Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Extrait

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 8

1

La gloire de Thalès :
la prédiction des éclipses

Le nom de Thalès de Milet est généralement associé à un théorème en mathé­


matiques donnant lieu à de nombreux problèmes posés aux élèves de troisième
à l’examen du brevet des collèges. En réalité, l’appellation « théorème de Thalès »
n’est utilisée en France que depuis la fin du XIXe siècle. Aussi, pour les historiens des
sciences, Thalès n’est pas considéré comme un mathématicien mais comme le « tout
premier philosophe de la nature », c’est-à-dire, physicien de l’Antiquité grecque.
Originaire de Milet, aujourd’hui en Turquie, où il serait né vers 625 avant J.-C. et
mort vers 547 avant J.-C., il est, semble-t-il, devenu célèbre en tant qu’astronome
grâce à la prédiction de l’éclipse de Soleil du 28 mai 585 avant J.-C. Ce fait devrait
normalement en étonner plus d’un et la première question qui devrait venir à
l’esprit est :
“ Comment connaît-on cette date avec une telle précision ? ”
En effet, alors que l’on parvient parfois avec beaucoup de difficultés à retrouver
la date d’un évènement qui a eu lieu cent ans auparavant, on est en mesure de
fournir avec une précision extraordinaire la date de cette éclipse qui s’est produite
il y a plus de vingt-cinq siècles ! Comment est-ce possible ? En réalité, cette éclipse
eut lieu pendant une bataille opposant des Lydiens et des Mèdes que l’historien
Hérodote (484-420 av. J.-C.) rapporta ainsi :
“ Les combats reprirent la sixième année ; au cours d’une bataille, comme l’enga­
gement s’échauffait, le jour fut soudain changé en nuit. Cet évènement avait été
prédit par Thalès de Milet, qui en avait averti les Ioniens, lui assignant sa date
exacte. Les Mèdes et les Lydiens, voyant cela, cessèrent les combats et conclurent

la paix.
En fait, si l’orbite terrestre, ou écliptique, était dans le même plan que l’orbite
lunaire, deux éclipses totales surviendraient au cours de chaque mois lunaire : une
éclipse de Lune se produirait au moment de chaque pleine Lune, et une éclipse
de Soleil apparaîtrait au moment de chaque nouvelle Lune. Les deux orbites sont
toutefois inclinées. Par conséquent, les éclipses surviennent seulement lorsque
la Lune ou le Soleil sont aux lieux d’intersection des deux orbites appelés nœuds.
Périodiquement, le Soleil et la Lune retrouvent une même position par rapport à
l’un des lieux d’intersection (nœuds). Ainsi, les éclipses se produisent à intervalles

9782340-030930_001_192.indd 9 24/04/2019 14:51


réguliers appelés saros qui en grec signifie « répétition ». Ce sont les astronomes
chaldéens qui en étudiant les mouvements du Soleil et de la Lune ont découvert ce
cycle désigné sous le nom de saros et qui correspond à une période de 223 lunaisons
ou mois lunaires, c’est-à-dire, de 18 années 10 ou 11 jours et 8 heures selon que
l’intervalle contient 4 ou 5 années bissextiles. Il semble que Thalès ait rapporté de
Mésopotamie la connaissance du saros et qu’elle lui ait permis de prédire l’éclipse
du 28 mai 585 av. J.-C. Cependant, selon l’astronome Paul Couderc :
“ Si Thalès a vu l’éclipse du 18 mai -603 (ou s’il en fut avisé par les observations d’Asie
mineure) et s’il connaissait la période de 18 ans 10 jours 8 heures (efficace surtout
pour la Lune), il a pu se hasarder à une conjecture. Mais cela est bien hypothétique
et, en aucun cas l’obscurité ne pouvait être prédite ; l’aire de totalité est, de nos jours
encore, difficile à calculer1. ”
Néanmoins, contrairement à ce que l’on pourrait croire le saros est d’une
précision remarquable pour la prédiction des éclipses. En effet, en appliquant le
saros à la date du 18 mai 603 av. J.-C., on obtient exactement la date du 28 mai
585 av. J.-C., c’est-à-dire, celle de la bataille opposant les Lydiens et les Mèdes. De
la même manière, sachant que la dernière éclipse totale de Lune en France, la plus
longue du XXIe siècle, s’est produite le 27 juillet 2018, à quelle date aura lieu la
prochaine ? En utilisant le saros, il est facile de calculer qu’elle se produira le 7 août
2036. On pourra vérifier également que la précédente avait eu lieu en France le
16 juillet 2000.
La renommée de Thalès a également été fondée à partir d’anecdotes comme
celle rapportée par Platon. Dans son Théétète, rédigé au IVe siècle avant J.-C.,
il raconte la légende qui court sur Thalès :
“ Il observait les astres et, comme il avait les yeux au ciel, il tomba dans un puits. Une
servante de Thrace, fine et spirituelle, le railla, dit-on, en disant qu’il s’évertuait à
savoir ce qui se passait dans le ciel, et qu’il ne prenait pas garde à ce qui était devant
lui et à ses pieds. La même plaisanterie s’applique à tous ceux qui passent leur vie à
philosopher. ”
L’image du philosophe la tête dans les étoiles était née.

