériences antérieures avec les formes de violence familières
aux filles, ainsi qu’avec leur père. Certains ne se souviennent même
pas de leurs premières impressions! Ils ont beau chercher; ces pre
mières impressions semblent avoir été scotomisées! Certains savent
maintenant qu’ils, elles pouvaient à peine porter attention au con
tenu de la session tellement leur énergie était centrée sur leur nervosité
et leur peur. Certains appréhendaient leurs propres réactions une fois
au milieu du groupe. «Vais-je être capable de rester? Est-ce que
devant le récit de situations violentes,je ne vais pas déguerpir’>? A
noter que la peur est honteuse surtout pour les hommes. Un vrai
homme ne doitjamais avoir peut Souvent, de plus, dans les situations
corsées, par exemple lorsqu’un client fébrile en manque de Métadone
est très agité et agressif, c’est un intervenant masculin que l’on ira
chercher pour faire face à la situation. Nous verrons plus loin que le
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LÀ FATIGUE DE COMPASSION CHEZ LES INTERVENAnTS...
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
Les victimes d ‘actes criminels tout autant que ceux qui les supportent
souffrent des mêmes symptômes; de plus, ces dernies perdurent bien au-delà
de la crise initiale. Ce sont: la dépression, l’isolement social, le bris de la
routine quotidienne, la mefiance et les sentiments de persécution (p. 65).
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LA FAflGUE DE COMPASSION CHEZ LES INTERVENANTS...
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lA FA~GUE DE COMPASSION CHEZ LES INTERVENANTS...
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
I. The tinderiving basis for must non~rganic psycl~opathnio~’ is the kick ofconfinnadon diat ail
ofus suflèr in this endem,r called beconiing n human heing. Unhike animaIs, wlso are what tliey
are unquesdonabl» die human being needs tu ht cunfinned (The Gestaltjournai, Spnng 1985).
76
LA FATIGUE DE COMPASSION CHEZ LES INTERVENANTS...
CONCLUSION
Le problème de la violence familiale n’est reconnu que depuis vingt
ans. Dutton (1995), spécialiste de la psychologie de l’homme batteur,
écrit qu’à l’époque où il étaitjeune professeur de psychologie sociale
à l’université, il donnait des cours sur la violence sociale sans qu’il
ne soit jamais question, ni dans les textes ni même dans son esprit,
de la violence entre intimes. Le mouvement féministe ftit le premier
à porter ce problème social à l’avant-scène. 7iie Batiered Wornan fut
publié par Lenore Walker en 1979, et Strauss, Celles & Steinmetz
(1980) commencèrent également à lever le voile sur ce problème
psycho-social tout aussi répandu qu’ignoréjusque là. Ce n’est que vers
la fin des années 1970 que les cliniciens et les chercheurs com
mencèrent à étudier le problème de l’homme batteur lui-même et
à vouloir le traiter. C’est donc dire que ceux qui y travaillent font
oeuvre de pionniers comme font oeuvre de pionnières les sociétés
qui s’en préoccupent. En 1994, le gouvernement canadien publiait
une enquête sur la violence envers les femmes. Maintenant que la con
science sociale est éveillée à ce problème, c’est quotidiennement que
nous sommes interpellés, via les médias, par les tragédies dont les
familles, les femmes, les enfants, sont victimes.
C’est donc sur un volcan que les intervenants en violence familiale
et conjugale se trouvent. Ils sont investis d’une responsabilité sociale
et professionnelle grandissante dans un champ de pratique encore
77
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
78
Tableau 12 IMPACT DU TRAUMATISME SECONDAIRE AU PLAN PERSONNEL
‘t’
Tableau 2~ IMPACT DU TRAUMATISME SECONDAIRE SUR LE PLAN PROFESSIONNEL 8
w
Accomplissement de la tâche Moral Interpersonnel Comportement o
Abstract
Research bas vcenilyfound oui litai not only dueci viciims ofiraurnalic
expeziences but ihose aivund (hem who support liiem (lherapists included)
have been tecongnized as being equally susceptible to compassion fatigue
or PTSD (Post-7)nurnalic Si,ess Disorder,) (DSM-lg 1995).
81
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
Key Words
Burnt out, compassion fatigue, counter-transference, empathy, family
and marital violence, Gestalt, Post-Traumatic Stress Disorder (PTSD).
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82 -
LA FATIGUE DE COMPASSION CHEZ LES INTERVENANTS...
83
L’empathie en
Gestalt tht5rapie:
quelques consiclw3rations
cliniques et t5thiques
Marc-Sirnon DROUIN
RÉSUMÉ
Bien que l’empathie soit au cœurdespz~occupation des théz-apeutes d’orientation exis
(entiche-humaniste, nazis nazis devons de constater que ce concept est assez peu présent
dans les écrits en Gestalt thérapie. Le présent article se veut un effort pour zedonner
ce concept la place qui lui revient à l’intérieur de notz~ modèle. Aprés un survol de
l~volution du. concept selon diverses traditions en psychothéz-apie, nazis proposons
une conception de l’empathie qui semble compatible avec nos préoccupations de
thérapeutes gestaltistes.
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Revue Québécoise de Gestalt, volurne 6
86
L’EMPATHiE EN GE5TaT THÉRAPIE...
importants ont été faits afin de tenir compte de l’ensemble des diffé
rentes composantes de l’empathie.
Toutes les approches thérapeutiques reconnaissent l’importance
de l’empathie. Toutefois, nous nous retrouvons devant un phénomène
un peu semblable à celui observé en science naturelle, c’est-à-dire celui
de l’évolution parallèle. Deux courants de pensée ont développé leur
conception de l’empathie de façon quasi indépendante, soit le courant
analytique et le courant humaniste.
Ce n’est que tout récemment qu’une tentative de rapprochement
a été tentée entre ces deux écoles. Leur conception respective de
l’empathie frit le point d’ancrage de ce rapprochement en raison de
leur similitude et de leur complémentarité (I<ahn, 1985, 1989; Tobin,
1990). Cette tentative de rapprochement n’est d’ailleurs pas étrangère
au mouvement de rapprochement entre les diverses formes de psy
chothérapies, à l’identification de facteurs communs à l’ensemble
de ces approches, ainsi qu’à l’émergence de l’éclectisme en psycho
thérapie (Beutier, 1988,1994; Garfleld, 1992; Lecomte et Castonguay,
1987; Norcross et Goldfried, 1992). Abend (1989) remarque toute
fois que la notion ((d’écoute empathique» a débouché, plus souvent
qu’autrement, sur une guerre de clochers entre les tenants des diverses
approches.
