Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

La Divine Com Die

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 285

LA DIVINE COMDIE

DANTE ALIGHIERI
LA DIVINE
w
COMEDIE
Traduction par Lucienne PORTIR
LES DITIONS DU C;RF
29, bd Latour-Maubourg, Paris
1987
Les ditions du Cerf, 1987
ISBN 2-204-02685-9
ISSN UM COUb
A ALDo VALLONE
premier lcteur de cette traduction, en profonde
gatitude pour ses parols La sua traduine non
solo nuova, profondamente visuta dall'interno e
rigeneratrice della parola di Dante, ma anche
necessaria perch Dante resta e trova sempre
intelligenza e sentimento per accoglierlo. P
A Jacques et Franoie Lagarrigue
qui ont accompagn ce long travail
avec leur incomparable amiti
Introduction
Mon ambition et t de voir le lecteur entrer directement dans
l lcture du Pome sacr #q sans intervention autre qu'une brve
prsentation du mode de traduction, l traducteur diparaisant bin
vite derrire l'uvre qui seule compte. Cette ambition fut juge
draionnable, et fut estime ncessaire une introduction que voici.
L VIE TRAGIQUE DE DANTE
Les images que le seul nom de Dante fait natre dans les esprits
sont trs diverses et toutes ont certainement un aspect de vrit. On
se souvient de celle que dressait Victor Hugo en ces vers crits sur
un exemplaire de l Divine Comdie #: il les a placs en tte du
troiime livre des Contemplations, intitul Les Lutes et les Rves.
Quel patronage pour ls luttes et ls rves que celui d Dante ! Voici
donc le rve :
Un soir, dans le chemin, je vis passer un homme
Vtu d'un grand manteau comme un consul de Rome,
Et qui me semblait noir sur la clart des cieux.
Ce passant s' arrta, fixant sur moi ses yeux
Brillants, et si profonds qu'ils en taient sauvages,
Et me dit : - J'ai d'abord t dans les vieux ges,
Une haute montagne emplissant l'horizon ;
Puis, me encore aveugle et brisant ma prison,
Je montai d'un degr dans l'chelle des tres,
1 1
LA DIVINE COMDIE
Je fus un chne, et j 'eus des autels et des prtres,
Et je jetai des bruits tranges dans les airs ;
Puis je fus un lion rvant dans les dserts
Parlant la nuit sombre avec sa voix grondante ;
Maintenant, je suis homme, et je m'appelle Dante.
C'tait au temps o Vitor Hugo s'adonnait au sciences occultes,
se lissait sduire par la mtempsycose, la migration des mes. A
travers ces fantaiis il a su montrer l'aspect de grandur terrible de
certaines cration du pote. A l'oppos sont ls dssin d Botticeli:
ce fn profl spiritualis, cette fgure arienne et sans poids,
suspendue ou glisant dans les sphres clestes, d'une lgret et
transparence qui font penser la puret de l'enfance. Celle de ce
petit enfant, nomm Dante Alighieri, qui un jour de mai naisait
Florence sur les bords de l'Arno il y a sept cents ans (1265). Et
l gloire de cet enfant devenu pote n'a cess de grandir, de susciter
tmoignages d'admiratin, d respect, d'amour. Cinquante an aprs
l mort du pote, Boccace dj tait charg d'un commentaire publc
de la Comdie, et ainsi furent institues ces Lectures de Dante
qui n'ont pas cess et se font encore chaque semaine Florence.
Elles se font aussi en d'autres villes et toujours avec un clt et une
fereur qui ne se sont point dmenti, et toujours avec une vue neuve
et de nouvelles trouvailles, suggrs par l richesse inpuiable des
cent chants assembls du Pome.
Mai ce pote, pendnt les cinquante-si ans de sa vie mortelle,
fut un homme meurtri : l'homme Dante n'a connu peu prs que
des checs. Trs tt orphelin, il eut une martre et son pre semble
avoir t un homme assez mdiocre. Si son enfance ne fut pas celle
d'un enfant combl, on peut imaginer une jeunesse insouciante,
pendant quelques annes alors que Florence exceptionnellement
n'tait pas en guerre ; car sous le signe de Mars qui ft l protecteur
de l ville panne, elle semblait destine, comme le remarque le
pote, des luttes sans fn. Jeunesse insouciante partage entre les
amitis, l posie, l'amour. Les jeunes potes, Guido Cavalcanti,
Lapo Ginni, Dino Frescobaldi, Cino d Ptoi et d'autres encore,
1 2
INTRODUCTION
hangeaient des sonnet sur l'amour, l nature de l'amour, l faon
de le chanter :
Guido, je voudrais que toi et Lapo et moi
Fussions pris par un enchantement
et mis dans une nef qui tout vent
allt par mer votre gr et au mien
[ . . . ]
et l, parler d' amour toujours.
Jeunesse illumine par l'amour pour Batrice, o l'on peut voir
une expression littraire de l'amour courtoi, dont il a les
caractritiques, mai qui est aussi bien autre chose : un amour qui
l'a vritablement sorti de la volgare schiera Pq de la troupe
vulgaire, et qui a maintenu en lui une vie ardente et dlicate.
L'intenit du sentiment et une senibilit qui de tout fait souffance
devaient connatre trop tt la grande douleur de la mort de cette
Dame. Peut-on parler d'chec parce qu'il a vu diparatre sa bien
aime alors qu'il avait vingt-cinq ans ? Avec cette Dame, le pote
n'a connu de rappors viibls qu'un sourre accompag d quelque
paroles dans une rue de Florence o elle passait avec deu amies
et qui lui frent toucher l combl d l batitud , et pui un salt
refus et enfn un sourire moqueur dans une runion mondaine et
dont il crut bien mourir. Au chapitre XVIII de la Vita nuova,
cette uvre o se mlnt posi et prose dans l rcit de son amour,
on lit ceci :
Jusqu'alors toute sa batitude consistait recevoir le salut de sa Dame
mais depuis que ce salut lui a t refus, il a plac sa batitude en ce qu;
nul ne peut lui ter : la pure louange de la bien-aime sans aucu retour
sur lui.
Ce tournant dans son hitoire sentimental (et qui pourrait donner
lieu une interprtation mystique) est considrer dans la
progession de son amour : toutes ses paroles dsormai seront de
louange, en admiration absolue, en don total sans jamais rien
13
LA DIVINE COMDIE
demander. Rien ne peut donc dsormai dtruire cette batitude.
Dans ces conditions, l mort de Batrice lui arrachera des torrents
de lrmes, certes, et des cris de doulur, mai surtout cette Dame
unique sera dsormai le guide et le rconfort de ses penses, elle
restera l Beatrice beata qu'il voudra louer plus que jamai, et plus
prodigieusement que Dame le ft jamai, dans et par l Divine
Comdie.
C'est sur un autre pln que se plcent ses checs qui commencent
alors qu'il prend part l vie politique de sa patrie, l Rpublque
de Florence. En juin 1300, il tait prieur.
Tous mes malheurs, crira-t-il plus td, eurent cause et commencement
dans mon lection au priorat.
Florence, aprs ls luttes sanglantes entre guelfes et gibelins
(partians du pape ou de l'empereur), tour tour vainqueurs et
vaincus, tait reste fnalement guelfe passant au rgime de l
Signeurie et viscralement dmocratique. Pour protger
l'indpendnce de gouvernants, ell enfermait les priurs, ls pour
deu moi seulement, dans une tour, la fameuse torre della
cstagna ; aini penait-ell l soutraire au presin d puisant.
Ele inventait une multitude de conseil renouvel tous les si moi,
tant ell craignait l tyannie, interdisant l rlection, comme la
possibilit de siger dans plusieurs conseil ; elle nommait comme
podest un tranger pour qu'il ft indpendant des luttes intestines.
Deu mots revinnent constamment dns ls revendication : popolo
et giustizia. La Rpublique tait le lieu de rivalits sans cesse
renaisantes entre ce peupl qui pridiquement se raffrmait mare
et les Grands qui trouvaient toujours le moyen de se rintroduire
dan ls affaires de l Cit. Justement en 1293 avaint t proclm
les Ordinamenta Justitiae: tout homme n'exerant pas un mtier
tait exclu des fonctions publiques, c'tait le cas des nobles. La vie
Florence devint alors impossibl, tout tait sujet bagarre, on en
venait au mains et au armes. Aussi avait-on d introduire un
adoucisement au ordonnances de Justice : l'exercice effectif d'un
14
INTRODUCTION
mtier n'tait plus obligatoire, il suffsait d'tre inscrit dans les
regtres d'un Art; c'est par ce bii que Dante, qui tit pote-et
pote ce n'est pas un mtier -, put participer au gouvernement de
sa Cit en s'inscrivant l corporation des mdecins et apothicaires.
Le choi pour lui tait assez limit, les Arts majeurs taient passs
en 1292 d sept douze: juges et notaies, changeurs, art d l line,
art de l soi, calimal (traitement des lines trangres), mdecins
et apothicaires, foureurs, fipir, cordonnirs, bouchers, forgerons,
ouvriers de l pierre et du bois.
On s'est dmand parfoi, pourquoi Dante n'avait pas choii l'rt
des juges et notaires. Il est vrai que des posies retrouves dans des
grimoires de notaires ont montr que des hommes de plume # se
partageaint entre deu activits crivantes. Mai ausi on a constat
que l plupart des posies crites dans ces registres ont t copies
pour remplir un espace vide au bas d'une page, afn d'empcher
qu'on pt y crire quelque chose qui aurait falsif l'acte.
L'epatin du choi n'et-el pas dn une incompatibilt rll
et dclre entre certains esprits et ldite profession ? Jean
d'ntiche, au V sicl, se destinait au mtier d'avocat, mai ayant
constat combien est pnible et coupabl l vie des hommes du
barreau, il prfra se tourner vers une vi de silnce et se ft moine.
Bien plus tard, au XIV sicle, Ptrarque, ds la mort de son pre
qui lui avait impos des tudes de droit, s'en dtourna, il lui tait
apparu, explque-t-il dans sa Lttre la postrit, qu'il tait diffcil
de rester intgre dans ce mtier. Dante ne s'est pas trouv devant
le mme choi, mai il a mi fermement les lgites en Enfer, sauf
un pourtant : en l personne de Gratien il a montr que tout est
possible Dieu, mme qu'un jurite soit digne du Paradi.
Dante s'tait donc inscrit l'Art des mdecins et apothicaires, et
ds 1295 on voit son nom sur ls regitres de sances; on voit aussi
qu'il manquait d'exactitude: au Conseil spcial du Capitaine du
Peuple, sigeant entre novembre 1295 et avril 1296, si marques
d'absence accompagent son nom, i est vrai que cinq, mal effaces,
indiquent qu'il s'agsait d'un rtard ou d'une absence just. Mai
le jour fatal fut le 15 juin 1300. Peu de jours aprs l'entre en
1 5
LA DIVINE COMDIE
fonction du nouveau Piorat des bagarres cltaient entre deu
factions qui dchiraient l vill, ls Blncs dirigs par l famill des
Cerchi et ls Noirs domins par les Donati. Dante, avec ls cinq
autres prurs, prit une dciin nergique : sept chefs Blncs et sept
chefs Noirs, les plus durs, les irrductibles, ceu qui entraaient
les autres et perturbaient la vie de l Cit, taint envoys en exil.
Or, deu mois plus tard, ls nouveau prieurs, des Blancs comme
ls prcdnts mai moins quitabls, rappelrent ls Blncs, lisant
ls Noirs proscrts, ce qui suscita haine et dsir de vengeance. C'tai
donc pour Dante un chec, un double chec, politique et senti
mental: son plus cher ami, Guido Cavalcanti, aprs l'eil dans une
rgion insalubre, revint Florence pour y mourir. Comment ne se
serait-il pas senti responsabl, et par suite d'une dciin qui n'avait
servi rien ? Au chant X de l'nfer, le pre de Guido lui
demandera : Mon fl, pourquoi n'est-il pas avec toi ? # N'est-ce
pas signe d'une angoise non apaie ?
Pendant ls prorats des Blncs, les Noirs manuvraint Rome
auprs du pape Boniface VII pour l faire intervenir Florence par
l moyen d'un pacicateu, en l'occurrence Charles de Valoi, frre
de Philippe l Bel. Pour parer l menace, Florence envoya auprs
du pape une ambassade de troi Florentins, l'un des troi tait
Dante. Le pape reut ls troi envoys, lur ft une dure semonce
qui s'adressait en fait Florence, pui les congdia avec sa
bndiction, sauf Dante qui se sentit menac.
Il avait dj connu un chec, disant non au requtes du pape,
alors que la majorit du Conseil avait dit oui par crainte de Rome.
Ce nouvel chec allit avoir des consquences beaucoup plus gaves.
Il avait appri que Charles de Valoi tait dj entr Florence y
faiant revenir ls Noirs eils, et que l nouveau Poes prononait
des sentences d'exil, dont la sinne. I s'enfuit de Rome, jugea
prudent d'iter Florence, ainsi commena un exil qui ne devait pas
fnir.
Dante a tout dit dans son Pome, au cours du voyage d'outre
tombe, dans les tnbres infernales, sur l montagne du Prgatoire
et dans les sphres clestes, faisant parler ls habitants des troi
16
INTRODUCTION
mondes ou ses guides ou lui-mme ; tout vnement de sa vie est
ainsi prsent directement ou allusivement. Ce moment tragique
entre tous de son bannisement lui est annonc par son anctre
Cacciaguida, rencontr au Ciel de Mars :
[ . . . ] de Florence il te faudra partir,
cela on le veut, cela on le cherche
et tt sera fait par qui y pense
l o chaque jour de Christ on fait commerce.
(Par. XVII, 48)
Il s 'agit, idemment, d Rome et du pape Boniface VII Sre
est l'accusation mai ce serait une erreur de voir l une rancur
personnelle. Il faut dire que depui l mort de Frdric I l'Empire
vaquait, puique l'lction du colge germanique n'tait valbl que
lorsque l souverain dsign avait t couronn Rome, or, aprs
Frdric, les lus ne s'en souciaient pas, d'o ls invectives
dantesques. L'Italie est prsente comme une cavale non monte :
0 Albert 1 'Allemand qui abandonnes
cette bte devenue indomptable et sauvage
alors que tu devrais enfourcher les arons !
(Prg. VI, 97)
Les papes, dans cette carence, agisant au nom de l'empereur #
s'estimaient les mares du destin du pays. Or Dante tait trs sr
que l'quilibre du monde voulait ditincts les pouvoirs temporel et
spirituel. Il reproche Boniface VII de se faire prince temporel et
il l maltraite quand il l considre comme un pape indigne. Par un
procd ingnieu, dans un chant vocateur et splendide (nf.
XIX), il le plce d'avance parmi les simoniaques. Dans un autre
piode (nf. XXVI, 55-132) un damn, mauvai conseiller, dresse
un portrait d ce pape cause de sa damnation pour lui avoir etorqu
un conseil de faude.
L pape, simonique et poltique, a donc une plce en Enfer. Mai
que Boniface, exerant sa fonction de pape, soit maltrait, bafou,
1 7
LA DIVINE COMDIE
humili comme ce fut le cas dans l'attentat d'Anagni, Dante
intervient en deux tercets vengeurs contre ceux qui en ont fait un
nouveau Chrit (ug. XX, 85-90). Incontestablement c 'est l'amour
de l'glie qui porte le pote condamner ou louer selon le cas
celui (( qui tient les clefs .
Dante, donc, se trouvait parmi les premiers banni, accus - il
fallait bien trouver un motif - de concussion et de menes contre
l 'glie de Rome. La premire accusation ((selon la rumeur
publique , disait l'acte, n'a jamai pu tre prouve, et pour cause.
Quant la seconde, elle jouait sur une ambigut, puisque
l 'opposition au menes temporelles de loniface tait pour Dante
un rappel angoiss de la saintet de l 'Eglise. Le 27 janvier 1302
Dante Alighieri tait condamn payer une trs forte amende, il
tait banni pour deux ans et exclu des fonctions publiques. Le
10 mars, comme il ne s 'tait pas prsent, il y eut aggravation de
peine : exil perptuel et menace d'tre brl s 'il tait pris.
Dante ne renona pas pour autant la lutte ; avec les autres
Blancs exils et d'anciens gibelins rencontrs sur les routes de l'exil,
il essaya une rentre Florence. Plusieurs entrepries furent
malheureuses et la dernire, qu'il avait dsapprouve, aboutit un
vritable dsastre La Lastra dans l 't de 130. En outre il n'tait
plus d'accord avec ls autres exils. On peut facilement imagner que
sa puisante personnalit, son caractre entier, ses exigences de
droiture et de justice n'en faiaient pas un compagnon facile, surtout
dans ce milieu d'exils au intrts divergents et parfoi mesquins.
Ce nouvel chec, durement subi, se transfgura pour l pote en prie
de conscience de sa propre valeur, il s 'loigna frement et plus tard
rappela ces moments dramatiques, les faiant prophtiser par
Cacciaguida en paroles qui se terminent par le vers fameux : (( I
sera beau pour toi 1 d'avoir fait un parti toi seul (ar. XVI,
61-69).
Mais cette fert pouvait-elle supprimer la souffrance de chaque
jour ? Dsormai c 'tait l 'exil accept ou plutt subi, et aprs la
diversion de tentatives plus ou moins dsespres, c 'tait l solitude
du cur priv des douceurs de la famille, des ami, du paysage
familier:
18
INTRODUCTION
Tu laisseras toutes choses aimes
plus chrement, et c'est l, la flche
que l' arc de l' exil dcoche en premier.
(Par. XVII, 55-57)
Ces mots dicrets et pudiques dient peu mai suggrent tant. Ce
pre priv de ses enfants qu'il ne reverra qu'adultes a suggr au
pote maintes images d'enfance. (Qu'on se reporte Par. XXXII,
108, Pug. XI, 105, et encore Par. , XV, 123, Par. XXX, 82,
Par. XXII, 121, Par. XXI, 1-6, Pug. XXXI, 64. ) Ce n'est pas
un hasard si les vocations sont toutes d'enfance et n'arrivent pas
l 'adolescence. Sans ostentation, mai l 'occasion d'une
comparaion, d'une similitude, dicrtement toujours, c 'est le rappel
mu des souvenirs du pre.
Dans son iolement, reu d'abord Vrone par ( ( l courtoiie du
grand Lombard , de la famille des Scaligeri, le pote connat une
vie errante au service de l'un ou l'autre de ceu qui l 'employaient.
Mai leur bienveillance, loue plus d'une foi dans le Pome,
n'effaait pas l'amertume d se sentir chez ls autres et non chez soi :
Tu sauras comme a saveur de sel
le pain des autres, et comme est dur chemin
descendre et monter l'escalier des autres.
(Par. XVII, 58-60)
Cette souffrance-l ne s 'apaiera pas et, l 'occasion d'un
personnage, ou d'un piode, elle passe toute vibrante, dns un vers,
dans un tercet. S'agit-il de Romieu de Villeneuve qui, aprs avoir
servi avec un parfait dvouement le comte de Povence, calomni
partit en digrce pauvre et vieu :
et si le monde savait le cur qu'il eut
mendiant sa vie morceau par morceau
bien le loue, et bien plus le louerait.
assai lo Ioda, e pi lo loderebbe.
(Par. VI, 140-143)
19
LA DIVINE COMDIE
Ce vers bri par une sorte de sanglot dit le sort de Dante autant
que celui de Romieu.
Pendant les annes qui suivirent cette srie d'checs, on peut,
grce parfoi un document prci, le plus souvent par suite de
dductions conjecturales, imaginer le pote dans tel ou tel lieu, en
des fonctions diverses, charg d'ambassades ou de messages, peu de
fait sont certains. Ce qui est certain en revanche c 'est qu'il rdigeait
plusiurs ouvrages ; l'un en italien comme l 'avait t l Vita nuova,
ouvrage philosophique sous la forme de commentaire des Canzoni
allgoriques ; deux autres en latin, le De vulgari eloquentia sur la
lngue et l posie; l 'autre sur l Monarchia, c 'est--dire l 'Empire,
lgitime et indpendant de la papaut. Les deu premiers ne furent
pas termins.
Faut-il voir dans ces ouvrages abandonns un nouvel chec ?
serait-ce par incapacit les poursuivre ? Non, Dante a
dlbrment arrt son travail aprs l commentaire de l troiime
Canzone ( en avait prvu quatorze), crivant alors une premire
parti en guie d'introduction, il mettait un point fnal cet ouvrage
inachev. L vrai motif est aillurs. Il est dans ce que Dante a appel
l mirabile visione. Cette admirable vision lui ft ajouter un derier
chapitre la Vita nuova pour reler le grand Pome l 'uvre de
jeunesse, cette louange de Batrice dont il dclrait ne plus rien
pouvoir crire avant de pouvoir dire d'elle ce qui jamais ne fut dit
d'aucune autre. Cette mirabile visione lui fut donne par l
rencontre de Virgil, non du Virgil d'anthologie de ses premires
tudes, mai du pote de l'nide, ce vaste pome o tout tait dit,
histoire et lgende, relgion et mythes, philosophie, morale, art, et
qui suggrait l 'id d'un pome analogue, moderne et chrtin, o
tout serait dit de sa pense et de ses connaisances, de son action,
de ses souvenirs, de ses espoirs, toute une viion du monde et de la
vie, o tout serait dit, dans et par la posie et non dans des traits
thoriques dsormai devenus inutiles. Et Virgile, prciment,
tu duca, tu signore, tu maestro
20
INTRODUCTION
sera son guide dans ls deux premiers mondes, le conduiant
Batrice qui l 'lvera dans les sphres clestes. Ainsi, les deux
ouvrages inachevs reprsentent non pas un chec - sur le pln
littraire, Dante n 'a connu aucun chec -, mai les bauches ou
mieu ls racines qui trouveront panouisement et floraison dans
le pome ternel.
Mai la vie orageuse de Dante n 'est pas pour autant termine.
Entre 1308 et 1313, il va vivre un puisant espoir: l 'Italie ne sera
plus abandonne, Henri VII de Luembourg, lu par la Dite de
l 'Empire, promettait de venir en Italie. Pour Dante, c 'tait le rve
de sa vi qui commenait se ralier. Il avait dif sa thorie de
l 'Empire universel la foi dans son ouvrage la Monarchia et dans
l quatrime partie du Convivio, mai dj ses actes politiques
Florence taient anis par l mme pense. Cette pens tait que
pour ralier sur la terre l pai et l justice, qui ne peuvent exiter
sans l libert, tait ncessaire une unit mondiale dans un
gouvernement universel. Un empereur universel dirigeant les
hommes dans la raliation de leur bonheur terrestre ; l pape
pasteur universel conduisant son troupeau - ses enfants - dans
les voies spirituelles aboutisant au bonheur ternel. L'un et l'autre
marchant d'accord dns l respect mutuel de l fonction parfaitement
indpendante de chacun. Il a sembl certains que l clbre
mosaque du Latran reprsentait l 'idal politique de Dante : on y
voit saint Perre qui remet au pape Lon III son pallium orn de
deux croi, et Charlemagne un tendard. Or c 'est prcisment ce
que Dante refuse : l o est Perre il aurait mis le Chrit ; il prend
soin d'ailleurs de prciser que nous devons au pape ce que nous
devons Prre, non ce que nous devons au Chrit.
Et voici qu'apparaisait l'homme prdstin qui, une foi couronn
Rome et accept par ls nations, allait tablr le monde dans l
pai et la justice. Dante exulte, sa mision se prcie, il doit tout
faire pour la russite de l 'empereur. Par ses pres, il appelle les
uns, supplie les autres, admoneste ceux qui ne veulent pas
comprendre. Au dut de 1311, il s 'est adress tous ls roi, princes
et peupls d'Itali, pour ls inviter recevoir Henri envoy par Diu
21
LA DIVINE COMDIE
mme ; l 31 mars dans une dure lettre au Florentins mirables
qui s 'opposent l 'empereur, il les menace :
Alors que vous cherchez ue fausse liber, vous tomberez dans ue vraie
servitude.
Le 17 avril, il s 'adresse Henri lui-mme qui s 'attarde Miln
o il a ceint la couronne de fer qui le faiait roi d'Italie :
Allons, plus de retard. Prends confiance et abats Florence.
Mai Henri n 'tait pas de ces hommes d'action qui savent dcier
vite et agir sans retard. Et pui son passage dans les villes reillit
les vieilles oppositions entre guelfes et gibelins.
Dante, lui, s 'tait dgag de ces oppositions, il renvoyait les uns
et les autres dos dos, les guelfes qui appellent les Franais sous
le signe des li d'or contre le signe sacr, l'igle de l 'Empire et de
l Justice ; et les gibelins qui de ce signe ont fait l signe d'un parti
(ar. VI, 100-108). Tous n 'taient pas capables de cette hauteur de
vue. Aprs diverses oppositions, Henri arrive tre couronn
Rome, mai Sint-Jean-de-Latran et non Sint-Perre ; non de
la main du pape mai de celle de trois cardinau. Couronnement
au rabais # qui souleva l 'indignation de Dante contre Clment VI
le Gascon # qui avait ainsi trahi le noble Henri #+ Le pire devait
arriver peu aprs: Buonconvento, prs de Sienne, l 'empereur,
malade, devait s 'arrter, et il mourait le 24 aot 1313.
C'tait pour Dante la fn de cinq annes de vie passionne, faite
d'une succession d'espoirs, de dsoltion, de colre, de regrets, et
tout maintenant s 'effondrait, de ce rve d'un harmonieu quilibre
de l justice et de la pai dans le monde. C'tait bien le plus grand
chec que Dante ait jamai connu dans une vie seme d'checs, un
chec la mesure de l 'univers.
Dans l haut Paradi o ls bienheureu sont rassembls dans un
vaste amphithtre - l rose clste - Batrice montre Dante
un sige vide, c 'est celui
22
INTRODUCTION
du noble Henri qui, redresser l' Italie
viendra avant qu'elle soit dispose.
(Par. XXX, 137-138)
Pourquoi n 'tait-elle pas dipose ? La grande coupable c 'est la
cupiit. L'ancinne image revient, l Veltro devait chasser l louve,
c 'est--dire la cupidit ; c 'est la cupidit qui a gagn. Dante
humblment reconna son erreur : port par son dsir il avait oubli
que, selon les textes vangliques, qui lui sont pourtant familiers,
Diu seul connat les temps et les moments. C'est ce que, sous une
forme obscure commande par le genre de la prophti, Batrice,
au Paradis terrestre, lui fait comprendre (ug. XXXII, 67-72).
Ss penses fausses sur le rle d'Henri VI avaient immobili son
esprit comme tel objet plc dans ls eau ptrifantes de l 'Ela, et
son attachement passionn ces penses l 'avait rendu semblable
Pyrame tromp par le voile ensanglnt de Thib.
Un Dante rsign, repentant mme sur ce point prci d'hitoire
faus par sa passion, mai non sans esprance. D'esprance sur son
sort personnel il n 'en avait pas, il n 'en avait plus. Des amis avaint
bien essay de flchir l rigueur de Florence, mais de la lite des
amnitis d septmbre 1311 i avait t eclu ; et apr sa lttre au
sclratisimes Florentins # il tait diffcile d'esprer miu.
Nanmoins, quatre ans plus tard, en mai 1315, on obtenait pour lui
l retour dns sa patri. Revoir mon beau Sint-Jean #q ls fonts
de mon baptme #q le beau bercail o je dormi agneau #q toutes
epressions de tendresse dont est parsem le pome . . . Revenir
Flrence ! . . . Mai l haine est tenace au cur des mdiocres, et ls
conditins imposs pour ce retour taint si humilintes - i devait
entrer en pnitent et faire amend honorabl - que, dns un sursaut
de fert indigne, il refusa :
Est-ce donc l cette courtoise dmarche qui de l'exil rappelle dans sa
patrie Dante Alighieri, aprs les soufrances d'un exil long de presque trois
lustres ? Est-ce l ce qu'a mrit son innocence vidente pour tous ? . . .
Non, ce n'est pas la voie pou revenir dans ma patrie. Si vous, ou d'autres,
en trouverez une qui ne soit pas indigne de la renomme et de l'honneur
23
LA DIVINE COMDIE
de Dante, alors je m'y engagerai, et non pas lent

. Mais si pa

uc
l
e
voie de cette sorte on n'entre Florence, Florence Je ne renterai Jamais.
Et Florence voulant avoir le dernier mot, en septembre de la
mme anne, le condamnait mort et tendait la condamnation
ses fl. Il lui restait si ans vivre : malde, il mourait dans l nuit
du 13 au 14 septembre 1321.
Mais son rve d'une humanit unife, il ne l 'a pas reni, il a
seulement appris que les temps n 'taient pas mrs. I a cru avoir
une mission sur le plan politique, il n 'y a connu que des checs.
Autre tait sa mission, plus large, plus haute : redire au hommes
de l terre ce qui pourra rendre lur esprit plus droit, leur cur plus
aimant, leur apporter ce que lui-mme sollicitait de son anctre : le
conseil de celui
qui voit et veut droitement et qui aime
(Par. XVII, 1051
Sa mision c 'tait son Pome, et c 'est la dure ralit vcue, sa
passion, ses checs, ses souffrances qui ont nourri son gnie. I en
avait bien conscience : n 'est-il pas signifcatif qu 'au cur mme de
l troisime Cantica il ait plac ce chant X VI qui est en mme
temps celui de l 'exil et de la mission ? Cacciaguida a prdit toutes
les souffrances de l 'exil son descendant qui l 'avait interrog, et l
description de cette vie de tribulations il l 'a coute sans broncher,
san se plindre, san un retour sur soi, mai virilement a dmand :
que dois-je faire ?
Ta mission est de parler, lui est-il rpondu, de redire ce que tu
as vu et entendu. Ta parole fera comme le vent qui frappe plus
fortement les plus hautes cimes, tu susciteras des colres ... peu
importe, parle
et laisse gratter l o est la gale.
Et il a parl celui qui signait Dante Alghieri exul immeritus, il
a donn au monde son chef-d'uvre, et sa gloire n 'a cess de
grandir.
24
INTRODUCTION
LA DIVINE COMDIE
Dan cet immortel Pome, que l 'auteur a dsign comme comdie
(style intermdiaire entre le tragique et l 'lgiaque), et la postrit
l 'a qualfe de divine autant par le sujet trait que par l 'excellence
de l raliation, Dante apparat sous troi aspects diffrents, sans
cesser d'tre Dante. I est le crateur, l 'architecte des mondes
d'outre-tombe. Il est aussi le voyageur qui parcourt ces mondes,
dirig par Virgile pui par Batrice, et en mme temps acteur, dans
des rencontres, homme Dante avec ses connaisances, ses interro
gatn, ses passion. Il est enfn l pote qui, revenu d cet tonnant
priple, assi sa table comme l 'a peint Signorelli dans les fresques
de la cathdrale d'Orvieto, en fait le rcit, suppliant les Muses et
l 'Esprit de lui garder une mmoire fdle, afn que du fait le dire
ne diffre 1 #q un esprit et un cur dignes de rapporter ce qu 'il a
vu, entendu et compri : ce que tu vois, 1 retourn l-bas, prends
soin de l 'crire
2
#+
Devant l Comdie, souhaitons chaque lecteur une imagination
visuelle capable de suivre celle de Dante dans une admirable vision
de l 'univers, o l matrialt des leu, dj blouisante, n 'est que
le support de tout ce que le gnie humain a pu suggrer. D'autres
ont prcd le Florentin en imaginant des sjours d'outre-tombe et
l 'on a pu y voir des sources, depui Homre, Virgile, maints auteurs
du Moyen Age, potes ou mystiques, on a mme suggr une
influence de textes islmiques 3 Nul pourtant n'a propos un
enembl d'une tell cohrence, ni su aueindre un si parfait quilibre,
dans une si harmonieuse architecture.
Selon Polme et selon la vrit chrtienne 4 #q de cet univers
l terre est l centre, tout petit centre arpent de terre qui nous rend
si froces 5 # entour, envelopp de ciel concentriques, sphres
comme vides s 'embotant l 'une dans l 'autre, ditinctes par leur
rotation vitesses diffrentes, ce qui produit un son harmonieu
sement musical, vitesse qui s 'acclre mesure qu'elles sont plus
proches de l 'infni o est Dieu. Chacune entrane un astre ayant lui
mme son propre mouvement giratoire qui lui donne son nom.
25
LA DIVINE COMDIE
L'infni c 'est l 'Empye qui enveloppe l Ciel Critallin (appel ausi
premier mobile), pui le Ciel des toiles fes et successivement ceu
de Saturne, de Jupiter, de Mars, du Soleil, de Vnus, de Mercure,
de l lune, le plus proche de la terre. Signalon ds maintenant le
jeu signifcatif des nombres. 9 est le nombre qui accompagne la vie
et l 'uvre de Dante, sa racine tant le 3 de la Trinit Sainte, en
ajoutant l 'unit on a 10, le nombre parfait. C'est ainsi qu'il y a
9 Ciel plus l 'Empyre.
Notre arpent de terre # dimenions humaines a une confgu
ration qui s 'eplque par l chute d Lucifer : le rebell foudroy qui
tomba sur l terre lquelle d'horreur et de dgot s 'carta alors qu'il
allit se plnter au centre de notre globe ; l masse de terre dplce
souleva le Paradi terrestre qui se trouva ainsi la cime d'une
montagne dont les flancs devinrent lieu du Prgatoire. Sur ses
terrsses (9+ 1), ls sauvs qui ont se purifer souffent en chantant
la gloire de Dieu 6
Quant l 'Enfer, c 'est un vaste cne sous terre dont la pointe est
au centre du corps d Lucifer. Il se divie ausi en 9 cercls, prcds
du vestibul o sont les lches. A mesure que l 'on descend, ls fautes
punies sont de plus en plus graves, et si nombreuses que les cercles
se divient en zones et en sous-zones jusqu 'au tratres dont le plus
hideu est Satan. Mai, de grce, qu'on abandonne ce schma et
qu'on lie le pome.
On l 'a dit et rpt, ce pome est celui de l'omo viator. I va
cherchant la libert qui est si chre 7 #q dclare Virgile Caton,
gardien du Purgatoire. L'homme en marche vers l perfection, vers
la divinit. Le pote, en son voyage, dcouvre l 'histoire du monde,
celle du lointain pass, celle de son prsent et celle d'un certain
avenir, car l longue marche tant imagne au temps de Pques de
l 'anne 1300, tout ce qui est signal, annonc aprs cette date prend
fgure de prophtie. Que de personnages rencontrs ! Que de scnes
sucites par ces rencontres, tragques ou cocasses ! Et les diffcults
des passages franchir, non pour l 'ombre de Virgile mai pour son
compagnon qui a encore | le poid de la chair d'Adam 8 #+ Mai,
l encore, qu'on lie, qu'on lie, et qu'on se laise emporter par le
pote !
26
INTRODUCTION
Car san le pote, que serait tout cel ? Peut-tre un schma sera
t-il encore ici utile, et d'ailleurs tout n'est-il pas signifant ? Les
14 233 vers de la Comdie se diposent en 3 Cantiche, . chacune de
33 chants, plus un chant d'introduction, ce qui fait 100. La strophe
est le tercet o le 1er et le se vers sont lis par l rime au 2e du tercet
suivant, en un rythme harmonieu.
L'abandon du Convivio inachev, nous l 'avons dit, reprsente
fondamentalement le passage du pote de l 'allgorie au symbole.
Non plus d'abord l 'ide habille, par dmarche intellectuelle, de
comparaions, mai le rel directement saii et suggr en
mtaphores. Non que l 'allgorie soit absente du pome, mai ses
allgories y ont une me de symbole. Les images surgisent de
partout, de la beaut du monde, des critures, de la mythologie
lrgement et fnement exploite. Dante veut-il signifer son
impuisance redire ses viions paradiiaques ? Voici:
Ainsi la neige au soleil perd sa forme,
ainsi au vent dans les feuilles lgres
se perdait la sentence de la Sibylle.
Il convient surtout de ne pas oubler que l lettre, si belle en elle
mme, est toujours porteuse de symbole.
Un seul artite a su illustrer le Paradi dantesque, c 'est
Botticelli 9

Tous les autres - et il sont nombreu ! - ont
reprsent soit des personnages qui en fait ne sont pas viibles, soit
des scnes rappeles dans ls conversations. Or, si dan la structure
terrestre de l 'Enfer et du Purgatoire, l 'ombre des personnes
rencontres a une apparence humaine plus ou moins abme, ou
mme transforme en arbustes ou en serpents, dans le monde
immatriel de la troiime Cantica, tout est lumire. Les mes
bienheureuses, par faveur divine pour Dante encore humain, se
manifestent lui dans les diffrents Ciel, sous forme de lumires
d'intensit et de couleurs diffrentes ; l 'amour qui les anime les
entrane en des danses formant des dessins qui se font et se dfont ;
ainsi les tonnantes chorgraphies des rondes dans le Soleil, de la
27
LA DIVINE COMDIE
Croi dans Mars, de l 'Aigle dans Jupiter . . . ; et ces danses lgres
et symboliques s 'accompagnent de chants qu'oreille humaine ne
saurait imaginer. Lumire, danse et chant sont la triple epression
senibl pour l 'humanit de Dante d l'amour, substance du Paradi.
C'est aini que Botticelli a su diposer une multitude de lumires
dansantes parmi lesquelles le pote arrive en une vertigineuse
ascension, les yeux dans les yeux de Batrice
10

Passionnant suivre un Dante mystique tout au long du Pome,
qui, aprs l 'ineffable viion directe de l divinit impossible redire,
se sent rappel ou plutt envoy parmi les hommes ses fres :
A la haute fantaisie ici manqua le soufle,
mais dj tounait mon dsir et vouloir
comme roue qui galement est mue
1 'Amour qui meut le soleil et les autres toiles.
(Par. XXXIII, 142-145)
Ces quelques notations Il, destines aider l lecteur, resteraint
bien faibles, si ne se prsentait le Pome sous une forme accessible
au lecteur franai
1
2
.
LA TRADUCTION
Encore une traductin d la Divine Comdie ! dira-t-on peut-tre.
Eh oui, encore une traduction de l 'intraduiible pome de Dante.
Pciment parce qu'il est intraduiibl, il demande des approches
diffrentes. Mme aprs la traduction de mon ami Andr Pzard,
qui enchante les mdivites, il a sembl que serait bienvenue une
traduction qui permette un plus vaste publc de lecteurs la
connaisance du sacrato poema # tout en lui conservant, autant
que faire se peut, une saveur dantesque. C'est du moins ce qui tait
apparu nombre de collgues et d'ami, autant italins que fanai,
qui ayant apprci les nombreuses citations qui parsment le texte
de mon Dante, dans la collection Les crivains devant Dieu #q
28
INTRODUCTION
ne se rsignaient pas l suppression, pour des raions ditoriles,
des traductions qui auraient d suivre l 'essai. Leurs instances ont
fni par me convaincre et je me sui mie l 'uvre.
Mes critres de traduction n 'ayant pas chang, je reproduirai
simplement ce que j 'en crivai alors.
La culpabilit du trare - traduttore traditore - n'accompagne pas
fatalement le traducteu qui, en revanche, ne peut viter une sorte de
dsespoir, surtout quand il s'agit de posie, de cette posie qui rside dans
l'expression irremplaable o rien, abslument rien ne sauait tre modifi,
et dont la traduction se propose de changer les mots, la syntaxe, le rytme,
les sonorits... Il reste le sens, mais les nuances du sens sont si troitement
lies aux formes suggestives qu'on est ramen l encore une difficult
souvent insurmontable. Il faut pourtant choisir.
Aprs deux refus, refus d'un talement en prose du verset dantesque qui
s'y trouve ananti, refus d'une traduction en vers qui peut tre agrable
1 'oreille mais qui porte fatalement des inexactitudes et mme des
contresens, mon choix reste celui de la strophe dont le rythme est cherch
dans une harmonie aussi proche que possible de l' original, sans toutefois
lui sacrifier des nuances de sens toujous importantes. Dans l'impossibilit
dj dclare par Dante nul crit harmonis par le lien musical ne peut
tre de sa langue en une autre transform sans rompre toute douceu et
harmonie P ( Convivio, 1, vu, 14) - il reste transmettre le transmissible.
Parmi le transmissible, il est parfois une certaine obscurit, de mystre ou
de rserve, qu'il faut bien se garder de dtruire par une clart importune
et grammaticalement correcte.
Quant la langue, l encore entre un franais moderne et correct qui
ne peut se plier aux raccourcis du pote, la forte sobrit de son toscan
plus d'une fois invent, et un pastiche trop savant en langue du XIV
sicle, inaccessible l'ensemble des lecteurs, je persiste dans l'emploi d'un
franais d'aujourd'hui, mais trs souvent bris dans sa syntaxe quand le
rythme le demande, et accueillant des termes soit anciens - non pou
faire ancien P mais pour correspondre mieux l'intention du pote -,
soit crs, sans complexe, suivant en cela l'exemple de Dante
1
3,
Convient-il d'ajouter quelques prciion sur des choi dlibrs ?
Le respect ds rptitions, qu'ells soient de simplicit : il dit, je di,
ou de paroles signifcatives, ce qui est trs fquent. L'imitation de
l'italin dn l suppression d'articles ou d pronom pour l sobrit
29
LA DIVINE COMDIE
ou l vigeur d l phrase, ou encore sa douceur, et pour un rythme
plus serr. L'empli si riche en italen de l 'infnitif comme nom ...
Pour les noms propres il fallait s 'arrter un choi nuanc. Les
nom propres italn restnt en ialin, sauf dn ls cas o l forme
fanaie trs courante s 'imposait : il et t riicul, dans un tete
fanai, d lre Milno, Rom, Firenze, ou Franceco pour Franoi
d'Assie. Les noms des dmons, dan l 'enfer, sont conservs car il
ont un sens si fondu dans l trouvaille de la forme qu 'on ne peut
risquer un quivalent. Les noms trangers restent dans lur propre
lngue, sauf dns ls cas indiqus pls haut (aini saint Dominique).
Suf ausi au Paradis, XI, 79-80, ls noms de Felice et Giovanna,
Dante voyant dans lur forme italinne le sens du destin des deu
personnages.
Encore un mot : je n 'ai pas hsit, en quelques cas rares,
emprunter une epression qui me paraisait singulrement heureue
chez un autre traducteur: ainsi, Paul Renucci, l'arpent d
terre de Paradis XXI, 151 ; ou Andr Pzard, le temps qui
t 'ensommeille d Paradis XXXI, 139 ; ou encore, comme tu
regard, Pre, qu'as-tu ? (nf. XXXII, 51), Lamennai.
Enfer
Chant 1
1 Au milieu du chemin de notre vie
je me trouvai dans une fort obscure
gar hors de la voie droite.
4 Ah, comme est chose dure dire quelle tait
cette fort sauvage et pre et forte
qui dans la pense fait revivre la peur !
7 Si amre que peu plus est la mort ;
mais pour traiter du bien que j 'y trouvai,
je dirai les autres choses que j 'y ai vues.
10 Je ne sais bien redire comment j 'y entrai
tant j 'tais plein de sommeil au moment prcis
o j 'abandonnai le vrai chemin.
13 Mais quand je fus venu au pied d'une colline
l o prenait fin cette valle
qui de frayeur m'avait treint le cur,
16 je regardai en haut et vis ses paules
revtues dj des rayons de l' astre
qui mne droit chacun en tout sentier.
19 Alors fut un peu calme la peur
qui au profond du cur m'tait reste,
la nuit que je passai en telle angoisse.
22 Et comme celui qui, le souffle haletant,
sorti hors de la mer sur le rivage
se tourne vers l'eau prilleuse et regarde,
25 ainsi mon esprit qui encore s'enfuyait
33
LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT 1
se tourna en arrire pour voir ce passage
61 Tandis que je croulais vers les lieux bas,
qui ne laissa jamais nulle personne en vie. devant mes yeux quelqu'un me fut offert
28 Lorsque j 'eus repos un peu mon corps lass, qui par long silence semblait enrou.
je repris marcher sur la cte dserte, 64 Quand je le vis dans ce si grand dsert :
o le pied qui pesait tait le plus bas.
Piti de moi criai-je vers lui,
31 Et voici, non loin d'o commenait la pente, *
qui que tu sois, ombre ou homme vrai .
une panthre, lgre et trs agile,
67 Il rpondit : Homme non, mais homme je fus
qui de poil tachet tait recouverte,
et mes parents furent lombards,
et mantouans de patrie, l'un et l' autre.
34 elle ne s'loignait de devant mon visage,
70 Je naquis sub Julo encore qu'il ft tard,
et mme empchait tellement mon chemin
et vcus Rome, sous le bon Auguste,
que plus d'une fois je fus pour revenir.
au temps des dieux factices et mensongers.
37 C'tait le temps quand commence le matin,
73 Je fus pote et je chantai ce juste
et le soleil montait avec ces toiles
fils d'Anchise qui vint de Troie
qui taient avec lui lorsque l'amour divin
quand la superbe Ilion fut incendie.
40 fit mouvoir en premier ces choses si belles ;
76 Mais toi, pourquoi retourner telle dtresse ?
aussi me portrent esprer un bien
pourquoi ne gravis-tu le mont heureux
de cette bte au pelage bigarr
principe et cause de toute joie ?
43 et l'heure du jour et la douce saison, *
79 Es-tu donc ce Virgile, et cette source
mais non tant que peur ne me donnt
qui du parler pand si large fleuve ?
la vue d'un lion qui l m' apparut.
lui rpondis-je la honte au front.
4 Celui-ci paraissait venir contre moi,
82 0 des autres potes honneur et lumire,
la tte haute avec une faim rageuse,
me vaillent la longue tude et le vif amour
au point que l'air en semblait pris de crainte,
qui r
'
ont fait rechercher ton livre.
49 et d'une louve qui de toutes convoitises*
85 Tu es mon matre et tu es mon auteur ;
semblait charge en sa maigreur,
seul tu es celui de qui j 'ai reu
et maintes gens dj fit vivre misrables ;
le beau style qui m'a fait honneur.
52 celle-ci mit en moi un tel accablement
88 V ois la bte pour qui je retournai,
par la peur que suscitait sa vue,
sage fameux, sauve-moi d'elle
que je perdis l'espoir de la hauteur.
qui fait trembler mes veines et mon pouls.
55 Et tel est celui qui volontiers acquiert,
91 Il te faut tenir un autre voyage
et, si vient un temps qui le fait perdre,
rpondit-il quand il me vit pleurer,
en toutes ses penses pleure et s' attriste,
si tu veux chapper ce lieu sauvage,
58 tel me fit cette bte sans paix
94 car cette bte pour laquelle tu cries
qui, venant contre moi, peu peu
ne laisse aucun passer par son chemin,
me repoussait l o le soleil se tait.
mais tant l'empche qu'elle lui te la vie ;
34
35
97
lOO
103
106
1 09
l l 2
I l S
l l 8
121
124
127
130
36
LA DIVINE COMDIE
elle a nature si mauvaise et cruelle
que jamais n'assouvit toutes ses convoitises
et aprs le repas a plus de faim qu'avant.
Nombreux les animaux auxquels elle s'accouple,
et seront plus encore jusqu' ce que le Veltre*
vienne la faire mourir grand'douleur.
Il ne se nourrira de terre ni d'argent,
mais de sagesse d' amour et de vertu,
et son pays sera entre Feltre et Feltre ;
il sera le salut de cette humble Italie*
pour qui moururent et la Vierge Camille
et Euryale et Turnus et Nisus, de blessures.
Il la pourchassera par toutes les villes,
jusqu' ce qu'il l' ait replace en Enfer
d'o l'envie d' abord la fit sortir.
Aussi je pense et juge pour ton bien
que tu me suives et je serai ton guide,
et hors d'ici je te mnerai par u lieu ternel
o tu entendras les cris dsesprs,
tu verras les anciens esprits souffrants
que la seconde mort fait hurler ;
et puis tu verras ceux qui sont contents
dans le feu, parce qu'ils esprent venir
un jour parmi les mes bienheureuses,
vers qui ensuite si tu veux monter
une me viendra pour cela, plus que moi, digne,
avec elle te laisserai mon dpart,
car cet empereur qui l-haut gouverne,
parce qu' sa loi je fus rebelle
ne veut qu'en sa cit par moi l'on vienne.
En tout lieu il domine et l il rgne,
l est sa cit et son trne suprme,
bienheureux celui qu'il y appelle !
Et moi lui : Pote je te demande,
par ce Dieu que tu n'as pas connu,
afin que je fuie ce mal et pire,
133
136
ENFER. CHANT 1
que tu me mnes l o tu viens de dire,
de sorte que je voie la porte de saint Pierre
et ceux-l que tu dis tre si affligs.
Lors il partit et moi je le suivis.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
38
Chant II
Le jour s'en allait et l'air assombri
enlevait les vivants qui sont sur terre
leurs travaux, et moi, homme seul,
me disposais soutenir le combat
et du chemin et de la piti
que retracera mon esprit fidlement.
0 Muses, mon plus haut gnie, aidez-moi,
mmoire qui crivis ce que j ' ai vu
ici apparatra ta noblesse.
Je commenai : Pote qui me guides
considre ma valeur si elle est suffisante,
avant que tu m' engages au passage ardu.
Tu dis que de Sylvius le pre, *
corruptible encore, au sicle
immortel alla et fut sensiblement.
Partant si l'adversaire de tout mal
lui fut courtois, en vue du haut effet
qui de lui devait natre, et qui et quel,
cela ne parat pas indigne d'homme sage,
car de l'auguste Rome et de l' empire
il fut, dans l' empyre, lu pour pre,
laquelle et lequel, si l'on veut dire vrai,
furent tablis en vue du lieu saint
o sige le successeu de Pierre le Majeur.
Au cours de ce voyage dont tu lui fais gloire
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
ENFER. CHANT II
il entendit des choses qui furent cause
et de sa victoire et du manteau papal.
Y alla ensuite le vase d'lection*
pour en rapporter appui cette foi
qui est l'entre dans la voie du salut.
Mais moi, pourquoi venir ? ou qui le concde ?
Je ne suis pas

ne, je ne suis pas Paul,


personne-ni moi-ne m'en croit digne.
C'est pourquoi, si je m'abandonne venir,
je crains que ma venue ne soit folie :
tu es sage et tu entends mieux que je ne sais dire. P
Et tel qui plus ne veut ce qu'il voulut
et change son projet pour nouvelles penses,
et ainsi se retire avant de commencer,
tel me fis-je sur cette cte obscure,
et ainsi, en pensant, consumai l'entreprise
qui fut au commencer si pressante.
Si j 'ai bien compris ce que tu dis Pq
rpondit l'ombre de ce magnanime,
ton me est blesse de cete lchet
qui maintes fois l'homme encombre,
le dtournant d'entreprise honore,
comme bte, par fausse vue, devant son ombre.
Afin que de cette crainte tu te libres,
sache pourquoi je vins et ce que j 'entendis,
au premier temps o j 'eus piti de toi.
J'tais parmi ceux qui sont en suspens
et Dame m'appela, heureuse et belle,
telle que de commander lui demandai.
Ses yeux brillaient plus qu'toile,
elle commena parler, suave et calme,
d'une voix anglique, en son langage :
"0 me courtoise mantouane
dont le renom encore dans le monde dure
et durera tout autant que le monde,
39
LA DIVINE COMDIE
ENFER. CHANT II
61 un ami mien - et non de la fortune -
97 Elle appela Lucie auprs d'elle
en dserte rgion est empch tellement
et dit : "Voici que ton fidle a besoin
dans son chemin que la peur le dtourne :
de toi et toi je le recommande".
6 je crains qu'il ne soit dj si gar
100 Lucie, ennemie de quiconque est cruel,
que je sois trop tard venue son secours
aussitt s'en vint au lieu o j 'tais
selon ce que de lui au ciel j ' ai entendu.
assise auprs de l'antique Rachel.
67 V a donc et par ta parole orne
103 Elle dit : "Batrice, louange vraie de Dieu,
par tout ce qu'il faudra pour le sauver,
que ne secours-tu celui qui tant t' aima
aide-le tant que j 'en sois console.
que pour toi il sortit de la troupe vulgaire ?
70 Je suis Batrice qui t'envoie lui,
106 N'entends-tu pas la douleur de sa plainte ?
je viens du lieu o dsire retourner,
ne vois-tu pas la mort qui le combat
amour m'a fait venir, qui me fait parler.
sur le grand fleuve plus affreux que la mer ? "
73 Quand je serai devant mon Seigneur
109 Au monde ne furent jamais personnes si promptes
de toi souvent lui je me louerai. "
faire leur avantage ni fuir leur dommage
Elle se tut alors, et moi je commenai :
comme je fis, peine ces paroles dites,
76 "0 Dame de vertu, seule par qui
1 1 2 venant ici de mon bienheureux sige,
l' espce humaine dpasse ce que contient
confiante en ton parler honnte
ce ciel dont les cercles sont moindres, *
qui honore et toi et qui l'a entendu".
79 tant m'agre ton commandement
1 1 5 Aprs qu'elle m'eut ainsi parl,
que l'obir, dj ft-il, me semble tard,
elle dtourna ses yeux brillants de larmes,
ne t'est besoin ouvrir plus ton dsir.
ce qui me fit plus promptement venir ;
82 Mais dis-moi pourquoi tu ne te gardes
118 et j e vins toi ainsi qu'elle le voulut :
de descendre si bas en ce centre,
je t'ai enlev de devant cette bte
venant du vaste lieu o de rentrer tu brles ? "
qui du beau mont le court chemin barrait.
85 "Puisque tu veux le savoir si fond,
121 Qu'est-ce donc ? Pourquoi, pourquoi hsites-tu ?
je te dirai en bref", rpondit-elle,
pourquoi t'est venue telle lchet au cur ?
"pourquoi je ne crains de venir en ce lieu.
pourquoi n'as-tu hardiesse et franchise
88 Craindre doit-on ces seules choses
124 alors que trois telles Dames bnies
qui ont pouvoir de mal chez autrui,
ont soin de toi dans la cour du ciel,
non les autres qui ne sont effrayantes.
et ma parole tant de bien, te promet ?
91 Par Dieu, je suis faite, en sa grce, telle
127 Comme les fleurettes, par le nocturne gel
que votre misre ne me blesse
inclines et fermes, quand le soleil les frappe
et flamme de votre incendie ne m' assaille.
toutes se redressent ouvertes sur leur tige,
94 Noble Dame est au ciel qui s'afflige
130 tel me fis-je en mon courage lass,
de cet obstacle o je t'envoie,
et bonne hardiesse tant me courut au cur
pour ce, dur jugement l-haut elle brise. "
que je commenai comme personne vaillante :
40
41
133
136
139
142
LA DIVINE COMDIE
Oh pleine de piti celle qui me secourut,
et toi qui si courtois as si vite obi
aux paroles de vrit par elle profres !
Tu as dispos mon cur en tel dsir
de venir, par tes paroles,
que je suis revenu mon premier propos.
V a donc, u seul vouloi est de nous deux :
toi guide, toi seigneur, toi matre. P
Ainsi lui dis-je et ds qu'il avana
j 'entrai dans l'pre et sauvage chemin.
1
4
7
10
Chant III
Par moi on va dans la cit dolente,
par moi on va dans l'ternelle douleur,
par moi on va parmi la gent perdue.
Justice a m mon souverain auteur,
me fient la divine puissance
la suprme sagesse et le premier'amour.
Avant moi ne furent choses cres
sinon ternelles, et moi, ternelle, je dure :
laissez toute esprance, vous qui entrez ! P
Ces mots de couleur obscure
je vis crits en haut d'une porte,
alors je dis : Matre, dur m' est leur sens. P
13 Et lui moi, en personne qui sait :
Ici il convient de banni toute crainte
et que toute lchet ici soit morte.
16 Nous sommes venus au lieu o je t' ai dit
que tu verras les gens douloureux
qui ont perdu le bien de l'intelligence. P
19 Et puis, sa main sur la mienne pose,
le visage joyeux, dont je fus confort,
il m'introduisit dans les choses secrtes.
22 L, soupis, plaintes, cris dsesprs,
rsonnaient dans l' air sans toiles,
pour ce, d' abord, je me mis pleurer.
25 Parlers tranges, horribles langages,
43
LA DIVINE COMDIE
ENFER. CHANT III
paroles de douleur, accents de colre, 61 Aussitt je compris et fus certain
voix hautes et faibles, avec des bruits de mains,
que c'tait l la secte des mchants
28 faisaient un tumulte qui tournoie
qui dplaisent Dieu comme ses ennemis.
sans arrt, dans cet air ternellement sombre,
6 Ces malheureux qui jamais ne furent vivants
comme le sable quand le vent tourbillonne.
taient nus et cruellement piqus
31 Et moi, la tte ceinte d'horreur,
par taons et gupes qui taient l.
je dis : Matre qu'est-ce donc que j 'entends ?
67 Leurs visages taient rays de sang
et quelle gent est-ce ainsi vaincue par la douleur ?
qui, ml de larmes, tait, leurs pieds,
par des vers hideux recueilli.
34 Et lui moi : Ce misrable tat
70 Lorsque ensuite je portai mon regard plus outre
est celui des tristes mes de ceux
je vis des gens au rivage d'un grand fleuve
qui vcurent sans infamie et sans louange.
pour ce je dis : Matre, accorde-moi
37 Elles sont mles ce mchant chur
73 de savoir quels ils sont, et quelle loi
des anges qui ne furent rebelles
les fait paratre traverser si prompts,
ni fidles Dieu, mais furent pour eux-mmes.
comme j ' aperois la faible lueur.
40 Les cieux les chassent pour n' tre pas moins beaux,
76 Et lui moi : Les choses te seront connues
et le profond enfer ne les reoit
quand nous arrterons nos pas
car les maudits en auraient quelque gloire.
sur le triste rivage de l' Achron.
43 Et moi : Matre, qu'est-ce qui tant les accable
79 Alors, honteux et les yeux baisss,
et les fait se lamenter si fort ?
craignant que mon dire ne l'importune
Il rpondit : Je te le dis en bref.
jusqu'au fleuve je me tins de parler.
4 Ceux-ci n'ont esprance de mort
82 Et voici venir nous dans une barque
et leur aveugle vie est si basse,
un vieillard tout blanc de poil antique
qu'envieux sont de tout autre sort.
criant : Malheur vous mes perverses
49 Le monde ne garde d' eux aucun renom
85 N'esprez pas jamais voir le ciel :
misricorde et justice les ddaigne,
je viens pour vous mener sur l' autre rive,
ne parlons pas d'eux, mais regarde et passe. dans la nuit ternelle, dans le feu et le gel ;
52 Et moi je regardai et je vis une enseigne, 8 et toi qui es l, me vivante,
qui en tournant courait si vite loigne-toi de ceux-l qui sont morts.
qu'elle me semblait toute pause contraire ; Mais comme il vit que je ne r
'
loignais,
55 et, derrire elle, suivait si longue foule 91 il dit : Par autre voie, par autres ports
de gens que je n'aurais cru tu viendras la plage, non ici, pour passer :
que mort autant en eut dfait. plus lgre barque devra te porter.
58 Aprs que j 'en eus reconnu quelques-uns, 94 Et mon guide lui : Charon, ne te courrouce : *
j e vis et connus l'ombre de celui on veut ainsi l o l'on peut
qui fit, par lchet, le grand refus*. ce que l'on veut, ne demande pas plus.
4 45
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
LA DIVINE COMDIE
Lors furent calmes les joues laineuses
au nocher du livide marcage
qui, autour des yeux, avait cercles de flammes.
Mais les mes qui taient lasses et nues
changrent de couleur et claqurent des dents,
peine entendues les rudes paroles.
Elles blasphmaient Dieu et leurs parents,
l' espce humaine, le lieu, le temps et le germe
de leur race et de leur enfantement.
Puis elles se portrent toutes ensemble,
pleurant fort, la rive maudite,
qui attend tout homme n' ayant crainte de Dieu.
Charon, le dmon aux yeux de braise,
par signes toutes les rassemble,
et frappe de la rame quiconque s'attarde.
Comme en automne se dtachent les feuilles
l'une aprs l'autre, et que la branche
voit, terre, ses dpouilles,
semblablement la male semence d'Adam :
elles se jettent de la rive une une,
au signal, comme l'oiseau l' appeau.
1 18 Ainsi s'en vont glissant sur l'onde brune,
et avant qu'elles soient l descendues
de nouvelle troupe encore se runit.
121 Mon fils , dit le Matre courtois,
ceux qui meurent dans la colre de Dieu
tous arrivent ici de tout pays :
124 Et ils sont prompts passer le ruisseau
car la divine justice tant les peronne
que leur crainte se change en dsir.
127 Par l jamais ne passe me bonne,
partant si Charon de toi se plaint
tu peux ores savoir le sens de son dire.
130 Aprs cela, la sombre campagne
trembla si fort que, d'pouvante,
le souvenir me baigne encore de sueur.
46
133
136
ENFER. CHANT III
La terre mouille de larmes jeta un vent
d'o jaillit en clair une rouge lueur
qui en moi vainquit tout sentiment ;
et je tombai comme un que le sommeil saisit.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
4
Chant IV
Brisa ce profond sommeil en ma tte
un lourd tonnerre, et je revins moi,
comme quelqu'un que l'on force au rveil ;
et mes yeux reposs dirigeai alentour,
tout droit lev, le regard attentif
pour connatre le lieu o je me trouvais.
J'tais vraiment sur le bord
de la douloureuse valle infernale
qui rassemble le bruit de plaintes infinies.
Obscure, profonde tait-elle et nbuleuse
tant que, poussant mon regard vers le fond
je n'y discernais nulle chose.
Maintenant nous descendons dans le monde aveugle
commena le pote devenu tout ple,
je serai premier et tu seras second.
Et moi qui avais remarqu sa couleur,
je dis : Comment viendrai-je si tu as peur,
toi qui dans mes craintes es mon rconfort ?
Et lui moi : L' angoisse des gens
qui sont au fond, me peint sur le visage
cette piti que tu crois tre crainte.
Allons, la route est longue et nous presse.
Ainsi se mit-il, ainsi me fit entrer
dans le premier cercle qui entoure l'abme.
L, d'aprs ce que l'on peut entendre,
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
ENFER. CHANT IV
n'taient pleurs, mais soupirs
qui faisaient trembler l' air ternel :
Cela venait de douleur sans martyres
de grandes et nombreuses foules
et d' enfants et de femmes et d'hommes.
Et le hon matre : Tu ne demandes pas
quels esprits sont ceux-ci que tu vois ?
Je veux que tu saches avant d' aller plus loin,
qu'ils ne pchrent point, mais leurs mrites
ne suffisent, car ils n'eurent le baptme
qui est porte de la foi que tu crois ;
et s'ils furent avant le christianisme,
point n'adorrent Dieu selon ce qui est d,
et de ceu-l je suis moi-mme.
Pour tels manques et non pour autre faute
nous sommes perdus, cela condamns
que sans espoir nous vivons en dsir.
Grande douleur l'entendre me poignit le cur
car gens de grande valeur je connus
qui taient dans ce Limbe en suspens.
Dis-moi, matre aim, dis-moi, Seigneur
commenai-je pour tre assur
en cette foi qui vainc toute erreur,
est-il jamais sorti quelqu'un par mrite sien
ou d'un autre, qui ft ensuite un bienheureux ?
Et lui qui comprit mon parler couvert
rpondit : J'tais tout neuf en cet tat
quand j 'y vis venir un puissant
couronn et portant signe de victoire*.
Il en tira l'ombre du premier pre,
d' Abel son fils et celle de No,
de Mose, lgislateur et obissant ;
Abraham le patriarche et David roi*,
Isral avec son pre et avec ses enfants,
et avec Rachel pour laquelle tant servit,
49
LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT IV
61 et beaucoup d'autres, et les fit bienheureux : 97 Lorsqu'ils eurent un instant ensemble devis,
et je veux que tu saches qu'avant eux se tournrent vers moi et salurent du geste
mes humaines n'taient sauves. et mon maitre sourit tant de courtoisie ;
64 Nous ne cessions d'aller alors qu'il parlait 100 et bien plus d'honneur encore ils me firent
mais nous traversions la fort m'introduisant dans leur compagnie ;
la dense fort, dis-je, des esprits. et je fus sixime entre si hauts esprits.
67 N'tait longue encore notre marche 103 Ainsi nous allmes jusqu' la lumire
depuis mon sommeil, quand je vis un feu parlant de choses qu'il est bon de taire,
vaincre 1 'hmisphre de tnbres. comme il tait beau d'en parler l-bas.
70 Nous en tions encore quelque peu loigns 106 Nous arrivmes au pied d'un noble chteau,
mais non tant que je ne discernasse en partie sept fois ceint de hautes murailles
que gens honorables occupaient ce lieu. dfendu tout autour par un beau ruisseau.
73 0 toi qui honores toute science et a, 109 Nous le passmes comme terre ferme :
qui sont ceux-ci qui reoivent tant d'honneur par sept portes j 'entrai avec ces sages,
et de l'tat des autres ainsi sont spars ? et nous fmes sur un pr de fraiche verdure.
76 Et lui moi : La gloire de leur nom rsonnant 1 1 2 Des gens taient l, le regard lent et grave,
dans la vie qui est tienne acquiert au ciel de grande autorit en leur aspect,
une grce qui tant les avantage. ils parlaient peu, d'une voix trs douce.
79 Alors une voix fut par moi entendue : 1 1 5 Nous nous rendimes ainsi par un des cts,
Honorez le trs haut pote, en un lieu ouvert, lumineux, haut plac,
son ombre revient qui nous avait quitts. d'o l 'on pouvait voir les ombres rassembles.
82 Lorsque la voix s'arrta et se tut, 118 L debout; au-dessus du vert mail
je vis nous venir quatre grandes ombres, me furent montrs les esprits magnanimes
elles ne semblaient ni tristes ni joyeuses. et e cette vue en moi-mme je m'exalte.
85 Le bon maitre commena parler : 121 Je vis Electre avec maints compagnons*,
Regarde celui qui, l'pe en main, parmi eux je connus Hector avec ne,
vient devant les trois autres comme seigneu : Csar arm et ses yeux d'pervier.
88 c'est Homre pote souverain, 124 Je vis Camille et la Penthsile
l'autre c'est Horace satirique qui vient, de l'autre ct, et je vis le roi Latinus
Ovide le troisime et le dernier Lucain. assis auprs de sa fille Lavinia.
91 Comme chacun avec moi se rencontre 127 Je vis ce Brutus qui chassa Tarquin,
dans le nom proclam par la voix qui parla Lucrce, Julie, Marcie et Cornlie,
ils me font honneur et en cela font bien. et seul, l'cart, je vis le Saladin*.
94 Ainsi vis-je assemble la belle cole 130 Puis, ayant port plus loin mon regard,
de ce seigneur du trs haut chant je vis le maire de ceux qui savent*
qui sur tous les autres comme aigle vole. assis parmi la gent philosophique.
50
51
133
136
139
142
145
148
1 51
LA DIVINE COMDIE
Tous l'admirent, tous lui font honneur :
l je vis et Socrate et Platon
qui, devant les autres, lui sont tout proches ;
Dmocrite qui soumet le monde au hasard*,
Diogne, Anaxagore et Thals,
Empdocle, Hraclite et Znon,
et je vis celui qui sut reconnatre la qualit,
Dioscoride veux-je dire ; et je vis Orphe,
Tullius et Linus et Snque moraliste ;
Euclide gomtre et Ptolme,
Hippocrate, Avicenne et Galien,
Averros qui fit le grand commentaire.
Je ne puis parler de tous pleinement,
car tant me presse mon long rcit
que bien souvent au fait manque le dire.
La compagnie des six en dex se spare :
par autre voie m'emmne mon sage guide,
hors de l'air calme, dans l'air qui tremble,
et je viens du ct o n'est rien qui luise.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant V
Ainsi descendis-je du cercle premier
dans le second qui enserre moins d'espace
mais tant plus de douleur arrachant des cris.
Sige ici Minos horriblement, et grince :
examine les fautes l'entre,
juge et envoie selon les tours de queue.
Je dis que quand l'me mal ne
arrive devant lui, toute se confesse
et ce connaisseur en pchs
voit quel lieu d'enfer est le sien :
il s' entoure de sa queue autant de fois
que le nombre de cercles descendre.
Toujours devant lui elles sont nombreuses :
vont, chacune son tour, au jugement,
disent et entendent, et sont pousses en bas.
0 toi qui viens dans l'hospice de douleur P
me dit Minos quand il me vit,
cessant d'exercer tel office,
regarde comme tu entres et qui tu te fies,
ne t'abuse l'ampleur de l'entre ! P
Et mon guide lui : Pourquoi donc cries-tu ?
Ne t'oppose pas son aller fatal,
ainsi veut-on l o l'on peut
ce que l'on veut, ne demande pas plus.
Ores commencent les accents de douleur
53
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
5
LA DIVINE COMDIE
venir jusqu' moi, ores je suis arriv
l o grande plainte me frappe.
Je suis venu au lieu de toute lumire muet,
qui mugit comme fait mer en tempte
quand par vents contraires est combattue.
L'ouragan infernal qui jamais n' a de trve
emmne les esprits dans sa rafale,
roulant, heurtant, les malmne.
Quand ils arrivent devant la ruine
l, cris, plaintes, gmissements ;
l ils blasphment la divine vertu.
J'entendis alors qu' tel tourment
sont condamns les pcheurs charnels
qui soumettent la raison leurs dsirs.
Et comme leurs ailes portent les tourneaux
au temps froid, en groupes larges et denses,
de mme ce souffle les esprits mauvais,
de de l en haut en bas les entrane,
nulle esprance les conforte jamais
non pas de pause, mais de plus faible peine.
Et comme les grues s'en vont chantant leurs lais,
traant dans l' air, d' elles-mmes, longue raie,
ainsi vis-je venir criant leurs plaintes
des ombres portes par cet ouragan,
pourquoi je dis : Mare, qui sont donc
ces gens que l' air noir tant chtie ?
La premire de ceux dont tu veux
savoir nouvelles , me dit-il alors,
fut impratrice de maints langages.
Au vice de luxure fut si rompue
que licence devint licite en sa loi
pour supprimer le blme o elle tait mene.
Elle est Smiramis dont on lit
qu'elle succda Ninus et fut son pouse :
elle domina la terre que rgit le Soudan.
61
64
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
ENFER. CHANT V
L'autre est celle qui s'occit par amour*
et fut infidle aux cendres de Siche ;
puis vient Cloptre luxurieuse.
Vois Hlne par qui si funeste temps
se droula, et vois le grand Achille
qui pour finir mena guerre contre Amour.
Vois Pris, Tristan , et plus de mille
ombres me montra du doigt et me nomma,
que de notre vie amour dtacha.
Quand j 'eus entendu mon matre
nommer dames et chevaliers antiques,
piti me poignit, je fus comme gar.
Je commenai : Pote volontiers
je parlerais ces deux qui vont ensemble*
et paraissent si lgers dans le vent.
Et lui moi : Tu verras quand ils seront
plus prs de nous ; et toi alors tu les pries
au nom de cet amour qui les mne, et ils viendront.
Sitt comme le vent nous les ploie
j 'levai la voix : 0 mes tourmentes
venez nous parler, si Autre ne le nie.
Telles colombes appeles par le dsir,
ailes ouvertes et tendues, leur doux nid
vont dans l' air, portes par leur vouloir,
ceux-ci quittrent la troupe o est Didon,
auprs de nous venant par l'air malin,
si fort fut mon affectueux appel.
0 crature gracieuse et bonne
qui vas visitant, dans l' air tnbreux,
nous qui teignmes le monde de sang,
si nous tait ami le roi de l'univers
nous le prierions, lui, pour ta paix
puisque tu as piti de notre mal pervers.
De ce qu'il vous plat d'entendre et de parler
vous nous parlerons et nous vous entendrons,
tandis que le vent, comme il fait, se tait.
55
97
100
103
106
109
112
1 1 5
1 18
121
124
127
130
56
LA DIVINE COMDIE
Sise est la terre o je fus ne
sur le rivage o le P descend
pour avoir paix avec ceux qui le suivent.
Amour qui au cur noble aussitt s'enflamme
prit celui-ci de la belle personne
qui me fut ravie, et la faon encore m'offense.
Amour qui l'aim ne fait grce d' aimer
me fit de lui prendre plaisir si fort
que, tu le vois, encore ne r
'
abandonne.
Amour nous conduisit mme mort,
Can attend qui nous ta la vie.
Ces paroles par eux nous furent offertes.
Lorsque j 'eus entendu ces mes offenses,
j 'inclinai le visage et tant le tins baiss
qu'enfin le pote me dit : Que penses-tu ?
Quand je rpondis, je commenai : Hlas !
combien de doux pensers, que de dsirs
mena ceux-ci au douloureux passage !
Puis, m'adressant eux, mon tour je parlai
et commenai : Francesca, tes martyres
me portent pleurer de tristesse et piti.
Mais dis-moi, au temps des doux soupirs,
quel signe et comment permit Amour
que vous connussiez les dsirs douteux ?
Et elle moi : Il n'est pire douleur
que se souvenir du temps heureux
dans la misre, et cela le sait ton docteur.
Mais si de connatre la premire racine
de notre amour tu as tel dsir,
je ferai comme celui qui pleure et dit.
Nous lisions un jour par plaisir
de Lancelot et comment amour le saisit :
nous tions seuls et sans aucun soupon.
Plus d'une fois nous fit lever les yeux
cette lecture, et plir le visage :
mais seul fut un point qui nous vainquit.
133
136
139
142
ENFER. CHANT V
Quand nous lmes le rire dsir
tre bais par un tel amant,
lui qui jamais de moi ne sera spar,
me baisa la bouche tout tremblant :
Galehaut fut le livre et qui l'crivit,
ce jour-l nous ne lmes plus avant.
Tandis qu'ainsi disait l'un des esprits
l'autre pleurait tant que, de piti,
je perdis sens, comme si je mourais,
et je tombai comme tombe un corps mort.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
58
Chant VI
Retrouvant mon esprit qu'avait vaincu
la piti pour ces deux amants,
piti qui de tristesse m'avait tout confondu,
nouveaux tourments et nouveaux tourments
je vois autour de moi o que j 'avance,
o que je me tourne, o que je regarde.
Je suis au cercle troisime, de la pluie
ternelle, maudite, froide et pesante :
rythme jamais ni qualit ne changent.
Grosse grle, eau noirtre et neige
se dversent dans 1 ' air tnbreux,
puante est la terre qui tout cela reoit.
Cerbre, monstre horrible et cruel,
de trois gosiers tel u chien aboie
dessus les gens qui sont l submergs.
Il a l'il rouge, la barbe grasse et noire,
le ventre large et de grands ongles aux mains,
il grfe les esprits, les corche, les cartle.
La pluie les fait hurler comme des chiens,
d'un flanc ils font rempart l'autre,
se retournent souvent les malheureux exclus.
Quand il nous aperut, Cerbre le grand ver
ouvrit ses gueules et nous montra ses crocs,
il n'avait membre qu'il tint immobile.
Mon guide tendit ses deux paumes,
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
ENFER. CHANT VI
prit de la terre et, pleines poignes,
la jeta dans les gosiers avides.
Tel un chien qui guette en aboyant
et s' apaise ds qu'il mord sa pture,
car la dvorer tout se tend et s'enrage,
telles se firent les faces rpugnantes
du dmon Cerbre qui tourdit les mes
au point qu'elles voudraient tre sourdes.
Nous passions sur les damns que dompte
la lourde pluie, et nous posions nos pieds
sur leur ombre vaine qui parat tre u corps.
Elles gisaient par terre toutes et toutes
sauf une qui se dressa, assise, ds
qu'elle nous vit qui passions devant elle.
0 toi qui es par cet enfer conduit ,
dit-elle, reconnais-moi si tu peux :
quand tu fus fait je n'tais pas dfait.
Et moi elle : L'angoisse que tu as
peut-tre te tire de mon esprit
car bien me semble ne t'avoir jamais vue.
Mais dis-moi qui tu es, qu'en lieu
si dolent tu es mise et telle peine
que si autre est pire nulle n' est si gnante.
Et lui moi : Ta ville qui est si pleine*
d'envie que dj en crve le sac,
me tint entre ses murs lors de la vie sereine.
Vous autres citadins vous m'appeliez Ciacco :
pour la damnable faute de gourmandise
comme tu vois la pluie me dtruis
et, me perdue, je ne suis pas seule
car toutes celles-ci sont semblable peine
pour semblable faute. Et plus il ne dit mot.
Je lui rpondis : Ciacco ta dtresse
tant me pse qu'elle m'invite pleurer,
mais dis-moi, si tu sais, o en viendront
59
61
64
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
60
LA DIVINE COMDIE
les citadins de la ville dchire,
s'il y est quelque juste ; et dis-moi la raison
pourquoi l'a telle discorde assaillie.
Et lui moi : Aprs longue querelle
ils en viendront au sang, et le parti sauvage
chassera l'autre, grand dommage.
Ensuite il faudra que ce parti succombe
dans trois soleils, et que l'autre remonte
par la force d'un tel qui ores flagorne.
Longtemps alors il tiendra haut le front,
tenant l' autre accabl sous durs fardeaux,
pour douleur ou colre qu'il en ait.
Des justes, il en est deux, mais ne sont entendus ;
orgueil, envie et avarice sont
les trois tincelles qui ont mis feu aux curs.
L il mit fin son dire plor,
et moi lui : Encore je veux que tu m' informes
et que tu me fasses don de parler davantage.
Farinata et Tegghiaio qui furent si dignes*,
Jacopo Rusticucci, Arrigo et Mosca,
et les autres qui bien faire furent si attentifs,
dis-moi o ils sont, fais que je les connaisse,
car grand dsir me presse de savoir
si le ciel les rjouit ou l'enfer les ruine.
Et lui : Ils sont parmi les mes les plus noires
diverses fautes les alourdit au fond,
si jusque-l descends tu les y pourras voir.
Mais lorsque tu seras dans le doux monde,
je t'en prie, porte-moi la mmoire des autres ;
plus ne te dis et plus ne te rponds.
Alors ses yeux d' abord drohs devinrent tors,
me regarda un peu et puis baissa la tte
et, avec elle, tomba prs des autres aveugles.
Et mon guide me dit : Plus ne se redresse
d' ici le son de l' anglique trompe,
lorsque viendra la puissance ennemie :
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
ENFER. CHANT VI
chacun retrouvera sa triste tombe
et reprendra sa chair et sa figure,
entendra ce qui pour l'ternit retentit.
Ainsi passmes par la hideuse mixture
des ombres et de la pluie, pas lents,
devisant un peu de la vie future,
ce pourquoi je dis : Matre ces tourments
crotront-ils aprs la grande sentence,
ou se feront-ils moindres, ou tout aussi cuisants ?
Et lui moi : Retourne ta science
qui veut que plus une chose est parfaite
plus elle sente le bien et aussi la douleur.
Bien que jamais cette gent maudite
la vraie perfection ne se dirige,
elle attend d' tre. plus au-del qu'en de.
Nous tournmes en rond par cette route,
parlant bien plus que je n'en puis redire.
Nous vnmes au point o le degr descend :
l trouvmes Plutus le grand ennemi*.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
62
Chant VII
Pap Satan, pap Satan aleppe !
commena Plutus d'une voix rauque,
et ce sage gentil qui sut tout
dit pour me conforter : Ne te nuise
ta peur, car, quelque pouvoir qu'il ait,
ne nous privera de descendre la roche.
Puis se tourna vers cette face bouffie
et dit : Tais-toi, maudit loup :
consume en toi-mme ta rage.
Elle n'est sans raison cette marche aux tnbres :
elle est voulue l-haut o Michel
fit vengeance de l'orgueilleuse rvolte.
Telles, gonfles par le vent, les voiles
tombent emmles lorsque le mt se brise,
telle tomba terre la bte cruelle.
Ainsi descendmes dns la quatrime fosse
gagnant toujours sur la rive de douleur
qui ensache tout le mal de l'univers.
Ah ! justice de Dieu ! qui rassemble nouvelles
peines et souffrances autant que j 'en vis ?
et pourquoi notre faute ainsi nous dchire ?
Comme fait l'onde au-dessus de Charybde
qui se brise contre celle qui arrive,
ainsi faut-il que la gent ici danse.
L je vis des gens plus qu'ailleurs nombreux
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
5
ENFER. CHANT VII
et d'une part et de l'autre grands hurlements,
roulant des poids avec leur poitrine.
Ils se heurtaient la rencontre et l, ensuite,
chacun se retournait, tournant son fardeau
et criant : Pourquoi tiens-tu ? et Pourquoi
Uettes-tu ?
Ainsi tournaient-ils par le sombre cercle
de chaque ct jusqu' au point oppos
criant toujours la parole de honte.
Puis revenait chacun, lorsqu'tait arriv
au demi-cercle, l'autre joute.
Et moi qui avais le cur contrist
je dis : 0 Matre mien, ores m'explique
quelle gent est celle-ci et si tous furent clercs
ces tonsurs, notre gauche.
Et lui moi : Tous et tous furent borgnes
d' esprit en leur vie premire
et ne firent dpense avec mesure.
Assez clairement leur voix l' aboie
lorsqu'ils arrivent aux deux points du cercle
o faute contraire les spare.
Ceux-ci furent clercs qui n'ont couvercle
de poil sur la tte, et papes et cardinaux
chez qui avarice se surpasse.
Et moi : Matre, parmi de tels damns
j 'en devrais bien connatre quelques-uns
qui furent souills de ces maux.
Et lui moi : C'est l une vaine pense,
la mconnaissante vie qui les fit immondes,
toute connaissance les rend obscurs.