1. Voir Paul Couderc, Les éclipses, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1961
(réimpr. 2e éd. 1971), p. 108-110.

10

9782340-030930_001_192.indd 10 24/04/2019 14:51


2
Pythagore de Samos :
et la Terre devint ronde

Philosophe et mathématicien grec, originaire de Samos (petite île grecque de


la mer Égée située au sud-est d’Athènes) où il serait né vers 580 av. J.-C., sa vie est
auréolée de mystères, à commencer par son nom Pythagore ou Pyth-agore, qui
signifie étymologiquement « celui qui a été prédit par la Pythie » et dont l’origine
découlerait de l’annonce de sa naissance qui aurait été faite à son père lors d’un
voyage à Delphes.
Il fut initié aux enseignements des premiers philosophes ioniens Thalès et
Anaximandre et quitta Samos pour échapper à « la tyrannie de Polycrate ». Ses
voyages le conduisirent en Égypte et à Babylone où il étudia les mathématiques
que l’on y pratiquait. Vers 530 av. J.-C., il s’établit à Crotone, colonie grecque dans
l’Italie du Sud (en Calabre), où il fonda une école, connue sous le nom d’école
pythagoricienne. Cette école comportait deux sortes de disciples : les acousmaticiens
(qui ne s’attachaient qu’au résultat d’une théorie et qui étaient les auditeurs) et
les mathématiciens (qui démontraient le résultat et qui étaient les initiés). Cette
distinction provient du fait que la salle où le maître faisait sa démonstration était
divisée en deux parties séparées par un rideau opaque. Les initiés ou mathématiciens
également appelés les ésotériques se trouvaient avec le maître du même côté du
rideau. Ils pouvaient donc entendre mais surtout voir la démonstration géométrique
qu’il effectuait devant eux. Les auditeurs ou acousmaticiens étaient nommés
exotériques1 car ils se trouvaient de l’autre côté du rideau et ne pouvaient par
conséquent, comme leur nom l’indique, qu’entendre la démonstration du maître.
Ainsi, son École, comme d’ailleurs celles qu’il fonde ensuite à Métaponte et à Tarente,
s’apparente davantage à une secte à la fois philo­sophique, scientifique, politique,
religieuse et initiatique. Pythagore s’éteint vers 495 av. J.-C. à Métaponte sans laisser
aucun écrit et c’est grâce à certains de ses disciples que l’on connaît aujourd’hui
son œuvre. Ainsi, d’après ses disciples, Pythagore affirmait que « Tout est nombre »
dans l’Univers. Il chercha donc à appliquer ce concept aux Arts, à la Musique, à la
Science et à l’Astronomie. Considérant que la musique a une dimension cosmique
et que l’astronomie a une dimension musicale, Pythagore aurait posé que les
distances entre les orbites du Soleil, de la Lune et des étoiles fixes correspondent

1. En grec ancien ésotérique signifie « intérieur » ou « en dedans » alors qu’exotérique signifie


« extérieur » ou « au dehors ».

