Les Droits Subjectifs Jacques Leroy
Les Droits Subjectifs Jacques Leroy
Les Droits Subjectifs Jacques Leroy
INFRACTION
Jacques LEROY∗
RÉSUME
Les droits subjectifs de la victime d’une infraction sont nombreux. Il
est possible de les regrouper en deux catégories :
Ceux que nous appellerons des « droits-fins » parce qu’ils sont la
raison d’être de la présence de la victime devant le juge répressif.
Ceux que nous nommerons« droits-moyens » parce qu’ils permettent
techniquement, d’atteindre les buts que la partie civile s’est fixée.
MOTS-CLÉ
Droits subjectifs, le droit à réparation, le droit à la déclaration de
culpabilité, le droit d’option, les droits procéduraux
∗
Prof., Ph.D., Doyen honoraire de la Faculté de Droit d’Orléans, France.
11
ANALELE UNIVERSITĂłII TITU MAIORESCU SERIA DREPT – Anul VIII
1
Traité de justice criminelle, 1753, Partie III, Livre II, titre IV, n°1.
12
LES DROITS SUBJECTIFS DE LA VICTIME D’UNE INFRACTION
I. LES DROITS-FINS
A. Le droit à réparation
Comme tout dommage, le préjudice causé par l’auteur de l’infraction
donne lieu à une réparation. De ce point de vue, la victime ne se distingue
pas de celle qui serait atteinte dans son corps ou ses biens par un acte qui ne
serait pas constitutif d’une infraction. Dans les rapports entre l’auteur et la
victime, l’infraction n’est qu’un fait générateur de responsabilité civile. Ce
qui est le fondement de l’action civile ce n’est pas l’infraction, c’est le
dommage issu de cette infraction. Il y a un lien étroit entre le droit
substantiel, soit la créance en réparation,(1°) et le droit processuel qui donne
la possibilité d’obtenir en justice le respect de cette créance, soit l’action
civile (2°).
1°) Le rapport juridique qui s’instaure entre l’auteur de l’infraction
dommageable et la victime est un rapport classique d’obligation : celui qui a
causé le préjudice est tenu d’une dette de responsabilité s’exprimant à l’actif
du patrimoine de la victime par une créance. Cette dette a pour objet la
compensation du préjudice. Cette créance en réparation devrait être le seul
droit subjectif de nature patrimoniale à la disposition de la partie lésée
depuis que lui a été retiré le droit de punir. Lui reconnaître un droit subjectif
à la vie ou à l’intégrité corporelle ne paraît pas nécessaire, la protection de la
victime étant assez assurée par le devoir mis à la charge de quiconque de ne
pas causer de dommage à autrui. Il suffit qu’en cas de violation de ce devoir
naisse un droit à réparation au profit de la victime. La question de
l’existence de ce droit originaire à l’intégrité corporelle a pu se poser à la
suite d’une décision du Conseil constitutionnel rendue en 1982 qui a évoqué
au-delà de la créance en réparation un droit fondamental à indemnisation :
« nul n’ayant le droit de nuire à autrui ,en principe, tout fait quelconque de
l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il
est arrivé à le réparer. Sans doute, en certaines matières, le législateur a
institué des régimes de réparation dérogeant partiellement à ce principe
(par exemple en substituant la responsabilité d’une personne physique ou
morale à la responsabilité de l’auteur du dommage). Cependant, le droit
français ne comporte en aucune manière de régimes soustrayant à toute
réparation les dommages résultant de fautes civiles imputables à des
13
ANALELE UNIVERSITĂłII TITU MAIORESCU SERIA DREPT – Anul VIII
personnes physiques. Il ne peut, même pour réaliser les objectifs qui sont les
siens, dénier dans son principe même le droit des victimes d’actes fautifs à
l’égalité devant la loi et les charges publiques (…). 2 Les victimes
n’auraient-elles donc pas un droit automatique à indemnisation ? De là à
conclure qu’en amont de ce droit il y aurait un droit à la protection de la vie,
le pas est vite franchi. Si l’on accepte l’analyse, il faut situer ce droit hors du
champ de la responsabilité civile parce que les systèmes d’indemnisation de
dommages technologiques ou collectifs se fondent, en réalité, sur la
solidarité nationale. Ce n’est plus à proprement parler de la responsabilité
civile.
Si nous restons dans le domaine de la responsabilité civile, la
victime dispose plus classiquement d’une action en justice à l’encontre de
l’auteur de son préjudice.
2°) L’action en justice se définit généralement comme la faculté
d’obtenir d’un juge une décision sur le fond de la prétention qui lui est
soumise3. Cette action est un droit pour la victime. Ce droit n’existe, dans
un contentieux privé, que pour la protection de la créance en réparation
C’est un droit, par hypothèse abstrait, qui a besoin d’être concrétisé. Il
prendra ultérieurement la forme visible d’une demande en justice,
dénommée, devant le juge pénal, citation directe ou constitution de partie
civile. Il existe, donc, un lien logique et chronologique entre la créance en
réparation, l’action civile et le demande en justice, ces deux dernières étant
conditionnées par le droit substantiel à réparation. La demande en justice
n’est que l’expression procédurale de l’action .D’où les conditions
d’existence de l’action civile (ou de recevabilité de la constitution de partie
civile, si l’on se maintient sur un terrain procédural) que sont l’intérêt et la
qualité pour agir. Tout se tient et est dominé par la finalité du droit à
dommages-intérêts invoqué par la victime.
Malheureusement, la Cour de cassation joue les trublions en
ajoutant au droit à réparation, celui d’obtenir la seule déclaration de
culpabilité de l’auteur de l’infraction.