Malgré ces efforts louables, la recherche sur l’empathie en lien
avec le processus thérapeutique fut assez sporadique au cours des
dernières années (Greenberg, Elliot & Lietaer, 1994; Orlinsky & al.,
1994). Duan et Hill (1996) notent que très peu de recherches vont
au-delà de la question très générale du lien entre l’empathie et l’effi
cacité thérapeutique. Ils mentionnent également que la recherche
dans ce domaine est caractérisée par une confusion issue du manque
de définition opérationnelle et de mesures adéquates.
Dans la section qui suit, nous allons d’abord nous attarder à
l’évolution du concept d’empathie dans les traditions humaniste et
analytique. Par la suite, nous nous pencherons sur le rôle de l’empathie
dans l’efficacité de la psychothérapie.
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L’EMPATHIE EN GEsTALT THÉRAPIE...
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L’E!SPATmE EN GESTALT THÉRAPIE...
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L’EMPATHIE EN GESTALT THÉRAPIE...
93
Revue Québécoise de Gestalt; volume 6
client plutôt qu’à partir des inférences qu’il se fait sur ce que le client
refuse de voir ou de montrer.
Wolf (1988), qui fut un proche collaborateur de Kohut, reconnaît
que l’empathie peut également avoir une fonction secondaire qui
est de créer un lien émotif significatif entre le thérapeute et le client.
Il met toutefois en garde contre le danger de confondre empathie
et le fait d’»être gentil». Il mentionne clairement que la fonction
première de l’empathie est de rendre possible le déploiement de
l’expérience interne du client et ainsi permettre l’émergence de
besoins développementaux spécifiques (transfert de soi-objet). Pour
Wolf, l’empathie est avant tout un outil (de cueillette de données)
permettant au thérapeute une plus grande capacité d’interprétation.
Kohut est certainement un des auteurs ayant le plus développé
la notion d’empathie à l’intérieur de l’approche analytique. Plusieurs
auteurs tel que Winnicott (1989), Mahler (1975), Lichtenberg (1981,
1983) partagent essentiellement le point de vue de Kohut quant à l’im
portance de l’empathie dans la méthode analytique. Quelques diver
gences peuvent exister sur les limites exactes de l’empathie, mais
leurs conceptions demeurent conciliables.
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L’EMPATHIE EN GESTALT THÉRAPIE...
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L’EMPATHIE EN GESTALT THÉRAPIE...
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Revue Québécoise de Gestalt~ volume 6
Abstract
Even though ernpathy is a central issu in humanistic psycho1og~ the
concept ofetnpaly is rnoslly absent of the literature in Gestalt Therapy.
The aim of lite present article is b focu.s on lite place empathy should
have in our modeL Afler an overview of lite evolution of Ihe concept of
ernpal4y in several Iheories ofpsychoiiterapy, ive suggest n definition of
etnpathy tuaI will enable vs b integrate titis concept in a ivay litaI is con
gruent with our view ofpsychobherapy.
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Revue Québécoise de Gestalt; volume 6
104
L’EMPATHIE EN GESTALT THÉRAPIE...
105
Dépression, régression
et proposition d’ouverture
multimodale de
l’expérience dépressive’
Pierre Van flAMME et Marc-Simon DROUIN
RÉSUMÉ
Cet article ~net en Inmièze plusieurs facettes (le Vexpérience dépressive. Il met en relit-
tian les notions de dépression et régression tout en présentant un survol des cont,i
butions deptusieurs auteios dans la compréhension de i’acpézience dépressive. L’apport
partienlierde la Gestalt-thérapie est également présenté. Nous développons parla suite
une pzvposition d’ouverture inultunodale de l’expérience dépressive compatible avec
les principes de la psychothérapie du lien OEGRQI deDelisle. La synthèse de ces infor
mations s ‘articule autour (t ‘zinc vignette clinique d ‘une cliente soufflant de dépres
sion.
I. Des extraits tic cet article [tirent publiés dans le numéro 23 tIc la revue Gestalt, décembre 2002
sous le titre «Dépression et régression de Pierre ½tn flamme, Ils sont reproduit clans le
présent article avec la permission tic la revue Gestalt.
107
Revue Québécoise de Gestalt, votume 6
A. DE LA DEPRESSION
Sur le plan étymologique, depressere en latin signifie rabaisser, tirer
vers le bas. C’est l’expérience de tomber, de chuter; d’être écrasé,
enfoncé, d’être en creux.. .11 y a l’image d’un retour en arrière vers
de l’inorganisé et du néant; d’où l’importance de la mort et des
désirs suicidaires dans la dépression. Il y a un rapprochement pos
sible avec la régression qui, au niveau étymologique, signifie «recul,
diminution, retour à un état antérieur, perte ou atrophie>’...
En psychopathologie, on a longtemps parlé de dépression
nerveuse pour montrer qu’il se passe quelque chose dans la tête qui
ne tourne pas rond et qui arrête tout processus vital: la dépression
est une maladie mais qui n’est pas toujours visible physiquement et
donc pas toujours bien vue, une maladie honteuse voire niée: « Il
n’a qu’à se secouer un peu, ne pas s’écouter’> entend-on souvent;
«c’est un fainéant, il se plaint toujours». Sa caractéristique essen
tielle est que la volonté ne peut rien contre elle. Ce n’est pas une
maladie de la lâcheté: il faut souvent du courage à la personne dépres
sive pour continuer à lutter et rester en vie.
Le terme dépression signifie littéralement «baisse du niveau des
affects». Elle implique des conséquences durables dans trois domaines:
psychique: tristesse, douleur morale, dégoût de la vie, perte
de l’estime de soi, vie mentale ralentie;
108
DÉPRESSIoN, RÉGRESSION ET PROPOSITION D’OUVERTURE...
B. DE LA RÉGRESSION
Ionescu donne cette définition de la régression: « La régression cons
titue un retour plus ou moins organisé et transitoire à des modes
d’expression antérieurs de la pensée, des conduites ou des relations
objectales, face à un danger interne ou externe, susceptible de provo
quer un excès d’angoisse ou de frustration» (1997, 256). Ne peut-
on pas appliquer cette définition à la dépression?
Dans la dépression, il y a un retour à un mode de pensée ralenti,
une difficulté à se souvenir, à rêver et à créer, une parole difficile, la
confrontation au vide, l’envahissement ou la coupure des affects, des
somatisations importantes souvent douloureuses ou l’anesthésie des
sensations physiques... le dépressif se plaint souvent d’être fatigué
et se replie souvent dans son lit, en position allongée, voire en posi
tion foetale. C’est l’image même de la régression, la fuite de la réalité
et l’abandon à des rêveries hallucinatoires, liées à la reviviscence de
personnes ou situations perdues. Le corps parle quand la pensée ne
peut plus s’exprimer. Tout semble s’arrêter; c’est la perte de l’élan
vital.