11

9782340-030930_001_192.indd 11 24/04/2019 14:51


aux proportions réglant les intervalles de l’octave, de la quinte et de la quarte
d’une gamme qui porte aujourd’hui son nom. Cette conception bien lointaine
n’est pas sans rappeler la toute récente théorie des cordes qui cherche à établir que
les briques fondamentales de l’Univers ne seraient pas des particules ponctuelles
mais des sortes de cordelettes vibrantes. Cette idéalisation du nombre devint pour
Pythagore et ses disciples le principe ultime de toute proportion, ordre et harmonie
dans l’univers. C’est la raison pour laquelle l’Astronomie des pythagoriciens suit
la même règle d’harmonie et de perfection. Immobile au centre d’un Univers
sphérique où toutes les directions se valent, la Terre devait avoir une forme parfaite,
c’est-à-dire une forme qui soit la même dans toutes les directions. La seule forme
géométrique qui remplissait ces conditions était naturellement la sphère. D’après le
commentateur Diogène Laërce : Pythagore « fut le premier à appeler le ciel cosmos1
et à dire que la Terre est ronde » bien que l’on attribue souvent cette conception
à Parménide. Ce fait fut ensuite confirmé par Platon qui écrivit dans son Timée :
“ Pour la forme [du monde], il [Pythagore] lui a donné celle qui lui convenait et avait
de l’affinité avec lui. Or la forme qui convenait à l’animal qui devait contenir en lui
tous les animaux, c’était celle qui renferme en elle toutes les autres formes. C’est
pourquoi le dieu a tourné le monde en forme de sphère, dont les extrémités sont
partout à égale distance du centre, cette forme circulaire étant la plus parfaite de
toutes et la plus semblable à elle-même, car il pensait que le semblable est infini-
ment plus beau que le dissemblable. ”
L’expression mathématique2 était également pour Pythagore la seule réalité
physique et toute relation était transcendante aux objets. Son théorème de la
théorie du triangle rectangle en est une illustration frappante. Il avait en effet
remarqué que les arpenteurs égyptiens utilisaient des cordes nouées à intervalles
réguliers (3, 4, 5) pour construire un angle droit. Il généralisa cette observation à
l’ensemble des triangles et énonça un théorème qui porte aujourd’hui son nom et
qu’il n’a, semble-t-il, jamais démontré…

1. En Grec ancien cosmos signifie ordre. Ainsi, les pythagoriciens cherchaient à présenter les
planètes de notre Univers selon un certain ordre : la Terre, la Lune, la Mercure, la Vénus, le Soleil,
Mars, Jupiter, Saturne et la sphère des étoiles fixes.
2. Le mot « mathématiques » a été formé à partir du grec μάθημα « mathêma » ou plus exactement
μάθηματα « mathêmata » qui est son pluriel et qui expliquerait peut être pourquoi aujourd’hui
encore la discipline se désigne par son pluriel. Le mot « mathêma » signifiait le fait d’apprendre
tout comme sa résultante : la connaissance et la science. On le traduit aussi par « ce qui peut
être appris » ou « ce qui peut être enseigné ».

