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Document Sur Dioxines

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Groupe d’experts et auteurs

Sophie ALEXANDER, épidémiologie et médecine sociale, École de santé


publique, Université libre de Bruxelles, Belgique
Denis BARD, épidémiologie et santé publique, École nationale de santé
publique, Rennes
Robert BAROUKI, toxicologie moléculaire, INSERM U 490, Paris
Frédéric Yves BOIS, méthodologie de l’évaluation des risques, Institut
national de l’environnement industriel et des risques (INERIS),
Verneuil-en-Halatte
Jacques DESCOTES, immunotoxicité, Centre antipoison,
hôpital Edouard-Herriot, Lyon
Marco DUJARDIN, épidémiologie et médecine sociale, École de santé
publique, Université libre de Bruxelles, Belgique
André GUILLOUZO, détoxication cellulaire des xénobiotiques, directeur de
l’unité INSERM U 456, Rennes
Cédric HERMANS, toxicologie et médecine du travail, université catholique
de Louvain, Bruxelles, Belgique
Gérard KECK, toxicologie, département des sciences biologiques
fondamentales et appliquées, École nationale vétérinaire, Lyon
Manolis KOGEVINAS, épidémiologie, unité de recherche sur
l’environnement, Institut municipal de recherche et de médecine,
Barcelone, Espagne
Jean-François NARBONNE, toxicologie alimentaire, CNRS UMR 5472,
Université de Bordeaux-I, Talence
François PERIN, génotoxicité et cancérogenèse, Institut Curie, Orsay
André PICOT, chimie des substances naturelles, CNRS, Gif-sur-Yvette
Thierry PINEAU, pharmacologie et toxicologie, INRA, Toulouse
Jean-François SAVOURET, physiologie et pathologie du récepteur de la
dioxine, INSERM U 135, hôpital de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre

Ont présenté une communication


Hélène BUDZINSKI, physico-toxicochimie des systèmes naturels, CNRS UMR
5472, Université de Bordeaux-I, Talence
Daniel FRAISSE, Laboratoires CARSO, Lyon
Laurentius AP HOOGENBOOM, department of food safety and health state
institute for quality control of agricultural products (RIKILT), Wageningen,
Pays-Bas
Coordination scientifique et éditoriale
Emmanuelle CHOLLET-PRZEDNOWED, attaché scientifique, Centre d’expertise
collective
Jeanne ETIEMBLE, directeur du Centre d’expertise collective de l’INSERM
Michel GARBARZ, chargé d’expertise, Centre d’expertise collective
Patrice TESTUT, attaché scientifique, Centre d’expertise collective

Assistance bibliographique et technique


Chantal GRELLIER et Florence LESECQ, Centre d’expertise collective

Iconographie
Service commun no6 de l’INSERM

VIII
Avant-Propos

Les « dioxines », qui rassemblent deux familles : les polychlorodibenzo-para-


dioxines (PCDD) et les polychlorodibenzofuranes (PCDF), sont libérées dans
l’environnement au cours de processus naturels et, principalement
aujourd’hui, au cours de procédés thermiques en rapport avec les activités
industrielles d’incinération de déchets domestiques, de métallurgie et de
sidérurgie. La réduction des émissions de dioxines au cours des dix dernières
années a entraîné une baisse importante de l’exposition humaine. Cependant,
la présence de dioxines dans plusieurs compartiments de l’écosystème (sols,
sédiments{), résultant des activités industrielles antérieures, maintient un
certain niveau de contamination de la chaîne alimentaire. Les aliments (lait
et produits laitiers, viande, poissons) constituent la source principale d’expo-
sition pour les populations.
La direction générale de la Santé et la direction générale de l’Administration
et du Développement au ministère de l’Aménagement du Territoire et de
l’Environnement ont souhaité interroger l’INSERM à travers la procédure
d’Expertise Collective, sur l’impact des dioxines sur l’environnement et la
santé. Ces deux partenaires souhaitaient disposer, en particulier, d’une exper-
tise critique sur la mesure des taux de dioxines dans différents milieux et la
meilleure façon d’estimer l’imprégnation des populations, l’inventaire des
sources d’émissions et les modalités de transfert dans différents compartiments
notamment les sols et enfin sur les modèles les mieux adaptés pour traiter les
surexpositions de durée brève.
Pour répondre à cette demande, l’INSERM a constitué un groupe pluridiscipli-
naire d’experts rassemblant des compétences dans les domaines de l’épidémio-
logie, l’épidémiologie environnementale, l’évaluation de risque, la toxicologie
alimentaire, clinique et moléculaire, la chimie, la biochimie, la cancérologie,
l’endocrinologie, l’immunologie, la pharmacologie. Trois intervenants, exté-
rieurs au groupe, ont présenté une communication ayant trait aux différents
types de dosage.
L’analyse scientifique du groupe s’est structurée à partir de la grille de questions
suivante :
• Quelle est la physicochimie des dioxines ? Comment les dioxines se
forment-elles ?
• Quelles sont les différents réservoirs et sources de dioxines ? Quelles sont les
conséquences sur l’environnement ? Quelles sont les voies de contamination
de la chaîne alimentaire ?
• Quels sont les méthodes de dosage et les différents modes d’expression des
résultats ? XI
• Comment les dioxines se distribuent-elles dans les différents tissus et selon
les différentes espèces ? Quels sont les biomarqueurs sensibles et spécifiques
d’exposition aux dioxines ?
• Quels sont les effets biologiques et toxiques observés dans les différentes
espèces animales ? Quels sont les effets observés chez l’homme à fortes et
faibles doses d’exposition ? Quelles sont les conséquences de la contamination
mère-enfant ?
• Quels sont les différents mécanismes d’action des dioxines ? Quel est l’im-
portance du mécanisme impliquant le récepteur arylhydrocarbon AhR ? Com-
ment expliquer la variabilité des actions des dioxines dans différentes espèces
et parfois au sein d’une même espèce ?
• Quels sont les paramètres toxicocinétiques qui doivent être pris en considé-
ration pour la toxicité chez l’animal et chez l’homme ? Quels sont les modèles
qui peuvent être utilisés pour une évaluation de risque ?
L’interrogation des bases bibliographiques généralistes et spécialisées a permis
de sélectionner plus de 1 600 articles scientifiques. Le fonds documentaire a
également été enrichi par un certain nombre de documents récents, français et
internationaux, dont la liste suit.
Au cours de neuf séances de travail organisées entre les mois de septembre
1999 et de juin 2000, les experts ont présenté une analyse critique et une
synthèse des travaux publiés sur les différents aspects du thème traité. Les trois
dernières séances ont été consacrées à l’élaboration des principales conclu-
sions et des recommandations.

DOCUMENTS

Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). Dioxine : données de


contamination et d’exposition de la population française. Rapport rédigé dans le cadre
du groupe de travail : « Contaminants et phytosanitaires » du Conseil supérieur
d’hygiène publique de France, section « Alimentation et Nutrition ». Juin 2000
Comité de la prévention et de la précaution : rapport d’activité 1996-1998.
Compilation of EU dioxin exposure and health data. Report produced for European
commission DG environment. UK Department of the environment, transport and
XII the regions (DETR), octobre 1999
Dioxin and furan inventories, national and regional emissions of PCDD/PCDF.
United Nation Environment Programme (UNEP). Prepared by UNEP Chemicals,
Geneva, Switzerland, mai 1999
Emissions de dioxines par les incinérateurs de déchets ménagers. Exploitation des
mesures réalisées au titre de l’année 1997 à l’émission des installations de capacité
supérieure à 6 t/h. Hervé Pernin, ADEME, octobre 1998
Étude sur les dioxines et les furanes dans le lait maternel en France. InVS/CAREPS,
2000
Exposure and human health reassessment of 2,3,7,8-tetrachlorodibenzo-p-dioxin
(TCDD) and related compounds. US Environmental Protection Agency (US EPA),
juin 2000
Health assessment of 2,3,7,8-tetrachlorodibenzo-p-dioxin (TCDD) and related com-
pounds. US Environmental protection agency (US EPA), août 1992, juin 1993,
janvier 1997
La dioxine et ses analogues, Rapport commun No4, Académie des sciences, Comité
des applications de l’Académie des sciences, Institut de France, septembre 1994
L’incinération des déchets et la santé publique : bilan des connaissances récentes et
évaluation du risque. Collection Santé et Société, Édition de la Société française de
santé publique, no7, 1999
Monographs on the evaluation of carcinogenic risks to humans. Polychlorinated
Dibenzo-para-dioxins and polychlorinated dibenzofurans. IARC Lyon France 1997, 69
Synopsis on dioxins and PCBs. Compiled by Jouko Tuomisto, Terttu Vartainen and
Jouni T. Tuomisto. Kuopio, Finland, 1999. Julkaisija – Publisher : Kansanterveyslaitos
(KTL) Helsinki ; KTL Division of environmental health, Kuopio, Finland. Accès
internet : http ://www.ktl.fi/dioxin
WHO European centre for environment and health (WHO-ECEH). International
programme on chemical safety (IPCS). Assessment of the health risk of dioxins ;
re-evaluation of the tolerable daily intake (TDI), 25-29 may 1998, Geneva, Switzer-
land. WHO 1999

XIII
Synthèse

Les dioxines regroupent deux grandes familles, les polychlorodibenzo-para-


dioxines (PCDD) et les polychlorodibenzofuranes (PCDF) qui font partie,
comme les polychlorobiphényles (PCB) et les polybromobiphényles (PBB),
de la classe des hydrocarbures aromatiques polycycliques halogénés (HAPH).
Les dioxines sont des contaminants produits au cours de nombreux processus

SYNTHESE
chimiques impliquant du chlore, du carbone, de l’oxygène et une température
élevée. Dans les pays développés, les deux principales sources d’émission de
dioxines résultent des activités d’incinération de déchets ménagers, de métal-
lurgie et de sidérurgie. Ces émissions ont considérablement diminué au cours
des dix dernières années dans ces pays. Cependant, les dioxines font partie des
nombreux polluants auxquels les populations sont soumises, à de très faibles
doses tout au long de leur vie.
Les dioxines sont présentes dans tous les compartiments de l’écosystème (air,
sols, sédiments aquatiques et marins, animaux). Très solubles dans les lipides
et chimiquement stables, elles se concentrent le long de la chaîne alimentaire,
et l’alimentation représente la voie majeure d’exposition pour l’homme. La
possibilité d’un contrôle des aliments par la mise en place d’un plan de
surveillance des produits d’origine animale, et des produits laitiers en particu-
lier, constitue un élément important de la surveillance. La difficulté réside
dans la définition, à des fins de prévention, de niveaux d’exposition tolérables
(normes, valeurs guides{), qui ne peuvent être établis qu’à partir du bilan des
connaissances actuelles sur les effets toxiques des dioxines chez l’animal et
chez l’homme. La compréhension du mécanisme d’action peut également
contribuer à une meilleure définition du risque et en faciliter sa gestion.

Nomenclature et propriétés physicochimiques des PCDD


et PCDF

Les PCDD et les PCDF sont deux familles de composés qui, bien que distincts,
sont très proches par leur structure moléculaire et leurs propriétés physicochi-
miques. Ce sont des composés aromatiques polycycliques oxygénés dont la
structure présente deux atomes d’oxygène pour les PCDD et un seul pour les
PCDF. Les positions numérotées des cycles aromatiques peuvent être occupées
par des atomes d’hydrogène ou de chlore, ces derniers étant au maximum au
nombre de huit. 319
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

Formules structurales des composés de base et de la dioxine de Seveso (2,3,7,8-


TCDD)

En fonction de la position et du nombre d’atomes de chlore dans la structure


de base, on dénombre 75 congénères de PCDD et 135 de PCDF.

Nombre de congénères PCDD et PCDF

Nombre d’atomes de chlore Nombre d’isomères* Nombre d’isomères


PCDD PCDF

1 2 4
2 10 16
3 14 28
4 22 38
5 14 28
6 10 16
7 2 4
8 1 1
Nombre de congénères** par famille 75 135
*isomères : molécules de même structure atomique ; **congénères : molécules de même structure de base avec un
nombre d’atomes substitués différent

Les caractéristiques physicochimiques des PCDD et PCDF sont étroitement


liées au degré de chloration des structures aromatiques. Ce sont des composés
320 peu volatils, peu solubles dans l’eau mais solubles dans les lipides. Cette
Synthèse

lipophilie leur permet de traverser les membranes cellulaires et de s’accumuler


dans les tissus gras de l’organisme.
Les PCDD et les PCDF sont stables jusqu’à 800°C et leur destruction n’est
totale qu’à partir de 1 300°C. Dans l’environnement, la photolyse est l’une des
rares voies de dégradation de ces molécules. La photodéchloration serait la
réaction la plus importante. Elle concerne plus particulièrement les congénè-
res les plus chlorés et peut conduire à la formation de 2,3,7,8-
tétrachlorodibenzo-para-dioxine (TCDD) à partir de l’octachlorodibenzo-
para-dioxine (OCDD) qui est le composé majoritaire dans les émissions de
dioxines. La stabilité biochimique est également très importante, en particu-
lier pour les composés les plus chlorés. Néanmoins, plusieurs études menées
sur la biodégradabilité de ces polluants environnementaux montrent que

SYNTHESE
certains micro-organismes (bactéries, levures, champignons) sont capables de
les métaboliser.

Relation structure activité


Les propriétés cumulatives et toxiques des dioxines sont également étroite-
ment dépendantes de leur structure chimique, c’est-à-dire du nombre et de la
position des atomes de chlore des deux cycles benzéniques. Parmi les
210 congénères théoriquement présents dans l’environnement après émis-
sions par diverses sources ponctuelles ou diffuses, les 17 composés substitués en
position 2,3,7,8 (7 congénères PCDD et 10 congénères PCDF) font l’objet
d’une bioaccumulation intense dans les organismes vivants où ils subissent
une dégradation biologique lente, variable en fonction de la nature du congé-
nère (plus rapide pour les PCDF que pour les PCDD).
En outre, ces 17 congénères possèdent une conformation stérique qui favorise
leur fixation au récepteur intracellulaire arylhydrocarbon (Ah). L’affinité de ces
17 congénères pour le récepteur Ah est toutefois variable. Elle est maximale
pour la 2,3,7,8-TCDD et 10 à 10 000 fois plus faible pour les congénères les
plus chlorés (comme l’OCDD) dont l’encombrement stérique limite la fixa-
tion au récepteur.
Ces 17 congénères susceptibles de se fixer au récepteur Ah et comportant un
minimum de 4 atomes de chlore occupant les positions 2,3,7,8 sont considérés
comme les plus toxiques. La toxicité diminue quand le nombre d’atomes de
chlore croît : la PCDD la plus toxique est la 2,3,7,8-TCDD. Au-delà de
5 atomes de chlore, la toxicité chute brutalement. La potentialité toxique des
17 congénères peut être exprimée en référence au composé le plus toxique, par
l’intermédiaire du concept d’équivalent toxique (TEF, toxic equivalent factor).
Celui-ci a été développé à partir de 1977 pour donner une valeur toxicologi-
que à un mélange de composés chimiquement proches et ayant le même
mécanisme d’action, c’est-à-dire actifs sur le même récepteur. Défini à partir
de résultats in vitro modulés par les données in vivo, le TEF est réévalué 321
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

fréquemment en fonction de l’évolution des connaissances. Ce concept a


d’abord été appliqué aux PCDD/PCDF puis étendu à d’autres membres de la
famille des hydrocarbures aromatiques polycycliques halogénés (HAPH).
Pour les PCDD/PCDF, le congénère de référence est la 2,3,7,8-TCDD qui a la
plus forte affinité pour le récepteur intracellulaire Ah.
Ainsi, le TEF se définit de la façon suivante :
potentialité toxique d’un composé individuel
TEF =
potentialité toxique de la 2,3,7,8-TCDD

PCDDs (N=7) TEF PCDFs (N=10) TEF

2,3,7,8-TCDD 1 2,3,7,8-TCDF 0,1

1,2,3,7,8-PeCDD 1 1,2,3,7,8-PeCDF 0,05

2,3,4,7,8-PeCDF 0,5

1,2,3,4,7,8-HxCDD 0,1 1,2,3,4,7,8-HxCDF 0,1

1,2,3,7,8,9-HxCDD 0,1 1,2,3,7,8,9-HxCDF 0,1

1,2,3,6,7,8-HxCDD 0,1 1,2,3,6,7,8-HxCDF 0,1

2,3,4,6,7,8-HxCDF 0,1

1,2,3,4,6,7,8-HpCDD 0,01 1,2,3,4,6,7,8-HpCDF 0,01

1,2,3,4,7,8,9-HpCDF 0,01

OCDD 0,0001 OCDF 0,0001

Structure et TEF des 17 congénères PCDD et PCDF substitués en position


2,3,7,8 (+ : atome de chlore)