ternellement ils viendront aux deux heurts ;


ceux-ci surgirent du spulcre
le poing ferm et ceux-ci le poil ras.
Mal donner et mal tenir les a privs
du monde de beaut, les a placs cette bagarre :
sur ce qu'elle est je n' ajouterai parole.
63
61
64
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
64
LA DIVINE COMDIE
Ores peux-tu voir, fils, la brve bouffonnerie
des biens qui sont commis la Fortune,
pour quoi la gent humaine se prend aux cheveux,
car tout l'or qui est sous la lune
et qui fut, ne pourrait en rien
procurer pause l'une de ces mes.
Matre , dis-je lui, dis-moi encore :
cette Fortune que tu viens de nommer, qu'est-elle
qui tient entre ses griffes les biens de la terre ?
Et lui moi : 0 sottes cratures !
que d' ignorance, - et quelle ! - offense vos esprits !
Ores je veux que tu ingurgites ma sentence.
Celui dont la sagesse transcende tout
fit les cieux et leur donna qui les conduit
et chaque partie resplendit pour chaque partie
en distribuant une gale lumire ;
semhlahlement, aux richesses humaines
il prposa une intelligence guide
qui ft passer, en leur temps, les vains biens
de peuple peuple et d'une famille l' autre,
au-del des calculs des esprits humains ;
pour ce un peuple domine et l'autre languit
selon dcision de Fortune
qui est cache comme serpent dans l'herbe.
Votre savoir ne peut s'y opposer,
elle prvoit, juge et poursuit
son rgne, comme le leur les autres dieux.
Les permutations n'ont de trve :
ncessit la fait tre rapide ;
nombreux sont ainsi ceux qui changent d'tat.
Elle est celle que tant l'on cloue au pilori,
mme par ceux qui d'elle auraient se louer,
lui donnant blme tort, et maldiction ;
mais elle est bienheureuse et n'entend tout cela ;
joyeuse avec les autres premires cratures,
elle tourne sa roue et jouit de sa flicit.
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
ENFER. CHANT VII
Descendons dsormais plus grande douleur,
dj les toiles tombent qui montaient
quand je suis arriv et trop long arrt n'est
[permis.
Nous traversmes le cercle jusqu' l' autre rive,
au-dessus d'une source qui bouillonne et se reverse
dans un foss creus par elle.
L'eau tait hien plus sombre que perse
et nous, en compagnie de l'onde brune,
nous descendmes par une voie nouvelle.
Il va dans le marais qui a nom Styx
ce triste ruisseau, quand il est descendu
auprs des malignes pentes grises.
Et moi qui tais attentif regarder,
je vis des gens boueux dans ce bourbier,
tous nus, l' aspect colreux.
Ils se battaient, non seulement des mains
mais de la tte, du tronc, des pieds,
avec les dents s' arrachant lambeau par lambeau.
Mon hon Matre dit : Fils, tu vois ici
les mes de ceux que vainquit l'ire,
et je veu. aussi que tu sois assur
que sous l' eau se trouve gent qui soupire
et fait arriver des bulles la surface
comme te disent tes yeux o que tu regardes.
Enfoncs dans la fange, ils disent : "Tristes fmes
dans le doux air ensoleill de joie,
portant en nous mchante fume.
Ores nous pleurons en cette vase noire".
Ils gargouillent cet hymne en leur gosier
car ne le peuvent dire en paroles entires.
Ainsi parcourmes de la sordide mare
un grand arc, entre le bord sec et le bourbier,
les yeux tourns vers qui s'emplit de houe ;
pour finir arrivmes au pied d'une tour.
65
1
4
7
10
13
16
19
22
25
66
Chant VIII
Je dis, en pousuivant, que bien avant
d'arriver la haute tour
nos yeux furent attirs la cime
par deux flammettes que nous vmes poser,
et une autre rpondre au signal si loin
qu' peine l'il pouvait la saisir.
Et je me tournai vers la mer de tout savoir,
je dis : Ce feu que dit-il ? et que rpond
cet autre ? Et qui sont ceux qui les font ?
Et lui moi : Sur l'onde fangeuse
dj tu peux apercevoir ce que l'on attend
si les vapeurs du bourbier ne te le cachent.
Corde jamais ne poussa loin sa flche
qui dans l' air courut rapide et lgre,
comme je vis une barque petite
venir nous l'instant sur l'eau,
dirige par un seul nocher
qui criait : Te voici arrive me flonne !
Phlgias Phlgias tu cries vide
dit mon seigneur, cette fois
ne nous auras que pour passer la bourbe.
Tel celui qui coute une grande tromperie
lui avoir t faite, puis s'en dpite,
ainsi se fit Phlgias retenant sa colre.
Mon guide descendit dans la barque
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
ENFER. CHANT VIII
puis me fit entrer aprs lui,
et seulement quand j 'y fus, elle parut charge.
A peine mon guide et moi fmes-nous dans la barque,
l'antique proue s'en fut fendant de l'eau
plus que n'a coutume avec d'autres.
Tandis que nous courions sur l'eau morte,
se dressa devant moi un plein de fange*
et dit : Qui es-tu qui viens avant l'heure ?
Et moi lui : Si je viens, point ne reste ;
mais toi qui es-tu ainsi fait si laid ?
Il rpondit : Vois, je suis un qui pleure.
Et moi lui : Avec tes pleurs et ta peine,
esprit maudit, reste o tu es,
car je te connais, bien que fangeux tu sois.
Alors il tendit ses deux mains sur la barque,
ce pourquoi le matre attent le repoussa
disant : V a-t-en l-bas avec les autres chiens !
Et puis le cou m'entoura de ses bras,
me baisa au visage et me dit :

me altire
bnie soit celle dont le sein te porta !
Celui-ci fut au monde personne orgueilleuse
bont en rien ne marque sa mmoire,
ainsi se trouve ici son ombre furieuse.
Combien se tiennent ores l-haut pour des rois
qui ici seront comme porcs en brai
laissant d'eux-mmes un horrible mpris !
Et moi : Matre, j 'ai bien grand dsir
de le voir plonger dans ce brouet
avant que nous sortions de ce lac.
Et lui moi : Avant que l'autre rive
se laisse voir, tu seras satisfait :
de ce dsir il est bon que tu jouisses.
Peu aprs je vis celui-ci dchir
de telle sorte par la gent fangeuse
qu'encore j 'en loue et en remercie Dieu.
67
LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT VIII
61 Tous criaient : Sus Filippo Argenti !
97 0 mon cher duc qui plus de sept
Et cet esprit florentin rageur, fois m'a rendu sret et tir
contre soi-mme se tournait belles dents. du grand pril contre moi dress,
64 L le laissmes et plus je n'en dis mot ;
100 ne me laisse pas , dis-je, ainsi dfait ;
mais dans l'oreille me frappa cri de douleur
et si nous est refus d'aller plus outre
pour quoi je tendis en avant mon regard.
ensemble vite retrouvons la trace de nos pas.
67 Le bon matre dit : Dsormais, fils,
103 Et ce seigneur qui l m'avait men
proche est la cit qui a nom Dite
me dit : Ne crains pas, nul ne peut
avec ses mchants citadins en grande foule.
arrter notre marche, si Tel nous l' a donne.
70 Et moi : Ses mosques dj
106 Mais attends-moi ici, et ton esprit lass
je distingue l dans la valle,
conforte-le et nourris-le de bon espoir
vermeilles comme si sortaient du feu.
car ne te laisserai pas dans ce monde bas.
73 Et il me dit : Le feu ternel qui dedans
109 Ainsi s'en va et ici m'abandonne
les embrase les fait paratre rouges
mon doux pre, et je reste en doute
comme tu le vois en ce bas enfer.
76 Nous arrivmes dans les hautes fosses
car non et oui se querellent en ma tte.
qui dfendent la cit dsole :
112 Je ne pus entendre ce qu'il leur dit,
me semblait de fer tre les murs.
mais il ne resta gure l avec eux
79 Non sans faire d' abord long dtour
car tous dedans l'envi rentrrent.
nous vnmes en un lieu o le nocher
1 1 5 Ils fermrent les portes, nos adversaires,
cria fort : Sortez d'ici. Ici est l'entre.
la face de mon seigneur qui resta dehors
82 Je vis, en haut des portes, plus de mille
et revint moi d'un pas lent.
tombs du ciel qui rageusement
1 18 Les yeux terre, les sourcils privs
disaient : Qui est celui-ci qui sans la mort
de toute hardiesse, il disait en soupirant :
85 va par le monde de la gent qui est morte ?
Qui m'a refus les dolentes demeures ?
Et mon sage matre fit signe
121 Et moi il dit : Si je m'irrite
de vouloir leur parler secrtement.
toi ne t'inquite, car je vaincrai l'preuve
88 Alors calmrent un peu leur grand courroux
quel soit celui qui au-dedans s'oppose.
et dirent : Viens toi seul et s'en aille
124 Cette outrecuidance chez eux n'est pas nouvelle
celui qui si hardi entra en ce royaume. et dj l'usrent moins secrte porte
91 S'en retoune seul par le fol chemin, laquelle est reste sans serrure.
qu'il essaye s'il peut, car tu resteras ici 127 Sur elle tu as vu l'crit de mort :
toi qui l'as guid en si sombre rgion. et, de l, dj descend la pente,
94 Pense, lecteur, si je m'pouvantai passant par les cercles sans escorte
au son de ces paroles maudites 130 celui par qui la ville nous sera ouverte.
car je crus ne jamais revenir.
68 69
1
4
7
10
13
16
19
22
25
70
Chant IX
Cette couleur que la peur me poussa au visage
lorsque je vis mon guide revenir en arrire,
refoula en lui la sienne aussitt.
Attentif s' arrta, comme homme qui coute,
car ne le pouvait le regard porter loin
dans l'air noir et dans la brume dense.
Il nous faut bien vaincre ce combat ,
commena-t-il, sinon . . . Telle nous se prsenta ! *
Oh ! combien me tarde qu'ici un autre arrive.
Je vis bien comment il recouvrit
le dbut de son dire avec ce qui suivit
qui furent paroles diffrentes des premires ;
mais non de moindre peur fut cause son dire,
parce que je tirais la parole tronque
peut-tre sens pire que celui qu'elle avait.
En ce fond de la triste conque
descend-il jamais quelqu'un du premier cercle
dont la seule peine est le manque d'esprance ?
Cette question fis-je ; et lui : Rare
est le cas , rpondit-il, que l'un de nous
fasse le chem
i
n par lequel je vais.
Il est vrai qu'une autre fois je fus en bas,
suppli par cette Erichton cruelle*
qui rappelait les ombres dans leurs corps.
Ma chair depuis peu tait vide de moi
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
ENFER. CHANT IX
quand elle me fit entrer au-del de ce mur
pour tirer un esprit du cercle de Judas,
qui est le lieu le plus bas, le plus noir,
et le plus loin du ciel qui tout encercle ;
je sais bien le chemin, sois donc rassur.
Ce marais qui exhale la grande puanteur
ceint tout autour la cit de douleur
o nous ne pouvons entrer sans colre.
Il dit d' autres paroles que je n'ai retenues,
car mes yeux m'avaient tout entier entran
vers la haute tour la cime embrase,
o d'un coup furent soudain dresses
trois furies infernales, de sang teintes,
qui membres avaient de femmes et le port ;
ceintes taient d'hydres horriblement vertes,
serpenteaux et guivres avaient comme chevelure
dont leurs tempes farouches taient enserres.
Et lui, qui bien reconnut les servantes
de la reine des plaintes ternelles,
Regarde , me dit-il, les Erinnyes froces.
Celle-ci est Mgre du ct gauche ;
celle-ci qui pleure, droite, est Alechto,
Tisiphone est au milieu , et aprs il se tut.
Des ongles chacune dchirait sa poitrine
se frappait de ses mains, poussait des cris si hauts
que de frayeur, contre le pote me serrai.
Vienne Mduse ; nous le ferons de pierre
criaient-elles toutes, regardant vers le bas,
mal avons-nous veng de Thse l' assaut.
Retourne-toi et tiens les yeux ferms,
car si Gorgone se montre et si tu la voyais,
vain serait le dsir de retourner en haut.
Ainsi parla le matre et lui-mme
me tourna et, peu sr de mes mains,
des siennes encore il me ferma les yeux.
7l
LA DIVINE COMDIE
ENFER. CHANT IX
61 0 vous qui avez intelligence saine,
97 Que sert contre destin donner de la tte ?
regardez le sens qui se cache
votre Cerbre, si bien vous en souvient,
sous le voile de mes vers tranges.
en porte encore pels le menton et le cou.
64 Et dj venait par-dessus les eaux troubles
100 Puis s'en retourna par le chemin fangeux
le fracas d'un bruit porteur d'pouvante
et nous ne dit mot, mais eut visage
par quoi tremblaient et l'une et l'autre rives :
d'un qu'autre souci et presse et mord
67 tout semblable au bruit que fait un vent
103 que souci de celui qui est l devant lui ;
imptueu dans les chaleurs contraires, et nous dirigemes nos pieds vers la ville
qui frappe la fort et sans rpit aucun rendus confiants par les paroles saintes.
70 brise les ramures, les abat, les emporte ; 106 Dedans entrmes sans plus d'opposition
et devant soi, poudreux, s' en va superbe, et moi, qui avais grand dsir de regarder
et fait s'enfuir et btes et pasteurs. la condition qu'enserre telle forteresse,
73 Me libra les yeux et dit : Ores dirige le nerf 109 sitt entr je lance tout autour mon regard
de ton regard le long de cette cume antique, et je vois partout une vaste campagne
par l-bas o cette fume est plus dense. pleine de soufrance et de tourment cruel.
76 Comme grenouilles devant la couleuvre
1 12 Comme dans Arles o le Rhne stagne,
ennemie, travers l'eau toutes disparaissent
comme Pola, tout prs du Quarnaro
tant qu' la terre chacune se tasse,
qui clt Italie et baigne ses confins,
79 je vis plus de mille mes perdues
1 1 5 font les spulcres tout le sol ingal,
fuir ainsi devant un qui, avanant,
ainsi faisaient-ils l de toute part
passait le Styx pied sec.
sauf que le mode y tait plus amer.
118 Car entre les tombeau brlaient des flammes
82 De son visage il loignait l' air gras
par lesquelles tant taient embrass
portant souvent sa main gauche en avant
que pour le fer nul art n'en demande plus.
et de cette angoisse seule paraissait las.
121 Tous leurs couvercles taient levs
85 Bien vis-je qu'il tait un messager du ciel
et hors en sortaient si dures plaintes
et me tournai au matre qui me fit signe
que bien semblaient de pauvres torturs.
de rester coi et m'incliner lui.
124 Et moi : Matre, quels sont ces gens
88 Ah ! comme il me parut plein de courroux.
qui ensevelis au-dedans de ces tombes
Il vint la porte et, d' une vergette,
se font entendre par soupirs de douleur ?
l'ouvrit, et rien ne rsista.
127 Et lui moi : Ici sont les hrsiarques
91 0 chasss du ciel, gent abjecte ,
avec leurs disciples, de toute secte, et plus
commena-t-il sur cet horrible seuil,
que tu ne crois sont les tombes charges.
d'o cette outrecuidance qui en vous se niche ?
130 Semblable avec semblable est ici enseveli,
94 Pourquoi regimbez-vous cette volont
et les monuments plus ou moins sont brlants.
dont ne peut le but jamais tre tronqu,
Et lorsqu' main droite il se fut dtoun
et qui plus d'une fois accrt votre deuil ?
133 passmes entre les martyres et les hautes murailles.
72
73
1
4
7
10
13
16
19
22
25
74
Chant X
Ores s'en va, par un troit sentier
entre les murs de la ville et les martyres,
mon matre, et moi derrire lui.
0 vertu suprme qui, par les cercles impies,
me fais tourner , commenai-je, ton gr,
parle-moi et satisfais mes dsirs.
La gent qui gt dans les spulcres
pourrait-on la voir ? puisque sont levs
les couvercles, et nul ne fait la garde.
Et lui moi : Tous seront ferms
lorsque de Josaphat ils reviendront ici
avec les corps qu'ils ont l-haut laisss.
Leur cimetire, de ce ct, ont
avec

picure tous ses disciples*


qui l'me avec le corps font mourir.
Aussi la demande que tu me fais
bientt en ce lieu sera satisfaite
et le dsir aussi que tu me tais.
Et moi : Bon guide, je ne tiens secret
pour toi mon cur que pour parler peu,
et toi-mme dj m' as ainsi dispos.
0 Toscan, qui par la cit du feu,
vivant t'en vas parlant avec sagesse,
qu'il te plaise faire halte en ce lieu.
Ton langage te rvle clairement
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
5
ENFER. CHANT X
natif de cette noble patrie
que peut-tre ai-je trop tourmente.
Soudainement cette voix sortit
d'une des tombes, et je me serrai,
craintif, un peu plus mon guide.
Et lui me dit : Tourne-toi, que fais-tu ?
Vois l Farinata qui s'est lev, *
de l a ceinture en haut tout entier l e verras.
J'avais dj mon regard dedans le sien fix,
et lui se dressait et du torse et du front,
comme s'il avait l'enfer en grand ddain.
Les mains vives et promptes de mon guide
me poussrent parmi les spulcres vers lui
disant : Que tes paroles soient nettes.
Comme je fus arriv au pied de son tombeau
il me regarda un peu et, comme ddaigneux,
demanda : Qui furent tes anctres ?
Et moi qui tais dsireux d'obir
ne cachai rien mais tout lui dcouvris ;
alors un peu leva les sourcils vers le haut,
puis dit : Ils furent adversaires farouches
de moi et des miens et de mon parti,
si bien que par deux fois les dispersai.
S'ils furent chasss ils revinrent de toute part
lui rpondis-je, et l'une et l' autre fois,
mais les vtres n'apprirent pas bien cet art.
Alors surgit l'ouverture du tombeau*
une ombre, le long de celle-ci, jusqu'au menton ;
je crois qu' genoux s'tait leve.
Autour de moi regarda, comme si avait dsir
de voir si un autre tait avec moi,
mais aprs que son espoir fut tout entier teint,
pleurant me dit : Si par cette obscure
prison tu vas par hauteur de gnie,
mon fils o donc est-il ? pourquoi pas avec toi ?
75
LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT X
61 Et moi lui : De moi-mme ne viens, 97 Il semble, si bien j ' entends, que vous voyiez
celui qui attend l par ces lieux me mne, l' avance ce qu'avec lui le temps apporte
pour qui votre Guido est peut-tre ddain. et pour le prsent il en est autrement.
6 Ses paroles et le genre de la peine lOO Nous voyons comme celui qui a mauvaise vue ,
r
'
avaient dit dj de celui-ci le nom, dit-il, les choses qui sont loin de nous,
partant fut ma rponse aussi pleine. tant encore nous claire le guide souverain ;
67 Soudain dress, il s'cria : Comment 103 quand elles s'approchent ou sont, vain
as-tu dit ? Il eut ? ne vit-il pas encore ? est notre intellect, et, si nul ne l' apporte,
la douce lumire ne frappe-t-elle plus ses yeux ? rien ne savons de votre tat humain.
70 Quand il s' aperut que j ' attendais un peu 106 Par l peux bien comprendre que toute morte
avant de lui rpondre, la renverse sera notre connaissance, de ce moment
il retomba et plus ne parut au-dehors. que du futur sera close la porte.
73 Mais cette autre grande me, l'appel de qui 109 Alors, tant de ma faute afflig,
je m'tais arrt, ne changea de visage, je dis : Ores direz celui qui est retomb*
ne flchit le cou ni plia son ct. que son fils est encore runi aux vivants.
76 Et si , dit-elle poursuivant son propos, 1 12 Et si, devant la rponse, je fus muet,
ils ont mal appris cet art, cela faites-lui savoir que je le fis pensant
r
'
est plus grand tourment que ce lit. dj l'erreur dont vous m'avez tir.
79 Mais cinquante fois ne sera rallume 1 15 Et dj mon matre me rappelait,
la face de la Dame qui rgne ici alors je priai l'esprit de me dire
que tu sauras combien pse cet art. brivement qui avec lui tait.
82 Et au nom de ton retour dans le doux monde* 1 18 Il me dit : Ici je gis avec plus de mille ;
dis-moi, pourquoi ce peuple est-il si cruel l-dedans est le second Frdric*,
contre les miens en chacune de ses lois ? et le Cardinal ; et des autres me tais.
85 Alors je lui dis : Le massacre et le grand carnage 121 Puis i l se cacha ; et moi vers l e pote antique
qui firent l' Arbia couleur de sang je tournai mes pas, repensant
telles oraisons font faire en notre temple. ce parler qui m'tait ennemi.
88 Lorsqu'il eut soupir et secou la tte :
124 Il reprit sa marche, et puis allant ainsi
A cela je ne fus seul , dit-il, ni certes me dit : Pourquoi es-tu si perdu ?
sans raison serai-je all avec les autres, et moi le satisfis en sa demande.
91 mais je fus seul, l o chacun
127 Que ta mmoire conserve ce que tu as entendu
acceptait de supprimer Florence,
contre toi , me commanda ce sage,
celui qui la dfendit visage dcouvert. mais coute bien , et il leva le doigt,
94 Ah ! au nom du repos de votre ligne , 130 quand tu seras devant le doux rayon
le priai-je, dfaites le nud
de celle dont les beau yeu voient tout,
qui a ici enferm ma pense.
par elle tu connatras le chemin de ta vie.
76
77
133
136
LA DIVINE COMDIE
Ensuite il touna ses pas main gauche ;
nous laissmes le mu pou aller au milieu
par un sentier qui mne une valle
qui jusque l-haut lanait sa puanteur.
Chant XI
1 Dessus l'extrmit d'une haute rive
que faisaient en cercle de grandes pierres rompues
nous vnmes sur une foule plus cruelle,
4 et l l'horrible outrance de la puanteur
que jette le profond abme
nous poussa derrire le couvercle
7 d'un grand tombeau o je vis crits
ces mots : Je garde Anastase pape*
que Photin tira hors de la voie droite.
10 Notre descente doit tre retarde
afin que s'habitue un peu notre sens
au triste soufle, ensuite n'y prendrons garde.
13 Ainsi mon maitre, et moi : Trouve , lui dis-je,
quelque moyen pour que le temps qui passe
ne soit perdu . Et lui : Vois bien que j 'y pense.
16 Fils mien, dedans ces rochers que tu vois ,
commena-t-il dire, sont trois cercles moindres
de degr en degr, comme ceux que tu quittes.
19 Tous sont pleins d'esprits maudits ;
mais pour qu'ensuite te sufise la vue,
coute comment et pourquoi sont l entasss.
22 Toute malice qui est en haine au ciel
a l'injure pou fin, et toute fin telle
ou par force ou par fraude contriste autrui.
25 Mais parce que fraude est un mal propre l'homme
79
LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT XI
plus dplat Dieu ; partant sont au-dessous
61 Par l ' autre mode, on oublie cet amour
les frauduleux, et plus grande douleur les accable. que fait nature et en outre celui
28 Des violents est tout entier le premier cercle ; que cre spciale confiance,
mais comme on fait violence trois personnes, 6 partant dans le cercle moindre, au point
en trois girons distincts il est construit.
de l 'univers sur lequel sige Dite,
31 A Dieu, soi, au prochain, on peut
quiconque trahit, ternellement est consum.
faire violence, je dis eux et en leurs choses,
67 Et moi : Matre, trs clair procde
ton discours et trs bien distingue
comme tu vas le comprendre en raison.
ce gouffre et le peuple qu'il possde.
34 Mort par violence et blessures douloureuses
70 Mais, dis-moi, ceux du boueux marcage,
se donnent au prochain et, dans ses biens,
ceux que mne le vent et ceux que bat la pluie,
ruines, incendies, larcins damnables,
ceux qui s' affrontent en si pre langage,
37 partant les homicides, ceux qui blessent mchamment,
73 pourquoi non pas dans la cit rouge
les casseurs et pillards, tous, les tourmente,
sont-ils punis, si Dieu les a en sa colre,
en divers groupes, le premier giron.
et s'il ne les a, pourquoi ont-ils telle peine ?
40 L'homme peut avoir main violente contre soi
76 Et lui moi : Pourquoi tant se fourvoie ,
et contre ses biens ; pour ce, dans le second
dit-il , ta raison contre sa coutume ?
giron, il faut que sans profit se repente
ou bien ton esprit est-il ailleurs tourn ?
43 quiconque se prive lui-mme de votre monde,
79 Ne te souviens-tu pas de ces paroles
ou perd au jeu et dilapide sa fortune,
par lesquelles ton

thique traite
et pleure o il devrait tre joyeux.
des trois dispositions que le ciel ne veut :
4 On peut tre violent contre la divinit
82 incontinence, malice et folle
la niant dans son cur et la blasphmant,
bestialit ? et comment incontinence
et mprisant nature et sa bont :
moins offense Dieu et s' attire moindre blme ?
49 partant le giron moindre scelle
85 Si tu regardes bien cette sentence,
de son sceau et Sodome et Cahors*,
et te remets en mmoire qui sont ceux
et qui parle en mprisant Dieu dans son cur.
qui l-haut subissent chtiment,
52 La fraude, dont toute conscience est mordue,
8 tu verras bien pourquoi des flons d'ici
1 'homme peut en user avec qui se fie
ils sont spars, et pourquoi moins courrouce
ou avec celui qui n' a pas confiance.
la divine vengeance les martelle.
55 Ce dernier mode parat ruiner
91 0 soleil qui guris toute vue trouble,
seulement le lien d' amour que fait nature,
tant me satisfais, dliant dficult,
partant dans le cercle second se nichent
que douter, non moins que savoir, r
'
est cher.
5 hypocrisie, flatterie, sorcellerie,
94 Encore un peu retourne en arrire ,
fourberie, larcin et simonie,
dis-je, l o tu as dit qu'usure offense
ruffians, baratiers et semblable ordure.
la divine bont et dlie-moi ce nud.
80
81
97
100
103
106
109
112
1 1 5
LA DIVINE COMDIE
Philosophie , me dit-il, qui l'entend,
note et non en un seul point,
comment nature prend son cours
dans l'intelligence divine et dans son art,
et si tu suis bien ta Physique
tu trouveras, non trs loin du dbut,
que votre art autant qu'il peut la suit
comme le disciple son matre ;
de sorte que votre art est comme petit-fils de Dieu.
De ces deux-l, si tu rappelles ton esprit
la Gense, au commencement, il faut
que prennent et progressent les gens.
Et parce que l'usurier tient autre voie
il mprise la nature en elle-mme et l' art
qui la suit, mettant ailleurs son esprance.
Mais suis-moi maintenant, il me plat d' aller,
car les Poissons glissent l'horizon*,
le Chariot sur le couchant s'tend,
et la falaise un peu plus loin s' abaisse.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XII
Escarp tait le lieu o pour descendre
arrivmes et tel, par celui qui y tait*,
que tout regard s'en serait dtourn.
Comme cet boulement qui de de Trente
frappa l' Adige en son rivage par
tremblement ou manque de soutien,
et de la cime du mont d'o il partit
jusqu' la plaine, la roche est si brise
qu'un qui serait en haut y pourrait passer,
telle de ce ravin tait la descente
et l'extrmit de ce bord croul
tendue tait l'infamie de Crte,
qui fut conue dans la fausse vache ;
et quand nous vit, soi-mme se mordit
comme celui que la rage au-dedans domine.
Mon sage alors vers lui cria : Peut-tre
crois-tu qu'ici est le duc d'Athnes*
qui l-haut dans le monde te donna la mort ?
Pars d'ici, bte, celui-ci point ne vient
enseign par celle qui fut ta sur*
mais s'en va pour regarder vos peines.
Tel ce taureau qui se dtache au moment
qu'il a dj reu le coup mortel,
qui ne sait o aller mais et l bondit
tel vis-je le Minotaure faire ainsi ;
83
LA DIVINE COMDIE
et le matre avis cria : Cours au passage,
tant qu'il est en fureur, vite, descends.
28 Ainsi nous descendmes le long de l'boulis
de ces pierres qui souvent se mouvaient
sous mes pieds, au fardeau insolite.
31 J'allais songeant, et lui me dit : Tu penses
sans doute cette ruine qui est garde
par la fureur bestiale que je viens de dompter.
34 Or, je veux que tu saches que l' autre fois
que je descendis dans le plus bas enfer,
cette roche n' tait pas encore tombe.
37 Mais ce fut peu de temps, si bien je discerne,
avant que vnt celui qui ravit Dite*
sa grande proie du cercle le plus haut ;
40 de toutes parts la ftide valle
trembla si fort que je pensais que l'univers
ressentait cet amour par lequel certains croient
43 le monde plusieurs fois en chaos transform,
et juste ce moment cet antique rocher
ici et ailleurs ainsi se renversa.
46 Mais fixe les yeux vers le bas, car est proche
le fleuve du sang en lequel bout
quiconque par violence nuit aux autres.
49 0 aveugle cupidit, colre insense
qui tant nous peronnes en notre courte vie,
et puis, dans l'ternelle, si mal nous baignes !
52 Je vis une ample fosse arrondie en arc,
qui embrasse entirement la plaine,
selon ce qu' avait dit mon guide :
55 entre elle et le pied du rocher, en file
couraient des Centaures arms de flches,
comme dans le monde ils allaient la chasse.
58 Nous voyant descendre tous s' arrtrent
et, de la troupe, trois se dtachrent
avec arcs et flchettes choisies.
8
61
6
67
70
73
76
79
82
85
8
91
94
ENFER. CHANT XII
Et l'un cria de loin : A quel martyre
venez, vous qui descendez cette cte ?
dites-le de l-bas, sinon je tire l' arc.
Mon matre dit : La rponse
nous la ferons Chiron qui est prs de toi :
mauvais fut ton vouloir toujours si htif.
Puis me toucha et dit : Celui-ci est Nessus
qui mourut pour la belle Djanire
et de sa mort fit vengeance lui-mme.
Celui du milieu qui fixe sa poitrine
est le grand Chiron, lequel nourrit Achille,
l'autre est Pholus qui fut si plein de rage.
Tout autour de la fosse ils vont par mille et mille
dardant de flches toute me qui se dresse
hors du sang plus que ne permet sa faute.
Nous approchmes de ces btes agiles,
Chiron prit une flche et de la coche
releva sa barbe en arrire des mchoires.
Quand ainsi eut dcouvert sa grande bouche,
il dit aux autres : Avez-vous remarqu
que le second fait bouger ce qu'il touche ?
Ne font ainsi les pieds des morts.
Et mon bon guide qui dj tait sa poitrine
l o les deux natures se raccordent,
rpondit : Bien est vivant, et tout seulet
il me faut lui montrer le val obscur,
ncessit ici le conduit et non plaisir.
Telle quitta son chant d'alleluia
qui me commit cet office tout nouveau :
il n' est larron, ni moi me coupable.
Au nom de cette vertu par laquelle je dirige
mes pas par si sauvage route,
donne-nous un des tiens qui puisse nous guider,
qu'il nous montre o l'on passe le gu
et qu'il porte celui-ci sur sa croupe
car ce n'est un esprit qui aille par les airs.
85
97
100
103
106
109
1 12
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
86
LA DIVINE COMDIE
Chiron se tourna sur son flanc droit
et dit Nessus : Retourne en arrire, guide-les
et fais s'carter toute bande gnante.
Alors nous partmes avec ce guide sr,
longeant la rive de cette vermeille bouillure
o les bouillis poussaient de hauts cris.
Je vis des gens plongs jusqu'au sourcil
et le grand Centaure dit : Ce sont tyrans
qui se saisirent et du sang et des biens ;
ici on pleure les crimes sans piti,
ici est Alexandre et Denys le cruel*
qui fit en Sicile tant d'annes douloureuses.
Et ce front qui a le poil si noir
c'est Azzolino, et cet autre qui est blond*
est Obizzo d'Este lequel vraiment*
fut occis par son filltre, l-haut, dans le monde.
Alors je me tournai vers le pote, et il dit :
Celui-ci te soit premier, et je serai second.
Peu plus outre le Centaure s'arrta
au-dessus de gens que jusqu' la gorge
on voyait sortir de ce flot de sang.
Il nous montra une ombre isole de ct
disant : Celui-ci frappa dans le sein de Dieu*
le cur qui sur la Tamise encore est vnr.
Puis je vis des gens qui hors du fleuve
tenaient la tte et mme tout le torse,
et de ceux-l j 'en reconnus plusieurs.
Ainsi de plus en plus s' abaissait
le sang, et ne cuisait plus que les pieds ;
ensuite ce fut pour nous le passage de la fosse.
De mme que de ce ct tu vois
le flot de sang qui toujours diminue ,
dit le Centaure, sois certain
que de l'autre ct, de plus en plus bas
est le fond jusqu' ce qu'il arrive
o convient que tyrannie gmisse.
133
136
139
ENFER. CHANT XII
L, la divine justice chtie
cet Attila qui fut flau sur terre*
et Pyrrhus et Sextus ; et ternellement trait*
les larmes, causes par la bouillure,
Rinieri da Corneto, Rinieri le Fol
qui sur les routes menrent telle guerre.
Puis il se retourna et repassa le gu.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
8
Chant XIII
N'tait Nessus encore arriv au-del
quand nous entrmes dans un bois
qui n'tait d'aucun sentier marqu.
Ni feuillages verts, mais de couleur sombre,
ni rameaux lisses, mais noueux et tordus,
ni fruits aux arbres, mais pines venimeuses.
N'ont si pres broussailles ni si touffues
ces btes sauvages qui, entre Cecina et Corneto*,
ont en haine les lieux cultivs.
L font leur nid les horribles Harpyes*
qui chassrent des Troades les Troyens,
avec la triste annonce des dommages futurs.
Larges ont les ailes, cous et visages humains,
pieds grfus et grand ventre emplum ;
elles se lamentent sur ces arbres tranges.
Le bon matre : Avant que tu entres plus loii,
sache que tu es dans le second giron ,
commena-t-il dire, et y seras
tant que tu arrives l'horrible sablon ;
aussi regarde bien, car tu verras
des choses qui teraient toute foi mon dire.
J'entendais de toute part venir des plaintes
et ne voyais personne qui les ft,
pour ce, tout gar, je m' arrtai.
Je crois qu'il crut que je croyais
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
ENFER. CHANT XIII
que toutes ces voix sortaient, entre les branches,
de gens qui s'y cachaient nous.
Aussi le matre dit : Si tu romps
quelque branchette d'un de ces arbres,
les penses que tu as deviendront toutes vaines.
Alors je tendis la main un peu en avant
et cueillis un rameau d'une grande pine
et son tronc cria : Pourquoi me brises-tu ?
Lorsqu'il fut ensuite couvert d'un sang brun,
il cria de nouveau : Pourquoi m'arraches-tu ?
n' as-tu donc nul esprit de piti ?
hommes nous fmes, ores sommes broussailles ;
bien devrait tre ta main plus pitoyable
eussions-nous t mes de serpents.
Comme d'un tison de bois vert qui brle
l'un des bouts et l'autre gmit
et sfle par l'air qui s'en va,
ainsi de la branche brise sortaient ensemble
paroles et sang : alors je laissai le rameau
tomber, et restai comme un saisi de crainte.
S'il avait pu croire aussitt,
me blesse , rpondit mon sage,
ce qu'il a pourtant lu dans mes vers,
il n'aurait pas port la main sur toi ;
mais la chose incroyable me fit
l'induire au geste qui moi-mme pse.
Mais dis-lui qui tu fus afin que, en guise
d'amende, il rafrachisse ta renomme
dans le monde, en haut, o il peut retourner.
Et le tronc : Tant me sduit ton doux parler
que je ne puis me taire, et qu'il ne vous dplaise
si discourir un peu je m'englue.
Je suis celui qui tint les deux clefs*
du cur de Frdric, et qui les tournai
si doucement, ouvrant et fermant,
89
LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT XIII
61 que de son secret presque tout homme cartai ; 97 Elle tombe dans la fort sans place choisie
telle foi j 'apportai au glorieux office mais l o Fortune la fait choir,
que j 'en perdis le pouls et le sommeil. puis elle germe comme grain d'peautre.
6 La courtisane qui jamais du palais* 100 Elle monte en tige puis en plante sylvestre :
de Csar ne dtourna ses yeux de prostitue, les Harpyes ensuite, se paissant de ses feuilles,
mort commune et vice des cours, lui font douleur et douleur fentre.
67 enflamma contre moi tous les esprits 103 Comme les autres, viendrons nos dpouilles
et les enflamms enflammrent tant Auguste sans pourtant qu'aucune s'en puisse revtir,
que joyeux honneurs tournrent en tristes deuils. car n'est juste avoir ce qu'on a rejet.
70 Mon cur, par choix ddaigneux 106 Ici les tranerons et dans la triste
croyant dans la mort fuir le ddain, fort seront nos corps suspendus
contre moi juste me fit injuste. chacun au buisson de son me ennemie.
73 Par les singulires racines de cet arbre 109 Nous tions encore attentifs au tronc
je vous jure que jamais ne rompis ma foi croyant qu'autre chose voulait nous dire
mon Seigneur qui fut d'honneur si digne. lorsque nous fmes par un bruit surpris
76 Et si l'un de vous au monde retourne 1 1 2 tout comme celui qui entend venir
qu'il conforte ma mmoire encore le sanglier et la chasse son poste
gisante du coup que lui porta envie. et entend bruire les btes et les branches.
79 Un peu le pote attendit et puis me dit : 1 1 5 Et voici deux, du ct gauche,
Puisqu'il se tait, ne laisse perdre l'instant, nus et griffs, fuyant si fort
mais parle et lui demande ce qui plus te plat. que de ce bois ils rompaient tout branchage.
82 Et moi lui : Demande encore, toi, 1 1 8 Le premier : Accours, accours, mort ! ,
ce que tu crois qui puisse me satisfaire, et l' autre, qui trop il semblait tarder,
car je ne pourrais tant piti me navre. criait : Lano, ne furent si promptes*
85 Pour ce recommena : Librement te sera 121 tes jambes, la joute du Toppo !
accord ce que ta prire demande, et puis, sans doute lui manquant le souffle,
esprit emprisonn, qu'encore te plaise de soi et d'un buisson ne fit qu'un.
88 nous dire comment l' me se lie 124 Derrire eux la fort tait pleine
en ces troncs noueux, et dis-nous, si tu peux, de chiennes noires avides et courantes
si l'une jamais de tels membres s'chappe. comme lvriers librs de leur chane.
91 Alors souffla le tronc trs fort et puis 127 En celui qui s'tait blotti elles mirent les dents
ce vent se convertit en telle voix :
et le dchirrent lambeau par lambeau
Brivement vous sera rpondu : et puis emportrent ces membres dolents.
94 Lorsque l'me farouche s' en va
130 Mon guide alors me prit par la main
du corps dont s'est elle-mme arrache,
et me mena au buisson qui pleurait
Minos l'envoie au septime des cercles. en vain pour les brisures sanglantes.
90
91
133
136
139
142
145
148
1 52
LA DIVINE COMDIE
0 Giacomo da Sant'Andrea , disait-il,
que t'a servi me prendre pour abri ?
quelle faute ai-je de ta coupable vie ?
Mon matre, lorsque fut arrt devant lui,
dit : Qui donc fus-tu qui, par tant de blessures,
soufles avec le sang paroles douloureuses ?
Et lui nous : 0 mes qui tes venues
voir le honteu saccage qui a
ainsi de moi loign mon feuillage,
rassemblez-le au pied de ce triste buisson.
Je fus de la cit qui remplaa par le Baptiste*
son premier patron, lequel pour cela
toujours avec son art la fera triste,
et s'il n'tait que sur le pont d'Arno
reste encore de lui quelque pierre,
les citadins qui ensuite la rdifirent
sur les cendres laisses par Attila
auraient fait travailler en vain.
Moi, de ma propre maison je me fis un gibet*.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XIV
Parce que l 'amour du lieu natal
me poignit le cur, je runis les branches parses
et les lui rendis, alors que dj il s'enrouait.
Ensuite nous vnmes au point o le second
giron se dtache du troisime et o
l'on voit de justice un art horrible.
Pour bien manifester les choses nouvelles,
je dis que nous arrivmes une lande
qui de son lit loigne toute plante.
La fort douloureuse lui est guirlande
tout autour, comme l'tait elle la triste fosse ;
ici arrtmes nos pas tout au bord.
Tout l'espace tait d'un sable aride et pais
non d'autre aspect que celui
qui fut jadis foul par le pied de Caton*.
0 vengeance de Dieu, combien tu dois tre
redoute par chacun de ceux qui lisent
ce qui se manifesta mes yeux.
D'mes nues je vis plusieurs troupeaux
et toutes pleuraient trs misrablement,
et leur semblait impose une loi diverse,

tendues sur le dos taient quelques-unes,


d'autres assises toutes ramasses,
et d' autres encore marchaient sans arrt.
Celles qui allaient taient plus nombreuses,
93
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
94
LA DIVINE COMDIE
et moins celles qui gisaient sous le tourment
mais plus la douleur avaient la langue prompte.
Sur tout le sablon, d'une chute lente,
pleuvaient larges flocons de feu,
comme de neige sur l 'alpe sans vent.
Telles Alexandre, en ces parties chaudes*
de l 'Inde, vit sur ses troupes
des flammes tomber terre entires
ce pourquoi fit pitiner le sol
par son arme, car la flamme
mieux s'teignit lorsqu'tait isole,
telle descendait l' ternelle ardeur,
d'o s'embrasait le sable, comme toupe
sous l'tincelle, pour doubler la douleur.
Sans repos jamais tait la danse
des misrables mains ores ci ores l
secouant de soi la frache brlure.
Je commenai : Matre, toi qui vaincs
toutes choses, hors les durs dmons
qui l'entre de la porte sortirent contre nous,
qui est ce grand qui para n'avoir cure*
du brasier, et gt " ddaigneux et tors
au point que la pluie ne parat le mrir ?
Et celui-l mme, quand se fut aperu
qu' mon guide je demandais de lui
cria : Tel fus-je vivant, tel suis-je mort.
Que Jupiter fatigue encore son forgeron
dont il prit, courouc, la foudre aigu
par quoi je fus frapp le dernier jour,
ou qu'il fatigue les autres tour tour
Mongibello dans la forge noire*,
appelant : "Bon Vulcain, l' aide ! ,
comme il fit au combat de Phlgra*,
me frappant de flches de toute sa force,
il n'en pourrait avoir vengeance joyeuse.
61
6
67
70
73
76
79
82
85
8
91
94
ENFER. CHANT XIV
Alors mon guide parla d'une telle force
que jamais si fort ne l ' avais entendu :
0 Capane par ton orgueil nullement
attnu, bien plus es-tu puni,
nul martyre, en dehors de ta rage,
n' apporterait ta fureur douleur gale.
Puis se tourna vers moi, de meilleur visage,
disant : Il fut un des sept rois
qui assigrent Thbes ; il eut, il a encore
Dieu en mpris et visiblement le prise peu :
mais, comme lui je l 'ai dit, ses outages
sont pour sa poitrine dcorations bien dignes.
Ores suis-moi, et prends garde ne mette
les pieds dans le sable brlant,
mais toujours auprs du bois les tiens troitement.
En silence nous arrivmes l o sourd
hors la fort, un petit ruisseau
dont la couleur rouge encore me fait frmir.
Tel du Bulicame sort la rivire*
qui ensuite est partage pour le roui,
tel le long du sable descendait celui-l.
Le fond et l 'une et l 'autre pente
taient faits de pierre, comme les deux rives,
par quoi je m' aperus qu'tait l le passage.
Parmi toutes autes choses que je t'ai montes
depuis que nous franchmes la porte
dont le seuil nul n'est refus,
aucune ne fut par tes yeux dcouverte
aussi notable que le prsent ruisseau
qui au-dessus de lui teint toute flamme.
Ces paroles vinrent de mon guide, pour quoi
je le priai de me faire largesse du repas
dont m' avait donn large dsir.
Emmi la mer se touve un pays corrompu ,
dit-il alors, qui se nomme Crte,
sous son roi, le monde fut jadis innocent.
95
97
lOO
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
LA DIVINE COMDIE
Y est une montagne jadis joyeuse
et d' eaux et de verdure, qui fut nomme Ida ;
ores est dserte comme chose use.
Rha jadis l'lut comme sr berceau
pour son enfant ; et pour le mieux cacher
quand il pleurait y faisait monter des clameurs.
Dedans le mont, debout, est un grand vieillard*
qui tient le dos tourn vers Damiette,
et regarde Rome comme son miroir.
Sa tte est faonne d'or fin,
de pur argent ies bras et la poitrine,
puis est d' airain jusqu' l' enfourchure ;
de l en bas est tout de fer choisi,
sauf le pied droit qui est de terre cuite
et plus que sur l'antre s'y tient dress.
Chacune des parties, sauf l'or, est brise
d'une fissure qui goutte des larmes
lesquelles amasses percent cette grotte.
Leur cours en cette valle passe sur la roche,
elles font Achron, Styx et Phlgton,
puis s'en vont en bas par cet troit conduit
jusque-l d'o l'on ne descend plus,
et elles forment Cocyte ; ce qu'est cet tang
tu le verras et donc ici je n'en dis rien.
Et moi lui : Si le prsent ruisseau
drive ainsi de notre monde
pourquoi apparat-il seulement en cet endroit ?
124 Et lui moi : Tu sais que ce lieu est rond
et bien que tu aies beaucoup march
toujours ta gauche descendant vers le fond,
127 tu n' as pas encore fait le tour du cercle,
partant si apparat chose nouvelle
point n'en dois-tu montrer visage tonn.
130 Et moi encore : Matre, o donc se trouvent
Phlgton et Lth, de l'un tu te tais
et l' autre tu dis qu'il se fait de cette pluie.
96
133
136
139
142
ENFER. CHANT XIV
En toutes tes questions certes tu me plais ,
rpondit-il, mais le bouillonnement de l'eau rouge
aurait bien d rsoudre l'une d' elles.
Lth tu le verras, mais hors de cette fosse,
l o vont les mes se laver,
quand pnitence a remis la faute.
Puis il dit : Dsormais il est temps de s'carter
du bois : prends bien garde venir derrire moi,
le chemin est trac par les bords non brlants :
au-dessus d' eux toute flamme s'teint.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
98
Chant XV
Ores nous porte l'une des deux berges ;
et au-dessus du ruisseau la vapeur embrume
et sauve ainsi du feu l'eau et les bords.
Tels les Flamands, entre Wissant et Bruges,
craignant le flot qui contre eux s'lance,
font leur digue pour que la mer recule,
et tels les Padouans, le long de la Brenta,
pour dfendre leurs villes et leurs chteaux,
avant que la Chiarentana sente le chaud*,
telle image taient faits ces bords
sauf que ni si hauts ni si gros
le matre d'uvre, quel qu'il ft, les fit.
Dj nous tions si loin de la fort
que je n'aurais pu voir o elle tait
si j 'avais regard en arrire,
quand nous rencontrmes une file d' mes
qui venaient le long de la berge, et chacune
nous regardait comme regarde, le soir,
l'un l'autre sous la nouvelle lune,
et vers nous clignaient des cils
comme vieux tailleur au chas de son aiguille.
Ainsi avis par telle famille
je fus reconnu par un qui saisit le bord
de ma rohe et s'cria : Quelle merveille ?
Et quand il tendit son bras vers moi
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
ENFER. CHANT XV
je fichai les yeux sur cette tte cuite
et sa face brle point n'empcha
que mon esprit le reconnt,
et abaissant la main vers son visage
je rpondis : Vous donc ici ser Brunetto* ?
Et lui : 0 mon fils, ne te dplaise
si Brunetto Latini un peu avec toi
retourne en arrire et laisse aller la file.
Je lui dis : De tout cur vous en prie,
et si dsirez qu'avec vous je m'asseye
le ferai s'il plat celui-ci avec qui je vais.
0 fils , dit-il, qui de ce troupeau
s'arrte un instant, gt ensuite cent annes
sans pouvoir se dfendre du feu qui le frappe.
V a donc, je te suivrai tout proche,
et puis je rejoindrai ma troupe
qui va pleurant son malheur ternel.
Je n'osais pas descendre du chemin
pour aller prs de lui, mais je tenais
la tte incline comme un qui va avec respect.
Il commena : Quelle fortune ou destin
avant ton dernier jour ici en bas te mne ?
et qui est celui qui te montre la route ?
L-haut, durant la vie sereine ,
lui rpondis-je, je m'garai en une valle,
avant que mon ge ft achev.
Hier matin, je lui tournai le dos ;
celui-ci m'apparut comme j 'y redescendais,
il me ramne au gte par ce chemin.
Et lui moi : Si tu suis ton toile,
ne peux faillir un port glorieux,
si j 'ai hien aperu durant ma belle vie ;
et si la mort pour moi si tt ne ft venue,
voyant le ciel pour toi si bienveillant,
j ' aurais ton uvre tout confort donn.
99
61
64
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
lOO
LA DIVINE COMDIE
Mais ce peuple ingrat et mauvais
qui descendit de Fiesole au temps antique,
et tient encore du mont et du rocher,
pour ton bien faire se fera ton ennemi
et c'est raison : parmi les pres sorbes
ne saurait porter fruit le doux figuier.
Vieux renom dans le monde les dit aveugles,
gent avare, envieuse et superbe ;
de leur coutume veille te dgager.
Ta fortune te rserve tant d'honneur
que l'un et l'autre parti auront faim
de toi, mais loin du bec sera l'herbe.
Qu'elles fassent, les btes fiesolanes, litire
d' elles-mmes, et ne touchent la plante
- s'il en surgit une encore de leur fumier
en qui revive la semence sacre
de ces Romains qui l restrent lorsque
fut difi le nid de si grande corruption.
Si mon souhait et t pleinement ralis ,
lui rpondis-je, vous ne seriez dj
plac hors de l'humaine nature
car en ma mmoire est grave, et ores m' attriste,
la chre et bonne image paternelle
de vous, quand sur terre, heure aprs heure,
vous m' appreniez comment l'homme s'ternise,
et, combien j 'en ai gr, tant que je vivrai
il faut qu'en mes paroles on le sache.
Ce que vous dites de mon destin je l'cris
et le rserve avec autre texte gloser
avec Dame qui saura, si jusqu' elle j ' arrive.
Je veux seulement que vous soit manifeste
que je suis prt aux coups de la Fortune,
pourvu que ma conscience ne me fasse reproche.
N'est pas neuve telle arrhe mon oreille,
que Fortune donc toune sa roue
comme il lui plat, et le vilain sa houe !
97
100
103
106
109
1 12
1 1 5
1 18
121
124
ENFER. CHANT XV
Mon matre alors du ct droit
se tourna en arrire et me regarda,
puis il dit : Bien coute qui note en sa mmoire.
Sans pour autant moins parler je vais
avec ser Brunetto et demande qui sont
ses compagnons plus connus et notables.
Et lui moi : Savoir d'aucuns est bon,
des autres sera louable se taire,
car le temps serait court pour dire tant.
En somme sache que tous furent clercs
et grands lettrs et de grand renom,
et d'un mme pch, dans le monde, souills.
Priscien s'en va avec cette triste troupe*
et Francesco d' Accorso ; et tu pourrais y voir,
si curieux tais d'une telle lpre,
celui que le serviteur des serviteurs
fit transfrer d' Arno sur Bacchiglione,
o il laissa ses nerfs mal tendus.
J'en dirais plus, mais parole et marche
plus longues ne peuvent tre car je vois,
l, du sable monter nouvelle fume.
Des gens viennent avec qui je ne dois tre ;
que te soit recommand mon Trsor,
en lequel je vis encore, et plus rien ne demande.
Puis se tourna et parut un de ceux
qui, Vrone, font la course du drap vert
dans la campagne, et d'entre eux parut
celui qui gagne et non celui qui perd.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
102
Chant XVI
Dj j 'tais l d'o l'on entendait le grondement
de l'eau qui tombait dans l' autre cercle,
semblable celui d'une ruche bourdonnante,
quand trois ombres ensemble se dtachrent
en courant d'une troupe qui passait
sous la pluie de l' pre martyre.
Elles venaient vers nous et chacune criait :
Arrte, toi qui, l'habit, sembles
tre quelqu'un de notre ville perverse.
Ah ! quelles plaies vis-je leurs membres,
rcentes et anciennes, creuses par les flammes
j 'en ai peine encore au seul souvenir.
A leurs cris mon docteur, attent,
tourna le visage vers moi et dit : Attends,
avec ceux-ci il faut tre courtois.
Et si ce n'tait le feu qui tombe
et la nature du lieu, je dirais
que mieux conviendrait toi qu' eux la hte.
Comme nous faisions halte ils reprirent
leurs cris et, quand prs de nous furent arrivs,
se mirent tourner en rond tous les trois,
comme font des lutteurs nus et oints,
guettant leur prise et leur avantage
avant d' tre entre eux battus et frapps.
Tournant ainsi, chacun vers moi dressait
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
ENFER. CHANT XVI
son visage, si bien que sans cesse
faisaient cou et pieds voyage inverse.
Et : Si la misre de ce lieu poudreux
jette discrdit sur nous et nos prires ,
commena l'un, ainsi que nos visages noircis et pels,
que notre renomme incline ton esprit
nous dire qui tu es, toi dont les pieds vivants
si assurs marchent par l'enfer.
Celui-ci dont tu me vois suivre les traces,
tout nu et pel qu'il aille,
fut d' n rang plus haut que tu ne crois,
petit-fils fut de la bonne Gualdrada,
Guido Guerra se nomma et en sa vie*
bien uvra et par l' esprit et par l'pe.
L' autre qui aprs moi pitine le sable
est Tegghiaio Aldobrandi dont la voix*
l-haut dans le monde devrait tre accueillie.
Et moi, qui suis avec eux mis sur la croix,
fus Jacopo Rusticucci et certes*
ma femme altire plus qu' autre chose me nuit.
Si j 'eusse t protg du feu,
jet en bas me serais-je entre eux,
et je crois que l'aurait souffert mon docteur ;
mais, parce que je me serais brl et cuit,
la peur vainquit le bon dsir
qui me donnait faim de les embrasser.
Puis je commenai : Non ddain mais douleur
votre condition en moi a fich,
telle que bien tard s'teindra,
ds que ce mien seigneur r
'
et dit
paroles qui me firent penser
que venaient tels gens qu'en vrit vous tes.
De votre ville je suis et bien toujours
vos actions et vos noms honors
avec affection disais et entendais.
103
LA DIVINE COMDIE
61 Je laisse le fiel et je vais aux doux fruits
moi promis par mon guide vridique,
mais d' abord jusqu'au centre il me convient
[descendre.
6 Que longtemps encore ton me conduise
tes membres , rpondit-il encore,
et que ton renom brille aprs toi,
67 dis-nous si valeur et courtoisie demeurent
dans notre ville comme est coutume
ou si en tout s'en sont alles au loin :
70 car Guiglielmo Borsiere, lequel souffre
avec nous depuis peu, et va l avec ses compagnons,
nous tourmente fort par ses paroles.
73 Les nouveaux riches et les gains trop rapides
ont engendr orgueil et dmesure,
Florence, en toi, et dj t'en lamentes ;
76 ainsi criai-je en levant le visage
et les trois, qui entendirent cela en rponse,
se regardrent l'un l'autre comme on guette le vrai.
79 Si les autres fois te cote si peu ,
dirent-ils ensemble, satisfaire autrui,
heureux es-tu qui parles si franchement !
82 Mais si tu sors de ces lieux obscurs
et retournes voir les belles toiles,
quand il te plaira dire : Je fus l,
85 veuille aux gens parler de nous.
Puis rompirent la ronde, et s' enfuir
ailes semblrent leurs jambes agiles.
88 Un amen n'aurait pu se dire assez vite
dans le temps qu'ils avaient disparu.
Pou quoi au matre parut bon de partir.
91 Je le suivais et peu tions alls
quand le bruit de l'eau nous fut si proche
qu' peine en parlant aurions pu nous entendre.
94 Comme ce fleuve, qui a son propre cours
104
97
lOO
103
106
109
ll2
us
l l8
121
124
127
ENFER. CHANT XVI
avant le mont Viso, au levant,
au ct gauche de l' Apennin,
qui se nomme Acquaqueta l-haut, avant
qu'il dvale dans son lit en bas,
et perde Forli son nom,
retentit au-dessus de San Benedetto
dell'Alpe, pour tomber en cascade
l o devrait par mille tre reu,
ainsi, au bas d'une roche escarpe
trouvmes-nous cette eau sombre au bruit
tel que bien vite aurait offens l'oue.
J'avais une corde en guise de ceinture,
et avec elle j 'avais parfois pens
prendre la panthre au pelage mouchet.
Lorsque je l' eus tout entire enleve
ainsi que mon guide me l' avait command,
lui je la tendis en un tas enroule.
Alors il se tourna du ct droit
et une certaine distance du bord
il la jeta en bas dans ce gouffre profond.
Bien faut-il que chose nouvelle rponde ,
disais-je en moi-mme, ce nouveau signal
que mon matre tant suit du regard.
Ah combien prudents devraient tre les hommes
auprs de ceux qui voient non l'acte seul
mais dedans les penses regardent avec l' esprit.
Il dit moi : Bientt arrivera en haut
ce que j 'attends et que ta pense songe,
bientt convient qu' ta vue se dcouvre.
Toujours ce vrai qui a face de mensonge
l'homme doit fermer ses lvres autant qu'il peut,
puisque sans avoir faute, lui viendrait honte ;
mais ici je ne peux le taire et, par les vers
de cette Comdie, je te jure, lecteur,
- et qu'ils ne soient vides de longue faveur -
105
130
133
136
LA DIVINE COMDIE
que je vis par cet air lourd et sombre
venir nageant vers le haut, une figure
stupfiante pour tout ferme courage,
comme revient celui qui parfois
est descendu dgager l' ancre, retenue
par une roche ou autre chose en mer,
qui s'tend vers le haut et ramne ses pieds.
Chant XVII
1 Voici la bte la queue aigu*
qui passe les monts, brise murs et armes,
voici celle qui empeste le monde entier.
4 Ainsi commena mon guide me parler,
et lui fit signe de venir au rivage
au bord des dalles o nous passions ;
7 et cette rpugnante image de la fraude
s'en vint et avana la tte et le buste
mais sur la rive ne tira pas sa queue.
10 Sa face tait face d'homme juste
si bnigne en tait au-dehors la peau,
et d'un serpent tout le reste du tronc.
13 Elle avait deux pattes velues jusqu'aux aisselles ;
le dos, la pitrine et les deux flancs
taient peints de nuds et de rouelles.
16 Avec plus de couleurs, trames et en relief,
jamais ne firent draps Tartares ou Turcs,
ni furent toiles par Arachn brodes.
19 Comme parfois des barques au rivage
demi sont sur l'eau, demi sur la terre,
et comme l-bas, chez les Teutons gloutons,
22 le castor se dispose faire sa guerre ;
ainsi se tenait la bte immonde
sur le rebord de pierre qui enserre le sable ;
25 dans le vide toute sa queue s'agitait
107
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
108
LA DIVINE COMDIE
tordant vers le haut la fourche venimeuse
qui, guise de scorpion avait la pointe.
Mon guide dit : Ores il faut que tourne
notre route un peu jusqu' cette
bte maHaisante qui l se couche.
Partant nous descendmes vers la droite
et fmes dix pas sur l'extrme bord
pour bien viter et le sable et la flamme.
Et lorsqu' elle nous fmes parvenus,
un peu plus loin, je vois sur le sable,
des gens assis tout prs du vide.
Le matre alors : Afin que tu emportes
pleine exprience de ce giron ,
me dit-il, va et vois leur mange.
Que l tes discours soient brefs ;
tant que tu reviennes je parlerai celle-ci
pour qu'elle nous prte ses fortes paules.
Ainsi, encore sur l' extrme bord
de ce septime cercle, tout seul
j 'allai o assise tait la triste gent.
Par les yeux clatait dehors leur douleur,
de del se dmenaient leurs mains
tantt aux flammes tantt au sol brlant,
non autrement font, d't, les chiens
ores du museau ores du pied quand sont mordus
ou de puces ou de mouches ou de taons.
Lorsqu'au visage de certains portai les yeux,
l o tombe le feu de douleur,
-
'
. .
' Je n en connus aucun, mais Je r aperus
que du cou de chacun pendait une poche
qui avait certaine couleur et certain signe,
et l parat que leur il se repaisse.
Et comme je vais regardant parmi eux,
sur une bourse jaune je vis un azur*
qui d'un lion avait face et maintien.
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
ENFER. CHANT XVII
Puis poursuivant de mon regard le tour
j 'en vis une autre rouge comme sang*
montrant une oie plus blanche que beurre.
Et un, qui d'une grosse truie azur*
avait son sachet blanc marqu,
me dit : Que fais-tu en cette fosse ?
Ores va-t'en ; et puisque tu vis encore
sache que mon voisin Vitaliano*
viendra s'asseoir ici ma gauche ;
avec ces Florentins je suis, moi, padouan,
souvent m'assourdissent les oreilles
criant : "Vienne le chevalier souverain*
qui portera la poche avec trois boucs !
L il tordit la bouche et hors tira
la langue comme buf qui se lche les naseaux.
Et moi, craignant que rester davantage facht
celui qui de peu rester m'avait averti,
je m'en retournai laissant ces mes accables.
Je trouvai mon guide mont dj
sur la croupe du farouche animal
et il me dit : Ores sois fort et hardi,
dsormais on descend par chelle ainsi faite :
monte devant, je veux tre au milieu
pour que la queue ne te puisse faire mal.
Tel est celui si fort saisi par le frisson
de la fivre quarte qu'il a dj les ongles morts
et tout son corps tremble seulement voir l'ombre,
tel devins-je ces paroles dites ;
mais la honte m'adressa ses menaces,
qui devant bon seigneur fait serviteur fort.
Je me mis donc sur ces paules horribles
et je voulus dire, mais la voix ne vint pas
comme je crus : Serre-moi dans tes bras.
Mais lui, qui d'autres fois me secourut
en d' autres prils, peine fus-je mont,
de ses bras m'entoura et me soutint ;
109
97
lOO
103
106
109
1 12
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
l lO
LA DIVINE COMDIE
et il dit : Pars maintenant, Gryon,
tes cercles soient larges et ta descente douce,
pense au fardeau tout nouveau que tu portes.
Comme une barque quitte le rivage
lentement reculons, ainsi de l s' loigna
et puis, lorsque se sentit libre,
l o tait la poitrine tourna la queue
et, l' ayant tendue, comme anguille partit,
et de ses pattes ramena l' air soi.
Plus grande peur, je crois, ne fut
quand Phaton abandonna les rnes*
dont le ciel, comme apparat encore, brla,
ni quand le malheureux Icare sentit ses reins*
perdre leurs plumes, la cire ayant chauff,
son pre lui criant : Male voie tu tiens ! ,
que fut la mienne quand j e vis que j 'tais
dans l' air de toute part et vis teinte
la vue de toute autre chose que la bte.
Elle s' en va nageant lente lente,
tourne et descend, et ne m'en aperois que
parce qu'au visage me souffle l' air d'en bas.
J'entendais dj droite la cascade
faire au-dessous de nous un horrible fracas
pour quoi je penchai la tte regardant vers le bas.
Alors je craignis plus encore d'carter les genoux
car je vis des feux et entendis des pleurs
dont, tout tremblant, je resserrai les cuisses.
Et je vis ensuite, car ne le voyais avant,
cette descente en cercles au-dessus des grands maux
qui se rapprochaient de divers cts.
Comme le faucon trop rest sur ses ailes,
qui sans voir oiseau ou leurre,
fait dire au fauconnier : Ah ! tu reviens ! ,
descend lass d'o il partit rapide,
faisant cent tours et va se poser,
dpit et flon l'cart de son matre,
133
136
ENFER. CHANT XVII
ainsi nous dposa, dans le fond, Gryon,
tout au pied de la paroi de roc
et, ayant dcharg nos personnes,
disparut comme de l' arc la flche.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
l l2
Chant XVIII
Un lieu est en enfer appel Malefosses
tout fait de pierre, et couleur de fer
comme le cirque qui tout autour l'enserre.
Juste au centre de ce triste lieu
s'ouvre bant un puits large et profond
dont je dirai plus tard comme il est ordonn.
Cette enceinte qui reste est donc ronde,
entre le puits et le pied de la haute roche dure,
et se divise en dix valles au fond.
Comme pour la garde des murs
plusieurs fosss entourent les chteaux,
et l'endroit o ils sont forme une figure,
telle image faisaient l ces vallons ;
et comme, en telles forteresses, de leurs seuils
l'enceinte extrieure sont jets des ponceaux,
ainsi, du bas de la falaise, des rochers
allaient coupant les digues et les fosss
jusqu'au puits qui les tronque et recueille.
En ce lieu, secous de l'chine de Gryon,
nous nous trouvmes et le pote
prit gauche, et moi derrire le suivis.
A ma droite je vis nouvelle piti,
nouveaux tourments et nouveaux fustigeurs
dont la premire fosse tait pleine.
Au fond marchaient nus les pcheus,
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
ENFER. CHANT XVIII
en de du milieu, venaient vers nos visages,
au-del avec nous, mais d'un pas plus rapide ;
comme les Romains pour la grande affluence,
l' anne du jubil, sur le pont,
ont trouv le moyen de faire passer les gens :
d'un ct, tous, le visage tourn
vers le chteau, vont San Pietro,
sur l'autre bord, ils marchent vers le mont.
De , de l, sur la pierre sombre,
je vis dmons cornus avec de grands fouets
qui les battaient cruellement par-derrire.
Ah comme ils leur faisaient lever les pattes
aux premiers coups ! Car aucun
les seconds n'attendait, ni les troisimes.
Tandis que je marchais, mes yeux se heurtrent
contre un et aussitt je dis :
D'avoir vu celui-l je ne suis pas jeun.
Alors mes pieds fixai pour le dvisager
et le doux matre avec moi s' arrta
et consentit d'aller quelque peu en arrire.
Et ce fouett crut se cacher
en baissant le front, mais peu lui servit
car je dis : 0 toi qui jettes les yeux terre,
si les traits de ton visage ne sont faux,
tu es V enedico Caccianemico*,
mais quoi donc t' amne si puantes sauces ?
Et lui moi : Mal volontiers je le dirai,
mais me force ton clair langage
qui me fait souvenir du monde d'autrefois.
Je fus celui qui conduisit Ghisolabella
faire les volonts du Marquis,
quel que soit le rcit de l'immonde nouvelle.
Ne suis pas seul ici, Bolonais, pleurer,
et mme ce lieu en est si rempli
qu'autant de langues n'ont appris
l l3
LA DIVINE COMDIE
61 dire "sipa" entre Svena et Reno ;
et si de cela veux foi ou tmoignage
rappelle ta mmoire notre esprit d' avarice.
64 Comme il parlait un dmon le frappa
de son fouet et dit : Marche ruffian,
ne sont ici femmes vendre.
67 Je rejoignis celui qui r
'
escortait
et en peu de pas nous arrivmes
l o un rocher saillait de la rive.
70 Lgrement y montmes, puis ayant
tourn droite et marchant sur la crte,
loin de ces rondes ternelles nous partmes.
73 Quand nous fmes au point o, dessous,
est le vide pour donner passage aux fouetts,
le guide me dit : Attends un peu et fais
76 que tombe sur toi le regard de ces autres mal ns
dont encore tu n'as pas vu la face
puisqu'ensemble avec nous ils allaient.
79 Du pont antique nous regardions la file
qui venait vers nous de l'autre ct
et que le fouet semblablement pourchasse,
82 et le bon matre, sans que je demande
me dit : Regarde ce grand qui vient
et par douleur ne semble verser larme.
85 Quel aspect royal encore retient-il !
Il est Jason qui par courage et ruse*
priva du mouton les gens de Colchos.
88 Il passa par 1 'le de Lemnos
aprs que les femmes hardies et sans piti
tous leurs mles avaient donn la mort ;
91 l par gages et paroles ornes
il trompa Hypsipyle, la jeune fille
qui d'abord les avait toutes trompes.
94 Puis il l' abandonna engrosse et seulette,
telle faute tel martyre le condamne,
et pour Mde aussi vengeance est faite.
1 14
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
ENFER. CHANT XVIII
Avec lui va qui de telle sorte trompe.
Qu'il suffise de la premire valle savoir
cela, et de ceux qu'elle tient en ses crocs.
Dj nous tions l o le passage troit
se croise avec la seconde digue
et fait de celle-ci paule un autre arc.
De l nous entendmes gens qui se lamentent
dans l'autre fosse et qui se vautrent
et eux-mmes se frappent de leurs mains.
Les rives encrotes taient de moisissure
par l'haleine d'en bas qui s'y empte
et offensait et les yeux et le nez.
Le fond est si sombre que nous ne pouvons
voir sans monter la cime de l' arc
o la pierre plus surplombe.
L nous vnmes et, en bas dans la fosse,
je vis des gens enfoncs dans une mer d' excrments
qui semblaient venir des latrines humaines.
Et comme du regard je cherche en bas,
j 'en vis un la tte si souille de merde
qu'on ne voyait si clerc tait ou lac.
Il me rabroua : Pourquoi es-tu si gourmand
de regarder plus moi que les autres breneux ?
Et moi lui : Parce que, si bien je me souviens,
jadis je t' ai vu avec des cheveux secs,
tu es Alessio lnterminei de Lucques* :
pour ce je te fixe plus que tous les autres.
Et lui alors se battant la caboche :
En ce fond r
'
ont plong les flatteries
dont je n'eus jamais la langue fatigue.
Aprs cela le guide : Fais en sorte de pousser ,
me dit-il, le regard un peu plus en avant,
afin que ton il bien atteigne la face
de cette immonde serve chevele
qui l se griffe de ses ongles merdeux,
et tantt s'accroupit tantt se tient debout ;
1 1 5
133
136
LA DIVINE COMDIE
c' est Thas, la putain, qui rpondit*
son amant quand il dit : "Ai-je bonnes grces
auprs de toi ? " "Mieux merveilleuses".
Aprs cela sufise ce que nous avons vu.
Chant XIX
1 0 Simon le Mage, malheureux qui le suivez*,
ces choses de Dieu qui de seule bont
doivent tre pouses, vous, rapaces,
4 pour or et argent, les prostituez ;
ores il faut que pour vous rsonne la trompe
puisque vous tes dans la troisime fosse.
7 Dj nous tions la tombe suivante,
monts ce point du rocher
qui, juste au milieu, la fosse surplombe.
10 0 suprme Sagesse, combien grand est l' art
que tu montres au ciel sur terre et au male monde,
et combien juste ta vertu qui tout impartit !
13 Je vis, sur les cts et dans le fond,
la pierre livide toute pleine de trous,
tous de mme largeur et chacun tait rond.
16 Ne me semblaient moins larges ni plus grands
que ceux qui, dans mon beau Saint-Jean,
sont faits pour lieu de baptistre,
19 l'un desquels, et n' est pas fort longtemps,
je brisai pour un qui s'y noyait,
et l soit le sceau qui dtrompe tout homme.
22 Hors de la bouche de chacun de ces trous
passaient les pieds d'un pcheur, et les jambes
jusqu'au gras du mollet, le reste tait dedans.
25 A tous brlait la plante des deux pieds
1 1 7
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
l l8
LA DIVINE COMDIE
par quoi si fort s' agitaient les jointures
qu'elles eussent rompu et cordes et liens.
Ainsi que flambent choses graisseuses,
la flamme glissant sur l'extrme pelure,
elle allait ici des talons jusqu'aux pointes.
Qui est celui-ci, matre, qui s'enrage*
frtillant plus que tous autres consorts ,
dis-je, et qu'une flamme plus rouge suce ?
Et lui moi : Si tu veux que je te porte
l-bas par cette rive plus en pente,
de lui tu apprendras son nom et ses pchs.
Et moi : Tant m'est beau ce qui te plat,
tu es seigneur, tu sais que de ton vouloir
je ne me pars, et tu sais ce que l'on tait.
Alors nous vnmes sur la quatrime digue,
nous tournmes main gauche et descendmes
en bas dans le fond perc de trous serrs ;
et le bon matre de sa hanche encore
ne me dposa, mais me porta jusqu'au trou
de celui qui tant geignait de la patte.
0 qui que tu sois qui tiens le haut en bas,
me misrable fiche comme un pieu ,
commenai-je dire, si tu le peux, parle.
Je me tenais comme le moine qui confesse
le perfide assassin qui, une fois plant,
l' appelle et pour ce la mort s' arrte.
Et lui cria : Est-ce toi dj ici debout ?
Est-ce toi dj ici debout, Bonace* ?
de plusieurs annes l'crit m' a donc menti ?
Es-tu donc si tt rassasi de cet avoir
pour lequel ne craignis de prendre trahison
la belle dame et ensuite la saccager ?
Tel me fis-je comme ceux qui,
pou n' entendre pas ce qui est rpondu,
restent honteux et ne savent rpondre.
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
ENFER. CHANT XIX
Alors Virgile dit : Dis-lui vite
"je ne suis pas, je ne suis pas celui que tu crois"
et moi je rpondis comme me fut impos.
Sur ce l' esprit tout se tordit les pieds
puis soupirant et d'une voix pleurante
me dit : Que veux-tu donc de moi ?
Si de savoir qui je suis tant te presse
que tu aies pour cela parcouru la rive,
sache que je fus revtu du grand manteau
et vraiment je fus fils de l'Ourse,
tant avide d' engraisser les oursons
que je mis en bourse en haut l' argent et ici moi.
Au-dessous de ma tte sont enfoncs les autres
qui m'ont prcd faisant la simonie,
tasss dans les fentes de la pierre.
L moi aussi je tomberai mon tour quand
viendra celui que j 'ai cru que tu tais
lorsque je fis ma soudaine demande.
Mais plus est le temps que me cuisis les pieds
et que je suis rest ainsi dessus dessous
qu'il ne restera plant et les pieds rouges ;
car aprs lui viendra, marqu d' uvre plus laide*,
du ct du ponent, un pasteur sans loi
tel qu'il devra lui et moi recouvrir.
Nouveau Jason sera, dont on lit
dans les Macchabes ; et comme pour lui fut lche
son roi, ainsi sera celui qui gouverne la France*.
Je ne sais si je fus ici trop insens
car mon tour je rpondis en cette manire :
Ah ! dis-moi donc quel trsor voulut
de saint Pierre Notre Seigneur avant
de remettre les clefs en son pouvoir ?
Certes, ne lui demanda sinon "Suis-moi".
Ni Pierre ni les autres ne prirent Matthias
or ou argent quand fut tir au sort
pour la place que perdit l' me damne.
l l9
97
100
103
106
109
1 12
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
133
120
LA DIVINE COMDIE
Reste donc l car bien es-tu puni,
et garde bien la monnaie mal acquise
qui te fit dresser hardi contre Charles*.
Et si ce n'tait qu'encore me l'interdit
le respect des saintes clefs
que tu tins durant la vie joyeuse,
je dirais des paroles encore plus dures ;
car votre avarice assombrit le monde
crasant les bons, levant les mauvais.
A vous, pasteurs, pensait l'vangliste*
quand celle qui se tient assise sur les eaux
lui fut montre se prostituant avec les rois ;
celle qui naquit avec les sept ttes*
et des dix cornes eut vigueur
tant que vertu son mari fut chre.
Vous avez fait d'or et d'argent votre Dieu :
quelle diffrence de vous aux idoltres
sinon qu'ils en adorent un et vous cent ?
Ah ! Constantin*, de quels maux fut mre,
non ta conversion, mais cette dot
que de toi prit le premier pre riche !
Et tandis que je lui chantais ces notes,
ft-ce colre ou conscience qui le mordt
fortement il ruait des deux pattes.
Je crois bien que plut mon guide,
qui d'un air si content couta,
le son de ma parole vraie ainsi dite.
Pour ce, des deux bras il me prit,
t lorsqu'il m'eut tout contre sa poitrine
remonta par la voie d'o tait descendu,
et ne se lassa de r
'
avoir serr lui
mais bien me porta au sommet de l' arc
qui va de la quatrime la cinquime digue.
L doucement il dposa sa charge,
doucement sur le rocher pre et abrupt
qui serait aux chvres dur passage.
Et puis un autre vallon me fut dcouvert.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XX
De nouvelles peines ores il me faut rimer
donnant matire ce vingtime chant
de la prime chanson qui est celle des enfouis.
J'tais dj tout entier dispos
regarder dans le fond dcouvert,
tout baign de plaintes angoisses,
et je vis des gens par la ronde valle
venir en silence et pleurant, au pas
qu'en notre monde rythment les litanies.
Quand plus bas sur eux descendit mon regard,
trangement m' apparut chacun d' eux
retourn entre le menton et le tronc,
car du ct des reins se trouvait le visage
et il leur fallait venir reculons
puisqu'ils ne pouvaient voir devant eux.
Peut-tre que par force de paralysie
aucun fut ainsi compltement retourn,
mais jamais ne l'ai vu et ne crois qu'il soit.
Si Dieu te laisse, lecteur, prendre fruit
de la leon, pense par toi-mme
si je pouvais garder les yeux secs,
lorsque je vis de prs notre image
si tordue que, des yeux, les larmes
baignaient les fesses en coulant par la raie.
Ah je pleurais, appuy sur une des pierres
121
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
122
LA DIVINE COMDIE
du dur rocher, si bien que mon guide
me dit : Es-tu donc encore de ces sots ?
Ici pit vit quand piti est bien morte.
Qui donc est plus sclrat que celui
qui veut accaparer le jugement divin ?
Redresse la tte, redresse-la et vois pour qui
s'ouvrit la terre aux yeux des Thbains
alors que tous criaient : "O croules-tu ?
Amphiaras ? Pourquoi quittes-tu la guerre* ?
Et ne s' arrta de crouler au fond
jusqu' Minos qui chacun saisit.
Regarde, il a fait poitrine de ses paules :
parce qu'il a voulu voir trop avant,
il regarde en arrire et fait marche inverse.
V ois Tirsias qui changea d'apparence*
quand d'homme il devint femme
modifiant l' ensemble de ses membres,
et puis il lui fallut frapper
de sa verge les deux serpents enrouls
avant de recouvrer son masculin pennage.
Aruns est celui qui s'adosse son ventre, *
dans les monts de Luni o pioche
le Carrarais qui habite au-dessous,
il eut parmi les marbres blancs sa caverne
comme demeure, d'o, regarder les toiles
et la mer, rien n' arrtait sa vue.
Et celle-l qui recouvre ses mamelles,
que tu ne vois, par ses tresses dnoues,
et dessous a toute peau velue,
fut Manto qui erra par moult terres*
puis se posa l o je naquis,
d'o me plat qu'un peu tu m'coutes.
Aprs que son pre sortit de vie
et que devint serve la ville de Bacchus,
celle-ci longtemps par le monde alla.
61
6
67
70
73
76
79
82
85
8
91
94
ENFER. CHANT XX
En haut, en belle Italie, s'tend un lac
au pied de l'Alpe qui enserre l'Allemagne
au-dessus de Tyrol, et a nom Benaco.
Par mille sources, je crois, et plus, se baigne
entre Garda et V al Camonica, l' Apennin*
de l'eau qui en ce lac repose.
Lieu est au centre o l'vque*
de Trente et celui de Brescia et aussi de Vrone
pourraient bnir s'ils faisaient ce chemin.
Sise est Peschiera, fort et beau rempart*
pour affronter Bresciants et Bergamasques,
l o la rive qui l'entoure est plus basse.
Par l convient que tombe toute l'eau
qui ne peut au sein de Benaco rester,
et se fait fleuve par verts pturages.
Ds que l'eau couler recommence
non plus Benaco mais Mincio se nomme,
jusqu' Governolo o elle tombe en P.
N'a pas longtemps couru qu'il trouve une plaine
en laquelle s'tend et se fait marcage,
et parfois d't devient malsaine.
Passant par l, la vierge sauvage
vit une terre au milieu du marais
sans culture et nue d'habitants.
L pour fuir toute relation humaine,
s'arrta faire son art avec ses aides
et vcut, et y laissa son corps vain.
Les hommes ensuite, qui taient pars l'entour,
s'assemblrent en ce lieu que rendait fort
le marcage qu'il avait tout autour.
Ils firent la ville sur ces os morts,
et pour celle qui la premire choisit ce lieu,
Mantoue l'appelrent sans autres sorts.
Jadis furent ses habitants l'intrieur plus denses, *
avant que l a folie de Casalodi
ret tromperie de Pinamonte.
123
97
100
103
106
109
112
1 1 5
118
121
124
127
130
1 24
LA DIVINE COMDIE
Partant je t'avertis : si jamais tu entends
ma terre donner autre origine,
que nul mensonge ne fausse la vrit.
Et moi : Mare, tes discours
sont pour moi si certains et tant saisissent ma foi
que d' autres seraient pour moi charbons teints.
Mais dis-moi si des gens qui avancent
tu vois quelqu'un digne d'tre cit,
car cela seulement revient mon esprit.
Alors il me dit : Celui qui de ses joues*
tend sa barbe sur ses paules brunes,
quand la Grce fut vide de mles
et qu' peine en restrent aux berceaux,
fut augure et donna le signal avec Calchas
en Aulide pour couper le premier cble.
Eurypyle fut son nom, et ainsi le chante
ma haute tragdie en certain lieu :
bien le sais-tu qui la sais tout entire.
Cet autre dont les flancs sont si maigres,
fut Michele Scotto qui vritablement*
des fraudes magiques connut le grand jeu.
Vois Guido Bonatti ; vois Asdente : *
s' tre appliqu au cuir et au ligneul
ores voudrait bien, mais tard se repent.
V ois les malheureuses qui laissrent l'aiguille
et la navette et le fuseau pour tre devineresses
et firent sorcelleries avec herbes et images.
Mais viens dsormais, dj arrive aux confins
des deux hmisphres, et touche la mer
au-dessous de Sville, Can et ses pines,
et dj hier dans la nuit la lune tait ronde :
bien t'en doit-il souvenir car ne t' a pas nui
cette fois dans la fort profonde.
Ainsi me parlait-il alors que nous allions.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XXI
Ainsi, d' un pont l'autre, parlant de choses
que ma comdie n' a cure de chanter,
nous allions, et nous arrivions au sommet,
quand nous restmes pour voir l' autre crevasse
de Malefosses et les autres plaintes vaines ;
et je la vis tonnamment obscure.
Ainsi dans l' arsenal des Vnitiens
bout en hiver la poix tenace
pour recalfater leurs bateaux usags,
car ils ne peuvent naviguer et, en place,
qui refait neuf son bateau, qui calfeutre
les flancs de celui qui fit maints voyages,
qui recloue la poupe et qui la proue,
l' un fait des rames, l' autre tord les haubans,
et qui rapice misaine et artimon ;
telle, non par feu mais par art divin,
bouillait en bas une poix paisse
qui engluait la rive de toute part.
Je la voyais mais ne voyais en elle
que les bulles leves par le bouillonnement,
et toute se gonflait et retombait plat.
Tandis que fixement je regardais en bas,
mon guide, disant : Attention, attention !
me tira lui de l'endroit o j 'tais.
Alors je me tournai comme celui qui tarde
1 25
LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT XXI
de voir ce qu'il convient de fuir
61 et pour nulle offense qui me soit faite
et que peur subite dcourage, n'aie crainte, car j 'ai connu ces choses
28 qui pour autant ne dfre de partir, l'autre fois que je fus telle bagarre.
et je vis derrire nous u diable noir 6 Puis il passa l'autre bout du pont
courant sur le rocher venir.
et comme il arrivait sur la sixime rive
31 Ah combien tait son aspect froce !
bien lui fut ncessaire front assur.
et combien me semblait sa posture cruelle :
67 Avec mme fureur, avec mme tempte
ses ailes ouvertes et sur ses pieds lger.
que les chiens s'lancent sur le pauvre
34 Son paule qui tait aigu et puissante
qui demande soudain l o il s'arrte,
chargeait un pcheur par les hanches
70 ceux-l sortirent d'en dessous du ponceau
et tendirent contre lui tous leurs grappins,
et il tenait agripp le nerf des pieds.
mais il cria : Qu'aucun de vous ne soit flon
37 De notre pont, il dit : 0 Malebranche*
73 Avant que votre crochet r
'
attrape
voici u ancien de Santa Zita* !
que l'un de vous s' avance et m'entende,
Enfoncez-le, moi je retourne encore
et puis vous verrez s'il faut m'embrocher.
40 cette ville qui en est bien fournie,
76 Tous crirent : Que Malacoda y aille !
tout homme y est baratier, part Bonturo* ;
pour quoi l'un avana, les autres attendant,
du non , pour de l' argent, on y fait oui .
et vint lui disant : A quoi bon ?
43 En bas il le jeta et sur la roche dure,
79 Crois-tu, Malacoda, me voir
se retourna, et jamais ne fut mtin dli
ici venu , dit mon matre,
si rapide poursuivre u voleur.
assur contre toutes vos embches
46 L'autre plongea et refit surface empoiss,
82 sans vouloir divin et droit destin ?
mais les dmons qui taient sous le pont
laisse-nous aller, car au ciel est voulu
crirent : Ici on ne vnre le Santo Volto*
que je montre un autre cette voie sauvage.
49
ici on nage autrement que dans l'eau du Serchio*
85 Alors fut si abattu son orgueil
mais si tu ne veux tter de nos crochets
qu'il laissa tomber son crochet ses pieds
ne te montre pas au-dessus de la poix.
et dit aux autres : Que nul ne le blesse.
52
Puis le mordirent avec plus de cent crocs
88 Et mon guide moi : 0 toi qui te trouves,
et dirent : Couvert il te faut ici danser
entre les rochers du pont, blotti,
et, si tu peux, piller en cachette.
reviens moi, maintenant, en toute scurit.
55 Non autrement les cuisiniers leurs valets
91 Pour quoi je me dressai et lui vins rapide ;
font enfoncer au milieu du chaudron
et les diables tous s'avancrent tant
la viande, avec les broches pour qu'elle ne flotte.
que je craignis qu'ils ne tinssent le pacte ;
58 Le bon matre : Qu'on ne s'aperoive pas
94 ainsi ai-je vu cette crainte chez les soldats
que tu es ici , me dit-il, baisse-toi
qui sur parole sortaient de Caprona, *
derrire un rocher o tu sois l'abri,
se voyant en telle foule d'ennemis.
126
127
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
LA DIVINE COMDIE
Je r
'
approchai de toute ma personne
le long de mon guide, sans dtacher les yeux
de leur aspect qui n'tait point bon.
Ils tendaient leurs crochets et : Veux-tu ,
disait l'un l'autre, que je le touche sur la
[croupe ?
et ils rpondaient : Oui, joue-lui un tour.
Mais le dmon qui avait parl
avec mon guide se tourna vivement
et dit : Calme, calme, Scarmiglione !
Puis nous : Aller plus outre
par ce rocher ne se peut, parce qu'au fond
gt bris le sixime arc ;
et s'il vous plat de continuer
allez par cette grotte, tout prs
est un autre rocher qui fait passage.
Hier, plus de cinq heures aprs cette heure-ci
il y eut mille deux cents et soixante-six
annes accomplies, que la voie ici fut rompue*.
J'envoie de ce ct certains des miens
pour surveiller si aucun n'y prend l'air ;
allez avec eux, ne seront pas mchants.
Passe en avant Alichino et toi aussi Calcabrina ,
commena-t-il dire, et toi Cagnazzo ;
et Barbariccia guidera la dizaine.
Que Libicocco vienne aprs et Draghignazzo,
Ciriatto aux deux crocs et Graffiacane
et Farfarello et Rubicante le fou.
124 Surveillez alentour les poix bouillantes ;
ceux-ci soient saufs jusqu' l' autre
rocher qui tout entier passe sur les tanires. P
127 Hlas, matre, qu'est-ce donc que je vois ?
dis-je, ah ! sans escorte partons, nous deux seuls,
puisque tu sais aller, et moi ne la demande.
130 Si tu es attentif comme de coutume,
128
133
136
139
ENFER. CHANT XXI
ne vois-tu pas qu'ils grincent des dents
et que leurs yeux nous menacent de douleurs ?
Et lui moi : Je ne veux pas que tu aies peur :
laisse-les grincer tout leur aise,
ils font cela pour les bouillis dolents.
Par la digue gauche ils se dirigrent
mais, avant, chacun avait serr sa langue
entre ses dents, comme signe, vers leur guide,
et lui avait fait de son cul trompette.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
130
Chant XXII
J'ai vu dj des cavaliers lever l e camp,
et donner l' assaut, et dfiler en parade,
et parfois partir faisant retraite ;
J'ai vu des coureurs par votre ville
Artins, et j 'ai vu aller par la campagne,
et lutter en tournoi et courir des joutes,
tantt avec trompes, tantt avec cloches,
avec tambour et avec feux de chteaux,
avec instruments et ntres et trangers ;
mais non, jamais, avec si trange chalumeau
ne vis cavaliers se mouvoir, ni fantassins,
ni navire suivant la terre ou les toiles.
Nous allions avec les dix dmons,
ah ! fire compagnie ! Mais l'glise
avec les saints, la taverne avec les goinfres.
A la poix allait toute mon attention
pour voir tout aspect de la fosse
et des gens qui dedans y taient brls.
Comme les dauphins quand ils font signe
aux matelots, avec l' arc de leur dos,
de se hter pour sauver leurs bateaux,
ainsi parfois pour allger sa peine,
montrait quelque pcheur son dos,
et le cachait plus rapide que l'clair.
Et comme au bord de l'eau d'un foss
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
ENFER. CHANT XXII
se tiennent les grenouilles, museau dehors,
cachant pattes et le reste du corps,
ainsi se tenaient de toute part les pcheurs ;
mais l'approche de Barbariccia
aussitt se retiraient sous les bouillons.
Je vis, et le cur encore m'en frmit d'horreur*
l'un attendre ainsi, comme il arrive
qu'une grenouille reste et l'autre file,
et Graffiacan qui lui tait plus proche
l'accrocha par ses cheveux poisseux
et le tira en l'air o me sembla une loutre.
Je savais dj, d'eux tous, le nom
car je les notai quand ils furent dsigns
et lorsquils s'appelrent j 'y fus attentif.
0 Rubicante, mets-lui tes griffes
sur le dos et tu 1 'corcheras !
criaient tous ensemble ces maudits.
Et moi : Matre mien, fais, si tu peux,
que tu saches qui est ce malheureux
venu aux mains de ses adversaires.
Mon guide s'approcha de lui
et lui demanda d'o il tait et il rpondit :
Je fus n au royaume de Navarre.
Ma mre me plaa au service d'un seigneur,
elle m'avait engendr d'un ribaud
destructeur de soi et de ses biens.
Puis je fus de la suite du bon roi Thibaud*,
l je me mis faire baraterie,
dont je rends raison en cette chaleur.
Et Ciriatto, dont sortait de la bouche
de chaque ct un croc, comme au sanglier,
lui fit sentir de l'un comme il dchire.
Entre rudes chattes tait venu le rat,
mais Barbariccia l'enferma dans ses bras
1
et dit : Restez plus loin, je le tiens enfourch.
131
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
132
LA DIVINE COMDIE
Et vers mon matre il tourna sa face :
Demande encore , dit-il, si tu dsires
savoir de lui davantage, avant qu'un autre le dfasse.
Le guide alors : Dis, des autres coupables,
en connais-tu qui soit italien
sous la poix ? Et celui-ci : Je m'loignai
il y a peu d'un qui fut l mon voisin,
fuss-je encore avec lui recouvert,
ne craignant ni ongles ni crochets !
Et Lihicocco : Trop avons attendu ,
dit-il, et il lui prit le bras avec son grappin,
et le dchirant emporta un lambeau.
Draghignazzo voulut lui aussi le saisir
en bas par les jambes ; d'o leur dcurion
tourna tout autour un regard menaant.
Quand ils furent un peu apaiss,
celui qui encore regardait sa blessure,
mon guide demanda sans attendre :
Qui est celui dont tu dis qu' ton dam
tu t'loignas pour venir la rive ?
Et lui rpondit : Il fut frre Gomita*
celui de Gallura, vase de toute fraude
qui tint les ennemis de son matre en ses mains
et fit si hien que chacun d'eux s'en loue.
Il prit leur argent et les laissa hors cause,
comme il dit, et en d'autres offices encore
fut baratier, non petit, mais souverain.
S'entretient avec lui don Michele Zanche*
de Logudoro, et, parler de Sardaigne
leurs langues ne sentent pas la fatigue.
Oh l, voyez l'autre qui grince,
j 'en dirais plus, mais je crains qu'il
ne s'apprte me gratter la teigne.
Et le grand prvt, tourn vers Farfarello
qui roulait les yeux, prt frapper,
dit : Ote-toi de l, vilain oiseau !
97
lOO
103
106
109
1 12
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
ENFER. CHANT XXII
Si vous voulez voir ou entendre ,
recommena ensuite l' apeur,
Toscans ou Lombards, j 'en ferai venir,
mais que les Malebranche se tiennent un peu plus loin
pour qu'ils ne craignent leurs vengeances,
et moi, restant assis en ce lieu mme,
pour un que je suis, en ferai venir sept,
quand je sifflerai, comme c'est notre coutume
de faire, quand l'un se met dehors.
Cagnazzo telle parole leva le museau,
croulant la tte et dit :