12

9782340-030930_001_192.indd 12 24/04/2019 14:51


3
Ce que les Grecs déduisaient
des éclipses

Au cours des millénaires, les civilisations ont toujours été fascinées par les
éclipses de Soleil et de Lune qui ont fait l’objet de toutes sortes d’interprétations
mythologiques, symboliques ou religieuses même après qu’une explication
rationnelle ait été proposée par le philosophe grec Anaxagore. Originaire de
Clazomènes, aujourd’hui près d’Izmir en Turquie où il serait né vers 500 avant J.-C.,
il fournit la première explication exacte des éclipses de Lune. D’après Théophraste qui
vécut au IVe siècle avant notre ère et qui fut le premier « élève » du Lycée d’Aristote :
« Anaxagore attribue aussi la défaillance de la lune à ce que parfois il y aurait
interposition de corps situés au-dessous d’elle. » Il ajoute : « Les défaillances de,
la lune sont dues à l’interposition de la terre et parfois à celle de corps inférieurs
à la lune ; le soleil s’éclipse aux nouvelles lunes, par suite de l’interposition de la
lune. » L’enseignement d’Anaxagore semble avoir enthousiasmé ses disciples aux
premiers rangs desquels se trouvaient Périclès, Démocrite, Empédocle et peut-être
même Socrate. Mais son approche qui consistait à vouloir expliquer par des causes
physiques des phénomènes dont on attribuait l’origine à des divinités inquiéta les
autorités. Anaxagore fut alors condamné à mort pour « impiété » vers 431 av. J.-C.
précédant ainsi de plus vingt siècles Giordano Bruno et Galiléo Galiléï. En effet, les
Grecs avaient fait voter un décret de loi selon lequel on poursuivrait tous « ceux
qui ne croient pas aux choses divines ou qui enseignent des théories au sujet des
choses Célestes ». C’est sur la base de ce même chef d’accusation, appelé depuis
« loi d’impiété », que Socrate fut condamné à boire la ciguë quelques décennies
plus tard. À la différence de Socrate, Anaxogore put, semble-t-il, échapper à la
mort grâce à l’amitié que lui portait Périclès. Cependant, il dut fuir la cité et cet exil
volontaire constituait pour un philosophe grec un bien pire châtiment que la mort.
Néanmoins, comme le souligne l’astronome Paul Couderc, son explication des
éclipses « constitue la première théorie d’un phénomène astronomique par un
rapport entre astres1 ». Aussi, après avoir tenté de ramener ce phénomène dans
le giron de la rationalité, les Grecs cherchèrent ensuite à déduire des éclipses
la dimension de la Lune et sa distance par rapport à la Terre. Concernant cette

1. Voir Paul Couderc, Histoire de l’Astronomie, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que
sais-je ? », 1945 (réimpr. 6e éd. 1974), 128 p.

