Scenographie
Scenographie
Scenographie
Aurélie Michel
Référence électronique
Aurélie Michel, Scénographie. Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des
publics. Mis en ligne le 26 février 2019. Accès : http://publictionnaire.huma-
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Scénographie
Le terme scénographie est très usité de sorte qu’il est nécessaire de le recontextualiser pour
bien l’appréhender. Son sens premier est celui d’une « écriture de la scène » qui trouve son
origine dans le théâtre. Comme Marcel Freydefont (2007 : 34) l’indique, le mot provient de
skènègraphia et désigne « l’art de peindre (graphia) la scène (skènè) ». Il renvoie à la
construction du théâtre antique. D’ailleurs, le scénographe sera appelé pendant longtemps
« décorateur » : cela fait bien sûr référence à ce qui constitue le matériau principal du fond de
scène, les panneaux peints permettant de figurer le « lieu de l’action ». Au sein du théâtre grec,
la skènè revêt l’apparence d’une structure en bois percée d’ouvertures et recouverte de
panneaux peints (pinakês). Cette dernière sert de coulisse aux acteurs. Le jeu se déroule sur le
proskenion ou « avant-scène », prenant la forme d’une estrade en bois.
La scénographie fut d’abord liée au théâtre avant de s’étendre au domaine de l’exposition.
Dans tous les cas, elle renvoie à l’ensemble des aspects techniques relatifs à la mise en espace
des objets : éclairage, mobilier, signalétique, etc. Elle fait donc référence à l’élaboration d’un
dispositif, c’est-à-dire à la mobilisation de certains outils permettant de spatialiser un lieu,
qu’il s’agisse de la scène de théâtre (on peut d’ailleurs parler ici de machinerie) ou des salles
d’un musée, ou qu’il s’agisse d’une galerie dans le cas d’une exposition. Bien qu’il soit
complexe de donner une définition figée du terme, l’Union des scénographes a trouvé une
formule qui semble fournir une source cohérente, dans le domaine du spectacle tout au moins :
« La scénographie prend en charge la traduction plastique et spatiale de l’œuvre à représenter
sur un espace scénique, au moyen de décors, costumes, masques, meubles, accessoires,
lumière, etc. » (http://uniondesscenographes.fr.over-blog.com/page-784050.html). Concernant
l’exposition, la définition proposée par l’Association des scénographes résume parfaitement la
réalité professionnelle du métier de scénographe et des missions qui lui sont attribuées :
« Concevoir une exposition est un processus complexe qui met en jeu de multiples
compétences. Complémentaires, ces dernières concourent à proposer aux publics attendus un
discours, des objets, des œuvres, suivant une structure réfléchie ». Le scénographe doit être
extrêmement polyvalent et il apparaît qu’une bonne maîtrise des contenus scientifiques, du
discours et des dispositifs de présentation sont indispensables à sa profession. Ce qui lie sans
doute la scénographie de plateau à celle d’exposition, c’est la question de l’espace, des lieux
réels ou fictifs qui s’y entrecroisent, dialoguent et conduisent le public au cœur de l’œuvre.
Du décor à l’espace
La dimension spatiale est l’un des fondements de la scénographie, qui va peu à peu glisser du
décor en deux dimensions à un investissement total de la surface de la scène, alors pensée
comme un « praticable », notamment grâce aux expériences faites par le décorateur et metteur
en scène suisse Adolphe Appia (1862-1928). L’apparition de la perspective permet des
évolutions notables dans le domaine de la représentation, entraînant la suggestion d’un espace
dont la profondeur est certes illusoire, mais rendue presque palpable. Le théâtre à l’italienne,
qui apparaît dans le sillage de la Renaissance, forgera un modèle scénographique, très en
vogue au XVIIIe siècle et dont l’héritage demeure présent. Dans le théâtre à l’italienne, la
scène est légèrement inclinée et les panneaux peints sont disposés en enfilade, créant un effet
de profondeur. Des écrits tels que ceux de Sebastiano Serlio (1475-1554), architecte et
sculpteur bolonais, expliquent comment inscrire les toiles peintes dans le prolongement du
plateau, afin de créer un espace en trois dimensions. Cet espace reste fictif, dans le sens où les
acteurs se déplacent devant ces panneaux. Une rupture qui concerne l’appréhension de la
scène est observable à partir du XIXe siècle, à travers les expériences menées par Edward G.