coutez l' astuce


qu'il a pense pour se jeter en bas !
D'o lui qui avait des ficelles plein son sac
rpondit : Astucieux je le suis trop
quand je procure aux miens plus de douleur !
Alichino n'y tint plus et, contrant
les autres, lui dit : Si tu te sauves,
je ne viendrai pas derrire toi au galop,
mais je battrai des ailes au-dessus de la poix ;
quittons le roc, allons derrire la digue
pour voir si toi seul vaux plus que nous.
0 toi qui lis, tu entendras un nouveau tour :
chacun tourna les yeux de l'autre bord
et premier celui qui ce faire tait plus oppos.
Le N avarrais saisit le hon moment,
posa les pieds terre et, d'un coup,
sauta et leur prvt s'arracha.
De quoi chacun se sentit repentant,
mais plus celui qui fut cause de l'chec,
pour ce il s'lana et cria : Je t'attrape !
Mais peu lui servit, car les ailes ne purent
l'emporter sur la peur : l'un coula sous la poix,
et l'autre en volant redressa la poitrine :
non autrement le canard soudain
quand le faucon s' approche, plonge,
et lui remonte fch et rompu.
133
133
136
139
142
145
148
151
LA DIVINE COMDIE
Calcabrina, furieux d' avoir t jou
le suivit en volant, dsireux
que l'autre se sauve, pour avoir la bagarre ;
et ds que le baratier eut disparu,
il tourna ses griffes contre son compagnon
et se saisit de lui au-dessus du foss.
Mais l'autre se montra perier bien rac
l'agripper lui aussi et tous deux
tombrent en plein tang bouillant.
La chaleur se fit aussitt arbitre,
mais de s'lever, rien faire,
car ils avaient leurs ailes englu.
Barbariccia avec ses compagnons dolent
en fit voler quate l'autre bord
avec tous les harpons ; et bien prestement
ici, l, descendirent sur place,
tendirent les crochets vers les empoisss,
qui dj taient cuits dans la crote.
Et nous les laissmes, eux, ainsi emptrs.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XXIII
En silence, seuls, sans compagnie,
nous allions, l'un devant, l'autre aprs,
comme frres mineurs vont par chemin.
Tourne tait vers la fable d'

sope
ma pense, par la prsente rixe,
l o il parla de la grenouille et du rat,
car plus ne se ressemblent mo et issa
que l'un et l'autre cas, tant bien s'accouplent
dbut et fin, pour l' esprit attentif.
Et, comme une pense d'une autre jaillit,
ainsi de celle-ci naquit ensuite une autre
qui fit ma peur double de la premire.
Ainsi pensais-je : A cause de nous
ils ont t jous avec dam et dpit
tels que je les crois fort irrits.
Si la colre sur le mal vouloir s'accumule
ils viendront derrire nous plus cruels
que le chien sur le livre qu'il happe.
Dj je sentais se dresser tous mes poils,
par peur, et j 'tais en arrire attentif
quand je dis : Matre, si tu ne nous caches
toi et moi prestement, j 'ai grande pouvante
des Malebranche : nous les avons aux trousses,
je l'imagine si fort que dj les entends.
Et lui : Si j 'tais fait de vitre plombe,
135
28
31
34
37
40
43
46
49
52
55
58
136
LA DIVINE COMDIE
ton image dehors ne me viendrait
plus vite que ne reois celle du dedans.
A l'instant venaient tes penses parmi les miennes
avec mme geste avec mme visage
si bien que de nous deux je fis un seul conseil.
Si vraiment la cte droite tant s'incline
que nous puissions dans l'autre fosse descendre,
bien fuirons-nous la chasse imagine.
Il n' avait pas achev de dire tel conseil
que je les vis venir, ailes tendues,
non trs loin et pour nous prendre.
Mon guide aussitt me saisit,
comme la mre qui au bruit se rveille
et voit prs d'elle les flammes allumes,
qui prend son fils et fuit et ne s' arrte,
ayant de lui plus que d' elle souci,
le temps mme de vtir une chemise ;
et, glissant du haut de la dure roche,
sur le dos s' abandonna la pierre en pente,
qui fait un mur au bord de l'autre fosse.
Jamais ne courut si vite eau par bief
pour tourner roue de moulin en montagne
quand plus elle approche des aubes,
comme fit mon matre par cette lisire
m'emportant serr sur sa poitrine
comme son fils, non comme compagnon.
A peine ses pieds eurent-ils touch en bas
le fond, qu'eux furent sur la crte
au-dessus de nous, mais l plus de crainte ;
car la haute providence qui voulut
les placer ministres de la cinquime fosse,
du pouvoir d'en sortir tous l'ta.
L, en bas, nous trouvmes une gent toute peinte
qui allait tout autour pas lents,
pleurant et semblant lasse et vaincue.
61
6
67
70
73
76
79
82
85
8
91
94
ENFER. CHANT XXIII
Ils portaient des chapes aux capuchons tirs
devant les yeux, tailles comme celles
qu' Cluny on fait pour les moines.
Dehors sont dores, tant qu'elles blouissent,
mais dedans sont de plomb et si pesantes
que Frdric, auprs, les faisait de paille*.
Oh pour l'ternit dououreux manteau !
Nous tournmes encore, toujours main gauche,
en mme temps qu'eux, attentifs leur triste plainte ;
mais, sous le poids, cette gent fatigue
tait si lente, que nous trouvions nouvelle
compagnie chaque mouvement de hanche.
Pour quoi mon guide je dis : Tche de trouver
quelqu'un qui par faits ou renom soit connu,
tout en marchant porte alentour tes yeux.
Et l'un qui entendit ma parole toscane
derrire nous cria : Retenez vos pieds,
vous qui courez ainsi par l'air tnbreux
Peut-tre auras-tu de moi ce que tu demandes.
Alors le guide se retourna et dit : Attends,
et ensuite selon son pas avance.
Je m'arrtai, et j 'en vis deux montrer par leur visage
grande hte du cur d'tre avec moi ;
mais les retardait le fardeau, et la voie troite.
Quand ils furent arrivs, les yeux louches,
longtemps me regardrent sans dire mot ;
puis se tournrent l'un vers l'autre et se disaient :
Celui-ci parat vivant au mouvement de sa gorge,
et s'ils sont morts, par quel privilge
vont-ils non couverts de la pesante robe ?
Puis moi : 0 Toscan, qui au collge
des tristes hypocrites es venu,
dire qui tu es, ne l' aie pas en ddain.
Et moi eux : Je suis n et j 'ai grandi
sur le beau fleuve Arno la grand'ville,
et je suis avec le corps que j ' ai toujours eu.
137
97
lO
103
106
109
l l 2
l l 5
l l8
121
124
127
130
138
LA DIVINE COMDIE
Mais vous qui tes-vous qui telle douleur,
je le vois bien, coule le long des joues ?
et quelle peine est en vous qui tant tincelle ?
Et l'un moi rpondit : Les chapes jaunes
sont de plomb, si lourdes que les poids
font ainsi craquer leurs balances.
Frres Joyeux fmes et bolonais* ;
moi Catalano et lui Loderingo
nomms, et par ta ville ensemble pris,
alors que de coutume elle choisit un seul homme,
pour conserver sa paix ; et ce que nous fmes
encore se voit autour du Guardingo*.
Je commenai : 0 frres, vos maux . . . ,
mais plus n'en dis-je, car mes yeux courut
un, cmci terre avec trois pieux.
Quand il me vit, tout se tordit
soufflant dans sa barbe et soupirant,
et le frre Catalano qui s'en aperut
me dit : Ce clou que tu regardes*
conseilla aux Pharisiens qu'il convenait
de mettre un homme au martyre pour le peuple.
En travers du chemin il est, nu,
comme tu vois, et il faut qu'il sente
de quiconque passe, combien d'abord il pse ;
et de mme faon son beau-pre peine*
en cette fosse, et les autres du Conseil*
qui fut pour les J us male semence.
Alors je vis s'tonner Virgile
sur celui qui tait tendu en croix
si vilement dans l'ternel exil.
Puis il s'adressa au frre en ces termes :
Ne vous dplaise, si c' est permis, nous dire
si, main droite, existe quelque passage
d'o nous puissions tous deux sortir d'ici,
sans contraindre les anges noirs
nous venir tirer hors de ce fond.
133
136
139
142
145
14
ENFER. CHANT XXIII
Il rpondit donc : Plus que tu ne l'espres
proche est un rocher qui se dtache
du grand cirque et franchit tous les durs vallons,
sauf qu'en celui-ci il est bris et ne le surplombe :
monter vous le pourrez en gravissant la ruine
qui s'tend sur la cte et s'entasse en bas.
Mon gide resta un instant la tte incline
puis dit : Mal nous contait l'affaire
celui qui l-bas accroche les pcheurs.
Et le frre : J'ai ou dire jadis Bologne,
du diable, de nombreux vices parmi lesquels
qu'il est menteur et pre de mensonge.
Et puis mon guide grands pas s'en alla
le visage troubl un peu de colre ;
et moi je m'loignai des lourdement chargs,
suivant les traces des pieds si chers.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
140
Chant XXIV
En cette partie de l'anne jeunette,
quand le soleil trempe ses crins sous le V erseau,
et les nuits dj vont tre gales aux jours,
quand le givre sur la terre imite
l'image de sa blanche sur,
mais peu dure la teinte son pinceau,
le pauvre villageois qui manque le fourrage
se lve et regarde et voit la campagne
blanchoyer toute, et il se bat le flanc ;
rentre en sa maison et et l gmit,
comme un malheureux qui ne sait plus que faire ;
puis il ressort et emplit son cur d'esprance
en voyant que le monde a chang de visage
en peu d'heure, et il prend son bton,
et dehors ses moutons pousse la pture.
Ainsi me fit trembler le matre
quand je vis tant se troubler son front,
et, aussi vite, au mal vint le remde ;
car, comme nous arrivions au pont bris,
mon guide se tourna vers moi avec cet air
doux que je vis d' abord au pied du mont ;
il ouvrit les bras, aprs avoir u peu pens
en lui-mme, regardant bien d' abord
la ruine, et il me saisit.
Et comme celui qui uvre et value,
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
ENFER. CHANT XXIV
qui toujours montre qu'il a prvu d'avance,
ainsi en r
'
levant vers la cime
d'un gros rocher, il avisait u autre clat
disant : Sur celui-ci tu t'agrippes
mais essaie d' abord s'il est tel qu'il te porte.
Ce n'tait chemin pour vtu de chape
car nous, peine, lui lger moi soutenu,
pouvions monter de saillie en saillie.
Et si ce ne ft que, de cette digue,
plus que de l' autre, brve tait la pente,
lui, je ne sais, mais moi, j 'tais vaincu.
Mais parce que Malefosses tout se penche
vers l'entre du puits le plus profond,
la disposition de chaque valle porte
que l'un des bords s'lve et l'autre s' abaisse ;
nous arrivmes enfin sur la pointe
d'o la dernire pierre se dtache.
De mes poumons le souffle tait si puis
quand je fus en haut, que je n'en pouvais plus,
et je m' assis aussitt arriv.
Il te faut dsormais secouer toute paresse ,
dit le matre, car ce n'est dans la plume
que nat la renomme, ni sous la couette ;
celui qui sans elle consume sa vie
laisse sur terre vestige de soi,
comme fume dans l'air et dans l'eau cume.
Donc lve-toi : vaincs l'angoisse
avec le courage qui vainc toute bataille
s'il ne s' affaisse avec le poids du corps.
Plus longue chelle il convient de monter ;
il ne suffit pas de s'tre loign d'eux :
si tu m'entends bien, fais-en ton profit.
Je me levai alors, me montrant fourni
d' ardeur plus que ne me sentais,
et dis : V a, je suis fort et hardi.
141
LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT XXIV
61 En haut nous prmes le chemin du rocher 97 Et voici qu' un qui tait de notre ct
qui tait raboteux, troit, et malais s'lana un serpent et le transpera
et beaucoup plus raide que celui d' avant. l o le cou l'paule se noue.
6 J'allais parlant pour ne parare faible ; 100 Ni o si tt jamais, ni i ne s'crivit,
ce qui fit sortir une voix de l'autre fosse comme il flamba et brla, et tout cendre
formant des paroles incomprhensibles. il lui fallut en tombant devenir ;
67 Je ne sais ce qu'elle disait, encore que je fusse 103 et lorsqu'il fut tere ainsi dtruit
dj sur le haut de l' arc qui enjambe ici, la cendre se rassembla d'elle-mme
mais celui qui parlait semblait m par colre. et d'un coup il redevint ce qu'il tait ;
70 J'tais pench vers le bas, mais mes yeux de vivant 106 ainsi par les grands sages est dclar
ne pouvaient aller au fond trop obscur, que le phnix meurt et puis rena,
pour ce, moi : Matre fais que tu arrives quand il approche la cinq centime anne :
73 l' autre enceinte et descendons ce mur ; 109 herbe ni bl en sa vie ne gote
car, de mme que j 'entends et ne comprends pas mais seulement larmes d'encens et d'amome ;
ainsi en bas je vois mais ne distingue rien. nard et myrrhe forment son linceul.
76 Autre rponse ne te donne , dit-il, 112 Et tel est celui qui tombe, et ne sait comme,
sinon le faire, car l'honnte demande par force de dmon qui terre le tire,
se veut suivie de l'uvre, en silence. ou d'autre obstruction qui noue l'homme,
79 Nous descendmes le pont vers la tte, 1 1 5 quand il se lve, qu'il mire alentour,
o il rejoint la huitime rive, tout gar par la grande angoisse
alors la fosse se dcouvrit moi ; qu'il a prouve, et regardant soupire,
82 et je vis au-dedans un horrible amas 118 tel tait le pcheur l' instant lev.
de serpents et d'espces si monstrueuses Oh puissance de Dieu combien est svre
que le souvenir encore me glace le sang. qui de tels coups par vengeance frappe !
85 Qu'on ne vante plus la Libye et ses sables 121 Mon guide lui demanda qui i l tait
car si chlydres, javelots et phares et il rpondit : Je chus de Toscane
elle produit, et chencres et amphisbnes, il y a peu, en cette gueule froce.
88 one tant de pestilences et si a
,
troces 124 Vie bestiale me plut et non humaine,
ne montra, avec toute l'Ethiopie, comme mulet que je fus : je suis Vanni Fucci*
et tout ce qui est autour de mer Rouge. la bte, et Pistoia me fut digne tanire.
91 Dans ce cruel et horrible grouillement 127 Et moi au guide : Dis-lui de ne fuir
couraient des gens, nus, pleins d'pouvante et demande quelle faute le poussa si bas,
sans espoir de pertuis ni d'hliotrope. car je le vis homme de sang et de violence.
94 Des serpents liaient leurs mains par-derrire 130 Et le pcheur qui m'entendit point ne dissimula,
et leur fichaient aux reins la queue mais dressa vers moi l'esprit et le visage,
et la tte, et s' entrelaaient par-devant. et de mchante honte se peignit ;
142 143
133
136
139
142
145
148
1 51
LA DIVINE COMDIE
puis il dit : Plus r
'
est deuil que tu r
'
aies surpris
dans la misre o tu me vois,
que lorsque je fus de l ' autre vie t.
Je ne peux repousser ce que tu demandes :
je suis si bas plac parce que je fus
voleur la sacristie des ornements prcieux,
et, faussement, fut accus un autre.
Mais pour que telle vue ne te rjouisse,
si jamais tu seras hors des lieux de tnbres,
ouvre les oreilles ce que j ' annonce, et entends :
Pistoia d' abord de Noirs s'amaigrit,
et puis Florence renouvelle gens et lois.
Mars tire une vapeur de V al di Magra,
qui est de troubles nuages enveloppe ;
et, avec tempte imptueuse et cre,
sur Campo Piceno on se battra ;
mais elle soudain rompra la nue
de sorte que tout Blanc en sera bless.
Et je l ' ai dit pour que te soit douleur !
1
4
7
10
13
Chant XXV
*
Au bout de ses paroles, le voleur
leva les mains et des deux fit la figue,
criant : Prends, Dieu, toi je 1 'envoie !
De ce moment me furent les serpents amis
parce que l 'un s'enroula alors son cou,
comme s'il disait : Je veux que plus ne dises ,
et un autre ses bras, et le lia
se rabattant en avant si fort
que lui, avec eux, ne pouvait plus bouger.
Ah Pistoia, Pistoia, pourquoi ne dlibres-tu
de te rduire en cendres et de ne plus durer,
puisqu' mal faire tu dpasses ta semence !
Par tous les cercles de l 'enfer tnbreux
je ne vis esprit envers Dieu si superbe,
pas mme celui qui, Thbes, tomba au pied des
[murs.
16 Il s'enfuit sans parler davantage,
et je vis u centaure plein de rage
venir, appelant : O est-il, o est-il, l 'insolent ?
19 Je ne crois pas que Maremme ait autant
de couleuvres qu'il en avait lui sur la croupe
jusque-l o commence notre figure humaine.
22 Sur les paules, derrire la nuque,
gisait sur lui, ailes ouvertes, un dragon,
lequel incendie quiconque il rencontre.
145
LA DIVINE COMDIE
25 Mon matre dit : Celui-ci est Cacus
qui, sous le roc du mont Aventin,
de sang souventes fois fit un lac.
28 Il ne va pas avec ses frres par le mme chemin,
cause du vol qu'il fit frauduleusement
du grand troupeau qui lui tait proche ;
31 et l cessrent ses uvres louches,
sous la massue d'Hercule qui peut-tre
donna cent coups, et lui n'en sentit dix.
34 Tandis qu'ainsi parlait, et Cacus s'loignait,
trois esprits vinrent au-dessous de nous*,
que ni moi ni mon guide apermes,
37 sinon quand ils crirent : Qui tes-vous ?
pour ce notre discours s' arrta
et sur eux seuls porta notre attention.
40 Je ne les connaissais, mais il arriva,
comme il arrive par quelque hasard,
que l'un eut nommer l'autre,
43 disant : Cianfa, o sera-t-il rest ?
et moi, pour que mon guide restt attent,
posai mon doigt droit du menton au nez.
4 Si ores, lecteur, tu es lent croire
ce que je dirai, ce ne sera merveille,
car moi qui le vis, peine me l'accorde.
49 Comme j 'avais sur eux les yeux fixs*,
soudain s'lance un serpent six pattes
sur l'un d'eux, et tout lui s' attache.
52 Des pattes du milieu il lui serra le ventre,
dans celles de devant lui saisit les bras,
et puis planta ses dents dans l'une et l'autre joue ;
55 les pattes de derrire tendit sur les cuisses
entre lesquelles introduisit sa queue
et la redressa derrire sur les reins.
58 Lierre jamais ne fut enracin si troitement
sur un arbre, comme l'horrible bte,
su les membres d' autrui, entortilla les siens.
146
61
6
67
70
73
76
79
82
85
8
91
94
ENFER. CHANT XXV
Puis se collrent comme si de cire chaude
eussent t, et mlrent leur couleur,
ni l'un ni l'autre dj ne paraissait ce qu'il tait ;
comme, avant que le papier s'enflamme,
glisse la surface une couleur brune
qui n'est encore noire, et le blanc meurt.
Les deux autres regardaient, et chacun
criait : Las ! Agnel, comme tu changes*,
vois que tu n'es dj ni deux ni un.
Dj les deux ttes taient devenues une
et nous apparurent deux figures mles
en une seule face, o taient deux perdus.
Deux de quatre se firent les bras,
les cuisses avec les jambes, le ventre et le thorax
devinrent membres qui ne furent jamais vus.
Tout aspect premier tait ici bris,
deux et personne l' image perverse
paraissait, et telle s'en alla d'un pas lent.
Comme le lzard, sous la brlure
des jours de canicule, changeant de haie,
semble un clair s'il traverse la route,
tel apparut arrivant vers le vente
des deux autres, un serpenteau brlant*,
livide et noir comme grain de poivre,
et cette partie par o en premier est pris
notre aliment, l'un d'eux transpera
puis retomba, tendu devant lui.
Le transperc le regarda mais ne dit rien,
les pieds fixs terre, il billait
comme si sommeil ou fivre 1 'assaillait.
Il regardait le serpent et le serpent le regardait :
l' un par la plaie, l'autre par la bouche
fumaient trs fort et la fume se mlait.
Se taise Lucain ormais l o il touche*
du pauvre Sabellus et de Nisidius,
et s' apprte ou ce qui ores surgit.
147
97
100
103
106
109
1 12
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
14
LA DIVINE COMDIE
Se taise de Cadmus et d' Arthuse, Ovide*,
car si lui en serpent, elle en source
les mtamorphose en ses vers, point ne l'envie,
car deux natures jamais, face face,
ne transmua de sorte que les deux formes
changer leur matire fussent prtes.
Ensemble se correspondirent de telle faon
que le serpent fendit sa queue en fourche
et le bless ensemble resserra ses pieds.
Les jambes et les cuisses entre elles
se collrent si fort qu'aussitt la jointure
ne laissa aucun signe qui ft visible.
La queue fendue prenait la forme
qui l se perdait, et sa peau
se faisait molle et l devenait dure.
Je vis rentrer les bras dans les aisselles,
et les deux pattes de la bte, qui taient courtes,
s'allonger autant qu'eux se raccourcissaient.
Puis les pattes de derrire ensemble retordues
devinrent le membre que l'homme cache,
et le malheureux, du sien, en avait sorti deux.
Alors que la fume l'un et l' autre voile
de couleur nouvelle, et fait natre le poil
celui-ci tandis qu'il dpile celui-l,
l'un se dressa, l'autre terre tomba
sans dtourner pourtant les regards impies
sous lesquels chacun changeait de museau.
Celui qui tait droit tira le sien aux tempes
et du trop de matire qu'il en resta
sortirent les oreilles des joues lisses,
ce qui ne courut en arrire et demeura,
de ce surplus, forma un nez la face
et gonfla les lvres autant qu'il convenait.
Celui qui gisait pousse en avant le museau
et retire les oreilles au-dedans de la tte
comme fait de ses cornes la limace ;
133
136
139
142
145
148
1 51
ENFER. CHANT XXV
la langue qu'il avait unie, et preste
parler d' abord, se fend, et la fourchue
chez l' aute se referme ; et cesse la fume.
L'me qui tait en bte change
en sifflant s'enfuit dans la valle,
et l' autre derrire lui va parlant et crache.
Puis lui tourna ses nouvelles paules
et dit l' autre : Je veux que Buoso coure*
comme je l'ai fait, sur le ventre, par ce sentier.
Ainsi vis-je la septime sentine
se muer et transmuer ; et que me soit excuse
l'insolite, si ma plume un peu a parfois err.
Et mme si mes yeux taient un peu
confus et mon esprit gar,
ceux-l ne purent s' enfuir tant cachs
que je n'aperusse bien Puccio Sciancato* ;
et il tait le seul des trois compagnons
venus d' abord n'tre pas chang ;
l'autre tait celui, Ga ville, que tu pleures*.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
150
Chant XXVI
Rjouis-toi, Florence ! si grande es-tu
que par terre et par mer tu bats des ailes,
et jusque dans l'enfer ton nom est rpandu !
Parmi les voleurs, j ' ai trouv cinq
de tes citoyens, dont il me vient vergogne,
et toi, grand honneur n'en acquiers.
Mais si, prs du matin, on songe du vrai,
tu apprendras, peu de temps d'ici,
ce que Prato, et hien d' autres, te souhaitent*.
Et si dj c'tait, ce ne serait trop tt ;
que ce soit donc, puisque cela doit tre !
car plus me psera, quand plus je prendrai d' ge.
Nous partmes, et par cet escalier
que, pour descendre, nous avaient fait les pierres,
mon guide remonta, me tirant aprs lui ;
et, poursuivant la route solitaire,
parmi les saillies et les blocs du rocher,
le pied sans la main n' avanait gure.
Alors je m'affligeai, et je m' afflige encore,
lorsque je repense ce que je vis l,
et plus que jamais refrne mon esprit
pour qu'il ne coure sans que vertu le guide,
et que, si bonne toile ou chose meilleure
m' a donn un hien, de moi-mme ne m' en prive.
Autant le villageois qui se repose sur la colline,
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
5
ENFER. CHANT XXVI
dans le temps que celui qui claire le monde
tient, pour nous, son visage le moins longtemps cach,
quand la mouche au moustique cde la place,
autant il voit de lucioles en bas dans la valle,
l o peut-tre il vendange et laboure,
d'autant de flammes toute resplendissait
la huitime fosse comme je m'aperus
ds que je fus l o le fond apparaissait.
Et tel celui qui se vengea avec les ours*
vit le char d'

lie son dpart,


quand les chevaux dresss s'lancrent au ciel,
qu'il ne pouvait en le suivant des yeux
voir autre chose que la flamme seule,
comme u petit nuage voler vers le haut,
telle chacune se mouvait l'entre
de la fosse, car aucune ne montre son larcin,
et chaque flamme drobe un pcheur.
J'tais sur le pont, si tendu pour voir
que si ne m' tais au rocher retenu
serais tomb au fond, sans que rien me heurtt ;
et mon guide qui me vit si attent
dit : Au-dedans des feux sont les esprits,
chacun s'enveloppe du feu mme qui le brle.
Matre cher , rpondis-je, t'entendre
j 'en suis plus assur ; mais dj j 'avais compris
qu'il en tait ainsi, et dj voulais te dire :
qui est en ce feu si divis en haut,
qu'il semble surgir du bcher
o avec son frre

tocle fut mis* ?