Méthodes de dosage
Les dioxines sont des substances présentes à l’état de traces et les techniques
analytiques mises en œuvre pour les identifier sont complexes, nécessitant des
seuils de détection très faibles. Parmi les 210 congénères possibles, les métho-
des analytiques cherchent à doser les 17 congénères considérés comme les plus
toxiques et bioaccumulables.
La méthode analytique de référence utilise la chromatographie en phase
gazeuse couplée à la spectrométrie de masse haute résolution (GC-MS). Deux
étapes successives caractérisent cette méthode : la séparation basée sur le
322 principe du mouvement différentiel des composés dans un flux gazeux chaud
Synthèse

contenu dans un tube capillaire puis la détection basée sur la détermination de


la masse moléculaire des composés en spectrométrie de masse haute résolu-
tion. La méthode est très sensible et très sélective (limite de détection de
l’ordre de 0,02 pg). Le résultat de l’analyse est donné sous forme d’un profil
chromatographique des différents congénères qui peut être converti en quan-
tité totale de dioxines et en poids de chaque congénère présent.
Le protocole analytique est d’autant plus complexe, long et coûteux que la
quantité de dioxines présente dans l’échantillon à doser est faible. Ainsi, les
protocoles d’analyse des PCDD/PCDF dans les produits biologiques comme le
lait (degré de contamination de l’ordre du pg TEQ/g de matières grasses)
diffèrent-ils notablement de ceux utilisés dans l’analyse d’échantillons envi-

SYNTHESE
ronnementaux comme les émissions dans l’atmosphère (degré de contamina-
tion de l’ordre du ng/m3).
Les progrès de la chimie analytique séparative ont permis d’améliorer les
méthodes d’extraction et de purification en les rendant plus rapides et moins
coûteuses. Un protocole utilisant une extraction assistée par micro-ondes, une
purification par chromatographie en phase liquide haute pression (HPLC) et
une méthode d’analyse par chromatographie en phase gazeuse couplée à la
spectrométrie de masse basse résolution a été récemment mis au point en
France. Ce type de protocole devrait permettre de répondre à des demandes de
dosages en routine d’échantillons environnementaux tout en restant compa-
tible avec les exigences (en termes de sensibilité et de reproductibilité) de la
méthode d’analyse.
Les méthodes qui reposent sur la mesure de l’activité biologique des dioxines
sont complémentaires des dosages chimiques et donnent des résultats toxico-
logiques. Ces méthodes biologiques mesurent la quantité de dioxines en
fonction de l’activation du récepteur Ah, cette activation entraînant l’expres-
sion d’un gène rapporteur dont on peut mesurer le produit. Le dosage CALUX
mis au point aux Pays-Bas utilise une lignée cellulaire d’hépatome de rat
génétiquement modifiée par introduction d’un plasmide vecteur du gène de la
luciférase, dont la transcription est placée sous le contrôle d’une séquence de
régulation d’origine murine nommée DRE (Dioxin responsive element). Ainsi,
en réponse à une exposition aux dioxines, les cellules synthétisent de la
luciférase dont l’activité enzymatique est quantifiée par une réaction lumines-
cente. La quantité de lumière émise est proportionnelle à l’activité du récep-
teur Ah. Elle est donc étroitement liée à la nature des congénères de dioxines,
à leur proportion dans un mélange et donne une bonne évaluation de la
toxicité. D’autres modèles cellulaires basés sur ce principe mais utilisant un
autre gène rapporteur peuvent également être utilisés (système CAT, Chloram-
phenicol acetyl transferase).

323
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

Expression des résultats des dosages

Dans les dosages analytiques, l’expression des résultats varie selon la matrice
utilisée.

Expression des résultats selon la matrice

Matrice analysée Expression des résultats

Échantillons biologiques ng TEQ/kg de poids frais ou pg TEQ/g de matières grasses


Échantillons de sols ou de sédiments ng TEQ ou pg TEQ/g de poids sec
Émissions atmosphériques ng TEQ/m3

La concentration d’un congénère PCDD ou PCDF peut être convertie en une


valeur d’équivalent toxique international (I-TEQ, International toxic equiva-
lent quantity) égale à la concentration mesurée en PCDD ou PCDF multipliée
par le TEF du composé.
Ainsi, le TEQ indique la quantité de 2,3,7,8-TCDD nécessaire pour produire
le même effet toxique que celui susceptible d’être induit par le congénère
étudié à la dose mesurée. Par exemple, 30 ng d’un congénère qui a un TEF de
0,1 ont le même effet que 3 ng de 2,3,7,8-TCDD. Le concept TEF est basé sur
l’hypothèse de l’additivité des doses et des effets tant en aigu qu’en chronique.
On peut donc faire la somme des TEQ de chaque constituant d’un mélange
pour estimer la toxicité de l’ensemble.
I-TEQ = R(TEF × concentration en PCDD ou PCDF)
L’expression des résultats en TEQ présente des limites qui font que son
utilisation est toujours fortement discutée à la fois pour l’évaluation et la
gestion des risques. En ce qui concerne la gestion du risque, le TEQ ne permet
pas de connaître la nature des congénères impliqués dans la contamination et
donc d’identifier la source de cette contamination. En ce qui concerne l’utili-
sation du TEQ pour l’évaluation de risques, la notion d’additivité peut être
discutée sur la base d’exemples d’interactions antagonistes ou synergiques
dans un mélange complexe et sur l’existence probable de ligands endogènes du
récepteur Ah. Enfin, certains des effets toxiques des PCDD et PCDF ne
passent pas forcément par une liaison au récepteur Ah. Parmi tous les compo-
sés capables de se fixer sur le récepteur Ah, ne sont pris en compte dans le
calcul du TEQ que les PCDD/PCDF (nomenclature OTAN) et, depuis 1997,
les PCDD/PCDF ainsi que les congénères de PCB les plus proches des dioxines
(PCB « dioxin-like ») (nomenclature OMS). Le TEQ ne prend pas en compte
324 les autres PCB (non « dioxin-like ») qui sont pourtant les plus abondants.
Synthèse

Processus de formation des PCDD et PCDF

Les PCDD et les PCDF sont produits au cours de la plupart des processus de
combustion naturels et industriels, et en particulier des procédés faisant
intervenir de fortes températures (incinération, métallurgie{). Ils sont égale-
ment formés lors de la synthèse chimique de dérivés aromatiques chlorés ainsi
qu’au cours de processus biologiques et de réactions photochimiques naturels.
Afin de prévenir la production de PCDD et de PCDF, il apparaît essentiel de
comprendre ces processus de synthèse. Beaucoup de paramètres influencent
cette synthèse et, malgré les nombreuses études expérimentales sur le sujet, les
mécanismes réactionnels mis en jeu restent encore peu connus de nos jours.

SYNTHESE
Les PCDD et les PCDF sont produits majoritairement sur les cendres d’inci-
nération lors du refroidissement des fumées. Ces cendres apportent tous les
éléments essentiels à cette synthèse, structures carbonées résiduelles, chlore et
catalyseurs. Cette voie de synthèse est nommée synthèse « de novo ». Elle est
fortement dépendante de la présence de chlore inorganique dans le milieu
réactionnel. L’acide chlorhydrique et les dérivés métallochlorés comme le
chlorure cuivrique (CuCl2) en sont les principales sources. Le cuivre est
également l’un des catalyseurs les plus actifs des réactions d’halogénation des

Voie de la synthèse de novo


Structures carbonées macromoléculaires
+
Sources de chlore
+
Dioxygène

Cu 2+ + >300°C

Cl Cl Cl 0 Cl
Autres PCDF + + + Autres PCDD
Cl 0 Cl Cl 0 Cl
2,3,7,8-tétrachlorodibenzofurane 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-p-dioxine

O2 > 300°C > 300°C


Cl Cl Cl HOH

Cl Cl Cl Cl
3,3',4,4'-tétrachlorobiphényles 2,4,5-trichlorophénol

Voie des précurseurs aromatiques polychlorés

Formation des PCDD et des PCDF 325


Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

composés aromatiques. L’oxygène est, bien entendu, indispensable au proces-


sus de combustion des structures carbonées et à la synthèse des PCDD et des
PCDF. La synthèse de novo est aujourd’hui reconnue comme étant la princi-
pale voie de production des PCDD et des PCDF.
Il est cependant possible de synthétiser des PCDD et des PCDF à partir de
molécules organiques. Cette seconde voie de synthèse est appelée « voie des
précurseurs ». C’est la voie empruntée par les composés aromatiques halogé-
nés et/ou hydroxylés comme le chlorobenzène et le chlorophénol qui entrent
dans la synthèse d’herbicides (acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique), de bac-
téricides (hexachlorophène...) et d’un produit de conservation du bois (pen-
tachlorophénol ou PCP). Les PCDD et les PCDF se forment ici selon une
réaction de condensation/cyclisation des précurseurs monocycliques (réaction
d’Ullmann). Les PCB génèrent principalement des furanes par pyrolyse.

Principaux réservoirs et sources d’émission de dioxines


Les émissions de PCDD et de PCDF résultent essentiellement des activités
humaines industrielles et domestiques. La part des sources naturelles, chimi-
ques, biologiques et photochimiques reste actuellement impossible à évaluer.
L’historique des dioxines est lié à la fois aux différentes sources de production
mais aussi à leur découverte en fonction de l’évolution des connaissances
scientifiques. Dans les années soixante, l’émission de PCDD et de PCDF était
principalement liée aux activités industrielles impliquant la synthèse de déri-
vés chlorés (pesticides PCB, PCP...) et de chlorures de polyvinyle (PVC). Les
procédés de fabrication de la pâte à papier (blanchiment utilisant le dichlore)
étaient également considérés comme des sources potentielles majeures. La
production de PCDD et de PCDF résultant de ces activités industrielles a été
fortement réduite à la suite de l’interdiction d’utiliser certains produits, ou par
une modification des procédés technologiques. Le recyclage des métaux non
ferreux qui fait intervenir la refonte de matériaux contaminés par des pol-
luants organiques chlorés conduit également à la formation de PCDD et de
PCDF.
Parmi les sources accidentelles d’émission de PCDD et de PCDF, les usines de
production de trichlorophénol et d’autres dérivés chlorés occupaient une
place non négligeable. L’exemple de l’incident survenu dans l’usine ICMESA
à Seveso est le plus connu. Les changements dans les procédés de fabrication
des produits concernés devraient mettre à l’abri d’une telle menace. Les
incendies dans les entrepôts, les bâtiments et les véhicules restent néanmoins
des sources fréquentes : les conditions de combustion y sont médiocres et les
produits brûlés contiennent de nombreux éléments favorisant la synthèse de
PCDD et de PCDF (PVC, produits ignifugeants...).
Dans un deuxième temps, à partir des années soixante-dix, la formation des
326 dioxines au cours des processus de combustion a été mise en évidence. Les
Synthèse

centrales thermiques (énergie électrique) ainsi que les fours et les chaudières
(chauffage et procédés industriels) émettent des PCDD et PCDF. Ils en
produisent d’autant plus qu’ils utilisent des combustibles de substitution (re-
cyclage, valorisation de déchets). La métallurgie et la sidérurgie sont les
industries les plus concernées.
Les incinérateurs de déchets ménagers ou industriels ont été pendant les vingt
dernières années les principaux émetteurs de PCDD et de PCDF formés au
cours des processus de combustion. De nos jours, les technologies développées
pour limiter le passage des PCDD et PCDF dans les fumées sont très efficaces.
L’amélioration substantielle des procédés et une rationalisation des activités
d’incinération en Europe ont récemment réduit cette source de production de

SYNTHESE
PCDD et de PCDF.
En Grande-Bretagne, l’analyse d’échantillons d’un herbier constitué à 40 km
au nord de Londres a permis de reconstituer l’historique de la contamination
de l’environnement par les PCDD et PCDF, de 1860 à 1993. Deux pics de
contamination émergent dans les périodes 1960 (développement de l’indus-
trie des produits chlorés) et 1980 (mise en route de nombreux incinérateurs
d’ordures ménagères). En Suède, le dosage des PCDD et PCDF dans les œufs
de guillemots (espèce d’oiseaux sentinelles) procure de la même manière des
informations sur l’histoire de la contamination de l’environnement par ces
composés.

3 000 I-TEQ 400 000

Poids total en congénères


PCDD/PCDF
I-TEQ (pg TEQ/kg m.s.)

Poids total (pg/kg m.s.)

300 000
2 000

200 000

1 000
100 000

0 0
1850 1900 1950 2000

Évolution des concentrations de PCDD et PCDF entre 1860 et 1993 dans les
herbiers de la station expérimentale de Rothamsted (Grande-Bretagne) (m.s. :
matières sèches) (d’après Kjeller et coll., 1996).
327
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

Les données obtenues en Europe montrent que les secteurs les plus concernés
par les émissions de dioxines sont les usines d’incinération et la sidérurgie-
métallurgie, mais que la contribution de chacun de ces secteurs est variable
suivant le pays.

Distribution des émissions de dioxines en France, en Allemagne


et en Grande-Bretagne

Distribution des émissions en 1995 (%)


1
France Allemagne2 Grande-Bretagne2

Usines d’incinération de déchets* 46,00 10,0 87,0


Combustions industrielles 2,63 5,5 5,8
Sidérurgie-métallurgie 51,20 83,0 7,0
Circulation routière 0,17 1,5 0,2
1 2
* : ordures ménagères et déchets industriels spéciaux ; : ADEME, 1996 ; : United nations environment program,
1999

En France, une diminution supérieure à 50 % du flux annuel de dioxines a été


constatée entre 1997 et 1999, pour un échantillon de 70 sites d’usines d’inci-
nération et de 80 sites de sidérurgie et métallurgie. Les secteurs de la papeterie,
de la cimenterie et de la chimie produisent chacun moins d’1 g TEQ/an.

Évolution des flux de dioxines des deux principaux secteurs en France (données
de la Direction de la prévention des pollutions et des risques, ministère de
l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement)

Flux de dioxine
(g TEQ/an)

Secteur d’activité Nombre de sites concernés 1997 1998 1999

Usines d’incinération d’ordures ménagères* 70 500 300 200

Sidérurgie-métallurgie 80 350 300 120


*capacité supérieure à 6 tonnes par heure

Parmi les sources diffuses de PCDD et PCDF, certaines comme les gaz d’échap-
pement, les huiles de moteurs ou le chauffage domestique (bois, charbon, gaz)
semblent négligeables. En revanche, les réservoirs de PCDD/PCDF, tels que
les bois traités au pentachlorophénol (PCP), les transformateurs électriques
contenant des PCB, les boues d’épuration utilisées pour l’épandage, les sols et
sédiments contaminés, représentent des sources potentielles de dioxines, dont
l’importance réelle doit être évaluée. Récemment, la détection de fortes
concentrations en dioxines dans des argiles ou kaolins situés dans des zones
328 géographiques ou dans des strates du sol peu accessibles à une pollution
Synthèse

récente a focalisé les recherches sur les sources naturelles de dioxines. Ainsi,
des études portant sur des échantillons collectés aux États-Unis (argile du
Mississipi), en Allemagne (kaolins), en Australie et en Asie (sédiments
profonds) confirment l’existence de contaminations antérieures à 1900. Les
profils analytiques montrent une forte prédominance de l’octachlorodibenzo-
dioxine et suggèrent la possibilité de formation naturelle de dioxines dans les
sédiments marins.

Contamination de différents compartiments


de l’environnement

SYNTHESE
Tous les compartiments de l’environnement sont concernés par une contami-
nation par les PCDD et les PCDF : masses d’air, sols et sédiments, végétaux et
animaux.
Les niveaux de contamination des masses d’air sont fonction des activités
humaines industrielles et domestiques.