13

9782340-030930_001_192.indd 13 24/04/2019 14:51


dernière, il existe un moyen extrêmement simple, probablement connu des Grecs,
pour calculer le diamètre apparent d’un corps céleste, c’est-à-dire, l’angle sous
lequel on le voit depuis la Terre.
Il suffit de placer un objet de petite taille, un crayon à papier par exemple,
devant l’œil de l’observateur en sorte qu’il masque le corps céleste observé. Si la
taille de la gomme du crayon à papier mesure 1 cm, la distance à laquelle il faut
placer le crayon de l’œil pour occulter la Lune est d’environ 1 mètre. On en déduit
que le diamètre apparent de la Lune est égal à 1/100. Ce qui signifie que l’on peut
placer environ 100 Lunes entre la Lune et la Terre. En réalité, on peut en placer
environ 110. Cependant, pour évaluer la distance de la Terre à la Lune, il faut alors
pouvoir déterminer la valeur du diamètre de Lune. Une des premières estimations
est due à l’astronome grec Aristarque de Samos qui vécut au IIIe siècle avant J.-C.
Ce précurseur de Copernic, qui faisait « mouvoir la Terre autour du Soleil », rédigea
un ouvrage intitulé Sur les grandeurs et les distances du Soleil et de la Lune. Il y présente
une méthode de calcul du diamètre de la Lune utilisant le diamètre du cône d’ombre
de la Terre lors d’une éclipse de Lune. Il avait tout d’abord observé que la Lune se
déplace en une heure d’une distance égale à son diamètre. Considérant ensuite
que la durée totale d’une éclipse de Lune incluant l’entrée dans l’ombre portée par
la Terre et sa sortie est d’environ 3 heures (la durée de la phase dite de « totalité »
est généralement inférieure à 2 heures), et que la largeur de l’ombre portée par
la Terre est environ égale à son diamètre, il en avait déduit que le diamètre de la
Lune est égal au tiers du diamètre de la Terre. La valeur exacte est non pas un tiers
(0,33) mais 0,27. Ce qui représente une erreur relative d’environ 20 % : un résultat
remarquable pour l’époque.
Tout au long des siècles qui suivirent, les éclipses jouèrent un rôle crucial lors
d’évènements historiques. L’une des plus étonnantes est certainement l’éclipse
totale de Lune qui eut lieu le 29 février 1504 à la Jamaïque. C’est là que s’échouèrent
les caravelles de Christophe Colomb qui effectuait son quatrième voyage vers les
Amériques alors qu’il croyait être sur la route des indes. À court de vivres, il demanda
aux Indiens de leur apporter des vivres mais ils refusèrent. En bon navigateur
qu’il était, il avait avec lui un almanach contenant des tables astronomiques sur
lesquelles étaient indiquées les dates des éclipses. Il annonça alors aux Indiens
une éclipse totale de Lune trois jours avant qu’elle ne se produise et la présenta
comme un signe céleste du mécontentement des Dieux. L’éclipse eut effectivement
lieu le 29 février. Le fils de Colomb, Ferdinand raconta qu’« avec de grands cris et
des lamentations, les indigènes accoururent de partout vers les vaisseaux, chargés
de provisions, priant l’amiral d’intercéder en leur faveur auprès de la divinité afin
qu’elle ne répande pas sa colère sur eux ». Colomb fit alors mine de se retirer dans
sa cabine pour « prier ». En réalité, il en profita pour mesurer la durée de l’éclipse
avec un sablier. Peu avant la fin de l’éclipse, il annonça aux indigènes effrayés qu’ils
allaient bientôt être pardonnés, ce qu’il leur confirma lorsque la Lune réapparut.

14

9782340-030930_001_192.indd 14 24/04/2019 14:51


4
Pythéas de Massalia : le Christophe Colomb
de l’Antiquité grecque

Dans la longue liste de ceux qui ont marqué l’histoire des « Grandes Expéditions »
on ne retient généralement que celui du « découvreur du Nouveau Monde »,
Christophe Colomb. Et pourtant, presque vingt siècles avant que le marin génois
ne pose le pied sur le continent américain, un navigateur grec faisait route vers
l’Islande. Son nom : Pythéas de Massalia, un philosophe contemporain du grand
Aristote et originaire de la cité phocéenne de Massalia (Marseille). Entre 330 et
320 av. J.-C., Pythéas entreprit un grand voyage maritime à la découverte des îles
Britanniques, de l’île de Thulé et de la mer Baltique1. À son retour, il décrivit dans un
livre son Voyage autour de la Terre. Bien que cet ouvrage ait été perdu, peut-être
dans l’un des incendies de la bibliothèque d’Alexandrie, il nous est connu grâce à
plusieurs auteurs antiques dont le géographe Strabon.
Pythéas décida de naviguer vers l’ouest à la découverte de l’Armorique – le nom
donné dans l’Antiquité à une large région côtière de la Gaule, allant grosso modo de
Pornic à Dieppe. À bord d’un bateau d’une vingtaine de mètres de long voguant à
une vitesse moyenne de trois ou quatre nœuds, il franchit les colonnes d’Hercule
(le détroit de Gibraltar) en quelques jours, et met ensuite trois jours pour traverser
le golfe de Gascogne et atteindre la péninsule armoricaine. Il fait alors route vers le
nord et rallie le cap Kantion situé au sud-est de l’Angleterre avant d’atteindre le cap
Orcas (aujourd’hui Dunnet Head en Écosse), faisant du cabotage autour de ces îles
qu’il nomme Prétaniques et qu’on appellera plus tard Britanniques. Apprenant des
autochtones l’existence d’une île du nom de Thulé, Pythéas poursuit son voyage
vers le nord. Les historiens considèrent que cette ultima Thulé, terre ultime du
poète Virgile, est vraisemblablement l’Islande ou peut-être le Groenland. Arrivé
en ce point extrême de son voyage, « Pythéas nous dit au sujet de Thulé que l’on
n’y rencontre plus la terre proprement dite, ni la mer, ni l’air, mais à leur place un
composé de ces éléments, semblable au poumon marin, et dans lequel tous les
éléments sont tenus en suspension et comme réunis à l’aide d’un lien commun,
sans qu’il soit possible à l’homme d’y poser le pied, ni d’y naviguer. » Ce poumon
marin, c’est-à-dire la banquise que nous décrit Strabon, a probablement contraint
Pythéas à faire demi-tour. Et si le chemin de retour jusqu’à Massalia se fait sans trop