Il me rpondit : L-dedans sont chtis*
Ulysse et Diomde, et sont ensemble
au chtiment comme ils allaient l'ire.
Dedans leur flamme on gmit
sur la ruse du cheval, qui fit la porte
d'o sortit des Romains la noble race ;
151
LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT XXVI
61 on y pleure l'artifice par quoi, morte, 97 ne purent vaincre en moi l'ardeur
Deidamie se plaint encore d'Achille, prendre exprience du monde
et du Palladium on y porte la peine. et des vices humains, et de la valeur ;
6 S'ils peuvent, du dedans de ces tincelles 100 mais je partis sur la mer grande ouverte,
parler , dis-je, matre, fort je te prie avec seulement un vaisseau et cette petite
et te reprie et que la prire en vaille mille compagnie dont jamais ne fus abandonn.
67 ne me refuse pas d' attendre, tant 103 Je vis l'un et l'autre rivage jusqu' l' Espagne,
que la flamme cornue vienne ici ; jusqu'au Maroc ; et l'e des Sardes
vois de quel dsir vers elle je me tends. et les autres qu' alentour baigne cette mer.
70 Et lui moi : Ta prire est digne 106 Nous tions vieux et lents, mes compagnons et moi,
de grande louange et pour ce je l' accepte ; quand nous arrivmes ce passage troit
mais fais que ta langue se retienne. o Hercule plaa, en signe, ses deux bornes*
73 Laisse-moi la parole, car j ' ai compris 109 afin que l'homme plus outre ne passt ;
ce que tu veux ; et eux, parce qu'ils furent grecs, main droite je laissai Sville,
peut-tre auraient-ils ddain tes propos. gauche j 'avais dj laiss Ceuta.
76 Lorsque la flamme fut venue prs de nous, 1 1 2 "0 frres, dis-je, qui par cent mille
et que mon guide jugea bons temps et lieu, prils avez atteint l'Occident,
je l'entendis en cette sorte parler : cette si petite veille
79 0 vous qui tes deux dans un seul feu, 1 1 5 de nos sens qui encore nous reste,
si j ' ai mrit de vous alors que je vivais, ne veuillez refuser, en suivant le soleil,
si j ' ai mrit de vous ou beaucoup ou peu, l'exprience du monde sans habitants.
82 quand dans le monde j 'crivis les hauts vers, 1 18 Considrez quelle est votre origine,
ne vous loignez, et que l'un de vous dise vous ne ftes faits pour vivre comme btes,
o, perdu par lui-mme, il est all mourir. mais pour suivre vertu et connaissance.
:
85 La plus haute corne de la flamme antique 121 Je fis mes compagnons si ardents
commena s' agiter en murmurant, au chemin, par ce petit discours,
pareille celle que fatigue le vent. qu' peine ensuite les aurais-je retenus ;
8 Puis, et l menant sa cime 124 ayant alors tourn notre poupe au matin,
comme serait langue qui parlerait, des rames fmes des ailes pour le vol insens,
jeta dehors une voix et dit : Quand toujours gagnant du ct gauche.
91 je m'loignai de Circ, qui me retint cach* 127 Toutes les toiles dj de l' autre ple
plus d'un
!
n, l, prs de Gate,
la nuit les voyait, et le ntre si bas,
avant qu'Ene ainsi la dnommt*,
qu'il n' apparaissait hors de la plaine marine.
94 ni la douceur d'un fils, ni le respect 130 Cinq fois rallume et cinq fois teinte
pour un vieux pre, ni l' amour jur
fut la lumire au-dessous de la lune,
qui devait faire la joie de Pnlope,
depuis que nous tions entrs dans la haute mer,
1 52
1 53
133
136
139
142
LA DIVINE COMDIE
quand nous apparut une montagne, sombre*
dans le lointain, et me parut si haute
que tant n'en avais vu aucune.
Nous emes grande joie, qui tt tourna en plainte
de la nouvelle terre un toubillon naquit
et frappa du vaisseau la proue ;
trois fois le fit tourner avec toutes ses eaux
la quatrime lever la poupe en haut
et la proue s' enfoncer comme il plut un Autre,
et puis la mer fut sur nous referme.
Chant XXVII
1 Dj droite tait la flamme, et apaise,
ne parlant plus, et dj de nous s'loignait,
ayant licence du doux pote,
4 quand une autre qui venait derrire elle
nous fit tourner les yeux vers sa cime
par un son confus qui en sortait.
7 Comme le buf sicilien -qui mugit la premire fois*,
et ce fut justice, par les pleurs de celui
qui l' avait affin avec sa lime -
10 mugissait avec la voix de la victime
si hien que, quoique il ft d'airain,
il paraissait lui-mme de douleur transperc,
13 ainsi pour n'avoir chemin ni ouverture,
au dbut, dans le feu, en son langage
se transformaient les chtives paroles.
16 Mais lorsqu'elles eurent trouv leur voyage,
en haut, par la pointe, leur donnant ce vibrer
qu'avait donn la langue leur passage,
19 nous entendmes : 0 toi, vers qui je dirige
ma voix et qui viens de parler en lombard
disant : "Maintenant va-t-en, plus ne t' peronne",
22 hien que je sois arriv peut-tre un peu tard,
ne te dplaise de rester pour parler avec moi,
tu vois qu' moi ne me dplat, et je brle !
25 Si depuis peu tu es en ce monde aveugle
155
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
1 56
LA DIVINE COMDIE
tomb, de cette douce terre latine
d'o j 'ai port ici toute ma faute,
dis-moi si les Romagnols ont paix ou guerre,
car je fus de ces monts, l, entre Urbino
et le joug d'o s'panche le Tibre.
J'tais encore attent vers le bas et pench,
quand mon guide me toucha le ct
disant : Parle toi, celui-ci est latin.
Et moi, qui avais dj prte la rponse,
sans attendre commenai parler :
0 m qui es l en bas, cache*,
ta chre Romagne n'est et ne fut jamais
sans guerre dans le cur de ses tyrans,
mais, visible, je n'en ai laiss aucune.
Ravenne est ce qu'elle a t de longues annes :
l'aigle des Polenta la couve si bien*
qu'elle recouvre Cervia de ses ailes.
La ville qui fit la longue preuve*
et de Franais un monceau sanglant,
sous les griffes vertes se retrouve ;
et le vieux mtin, et le jeune des Verrucchio*,
qui firent Montagna si mauvais traitement,
l, comme ont coutume, plantent leurs dents.
Les villes de Lamone et de Santerno*,
le lionceau au nid blanc les conduit
et change d' alliance de l't l'hiver ;
et celle dont le Savio baigne le flanc*,
de mme qu'elle est sise entre plaine et mont,
entre tyrannie elle vit, et tat franc.
Ores qui es-tu ; je te prie nous le dire,
ne sois plus dur qu' autre ne l' a t,
et que ton nom dans le monde demeure.
Aprs que le feu eut un moment rugi
sa faon, sa pointe aigu il agita
de ci de l, et puis lana ce souffle :
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
ENFER. CHANT XXVII
Si je croyais que ma rponse ft
personne qui retournt au monde,
cette flamme resterait sans plus un mouvement,
mais puisque jamais de ce fond
nul ne retourna en vie, si j 'entends le vrai,
sans crainte d'infamie, je te rponds.
Je fus homme d' armes, puis je fus cordelier*,
croyant, ainsi encord, faire pnitence ;
et ma pense vraiment se ralisait
n'et t le grand prtre, qui mal en prenne*
qui me remit dans mes premiers pchs ;
et comment et pourquoi, je veux que tu l'entendes.
Depuis que j 'eus forme d'os et de chair
que ma mre me donna, mes uvres
ne furent de lion mais de renard.
Les ruses et les voies souterraines
je les connus toutes, et les menai si bien
que le bruit en alla au bout de la terre.
Quand je fus arriv ce moment
de mon ge o chacun devrait
baisser les voiles et rouler les cordages,
ce qui avant me plaisait, alors j 'en eus regret,
et repenti et confess je me rendis,
ah ! pauvre moi, et c'et t mon bien.
Le prince des nouveaux pharisiens*
ayant guerre auprs du Latran,
ni contre J us ni contre Sarrasins,
car ses ennemis taient tous chrtiens,
et nul n'tait all combattre Saint-Jean-d'Acre,
ou faire commerce en terme du Soudan,
ni le suprme office et les ordres sacrs
en soi ne regarda, ni en moi cette corde
qui jadis ceignait des gens plus amaigris.
Mais, comme Constantin appela Sylvestre
hors du Soracte pour gurir sa lpre,
ainsi m' appela celui-ci pour matre
1 57
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
118
121
124
127
130
15
LA DIVINE COMDIE
lui gurir sa fivre de superbe,
me demandant conseil, et je me tus
car ses paroles me semblrent insenses.
Alors il reprit : "Ton cur n'ait crainte,
ds lors je t'absous et tu m'enseignes
comment Palestina je puis jeter terre.
Le ciel, comme tu le sais, je puis ouvrir
ou fermer, pour ce deux sont les clefs
qui, mon prdcesseur ne furent chres. "
Alors me poussrent les graves arguments
l o se taire m'apparaissait le pire
et je dis : "Pre, ds lors que tu me laves
de ce pch o il me faut tomber,
longue promesse avec attente courte
te fera triompher en ton haut sige. "
Puis vint Franois, quand je fus mort,
pour me prendre, mais u des noirs chrubins
lui dit : "Ne l'emporte, ne me fais tort,
il doit s'en venir en bas chez mes serfs
puisqu'il donna le conseil de fraude,
et depuis lors l'ai tenu aux cheveux,
qu'absoudre ne se peut qui ne se repent,
et se repentir et vouloir en mme temps ne se peut,
par la contradiction qui n'y consent. "
Oh pauvre moi ! comme je fus secou
quand il me prit disant : "Peut-tre
ne pensais-tu pas que j 'tais logicien ! "
A Minos me porta, qui entoura
huit fois de sa queue son rude torse
et, aprs que de grande rage se la mordit,
il dit : "Celui-ci est u pcheur de la flamme voleuse" ;
et c'est pourquoi l o tu me vois je suis, perdu,
et ainsi vtu je vais, dans ma rancur.
Lorsqu'il eut ainsi termin son dire,
la flamme de douleur s'en alla,
tordant et battant sa corne aigu.
133
136
ENFER. CHANT XXVII
Nous passmes oute, et moi et mon guide,
le long du rocher jusque sur l'aute pont
qui recouvre la fosse o portent leur peine
ceux qui, en divisant, en ont acquis le poids.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
160
Chant XXVIII
Qui pourrait jamais, ft-ce en paroles de prose
dire pleinement, du sang et des plaies
qu'ores je vis, mme en plus d'un rcit ?
Tout langage, certes, serait impuissant
et pour le discours et pour l' entendement
qui, tant embrasser, ont peu de force.
Si l'on rassemblait encore toute la gent
qui jadis sur la terre fortune
des Pouilles pleura son sang vers
pour les Troyens et pour la longue guerre*
qui fit des anneaux si large butin,
comme l'crit Live qui ne saurait errer ;
avec la gent qui sentit la douleur des coups
pour s'opposer Robert Guiscard* ;
et l'autre dont les os encore s'entassent*
Ceprano, l o fut tratre
tout Pugliese ; et l, Tagliacozzo*,
o sans armes vainquit le vieil Alard ;
et que l'un montrt ses membres percs
et l'autre mutils, rien ne pourrait galer
l'horrible aspect de la neuvime fosse.
Jamais tonneau perdant barre ou douve
ne fut crev comme je vis un
ouvert du menton jusqu'au trou qui pte.
Entre ses jambes pendaient les boyaux
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
ENFER. CHANT XXVIII
on voyait la coure et le triste sac
qui fait merde avec ce qu'on avale.
Alors que je m'attache tout voir en lui,
il me regarda et de ses mains s'ouvrit la poitrine
en disant : Vois donc comme je me dchire !
vois comme on a estropi Mahomet* !
Devant moi va pleurant Ali,
le visage fendu du menton au toupet.
Et tous les autres que tu vois ici
ont sem scandales et schismes
de leur vivant, et pour ce sont fendus ainsi.
Un diable est l derrire qui nous divise
si cruellement du tranchant de l'pe,
remettant chacun dans cette file,
quand le tour avons fait de la dolente voie ;
car les blessures se sont refermes
avant qu'on revienne devant lui.
Mais toi qui es-tu qui muses sur le rocher,
peut-tre pour retarder d'aller la peine
qui est dcide d' aprs ta confession ?
Mort ne l' a pris encore, ni faute le mne
aux tourments , rpondit mon matre,
mais, pour lui donner pleine exprience,
moi, qui suis mort, je dois le mener
par l'enfer, l, en bas, de cercle en cercle ;
et cela est vrai comme est vrai que je te parle.
Ils furent plus de cent qui, l'entendre,
s'arrtrent dans la fosse pour me regarder
avec tonnement, oubliant leur martyre.
Toi qui peut-tre reverras le soleil sous peu,
dis donc fra Dolcino, s'il ne veut ici*
bientt me suivre, qu'il s'arme assez
de vivres, pour que l'treinte de la neige
ne donne la victoire au Novarais,
qu'autrement la gagner ne serait pas facile.
161
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
162
LA DIVINE COMDIE
Aprs qu'il eut soulev un pied pour s'en aller,
Mahomet me dit ces paroles,
ensuite pour partir terre le posa.
Un autre qui avait le cou perc
et le tronc et le nez jusqu'au-dessous des cils,
et n' avait plus qu'une seule oreille,
rest regarder, merveill,
avec les autres, avant les autres ouvrit la gorge
qui au-dehors tait toute vermeille,
et dit : 0 toi que faute ne condamne
et que je vis sur la terre latine,
si trop grande ressemblance ne me trompe,
souviens-toi de Pier da Medicina*,
si jamais tu retournes voir la douce plaine
qui de V ercelli Marcabo s'incline.
Et fais savoir aux deux meilleurs de Fano*,
messire Guido et aussi Angiolello
que, si prvision ici n' est vaine,
ils seront tirs hors de leur vaisseau
et jets en mer pierre au cou, prs de Cattolica,
par la trahison d'un tyran flon.
Entre l'le de Chypre et Majorque
jamais ne vit si grand dlit Neptune,
non de pirates, non de gent d' Argos.
Ce tratre qui voit d'un seul il*
et tient la ville - que tel ici avec moi
prfrerait n'avoir jamais vue -
les fera venir pour parler avec lui,
et puis fera en sorte qu'au vent de Focara
n'auront besoin de vu ni de prire.
Et moi lui : Montre-moi et dis clairement,
si tu veux que je porte en haut de tes nouvelles,
qui est celui dont la vue est amre.
Alors il mit la main la mchoire
d'un de ses compagnons et lui ouvrit la bouche
en criant : C' est celui-ci, et il ne parle.
97
10
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
ENFER. CHANT XXVIII
Celui-ci, banni, touffa le doute chez Csar
affirmant que ce qui est prt
toujours souffrit dommage par l'attente.
Oh combien me paraissait pouvant
avec sa langue coupe dans le gosier
Curion qui fut parler si hardi* !
Et un qui avait l'une et l' autre main tranches,
levant ses moignons dans l'air obscur,
alors que le sang lui souillait le visage,
cria : Tu te souviendras encore de Mosca*
qui a dit, las ! "Chose faite est faite",
qui fut male semence pour l a gent toscane.
Et moi j ' ajoutai : Et mort de ta ligne.
et lui, accumulant douleur sur douleur,
s'en fut comme personne triste et folle.
Mais moi je restai regarder la troupe
et vis chose que j 'aurais peur
sans plus de preuve, tre seul conter,
sinon que ma conscience r
'
assure,
la bonne compagnie qui fait l'homme franc,
sous le haubert de se sentir pur.
Je suis sr d'avoir vu et me semble encore voir
un buste sans tte aller, tout comme
allaient les autres du triste troupeau ;
et le chef tranch tenait par les cheveux,
l'ayant pris la main en manire de lanterne,
et il nous regardait et disait : Hlas !
De soi il faisait soi-mme lumire
et ils taient deux en un et un en deux :
comment se peut, le sait celui qui tout gouverne.
Lorsqu'il fut juste au pied du pont venu
il leva le bras haut avec toute la tte
pour nous approcher ses paroles
qui furent : Ores vois la peine cruelle
toi qui vivant vas visiter les morts,
vois s' il en est quelqu'une aussi grande.
163
133
136
139
142
LA DIVINE COMDIE
Et pour que de moi emportes des nouvelles
sache que je suis Bertrand de Born*, moi
qui donnai au roi jeune mauvais conseils.
Je fis entre eux, pre et fils, rebelles ;
Architophel n'en fit plus d' Absalon
et de David par ses piqres perfides.
Parce que j 'ai divis personnes si unies
je porte las ! ma cervelle divise
de son principe rest dans le tronc.
Ainsi s'observe en moi le talion.
Chant XXIX
1 La grande foule de gens et les diverses plaies
avaient mes yeux si enivrs
que de rester pleurer avaient dsir ;
4 mais Virgile me dit : Que regardes-tu donc ?
pourquoi ta vue ainsi s'attarde
l en bas parmi les tristes ombres si mutiles ?
7 Tu n' as pas fait ainsi aux autres fosses :
pense, si tu crois pouvoir les compter,
que de vingt-deux milles est le tour de la valle.
10 Et dj la lune est sous nos pieds
le temps est court ormais qui nous est accord
et bien autre est voir que tu ne vois pas.
13 Si tu avais saisi , rpondis-je ensuite,
la cause pour laquelle je regardais,
peut-tre m' aurais-tu permis un arrt.
16 Cependant s'en allait mon guide et moi derrire
le suivais, faisant ainsi la rponse
et ajoutant : Dedans cette cave
19 o je tenais les yeux tant fixs,
je crois qu'un esprit de mon sang pleure
la faute qui l en bas cote si cher.
22 Alors le matre dit : Ne s'apitoie
ta pense dornavant sur lui :
porte ton attention ailleurs, et lui, qu'il reste l ;
25 car je le vis, au pied du ponceau
165
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
16
LA DIVINE COMDIE
te montrer du doigt et menacer fort
et l'entendis se nommer Geri del Bello. *
Tu tais alors tellement empch
sur celui qui tint Hautefort
que tu ne regardas l ; et il partit.
0 mon guide, sa mort violente
qui n'est pas encore venge , dis-je,
par un de ceux qui partagent la honte,
le fit ddaigneux et il s'en alla
sans me parler, si bien je crois,
et en cela m'a donn plus de piti.
Ainsi parlmes jusqu'au premier lieu
o du rocher l'autre valle se verrait,
s'il y avait plus de lumire, jusqu'au fond.
Lorsque nous fmes au-dessus du dernier clotre
de Malefosses, et que ses convers
pouvaient apparatre notre vue,
des plaintes diverses me vinrent comme flches
qui de piti avaient ferr leurs dards,
aussi couvris des deux mains mes oreilles.
Telle douleur serait si, des hpitaux
de V aldichiana entre juillet et septembre,
et de Maremme et de Sardaigne, les maux
taient dans une fosse tous rassembls,
et telle tait ici ; et telle puanteur en sortait
comme en vient de membres putrfis.
Nous descendmes sur l'ultime rive
du long rocher, toujours main gauche,
et alors plus vif fut mon regard
en bas vers le fond l o, ministre
du haut Sire, l' infaillible justice
punit les faussaires qu'ici elle enregistre.
Je ne crois pas que plus grande tristesse donna voir
en gine le peuple entier malade*
- quand fut l' air si plein de pestilence
61
64
67
70
73
76
79
82
85
8
91
94
ENFER. CHANT XXIX
que les animaux jusqu'aux plus petits vers
tombrent tous ; et puis le peuple ancien
selon ce que les potes tiennent pour ferme,
fut restaur par semence de fourmis -
qu'tait voir, par cette obscure valle,
les esprits languir comme gerbes entasss.
Tel sur le ventre, tel sur les paules
d'un autre gisait, et tel quatre pattes
se transportait sur le triste sentier.
Pas pas nous allions sans rien dire,
regardant, coutant les malades
qui ne pouvaient redresser leurs corps.
Je vis deux, assis, appuys l'un sur l'autre,
- cmme chauer on appuie chaudron chaudron -
de la tte aux pieds de crotes maculs.
Et jamais ne vis mener l'trille
par valet que son seigneur attend,
ni par celui qui mal volontiers veille,
comme chacun menait rapide la morsure
des ongles sur soi par la grande rage
de la dmangeaison qui n'a d'autre secours ;
et les ongles rclaient la gale
comme couteau les cailles de scare
ou d'autre poisson qui les aurait plus larges.
0 toi qui de tes doigts te dmaille ,
commena mon guide l'un d'eux,
et qui fais d'eux parfois tenailles,
dis-nous si quelque latin est parmi ceux
qui sont l dedans ; et que l'ongle te suffise
ternellement ce travail.
Latins nous sommes tous les deux
que tu vois abms , rpondit l'un pleurant,
mais toi qui es-tu qui ainsi nous demande ?
Et mon guide dit : Je suis un qui descends
avec ce vivant, de roc en roc,
et de lui montrer l'enfer ai mission.
167
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
168
LA DIVINE COMDIE
Alors se rompit le commun support
et, tremblant, chacun moi se tourna,
avec d'autres qui l'entendirent aussi.
Le bon matre tout attent moi
dit : Dis leur ce que tu veux ,
et j e commenai puisqu'il le voulut.
Puisse votre souvenir ne s'envoler
des mmoires humaines dans le premier monde,
mais qu'il vive sous de nombreux soleils ;
dites-moi qui vous tes et de quel pays :
votre affreuse et rpugnante peine,
de vous ouvrir moi ne vous pouvante.
Je fus d' Arezzo, et Albero da Siena *,
rpondit l'un, me fit mettre au feu ;
mais ce pourquoi je mourus ne me mne ici.
Il est vrai que je lui dis, parlant par jeu,
"Je saurais m'lever par l'air en vol"
et lui qui avait grand dsir et peu de sens,
voulut que l'art lui fut montr, et seulement
parce que ne le fis pas Ddale, il me fit
brler par tel qui le tenait pour fils.
Mais dans la dernire des dix fosses,
moi, par l' alchimie qu'au monde je pratiquai,
Minos me damna, qui ne saurait faillir.
Et je dis au pote : Fut-il donc jamais
gent aussi vaine que la siennoise ?
Certes non la franaise, de beaucoup s'en faut !
Alors l'autre lpreux qui m'entendit*
rpondit mes paroles : Hormis Stricca,
qui sut faire des dpenses tempres,
et Niccolo qui, la riche coutume
du girofle le premier dcouvrit
dans le jardin o telle semence pousse,
et hormis la compagnie avec qui dispersa
Caccia d'Ascian la vigne et les grands bois,
et l' Abbagliato grand sens manesta.
133
136
139
ENFER. CHANT XXIX
Mais pour que tu saches qui te seconde
contre les Siennois, aiguise vers moi ton il
pour que ma face bien te rponde :
et tu verras que je suis l'ombre de Capocchio
qui faussai les mtaux par alchimie,
et tu dois te souvenir, si bien te reconnais,
comme je fus de la nature bon singe.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
170
Chant XXX
Dans le temps que Junon tait courrouce,
pour Sml, contre le sang thbain,
comme le montra et une et autre fois,
Athamas fut frapp de telle folie*
que, voyant passer sa femme avec ses deux fils,
et elle avait l'un et l'autre chaque main,
cria : Tendons les rets afin que je prenne
la lionne et les lionceaux au passage.
Et puis tendit ses griffes impitoyables,
prenant l'un qui avait nom Larque,
et le roula et le frappa contre un roc ;
et elle alors se noya avec son autre fils.
Et lorsque la fortune ploya vers le bas
l'orgueil des Troyens, qui tout osait,
si bien que royaume et roi disparurent,
Hcube, triste, misrable et captive*,
aprs qu'elle vit Polyxne morte,
et de son Polydore, sur la rive
de la mer, se fut douloureuse aperue,
forcene aboya comme un chien
tant la douleur lui tordit la raison.
Mais ni de Thbes ni de Troie jamais
fuies ne se virent en aucun si cruelles
poindre btes ou membres humains,
comme je vis deux ombres blmes et nues
28
31
34
37
4
43
49
52
55
5
ENFER. CHANT XXX
qui en mordant couraient la faon
du porc quand de la porcherie s'chappe.
L'une arriva Capocchio et au nud
du cou lui planta les dents et le tirant
lui fit gratter le ventre sur le sol dur.
Et l'Artin qui resta tremblant
me dit : Ce fou est Gianni Sticchi,
il va, rageur, les autres ainsi maltraitant.
Oh ! , lui dis-je, si l'autre ne fiche
en toi les dents, ne te soit pnible
dire qui est, avant que d'ici s'chappe .
Et lui moi : C'est l'me antique
de Mirrha sclrate qui devint
hors du droit amour, de son pre, amie.
Celle-ci pour pcher avec lui ainsi
se falsifia en la forme d'autrui,
comme l 'autre qui l s'en va, osa
pour gagner la dame du troupeau*,
falsifier en soi Buoso Donati
testant en testament lgal.
Et lorsque les deux enrags furent passs,
sur qui j 'avais tenu les yeux,
je les tournai vers les autres mal ns.
Je vis un, fait en forme de luth
s'il avait eu l'aine tronque
du reste o l'homme se bifurque.
La lourde hydropisie qui tant dpareille
les membres par l'humeur qui circule mal
que le visage ne correspond la ventraille,
le faisait tenir les lvres ouvertes
comme fait l'tique qui, par soif,
avance l'une vers le menton et l'autre vers le haut.
0 vous qui tes sans aucune peine,
et je ne sais pourquoi, dans ce monde misrable ,
dit-il nous, regardez et soyez attentifs
171
LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT XXX
61 la misre de maestro Adamo :
97 L'une est la fausse qui accusa Joseph*,
j 'eus, vivant, foison de ce que je voulus l'autre faux est Sinon le Grec de Troie* :
et ores las ! une goutte d'eau j 'aspire. par fivre aigu ils lancent telle puanteur.
6 Les ruisselets qui des vertes collines
lOO
Et l'un d'eux qui s'offensa
du Casentin descendent en bas dans l'Arno sans doute d'tre nomm avec mpris
faisant leurs cours frais et humides, du poing lui frappa sa panse dure.
67 toujours sont devant moi, et non en vain 103
Elle rsonna comme ferait un tambour,
car leu image bien plus me dessche et maestro Adamo lui frappa le visage
que le mal dont se dcharne mon visage. de son bras qui ne parut moins dur,
70 La rigide justice qui me tourmente 106 en lui disant : Bien que me soit t
tire motif du lieu o j 'ai pch le mouvement des membres alourdis,
pour faire davantage envoler mes soupirs. j 'ai le bras, tel mtier, libre.
73 L est Romena, o je falsifiai
109 Et lui rpondit : Quand tu allais
l'alliage sous le sceau du Baptiste, au feu, tu ne l' avais si rapide,
pour quoi mon corps laissai en haut brl. mais si et plus quand tu battais monnaie.
76 Mais si je voyais ici l'me triste
112 Et l'hydropique : Tu dis vrai en cela,
de Guido ou d'Alessandro ou de leu frre*, mais tu ne fus si vrai tmoin
pour Fontebranda je n'en donnerais la vue*. l o du vrai tu fus requis Troie.
79 Dedans est l 'une dj, si les ombres
1 1 5 Si j 'ai dit faux toi tu faussas le coin ,
fuieuses qui vont alentour disent vrai, dit Sinon, et je suis ici pour une faute,
mais que me sert si ai membres lis ? et toi pour plus qu'aucun autre dmon !
82 Mais si j 'tais encore assez lger 118 Souviens-toi parure du cheval ,
que j e puisse en cent ans avancer d'un pouce rpondit celui qui avait enfle la panse,
me serais mis dj en route, ta peine soit que tout le monde le sait.
85 le cherchant lui parmi cette gent abjecte, 121 Et soit ta peine la soif dont crve
mme si elle a onze milles de tour ta langue , dit le Grec, et l 'eau pourrie
et n'en a pas moins d'un demi de large. qui de ton ventre fait haie devant tes yeux !
8 Je suis cause d'eux en famille ainsi faite, 124 Alors le monnayeur : Ainsi s'cartle
ils m'induisirent battre les florins ta bouche, pour ton mal, comme as coutume,
qui avaient trois carats de vil mtal. car si j 'ai soif et si humeur me gonfle,
91 Et moi lui : Qui sont les deux chtifs 127 tu as la brlure et la tte te fait mal,
qui fument comme mains mouilles en hiver, et pour lcher le miroir de Narcisse,
gisant serrs prs de toi sur la droite ? t'inviter voudrais peu de paroles.
94 Ici les trouvai, et ne les vis bouger , 130 A les couter j 'tais tout absorb
dit-il, quand je chus en ce lieu,
quand le matre me dit : Oh ! attention
et ne crois qu'ils bougent pour l'ternit.
peu s'en faut qu'avec toi ne me querelle !
1 72
1 73
133
136
139
142
145
148
LA DIVINE COMDIE
Lorsque je l'entendis me parler avec colre
je me tournai vers lui avec telle honte
qu'encore ne me sort de la mmoire.
Comme celui qui en songe voit son dommage,
et en songeant dsire faire un songe,
et ce qui est, comme si ce n'tait, aspire,
ainsi me fis-je, ne pouvant parler
dsirais r
'
excuser, et r
'
excusais
pourtant et ne le croyais faire.
Moindre honte lave , dit le matre,
plus grande faute que n'a t la tienne,
donc de toute tristesse te dcharge.
Et pense que je suis toujours ton ct,
s'il arrive encore que la fortune te mne
o se trouvent gens en semblable litige,
car vouloir couter cela est bas vouloir .
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XXXI
La mme langue, en premier me mordit
et me teignit l'une et l 'autre joue,
puis le remde ensuite r
'
offrit ;
ainsi ai-je entendu qu'avait coutume la lance*
d'Achille et de son pre : cause d'abord
de tristesse et puis de bon cadeau.
Nous tournmes le dos au misrable val,
en haut de la berge qui le ceint alentour,
en avanant sans faire aucun discours.
Il faisait l moins que nuit, moins que jour,
si bien que le regard allait peu en avant ;
mais j 'entendis sonner trs fort un cor,
tant que tout tonnerre et paru faible,
qui, faisant suivre son chemin l'inverse,
attira mes yeux en un mme point.
Aprs la douloureuse droute, lorsque*
Charlemagne perdit la sainte geste,
ne sonna si terriblement Roland.
J'avais peine l tourn la tte
qu'il me sembla voir plusieurs hautes tours ;
et je dis : Matre quelle est cette cit fortifie ?
Et lui moi : Parce que tu regardes,
travers les tnbres, de trop loin
il arrive que dans l'imaginer tu confondes.
Tu verras bien si jusque-l arrives
175
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
1 76
LA DIVINE COMDIE
combien le sens se trompe de loin ;
aussi bien faut-il un peu plus te hter.
Puis tendrement il me prit par la main
et dit : Avant que nous soyons plus avant,
afin que le fait moins te paraisse trange,
sache que ce ne sont tours mais gants
et sont dans le puits, autour de la berge,
du nombril en bas tous tant qu'ils sont.
Comme, lorsque la brume se dissipe,
le regard peu peu discerne
ce que cle la vapeur qui paissit l'air,
ainsi trouant l' air dense et sombre
plus et plus approchant vers le bord,
s'enfuyait mon erreur et s'accroissait ma peur ;
car de mme que sur sa ronde enceinte
Montereggioni de tours se couronne*,
ainsi, au-dessus du bord qui entoure le puits,
se dressaient mi-corps tels des tours
les horribles gants que du ciel
Jupiter menace encore quand il tonne.
Et dj de l'un j 'apercevais la face,
les paules, la poitrine et grande partie du ventre,
et le long des ctes les deux bras.
Na ture assurment, quand elle renona faire
de tels tres, fit fort bien
pour ter ces excuteurs Mars ;
et si d'lphants et de baleines
ne se repent, qui regarde subtilement
l'en tient pour plus juste et plus sage :
car l o l'exercice de l'esprit
s'ajoute au mal vouloir et la force
aucune dfense n'y peuvent mettre les gens.
Sa face me paraissait longue et grosse
comme la pigne de Saint-Pierre de Rome*,
en mme proportion taient les autres os ;
61
6
67
70
73
76
79
82
85
8
91
94
ENFER. CHANT XXXI
si bien que la rive qui le cachait
du milieu jusqu'en bas, en montrait bien tant
au-dessus que, pour arriver aux cheveux,
trois Frisons n'auraient pu s'en vanter,
car j 'en voyais trente grandes palmes
depuis l'endroit o le manteau s'agrafe.
Raphel may amech zabi almi
commena crier la sauvage bouche
qui ne convenaient plus doux psaumes.
Et mon guide vers lui : Ame stupide
tiens-t' en au cor, avec lui te soulage
quand te prend colre ou autre passion !
Cherche ton cou et trouveras la courroie
qui le tient attach, me confuse,
et vois-le qui barre ta grande poitrine.
Puis moi il dit : Il s'accuse lui-mme,
il est Nemrod, pour sa folle pense*
un seul langage dans le monde plus ne s'use.
Laissons-le l, ne parlons pas vide,
car pour lui chaque langage est comme
pour autrui le sien, qui nul n'est connu.
Nous fmes donc plus long voyage,
vers la gauche et, une porte de flche,
trouvmes l'autre encore plus farouche et plus grand.
Pour l'enchaner quel que ft le matre
je ne sais dire, mais il avait li
le bras droit derrire et l'autre devant
par une chane qui le maintenait serr
du col en bas, et sur la partie dcouverte
s'enroulait jusqu'au cinquime tour.
Ce superbe voulut faire l'preuve
de sa puissance contre le grand Jupiter ,
dit mon guide, d'o il a telle rcompense.
phialts est son nom, il essaya sa force*
quand les gants firent peur aux dieux :
les bras que tant mena jamais plus ne remue.
1 77
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
178
LA DIVINE COMDIE
Et moi lui : Si se peut, je voudrais
que du dmesur Briare*
mes yeux eussent exprience.
A quoi il rpondit : Tu verras Ante*,
prs d'ici, qui parle et n'est pas li,
et nous dposera au plus profond du mal.
Celui que tu veux voir est l-bas plus loin,
il est li et fait comme celui-ci,
sau que plus froce est son visage.
Ne fut tremblement de terre si rude
qui secout une tour si violemment
comme phialts se secouer fut prompt :
Alors je craignis plus que jamais la mort
et cela aurait suffi la peur,
si je n' avais vu les chaes retordues.
Nous continumes alors plus avant
et vnmes Ante qui bien de cinq aunes,
sans compter la tte, sortait hors de la roche.
0 toi qui dans la valle fortune*,
que Scipion fit hritire de gloire
quand Hannibal avec les siens tourna le dos,
ramenas plus de mille lions comme butin
et qui, si tu eusses t la rode guerre
de tes frres, encore parat-on croire
qu'auraient vaincu les fils de la Terre,
mets-nous en bas, sans rpugnance,
l o froidure durcit le Cocyte.
Ne nous envoie Tityos ou Typhe* ;
celui-ci peut donner ce qu'ici on dsire,
donc penche-toi et ne tords le mufle.
Il peut encore sur terre te rendre renom,
car il vit et longue vie encore attend,
si, avant le temps, Grce soi ne l'appelle.
Ainsi parla mon mare et le gant en hte
prit mon guide en tendant les mains,
dont Hercule sentit la grande puissance.
133
136
139
142
145
ENFER. CHANT XXXI
Virgile quand il se sentit prendre
me dit : Approche-toi que je te prenne ,
et puis fit de lui et moi un seul faix.
Telle parat la Garisenda qui regarde*
sous le ct qui penche, quand un nuage passe
au-dessus et qu'elle semble tomber ;
tel pamt Ante moi qui tais attentif
le voir se pencher, et fut tel instant
que j 'aurais voulu par autre route aller.
Mais, lgrement, au fond qui dvore
Lucifer avec Judas, il nous posa ;
et ainsi pench ne demeura,
mais comme arbre en navire se leva.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
180
Chant XXXII
Si j 'avais des rimes pres et rauques
comme il conviendrait au trou lugubre
auquel aboutissent toutes les autres roches,
je presserais de ma pense le suc
plus pleinement, mais puisque ne les ai,
non sans crainte je m'apprte parler :
car ce n'est affaire prendre en se jouant,
dcrire ce qu'est le fond de tout l'univers,
ni de langue qui appelle maman et papa.
Mais qu'elles aident mon vers ces Dames*
qui aidrent Amphion clore Thbes,
afin que du fait le dire ne dfre . . . ,
Oh ! plus que tout autre peuple mal cr,
qui se trouve en ce lieu o parler est dur,
mieux et valu pour vous tre moutons ou chvres !
Comme nous fmes en bas dans ie puits obscur
sous les pieds du gant et bien plus bas,
et que je regardais encore le haut mur,
une voix j 'entendis me dire : Regarde o tu passes,
et avance sans fouler aux pieds
les ttes des pauvres et misrables frres.
Pour quoi je me tournai, et vis devant moi
et sous mes pieds un lac qui par le gel
avait de verre et non d'eau semblance.
Ne fit son cours ni gros voile de glace
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
ENFER. CHANT XXXII
l'hiver, le Danube en Autriche
ni le Don sous le ciel froid,
comme il tait ici, car si Tambernicchi
tait tomb dessus, ou Pietrapiana,
pas mme le bord n'aurait fait cric.
Et comme en coassant se tient la grenouille
le museau hors de l'eau, alors qu'en songe
souvent se voit glaner la villageoise,
livides, jusque-l o apparat vergogne,
taient les ombres dolentes dans la glace,
ayant aux dents bruit de cigogne.
Chacune vers le bas tenait tourne la face ;
du froid la bouche, et les yeux du cur triste,
portent en eux visible tmoignage.
Quand autour de moi j 'eus assez vu,
je regardai mes pieds et vis deux si serrs
que les poils de la tte ensemble avaient mls.
Dites-moi, vous qui si fort serrez vos poitrines ,
dis-je, qui tes-vous ? Et eux ployrent leurs cous,
et puis lorsqu'ils eurent vers moi dress leurs visages,
leurs yeux qui taient d'abord au-dedans humides,
gouttrent sur les lvres, et le gel durcit
les larmes entre eux et les ferma.
Jamais bois avec bois ferrure ne ceignit
si fort ainsi ; d'o eux comme deux boucs
cossrent tant l'ire les vainquit.
Et un qui avait perdu les deux oreilles
par froidure, le visage baiss, dit :
Pourquoi tant en nous te mires ?
Si tu veux savoir qui sont ces deux-l*,
la valle d'o descend Bisenzio
fut de leur pre Alberto et d'eux.
Du mme corps ils sortirent, et toute la Cana*
tu pourras parcourir et ne trouveras ombre
plus digne d'tre fiche en glatine ;
181
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
182
LA DIVINE COMDIE
non celui qui fut rompu la poitrine et l'ombre*
d'un seul coup, par la main d'Artus ;
non Focaccia ; non celui-ci qui m'encombre*
avec sa tte tant que je ne vois plus outre,
et fut nomm Sassol Mascheroni* :
si toscan es, bien sais j qui il fut.
Et pour que je n'aie pas parler davantage
sache que je fus Camicion de' Pazzi*
et j 'attends Car lino plus coupable que moi.
Ensuite je vis mille visages violets
de froid, d'o me vint horreur,
et me viendra toujours, des flaques glaces.
Et tandis que nous allions vers le centre
auquel tout poids se rassemble,
et que je tremblais dans le froid ternel,
ft-ce volont ou destin ou hasard
je ne sais, mais marchant entre les ttes,
fort je frappai le pied au visage de l'une.
En pleurant me cria : Pourquoi m'crases-tu ?
si tu ne viens accrotre la vengeance
de Montaperti, pourquoi me molestes ?
Et moi : Mare mien, attends-moi ici
que je sorte d'un doute pour celui-ci ;
ensuite, comme tu voudras, me feras hter.
Le guide s'arrta et je dis celui
qui blasphmait encore durement :
Quel es-tu donc qui rabroues ainsi autrui ?
Et toi qui es-tu qui vas par l' Antenora*
rpondit-il, frappant les autres aux joues
tant que, si j 'tais vivant, ce serait trop ?
Vivant je suis , fut ma rponse, et il peut
t'tre cher, si tu veux renomme,
que je mette ton nom parmi mes notes.
Et lui moi : Du contraire j 'ai dsir,
te-toi de l et ne me fais plus gmir,
car mal tu sais flatter en ce lieu bas.
97
lOO
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
ENFER. CHANT XXXII
Alors je le saisis par les cheveux
et je dis : Il faudra bien que tu te nommes
ou qu'un seul cheveu l ne te reste.
D'o lui moi : Tu peux bien m'arracher les cheveux
je ne te dirai qui je suis ni te le montrerai,
si mille fois me tombais sur la tte.
J'avais dj tordu ses cheveux dans ma main,
et arrach en avais plus d'une mche,
alors qu'il aboyait les yeux louchant en bas,
quand un autre cria : Qu'as-tu, Bocca* ?
ne te suffit sonner des mchoires
il te faut aboyer ? Quel diable te pique ?
Ores , dis-je, ne veux plus que tu parles
abominable tratre ; et ta honte,
je porterai de toi les vraies nouvelles.
Va-t'en , reprit-il, et ce que tu veux, dis-le,
mais ne tais point, si de l tu sors,
de celui qui vient d'avoir la langue prompte.
Il pleure ici l 'argent des Franais.
"J'ai vu" pourras-tu dire "celui de Dovara*,
l o les pcheurs sont au frais".
Si l'on demandait qui d'autre y tait,
tu as sur le ct celui des Beccaria*
dont Florence scia le gorgerin.
Gianni dei Soldanieri, je crois qu'il est*
plus loin avec Ganelon et Tebaldello*
qui ouvrit Faenza alors que l 'on dormait.
Dj nous tions loigns de celui-l
quand je vis deux gels dans un tou*,
l'un des chefs faisant chapeau l 'autre ;
et comme on mange le pain par grande faim
celui d'en haut l'autre mit les dents
l o le cerveau se relie la nuque.
Pas autrement Tyde ne rongea*
les tempes Mnalippe par fureur,
que celui-ci faisait le crne et tout le reste.
183
133
136
139
LA DIVINE COMDIE
0 toi qui montres par si bestial signe
haine porter celui que tu dvores,
dis-moi pourquoi , lui dis-je, tel pacte
que, si raison de lui tu te plains,
sachant qui vous tes et quelle est sa faute,
dans le monde l-haut en change je le dise,
si cette langue qui te parle ne sche.
Chant XXXIII
1 La bouche souleva du farouche repas
ce pcheur, l'essuyant aux cheveux
de la tte qu'il avait, par-derrire, broye.
4 Puis il commena : Tu veux que je renouvelle
la douleur dsespre qui me presse le cur
la seule pense, avant mme que j 'en parle.
7 Mais si mes paroles doivent tre semence .
portant fruit d'infamie au tratre que je ronge,
parler et pleurer ensemble me verras.
10 Je ne sais qui tu es, ni de quelle faon
tu es venu si bas ; mais florentin
vraiment me sembles quand je t'entends.
13 Tu dois savoir que je fus le comte U golino
et celui-ci est l' archevque Ruggieri,
ores te dirai pourquoi lui suis tel voisin.
16 Que par l'effet de ses mchantes penses,
me fiant lui, je fus pris
et mis mort, point n'est besoin de dire,
19 mais ce que tu ne peux avoir appris,
et c'est combien ma mort fut cruelle,
tu l'entendras et sauras s'il m'a offens.
22 Bref pertuis au-dedans de la mue,
qui par moi s'appelle tour de la faim,
et o d'autres encore seront enferms,
25
m'avait montr par son ouverture
185
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
186
LA DIVINE COMDIE
plusieurs lunes dj, quand je fis le mauvais songe
qui du futur me dchira le voile.
Celui-ci me paraissait matre et seigneur*,
chassant le loup et les louveteaux vers le mont*
qui empche les Pisans de voir Lucques.
Avec des chiennes maigres agiles et bien dresses,
Gualandi avec Sismondi et avec Lanfranchi,
il avait mis devant lui sur le front.
En brve course me parurent lasss
le pre et les fils ; et avec crocs aigus
il me sembla leur voir fendre les flancs.
Quand je fus veill, avant le matin,
j 'entendis pleurer dans leur sommeil mes fils*
qui taient avec moi, et demander du pain.
Bien es cruel si dj ne t'attristes
pensant ce qui s'annonait mon cur,
et si tu ne pleures, de quoi donc pleures-tu ?
Dj ils taient veills et l'heure approchait
qu'on nous apportait de coutume manger
et par son rve chacun tait inquiet ;
et j 'entendis clouer en bas la porte
de l'horrible tour : alors je regardai
droit au visage mes fils, sans dire un mot.
Je ne pleurais pas, tant me sentis de pierre ;
eux pleuraient et mon petit Anselmo
dit : "Comme tu regardes, pre, qu'as-tu ? "
Mais j e ne versai larme ni rpondis
tout ce jour ni la nuit qui suivit,
tant qu'un nouveau soleil vint sur le monde.
Comme un peu de rayon eut pntr
dans le douloureux cachot et que je vis
sur quatre visages mon propre aspect,
les deux mains de douleur me mordis,
et eux, pensant que je le faisais par envie
de manger, aussitt se dressrent
61
6
67
70
73
76
79
82
85
8
91
94
ENFER. CHANT XXXIII
et dirent : "Pre, moins de douleur aurons
si tu manges de nous, tu nous as vtus
de ces misrables chairs, reprends-les. "
Je m'apaisai alors pour ne les faire plus tristes,
ce jour et l'autre restmes tous muets :
ah dure terre, pourquoi ne t'ouvris-tu ?
Lorsque nous fmes au quatrime venus,
Gaddo se jeta tendu mes pieds
disant : "Pre, pre, que ne m'aides-tu ? "
et l mourut, et tel que tu me vois
je vis tomber les trois un un,
entre le cinquime jour et le sixime : et j 'allai
dj aveugle, ttons sur chacun,
et deux jours les appelai aprs qu'ils furent morts,
puis plus fort que la douleur fut le jene.
Quand eut dit cela, les yeux tors,
il reprit le misrable crne entre ses dents
qui furent contre l 'os fortes comme d'un chien.
Ah ! Pise dshonneur de toutes gens
du beau pays o sonne le si,
puisque tes voisins sont lents te punir,
que se meuvent la Capraia et la Gorgona*
et fassent barre la bouche de l' Arno
pour qu'il noie en toi tout habitant ;
car si le comte U go lino eut renom
d'avoir trahi en livrant tes chteaux
tu ne devais pas mettre ses fils telle croix ;
nouvelle Thbes, leur ge tendre
faisait innocents U guiccione et Brigata,
et les deux autres que dit plus haut mon chant.
Nous passmes outre, l o le gel
rudement enveloppe d'autres gens
non tourns vers le bas mais tous la renverse.
Les pleurs mmes l ne laissent pleurer
et la douleur, qui trouve aux yeux obstacle,
se tourne l'intrieur et fait crotre l 'angoisse ;
187
97
100
103
106
109
112
115
1 18
121
124
127
130
188
LA DIVINE COMDIE
car les premires larmes s'entassent
et comme visires de cristal
remplissent sous les cils la coupe.
Et bien que, comme serait d'un cal,
par la froidure tout sentiment
avait cess d'habiter mon visage,
j me semblait sentir un peu de vent
alors moi : Matre mien, qui meut l'air ?
n'est donc ici en bas toute vapeur teinte ?
Et lui moi : Bientt tu seras l
o de cela l'il te donnera rponse
voyant la cause d'o vient le souffle.
Et l 'un des tristes de la froide crote
nous cria : 0 mes cruelles,
puisque vous est assigne la dernire demeure,
enlevez de mes yeux les voiles durs,
afin que la douleur qui me gonfle le cur
j 'panche un peu avant que les pleurs ne reglent.
Pour ce, moi lui : Si tu veux que je te soulage
dis-moi qui tu es, et si ne te libre
que j 'aille au fin fond de la glace !
Il rpondit donc : Je suis frre Alberigo*,
je suis l'homme aux fruits du verger maudit,
et ici je reprends datte pour figue.
Oh , lui dis-je, tu es dj mort ?
et lui moi : Comment se trouve mon corps
dans le monde, l-haut, je n'en ai nulle science.
Tel privilge a cette Tolomea*
que souvent l'me y tombe
avant qu'Atropos l'y pousse*.
Et, pour que plus volontiers tu m'tes
du visage les larmes vitries,
sache qu' peine l'me trahit,
comme j 'ai fait, son corps lui est enlev
par un dmon qui ensuite le gouverne,
tant que son temps tout soit accompli.
133
136
139
142
145
148
151
1 54
157
ENFER. CHANT XXXIII
Elle tombe en citerne ainsi faite,
et, peut-tre, parat encore en haut le corps
de l'ombre qui derrire moi hiverne.
Tu dois le savoir si tu viens d'arriver
il est sire Branca d'Oria, et il y a des annes*
dj passes qu'il fut ainsi enferm.
Je crois , lui dis-je, que tu me trompes
car Branca d'Oria n'est pas mort encore
il mange et boit et dort et s'habille.
En haut , dit-il, dans la fosse des Malebranche,
l o bouillonne la poix tenace,
n'tait encore arriv Michel Zan che
que celui-ci laissa un diable sa place
dans son corps, ainsi qu'un de ses proches
qui avec lui a fait la trahison.
Mais tends maintenant ici la main,
ouvre-moi les yeux. Et moi ne les lui ouvris,
et coutoisie fut tre avec lui vilain.
Ah Gnois, hommes loigns
de toutes bonnes murs et pleins de tout vice
pourquoi n'tes-vous enlevs du monde ?
Car, avec le pire esprit de Romagne,
j 'ai trouv d'entre vous un tel qui, par son uvre,
en me dj dans le Cocyte baigne
et en corps parat toujours vivant en haut.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
190
Chant XXXIV
Vexill reg prodeunt inferni*
vers nous , dit mon matre,
aussi regarde en avant si tu l'aperois .
Tel, lorsque passe un pais brouillard,
ou quand notre hmisphre entre dans la nuit,
apparat de loin un moulin qui tourne au vent,
me sembla voir alors un tel difice ;
puis, contre le vent, je me serrai derrire
mon guide, car l n'tait d'autre grotte.
Dj j 'arrivais, et avec peur je le mets en vers,
l o les ombres taient toutes recouvertes
et apparaissaient comme ftu dans le verre :
les unes sont couches, d'autres se tiennent dresses
telle sur la tte et telle sur les talons,
une autre en arc, la face devant les pieds.
Lorsque nous fmes venus assez avant
pour qu' mon matre plut de me montrer
la crature qui d'aspect fut si belle*,
de devant moi s'ta et me fit arrter
disant : Voici Dite, et voici le lieu
o il faut que tu t'armes de force.
Comme je devins alors, glac et dfaillant,
ne le demande, lecteur : je ne l'cris
car toute parole serait trop peu.
Je ne mourus ni ne restai vivant ;
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
5
ENFER. CHANT XXXIV
pense par toi-mme, si tu as brin d'intelligence,
quel je devins, de l'une et de l'autre priv.
L'empereur du douloureux royaume*,
mi-poitrine sortait hors de la glace,
et plus proche suis-je d'un gant
que les gants ne le sont de ces bras ;
vois maintenant quel peut tre le tout
qui s'accorde partie ainsi faite.
S'il fut aussi beau qu'il est laid maintenant,
et s'il dressa les yeux contre son crateur,
bien de lui doit procder tout mal.
Oh combien me parut grande merveille
quand je vis trois faces sa tte !
L'une par-devant, et celle-ci tait rouge,
les autres taient deux qui s'attachaient elle,
sur le milieu de chaque paule
et se rejoignaient l'endroit de la crte :
la droite paraissait entre blanche et jaune,
la gauche voir tait telle que ceux
qui viennent de l o le Nil dvale.
Au-dessous de chacune sortaient deux grandes ailes,
autant qu'il convenait pareil oiseau :
voiles sur la mer n'en vis jamais de telles.
Elles n' avaient plumes, mais de chauves-souris
avaient forme : et il les agitait
de sorte que trois vents venaient de lui.
Ainsi tout Cocyte devenait glace ;
avec six yeux il pleurait, et par trois mentons
s'gouttaient pleurs et bave sanguinolente.
En chaque bouche il brisait de ses dents
un pcheur, comme fait un broyeur,
de sorte qu'en faisait trois ainsi tourments.
Pour celui de devant le mordre n'tait rien
ct du griffer car parfois l'chine
restait toute dnude de sa peau.
191
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
192
LA DIVINE COMDIE
Cette me l-haut qui a plus grande peine ,
dit le matre, est Judas Iscariote
qui la tte a dedans, et hors les pieds agite.
Des deux autres qui sont la tte en bas,
celui qui pend du noir mufle est Brutus ;
vois comme il se tord et ne dit mot ;
Et l'autre est Cassius qui parat si membru.
Mais la nuit renat, et dsormais
il faut partir, car nous avons tout vu.
Comme il lui plut, le cou lui enserrai ;
il attendit le moment et l'endroit,
et quand les ailes furent largement ouvertes,
il s'attacha aux ctes velues,
et de touffe en touffe il descendit ensuite,
entre le poil dru et la crote gele.
Quand nous fmes l o la cuisse
tourne juste sur le gros de la hanche,
mon guide avec effort, avec angoisse,
tourna la tte o il avait les pieds
et s'accrocha aux poils comme un qui monte,
si bien qu'en enfer je croyais retourner.
Tiens-toi bien, car par telle chelle
dit mon matre, haletant comme un homme las,
il nous faut partir de tant de mal.
Puis il sortit hors par le trou d'une roche
et me posa assis sur le bord ;
puis vint moi d'un pas assur.
Je levai les yeux, croyant voir
Lucifer comme je l' avais laiss,
et je le vis ayant les jambes en l'air ;
et si j 'en eus alors l'esprit troubl,
le pense la gent ignorante qui ne voit
quel est le point que j 'avais pass.
Allons lve-toi , dit le matre, debout !
la route est longue et le chemin mauvais,
et dj le soleil mi-tierce revient.
97
lOO
103
106
109
112
1 1 5
1 18
121
124
127
130
ENFER. CHANT XXXIV
Ce n'tait belle salle de palais
l o nous tions, mais grotte naturelle
au sol mauvais et manquant de lumire.
Avant que de l'abme je m'arrache,
matre , dis-je quand je fus debout,
pour me tirer d'erreur parle-moi un peu.
O est la glace ? Et lui comment est-il fich
la tte en bas ? Et comment si vite
le soleil a-t-il pass du soir au matin ?
Et lui moi : Tu imagines encore
tre en de du centre, l o je me pris
au poil du ver immonde qui transperce le monde.
L tu fus tant que je descendis,
quand je me retournai, tu passas le point
o sont attirs de toute part les poids ;
tu es maintenant arriv sous l'hmisphre
oppos celui que la grande sche
recouvre, et au centre duquel mourut
l'homme qui naquit et vcut sans pch ;
tu as les pieds sur la petite sphre
qui forme l'autre face de la Giudecca.
Ici est matin quand l-bas est soir ;
et celui-ci qui nous fit chelle avec ses poils
reste encore fich comme il tait avant.
De ce ct il chut du haut du ciel
et la terre, qui d'abord jusque-l s'tendit,
par peur de lui se fit de la mer un voile
et vint notre hmisphre ; et peut-tre
pour le fuir, celle qui apparat l
laissa ici lieu vide et se dressa vers le haut.
Un lieu est l-bas, de Belzbut loign*
autant que la grotte s'tend,
qui n'est connu par la vue mais par le son
d'un petit ruisseau qui l descend
par le trou d'un rocher qu'il a rong
dans son cours qu'il droule en faible pente.
193
133
136
139
LA DIVINE COMDIE
Mon guide et moi, par ce chemin cach
entrmes pour retourner dans le clair monde ;
et sans avoir cure d'aucun repos,
nous montmes lui premier, et moi second,
et puis je vis de ces choses belles
que porte le ciel, par un pertuis rond ;
ensuite nous sortmes revoir les toiles.
Purgatoire
Chant 1
1 Pour courir eau meilleure, hisse ses voiles,
dsormais, la nef de mon esprit
qui laisse derrire elle mer si cruelle ;
4 et je chanterai ce deuxime royaume
o l 'me humaine se purifie
et de monter au ciel devient digne.
7 Mais qu'ici la morte posie revive,
saintes Muses, puisque je suis vtre,
et qu'ici Calliope se hausse davantage,
10 accompagnant mon chant de cette musique
dont les misrables Pies sentirent
tel coup, que du pardon dsesprrent.
13 Douce couleur de saphir oriental
qui s'assemblait dans l 'aspect serein
de l' air, pur jusqu'au premier cercle,
16 mes yeux renouvela la joie,
peine fus-je sorti hors de l 'air mort
qui avait attrist et mes yeux et mon cur.
19 La belle plante qui invite aimer
faisait rire tout entier l 'orient
voilant les Poissons en son escorte.
22 Je me tournai main droite, et fixai mon esprit
l'autre ple, et je vis quatre toiles
jamais vues sinon par les premiers parents.
25 Le ciel semblait jouir de leurs feux :
197
LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT 1
terre du septentrion, terre veuve 61 Comme te l 'ai dit, je lui fus envoy
puisque te manque la vue de ces toiles ! pour le sauver, et n'tait autre voie
28 Comme j 'eus loign d'elles mon regard,
que celle-ci par laquelle me suis engag.
me tournant un peu vers l'autre ple,
6 Je lui ai montr toute la gent perdue
l d'o le Chariot dj avait disparu,
et maintenant j 'entends lui montrer les esprits
31 je vis prs de moi un vieillard, seul,
qui se purifient sous ta garde.
digne en son aspect de telle rvrence
67 Comment je l'ai conduit serait long te dire,
que plus n'en doit son pre aucun fils.
d'en haut descend vertu qui m'aide
le mener te voir et t'couter.
34 Longue barbe et de poils blancs mle
70 Qu'il te plaise donc d'agrer sa venue,
il portait, semblable ses cheveux
il va cherchant la libert qui est si chre,
dont un double flot tombait sur sa poitrine.
comme sait celui qui pour elle refuse la vie.
37 Les rayons des quatre lumires saintes
73 Tu le sais, toi, qui ne fut amre la mort*,
illuminaient si bien son visage
pour elle, Utique, o tu laissas
que je le voyais comme en plein soleil.
la robe qui au grand jour sera si lumineuse.
40 Qui tes-vous qui, contre le fleuve aveugle
76 Les dcrets ternels ne sont par nous viols,
avez fui la prison ternelle ? ,
car celui-ci vit, et Minos ne me lie,
dit-il, mouvant cet honnte plumage,
mais je suis du cercle o sont les chastes yeux
43 Qui vous a guids ou qui vous claira
79 de ta Marcia qui semble encore te prier,
pour sortir hors de la profonde nuit
sainte poitrine, que tu l'aies pour tienne :
qui garde noire la valle infernale ?
au nom de cet amour sois-nous bienveillant.
4 Les lois de l'abme sont-elles ainsi brises ?
82 Laisse-nous aller par tes sept royaumes ;
ou est chang au ciel quelque nouveau conseil
auprs d'elle je me louerai de toi
pour que, damns, vous veniez mes grottes ?
si tu daignes tre nomm l-bas.
49 Me saisissant alors, mon guide,
85 Marcia plut si fort mes yeux
et par voix et par mains et par signes,
tant que je fus sur terre , dit-il alors,
fit mes jambes et mes yeux rvrents.
que tout ce qu'elle voulut de moi je le fis.
52 C'est lui qui rpondit : De moi-mme je ne viens ;
8 Ores qu'au-del du fleuve maudit elle demeure,
Dame descendit du ciel et, sa prire,
plus ne peut r
'
mouvoir, par cette loi
de ma compagnie j'ai secouru celui-ci.
qui fut faite quand j 'en sortis hors.
55 Mais puisque ton vouloir est que plus s'explique 91 Mais si Dame du ciel te meut et dirige
notre condition telle qu'elle est vraiment, comme tu dis, point n'est besoin de flatterie,
mon vouloir ne saurait toi se refuser. bien sufit qu'en son nom me recquiers.
58 Celui-ci n'a v encore son dernier soir, 94
V a donc et fais que celui-ci tu ceignes
mais par sa folie en fut si proche d'un jonc uni, et laves son visage
que bien peu de temps lui restait passer. afin d'en effacer toute souillure ;
198 199
97
100
103
106
109
112
115
1 18
121
124
LA DIVINE COMDIE
car il ne sirait aller, l'il offusqu
de quelque brume, devant le premier
de ces ministres qui sont du Paradis.
Cet lot, tout autour, au bord du rivage
l-bas o frappent les vagues,
porte des joncs sur sa molle vase.
Nulle autre plante ayant feuillage
ou tronc dur n'y saurait vivre,
car au choc des flots ne se plie.
Ensuite ne revenez de ce ct ;
le soleil qui se lve vous montrera
une pente plus lgre pou gravir le mont.
Il disparut ; moi je me redressai
sans parler et me mis tout auprs
de mon guide, levant vers lui les yeux.
Il commena : Suis mes pas,
retounons en arrire, car l s'incline
ce terrain au plus bas du rivage.
L' aube l'emportait sur l'heue de matines
qui fuyait devant elle, si bien que de loin
je reconnus le trembloiement de la mer.
Nous allions par la plaine solitaire
comme ceux qui rejoignent le chemin perdu
et jusqu' lui semblent aller en vain.
Lorsque nous fmes l o la rose
lutte avec le soleil et, se trouvant en un lieu
de fracheur, s'vapore lentement,
mon matre trs doucement posa
ses deux mains ouvertes sur l 'herbe fine
et moi, comprenant ce qu'il voulait faire,
127 tendis vers lui mes joues ternies de larmes,
et l entirement fit rapparatre
cette couleu qu'avait cache l'enfer.
130 Nous vnmes ensuite sur le rivage dsert
200
qui jamais ne vit naviguer su ses eaux
homme qui fut de revenir expert.
133
136
PURGATOIRE. CHANT 1
L il me ceignit comme il plut un autre :
merveille ! telle il choisit
l 'humble plante, telle elle renaquit
aussitt d'o il l' arracha.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
202
Chant II
Dj le soleil tait arriv l'horizon
dont le cercle mridien couvre
Jrusalem son point le plus haut,
et la nuit, qui l'oppos circule,
sortait hors du Gange avec les Balances
qui lui tombent des mains quand elle domine,
si bien que les joues blanches et vermeilles
de la belle Aurore, l o j 'tais,
par trop d'ge devenaient oranges.
Nous tions le long de la mer encore
comme gens qui pensent leur chemin,
qui vont avec le cur, et avec le corps demeurent,
et voici que, tel, aux approches du matin
dans la brume dense Mars rougeoie
bas au couchant, au-dessus de la plaine marine,
tel m'apparut - puiss-je encore la voir ! -
une lumire sur la mer venir si rapide
que sa vitesse aucun vol n'gale ;
et comme j 'en eus un peu retir mon regard
pour interroger mon guide,
je la revis plus brillante et plus grande.
Puis de chaque ct r
'
apparut
un je ne savais quoi de blanc, et dessous
peu peu un autre qui en sortait.
Mon matre encore ne dit mot tant
28
31
34
37
4
43
4
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT II
que les premiers blancs n'apparurent des ailes,
mais lorsqu'il eut bien connu le nocher,
il cria : Flchis les genoux,
voici l' ange de Dieu, joins les mains,
dsormais tu verras des ministres ainsi faits.
Vois qu'il ddaigne les instruments humains,
il ne veut rames, ni autre voile
que ses ailes entre bords si lointains.
Vois comme il les a dresses vers le ciel,
agitant l'air de ses pennes ternelles
qui point ne changent comme poil mortel.
Puis mesure que plus vers nous arrivait
l'oiseau divin, plus clair apparaissait,
pour ce mes yeux de prs ne le soutinrent,
je les baissai ; et lui s'en vint la rive
sur une nef lance et si lgre
qu'en rien ne s'enfonait dans l 'eau.
A la poupe se tenait le nocher cleste,
tel qu'en lui se lisait la batitude ;
et dedans plus de cent mes taient assises.
ff In exitu Israel de Aegypto* #
chantaient-elles toutes d'une seule voix
avec ce qui suit crit dans le psaume.
Il fit sur elles le signe de la sainte croix
et elles se jetrent toutes sur la plage,
lui s'en alla, rapide comme il tait venu.
La troupe qui resta l, trangre
semblait au lieu, regardant tout autour
comme qui aborde choses nouvelles.
De toute part le soleil lanait ses flches
au jour, il avait de ses nobles flches,
du milieu du ciel, chass Capricorne,
quand la gent nouvelle leva le front
vers nous, nous disant : Si vous savez,
montrez-nous le chemin qui mne la montagne.
203
LA DIVINE COMDIE
PURGATOIRE. CHANT II
61 Et Virgile rpondit : Vous croyez peut-tre
97 car de juste vouloir le sien se fait ;
que nous sommes familiers de ce lieu,
en vrit depuis trois mois, il a pris
mais nous sommes plerins comme vous l'tes.
qui a voulu entrer, en toute paix.
6 Nous sommes arrivs peu de temps avant vous,
lOO et moi qui tais alors tourn vers le rivage
par autre voie qui fut si pre et rude
o l 'eau du Tibre devient sale
que monter dsormais nous paratra u jeu.
bnignement fus par lui accueilli.
67 Les mes qui avaient remarqu, me voir
103 V ers cette embouchure ores a tendu son aile,
respirer, que j 'tais encore vivant,
car c'est l toujours que se rassemblent
s'merveillant devinrent demi-mortes.
ceux qui vers l'Achron ne tombent.
70 Et comme messager porteur d'olivier
106 Et moi : Si nouvelle loi ne t'enlve
accourent les gens pour entendre nouvelles,
mmoire ou usage du chant d'amour
et de presser aucune ne se prive,
qui jadis tous soucis m' apaisaient,
73 ainsi sur mon visage fixrent les yeux
109 qu'il te plaise en cela consoler u peu
ces mes fortunes, toutes et toutes,
mon me qui, avec ma personne
comme oubliant d'aller se faire belles.
venant ici, est si pleine d' angoisse.
76 Je vis l'une d'entre elles se porter en avant
ll2 Amour qui me parle l fne pointe de l 'me* #
commena-t-il alors si doucement
pour r
'
embrasser en si grande affection
que sa douceur encore en moi rsonne.
qu'elle m'entrana faire de mme.
IlS Mon matre et moi, et ces ombres
79 0 ombres vaines, sauf dans leur apparence :
qui taient avec lui, paraissions si contents
trois fois derrire elle mes mains se lirent
comme n'ayant l'esprit autre souci.
et autant de fois les ramenai sur moi.
l l8 Nous tions tous immobiles et attents
82 L'tonnement, je pense, se peignit sur mes traits,
son chant, et voici l'honnte vieillard
alors l'ombre sourit et se retira criant : Qu'est-ce l, esprits lents ?
et moi, la suivant, j 'allai plus outre. 121 Quelle ngligence, quel retard est-ce donc ?
85 Doucement elle me dit de rester : courez au mont vous dfaire de l 'caille
alors je connus qui elle tait et la priai qui ne vous laisse voir Dieu maneste.
que, pour me parler, un peu elle s' arrtt. 124 Comme lorsque, cueillant ivraie ou bl,
8 Elle me rpondit : Tout comme je t' aimai les colombes rassembles pour la pture,
dans mon corps mortel, ainsi dlie je t'aime, tranquilles, sans montrer l'habituelle fiert,
aussi je r
'
arrte, mais toi, pourquoi vas-tu ?
127 si chose apparat dont elles aient peur,
91 Casella cher, pour revenir encore*
soudainement abandonnent le grain,
l o je suis, je fais ce voyage ,
parce que assaillies par plus grand souci,
dis-je, mais toi, pourquoi ce temps perdu ?
130 ainsi vis-je cette troupe nouvelle
94 Et lui moi : Ne m'est fait nul outrage
abandonner le chant et aller vers la cte,
si celui qui prend quand et qui il lui plat
comme homme qui avance sans savoir o il va ;
plusieurs fois m' a refus ce passage,
133 et notre dpart ne fut pas moins rapide.
204
205
1
4
7
10
13
16
19
22
25
206
Chant III
Bien que la fuite soudaine
disperst ceux-l par la campagne
dirigs vers le mont o justice nous fouille,
moi, je me serrai mon compagnon fidle ;
et comment sans lui aurais-je couru ?
qui m'aurait fait gravi la montagne ?
Il me paraissait saisi de remords ;
conscience digne et pure,
comme faute lgre est pour toi morsure amre
Quand ses pieds abandonnrent la hte
qui de tout acte bannit la noblesse,
mon esprit, qui d'abord tait limit,
largit mon attention et mes dsis :
je levai les yeux sur le sommet
qui vers le ciel, plus haut, sort de l'eau.
Le soleil qui derrire nous flamboyait vermeil
tait rompu devant mon corps,
car il arrtait en moi ses rayons.
Je me tournai de ct, avec peur
d'tre abandonn, quand je vis
seulement devant moi la terre sombre.
Et mon confort : Pourquoi ce doute encore ? ,
commena-t-il dire tout tourn vers moi,
ne me crois-tu pas avec toi et que je te guide ?
Vpres dj est l o est enseveli
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT III
mon corps dans lequel je faisais ombre ;
Naples l'a, de Brindisi fut enlev.
Ores si devant moi rien ne s'adombre
ne t'tonne pas plus que des cieux
o les rayons ne s'arrtent l'un l'autre.
A souffri tourments et chaud et gel,
la Vertu dispose semblables corps,
et comme elle fait, ne veut qu' nous se dvoile.
Fou est qui espre que notre raison
puisse parcouri la voie infinie
que tient une substance en trois personnes.
Contentez-vous, gent humaine, au quia,
car si vous aviez pu tout voi
besoin n'tait que Marie enfantt ;
et vous avez vu dsier sans fruit
tels dont le dsi et t apais
qui ternellement leur est donn pour deuil ;
je dis d' Aristote et de Platon
et de beaucoup d'autres. Et il pencha le front,
et plus ne parla et resta troubl.
Arrivmes ce pendant au pied de la montagne,
l trouvmes la roche si abrupte
qu'en vain les jambes y auraient t promptes.
Entre Lerici et Turbia, la plus dserte*,
l a plus rompue des ruines est, auprs
de celle-ci, chelle facile et ouverte.
Qui sait de quel ct la pente s' abaisse ,
dit mon matre en arrtant ses pas,
pour que puisse monter qui va sans ailes ?
Et tandis qu'il tenait son visage baiss,
que son esprit considrait le chemin
et que je regardais en haut autour du rocher,
m'apparut venant de gauche un groupe d'mes
qui mouvaient les pieds vers nous,
et il ne semblait pas, si lentes elles venaient.
207
LA DIVINE COMDIE
61 Lve tes yeux, matre , dis-je,
voici, l, qui nous donnera conseil
si toi de toi-mme ne peux l' avoir.
6 Il regarda alors et d'un air assur
rpondit : Allons vers eux qui sont si lents,
et toi, doux fils, affermis ton espoir.
67 Encore tait loin ce peuple,
je dis aprs nos mille pas,
autant que jet de pierre par bonne main,
70 quand ils se pressrent tous contre les dures masses
de la haute falaise, et restrent immobiles et serrs
comme se tient et regarde qui va doutant.
73 0 morts en grce, esprits dj lus ,
commena Virgile, au nom de cette paix
qui, je le crois, tous vous attend,
76 dites-nous o la montagne s'incline
pour qu'il soit possible d' aller en haut,
car perdre du temps, qui plus sait plus dpla.
79 Comme les brebis sortent de l'enclos :
une, deux, trois, et les autres attendent
timides, l'il et le museau terre ;
82 et ce que fait la premire les autres le font,
se pressant contre elle si elle s'arrte,
simples et quites et le pourquoi ne savent,
85 ainsi vis-je se mouvoir pour venir la tte
de ce troupeau fortun alors,
au visage humble et l'allure honnte.
8 Comme les premiers virent rompue
la lumire terre ma droite
de sorte que l'ombre allait de moi au rocher,
91 ils s'arrtrent et se tirrent un peu en arrire
et tous les autres qui venaient la suite,
ne sachant pourquoi, en firent autant.
94 Sans que vous demandiez, je vous confesse
que c'est un corps humain que vous voyez,
pour quoi la lumire du soleil par terre est fendue.
208
97
100
103
106
109
1 12
1 1 5
1 18
121
124
127
130
PURGATOIRE. CHANT III
Ne vous tonnez point ; mais croyez
que non sans vertu venue du ciel
il cherche franchir cette paroi.
Ainsi le matre, et cette gent digne :
Retournez-vous et allez devant vous ,
faisant signe avec l e dos des mains.
Et l'un d'eux commena : Qui que tu sois,
marchant ainsi, tourne les yeux,
et pense si jamais, l-bas tu me vis.
Je me tournai vers lui et le regardai fixement :
il tait blond et beau et d'aspect noble,
mais un des cils un coup avait fendu.
Lorsque j 'eus humblement avou
l'avoir jamais vu, il dit : Regarde
et me montra une plaie en haut de sa poitrine.
Puis en souriant il dit : Je suis Manfredi*
petit-fils de Constance l'impratrice ;
ce pourquoi je te prie, quand tu retourneras
d'aller auprs de ma fille si belle, mre
de l 'honneur de Sicile et d'Aragon,
et dis le vrai elle, si l 'on dit autrement.
Aprs que j 'eus le corps perc
de deux pointes mortelles, je me rendis
en pleurant celui qui volontiers pardonne.
Horribles furent mes pchs,
mais la bont infinie a si grands bras
qu'elle prend ce qui se rend elle.
Si le pasteur de Cosenza, qui ma poursuite*
fut mis alors par Clment, avait
en Dieu bien lu cette page,
les os de mon corps seraient encore
au bout du pont, prs de Benevento,
sous garde du monceau de pierres.
Ores les baigne la pluie et agite le vent,
hors du royaume, presque au bord du Verde,
o les fit transporter toute lumire teinte.
209
133
136
139
142
145
LA DIVINE COMDIE
Par leu maldiction on ne perd tant
que ne puisse revenir 1 'ternel amour,
alors que 1 'esprance garde un peu de vert.
Il est vrai que celui qui meurt en contumace
de Sainte glise, mme si la fin se repent,
il lui faut rester hors de cette enceinte
trente fois le temps qu'il a t
dans son erreur, si tel dcret
ne devient par bonnes prires plus court.
Vois donc si tu peux me donner joie
en rvlant ma bonne Constance
comment tu r
'
as vu, et aussi cet interdit,
car ici, par ceux de l, on avance beaucoup.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant IV
Quand par plaisir ou par douleur
.
' d' d qm s empare une e nos vertus
l'me en celle-ci se concentre,
nulle autre puissance n'est attentive
- et cela est contre l'erreur qui croit
qu'une me su une autre en nous s' allume.
Pour ce quand on entend ou voit chose
qui tienne l'me fortement attache,
le temps s'en va, et on ne s'en avise.
Car autre puissance est celle qui coute
et autre celle qui a l'me entire,
celle-ci est comme lie et celle-l libre.
De cela j 'eus exprience vraie
entendant et admirant cet esprit,
car hien de cinquante degrs tait mont
le soleil, et ne m'en tais aperu,
quand arrivmes o ces mes d' une seule voix
nous crirent : Voici votre demande.
Plus large trou dans sa haie bouche
avec petite fourche d'pines
l'homme de la campagne quand le raisin brunit,
que n'tait le sentier par o nous montmes
mon guide, et moi derrire, seuls,
aprs que le groupe se spara de nous.
On va Sanleo et on descend sur N oli*,
21 1
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
5
212
LA DIVINE COMDIE
on monte jusqu'au sommet de Bismantova
avec les seuls pieds, mais ici il faut que l'homme vole ;
je dis avec les ailes agiles et avec les pennes
du grand dsir, suivant ce guide
qui donnait esprance et faisait lumire.
Nous montions l'intrieu de la roche fendue
et de chaque ct nous pressaient les parois
et, au-dessous, pieds et mains rclamait le sol.
Lorsque nous fmes su le bord suprieu
de la monte, au plan dcouvert,
Matre mien , dis-je, quel chemin prendrons
[nous ?
Et lui moi : Que nul de tes pas ne descende
mais toujous en montant, derrire moi, avance
jusqu' ce qu'apparaisse quelque sage escorte.
Le sommet tait haut vaincre la vue
et la cte plus fire de beaucoup
que n'est la ligne du quart de cercle au centre.
J'tais las alors que je commenai :
0 doux pre, retoune-toi et vois
que je reste seul si tu ne t'arrtes !
Mon fils, trane-toi jusqu'ici , dit-il,
me montrant un peu plus haut un plan
qui de ce ct tout le mont contoune.
Tant m'peronnaient ses paroles
que je fis effort en rampant vers lui
jusqu' ce que le plan ft sous mes pieds.
L nous nous assmes tous les deux
regardant au levant d'o nous tions monts,
car la vue du chemin parcouru donne confort et joie.
Je portai d'abord mes yeux en bas aux rivages,
puis les levai vers le soleil et m'tonnai
car gauche nous en tions frapps.
Bien s'avisa le pote que j 'tais
tout fix au char de la lumire
qui passait entre nous et Aquilon.
61
6
67
70
73
76
79
82
85
8
91
94
PURGATOIRE. CHANT IV
Alors lui moi : Si Castor et Pollux
taient en compagnie de ce miroir
qui en haut et en bas distribue sa lumire,
tu verrais le Zodiaque rougeoyant
tourner encore plus prs de l'Ourse
s'il ne sortait de son antique chemin.
Comment cela se peut, si tu veux le penser,
recueilli en toi, imagine Sion*
et ce mont, situs su la terre
de sorte que les deux ont mme horizon
et hmisphres opposs. La route alors
- que mal sut parcouir Phaton -
tu verras comment elle doit aller pour celui-ci
d'un ct et pour celui-l de l'autre,
si ton esprit est clair et attentif.
Certes, matre cher , dis-je, jamais
je n'ai vu aussi clairement comme je discerne,
- l o mon esprit paraissait impuissant -
que le cercle moyen du ciel le plus haut,
qu'on appelle quateu en certain art,
et qui toujous reste entre le soleil et l'hiver,
pour la raison que tu dis, d'ici s'loigne
vers septentrion, d'autant que les Hbreux
le voyaient vers la rgion chaude.
Mais, si tu veux bien, j 'aimerais savoir
combien nous avons marcher car le mont s'lve
plus haut que ne gravissent mes yeux.
Et lui moi : Cette montagne est telle
que toujous, commencer d'en bas, elle est rude,
mais plus on va vers le haut et moins on a de mal.
Partant quand elle te paratra si douce
qu'aller vers le haut te sera aussi lger
que par bateau suivre le couant,
alors tu seras au bout de ce sentier ;
attends d'tre l-haut pou dposer ta peine,
et plus ne te dis ; et cela le sais en vrit.
213
97
100
103
106
109
1 12
1 1 5
1 18
LA DIVINE COMDIE
Et lorsqu'il eut achev ses paroles
une voix proche s'entendit : Peut-tre
qu'avant tu auras dsir de t'asseoir !
Au son de cette voix chacun de nous se retourna
et nous vmes gauche une grande pierre
que ni lui ni moi n'avions vue d'abord.
L nous allmes et il y avait des personnes
qui se tenaient l'ombre derrire la pierre
comme par nonchalance on se pose.
Et l'un d'eux, qui me semblait las,
tait assis et embrassait ses genoux,
tenant son visage baiss entre eux.
0 mon doux seigneur , dis-je, regarde
celui-ci qui se montre plus ngligent
que si paresse tait sa sur.
Alors il s' adressa nous, attent,
glissant son regard le long de sa cuisse
et dit : V a, monte, toi qui es vaillant !
Je connus alors qui il tait et cette fatigue
qui me faisait encore un peu haleter
ne m'empcha d'aller lui ; et peine
fus-je arriv son ct qu'il souleva la tte un peu
disant : As-tu bien vu comment le soleil
mne son char du ct gauche ?
121 Ses gestes paresseux et ses brves paroles
me portrent un peu au rire,
puis je commenai : Belacqua je n'ai de peine*
124 pour toi dsormais, mais dis-moi, pourquoi assis
juste ici es-tu ? attends-tu une escorte
ou bien ta faon d'tre t'a-t-elle repris ?
127 Et lui : 0 frre, monter que me sert ?
car ne me laisserait aller aux soufrances
l'ange de Dieu qui se tient sur la porte.
130 Il faut d'abord que le ciel tourne, sur moi
dehors, autant qu'il fit durant ma vie,
parce que j 'ai retard la fin les bons soupirs,
214
133
136
139
PURGATOIRE. CHANT IV
si auparavant ne m' aide prire
qui jaillisse d'un cur qui en grce vive,
l'autre ne vaut qui au ciel n'est entendue.
Dj le pote me poussait devant lui
et disait : Viens ormais : vois, l, le mridien
est touch par le soleil, et au rivage
la nuit dj pose son pied sur le Maroc.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
216
Chant V
J'tais, dj, de ces ombres loign
et suivais les pas de mon guide
quand, derrire moi, dressant le doigt,
l'une cria : Vois que n'appara rayon
de lumire gauche de celui qui est plus bas,
et comme un vivant il para se conduire !
Je tournai les yeux au son de ces paroles
et les vis regarder, s'merveillant,
moi et encore moi et la lumire brise.
Pourquoi ton esprit tant se trouble ,
dit le matre, que tu ralentis ta marche ?
que te fait ce qu'on murmure ?
Viens derrire moi, laisse dire les gens,
tiens-toi comme solide tour qui ne branle
jamais sa cime, pour vent qui souffle ;
car toujours l'homme en qui pense surgeonne
sur pense, de soi loigne le but,
parce que l'lan de l'une amollit l'autre.
Que pouvais-je dire cela sinon Je viens ?
je le dis, couvert un peu de cette couleur
qui fait l 'homme de pardon parfois digne.
Et ce pendant, en travers de la cte,
venaient des gens un peu devant nous
chantant Mierere vers aprs vers.
Quand ils s'aperurent que je ne donnais lieu,
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT V
par mon corps, au passage des rayons
ils changrent leur chant en un Oh long et rauque,
et deux d'entre eux, en guise de messagers,
coururent notre rencontre et nous demandrent :
De votre condition instruisez-nous.
Et mon matre : Vous pouvez retourner
et rpter ceux qui vous ont envoys
que le corps de celui-ci est vraie chair.
Si, pour avoir vu son ombre, se sont arrts,
comme je le vois, ils ont pleine rponse :
qu'ils lui fassent honneur, il peut leur tre utile.
V a peurs enflammes jamais ne vis si vite,
en dbut de nuit, fendre ciel serein,
ni au soleil couchant nuages d'aot,
que en moins de temps ceux-ci ne remontrent,
et arrivs l, avec les autres, revinrent nous,
comme troupe qui court sans frein.
Les gens qui se pressent nous sont nombreux
et viennent te prier , dit le pote,
va donc, et tout en marchant coute.
0 me qui va pour tre heureuse,
avec ces membres que tu eus en naissant ,
criaient-ils en venant, ralentis un peu ton pas.
Regarde si l'un de nous tu vis jamais,
pour que de lui l-bas tu portes nouvelles :
ah ! pourquoi vas-tu ? pourquoi ne t'arrtes-tu ?
Nous fmes tous morts par violence,
et pcheurs jusqu' la dernire heure
quand lumire du ciel nous claira,
si bien que repentants et pardonnants hors
de vie nous sortmes pacis avec Dieu
qui du dsir de le voir nous angoisse.
Et moi : Bien qu'en vos visages je regarde,
je n'en reconnais aucun ; mais si vous plat
chose que je puisse, esprits bien ns,
217
LA DIVINE COMDIE
61 dites-le et moi je ferai, au nom de cette paix
qui, derrire les pas de tel guide,
de monde en monde, se fait chercher.
6 Et l'un commena : Chacun a confiance*
en ton bienfait sans que tu le jures,
pou que le vouloir impuissance ne coupe.
67 Aussi moi, qui seul avant les autres parle,
te prie, si jamais tu vois le pays
sis entre Romagne et celui de Charles,
70 que tu me sois courtois de tes prires,
Fano afin que pour moi bien l'on adore,
et que je puisse purger mes graves offenses.
73 De l je fus ; mais les profondes blessures
d'o sortit le sang en lequel je sigeais,
me furent faites au sein des Antenori,
76 l o je croyais tre plus en sret :
celui d' Este me les fit faire, qui m'avait en ire
beaucoup plus que justice ne voulait.
79 Mais si j 'avais fui vers la Mira*,
quand je fus rejoint Oriaco,
encore serais-je l o l'on respire.
82 Je courus au marais mais joncs et boue
m'empchrent tant que je tombai ; et l je vis
de mes veines se faire sur la terre un lac.
85 Puis un autre dit : Ah ! puisse ce dsir*
s'accomplir qui te tire en haut de la montagne ;
avec bonne piti aide mon propre dsir.
8 Je fus de Montefeltro, je suis Buonconte,
Giovanna ou d'autres n'ont de moi souci
ce pourquoi je vais parmi ceux-ci tte basse.
91 Et moi lui : Quelle violence ou quel hasard
t'entrana si loin de Campaldino
que jamais on ne connut ta spulture ?
94 Oh , reprit-il, au pied du Casentin
traverse une eau qui a nom l' Archiano
ne dans l'Apennin plus haut que l'Eremo.
218
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
PURGATOIRE. CHANT V
L o son nom se perd
j 'arrivai la gorge transperce
fuyant pied, ensanglantant la plaine.
L, je perdis la vue ; ma parole
s'teignit dans le nom de Marie, et l
je tombai, et resta ma chair seule.
Je dirai le vrai, et toi redis-le aux vivants :
l' ange de Dieu me prit et celui d'enfer
criait : "Oh ! toi du ciel, pourquoi m'en prives-tu ?
tu emportes de celui-ci l'ternel
pour une petite larme qui me le ravit,
mais, du reste, je ferai autre chose. "
Bien sais-tu comme dans l'air se recueille
l'humide vapeur qui se tourne en eau
ds qu'elle remonte o froid la saisit.
A mchant vouloir qui ne cherche que mal
joignant l'intelligence il agita la fume et le vent
par la vertu qu'il tient de sa nature.
Alors, quand le jour fut teint, la valle
de Pratomagno la Giogana il couvrit*
de brouillard, et le ciel au-dessus fut si dense
que l 'air regorgeant se convertit en eau.
La pluie tomba ; et dans les fosss arriva
tout ce que la terre ne put absorber
et quand elle s'unit aux grandes rivires,
si rapide, dans le fleuve royal,
se rua que rien ne la retint.
Mon corps glac, l 'imptueux Archiano
son embouchure le trouva et le poussa
dans l'Arno, et dnoua sur ma poitrine la croix
que, de moi, j' avais faite quand douleur me vainquit,
il me roula par les rives et les fonds,
puis de sa proie me couvrit et ceignit.
Ah quand tu seras retourn au monde*
et repos de ton long chemin ,
reprit le troisime esprit aprs le second,
219
133
136
LA DIVINE COMDIE
souviens-toi de moi qui suis la Pia :
Sienne me fit, me dfit Maremme,
le sait celui qui, avant, en r
'
pousant
m' avait pass l' anneau avec sa gemme.
Chant VI
1 Lorsque, fini le jeu de la zara,
celui qui perd reste, dolent,
rptant les coups, et tristement s'instruit,
4 avec l'autre s'en vont tous les gens ;
l'un va en avant, l'autre le saisit par-derrire,
u autre ct se fait connatre ;
7 lui ne s' arrte, celui-ci et celui-l coute,
u qui il tend la main plus ne le presse,
et ainsi de la cohue il se dfend.
10 Tel tais-je, dans cette foule dense,
tournant vers eux et l le visage,
et, tout en promettant, je me dgageai d'elle.
13 Ici tait l'Artin qui du bras sauvage*
de Ghino di Tacco reut la mort,
et l'autre qui se noya en courant la chasse*.
16 Ici priait, les mains tendues,
F ederigo N ovello, et celui de Pise*
qui fit apparatre dans sa force le bon Marzucco*.
19 Je vis Conte Orso et l'me spare*
du corps par haine et envie,
comme il disait, non par faute commise ;
22 Pier dalla Broccia, je dis ; et qu'elle remdie*,
alors qu'elle est en vie, la Dame de Brabant
afin qu'elle n' aille en pire troupeau.
25 Lorsque je fus libr de toutes ces ombres
221
LA DIVINE COMDIE
PURGATOIRE. CHANT VI
qui priaient que d'autres prient 61 Nous vnmes elle : me lombarde
pour qu'ainsi plus vite deviennent saintes,
comme tu restais l, altire et ddaigneuse,
28 je commenai : Il semble que tu me nies,
le regard errant digne et lent 1
ma lumire, en un certain texte,
6 Elle ne disait mot
que dcret du ciel oraison flchisse*,
mais nous laissait aller, regardant
31 et ces gens pourtant prient pour cela :
la manire d'un lion quand il repose.
leur esprance serait-elle vaine,
67 Seul Virgile s'approcha d'ele la priant
de nous indiquer la meilleure monte,
ou ai-je mal compris ton dire ?
et elle ne fit rponse sa demande,
34 Et lui moi : Mon crit est clair,
70 mais de notre pays, de notre vie
et l'esprance de ceux-ci n'est point fausse,
s'enquit. Et le doux guide commena :
si l'on regarde bien avec un esprit sain,
ManJva . . . et l'ombre, tout en soi replie*,
37 car cime de Jugement ne plie
73 se dressa vers lui du lieu o d' abord se tenait,
si feu d' amour accomplit en un instant
disant : W 0 Mantouan, je suis Sordel,
ce que doit satisfaire qui ici est plac ;
de ta cit. Et l'un et l'autre s'embrassaient.
40 et l o j 'ai fix ce point
76 Ah 1 serve Italie, auberge de douleur,
ne s'amendait faute, par prire,
nef sans nocher, en grande tempte,
parce que la prire tait de Dieu disjointe.
non souveraine de provinces, mais bordel 1
43 Vraiment, doute si ardu
79 Cette me noble fut si prompte,
ne t'arrte, si celle-l ne le dit*
au seul doux nom de sa cit,
qui sera lumire entre le vrai et l'intellect.
faire fte son concitoyen ;
4 Ne sais si tu m'entends, je dis de Batrice,
82 et maintenant en toi ne restent sans guerre
tu la verras, en haut, sur la cime
tes vivants, et l' un l'autre se dvorent,
de ce mont, rire et heureuse.
de ceux mme qu'un mur et un foss enserrent.
49 Et moi : Seigneur, allons plus vite,
85 Cherche, malheureuse, autour des rivages
car je ne me fatigue plus comme avant,
de tes mers, et puis regarde en ton sein,
et vois que dj le mont jette son ombre.
si quelque rgion en toi jouit de paix.
52 Nous irons en avant avec ce jour , 8 A quoi sert que rpart ton frein
rpondit-il, tant que nous le pourrons, Justinien, si la selle est vide* ?
mais la chose est d'aute faon que tu ne supposes. sans lui, la honte serait moindre.
55 Avant d'tre l-haut tu verras revenu 91 Ah 1 gent qui devrais tre fidle
celui que dj cache la montagne et laisser Csar se mettre en selle,
et dont tu ne brises plus les rayons. si bien tu entends ce que Dieu te dit,
58 Mais vois, l, une me l'cart, 94 regarde comme cette bte est devenue flonne
toute seulette, elle regarde vers nous, pour n'tre plus corrige par l'peron,
elle nous indiquera la voie la plus courte. depuis que tu as mis la main la bride.
222 223
97
100
103
106
109
1 12
1 1 5
1 18
121
124
127
130
224
LA DIVINE COMDIE
0 Albert l' Allemand qui abandonnes*
cette bte devenue indompte et sauvage
alors que tu devrais enfourcher ses arons,
qu'un juste jugement tombe des toiles
sur ton sang, et soit inou et clair,
tel que ton successeur en ait crainte.
Car vous avez souffert, toi et ton pre,
retenus l-bas par cupidit,
que le jardin de l' Empire soit dsert.
Viens voir Montecchi et Cappelletti*
Monaldi et Filippeschi, homme ngligent,
ceux-l dj abattus et ceux-ci dans la crainte !
Viens, cruel, viens et vois l'oppression
sur tes nobles, et panse leurs peines ;
et tu verras Santafiora comme elle est en sret*
Viens voir ta Rome qui pleure,
veuve et seule, et jour et nuit appelle :
Mon Csar, pourquoi n'es-tu avec moi ?
Viens voir les gens comme ils s' aiment,
et si de nous nulle piti t'meut,
que vergogne te prenne de ton renom.
Et s'il m'est permis, Jupiter suprme
qui pour nous fut crucifi sur terre,
tes justes yeux sont-ils ailleurs tourns ?
ou est-ce prparation que, dans l'abme
de ton conseil tu fais, pour quelque bien,
tout spar de notre entendement ?
car les villes d'Italie toutes pleines
sont de tyrans, et devient un Marcellus
tout vilain qui se fait partisan.
Ma Florence, bien peux-tu tre contente
de cette digression qui ne te touche,
grce ton peuple qui si bien argumente !
Beaucoup ont justice dans le cur, et tard dcoche
pour ne venir sans prudence l' arc :
mais ton peuple l'a fleur de lvre.
133
136
139
142
145
148
151
PURGATOIRE. CHANT VI
Beaucoup refusent les charges communes,
mais ton peuple empress rpond,
sans tre appel, et crie : Je m'en charge !
Rjouis-toi, tu en as bien motif
toi riche, toi paisible, toi intelligente !
Si je dis vrai, l'effet ne le cache point.
Athnes et Lacdmone qui firent
les lois antiques, et furent si polices,
firent pour le bien public peu de chose
auprs de toi qui fais de si subtiles
ordonnances, qu' la mi-novembre
n'arrive ce que d'octobre tu files.
Combien de fois depuis qu'on se souvient
lois, monnaie, office et coutume
as-tu changs, et renouvel les membres !
Et si bien te rappelles et vois clair,
tu te verras semblable cette malade
qui ne peut trouver repos sur la plume,
et en se retournant croit calmer sa douleur.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
226
Chant VII
Aprs que l'accueil courtois et joyeux
fut rpt trois ou quatre fois,
Sordel se retira et dit : Vous, qui tes-vous '
Avant qu' ce mont fussent diriges
les mes dignes de monter Dieu,
mes os furent ensevelis par Octavien ;
Je suis Virgile, et par nulle autre faute
perdis le ciel que pour n'avoir eu la foi ,
ainsi rpondit alors mon guide.
Tel est celui qui devant soi, soudain, voit
chose dont il s'merveille,
qui croit, ne croit pas, disant : C'est . . . ce n'est pas ,
tel parut celui-ci ; et puis baissa les yeux
et humblement revint lui et de ses bras
l'entoura, l o l'infrieur embrasse.
0 gloire des Latins, dit-il, par qui
fut montr de notre langue le pouvoir,
honneur ternel de ce lieu dont je fus,
quel mrite ou quelle grce moi te montre '
Si je suis digne d'entendre tes paroles,
dis-moi si tu viens d'enfer et de quel clotre.
Par tous les cercles du rgne douloureux ,
rpondit-il, je suis arriv ici :
vertu du ciel me mit en route et m'accompagne.
Non pour faire, mais pour non faire, j 'ai perdu
28
31
34
37
4
43
4
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT VIl
de voir le haut soleil que tu dsires
et qui fut tard par moi connu.
Lieu est en bas, non attrist de martyres
mais de tnbres seulement, o les plaintes
ne rsonnent comme cris mais en soupirs.
L je suis avec les enfants innocents,
mordus par les dents de la mort avant
d'tre de la faute humaine lavs ;
l je suis avec ceux qui ne revtirent
les trois saintes vertus et, sans vice*,
connurent les autres et les suivirent toutes*.
Mais, si tu sais et peux, indique-nous
comment nous pouvons plus vite arriver
l o Pugatoire commence vraiment.
Il rpondit : Lieu fixe ne nous est assign,
il m'est permis d'aller en haut et alentour ;
tant que je puis aller je t'accompagne et te guide.
Mais vois comme dj dcline le jour,
et aller vers le haut de nuit ne se peut ;
mais il est bon de penser quelque beau sjour.
Des mes sont l, droite, l'cart,
si tu consens, je te mnerai elles
et non sans plaisir tu les connatras.
Comment cela , lui fut-il rpondu, qui voudrait
monter de nuit en serait empch,
par d'autres ou parce que lui-mme ne pourrait '
Et le bon Sordel, par terre, frotta le doigt
disant : Mme cette ligne tu ne franchirais
aprs le dpart du soleil,
non pourtant qu'autre chose t'empcht
de monter, que la tnbre nocturne :
elle lie la volont au non-pouvoir.
On pourrait bien avec elle retourner vers le bas,
et parcourir la cte en errant alentour,
tandis que l'horizon tient le jour enferm.
227
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
228
LA DIVINE COMDIE
Alors, mon seigneu, comme merveill,
Mne-nous donc , dit-il, l o tu dis
qu'on peut avoir plaisir demeuer.
Nous n'tions pas trs loigns de l
quand je m'aperus que le mont tait creus,
de la faon que des vallons se creusent chez nous.
L nous irons , dit cette ombre,
o la cte fait de soi une gorge
et nous y attendrons le jou nouveau.
Entre pente et plan tait un sentier tortueux
qui nous conduisit au flanc de la cte,
l o plus qu' moiti meurt le rebord.
Or et argent fin, poupre et cruse,
indigo, bois poli et brillant,
frache meraude qui vient d' tre brise,
parmi l'herbe et les fleus de ce vallon
poss, seraient chacun, en couleu, vaincu
comme par le plus grand est vaincu le moindre.
Non seulement natue ici avait peint,
mais de mille odeus suaves
en faisait une l inconnue et fondue.
Salve Regna, su l'herbe et su les fleus,
assises en chantant, je vis ensuite des mes,
qui n'taient visibles hors de la valle.
Avant que le peu de soleil qui reste ne se couche ,
commena le Mantouan qui nous avait mens,
ne veuillez que parmi eux je vous guide,
de ce rebord mieux connatrez-vous
gestes et visages de tous et tous,
que dans le bas du vallon accueillis par eux.
Celui qui plus haut est assis et semble bien
avoir nglig ce qu'il devait faire,
et qui n'ouvre la bouche au chant des autres,
Rodophe empereu fut, qui pouvait*
gurir les plaies dont est morte Italie,
de sorte que tard par un autre est soigne.
97
lO
103
106
109
1 12
1 1 5
1 18
121
124
127
130
PURGATOIRE. CHANT VII
L'autre qu'on voit le conforter*
rgit la terre o nat l'eau
que Moldau en Elbe, et Elbe en mer emporte.
Ottokar eut nom, et dans les langes,
fut bien meilleu que Venceslas son fils
barbu, qui se repat en paresse et luxue.
Et ce Petit-Nez qui en troit conseil*
est avec celui qui a si doux aspect,
mouut en fuyant et dflorant le lis ;
regardez comme il se bat la poitrine !
L' autre, voyez, qui en soupirant
a fait de sa main un lit sa joue.
Pre et beau-pre sont du mal de France,
ils savent sa vie abjecte et corrompue,
de l vient le deuil qui les point.
Celui qu'on voit si membru et qui s' accorde*
en chantant avec celui au nez mle,
de toute valeu porta ceinte la corde ;
et si roi sa suite tait rest
l'adolescent assis derrire lui*,
bien passait la valeu de vase en vase,
ce qu'on ne peut dire des autres hritiers :
Jacques et Frdric ont les royaumes
mais de l' hoirie du pre, aucun n' a le meilleu.
Rares fois resugit par les branches
l'humaine probit et cela le veut
Celui qui la donne, pou qu'on la lui demande.
A l'homme au grand nez vont aussi mes paroles,
non moins qu' l' autre Pierre qui avec lui chante,
dont Pouille et Provence dj s'affligent ;
tant est moindre que sa semence la plante
que, plus que Batrice et Marguerite*,
Constance de son mari encore se vante.
Voyez le roi la vie simple*,
assis l seul, Henri d' Angleterre,
lui, dans ses rameaux a meilleue issue.
229
133
136
LA DIVINE COMDIE
Celui qui plus bas que les autres s' assied terre,
les yeux levs, est le marquis Guiglielmo*
par qui Alessandria et sa guerre
font pleurer Monferrato et Canavese.
Chant VIII
1 C'tait dj l'heure qui tourne le dsir
des navigants, attendrissant leur cur
le jour qu'ils ont dit aux doux amis adieu,
4 et qui point d'amour le plerin novice
s'il entend au loin une cloche
qui semble pleurer le jour qui meurt,
7 quand je commenai rendre vain l'ou
en regardant une des mes debout
qui, de la main, appelait l' attention.
10 Elle joignit et leva les deux paumes
fixant les yeux du ct de l'Orient,
comme si elle disait Dieu : D'Autre n'ai cure.
13 Te luci ante, si dvotement sortit
de ses lvres, et en sons si doux,
que moi, de moi-mme, me fit sortir ;
16 les autres alors, douces et dvotes,
la suivirent par l'hymne tout entier,
les yeux levs vers les clestes roues.
19 Aiguise ici, lecteur, tes yeux au vrai,
car le voile est maintenant si subtil
que passer au tavers est certes facile.
22 Je vis alors cette noble troupe,
en silence regarder vers le haut,
|
comme attendant, humble et ple,
25 et je vis sortir de la hauteur et descendre
231
LA DIVINE COMDIE
PURGATOIRE. CHANT VIII
deux anges avec deux pes de feu,
61 A peine fut ma rponse entendue,
tronques et prives de leur pointe.
Sordello et eux, en arrire se tirrent,
28 Vertes comme tendres feuilles jeunettes
comme gent soudain trouble.
taient leurs robes qui flottaient au vent
6 L'un Virgile se tourna, l' autre un,
en arrire, frappes par les vertes ailes ;
assis l, en criant : Sus Currado* :
31 l'un, peu au-dessus de nous, vint s'arrter
viens voir ce que Dieu par grce a voulu.
67 Puis, tourn vers moi : Par cette gratitude
et l'autre descendit du ct oppos,
que tu dois Celui qui cache si hien
de sorte que les gens au milieu se trouvaient.
son intention premire, qu'il n'y est accs,
34 Bien discernais-je en eux la tte blonde,
70 quand tu seras au-del des grandes ondes,
mais sur le visage mon regard s'garait,
dis ma Giovanna que pour moi elle implore*
comme force que tel excs confond.
l o aux innocents on rpond.
37 Tous deux viennent du giron de Marie ,
73 Je crois que sa mre plus ne m' aime
dit Sordello, pour garder la valle
depuis qu'elle a quitt ses blancs bandeaux
cause du serpent qui tt viendra ;
qu'il lui faut encore, malheureuse, dsirer.
40 et moi, ne sachant par quelle voie,
76 Par elle on comprend facilement
regardai alentour, troitement serr,
combien en femme feu d'amour dure,
tout glac, aux paules fidles.
si l'il ou le toucher souvent ne l' allume.
43 Et Sordello encore : Descendons dsormais
79 Ne lui fera si belle spulture
parmi les grandes ombres ; parlerons avec elles ;
la vipre en champ du Milanais*,
grand plaisir auront de vous voir.
comme aurait fait le coq de Gallura.
4 De trois pas, je crois, je descendis
82 Ainsi disait-il, marqu de l'empreinte
et fus en bas, et je vis un qui me fixait,
en son aspect, de ce droit amour,
moi, comme s'il voulait me connatre.
qui avec mesure au cur brle.
49 C'tait le temps que dj l'air noircissait 85 Mes yeux avides allaient vers le ciel,
mais non tant qu'entre ses yeux et les miens l o les toiles brillent plus tard,
ne se manestt ce qui avant tait cach. comme une roue plus proche de l'essieu.
52 V ers moi il vint et moi vers lui je vins : 8 Et mon guide : Fils, que regardes l-haut ?
gentil juge Nino*, combien me plut Et moi lui : Ces trois flambeaux
de voir que tu n'tais parmi les damns ! dont tout le ple de ce ct est embras.
55 Nul beau salut entre nous ne manqua, 91 D'o lui moi : Les quatre toiles claires
puis il demanda : Quand donc es-tu venu que tu vis ce matin sont l, plus bas,
au pied du mont par les lointaines eaux ? et celles-ci sont montes o taient celles-l.
58 Oh , lui dis-je, travers les lieux tristes,
94 Comme il parlait, Sordello soi le tira
ce matin je vins, et je suis en vie premire, disant : Vois, l, notre adversaire ,
hien que l' autre, ainsi allant, j 'acquire .
et il leva le doigt pour que l regardt.
232 233
97
100
103
106
109
112
1 1 5
1 18
121
124
127
130
234
LA DIVINE COMDIE
De la partie o n' a rempart
l'troite valle, venait une couleuvre,
celle, peut-tre, qui donna