Craig (1872-1966) et Adolphe Appia, pionniers du théâtre moderne. Leurs approches vont
révolutionner l’idée du décor, utilisant notamment la lumière pour sculpter des espaces que
les acteurs peuvent investir réellement.
Le corps de l’acteur s’approprie alors la surface de la scène qu’il parcourt intégralement. Il
s’agit donc de remettre en cause une scène qui jouerait le rôle de devanture mais ne serait pas
pleinement exploitable. Les essais d’Edward G. Craig À propos du décor de théâtre (1904) et
L’Art du théâtre, premier dialogue (1905) proposent une vision de la mise en scène
totalement novatrice. Dans un même ordre d’idées, Adolphe Appia, cherche à libérer la scène
de ses artifices et notamment des décors peints dans un style réaliste. Dans sa réalisation de
Tristan et Isolde (1923) pour la Scala de Milan, les décors s’épurent et les corps des acteurs
semblent fusionner avec ces éléments, à travers leur dimension praticable. À l’instar des
descriptions fournies à l’intérieur d’un roman, le décor doit servir à reconstituer un lieu, qu’il
soit réel ou imaginaire. Cette mise en tension entre la trame narrative et la constitution d’un
espace « propice à la représentation d’une action » (Freydefont, 2007 : 21) se retrouve dans ce
qu’on nomme le « scénario » de l’exposition.
Investir la scène
D’une manière similaire, les propositions faites par Herbert Bayer (1900-1985) et Frederik
Kiesler (1890-1965) sont déterminantes dans la construction d’une scénographie propre à
l’exposition. Les théories d’Herbert Bayer sont extrêmement intéressantes, dans le sens où
elles convoquent un rapport direct entre la scène et l’espace d’exposition. En effet, il sera à
l’origine d’une « théorie du champ de vision » (1930) qu’il met en pratique à travers
l’investissement de scénographies novatrices. « L’organisme d’une exposition bien conçue,
écrit Herbert Bayer, inclut la mobilité, la conviction, interpénétration et intersection, les
mouvements de l’individu. […] Le plan et la direction du visiteur ne doivent faire qu’un »
(Glicenstein, 2009 : 50). En 1938, il conçoit l’exposition Bauhaus 1919-1928 au MOMA à
New York. Il prône alors l’idée d’un « contrôle continu » du spectateur, au point que la
signalétique use ici d’un dessin de main pointant la direction à suivre. Des empreintes de pas
au sol, ou encore des lignes de circulation sont présentes pour faciliter le guidage. L’ensemble
de ces procédés scénographiques formera ce qu’Herbert Bayer nommera lui-même plus tard
le « traffic control », le principe étant de modéliser complètement le parcours des spectateurs
via la scénographie, la couleur des murs, les cartels, la signalétique, les indications aux murs
et aux sols, ainsi que l’éclairage. En 1942, le théoricien va plus loin encore et conçoit, avec
Edward Steichen, l’exposition A road to Victory se déroulant également au MOMA et qui fait
l’apologie de l’entrée en guerre des États-Unis, grâce à la présentation de « fresques
photographiques historiques ». À cette occasion, il crée aussi une sphère représentant la
planète, dans laquelle le spectateur peut entrer pour découvrir certaines œuvres. Cette
dimension est intéressante, puisqu’elle questionne l’investissement de la scène, le lieu de
l’exposition en somme et la manière dont le public peut l’explorer (Guelton, 1998) et y être
assimilé. L’originalité de la mise en scène réside avant tout dans la façon d’occuper l’espace,
en faisant pénétrer le spectateur à l’intérieur du dispositif, c’est-à-dire dans un système ou une
structure qui facilite la lecture de l’œuvre. Cette sensation est provoquée par le travail sur un
« accrochage spatial », avec des images qui se côtoient, sans pour autant rendre leur lecture
confuse. Certains tirages sont suspendus et légèrement décalés des parois, d’autres sont placés
les uns à la suite des autres, donnant la sensation qu’ils architecturent l’espace. La mise en
place de ce dispositif permet de créer des volumes, grâce à l’agencement des images. Les
dimensions résolument importantes des images instaurent ce rapport spécifique, et déploient
également un cadre de vision, intégrant le public dans son espace. Cette notion de cadre est
importante puisqu’elle est l’un des paramètres relatifs à la scénographie. Elle est aussi ce qui
permet d’interroger la scénographie de plateau et la scénographie d’exposition selon un même
mouvement : « Le cadre n’est pas seulement une coupure, une frontière entre la salle et la
scène, c’est aussi un espace qui a une épaisseur, et qui joue un rôle de raccordement »
(Freydefont, 2007 : 24).