Niveaux de contamination en dioxines des masses d’air en zones urbaines et


rurales pour différents pays européens (European commission DG environment,
1999)

Niveau de contamination des masses d’air (fg/m3)

Zones rurales
Grande-Bretagne (1991-1996) 1 à 24
Allemagne (1992) 25 à 70
Zones urbaines
Grande-Bretagne (1991-1996) 0 à 810
Allemagne (1992) 70 à 350
Belgique (1993) 86 à 129
Pays-Bas (1991-1993) 4 à 99
Autriche (1996) 26 à 314

Globalement, la concentration en PCDD/PCDF dans les sols dépend de la


présence dans le voisinage (actuel ou passé) de sources potentielles telles que
des usines chimiques ou métallurgiques et des d’incinérateurs. La contamina-
tion se fait essentiellement par dépôt des particules atmosphériques. Dans les
sols, la migration verticale des PCDD et des PCDF est très faible et plus de
90 % des composés se retrouvent dans les 10 cm supérieurs. D’autre part, rien
n’indique une perte appréciable de ces composés par évaporation ou dégrada-
tion sur une période de plusieurs années (demi-vie de la 2,3,7,8-TCDD
estimée à 10 ans dans les sols), ce qui souligne encore la persistance de ces
composés dans la partie superficielle des sols. 329
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

Des données ponctuelles européennes sont disponibles : en Bavière, 90 % des


échantillons de sols ruraux mesurés se trouvaient en dessous de 1 pg TEQ/g.
Des valeurs de contamination plus élevées ont été notées dans certaines forêts.
De fortes teneurs sont retrouvées près des sources de pollution industrielle. En
Allemagne, les teneurs de PCDD et PCDF dans les sols dits industriels sont en
général supérieures à 100 pg TEQ/g. Aux Pays-Bas, des valeurs supérieures à
200 pg TEQ/g ont été relevées à proximité d’incinérateurs municipaux. En
France, des mesures effectuées dans les sols situés à proximité d’un incinéra-
teur de déchets urbains en fonctionnement depuis plus de 10 ans dépassaient
largement la valeur de 40 pg TEQ/g au niveau de la retombée du panache.

Concentrations en PCDD/PCDF dans les sols de différents pays européens


(European commission DG environment, 1999)

PCDD/PCDF (pg TEQ/g de sol)

Zones rurales
Pays-Bas (1991) 2,2 à 16
Autriche (1989 ; 1989-1993) 1,6 à 14 (pâturages) ; < 1 à 64 (forêts)
Allemagne (1992) 1à5
Belgique (1992) 2
France (1999) 0,02 à 1
Zones urbaines
Allemagne (1992) 10 à 30
France (1999) 0,2 à 17
Zones industrielles
France (1999) 20 à 60
Allemagne (1992) 50-150
Pays-Bas (1990-1991) 13-252 (incinérateurs municipaux)

Comme pour les sols, la contamination des sédiments dépend aussi des sources
de pollution, de la distance de la zone de prélèvement par rapport aux points
sources, de la circulation des masses d’eau et des capacités de dilution des
systèmes d’eau douce ou marins.
Les données sur la contamination des végétaux varient selon la géographie et
la nature des prélèvements. En Allemagne, le chou a été choisi comme espèce
sentinelle pour les retombées atmosphériques. Les valeurs vont de
0,7 pg TEQ/g en Hesse à 4,78 pg TEQ/g à Hambourg. En France, une étude de
la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répres-
sion des fraudes (DGCCRF) sur des végétaux collectés à proximité d’un
incinérateur de déchets ménagers donne des valeurs allant de 0,21 pg TEQ/g
330 pour le chou à 1,10 pg TEQ/g pour la salade.
Synthèse

Concentrations en PCDD/PCDF dans les sédiments de différents cours d’eau en


Europe (European commission DG environment, 1999)

Années de mesure PCDD/PCDF


(pg TEQ/g de sédiment)

Rivières allemandes 1994 1 à 20


Elbe Basse-Saxe 1994 1,17 à 19,2
Hambourg 1995 17,5 à 76,0
Rhin (Rhénanie du Nord/Westphalie) 1989-1996 16 à 103
1995-1996 11 à 37
Installations portuaires (Hambourg) 1993 1 500
Estuaire du Rhin (Pays-Bas) 1980-1990 8 à 21

SYNTHESE
Pour les espèces végétales, différentes voies d’exposition et de pénétration des
contaminants sont possibles. Généralement, le transfert des composés organi-
ques des racines vers les pousses est négligeable. Des travaux réalisés en
chambre de culture ont montré que, plus encore que l’absorption par les
racines, c’est la dispersion des dioxines à partir du sol qui est la principale
source de contamination des feuilles des fruits et des légumes. Mais, en milieu
extérieur, la principale source de contamination est le dépôt atmosphérique.
Les composés organiques peuvent ainsi pénétrer dans les feuilles des végétaux
directement par dépôt atmosphérique en traversant la cuticule ou par les
stomates. À partir des études allemandes, on peut calculer un taux moyen
annuel de dépôt par unité de surface, en fonction de la contamination des
masses d’air. Pour ce qui concerne les zones rurales et urbaines, un facteur
moyen de 200 peut être calculé (par exemple une teneur de 25 fg/m3 dans l’air
correspond à un dépôt de 5 pg/m2 par an). Dans le cas d’émissions de poussiè-
res fortement concentrées en dioxines, ce facteur peut être 10 fois supérieur.

Transfert dans la chaîne alimentaire


Dans tout milieu, les chaînes alimentaires peuvent être représentées sous
forme de « pyramides alimentaires ou trophiques » : les biomasses des divers
niveaux (végétaux-herbivores-carnivores) décroissent fortement. Ceci expli-
que que, pour des polluants liposolubles stables et peu biodégradés comme les
PCDD et PCDF, les concentrations dans les divers niveaux trophiques aug-
mentent de façon inversement proportionnelle à la diminution des biomasses.
Par ailleurs, chaque niveau trophique peut être exposé à des sources environ-
nementales qui s’ajoutent aux sources alimentaires ; dans le cas des PCDD et
PCDF, l’exposition alimentaire apparaît toutefois prédominante par rapport
aux autres sources.
En ce qui concerne les transferts vers les animaux dans les systèmes aquati-
ques, les analyses ont porté sur les poissons, les mollusques et les crustacés. Ces 331
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

Biomasses

es
mm
Ho
res
o
niv
Car
es
vor
rbi
He
aux
gét

Faible contamination Forte contamination

Concentration par les chaînes alimentaires des toxiques biocumulatifs

espèces accumulent plus de dioxines que les animaux terrestres (vache, co-
chon, poulet{) et des concentrations de plusieurs centaines de pg TEQ/g de
matières grasses ont été détectées dans certains poissons.
Pour les animaux terrestres, les données concernent surtout le lait de vache. À
partir d’une source de pollution telle qu’un incinérateur, les PCDD et PCDF
sont émis de façon très minoritaire sous forme gazeuse et principalement
adsorbés sur des particules ; les taux émis varient de moins de 0,1 à plus de
100 ng/m3. Les PCDD et PCDF se déposent sur le sol et les végétaux, en
particulier sur l’herbe, en fonction des courants atmosphériques et des préci-
pitations. Le transfert du sol vers l’herbe semble très limité. Les bovins en
pâture sont exposés surtout par l’ingestion d’herbe ou de foin contaminé ; les
taux de contamination de l’herbe dans une zone exposée varient de 1 à
50 pg TEQ/g de matière sèche. La consommation de sol ou d’autres fourrages
(maïs, betteraves) représente des apports nettement plus faibles.
L’absorption des dioxines par voie digestive est en général importante, avec
une biodisponibilité comprise entre 60 % et 90 % chez les animaux et
l’homme. Les capacités d’élimination sont faibles et varient d’une espèce à
l’autre. La lactation constitue une voie majeure d’excrétion. La demi-vie des
dioxines chez la vache laitière, par exemple, en est ainsi réduite. La distribu-
tion dans l’organisme s’effectue essentiellement en fonction de la teneur en
332 lipides des tissus ; les PCDD et PCDF se fixent dans les réserves adipeuses et les
Synthèse

graisses tissulaires, par exemple celles de la viande des bovins. Une enquête
récente en France, effectuée sur des échantillons de viandes achetées dans le
commerce, a révélé des taux détectables dans tous les échantillons, mais
inférieurs à 1 pg TEQ/g de matières grasses.
La mobilisation des graisses lors de la lactation explique les taux élevés de
dioxines retrouvés dans le lait et ses dérivés. En France, les niveaux moyens de
PCDD et PCDF dans le lait sont actuellement inférieurs à 1 pg TEQ/g de
matières grasses, en l’absence d’une source de pollution locale. Lorsque les
vaches laitières pâturent à proximité d’un incinérateur ou d’un site industriel
émettant des PCDD et PCDF (recyclage de métaux ou de déchets industriels),
les teneurs peuvent atteindre jusqu’à 50 pg TEQ/g de matières grasses en
fonction de la distance, des vents dominants, mais également des paramètres

SYNTHESE
zootechniques (niveau de production, nombre de lactations). En Autriche,
une valeur extrême de 69 pg TEQ/g de matières grasses a été rapportée dans le
lait de producteurs situés à proximité d’une usine de cuivre.
En France, la surveillance du lait et de ses dérivés est effectuée depuis 1994 par
la Direction générale de l’alimentation (DGAL), en particulier à proximité
d’incinérateurs ou de zones industrielles. Récemment, une circulaire du minis-
tère de l’Environnement impose aux responsables d’unités d’incinération,
outre une norme d’émission dans les fumées de 0,1 ng/m3, des mesures des
teneurs en dioxines du lait des vaches situées aux alentours. À partir de la dose
journalière admissible (DJA), des limites maximales de résidus (LMR) de
PCDD et PCDF ont été déterminées dans certains aliments majeurs comme le
lait et ses dérivés. Le Comité d’experts du Conseil de l’Europe a proposé en
mars 1996 des valeurs qui ont été adoptées également en France. L’établisse-
ment de LMR pour d’autres aliments comme la viande bovine est en cours.

Recommandations sur les teneurs en dioxines dans les laits (Conseil supérieur
d’hygiène publique de France, 1998)

Valeurs guides Observation

1 pg TEQ/g de matières grasses laitières Valeur considérée comme « bruit de fond », objectif à
atteindre
3 pg TEQ/g de matières grasses laitières Valeur maximale recommandée ; en cas de
dépassement, rechercher les causes et les réduire
5 pg TEQ/g de matières grasses laitières Valeur maximale admise ; en cas de dépassement, le
lait n’est pas commercialisable

Il est possible d’établir, d’après les données expérimentales et de terrain, des


coefficients de transfert entre les différents compartiments (air, sol, herbe,
graisse, lait). Par exemple, un facteur de bioaccumulation (biological accumu-
lation) peut être calculé à partir des valeurs en pg TEQ/g de matières grasses du
lait par rapport aux concentrations en pg TEQ/g de matière sèche notées dans
l’herbe des pâturages : d’après des données autrichiennes, ce facteur est égal à 2. 333
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

Ce taux concerne les transferts à partir des compartiments de l’environne-


ment et ne concerne pas les transferts à partir des aliments pour animaux.
La détermination de coefficients de transfert permet de proposer des modèles
pour prévoir l’incidence de niveaux donnés d’émission de PCDD et PCDF par
une source industrielle. On peut également prévoir la cinétique de déconta-
mination de vaches laitières après suppression d’une source de contamination,
la diminution des teneurs dans le lait étant relativement rapide (quelques
mois) du fait de la cinétique rapide chez la vache en lactation. Il faut tenir
compte des comportements différents des divers congénères. Ainsi, la 2,3,7,8-
TCDD possède le facteur de bioaccumulation le plus élevé de tous les congé-
nères PCDD, ce qui aboutit à une différence entre les profils chromatographi-
ques des différents congénères présents dans le sol et l’herbe d’une part, et dans
le lait d’autre part.
Les concentrations en PCDD et PCDF dans les matières grasses humaines
sont dix fois plus élevées que dans les matières grasses des bovins. Cette charge
corporelle chez l’homme explique la concentration de 10 à 30 pg TEQ/g
observée dans le lait maternel.

Évaluation de l’exposition humaine

Globalement, il est admis que l’exposition moyenne des populations se fait à


plus de 95 % par voie alimentaire, en particulier par ingestion de graisses
animales (lait et produits laitiers, viandes, poissons). L’apport le plus impor-
tant est dû aux produits d’origine bovine (lait et dérivés, viande et abats) ; les
volailles et le porc constituent des sources moindres, en raison de leur mode
d’élevage en bâtiments (sauf en cas de contaminations des aliments). Les
poissons et produits aquatiques représentent des sources d’importance varia-
ble, parfois relativement élevée pour certaines populations de forts consom-
mateurs.
Diverses études montrent que la quantité totale de dioxines ingérées par voie
alimentaire à l’âge adulte était d’environ 150 à 300 pg TEQ/jour entre 1980 et
1990, ce qui correspondait à une valeur médiane de 2,3 pg TEQ/kg de poids
corporel/jour et une valeur maximale de 4 pg TEQ/kg/j. Ces évaluations
semblent valables pour la plupart des pays industrialisés, mais évoluent vers
une nette diminution depuis quelques années. En France, en 1999, l’AFSSA
estime à 1,3 pg TEQ/kg/j la valeur médiane de la quantité de dioxines ingé-
rées, avec une valeur de 2,6 pg TEQ/kg/j au 95e percentile. Ces taux sont
proches de ceux recommandés par l’OMS (1 à 4 pg TEQ/kg/j). Toutefois,
l’OMS prend en compte dans le calcul du TEQ les PCB possédant une
structure apparentée à celles des dioxines (PCB qualifiés de dioxin-like), qui
334 contribuent en moyenne à 50 % de sa valeur. L’apport quotidien exprimé en
Synthèse

Apport quotidien de dioxines par les aliments : données françaises (Agence


française de sécurité sanitaire des aliments, 1999), danoises (European
commission DG environment, 1999) et américaines (US EPA, 2000)

Contribution des différents aliments (pg/personne/jour)

France Danemark États Unis1

Lait et produits laitiers 25,8 46,0 12,0


Viande bovine et porcine 4,7 59,0 12,5
Poissons 9,3 19,2 11,5
Volailles 1,2 5,9 3,8
Œufs 4,0 3,0 0,5

SYNTHESE
Crustacés 0,8 - -
Coquillages 7,1 - 1,3
Total 52,9 133,3 41,6
1
: nomenclature OMS

TEQ se trouve donc sous-estimé en France, et devrait plutôt être proche de


2 pg TEQ/kg/j selon la nomenclature de l’OMS.
L’imprégnation directe par les dioxines peut être évaluée par la quantification
des congénères présents dans la fraction lipidique de divers tissus biologiques
humains (sang, lait maternel, graisse abdominale ou sous-cutanée). Cette
quantification, introduite au début des années soixante-dix, a été initialement
appliquée afin d’évaluer, souvent de façon rétrospective, l’exposition de popu-
lations de travailleurs de l’industrie chimique. Cette approche a ultérieure-
ment permis de déterminer la nature et le degré d’exposition de travailleurs
exposés, dans le cadre d’activités industrielles où les dioxines sont des impu-
retés de fabrication ou de production. Le dosage des 17 congénères a égale-
ment servi à évaluer le degré de contamination des populations d’hommes, de
femmes et d’enfants accidentellement exposés (Seveso, Viêtnam, Yusho, Yu-
Cheng). Plus récemment, cette méthode a été appliquée pour établir les
niveaux moyens d’imprégnation de la population générale de divers pays à
travers le monde.
Le dosage des dioxines dans les tissus biologiques humains se heurte à de
nombreuses difficultés d’ordre pratique. Citons le coût financier important des
dosages. S’y ajoute la nécessité de disposer d’une quantité suffisante de chaque
échantillon biologique. Ainsi, le prélèvement de tissu adipeux sous-cutané ou
abdominal est un geste invasif difficilement applicable dans le cadre d’études
épidémiologiques. Le lait maternel, aisément accessible et riche en matières
grasses, ne permet d’apprécier l’exposition que d’une fraction de la population.
En ce qui concerne le sang, qui est pauvre en lipides circulants (0,5 %), une
quantité relativement importante (entre 50 et 100 ml), prélevée dans des
conditions adéquates (à jeun et à distance de tout repas riche en graisses) est
nécessaire. Toutefois, les avancées dans les processus analytiques ont déjà 335
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