ve le fruit amer.
Parmi l'herbe et les fleurs elle rampait, immonde,
tournant parfois la tte, et se lchant
le dos, comme bte qui se lisse.
Je ne vis, et partant ne puis dire,
comment se murent les clestes autours,
mais bien vis-je l'un et l' autre en mouvement.
Au bruit des grandes ailes fendant l'air,
le serpent s'enfuit ; et les anges retournrent
en haut, d'un vol gal, leurs postes.
L'ombre qui s'tait du juge approche,
quand il l' appela, durant tout cet assaut
point ne dtacha de moi son regard.
Puisse la lumire qui te mne en haut
trouver en ton arbitre tant de cire
qu'il en faut jusqu'au sommet fleuri ,
commena-t-elle, si nouvelle vraie
de V al di Magra ou partie voisine
tu sais, dis-le moi, moi qui l tais grand.
Je fus appel Currado Malaspina* ;
je ne suis pas l' ancien, mais de lui descendis :
aux miens je portai l'amour qui, ici, s' affine .
Oh , lui dise, par vos pays
jamais ne fus ; mais o donc,
par toute l' Europe, ne sont-ils connus ?
La renomme dont s'honore votre maison
exalte les seigneurs, exalte la contre,
et ainsi la connait qui encore n'y fut.
Et je vous jure - puiss-je en haut aller !
que votre famille honore en rien n'a perdu
valeur de la bourse et de l'pe.
Usage et nature tant la privilgient
que, si le chef coupable dvoie le monde,
seule elle va droit et mprise la male voie.
133
136
139
PURGATOIRE. CHANT VIII
Et lui : Ores va, le soleil ne se couchera
sept fois dans le lit que le Blier
de ses quatre pattes couvre et enfourche,
que cette opinion courtoise
te sera cloue au milieu de la tte,
de clous plus forts que les discours d' autrui,
si ne s'arrte le cours du jugement.
Chant IX
1 La concubine de l'antique Ti thon*
dj blanchoyait au balcon d' Orient
hors des bras de son doux ami ;
4 de gemmes tait luisant son front,
places en figure de ce froid animal
qui de sa queue frappe les gens ;
7 et la nuit, des pas dont elle monte
en avait fait deux au lieu o nous tions
et le troisime dj baissait l'aile ;
10 lorsque moi, qui portais le poids d'Adam,
vaincu par le sommeil r 'inclinais sur l'herbe,
l o nous tions tous les cinq assis.
13 A l'heure o l'hirondelle commence ses tristes
lais aux approches du matin,
peut-tre au souvenir de ses premiers malheurs,
16 et que notre esprit plus dtach
du corps et moins pris de soucis,
dans ses visions est presque devin,
19 en songe, me paraissait voir, suspendu
dans le ciel, un aigle aux plumes d'or,
les ailes ouvertes en mouvement de descente ;
22 et il me semblait tre au lieu o furent
abandonns les siens par Ganymde,
lorsqu'il fut ravi au suprme consistoire.
25 En moi-mme je pensais : Peut-tre qu'il chasse
236
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
5
PURGATOIRE. CHANT IX
ici par habitude, et peut-tre ddaigne-t-il
emporter d'ailleurs quelque proie en ses grfes.
Puis me semblait que, ayant un peu tournoy,
terrible comme foudre, il descendait
et m'emportait en haut jusqu'au feu.
L, il me semblait que lui et moi brlions,
et tant l'incendie imagin me brla,
qu'il fallut bien que le sommeil se brist.
Non autrement Achille se rveilla*,
promenant ses yeux ouverts alentour
et ne sachant en quel lieu il tait,
quand sa mre, de Chiron, le transporta
endormi entre ses bras, Scyros,
d'o ensuite les Grecs l 'emmenrent,
que je r
'
veillai, et comme de mon visage
s'enfuit le sommeil, je devins blme
tel un homme que l'pouvante glace.
A mon ct, seul, tait mon confort
et le soleil tait haut de deux heures,
et ma face tait tourne vers la mer.
N'aie crainte , dit mon Seigneur,
rassure-toi, nous sommes bon point :
ne contrains pas mais dilate ta vigueur.
Tu es dsormais arriv au Purgatoire,
vois la falaise qui le clt tout autour,
vois, l o elle parat disjointe, l'entre.
Il y a peu, dans l'aube qui prcde le jour,
quand ton me en toi dormait
sur les fleurs qui ornent le vallon,
vint une dame et dit : "Je suis Lucie,
laisse-moi prendre celui-ci qui dort,
ainsi rendrai-je plus facile sa route. "
Sordel resta avec les autres nobles mes ;
elle te prit, et quand le jour fut clair,
elle s'en vint en haut, et je suivis ses traces.
237
LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT IX
61 Ici te posa ; mais d' abord ses beaux yeux
97 La seconde tait, d' une teinte plus que perse,
me montrrent cette entre ouverte ; faite d'une pierre rude et calcine,
puis elle, et le sommeil, s'en allrent. crevasse en long et en travers.
6 Tel un qui du doute se raffermit
100 La troisime, qui pose sur elles sa masse,
et qui change en confort sa peur m'apparaissait porphyre aussi vermeil
quand la vrit lui est dcouverte, que sang qui jaillit d'une veine.
67 je me transformai ; et, comme sans inquitude
103 Sur celle-ci, posait ses deux pieds
me vit mon guide, sur le rocher se mit l' ange de Dieu, assis sur le seuil
en marche et moi derrire vers la hauteur. qui me semblait pierre de diamant.
70 Lecteur, tu vois hien comment j 'lve
106 En haut des trois marches, de hon vouloir
ma matire et donc ne t'tonne m'entrana mon guide disant : Demande
si avec plus d'art je la rehausse. humblement qu'il ouvre la serrure.
73 Nous approchmes et tions en un point
109 Dvotement me jetai aux pieds saints,
d'o, l'endroit qui avant me semblait bris par misricorde demandai qu'il m'ouvrt,
tout comme une fente qui spare un mur, mais avant, trois fois me frappai la poitrine.
76 je vis une porte et trois marches au-dessous 1 1 2 Sept P sur mon front il traa
pour y monter, de couleurs dfrentes, avec la pointe de l'pe et : Il faut que tu laves
et un portier qui encore se taisait. quand tu es dedans ces plaies , dit-il.
79 Et comme mes yeux de plus en plus j 'ouvris, 1 1 5 Cendre ou terre que 1 'on tire dessche
je le vis assis sur la plus haute marche, tait la couleur de son vtement ;
tel en son visage que mon regard ne le souffrit ; d'en dessous il prit deux clefs.
82 et il avait en main une pe nue 1 18 L'une tait d'or et l' autre tait d' argent,
qui refltait la lumire vers nous tant d' abord avec la blanche, ensuite avec la jaune
qu'en vain souvent j 'y dirigeai les yeux. il fit tant la porte, que je fus content.
85 Dites, vous, l, que voulez-vous ? 121 S'il arrive qu'une de ces clefs choue,
commena-t-il dire, o est votre escorte ? qu'elle ne tourne pas droit dans la serrure ,
prenez garde que monter ne vous nuise ! nous dit-il, cette porte ne s'ouvre.
88 Dame du ciel, experte en ces choses
124 Plus prcieuse est l'une, mais l'autre
lui rpondit mon matre, il y a peu, demande plus d'art et de savoir avant d'ouvrir,
nous a dit : "Allez de ce ct, l est la porte". car c' est elle qui dlie le nud.
91 Et qu'elle dirige vos pas vers le hien ,
127 De Pierre je les tiens, et il me dit d' errer
recommena ce portier courtois, plutt en l'ouvrant qu'en la tenant ferme,
venez donc nos marches, approchez . pou qu' mes pieds l'on se prosterne.
94 L nous vmes, la premire marche
130 Puis il poussa le battant du portail sacr
tait de marbre blanc si lisse et pur
disant : Entrez, mais hien je vous avise
que je m'y refltais tel que je suis. que hors s'en retourne qui regarde en arrire.
238
239
133
136
139
142
145
LA DIVINE COMDIE
Et lorsqu' cette porte sacre
dans les gonds se tordirent les pivots
qui, de mtal, sont sonnants et forts,
ne rugit tant, ni tant se montra dure,
Tarpeia quand lui fut enlev le bon
Metellus, pour quoi ensuite resta maigre*.
Je me tournai attentif au premier tonnerre
et Te Deum laudamus me semblait entendre
en voix mles un son doux.
Telle impression au juste me donnait
ce que j 'entendais, comme celle qu'on reoit,
quand on vient chanter avec l'orgue,
et ores si ores non s'entendent les paroles.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant X
Quand nous emes pass le seuil de la porte
dont perd l'usage le mal amour des mes
qui fait paratre droite la voie torse,
au bruit je l'entendis tre referme,
et si j 'avais tourn les yeux vers elle
quelle digne excuse eut t ma faute ?
Nous montions le long d'une pierre brise
qui se mouvait d'un ct et de l' autre,
comme la vague qui fuit et approche.
Ici il faut user un peu d' adresse ,
commena mon guide, et ctoyer
ores ici, ores l, le ct qui s'carte.
Et cela rendit nos pas si lents
que la lune descendante
rejoignit son lit pour se recoucher
avant que nous fussions hors de ce chas,
mais quand nous fmes libres et au large
en haut o le mont en arrire se rassemble
moi fatigu et nous deux incertains
de notre route, nous restmes sur un plan
plus solitaire que chemin pour ermitage.
De son bord qui longe le vide
au pied du haut rocher qui se dresse
il mesurerait trois fois un corps d'homme,
et aussi loin que pouvait voler mon regard
241
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
242
LA DIVINE COMDIE
tantt gauche et tantt droite,
cette corniche r
'
apparaissait gale.
L-haut n'avions pas fait encore un pas
quand je connus que cette paroi autour
qui, droite, ne se laissait gravir,
tait de marbre blanc et orne
de reliefs tels que non seulement Polyclte
mais la nature, l, s'avouerait vaincue.
L' ange qui vint sur terre avec le dcret*
de la paix, si longtemps implore,
qui ouvrit le ciel aprs long interdit,
devant nous apparaissait si vrai,
taill ici en un geste trs doux,
qu'il ne semblait pas image qui se tait.
On aurait jur qu'il disait Ave ,
car l dj tait reprsente celle
qui pour ouvrir le haut amour tourna la clef ;
elle avait en son geste imprime cette parole :
Ecce ancill Dei # aussi exactement
qu'une figure dans la cire s'empreint.
Ne retiens en un seul lieu ta pense ,
dit mon doux maitre qui me tenait
son ct l o les gens ont le cur,
alors je tournai mon regard et je vis,
derrire Marie, l
o tait celui qui me guidait,
une autre histoire, dans la roche, taille,
dpassant alors Virgile je me fis proche
afin qu'elle ft mes yeux dispose.

tait sculpt l, dans le marbre mme*,


le char et les bufs tirant l' arche sainte,
par qui l'on craint un office non confi.
Devant apparaissait une foule ; et tout entire
rpartie en sept chus deu de mes sens
faisait dire l'un non , l'autre si elle chante .
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
PURGATOIRE. CHANT X
Semblablement, devant la fume de 1 'encens
qui y tait reprsente, les yeux et le nez
pour le oui et le non taient en dsaccord.
L prcdait le coffre sacr
en dansant et sautant l'humble psalmiste,
et plus et moins que roi il tait ce faisant*.
En face, reprsente la fentre
d'un grand palais, Micol, ddaigneuse,
s'tonnait comme femme dpite.
De l'endroit o je me trouvais j 'avanai
pour regarder de prs une autre histoire
qui, derrire Micol, dployait sa blancheur.
L tait historie la haute gloire*
du prince romain dont la valeu
porta Grgoire sa grande victoire,
je parle de Trajan l'empereur,
et une humble veuve tait son frein
en attitude de pleurs et de douleur.
Autour de lui, en masse, foulaient le sol
les cavaliers, et les aigles dans l'or
sur eux, paraissaient au vent se mouvoir.
La pauvrette, parmi tous ces gens-l
paraissait dire : Seigneur fais-moi justice
pour mon fils qui est mort, dont j 'ai grand deuil.
Et lui elle rpondre : Aie patience
le temps que je revienne , et elle : Mon Seigneur ,
comme une personne presse par la douleur,
si tu ne reviens pas ? Et lui : Qui sera ma place
te la fera , et elle : Le bien fait par un autre
qu'est-il pour toi si tu oublies le tien ?
Lui alors : Prends confiance, il convient
que je fasse mon devoir avant de partir,
justice le veut et piti me retient.
Celui qui jamais ne vit chose nouvelle
produisit ce visible parler
nouveau pour nous, car ici ne se trouve.
243
97
100
103
106
109
1 12
1 1 5
1 18
121
124
127
130
24
LA DIVINE COMDIE
Tandis que je prenais plaisir regarder
les images de tant d'humilits,
et, pour leur auteur, si chres voir,
Voici l, mais ils viennent pas lents ,
murmurait le pote, beaucoup de gens,
ceux-ci nous enverront aux degrs qui montent.
Mes yeux qui regarder se plaisaient
pour voir les nouveauts dont ils ont dsir,
se tourner vers lui ne furent lents.
Je ne veux pourtant, lecteur, que tu renonces
au bon propos, pour avoir entendu
comment Dieu veut que se paie la dette.
Ne t'arrte la forme du martyre,
pense ce qui suit, pense qu'au pire
outre la grande sentence il ne peut durer.
Je commenai : Matre, ce que je vois
venir nous ne ressemble des personnes
et je ne sais quoi, tant ma vue s'gare.
Et lui moi : La dure condition
de leur tourment terre les ploie
si bien que mes yeux d'abord hsitrent.
Mais regarde bien l et dbrouille
du regard ce qui est sous ces pierres :
dj tu peux apercevoir comme chacun se frappe.
0 chrtiens orgueilleux, pauvres malheureux,
qui, de la vue de l'esprit infirmes,
mettez votre confiance en vos pas qui reculent.
Ne voyez-vous donc pas que nous sommes des vers
ns pour former l'anglique papillon
qui vole la justice sans obstacle ?
De quoi gonfle votre me flotte-t-elle,
alors que vous tes comme insecte inachev
tel un ver en sa formation avort ?
Comme pour soutenir plafond ou toit,
on voit parfois en guise de console
une figue joindre les genoux la poitrine,
133
136
139
PURGATOIRE. CHANT X
laquelle fait natre, en qui la voit,
du non-vrai vraie peine, ainsi faits
vis-je ces gens quand j 'y fus attent.
Le vrai est que plus ou moins taient contracts
selon le plus ou moins qu'ils portaient sur le dos,
et tel qui plus de patience montrait en son maintien
en pleurant semblait dire : Je n'en puis plus.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
246
Chant XI
0 notre Pre, qui es dans les cieux
non circonscrit, mais parce que plus d'amour
tu as pour ce qu'en premier l-haut tu fis,
lou soit ton nom et ta valeur
par toute crature, comme il est digne
de rendre grce ta douce vapeur.
Que vienne nous la paix de ton rgne
car de nous-mmes elle ne pouvons aller,
malgr notre savoir, si elle ne vient.
Comme, de leur propre vouloir, tes anges
toi font sacrifice en chantant osanna,
qu'ainsi, du leur, fassent les hommes.
Donne-nous aujourd'hui la manne quotidienne
sans laquelle, dans cet pre dsert,
en arrire va celui qui plus se hte d'aller,
et comme le mal que nous avons souffert
nous le pardonnons chacun, toi pardonne
bnignement sans regarder notre mrite.
Notre vertu, qui facilement cde,
ne la mets l'preuve de l'antique adversaire,
mais libre-la de lui qui tant l'prouve.
Cette dernire prire, seigneur bien-aim,
n'est pas faite pour nous qui n'en avons besoin
mais pour ceux qui aprs nous sont rests.
Ainsi, pour elles et pour nous priant bon
28
31
34
37
4
43
4
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT XI
souhait, ces ombres allaient sous leur fardeau,
tel celui qu'on voit parfois en songe,
diversement angoisses et lasses
toutes le long de la premire corniche
se purifiant des fumes du monde.
Si l toujours notre bien l'on demande,
ici-bas, que dire et faire pour eux peuvent
ceux qui ont au vouloir bonne racine ?
Bien doit-on les aider laver les taches
que l elles apportrent, et que pures et lgres
elles puissent monter aux cercles toils.
Ah ! que justice et piti vous dchargent
bientt et que vous puissiez agiter l' aile
qui selon votre dsir vous enlvera !
Montrez-nous de quel ct vers les degrs
on va au plus court ; et, s'il est plus d'un passage,
dites-nous celui dont la pente est moins raide,
car celui qui vient avec moi, par le poids
de la chair d' Adam qui le revt,
pour monter, contre sa volont, est lent.
Leurs paroles, qui rpondirent celles
qu'avait dites celui que je suivais,
point ne manifestrent de qui elles venaient :
mais il fut dit : A main droite, sur la corniche
venez avec nous, et trouverez le passage
possible gravir pour personne vivante.
Et si je n'tais empch par la pierre
qui dompte ma nuque raide
et m'oblige porter le visage baiss,
celui-ci qui vit encore et qu'on ne nomme
je regarderais pour voir si je le connais,
et le rendre pitoyable cette somme.
Je fus latin et n d'un grand toscan
Guiglielmo Aldobrandesco fut mon pre,
je ne sais si son nom est venu jusqu' vous.
247
LA DIVINE COMDIE
PURGATOIRE. CHANT XI
61 L'antique noblesse et les gestes chevaleresques
97 Ainsi fut enleve l'un par l'autre Guido*
de mes anctres me firent si arrogant
la gloire de la langue ; et peut-tre est n
que, ne pensant notre commune mre,
qui l'un et l'autre chassera du nid.
6 j 'eus tout homme en mpris si fort
lO La rumeur du monde n'est qu'un souffle
que j 'en mourus : comment, les Siennois le savent
de vent qui vient ores d'ici, ores de l,
et le sait tout enfant Campagnatico.
et change de nom en changeant de ct.
67 Je suis Umberto ; et ce n' est moi seul*
103 Auras-tu plus grand renom si tu quittes
que superbe fit dam, car tous mes proches
vieillie ta chair, que si tu tais mort
a tirs avec elle dans le malheur.
parlant encore le langage enfantin,
70 Et ici il convient que ce fardeau je porte
106 avant que passent mille annes, ce qui est espace
pour elle, tant qu' Dieu je satisfasse,
plus court l'ternel, qu'un clin de cil
ne l'ayant fait parmi les vivants, ici parmi les morts.
au cercle qui le plus lent tourne dans le ciel.
73 En coutant je baissai le visage
109 Celui qui au chemin est si lent devant moi,
et l'un d'eux, non celui qui parlait,
rsonna en toute la Toscane
se tordit sous le poids qui les encombre,
et maintenant peine on en chuchote Sienne
76 et me vit et me reconnut et r
'
appela
l l 2 dont il tait seigneur quand fut dtruite
tenant les yeux pniblement fixs
la rage florentine qui superbe fut
sur moi qui tout pench allais ct d' eux.
en ce temps comme aujourd'hui est pute.
79 Oh , lui dis-je, n'es-tu pas Oderisi*,
l i S Votre renomme est couleur d'herbe
l'honneur d' Agobbio et l'honneur de cet art
qui vient et va, et la dcolore celui
qu'enluminer se nomme Paris ?
qui la fait sortir verte de la terre.
82 Frre , dit-il, plus rient les parchemins
l l8 Et moi lui : Ton vrai dire m'encourage
sous les pinceaux de Franco de Bologne*,
bonne humilit et tu me vides grande tumeur :
ores tout sien est l'honneur et mien en partie.
mais qui est celui dont tu viens de parler ?
85 Certes je n'aurais pas t aussi courtois,
121 Celui-ci , dit-il, est Provenzano Salvani*,
du temps o je vcus, par le grand dsir
et il est ici parce qu'il fut prsomptueux
de l'excellence, o s' attacha mon cur.
en voulant rduire Sienne toute entre ses mains.
8 De tel orgueil on porte ici la peine
124 Il a march ainsi et marche sans repos
et encore ne serais-je ici si ce n' tait
depuis qu'il mourut : telle monnaie rend
que, pouvant pcher, Dieu me tournai.
pour s'acquitter qui l-bas trop osa.
91 0 vaine gloire du pouvoir humain !
127 Et moi : Si l'esprit qui attend
combien peu le vert sa cime dure,
avant le repentir la lisire de la vie
si ne survient un ge plus grossier !
plus bas demeure, et ici ne monte
94 Cimabue crut dans la peinture tre matre*
130 si bonne oraison ne l'aide
du champ, et ores Giotto a la gloire*,
avant que passe tout l e temps qu'il vcut,
si bien que le renom de l'autre est obscurci.
comment sa venue lui fut-elle octroye ?
24
249
133
136
139
142
LA DIVINE COMDIE
Quand il vivait plus glorieux Pq dit-il,
librement, sur la place de Sienne,
ayant dpos toute honte, il se fixa ;
et l, pour sortir son ami de la peine*
qu'il supportait dans la prison de Charles,
se contraignit trembler de toutes ses veines.
Plus ne dirai et je sais mon langage obscur,
mais peu de temps passera que tes voisins
feront tant que tu pourras l'clairer.
Cette action lui ouvrit note frontire. P
Chant XII
1 De pair, comme bufs vont sous le joug,
j 'allais avec cette me charge
tant que le souffrit mon doux pdagogue ;
4 mais quand il dit : Laisse-le et passe
car ici il est bon, avec la voile et avec les rames,
que chacun, autant qu'il peut, pousse sa barque.
7 Droit, comme il convient d'aller, je me refis
de ma personne, bien que mes penses
restassent penches et vides.
10 Je marchais et volontiers suivais
les pas de mon matre, et tous les deux
dj montrions comme nous tions lgers,
13 et i l me dit : Tourne tes yeux en bas,
bon te sera, pour assurer ta route,
voir le lit o tu poses tes pieds.
16 Comme, pour que d' eux le souvenir demeure,
sur les morts, les dalles des tombeaux
portent grav ce qu'ils taient avant,
19 et maintes fois l on pleure
par l' aiguillon de la remembrance
qui sollicite seuls les tres de bont,
22 ainsi vis-je l, mais de meilleure semblance
quant l' art, orn de figures
tout le chemin qui hors du mont s' avance.
25 Je voyais d'un ct celui qui fut cr*
251
LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XII
noble plus qu' autre crature, 61 Je voyais Troie en cendres et en cavernes,
du ciel tomber foudroy.
Ilion, comme basse et vile
28 Je voyais Briare, frapp par le trait
te montrait l'image que l on discerne !
cleste, tendu de l'autre ct,
6 Qui donc, matre du pinceau ou du stylet,
pesant sur la terre de son froid mortel.
aurait pu tracer les ombres et les traits qui l
31 Je voyais Thymbre, je voyais Pallas et Mars*,
feraient merveiller tout esprit subtil ?
arms encore autour de leur pre,
67 Morts les morts et les vivants paraissaient vivants ;
qui vit le vrai ne vit pas mieux que moi
regarder les membres pars des gants.
tout ce que je foulai tant que j 'allais pench.
34 Je voyais Nemrod, au pied du grand ouvrage,
70 Ores enflez-vous d'orgueil et passez, visage altier,
comme gar, et regarder les gens
fils d'

ve, et ne baissez le front,


qui en Sennaar furent superbes avec lui.
car vous verriez votre mauvais sentier.
37 0 Niob, avec tes yeux dolents,
73 Plus tait dj le mont tourn par nous,
je te voyais figure sur le chemin
et de la course du soleil bien plus parcouru,
entre tes sept et sept enfants teints.
que ne l'estimait mon esprit retenu,
40 0 Sal, comme ici tu paraissais,
76 quand celui qui toujours en avant allait,
par ta propre pe mort Gelbo
attentif, commena : Lve la tte,
qui plus ne connut pluie ni rose.
ce n'est plus le moment d'aller si absorb.
43 0 folle Arachn, je te voyais l*
79 Vois l un ange qui s'apprte
dj mi-araigne, triste sur les lambeaux
venir vers nous ; vois que revient
de l'ouvrage qui mal par toi se fit.
de servir le jour la sixime servante.
4 0 Roboam, elle n'apparat menaante*
82 De rvrence orne ton visage et tes gestes
ici ton image ; mais pleine d'pouvante
afin qu'il lui plaise de nous diriger vers le haut ;
l'emporte un char, sans que d'autres le chassent.
pense que ce jour plus ne reviendra.
49 Montrait encore le dur pavement
85 J'tais si bien habitu son conseil
comme Alcmon sa mre fit paratre*
de ne perdre temps, qu'en cette
trs cher le funeste ornement.
matire son parler ne pouvait tre obscur.
52 Montrait comment ses fils se jetrent
8 A nous venait la belle crature,
contre Sennacherib dans le temple* vtue de blanc, et son visage tel
et comment, mort, l le laissrent. qu'apparat trmulante l'toile du matin.
55 Montrait la ruine et la cruelle vengeance 91 Les bras ouvrit et puis ouvrit les ailes,
de Thamyris quand elle dit Cyrus* : et dit : V enez : ici tout prs sont les marches,
Tu eus soif de sang et de sang je t'emplis. et facilement dsormais l'on monte.
58 Montrait comme en droute s' enfuirent 94 A cet appel rares ceux qui viennent :
les Assyriens aprs la mort d'Holopherne* race humaine, ne pour voler haut
et aussi les restes de son martyre. pourquoi tombes-tu pour un souffle de vent ?
252 253
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
25
LA DIVINE COMDIE
Il nous mena o la roche tait fendue,
l me battit l' aile sur le front
puis me promit u chemin assur.
Comme, main droite, pour gravir le mont*
o sied l'glise qui domine
la bien-guide, au-dessus du Rubaconte,
se rompt la fougue hardie de la monte
par les degrs qu'on y fit, en des ges
o taient srs les actes et les mesures,
ainsi s'adoucit la rampe qui tombe
ici bien raide de l'autre corniche,
mais droite et gauche la haute pierre nous rase.
Alors que l nous tournions, des voix
chantrent : Beati pauperes spiritu 1 #
en u son tel que nulle parole ne le peut dire.
Ah combien sont diffrentes ces ouvertures
de celles d'enfer ! ici l'on entre
par des chants et l-bas par plaintes froces.
Dj nous montions par les chelons saints
et il me semblait tre bien plus lger
qu'il ne m'avait sembl sur le plan.
D'o : Matre, dis, quelle chose lourde
s'est enleve de moi, que en marchant
presque nulle fatigue ne me vient ?
Il rpondit : Quand les P qui sont rests
encore ton front presque effacs
seront comme le premier entirement ts,
tes pieds seront par bon vouloir si vaincus,
que non seulement fatigue ne sentiront,
mais sera leur plaisir tre pousss en haut.
Alors je fis comme ceux qui vont
avec chose sur la tte qu'ils ne savent
sinon que signes des autres le font souponner,
pour quoi la main aide s'en assurer
et cherche et trouve et remplit cet office
qui par la vue ne se peut accomplir,
133
136
PURGATOIRE. CHANT XII
et avec les doigts de la main droite carts
je trouvai six des lettres que grava
l' ange aux clefs sur mon front,
ce que, regardant, mon guide sourit.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
256
Chant XIII
Nous tions au sommet de l'escalier,
l o pour la seconde fois se resserre
le mont qui purifie ceux qui montent ;
l aussi une corniche enserre
tout autour la montagne, comme la premire
mais son arc plus vite se courbe.
Il n'y a nulle image ici ni signe apparent,
la paroi et la voie apparaissent lisses,
de la couleur livide de la pierraille.
Si pour demander on attend ici des gens ,
allait disant le pote, j e crains que
peut-tre sera trop retard notre choix .
Puis il regarda fixement le soleil,
fit son flanc droit centre du mouvement
et tourna son corps du ct gauche.
0 douce lumire, confiant en toi j 'entre
dans ce nouveau chemin, conduis-nous ,
disait-il, comme il convient de conduire en ce lieu.
Tu rchauffes la terre, tu luis sur elle,
si autre raison contraire ne survient,
toujours nous doivent guider tes rayons.
Ce qu'ici-bas on compte pour u mille
nous l' avions l dj parcouru
en peu de temps, par la volont prompte ;
et voler vers nous furent entendus
28
31
34
37
40
43
46
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT XIII
mais non vus des esprits, invitant
en paroles courtoises au banquet d' amour.
La premire voix qui passa en volant,
f Vinum non habent # q dit hautement*
et derrire nous allait le rptant ;
et avant que l'on cesst tout fait de l'entendre
par l'loignement, une autre passa en criant* :
Je suis Oreste , et non plus ne s' arrta.
Oh ! , dis-je, pre, quelles sont donc ces voix ?
Et, comme je demandai, voici la troisime
disant : Aimez ceux qui vous font du mal*.
Et le bon matre : Ce cercle fustige
le pch d'envie, et partant sont
faites d'amour les cordes du fouet.
Le frein doit tre d'un son contraire,
je crois que tu l'entendras, mon avis,
avant d'arriver au passage du pardon.
Mais fixe bien ton regard par l'air
et tu verras des gens devant nous assis,
chacun est le long de la roche appuy.
Alors plus qu'avant j 'ouvris les yeux,
regardai devant moi, et vis des ombres en robes
d'une couleur qui ne se distinguait de la pierre.
Et lorsque je fus un peu plus prs
j 'entendais crier : Marie prie pour nous
et crier Michel et Pierre et Tous les saints .
Je ne crois pas qu'il y ait sur terre
homme si dur qui ne ft touch
de compassion pour ce que je vis ensuite ;
car lorsque je fus arriv assez prs d'eux
et que je fus certain de bien les voir,
grande douleur tira des larmes de mes yeux.
De vils cilices ils me semblaient couverts
et l 'un soutenait l' autre de l'paule
et tous par le roc taient soutenus.
257
61
6
67
70
73
76
79

2
85
88
91
94
258
LA DIVINE COMDIE
Ainsi les aveugles qui manque de quoi vivre
se tiennent lors des pardons, demander l' aumne,
et l'un appuie sa tte sur l' autre,
pour qu'en autrui piti aussitt s'veille
non seulement par le son des paroles
mais par la vue qui non moins sollicite.
Et comme aux aveugles n'arrive le soleil
ainsi aux ombres l, dont je parle,
lumire du ciel ne veut se donner,
car tous un fil de fer perce les paupires
et les coud, comme pervier sauvage
on fait, tant qu'il ne demeure paisible.
Il me semblait, en allant, faire outrage
voyant autrui et n'tant pas vu,
aussi me tournai-je mon sage conseil.
Bien savait-il ce que voulait dire mon silence
et il n'attendit pas ma demande
mais dit : Parle et sois bref et prcis.
Virgile venait prs de moi du ct
de la corniche d'o l'on peut tomber,
car d'aucun rebord ne s'entoure ;
de l'autre ct se trouvaient les pieuses
ombres qui par l'horrible couture
soufraient tant qu' elles baignaient leurs joues.
Je r
'
adressai elles et commenai :
0 gent assure de voir la haute lumire
qui est le seul dsir dont vous ayez souci,
que bientt la grce rsorbe l'cume
de votre conscience de sorte que par elle
descende clair le fleuve de la mmoire ;
dites-moi, ce me serait aimable et cher,
si me est parmi vous qui soit latine ;
et peut-tre sera-ce hon pour elle que je l'apprenne.
0 mon frre, chacune est citadine
d' une vraie cit : mais tu veux dire
une qui vcut en Italie son plerinage.
97
lOO
103
106
109
112
1 1 5
1 18
121
124
127
130
PURGATOIRE. CHANT XIII
Cela me sembla entendre en rponse,
plus loin que l o je me trouvais,
alors je m' avanai pour me faire mieux entendre.
Parmi les autres je vis une ombre qui me semblait
attendre ; et tel un qui voudrait dire : Comment ?
le menton, comme fait un aveugle, elle levait.
Esprit , dis-je, qui pour monter te domptes,
si tu es celui qui m' a rpondu
fais-toi connatre par lieu et par nom .
Je fus Siennoise , rpondit l'ombre, et avec*
ces autres, je lave ma vie mauvaise,
en implorant celui qui peut nous aider.
Sage ne fus, hien que Sapia
fusse nomme, et je fus du malheur des autres,
hien plus joyeuse que de mon bonheur.
Et pour que tu ne croies pas que je te trompe,
entends combien je fus, comme je le dis, folle,
alors que dj je descendais la courbe de mes ans.
Mes concitoyens taient prs de Colle,
sur le champ arrivs avec leurs adversaires,
et je priais Dieu pour ce qu'il voulut.
Ils furent vaincus l et pousss dans l' amer
chemin de la fuite ; et les voyant poursuivis
je fus prise d'une joie nulle autre pareille,
tant que je tournai vers le haut mon visage hardi,
criant Dieu : "Dsormais je ne te crains plus !
comme fit le merle pour un peu de bonace.
Paix avec Dieu je voulus au terme
de ma vie ; et encore ne serait
mon devoir de pnitence amoindri,
si ce n'tait que fit mmoire de moi
Pier Pettignano, en ses oraisons saintes*,
qui par charit eut piti de moi.
Mais toi qui es-tu, qui vas interrogeant
sur nos conditions, et portes les yeux ouverts,
comme il me semble, et parles en respirant ?
259
133
136
139
142
145
148
151
1 54
LA DIVINE COMDIE
Mes yeux , dis-je, me seront ici ts
mais peu de temps, car faible est l'offense
faite en les tournant avec envie.
Trop plus grande est la peur qui tient en suspens
mon me, du tourment d'en dessous,
et dj le fardeau de l-bas me pse.
Et elle moi : Qui donc t'a conduit
ici parmi nous si tu crois retourner en bas ?
Et moi : Celui-ci qui est avec moi et ne dit rien.
Et vivant je suis et, partant, requiers-moi
esprit lu, si tu veux que je meuve
l-bas encore pour toi mes pieds mortels.
Oh ! c'est l chose nouvelle entendre ,
rpondit-elle, et grand signe est que Dieu t'aime,
et par ta prire tu peux m' tre utile.
Et je te demande, au nom de ce que plus tu dsires,
si jamais tu foules la terre de Toscane,
qu' auprs de mes proches tu me rendes honneur.
Tu les verras parmi cette gent vaine
qui espre en Talamone, et ils y perdront*
plus d'espoir qu' trouver la Diana ;
mais plus encore y perdront les amiraux.
1
4
7
10
13
16
Chant XIV
Qui est celui-ci qui fait le tour de notre mont
avant que mort lui ait donn l'envol
et ouvre les yeux volont, et les ferme ?
Je ne sais qui il est, mais sais qu'il n'est pas seul :
demande-le-lui toi qui es plus proche,
et, avec douceur l' accueille, pour qu'il parle.
Ainsi deux esprits l'un vers l'autre penchs
s'entretenaient de moi, l, main droite ;
puis, pour me parler, levrent leurs visages,
et l'un dit : 0 me qui encore fiche
en ton corps t'en vas vers le ciel,
par charit console-nous et dis-nous
d'o tu viens et qui tu es, car cette grce
tienne nous fait merveiller
comme chose qui jamais ne fut.
Et moi : Par le milieu de la Toscane passe
un petit fleuve qui nat en Falterona
et cent mille de course ne le rassasient.
19 De ses rives j 'apporte ma personne ;
vous dire qui je suis serait parler en vain,
car mon nom ne sonne encore trs haut.
22 Si bien ton intention je pntre
par l'intellect , me rpondit alors
celui qui dj parlait, tu veux dire l' Arno .
25 Et l'autre lui dit : Pourquoi celui-ci
261
LA DIVINE COMDIE
PURGATOIRE. CHANT XIV
a-t-il cach le nom de ce fleuve
61 Il vend leur chair encore vivante
comme on le fait de choses horribles ?
puis les tue comme bte vieillie ;
28 Et l'ombre qui sur ce point tait interroge beaucoup, de leur vie, et lui d'honneur il prive.
s' acquitta ainsi : Je ne sais, mais 6 Sanglant il sort de la triste fort,
justice est que le nom de ce val prisse la laisse telle que d'ici mille ans
31 car depuis son origine, o si haut se dresse* dans son tat premier ne se reboise.
la montagne dont s'est dtach Peloro, 67 Comme l'annonce de dououreux malheurs
qu'en peu de lieu sa cime est dpasse,
se trouble le visage de celui qui coute
de quelque part que le pril le morde,
34 jusque-l o il se rend pour redonner
70 ainsi vis-je l'autre me, qui tendue
la mer ce que lui prend le ciel
se tenait l'coute, se troubler et se faire triste
dont les fleuves reoivent ce qu'ils entranent,
aprs qu'elle eut la parole entendue.
37 la vertu est ennemie, tous la fuient
73 Le dire de l'une et de l'autre la vue
comme un serpent, soit par infortune du lieu,
me fient dsireux de savoir leus noms
soit par mal usage qui les incite,
et j 'en fis la demande y mlant la prire ;
40 au point que tant ont chang leur nature
76 pour quoi l'esprit qui venait de parler
les habitants de la misrable valle
recommena : Tu veux que je fasse
qu'il semble que Circ les ait eus en pture.
pour toi ce que tu n'as pas voulu pour moi.
43 Parmi d' affreu porcs plus dignes de glands*
79 Mais puisque Dieu veut qu'en toi resplendisse
que d'autre mets fait pour l'usage humain,
tant sa grce je ne refuserai pas.
se dirige d' abord son pauvre chemin.
Sache donc que je suis Guido del Duca* ;
4 Trouve ensuite en descendant roquets*
82 si brlant d'envie fut mon sang,
plus hargneux que ne demande leur force
que si j ' avais vu quelqu'un tre joyeux
et devant eu, ddaigneu, tord le museau.
tu m'aurais vu le visage livide.
49 Elle s'en va tombant et plus elle grossit
85 De ma semence telle paille je moissonne :
plus trouve des chiens devenus loups*,
gent humaine, pouquoi places-tu ton cur
la maudite et misrable fosse.
aux seuls biens qui refusent le partage ?
52 Descendue ensuite par sombres marcages,
88 Celui-ci est Rinieri : valeur et honneur*
trouve les renards si pleins de fraude*
de la maison des Calboli, o nul
qu'ils ne craignent engin qui les soucie.
ne s'est fait hritier de sa vertu.
55 Ne m' arrterai de dire encore qu'un autre coute ;
91 Et son sang n'est point seul tre dpouill,
et bon sera pour celui-ci, si plus tard se souvient
entre le P et le mont et la mer et le Reno,
de ce qu'un esprit vrai me rvle.
du bien requis pour le vrai et la joie,
58 Je vois ton neveu qui devient*
94 car l'intrieur de ces limites prolifrent
chasseur de ces loups sur la rive
les broussailles vnneuses de sorte que trop tard
du fleuve cruel, et tous les pouvante.
dsormais on voudrait les faire disparare.
262
263
91
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 13
121
124
127
130
26
LA DIVINE COMDIE
O est le bon Tizio et Arrigo Manardi* ?
Pier Traversaro et Guido di Carpigna ?
Oh Romagnols devenus btards !
Quand Bologne u Fabbro refera souche
et quand, Faenza, un Bernardino di Fosco,
tige aimable venue de petite graine ?
Ne t'merveille Toscan si je pleue
quand je me rappelle, avec Guido da Prata,
Ugolino d' Azzo qui vcut avec nous,
Federigo Tignoso et ses compagnons,
la maison Traversara et les Anastagi,
( et l'une et l'autre famille est sans hritier) ,
les dames et les chevaliers, les peines et les joies
o nous pressaient amou et courtoisie,
l o les curs se sont faits si mauvais.
0 Bertinoro, pourquoi ne fuis-tu pas
puisque s'en est alle ta famille
et nombre de gens pour ne point se corrompre ?
Bien a fait Bagnacavallo sans hritier mle,
et mal a fait Castrocaro, et pire Conio
qui plus se trompe en engendrant tels comtes.
Bien feront les Pagani aprs que leur dmon*
s'en ira, mais non que pourtant sans tache
reste jamais d' eux tmoignage.
0 U golino dei F antolini, en scurit
est ton nom, puisqu'on n'attend plus
qui pourrait en forlignant l'obscucir.
Mais va dsormais, Toscan, qu'ores trop plus
ai-je envie de pleuer que de parler,
tant r
'
a notre discours treint l'esprit.
Nous savions que ces mes chres
nous entendaient marcher, aussi, se taisant,
elles nous assuaient du chemin.
Puis en avanant nous fmes seuls ;
foudre fendant l' air nous parut
une voix qui arriva contre nous disant :
133
136
139
142
145
148
151
PURGATOIRE. CHANT XIV
Me tuera quiconque me trouve* ,
et s'enfuit comme tonnerre qui s'teint
s'il dchire aussitt le nuage.
A peine avions-nous cess de l'entendre
voici l'autre avec si grand fracas
qu'on et cru u tonnerre qui aussitt suit.
Je suis Aglauos qui devins pierre*.
et alors pou me serrer au pote,
je fis droite et non en avant u pas.
De toute part dj l' air tait calme
et il me dit : Cela tait le dur frein
qui devrait retenir l'homme dans sa voie.
Mais vous prenez l' amorce, et l'hameon
de l'antique adversaire vous tire lui,
alors peu vaut frein ou appels.
Le ciel vous appelle et il vous entoure
vous montrant ses beauts ternelles
et pourtant votre il regarde terre,
dont vous frappe celui qui tout discerne.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
266
Chant XV
Autant, entre la fin de l'heure tierce
et le dbut du jour, parat la sphre
qui toujours tel un enfant se joue,
autant paraissait dj vers le soir
tre au soleil demeur de son cours :
vpres tait l, et sur terre minuit.
Et les rayons nous frappaient sur le nez
car autour du mont nous avions tourn
en sorte que tout droit nous allions au couchant,
quand je sentis peser sur mon front
une splendeur plus vive qu'auparavant
et stupeur me causaient les choses non connues ;
alors je levai les mains vers le haut de mes cils
et r
'
en fis un cran
pour limiter l'excs de la lumire.
Comme quand de l' eau ou du miroir
rejaillit un rayon du ct oppos,
en montant de la mme faon
dont il descend, et s'loigne
du fil plomb d' un espace gal,
comme nous montre exprience et art ;
ainsi me sembla-t-il tre frapp
d' une lumire rflchie devant moi,
et prompte fuir fut ma vue.
Qu'est-ce donc, doux pre, ce dont je ne peux
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT XV
protger mon regard tant que me vaille ,
dis-je, et qui semble s' avancer vers nous ?
Ne t'tonne pas si encore t'blouit
la famille du ciel , me rpondit-il,
c'est un messager qui vient nous inviter monter.
Bientt voir ces choses
tu n'auras peine mais plaisir,
autant que nature sentir te disposa.
Quand nous fmes arrivs l'ange bni,
d'une voix joyeuse il dit : Entrez ici ,
montrant des degrs bien moins hauts que les autres.
Partis de l nous montions, et
Beati miericordes # fut chant
derrire nous, et : Joie dans ta victoire !
Mon matre et moi, tous deux seuls,
allions vers le haut, et en allant je pensai
valeur acqurir par ses paroles,
et je m' adressai lui en demandant :
Qu'a voulu dire l'esprit de Romagne
en mentionnant "refusent" et "partage"* ?
Alors lui moi : De sa plus grande faute
il connat le dam, partant qu'on ne s'tonne
s'il la reprend afin que moins l'on pleure.
Parce que se pointent vos dsirs
l o par le nombre chaque part diminue,
envie tire le souflet aux soupirs ;
mais, si l' amour de la sphre suprme
dirigeait vers le haut votre dsir,
point ne serait cette crainte en vos poitrines,
car l, plus on est dire "notre"
et plus chacun possde de bien
et plus de charit brle en ce clotre.
Je suis plus loin d' tre rassasi ,
dis-je, que si j e r
'
tais tu,
et plus de doutes j 'amasse en mon esprit.
267
LA DIVINE COMDIE
61 Comment se peut-il qu'un bien distribu
plusieurs possesseurs les fasse plus riches
que si par peu est possd ?
6 Et lui moi : Parce que tu replonges
ton esprit encore en choses terrestres,
de vraie lumire tu recueilles tnbres.
67 Cet infini et ineffable bien,
qui est l-haut, court l'amour
comme un rayon vient un corps brillant ;
70 tant se donne autant qu'il trouve d' ardeur,
de sorte que plus charit se dploie
plus crot sur elle l'ternelle valeur ;
73 et tant plus de gens l-haut s'enflamment
plus y est de bien aimer, et plus on s'y aime,
et comme en un miroir l'un l'autre rpond.
76 Et si mon discours ne comble ta faim,
tu verras Batrice et elle pleinement
satisfera ce grand dsir, et les autres.
79 Fais en sorte que bientt soient effaces
comme dj les deux premires, les cinq plaies
qui se referment quand on se repent.
82 Comme j 'allais dire : Tu me contentes ,
j e me vis arriv sur l'autre corniche
et me fit taire le dsir de mes yeux.
85 L il me sembla en une vision
extatique soudain tre ravi
et voir en un temple plusieurs personnes,
8 et une femme, sur le seuil, en douce*
attitude de mre, dire : Mon enfant
pourquoi as-tu agi ainsi envers nous ?
91 vois, en peine ton pre et moi
te cherchions. Et comme elle se tut
ce qui r
'
tait montr disparut.
94 Ensuite m' apparut une autre avec, le long des joues*
cette eau que la douleur distille
quand de grand dpit elle nat chez quelqu'un,
268
97
lOO
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
PURGATOIRE. CHANT XV
et dire : Si tu es seigneur de la ville
dont le nom fit chez les dieux telle querelle
et o toute science resplendit,
venge-toi de ces bras hardis
qui embrassrent notre fille, Pisistrate !
Et le seigneur m'apparaissait bienveillant et doux
lui rpondre, le visage paisible,
Que ferons-nous qui nous souhaite du mal
si celui qui nous aime est par nous condamn ?
Puis je vis des gens enflamms de colre*
lapider un jeune homme en criant
fort l'un l'autre : Tue-le, tue-le.
Et lui je le voyais s' incliner, par la mort
qui d l'crasait, vers la terre,
mais de ses yeux encore faisait portes au ciel,
priant le haut Sire, en telle guerre,
qu'il pardonnt ses perscuteurs,
avec ce visage qui ouvre la piti.
Quand mon me revint dehors,
aux choses qui hors d'elle sont vraies,
je reconnus mes erreurs non fausses.
Mon guide, qui me pouvait voir
faire comme un qui du sommeil se dlie,
dit : Qu'as-tu que tu ne peux te tenir,
tu es venu plus d'une demi-lieue
les yeux voils et les jambes alourdies
comme un que vin ou sommeil accable ?
0 mon doux pre, si tu m'coutes ,
dis-je, je te dirai ce qui m'apparut
quand mes jambes me furent tes.
Et lui : Si tu avais cent masques
sur la face, ne me seraient closes
tes cogitations mme minimes.
Ce que tu as vu te fut donn pour que tu ne refuses
d'ouvrir ton cur ces eaux de la paix
qui s'pandent de l'ternelle fontaine.
269
133
136
139
142
145
LA DIVINE COMDIE
Je n'ai pas demand : "Qu'as-tu ? " comme fait
celui qui regarde d'un il qui ne connat
en quelle inconscience gt le corps ;
mais j 'ai demand pour donner force ton pied ;
ainsi faut-il secouer les paresseux, lents
user de la veille, quand elle revient.
Nous allions dans le soir, regardant
aussi loin que pouvaient aller les yeux,
contre les rayons brillants du couchant.
Et voici peu peu une fume avancer
vers nous, sombre comme la nuit,
et n'tait lieu pou l'viter :
elle nous ta et les yeux et l'air pu.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XVI
Noir d'enfer, noir de nuit prive
de toute toile, sous pauvre ciel,
autant que se peut tnbre de nuages,
ne fit ma vue voile aussi pais
comme cette fume qui ici nous couvrit,
ni aux yeux si pre poil,
car l 'il ne souffrit rester ouvert,
d'o mon aide sage et fidle
s'approcha m' offrant son paule.
Comme un aveugle va derrire son guide
pou ne point s'garer, ni se heurter
chose qui le blesse ou peut-tre le tue,
j 'allais dans l'air amer et sale,
coutant mon seigneu qui ne cessait
de dire : Prends garde n'tre coup de moi.
J'entendais des voix et chacune semblait
prier, pou paix et pou misricorde,
l' Agneau de Dieu qui te les pchs.
( ( Agnus Dei # tait leu exorde.
Mme parole en toutes et mme ton,
ainsi paraissait en elles vraie concorde.
Ce sont l des esprits, matre, que j 'entends ?
dis-je. Et lui moi : Tu as compris le vrai
et ils vont dliant le nud de la colre.
Oh toi qui es-tu qui fends notre fume
271
28
31
34
37
40
43
46
49
52
55
58
272
LA DIVINE COMDIE
et parles de nous comme si encore
tu divisais le temps par calendes ?
Ainsi fut dit par une voix ;
d'o mon mare dit : Rponds
et demande si par l on va vers le haut.
Et moi : 0 crature qui te purifies
pour revenir belle celui qui te fit,
merveille entendras si tu me suis.
Je te suivrai tant qu'il m'est possible
rpondit-elle, et si voir ne laisse la fume,
l'our nous tiendra lis la place .
Alors je commenai : Avec cette enveloppe
que la mort dissout, je r
'
en vais l-haut,
et ici je suis venu par l'infernale angoisse ;
et si Dieu m' a en sa grce inclus
tant qu'il veut que je voie sa cour
de faon toute hors du moderne usage,
ne me cache pas qui tu fus avant la mort,
mais dis-le-moi, et dis-moi si bien je vais au passage ;
que tes paroles soient notre escorte .
Lombard fus et fus appel Marco*,
je connus le monde et j ' aimai cette valeur
vers laquelle, ores, chacun a dtendu son arc.
Pour monter tu vas tout droit ,
rpondit-il et ajouta : Je te prie
que pour moi tu pries, quand tu seras l-haut.
Et moi lui : Par foi je m'engage
faire ce que tu demandes, mais j ' clate
dans un doute, si je ne m'en explique.
D' abord il tait simple et maintenant est doubl
par ta sentence qui me certifie,
ici et ailleurs, celui auquel je l'accouple.
Le monde est bien, comme tu le dis,
dsert et vide de toute vertu,
de malice il est gros et il est envelopp,
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
PURGATOIRE. CHANT XVI
mais je te prie de m' indiquer la cause,
afin que je la voie, que je la montre aux autres,
car l'un aux toiles, l'autre ici-bas la place.
Profond soupir que douleu resserra en houi !
fit-il d'abord entendre, puis commena : Frre
le monde est aveugle et tu viens bien de lui.
Vous qui vivez reportez toute cause
en haut au ciel, comme si vraiment
il entranait tout avec lui par ncessit.
S'il en tait ainsi, en vous serait dtruit
le libre arbitre et ne serait justice
avoir joie pour bien et deuil pour mal.
Le ciel suscite vos mouvements,
je ne dis pas tous, mais mme dans ce cas,
lumire vous est donne pour le bien et le mal,
et libre vouloir qui , s'il peine
dans ses premires batailles avec le ciel,
ensuite est partout vainqueur, si bien nourri.
A plus grande force et meilleure nature,
libres vous tes soumis, c'est elle qui cre
en vous l'esprit qui chappe l'influence des cieux.
Partant si le monde prsent est dvoy
en vous est la cause, qu'on cherche en vous,
et je saurai bien maintenant te l'exposer.
Elle sort de la main de celui qui l' aime
avant qu'elle soit, pareille une enfant
qui pleurant et riant foltre,
l'me simplette qui ne sait rien
sauf que, mue par joyeux crateur,
volontiers va ce qui l'amuse.
D'un petit bien d' abord gote saveur,
s'y trompe et cout aprs lui,
si guide ou frein son amour ne redresse ;
d'o il fallut la loi pour mettre un frein,
il fallut avoir un roi qui discernt
de la vraie cit au moins la tour.
273
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
118
121
124
127
130
274
LA DIVINE COMDIE
Les lois sont l, mais qui y tient la main ?
personne car le pasteur qui prcde
peut ruminer, mais n'a l'ongle fendu* ;
pour ce la gent qui voit son guide
tendre aussi ce hien dont elle est gloutonne,
s'en repat et ne demande plus outre.
Bien peux-tu voir que le mal gouverner
est la cause qui a fait le monde coupable
et non nature qui serait en vous corrompue.
Rome, qui fit le hon monde, soulait avoir
deux soleils qui et l'une et l' autre routes
montraient, et du monde et de Dieu.
L'un a teint l'autre et l'pe est jointe
la crosse, et mal convient que de vive force
l'une avec l' autre aillent ensemble
car, unies, l'une ne craint l'autre ;
si tu ne me crois, considre l'pi
car toute herbe se connat sa graine.
Dans le pays qu'arrosent Adige et P
on trouvait valeur et courtoisie,
avant que Frdric y portt querelle ;
ore avec assurance peut passer par-l
quiconque et craint, par honte,
parler avec les bons ou mme les approcher.
Bien y a-t-il trois vieillards encore, en qui reprend
l' ge ancien le nouveau ; il leur tarde
que Dieu meilleure vie les prenne.
Currado da Palazzo et le hon Gherardo*
et Guido da Castel qui mieux se nomme
la franaise, Lombard le Simple.
Dis que dsormais l'

glise de Rome,
pour confondre en elle deux pouvoirs,
tombe dans la fange et souille elle et sa charge.
0 mon Marc , dis-je, hien tu argumentes ;
et ore je comprends pourquoi de l'hritage
les fils de Lvi furent exclus.
133
136
139
142
145
PURGATOIRE. CHANT XVI
Mais quel Gherardo est celui que tu cites,
comme tant rest de la gent teinte,
reproche au sicle sauvage.
Ou ton parler me trompe ou il m'prouve
rpondit-il, car, me parlant toscan
tu parais du hon Gherardo ne rien savoir.
Par autre surnom ne le connais,
si ne le prenais de sa fille Gaia.
Dieu soit avec vous, car avec vous plus ne viens.
Vois, la couleur d' aube qui perce la fume
dj hlanchoie et il me faut partir
- l' ange est l - avant qu'il me voie.
S'en retournant, plus ne voulut m' entendre.
1
4
7
1 0
13
16
19
22
25
276
Chant XVII
Rappelle-toi, lecteur, si jamais dans l' Alpe
te surprit le brouillard, dans lequel tu voyais
non autrement que taupes par leur taie,
comment, lorsque les vapeurs humides et denses
commencent se rarfier, la sphre
du soleil faiblement les pntre.
Alors ton imagination facilement
arrivera voir comment je revis
le soleil qui dj se couchait.
Ainsi rglant mes pas sur les pas assurs
de mon matre, je sortis hors d'un tel nuage
dans les rayons, dj morts sur les bas rivages.
0 imaginative qui nous ravit parfois
tant hors de nous que rien n'y peut,
encore que sonneraient alentour mille trompettes,
qui donc te meut si les sens rien ne t'offrent ?
Te meut une lumire - qui au ciel s'informe -
par elle-mme ou par vouloir qui ici-bas l 'envoie.
De l' impit de celle qui mua sa forme*
en l'oiseau qui le plus chanter se dlecte,
mon imaginer reut l'empreinte ;
et l, mon esprit fut si resserr
en soi que, du dehors, ne venait
chose qui ft alors par lui accueillie.
Puis, tomba dans ma haute fantaisie
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT XVII
un crucifi dpit et dur*
en son regard, et tel il se mourait :
autour de lui taient le grand Assurus,
Esther son pouse et Mardoche le juste
qui fut dire et faire si franc.
Et, comme cette image se rompit
d'elle-mme, guise de bulle
qui manque l 'eau sous laquelle se fit,
surgit en ma vision une fille* ;
pleurant fort elle disait : 0 reine,
pourquoi as-tu voulu, par ire, ne plus tre ?
Tu t'es tue pour ne pas perdre Lavinia,
ore m'as perdue ! et je suis celle qui pleure,
mre, ta mort plus que celle d'autrui.
Comme se brise le sommeil quand soudain
lumire nouvelle frappe les yeux ferms
et que, bris, il glisse avant de mourir tout fait,
ainsi retomba mon imaginer,
ds que me frappa au visage une lumire
bien plus grande que celle de notre monde.
Je me tournais pour bien voir o j 'tais,
quand une voix dit : Ici l'on monte
qui r
'
carta de tout autre dessein
et fit ardent mon dsir
de regarder qui tait qui parlait,
dsir qui ne s'apaise que face son objet.
Mais, comme au soleil qui pse sur nos yeux
et par excs voile son visage,
ainsi ma vue ici dfaillit.
C'est un esprit divin qui, sans tre pri,
vers le chemin qui monte nous dirige
et qui en sa propre lumire se cache ;
il fait avec nous comme l 'homme avec soi
car celui qui attend la prire et voit le besoin
malignement dj s' apprte au refus.
277
LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XVII
61 Ore accordons nos pas telle invite, 97 Tant qu'il est dirig au Premier bien,
commenons monter avant qu'il fasse nuit et dans les seconds se mesure lui-mme,
car ensuite ne se pourrait, si le jour ne revient. il ne peut tre cause de faux plaisir.
6 Ainsi dit mon guide, et moi et lui 100 mais quand au mal se tord, ou quand, avec plus
dirigemes nos pas vers un escalier ; ou moins d' ardeur qu'il ne doit, court au bien,
et peine fus-je au premier degr contre le crateur agit sa crature.
67 je sentis tout prs comme un mouvement d' aile 103 Tu peux donc comprendre qu'amour
et sur mon visage un souffle, et entendis : Beati doit tre en vous semence de toute vertu
pacifci qui sont sans mauvaise ire. et de toute action qui mrite chtiment.
70 Dj, au-dessus de nous, tant taient levs 106 Or, parce que jamais amour ne peut
les ultimes rayons, aprs quoi vient la nuit, dtourner les yeux du bien de son sujet,
que les toiles en plusieurs lieux apparaissaient. de la haine de soi les hommes sont exempts,
73 0 ma vertu pourquoi disparais-tu ? 109 et parce qu'on ne peut considrer aucun tre
en moi-mme disais-je, car je sentais tant par soi-mme, spar du Premier,
la force de mes jambes mise au repos. le har, pour toute crature, est exclu.
76 Nous tions l o ne montait plus 1 1 2 Reste, si j 'ai bien distingu,
vers le haut l'escalier et tions arrts que le mal qu'on aime est celui du prochain,
comme la nef qui la plage arrive ; et cet amour nat de trois faons sur votre glbe.
79 attent un instant : si je pouvais entendre 1 1 5 Tel par l'oppression de son voisin
aucune chose dans le nouveau giron, espre l' excellence, et pour cela seulement dsire
puis je me tournai vers mon matre et dis : qu'il soit de sa grandeur jet en bas ;
82 Mon doux pre, dis-moi, quelle faute 1 18 tel craint de perdre pouvoir, grce, honneur,
se purge ici dans le cercle o nous sommes ? et renomme si un autre s'lve,
que l' arrt de nos pieds n'arrte ton discours. de cela tant s'attriste qu'il aime le contraire ;
85 Et lui moi : L' amour du bien, priv 121 et tel, pour injure, prend honte tellement
de force, ici se restaure : qu'il devient affam de vengeance
ici l'on bat plus vite la rame attarde. et port chercher le mal de l'autre.
88 Mais pour que plus largement tu entendes encore, 124 Cet amour en trois formes, ici dessous*,
tourne ton esprit vers moi et tu recevras se pleure ; ore je veux que de l'autre tu entendes,
quelque bon fruit de notre pause. celui qui court au bien en ordre perverti.
91 Ni crateur, fils, ni crature , commena-t-il, 127 Chacun confusment conoit un bien,
jamais ne fut sans amour en lequel l' me s' apaise, et le dsire ;
ou naturel ou d'lection, tu le sais. ce pourquoi de l'atteindre chacun s'efforce.
94 Le naturel est toujours sans erreur, 130 Si trop lent amour vous tire le voir
mais l'autre peut errer par faux objet ou l'acqurir, cette corniche,
ou par trop ou par peu de vigueur. aprs juste repentir, vous en punit.
278 279
133
136
139
LA DIVINE COMDIE
Il est un autre bien qui ne fait l'homme heureux ;
ce n'est le bonheur, ce n'est la bonne
essence, de tout bien fruit et racine.
L' amour, qui trop lui s' abandonne,
au-dessus de nous se pleure en trois cercles* ;
mais comment se raisonne cette tripartition,
je le tais, afin que par toi-mme t'en assures.
Chant XVIII
1 A v ait mis fin son discours
le noble docteur et, attent, regardait
en mes yeux si j 'tais satisfait ;
4 et moi, qu'une nouvelle soif encore pressait,
au-dehors me taisais et dedans disais : Peut-tre
que trop demander de ma part lui pse.
7 Mais ce vrai pre qui s'aperut
du timide vouloir qui ne s'ouvrait,
en parlant, de parler m'offrit la hardiesse ;
10 et moi : Matre, ma vue s' avive tant
ta lumire que je discerne clair
tout ce que ta raison apporte ou dcrit,
13 partant je te prie, doux pre trs cher,
que tu me dfinisses amour quoi tu ramnes
toute action bonne et son contraire.
16 Dresse vers moi , dit-il, le regard aigu
de l'intellect et que te soit maneste
l' erreur des aveugles qui se font guides.
19 L'me qui est cre prte aimer,
toute chose qui plat se porte,
sitt que le plaisir l'veille l' acte.
22 Votre facult perceptive tire de choses vraies
une image, en vous la dploie
et attire l'me sur elle,
25 et si, attire, vers elle se penche
281
LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XVIII
ce penchant est amour, et c'est nature 61 Or pour qu' celle-ci toute autre s' accorde,
qui, par le plaisir, en vous de nouveau se lie. inne est en vous la vertu qui conseille
28 Puis, comme le feu se meut vers le haut, et doit tenir le seuil d' assentiment.
par sa forme qui est faite pour monter 6 Elle est le principe o se fonde
l o plus en sa matire il dure,
raison, pour vous, de mriter selon
31 de mme l'me prise entre en dsir
que bons et faux amours elle accueille et vanne.
qui est mouvement spirituel, et jamais ne repose
67 Ceux qui par la raison allrent au fond,
reconnurent cette libert inne,
qu'elle n'ait joui de ce qu'elle aime.
aussi laissrent-ils morale au monde.
34 Ore peut t'apparatre combien est cache
70 D'o, supposons que de ncessit
la vrit aux gens qui prtendent
naisse tout amour qui en vous s' enflamme,
que tout amour en soi est louable,
de le retenir est en vous le pouvoir.
37 peut-tre parce qu'apparat sa matire
73 Cette noble vertu Batrice l'appelle
tre toujours bonne, mais toute empreinte
le libre arbitre, et donc prends garde
n'est bonne, encore que bonne soit la cire .
de l' avoir en mmoire si elle veut en parler.
40 Tes paroles et mon esprit attent ,
76 La lune, qui avait presque minuit tard,
lui rpondis-je, m'ont dcouvert l'amour,
nous faisait paratre plus rares les toiles,
mais cela r
'
a fait douter davantage ;
faite comme un chaudron de cuivre ardent ;
43 car si amour nous est du dehors offert
79 elle courait contre le ciel par ces routes
et l'me ne va d'un autre pied,
que le soleil enflamme alors que, de Rome,
si droit ou tors elle va, ce n'est son mrite .
on le voit dcliner entre Sardaigne et Corse.
46 Et lui moi : Tout ce que raison ici voit
82 Et cette noble ombre, pour qui on nomme
je puis te dire, au-del attends tout
Pietola plus que ville mantouane*,
de Batrice, car c'est objet de foi.
avait de mon fardeau libr le poids ;
49
Toute forme suhstancielle qui, distincte
85 ce pourquoi ayant recueilli la rponse
de la matire, est unie elle,
ouverte et claire mes questions,
recle en soi une vertu spcique,
j 'tais comme un qui, somnolent, rve.
52 laquelle n'est sentie si elle n'opre,
88 Mais cette somnolence me fut te soudain
et ne se maneste que par ses effets,
par gent qui derrire nos dos
comme par verts feuillages, en la plante, la vie.
tait dj dirige vers nous.
55 Partant, d'o vient l' intelligence
91 Et comme jadis Ismne et Asope virent*
des notions premires, on ne sait,
sur leurs bords, la nuit, foule en furie,
ni aux premiers dsirables le penchant ;
si les Thbains Bacchus avaient recours,
58
ils sont en vous comme l' aptitude en l'abeille
94 tels par ce cercle passent en grandes foules,
de faire le miel, et cette disposition premire
selon ce que je vis d'eux arrivant,
ne comporte mrite de louange ou de blme.
ceux que hon vouloir et juste amour chevauchent.
282
283
97
lOO
103
106
109
l l2
l i S
l l8
121
124
127
130
284
LA DIVINE COMDIE
Bientt furent sur nous, car en courant
s'lanait toute cette grande troupe,
et deux en avant criaient pleurant :
Marie courut en hte la montagne* ;
et Csar pour dompter Lrida*
frappa Marseille et courut en Espagne.
Vite, vite, qu'on ne perde de temps
par peu d' amour , criaient aprs les autres,
que dsir de bien faire fasse reverdir la grce .
0 gent en qui ferveur aigu maintenant
compense ngligence, peut-tre, et retard
mis en vous, par tideur, au bien faire,
celui-ci qui est vivant - et je ne vous mens pas -
veut monter ds que le soleil luira,
aussi dites-nous o est proche l'ouverture.
Ce furent l paroles de mon guide
et l'un de ces esprits dit : Viens
derrire nous, tu trouveras le passage.
Nous sommes si pleins du dsir de marcher
que ne pouvons rester, aussi pardonne
si pour vilenie tu tiens notre justice.
Je fus abb de San Zeno Vrone*,
au temps du bon empereur Barberousse,
dont en pleurant on parle encore Milan.
Et tel a dj un pied dans la fosse*
qui bientt pleurera ce monastre
et s' attristera d'y avoir eu pouvoir,
car son fils, de corps mal fait
et pire d' esprit, et de male naissance
il l'a plac en lieu du pasteur vritable.
Je ne sais s' il parla davantage ou se tut
tant il nous avait de beaucoup dpasss,
mais cela je l'entendis et le retenir me plut.
Et celui qui m'tait en tout besoin secours
dit : Tourne-toi, vois en deux
venir faisant mille morsures la paresse.
133
136
139
142
145
PURGATOIRE. CHANT XVIII
Derrire les autres ils disaient : Morte*
fut la gent qui la mer s'ouvrit, avant
que le Jourdain pt voir ses hritiers.
Et celle qui ne souffrit l'effort*
jusqu' la fin avec le fils d' Anchise,
s'offrit elle-mme une vie sans gloire.
Puis, lorsque furent de nous si loignes
ces ombres que plus ne se pouvaient voir,
nouvelle pense en moi pntra,
de laquelle plusieurs autres et diverses naquirent,
et tant de l'une l' autre rvassais
que par plaisir je refermai les yeux
et le penser en songe transmuai.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
286
Chant XIX
A 1 'heure que l a chaleur du jour
ne peut plus attidir le froid de la lune,
vaincue par la terre et parfois par Saturne,
quand les gomanciens voient en Orient,
avant l'aube, leur Majeure Fortune
monter par un chemin pour peu encore obscur,
me vint en songe une femme bgue,
les yeux louches, sur des jambes tordues,
mutile des mains, et de couleur blme.
Je la regardais et, comme le soleil conforte
les membres froids alourdis par la nuit,
ainsi mon regard lui dliait
la langue, et puis la redressait toute
en peu de temps, et son visage dfait,
comme le veut amour, le colorait.
Quand elle eut ainsi le parler libr
elle commena un chant tel qu'avec peine
j 'aurais d'elle dtourn l'attention.
Je suis , chantait-elle, Je suis la douce sirne
qui envote les marins en pleine mer,
tant je suis pleine du plaisir donn m'entendre :
Je dtournai de son chemin Ulysse charm
par mon chant ; quiconque s'accointe moi
rarement s'loigne tant je le comble !
N'tait encore sa bouche referme,
28
31
34
37
4
43
4
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT XIX
quand une dame apparut sainte et prompte,
tout prs de moi, pour la confondre.
0 Virgile, Virgile, qui est celle-ci ?
disait-elle firement, et lui venait
les yeux fixs seulement sur l'honnte dame.
Elle saisissait l'autre et par-devant l'ouvrait,
fendant sa robe et me montrait son ventre :
la puanteur qui en sortit me rveilla.
J'ouvris les yeux, le bon matre disait :
Trois fois au moins je t'ai appel ! Debout ! viens :
trouvons l'ouverture par o tu dois entrer.
Je me levai et dj le grand jour emplissait
tous les girons de la sainte montagne,
et nous allmes, le soleil neuf aux reins.
En le suivant je portais mon front
comme celui qui l'a de pense si charg
qu'il fait de soi demi-arche de pont,
quand j 'entendis : Venez, c'est ici que l'on passe ,
d'une voix douce et bnigne telle
qu'on ne l'entend en nos rgions mortelles.
De ses ailes ouvertes, qui paraissaient de cygne,
nous dirigea vers le haut, celui qui nous avait parl,
entre deux parois du dur rocher.
Il mut ses plumes ensuite et nous en ventila,
dclarant tre bienheureux qui lugent #
car leurs mes seront consoles.
Qu'as-tu que tu ne cesses de regarder terre ? ,
commena me dire mon guide,
peu aprs que nous emes dpass l'ange.
Et moi : Avec tel tourment me fait aller
la dernire vision qui me tire soi,
que je n'en puis loigner ma pense.
Tu as vu , dit-il, cette antique sorcire,
que seule dsormais au-dessus de nous l'on pleure,
tu as vu comment on se dtache d'elle.
287
LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XIX
61 Te suffise, et frappe tes talons terre : 97 Et lui moi : Pourquoi le ciel tourne vers lui
tourne tes yeux au leurre que meut nos dos, tu le sauras, mais d' abord
le roi ternel dans les hautes sphres . scias quod ego fui successor Petri*.
64 Tel le faucon qui d'abord ses pieds regarde lOO Entre Siestri et Chiaveri s'coule
puis se tourne au cri et s'lance u beau fleuve, et son nom fait*
par dsir de pture qui l'attire, le titre nobiliaire de ma race.
67 tel me fis-je et tel, tout au long qu'est fendue 103 Un mois, et peu plus, j 'prouvai combien pse,
la roche pour donner passage qui monte, qui de la fange le garde, le grand manteau,
allai-je jusqu'o l'on reprend tourner. tel que plume parat tout autre fardeau.
70 Comme je dbouchai dans le cinquime giron 106 Ma conversion, hlas, fut tardive,
je vis des gens qui l pleuraient, mais quand je fus fait pasteur romain,
gisant terre, retourns vers le bas. alors je dcouvris ce qu'est la vie trompeuse.
73 Adhaesit pavimento anima mea #q 109 Je vis que l ne s' apaisait mon cur,
les entendai-je dire avec si hauts soupirs ne pouvant plus monter en telle vie,
qu' peine s'en distinguait la parole. alors l' amour de celle-ci en moi s'enflamma.
76 0 lus de Dieu, dont les souffrances 1 1 2 Jusque-l je fus me misrable
et justice et esprance font moins dures, et spare de Dieu, tout entire avare,
dirigez-nous vers le lieu o l'on monte. ores, comme tu vois, j 'en suis ici punie.
79 Si vous venez librs du gsir 1 1 5 Ce que fait avarice ici se manifeste
et voulez trouver la voie plus vite, dans la purgation des mes converties
que vos droites soient toujours vers dehors. et nulle peine plus amre n'a le mont.
82 Ainsi pria le pote, ainsi nous fut-il rpondu, 1 1 8 Comme notre il en haut ne s'leva,
peu au-devant de nous et, pour ce, fix aux choses de la terre,
dans le parler j ' avisai ce qui tait cach ; ainsi justice, ici, terre le plongea.
85 et je tournai les yeux aux yeux de mon seigneur 121 Comme avarice teignit notre amour
d'o il me consentit, d'un signe joyeux, pour le bien, d'o se perdit l'agir,
ce que demandait le regard du dsir. ainsi justice ici nous tient serrs
88 Ds que je pus faire de moi mon gr, 124 et saisis, pieds et mains lis,
je me portai au-dessus de cette crature et tant qu'il plaira notre juste Sire
que ses paroles m' avaient fait remarquer, nous resterons tendus, immobiles.
91 disant : Esprit en qui pleurer mrit 127 Je r
'
tais agenouill et je voulais parler,
ce sans quoi on ne peut retourner Dieu, mais comme je commenai il s'aperut
arrte un peu pour moi ton plus grand souci. en coutant, de ma rvrence.
94 Qui tu fus, et pourquoi avez les dos tourns 130 Quelle cause , dit-il, te plia ainsi vers le bas ?
vers le haut, dis-moi, et dis si tu veux que je t'obtienne Et moi lui : Pour votre dignit,
chose de l d'o, vivant, je suis venu. d' tre debout ma conscience me remordit .
28 289
133
136
139
142
145
LA DIVINE COMDIE
Redresse tes jambes, lve-toi, frre !
rpondit-il, n'erre point, serviteur je suis,
avec toi et avec les autres, d'une seule puissance.
Si jamais la sainte parole vanglique
qui dit "Neque nubent
"
tu as comprise,
hien peux-tu voir pourquoi je parle ainsi.
Va-t'en dsormas, je ne veux que plus tu t'arrtes,
car ta prsence incommode mes pleurs,
par quoi je mris ce que tu as dit.
Au monde j 'ai une nice qui a nom Alagia*
elle-mme est bonne, pourvu que notre maison
ne la fasse, par l'exemple, mauvaise,
et la seule qui au monde m'est reste.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XX
Contre meilleur vouloir, vouloir mal combat,
d'o, contre mon plaisir, pour mon plaisir,
je tirai de l'eau l'ponge non repue.
Je m' avanai et mon guide s' avana par les
lieux rests libres le long de la roche,
comme on va, sur un mur, serr aux crneaux,
car la gent qui, goutte goutte, par ses yeux
fait fondre le mal qui domine le monde,
de l'autre ct trop s'approche du bord.
Maudite sois-tu antique louve
qui plus que toute autre bte cherche proie
pour ta faim noire et sans fin.
0 ciel, dont on croit que le mouvement
transforme les conditions d'ici-bas,
quand donc viendra celui qui la chassera ?
Nous allions pas lents et compts,
et j 'tais attentif aux ombres que j 'entendais
pleurer, pitoyables, et se plaindre ;
et d'aventure j 'entendis : Douce Marie ,
appeler ainsi, devant nous, dans les pleurs,
comme femme en douleur d'enfantement ;
et poursuivre : Tu fus pauvre*,
autant que se peut voir cette crche
o tu dposas ton saint fardeau.
A la suite j 'entendis : 0 hon Fabrice*
291
LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XX
tu voulus possder, avec pauvret, vertu, 61 Tant que la grande dot provenale
plutt que grandes richesses, avec vice.
mon sang n'enleva vergogne, il valait peu
28 Tant m' avaient plu ces paroles
mais au moins ne faisait pas le mal.
que je m' avanai pour connatre
6 L commena par violence et mensonge
cet esprit de qui semblaient venues.
ses rapines, et puis, pour s' amender,
31 Il parlait encore de la largesse
Ponthieu et Normandie prit, et Gascogne.
que fit Nicolas aux pucelles*,
67 Charles vint en Italie et, pour s' amender,
de Conradin fit sa victime, et puis,
pour conduire honneur leur jeunesse.
envoya au ciel Thomas, pour s' amender*.
34 0 me qui tant bien parles
70 Je vois un temps, et pas trs loign,
dis-moi qui tu fus , dis-je, et pourquoi
qui tire un autre Charles hors de France*,
toi seule renouvelles ces dignes louanges ?
pour faire connatre mieux et lui et les siens.
37 Ne sera sans rcompense ta parole,
73 Sans arme il en sort, avec la seule lance
si je retourne mener son terme
dont sut jouter Judas, et la darde si bien
le bref chemin de cette vie qui s'envole .
qu' Florence fait clater la panse.
40 Et lui : Je te le dirai, non que j 'attende
76 Par-l, non terre, mais pch et honte,
confort de l-bas, mais parce que tant
il gagnera, pour lui d'autant plus lourd
de grce en toi brille avant que tu sois mort.
que plus lger il compte ce dommage.
43 Je fus racine de la mchante plante
79 L' autre qui sortit, dj capt, de son vaisseau*,
dont l'ombre s'tend sur la terre chrtienne
je le vois vendre sa fille et marchander
et telle que bon fruit rarement on y cueille.
comme font les corsaires de leurs esclaves.
4 Mais si Douai, Lille, Gand et Bruges
82 0 avarice, que peux-tu faire de plus :
pouvaient, tt en viendrait vengeance ;
tant toi as-tu tir mon sang
et moi je la demande Celui qui tout juge.
qu'il ne se soucie de sa propre chair.
49 Je fus appel l-bas Hugues Capet,
85 Pour que moindre paraisse le mal futur et fait,
de moi sont ns les Philippe et les Louis
je vois en Anagni entrer la fleur de lis*
par qui la France nouvellement est rgie.
et dans son vicaire le Christ tre capt.
52 Fils je fus d'un boucher de Paris ;
88 Le vois encore une fois tre bafou,
quand les anciens rois vinrent manquer je vois renouveler le vinaigre et le fiel,
tous, sauf un qui prit robe grise*,
et par larrons vivants tre occis.
55 je me trouvai serrant entre mes mains le frein 91 Je vois le nouveau Pilate si cruel
gouverner le royaume, et tant de pouvoir que cela ne le rassasie, mais sans dcret
pour nouvel acqut, et si combl d' amis, il pousse dans le Temple ses voiles cupides.
58 qu' la couronne veuve fut promue* 94 0 mon Seigneur, quand aurai-je la joie
la tte de mon fils, et de lui* de voir la vengeance qui, cache,
commena la ligne des ossements sacrs. adoucit ta colre, en ton secret ?
292 293
97
lOO
103
106
109
1 1 2
1 1 5
118
121
124
127
130
294
LA DIVINE COMDIE
Ce que je disais de cette unique pouse*
de l' Esprit Saint, et qui te tourna
vers moi pour quelques gloses,
est rpons toutes nos prires tant
que le jour dure ; mais quand vient la nuit
parole contraire prenons la place.
Nous redisons alors Pygmalion*
que fit tratre, voleur et parricide
son effrn dsir de l'or ;
et la misre de l' avare Midas*,
qui suivit sa demande avide
de laquelle toujours on se rira.
Du fol Achan chacun se souvient*
comment il droba le butin, si bien que l' ire
de Josu parat ici encore le mordre.
Puis nous accusons, avec son mari, Saphire* ;
nous louons les ruades reues par Hliodore* ;
et, autour du mont, court l' infamie
de Polymnestor qui tua Polydore* ;
et pour finir nous crions : "Crassus*,
dis-nous, car tu le sais, quelle saveur a l'or ?
Parfois l'un parle haut et l' autre bas
selon que la passion dire nous peronne,
ore a plus grand, ore plus petit pas ;
c'est pourquoi, au bien que le jour on rappelle,
tantt je n'tais seul, mais prs d'ici
n'levait la voix autre personne.
Nous tions dj loigns de lui
et nous efforcions de gagner du chemin
tant qu' nos forces tait permis,
quand j 'entendis, comme chose qui tombe,
trembler le mont, dont me saisit un froid
tel celui qui saisit l'homme qui va la mort.
Certes si fort ne fut secoue Dlos,
avant que Latone en elle fit le nid
o enfanter les deux yeux du ciel*.
133
136
139
142
145
148
152
PURGATOIRE. CHANT XX
puis commena de toute part un cri
tel, que le matre se tourna vers moi
disant : N'aie crainte, tant que je te guide.
Gloria in exceli Deo # tous
disaient, par ce que je compris des plus proches,
de qui on pouvait entendre le cri.
Nous restions immobiles et en suspens,
comme les bergers qui premiers 1 'entendirent,
jusqu' tant que cessa le tremblement et finit l 'hymne.
Puis nous reprmes notre route sainte,
regardant les ombres qui gisaient par terre,
dj revenues aux larmes pour peu interrompues.
Nulle ignorance jamais me fit
u tel tourment dsieux de savoir,
si ma mmoire n'erre sur ce point,
autant qu'il me parut alors avoir en ma pense ;
ni par la hte n'tais-je hardi demander,
ni par moi pouvais-je l voir quelque chose :
ainsi allais-je timide et pens.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
296
Chant XXI
La naturelle soif, que rien n'tanche
hors l'eau dont l'humble femme*
samaritaine demanda la grce,
me tourmentait ; et la hte me pressait
derrire mon guide, par la voie encombre,
et je compatissais la juste vengeance.
Et soudain, comme Luc a crit*
qu'apparut aux deux qui cheminaient
Christ, dj sorti hors du spulcre,
une ombre apparut et venait derrire nous,
alors qu' nos pieds regardions la troupe gisante ;
nous ne l'avions pas vue avant qu'elle parlt
disant : Frres, Dieu vous donne sa paix !
Nous nous tournmes aussitt et Virgile
fit le signe de salut qui convenait.
Puis il commena : Au bienheureux concile,
que te place en paix la juste Cour
qui me relgue dans l'ternel exil.
<< Comment ? dit-il, tandis que nous htions la marche,
<< Si vous tes des ombres que Dieu n' accepte en haut,
qui donc par ses degrs vous a ici conduits ?
Et mon docteur : << Si tu regardes les signes
que celui-ci porte, gravs par l' ange,
tu verras bien qu'avec les bons il doit rgner.
Mais parce que celle qui file jour et nuit
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT XXI
n'avait encore termin la quenouille
que Clotho impose chacun, et enroule,
son me qui est ta sur et la mienne
ne pouvait, en montant, venir seule
car, notre manire elle ne regarde,
pour ce je fus tir de l'ample gueule d'enfer
pour le faire voir, et je le ferai voir
encore, tant que le pourra guider mon art.
Mais dis-moi, si tu sais, pourquoi ce mont
a donn telles secousses, et pourquoi d'une seule voix
tous clamrent, jusqu'au bas o baigne son pied ?
Sa demande enfila si bien le chas
de mon dsir que l'esprance
fit ma soi moins ardente.
L' autre commena : Ce n'est chose qui trouble
sans raison l'ordonnance
de la montagne, ou qui soit hors de l'usage.
Ce lieu est exempt de toute altration,
en ce que le ciel de soi soi reoit
peut s'y trouver la cause, et non ailleurs ;
aussi ni pluie, ni grle, ni neige,
ni rose, ni brume ne tombe plus haut
que les tois marches de la brve monte ;
n'apparaissent nuages ni pais ni rares,
ni clairs, ni la fille de Thaumas*
qui souvent, l-bas, change de contre.
Sche vapeur ne monte plus avant
qu'en haut des trois marches dont j 'ai parl,
o le vicaire de Pierre pose les pieds.
Plus bas, peut-tre, tremble peu ou beaucoup,
mais, pour vent qui sur terre se cache,
je ne sais comme, ici en haut ne trembla jamais.
Tremble ici quand une me se sent
pure et qu'alors se dresse ou se meuve
pour monter, et un tel cri la seconde.
297
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
298
LA DIVINE COMDIE
De la puret, seul fait preuve le vouloir
qui surprend l'me toute libre
changer sa demeure, et ce vouloir l'enchante.
Avant, elle veut bien, mais l'envie ne suffit,
car la divine justice, par dsir oppos,
la dispose au toument, comme elle fut au pch.
Et moi qui fus gisant cette peine
cinq cents ans et plus, je viens de sentir
libre vouloir de meilleur logis.
C'est pourquoi tu as entendu le tremblement,
et les pieux esprits, par le mont, chanter louange
ce Seigneur, qui veuille en haut bientt les envoyer.
Ainsi nous dit-il ; et parce qu'on jouit
d'autant plus de boire que grande est la soif,
je ne saurais dire quelle jouissance me donna.
Et le sage guide : Dsormais je vois le filet
qui vous retient et comme on se libre,
pourquoi le mont tremble et de quoi vous louez
[ensemble.
Ores qu'il te plaise que je sache qui tu fus ;
et par tes paroles fais-moi comprendre
pouquoi tant de sicles tu es rest gisant.
Dans le temps que le bon Titus, avec l' aide*
du roi suprme, vengea les plaies
d'o sortit le sang vendu par Judas,
avec le nom qui le plus dure et honore,
j 'tais l-bas , rpondit cet esprit,
assez fameux, mais encore sans la foi.
Tant fut doux mon esprit musical
que, Toulousain, soi me tira Rome
o je mritai d'orner mes tempes de myrte ;
Stace me nomment encore les gens l-bas* ;
je chantai de Thbes, et puis du grand Achille,
mais je tombai en route sous mon second fardeau.
A mon ardeur fuent semences les tincelles
97
lOO
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
PURGATOIRE. CHANT XXI
qui m'embrasrent, de la divine flamme
o se sont illumins plus de mille ;
de l'