La relation est préobjectale: le dépressif est en quête d’un objet
perdu et aimé; soit l’autre est incorporé et idéalisé pour combler le
vide dans la mélancolie; soit la relation est de type anaclitique, l’autre
n’étant là que pour s’appuyer dessus pour tenter de remonter à la
surface, dans la dépression limite (Bergeret, 1972)
109
Revue Québécoise de Gestalt; volume 6
110
DÉPREssIoN, RÉGRESSION ET PROPOSITION D’OUVERTURE...
111
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
112
DÉPRFSSION, RÉGRESSION ET PROPOSITION D’OUVERTURE...
C. ET EN GESTALT THERAPIE?
Comment saisir l’expérience dépressive dans sa dimension régres
sive? C’est sans doute l’aspect formel que nous privilégions en Gestalt-
thérapie, compte tenu de l’attention privilégiée au processus de cons
truction-destruction des Gestalts et également de l’absence de théorie
du développement et de théorie topique d’un système intra psychique.
2. L’abord phénoménologique
Décrire du plus près possible le vécu du dépressif nous apprend par
fois davantage que toutes les théories. Il s’agit de suspendre son savoir
pour se mettre à l’écoute de la souffrance. A un niveau phénomé
nologique, la dépression est un affect modifié, «un état d’affect
archaïque dans lequel le corps joue un rôle déterminant pour le
vécu’> (Fédida, 2001, p. 10)
Kuhn (cité par Fédida, 2001), évoque la dépression vitale comme
unité phénoménale de l’humain et comme affect gelant la vie dans
113
Revue Queliécoise de Gestalt, volume 6
114
DÉPRESSION, RÉGRESSION ET PROPOSITION D’OUVERTURE...
115
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
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DÉPRESSION, RÉGRESSION ET PROPOSITION D’OUVERTURE...
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
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DÉPRESSION, RÉGRESSION ET PROPOSITION D’OUVERTURE...
119
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
F. VIGNETTE CHNIQUE:
ANNIE OU LE FOND DU TUNNEL
Annie est une jeune femme de 35 ans; elle vit avec un compagnon
et vient consulter en pleine crise dépressive, après le départ de deux
collègues de son travail. La banalité de l’événement tranche avec la
sévérité des symptômes qui nécessitent un arrêt de travail de trois
mois et la prise d’antidépresseurs. «La dépression, c’est l’horreui; ...c’est
le fond du tunnel Tel est le début de ce touchant témoignage,
traduisant le tragique d’une telle situation de désespoir: «Je me disais,
je ne m’en sortiraisjamais. On me renvoyait queje ne savais plus parle que
je ne trouvais pas mes mots; je ne souriais pas; je me revois dans certaines
situations; par exemple le téléphone sonne; sur le coup, je suis contente et
tout de suite afrrês c’est la panique, le sentiment d ‘être dérangée; je crois que
je n ‘avais pas envie de me montrer comme çà... Un joui; j ‘ai pris tous les
médicaments quej ‘avais accumulés... Quelle harwur Ije ne voyais pas d ‘autre
issue... Je me suis retivuvée à l’hôpital avec un lavage d’estomac... C’est la
dépression qui me faisait peur et le fait qu’il n 3, ait pas d’issue... Sinon, ta
vie, j’aime ça...
L’observation clinique du parcours thérapeutique de deux étapes
de deux ans et demi veut rendre compte de la compréhension et de
l’accompagnement au long cours d’une personne dépressive, avec
toutes les questions et les doutes du thérapeute, menacé parfois de
découragement et engagé pourtant dans la durée à porter la souf
france extrême, traversé de sensations et sentiments divers: com
passion, agacement, sentiment de ne pas exister, anesthésie avec
120
DÉPRESSION, RÉGRESSION ET PROPOSrFION D’OUVERTURE...
1. Respecter le silence
Annie: «Les premiers moments, je ne disais rien... Très vite, je me suis
allongée et tu m ‘afait écouter de la musique... J’ai recontacté un court moment
de répit et de bien être... c’est après la séance de musique que j’ai commencé à
pleurer.. Je n ‘ai pas arrêté de pleurer pendant plusieurs séances...))
.
121
Revue Québéœise de Gestalt; volume 6
comme j’etazs...
Sur le plan transférentiel, le thérapeute n’existe pas vraiment en
tant que personne à part entière, encore moins en tant qu’être sexué.
On se situe ici dans un espace préobjectal, en deçà d’une relation
Le thérapeute est avant tout une ambiance, un accueil, un lieu
sécurisant, un repère, un contenant où le patient peut déverser toute
sa détresse, son angoisse et peu à peu, prendre forme comme être
existant et désirant.
122
DÉPRFS5I0N, RÉGRESSION ET PROPOSITION D’OUVERTURE...
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Revue Québécoise de Gestalt, vola,,w 6
124
DÉPRESSION, RÉGRESSION ET PROPOSITION D’OUVERTURE...
Lion d’un bébé, je suis convaincue que ça existe... Moi-même, je dis aujour
d ‘hui queje l’ai vécu... iVies dépressions d ‘adulte, j ‘aipu les décoder: Ce sont
des situations similaii~s mais que je n ‘avais pas comprises; I Ïnvestisse,nent
affrct~quej’aipu faire, les séparations subies dans la mesun oùje ne les ai
pas choisi Un sentiment de depossession et de perte de sécurité, de confiance»
«Ce n ‘est plus du vide, dit Annie, ce ne sont plus des marécages, c’est
identifié et exprimé... »
La dépression est avant tout une crise du sens de la vie et ce tra
vail dialogal pour sortir de l’incompréhension et de l’absurdité de
ces accidents chaotiques et destructeurs favorise une cohérence
interne.
6. Ouverture multimodale
Si nous tentons d’éclairer les passages qui précèdent à la lumière
d’une ouverture multimodale et d’un déploiement du processus
thérapeutique en trois temps (reproduction-reconnaissance-répara
tion), nous pouvons dégager les grandes lignes qui suivent.
125
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
126
DÉpRFSSI0N, RÉGRESSION ET PROPOSITION D’OUVERTURE...
127
Revue Quelécoise de Gestalt, volume 6
128
DÉPRESSION, RÉGRESSION ET PROPOSITION D’OUVERTURE...
C’est Anna Freud (In Ionescu, 1997, p. 262) qui affirme <‘combien
les enfants font deux pas en avant et un pas en arrière», soulignant
le rôle salutaire des régressions réversibles et donc bénignes. Pour
traiter la dépression, il est nécessaire souvent de revenir en arrière
et de passer par des étapes régressives comme levier thérapeutique,
compte tenu du type de relation d’objet ftisionnelle ou anaclitique
et des difficultés à verbaliser du dépressif: passer de l’inhibition à
l’expression, de la régression à la progression en passant par la néces
saire agression, c’est à dire le retournement et l’utilisation créatrice
de l’agressivité au service de la croissance, sortir de la passivité dépres
sive pour explorer la polarité de l’action mobilisatrice; ceci permet
une mise en lien, un travail de reliaison d’éléments épars et enfouis
dans l’individu.