1. Voir Hughes Journès, Yvon Georgelin et Jean-Marie Gassend, Pythéas, Explorateur et Astronome,
Les Éditions de la Nerthe, 2000.

15

9782340-030930_001_192.indd 15 24/04/2019 14:51


de difficultés, il en va tout autrement de l’accueil qui lui est réservé : en effet, au
cours de son voyage, Pythéas a observé le phénomène des marées, inconnu des
Méditerranéens, le soleil de minuit, qui n’est visible que dans le cercle polaire, et la
banquise qu’il nomme poumon marin. Autant de manifestations naturelles basées
sur son seul témoignage – et donc invérifiables. « Ce Pythéas qu’on s’étonne en
vérité de voir faire tant de dupes avec des mensonges aussi grossiers que ceux-
ci, pointe Strabon. Le seul auteur, en effet, qui parle de Thulé est Pythéas, que
tout le monde connaît pour le plus menteur des hommes. » Au IIe siècle de notre
ère, l’historien Polybe n’est guère plus tendre quand il s’étonne « que de pareilles
distances aient pu être parcourues par un simple citoyen ».
Mais Pythéas fit également de nombreuses grandes découvertes en astro­nomie.
En effet, en mesurant la longueur de l’ombre portée par un simple gnomon (bâton
planté verticalement dans le sol) le jour de l’équinoxe de printemps (21 mars) à midi
(heure solaire), Pythéas détermina la latitude de Massalia avec une précision d’un
dixième de degré. Toujours grâce à son gnomon, il estima avec une grande précision
la valeur de l’angle de l’obliquité de l’écliptique, c’est-à-dire la valeur de l’angle
d’inclinaison de l’axe de la Terre. Enfin – et c’est là le résultat le plus remarquable –
il calcula bien avant Ératosthène, le célèbre directeur de la bibliothèque d’Alexandrie,
la valeur de l’arc méridien terrestre. Ainsi, en effectuant des mesures de la hauteur
du Soleil aux différents lieux d’escale de son périple, Pythéas put fournir la valeur
du méridien terrestre comme étant égale à 252 000 stades. En considérant qu’un
stade représente 157,5 m, on obtient une valeur qui diffère de moins de 1% de la
valeur actuelle !
Il faudra hélas attendre plus de vingt siècles pour que l’on reconnaisse enfin
l’importance des découvertes de Pythéas de Massalia. Ainsi, au début du XVIIe siècle,
Nicolas Fabri de Peiresc, l’astronome de Belgentier1, se prit d’admiration pour
Pythéas qu’il considérait comme le « plus ancien des doctes de tout l’Occident ».
Ses découvertes vont alors susciter un regain d’intérêt et en 1753 Jean-Pierre de
Bougainville, le frère aîné du célèbre explorateur, résuma ainsi toutes ses qualités,
« habile astronome, ingénieux physicien, géographe exact, hardi navigateur,
il rendit ses talents utiles à sa patrie : ses voyages, en frayant de nouvelles routes
au commerce, ont enrichi l’histoire naturelle et contribué à perfectionner la
connaissance du globe terrestre ».

1. Petite commune du Var non loin de Toulon.

16

9782340-030930_001_192.indd 16 24/04/2019 14:51

Vous aimerez peut-être aussi