permis de doser les dioxines dans 10 à 15 ml de sang, voire moins de 1 ml


quand les teneurs sont relativement élevées. Le dosage requiert en outre
d’importantes compétences analytiques. De plus, l’interprétation des résultats
du dosage des 17 congénères PCDD et PCDF dans les tissus biologiques
humains en vue d’évaluer l’exposition humaine doit tenir compte de différents
paramètres.
Tout d’abord, compte tenu du caractère cumulatif des dioxines, la mesure de
ces substances fournit une bonne estimation de la charge corporelle, c’est-à-
dire de la dose interne cumulée essentiellement par voie alimentaire dans les
tissus graisseux au cours de toute la période de vie antérieure au prélèvement.
En fait, pour une exposition constante, la charge corporelle se stabilise au bout
de 5 demi-vies successives (le temps d’accumulation étant équivalent au
temps d’élimination), soit après plus de 40 ans pour la majorité des congénères
(demi-vie moyenne proche de 7 ans). À ce moment, la charge corporelle
correspond à l’équivalent de 5 000 doses journalières cumulées. On comprend
bien qu’une exposition transitoire comme la consommation pendant une
brève durée de produits contaminés doit être importante pour modifier la
charge corporelle. Cette modification peut être appréciée par des modèles
pharmacocinétiques.
Compte tenu de la demi-vie particulièrement longue des dioxines chez
l’homme, le dosage de ces substances dans les tissus biologiques permet d’ap-
précier à travers un dosage ponctuel l’historique de l’exposition. Toutefois,
cette méthode d’évaluation ne permet pas de mettre en évidence des modifi-
cations récentes du degré de contamination de la chaîne alimentaire et des
apports. Pour cette raison, la réalisation de dosages dans les vecteurs impor-
tants (lait de vache) apparaît tout à fait complémentaire à la réalisation de
mesures chez l’homme. Le dosage des dioxines dans la filière bovine fournit,
compte tenu du cycle de vie plus court et de l’élimination des dioxines dans le
lait de vache, une bonne estimation de la contamination récente de l’environ-
nement.
Enfin, divers facteurs affectant les concentrations ou la charge corporelle en
dioxines doivent être impérativement pris en considération dans l’interpréta-
tion des valeurs. Parmi les facteurs confondants bien étudiés, citons l’âge
croissant et l’accroissement de la masse corporelle qui augmentent la charge
corporelle (sauf chez le petit enfant), le nombre et la durée des périodes
d’allaitement qui contribuent à la réduire, les habitudes alimentaires qui
constituent un déterminant majeur (consommation de produits laitiers, de
viande bovine, de poissons plus ou moins contaminés suivant les zones géo-
graphiques).
Concernant la signification biologique de ce type de dosages, il est important
de souligner qu’il n’y a pas de corrélation établie entre la charge corporelle et
la quantité de dioxines fixées au récepteur intracellulaire Ah (ou dose effec-
tive responsable des effets biologiques). Ce lien est d’autant plus difficile à
336 établir que diverses substances présentes dans l’environnement peuvent agir
Synthèse

comme agonistes (hydrocarbures aromatiques polycycliques comme par exem-


ple ceux présents dans la fumée de tabac) ou antagonistes (polyphénols) de ce
récepteur. De ce point de vue, les méthodes de dosage biologique (comme la
technique CALUX), qui permettent d’apprécier le degré d’activation du
récepteur Ah, apparaissent tout à fait complémentaires au dosage analytique
des dioxines et pourraient constituer des méthodes de dépistage pour identifier
les sujets ou populations plus exposés aux dioxines (et à d’autres ligands du
récepteur Ah).
Néanmoins, l’analyse des concentrations respectives des 17 congénères est
une étape indispensable dans l’évaluation biologique de l’exposition aux
dioxines car elle peut contribuer à l’identification des sources de contamina-
tion. La concentration de chaque congénère intègre de multiples facteurs :

SYNTHESE
quantités présentes dans l’environnement, bioaccumulation dans les chaînes
trophiques, biodisponibilité après absorption et transformation métabolique
chez l’homme (variable en fonction du composé). L’influence combinée de ces
facteurs détermine les proportions relatives de chacun des 17 congénères dans
les tissus biologiques humains. Pour cette raison, le profil des congénères dans
ces tissus diffère de façon plus ou moins importante de celui observé dans
l’environnement et dans divers vecteurs (produits laitiers).

90

80 Matières grasses de lait humain


% de la quantité totale PCDD/PCDF

Matières grasses de lait de vache


70 Émission d'incinérateur
60

50

40

30

20

10

0
1 3,6 ,8 eC D
1, ,2,3 ,7, -Hx DD
1, 3,4 ,8, Hx DD
2, ,7 -P D

4, ,8 xC D
7, p D
1, ,3,4 7,8 -TC

D
O D
3, ,7 H D
6, -H D
2, ,7 8- C

D
9- D
2, ,6 9- C

e F
2, ,7 Pe F
C

1, ,4 -P D
8, C
, 8

2, 7, x F
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1, 3,4, 8,9 xC F
1, ,2,3 ,7,

1, ,6, ,8-H CD

1, ,4 ,8 xC F
2, 3,7 8-H CD

1, 3,4 ,7,8 xC F
2, 6, -H D
3, ,8-T

4, ,9 pC F
2, ,6 -H D
1 2,3

F
2, ,7 -H D

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6, -H D

F
D
8
7

8, pC

CD s
2, 7,

C
,

Fs
lP D
3

2, ,7

O
2

2,

D
2,

C
7
3

,
1,

lP
3, ,8
3

7,

ta
ta
To
To
3

Profils représentatifs de la distribution des congénères PCDD et PCDF


dans différentes matrices 337
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

L’expression classique des résultats de l’analyse des 17 congénères sous forme


d’équivalent toxique TEQ ne permet pas de quantifier la présence des diffé-
rents congénères. Il y a parfois discordance pour certains congénères entre le
caractère cumulatif et le caractère toxique : le meilleur exemple est fourni par
l’OCDD qui constitue un composant majeur dans l’environnement et les
chaînes trophiques mais dont la contribution à l’activité biologique des dioxi-
nes (TEQ) dans l’environnement et les organismes vivants est très faible.

Imprégnation des populations


Il est désormais bien établi que les populations de travailleurs de l’industrie
chimique, de même que les populations de Seveso et de Yusho, ont été 100 à
1 000 fois plus exposées aux dioxines que ne le sont les populations soumises
essentiellement à une contamination alimentaire. En outre, l’analyse du profil
des congénères au sein de diverses populations démontre clairement que la
nature des congénères présents dans les tissus biologiques dépend des circons-
tances d’exposition (prédominance de 2,3,7,8-TCDD pour les populations de
Seveso, de PCDF pour celles de Yusho et Yu-Cheng ayant absorbé de l’huile de
riz contaminée par des PCB, de PCDD par rapport aux PCDF en ce qui
concerne le niveau de contamination de la population générale).

Concentrations sanguines relevées au sein de populations exposées aux


dioxines, en comparaison avec la population générale

Population Substances dosées (dates des Concentrations min-max


prélèvements) (en pgTEQ/g de matières grasses)

Populations fortement exposées


Seveso (Zone A) (1976) 2,3,7,8-TCDD (1976) 828-56 000 1
2
NIOSH (1951-1972) 2,3,7,8-TCDD (1987-1988) ND-3 400
3
Ranch Hand-Viêtnam 2,3,7,8-TCDD (1987) ND-618
(1962-1971)

Population générale
4
Allemagne (1996) PCDD, PCDF (1996) 6,1-41,5
1 2
TCP : trichlorophénol ; ND : non détecté ; : d’après Mocarelli et coll., 1991 ; d’après Piacitelli et coll., 1992 ;
3
d’après Rœgner et coll., 1991 ; 4 : d’après Wittsiepe et coll., 2000

Le suivi de diverses populations au cours des deux dernières décennies a


clairement mis en évidence une diminution importante (de près de 50 %) du
degré moyen d’imprégnation de la population générale dans divers pays. On
estime qu’un Européen de l’Ouest a une charge corporelle en moyenne de
100-200 ng TEQ. Une étude réalisée en Allemagne de 1991 à 1996, sur des
échantillons de sang provenant d’une population d’hommes de 10 à 80 ans,
338 montre une diminution des concentrations de dioxines sur la période étudiée
Synthèse

d’environ 12 % par an et confirme l’augmentation des concentrations de


dioxines en fonction de l’âge.
L’imprégnation des populations peut être également appréciée par les teneurs
dans le lait maternel. Les résultats obtenus dans différents pays européens sont
assez convergents même s’il est difficile de les comparer : beaucoup portent sur
un petit nombre de sujets, les échantillons sont généralement mélangés et les
conditions de recueil ne sont pas toujours précisées.
En France, une étude descriptive transversale réalisée en 1998 et 1999, por-
tant sur 244 échantillons de lait maternel répartis sur l’ensemble du territoire
français, rapporte une moyenne (arithmétique et géométrique) et une mé-
diane autour de 16 pg TEQ/g de matières grasses (écart-type 5,15) comparable

SYNTHESE
à celle des autres pays européens.

Teneurs en PCDD/PCDF des laits maternels en Europe

Pays Année Teneur (pg TEQ/g de matières grasses)1


(min-max)

Allemagne 1993 16,5


Autriche 1993 10,7-14,0
Belgique 1993 20,8-27,1
Danemark 1993 15,2
Espagne 1993 19,4-25,5
Finlande 1993 12,0-21,5
France* 1998-1999 16,4 (6,5-34,3)
Grande-Bretagne 1993-1994 17,9
Pays-Bas* 1992-1993 22,4 (10,0-35,9)
1
: données OMS (1996), sauf France (InVS/CAREPS, 2000) ; * : mesures effectuées sur échantillons individuels-
– dans les autres cas, les mesures ont été effectuées sur un ou plusieurs pools

Toxicité aiguë
La toxicité des PCDD et des PCDF a été démontrée expérimentalement sur de
nombreuses espèces animales, mais la plupart des études de toxicologie ont été
réalisées avec la 2,3,7,8-TCDD. Les doses létales 50 (DL 50) varient forte-
ment non seulement en fonction de l’espèce et de la souche, mais aussi du
sexe, de l’âge et de la voie d’administration. Ainsi, en administration orale, un
facteur 8 000 existe entre la DL50 (µg/kg) chez le cobaye, espèce la plus
sensible, et la DL50 chez le hamster syrien. En administration intrapérito-
néale, on trouve un facteur 300 entre le rat de souche Long Evans et le rat de
souche Han Wistar.
Parmi les effets toxiques constamment retrouvés, on note une perte progres-
sive de poids, une réduction des prises alimentaires, une atrophie du thymus et 339
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

Doses létales 50 (DL50) après administration orale de 2,3,7,8-TCDD dans


différentes espèces (d’après IARC, 1997)

Espèce/souche (sexe) DL 50 (µg/kg)

Cobaye Hartley (M) 0,6-2,0


Poulet NR < 25
Singe rhésus (F) 70
Rat Sherman, Spartan (M) 22
(F) 13-43
Rat Sprague-Dawley (M) 43
Rat Fischer Harlan (M) 340
Souris C57BL/6 (M) 181
Souris DBA2/2J (M) 2 570
Souris B6D2F1 (M) 296
Lapin/New Zealand 115
Hamster syrien (M et F) 1 157-5 051
M : mâle, F : femelle

Réponses toxiques aiguës après exposition à la 2,3,7,8-TCDD dans différentes


espèces (d’après IARC, 1997)

Espèce

Réponse Singe rhésus Cochon d’Inde Rat Souris Hamster syrien

Hyperplasie ou métaplasie
Muqueuse gastrique ++ 0 0 0 0
Muqueuse intestinale + ++
Tractus urinaire ++ ++ 0 0
Canal biliaire et/ou vésicule biliaire ++ 0 ++ 0
Poumon : foyer alvéolaire ++
Peau ++ 0 0 0 0
Hypoplasie, atrophie, ou nécrose
Thymus + + + + +
Moelle osseuse + + ±
Testicule + + + + +
Autres lésions
Lésions hépatiques + ± + ++ ±
Porphyrie 0 0 + ++ 0
Œdème + 0 0 + +
Hémorragie + + + + +
0 : aucune lésion observée ; + : lésion observée ; ++: lésion sévère observée ; ± : lésion observée de façon plus ou
moins importante

des hémorragies gastro-intestinales. D’autres signes caractéristiques de toxi-


cité sont présents au niveau du foie, de la peau et des glandes endocrines. Les
diverses lésions hépatiques comprennent : stéatose, hépatocytes géants, in-
flammation et nécrose ; au niveau de la peau, une chloracné, une hyperkéra-
340 tinisation, une involution des glandes sébacées et des kystes sébacés sont
Synthèse

constatés en particulier chez le singe, les rongeurs n’étant pas de bons modèles.
Dans les cultures cellulaires et in vivo, des altérations de l’activité de proliféra-
tion et de l’état de différenciation des cellules épithéliales sont mises en
évidence.
D’un point de vue biochimique, on observe au niveau du foie une induction
enzymatique, en particulier des cytochromes P450 de type 1A1 (CYP1A1),
une hyperlipidémie, une déplétion en vitamine A, ou encore l’apparition
d’une porphyrie.

Immunotoxicité chez l’animal

SYNTHESE
Les effets immunotoxiques de la 2,3,7,8-TCDD ont été étudiés dans de nom-
breuses espèces animales : souris, rat, cobaye, lapin, singe... Il n’a pas été
possible de définir un profil immunotoxicologique valable dans toutes les
espèces considérées. Une hypoplasie ou une atrophie du thymus est l’un des
effets les plus marquants chez les rongeurs, sans signification avérée en ce qui
concerne le statut immunologique de l’animal. La souris est nettement plus
sensible que le rat.

Effets immunotoxiques de la 2,3,7,8-TCDD : DMEO (dose minimale entraînant


un effet observé) (d’après IARC, 1997)

Espèce Protocole DMEO Effet

Singe rhésus 25 ng/kg 0,642 ng/kg/j & Lymphocytes


pendant 4 ans, vo
Singe ouistiti 0,3 ng/kg/sem 0,135 ng/kg/j & Lymphocytes
pendant 24 sem
Souris C57BL/6 1 ng/kg/sem 1 ng/kg/sem Immunosuppression
pendant 4 sem, vi Faible régénération des
lymphocytes T cytotoxiques
Souris B6C3F1 10 ng/kg 10 ng/kg à j 7 Augmentation de l’infection virale
7 j après la fécondation (chez la descendance)
Cochon d’Inde 8-200 ng/kg/sem 8 ng/kg/sem Immunosuppression
pendant 8 sem 200 ng/kg/sem Faible réponse à la toxine
tétanique
vo : voie orale ; vi : voie intrapéritonéale ; sem : semaine ; j : jour

L’intensité de la dépression de l’immunité humorale et cellulaire varie en


fonction de l’espèce. L’effet dépresseur sur l’immunité humorale est constant
chez la souris. Les défenses non spécifiques (phagocytose) ne sont pas tou-
chées. Une diminution de la résistance à une infection expérimentale est
souvent, mais inconstamment, retrouvée. Il n’existe aucune donnée en faveur
d’un éventuel potentiel sensibilisant de la 2,3,7,8-TCDD sur l’induction de
maladies auto-immunes. Les mécanismes en cause dans l’immunotoxicité ne
sont pas élucidés. 341
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

Un aspect particulier concerne les effets immunotoxiques après exposition in


utero. Les données animales démontrent une sensibilité nettement plus grande
vis-à-vis de la 2,3,7,8-TCDD pendant cette période.

Effets sur la reproduction et le développement


chez l’animal
Les effets de la 2,3,7,8-TCDD sur la reproduction et le développement ont été
étudiés dans de nombreux modèles animaux. Les résultats obtenus chez les
rongeurs ainsi que chez d’autres espèces montrent que la sensibilité est très
variable d’une espèce à l’autre, à l’intérieur d’une même espèce et même entre
les différentes souches.
Des effets sur la production de gamètes et la fécondation ont été mis en
évidence. La 2,3,7,8-TCDD a une influence négative sur la taille des organes
reproducteurs, sur le nombre de spermatozoïdes et sur la quantité d’ovules
disponibles par maturation folliculaire. La diminution de fertilité observée est
cependant modérée. La fertilité est surtout réduite dans le cas d’exposition des
femelles à la 2,3,7,8-TCDD, et ceci d’autant plus qu’elles ont été exposées
durant la période d’organogenèse. L’axe hypothalamo-hypohysaire semble
être le siège principal des dysfonctionnements. La diminution de la fécondité
est aussi liée à la baisse de l’activité sexuelle chez les rongeurs.
L’exposition de la mère semble avoir peu d’effets sur l’étape de nidification. Le
récepteur Ah est exprimé par l’embryon chez la souris dès le stade 8 cellules, et
seul un effet de différenciation plus précoce du trophectoderme (blastocœle)
est observé chez certains rongeurs.
Les effets tératogènes documentés concernent des problèmes de différencia-
tion sexuelle, de fentes palatines, d’hydronéphrose, de troubles de l’organoge-
nèse dentaire chez le rat et la souris, de formation du système nerveux central
(poulet), d’atteinte auditive (rat), et d’atteinte du thymus dans tous les
modèles animaux. Le mécanisme d’action de la 2,3,7,8-TCDD implique un
trouble dans l’apparition séquentielle des facteurs de croissance (comme le
TGFß – transforming growth factor) au sein de l’embryon, indispensable à une
organogenèse réussie.
Les études de l’organogenèse dentaire des rongeurs ont mis en évidence la
perturbation par la 2,3,7,8-TCDD de l’expression de différents facteurs de
croissance impliqués dans l’élaboration de la dent, le tissu le plus sensible
étant l’émail dentaire. Cet effet a été reproduit dans les cultures de tissus
fœtaux humains.
Au moment de l’organogenèse, il existe une grande différence de sensibilité
entre les espèces et dans une même espèce entre les différentes souches. Les
souches sensibles de rongeurs peuvent présenter une fente palatine pour des
342 concentrations de 2,3,7,8-TCDD de 1 pg/mg de tissu palatin.
Synthèse

Dans une étude effectuée chez des singes rhésus femelles exposées pendant
4 ans à la 2,3,7,8-TCDD via leur alimentation, on a constaté 10 ans après la
fin du traitement la présence d’une endométriose. L’incidence de l’endomé-
triose était directement corrélée avec l’exposition à la 2,3,7,8-TCDD et la
sévérité de la maladie était dépendante de la dose administrée.
La diminution observée de la tétra-iodothyronine chez les rats exposés à la
2,3,7,8-TCDD in utero n’est statistiquement significative que chez les femel-
les. Les singes rhésus soumis à de faibles doses (proches des doses environne-
mentales) de 2,3,7,8-TCDD présentent une atteinte significative des tests
d’apprentissage relatifs à l’espace. Cette atteinte n’est plus significative quand
les tests d’apprentissage sont liés aux couleurs.