C’est Staemmler (1999) qui voit le processus régressif comme
un manque d’auto-soutien. Dans la dépression de type anaclitique,
il a manqué, à un stade précoce du développement, un soutien et une
saine dépendance. C’est ce que va permettre de vivre l’espace thé
rapeutique, tel un sas ou une écluse, où s’apprivoise une relation de
dépendance, amortir la chute dépressive et trouver une base sécuri
taire, un filet de sécurité pour oser se risquer à l’aventure de la vie et
129
Revue Québécoise de Gestalt, vo1unu~ 6
Abstract
Titis article enlights some aspects of the depressive experience. WhiI.e
developping the notions of depression and regression it presents an
overuiew ofthe contribution ofseveral authors to the understanding of
depression. Thé specUic contribution of Gestalt Tizerapy is also presented.
We suggest a new understanding of the depressive expcrien ce compatible
ruith the model developped by Delisle. The .synthesis ofthese informations
are integrated in a clinical vignette presenting a client sufferingfronz
depression.
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131
L’ethnoculture 1,
de l’exp€~rience
à l’intervention
JORGE VASCO
1~Ésul’sÉ
L’intervention inte,nulturelle requiert une attention paniculière au jeu des origines
et (les identités entre celui qui consulte et ce celui qui aide. Les différen ces ethniques,
culturelles, sociales des interlocuteurs posent des defis que conJ3vntent les approches
thérapeutiques occidentales. L~zuteur se refére entre aut;as aux travaux de Cohen
Emerique et de Green pour mettre en lumière desfacettes, des expériences, des personnes
issues de nunorités ethn o-socio-culturelles et des pistes d ‘intervention possibles.
Dans le présent texte, .< intercttl turel (le) s—, — ethnoculturel (le) s», ‘ n ulticuittirel (le) s», plttd—
culturel (le)s’ st,nt des termes qui seront utilisés de bçon inLercliangeable. Les termes et
concepts utilisés dans le présent champ d’études font l’objet de débats interdisciplinaires
qtie notts ne pouvons mal betireusemen t discuLer ici,
2. Le version finale du présent article, celle qtti est ici ptibliée p~ forme, à partir de detix
tcxtes préliminaires, grâce â la collaburation dts comité de rédaction et totit particuliérement
grâce-à un travail de réorganisation des idées que Madame Marie-Qaude Denis ‘n’a proposé.
Je tiens à remercier cellec-ci pour un aide précietix et stimttlant.
133
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
134
L’ErHNOcuLTURE, DE L’EXPÉRIENCE À L’INTERVENTION
135
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
L’EXPÉRIENCE D’IMMIGRER
De nomades à migrants, les humains se déplacent depuis toujours
sur les continents terrestres et affectifs. Histoires de départs, de
voyages et d’arrivées où se mêlent contrées hostiles et terres promises,
écueils et accueils, espoirs et désilltisions, replis et dépassements
de soi, conjugaison du familier et de l’inconnu.
Les données socio-démographiques et la littérature semblent
confirmer le fait que les familles et les individus migrent pour
s’éloigner des situations de vie difficiles, que ce soit sur les plans
socio-économique ou des tensions reliées à la violence organisée ou
la guerre. Nonobstant ces facteurs communs, il reste que l’on immigre
dans des conditions très variables et avec bien d’autres motivations,
tissées à même des histoires familiales et personnelles bien distinctes.
En immigrant, on laisse derrière soi parents et amis, soient-ils
vivants, jeunes et en santé, ou bien vieux, malades ou enterrés. On
laisse des biens, des métiers, des espaces de vie habituels. Puis l’on
s’installe ailleurs avec ses peines, ses rêves, ses espoirs; bientôt aussi
avec ses désillusions, sa désorientation; avec de nouveaux projets et
de vieux souvenirs.
On vit l’isolement et la distance: les êtres chers sont loin. Pour
certains, perdure la honte des échecs, de la pauvreté et de la discri
mination qui prend du temps à quitter leur coeur et leurs entrailles.
La peur en tiraille plusieurs, alors que d’autres ressentebt un profond
et étrange soulagement. La culpabilité des liens brisés par le départ
tenaille certains.
Quelques-uns, trop jeunes, arrivés dans les bras de leur parenté,
ou de parents qui les ont adoptés, ne gardent pratiquement aucun
souvenir ou trace de leur vie ailleurs. Nombreux sont ceux et celles
qui ne sont pas à leur première terre d’accueil; et plusieurs pour
suivront leurs migrations vers d’autres lieux. Il y a ceux qui n’aban
donnentjamais le rêve de rentrer au pays pour «reprendre» ou finir
leur vie, et il y a ceux qui ont trouvé et construit enfin leur maison.
L’immigration se vit différemment à l’intérieur même des familles.
Il se peut aussi qu’à différentes étapes de la vie, les besoins et aspi
rations changent, au gré du cheminement de chacun comme des
pressions infligées par l’environnement.
Immigrer commence bien avant l’arrivée sur une terre nouvelle.
Il y a d’abord une histoire de vie qui prend forme au fil des jours,
jusqu’à ce que les circonstances externes et les besoins familiaux ou
personnels se conjuguent autour de la décision d’émigrer, de partir
136
L’ETHNoCULTURE, DE L’EXPÉRIENCE À L’INTERVENTION
3. II s’agit d’un processus que Gagnon (1999) décrit dans son modèle sur la prise de ftsniie en
relation, une perspective qui influence grandement les idées ici exposées.
137
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
La notion de contact
Quand une personne en rencontre une autre, un processus com
plexe se déploie avec une rapidité fascinante, et cela, pratiquement
à l’insu de la conscience des deux interlocuteurs. Ce contact peut
être ponctuel, éphémère ou de plus longue durée; il petit s’agir d’un
contact renouvelé ou prometteur de liens dont la nature reste à cons
truire, Subitement et subtilement, mais de façon plus ou moins
consciente, une série d’opérations et d’échanges se déploie pour
tous les interlocuteurs, dans un va-et—vient entre «l’ici et maintenant »
et «l’ailleurs, un autre temps». Le processus fait appel aux représen
tations de soi et de l’autre, des autres, du «je», du « nous», du «vous».
Jl y est question de distance et de proximité, de valeurs et de mémoire.
