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2 Corinthiens 12-1-10 Version A

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Sexagesimae 19.02.

2006

II Corinthiens (11,18.23b-30)12, 1-10

Marc Wehrung
I. Le contexte.

Les chapitres 10 à 13 forment une unité dans l'ensemble de II Cor. Certains


exégètes identifient ce passage au Tränenbrief (lettre de larmes) dont il est
question en 2, 3-4, mais ce n'est qu' une hypothèse. Les chapitres 1-9
s'adressent à une communauté dont les relations avec l'apôtre avaient traversé
une crise profonde. Mais le ciel s'était apaisé. Au début du chap. 10, éclate
cependant de nouveau l'orage. L'apôtre est irrité parce que les Corinthiens se sont
laissés impressionner par des calomnies proférées contre lui par des «faux-
prophètes". Dans un style passionné, parfois sarcastique il fait l'apologie de son
apostolat.
Les adversaires dont il est question dans les chap. 10-13 sont difficilesà préciser.
Ce sont ou bien des judéo-chrétiens ou bien des personnes restées complètement
juives. En 11, 13 l'apôtre les désigne comme « faux apôtres, des faussaires,
camouflés en apôtres du Christ ».
II Cor. fournit de nombreux détails sur la vie de Paul. Avec une grande exigence
de vérité et de foi, l'apôtre témoigne de la puissance de l'Evangile à travers les
péripéties de sa vie personnelle.

II. Le texte.

v.1. Il n'apparaît pas clairement pourquoi Paul vient à parler maintenant de


«visions» et de révélations. Les adversaires ont-ils fait valoir des visions pour
authentifier leur "apostolat" (10,7) ?
Paul dit être obligé de se vanter parce que pour ses adversaires comme pour la
communauté ce n'est que cette attitude qui compte. Mais il dit tout de suite que
cela ne fortifiera en rien ni la communauté ni la foi (11,17). Il fait une différence
entre la vision du chemin de Damas et et les visions qu'il a eues ensuite. Quant à
celles-ci, il n'apparaît pas clairement s'il a eu des visions du Seigneur ou s'il veut
dire que ce sont des visions accordées par le Seigneur .

vv.2-4. Paul a fait l'expérience d'un rapt surnaturel. L'événement s'est gravé dans
sa mémoire : 14 années auparavant,- donc vers 42 . Il sait qu'il a été ravi au
paradis. Mais il ne sait pas comment cela s'est passé. Etait-ce « l'homme spirituel
» libéré du corps qui a reçu cette grâce ou bien sa personne dans son unité de
corps-âme-esprit ? Il laisse la question ouverte. Et il se refuse à décrire ce qu'il a
vu et entendu dans cette extase, parce que cela n'est pas permis. Cela doit rester
un secret ! Il ne mentionne que « le 3 e ciel » et le paradis.
La pluralité des cieux (« schamaim » et « ouranoi ») est affirmée couramment
dans l'AT et dans le NT. Les rabbins et les apocalyptiques du temps de Paul
mentionnent jusqu'à 7 cieux. Si l'événement mentionné au v. 2 et au v. 4 est le
même, le paradis se situerait au 3 e ciel ! D'après la promesse donnée par Jésus
au « bon larron » (Luc 23,43) l'accès au paradis n'est possible qu'après la mort
et c'est là qu'il sera donné au vainqueur à manger de l'arbre de vie (Apoc. 2,7).
Paul vit son rapt extatique dans les formes telles qu'il les a apprises dans la
tradition rabbinique, dont les représentations cosmiques lui sont familières.
Paul se considère donc comme extraordinairement privilégié. Il a reçu sa
connaissance profonde du mystère de la vérité par anticipation sur sa pleine
révélation au moment de la gloire. Si l'apôtre ne dit rien de plus de cette
révélation, il la considère quand même comme toile de fond discrète de son
message (oral et écrit).

v.5. Mais Paul prend clairement ses distances par rapport à ce qu'on pourrait
appeler son « double paradisiaque ». Il revient à 11,30 : « mettre mon orgueil
dans ma faiblesse ». Il se considère comme un « christophore » qui est faible en
et avec le Christ. Sa gloire n'est ni le pouvoir, ni le succès, ni la célébrité mais
communier aux souffrances et à la faiblesse du Christ en supportant toutes sortes
de souffrances à son service.

v.6. L'apôtre ne veut pas consolider son apostolat sur les phénomènes extatiques
de révélations surnaturelles. Il veut être jugé d'après ce que les Corinthiens
peuvent voir et non sur des faits qui sont incontrôlables pour eux. Il leur
demande l'abstinence, comme il s'abstient lui-même de se surestimer.

v.7. Les suréminentes révélations peuvent aussi être une tentation : elles
peuvent produire l'orgueil. L'apôtre a été préservé de cet orgueil par cette
fameuse " écharde dans la chair " sur laquelle les exégètes émettent de
nombreuses hypothèses. Une me paraît particulièrement intéressante : «la grande
tristesse et la grande douleur » au cœur de l'apôtre (Rom.9,2) à cause de ses «
frères selon la chair » qui rejettent l'Evangile du Christ. L'apôtre considère
cependant ce Satan qui le torture comme un pédagogue,- qui ne peut agir que
parce qu'il y a été autorisé...