nide je parle, qui me fut mre,


qui me fut nourrice pour mes chants :
sans elle je ne pserai pas lourd.
Et pour avoir vcu sur terre quand
y vcut Virgile, j 'allongerais d'un soleil
plus que je ne dois pour sortir d'exil.
Ces paroles tournrent Virgile vers moi
et son visage, se taisant, disait : Tais-toi ,
mais ne peut tout la vertu qui veut,
car rire et pleur suivent de si prs
la passion qui les fait jaillir
que, chez les plus vrais, moins suivent le vouloir.
Je souris peine comme un clin d'il,
pour quoi l'ombre se tut et me regarda
dans les yeux, o la pense mieux se fixe ;
et : Qu'une telle fatigue tu mnes bonne fin ,
dit-il pourquoi ton visage l'instant
me montra l'clair d'un sourire ?
Et me voici d' une part et de l'autre pris :
l'une me fait taire et l'autre me conjure
de dire ; d'o je soupire, et je suis compris
de mon matre, et : N'aie pas peur
de parler , me dit-il, mais parle et dis-lui
ce qu'il demande avec tant d' intrt.
Et moi : Peut-tre que tu t'tonnes,
antique esprit, du rire que je fis,
mais plus d'merveillement je veux que te saisisse.
Celui-ci qui guide vers le haut mes regards
est ce Virgile, dont tu reus force
chanter et des hommes et des dieux.
Si autre cause mon rire tu as crue,
laisse-la pour non vraie, elle est
en ces paroles que de lui tu as dites.
299
130
133
136
LA DIVINE COMDIE
Dj il s' inclinait pour embrasser les pieds
de mon docteur qui lui dit : Frre
arrte, tu es ombre et ombre tu vois.
Et lui se redressant : Ores tu peux comprendre
le grand amour qui pour toi me brle,
si j 'en oublie notre vaine apparence
traitant les ombres comme chose solide.
Chant XXII
1 Dj l'ange tait derrire nous demeur,
l' ange qui nous avait indiqu le sixime giron,
r
'
ayant t une marque du front ;
4 il avait dit bienheureux ceux qui tendent
leur dsir la justice, et ses paroles
sitiunt, sans plus, s'arrtrent.
7 Et moi, plus lger qu'aux autres passages,
j 'allai, et sans aucun effort
je suivais en montant les esprits rapides,
10 quand Virgile commena : Amour
embras par vertu, toujours un autre embrasa,
pour peu que sa flamme au-dehors appart.
13 Ainsi, de l'heure que parmi nous descendit
dans le limbe de l' enfer Juvnal*,
qui me fit connatre ton affection,
1 6 la mienne envers toi fut telle
que jamais n' exista pour personne non vue,
et ore me paratra courte cette monte.
19 Mais dis-moi, et comme ami pardonne
si avec trop d' assurance je relche le frein,
et comme ami dsormais parle avec moi ;
22 comment put trouver place en ton sein
avarice, avec tant de sagesse
dont par ton tude tu fus plein ?
25 Ces paroles portrent Stace un peu
301
LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XXII
rire d'abord ; ensuite il rpondit :
61 S'il est ainsi, quel soleil ou quels flambeaux
Chaque mot de toi m'est cher signe d' amour. dissiprent tes tnbres, et qu'ensuite
28 A vrai dire souvent choses apparaissent tu dirigeas tes voiles derrire le Pcheur ?
qui donnent faussement sujet de douter 6 Et lui : Toi le premier m'envoyas
parce que les vraies causes en sont caches.
vers le Parnasse pour boire ses grottes,
31 Ta demande montre que tu crois
et le premier, aprs Dieu, m'illuminas.
que je fus avare en l' autre vie,
67 Tu fis comme celui qui marche dans la nuit
et porte la lumire derrire lui, non pour lui
cause, peut-tre, du cercle o j 'tais.
mais pour les autres qu' aprs lui il claire,
34 Or sache qu'avarice fut par trop
70 quand tu as dit : "Le sicle se renouvelle*,
loigne de moi ; et cette dmesure
la justice revient et premier temps humain,
par des milliers de lunes fut punie.
du ciel descend une race nouvelle. "
37 Et si ce n'tait que je redressai ma vie
73 Par toi je fus pote, par toi chrtien,
lorsque j 'entendis, l o tu clames,
mais pour que tu voies mieux ce que je dessine,
comme en courroux l'humaine nature :
j 'y mettrai de ma main les couleurs.
40 "Pourquoi ne diriges-tu, sainte faim*
76 Dj le monde tait tout imprgn
de l'or, l'apptit des mortels ? "
de la vraie croyance, seme
je subirais en tournant les dures joutes.
par les messagers du royaume ternel,
43 Alors je m' aperus que trop ouvrir l'aile
79 et ta parole, que j 'ai dite plus haut,
pouvaient les mains, pour dpenser, et me repentis
s'accordait avec les nouveaux prdicateurs,
de ce mal comme des autres maux.
d'o je pris l'habitude de les visiter.
4 Combien ressusciteront le crne tondu,
82 Ensuite ils m' apparurent si saints
par ignorance qui, de ce pch, empche
que lorsque Domitien les perscuta*
le repentir en vivant ou l'heure extrme.
je ne restai sans larmes leurs pleurs ;
49 Et sache que la faute qui rplique
85 et tout le temps que l-bas demeurai
en droite opposition tout pch,
je les soutins, et leur vie droite
ensemble avec lui, ici, sche son vert :
me fit ddaigner toutes les autres sectes.
52 par suite si j ' ai t parmi ces gens
88 Et avant d' avoir conduit les Grecs aux fleuves
qui pleurent l'avarice, pour me purifier,
de Thbes, dans mon pome, j 'eus le baptme ;
pour son contraire m'est advenu.
mais par peur je fus chrtien en secret ;
55 Quand tu chantas les armes cruelles
91 longtemps je fus paen en apparence,
de la double tristesse de Jocaste* ,
et cette tideur, au quatrime cercle,
dit le pote des chants bucoliques,
me fit tourner plus de quatre cents ans.
58 selon ce que, l, Clio traite avec toi ,
94 Toi donc, qui as lev le voile
il ne semble pas que te ft dj fidle
qui me cachait tout le bien que je dis,
la foi, sans laquelle bien faire ne suffit. pendant le temps qu'il nous reste monter,
302
303
97
lOO
103
106
109
112
115
1 18
121
124
127
130
304
LA DIVINE COMDIE
dis-moi o est Trence notre ancien*,
Caecilius et Plaute et V arius, si tu sais,
dis-moi s'ils sont damns et en quel lieu.
Ceux-l et Perse et moi, et beaucoup d'autres ,
rpondit mon guide, nous sommes avec ce Grec*
que les Muses allaitrent plus que tout autre,
au premier cercle de la prison aveugle ;
souvent ensemble nous parlons du mont
qui a toujours nos nourrices avec lui.
Euripide y est avec nous, et Antiphon*,
Simonide, Agathon et bien d' autres
Grecs qui jadis de laurier ornrent leur front.
L on voit de tes hrones,
Antigone, Diphile et Argie,
et Ismne aussi triste qu'elle fut ;
on y voit celle qui montra Langie*,
s'y trouve la fille de Tirsias et Thtis,
et, avec ses surs, Deidamie.
Mais dj se taisaient, tous deux, les potes,
de nouveau attents regarder autour,
librs de la monte et des parois.
Et dj les quatre servantes du jour taient
restes en arrire, la cinquime tait au timon
dressant sa pointe ardente vers le haut,
quand mon guide : Je crois qu'il nous faut
avoir vers le bord l'paule droite,
contournant le mont comme dj l'avons fait.
Ainsi l'habitude l nous enseigna,
et nous prmes la route avec moins de crainte
par l'assentiment de cette me digne.
Ils allaient en avant, et moi seulet
en arrire, et j 'coutais leurs discours
qui me donnaient intelligence de posie.
Mais tt rompit les douces paroles
un arbre que nous trouvmes au milieu du chemin,
avec fruits d'odeur suave et bonne ;
133
136
139
142
145
14
1 51
1 54
PURGATOIRE. CHANT XXII
et comme sapin se rtrcit en haut
de branche en branche, ainsi celui-ci vers le bas
afin que, je crois, personne n'y monte.
Du ct qui limitait notre chemin
tombait de la haute roche une onde claire
et se rpandait sur les feuilles.
Les deux potes s' approchrent de l'arbre,
et une voix d'entre les feuillages
cria : Vous aurez grand dsir de cette nourriture !
Puis dit : Marie avait plus en pense*
que la noce fut honorable et complte
que sa bouche qui ores pour vous rpond,
et les Romaines antiques, pour boisson
se contentaient d'eau, et Daniel*
ddaigna la nourriture et acquit sagesse.
Le sicle premier fut beau comme l'or !
fit savoureux par la faim les glands
et nectar par soif tout ruisseau.
Miel et sauterelles furent les mets
qui nourrirent le Baptiste au dsert,
pour ce il est glorieux et si grand
comme dans l'

vangile il est dit.


1
4
7
10
13
16
19
22
25
306
Chant XXIII
Alors que dans la frache verdure j e fixais
les yeux comme fait celui qui
derrire les oiselets va perdant sa vie,
le plus que pre me disait : Fils,
viens-t' en dsormais, le temps qui nous est imparti
plus utilement doit tre employ.
Je tournai le visage, et non moins vite le pas,
vers les sages qui si bien parlaient
que la marche ne me cotait en rien.
Et voici qu'on entendit pleurer et chanter
Labi mea Domine , de faon telle
que joie et douleur engendrait.
0 doux pre, qu'est-ce donc que j 'entends ?
commenai-je ; et lui : Ombres qui vont
sans doute dliant de leur dette le nud.
Ainsi que font les plerins pensifs,
rejoignant en chemin gens non connus
et se tournant vers eux sans s' arrter,
ainsi derrire nous, d'un pas plus rapide
venant et nous dpassant, nous regardait tonne
une foule d'mes silencieuse et dvote.
Chacune avait les yeux obscurs et caves,
la face ple, et si dcharne
que des os la peau prenait forme.
Je ne crois pas qu' si extrme corce
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT XXIII
Eresichton ft ainsi dessch*
par jene, quand plus en eut la crainte.
Je me disais tout en pensant : Voici
ceux qui perdirent Jrusalem
quand Marie en son fils donna du bec* !
Les orbites semblaient anneaux sans gemmes,
et qui dans le visage des hommes lit OMO
bien aurait ici reconnu l'M.
Qui donc pourrait croire - ne sachant comme -
que l'odeur d'un fruit et celle d'une eau,
engendrant le dsir, et un tel effet ?
Dj je r
'
tonnai de ce qui les affame,
n'tant encore manifeste la cause
de leur maigreur et de leur triste caille,
et voici que du profond de sa tte, tourna vers moi
les yeux une ombre, regarda fixement*
et puis cria fort : Quelle grce r
'
est donne !
Jamais ne l'aurais reconnu au visage,
mais dans sa voix me fut vident
ce que son aspect avait fait disparatre.
Cette tincelle ralluma en moi toute
connaissance du visage transform,
et je reconnus la face de Forese.
Ah ne t'arrte la sche gale
qui dcolore ma peau , priait-il,
ni ce qui me manque de chair,
mais dis-moi de toi en vrit, et qui sont
ces deux mes qui te conduisent,
ne reste l sans me parler !
Ton visage que dj j 'ai pleur mort,
ores me donne pleurer non moindre douleur ,
rpondis-je, le voyant si dfait.
Dis-moi donc, par Dieu, ce qui tant vous effeuille ;
ne me fais parler tandis que je m'tonne,
car mal peut parler qui est plein d'autre dsir .
307
LA DIVINE COMDIE
61 Et lui moi : De l'ternel conseil
descend dans l'eau et dans l' arbre
l derrire, vertu qui ainsi m' amenuise.
64 Toute cette foule qui en pleurant chante,
pour s' tre adonne la bouche sans mesure
par faim et so ici se refait sainte.
67 De boire et de manger nous excite l'envie
l'odeur qui sort du fruit et de l'eau
qui jaillit sur toute sa verdure.
70 Et pas seulement une fois, faisant le tour
de cette corniche, se rafrachit notre peine,

je dis peine je devrais dire joie ;
73 car ce mme vouloir aux arbres nous mne
qui mena Christ joyeux dire "Eli*"
quand par son sang il nous fit libres.
76 Et moi lui : Forese, depuis le jour
que tu changeas de monde pour vie meilleure,
cinq ans ne se sont couls jusqu'ici.
79 Si en toi s' arrta le pouvoir de pcher
avant que ft venue l'heure
de la bonne douleur qui Dieu nous remarie,
82 comment es-tu venu dj ici-haut ?
Je croyais te trouver l-bas, en dessous,
o l'on rachte le temps par le temps.
85 Alors lui moi : Si tt m'a conduit
boire la douce absinthe des martyres
ma Nella pleurant chaudes larmes.
88 Par dvotes prires et par soupirs
elle m' a tir du rivage de l' attente
et dlivr de tous autres girons.
91 Elle est d'autant plus Dieu chre et agrable,
ma douce veuve tant aime,
qu'elle est plus seule en bien faire ;
94 car la Barbagia de Sardaigne est*
plus pudique en ses femmes
que la Barbagia o je l' ai laisse.
308
97
lO
103
106
109
l l2
l i S
l l 8
121
124
127
130
133
PURGATOIRE. CHANT XXIII
0 doux frre que veux-tu que je dise ?
Temps futur est dj devant moi
qui de cette heure n'est trs loign,
que du haut de la chaire sera interdit
aux femmes effrontes de Florence
d' aller montrant poitrine et mamelles.
Quelles barbares furent jamais, quelles sarrasines,
qui fallut, pour qu'elles aillent couvertes,
disciplines spirituelles ou autres ?
Mais si ces hontes savaient
ce que le ciel avant peu leur prpare
dj pour hurler auraient la bouche ouverte ;
car si la prescience ici ne me trompe,
tristes seront-elles avant que poil vienne aux joues
de celui qu'aujourd'hui une berceuse console.
Ah frre, maintenant veuille ne plus te cacher moi.
Vois que, non moi seul, mais tous ces gens
regardent l o tu voiles le soleil.
Alors moi lui : Si tu te remmores
quel tu fus avec moi et quel avec toi je fus,
lourd encore en sera le souvenir prsent.
De cette vie me dtourna celui
qui marche devant moi, l'autre jour, quand
ronde vous apparut la sur de celui-l ,
et j e montrai le soleil : Par la profonde
nuit des vrais morts, il m' a men,
avec ce vrai corps qui va derrire lui.
Puis m'ont tir vers le haut ses rconforts
tout en gravissant et contournant le mont
qui vous redresse, vous que le monde fit tors.
Il promet de me donner sa compagnie tant
que je sois l o est Batrice,
et o il convient que sans lui je demeure.
Virgile est celui qui ainsi me parle ,
- et j e le montrai - et cet autre est l'ombre
pour qui nagure secoua ses rochers
votre royaume, en la librant.
309
1
4
7
10
13
16
19
22
25
310
Chant XXIV
Ni le dire l' aller, ni l'aller le dire plus lents
ne faisaient, mais, discourant, allions en hte,
comme navire pouss par bon vent.
Et les ombres, qui paraissaient deux fois mortes,
du creux de leurs yeux prenaient de moi
stupeur, voir que j 'tais bien vivant.
Et moi, continuant mon discours,
je dis : Elle monte sans doute plus lentement*
qu'elle ne ferait, pour cause d' autrui.
Mais dis-moi, si tu sais, o est Piccarda,
dis-moi si je vois parmi ces gens
qui me regardent ainsi, personnes notables.
Ma sur dont je ne sais si elle fut
davantage belle ou bonne, triomphe joyeuse
dans le haut Olympe dj de sa couronne.
Ainsi dit-il d' abord, et puis : Ici n'est interdit
de nommer chacun, tant est dfaite
notre apparence, pour cause de dite.
Celui-ci , et son doigt le montra, est Bonagiunta*,
Bonagiunta da Lucca, et cette face
au-del, plus que les autres creuse,
tint sainte

glise entre ses bras :


fut de Tours, et purge par le jene*
anguilles de Bolsena et vernaccia.
Beaucoup d' autres me nomma un un,
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT XXIV
et d'tre nomm chacun semblait content,
de sorte que je ne vis aucun geste fch.
Je vis, par faim, user ses dents vide
Ubaldino da Pila, et aussi Bonifazio*
qui fit patre bien des gens sous sa crosse.
Je vis messire Marchese qui put son gr*
boie Forli, en moindre scheresse,
et fut tel que jamais ne fut rassasi.
Mais comme fait celui qui regarde et estime
plus l'un que l'autre, fis-je celui de Lucca,
qui plus semblait vouloir me parler.
Il murmurait, et je ne sais quelle Gentucca
j 'entendais, l o il sentait la plaie
de la jusice qui tant les consume.
0 me , dis-je, qui parais si dsireuse
de parler avec moi, fais en sorte que je t'entende,
et toi et moi, en parlant, satisfais .
Femme est ne, qui ne porte encore voile ,
commena-t-il, qui te fera plaire
ma ville, bien qu'on la reprenne.
Tu t'en ias avec cette annonce :
si dans mon murmure tu as pris erreur,
tu seras clai par les choses vraies.
Mais dis si je vois bien ici celui qui mit au jour
les rimes nouvelles qui commencent ainsi :
"D
.
. 11" d' A ? ames qm avez mte tgence mour .
Et moi lui : Je suis un qui, quand
amour m'inspie, cris, et de mme faon
qu'il dicte au dedans, je vais signifiant.
0 frre, maintenant je vois , dit-il, le nud
qui retint le Notaire et Guittone et moi*
en de du doux stile nouveau que j 'entends.
Je vois bien comment vos plumes
derrire celui qui dicte s'en vont serres,
ce qui n'advint pas, certes, des ntres,
311
61
6
67
70
73
76
79
82
85
8
91
94
312
LA DIVINE COMDIE
et qui plus se met regarder au-del
ne voit rien plus de l'un l'autre style.
Et, comme satisfait, il se tut.
De mme que les oiseaux hivernant vers le Nil,
parfois dans l'air forment une troupe,
puis volent plus rapides et vont en file,
ainsi toute la gent qui tait l,
tournant le visage, acclra son pas,
et par maigreur et par dsir lgre.
Et comme celui qui est las de trotter
laisse aller ses compagnons et se promne
tant que s' apaise sa poitrine affole,
ainsi Forese laissa passer le saint troupeau
et derrire avec moi s'en venait
disant : Quand sera que je te revoie ?
Je ne sais , lui rpondis-je, combien il me reste vivre,
mais certes si tt que viendra mon retour,
serai, par le dsir, bien avant la rive,
car le lieu o je fus mis pour vivre,
de jour en jour, de bien se dcharne
et triste ruine parat destin .
Or va , dit-il, celui qui plus en a faute*
je le vois tran la queue d'une bte
vers la valle o ne se pardonne faute.
La bte chaque pas va plus vite,
toujours plus vite, jusqu' ce qu'elle le frappe
et laisse le corps honteusement dfait.
N'ont pas longtemps tourner ces roues ,
et leva les yeux vers le ciel, que te sera clair
ce que mon dire ne peut dclarer davantage.
Je te laisse dsormais car le temps est cher
en ce royaume, et je perds trop
en venant avec toi du mme pas.
Comme parfois, au galop, le cavalier
sort de la troupe qui chevauche,
et va se faire honneur du premier choc,
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
PURGATOIRE. CHANT XXIV
tel il s'loigna de nous plus grands pas ;
et je restai en route avec ces deux
qui furent au monde de si grands marchaux.
Et alors que devant nous il se fut loign
et que mes yeux voulaient le suivre
comme mon esprit ses paroles,
m'apparuent les rameaux vivaces et louds
d'un autre arbre, pas trs loin
de nous, qui venions de tourner l.
Je vis des gens au-dessous, lever les mains
et crier je ne sais quoi vers le feuillage,
tels enfantelets avides et vains
qui prient et le pri ne rpond pas,
mais pour faire plus aigu leur envie
tient haut l'objet et ne le cache.
Puis ils partirent comme s'ils changeaient d' avis,
et nous alors nous vnmes au grand arbre
qui repousse tant de prires et tant de larmes.
Passez outre sans vous approcher,
plus haut est l'arbre qui fut mordu par

ve
et celui-ci s'leva venant de lui .
Ainsi disait je ne sais qui dans les branches,
si bien que Virgile et Stace et moi, serrs,
allions outre du ct qui monte.
Qu'il vous souvienne , disait-on, des maudits*
ns dans les nuages qui, pleins de vin,
combattirent Thse de leur double poitrail ;
et des Hbreux qui, en buvant, montrrent leur mollesse,
pour quoi Gdon ne les voulut compagnons,
quand il descendit des collines vers Madian.
Presss l'une des deux lisires, passmes
ainsi, entendant pchs de goumandise
suivis de bien malheureux gains.
Ensuite, plus au large sur le chemin dsert,
bien mille pas et plus nous emmenrent,
chacun contemplant sans parler.
313
133
136
139
142
145
148
151
154
LA DIVINE COMDIE
A quoi donc pensez-vous, seuls tous les trois ?
dit soudain une voix, d'o je sursautai
comme font poulains effrays.
Je dressai la tte pour voir qui c'tait
et jamais on ne vit en fournaise
verres ni mtaux si luisants et rouges,
comme je vis un qui disait : S'il vous plat
de monter, il faut tourner ici,
par ici va qui veut chercher la paix.
Son aspect r
'
avait t la vue
aussi tournai-e derrire mes docteurs
comme un qui va selon ce qu'il entend.
Telle, annonciatrice de l'aube
brise de mai s'lve et embaume
tout imprgne par l'herbe et par les fleurs,
tel le souffle que je sentis par le milieu du front,
et bien je sentis passer la plume
qui parfuma l'air d'ambroisie.
Et j 'entendis : Bienheureux ceux qu'allume
tant la grce que l'attrait du got
en leur cur n'excite trop grand dsir,
ayant faim toujours de ce qui est juste* !
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XXV
C'tait 1 'heure o monter n'tait pour les boiteux
car le soleil avait laiss le mridien
au Taureau et la nuit au Scorpion,
pour ce, comme fait celui qui ne s'arrte
mais va par son chemin quoi qu'il ait vu
si l'aiguillon du besoin le pique,
nous entrmes dans la voie resserre,
l'un derrire l'autre, par l'escalier
dont l'troitesse dparie ceux qui montent.
Et, comme le cigogneau qui lve son aile
par dsir de voler, puis, ne se hasardant
quitter le nid, l'abaisse,
tel tais-je avec mon dsir, ardent puis teint,
de questionner, arrivant jusqu' l'acte
que fait celui qui s'apprte parler.
Pour rapide que ft notre marche,
ne laissa de dire mon doux pre : Dcoche
l' arc du dire que tu as tendu l' extrme.
Assur alors j 'ouvris la bouche
et commenai : Comment peut-on maigrir
l o nul besoin de nourriture ne touche ?
Si tu te rappelais comment Mlagre*
se consuma quand se consumait un tison ,
dit-il, cela ne te serait pas si aigre ;
et si tu pensais comment au moindre glissement
315
LA DIVINE COMDIE
PURGATOIRE. CHANT XXV
glisse votre image dans le miroir, 61 Mais comment d' animal il devient un enfant
ce qui te parat dur te paratrait mol.
tu ne vois pas encore : c'est l un point
28 Mais pour que dans ton dsir tu sois satisfait
qui jadis fit errer un plus savant que toi*,
voici Stace, c'est lui que j ' appelle et prie
6 lequel par sa doctrine a spar
qu'il soit maintenant mdecin de tes plaies .
de l' me l' intellect possible
31 Si les vues ternelles je lui dvoile ,
car ne voyait pour lui aucun organe.
reprit Stace, en ta prsence,
67 Ouvre ton cur la vrit qui vient ;
et sache ceci : ds que dans le ftus
excuse-moi de ne pouvoir te refuser .
la structure du cerveau est parfaite,
34 Puis il commena : Si ton esprit,
70 le Premier Moteur se tourne vers lui joyeux
fils, entend et reoit mes paroles,
d'un tel art de nature, et insuffle
elles seront lumire ton "comment".
un esprit nouveau empli de vertu
37 Le sang parfait qui jamais n'est bu
73 qui tire en sa propre substance ce qu'il trouve
par les veines assofes, et demeure
l d'actif et en fait une seule me
tel un aliment que tu enlves de table,
qui vit et sent et se pense elle-mme.
40 prend dans le cur vertu informative
76 Et pour que tu sois moins tonn par mes paroles,
pour les membres humains, comme celui
regarde la chaleur du soleil qui se fait vin
qui, pour les nourrir, court par les veines.
joint l'humeur qui coule de la vigne.
43 Purifi encore, il descend l o plus beau
79 Quand Lachesis n' a plus de lin*
est taire que dire, et ensuite il s'coule
l' me se spare de la chair et en sa vertu
sur autre sang en vase naturel.
emporte avec elle l' humain et le divin :
4 L ensemble l'un l'autre accueille,
82 les autres puissances restant toutes muettes,
disposs l'un ptir, l'autre agir
mmoire, intelligence et volont
par le lieu parfait d'o il drive ;
en acte, sont beaucoup plus qu'avant aigus.
49 celui-ci arriv commence oprer,
85 Sans s' arrter, d'elle-mme tombe,
d'abord coagulant, et puis vivifiant
oh merveille ! l'un des deux rivages,
ce que par sa matire il a rendu ferme.
l elle connat ds l'abord ses routes.
52 L' me faite, la vertu active, 88 Ds qu'en un lieu se trouve circonscrite,
telle d'une plante, mais diffrente la vertu informative rayonne autour
car elle est en route et l' autre arrive, comme elle fit dans les membres vivants ;
55 uvre tant ensuite que dj se meut et sent 91 et comme l' air, quand est imprgn de pluie,
comme mduse en mer, et puis entreprend par autre rayon qui en lui se reflte
de former les organes dont elle est le germe. se trouve orn de diverses couleurs,
58 Tantt s'largit, mon fils, et tantt s' allonge 94 ainsi l' air proche prend
la vertu venue du cur du gniteur cette forme qu'en lui imprime
o nature conoit tous les membres.
par sa vertu l' me ici fixe,
316 317
97
100
103
106
109
112
115
1 18
121
124
127
130
318
LA DIVINE COMDIE
et semblable la flamme
qui suit le feu l o on le porte,
suit l'esprit sa forme nouvelle.
Parce que l'me tire de l son apparence
elle est appele ombre ; et puis elle organise
chacun des sens jusqu' la vue.
De l nous parlons, de l nous rions,
de l nous formons larmes et soupirs
que par le mont tu peux avoir entendus.
Selon que nous stimulent les dsirs
et autres affections, l'ombre prend figure,
et l est la cause de ce qui t'tonne e
Dj l'ultime torture tions
arrivs et avions tourn main droite ;
et tions attents un autre souci.
L, la paroi darde en dehors les flammes
et la corniche souffle vers le haut un vent
qui les rabat et les maintient loin d'elle,
il nous fallait donc aller du ct ouvert,
un un ; et ici je craignais le feu
et l je craignais la chute en bas.
Mon guide disait : En ce lieu
il faut tenir aux yeux le frein serr
car errer se pourrait facilement.
Summae Deus clementiae # q entendis-je
alors chanter au sein du grand brasier,
ce qui de me tourner me fit pourtant dsirer ;
et je vis des esprits qui allaient dans la flamme,
pourquoi j 'tais attent eux et mes pas
partageant mon regard tantt ici tantt l.
Aprs avoir mis fin cet hymne,
ils criaient fort : Virum non cognosco # q
ensuite recommenaient l'hymne voix hasse.
Termin de nouveau, ils criaient : Au bois*
se tint Diane et en chassa Hlice
qui de Vnus avait got le poison.
133
136
139
PURGATOIRE. CHANT XXV
Puis ils retournaient au chant, puis clbraient
femmes et maris qui furent chastes
comme vertu et mariage nous imposent.
En ce mode je crois se maintiendront
pour tout le temps que le feu les brle :
par tel souci et telle pture, il convient
que la plaie pour finir se recouse.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
320
Chant XXVI
Tandis qu'ainsi, sur le bord, l'un devant l'autre
nous allions, et souvent le bon matre
disait : Prends garde, je t'ai averti ,
le soleil me frappait contre l'paule droite,
et dj ses rayons, l'occident,
changeaient en blanc le ton d'azur cleste ;
et moi je faisais par mon ombre paratre
plus rouge la flamme, et ce signe
je vis beaucoup d'ombres tre, en passant, attentives.
Ce fut la cause qui les engagea
parler de moi ; et elles commencrent
se dire : Ce n' est pas l un corps fictif.
Puis vers moi, autant qu'ils pouvaient s' avancer,
certains le firent, toujours se gardant
de ne sortir l o n'eussent t brls.
0 toi qui vas, non pour tre plus lent,
mais par respect, peut-tre, aprs les autres,
rponds moi qui dans la soif et le feu brle.
Et non moi seul importe ta rponse,
car tous ceux-ci en ont plus grande soif,
que d'eau froide ceux d' Inde ou d'

thiopie.
Dis-nous comment tu fais de toi cran
au soleil, comme si tu n'tais pas encore
entr dans les rets de la mort.
Ainsi me parlait l'un d' eux, et je me serais
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT XXVI
dj manifest, si ne r
'
avait attir
autre nouveaut qui m' apparut alors ;
par le milieu du chemin embras
venaient des gens au-devant de ceux-ci
et pour les regarder je restai en suspens.
L je vois de chaque ct s' empresser
chaque ombre et se baiser l'une l'autre,
sans demeurer, contentes d'une brve joie ;
ainsi, par-dedans leur lgion brune,
se frottent le museau l'une l'autre fourmi,
peut-tre qutant leur route et leur chance.
A peine termin l'accueil amical,
avant que le premier pas les loigne,
chacune s'efforce crier plus fort,
les nouveaux venus : Sodome et Gomorrhe* ,
les autres : Dans la vache entre Pasipha*
pour que le taureau sa luxure accoure.
Puis, comme des grues qui s' envoleraient
les unes aux monts Riphes, les autres aux sables,
les unes fuyant le gel, les autres le soleil,
une troupe s'en va, l'autre s'en vient,
elles retournent en pleurant aux premiers chants,
et au cri qui mieux leur convient.
Alors s'approchent de moi, comme avant,
ceux mmes qui dj r
'
avaient pri,
se montrant attentifs couter.
Moi qui deux fois avais vu leur plaisir
commenai : 0 mes assures
d'atteindre, quand que ce soit, l'tat de paix,
ne sont rests ni verts ni mrs
mes membres en terre, mais ici avec moi
sont avec leur sang et leurs jointures.
L-haut je vais pour n'tre plus aveugle :
dame est au ciel qui r
'
acquiert grce
de porter en votre monde mon corps mortel.
321
61
64
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
322
LA DIVINE COMDIE
Mais puisse votre grand dsir tre tt
rassasi, que vous hberge le ciel
plein d'amour, qui plus large s'tend !
mais dites-moi, que je le marque en mes crits,
qui vous tes et qui est cette troupe
qui s'en va derrire vos paules.
Non autrement de stupeur se trouble
le montagnard et s'tonnant reste muet
quand, rustique et sauvage, il entre dans la ville,
que ne fit en son apparence, chacune des ombres,
mais lorsque fut tombe la stupeur,
qui dans les curs nobles tt s'apaise,
Bienheureux toi qui de nos contres ,
reprit celle qui dj m' avait interrog,
pour mieux mourir reois l' exprience !
La gent qui ne vient avec nous commit
le pch pour quoi Csar, en son triomphe,
s'entendit mpris appeler reine ;
aussi s'en vont-ils criant "Sodome"
et, se blmant, comme tu l'as entendu,
ils accroissent la brlure par la honte.
Notre pch nous fut hermaphrodite,
mais pour n'avoir gard loi humaine
en suivant notre apptit comme des btes
en opprobre nous disons,
quand nous nous sparons, le nom de celle
..
qui bte se fit dans la bte de bois.
Tu sais maintenant nos actes et notre pch,
si peut-tre tu veux nous connatre de nom,
temps n' est point de dire, et point ne saurais.
Sur moi ton dsir je satisferai,
je suis Guido Guinizelli et bien me purifie*
pour m'tre repenti avant le dernier jour .
Tels, dans la colre de Lycurgue*,
se firent deux frres en revoyant leur mre,
tel me fis-je, mais non tant m'lance,
PURGATOIRE. CHANT XXVI
97 quand j 'entends se nommer lui-mme ce pre
mien et d'autres meilleurs qui jamais
rimes d'amour chantrent douces et belles ;
lOO Sans entendre ni dire, pensif
longtemps le contemplai
mais, pour le feu, n'avanai pas plus prs.
103 Lorsque de regarder je fus repu,
tout entier m'offris prt son service,
par le serment qui donne toute crance.
106 Et lui moi : Tu laisses en moi
telle trace, par ce que j 'entends, et si claire
que Lth ne la peut effacer ni voiler.
109 Mais si tes paroles ont jur le vrai,
dis-moi pour quelle cause tu montres
en tes dires et regards de r
'
avoir si cher.
1 12 Et moi lui : Vos doux crits
qui, tant que durera l'usage moderne
feront encore chres leurs encres.
1 1 5 0 frre , dit-il, celui que j e te montre*
du doigt , et il montra un esprit devant lui,
fut meilleur forgeron du parler maternel.
1 18 En vers d'amour et proses de romans
il surpassa tous, et laisse dire les sots
qui croient celui de Limoges meilleur*.
121 Au bruit plus qu'au vrai ils tournent le visage
et ainsi arrtent leur opinion
avant d'couter ni a ni raison.
124 Ainsi firent bien des anciens pour Guittone,
de cri en cri ne louant que lui seul,
mais le vrai par plusieurs a vaincu.
127 Or si tu as si ample privilge
qu'il te soit permis d'aller au clotre
o Christ est abb du collge,
130 dis-lui pour moi ces mots du Notre Pre
dont nous avons besoin nous de ce monde
o pouvoir pcher n'est plus ntre .
323
133
136
139
142
145
148
LA DIVINE COMDIE
Puis, peut-tre pour faire place aprs lui
cet autre proche, il disparut dans le feu,
comme dans l'eau un poisson glissant au fond.
Je m'avanai un peu vers l'esprit dsign
et lui dis qu' son nom mon dsir
prparait une gracieuse demeure.
Il commena aimablement dire :
Tan m'ahellis vostre cortes deman,
qu'ieu no me puosc ni voill a vos cohrire.
leu sui Arnaut, que plor e vau cantan ;
consiros vei la passada folor,
e vei jausen lo jorn qu'esper, denan.
Ara us pree, per aquella valor
que vos condus al som de l' escalina,
sovenha vos a temps de ma dolor !
Et puis il se cacha au feu qui les affine.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XXVII
Alors que vibrent ses premiers rayons
l o son auteur rpandit son sang,
et que l' Ehre tombait sous la Balance,
et que l'eau du Gange, none, brlait,
tel tait le soleil ; pour nous le jour baissait
quand l' ange de Dieu, joyeux, nous apparut.
Hors de la flamme se tenait sur la rive
et chantait : Beati mundo corde 1 #
d'une voix hien plus que la ntre vive.
Et puis : Plus outre on ne va si d' abord ne mord,
mes saintes, le feu ; entrez dedans
et au chant, par-del, ne soyez sourdes ,
nous dit-il, quand nous lui fmes proches ;
pour ce que je devins, lorsque je l'entendis,
comme celui qui dans la fosse est mis.
Serrant contre moi les mains jointes, me penchai
regardant le feu et imaginant fort
corps humains que j ' avais vus brler.
V ers moi se tournrent mes bons guides
et Virgile me dit : Fils trs cher
ici peut tre tourment mais non mort.
Souviens-toi, souviens-toi ! Et si,
sur Gryon, sauf je t' ai conduit,
que ferai-je maintenant plus prs de Dieu !
Tiens pour certain que si au sein
325
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
326
LA DIVINE COMDIE
de cette flamme tu restais bien mille ans
elle ne te pourrait faire d' un seul cheveu chauve.
Et si tu crois que, peut-tre, je te trompe,
avance vers elle et tu croiras alors
en tes mains tenant le pan de ta robe,
Dpose dsormais, dpose toute crainte,
viens de ce ct et entre d'un pas sr !
Et moi fig et contre ma conscience.
Quand il me vit rester ainsi fig et dur,
un peu fch, me dit : Or vois, mon fils,
entre Batrice et toi est ce mur.
Comme au nom de Thisbe ouvrit les yeux*
Pyrame prs de mourir et la regarda,
alors que le mrier devint vermeil,
ainsi, ma duret tout amollie,
je me tournai vers mon sage guide, au nom
qui sans cesse sourd dans ma pense.
Alors il hocha la tte et dit : Comment ?
voulons-nous rester l ? Ensuite il sourit
comme on fait 1 'enfant gagn par un fruit.
Puis dans le feu il entra devant moi,
en priant Stace de venir derrire,
lui qui en longue marche nous avait spars.
A peine fus-je dedans qu'en un verre en fusion
je me serais jet pour y trouver fracheur,
tant tait l l' incendie sans mesure.
Mon doux pre, pour me donner cur,
de Batrice allait discourant
et disait : Ses yeux dj me semble voir.
Nous guidait une voix qui chantait
par-del ; et nous, tendus vers elle,
nous sortmes l, devant la monte.
Venite, benedicti Patr mei ! #
ce chant venait l d'une lumire
telle qu'bloui je ne pus la fixer.
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
PURGATOIRE. CHANT XXVII
Le soleil s'en va , ajouta-t-elle, et le soir tombe
ne vous attardez, mais htez votre pas
tant que 1 'occident n'est encore assombri.
Droit montait le chemin par-dedans le rocher
du ct o j 'arrtais devant moi
les rayons du soleil dj bas,
et peu de marches encore avions essayes
quand, par l'ombre qui s'teignit, nous sentmes
le soleil couch derrire moi et mes sages.
Et avant qu'en toute son tendue immense
l'horizon ft devenu d'une seule couleur,
et que la nuit ft partout rpandue,
chacun de nous fit son lit d'un gradin,
car la natue du mont en nous brisa
et le pouvoir et le plaisir de monter davantage.
Telles se tiennent en ruminant, paisibles,
les chvres - auparavant rapides et hardies
sur les cimes, avant d' tre repues -
en silence, l'ombre, tandis que le soleil brle,
gardes par le ptre qui sur son bton
s'est appuy et, ainsi appuy les veille ;
et tel le berger qui, au-dehors, demeure
prs de son troupeau calme et passe la nuit
attentif pour que bte ne le disperse ;
tels tions nous alors tous les trois,
moi comme chvre et eux comme bergers,
entours ici et l du haut rocher.
Peu du dehors pouvait l apparatre,
mais par ce jeu je voyais les toiles,
plus claires et plus grandes qu' l'ordinaire.
Ainsi ruminant, ainsi les admirant,
me prit le sommeil, ce sommeil qui souvent,
avant que soit le fait, en connat la nouvelle.
A l'heure, je crois, que de l'orient
premire rayonna sur le mont Cythre*,
qui du feu d'amour semble toujours brler,
327
LA DIVINE COMDIE
97 jeune et belle, me semblait voir en songe,
une dame aller par une lande
cueillant des fleurs et disait en chantant :
100 Sache quiconque demande mon nom*
que je suis Lia, et vais menant l'entour
mes belles mains pour me faire une guirlande.
103 Pour me plaire au miroir ici je me pare ;
mais ma sur Rachel jamais ne s'loigne
de son miroir, assise l tout le jour.
106 Elle est, de voir ses beau yeu, dsireuse,
comme moi de m'orner de mes mains ;
elle voir, moi uvrer, est notre joie.
109 Et dj par les splendeurs d' avant le jour,
qui d'autant sont aux plerins plus chres
qu'au retour ils font halte moins loin,
1 1 2 les tnbres fuyaient de tous cts,
et mon sommeil avec elles, d'o je me levai
voyant mes grands matres dj levs.
1 1 5 Ce doux fruit que par tant de rameaux
s'en va cherchant le souci des mortels,
aujourd'hui apaisera toutes tes faims.
118 Virgile mon adresse ces paroles
pronona, et jamais ne fut trenne
qui ft en joie celle-ci gale.
121 Si grand dsir sur mon dsir me vint
d' tre en haut, qu' chaque pas ensuite
je sentais au vol crotre mes ailes.
124 Quand tout l'escalier au-dessous de nous
fut franchi, et fmes sur l'ultime degr,
Virgile en moi planta ses yeux
127 et dit : Le feu temporel et l'ternel
tu as vus, fils, et tu es arriv l
o plus avant par moi-mme ne discerne.
130 Jusqu'ici t'ai hauss par industrie et art,
ton plaisir prends dsormais pour guide,
hors es-tu des voies abruptes, des voies troites.
328
133
136
139
142
PURGATOIRE. CHANT XXVII
V ois le soleil qui brille devant toi ;
vois l'herbette, les fleurs, les arbustes
qu'ici la terre de soi seule produit.
Tandis que viennent joyeux les beaux yeux
qui, pleurant, r
'
ont fait venir toi,
tu peux t'asseoir ou aller l'entour.
N'attends plus de moi dire ou signe :
libre droit et sain est ton arbitre,
et faute serait ne pas faire ce qu'il veut :
pour quoi toi sur toi je couronne et mitre.
PURGATOIRE. CHANT XXVIII
Chant XXVIII
qui vers l a gauche par ses ondes menues
ployait l'herbe qui poussait sur la rive.
28 Toutes les eaux ici-bas les plus pures
paratraient avoir quelque mlange
prs de celle-ci qui rien ne cache,
31 bien qu'elle s'coule tout obscure
sous l'ombre perptuelle qui jamais
ne laisse filtrer rayon de soleil ou de lune.
34 J' arrtai mes pas, mais des yeux je passai
au-del de la rivire pour admirer
1 Dsireux de chercher dedans et alentour
la grande varit de frache verdure ;
la divine fort paisse et vivante 37 et l m'apparut tout comme apparat
qui temprait aux yeux le jour nouveau,
soudainement chose qui dtourne
4 sans plus attendre, je laissai la lisire,
par mereillement toute autre pense,
prenant par la campagne tout lentement,
40 une dame seulette qui allait*
sur le sol qui de partout embaumait.
chantant et choisissant fleur aprs fleur
7 Un doux air sans nul changement
dont tait peint tout son chemin.
me touchait le front
43 Ah ! belle dame qui aux rayons d'amour
aussi lger que vent suave,
te rchauffes, si j 'en veux croire au visage
10 et par lui les ramures frmissantes
qui de coutume est le tmoin du cur,
toutes ensemble s'inclinaient du ct
4 aie la bont de venir plus avant ,
o la sainte montagne jette sa premire ombre,
lui dis-je, vers ce rivage,
13 non pourtant si ployes
que je puisse entendre ce que tu chantes.
que les oiselets parmi les cimes
49 Tu me fais souvenir o et quelle tait
dussent cesser d' exercer leur art,
Proserpine au temps que la perdit*
16 mais, de pleine joie, ces premiers souffles
sa mre, et elle son printemps .
recevaient en chantant entre les feuilles,
52 Comme se tourne, les pieds glissant terre
qui tenaient le bourdon en leur concert,
et joints entre eux, dame qui danse
19 tel celui qui de branche en branche se forme et pied devant pied peine avance,
traver
!
la pinde, au rivage de Chiassi*,
55 elle se tourna sur l'or et le vermeil
quand Eole livre au-dehors Siroco.
des fleurs vers moi, non autrement
22 Dj m'avaient transport mes pas lents
que vierge qui baisse ses yeux modestes,
dans la fort antique si avant
58 et mes prires elle voulut satisfaire
que plus ne pouvais voir par o j 'tais entr : en s'approchant si bien que le doux son
25 et voici qu'un ruisseau m'empcha d'avancer, venait moi avec le sens qu'il portait.
330
331
LA DIVINE COMDIE
61 Ds qu'elle fut l o les herbes dj
sont baignes par l'onde du beau ruisseau,
de lever les yeux me fit don :
64 Je ne crois que resplendit telle lumire*
sous les cils de Vnus blesse
par son fils hors de sa coutume.
67 Elle riait debout sur l'autre rive
portant en ses mains toutes couleurs
que la haute terre sans semence produit.
70 De trois pas nous sparait la rivire,
mais l' Hellespont, o passa Xerxs,
frein encore aux orgueils humains,
73 plus de haine ne reut de Landre*,
pour la houle entre Sestos et Abydos,
que de moi cette eau qui alors ne s'ouvrit.
76 Vous tes nouveaux et, parce que je ris
commena-t-elle, en ce lieu destin
tre le nid de l'humaine nature,
79 peut-tre quelque doute vous cause tonnement,
mais lumire vient du psaume Delectasti*,
qui peut dissiper la brume de votre esprit ;
82 et toi qui es devant et qui m'a prie,
dis si tu veux r
'
entendre encore : me voici
prte, tant qu'il faudra, toutes tes questions .
85 L'eau , dis-je, et le son de la fort
combattent en moi foi neuve en chose
que j 'entendis contraire celle-ci .
88 Elle alors : Je dirai comment procde
selon sa cause ce qui t'tonne,
et enlverai la brume qui te gne.
91 Le Bien suprme, qui seul plat soi-mme,
fit l'homme bon, et pour le bien, et ce lieu
lui donna en gage d'ternelle paix.
94 Par sa faute ici demeura peu,
par sa faute, en pleurs et en angoisses
il changea rire honnte et doux jeu.
332
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
PURGATOIRE. CHANT XXVIII
Afin que le trouble en bas produit
par les vapeurs de l'eau et de la terre
qui, autant que peuvent suivent la chaleur,
ne ft l'homme nulle guerre,
ce mont s'leva aussi haut vers le ciel
et libre s'en trouve depuis la porte qui le ferme.
Or, puisqu'en circuit tout entier
l' air tourne avec la premire vote,
si n'est rompu le cercle en aucun point,
en cette hauteur qui est toute libre
dans l' air vif, tel mouvement frappe
et fait sonner la fort parce qu'elle est touffue,
et la plante frappe a tel pouvoir
que de sa vertu elle imprgne l' air
qui en tournant la rpand alentour ;
et l'autre terre, autant qu'elle s'y prte
par soi et par son ciel, conoit et enfante
de diverses vertus diverses plantes.
Ne paratrait donc l-bas merveille,
sachant cela, quand quelque plante
sans semence apparente y pousse.
Et tu dois savoir que la sainte campagne
o tu es, de toute semence est pleine
et porte un fruit que l-bas on ne cueille.
L'eau que tu vois ne sourd d'une veine
qu'entretient la vapeur que le gel condense
comme un fleuve qui gagne et perd son cours,
mais elle sort de source stable et sre
qui par vouloir de Dieu reprend autant
qu'elle verse, en deux cts ouverte.
De ce ct elle descend avec une vertu
qui te chacun mmoire du pch,
de l'autre elle la rend de tout le bien fait.
Ici Lth et de l' autre ct
Euno se nomme, et elle n'agit avant
qu'ici et l on l' ait d' abord gote :
333
133
136
139
142
145
148
LA DIVINE COMDIE
toutes autres saveurs elle surpasse.
Et bien que puisse tre assez tanche
ta soif pour que plus je ne dvoile,
j ' ajouterai encore un corollaire par grce,
et je ne crois que mon dire te soit moins cher
si au-del des promesses il t'entrane.
Ceux qui aux temps antiques chantrent
l'ge d'or et son tat heureux
peut-tre en leur Parnasse songrent ce lieu.
Ici fut innocente la racine humaine,
ici printemps toujours et tous les fruits,
et c'est l le nectar dont chacun parle.
Vivement alors me tournai en arrire
vers mes potes, et je vis qu'en souriant
ils avaient entendu ce dernier propos,
puis la belle dame dirigeai mon regard.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XXIX
Chantant comme dame enamoure,
elle poursuivit mettant fin son dire :
( ( Beati quorum tecta sunt peccata* ! #
Et comme ces nymphes qui allaient seules
par les ombres sylvestres, dsirant
l'une voir, l'autre fuir le soleil,
elle avana remontant le fleuve
le long de la rive ; et moi, comme elle,
petit pas suivant son petit pas.
N'taient pas cent, ses pas avec les miens,
quand les deux bords se courbrent
de sorte qu'au levant je me rendis.
Nous n'avions ainsi pas longtemps chemin
quand la dame toute moi se tourna
disant : Frre, regarde et coute !
Et voici : une soudaine lumire parcourut
de toutes parts la grande fort,
telle que me fit croire un clair,
mais parce que l'clair comme il vient disparat
et celui-ci, demeurant, plus et plus resplendissait,
en ma pense je disais : Qu'est-ce donc l ?
Et une mlodie douce courait
dans l'air lumineux ; d'o bon zle
me fit blmer la hardiesse d'

ve,
car l o obissaient et la terre et le ciel,
335
LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XXIX
une femme seule, et faite depuis peu,
61 La dame me reprit : Pourquoi brles-tu
ne souffrit de rester sous un voile, tant la vue des vives lumires,
28 sous lequel si fidle tait reste, et ce qui vient aprs ne regardes ?
j 'aurais ces ineffables dlices 6 Gens vis-je alors les suivre, comme
gotes plus tt et longtemps ensuite.
leurs guides, vtus de blanc
31 Tandis que j 'allais parmi tant de prmices
et telle blancheur onques ici-bas ne fut.
de l'ternel plaisir, tout en suspens
67 L'eau resplendissait ma gauche
et dsireux encore de plus de joies
et me renvoyait, comme un miroir,
mon ct gauche, si en elle je regardais.
34 devant nous, tel un feu embras
70 Lorsque, sur ma rive, je fus tel point
se fit l'air sous la verte rame,
que seul le fleuve nous sparait,
et le doux son dj comme chant s'entendait.
pour voir mieux, j 'arrtai mes pas
37 0 sacro-saintes vierges, si jamais pour vous
73 et je vis les flammelles avancer
j 'ai souffert faims froids ou veilles,
laissant en arrire l'air peint de lumire
il me faut ici vous en prier merci.
et avaient l'aspect de pinceaux qui glissent ;
40 Ores que l'Hlicon me verse son onde*,
76 si bien qu'en haut restaient distinctes
et qu'Uranie m'aide, avec son chur*,
sept bandes, toutes en ces couleurs
choses fortes penser, mettre en vers.
dont le Soleil fait l'arc et Dlie sa ceinture.
43 Plus loin taient sept arbres d'or*
79 Ces tendards en arrire allaient plus loin
dont le long espace qui encore
que ma vue, et, quant mon avis,
nous sparait faussait l'apparence,
dix pas sparaient ceux de l'extrieur.
4 mais quand je me trouvai si prs d'eux
82 Sous le si beau ciel que je viens de dcrire
que l'objet commun, qui le sens trompe,
vingt-quatre vieillards, deux par deux*,
ne perdait par la distance aucun aspect,
venaient couronns de fleurs de lis.
49 la facult qui prpare matire la raison
85 Tous chantaient : Bnie sois-tu
perut que c'tait l sept candlabres,
parmi les filles d'Adam et bnies
et dans les voix entendit chanter osanna .
pour l'ternit tes beauts.
52 Flamboyait le sommet du bel objet
88 Aprs que les fleurs et autres fraches herbettes
tant plus clair que lune en ciel serein
en face de moi, sur l 'autre rive,
la minuit de son mi-mois.
furent libres de cette gent lue,
55 Je me retournai tout plein d'admiration
91 comme suit lumire aprs lumire dans le ciel,
au bon Virgile, et lui me rpondit
vinrent aprs eux quatre animaux*
d'un regard charg de non moindre stupeur.
chacun couronn de vert feuillage.
58 Puis je rendis ma vue aux nobles choses
94 Ils taient empenns de six ailes,
qui se mouvaient vers nous si lentes
les plumes pleines d'yeux et les yeux d'Argus
que seraient vaincues par nouvelles pouses. s'ils taient vivants seraient tels.
336 337
97
100
103
106
109
112
1 1 5
1 18
121
124
127
130
338
LA DIVINE COMDIE
A dcrire leurs formes, plus ne dpense
de rimes, lecteur, car tant me presse autre
dpense qu' celle-ci ne puis tre plus large.
Mais lis