Aussi simple ou minime soit-il, ce contact se fera à partir des ((formes»
respectives de chaque interlocuteur (Gagnon, 1999), et sera affecté
par ce qui est en figure pour chacun et dans le champ commun
(Perls, Hefferline et Goodman, 1951). Il activera les mécanismes de
régulation du contact que chacun utilise habituellement avec plus ou
moins de souplesse et de créativité dans la gestion des évocations
expérientielles des contacts antérieurs réussis ou introjectés comme
impasses à résoudre (Delisle, 2001).
Chaque contact sera traité, «automatiquement » pourrait-on dire,
pour sa valeur dans le champ de la satisfaction ou de la frustration
de besoins fondamentaux divers.
Le contact sera aussi encadré par les mécanismes et les codes de
régulation sociale prescrits et jugés nécessaires par la culture et par
la famille au sein desquelles la personne est née et a grandi, des
processus et repères socio-culturels intégrés ou introjectés. Certains
mécanismes et codes semblent communs à la majorité sinon la totalité
des groupes d’humains, alors que d’autres sont spécifiques à quelques
sociétés ou à certaines époques. Leur pertinence fondamentale repose
sur la notion de ce qui est souhaitable pour qu’un groupe et chacun
de ses membres puissent vivre des rapports harmonieux. Un équilibre
collectif et individuel acceptable est recherché pour ce moment de
138
L’ETHNoCuLTUIW, DE L’EXPÉRIENCE À L’INTERVEN’flON
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Revue Québécoise de Cestalç volume 6
140
L’ETHNocULTURE, DE L’EXPÉRIENCE À L’INflRVENflON
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Revue Québécoise de Gestalt, vola-me 6
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L’ETHNocULTUIu, DE L’EXPÉRIENCE À L’INTERVENTION
Sloan fait appel à une révision des approches occidentales afin que
celles-ci puissent favoriser une nouvelle et meilleure compréhension
de l’étiologie et de l’expression de la psychopathologie.
L’approche de Cohen-Emerique
Cohen-Emerique (1993), psychologue française et formatrice en rela
tions interculturelles, propose un modèle qui s’appuie sur le respect
de la personne, de sa vision du monde, de son système de valeurs.
Roy (2000) souligne l’insistance de cette auteure sur l’importance à
accorder, dans le cadre de toute relation d’aide interculturelle, à
l’exploration de « l’identité culturelle perçue dans ses multiples
facettes: ethnique, nationale, religieuse, de la classe sociale». Se rap
prochant, de toute évidence, de la vision gestaltiste proposée par
Gagnon (1999) d’une «forme» singulière et en constante évolution,
Cohen-Emerique conçoit que l’identité culturelle, voire l’identité en
général, est «en évolution continuelle et est unique, c’est à dire inté
riorisée différemment d’une personne à l’autre» (Roy, 2000). Ce qui
lui fait dire que l’on «ne rencontre pas une culture mais des individus, des
groupes qui mettent en scène une culture...» Cohen-Emerique (1993).
Au-delà de l’attention à accorder à l’autre, au client « d’une autre
origine», cette auteure nous incite à considérer l’interaction mème
entre les « deux porteurs d’identité» que sont le client et le thérapeute.
Cette auteure semble privilégier, comme le fait la Gestalt thérapie,
une attitude particulièrement attentive de la part du thérapeute à
ce qui se produit à la fl-ontière/contact entre le client et le thérapeute,
impliquant qu’il est crucial, selon elle, de s’intéresser à la subjectivité
de l’intervenant lui-tnême.
Cette position est proche de celle de Delisle (1999) qui rappelle
l’importance des compétences affectives, interactives et réflexives du
thérapeute dans la construction du lien thérapeutique: l’intervenant
doit savoir se questionner sur son expérience affective, sur ses habilités
relationnelles, sur ses propres référents culturels et sur ses connais
sances, cela en rapport avec cet interlocuteur d’une autre culture
qui vient lui demander de l’aide.
À cela, on pourrait ajouter que l’intervenant n’est pas seulement
porteur d’une identité culturelle propre qu’il importe de reconnaître:
il est aussi celui qui aura à décoder comment son identité agit tantôt
comme filtre, tantôt comme «fonction décodante» de l’expérience de
l’autre en étant comme une caisse de résonance où peuvent
—
143
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
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L’ETIINocuUruRE, DE L’EXPÉRIENCE À L’INTERVEÎ’mON
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L’ETHNocULTURE, DE L’EXPÉRIENCE À L’INTERVENHON
Pour finir...
Le cadre de cet article ne permet pas d’élaborer plus avant sur les
points de rencontre entre certaines approches interculturelles et la
Gestalt-thérapie. Ce champ d’intervention vaste, diversifié et complexe,
rencontre une large part de défis, d’incompréhensions, de dialogues
à établir; il en va ainsi de la diversité, là aussi. Il vaudrait la peine, dans
un article subséquent, de poursuivre la réflexion en situant comment
la théorie et la pratique de la Gestalt-thérapie se saisissent des pro
blèmes liés à l’interculturel pour en signaler les écueils aussi bien
que les richesses. Des études de cas y permettront à la fois d’appro
fondir la connaissance et l’expérience de l’intégration socioculturelle
et d’étudier les applications, les limites et les ajustements futurs de
l’approche à cet égard.
149
Revue Québécoise de Gestalt, volante 6
Abstract
The interplay bel ween client and therapist ‘s origins and identities is al
lite heart of intercullural intervention. Ethniq cultural and social dif
ferences challenge western therapeulic models. Cohen-Emerique and
Green ‘s works serve ha-e as groundwon’c fora discussion ofethno-socio
cullural factors in ninorities’ experiences and for the development of
future Gestalt-lherapy strategies.
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L’ETHNOCULTURE, DE L’EXPÉRIENCE À L’INTERVENTION
151
Daniel Stem: Une tlu5orie
du dw5veloppement
pour la Gestalt Y1
Marion GILIJE
Traduit parjanine CORBEU~
RÉSUMÉ
Jusqu ~2 récemment, l’e,ientation phénoménologique de la thérapie Gestalt afait qu ‘elle
a surtout poilé intérêt à l’expérience immédiate du client. Elle ne s’est pas tellement
préoccupée Laie théorie du developpement psychologique qui lui soit propre et qui serait
compatible avec ses postulats, tout comme la théorie paradoxale du changement l’est
devenue. Wheeler (1998) a élaboré un modèle du développement par l’application de
la théorie du champ â ce domaine. Il a ainsi fait avancer notre compréhension de la
notion du soi et de son développement. Cet article propose un point de vue complé
mentaire. A partir de leurs observations cliniques et en lien avec les théories de l’in
tersubjectivité~ Dan icI Stem et ses collaborateurs, praticiens/analystes, ont diessé un
portrait du monde intersubjectifdu nourrisson. C’est cette théorie que nous nous pro
posons d ‘examine; de voir si elle est compatible avec nos principes gestaltistes de base
et si elle peut enrichir not,r pratique.