SYNTHESE
Effets sur la reproduction et le développement : DMEO (dose minimale
entraînant un effet observé)

Espèce Dose, voie, durée DMEO Effet


d’administration

Singe rhésus 5 et 25 ng/kg/j nourriture 0,642 ng/kg/j Fœtotoxicité


de la mère, 4 ans 0,126 ng/kg/j Endométriose (mère)
0,126 ng/kg/j & Reconnaissance objet
Rat Sprague-Dawley 1-100 ng/kg à la mère, 10 ng/kg/j Fœtotoxicité
chronique ou
30 ng/kg/j à la mère,
6-15e j de grossesse
Rat Long-Evans 50, 200, 800 ng/kg/j au 200 ng/kg/j Formation filaments vaginaux
15e j de grossesse
Rat Holtzmann 64 ng/kg/j à la mère au 64 ng/kg/j & Capacité de reproduction
15e j de grossesse chez le mâle

Effets cancérogènes chez l’animal


Dans la famille des dioxines, c’est la 2,3,7,8-TCDD qui a été la plus étudiée sur
le plan de la cancérogenèse. Sept études de cancérogenèse expérimentale à
long terme ont été faites chez le rongeur, trois chez le rat, trois chez la souris et
une chez le hamster. Chez le rat et la souris, le foie est la principale cible de
cancer, mais d’autres sites (thyroïde, poumons, cavité orale) peuvent être
également concernés. L’incidence moyenne des tumeurs (adénomes et carci-
nomes) est proche de 50 % et fait apparaître une susceptibilité très marquée
selon le sexe. Chez le rat, les femelles se révèlent nettement plus sensibles que
les mâles ; ce sont au contraire les mâles qui sont affectés chez la souris. Cette
différence de susceptibilité selon le sexe est inverse de celle généralement
observée dans les deux espèces lors d’études d’hépatocancérogenèse classiques.
Si la 2,3,7,8-TCDD est qualifiée de « plus puissant cancérogène connu » et de
cancérogène complet par l’US-Environnemental protection agency (US EPA),
c’est parce que chez l’animal, des doses effectivement très faibles induisent des 343
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

cancers après une administration sur une longue période. Un cancérogène


complet est une substance qui, appliquée seule à l’animal pendant deux ans,
donne une augmentation significative du nombre de tumeurs. Cependant, la
2,3,7,8-TCDD n’est pas mutagène et n’induit pas directement de lésions sur
l’ADN, contrairement à la capacité commune des agents génotoxiques.
D’après l’ensemble des données expérimentales disponibles, le Centre inter-
national de recherche sur le cancer (IARC) estimait toutefois en 1997 qu’il
existait une « évidence suffisante » pour une activité cancérogène de la
2,3,7,8-TCDD chez l’animal.

Activité cancérogène hépatique de la 2,3,7,8-TCDD

Espèce Dose effective Durée du traitement Tumeurs


(µg/kg) (sem) (%)

Rat 0,1/j 104 40 (F)


Sprague-Dawley
Rat 0,5 × 2/sem 104 25 (F)
Osborne-Mendel
Rat 1,75 × 2/sem 30 0
Sprague-Dawley
Souris Swiss/H/Riop 0,7/sem 52 47
7,0/sem 52 30
Souris B6C3F1 M : 0,5 × 2/sem 104 34
F : 2,0 × 2/sem 104 13
Souris C57Bl × C3H 5,0/sem 52 19 (F) et 66 (M)
M : mâle ; F : femelle ; sem : semaine ; j : jour

En l’état actuel des connaissances sur les effets cancérogènes de la 2,3,7,8-


TCDD, il est possible d’émettre trois hypothèses concernant le mécanisme
d’action :
• l’inhibition de l’apoptose favorise la survie de cellules précancéreuses par
rapport aux cellules normales ;
• le déclenchement de processus oxydatifs, via le récepteur Ah et l’induction
massive des CYP1A, provoque des lésions oxydatives de l’ADN ;
• les effets cytotoxiques de la 2,3,7,8-TCDD à bas niveau induisent une
prolifération régénératrice discrète qui favorise la fixation de mutations de
l’ADN, elles-mêmes provoquées par d’autres voies.

Effets cancérogènes chez l’homme


De nombreuses études épidémiologiques ont évalué les effets des dioxines sur
le développement de cancers chez l’homme. Les études épidémiologiques les
plus informatives sont celles qui ont étudié d’une part la population de Seveso,
344 qui fut accidentellement exposée aux dioxines (2,3,7,8-TCDD) en 1976, et
Synthèse

d’autre part les travailleurs exposés dans les usines produisant des herbicides,
des chlorophénols et des chlorophénoxy contaminés par des PCDD ou des
PCDF. Dans ces études prospectives, des efforts considérables ont été faits pour
mesurer l’exposition des populations aux dioxines. Les niveaux d’exposition
étaient de 100 à 1 000 fois plus élevés que ceux de la population générale.

Cohortes de populations fortement exposées

Cohortes Caractéristiques

NIOSH États-Unis, 12 usines


IARC Internationale, 10 pays, 20 cohortes

SYNTHESE
Allemande Allemagne, 4 usines
BASF Allemagne, 1 usine
Boehringer Allemagne, 1 usine
Hollandaise Pays-Bas, 2 usines
Seveso Italie, population de Seveso
US Air Force Ranch Hand États-Unis, anciens combattants du Viêtnam

Des excès de risque faibles pour tous cancers confondus ont été trouvés dans
toutes les cohortes industrielles pour lesquelles l’exposition aux PCDD/PCDF
était correctement évaluée. Cet excès de risque était de l’ordre de 40 %,
20 ans après la première exposition. Des risques plus élevés étaient constam-
ment retrouvés chez les travailleurs ayant les expositions les plus élevées. A
Seveso, le risque global de cancer n’était pas augmenté dans les premières
analyses mais tend à s’élever dans les cinq dernières années. On retrouve un
risque plus élevé pour certains cancers (lymphomes, myélomes multiples,
sarcomes des tissus mous, cancers du poumon, cancers du foie) dans certaines
études mais, dans l’ensemble, les résultats n’apparaissent pas cohérents et il ne
semble pas qu’un cancer particulier prédomine dans les populations exposées.

Mortalité par cancer dans les cohortes industrielles fortement exposées aux
PCDD/PCDF

Source Effectif exposé Nombre de décès SMR* (95 % CI)

Cohorte internationale IARC** 13 831 394 1,2 (1,1-1,3)***


Cohorte NIOSH 5 142 40 1,6 (1,2-1,8)
Cohorte allemande 1 279 105 1,3 (1,0-1,5)
Cohorte hollandaise 549 51 1,5 (1,1-1,9)
Cohorte BASF 113 18 1,9 (1,1-3,0)
*standardized mortality ratio ; **20 ans après la première exposition ; ***pour les groupes des cohortes les plus
exposées 345
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

On peut faire un certain nombre d’observations après examen des résultats de


ces études sur le risque de cancer. Premièrement, il y a peu de précédents de
cancérogène influant sur l’augmentation du risque de cancers sans prédomi-
nance pour un cancer spécifique. Deuxièmement, les excès de risque retrouvés
dans les cohortes industrielles sont statistiquement très significatifs et un effet
du hasard peut être exclu. Malgré cela, l’évaluation de ces résultats doit être
faite avec prudence, étant donné que les risques globaux ne sont pas très
élevés. Des biais potentiels dus à des facteurs de confusion comme le tabac ou
l’exposition à d’autres substances chimiques industrielles ne peuvent pas être
totalement écartés. Enfin, l’évidence la plus forte provient d’études concer-
nant des sujets ayant des niveaux d’exposition de 100 à 1 000 fois plus élevés
que la population générale. Pour extrapoler ces résultats à la population
générale, il faudrait présumer que les effets sont similaires à doses élevées et à
doses faibles. En l’état actuel des connaissances, aucun cas de cancer n’a pu
être formellement attribué à une exposition aux dioxines en population
générale.

Autres effets toxiques chez l’homme


Il a été montré à maintes reprises que l’exposition à des doses relativement
élevées de dioxines entraîne des effets dermatologiques (chloracné). Cepen-
dant, il ne semble pas exister de relation directe entre le niveau d’exposition et
cette manifestation.
Des études chez les travailleurs de l’industrie et dans la population exposée
accidentellement à Seveso ont montré une élévation transitoire des enzymes
hépatiques. Une augmentation des GGT (gamma glutamyl transférases) a été
observée chez les enfants de Seveso peu de temps après l’accident, mais elle
avait disparu cinq ans plus tard. Il en est de même pour l’acide D-glucarique
chez les enfants et les adultes. Les niveaux sériques de transaminases (glutami-
que, oxalo-acétique et pyruvique) n’étaient pas augmentés une dizaine d’an-
nées après l’exposition.
Un risque augmenté de maladies cardiovasculaires et une modification des
taux de lipides sanguins (cholestérol total et triglycérides augmentés) ont été
observés dans certaines études de travailleurs de l’industrie, à Seveso et dans
l’étude Ranch Hand (anciens combattants du Viêtnam exposés à l’agent
orange, mélange défoliant fortement contaminé en dioxines). Cependant, les
résultats ne sont pas entièrement cohérents entre les différentes études. Un
risque augmenté de diabète a été retrouvé à Seveso et dans la cohorte Ranch
Hand. L’ensemble des résultats indique une augmentation de la mortalité
cardiovasculaire pour les groupes les plus exposés.
D’autres effets ont été décrits, comme des modifications de la fonction thyroï-
dienne, des effets neurologiques ou neuropsychologiques, mais les résultats
346 reposent sur peu d’observations.
Synthèse

Mortalité par maladie cardiovasculaire pour les populations fortement


exposées

Populations SMR* (95 % CI)

Cohorte BASF 0,6 (0,2-1,3)


Cohorte IARC 1,7 (1,2-2,3)
Cohorte hollandaise 1,9 (0,9-3,6)
Cohorte Boehringer 1,4 (0,7-2,8)
Cohorte Ranch Hand 1,5 (1,0-2,2)
Cohorte NIOSH 1,8 (1,1-2,9)
Cohorte Seveso 1,6 (1,2-2,5)

SYNTHESE
*SMR : standardized mortality ratio

Les données humaines sur l’immunotoxicité sont relativement nombreuses,


mais contradictoires. Elles concernent des expositions dont la nature (dioxine
et « dioxin-like ») et l’importance ne sont pas connues avec précision. Les
modifications rapportées, très variables, ne permettent pas de conclure quant
au potentiel immunotoxique des dioxines et il ne semble pas possible en l’état
des connaissances d’aboutir à une évaluation réaliste du risque immunotoxi-
que pour les individus ou les populations exposés.

Effets (autres que cancérogènes) concernant les populations fortement exposées


aux dioxines

Effet Évidence épidémiologique

Effets dermatologiques (chloracné) Association prouvée


Effets gastrointestinaux et enzymes hépatiques Augmentation temporaire des enzymes hépatiques
Maladies cardiovasculaires et changements des Association positive dans la plupart des études à
concentrations lipidiques fortes doses mais résultats pas entièrement
cohérents
Diabète Augmentation des risques à Seveso et Ranch-Hand
(morbidité)
Fonction thyroïdienne Quelques petites différences de taux (#) rapportées
pour T4, TSH, TBG et T3
Effets neurologiques et psychologiques Quelques effets rapportés à Seveso et Ranch-Hand
(polyneuropathies, troubles de la coordination).
Données non cohérentes.
Aucune association avec la dépression
Appareil respiratoire Données discordantes. Irritation et réduction du
volume expiratoire forcé dans certaines études
Appareil urinaire Pas de dysfonction majeure observée des reins ou
de la vessie
Système immunitaire Données non cohérentes
T4 : tétraiodothyronine (thyroxine) ; TSH : thyroid stimulating hormone ; TBG : thyroxin binding globulin ; T3 :
triiodothyronine 347
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

Effets sur la reproduction et le développement


chez l’homme
La plupart des études épidémiologiques menées sur les effets sur la reproduc-
tion et le développement concernent l’exposition paternelle. Il s’agit du suivi
des cohortes fortement exposées à la 2,3,7,8-TCDD et autres PCDD comme
les cohortes de Seveso et de Ranch Hand, ainsi que les populations industriel-
les. La plupart des études ont cependant une trop faible puissance pour
détecter une augmentation du risque de malformation à la naissance et les
résultats sont discordants concernant l’augmentation de risque d’avortements
spontanés. Les études relatives aux expositions industrielles aux dioxines et à
l’agent orange mettent en évidence une augmentation non significative des
spina bifida et des cardiopathies congénitales. Après l’accident de Seveso, il
n’a pas été mis en évidence d’excédent de malformations majeures, mais une
modification du sex-ratio à la naissance chez les enfants nés de couples très
exposés, avec une nette prédominance des filles sur les garçons. Ce phéno-
mène atteint plus particulièrement la descendance des sujets âgés de moins de
19 ans au moment de l’exposition. Les résultats concernant des modifications
de taux d’hormones impliquées dans la reproduction sont contradictoires.
Quelques études mettent en évidence une atteinte de la fertilité lors d’expo-
sitions accidentelles ou industrielles. Il s’agit essentiellement d’anomalies de
la spermatogenèse : hypoasthénospermie et tératospermie. Toutes les études
n’ont pas confirmé ces atteintes.
Dans les études sur les effets liés à une exposition environnementale, il existe
de façon quasiment inéluctable une co-contamination par les PCB. Les don-
nées recueillies sur le développement des enfants exposés in utero à des doses
voisines de la limite supérieure des doses environnementales en PCB sont
assez cohérentes. Tant dans la cohorte du Michigan que dans les études
européennes (Pays-Bas, Finlande et Suède), on retrouve chez les enfants les
plus exposés in utero une diminution du poids de naissance, de la taille et du
périmètre crânien. Dans l’étude finlandaise, on a observé chez certains enfants
la présence d’anomalies de formation de l’émail des dents (prémolaires) qui
pourraient être en relation avec l’exposition au cours de l’allaitement. Chez
les pêcheurs suédois, on a constaté une augmentation du temps nécessaire
pour concevoir, proportionnelle à la quantité de poisson consommé. Il n’y pas
encore de résultats concernant les effets sur le système reproducteur féminin,
comme l’endométriose ou les effets sur la fertilité. On note par ailleurs dans ces
études une incidence significativement élevée d’anomalies biologiques (sans
manifestations cliniques) ainsi que des atteintes thyroïdiennes, immunitaires
et de la coagulation.
Les études des années soixante-dix, réalisées aux États-Unis (en Caroline du
Nord et dans les Grands Lacs) concernant les atteintes neuro-
développementales ont montré une corrélation inverse entre les taux de PCB
348 chez les enfants et leur score de réussite dans des tests de développement
Synthèse

cognitif et neuromoteur. Le retard neuromoteur se corrige dans la première


année de vie, mais le retard développemental subsiste et, à 11 ans, on observe
encore des performances moins bonnes en arithmétique. Dans les séries euro-
péennes (Pays-Bas, Allemagne) des résultats analogues ont été observés mais
le suivi ne va pas au-delà de 3 ans et demi, âge auquel les anomalies persistent.
Bien que l’allaitement apporte beaucoup de dioxines et de PCB, ce sont les
taux à la naissance qui paraissent déterminants pour les effets observés sur le
développement neuro-comportemental.
Les données d’épidémiologie suggèrent donc que, même lors d’expositions de
type environnemental, le fœtus humain pourrait être vulnérable aux hydro-
carbures aromatiques polycycliques halogénés (HAPH). Il faut souligner que
les études en question concernent plus les PCB que les dioxines. Cependant,

SYNTHESE
l’exposition aux dioxines est corrélée à celle des PCB.