zchiel qui les dpeint


comme il les vit venir des rgions froides,
avec vent, avec nue, avec feu,
et tels les trouveras dans ses crits
tels ils taient l, sauf que pour les ailes
Jean est avec moi et se spare de lui.
L'espace entre eux quatre contenait
un char, sur deux roues, triomphal*,
qui venait tir par le col d'un griffon.
Il tendait vers le haut l'une et l'autre aile
entre la mdiane et les trois et trois bandes
de sorte qu' aucune, fendant l'air, ne faisait mal.
Tant montaient haut qu'on ne les voyait plus ;
il avait membres d'or en ce qu'tait oiseau,
blancs les autres et de vermeil mls.
Non seulement Rome d'un char si beau
ne sut rjouir l' Africain ni Auguste,
mais celui du soleil serait pauvre en regard ;
celui du soleil qui, dviant, fut incendi
la prire de la terre dvote
quand fut Jupiter mystrieusement juste.
Trois dames, la roue droite, en ronde*
venaient dansant, l'une si rouge
qu' peine l 'et on vue dans le feu,
l 'autre comme si sa chair et ses os
eussent t faits d'meraude,
la troisime semblait neige peine tombe ;
et paraissaient ores par la blanche entranes,
ores par la rouge, et du chant de celle-ci
les autres cueillaient rythme lent ou vif.
A gauche, quatre autres faisaient fte*,
de pourpre vtues, suivant l'allure
de l'une qui avait trois yeux en la tte.
133
136
139
142
145
148
151
1 54
PURGATOIRE. CHANT XXIX
Aprs tout cet ensemble dj dcrit,
je vis deux vieillards en habits diffrents*
mais pareils en l'allure digne et grave,
l'un se montrait des familiers
de l'illustre Hippocrate que nature
fit pour ses animaux les plus chers ;
l'autre montrait souci contraire
avec une pe luisante et aigu
telle que, de du ruisseau, me fit peur.
Puis j 'en vis quatre en humble apparence* ;
et, derrire tous, un vieillard seul*
venir en dormant, la face illumine.
Et ces sept-l taient vtus comme
les premiers sauf que n'avaient
de lis guirlande autour du chef,
mais de roses et autres fleurs vermeilles ;
jur aurait-on d'un peu loin que tous
taient en feu au-dessus des sourcils.
Et quand le char fut en face de moi,
un tonnerre s' entendit, et ces gens dignes
parurent avoir dfense d'aller plus loin,
s' arrtant l avec les premires enseignes.
1
4
7
lO
13
16
19
22
25
340
Chant XXX
Quand le septentrion du premier ciel
qui jamais ne connut couchant ni levant,
ni voile d'autre brume que de nos fautes,
et qui, l, faisait chacun attentif
son devoir, comme fait l'Ourse
au timoner qui vire pour venir au port,
s' arrta immobile, la gent vridique,
venue d'abord entre le griffon et lui,
au char se tourna comme sa paix,
et l'un d'eux*, comme envoy du ciel,
chantant ( ( Veni Sponsa de Libano #
trois fois appela, et tous les autres aprs lui.
Tels les bienheureux au suprme ban
surgirent en hte, chacun de son tombeau,
alleluiant la chair revtue,
tels dessus le divin char
s'levrent, la voix du grand vieillard,
cent ministres et messagers de vie ternelle.
Tous disaient : ( ( Benedictus qui veni* ! # q
et fleurs jetant dessus et tout autour,
(( Manibus o date lilia pleni* ! #
J' ai vu dj au commencement du jour
la partie orientale toute rose,
et l' autre ciel orn d' azur serein,
et la face du soleil natre ombre,
28
31
34
37
40
43
46
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT XXX
et si tempre de vapeurs que
l'il la soutenait un long temps,
ainsi dans une nue de fleurs
qui montaient des mains angliques
et retombaient et dedans et dehors,
dame m'apparut, ceinte d'olivier
sur son voile blanc, en vert manteau
et robe de couleur de flamme vive*.
Et mon esprit qui si longtemps dj
tait rest sans tre en sa prsence
tout tremblant, bris de stupeur,
n'ayant encore par les yeux connaissance,
mais par mystrieuse vertu venue d' elle,
d' ancien amour sentit la grande puissance.
Ds qu'en ma vue frappa
la haute vertu qui dj m' avait bless
avant que je fusse sorti de l'enfance,
je me tournai vers la gauche avec la confiance
qui fait courir l'enfant sa maman
quand il a peur ou qu'il est afflig,
pour dire Virgile : Pas une goutte
de sang ne r
'
est reste qui ne tremble,
je connais les signes de l'ancienne flamme.
Mais Virgile nous avait laisss privs
de lui, Virgile trs doux pre,
Virgile qui pour mon salut je me donnai.
Et tout ce que perdit l' antique mre,
n'empcha mes joues laves de rose
de se ternir encore de larmes.
Dante, parce que Virgile s'en est all
ne pleure pas, ne pleure pas encore
car il te faut pleurer par autre pe.
Comme amiral qui, la poupe et la proue
vient voir l'quipage qu'il contrle
sur les autres bateaux et l'incite bien faire,
341
LA DIVINE COMDIE
61 sur le ct gauche du char
quand je me tournai au son de mon nom,
qui par ncessit ici s'inscrit,
64 je vis la dame qui d' abord m'apparut
voile sous les fleurs des anges,
lever les yeux vers moi, del le ruisseau,
67 bien que le voile qui coulait de sa tte
cercl du feuillage de Minerve,
ne la laisst paratre dcouvert.
70 Royalement dans l'attitude encore altire
elle continua, comme celui qui parle
et le plus brlant rserve pour la suite :
73 Regarde bien, je suis bien, je suis bien Batrice.
Comment as-tu os parvenir au mont ?
ne savais-tu qu'ici est l'homme heureux ?
76 Mes yeux s'abaissrent dans la claire fontaine,
mais en elle me voyant, je les portai sur l'herbe,
tant la honte appesantit mon front.
79 Comme la mre son fils parat superbe,
ainsi me parut-elle, parce qu'amre
est la saveur de la piti acerbe.
82 Elle se tut, et les anges chantrent
aussitt : In te Domine speravi* # q
mais avant pedes meos # ne s' arrtrent.
85 Comme la neige parmi les arbres,
au dos d'Italie, se congle
presse et durcie par vents d' Esclavonie,
88 puis, liqufie, d'elle-mme s'coule
si vient un soufle de la terre qui perd l'ombre
et semble feu qui fond la chandelle,
91 ainsi fus-je, sans larmes et soupirs
avant le chant de ceux qui toujours
s'accordent l'harmonie des sphres ternelles ;
94 mais lorsque j 'entendis dans la douce mlodie
leur piti pour moi, plus que s' ils avaient
dit : Dame, pourquoi ainsi le traites-tu ? ,
342
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
PURGATOIRE. CHANT XXX
la glace qui autour de mon cur s'tait serre
se fit soufle et eau et, avec angoisse,
par la bouche et les yeux sortit de ma poitrine.
Elle, toujours sur ce ct du char,
immobile, aux anges pitoyables
adressa ensuite ses paroles ainsi :
Vous veillez dans le jour ternel,
de sorte que nuit ni sommeil ne vous cachent
un seul pas que fait le sicle en ses voies,
aussi ma rponse a-t-elle souci
que m' entende celui qui l-bas pleure,
pour que faute et pleurs soient de mme mesue.
Non seulement par uvre des grandes roues
qui dirige chaque semence une fin
selon que les toiles l'accompagnent,
mais par largesse de grces divines
qui leu pluie ont si hautes vapeurs
que nos vues n'en peuvent approcher,
celui-ci fut tel dans sa vie nouvelle
virtuellement, que toute tendance droite
aurait fait en lui uvre admirable.
Mais tant plus mchant et plus sauvage
se fait le terrain malement ensemenc et cultiv
qu'il a davantage de bonne vigueu terrestre.
Un temps je le soutins de mon visage,
lui montrant mes jeunes yeux,
avec moi le menai vers la voie droite.
A peine fus-je sur le seuil
de mon second ge et changeai de vie,
il se dprit de moi, se donna autrui.
Alors que de chair esprit j 'tais monte,
que beaut et vertu en moi taient plus grandes,
je lui devins moins chre et moins plaisante ;
et il touna ses pas par voie non vraie
suivant de fausses images de bien
qui ne gardent nulle promesse pleine.
343
133
136
139
142
145
LA DIVINE COMDIE
En vain j 'obtins les inspirations
par lesquelles, en songe ou autrement,
je l'appelai, tant peu lui importa.
Il tomba si bas que tous les moyens
pour son salut taient trop courts
sau de lui montrer la gent perdue.
Pour ce je visitai la porte des morts
et, celui qui jusqu'ici l' a conduit
je tendis en pleurant mes prires.
Haut arrt de Dieu serait bris
si l'on passait le Lth et gotait
une telle eau sans s'acquitter
en repentir qui larmes rpande.
1
4
7
Chant XXXI
0 toi, de-l l e fleuve sacr ,
tournant vers moi par la pointe son parler
qui dj par le tranchant m' avait paru si dur,
recommena-t-elle, poursuivant sans rpit,
dis, dis si cela est vrai, telle accusation
ta confession doit tre conjointe .
Ma vertu tait en telle confusion
que ma voix se mut et s'teignit avant
d' tre de ses organes dclose.
10 Peu attendit, puis dit : Que penses-tu ?
Rponds-moi, car les tristes souvenirs
en toi ne sont encore par l'eau effacs.
13 Confusion et crainte ensemble mles
me poussrent un tel oui hors la bouche
que pour l'entendre il fut besoin des yeux.
16 Comme arbalte brise et la corde et l' arc,
quand trop tendue elle dcoche,
et avec moindre force la flche touche le but,
19 ainsi clatai-je sous ce grave fardeau
hors rpandant larmes et soupirs,
et ma voix s'affaiblit en son passage.
22 Alors elle moi : Par-dedans mes dsirs
qui te portaient aimer le bien
au-del duquel n'est quoi l'on aspire,
25 quels fosss sur ton chemin ou quelles chanes
345
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
346
LA DIVINE COMDIE
as-tu trouvs pour que d'aller plus loin
tu dusses ainsi abandonner l'espoir ?
Et quelles facilits, quels avantages
se montrrent toi, au front des autres biens
pour que tu dusses parader devant eux ?
Aprs un amer soupir exhal,
peine eus-je la voix pour rpondre
et les lvres avec peine la formrent.
En pleurant je dis : Les choses prsentes,
par leur faux plaisir dtournrent mes pas
ds que votre visage me fut cach.
Et elle : Si tu taisais ou si tu niais
ce que tu confesses, ta faute n'en serait
pas moins connue ; un tel juge la sait !
Mais quand clate sur la joue
l' aveu de la faute, en notre cour
la meule se tourne contre la lame.
Toutefois, pour que tu portes vergogne
de ton erreur, et pour qu'une autre fois
tu sois plus fort au chant des sirnes,
laisse-l la semence des pleurs et coute,
ainsi tu entendras comment l'inverse
devait te mouvoir ma chair ensevelie.
Jamais plaisir ne te prsenta nature
ou art, autant que les beaux membres o
je fus enclose, et sont en terre pars ;
et si ce suprme plaisir te manqua
par ma mort, quelle chose mortelle
devait ensuite attirer ton dsir ?
Bien devais-tu, la premire atteinte
des choses trompeuses, t'lever
avec moi qui n'tais plus telle.
Point ne devait appesantir tes ailes,
attendant plus d'un coup, fillette
ou autre vanit de si bref usage.
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
PURGATOIRE. CHANT XXXI
Jeune oiselet attend deux ou trois coups,
mais devant les yeux des empenns
en vain filet s'tale, en vain l'on tire.
Comme les enfants muets de honte
les yeux terre se tiennent coutant,
reconnaissant leur faute et repentis,
tel tais-je ; et elle dit : Si
entendre tu es si dolent, lve la barbe
et plus grande douleur auras me regardant.
Avec moindre rsistance se dracine
un chne robuste au vent de notre sol
ou celui de la terre d' larbas*,
que je ne levai son ordre le menton,
et quand pour le visage elle demanda la barbe
bien connus-je le venin de l'argument.
Et quand ma face se tendit,
mes yeux comprirent que ces premires
cratures avaient cess leur aspersion ;
et mon regard encor peu assur
vit Batrice tourne vers la bte
qui est une seule personne en deux natures.
Sous son voile et outre la rivire,
paraissait vaincre son ancienne beaut
plus que vaincre les autres, ici, quand y tait.
Du repentir tant me piqua l'ortie
que de toutes autres choses, celle qui plus r
'
loigna
de son amour, plus me devint ennemie.
Une telle vue de ma faute me mordit le cur
que je tombai vaincu, et tel alors me fis-je
elle le sait, celle qui en fut la cause.
Puis quand le cur me rendit vie au-dehors,
la dame que j 'avais trouve seule tait
au-dessus de moi et disait : Tiens-moi tiens-moi !
Dans le fleuve m'avait plong jusqu' la gorge
et me tirant derrire elle, s'en allait
sur l'eau, lgre comme navette.
347
97
100
103
106
109
112
1 1 5
118
121
124
127
130
348
LA DIVINE COMDIE
Quand je fus prs de la rive bnie
Asperges me # s' entendit si doucement*
que ne puis m'en souvenir et encore moins l'crire.
La belle dame ouvrit ses bras
me prit la tte et l'enfona
o il fallut que l'eau j 'engloutisse.
Ensuite me retira et ruisselant r
'
offrit
dans la danse des quatre belles,
et chacune de son bras me couvrit.
Nous sommes ici nymphes et dans le ciel toiles,
avant que Batrice sur terre descendt
lui fmes destines comme servantes.
Nous te mnerons ses yeux, mais leur joyeuse
lumire aiguiseront les tiens
les trois l-bas qui plus profond regardent.
Ainsi chantant commencrent-elles, puis
devant le griffon avec elles me menrent,
o Batrice se tenait tourne vers nous.
Elles dirent : Ne mnage point tes yeux
nous t'avons plac devant les meraudes
d'o jadis Amour tira sur toi ses flches.
Mille dsirs plus que flammes brlants
lirent mes yeux aux yeux resplendissants
qui sur le seul griffon se tenaient fixs.
Comme soleil en miroir, non autrement
la double bte dedans y rayonnait
ores avec l'un ores avec l' autre aspect.
Pense, lecteur, si je m'merveillais
voyant la chose en soi tre immobile
alors qu'en son image se transmuait.
Tandis que pleine de stupeur et joyeuse
mon me gotait cette nourriture
qui rassasiant de soi, de soi altre,
se rvlant de plus haut rang
en leurs gestes, les trois autres s' avancrent
rythmant leur danse leur chant anglique.
133
136
139
142
145
PURGATOIRE. CHANT XXXI
Tourne, Batrice, tourne tes yeux saints ,
telle tait leur chanson, vers ton fidle
qui, pour te voir, a march tant de pas.
Par grce, fais-nous la grce de dvoiler
pour lui ta bouche afin qu'il discerne
la seconde beaut que tu caches.
0 splendeur de vive lumire ternelle !
qui donc, et-il pli sous l'ombre
du Parnasse, et-il hu ses sources,
ne paratrait avoir l'esprit embarrass
tentant de te peindre telle que tu parus
l o, en son harmonie, le ciel t' adomhre,
quand, dans l' air transparent tu levas ton voile.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
350
Chant XXXII
Si fixes et attentifs taient mes yeux
pour assouvir la soif de dix annes
que mes autres sens taient tous teints ;
mes yeux avaient ici et l une paroi
de nonchaloir, tant le saint rire
soi les tirait avec l' antique rets,
quand de force fut tourn mon visage
vers ma gauche, par ces desses,
car j 'entendis ces mots : Trop fixe !
Et l'blouissement qui reste
aux yeux frapps par le soleil,
sans vue me laissa un moment,
mais lorsqu'au peu de clart ma vue se reforma
(je dis au peu par rapport la grande
lumire dont par force me dtournai ) ,
je vis su l e ct droit s' tre tourne
la glorieuse arme et se diriger
face au soleil et aux sept flammes.
Comme sous les boucliers pour son salut
une troupe revient et vire avec l'enseigne
avant qu'elle puisse toute se retourner,
cette milice du cleste royaume
qui avanait, toute nous dpassa
avant que le char plit son timon.
Puis prs des roues s' en revinrent les dames
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PURGATOIRE. CHANT XXXII
et le griffon mut la charge bnie
sans nul frmissement de ses plumes.
La belle dame qui m' avait tir au gu*
et Stace et moi suivions la roue
qui traa l' arc le plus troit.
Alors que nous allions par la haute fort,
vide par faute de celle qui crut au serpent,
rglait nos pas un chant anglique.
Peut-tre en trois vols une flche lance
et mesur l'espace d'o nous tions
partis, quand Batrice descendit.
J'entendis murmurer par tous Adam ,
puis ils entourrent un arbre dpouill
de feuilles et de tout feuillage en ses rameaux.
Sa chevelure qui tant plus se dilate
tant plus s'lve, serait par les Indiens
dans leurs forts, pour sa hauteur, admire.
Bienheureux es-tu, griffon, qui du bec
rien n'arracha ce bois doux au got,
car ensuite tord de douleur le ventre.
Ainsi autour de la plante robuste
clamrent-ils tous ; et le double animal :
Ainsi se conserve la semence de justice.
Et, tourn au timon qu'il avait tir,
il l'amena au pied des rameaux veus
et cette part d'eux, eux laissa lie.
Comme nos arbres quand la grande lumire
tombe, mle celle qui rayonne
dans le sillage du cleste poisson,
se gonflent de bourgeons et chacun se renouvelle
en sa propre couleur, avant que le soleil
sous autre toile attelle ses coursiers,
moins que de roses plus que de violettes
prenant couleur, se renouvela la plante
qui d'abord avait ses branches si nues.
351
61
64
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
352
LA DIVINE COMDIE
Je ne le compris, et nul ici ne le chante,
l'hymne que ces gens alors chantrent,
et je n'en soutins jusqu'au bout le son.
Si je pouvais retracer comment s'endormirent
les yeux impitoyables au rcit de Syrinx*,
les yeux qui longue veille cota si cher,
comme peintre qui peint suivant modle,
je dcrirais comment je r
'
endormis,
mais qui donc voudrait bien peindre l' endormement ?
Je passe donc quand je m'veillai
et je dis qu'une splendeur dchira le voile
de mon sommeil, et un appel : Debout ! que fais
[tu ?
Tel que pour voir les fleurs du pommier*
qui de son fruit rend avides les anges
et fait dans le ciel noces perptuelles
Pierre et Jacques et Jean, conduits
et vaincus, revinrent eux la parole
par laquelle furent briss de plus profonds sommeils,
et virent leur groupe priv
de Mose aussi bien que d'

lie
et chang le vtement de leur matre,
tel revins-je moi et vis cette dame
penche sur moi, elle qui d' abord fut guide
de mes pas le long du fleuve.
Et pris de doute, je dis : O est Batrice ?
et elle : Vois, elle est sous le feuillage
nouveau, assise sur la racine de l'arbre.
Vois la compagnie qui l'entoure :
les autres derrire le grfon, en haut, s'en vont,
avec plus douce chanson et plus profonde.
Et si parole s'tendit davantage
je ne sais, car dj en mes yeux tait
celle qui toute autre pense m' avait scell.
Seule assise tait sur la terre vraie,
97
lOO
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 1 8
121
124
127
PURGATOIRE. CHANT XXXII
comme laisse la garde du char
que j ' avais vu lier par l'animal biforme.
L'entourant lui faisaient clotre
les sept nymphes, avec en main ces lumires
qui ne redoutent Aquilon ni Auster.
Ici en cette fort tu seras peu de temps,
et sans fin avec moi tu seras citoyen
de cette Rome o le Christ est romain.
Mais pour le bien du monde qui vit mal,
au char fixe tes yeux et ce que tu vois,
retourn l-bas prends soin de l'crire.
Ainsi dit Batrice et moi, qui tout dvou
tais aux pieds de ses commandements,
portai l'esprit et les yeux o elle voulut.
Jamais ne descendit d'un mouvement si rapide*
feu d'un nuage pais, quand il pleut
de la rgion la plus lointaine,
comme je vis fondre l'oiseau de Jupiter
sur l' arbre en brisant l'corce
et aussi des fleurs et des feuilles nouvelles ;
et il frappa le char de toute sa force
et le fit plier comme nef en tempte
vaincue par les flots bbord et tribord.
Puis je vis s'lancer, dans le fond
du vhicule triomphal, un renard
qui de toute bonne pture semblait jeun.
Mais le reprenant de laides fautes
ma dame le fit fuir aussi rapidement
que le purent ses os privs de chair.
Ensuite, par o tait dj venu
je vis l' aigle descendre dans le coffre
du char et le laisser couvert de ses plumes.
Et comme elle sort d'un cur meurtri
une voix sortit du ciel et dit :
0 ma nacelle que mal tu es charge !
353
130
133
136
139
142
145
148
1 51
1 54
1 57
160
LA DIVINE COMDIE
Puis il me sembla que la terre s'ouvrit
entre les deux roues et j 'en vis sortir un dragon
qui dans le char ficha sa queue,
et comme gupe qui retire l'aiguillon,
tirant soi sa queue malfaisante,
arracha le fond et s'en alla content.
Ce qui resta, comme de mauvaise herbe
terre vivace, de la plume, offerte
peut-tre en intention saine et bonne,
se recouvrit, et en fut recouverts
et l'une et l'autre roues et le timon, si vite,
que plus garde un soupir bouche ouverte.
Transform ainsi, le saint difice
fit sortir des ttes de diverses parties,
trois sur le timon et une chaque angle.
Les premires taient cornues comme des bufs,
mais les quatre une seule come avaient au front :
semblable monstre jamais encore ne fut vu.
Sre comme forteresse en haute montagne,
assise sur le char une putain mi-nue
m' apparut, jetant ses regards alentour,
et, comme pour empcher qu'elle lui ft ravie,
tout droit ct d'elle je vis un gant,
et se baisaient l' un l' autre parfois.
Mais comme elle tourna vers moi son regard
errant et cupide, ce froce amant
la fouailla de la tte jusqu'aux pieds.
Puis, plein de soupon et de cruelle rage
il dtacha le monstre et dans la fort le tira
si avant que les arbres firent cran
la putain et l'trange bte.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XXXIII
Deus, venerunt gentes #q en alternant*
ores trois ores quatre, douce psalmodie
les dames commencrent en pleurant.
Et Batrice, soupirante et apitoye
les coutait, si dfaite que peu plus
la croix se changea Marie.
Mais lorsque les sept vierges se taisant
lui laissrent la parole, debout toute droite
elle rpondit, colore comme feu :
Modicum et non videbiti me ;
et iterum, mes surs bien-aimes,
modicum et vos videbiti me*. #
Puis les mit devant elle toutes les sept
et derrire elle, d'un seul signe, fit venir
moi et la dame et le sage encore l.
Ainsi elle allait, et je ne crois que ft
son dixime pas pos terre lorsque
de ses yeux frappa mes yeux,
et, d'un visage serein : Viens plus vite ,
me dit-elle, afin que si j e parle avec toi
r
'
couter tu sois bien dispos .
A peine fus-je, comme j e devais, prs d' elle
elle me dit : Frre, pourquoi n'oses-tu
me demander, venant dsormais avec moi ?
Comme ceux qui par trop de rvrence,
355
LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XXXIII
parlant devant les suprieurs, 61
Pour y avoir mordu, en peine et en dsir
ne tirent la voix vive jusqu' aux dents,
cinq mille ans et plus l' me premire
28 ainsi m'advint-il et d'une voix indistincte
attendit celui qui punit en soi la morsure.
je commenai : Dame, vous savez 6
Ton esprit dort s'il ne comprend
mon besoin et ce qui lui est bon.
que par raison singulire il est si
31 Et elle moi : De crainte et de vergogne
haut et si retourn en sa cime.
je veux que dsormais tu te libres
67 Et si n'eussent t eau d' Elsa*
les vaines penses autour de ton esprit,
et ne parles plus comme on fait en rve.
et leur plaisir un Pyrame au mrier*,
34 Sache que le vase bris par le serpent
70 par ces circonstances seulement
fut et n'est pas, mais qui porte la faute croie
tu aurais reconnu la justice de Dieu
que la vengeance de Dieu ne craint soupes.
moralement dans l' interdit de l' arbre.
37 Ne sera pas toujours sans hritier
73 Mais parce que je vois en toi l' intellect
l'aigle qui laissa ses plumes au char
devenu pierre et, ptri, obscur,
par quoi devint monstre et ensuite proie ;
si bien que t'blouit la lumire de mon dire,
40 car je vois avec certitude, et pour cela le narre,
76 je veux encore, sinon crit au moins peint,
des toiles libres de tout encombre et obstacle
que tu l'emportes au-dedans de toi comme
dj proches nous donner le temps
on rapporte le bourdon ceint de palme.
43 o un cinq cent et dix et cinq*
79 Et moi : Comme, en la cire marque par le sceau,
envoy de Dieu occira la voleuse
la figure empreinte ne change,
avec ce gant qui avec elle fornique.
marqu est par vous mon cerveau.
46 Et peut-tre que ma prdiction obscure
82 Mais pourquoi tant au-dessus de ma vue
comme Thmis et Sphinx, moins te persuade*
vole votre parole dsire
parce qu' leur faon elle ferme l'esprit ;
que plus la perd quand plus s'efforce ?
49 mais bientt les faits seront les Naades
85 Pour que tu connaisses, dit-elle, cette cole
qui rsoudront cette forte nigme
que tu as suivie, et voies comment
sans dam de troupeaux ou de moissons.
sa doctrine peut suivre ma parole ;
52 Toi, note, et telles que je les dis
88 pour te montrer que votre voie s'loigne
ces paroles redis-les aux vivants
de la voie divine autant qu'est distant
de cette vie qui est course la mort ;
de la terre le ciel qui le plus haut se hte.
55 et aie soin quand tu les cris, 91 D'o je lui rpondis : Je n' ai souvenance
de ne cler comme tu as vu l 'arbre que jamais je me sois loign de vous,
qui a t ici deux fois dpouill. et n' ai conscience qui m'en remorde.
58 Quiconque le dpouille ou le ravage, 94 Et si tu ne peux t'en souvenir ,
par blasphme en acte, offense Dieu en souriant rpondit-elle, rappelle-toi
qui pour son seul usage le cra saint. comment aujourd'hui tu as bu au Lth ;
356 357
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 1 8
121
LA DIVINE COMDIE
et si la fume on devine le feu,
cet oubli montre clairement qu'il y eut faute
dans ta volont tourne ailleurs.
Vraiment dsormais nues seront
mes paroles, autant qu'il conviendra
de les dcouvrir ta vue rude.
Plus clatant tait le soleil
et pas plus lents suivait le cercle de midi,
qui et l se meut selon les lieux,
quand s' arrtrent, comme s' arrte celui
qui va devant les gens en escorte
s'il trouve chose nouvelle ou son empreinte,
les sept dames, au bord d'une ombre ple
telle que sous feuilles vertes et rameaux noirs
sur ses froids ruisseaux porte l' Alpe.
Devant elles il me sembla voir
Euphrate et Tigre sortir d'une mme fontaine
et, tels des amis, se sparer regret.
0 lumire, gloire de la gent humaine,
quelle eau est celle-ci qui ici s'coule
d'une seule source et soi de soi loigne ?
Pour telle prire me fut dit : Prie
Matelda de te le dire. Alors rpondit
comme fait qui d'une faute se dlie,
la belle dame : Ceci et d'autres choses
lui furent dites par moi ; et je suis sre
que l'eau du Lth ne les lui a caches.
124 Et Batrice : Sans doute plus grand souci,
qui bien souvent prive la mmoire,
a obscurci les yeux de son esprit.
127 Mais vois Euno qui l drive*,
mne-le l'eau et, comme tu as coutume,
sa vertu affaiblie fais revivre.
130 Comme me noble qui ne se drobe,
358
mais fait son vouloir du vouloir d' autrui,
peine est-il par signe manifest,
133
136
139
142
145
PURGATOIRE. CHANT XXXIII
ainsi, r
'
ayant pris avec elle
la belle dame s' achemina et, Stace,
courtoisement dit : Viens avec lui.
Si j' avais, lecteur, plus d'espace
pour crire, je chanterais aussi en partie
le doux boire qui jamais ne m' aurait rassasi,
mais parce que pleins sont tous les feuillets
ourdis pour ce deuxime cantique,
plus ne me laisse aller le frein de l'art.
Je revins de l'onde trs sainte
refait tout comme plantes nouvelles
renouveles de feuillage nouveau,
pur et dispos monter aux toiles.
Paradis
Chant 1
1 La gloire de celui qui meut toutes choses
dans l'univers pntre et resplendit
plus en u lieu et moins ailleurs.
4 Dans le ciel qui prend le plus de sa lumire
je fus, et vis des choses que redire
ne sait, ne peut, qui de l-haut descend,
7 car approchant soi-mme de son dsir,
notre intellect en tel abme se perd,
que la mmoire derrire ne peut suivre.
10 En vrit, tout ce que, du saint royaume,
j 'ai pu en mon esprit rassembler le trsor,
sera maintenant matire de mon chant.
13 0 bon Apollon, pour cet ultime labeur
fais de moi ce vase de ta valeur
que tu veux pour donner le laurier dsir.
16 Jusqu'ici l'un des sommets du Parnasse
m'a sufi, mais ores, avec les deux,
il me faut entrer dans le dernier discours.
19 Entre dans ma poitrine et souffle, toi,
comme lorsque tu tiras Marsyas*
de la gaine de ses membres.
22 0 divine vertu, si moi tu te prtes
assez pour que l'ombre du bienheureux royaume
empreinte en ma tte je puisse manifester,
25 venir tu me verras ton arbre chri
363
LA DIVINE COMDIE
PARADIS. CHANT 1
et me couronner alors de ces feuilles
61 et soudain jour au jour parut
dont la matire et toi me ferez digne. tre ajout, comme si celui qui peut tout
28 Si rarement, pre, en cueille, avait orn d'un second soleil le ciel.
pour le triomphe, ou Csar ou pote, 6 Batrice toute aux sphres ternelles
par faute et honte des vouloirs humains, tenait les yeux fixs, et moi en elle
31 que devrait engendrer liesse sur la joyeuse je fixai mon regard ramen d'en haut.
divinit delphique, le feuillage pnen 67 La regardant je me fis au-dedans
comme se fit Glaucus gotant l'herbe*
quand de soi il assoiffe u esprit.
qui le fit parent, en mer, des autres dieux.
34 Brve tincelle produit grande flamme :
70 Dpasser l'humain ne saurait en paroles
peut-tre aprs moi, avec des mots meilleurs,
se dire ; que l'exemple donc suffise
on priera pour que Cyrrha rponde.
qui la grce rserve l' exprience.
37 Surgit sur les mortels de divers points
73 Si j 'tais seulement ce que de moi tu cras
la lampe du monde, mais, venant de celui
en dernier, amour qui gouvernes le ciel
qui joint quatre cercles trois croix*,
tu le sais, toi qui avec ta lumire m' levas.
40 d'un meilleur cours et sous meilleure toile*
76 Lorsque la roue, que tu fais ternelle
elle s'lve, et la cire terrestre
en dsir de toi, me fit attentif
plus son mode forme et marque.
l'harmonie que tu rgles et discernes,
43 De ce point, peine venait l le matin
79 m' apparut alors un si grand ciel embras
et chez nous le soir ; et l tout blanc tait
de la flamme du soleil, que pluie ou fleuve
cet hmisphre, et l' autre partie noire,
jamais ne firent lac aussi vaste.
4 quand je vis Batrice vers la gauche
82 La nouveaut du son et la grande lumire
tourne, et son regard dans le soleil :
enflammrent en moi dsir de leur cause
aigle jamais ainsi ne le fixa.
jamais senti avec telle acuit,
49 Et, comme un second rayon sort
85 et elle, qui voyait en moi comme moi-mme,
du premier et rejaillit en haut,
pour apaiser mon esprit troubl,
comme aussi un plerin dcid au retour,
avant que je demande ouvrit la bouche
52 ainsi de son geste, par les yeux
8 et commena : Toi-mme t'encombres
entr en ma pense, se fit le mien :
de fausse imagination et ainsi ne vois
je fixai le soleil plus qu' est en notre usage.
ce que tu verrais si tu l'avais secoue.
55 Beaucoup est possible l-haut que ne peut ici
91 Tu n'es sur terre comme tu le crois,
notre force, c' est la grce du lieu
mais foudre fuyant son propre site
qui fut destin l'espce humaine . .
jamais ne courut comme toi qui y reviens.
58 Ne le souffris longtemps, mais non si peu
94 Si je fus du premier doute dgag
que ne le visse tinceler tout autour
par les brves paroles souriantes,
comme fer qui bouillant sort du feu,
plus me saisit un autre en ses rets
364
365
97
lOO
103
106
109
l l 2
I l S
l l 8
121
124
127
130
366
LA DIVINE COMDIE
et je dis : Content, bien m' apaisais
du grand merveillement, mais ores m'merveille
comment je dpasse ces corps lgers.
Elle, alors, eut un soupir apitoy, puis
tourna vers moi ses yeux, comme fait
une mre sur son fils qui dlire,
et commena : Toutes les choses qui existent
ont entre elles un ordre, et c'est la forme
qui fait l'univers Dieu ressemblant.
Ici les hautes cratures voient l' empreinte
de l'ternelle valeur, qui est la fin
pour laquelle est faite la norme susdite.
A l'ordre que je dis sont enclins
tous les tres, de diverses faons
tant plus ou moins proches de leur principe ;
ainsi se meuvent diffrents ports
sur le grand ocan de l' tre, chacun
avec l'instinct lui donn qui le porte.
Tel emporte le feu vers la lune,
tel est moteur aux curs des animaux,
tel condense et rassemble la terre ;
et non les seules cratures prives
d'intelligence, sont lances par cet arc,
mais celles qui ont intellect et amour.
La providence qui tout si bien ordonne,
de sa lumire fait le ciel d'ternelle paix,
dans lequel tourne celui qui plus se hte ;
et ores l, comme en lieu destin,
nous emporte l a vertu de cette corde
qui dirige ce qu'elle dcoche vers but heureux.
Il est bien vrai, comme la forme souvent
ne s'accorde l'intention de l' art,
parce qu' rpondre sourde est la matire,
ainsi parfois s'carte de ce cours
la crature qui a pouvoir,
ainsi pousse, de s'incliner ailleurs,
133
136
139
142
PARADIS. CHANT 1
et de mme que l' on peut voir tomber
un feu des nues, ainsi l'lan premier
tombe terre, tordu par faux plaisir.
Tu ne dois t'tonner de monter,
je pense, plus que d'un ruisseau
qui de haut mont descend vers la valle.
Merveille serait en toi si, libre
d'empchement, tu fusses rest en bas,
comme serait feu vif tendu sur le sol.
Puis elle tourna vers le ciel son regard.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
368
Chant II
0 vous qui, en toute petite barque,
dsireux d'couter, avez suivi
mon bateau qui vogue en chantant,
retournez revoir vos rivages :
ne vous lancez au large car, peut-tre,
perdant ma trace resteriez gars.
L'eau o j 'entre jamais ne fut courue,
Minerve soufle et me guide Apollon
et les neu Muses me montrent l'Ourse.
Vous autres, peu nombreux, qui avez dress le cou
de bonne heure vers le pain des anges,
dont ici on vit mais non s'en rassasie,
bien pouvez-vous mettre en haute mer
votre navire en suivant mon sillage
avant que l'eau ne redevienne gale.
Ces glorieux qui passrent Colchos*
ne s'tonnrent autant que vous ferez,
quand ils virent Jason devenu laboureur.
La so, inne et perptuelle en l'homme,
du royaume diforme, nous emportait
presque aussi vite que vos yeux voient le ciel.
Batrice regardait en haut et moi en elle
et dans le temps peut-tre qu'un carreau
s' arrte et vole et quitte l'arbalte,
je me vis arriver o chose merveilleuse
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PARADIS. CHANT II
attira soi mes yeux ; alors celle
qui ne pouvait tre ma pense cache,
tourne vers moi, joyeuse autant que belle :
Rends grce Dieu , me dit-elle,
qui nous a joints la premire toile .
I l me semblait que nous couvrait une nue
brillante, dense, solide, polie
comme diamant frapp par le soleil.
Au-dedans d' elle cette perle ternelle
nous reut, comme eau reoit
rayon de lumire sans s'ouvrir.
Si j 'tais corps - sur terre ne se conoit
comment une tendue peut en soufrir une autre
ce qui advient si corps en corps pntre -
plus devrait nous enflammer le dsir
de voir cette essence en qui se voit
comment notre nature Dieu s'est unie.
L-haut se verra ce que nous tenons par foi
non dmontr, et sera par soi connu
guise du Vrai premier que l'homme croit.
Je rpondis : Dame, dvotement
autant que je puis faire, je remercie celui
qui du monde mortel m'a loign.
Mais dites-moi, que sont les taches sombres
de ce corps, qui en bas sur terre
font les gens fabuler sur Can* ?
Elle sourit un peu et puis : Si erre
l'opinion des mortels , me dit-elle,
l o la clef des sens n'ouvre pas,
point ne devraient te blesser traits
d'tonnement dsormais, puisque tu vois
que la raison suivant les sens a les ailes courtes.
Mais dis-moi ce que par toi-mme en penses ?
Et moi : Ce qui nous apparat divers
je crois que sont corps rares et denses.
369
61
64
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
370
LA DIVINE COMDIE
Et elle : Certes, bien verras-tu submerge
dans le faux ta croyance, si bien coutes
les arguments que lui veux opposer.
La huitime sphre vous montre nombreuses
lumires, lesquelles par qualit et quantit
peuvent apparatre en divers aspects.
Si rare et dense en taient cause,
une seule vertu serait, en toutes,
distribue plus et moins et autant.
Vertus diverses doivent tre fruits
de principes formels, et ceux-ci, sauf un,
seraient dans ton raisonnement dtruits.
Puis, si le rare tait de ces taches
la cause que tu cherches, ou bien de part en part
serait de sa matire ainsi prive
cette plante, ou bien comme se rpartit
le gras et le maigre dans u corps, ainsi celle-ci
dans son volume alternerait les pages.
Si le premier cas tait vrai, il serait manifest
dans l'clipse du soleil : transparatrait alors
la lumire comme dans tout autre corps rarfi.
Cela n'est pas, partant il faut voir
l'autre cas et, s'il advient que je le casse,
sera dclare fausse ton opinion.
S'il est vrai que ce rare ne traverse pas,
il doit y avoir un terme o
son contraire ne laisse pas passer,
et, de l, le rayon de soleil se rflchit
comme la couleur sur un verre
qui est, derrire, tapiss de plomb.
Ores tu diras que l se montre obscur
le rayon plus qu'en autre partie
pour tre rfract de plus loin.
De cette objection peut te librer
l'exprience, si jamais tu essaies,
qui est la source des ruisseaux de vos arts.
97
100
103
106
109
112
1 1 5
118
121
124
127
130
PARADIS. CHANT II
Tu prendras trois miroirs, deux tu les loignes
de toi de mme distance, l'autre plus loin
entre les deux premiers, face tes yeux.
Tourn vers eux, aie derrire toi
une lumire qui claire les trois miroirs,
et revienne toi, rflchie par eux.
Bien qu'en dimension soit moindre
l'image la plus lointaine, tu la verras
comme il convient resplendir galement.
Or, comme sous les traits des chauds rayons
reste de la neige le sujet dpouill
et de la couleur primitive et du froid,
toi, ainsi rest, je veux en ton intellect
t'clairer de lumire si vive
que son aspect t'blouira.
A l'intrieur du ciel de la divine paix
tourne un corps en la vertu duquel
l'tre de tout ce qu'il contient repose.
Le ciel suivant, qui a tant de lumires,
distribue cet tre en diverses essences,
de lui distinctes et par lui contenues.
Les autres ciels, selon leurs diffrences,
disposent pour leurs fins et leurs effets
les vertus distinctes qu'ils portent en eux.
Les organes du monde vont ainsi,
comme tu vois dsormais, de degr en degr
prenant en haut et donnant en bas.
Regarde bien par quelle voie
je vais au vrai que tu dsires,
en sorte que tu saches seul passer le gu.
Le mouvement et la vertu des cercles saints,
comme du forgeron l'art du marteau,
doit driver des bienheureux moteurs,
et le ciel, dont tant de lumires font la beaut,
prend l'image de l'esprit profond
qui le meut et en devient le sceau.
371
133
136
139
142
145
148
LA DIVINE COMDIE
Et comme l'me, dans votre poussire,
se manifeste par diffrents membres
conforms diverses puissances,
ainsi l' Intelligence dploie
sa bont multiplie sur les astres,
tournant elle-mme sur sa propre unit.
Vertu diverse fait diverse alliance
avec le corps prcieux qu'elle avive
auquel, comme vie en vous, elle se lie.
Par la nature joyeuse dont elle drive
la vertu mle au corps rayonne
comme liesse en vive prunelle.
D'elle vient ce qui de lumire lumire
parat diffrent, non de dense ou rare ;
elle est la cause formelle qui produit
selon sa qualit, le trouble et le clair.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant III
Ce soleil, qui premier d' amour chauffa mon cur,
m'avait dcouvert, prouvant et rfutant,
de belle vrit le doux aspect,
et moi, voulant me confesser corrig
et certain, comme il convenait
levai plus haut la tte pour le dire,
mais vision apparut qui soi
me retint si troitement, pour la voir,
que de ma confession plus ne me souvins.
Tels par verres transparents et polis,
ou bien par eaux limpides et calmes
non si profondes que les fonds soient perdus,
nous reviennent les traits de nos visages
si faibles que perle sur front blanc
ne vient moins vite nos regards,
tels vis-je des visages prts parler
par quoi je courus l'erreur contraire
celle qui lia d'amour l'homme et la fontaine.
Aussitt que d'eux je m' aperus,
les estimant images refltes,
pour voir qui tait-ce je tournai les yeux,
ne vis rien et les ramenai en avant
droit dans les yeux de ma douce guide
qui souriait et ses yeux saints resplendissaient.
Ne t'tonne pas parce que je souris ,
373
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
374
LA DIVINE COMDIE
dit-elle, de ta pense purile,
sur le vrai ton pied enre n'est assur,
mais tu tournes, comme de coutume, vide ;
ce sont vraies substances que tu vois l,
ici relgues pour rupture de vu.
Parle donc avec elles et coute et crois,
car la vraie lumire qui les comble
ne laisse leurs pieds se dtourner d'elle .
Et moi, l'ombre qui paraissait plus dsireuse
de me parler, je m'adressai et commenai,
un peu comme un que grand dsir domine :
0 esprit bien cr qui, aux rayons
de vie ternelle, prouves la douceur
qui non gote ne se peut comprendre,
il me plairait que tu veuilles me dire
quel est ton nom et quel votre sort.
Dont elle, prompte et les yeux riants :
Notre charit ne ferme ses portes
dsir juste, non autrement que celle
qui veut semblable soi toute sa cour.
Je fus dans le monde vierge consacre ;
et si tu regardes bien ta mmoire,
tre plus belle, toi, ne me cachera,
mais tu reconnatras que je suis Piccarda,
qui, ici place avec ces bienheureux,
bienheureuse suis dans la sphre la plus lente.
Nos dsirs qui sont enflamms seulement
de ce qui plat l'Esprit Saint
sont en liesse d'tre forms selon son ordre.
Notre sort qui parat si bas
nous est donn parce que furent ngligs
et en partie dsavous nos vux.
Dont moi elle : En vos traits admirables
resplendit je ne sais quoi de divin
qui transforme votre image premire,
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
PARADIS. CHANT III
ce pourquoi je fus lent me souvenir ;
mais ores m'aide ce que tu me dis
et il m'est plus facile de te reconnatre.
Mais, dis-moi, vous qui tes ici heureux,
dsirez-vous un lieu plus lev
pour voir mieux ou mieux aimer ?
Avec les autres ombres, d'abord sourit un peu,
et puis me rpondit si joyeuse
qu'elle paraissait brler d'amour dans le feu premier.
Frre, vertu d'amour rassasie
notre volont, et nous fait vouloir
ce que nous avons sans aucune autre soif.
Si nous dsirions tre plus haut
seraient dsaccords nos dsirs
du vouloir de Celui qui ici nous place ;
ce qui n'a lieu, tu verras, dans ces sphres,
si tre en amour est ici ncessaire
et si tu regardes bien quelle est sa nature.
Il est essentiel cette batitude
de se tenir dans le vouloir divin
pour que nos vouloirs ne fassent qu'un.
Nous sommes ainsi disposs de ciel en ciel
dans ce royaume, et cela plat tout le royaume,
comme au roi qui nous donne dsir de sa volont.
Et sa volont est notre paix :
elle est cette mer vers qui tout se meut,
ce qu'elle cre et ce que nature fait.
Clair me fut alors comment tout lieu
au ciel est paradis, quoique la grce
du bien suprme d'une mme faon n'y pleut.
Mais, comme il advient, si un mets rassasie
et d'un autre reste encore l' envie,
qu'on demande l'un en remerciant de l'autre,
ainsi fis-je en gestes et paroles
pour apprendre d'elle quelle fut la toile
dont ne tira jusqu'au bout la navette.
375
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
376
LA DIVINE COMDIE
Vie parfaite et haut mrite emparadise
dame plus haut , me dit-elle, et sa suite
dans votre monde, en bas, on prend robe et voile,
pour que jusqu' la mort on veille et dorme
avec cet poux qui accepte tout vu
que charit son plaisir conforme.
Du monde, pour la suivre, jeunette
je m' enfuis et dans son habit m'enfermai
et promis de vivre selon sa rgle.
Puis, des hommes, au mal plus qu'au bien adonns,
me ravirent hors du doux clotre
et Dieu sait ce qu'ensuite fut ma vie.
Et cette autre splendeur qui ma droite
t' apparat et qui s' enflamme
de toute la lumire de notre sphre,
ce que je dis de moi, de soi l'entend :
elle fut nonne, et de mme ft te
de sa tte l'ombre des saints bandeaux.
Mais aprs qu'elle fut dans le monde remise,
contre son gr et contre honnte usage,
du voile du cur jamais ne fut dlie.
C'est la lumire de la grande Constance*
qui du second vent de Souabe
engendra le troisime et l'ultime puissance .
Ainsi me parla, et puis elle commena : Ave
Mara # en chantant, et en chantant disparut
comme en eau sombre chose pesante.
Ma vue, qui la suivit autant
qu'il fut possible, quand la perdit
alla l'objet de mon plus grand dsir,
Batrice tout entire se tourna,
mais elle fulgura dans mon regard
tant que mes yeux d'abord ne le souffrirent,
et cela me fit demander plus lent.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant IV
Entre deux mets galement distants
et attirants, mourrait de faim
un homme libre, avant d'en porter un ses dents ;
de mme resterait un agneau entre deux rages
de loups froces, les craignant galement ;
ainsi resterait un chien entre deux daims ;
partant si je me taisais, je ne m'en blme,
en suspens galement entre mes doutes,
ni ne m'en loue, puisque c'tait ncessit.
Je me taisais, mais mon dsir tait peint
sur mon visage qui demandait
plus ardemment qu'un parler distinct.
Batrice fit ce que fit Daniel
tirant de sa colre Nabuchodonosor*
qui l' avait injustement accus,
et dit : Je vois bien comment te tirent
l'un et l'autre dsir, si bien que ton souci
s'entrave lui-mme et au-dehors n' arrive.
Tu argumentes : "Si le bon vouloir dure
pour quelle raison la violence d'autrui
diminue la mesure de mon mrite ?
De douter encore te donne motif
le retour des mes aux toiles
selon ce que dit Platon.
Telles sont les questions qui pressent
377
LA DIVINE COMDIE PARADIS. CHANT IV
galement ton vouloir, et d'abord,
61 Ce principe mal entendu, gara
je traiterai celle qui a plus de fiel. presque le monde entier le portant
28 Des sraphins celui qui est le plus en Dieu, invoquer Jupiter, Mercure et Mars.
Mose, Samuel et des deux Jean, celui 6 L'autre doute qui te trouble
que tu voudras, comme aussi Marie, a moins de venin parce que sa malice
31 n'ont leur sige en autre ciel
ne pourrait t'emmener loin de moi.
que ces esprits qui te sont apparus
67 Paratre injuste notre justice
et n'y sont pour plus ou moins d'annes,
aux yeux des mortels est argument
34 mais tous embellissent le premier ciel
de foi, non d'hrtique mchancet.
et diversement ont douce vie
70 Mais parce que votre jugement peut
car sentent plus ou moins l 'ternel souffle.
bien pntrer en cette vrit,
comme tu le dsires je vais te contenter.
37 Ici se sont montrs, non parce que cette sphre
73 Si violence y a quand celui qui subit
leur est attribue, mais pour signaler
ne conc.de rien celui qui le force,
une batitude cleste moins haute.
ne furent ces mes par elle excuses,
40 Ainsi faut-il parler votre esprit
76 car volont, si ne veut, ne s'teint,
parce que, du seul sensible, il apprend
mais fait comme fait nature dans le feu,
ce qu'ensuite il fait digne d'intellect.
mme si mille fois violence le tord,
43 C'est pourquoi l'

criture condescend
79 pour ce si elle ploie peu ou prou
vos facults, et pieds et mains
elle suit la force ; ainsi firent ces mes
attribue Dieu, et autre chose entend ;
pouvant retourner au lieu saint.
46 et sainte

glise avec aspect humain


82 Si leur vouloir tait rest entier,
vous reprsente Gabriel et Michel*
comme il tint Laurent sur le gril,
et l 'autre qui redonna la vue Tobie.
et fit Mucius svre sa main,
49 Ce que Time des mes argumente
85 il les aurait ramenes, lorsqu'elles furent libres,
n'est semblable ce qui se voit ici,
par le chemin d'o avaient t arraches,
si ce qu'il dit est ce qu'il croit.
mais si solide vouloir est chose rare.
52 Il dit que l 'me son toile revient
88 Par ces paroles si tu les as recueillies
croyant qu'elle en a t spare
comme tu le dois, l' argument est cass
quand nature pour forme la donna ;
qui t'aurait encore plus d'une fois troubl.
55 et peut-tre son propos est-il dfrent
91 Mais ores devant toi se prsente
de ce que disent les mots, et cela avec
autre difficult telle que par toi-mme
une intention ne pas railler.
n'en sortirais, tu serais las avant.
58 S'il entend que revient ces roues
94 Je t' ai certes mis dans l'esprit
l'honneur et le blme de l 'influence, peut-tre
qu' me bienheureuse ne saurait mentir
son arc a-t-il frapp un certain vrai.
tant toujours auprs du premier vrai ;
378
379
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
LA DIVINE COMDIE
puis tu as pu entendre de Piccarda
que Constance garda son attachement au voile,
si bien qu'elle semble me contredire.
Souvent dj, frre, il advint
que pour fuir un danger, contre son gr,
on fit ce qu'il n'aurait fallu faire.
Comme Alcmon qui, pri en cela*
par son pre, tua sa propre mre,
et, pour ne pas perdre pit, se fit sans piti.
Je veux qu' ce point tu penses
que la force au vouloir se mle de sorte
qu'on ne peut excuser la faute.
Un vouloir absolu ne consent au mal ;
il consent en tant qu'il craint,
s'il rsiste, de tomber en plus grande peine.
Partant, quand Piccarda s' exprime ainsi
elle entend le vouloir absolu, et moi
l'autre, si bien que le vrai disons ensemble.
Tel fut l'ondoyer du saint ruisseau
qui sortit de la source d'o tout vrai drive,
et tel mit en paix l'un et l'autre dsir.
0 amante du premier amant, divine ,
dis-e alors, dont le parler m' inonde
et tant m'chauffe que plus en plus m'avive,
ma gratitude si profonde ne suffit,
ne puis vous rendre grce pour grce,
mais celui qui voit et peut qu'il rponde.
Je vois bien que jamais ne se rassasie
notre intellect si ne l'claire le vrai
hors duquel aucun vrai ne s'pand.
Se repose en lui comme bte au ge
peine l'a-t-il atteint ; et il peut l'atteindre
sinon tout dsir serait vain.
130 Par ce dsir, nat, comme une pousse
380
au pied du vrai, le doute, et c'est nature
qui au sommet nous porte de col en col.
133
136
139
142
PARADIS. CHANT IV
Cela m'invite et cela m'assure
Dame, vous demander avec respect
d'une autre vrit qui me reste obscure.
Je veux savoir si l'on peut satisfaire
au vu manqu par autres biens
qui ne soient faibles en vos balances.
Batrice me regarda les yeux pleins
d'tincelles d'amour si divines,
que, vaincue ma vertu cda,
je restai comme perdu, les yeux baisss.
Chant V
1 Si tes yeux je flamboie du feu d' amour
au-del de tout ce qui se voit sur terre
et tant que je vaincs la force d

tes yeux,
4 ne t'merveille car cela procde
d'un voir parfait qui, sitt qu'il peroit,
dans le bien peru porte ses pas.
7 Je vois bien comme dj resplendit
en ton esprit la lumire ternelle
qui, aussitt vue, seule et toujours enflamme l' amour ;
10 et si quelque autre chose sduit votre amour
ce n'est que vestige de cette lumire
mal reconnu qui y transparat.
13 Tu veux savoir si pour un vu manqu
quelque uvre diffrente peut compenser
qui mette l' me l'abri du litige.
16 Ainsi Batrice commena-t-elle ce chant
et, comme un qui ne rompt son propos,
elle poursuivit ainsi le saint discours :
19 Le plus grand don que Dieu par sa largesse
fit en crant, et sa bont le plus conforme,
et celui que plus il apprcie,
22 fut de la volont la libert
dont les cratures intelligentes
et toutes et seules furent et sont dotes.
25 Ores t'apparatra, si de l argumentes,
382
28
31
34
37
40
43
46
49
52
55
58
PARADIS. CHANT V
la haute valeur du vu, s'il est ainsi fait
Que Dieu consente quand tu consens,
car en concluant ce pacte entre Dieu et l'homme
sacrifice est fait de ce trsor
que j 'ai dit, et fait par lui.
Que peut-on donc rendre en change ?
si tu crois bien utiliser ce que tu as offert,
d'un bien mal acquis tu veux faire bon emploi.
Te voici dsormais du premier point certain,
mais parce que Sainte

glise en cela dispense,


ce qui semble contraire au vrai que je t'ai dit,
il faut encore t'asseoir un peu table,
car le mets dur que tu as pris
demande encore aide pour tre digr.
Ouvre l'esprit ce que je te montre
et le fixe en toi, car ne fait science
ce qu'on entend si ce n'est retenu.
Deux choses sont ncessaires l'essence
de ce sacrifice, l'une est ce dont
il est fait, et l' autre est l'engagement.
Ce dernier jamais ne s'efface,
sauf par l'observance, et c'est son propos
que si prcisment est parl plus haut ;
partant fut ncessit pour les Hbreux
d'offrir, encore que quelque offrande
se pt changer comme tu dois savoir.
L' autre qui t'est prsente comme matire
peut bien tre telle que, sans faute,
en autre matire se convertisse.
Mais que nul ne change la charge son paule
par son propre vouloir, sans que tourne
la clef blanche et puis la jaune,
et toute permutation crois-la insense
si la chose abandonne n'est contenue
dans la nouvelle comme quatre en six.
383
LA DIVINE COMDIE
61 Mais toute chose qui par sa propre valeur
pse si lourd qu'elle emporterait la balance,
ne se peut compenser par autre offrande.
6 Ne prennent les mortels le vu la lgre,
soyez fidles en cela mais non pas bigles,
comme Jepht sa premire promesse* ;
67 mieux devait-il dire "J'ai mal fait"
que, l'observant, faire pis ; et aussi fou
tu peux trouver ce grand chef des Grecs*
70 qui fit Iphignie pleurer son beau visage
et fit pleurer sur elle et les fous et les sages
qui entendirent parler d'un culte ainsi rendu.
73 Soyez, chrtiens, vous mouvoir plus graves,
ne soyez comme plume tout vent,
et ne croyez que toute eau vous lave.
76 Vous avez le Nouveau et l' Ancien Testament
et le pasteur de l'

glise qui vous guide,


cela vous suffise pour votre salut.
79 Si male cupidit vous crie autre chose,
soyez hommes et non folles brebis,
et que le Juif de vous, parmi vous, ne rie.
82 Ne faites comme l'agneau qui laisse le lait
de sa mre et simplet et foltre
pour son plaisir se combat lui-mme.
85 Ainsi Batrice moi, comme je l'cris,
puis elle se tourna toute dsireuse
vers ce ct o le monde est plus vif.
88 Elle se tut et son aspect chang
imposa silence mon esprit avide,
qui dj devant lui avait questions nouvelles.
91 Et comme flche qui touche le but
avant que la corde soit immobile,
ainsi courmes-nous au second royaume.
94 L je vis ma Dame si joyeuse,
peine entre dans la lumire de ce ciel,
que plus brillante s'en fit la plante ;
384
97
100
103
106
109
1 12
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
PARADIS. CHANT V
et si l'toile ainsi changea et rit
quel me fis-je, moi, qui par nature
suis transmuable en toutes manires.
Comme en un vivier tranquille et pur
se portent les poissons ce qui y tombe
et qu'ils estiment tre leur pture,
ainsi vis-je bien plus de mille splendeurs
se porter vers nous, et en chacune on entendait :
Voici qui va accrotre nos amours.
Et ds qu' nous chacune arrivait,
on voyait l'ombre pleine de liesse
dans la claire fulgurence qui sortait d'elle.
Pense, lecteur, si ce qui ici commence
ne continuait, comme d'en savoir plus
tu sentirais anxieuse disette,
et par toi tu verras combien en grand dsir
j 'tais d'entendre d'eux leur condition
peine mes yeux eurent-ils paru.
0 bien n auquel la grce accorde
de voir les lieux du triomphe ternel
avant que s' abandonne la milice,
de la lumire qui par le ciel entier s' tend
nous sommes embrass, partant si tu dsires
t'clairer notre sujet, rassasie-toi ton gr.
Ainsi par un de ces pieux esprits
me fut dit, et par Batrice : Dis, dis
avec assurance, et crois comme des dieux.
Je vois bien comment tu te niches,
en ta propre lumire qui vient de tes yeux,
car elle resplendit mesure de ton rire,
mais ne sais qui tu es, ni pourquoi tu as,
me digne, le degr de la sphre
que voile aux mortels le rayon d'une autre.
Ainsi dis-je tourn vers la lumire
qui d'abord m'avait parl, dont elle se fit
bien plus brillante encore qu' elle n' tait.
385
133
136
139
LA DIVINE COMDIE
Comme le soleil qui se cache lui-mme
par excs de lumire lorsque la chaleur
a rong la temprance des vapeurs denses,
par plus de liesse ainsi moi se cacha
dans son propre rayon la figure sainte,
et ainsi toute enclose me rpondit
en la faon que le chant suivant chante.
Chant VI
1 Aprs que Constantin eut tourn l'Aigle*
contre le cours du ciel qu'elle avait suivi,
derrire l' ancien qui prit Lavinia*,
4 cent et cent ans et plus l'oiseau de Dieu
l'extrme de l' Europe demeura,
prs des monts dont il tait sorti,
7 et l, sous l'ombre de ses plumes sacres,
gouverna le monde ; de main en main
ainsi changeant, il parvint sur la mienne.
10 Je fus Csar et je suis Justinien*,
qui, par inspiration du premier amour,
d'entre les lois retirai et le trop et le vain.
13 Et avant que je fusse cette uvre attentif,
une seule nature je croyais tre, non plus,
en Christ, et de telle foi tais content ;
16 mais le bienheureux Agapit, qui fut*
pasteur suprme, la vraie foi
me redressa par ses paroles.
19 A lui je crus ; et ce qui tait en sa foi
je le vois maintenant aussi clair que tu vois
en toute contradiction et le vrai et le faux.
22 Si tt qu'avec l'

glise je me mis marcher


il plut Dieu, par grce, de r 'inspirer
le haut labeur auquel tout me donnai ;
25 mon Blisaire, je confiai les armes
387
LA DIVINE COMDIE PARADIS. CHANT VI
et la droite du ciel lui fut si favorable 61 Ce qu'il fit quand il sortit de Ravenne
que ce fut signe pour moi de rester en repos. et sauta le Rubicon, fut d'un tel vol
28 Voil, ta question premire correspond que ne pourrait le suivre langue ou plume.
ma rponse, mais sa nature est telle 6 Vers l'Espagne il tourna son arme,
que je suis oblig d' ajouter une suite,
puis vers Durazzo, et tant frappa Pharsale
31 pour que tu voies si bonne raison
que jusqu'au Nil brlant s'en ressentit le deuil.
s'lve contre le signe sacro-saint
67 Il revit Antandros et Simois
et qui se l'approprie et qui lui s'oppose*.
d'o il partit, et o Hector repose ;
au dam de Ptolme ensuite il s'lana.
34 V ois combien de vertu l' a rendu digne
70 De l fondit comme foudre sur Juba ;
de rvrence ; et cela commence de l'heure
puis se tourna vers votre occident
que Pallas mourut pour qu'il rgnt*.
o il entendait la trompette de Pompe.
37 Tu sais qu'il fit en Albe sa demeure*
73 De ce qu'il fit avec celui qui aprs le porta,
pour trois cents ans et plus, et jusqu' la fin
Brutus avec Cassius en enfer aboie,
quand les trois contre trois pour lui encore luttrent ;
et Modena et Perugia en furent dolentes ;
40 et tu sais ce qu'il fit depuis le rapt des Sabines
76 encore s'en plaint la triste Cloptre
jusqu' la douleur de Lucrce, en sept rois
qui, devant lui fuyant, de l'aspic
vainquant alentour les nations voisines.
prit la mort soudaine et noire.
43 Tu sais ce qu'il fit, port par les vaillants
79 Avec celui-ci courut jusqu' la mer Rouge,
Romains, contre Brennus, contre Pyrrhus,
avec celui-ci tablit le monde en telle paix
contre les autres princes et collges,
que fut ferm le temple de Janus.
4 d'o Torquatus et Quintius qui prit nom
82 Mais ce que le signe qui me fait parler
de ses cheveux hirsutes, les Decius et les Fabius,
avait faitd'abord et devait faire ensuite
eurent renomme que volontiers j 'admire.
dans le royaume mortel qui lui est soumis,
49 Il mit terre 1 'orgueil des Arabes
85 prend une apparence pauvre et obscure
qui derrire Annibal passrent
si, en main du troisime Csar, on le regarde
les roches alpestres, P, dont tu sors.
d'un il clair et d'un cur pur ;
52 Sous lui, tout jeunes, triomphrent
88 car la vivante justice qui m'inspire
Scipion et Pompe, et cette colline
lui concda, en main celui que je dis,
sous laquelle tu naquis cela fut amer.
la gloire de faire vengeance son courroux.
55 Puis vers le temps que le ciel voulut faire
91 Ores t'merveille en ce que je t'affirme* :
le monde entier l'image de sa srnit,
peu aprs, avec Titus, il courut faire vengeance
Csar par vouloir de Rome le prit ;
de la vengeance de l'antique pch.
58 et ce qu'il fit du V ar au Rhin,
94 Et lorsque la ent lombarde mordit
Isre le vit et Loire et le vit Seine,
la Sainte Eglise, sous ses ailes,
et toute valle d'o s' emplit le Rhne. Charlemagne vainqueur la secourut.
388
389
97
lOO
103
106
109
ll2
ll5
ll8
121
124
127
130
390
LA DIVINE COMDIE
Maintenant tu peux juger de ceux-l
que j 'accusai plus haut, et de leurs fautes
qui sont causes de tous vos malheurs.
L'un au signe public oppose les lis*
jaunes, l'autre l'approprie son parti*,
dficile est dire qui a plus gande faute.
Qu'ils fassent les Gibelins, qu'ils fassent leur mtier
sous autre signe, car mal suit celui-l
toujours qui le disjoint de la justice ;
et qu'il ne l'abatte ce nouveau Charles
avec ses GueHes, mais qu'il craigne les serres
qui plus haut lion arrachrent le poil.
Maintes fois dj pleurrent les fils
pour la faute du pre, et qu'il ne croie
que Dieu change le signe pour ses lis !
Cette petite toile est orne
de bons esprits qui ont t acts
afin qu'honneur et renomme les suivent,
et quand les dsirs se tendent l,
dviant ainsi, hien doivent les rayons
du vritable amour tendre en haut moins vs.
Mais commensurer nos salaires
au mrite est partie de notre joie
car nous les voyons ni moindres ni plus grands.
De l, tant adoucit la vivante justice
nos dsirs, qu'il n'est possible
de les tordre quelque vilenie.
Voix diverses font douces notes,
ainsi divers degs en notre vie
forment douce harmonie parmi ces roues.
Et dans cette prsente perle
luit la lumire de Romieu dont*
l'uvre grande et belle fut mal agre.
Mais les Provenaux qui agirent contre lui
n'ont pas ri, et donc mal chemine
celui qui se fait dam du
h
ien agir d'autrui.
133
136
139
142
PARADIS. CHANT VI
Quatre filles il eut et chacune fut reine
Raymond Branger, et ce fut l'uvre
de Romieu d'origine humble et trangre.
Et puis des paroles calomnieuses le poussrent
demander des comptes ce juste
qui lui remit sept et cinq pour dix,
et puis s'en alla, pauvre et vieux :
et si le monde savait le cur qu'il eut
mendiant sa vie morceau par morceau,
hien le loue et hien plus le louerait.
1
4
7
1 0
13
1 6
1 9
22
25
392
Chant VII
Osanna, sanctus Deus sabaoth,
superillustrans claritate tua
felices ignes horum malacoth ! #
Ainsi, tournant son rythme,
me fut donn de voir chanter cette substance
sur laquelle double lumire s'unit,
et elle avec les autres qui s'accordrent sa danse,
telles rapides tincelles,
me les voila soudaine distance.
Dans le doute : Dis-lui, dis-lui !
disais-je en moi-mme, dis-lui , ma Dame
qui me dsaltre par douces gouttelettes ;
mais cette rvrence qui s'empare
de tout moi, seulement par Be et par ice
m' inclinait comme un que saisit le sommeil.
Peu de temps me souffrit ainsi fait Batrice
et commena avec un sourire rayonnant
qui eut fait, dans le feu, l'homme heureux :
Selon mon jugement infaillible,
comment juste vengeance puisse tre
justement punie, t'a mis en souci,
mais j 'aurai tt apais ton esprit :
et toi coute, car mes paroles
te feront don d'une haute vrit.
Pour ne point souffrir son vouloir
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
5
PARADIS. CHANT VII
un frein salutaire, cet homme, qui ne naquit,
en se damnant, damna toute sa descendance,
d'o l'espce humaine infirme, resta
pendant des sicles en grande erreur,
jusqu' ce qu'il plt au Verbe de Dieu de descendre ;
et la nature qui de son auteur
s'tait loigne, il l'unit en sa personne
par l'acte seul de son ternel amour.
Ores dresse ton esprit mon raisonnement.
Cette nature, ainsi unie son auteur
comme elle fut cre, fut sincre et bonne
mais par sa faute fut bannie
du paradis parce qu'elle se dtourna
de la voie de vrit et de sa vie.
La peine donc apporte par la croix,
si on la mesure la nature assume,
jamais nulle autre ne mordit si justement,
et nulle aussi ne fut telle injure,
regardant la personne qui souffrit,
en laquelle tait unie telle nature.
Pour ce d'un acte sortirent choses diverses :
Dieu et aux Juifs plut la mme mort ;
pour elle trembla la terre et le ciel s'ouvrit.
Plus ne te doit dsormais sembler dur
quand on dit que juste vengeance
fut ensuite venge par juste cour*.
Mais je vois ores ton esprit resserr,
de pense en pense, dans un nud,
duquel en grand dsir attends d'tre dli.
Tu dis : "Bien je discerne ce que j 'entends,
mais me reste obscur pourquoi Dieu voulut
notre rdemption par ce seul moyen. "
Le dcret, frre, reste enseveli
aux yeux de chacun dont l'esprit
dans la flamme d'amour n'est adulte.
393
LA DIVINE COMDIE
PARADIS. CHANT VII
61 Toutefois parce qu' ce signe
97 Ne pouvait l'homme dans ses limites
beaucoup on regarde et peu l'on discerne,
jamais satisfaire, car ne pouvait descendre
je dirai pourquoi ce moyen fut plus digne.
obissant avec humilit
6 La divine bont qui de soi repousse
lOO autant qu'en dsobissant voulut monter ;
toute envie, de son cur brlant tant tincelle
et c'est la raison pour laquelle l'homme fut
qu'elle dploie les beauts ternelles.
forclos de pouvoir satisfaire lui-mme.
67 Ce qui d' elle directement mane
103 Donc Dieu convenait par ses voies
n'a pas de fin, parce que point ne bouge
reporter l'homme sa vie entire,
son empreinte quand elle a mis son sceau.
je dis par l'une ou bien par les deux.
70 Ce qui d'elle directement pleut
106 Mais parce que l'uvre est d'autant plus aime
est entirement libre parce que non soumis
de l'oprant que plus elle maneste
l'influence des choses nouvelles.
la bont du cur dont elle est sortie,
73 Cela plus lui plat qui plus lui est conforme
109 la divine bont empreinte dans le monde
car l'ardeur sainte que toute chose rayonne
se complut pour vous redresser
en la plus ressemblante est plus vive.
de procder par toutes ses voies.
76 De tous ces dons s'avantage
l l 2 Entre l' ultime nuit et le premier des jours
la crature humaine, et si l' un manque,
acte si haut ou si magnique
de sa noblesse il lui faut dchoir.
par l' une ou par l'autre ne fut ni ne sera :
79 Seul le pch est ce qui l'asservit
l i S car plus large fut Dieu se donner lui-mme
et la fait dissemblable au bien suprme,
pour faire l'homme apte se relever
parce que de sa lumire peu s'claire ;
que s'il avait seul de lui-mme remis la faute.
82 et en sa dignit jamais ne revient
l l 8 et tous les autres moyens taient insufisants
si elle n'emplit le vide de la faute,
pour la justice, si le Fils de Dieu
contre mauvais plaisir, par justes peines.
ne s' tait abaiss s'incarner.
85 Votre nature quand totalement pcha
121 Mais pour bien combler chacun de tes dsirs,
en son germe, de ces dignits
je reviens pour clairer un point,
comme du paradis fut loigne,
afin que tu voies l comme moi je vois.
88 et ne pouvaient se recouvrer, si tu regardes
124 Tu dis : "Je vois l'eau, je vois le feu,
subtilement, par aucune voie
l'air et la terre et tous leurs mlanges
qui ne passt par un de ces deux gus :
venir corruption et durer peu,
91 ou que Dieu par sa seule courtoisie
127 et ces choses furent aussi cratures ;
et remis la faute, ou que l'homme par lui-mme
si donc ce qui a t dit est vrai
et satisfait sa folie. elles devraient tre l'abri de corruption. "
94 Ores plonge l' il par-dedans l'abme
130 Les anges, frre, et le pays franc
de l'ternel conseil, autant que tu peux en lequel tu es, peuvent se dire crs,
attent troitement ma parole.
et ils le sont, en leur tre entier ;
394 395
133
136
139
142
145
148
LA DIVINE COMDIE
mais les lments que tu as nomms,
et ces choses qui d'eux se composent
tiennent leur forme d'une vertu cre.
Cre fut la matire qu'ils ont,
cre fut la vertu informante
en ces toiles qui vont autour d'eux.
L'me de chaque animal et des plantes,
de complexion prdispose, reoit vie
de la lumire et du mouvement des saintes lumires ;
mais votre vie, directement l'insuffle
la suprme bont, et l' namoure
de soi tant que toujours elle la dsire.
Et de l tu peux argumenter encore
votre rsurrection, si tu repenses
comment l'humaine chair fut faite, alors
que les premiers parents l'un et l 'autre furent faits.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant VIII
Jadis l e monde, en son pril, croyait
que la belle Cypris, dans le troisime picycle,
irradiait le fol amour,
ce pourquoi, non seulement elle rendaient honneur
de sacrices et de chants votifs
les gens antiques dans 1 'antique erreur,
mais honoraient Dion et Cupidon,
l'une comme sa mre, l'autre comme son fils,
et disaient celui-ci tre au giron de Didon ;
et Vnus dont je prends mon dbut
ils prenaient le nom de l'toile
que le soleil courtise ores devant ores derrire.
Je ne m'aperus que je montais en elle,
mais d'y tre arriv me fit certain
ma Dame que je vis devenue plus belle.
Et comme dans une flamme se voit une tincelle,
et comme en voix voix se discerne
quand l'une est fixe et l'autre va et vient,
je vis en cette lumire d'autres lumires
se mouvoir en cercles plus ou moins rapides
selon, je crois, leurs visions ternelles.
De froid nuage ne descendirent vents,
visibles ou non, si htifs
qui ne parussent empchs et lents
qui aurait vu ces lumires divines
397
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
398
LA DIVINE COMDIE
venir nous, abandonnant la ronde
commence avec les hauts Sraphins.
Et d' entre ceux qui plus prs apparurent
rsonnait u Hosanna tel que jamais ensuite
ne fus sans dsir de le rentendre.
Puis, l'un avana plus prs de nous
et commena, seul : Tous sommes prts
ton plaisir, pour que de nous tu aies joie.
D'un mme tour et tournoiement et so
nous tournons avec les Princes clestes
qui, dans le monde d'en bas, tu as dit :
"Vous dont l'esprit meut le troisime ciel*",
et sommes si pleins d'amour que, pour te plaire,
ne nous sera moins doux u moment de pause.
Aprs que mes yeux se furent ports
rvrents ma Dame et qu'elle
les et faits contents et assurs,
ils revinrent la lumire qui tant
avait promis, et : Ah qui tes-vous ? fut
ma voix de grande affection empreinte.
Je la vis se faire plus grande et plus vive
par nouvelle allgresse qui accrut,
quand je parlai, ses allgresses !
Ainsi faite, me dit : Le monde m' a eu*
en bas, peu de temps, et, si plus j 'tais rest,
beaucoup de mal sera qui n'et t.
Ma liesse toi me drobe,
elle rayonne alentour et me cache,
tel animal envelopp de sa soie.
Beaucoup m'aimas et tu avais raison
car si j 'tais en bas rest je te montrais
de mon amour plus que les jeunes feuilles.
Cette rive gauche que baigne le Rhne,
aprs qu'il est ml la Sorgue
m' attendait, le temps venu, pour son Seigneur ;
61
64
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
PARADIS. CHANT VIII
et cette corne d' Ausonie fortie
par Bari, par Gaeta et par Catona,
l o Tronto et Verde dbouchent dans la mer.
Dj brillait sur mon front la couronne
de cette terre qu'arrose le Danube
aprs qu'il abandonne les rivages tudesques.
Et la belle Trinacrie qu'enfume,
entre Pachino et Peloro, sur le golfe
qui reoit d' Eurus plus grand tourment,
non Typhe mais soufre naissant,
aurait attendu encore ses rois
issus par moi de Charles et de Rodolphe,
si male seigneurie qui toujours afflige
les peuples asservis, n'avait
port
P
alerme crier : "A mort ! mort ! "*
Et si mon frre pouvait cela prvoir*,
il fuirait dj l'avare pauvret
de Catalogne pour n'en tre pas offens ;
car vraiment il faut pourvoir,
par lui ou par u autre, pour qu' sa barque
si charge on n'ajoute pas plus lourde charge.
D'une nature large il descendit avare
et il aurait besoin d'une milice
qui n'ait souci d'emplir ses coffres.
Parce que je crois que la haute liesse
que ton parler me verse, cher Seigneur,
l o tout bien se termine et commence
est vue par toi, comme aussi je la vois,
elle m'est plus gr, et encore ceci m'est cher
que tu le discernes regardant en Dieu.
Tu m'as fait joyeux, de mme fais-moi clair,
car en parlant m'as port douter
comment peut de doux germe venir fruit amer.
Cela de moi lui, et lui moi : Si je puis
te montrer le vrai, ta demande
tu tiendras le visage comme prsent le dos.
399
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
400
LA DIVINE COMDIE
Le bien, qui meut et contente tout le royaume
o tu montes, fait sa providence
tre vertu en ces grands corps.
Dans la pense qui de soi est parfaite
sont pourvues non les natures seulement,
mais elles avec aussi leur salut,
pour ce tout ce que cet arc dcoche
tombe dispos la cible prvue
tout comme flche dirige son but.
Si cela n'tait, le ciel o tu avances
produirait ses effets de telle sorte
qu'ils ne seraient a mais ruine,
et cela ne peut tre si les intelligences
qui meuvent ces toiles ne sont imparfaites,
ni imparfait le premier qui ainsi les fit.
Veux-tu que ce vrai plus je t'illumine ?
et moi : Non, car je vois bien impossible
que la nature en ce qui est ncessaire se lasse.
Et lui encore : Dis-moi, serait-ce pire
pour l'homme sur terre s'il n'tait citoyen ?
Oui , rpondis-je, et l je n'en demande raison .
Et cela peut-il tre si en bas on ne vit
diversement pour divers offices ?
Non, si votre matre a bien crit*.
Ainsi vint-il, en dduisant, jusque-l,
puis il conclut : Donc diverses
doivent tre les racines de vos uvres :
pour ce l'un nat Solon et un autre Xerxs,
autre Melchisdech et autre celui
qui perdit son fils volant par les airs.
La nature tournante qui est sceau
pour la cire mortelle, bien fait son a
mais ne distingue l'une de l'autre demeure.
D'o il advient qu'Esa ds la semence
se spare de Jacob ; et que de si vil pre
vient Quius qu'on l' attribue Mars.
133
136
139
142
145
148
PARADIS. CHANT VIII
Nature engendre toujours ferait son chemin
semblable ceux qui engendrent
si ne l'emportait la prvoyance divine.
Ores, ce qui tait derrire toi, est devant,
mais pour que tu saches qu'avec toi je me plais
je veux d'un corollaire te revtir.
Toujours nature si elle trouve fortune
discordante, comme toute autre semence
hors de son sol, russit mal.
Et si le monde en bas portait attention
au fondement que pose nature,
en s'y conformant, bons seraient ses habitants.
Mais vous tordez la religion
tel n pour ceindre l'pe,
et faites roi tel n pour prcher :
par quoi vos pas vont hors du chemin.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
402
Chant IX
Aprs que ton Charles, belle Clmence*,
m'eut clair, il me narra les trahisons
que devait subir sa descendance,
mais il dit : Tais-toi, et laisse passer les ans ,
si bien que j e ne puis rien dire sauf que
justes pleurs suivront vos infortunes.
Et dj la vie de cette sainte lumire
s'tait tourne au Soleil qui la comble
comme au bien qui pour chaque chose est tout.
Ah ! mes trompes et cratures impies
qui de tels biens dtournez vos curs
dressant vos tempes en choses vaines !
Et voici qu'une autre de ces splendeurs
vint moi et signifiait sa volont
de me plaire en sa clart rayonnante.
Les yeux de Batrice, qui taient rests
fixs sur moi, d'un cher assentiment
en mon dsir me firent assur.
Ah ! sans tarder satisfais mon vouloir,
esprit bienheureux , dis-je, et montre
que je puis en toi reflter ce que je pense .
Et la lumire qui encore m'tait inconnue,
de sa profondeur d'o avant elle chantait,
rpondit comme qui se plat bien faire -
En cette parie de la terre dprave
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PARADIS. CHANT IX
d'Italie qui s'tend entre Rialto
et les sources de Brenta et de Piave,
s'lve une colline et ne se dresse trs haut,
d' o autrefois descendit une torche
qui la contre donna grand assaut.
De mme racine elle et moi naqumes ;
Cunizza fut mon nom et ici je resplendis*
car me vainquit le feu de cette toile.
Mais joyeusement je me complais
en la cause de mon sort et n'en ai regret,
ce qui paratrait fort, peut-tre gent commune.
De ce lumineux et prcieux joyau
de notre ciel, qui r
'
est le plus proche,
grande gloire est reste et avant qu'elle meure
au sicle prsent cinq autres suivront.
Vois si l'homme doit se faire excellent
pour qu'une autre vie vienne aprs la premire.
A cela ne pense la tourbe prsente
qu'enferme Adige et Tagliamento,
et bien que battue elle ne se repent.
Mais tt viendra que Padoue au marais
changera l'eau qui baigne Vicenza,
pour tre leur devoir ses gens rebelles,
et l o Sile et Cagnano se rencontrent*
tel est seigneur et va la tte haute,
alors que dj pour le saisir se tisse le filet.
Feltre pleurera encore la faute*
de son pasteur impie, si monstrueuse
que pour semblable nul n'entra en Malta.
Trop large faudrait la cuve
qui recevrait le sang ferrarais,
et las serait qui le pserait once once,
ce sang que donnera le prtre courtois
pour se montrer partisan, et tels dons
seront conformes aux murs du pays.
403
LA DIVINE COMDIE PARADIS. CHANT IX
61 En haut sont des miroirs, vous les appelez Trnes, 97 car plus ne brla la fille de Belus*
qui refltent pour nous les jugements de Dieu faisant peine Siche et Cruse,
de sorte que ces dires nous semblent bons. que moi tant qu'il convint au poil ;
6 L se tut, et il m'apparut qu'elle 100 ni cette Rhodope qui fut due
tait tourne ailleurs, par la ronde par Dmophon, ni Alcide
o elle prit place comme elle tait avant. quand eut Iole enferme en son cur.
67 L'autre joyau, que dj je connaissais 103 Ici pourtant on ne se repent, on rit,
comme chose prcieuse, se fit mes yeux non de la faute qui ne revient l'esprit,
tel fin rubis frapp par le soleil. mais de la valeur qui ordonna et pout.
70 Par joie l-haut fulgurence s'acquiert 106 Ici on contemple l' art qui embellit
comme rire ici ; mais en bas s'obscurcit une telle uvre et l'on discerne le bien
l'ombre au-dehors comme l'esprit est triste. par quoi le monde d'en haut rgit celui d'en bas.
73 Dieu voit tout et ta vue en lui pntre , 109 Mais pour que tu emportes combls
dis-je, esprit bienheureux et aucun tous tes dsirs qui sont ns en cette sphre,
dsir ne peut de soi toi se drober. il me faut aller encore plus outre.
76 Donc ta voix qui rjouit le ciel, 1 1 2 Tu veux savoir qui est en cette lumire
toujours unie au chant de ces feux saints qui tout prs de moi scintille
qui sont envelopps de six ailes, comme rayon de soleil en eau pure.
79 pourquoi ne satisfait-elle pas mes dsirs ? 1 1 5 Sache donc qu'en elle jouit de la paix
Moi je n' attendrais pas ta demande Rahab, conjointe notre ordre*
si je voyais en toi comme tu vois en moi. qui s'empreint d'elle au plus haut degr.
82 La plus grande valle o l'eau s'tale , 1 18 Par ce ciel, o s'appointe l'ombre
commencrent alors ses paroles, que fait votre monde, avant toutes les mes
hors de cette mer qui embrasse la terre, du triomphe du Christ, elle fut accueillie.
85 entre rivages opposs tant s'en va 121 Bien convenait-il de l a placer en un ciel,
contre le soleil qu'elle fait le mridien comme palme de la haute victoire
l o avant elle faisait l'horizon. qui fut acquise par l'une et l'autre paume,
88 De cette valle je fus riverain 124 puisqu'elle favorisa la premire gloire
entre Ebre et Magra qui pour un bref cours de Josu en cette Terre Sainte
spare le Gnois du Toscan. qui touche peu la mmoire du pape.
91 A un mme couchant presque et un mme levant 127 Ta ville qui est plante de celui
se trouvent Bougie et le pays dont je fus qui premier tourna le dos son crateur
qui fit le port, jadis, chaud de son sang*. et o l'envie cause tant de larmes,
94 Foulques m'appelrent ces gens* 130 produit et rpand la mauvaise fleur
qui mon nom fut connu, et ce ciel qui a dvoy brebis et agneaux
s'empreint de moi comme je fus de lui, parce qu'elle a fait un loup du pasteur.
404 405
133
LA DIVINE COMDIE
C'est pourquoi l'

vangile et les grands docteurs


sont dlaisss et dans les Dcrtales seules
on tudie, ce qui se voit aux marges.
136 Pape et cardinaux s'entendent en cela
et leurs penses ne vont Nazareth
l o Gabriel ouvrit ses ailes.
139 Mais Vatican et autres lieux lus
de Rome, qui ont t cimetire
pour la milice qui suivit Pierre,
142 bientt seront libres de l'adultre.
Chant X
1 Regardant en son Fils avec l'Amour
que l'un et l'autre ternellement spirent,
la premire et ineffable Valeur
4 fit tout ce qui se meut par l'esprit et l'espace
en ordre si parfait que nul ne peut
sans l'admirer, contempler cela.
7

lve donc, lecteur, avec moi ta vue


vers les hautes sphres, droit ce point
o l'un des mouvements heurte l'autre,
10 et l commence te complaire en l'uvre
de ce matre qui en soi l'aime
tant que jamais d'elle ne dtache son regard.
13 Vois comme de l s'carte
le cercle oblique qui porte les plantes
pour satisfaire au monde qui les appelle ;
16 et si leur route n'tait incline
grande vertu au ciel serait en vain
et presque toute puissance ici-bas morte,
19 et si du droit chemin plus ou moins grand
tait l'cart, trs imparfait serait,
et en bas et en haut, l'ordre du monde.
22 Reste donc, lecteur, sur ton banc
poursuivant en pense ce qui s'annonce,
si joyeux tu veux tre bien avant d' tre las.
25 Je t'ai servi les mets : toi de te nourrir,
407
LA DIVINE COMDIE
PARADIS. CHANT X
car toute mon attention requiert
61 Elle n'en eut dplaisir, mais telle joie
la matire dont j ' ai charge d'crire.
que la splendeur de ses yeux riants
28 Le plus grand ministre de la nature
mon esprit uni, en pleurs choses, divisa.
qui de la valeur du ciel empreint le monde
6 Je vis maints feux vifs et blouissants
faire de nous centre et d'eux couronne,
et par sa lumire nous mesure le temps,
de voix plus douce encore que brillants la vue ;
31 arrivant ce point que j ' ai rappel
67 ainsi voyons-nous parfois se ceindre
plus haut, tournait par les spires
la fille de Latone, quand l'air humide
o chaque jour plus tt il se prsente ;
retient le fil de sa ceinture.
34 et j 'tais avec lui, et du monter
70 Dans la cour du ciel dont je reviens
ne m' aperus, tout comme on s'aperoit
se trouvent maints joyaux si prcieux et beaux
d'une pense seulement quand elle est arrive.
qu'on ne peut les sortir du royaume,
37 C'est Batrice qui guide ainsi
73 et tel tait le chant de ces lumires ;
de bien en mieux, et si soudainement
qui n'a point d' ailes pour s' envoler l-haut
que dans le temps ne s'tend pas son acte.
qu'il attende d'un muet les nouvelles.
40 Combien devait tre par soi brillant
76 Lorsque ainsi chantant ces ardents soleils
ce qui tait dans le soleil o je pntrai eurent tourn autour de nous trois fois,
si, non par couleur, mais par lumire apparaissait. comme des toiles auprs de ples fixes,
43 Mme appelant l'intelligence et l' art et l'exprience, 79 dames me parurent, non dlies de la danse
je ne saurais dire pour qu'on l'imagint, mais qui s'arrtent, en silence, et coutent
mais croire on le peut, et voir, qu'on le dsire. tant qu'elles aient peru les notes nouvelles.
4 Et si nos imaginations sont basses 82 Et en l'un d' eux j 'entendis commencer :
pour telles hauteurs ce n'est merveille Quand le rayon de grce o s'allume
car nul il ne fut qui dpasst le soleil. le vritable amour, qui crot en aimant,
49 Telle tait l cette quatrime famille 85 multipli en toi tant resplendit
du haut Pre qui toujours la rassasie qu'il te conduit en haut par cette chelle
montrant comment il spire et engendre. d'o sans y remonter nul ne descend,
52 Et Batrice commena : Remercie,
88 si l'un de nous ta so refuserait le vin
remercie le soleil des anges qui ce soleil
de son flacon, il ne serait en libert
sensible t'a lev par sa grce.
pas plus qu'une eau qui ne coule la mer.
55 Cur de mortel jamais ne fut si dispos
91 Tu veux savoir quelles plantes fleurissent
dvotion, et se rendre Dieu
cette guirlande qui entoure d'un tendre hommage
de tout son gr si prompt,
la belle dame qui te rend digne du ciel.
58 comme ses paroles je me fis,
94 Je fus l'un des agneaux du saint troupeau
et tant se mit tout mon amour en lui
que Dominique mne par un chemin
qu'il eclipsa dans l'oubli Batrice.
o bien l'on s'engraisse si l'on ne s'gare.
408
409
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
410
LA DIVINE COMDIE
Celui qui m'est le plus proche, droite,
fut mon frre et mon matre, lui, Albert,
est de Cologne, et moi, Thomas, d' Aquin.
Si de tous les autres tu veux te certain,
suis mes paroles, faisant des yeux
le tour de la bienheureuse couronne.
Cet autre flamboiement vient du rire
de Gratien qui l'un et l'autre droit
aida si bien qu'il plat au Paradis.
L'autre qui ct orne notre chur
fut ce Pierre qui comme la pauvre veuve
offrit Sainte

glise son trsor.