Mots clés
INTRODUCTION
fa Gestalt-thérapie est un art dont la base phénoménologique
~ porte sur la conscience du présent (Awareness) et sur la relation
dialogique. Tout autre donnée portant sur des catégories comme
celle qu’offre le diagnostic servent surtout à donner au thérapeute
une perspective qui l’aide à se développer (Yontef, 1993, p.454). Le
travail de Daniel Stem (1985) et de ses collègues peut-il lui aussi
I. Marion Gillie, (1999). Daniel SLern: A Developmenial Timon’ ft,r Gestalt? Bricish Gestalt
Journal, vol. &n’2, 107—l I 7. Tnidtiit avec l’auu)risation (le l’auteure. Malcolin Parlett éditeur.
153
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
Wheeler (1998) appuie cet avancé et va plus loin: e... d’un point de
vue gestaltiste, le développement intersubjectif, loin d’être un stade
ultérieur du développement de l’identité, comme le modèle indi
vidualiste le conçoit, constitue le processus même du développement»
(italiques dans le texte). Stem, un pédo-psychiatre, place au coeur de
ses écrits la notion d’intersubjectivité; en d’autres mots, c’est dans
la relation que le soi se développe et se maintient.
Cet article veut examiner en quoi les travaux de Daniel Stem
peuvent venir combler une lacune de la théorie Gestalt sur le
développement psychique du nourrisson et du petit enfant.J’aborde
en premier lieu la perspective gestaltiste sur les théories du développe
ment.J’offre ensuite un aperçu général sur la théorie de Daniel Stem,
suivi d’un regard sur les liens entre la Gestalt et la théorie de Daniel
Stem. En dernier lieu,j’examine les implications pour la pratique de
la Gestalt-thérapie qui découlent de cette réflexion.
LA PERSPECTIVE DE LA GESTALT
SUR LA THÉORIE DU DÉVELOPPEMENT
Une théorie du développement est essentielle à la compréhension
de comment on vient au monde, de ce que l’on devient ensuite et
de comment on le devient. «C’est à partir d’une théorie du processus
normal de développement que le clinicien peut évaluer un processus
de développement pathologique » (Ralph Klein, 1995, p. 33). Lorsque
l’on pense aux théories du développement de l’enfant comme celle
de Bowlby, Winnicot, lUein, et Mahler, on prend conscience que ces
auteurs ne sont pas gestaltistes. Alors que ces théories proclament
chacune à leur façon la dimension fondamentalement relationnelle
du développement humain, la Gestalt ne s’est pas préoccupée de les
intégrer à sa propre base théorique. Ainsi, la Gestalt n’a pas une
théorie clairement définie du développement psychique qui serait aussi
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DM4IEL STERN: UNE THÉORIE DU DÉVELOPPEMENT POUR LA GFSnLT
155
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
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DANIEL STERN: UNE THÉORIE DU DÉVELOPPEMENT POUR tA GESTALT
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
sont des invariants, i.e., qui ne changent pas quand le reste change.
Il se propose alors de vérifier si le nourrisson possède ces aptitudes;
158
DANIEL STERN: UNE ThÉORIE DU DÉVELOPPEMENT POUR lA GESTALT
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
sont activés par un signe déjà connu (i.e.la vue du biberon qui
provoque une certaine réaction chez le nourrisson).
160
- DANiEL SnRN: UNE THÉORIE DU DÉVELOPPEMENT POUR LÀ GESTALT
Le soi
Stem utilise le terme «sens de soi». Par le mot « sens», il entend
simple (non-réflexif) Awareness... au niveau de l’expérience directe,
et non pas concept, et «de soi», qu’il définit comme un modèle
invariant de conscience qui émerge uniquement à l’occasion de
l’action ou du processus mental du nourrisson. Un modèle invariant
de conscience est une forme d’organisation (p. 7). Plus tard, il définit
« le soi nodulaire» non pas comme un construit cognitif, mais comme
161
Revue Québécoise de Gestalt; volume 6
LA THÉORIE DU CHAMP
On peut voir un autre lien entre la pensée de Stem et la théorie de
la Gestalt dans notre conception du soi dans le champ,e.g., le soi étant
ce qui constelle le champ (Parlett, 1991, p. 75). En effet, le soi est une
fonction du champ, non pas la figure proprement dite, mais le fnvcessus
lui-même de formation de figures. J’organise mon expérience etje
suis organisé par elle, la configuration du champ donnant une signi
fication particulière à ce qui se passe. Il s’agit d’un processus personnel
par lequel certaines parties de mon expérience globale deviennent
figures et certaines autres restent en arrière-plan. Le soi, en somme,
est un processus continu au cours duquel je configure mon champ
expérientiel. Stem maintient que les modèles invariants d’awareness
qui impliquent interaction avec les autres s’organisent en RIG (voir
le glossaire, à la fin) et forment l’unité de base dans la représenta
tion du soi nodulaire. Wheway (1997, p. 22) appelle cela le «devis’>
(blue-print) «Ce devis correspond à la façon typique avec laquelle
162
DANLEL STERN: UNE THÉORIE DU DÉVELOPPEMENT POUR lA GESTALT
Parlett (1991) insiste sur le fait que nous sommes tous membres
de groupes sociaux et voit la théorie du champ comme un véhicule
théorique qui nous permet de nous explorer dans nos relations.
Lorsque deux personnes entrent en interaction, quelque chose naît
qui est la résultante des deux personnes; dans le vocabulaire de
Parlett, une réalité co-crée. Ceci inclut potentiellement tout ce qui
se trouve dans les champs expérientiels de chacun des deux, non pas
une simple addition, mais un champ partagé, unifié dans cet espace
commun aux deux. Wheeler (ibid. p. 120) relie explicitement cette
perspective à la notion de développement. <~Dans notre développe
ment, alors, nous débutons non pas avec un soi séparé ou isolé qui
se libérerait progressivement de la dépendance infantile. Nous débu
tons plutôt avec un champ de relations à partir duquel un sens de
frontières entre moi etvous n’étant pas le même, commence à prendre
une forme dynamique et cohésive». De façon similaire, Stem affirme
que « le nourrisson est profondément imbriqué dans une matrice
sociale au sein de laquelle une grande partie de l’expérience résulte
de l’action des autres... Le nourrisson peut être avec un autre de
sorte que les deux joignent leurs activités et créent ainsi quelque
chose qui ne pourrait avoir lieu sans que chacun des deux y mette
du sien» (p. 101). Trevarthen, qui, comme Stem, observe et étudie
la relation mère/nouveau-né, conclut que, dès les premiers mois
après la naissance, l’activité interpersonnelle du bébé opère une
régulation du champ interpersonnel d’action entre les deux... ceci
impliquant des adaptations psychologiques de la part du bébé et de
lamère (Trevarthen, 1993, p. 323). Etlamêreetl’enfantsonttrans
formés par l’interaction qui, en termes gestaltistes, se nomme la crois
sance, i.e. par le contact à la frontière. Stem et Trevarthen concluent
tous les deux que, dès le début, la réalité et sa signification sont
163
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
co-crées. Yontef, dans ses écrits sur la honte, est tout à fait en accord
avec cela.