Là où la séparation entre scène et salle est assez nette au théâtre, l’exposition fait fusionner les
deux. Frederick Kiesler sera également l’un des protagonistes qui permettra d’envisager la
scénographie comme une œuvre à part entière, unifiant le lieu, les œuvres et les éléments qui
servent la mise en espace. Peggy Guggenheim, à l’instigation de son assistant Howard Putzel,
sollicite le concours de Frederick Kiesler, architecte, scénographe et artiste pour la conception
d’une mise en scène particulière (reconversion de deux boutiques de tailleur en galerie), à
travers l’exposition Art of this Century en 1942. Dans la proposition de Frederick Kiesler, la
scénographie fait œuvre et ce dernier insiste lui-même sur cette démarche délibérée opérée par
son geste. Les retranscriptions de l’exposition mettent en avant le caractère innovant de la
mise en espace : des murs concaves, les tableaux flottant dans l’espace, légèrement décalés
des parois, répondant ainsi à un tournant dans les techniques développées pour la
scénographie d’exposition. Un éclairage par intermittence vient compléter ce dispositif. Si le
procédé utilisé par Frederick Kiesler est remarquable, c’est parce que, d’une part, il tend à
déconstruire l’approche purement muséographique des œuvres et, d’autre part, parce qu’il
pense la scénographie comme une démarche plastique à part entière. Art of this Century
permet de faire découvrir les pièces les plus remarquables de la modernité ; en effet, la
volonté initiale de Peggy Guggenheim était de donner accès à une collection privée, la sienne.
Frederick Kiesler pense ainsi l’espace comme un ensemble ininterrompu, où plafonds, murs et
sols se prolongent les uns les autres. Par l’utilisation de la forme ovoïde, Frederick Kiesler
prend en compte l’ergonomie (adaptation des formes à leur usage – morphologie) et l’impact
psychologique de la scénographie dans la réception des œuvres. Il propose ainsi un mobilier
biomorphique (utilisation des formes de la nature afin de les transformer jusqu’à en obtenir
l’essence par des formes abstraites) dont les fonctions sont multiples puisqu’elles vont aussi
bien servir d’assises que de socles pour les sculptures, ou de tables de présentation. Frederick
Kiesler conçoit donc l’exposition comme un ensemble flexible et mouvant, qui répond aux
recherches qu’il a effectuées sur l’importance d’une interpénétration (relation réciproque)
entre environnement et spectateur.