Cascade moléculaire impliquant le récepteur Ah


Les dernières années ont vu s’accomplir des progrès considérables relatifs à
l’élucidation du mécanisme moléculaire responsable des manifestations toxi-
ques de la dioxine (la 2,3,7,8-TCDD étant considérée comme référence). Le
caractère indispensable du récepteur Ah dans la médiation de certains effets
de la 2,3,7,8-TCDD est désormais acquis grâce aux travaux récents ayant
abouti à la création indépendante de trois lignées murines d’invalidation du
gène du récepteur Ah. En l’absence de ce gène, on n’observe pas les manifes-
tations classiquement décrites (hépatotoxicité, cancers, malformations).
La structure du récepteur Ah, présent à l’état quiescent dans le cytoplasme, est
connue avec précision. Elle est apparentée aux récepteurs nucléaires à do-
maine PAS (Per-AhR-Sim) qui interagissent avec l’ADN, grâce à leur seg-
ment amino-terminal basique-hélice/boucle/hélice (b-HLH), au niveau de
séquences reconnues (TNGCGTG) dans la région 5’ régulatrice des gènes
qu’ils transactivent. Les protéines qui présentent un domaine PAS participent
à la fonction ancestrale d’établissement des rythmes biologiques circadiens.
L’activation du récepteur Ah par un ligand comme la 2,3,7,8-TCDD conduit
à une cascade d’événements. Le récepteur, engagé à l’état quiescent dans un
complexe multiprotéique, se sépare de ses protéines chaperons (protéine de
choc thermique Hsp90, p23, AIP (AhR interacting protein), ARA9 (Ah receptor
associated protein){) et peut pénétrer dans le noyau et se dimériser avec une
protéine partenaire nommée Arnt (AhR nuclear translocator). Les états de
phosphorylation respectifs de ces deux partenaires modulent la capacité du
complexe binaire à interagir avec l’ADN et à induire la transcription de gènes
cibles (coopération avec la machinerie transcriptionnelle et des facteurs de
transcription spécifiques). Les séquences DRE (Dioxin responsive elements),
reconnues par le complexe AhR-Arnt dans la région régulatrice des gènes
cibles, sont présentes dans un nombre considérable de gènes (cytochromes 349
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

P450 1A, 1B{), qui ne sont pas tous identifiés. Une boucle d’autorégulation
de ces inductions existe : le récepteur Ah induit la transcription de son propre
répresseur, AhRR, une forme tronquée du récepteur, constitutivement acti-
vée, qui entre en compétition avec le récepteur Ah natif pour le recrutement
de Arnt et la formation d’un dimère dépourvu d’activité transcriptionnelle.

p23
Interaction potentielle avec des voies
c-Src de signalisation des protéines kinases
pp60 src
Cytoplasme Hsp 90 Influence du degré
PKC de phosphorylation des partenaires
inhibiteur PKC
Dioxine CBP/
(TCDD) p23
p300 synergie
AHR
Facteurs de
Arnt Transcription
ADN TNGCGTG

AIP et/ou Ara 9 Noyau "XRE" 1/2 boîte E

Répresseur, induit par la TCDD,


il exerce une boucle AHRR
de rétrocontrôle négatif

Cascade moléculaire impliquant le récepteur Ah (aryl hydrocarbon)


(Hsp : protéines de choc thermique ; AIP : AhR interacting protein ; Ara 9 : Ah receptor
associated protein ; Arnt : AhR nuclear translocator ; src : sarc ; PKC : protéine kinase C ;
CBP : CREPB (cAMP response element-binding protein) ; XRE : xenobiotic responsive
element ; AhRR : forme tronquée de AhR à fonction de répresseur)

La plupart des effets de la 2,3,7,8-TCDD passent par l’activation du récepteur


Ah qui initie une cascade d’événements impliquant différentes voies de
signalisation (protéines kinases, phosphatases). Les effets de la 2,3,7,8-TCDD
empruntent majoritairement la voie de signalisation transcriptionnelle du
récepteur Ah. Cependant, les étapes de son activation dans le cytosol aug-
mentent la disponibilité de kinases biologiquement très actives. De cette
manière, l’activation du récepteur Ah est susceptible d’interférer avec d’autres
voies de signalisation cellulaire qu’il faut prendre en considération.
Les études de pharmacologie comparée établissent des valeurs d’affinité de la
2,3,7,8-TCDD pour le récepteur Ah situées entre 1 et 10 nM pour la plupart
des espèces. Ces différences d’affinité (relativement faibles) ne peuvent expli-
quer les variations de niveau des effets toxiques observées entre les différentes
espèces. Conjointement, des lignées de rongeurs ayant des affinités équivalen-
tes pour le récepteur Ah présentent des DL50 variant d’un facteur 5 000. Il
apparaît que l’affinité de la 2,3,7,8-TCDD pour le récepteur ne constitue pas la
clé exclusive de l’interprétation des disparités de sensibilité à la 2,3,7,8-
350 TCDD entre les espèces.
Synthèse

Conséquences de l’induction des cytochromes P450


Un des mécanismes de la toxicité des dioxines les plus étudiés, et qui semble
peu contesté, est le déclenchement d’un stress oxydant. Ce stress peut être
mesuré de plusieurs façons : mesure directe des espèces réactives de l’oxygène,
peroxydation lipidique ou formation de 8-hydroxyguanine. Les mécanismes
par lesquels la dioxine provoque un stress oxydant peuvent être multiples.
L’induction des cytochromes P450 (CYP) est une voie possible. Les CYP sont
des monooxygénases, enzymes détoxifiantes dites de phase I, qui métabolisent
les xénobiotiques, en particulier les hydrocarbures polycycliques. La phase I
consiste le plus souvent en une oxygénation du xénobiotique permettant par
la suite l’addition d’un groupement hydrophile par les enzymes de la phase II.

SYNTHESE
Il est bien établi que les monooxygénases produisent au cours de leur cycle
catalytique des espèces réactives de l’oxygène (ERO) responsables d’un stress
oxydant. En présence de certains substrats dits « découplés », la réaction
d’oxygénation est incomplète et produit de l’eau oxygénée (H2O2) ou l’anion
superoxyde : ce dernier, transformé en H2O2 par la superoxide dismutase, peut
donner un radical hydroxyl (OH.) en présence de fer (réaction de Fenton).
Ces composés oxygénés sont très réactifs et peuvent provoquer des lésions sur
l’ADN, des altérations des protéines et des modifications au niveau des lipides.

Substrat « couplé »
CYP
RH + O2 R-OH + H2O

Substrat « découplé »

RH + O2
CYP .
RH + O2

O2
SOD
H2O 2
Fe
OH .
(SOD = superoxyde dismutase)

Production d’espèces réactives de l’oxygène par les cytochromes P450 (CYP)

La dioxine induit l’expression de trois cytochromes P450 de type 1 : CYP1A1,


CYP1A2 et CYP1B1. CYP1A1 est le prototype du gène inductible par les
dioxines. Les dioxines induisent également l’expression des gènes codant pour
les enzymes de phase II qui interviennent dans la détoxication des métabolites
générés par le CYP1A1. L’équilibre entre les enzymes de phase I et II est donc
important pour la détoxication des xénobiotiques. Comme les CYP métaboli-
sent de nombreuses substances endogènes ou exogènes, la dioxine peut modi-
fier le métabolisme de ces substances ; il est donc nécessaire d’envisager les
interactions entre la dioxine et des xénobiotiques comme le benzo[a]pyrène,
par exemple en cas de tabagisme.
Les cytochromes P450 induits par la dioxine métabolisent l’œstradiol (E2).
Cette induction participe aux effets antiœstrogéniques de la dioxine et selon 351
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

le CYP mis en jeu, génère des métabolites non toxiques ou génotoxiques. Le


CYP1A1 hydroxyle principalement la position 2 de E2, et un composé non
toxique est formé. Le CYP1B1 hydroxyle principalement la position 4, ce qui
conduit à un métabolite réactif capable de former des adduits à l’ADN, et
donc potentiellement génotoxique.

CYP1A1 CYP1B1
2-OH-E2 E2 4-OH-E2

Détoxication Adduits à l'ADN


Mutagenèse

Schéma simplifié du métabolisme de l’œstradiol (E2) par les cytochromes P450


(CYP)

Un des aspects essentiels de la toxicité des xénobiotiques est la notion de


susceptibilité individuelle d’origine génétique. Une susceptibilité différente
des individus peut être due à un profil génétique particulier, par exemple dans
les gènes du métabolisme des xénobiotiques et les gènes régulateurs. Ce type
d’études commence juste à être réalisé pour comprendre les effets de la dioxine
chez l’homme. Concernant le CYP1A1, il semble que les individus pourraient
être classés en trois catégories : fortement, moyennement ou faiblement in-
ductibles. Par ailleurs, des travaux ont été réalisés pour tenter de corréler
l’expression de gènes du métabolisme des xénobiotiques ou leurs polymorphis-
mes et l’apparition de cancers chez l’homme. Les résultats concernant le
CYP1A1, encore très préliminaires, sembleraient indiquer un lien entre diffé-
rents variants de ce gène et le risque de développer certains types de cancers
du poumon.

Mécanismes d’action impliquant le récepteur Ah


dans les pathologies endocrines
Le concept de perturbateur endocrinien s’applique à des molécules capables
d’imiter ou de bloquer les hormones naturelles, en particulier pendant les
étapes cruciales de la vie in utero et du développement. Avant même tout effet
antagoniste direct, les dioxines perturbent la sphère endocrine en modifiant la
stéroïdogenèse. L’effet inhibiteur exercé par les dioxines sur toutes les hormo-
nes stéroïdes, aussi bien œstrogènes, progestatives qu’androgènes, en modu-
lant notamment les voies de signalisation de ces hormones, pourrait rendre
compte des effets pathogènes observés au niveau du tractus génital mâle et de
l’endométriose chez le singe et le rat femelle. Les dioxines semblent aussi
perturber les effets de l’hormone lutéotrope sur l’ovulation.
Différents mécanismes mettant en jeu une altération de la fonction endocrine
352 par les dioxines peuvent être également évoqués à propos des effets toxiques
Synthèse

observés chez l’animal et l’homme : perturbation du transport des hormones


thyroïdiennes ; modification de l’expression des cytokines et involution thy-
mique dans les effets immunotoxiques ; inhibition de l’expression de facteurs
de croissance (comme le TGFß et l’EGF – epidermal growth factor) et de la
vitamine A dans la survenue de manifestations cutanées (chloracné) chez
l’homme ; inhibition du transport du glucose en lien avec la mise en évidence
récente de diabète dans les populations fortement exposées ; perturbation des
interleukines dans certaines maladies inflammatoires associées à l’exposition
aux dioxines. Ainsi, dans les maladies cardiovasculaires comme l’athérosclé-
rose, signalées dans certaines cohortes, on peut penser que les dioxines aug-
mentent l’expression de facteurs inflammatoires (élévation des cytokines) qui
sont capables de provoquer un stress oxydant délétère pour les cellules endo-

SYNTHESE
théliales des vaisseaux.
Au regard de l’avancée des connaissances sur les multiples modes d’action des
dioxines, on peut envisager la participation de ces substances dans le dévelop-
pement de certaines pathologies : l’ostéoporose (les dioxines sont des antiœs-
trogènes) et l’endométriose (les dioxines sont de puissants antiprogestatifs).
Les dioxines pourraient également être impliquées dans l’évolution de mala-
dies neuro-dégénératives, par inflammation et induction de gènes spécifiques.
De nombreuses voies de recherche sont ouvertes afin, d’une part, d’identifier
le ligand naturel du récepteur Ah et, d’autre part, de cerner le domaine
physiopathologique de ce récepteur en fonction du ligand. La découverte de
nouveaux gènes cibles endocriniens, métaboliques, neurologiques ou encore
viraux, inductibles ou répressibles par les dioxines, devrait permettre de mieux
comprendre les pathologies liées à ces molécules.

Modèles toxicocinétiques pour l’évaluation de risque


La distribution des dioxines est conditionnée par la teneur en graisses des
différents tissus et leur concentration en cytochrome P450 (CYP). Chez
l’homme, aux concentrations habituellement rencontrées, l’effet de séquestra-
tion de la 2,3,7,8-TCDD par les CYP n’est sans doute pas important et c’est la
fraction lipidique des tissus qui détermine sa distribution. La mobilisation des
graisses durant la lactation diminue le stock de 2,3,7,8-TCDD des mères, mais
transfère ce stock à l’enfant. Le métabolisme est le facteur limitant de l’élimi-
nation (très lente) des dioxines. Les congénères les moins substitués sont les
plus rapidement éliminés. Le métabolisme conduit à la substitution de chlore
par des groupements hydroxyle et éventuellement à la formation de dichloro-
catéchol. Les métabolites sont éliminés dans la bile.
Les données animales indiquent que la demi-vie de la 2,3,7,8-TCDD dans
l’organisme est de 10 à 30 jours chez la souris et le rat et de 1 an environ chez
le singe. 353
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

Des modèles toxicocinétiques ont été développés soit pour analyser quantita-
tivement des données animales de toxicologie moléculaire visant à élucider
les mécanismes d’action, soit pour déterminer rétrospectivement les exposi-
tions humaines et les demi-vies de la 2,3,7,8-TCDD dans les cohortes épidé-
miologiques de Ranch Hand et de Seveso, soit encore pour évaluer prospecti-
vement les risques pour la santé humaine.
L’analyse toxicocinétique des données humaines indique que la demi-vie
d’élimination est d’environ 8,5 ans pour les cohortes professionnelles et de
15,5 ans pour la population générale. Cette demi-vie varie fortement entre
individus (par exemple en fonction de leur poids corporel) et augmente avec
l’âge : certains individus présentent des demi-vies d’élimination de la 2,3,7,8-
TCDD allant jusqu’à 30 ans. L’homme accumule au total beaucoup plus la
2,3,7,8-TCDD que ne le fait l’animal.
Des modèles toxicocinétiques physiologiques ont été utilisés pour simuler et
prédire l’effet de la 2,3,7,8-TCDD sur l’induction de CYP, l’expression du
TGFß et de l’EGF, le métabolisme de l’œstradiol, le devenir de la vitamine A
ou l’action sur les hormones thyroïdiennes, chez l’animal et chez l’homme. Les
résultats obtenus sur l’induction de CYP1A1 et CYP1A2 et sur la réduction de
l’EGF sont compatibles avec un modèle sans seuil. Cependant, l’effet cancé-
rogène de la 2,3,7,8-TCDD dans le foie de rat ne dépend sans doute pas
seulement de l’action via les CYP.
Le but de ces modèles est en partie de mieux transposer à l’humain les résultats
obtenus chez l’animal, en s’affranchissant de facteurs de sécurité arbitraires. Il
est possible d’utiliser de tels modèles pour une évaluation détaillée des risques
de la 2,3,7,8-TCDD, en particulier dans le cas de contaminations accidentel-
les.
La toxicocinétique des dioxines explique partiellement les différences de
toxicité entre espèces et indique une susceptibilité accrue pour l’humain en
raison de la durée de vie et de la charge corporelle. Au regard des incertitudes
sur la signification de l’accumulation des dioxines dans le foie pour certaines
espèces, il n’est pas déraisonnable de baser les estimations de risques sur les
charges corporelles. La charge corporelle, chez l’homme, dépend fortement de
la demi-vie du produit considéré et les études récentes montrent une grande
variabilité de ce paramètre dans la population. Il est donc nécessaire de tenir
compte, dans l’évaluation des risques, de l’existence de populations sensibles
aux effets des dioxines.