2
Cons.const. 22 oct.1982, D.1983.189, note F.Luchaire.
3
Art.30 N.C.P.C.
14
LES DROITS SUBJECTIFS DE LA VICTIME D’UNE INFRACTION
4
Bull.crim., n°348.
5
JCP 1997.I.4000,n°16,obs.F.Sudre.
6
Cass.crim.8 déc.1906, DP1907.I.207, rapport Laurent-Atthalin.
7
Cf.al.2 de l’art.85 C.proc.pén (ajouté par la loi du 5 mars 2007).
8
Cass.crim.16 mars 1964, JCP1964.II.13744; 9mars 1994, Bull.crim.n°91.
15
ANALELE UNIVERSITĂłII TITU MAIORESCU SERIA DREPT – Anul VIII
faute pénale est retenue, la victime est persuadée que le juge social n’osera
pas dire que cette faute n’est pas inexcusable. Pure conjecture que tout ceci !
Qui ne voit le détournement de la finalité de l’action civile ! En définitive,
on s’aperçoit que ce droit « hors réparation » est un droit à la vengeance
publique, c’est-à-dire un droit subjectif à la déclaration de culpabilité, c’est-
à-dire un droit contre le ministère public. Nous sommes bien loin de ce
qu’avaient imaginé les rédacteurs du code de procédure pénale. Que la
victime soit un contre pouvoir du parquet, soit ; mais qu’elle devienne un
pouvoir concurrent est regrettable dans une société démocratique où la
justice pénale a quitté les mains des particuliers pour être attribuée à
l’autorité étatique. Dans le droit français, c’est le parquet qui apprécie
l’opportunité des poursuites. L’action civile n’est que l’accessoire de
l’action publique.
A. Le droit d’option
Etant par nature une action en responsabilité civile, l’action civile
peut naturellement être portée devant le juge civil. Mais elle peut aussi être
portée devant le juge pénal. Ce libre choix exprime le droit d’option entre
deux procédures (1°). Pour garantir l’effectivité de ce droit, il a fallu
assouplir les exigences de fond qui commandent la recevabilité de la
constitution de partie civile (2°)
1°) D’une manière générale, une option de procédure suppose une
alternative entre deux voies dont l’usage est discrétionnaire et révocable.
Nous en avons un très bon exemple avec la constitution de partie civile. Le
choix de la victime est, en effet, volontaire : la constitution de partie civile
ne se présume pas. 9 Ce choix est aussi unilatéral : la constitution de partie
civile se suffit à elle-même ; l’acceptation de l’auteur de l’infraction est
indifférente à la liaison de l’instance civile. En outre, la victime peut se
désister. La constitution de partie civile exprime ainsi la volonté d’être
9
Cass.crim.17 juin 1976, Bull.crim, n°208 : « la qualité de partie civile s’acquiert par le
dépôt d’une plainte auprès du juge d’instruction compétent contenant une manifestation
expresse de volonté du plaignant de se constituer partie civile ».
16
LES DROITS SUBJECTIFS DE LA VICTIME D’UNE INFRACTION
10
Art.113-7 C.pén.
11
Cass.crim. 8juin 1999. Bull.crim. n°123.
17
ANALELE UNIVERSITĂłII TITU MAIORESCU SERIA DREPT – Anul VIII
12
Art.175-1 C.proc.pén.
13
Art.706-20 C.proc.pén. (issu de la loi du 25 février 2008)
14
Art.156 et s. C.proc.pén.
15
Art.82-1 C.proc.pén.
16
Art.497 C.proc.pén.
18
LES DROITS SUBJECTIFS DE LA VICTIME D’UNE INFRACTION
compte des droits reconnus par la loi aux victimes »17. Le principe d’une
institution judiciaire chargée spécialement des intérêts de l’une des parties
laisse perplexe surtout si le juge en question siège en même temps comme
juge correctionnel. Mais, semble-t-il, la Cour de cassation n’y trouve rien à
redire !18
Enfin, il n’est guère possible d’achever cet article sans évoquer le
rapport issu des réflexions d’une commission de réforme présidée par M.
Philippe LEGER, magistrat. Bien que les rédacteurs du rapport s’en
défendent, certaines propositions risquent, insidieusement, de revenir sur
l’un des droits fondamentaux reconnus aux victimes : celui de déclencher
les poursuites par une plainte avec constitution de partie civile. En effet, il
est prévu que la décision finale en revienne au juge de l’enquête et de la
détention, nouveau magistrat chargé de contrôler une instruction confiée
désormais au procureur de la République19. Il y a trois ans fut célébré le
centenaire de l’arrêt Laurent-Atthalin. Il est à craindre, avec ce rapport, s’il
vient à être suivi lors d’une prochaine réforme de la procédure pénale, qu’un
siècle de jurisprudence soit enterré injustement. Malgré les abus révélés par
quelques affaires récentes, cette réforme est dangereuse. Il vaudrait mieux
redéfinir les droits procéduraux de la victime et lui interdire de se constituer
partie civile à d’autres fins que celle d’obtenir une réparation réelle de son
dommage. L’action civile reste l’accessoire de l’action publique. La victime
doit pouvoir continuer de faire juger cette action civile par le juge pénal.
Pour autant, elle ne doit pas devenir un procureur bis.
17
Art. D.47-6-1 et s. C.proc.pén.
18
C.cass, avis des 20 juin et 6 octobre 2008.
19
On rappellera qu’en France le ministère public n’est pas indépendant du pouvoir exécutif.
La Cour européenne des droits de l’Homme vient de condamner la France pour cette
raison : aff. Medvedyev et autres, c/France, Cedh 10 juill.2008, D.2009.chron.600,
obs.J.F.Renucci.
19