Le sens de soi se développe dans le contact entre les membres du système
familial. Les figures émergent et se précisent dans le pré-contact ainsi que
dans les premières expériences de contact chez le bébé et dans la petite enfance;
et ily a constante interaction pré-verbale et verbale entre l’enfant et les autres
membres du systèmefamiliaL Lon~que l’enfant agit, obseroe, ressent, perçoit,
pense et ainsi de suite, les autres en prennent connaissance, et le contact inter
pco-sonne4 conscient ou pas, contribue à façonner le répertoire de réponses de
l’enfant en même temps que son sens de soi (Vontef, 1993, pp. 491492).
Trevarthen observe qu’un des mobiles les plus évidents dès la
naissance est celui de l’intersubjectivité et Stem affirme que ces obser
vations nous amènent à la conclusion que le lien intersubjectif est un
besoin psychologique fondamental, ce qui rapproche la théorie cli
nique des propositions de la psychologie existentielle (ibid. p. 136).
Les recherches des psychologues gestaltistes ont démontré que
l’organisation de notre expérience relève de notre système nerveux,
i.e., qu’elle est innée. La fonction du cerveau est déterminée par tout
l’organisme, les sous-parties étant au service de l’organisme dans son
ensemble. Les fonctions individuelles de l’humain ne peuvent être
séparées (Goldstein, 1943). Latner écrit:~<dès le moment où nous
percevons, sentons, nous organisons notre expérience. La vie que
nous vivons est déjà organisée» (Latner, 1992, p. 22). La notion de
constance de la forme est au centre de cette organisation. Dans la per
ception, avec les mêmes conditions, un stimulus produira à peu près
la même configuration figure/fond, et produira à peu près la même
réaction. Goldstein dit: « Une vie ordonnée n’est possible qu’avec
cette uniformité» (ibid. pp. 13-14). Stem parle aussi de la constance
et de la motivation à organiser l’expérience, laquelle, croit-il, est
innée. Il nomme « îlots de consistance» ces invariants du soi (activité
propre, cohérence de soi, affectivité de soi, permanence de soi. Ces
îlots de consistance assurent l’organisation de l’expérience du tout
jeune enfant, capacité que l’on peut observer dès la naissance. Stem
croit que ces invariants de soi s’intègrent par le processus de la
mémoire, i.e.,les MG qui « intègrent en un tout les diverses actions,
perceptions, états affectifs qui sont le propre du soi nodulaire» (p. 98).
On peut établir d’autres liens entre les travaux de Stem et la
théorie GestalL La base biologique de la formation des MG ressemble
de très près au processus décrit par Goldstein (ibid. p. 13), à savoir,
un stimulus produit dans les mêmes conditions à peu près les mêmes
configurations figure/fond, et à peu près les mêmes réactions. Lorsque
activé, la RIG produit approximativement la même réaction que
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DANTEL STERN: UNE THÉORIE DU DÉVELOPPEMENT POUR lA GESTALT
Le champ co-créé
On reconnaît depuis longtemps toute l’implication du champ co
créé dans notre pratique comme thérapeutes. Tout comme Parlett
l’écrit, «en créant un champ mutuel, nous nous aidons à créer notre
réalité individuelle» (1991, p. 76), ce qui va autant pour le champ
thérapeute/client que pour toute interaction. Le comportement du
thérapeute influence le champ et aura des conséquences pour le
client et réciproquement. Les recherches de Daniel Stem (renforcées
par celles des autres comme Trevarthen, 1993) mettent en évidence
comment, dès le début, le champ mère/nourrisson se co-crée à l’in
térieur de la relation. En thérapie gestaltiste, nous sommes attentifs
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DANiEL STERN: UNE THÉORIE DU DÉVELOPPEMENT POuR LA GESTALT
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
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DANiEL STERN: UNE THÉORIE DU DÉVELOPPEMENT POUR LA GESrALT
L’accordage
En termes de théorie du champ, le matériel présenté dans le ici et
maintenant par le client constitue le champ intersubjectif entre le
thérapeute et le client. Staemmler croit vraisemblable que le domaine
avec lequel le client se présente en entrevue soit le domaine où il a
besoin d’être rejoint (199, pp. 93-95). Le thérapeute doit donc repérer
ce domaine dans un premier temps, et ensuite voyager d’un domaine
à l’autre en réponse aux besoins du client. Une des tâches du
thérapeute est d’identifier si l’organisation psychologique du client
s’est établie quand la communication verbale était possible, ou si elle
relève plutôt du domaine pré-verbal. Si c’est ce dernier cas, le thé
rapeute doit alors en partie réagir à ce niveau, i.e., communiquer
avec le client dans le domaine de lien approprié, i.e., avec le ton de
la voix, le contact visuel, le toucher adéquat, la distance appropriée,
le mouvement, etc... Stem utilise le terme accordage pour décrire le
processus naturel de communion inteipersonnelle entre la personne qui
prend soin du petit enfant et ce dernier, i.e., le partage de l’expérience
du nourrisson sans essayer de la changer; vivre d’être relié avec un autre
être humain (p. 157). La définition que Stem donne de l’accordage
pourrait fort bien décrire un aspect important de la relation théra
peutique en Gestalt. La base de la thérapie gestaltiste consiste à com
prendre la phénoménologie du client sans lui imposer nos propres
désirs, préjugés, etc. (rejoindre le client avec une posture de « non-
savoir>’ (Spinelli 1997). Ainsi, comme Staemmler le propose, la tâche
du thérapeute consiste à être en accordage avec le client avec une
perspective d’intersubjectivité. Tervo (1997) fournit une illustration
de cela. Elle décrit comment elle travaille avec les enfants, par...
«l’observation active, l’agir en miroir, et le contact avec le processus
169
Revue Québécoise de Gestalt, vu1uu~e 6
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DAMEL STERN: UNE THÉORIE DU DÉVELOPPEMENT POUR LA GFSFALT
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Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
Il est important pour le thérapeute d’avoir une attitude qui favorise l’in
clusion ou l’empathie plutôt que l’expression ouverte de soi, Vinsistance active
au dialogue ou aux mises en situation... La relation empathique avec un
thérapeute risque d ‘être pour les clients narcissiques la premièrefois que quel
qu ~un les écoute vraiment, est attentif à leur vrai soi... quelqu ‘ùn qui ne
donne pas le message qu ‘ils devraient expérimenter quelque chose d ‘autre que
ce qu’ils expérimentent en ce moment (p. 444).