Évaluation du risque pour des expositions chroniques


à faibles doses
La démarche d’évaluation des risques pour les dioxines, proposée par l’Acadé-
354 mie des sciences américaine (1983), s’intéresse plus particulièrement à l’étape
Synthèse

d’estimation des relations dose-réponse. Il est possible de distinguer qualitati-


vement les effets déterministes (dont la gravité est fonction de la dose) qui
présentent un seuil d’action, des effets stochastiques dont la fréquence est
fonction de la dose et pour lesquels il est admis qu’il n’existe pas de seuil
d’action. C’est le cas par exemple des cancerogènes génotoxiques. À partir des
connaissances disponibles sur le mécanisme d’action, ou empiriquement à
partir d’ajustements de courbes dose-réponse, on détermine si l’on considère
des effets déterministes ou des effets stochastiques.
Sur un plan quantitatif, on définit pour les effets déterministes une dose sans
effet observable (DSEO) ou à défaut une dose minimale pour laquelle on
observe un effet (DMEO). Dans ce cas, ce n’est pas un risque qui est déterminé
mais une dose journalière acceptable, en divisant les doses ci-dessus mention-

SYNTHESE
nées par une série de facteurs de sécurité. Pour les effets stochastiques, il faut
calculer la pente de la courbe dose-réponse pour une unité de dose quoti-
dienne. On peut alors évaluer un risque à dose fixée, ou une dose pour un
risque donné.
Aux niveaux actuels d’exposition de la population générale, on considère que
l’occupation du récepteur par les dioxines est suffisante pour obtenir l’expres-
sion des gènes cibles. La relation dose-réponse est ici en principe linéaire. On
ne peut pas à cette étape faire la part entre l’induction de ces gènes attribuable
aux dioxines et celle attribuable à d’autres ligands exogènes ou endogènes.
Il n’est pas possible, d’après les connaissances actuelles, d’établir un lien causal
entre le niveau d’expression de ces gènes cibles et le risque de cancer. Il faut
donc retenir des hypothèses pour justifier le choix d’une approche détermi-
niste ou d’une approche stochastique pour évaluer le risque de cancer. L’OMS
(1998) retient l’approche déterministe et conclut que, aux doses quotidiennes
d’exposition, le risque de survenue de cancer lié aux dioxines est vraisembla-
blement nul. Un groupe de travail de l’US EPA (1997) propose une série de
modélisations pour les cancers (modèles multiétapes linéarisés et multiétapes
Weibull) pour les données animales et deux modèles, additif et multiplicatif
pour les données épidémiologiques. Les résultats sont compatibles avec une
linéarité et un excès de risque unitaire vie-entière1 de l’ordre de 10 – 2 à 10 – 3
pour une exposition de 1 pg TEQ/kg/j.
L’OMS (1998) retient, à partir des données animales, que les effets systémi-
ques survenant aux plus faibles doses se traduisent par une altération de la
qualité du sperme et des réponses immunitaires, par des malformations congé-
nitales chez la progéniture de rates exposées durant la gestation, par des
atteintes du développement neuro-comportemental chez de jeunes singes

1. Le « risque unitaire vie-entière » entre dans le calcul du nombre attendu de cas de cancers
par an, égal à :
« risque unitaire vie entière (ici 10−2 à 10−3) × taille de la population (en habitants)/durée de vie
moyenne (70 ans) » 355
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

dont la mère à été exposée durant la gestation et par un risque accru d’endo-
métriose chez ces singes femelles. À partir de ces données, en considérant les
différences de toxicocinétique d’une espèce à l’autre, et en appliquant un
facteur de sécurité de 10, l’OMS propose une dose journalière acceptable pour
l’homme de 1 à 4 pg TEQ/kg/j.

Effets les plus sensibles de la 2,3,7,8-TCDD chez l’animal

Organes/Type d’effet Espèce Dose effective


(sexe)

Cancérogénicité Foie
Carcinome Rat (F) 100 ng/kg
Développement Neurotoxicité
& Reconnaissance d’objets Singe rhésus 0,126 ng/kg/j
Reproduction
& Nombre de spermatozoïdes Rat 64 ng/kg/j
Formation de filaments vaginaux Rat 200 ng/kg/j
Immunotoxicité
# Sensibilité à l’infection virale Souris 10 ng/kg (7e j)
Système immunitaire Immunosuppression Souris 1 ng/kg/sem
Autres Endométriose Singe rhésus 0,126 ng/kg/j

Le groupe de l’US EPA (1997), en modélisant les données des études animales
qui s’y prêtent, a conclu que les altérations de la qualité du sperme, du
métabolisme des hormones thyroïdiennes et du cholestérol, ainsi que la teneur
en rétinol hépatique, l’induction des enzymes hépatiques CYP1A1 et
CYP1A2 et l’atrophie thymique présentent une relation dose réponse linéaire.
L’altération du comportement sexuel, la tératogenèse et l’immunotoxicité
sont considérées comme des effets à seuil. Il n’est pas possible de conclure pour
les autres effets.
Les connaissances scientifiques disponibles aujourd’hui ne permettent pas de
trancher en faveur de l’une ou l’autre approche. En considérant que le risque
croît selon la fonction de risque unitaire estimée par l’US EPA au-delà de la
dose journalière totale (DJT) définie par le Conseil supérieur d’hygiène publi-
que de France (1 pg TEQ/kg/j), on peut déterminer un excès de risque de
cancers associé à cette exposition moyenne. En tenant compte des données du
recensement récent (mars 1999) de la population française, cette estimation
est de 1 462 (IC 95 % : 859-2 493) et 2 407 (IC 95 % : 1 289-4 470) décès
annuels par cancer selon le choix du modèle (additif ou multiplicatif, respec-
tivement). Retenir l’hypothèse de linéarité sans seuil pour les cancers conduit
donc à estimer que l’exposition aux dioxines de la population pourrait être
responsable de cas de cancers chaque année en France. Des cancers induits par
les dioxines continueraient à survenir après que les expositions du public aient
été ramenées à un niveau irréductible dû à la production naturelle de ces
356 composés.
Synthèse

Évaluation du risque en cas de surexposition de durée brève


Des accidents de l’ampleur de celui de Seveso ou des expositions très élevées
de travailleurs ne sont en principe plus une réelle menace à l’heure actuelle,
du fait notamment des changements opérés dans la fabrication des produits
concernés. Ainsi, la chimie des chlorophénols (source de l’accident de Se-
veso) a perdu beaucoup de son importance.
Les PCB, qui comportaient dans leur formulation commerciale de petites
quantités de PCDF, sous-produits non désirés dus à la méthode de fabrication,
ont été à l’origine de deux accidents très importants au Japon en 1968 et à
Taïwan en 1979. Il s’agissait dans les deux cas de l’enrichissement involontaire
en PCDF de PCB utilisés comme liquide caloporteur dans des installations de

SYNTHESE
fabrication d’huile de riz. La fuite de ce mélange de PCB et de PCDF dans
l’huile alimentaire a produit des intoxications massives (2 000 personnes
sûrement exposées dans les deux cas). Mais les PCB ne sont en principe plus
commercialisés depuis le milieu des années quatre-vingt.
Certaines grandes entreprises qui disposaient d’un parc important de transfor-
mateurs contenant des PCB ont entrepris d’éliminer ces transformateurs et de
remplacer les PCB par d’autres produits. Le danger d’incendies ponctuels de
transformateurs en service pouvant générer des dioxines n’est donc plus, en
principe, à craindre. En revanche, le stockage des transformateurs mis au rebut
pourrait être à l’origine d’incidents comme des fuites de PCB sur les sites. Par
ailleurs, des transformateurs ayant contenu des PCB peuvent être toujours en
service. Les PCB qu’ils contenaient ont été remplacés par un autre diélectri-
que (de l’huile minérale en particulier) qui peut être contaminé par des traces
de PCB et donc donner lieu à la production de PCDF en cas d’incendie. Dans
de telles circonstances accidentelles, il serait utile d’échantillonner systémati-
quement les produits de combustion, de manière à pouvoir le cas échéant
estimer les quantités de PCDF produites.
Il reste des sources probablement minimes de surexposition brève mais éven-
tuellement fréquentes. C’est le cas des récupérateurs de métaux, intéressés par
le cuivre des transformateurs, qui est bien souvent chauffé au cours du proces-
sus de récupération et susceptible de générer de ce fait de relativement petites
quantités de PCDD et de PCDF.
L’alimentation étant la source majeure de contamination humaine par les
dioxines, certaines populations peuvent être plus exposées que d’autres selon
leur mode d’alimentation. En cas de contamination d’un aliment, les forts
consommateurs de cet aliment seront donc particulièrement exposés. Ce
constat a conduit le Conseil supérieur d’hygiène publique de France puis le
comité d’experts de l’AFSSA à poursuivre sa réflexion sur la définition de
valeurs guide (à ne pas dépasser) pour chaque classe d’aliment. L’objectif est de
protéger la population, y compris les forts consommateurs (95e centile), de
tout dépassement du seuil recommandé par l’OMS (4 pg TEQ/kg/j). 357
Recommandations

L’exposition des populations aux dioxines se fait essentiellement (à 95 %) par


voie alimentaire. L’exposition par inhalation est négligeable. La contamina-
tion des aliments s’effectue par bioaccumulation à partir des dioxines présen-
tes dans les différents compartiments de l’environnement, avec des niveaux
particulièrement élevés dans les aliments d’origine animale (lait et produits
laitiers, viande, poisson).

SYNTHESE
La contamination du milieu environnemental s’est produite pour l’essentiel
au cours des cinq dernières décennies, à partir de deux sources principales : la
fabrication par l’industrie chimique, dès les années cinquante et jusqu’aux
années soixante-dix, de nombreux produits chlorés (polychlorobiphényles ou
PCB, pentachlorophénol ou PCP, acide 2,4-dichlorophénoxyacétique ou
2,4-D) pouvant contenir des dioxines (PCDD et PCDF) qui ont avec eux été
disséminés dans l’environnement ; les procédés thermiques en rapport avec
des activités industrielles (métallurgie, sidérurgie, incinérations de déchets
ménagers) qui sont devenus, après l’interdiction ou les limitations d’emploi
des produits chlorés, la principale source d’émissions de PCDD et PCDF. Ces
émissions ont été fortement réduites au cours de la dernière décennie, suite
essentiellement à des modifications des procédés technologiques. Ainsi, dans
les pays développés, les émissions de dioxines dans l’environnement ont été
divisées par deux ou par trois. Cette baisse des émissions se traduit par une
réduction de la contamination alimentaire et une diminution de l’imprégna-
tion des populations (environ 50 % depuis 1990). Il est néanmoins important
de rappeler que, quelles que soient les mesures mises en œuvre, il restera
toujours une exposition résiduelle due à la formation naturelle des PCDD et
PCDF, principalement par des processus thermiques (feux de forêt, activité
volcanique{) et éventuellement biologiques.
Le groupe d’experts, après analyse et synthèse de la littérature et des données
de contexte, propose trois axes de recommandations d’action : poursuivre la
réduction de la contamination de la chaîne alimentaire par une surveillance
des sources d’émission et des réservoirs connus, un dépistage des sources et
réservoirs de dioxines non encore identifiés, ainsi qu’un état des lieux de la
contamination de l’environnement ; une surveillance de l’imprégnation de la
population générale et des populations potentiellement plus exposées ou
vulnérables ; la mise en place d’un dispositif d’intervention en cas d’exposi-
tion aiguë.
Les recommandations de recherche concernent le domaine de l’environne-
ment, avec la proposition d’une reconstitution historique du milieu ambiant 359
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

pour avoir une base scientifique d’une option de gestion française et la valida-
tion de modèles de transferts entre les différents compartiments de l’environ-
nement ; le domaine de la santé publique, avec la nécessité de poursuivre des
études épidémiologiques sur certains effets encore mal cernés ; la recherche
des mécanismes moléculaires d’action de la dioxine car il reste beaucoup
d’inconnues ; enfin le développement d’outils permettant d’améliorer l’éva-
luation de risque.

Exposition des populations

CONTINUER À DIMINUER L’EXPOSITION CHEZ L’HOMME EN SURVEILLANT


LA CHAÎNE ALIMENTAIRE ET EN AGISSANT SUR LES SOURCES ET LES
RÉSERVOIRS DE DIOXINES

L’alimentation constitue la voie majeure d’exposition aux PCDD et PCDF


chez l’homme, la contamination s’effectuant par ingestion de graisses anima-
les (lait et produits laitiers, viande, poissons).
En France, d’après les données récentes de l’Agence française de sécurité
sanitaire des aliments (AFSSA), la valeur médiane de l’exposition globale de
la population adulte par voie alimentaire peut être estimée à environ 1,3 pg
TEQ/kg/j, avec une valeur au 95e centile de 2,6 pg TEQ/kg/j. Ces taux sont
proches de ceux recommandés par l’OMS (1 à 4 pg TEQ/kg/j). Toutefois,
l’OMS prend en compte dans le calcul du TEQ les PCB possédant une
structure apparentée à celles des dioxines (PCB qualifiés de dioxin-like), qui
peuvent contribuer jusqu’à 50 % de sa valeur. L’apport quotidien exprimé en
TEQ se trouve donc sous-estimé en France, et pourrait atteindre 2 pg
TEQ/kg/j.
Le groupe d’experts recommande d’effectuer et de maintenir des plans de
surveillance de la chaîne alimentaire. Les pouvoirs publics doivent porter leur
attention sur les vecteurs alimentaires qui contribuent pour 80 % de l’exposi-
tion : lait et produits laitiers, poisson, viande. Ces plans de surveillance
permettront d’évaluer l’exposition par la voie alimentaire, mais aussi de suivre
l’efficacité des mesures de réduction des sources d’émission dans l’environne-
ment et de la contamination à partir de divers réservoirs. Étant donné le mode
de transfert des dioxines dans la chaîne alimentaire, le groupe d’experts
recommande également une surveillance de l’alimentation animale. Ceci ne
peut se concevoir que si cette surveillance est réalisée en concertation avec les
instances européennes. L’augmentation des contrôles de certification en
amont (certification des sols et des intrants de la chaîne) éviterait la multipli-
cation des dosages dans les produits alimentaires.
Le groupe d’experts recommande que la surveillance des produits alimentaires
s’effectue par un dosage chimique permettant la mise en évidence des diffé-
360 rents congénères s’il s’agit d’identifier une source de contamination. Les
Recommandations

dosages biologiques qui commencent à être disponibles donnent des résultats


directement en TEQ et ne permettent pas d’établir le profil de congénères
nécessaire à une identification des sources.
Pour le lait, la norme recommandée par plusieurs pays est de 5 pg TEQ/g de
matières grasses pour la commercialisation. En France, le Conseil supérieur
d’hygiène publique de France (CSHPF) recommande la valeur cible de 1 pg
TEQ/g de matières grasses pour arriver à une dose journalière admissible
(DJA) de dioxines de 1 pg TEQ/kg/j pour les populations.
La connaissance de plus en plus précise de la distribution des teneurs en
dioxines dans certains aliments (en particulier le lait) permet de déterminer
les valeurs moyennes (0,6 pg TEQ/g de matières grasses dans le lait de grande

SYNTHESE
distribution) et d’estimer un taux de dioxines au-dessus duquel un lot d’ali-
ments doit être considéré comme contaminé (2 pg TEQ/g de matières grasses
pour le lait, par exemple).
Concernant l’exposition du nourrisson, les données françaises récentes obte-
nues sur le lait maternel montrent une teneur en dioxines entre 6 et 35 pg
TEQ/g de matières grasses, avec une moyenne aux environs de 16 pg TEQ/g
de matières grasses. Cette teneur moyenne entraîne un niveau d’exposition du
nourrisson de 70 pg TEQ/kg/j, pendant les trois premiers mois de sa vie, bien
supérieur à la DJA. Toutefois, celle-ci est calculée pour une exposition vie
entière. Il n’apparaît pas justifié de remettre en cause l’allaitement maternel,
puisque les risques éventuels d’une exposition (par exemple les effets neuro-
développementaux), observés dans certaines études épidémiologiques, l’ont
été chez des enfants nourris avec du lait dont la teneur en dioxines était
comprise entre 30 et 60 pg TEQ/g de matières grasses, c’est-à-dire supérieure
aux taux observés en France. Le développement des enfants allaités reste à ce
jour considéré comme meilleur que celui des enfants nourris au lait artificiel,
tout comme leur statut immunitaire.
Pour réduire la contamination alimentaire en France, des mesures d’identifi-
cation des sources d’émission dans l’environnement et des réservoirs de dioxi-
nes doivent être envisagées. Une recherche des sols pollués doit permettre
d’exclure certaines zones contaminées de la production laitière. Les PCDD et
PCDF doivent être dosés dans les campagnes d’échantillonnage des sols et
sédiments réalisées par les divers organismes concernés. L’expression des
résultats des dosages doit être adaptée à l’objectif recherché : les résultats
d’analyses effectuées dans un but de dépistage de sources de contamination
doivent être exprimés en profil de congénères tandis que les données visant à
évaluer le risque sanitaire doivent être exprimées en TEQ.
La réduction de la contamination alimentaire implique aussi la surveillance
des sources connues d’émission de dioxines. Ces sources résultent des activités
industrielles de type métallurgie−sidérurgie ou incinération de déchets ména-
gers. L’évaluation du risque lié aux émissions atmosphériques des incinérateurs
sur la contamination par voie alimentaire a été effectuée en France. D’après 361
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

un calcul théorique à partir du modèle Caltox, cette voie d’exposition (par


ingestion) représentait en 1997 environ 30 % de la DJA recommandée par
l’OMS (1 pg/kg/j). La mise à la norme de 0,1 ng/m3 de fumée des incinérateurs
permet de rendre cette contribution presque nulle (0,3 % de la DJA). Le
groupe d’experts recommande une application rigoureuse des valeurs limites
définies pour les émissions issues des incinérateurs de déchets domestiques et
industriels pour les installations nouvelles et anciennes, en accord avec les
normes définies sur le plan européen.
Le groupe d’experts souhaite qu’un dispositif de surveillance des contamina-
tions de l’environnement par les PCDD et PCDF permette d’identifier la
contribution des réservoirs et des sources diffuses de dioxines : persistance ou
stockage de transformateurs contenant des PCB (en raison des fuites possibles
de PCB chargés en dioxines), bois traités au PCP, boues d’épuration, compost
et engrais, décharges d’ordures, chauffage domestique ou bien sources diffuses
accidentelles (feux de fôrets, incendies de transformateurs contenant des
PCB).