vv.8-10. Paul prie le Christ. C'est le seul passage paulinien attestant


expressément une prière adressée au Christ et non à Dieu le Père. Les trois
prières rappellent les trois demandes à Getsémané. Cette prière n'est pas restée
sans réponse. Paul reçoit une nouvelle révélation. Mais celle-ci est différente des
précédentes (v. 1 et v.7) : elle lui révèle le sens de la souffrance et lui donne le
secours pour porter la faiblesse. La souffrance et la faiblesse ne le séparent pas
du Christ. Bien au contraire, le terrain d'action de la grâce est la souffrance et la
faiblesse. C'est la grâce qui est nécessaire mais la délivrance de la faiblesse et de
la souffrance n'est pas nécessaire.
C'est ainsi que Paul acquiert une nouvelle conception de la souffrance. Il ne
glorifie pas la souffrance et la faiblesse en soi quand il dit «je mettrai mon orgueil
dans mes faiblesses » Ce n'est pas le misérabilisme qui est le signe de la foi
chrétienne, mais la force de la grâce à laquelle ni la misère ni les souffrances ne
peuvent faire obstacle. Avoir la grâce, vivre en communion avec le Christ c'est
avoir tout ce dont l'être humain a réellement besoin. Le message qu'elle « suffit »
est la grande consolation, particulièrement pour ceux qui souffrent. La grâce de
Dieu ne se manifeste pas seulement dans le secours miraculeux dans la détresse.
Mais Paul est certain que la force et la consolation de la grâce deviennent
particulièrement efficaces dans les situations de faiblesse et de détresse. Il en est
le témoin. C'est là l'aboutissement de toute son expérience spirituelle au service
du Christ.

III. Résonances théologiques.

1. C'est la « théologie de la croix » de l'apôtre Paul qui est le fondement de


l'apologie de son apostolat. Gloire et folie, s'enorgueillir et être fou, s'appliquent
d'abord à la croix du Christ et même à Dieu (I Cor. 1,18-30). Celui qui annonce
la gloire de Dieu dans la misère de la croix du Christ, et qui y reconnaît le
mystère de la sagesse de Dieu, ne peut pas vouloir s'imposer par des actes
miraculeux, les révélations ésotériques, par l'étincellement de sa rhétorique ou
par la mise en scène du prestige de sa personne. La grâce et la sagesse de Dieu,
dont Paul est témoin avec tout son être, est le mystère caché mais présent dans
la faiblesse.

2. Le système cosmique et l'expérience de visions et d'auditions « inexprimables »


de l'apôtre Paul font problème au protestant sobre et raisonnable du XXIe siècle.
Ils mettent en question notre conception de l'univers apparemment maîtrisée et
sécurisée scientifiquement...Il reste vrai que la foi chrétienne ne peut être réduite
à une morale raisonnable et à une psychologie compréhensible et manipulable.
Annoncer le mystère de la grâce de Dieu n'est possible qu'en gardant ouverte la
fenêtre vers l'inconnu qui échappe à la raison humaine.

IV. Pistes pour l'actualisation.

1. Faire l'apologie de l'apostolat de Paul. Paul est chrétien comme tout chrétien.
Mais ce serait le méconnaître que d'en faire le modèle auquel tout chrétien aurait
à se conformer. Sa spécificité apostolique c'est d'être chargé par le Seigneur de
transmettre aux humains de tous les lieux et de tous les temps ce message : «
Ma grâce vous suffit, ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ».
Les uns dévalorisent ce message en le déclarant « paulinien », donc opinion
personnelle de cet homme, mais non « Parole du Seigneur ». D'autres, qui ne
veulent se laisser convaincre que par des "expériences spirituelles ou occultes
extraordinaires " le déclarent «insuffisant» parce que "trop théologique".

2. Les oeuvres de Dieu se manifestent de plusieurs manières. Les Eglises


redécouvrent ça et là avec joie et reconnaissance le charisme de la guérison de
l'Eglise primitive. Il peut arriver que les oeuvres de Dieu se manifestent comme
dans la guérison de l'aveugle-né de Jean 9 (manifestation qui d'ailleurs n'a pas
ouvert les yeux des pharisiens...) Mais le refus de la guérison à Paul (malgré son
intense prière) nous rappelle que par le non-exaucement Dieu peut manifester
encore plus clairement que le miracle la force de sa grâce. Paul serait-il aussi
convaincant sans sa "faiblesse" ?

3. Vivre la nouvelle vie dans l'ancien monde. Paul connaît "l'homme enlevé", celui
qui connaît l'autre monde, l'autre réalité, qui participe à la nouvelle création
(5,17). Oui l'homme futur existe.
Alors la tentation de « décoller » est là. Les spiritualistes, les illuminés et autres
exaltés s'élèvent. Ils sont bien obligés de reconnaître que tout ce qui est corporel
et terrestre est encore là, malheureusement, mais pour eux cela ne compte plus !
L'espérance donnée par la grâce de celui qui s'est dépouillé lui-même (Phil.2) par
contre ne fait pas décoller Paul, mais lui donne le courage "d'atterrir", d'assumer
pleinement la faiblesse. Faire confiance à la promesse que la puissance du
Seigneur donne sa mesure dans la faiblesse, c'est protester contre ceux qui ne
laissent vivre que ceux qui sont forts parce qu'ils ne croient qu'en la force des
forts !

4. Faire le lien avec l'Evangile (Luc 8,4-8) et l'Epître (Hebr. 4,12-13) du


dimanche Sexagesimae. La parabole de la semence décrit un contraste :
apparemment la semence est à perte. Et pourtant la récolte est au centuple.
L'épître dit que la parole de Dieu, qui pourtant peut être considérée comme
"parole en l'air", est terriblement efficace ! C'est le message d'espérance pour
tous ceux qui aujourd'hui dans la faiblesse de l'Eglise et dans leurs propres
faiblesses doutent et qui pourtant sont appelés à annoncer au monde entier que
seule la grâce de Dieu est son salut !

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