172
DANIEL STEJU4: UNE THÉORIE DU DÉVELOPPEMENT POUR LA GESTALT
Glossaire
Pour la compréhension de cet article, il m’a semblé important de
fournir quelques définitions de certains termes techniques. J. C.
RIG:
Représentations ri ïnteractions généralisées. Les nourrissons ont une aptitude
â regrouper les expérien ces. Ainsi, un nourrisson de clix mois auquel on
présente d~fférents masques dont certains traits sont différents d ~un masque
â l’autre~ va, à lafin, choisir celui qui représente l’ensemble des traits différents,
masque qu ‘il n ~a cependnt pas vu tel queL Lorsqu ‘ils ‘agit d ‘expériences inter.
actives, affir e Stem, l’aptitude du nourrisson à les abstraire et à se les
représenter par des RJG commence plus tôt. Les RJG peuvent ainsi constituer
une unité de base pour la représentation d’un soi nodulaire.
Invariants de soi:
Ce sont les aptitudes que le nourrisson doit développer pour la constitution
d ‘un soi nodulaire. Elles sont au nombie de quatre.
173
Revue Québécoise de Gestalt, valu mc 6
174
Notes biographiques
Janine CORBFJL, L. Ps.
Janine Corbeil est psychologue clinicienne et diplômée du Gestalt
Institute of Cleveland. Elle est la fondatrice du Centre de croissance
et d’humanisme appliqué et formatrice invitée de plusieurs instituts
de formation au Québec et à l’étranger. Elle est l’une des pionnières
de la Gestalt tant au Qnébec qu’en Europe francophone.
Jorge VASCO
Jorge Vasco, M.Ed. est psychologue en pratique privée à Montréal.
Il a été formé à la Gestalt-thérapie et au modèle de la psychothérapie
gestaltiste des relations d’objet au CIG. Il s’intéresse depuis plusieurs
années aux rôles et impacts des facteurs d’ordre ethnique, culturel
ou social dans le processus psychothérapeutique.
Marc-Simon DROffiN
Psychologue clinicien, a complété une formation de troisième cycle
au Centre d’Intervention Gestaltiste de Montréal et une formation
de superviseur au le modèle de la PGRO. Superviseur didacticien du
CIG et membre du Groupe de Recherche et d’Intégration en
Psychothérapie (GRIP), il intervient dans la formation du premier
cycle. Professeur au département de psychologie de l’Université du
Québec à Montréal (UQAM)dans la section psychodynamique/
175
Revue Québécoise de Gestalt, volume 6
176
Association Québécoise Gestalt
C.R 428, succursale Delorimier
Montréal, Québec, Canada
H2H 2N7
514-971-7838
Objectifs : Regrouper en ttn lieu d’appartenance les pet-sonnes qui travaillent pro
fessionnellement dans la perspective (Le l’intervention gestaltiste. Favoriser le
développement actuel et futttr (le la théorie et de la recherche en Gestalt. Mettre
en commun les expériences et les réflexions issues (le la pratique professionnelle des
membres. Encourager le perfectionnement (les membres. Situer la perspective
gestaltiste tians le champ (les (liverses approches théoriqttes et pratiques de la per
sonnalité. Etablir (les liens, sur les plans national et international, avec les autres
associations professioni~elles (le Gestalt.
17exprimene
BIBLIOTF-IEQUE DE GESTALT-THERAPIE
CONTACTAND RELATIONSI-IIP INAFIELD PERSPECTIVE
Jean-Man~ ROBINE(Ed} & Gai;’ YONTEfl Michae/4l/UER L,?,~n FRAZ.4O,
P/n7Ø £/CHTENBERG Alarghen?a SPAGNUOLO-1085 PeterPHIL/PPSON €. 20
Psychologie et orientation
• Service de psychologie
Épuisement professionnel, difficulté à dire non, mal d’être, harcèlement
psychologique, perfectionnisme trop élevé, transition reliée à une étape
de vie
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Orientation, bilan des compétences, gestion de carrière, coaching
individuel, gestion du changement
centre de
PSYCHOLOGIE Henriette Biais, M.Ps.
HUMANISTE Lise Bougard, M.Ps.
de la rive-sud
LIEUX DE TRAVAIL:
620 rue Notre-Dame, Saint-Lambert, J4P 2L1
- N. BLAIS L. B0uGARD
St-Lambert: (450) 671 - 6457 5t-Lambert: (450) 671 - 6457
Laval-Ahuntsic: (450) 668- 1003
Centre
d’intervention
Gestaitiste
Sessions de perfectionnement ciinique
2003-2004
Le processus thérapeutique I,
avec Cilles Delisle, Ph.D.
À Québec, les 27 et 28 mai 2004,
à Montréal, les 10 et 11juin 2004. 250$ (plus taxes).
Le processus diagnostique en psychothérapie,
avec Line Girard, M.Ps.
jour 1 et 2: 7 et 8 novembre 2003.
Jour 3 et 4: 1 2 et 1 3 mars 2004.
On peut s’inscrire â 1, 2, 3 ou 4 jours, selon ses besoins.
Chaque jour est au coût de 125$ (plus taxes). Pour ceux
qui s’inscrivent aux 4jours, le coût est 450$ (plus taxes).
La Gestalt et le corps,
avec janine Corbeil, L.Ps.
Corps I: 14, 15 et 16 novembre 2003, 375$ (plus taxes).
Corps 11:23,24 et 25avril2004, 375$ (plus taxes).
Les crises développementales de la vie adulte,
avec Cilles Delisle, Ph.D.
À Catineau, les 5 et 6février2004, 250$, (plus taxes)
Pour renseignements et inscriptions
(514) 481-4134
I psychothérapie auprès
I d7ndividus et de couples
I supervision
(514) 272-3966
40, Chemin Bates, Bureau 224, Qutremont (Québec) H2V lAS
Revue québécoise de Gestalt, Vol. 6, 2003
CRITÈRES DE SÉLECTION
ET DE CORRECTION D’UN ARTICLE
CLARTÉ DU TEXTE: L’article doit être écrit dans un style clair et intelli
gible, prenant pour acquis que le lecteur connaît les concepts gestaltistes.
Par exemple, on évitera de longues descriptions du cycle d’«awareness»,
des fonctions de contact ou d’autres concepts de base.
ÉDITORIAL
NOTES BIOGRAPHIQUES