On comprend donc que ces expériences menées dans le domaine de l’exposition posent les
bases d’une réflexion sur un dialogue entre espace, public et œuvre(s). La question du point
de vue, qu’on retrouve également dans le théâtre (théâtron : « lieu d’où l’on voit ») est
essentielle. La scénographie doit nous conduire dans le « monde de l’œuvre » et nous faire
sans cesse osciller entre l’ici et maintenant et l’univers que l’œuvre dessine. Elle est un
vecteur constant d’innovations entre ces deux champs que sont la scène et l’exposition, sans
compter les autres univers qu’elle touche : l’espace public, l’événementiel (à travers les salons
par exemple) ou la réalisation de vitrines. La scénographie d’exposition s’est aussi forgée
dans le sillage de l’art contemporain, avec notamment des réflexions qui concernent plus
particulièrement le lieu d’ancrage de l’œuvre, comme c’est le cas des œuvres in situ, conçues
« sur mesure » pour un site, dans lequel elles viennent littéralement s’implanter. Les théories
et approches développées dans les années 1960 délimitent des enjeux fondamentaux
concernant le dialogue entre l’œuvre et l’espace, mais aussi l’implication du public et le rôle
joué par l’artiste. Le land art suit ce mouvement et ces questionnements, en choisissant
d’élaborer des œuvres « hors les murs », c’est-à-dire en pleine nature et notamment, dans les
paysages de l’Ouest américain. Ainsi Spiral Jetty est réalisée en 1970 par Robert Smithson
(1938-1973) à Great Salt Lake dans l’Utah. Plusieurs tonnes de terre sont déplacées sur le site.
Cette digue « artificielle » prend la forme d’une gigantesque spirale. Elle a été conçue en
fonction de la topographie du lieu, liée notamment aux mouvements des eaux du lac. Spiral
Jetty est soumise aux forces de la nature, qui la modèlent, la transforment et la font même
disparaitre sous les eaux en 1972. Des images prises régulièrement documentent ces
transformations. Spiral Jetty est emblématique du Land art, dont Robert Smithson fut le
principal chef de file. De même que Michael Heizer (1944-) réalise Double negative (1969)
sur le site de Moapa Valley, dans le Nevada. Il s’agit alors de creuser une gigantesque
tranchée entrainant une métamorphose totale du paysage, le marquant dans son relief. Ces
deux exemples font apparaître une dimension supplémentaire qui ne manquera pas de
développer les spécificités de la scénographie en rapport avec l’œuvre d’art : la
monumentalité. En effet, ce rapport à l’espace, impliquant un investissement de ce dernier à
grande échelle suppose la mobilisation et l’adaptation des outils, supports et techniques
permettant d’élaborer une œuvre à hauteur du lieu qu’elle doit investir. La manifestation
intitulée Monumenta, dont la première édition s’est tenue en 2007, propose tous les deux ans
(et jusqu’en 2014, tous les ans), à un artiste d’investir la nef du Grand Palais à Paris. Les
propositions aussi diverses que celles d’Anselm Kiefer (2007), Richard Serra (2008),
Christian Boltanski (2010), Anish Kapoor (2011), Daniel Buren (2012), Emilia et Ilya
Kabakov (2014) ou Huang Yong Ping (2016) ont prouvé à quel point la présence de l’œuvre
pouvait modifier la manière d’appréhender un lieu et de se l’approprier.
En définitive, la notion de scénographie est complexe et foisonnante. Elle convoque des
univers différents et passe d’un champ à un autre selon l’espace spécifique et les objets dont
elle traite. Sa richesse est justement d’agir à l’intersection de divers domaines et d’en mêler
les outils et méthodes pour déconstruire notre rapport à l’espace et interroger la déambulation,
le parcours ou la temporalité d’un événement, qu’il s’agisse d’un spectacle, d’une exposition
ou d’un salon.
Bibliographie
Freydefont M., 2007, Petit traité de scénographie. Représentation de lieu/Lieu de
représentation, Nantes, J. Séria, 2017.
Glicenstein J., 2009, L’Art. Une histoire d’expositions, Paris, Presses universitaires de France.
Guelton B., 1998, L’Exposition. Interprétation et réinterprétation, Paris, Éd. L’Harmattan.
Nobis B., 1991, « El Lissitzky. L’“Espace des Abstraits” pour le Musée Provincial de
Hanovre 1927/1928 », pp. 145-157, in : Klüser B., dir., L’Art de l’exposition. Une
documentation sur trente expositions exemplaires du XXe siècle, trad. de l’allemand par
D. Trierweiler, Paris, Éd. du Regard, 1998.
Sompairac A., 2016, Scénographie d’exposition. Six perspectives critiques, Genève,
MétisPresses.