ESTIMER LES NIVEAUX D’IMPRÉGNATION DANS LA POPULATION


FRANÇAISE
Le suivi de diverses populations au cours des deux dernières décennies a
clairement mis en évidence une diminution importante (de près de 50 %) du
degré moyen d’imprégnation de la population générale en Europe. En France,
des données d’évaluation biologique de l’exposition aux dioxines ont été
récemment obtenues dans des échantillons de lait maternel.
Afin de connaître les niveaux de l’imprégnation de la population française, en
général, et de populations plus exposées, en particulier, le groupe d’experts
recommande dans un premier temps d’effectuer une étude pilote prévoyant
des dosages sanguins sur un échantillon d’individus (hommes et femmes) âgés
de 18 à 80 ans. Outre des informations sur les niveaux d’imprégnation et leur
distribution en population, cette étude pilote devrait permettre d’apporter des
éléments d’appréciation quant à l’intérêt et à la faisabilité d’une éventuelle
évaluation à plus grande échelle. La réalisation d’une telle étude se justifie en
termes de validation des modèles de transfert (corrélation entre les apports
quotidiens et la charge corporelle) et en termes d’efficacité des options de
gestion adoptées, par exemple des mesures de réduction de l’exposition (grâce
au suivi des populations testées). Par ailleurs, le groupe d’experts recommande
d’évaluer par questionnaire alimentaire l’imprégnation de certaines popula-
tions potentiellement exposées à une contamination plus importante, en
raison d’une alimentation particulière (consommation accrue de poissons et
produits de la mer, par exemple). Il serait important d’étudier, dans ces groupes
exposés au-delà du 95e centile pour lesquels les conséquences individuelles de
l’exposition pourraient ne pas être négligeables, les actions susceptibles de
362 ramener l’imprégnation vers la valeur moyenne.
Recommandations

METTRE EN PLACE UN DISPOSITIF D’ÉVALUATION DE RISQUE EN CAS


D’EXPOSITION AIGUË

Des accidents de l’ampleur de celui de Seveso ne sont plus une réelle menace
à l’heure actuelle du fait des changements intervenus dans les pratiques
industrielles. Des surexpositions de brève durée aux dioxines peuvent néan-
moins être observées à l’occasion de divers événements fortuits (incendie de
transformateurs ou de bâtiments, fuite de fluides hydrauliques ou caloporteurs,
fuites sur le lieu de stockage des vieux transformateurs, récupération de
métaux et de câbles électriques, transports routiers de REFIOM (résidus
d’épuration des fumées d’incinération des ordures ménagères) provenant des
unités d’incinération{) ou de manœuvres frauduleuses.

SYNTHESE
Le groupe d’experts recommande de prendre toutes les mesures nécessaires
visant à prévenir les surexpositions de durée brève, essentiellement par un état
des lieux de toutes les sources potentielles (par exemple, stocks de PCB) et la
suppression progressive ou la sécurisation de ces sources.
En cas de contamination alimentaire, trois éléments d’appréciation ont été
retenus par différents pays européens : le taux d’imprégnation du produit par
rapport au taux habituellement constaté (en Belgique) ; le dépassement de la
DJA (en France) ; l’augmentation significative attendue de la charge corpo-
relle (aux Pays-Bas). Selon le critère retenu, on peut définir des seuils de
retrait du marché ou définir une période d’exposition durant laquelle le
maintien du produit sur le marché n’entraînera pas de modification significa-
tive de la charge corporelle. Par exemple, les autorités néerlandaises estiment
cette période à 30 000 jours pour des œufs contenant 60 pg TEQ/g de matières
grasses, et à 275 jours dans le cas d’une contamination à taux égal de viande
bovine ou de produits laitiers. En France, l’objectif est de protéger l’ensemble
de la population y compris les forts consommateurs de chaque classe d’ali-
ments (95e centile) de tout dépassement du seuil de 4 pg TEQ/kg/jour recom-
mandé par l’OMS. Dans le cadre de cette option de gestion française seront
définis prochainement des niveaux de contamination en PCDD et PCDF
devant être considérés comme des seuils d’exclusion de la commercialisation
pour les aliments, autres que les produits laitiers, ayant une contribution
significative à l’exposition.
En cas de contamination importante de certains aliments, celle-ci sera
d’autant plus limitée et maîtrisable que les opérations de surveillance auront
permis de la détecter précocement et d’établir une traçabilité pour en estimer
l’étendue. Éventuellement, un plan de retrait pourra être mis en place en
particulier pour les aliments contenant plus de 2 % de matières grasses.
Le groupe d’experts recommande que les mesures prises soient proportionnel-
les à l’importance de l’exposition (alimentaire ou environnementale) : infor-
mer les populations et les personnels de santé ; déterminer le nombre de sujets
exposés et contaminés et instituer un suivi en particulier pour les femmes
enceintes et les femmes allaitantes qui ont été contaminées ; utiliser des 363
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

modèles de toxicocinétique pour déterminer la durée pendant laquelle il


faudra suivre les sujets qui ont été exposés et contaminés pour que les taux de
dioxines reviennent à la normale et évaluer l’impact d’une telle exposition sur
la charge corporelle vie entière.

Voies de recherche

DÉVELOPPER DES RECHERCHES PERMETTANT UNE MEILLEURE


IDENTIFICATION DES SOURCES

Jusqu’en 1970, les PCDD et PCDF, impuretés produites au cours de la synthèse


chimique des produits chlorés, ont contribué à la contamination de l’environ-
nement. À la suite des mesures d’interdiction ou de restriction d’emploi de
certains composés chlorés, les études réalisées en Suède (sur des œufs de
guillemots) ou en Angleterre (sur l’herbe) ont montré une diminution des
niveaux de contamination de l’environnement par les PCDD et PCDF. Au
début des années quatre-vingt, la mise en service de nombreux incinérateurs
d’ordures ménagères semble avoir été la cause d’une remontée de ces niveaux.
La maîtrise des procédés technologiques d’incinération et de traitement des
métaux a depuis permis une reprise de la baisse des contaminations environ-
nementales.
Pour rationnaliser les options de gestion du risque en France, il n’apparaît pas
suffisant de se référer aux seules données européennes. Le groupe d’experts
recommande que, outre un inventaire des sols, soit réalisée la constitution
d’une bibliothèque d’échantillons à partir de sédiments et/ou d’herbiers, des-
tinée à être examinée de manière rétrospective mais aussi prospective. Cette
analyse permettrait d’apprécier la contribution des différentes sources au cours
du temps et d’évaluer la situation actuelle dans différents compartiments de
l’environnement, en particulier dans les sols et sédiments. Le groupe d’experts
suggère d’identifier à cet égard l’ensemble des organismes ayant accès à des
échantillons historiques et de les solliciter afin de constituer un groupe de
coordination. La réalisation de ces objectifs pourrait être facilitée par la mise
en place d’un observatoire des sols.

ÉTUDIER LE TRANSFERT ET LE DEVENIR DES DIOXINES DANS


L’ENVIRONNEMENT
Il semble nécessaire de disposer des modèles de transfert sol → plante, retom-
bées atmosphériques → sol, nappes phréatiques → sol pour la gestion du
risque. À partir de sols et de champs contaminés, un taux de transfert moyen
peut être calculé à partir des valeurs en TEQ du lait par rapport aux concen-
trations en TEQ retrouvées dans l’herbe des pâturages. Ce taux concerne les
transferts des compartiments de l’environnement et ne concerne pas les
364 transferts à partir des aliments pour animaux.
Recommandations

Le groupe d’experts recommande donc de développer et de valider des modè-


les de transfert, grâce à l’intervention des compétences de différents organis-
mes concernés (Institut national de la recherche agronomique, Centre natio-
nal de la recherche scientifique, Bureau des recherches géologiques et
minières...).
Il existe quelques travaux concernant le potentiel biodégradant des micro-
organismes sur les dioxines, micro-organismes qui pourraient être utilisés pour
régénérer les sols (bactéries, levures, champignons) mais qui n’apparaissent
pas toujours bénéfiques. Ce domaine pourrait être exploré et éventuellement
exploité.

SYNTHESE
DÉVELOPPER DE NOUVELLES MÉTHODES DE DOSAGE
La méthode analytique de référence pour doser les PCDD et PCDF utilise la
chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse haute
résolution (GC-MS). Il s’agit d’une méthode très sensible et sélective. Le
résultat, donné sous forme de profil chromatographique des différents congé-
nères, peut être converti en quantité totale et en poids de chaque congénère
présent. La complexité et le coût du dosage (environ 5 000 F) conduisent à
restreindre le nombre d’analyses d’échantillons. De plus, une grande variabi-
lité des résultats entre différents laboratoires complique leur interprétation.
Récemment, les progrès de la chimie analytique séparative ont permis d’amé-
liorer les étapes d’extraction et de purification et de les rendre moins coûteu-
ses. Par ailleurs, le couplage de la chromatographie à une spectrométrie basse
résolution, d’une utilisation plus facile, devrait permettre d’effectuer plus
aisément des dosages en série (notamment sur des échantillons de l’environ-
nement). Le groupe d’experts préconise de renforcer le développement et la
coordination des recherches sur les techniques de dosages analytiques.
Les méthodes de dosage biologiques, reposant sur l’estimation de la fixation
des dioxines au récepteur Ah, devraient prendre de l’extension dans les
prochaines années. Ces méthodes, moins chères et nécessitant pour les dosa-
ges chez l’homme une prise de sang d’un volume moindre, sont mieux adaptées
à la veille sanitaire. Le groupe d’experts recommande de prendre en considé-
ration les protocoles développés dans différents laboratoires pour définir et
valider une technique standard. La possibilité d’effectuer facilement de tels
dosages sur des échantillons de sang faciliterait la conduite d’enquêtes épidé-
miologiques.

DÉVELOPPER DES ÉTUDES DE TOXICOCINÉTIQUE POUR VALIDER LES


MODÈLES DE TRANSFERT

Ces modèles concernent l’étude du transfert des dioxines de l’environnement


à l’homme. Ce sont aussi des modèles physiologiques qui décrivent de façon 365
Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ?

détaillée l’absorption, la distribution, le métabolisme et l’excrétion des dioxi-


nes. Enfin, il s’agit de modèles de toxicodynamie qui étudient la relation
dose-réponse sur laquelle repose l’évaluation du risque.
Le groupe d’experts recommande de développer des études de toxicocinétique
et toxicodynamie (dose-réponse) pour établir les limites respectives de ces
différents modèles. Il souligne la nécessité de renforcer les compétences en
France dans le domaine de la modélisation et de l’évaluation du risque.

DÉVELOPPER DES ÉTUDES ÉPIDÉMIOLOGIQUES


Plusieurs études de cohortes industrielles ont permis de mettre en évidence un
excès de risque faible pour tous cancers confondus (risque relatif de 1,4).
Certaines études épidémiologiques ont montré un risque augmenté de mala-
dies cardiovasculaires ou de diabète, mais elles ne sont pas toutes concordan-
tes. Le groupe d’experts recommande d’encourager le suivi des cohortes exis-
tantes sur ces effets.
Dans les études épidémiologiques, l’exposition aux PCDD et PCDF est sou-
vent associée à une exposition aux PCB, ce qui ne facilite pas leur interpréta-
tion. On doit porter une attention particulière aux nouveau-nés et aux nour-
rissons, du fait d’une exposition transplacentaire, c’est-à-dire à une période
correspondant aux étapes critiques de l’organogenèse, et d’une forte exposi-
tion chez l’enfant allaité par la mère. Cette préoccupation est étayée, d’une
part, par l’ensemble des données animales qui montrent une sensibilité plus
grande aux effets des dioxines (immunotoxicité, effets sur le système reproduc-
teur, effets neuro-comportementaux ou thyroïdiens) lors d’une exposition in
utero, et, d’autre part, par des résultats préliminaires chez des nourrissons, qui
semblent indiquer un effet de l’exposition in utero sur certains de ces paramè-
tres. Le groupe d’experts préconise de développer les connaissances sur cette
population de nouveau-nés et de nourrissons. Les études à promouvoir doi-
vent intégrer une meilleure évaluation des niveaux d’exposition en dioxines
et autres polluants. Compte tenu de la multiplicité des effets des dioxines, il
serait important d’inclure également dans ces études différents marqueurs
d’effets cliniques ou biologiques (taux de TSH, effets sur l’émail des dents{).

MIEUX CONNAÎTRE LES MÉCANISMES MOLÉCULAIRES D’ACTION DES


DIOXINES
Le caractère indispensable du récepteur Ah dans la médiation de la toxicité de
la 2,3,7,8-TCDD est bien démontré puisque, en l’absence du gène chez la
souris, on n’observe pas les manifestations classiquement décrites (manifesta-
tions hépatiques, cancéreuses, tératogènes). L’activation du récepteur Ah
initie une cascade d’événements impliquant de nombreuses voies de signalisa-
tion. Le groupe d’experts recommande d’étudier les relations entretenues avec
366 des voies de signalisation connexes à celles du récepteur Ah et de rechercher
Recommandations

d’éventuels autres ligands, endogènes ou exogènes. L’étape ultime d’activa-


tion de l’expression de certains gènes est loin d’être totalement explorée. Le
groupe d’experts recommande d’étudier le répertoire des gènes cibles et leur(s)
fonction(s) selon les espèces.
On ne comprend pas aujourd’hui pourquoi des souches de rat dont les récep-
teurs ont des affinités comparables pour la 2,3,7,8-TCDD présentent des
sensibilités très différentes aux effets de cette molécule. Il apparaît que l’affi-
nité du récepteur pour la 2,3,7,8-TCDD ne constitue pas la clé exclusive
d’interprétation des disparités de sensibilité entre les espèces. Par leurs effets
inhibiteurs sur l’expression des facteurs de croissance et une perturbation des
cytokines, les dioxines peuvent contribuer au développement de toute une
gamme de pathologies. Le groupe d’experts recommande donc d’étayer, sur le

SYNTHESE
plan moléculaire, l’origine fonctionnelle des observations cliniques et épidé-
miologiques des effets des dioxines, la variabilité interespèces et la variabilité
interindividuelle de ces effets chez l’homme, en particulier celle liée au
polymorphisme génétique. Cette recherche permettrait d’aboutir à une
meilleure adéquation entre les mécanismes démontrés et le choix de modèles
en évaluation de risque.
Le mécanisme par lequel la 2,3,7,8-TCDD induit des tumeurs n’est pas élu-
cidé : en particulier, on ne sait pas encore aujourd’hui si cette molécule est un
cancérogène complet. Bien que non mutagène, la 2,3,7,8-TCDD pourrait
entraîner de façon indirecte (via l’induction des cytochromes) des lésions
oxydatives sur l’ADN, provoquer une inhibition de l’apoptose, induire une
prolifération par des effets cytotoxiques. Le groupe d’experts recommande
d’examiner l’activité promotrice de tumeurs de la 2,3,7,8-TCDD après induc-
tion de lésions génotoxiques par d’autres voies.

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