La cinquime lumire, parmi nous la plus belle*,
mane d'un tel amour que le monde entier
en bas est avide d'en savoir des nouvelles :
dedans est le noble esprit o si profond
savoir fut mis que, si le vrai est vrai,
voir autant n' a surgi le second.
Auprs vois la flamme de ce cierge*
qui en bas, dans sa chair, le plus intimement
vit la nature des anges et leur office.
Dans l'autre toute petite lumire rit*
cet avocat des temps chrtiens
dont le latin Augustin servit.
Ores si tu portes l'il de ton esprit
de lumire en lumire, en suivant mes louanges,
dj de la huitime tu dois avoir soif.
En la vue de tout bien, dedans s'y rjouit*
l'me sainte qui rend manifeste qui bien
l'entend que le monde est trompeur.
Le corps dont elle fut chasse gt
en bas au Ciel d'Or et elle, du martyre
et de l'exil, est venue cette paix.
Vois aprs flamboyer l' ardent esprit
d' Isidore, de Bde, de Richard qui*
en contemplation fut plus qu'un homme.
133
136
139
142
145
148
PARADIS. CHANT X
Celle-ci, d'o ton regard me revient,
est la lumire d'un esprit qui en graves
penses trouva qu'il tardait mourir ;
c'est la lumire ternelle de Siger*
qui, enseignant dans la rue du Fouarre,
syllogisa des vrits qui veillrent l'envie.
Puis comme horloge qui nous appelle,
l'heure o l'pouse de Dieu se lve
pour l'aubade son poux afin qu'il l'aime,
et chaque pice tire et pousse l'autre,
tin tin sonnant d'une note si douce
que se gonfle d'amour l'esprit bien dispos,
ainsi vis-je la glorieuse roue se mouvoir
et voix voix rpondre en accord
et douceur que nul ne peut savoir
sinon l o la joie dure ternellement.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
412
Chant XI
0 souci insens des mortels
combien sont dfectueux syllogismes
ceux qui te font battre les ailes en bas !
Qui vers le droit, qui vers les aphorismes
allait, et qui suivant le sacerdoce,
et qui pour rgner par force et par sophismes,
qui voler et qui aux affaires publiques,
qui au plaisir de la chair enfonc
se fatiguait et qui se livrait l'oisivet,
alors que, de toutes ces choses libr,
j 'tais avec Batrice en haut, au ciel,
si glorieusement accueilli.
Lorsque chaque lumire fut revenue
au point du cercle o elle tait avant,
elle s' arrta comme chandelier chandelle.
Et j 'entendis dedans cette lumire,
qui d' abord m' avait parl, commencer
en souriant et se faisant plus pure :
De mme que de son rayon je resplendis,
de mme, regardant dans la lumire ternelle,
je vois la source de tes penses.
Tu doutes et tu voudrais que se prcise
en un langage si clair et explicite
mon dire qu' ton intelligence il s'adapte
o plus haut j ' ai dit : "O bien l'on s'engraisse"
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PARADIS. CHANT XI
et o j 'ai dit : "Ne surgit le second" ;
il est ncessaire ici que bien l'on distingue.
La providence qui gouverne le monde
avec cette sapience en laquelle tout esprit
cr est vaincu avant d'arriver au fond,
afin qu'allt vers son bien-aim
l 'pouse de celui qui d'un grand cri
l'pousa avec son sang bni,
en soi assure et aussi en lui plus confiante,
voulut en sa faveur deux princes
qui ici et l lui fussent guides.
L'un fut tout sraphique en ardeur
l 'autre par sagesse, sur terre, fut
de lumire chrubique une splendeur.
Je dirai de l'un car de tous deux
l'on parle en louant l'un, quel que l'on prenne,
puisque furent une mme fin leurs uvres.
Entre Topino et l'eau qui s'coule
de la colline du bienheureux Ubaldo,
une cte fertile descend de haute montagne
d'o Perugia reoit chaud et froid
par Porta Sol, et, en arrire, pleurent
sous dur joug Nocera et Gualdo.
De cette cte, l o davantage elle rompt
sa raideur, naquit au monde un soleil
comme fait celui-ci parfois du Gange.
Mais qui de ce lieu s'entretient
ne dise Assise, qui serait dire peu,
mais Orient s'il veut proprement dire.
Il n' tait pas encore trs loin du levant
qu'il commena donner la terre
quelque confort par sa grande vertu,
car tout jeunet s'opposa son pre
pour telle Dame qui, comme la mort,
nul ne desserre la porte du plaisir ;
413
LA DIVINE COMDIE PARADIS. CHANT XI
61 et par-devant sa cour spirituelle 97 d'une seconde couronne Honorius*
et coram patre il s' unit elle ou mieux l' Esprit ternel, ceignit
et puis de jour en jour plus fort l'aima. le saint dsir de cet archimandrite.
6 Celle-ci, prive de son premier poux, 100 Et lorsque par soif du martyre,
mille cent ans et plus ddaigne et obscure, en la superbe prsence du Soudan,
jusqu' lui resta sans prtendants ; il prcha le Christ et les autres qui le suivirent,
67 point ne servit que la trouvt sans crainte 103 et que ne trouvant mr pour la conversion
avec Amyclas, l' appel de sa voix* ce peuple, afin de ne point rester en vain
celui qui fit tembler le monde entier ; il revint au fruit de l'herbe italique,
70 point ne servit que tant fut fidle et ardente 106 sur l'pre roc, entre Tibre et Arno,
que l o Marie resta en bas du Christ il prit le dernier sceau
elle avec Christ monta dessus la croix. qu'en ses membres deux annes il porta.
73 Mais, pour que je poursuive plus ouvertement, 109 Quand il plut celui qui le choisit
par ces amants, Franois et Pauvret pour un tel bien, de l'lever la rcompense
entends dsormais en mon parler diffus. qu'il mrita en se faisant petit,
76 Leur entente et leur visage joyeux, 1 1 2 ses frres, comme en juste hritage,
leur amour merveilleux, leurs doux regards il recommanda sa Dame si chre
faisaient natre en tous de douces penses, et commanda de l' aimer fidlement ;
79 tant que le vnrable Bernard premier 1 1 5 et de son giron l'me resplendissante
se dchaussa et derrire une telle paix voulut s'en aller rentrant son royaume,
courut et en courant il croyait tre lent. et pour son corps ne voulut d'autre bire.
82 0 richesse ignore, bien fcond ! 1 1 8 Pense maintenant quel fut celui qui digne
Gilles se dchausse, se dchausse Sylvestre compagnon lui fut pour maintenir la barque
derrire l'poux si plaisante est l'pouse. de Pierre en haute mer sur la droite voie :
85 Et puis s'en va ce pre et ce matre 121 et celui-ci fut notre patriarche,
avec sa Dame et avec cette famille par-l, qui le suit comme il commande,
que dj liait l'humble cordon. tu peux mesurer quelle bonne denre il charge.
8 Ni lchet de cur n' appesantit ses cils 124 Mais son troupeau de nouvelle nourriture
pour tre fils de Pietro Bernardone, s'est fait si glouton qu'il ne peut se tenir
ni pour son aspect misrable merveille, d'aller se dispersant en ptures escarpes,
91 mais royalement de sa dure intention 127 et tant plus ses brebis lointaines
s'ouvrit Innocent et de lui reut* et vagabondes vont loin de lui,
le premier sceau pour sa religion. plus au bercail reviennent vides de lait.
94 Lorsque la gent pauvrette s'accrut, 130 Il en est bien qui craignent le dam
derrire lui dont la vie admirable et se serrent au pasteur, mais sont si peu
mieux se chanterait la gloire du ciel, que peu de drap pour les capes suffit.
414 415
133
136
139
LA DIVINE COMDIE
Ores si mes paroles ne sont confuses
si ton coute a t attentive,
si ce qui est dit rappelles ton esprit,
ton dsir en partie sera satisfait
parce que tu verras par o l'arbre s'branche
et comprendras la correction qui conclut
"O bien l'on s'engraisse si l'on ne s'gare".
Chant XII
1 Aussitt que l'ultime parole
fut prononce par la flamme bnie,
la sainte roue commena tourner,
4 et n'avait encore accompli son tour
qu'une autre l'enferma de son cercle
et danse danse et chant chant accorda,
7 chant qui tant dpasse nos muses,
nos sirnes, en ces douces fltes,
comme lumire directe surpasse son reflet.
10 De mme que s'arrondissent dans l a tendre nue
deux arcs parallles et de mmes couleurs
lorsque Junon envoie sa messagre,
13 naissant de celui du dedans l'autre au-dehors*
tout comme le parler de cette errante
qu'amou consuma comme soleil vapeurs,
16 et font les gens d'ici-bas assurs
par le pacte que Dieu avec No scella*
que le monde jamais plus ne s' inonde,
19 de mme de ces roses sempiternelles
les deux guirlandes autour de nous dansaient
et ainsi l' extrme l' intime rpondit.
22 Lorsque la danse et l'autre grande fte
du chant et du mutuel flamboiement
de lumire lumire joyeuses et douces
25 s' arrtrent en mme temps et d'un mme vouloir,
417
28
31
34
37
40
43
46
49
52
55
58
418
LA DIVINE COMDIE
comme les yeux selon le dsir qui les meut
ensemble doivent se clore et s'ouvrir,
du cur de l'une des nouvelles lumires
vint une voix qui me fit paratre
aiguille vers le ple en me tournant elle.
Elle commena : L' amour qui me fait belle
me presse de parler de l'autre guide
grce auquel du mien si bien ici l'on parle.
O est l'un, il est juste d'introduire l' autre,
de sorte qu'ayant men le mme combat
ils reluisent ensemble d'une mme gloire.
L' arme du Christ, que si cher
cota rarmer, derrire l'enseigne
avanait lente, craintive et rare,
lorsque l'empereur qui toujours rgne
pourvut la milice qui tait en danger,
par seule grce non qu'elle en ft digne,
et, comme il a t dit, secourut son pouse
avec deux champions, au faire et dire
de qui le peuple dvoy se ravisa.
En cette contre o doux Zphyre se lve
pour ouvrir les frondaisons nouvelles
dont on voit Europe se revtir,
non loin du rivage o frappent les vagues,
derrire lesquelles aprs sa course ardente
le soleil parfois se cache tous,
est sise Calaruega fortune,
sous la protection du grand cu
o le lion gt et dessous et dessus.
L naquit le fidle amant
de la foi chrtienne, le saint athlte
doux ses amis et aux ennemis cruel
et, peine cr, si combl fut
son esprit de vive vertu
qu' au sein de sa mre la fit prophtiser*.
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
PARADIS. CHANT XII
Aprs que les pousailles furent clbres
aux fonts sacrs entre lui et la foi
o se dotrent d'un mutuel salut,
la dame qui pour lui donna l'assentiment*
vit en songe le fruit admirable
qui devait sortir de lui et des siens.
Et pour que ft en son nom tel qu'il tait,
d'ici un esprit descendit pour le faire nommer
du possessif de qui il tait tout :
Dominique fut dit, et je parle de lui
comme du jardinier que Christ
destina son jardin pour le servir.
Bien apparut messager et familier du Christ
car le premier amour en lui manifest
fut pour le premier conseil que donna Christ.
Souventes fois muet et veill
terre fut trouv par sa nourrice,
comme s'il disait : "Je suis venu pour cela. "
Oh son pre vritablement Felice !
oh sa mre vritablement Giovanna !
si le sens est bien celui qu'on dit*.
Non pour le monde pour lequel on s'puise
suivant Taddhe ou celui d'Ostie*,
mais pour amour de la vritable manne,
en peu de temps il se fit grand docteur
et tel se mit soigner la vigne
qui tt blanchit si n'est bon le vigneron.
Et au sige qui fut jadis plus doux
aux pauvres justes - et la faute n'est sienne
mais de celui qui y sige et forligne -
il demanda non la dispense de deux ou trois pour six,
non le premier bnfice vacant,
non decimas quae sunt pauperum Dei,
mais bien contre le monde errant
licence de combattre pour la semence
dont vingt-quatre plantes t' entourent.
419
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
420
LA DIVINE COMDIE
Puis avec doctrine et vouloir, d' accord
avec l'office apostolique, il s'lana
tel un torrent press de haute veine,
et, dans les ronces de l'hrsie frappa
sa fougue, plus vivement l
o les rsistances taient plus fortes.
De lui naquirent ensuite plusieurs ruisseaux
dont le jardin catholique est arros
et plus vivants y sont ses arbrisseaux.
Si telle fut l'une des roues du char
dans lequel Sainte

glise se dfendit
et vainquit en combat sa guerre intrieure,
bien devrait t'tre manifeste
l'excellence de l'autre pour qui Thomas
avant ma venue fut si courtois.
Mais l'ornire trace par le sommet
de sa circonfrence est abandonne
et le moisi est l o se trouvait le tartre.
Sa famille qui marcha droit mettant
les pieds dans ses pas est si retourne
qu'elle met maintenant ses pieds rebours
et bientt on verra ce qu'est la rcolte
d'une si mauvaise culture, quand l'ivraie
se plaindra que le grenier lui soit refus.
A vrai dire qui chercherait, feuilletant
notre volume, trouverait encore telle page
o il lirait : "Je suis ce que je fus",
mais ne serait de Casale ni d' Aquasparta*,
l d'o viennent tels servants de la rgle
que l'un la fuit et l'autre la resserre.
Je suis l'me de Bonaventure
de Bagnorea qui en mes grands offices
mis toujours en second le souci temporel.
Illuminato et Augustin sont ici
qui furent des premiers petits pauvres dchaux
et ceints de la corde se firent amis de Dieu.
133
136
139
142
145
PARADIS. CHANT XII
Hugues de Saint Victor est ici avec eux
et Pierre le Mangeur et Pierre d' Espagne
qui brille sur terre en douze livrets* ;
Nathan le prophte et le mtropolite*
Chrysostome et Anselme et ce Donat*
qui au premier art daigna mettre la main ;
Raban est ici et mon ct brille*
le Calabrais abb Giovacchino*
qui fut dot d'esprit prophtique.
A clbrer un tel paladin
me porta l'ardente courtoisie
de frre Thomas et son clair parler ;
et porta avec moi cette compagnie.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
422
Chant XIII
Qu'il imagine, celui qui a dsir de bien entendre,
ce qu' alors je vis, et qu'il retienne l'image
tant que je parle, comme ferme roc,
quinze toiles qui en divers lieux
avivent le ciel de telle clart
qu'elle vainc toute paisseur de l'air ;
qu'il imagine ce char qui suffit le sein*
de notre ciel et de nuit et de jour
et ne disparat quand tourne le timon ;
qu'il imagine la bouche de ce cor
qui commence la pointe de l' axe
autour duquel tourne la premire roue,
et tout cela ayant form dans le ciel deux signes
tels qu'en fit un la fille de Minos*,
alors qu'elle sentit le froid de la mort,
et que l'un dans l'autre ils rayonnent
et que tous deux tournent de sorte
que l'un va en avant et l'autre en arrire,
et il aura presque l'ombre de la vraie
constellation et de la double danse
qui encerclait le point o j 'tais ;
car elle est loin de notre usage
autant que loin du cours de la Chiana
est le mouvement du ciel le plus rapide de tous.
L on ne chanta ni Bacchus ni Pan,
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PARADIS. CHANT XIII
mais trois personnes en divine nature
et en une personne elle et l'humaine.
Chants et danses s' arrtrent en mesure
et ces saintes lumires dirigrent vers nous
la joie de passer d'un objet l'autre.
Rompit le silence alors, en ces dits unanimes,
la lumire en qui la vie admirable
du petit pauvre de Dieu me fut conte,
et dit : Quand une paille est battue,
quand son grain dj est engrang,
battre l'autre doux amour m'invite.
Tu crois qu'en la poitrine d'o fut tire
la cte pour former le beau visage
dont le palais cote cher au monde entier,
et en celle qui, troue par la lance,
avant et aprs tant a satisfait
que toute faute est contrebalance,
tout ce que la nature humaine peut
avoir de lumire, fut infus
par cette valeur qui forma l'une et l'autre,
et pour ce tu t'tonnes de ce que j 'ai dit plus haut
quand je narrai que n'eut point de second
le bien enclos en la cinquime lumire.
Ores ouvre les yeux ce que je rponds
et tu verras ton croire et mon dire
dans le vrai se faire comme centre en cercle.
Ce qui ne meurt et ce qui peut mourir
n'est autre que splendeur de cette ide
qu'engendre en aimant notre Sire,
car cette vive lumire qui provient
du lumineux et ne se spare de lui
ni de l'amour qui avec eux fait trois,
par sa bont rassemble ses rayons
comme reflts en neuf substances,
en demeurant ternellement une.
423
LA DIVINE COMDIE
61 De l elle descend aux ultimes puissances
de ciel en ciel, tant dclinant
qu'elle ne fait plus que brves contingences,
64 et ces contingences j 'entends qu'elles sont
les choses engendres que produit le ciel
en son mouvement, avec ou sans semence.
67 La cire de celles-ci et la vertu qui la modle
ne sont d'un seul mode, partant sous le signe
idal plus ou moins transparat,
70 d'o il advient qu'un mme arbre
selon l'espce donne fruits meilleurs ou pires,
et vous-mmes naissez dous d'esprits divers.
73 Si la cire tait conduite perfection,
et si le ciel tait en sa vertu suprme,
la lumire du sceau apparatrait toute,
76 mais la nature la donne toujours imparfaite
uvrant semblablement l'artiste
qui a connaissance de l' art et main qui tremble.
79 Pourtant si l' ardent amour inspire et imprime
la vue claire de la premire vertu
toute la perfection l s'acquiert.
82 Ainsi fut faite jadis la terre digne
de toute la perfection animale,
ainsi fut faite la Vierge enceinte,
85 en sorte que j ' approuve ton opinion
que l'humaine nature jamais ne fut
et ne sera comme fut en ces deux personnes.
88 Ores, si je ne procdais plus avant,
tes paroles ainsi commenceraient :
"Donc comment fut celui-l sans pareil ? "
91 Mais pour qu'apparaisse bien ce qui n'apparat pas, *
pense qui i l tait et la raison qui le porta
demander, quand lui fut dit : "Demande".
94 Je n'ai parl de telle sorte que tu ne puisses
bien voir qu'il fut roi, qu'il demanda
sagesse afin que roi suffisant ft ;
424
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
PARADIS. CHANT XIII
non pour savoir quel est le nombre
des moteurs des cieux, ou si ncessaire
avec contingent puisse entraner ncessaire ;
non si est da re primum motum esse,
ou si en demi-cercle se peut inscrire
triangle qui n' ait un angle droit.
Donc si tu notes ce que j ' ai dit dj et maintenant,
royale prudence est cette sagesse sans gale,
que vise le trait de mon intention,
et si au "surgit" tu portes u regard clair
tu verras qu'il a gard seulement
aux rois, qui sont nombreux, et peu sont bons.
Prends avec cette distinction mon dit,
qui peut ainsi aller avec ce que tu crois
du premier pre et de notre Bien-aim.
Que ceci te soit toujours plomb aux pieds,
pour te faire aller lentement, comme homme las,
vers le oui et le non que tu ne vois pas ;
qu'il est parmi les sots bien bas celui
qui sans distinguer affirme et nie,
dans l'un tout comme dans l' autre cas,
car il arrive que souvent penche
vers l'erreur l'opinion htive
et puis la passion lie l'intellect.
Bien plus qu'en vain s'loigne de la rive,
car il ne revient tel qu'il est parti,
celui qui pche pour le vrai et n' a l' art,
et de cela sont au monde preuves patentes :
Parmnide, Melissos et Bryson et beaucoup
lesquels allaient et ne savaient o ;
ainsi firent Sabellius et Arius, et ces fous
qui furent comme pes aux

critures
en rendant tors ce qui tait droit.
Ne soient donc les gens trop assurs
pour juger, comme celui qui estime
la moisson sur pied avant qu'elle soit mre,
425
133
136
139
142
LA DIVINE COMDIE
car j 'ai vu tout l'hiver, d' abord
le buisson se montrer rigide et dur,
puis porter la rose sa cime,
et j 'ai vu le vaisseau droit et rapide
courir la mer durant tout son chemin
et prir la fin en entrant au port,
Ne croient dame Berthe et messire Martin,
pour avoir vu l'un voler et l'autre faire offrande,
qu'ils lisent dans le conseil divin,
car tel peut se dresser et tel peut tomber.
Chant XIV
1 Du centre au cercle, et puis du cercle au centre,
1 'onde se meut dans un vase arrondi
selon qu'elle est frappe dehors ou dedans.
4 En mon esprit soudain surgit l'image
que je dis, au moment o se tut
l'me glorieuse de Thomas,
7 par la similitude que fit natre
son parler et celui de Batrice
qui, aprs lui, il plut de commencer :
10 A celui-ci est ncessaire, et il ne vous le dit
ni de la voix ni encore en pensant,
d' aller la racine d'une autre vrit.
13 Dites-lui si l a lumire dont se fleurit
votre substance restera avec vous
ternellement comme elle est maintenant,
16 et, si elle reste, dites comment, aprs
que vous serez refaits visibles,
pourra se faire qu'elle ne gne votre vue.
19 Comme parfois pousss et tirs par plus
grande liesse, ceux qui dansent en rond
forcent la voix et les gestes d'allgresse,
22 ainsi, la prire prompte et dvote,
les cercles saints montrrent nouvelle joie
dans le tournoiement et l' admirable chant.
25 Qui se lamente parce qu'ici-bas l'on meurt
427
28
31
34
37
40
43
46
49
52
55
58
428
LA DIVINE COMDIE
pour vivre l-haut, n' a vu l
la fracheur de l'ternelle pluie.
Cet un et deux et trois qui toujours vit,
et rgne toujours en trois et deux et un,
non circonscrit et qui circonscrit tout,
trois fois tait chant par chacun
de ces esprits, avec mlodie telle
qu' tout mrite serait juste don.
Et j 'entendis, dans la lumire la plus divine
du moindre cercle, une voix modeste,
comme celle, peut-tre, de l'ange Marie,
rpondre : Autant que sera longue la fte
de paradis, autant notre amour
rayonnera tout autour pareil vtement.
Sa clart est selon l' ardeur,
l'ardeur selon la vision et celle-ci est gale
tout ce que la grce ajoute sa valeur.
Lorsque nous aurons revtu la chair
glorieuse et sainte, notre personne
sera plus padaite parce que tout entire ;
par cela s'accrotra ce que nous donne
de lumire gratuite le bien suprme,
lumire qui conditionne notre vision ;
d'o la vision doit crotre,
crotre l'ardeur qui en elle s'allume,
crotre le rayon qui vient de l' ardeur.
Mais, comme le charbon qui donne une flamme
et par vive blancheur la surpasse
de sorte que son apparence demeure,
ainsi cette fulgurance qui dj nous enveloppe
sera vaincue dans l' apparence par la chair
que la terre encore recouvre ;
et ne pourra tant de lumire nous fatiguer,
car les organes du corps auont force
pour tout ce qui pourra faire notre joie.
PARADIS. CHANT XIV
61 Tant prompts et d'accord m'apparurent
l' un et l'autre chur dire Amen !
que bien montrrent dsir de leurs corps morts ;
6 peut-tre non pour eux, mais pour les mamans,
pour les pres et pour les autres qui furent chers,
avant que fussent flammes ternelles.
67 Et voici tout autour, de splendeur unie,
natre en plus des autres une lumire,
guise d'horizon qui s'claire.
70 Et comme, lorsque monte l'ombre du soir,
commencent dans le ciel d'autres lueurs
et qu' la vue semblent vraies et non vraies,
73 il me sembla commencer voir
de nouvelles substances faire un cercle
autour des deux autres circonfrences.
76 0 vritable tincellement de l'Esprit Saint !
comme soudain et incandescent il se fit
mes yeux qui ne le supportrent !
79 Mais Batrice si belle et si riante
m'apparut qu'il faut en laisser l'image
avec celles qui chappent la mmoire.
82 Puis mes yeux reprirent la force
de s'ouvrir et je me vis transport
seul avec ma Dame en un plus haut salut.
85 Bien avisai-je que j 'tais plus lev
ce rire enflamm de l'toile
qui m'apparaissait plus rouge que les autres.
88 Du fond du cur et dans ce langage
qui est le mme en tous, Dieu j 'offris
l'holocauste qui convenait la grce nouvelle,
91 et point encore n'tait en mon cur puise
l' ardeur du sacrice, quand je connus
qu'avec faveur il tait accept,
94 car si clatants, si fulgurants, m'apparurent
des splendeurs formant deux rayons
que je dis : 0 Hlios qui tant les embellis !
429
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
430
LA DIVINE COMDIE
De mme que, forme de moindres et plus grandes
lumires, blanchoie entre les ples du monde
Galaxie, qui laisse dans le doute bien des savants,
ainsi constells, les deux rayons faisaient
dans la profondeur de Mars le signe vnrable,
que forment dans un rond les quadrants runis.
Ici ma mmoire vainc l'esprit car
en cette croix tant resplendissait Christ
que je ne sais trouver une image digne.
Mais qui prend sa croix et suit Christ
saura m'excuser de ce qu'ici je laisse
voyant en cette blancheur fulgurer Christ.
D'un bras l' autre et de la cime au pied
se mouvaient des lumires scintillant fort
se rejoindre et se dpasser :
ainsi se voient ici droites et torses,
vives et lentes, changeant d'aspect,
de fines poussires, longues et courtes,
se mouvoir dans le rai de lumire qui parfois
borde l'ombre que, pour s' abriter,
1 'homme avec art et sagesse obtient.
Et comme luth et harpe dans l'harmonie
des cordes tendues font doux tintement
pour tel qui ne connat les notes,
ainsi, des lumires qui l m'apparurent
le long de la croix, venait une mlodie
qui me ravissait sans entendre l'hymne.
Bien m'aperus qu'elle tait haute louange
car me venaient Ressurgis et Triomphes
comme celui qui n'entend et coute.
Je r
'
enamourais de tout cela tant
que, jusque-l, ne fut aucune chose
qui me lit d'aussi doux liens.
Peut-tre ma parole semble ici trop hardie
plaant second le plaisir des si beaux yeux
en lesquels, mirant, mon dsir est combl,
133
136
139
PARADIS. CHANT XIV
mais qui s' avise que les vivants sceaux
de toute beaut, plus le sont plus haut,
et que l ne m'tais retourn eux,
peut r
'
excuser de ce dont je r
'
accuse
pour m'excuser et voir que je dis vrai :
car le saint plaisir je n'ai pu l'exclure
puisqu'il se fait, en montant, plus parfait.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
432
Chant XV
Volont de bien, o toujours
se coule l'amour qui droitement souffle,
comme cupidit fait en volont mauvaise,
mit en silence cette douce lyre
et au repos les saintes cordes
que la main du ciel relche et tire.
Comment seront donc sourdes aux justes prires
ces substances qui, pour me donner dsir
de les prier, en accord se turent ?
Bien est que sans terme souffre
qui, par amour de chose qui ne dure,
ternellement de cet amour se dpouille.
Comme, dans un ciel tranquille et pur,
file de temps autre un soudain feu
tirant soi le regard contemplant,
et semble tre toile qui change de lieu,
sauf que du ct o il s'est allum
rien ne s'est perdu, et que lui dure peu ;
tel, partant du bras qui s'tend droite,
courut jusqu'au pied de cette croix un astre
de la constellation qui l resplendit :
et la gemme ne sortit de son ruban
mais parcourut la bande lumineuse
et parut feu derrire un albtre.
Ainsi s'offrit l'ombre pieuse d'Anchise*,
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PARADIS. CHANT XV
si mrite foi notre plus grande muse,
lorsque dans 1 '

lyse il aperut son fils.


0 sangui meus, o superinfusa
gratia Dei, sicut tibi cui
bi unquam coeli ianua reclusa ? #
Ainsi dit cette lumire qui me fit attent
puis je tournai mon regard ma Dame
et d'une part et de l'autre je fus merveill,
car en ses yeux brlait un rire tel
que je crus de mes yeux toucher le fond
de ma grce et de mon paradis.
Ensuite, joyeux voir et entendre,
l'esprit son exorde ajouta des choses,
mais je ne l'entendis tant il parlait profond ;
non par dsir de se cacher moi,
mais fut ncessit, car sa pense
dpassa le niveau des mortels.
Et quand l' arc de l'ardente affection
fut si dtendu que le parler descendit
au niveau de notre intelligence,
la premire chose que je pus comprendre
fut : Bni sois-tu, Trine et un,
qui pour mon sang te montres si courtois.
Il poursuivit : Ce doux et long jene
venu en lisant dans le grand livre,
o jamais ne se change noir ni blanc,
tu l'as rompu, mon fils, dedans ce feu
en lequel je te parle, grce celle
qui, pour ce haut vol, de pennes t'a revtu.
Tu crois qu'en moi ta pense se verse
de celui qui est premier, comme de l'un,
s'il est connu, sort et le cinq et le six,
et, pour ce, qui je suis ne me demandes,
ni pourquoi plus joyeux je t'apparais
que nul autre dans cette troupe en liesse.
433
61
64
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
434
LA DIVINE COMDIE
Tu penses le vrai, car les petits et les grands
de cette vie regardent au miroir
o avant que tu penses apparat ta pense.
Mais pour que le saint amour en lequel je veille
et contemple, et qui m'assofe
d'un doux dsir, mieux s'accomplisse,
que ta voix sre, hardie et joyeuse
sonne ton vouloir, sonne ton dsir,
quoi prte est dj ma rponse Pe
Je me tournai vers Batrice et elle comprit
avant que je dise, et me sourit d'un signe
qui fit crotre les ailes de mon vouloir.
Puis je commenai : Le sentiment et l'intellect
se firent d'un poids gal pour chacun d'entre vous,
quand vous se montra l'galit premire,
car le soleil qui vous claira et brla,
en sa chaleur et sa lumire est si gal
que toutes ressemblances dfaillent.
Mais dsir et raison chez les mortels,
pour la cause que vous connaissez bien,
diversement ont les ailes emplumes ;
et moi, qui suis mortel, je me sens
en cette discordance, ce pourquoi ne rends grce
qu'avec le cur cette joie paternelle.
Bien je te supplie, vivante topaze,
gemme en ce prcieux joyau,
que de ton nom tu me rassasies. P
0 mon feuillage, en qui je me complus
durant l'attente, je fus ta racine P :
tel dbut en rpondant r
'
offrit.
Puis il me dit : Celui dont ta famille
prit le nom, et qui depuis cent ans et plus
fait le tour du mont sur la premire corniche,
fut mon fils et fut ton bisaeul ;
bien convient-il que sa longue fatigue
tu raccourcisses par tes uvres.
97
lOO
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
PARADIS. CHANT XV
Florence, dans l'ancienne enceinte,
d'o elle reoit encore et tierce et none,
se tenait en paix, sobre et pudique.
Elle n' avait chanettes ni couronnes,
ni jupes brodes, ni ceintures
qui attirent l'il plus que la personne.
La fille en naissant ne faisait encore
peur au pre, car l' ge et la dot
ne fuyaient en de et au-del la mesure.
Elle n'avait maisons vides de famille,
n'y tait point arriv encore Sardanapale,
montrant ce qu'en chambre on peut faire.
N'tait encore vaincu par votre Ucellatoio
Monte Mario qui, comme il est vaincu
en grandeur, ainsi le sera dans la ruine.
Bellincion Berti, je 1 'ai vu aller ceint
de cuir et d'os, et sa femme revenir
du miroir sans avoir la face peinte,
et j 'ai vu tel des N er li et des V ecchietti
se contenter d'une peau sans ornements,
et leurs femmes de la quenouille et du fuseau.
0 fortunes ! chacune tait assure
de sa spulture et nulle encore n'tait
pour France laisse seule en son lit.
L'une veillait attentive au berceau
et, pour consoler, usait de ce premier
langage qui amuse les pres et les mres ;
l'autre, tirant le fil de sa quenouille,
racontait sa famille les lgendes
des Troyens, de Fiesole et de Rome.
Autant alors serait tenue merveille
une Cianghella ou un Lapo Salterello
qu'aujourd'hui serait Cincinnatus ou Cornlie.
A si repose et si belle vie
de citoyens, si confiante
population, si douce demeure,
435
133
136
139
142
145
148
LA DIVINE COMDIE
Marie me donna, appele grands cris
et, dans votre vieux baptistre,
ensemble je fus chrtien et Cacciaguida.
Moronte fut mon frre et

liso,
ma femme vint moi du val de P
et ainsi se fit le nom que tu portes.
Puis je suivis l'empereur Conrad*,
et i l me ceignit de sa chevalerie,
tant je lui vins gr par bien agir.
J' allai avec lui combattre cette loi
inique, dont le peuple usurpe
par la faute des papes votre droit.
L je fus par cette gent rebelle
dgag du monde trompeur
dont l' amour enlaidit tant d'mes,
et je vins du martyre cette paix.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XVI
0 chtive noblesse du sang !
que tu rendes les gens glorieux
ici-bas o notre cur est faible,
ne peut tre pour moi chose tonnante
puisque, l o l'apptit n'est dvi,
je dis au ciel, je m'en suis glorifi.
Bien es-tu cape qui tt raccourcit ;
et si l'on n'y ajoute de jour en jour,
le temps avec ciseaux tourne autour.
Par le vous qu'en premier Rome admit,
en quoi son peuple moins persvre,
recommencrent mes paroles ;
d'o Batrice, u peu l'cart,
en riant, parut celle qui toussa
la premire faute crite de Guenivre.
Je commenai : Vous tes mon pre,
vous me donnez parler toute hardiesse,
vous m'levez tant que je suis plus que moi.
Par tant de ruisseaux l'allgresse emplit
mon esprit, qu'il s' jouit lui-mme
de pouvoir la soutenir sans se briser.
Dites-moi donc, mes chres prmices,
quels furent vos aeux, et quelles annes
furent celles de votre enfance ;
parlez-moi du bercail de Saint-Jean,
437
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
438
LA DIVINE COMDIE
combien et qui alors taient les gens
dignes d'y occuper les plus hauts siges.
Comme au souffle du vent s' avive
en flamme une braise, ainsi vis-je cette
lumire resplendir mes paroles d'hommage ;
et comme, mes yeux, elle se fit plus belle,
ainsi d'une voix plus douce et suave,
mais non dans ce parler moderne,
elle me dit : Depuis ce jour que fut dit "Ave"
jusqu'au jour o ma mre, qui ores est sainte
s'allgea de moi dont elle tait grosse,
cinq cent-cinquante et trente fois
vint son Lion ce feu
pour se renflammer sous ses pieds.
Mes anciens et moi naqumes au lieu
par o entrent au dernier sextier
ceux qui courent vote jeu annuel.
Qu'entendre cela de mes aeux suffise,
qui ils furent, d'o ils arrivrent l,
plus convient taire que dire.
Tous ceux qui en ce temps taient l,
propres porter les armes, entre Mars et le Baptiste,
taient le cinquime des vivants d'aujourd'hui,
mais la population qui est maintenant mle
ceux de Campi, de Certaldo et de Figline,
pure se voyait dans le moindre artisan.
Ah comme mieux vaudrait les avoir pour voisins
ces gens que je dis, et placer vos confins
Galluzzo et Trespiano,
que dans la ville souffrir la puanteur
du vilain d' Aguglione et celui de Signa
qui dj pour troquer a l' il aux aguets !
Si la gent qui au monde plus forligne
n' avait t pour Csar martre
mais, comme mre son fils, bnigne,
61
6
67
70
73
76
79
82
85
8
91
94
PARADIS. CHANT XVI
tel est fait Florentin, et change et commerce,
qui serait retourn Sinifonti,
l o son aeul faisait la garde ;
encore serait Montemurlo aux Conti ;
seraient les Cerchi en paroisses d' Acone,
et peut-tre en Val di Greve les Buondelmonti.
Toujours la confusion des personnes
fut principe du mal des cits,
comme pour le corps des mets surajouts ;
et taureau aveugle choit plus rudement
que l'agneau aveugle, et souvent taille
plus et mieux une seule pe que cinq.
Si tu regardes Luni et U rbisaglia
comme s'en sont alles, et comme s'en vont
derrire elles Chiusi et Senigallia,
entendre comment les lignes se dfont
ne te semblera chose nouvelle ou trange,
puisque les cits mmes ont un terme.
V os choses toutes sont mortelles
comme vous, mais cela est cach en quelqu'une
qui dure longtemps, et vos vies sont courtes.
Et comme le ciel de la lune en sa ronde
couvre et dcouvre les rivages sans cesse,
ainsi la Fortune fait-elle de Florence,
pour quoi ne doit parate chose tonnante
ce que je dirai des grands Florentins
dont la renomme est dans le temps cache.
J'ai vu les Ughi, j 'ai vu les Catellini,
Filippi, Greci, Ormanni et Alberichi,
illustres citoyens, dj au dclin ;
et j 'ai vu, aussi grands que les anciens,
avec ceux de la Sannella, ceux de l' Arca,
et Soldanieri et Ardinghi et Bostichi.
A Porta San Pietro, prsent si charge
de nouvelle flonie d'un poids tel
que bientt la barque s'enfoncera,
439
97
100
103
106
109
1 12
1 1 5
1 18
121
124
127
130
40
LA DIVINE COMDIE
taient les Ravegnani, d'o est descendu
le comte Guido, et ceux qui ensuite
ont pris le nom du grand Bellicione.
Celui de la Pressa savait dj comment
il faut gouverner, et Galigaio avait
chez lui dj la garde et le pommeau dors.
Grande tait j la colonne du V air,
Sacchetti, Giuochi, Fifanti et Barocci
et Galli et ceux qui rougissent cause du boisseau.
La souche dont naquirent les Calfucci
tait j grande et j s' taient hisss
sur les curules Sizii et Arrigucci.
Oh ! comme je les ai vus ceux qui sont dfaits
par leur orgueil ! et les houles d'or
fleurissaient Florence en tous ses hauts faits.
Ainsi faisaient les pres de ceux-l
qui, chaque fois que votre glise vaque,
se font gras sigeant consistoire.
La race outrecuidante qui s'acharne
derrire celui qui fuit, et comme agneau s' apaise
devant qui montre ou les dents ou la bourse,
dj montait, mais de petites gens,
et ne plut Uhertino Donato
que son beau-pre en fit leur parent.
Dj Caponsacco tait de Fiesole descendu
Mercato Vecchio, et dj taient
citoyens notables Giuda et lnfangato.
Je dirai chose incroyable et vraie :
dans la brve enceinte on entrait par la porte
qui avait pris nom de ceux de la Pera.
Tous ceux qui portent le beau blason
du grand haron, dont la fte de Thomas
ravive et le nom et la gloire,
eurent de lui chevalerie et privilges,
hien qu'avec le peuple aujourd'hui
se ligue celui qui de la fasce le tierce.
133
136
139
142
145
148
1 51
1 54
PARADIS. CHANT XVI
Dj taient Gualterotti et lmportuni ;
et Borgo serait plus paisible encore
s'ils taient rests jeun de nouveaux voisins.
La maison d'o sont nes vos larmes,
pour la juste colre qui vous a tus
et a mis fin votre vie heureuse,
tait honore, elle et sa parent :
Buondelmonte, comme tort tu as fui
ses noces par les conseils d'autrui !
Beaucoup seraient joyeux et ils sont tristes,
si Dieu t' avait donn l'Era*
la premire fois que tu vins la ville !
Mais il fallait qu' cette pierre mutile
qui garde le pont, Florence offrt
une victime au terme de sa paix.
Avec ces gens et d'autres avec eux,
je vis Florence en un tel repos
qu'elle n'avait cause qui la ft pleurer,
avec ces gens je vis si glorieux et juste
son peuple, que sur la hampe
le lis jamais n'tais mis rebours*,
ni par la division teint en rouge.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
42
Chant XVII
Tel vint Clymne, pour s'assurer*
de ce qu'il avait contre lui entendu,
celui qui encore fait les pres chiches aux fils,
tel tais-je, et tel tais-je compris
et par Batrice et par la sainte lumire
qui pour venir moi avait chang de place.
Aussi ma Dame : Exhale au-dehors l'ardeur
de ton dsir , dit-elle, afin qu'elle sorte
bien marque du sceau de ta pense,
non pour que notre connaissance croisse
par ta parole, mais pour que tu oses
dire ta so et qu'on te verse boire.
0 mon cher tronc qui si haut t'lves
que, comme les intelligences terrestres voient
que deux obtus n'entrent en un triangle,
ainsi tu vois les choses contingentes
avant qu'elles ne soient, en regardant le point
auquel tous les temps sont prsents,
alors que j 'tais en compagnie de Virgile
au long du mont qui purie les mes
et descendant dans le monde dfunt,
me furent dites sur ma vie venir
des paroles qui me psent, bien que je me sente
fort comme tour carre contre les coups du sort,
ce pourquoi mon dsir serait satisfait
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PARADIS. CHANT XVII
d'entendre quelle fortune s'approche de moi,
car flche prvue arrive plus lente.
Ainsi dis-je cette mme lumire
qui d'abord m'avait parl et, comme voulut
Batrice, mon dsir fut exprim.
Non par ambages o la gent insense
jadis s' engluait, avant que ft occis
l' agneau de Dieu qui te les pchs,
mais en paroles claires dans une langue
prcise, rpondit cet amour paternel
enclos et rvl par son propre rire :
La contingence qui, pour vous, ne va
au-del du livre de votre matire,
tout entire est peinte au regard ternel ;
mais n'y prend pourtant ncessit*,
non plus que de l'il o il se reflte
le bateau qui descend en suivant le courant.
De l, comme arrive l'oreille
douce harmonie d'un orgue, arrive
ma vue le temps qui pour toi se prpare.
Tel partit d' Athnes Hippolyte*
pour une cruelle et perfide martre,
tel de Florence il te faudra partir.
Cela on le veut, cela on le cherche,
et tt sera fait par qui y pense,
l o chaque jour de Christ on fait commerce.
La clameur condamnera l'offens
comme toujours, mais la vengeance
sera le tmoignage du vrai qui la dispense.
Tu laisseras toutes choses aimes
plus chrement, et c'est la flche
que l' arc de l'exil dcoche en premier.
Tu sauras comme a saveur de sel
le pain d'autrui, et comme est dur chemin
descendre et monter l'escalier d' autrui.
43
LA DIVINE COMDIE
61 Et le poids le plus lourd tes paules*
sera la compagnie mchante et sotte
avec qui tu tomberas dans cette valle,
6 et qui toute ingrate, toute insense et impie
se tournera contre toi, mais peu aprs
elle et non toi aura la tempe rouge.
67 De sa stupidit ses entreprises
feront la preuve, et il sera beau pour toi
d' avoir fait un parti toi seul.
70 Ton premier refuge et ton premier abri*
sera la courtoisie du grand Lombard
qui sur l'chelle porte l'oiseau sacr ;
73 et qui pour toi aura tant bons gards
que, faire et demander entre vous deux,
sera premier ce qui ailleurs vient aprs.
76 Avec lui tu verras celui qui fut en naissant*
si marqu par cette forte toile
que notables seront ses uvres.
79 Les gens encore ne s'en sont aperu,
pour son jeune ge, car seulement neuf annes
ces sphres ont, autour de lui, tourn,
82 mais avant que le Gascon trompe le noble Henri*
tincelles apparatront de sa vertu,
ne se souciant d' argent ni d'affaires.
85 Ses largesses encore seront connues
au point que ses ennemis mmes
n'en pourront tenir leur langue muette.
88 En lui, en ses bienfaits, mets ton attente ;
par lui maintes gens seront transmutes
riches et mendiants changeant de condition ;
91 et tu porteras crit en ta mmoire sur lui
mais ne le rediras. . . et il dit des choses
incroyables pour ceux mmes qui en seront tmoins.
94 Puis il ajouta : Mon fils, voil les gloses
sur ce qui te fut dit, voil les piges
que peu de tours de sphres encore te cachent.
4
97
lOO
103
106
109
1 12
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
PARADIS. CHANT XVII
Je ne veux pourtant qu' tes voisins tu portes envie
car ta vie s'enfuture bien au-del
du chtiment de leur perfidie.
Lorsque, se taisant, l'me sainte montra
qu'elle avait fini de mettre la trame
dans la toile que je lui tendis ourdie,
je commenai com:e celui qui dsire,
dans le doute,
'
onseil d'une personne
qui voit et veut droitement et qui aime.
Je vois bien, pre, comme le temps peronne
vers moi, pour me porter tel coup
qui est plus lourd qui plus s' abandonne,
pour ce de prvoyance je me dois armer,
car si le lieu le plus cher r
'
est ravi,
que je ne perde les autres par mes chants.
En bas, dans le monde ternellement amer
et sur le mont d'o les yeux de ma Dame
du beau sommet m'levrent,
et ensuite par le ciel de lumire en lumire,
j 'ai appris ce qui, si je le redis,
aura pour beaucoup saveur fortement pre ;
et si du vrai je suis timide ami
je crains de perdre vie parmi ceux
qui nommeront ancien ce temps-ci.
La lumire en laquelle riait mon trsor,
que je trouvai l, se fit d'abord blouissante
comme rayon de soleil miroir d'or,
puis elle rpondit : Conscience obscurcie
par sa honte ou par celle d'autrui
sentira en effet ta rude parole.
Nanmoins tout mensonge cart,
dis au grand jour ta vision tout entire,
et laisse gratter l o est la gale !
Car si ta voix sera amre
au premier got, elle laissera ensuite,
digre, une nouriture vitale.
45
133
136
LA DIVINE COMDIE
Ce cri de toi fera comme le vent
qui frappe plus fort les plus hautes cimes,
et ce n'est pas mince argument d'honneur.
Pour ce te sont montres en ces sphres
et sur le mont et au val douloureux
seules les mes qui eurent renomme,
139 car l'esprit de celui qui coute
ne pose et n' affermit sa foi en exemple
qui ait sa racine inconnue et cache,
142 ni en autre argument qui ne soit vident.
Chant XVIII
1 Alors que se plaisait en sa seule pense
ce miroir bienheureux, et que je gotais
la mienne, alliant au doux l'acerbe,
4 cette Dame qui Dieu me guidait
dit : Change ton souci, pense que je suis
auprs de celui qui allge tout offense.
7 Je me tournai vers la voix amoureuse
de mon confort, et l' amour que je vis
alors dans ses yeux saints, je renonce le dire,
10 non parce que de mon parler seul me dfie,
mais pour la mmoire qui ne peut si profond
sur elle-mme retourner, si autrui ne la guide.
13 Ce que je puis de ce moment redire
c'est que, la regardant, libre fut
mon cur de tout autre dsir,
16 tant que le plaisir ternel qui droit
dardait son rayon en Batrice, me contenta
de son reflet venu du beau visage.
19 Me vainquant par la lumire d'un sourire,
elle me dit : Tourne-toi et coute
car non en mes yeux seuls est paradis.
22 Comme on voit ici quelquefois
dans un regard le sentiment, s'il est tel
que par lui toute l'me est saisie,
25 ainsi, dans le flamboiement de la sainte lumire
47
LA DIVINE COMDIE PARADIS. CHANT XVIII
vers qui je me tournai, je connus le dsir 61 ainsi je r
'
aperus que plus large tait
en elle de me parler encore un moment.
l'arc, o je tournais en mme temps que le ciel,
28 Elle commena : En ce cinquime seuil
en voyant ce miracle accru en beaut.
de 1 'arbre qui a vie de sa cime
6 Et tel est le transmuer rapide
et porte fruits toujours et jamais ne perd feuille,
en blanche dame quand son visage
31 des esprits y sont bienheureux qui, en bas, avant
dcharge sa charge de vergogne,
de venir au ciel, eurent si grand renom
67 telle fut mes yeux, lorsque je me tournai,
la candeur de la frache toile
que toute muse en ferait sa richesse.
sixime, qui en elle venait de r
'
accueillir.
34 Donc regarde bien aux bras de la croix
70 Et je vis dans ce jovial flambeau
celui que je nommerai fera comme
l'tincellement de l'amour qui tait l
l'clair rapide travers la nue.
figurer mes yeux notre langage.
37 Je vis par la croix passer une lumire
73 Et comme des oiseaux surgis d'un rivage,
au nom de Josu qui fut appel
semblant se congratuler de leur pture,
et ne perus le dire avant le fait.
forment entre eux ou des ronds ou des files,
40 Et au nom du grand Macchabe
76 ainsi, dans les lumires, saintes cratures
j ' en vis se mouvoir une autre en tournoyant
chantaient en voletant et formaient
et liesse tait le fouet de cette toupie.
ou D ou 1 ou L en leurs danses.
43 De mme pour Charlemagne et pour Roland
79 D'abord, chantant, se mouvaient en cadence,
ces deux suivit mon regard attentif
puis, devenant un de ces signes,
comme il suit son faucon volant.
un peu s'arrtaient en silence.
4 Ensuite Guillaume et Rainouard*
82 0 divine Pgase, qui fais les esprits
et le duc Godefroy attirrent mes yeux*
glorieux et leur donnes longvit,
dans cette croix, et Robert Guiscard.
et eux, avec toi, les cits et les royaumes,
49 Puis, mle au mouvement des autres lumires,
85 donne-moi de ta lumire, afin que je montre
l'me qui m'avait parl me montra
leurs figures comme je les ai comprises :
quelle artiste tait parmi les chantres du ciel.
que paraisse ta puissance en ces vers brefs.
52 Et moi, je me tournai droite 8 Ainsi donc se montrrent en cinq fois sept
pour voir en Batrice mon devoir voyelles et consonnes et je notai
signi par parole ou par geste, les signes tels qu'ils me parurent dits.
55 et je vis ses yeux si purs 91 DILIGITE IUSTITIAM, premiers
si joyeux, que son visage surpassait furent verbe et nom de tout l'ensemble peint,
toutes ses prcdentes beauts. QUI IUDICATIS TERRAM furent derniers.
58 Et comme sentir plus grande joie 94 Puis dans l'M du cinquime vocable
en bien uvrant, l'homme de jou en jou elles restrent ordonnes, et Jupiter
s' aperoit que sa vertu progresse, paraissait l argent incrust d'or.
4
49
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
118
121
124
127
130
450
LA DIVINE COMDIE
Et je vis descendre d'autres lumires
sur le sommet de l'M et l se poser
chantant, je crois, le Bien qui les attire.
Puis, comme au choc de tisons embrass
surgissent d'innombrables tincelles,
d'o les sots tirent des augures,
je vis resurgir de l plus de mille
lumires et monter, l'une plus et l'autre moins,
selon que le soleil qui les allume le voulut ;
apaise chacune en son lieu,
je vis la tte et le col d'un aigle,
en dessin de feu sur fond de lumire
Celui qui peint l n' a besoin de guide,
lui est guide, et de lui se souvient
cette vertu qui donne forme aux nids.
Les autres bienheureux qui semblaient
d'abord contents de faire de l'M un lis,
d'un lger mouvement achevrent la figure.
0 douce toile combien de gemmes et quelles !
me dmontrrent que notre justice
est un effet de ce ciel dont tu es gemme !
Aussi je prie l' Intelligence en qui prend naissance
ton mouvement et ta vertu, de vouloir regarder
d'o sort la fume qui trouble ton rayon,
afin qu'une fois encore de nouveau se courrouce
de l'acheter et du vendre dans le temple
qu'ont maonn miracles et martyres.
0 milice du ciel que je contemple,
prie pour ceux qui sont sur terre,
tous fourvoys derrire les mauvais guides.
Jadis on faisait la guerre avec l'pe,
ores on la fait en enlevant ou l
le pain que la bont du Pre nul ne refuse.
Mais toi, qui seulement pour effacer cris,
pense que Pierre et Paul qui moururent
pour la vigne que tu dtruis, encore sont vivants.
133
136
PARADIS. CHANT XVIII
Bien peux-tu dire : J'ai tant fix mon dsir
sur celui qui voulut vivre seul*
et qui pour quelques bonds fut conduit au martyre,
que je ne connais ni le pcheur ni Paul.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
452
Chant XIX
Devant moi paraissait, les ailes dployes,
la belle image qu'en leur doux bonheur,
joyeuses, formaient les mes assembles.
Chacune semblait tre un rubis en qui
rayon de soleil aurait frapp si embras
qu'en mes yeux il l'aurait reflt.
Et ce qu'il me faut retracer maintenant
jamais voix ne l'a dit ni encre l'crivit,
ni fut par fantaisie jamais conu ;
car je vis et aussi j 'entendis parler le hec,
et rsonner dans la voix je et mien
quand nous et ntre taient dans la pense.
Et il commena : Parce que juste et pieux je fus
je me trouve ici exalt cette gloire
que ne peut vaincre aucun dsir ;
et sur terre j 'ai laiss une telle mmoire
que les gens qui l sont mauvais
en font l'loge, mais n'en suivent l'histoire.
Comme de maintes braises se fait sentir
une seule chaleur, ainsi de tant d'amours
sortait un seul son venant de cette image.
Alors je repris : 0 fleurs perptuelles
de la liesse ternelle qui runissez pour moi
tous vos parfums en un seul,
rompez par votre souffle le grand jene
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PARADIS. CHANT XIX
qui longtemps m' a tenu affam
ne trouvant sur terre aucun aliment.
Je sais hien que si, au ciel, d' un autre royaume
la divine justice fait son miroir,
le vtre pourtant la reoit sans voile.
Vous savez combien attentif je m'apprte
vous couter, vous savez quel est
ce doute qui est pour moi jene si ancien.
Comme faucon qui, dcapuchonn,
agite la tte et hat des ailes,
montrant son dsir et se faisant beau,
je vis se mouvoir ce signe tiss
des louanges de la divine gloire,
avec tels chants que sait qui s'jouit l-haut.
Puis il commena : Celui qui tourna le compas
l'extrmit du monde, et qui au-dedans
disposa tout l 'occulte et le manifeste,
ne put empreindre sa valeur en tout
l'univers sans que son verbe
ne restt en excs infini.
Et la preuve en est que le premier superbe,
qui fut la plus haute de toute crature,
pour n'attendre la lumire chut sans tre mr ;
de l apparat que toute moindre crature
est rceptahle hien court pour ce hien
qui n'a pas de fin, et soi soi mesure.
Donc notre vue qui se trouve tre
un des rayons de l' Intelligence
de qui toutes choses sont pleines,
ne peut par sa nature tre si puissante
que son principe ne discerne
hien au-del de ce qu'elle aperoit.
Par suite, en la justice ternelle
la vue qu'en reoit votre monde
pntre comme l'il dans la mer ;
453
LA DIVINE COMDIE
61 bien que du rivage il voie le fond
en haute mer ne le voit, et pourtant
il y est, mais cach par sa profondeur.
6 Il n'est clart sinon venant du ciel serein
qui jamais ne se trouble, ailleurs c'est tnbre
ou ombre de la chair ou son poison.
67 Grand ouvert t'est ores ce lieu obscur
qui te cachait la vive justice
dont tu faisais question si pressante ;
70 car tu disais : "Un homme nat sur la rive
de l' Indus, et il n'est l personne qui parle
de Christ, ni de lui dise ou crive,
73 et tous ses vouloirs et ses actes sont bons,
autant qu'esprit humain peut voir,
sans pch dans sa vie ou ses paroles.
76 Il meurt non baptis et sans la foi :
o est cette justice qui le condamne ?
o est sa faute s'il ne croit pas ? "
79 Or, qui donc es-tu qui veux t'asseoir en chaire
pour juger loin de mille milles
ayant la vue courte d'un empan ?
82 Certes pour celui qui avec moi veut subtiliser,
si l'

criture n' tait au-dessus de vous,


il y aurait de quoi douter tonnamment.
85 0 animaux terriens, esprits grossiers !
La volont premire qui en soi est bonne,
de soi, qui est bien suprme, jamais ne s'carta.
88 Est donc juste tout ce qui avec elle s' accorde,
aucun bien cr soi ne l' attire,
mais elle, irradiant, le fait tre.
91 Telle sur son nid se retourne la cigogne
aprs avoir nourri ses petits,
et comme celui qui est repu la regarde,
94 telle se fit, et je levai les cils,
l'image bnie qui battait des ailes
mues par tant de merveilleux conseils.
454
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
PARADIS. CHANT XIX
En tournoyant elle chantait et disait : Telles
sont mes notes pour toi qui ne les entends,
tel est le jugement ternel pour vous mortels.
Puis s'apaisrent ces tincelants brasiers
de l' Esprit Saint, encore dans le signe
.
qui aux Romains valut le respect du monde ;
d recommena : A ce royaume
jamais ne monta qui ne crut en Christ,
soit avant soit aprs qu'il fut clou au bois.
Mais, vois, beaucoup clament : Christ ! Christ !
qui au jugement seront de lui moins proches
que tel autre
q
ui ne connat pas Christ ;
et ces chrtiens, l' Ethiopien les damnera
quand se spareront les deux collges,
l'un riche pour l'ternit et l'autre pauvre.
Que pourront dire les Perses vos rois
quand ils verront ouvert le grand livre
dans lequel s'crivent tous leurs mfaits ?
L on verra, parmi les uvres d' Albert*,
celle qui bientt fera crire la plume,
faisant dsert le royaume de Prague.
L on verra le deuil que sur la Seine
apporte, en faussant la monnaie,
celui qui mourra d'un coup de couenne*.
L on verra l'orgueil qui assofe,
qui rend fou celui d'

cosse ou d'Angleterre
qui ne peut se tenir en ses bornes*.
Se verra la luxure et la mollesse de vie
de celui d'Espagne et celui de Bohme
qui jamais valeur ne connut ni voulut*.
Se verra au boiteux de Jrusalem*
marque par un 1 sa bont,
quand le contraire marquera un M.
Se verra l' avarice et la vilet
de celui qui garde l'le du feu*
o Anchise termina son long ge,
455
133
136
139
142
145
148
LA DIVINE COMDIE
et pour donner entendre combien il est peu,
son crit sera en lettres tronques
qui noteront beaucoup en mince espace.
Et tous pourront voir les sales uvres
de l'oncle et du frre qui ont avili*
si noble maison et deux couronnes.
Et celui de Portugal et celui de Norvge*,
l on les connatra, et celui de Rascie*
qui contrefit le coin de Venise.
Oh heureuse Hongrie si elle ne se laisse
plus mal gouverner ! et heureuse Navarre
si elle voulait s' armer du mont qui l'entoure !
Et chacun doit croire que dj en prsage
Nicosie et Famagouste*
se lamentent et grondent pour leur bte
qui du flanc des autres btes ne s'carte.
1
4
7
10
13
16
19
Chant XX
Lorsque celui qui le monde illumine
descend hors de notre hmisphre,
de sorte que le jour de toute part se consume,
le ciel, qui d'abord de lui seul s' allume,
soudainement se refait lumineux
de multiples lumires o une seule se reflte.
Et ce moment du ciel me revint en mmoie
lorsque le signe du monde et de ses chefs
en son rostre bni fit silence ;
car toutes ces vivantes lumires
de plus en plus brillantes entonnrent des chants,
de ma mmoie enfuis et disparus.
0 doux amour qui de ton rire t' emmantles
comme tu paraissais ardent en ces flavels
qui ne soufflaient que penses saintes !
Aprs que les chers et luisants lapilli
dont je vis engemm le sixime ciel
eurent mis fin aux notes angliques,
entendre me sembla un murmure de rivire
qui descend claire de pierre en pierre
montant la richesse de sa source.
22 Et, comme un son au col de la cithare
prend forme, et comme au pertuis
du chalumeau vent qui pntre,
25 ainsi, sans plus attendre,
457
28
31
34
37
40
43
46
49
52
55
58
458
LA DIVINE COMDIE
ce murmure de l'aigle monta
le long du col comme s'il tait creux ;
l se fit voix, et ensuite sortit
par son bec, en forme de paroles
qu'attendait mon cur o je les crivis :
La partie qui voit et soufre le soleil
chez les aigles mortels , commena-t-il,
fixement en moi il te faut regarder,
car, des feux dont je fais mon image
ceux de qui l'il, en ma tte, scintille,
en leurs divers degrs sont les plus levs.
Celui qui brille au milieu, comme pupille*,
fut le chantre de l' Esprit Saint
qui transfra l'arche de ville en ville ;
ores il conna de son chant le mrite
qui fut en tout effet de son vouloir,
par la rcompense qui lui est gale.
Des cinq qui me font cercle comme sourcil,
celui qui plus prs du bec s'approche*
consola pour son fils l'humble veuve,
ores il connat combien cote cher
ne pas suivre Christ, par l'exprience
de cette douce vie et de la vie contraire.
Celui qui vient ensuite dans la circonfrence*
dont je parle, en remontant l' arc,
retarda sa mort par vraie pnitence ;
ores il connat qu'ternel jugement
point ne change quand digne prire
peut d'aujourd'hui faire, sur terre, demain.
L' autre qui suit, avec les lois et moi*,
en bonne intention qui donna mauvais fruit,
pour cder au Pasteur se fit grec ;
ores il connat comment le mal produit
par le bien qu'il voulut ne lui nuit,
bien que le monde en soit par l dtruit.
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
PARADIS. CHANT XX
Et celui que tu vois dans l' arc dclinant
fut Guillaume que pleure cette terre
qui dplore Frdric et Charles vivants ;
ores il connat comme s'enamoure
le ciel du roi juste, et par son clat
fulgurant, il le fait voir encore.
Qui donc croirait dans votre monde errant
que Riphe le Troyen, en cet arc*,
ft la cinquime des lumires saintes ;
ores de la divine grce il conna beaucoup
de ce que le monde en bas ne peut voir,
bien que sa vue n'en discerne le fond .
Comme alouette qui dans 1 'espace s'lance
d' abord chantant, et puis se tait, contente
de l'ultime douceur qui l'enchante,
telle me sembla l'image de l'empreinte
de l' ternel plaisir, au dsir de qui
chacune chose devient ce qu'elle est.
Et bien que je fusse en mon doute
comme verre la couleur qu'il recouvre,
il ne soufrit d'attendre se taisant,
mais Qu'est-ce que cela ? me poussa-t-il
hors de la bouche par la force de son poids ;
pour quoi je vis grand embrasement de joie.
Aprs quoi, son il plus enflamm,
le bienheureux signe me rpondit,
pour ne pas me tenir tonn en suspens :
Je vois que tu crois ces choses
parce que je les dis, mais ne vois pas comment,
de sorte qu'elles sont crues mais restent caches.
Tu fais comme celui qui apprend bien la chose
par son nom, mais sa quiddit
ne peut voir si u autre ne l' claire.
Regnum coelorum soufre violence
par force de grand amour et de vive esprance
qui vainc la divine volont ;
459
97
100
103
106
109
1 12
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
460
LA DIVINE COMDIE
non comme l'homme qui domine l'homme,
mais la vainc parce qu'elle veut tre vaincue
et, vaincue, elle vainc par sa bont.
La premire me du sourcil et la cinquime*
veillent ta stupeur parce que tu vois
la rgion des anges en tre orne.
De leurs corps ne sortirent, comme tu crois,
paens, mais chrtiens, ayant ferme foi
aux pieds dj, ou non encore, clous.
Car, de l'enfer, o jamais on ne retourne
bon vouloir, l'un revint dans ses os
ce qui fut de vive esprance le salaire,
de vive esprance qui mit sa force
dans les prires Dieu pour le ressusciter,
afin que son vouloir pt tre retourn.
L'me glorieuse dont on parle,
revenue dans sa chair o elle demeura peu,
crut en Celui qui la pouvait aider,
et, croyant, s'enflamma de tel feu
du vritable amour qu' sa seconde mort
elle fut digne de venir ces joies.
L'autre par grce qui de si profonde
source nat que jamais crature
ne porta le regard jusqu' la premire onde,
tout son amour, sur terre, mit en droiture,
pour ce, de grce en grce, Dieu lui ouvrit
les yeux notre rdemption future,
et il y crut et ne souffrit plus
ds lors la puanteur du paganisme,
et il en reprenait la gent perverse.
Reut comme baptme ces trois dames
que tu vis la droite du char,
plus de mille ans avant qu'on baptist.
0 prdestination, combien ta racine
est loigne de ces regards
qui ne voient toute la cause premire !
133
136
139
142
145
148
PARADIS. CHANT XX
Et vous, mortels, soyez lents
juger, car nous qui voyons Dieu
ne connaissons pas encore tous les lus ;
et nous est doux un tel manque
car notre bien en ce bien s'affine,
et ce que Dieu veut, nous le voulons.
Ainsi par cette image divine
pour clairer ma coute vue
me fut donne suave mdecine.
Et comme bon chanteur bon cithariste
fait suivre la vibration des cordes
en quoi le chant acquiert plus de plaisir,
ainsi tant qu'il parla, je m'en souviens,
je vis les deux lumires bnies,
comme paupires battant d' accord,
au rythme des paroles mouvoir leurs flammettes.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
462
Chant XXI
Mes yeux dj taient refixs au visage
de ma dame, et mon cur avec eux
qui de tout autre soin tait dtach ;
elle pourtant ne riait, et : Si je riais
commena-t-elle, tu te ferais telle
Sml quand de cendres se fit* ;
car ma beaut, qui au long des degrs
de l'ternel palais, tu l'as vu,
tant plus s' enflamme que plus on monte,
si ne se temprait, tant resplendit
que ton mortel pouvoir, son clat,
serait feuillage que tonnerre foudroie.
Nous sommes levs la splendeur septime
qui sous le cur ardent du Lion
rayonne ores vers en bas ml sa valeur.
Fiche bien ton esprit derrire tes yeux,
et d'eux fais miroir pour l'image
qui en ce miroir va se montrer toi.
Qui saurait quelle pture tait
pour mon regard le bienheureux visage
quand je portai ailleurs mon attention
connatrait, contrepesant l'un avec l' autre,
combien r
'
tait gr
obir mon cleste guide.
Dedans le cristal qui porte le vocable,
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PARADIS. CHANT XXI
encerclant le monde, de son roi aim*
sous lequel toute malice gisait morte,
je vis, de couleur d'or o brille le soleil,
une chelle vers le haut dresse
tant que mon regard ne la suivait.
Je vis aussi par les degrs descendre
tant de splendeurs, que je croyais voir
les lumires du ciel toutes de l s'pandre.
Et comme par naturelle coutume
les corneilles runies l' aube du jour
s'agitent pour chauffer leurs froides plumes,
et puis, les unes s'en vont sans retour,
d'autres reviennent d'o sont parties,
et d'autres en tournoyant demeurent ;
il me sembla qu'il en tait de mme
en cet tincellement qui ensemble s'en vint
lorsqu'il arriva un certain degr.
Le feu qui plus prs de nous s'arrta
se fit si clair, que je disais en ma pense :
Je vois bien l' amour que tu me montres.
Mais, celle dont j 'attends le comme et le quand
du dire et du taire, ne cille ; d'o
contre mon dsir en bien faire ne demande.
Alors elle qui voyait mon taire
en voyant Celui qui voit tout
me dit : Libre ton chaud dsir.
Et moi je commenai : Mon mrite
ne me fait digne de ta rponse,
mais au nom de celle qui permet la demande,
vie bienheureuse, qui te tiens cache
au-dedans de ta liesse, rvle-moi
la cause qui si prs de moi t'a place,
et dis pourquoi se tait en cette roue
la douce symphonie de Paradis qui, plus bas,
dans les autres sonne si dvotement.
43
LA DIVINE COMDIE
PARADIS. CHANT XXI
61 Tu as l'oue mortelle comme le regard
97 Et au monde mortel, ton retour,
rpondit-elle, et ici on ne chante
rapporte-le afin que plus ne prsume
pour mme cause que Batrice ne rit.
tel but porter ses pas.
6 Si par les degrs de cette chelle sainte
lOO L'esprit qui ici luit, sur terre est fume,
je suis si bas descendue c'est pour te fter
regarde donc comment il peut en bas
par mon dire et par la lumire qui me revt ;
ce qu'il ne peut, bien qu'lev au ciel.
67 et non plus d' amour plus prompte me fit venir
103 Si bien me limitrent ses paroles
car tant et plus d'amour brle en ces hauteurs
que j 'abandonnai la question et me bornai
comme le flamboiement te le montre,
lui demander humblement qui elle fut.
70 mais, la haute charit qui nous fait servantes
106 Entre les deux rivages d' Italie rocs se dressent,
prtes au conseil qui gouverne le monde,
et non trs loin de ta patrie, si hauts
assigne chacune son rle comme tu l'observes.
que les tonnerres sonnent bien plus bas,
73 Je vois bien , dis-je, sainte lampe
109 ils font une bosse qui s' appelle Catria
comment libre amour en cette cour
sous laquelle est consacr u ermitage*
suffit pour suivre l'ternelle providence,
qui tai
t
orient seule contemplation.
76 mais ce qui me parat dur comprendre
l l 2 Ainsi commena-t-elle son troisime discours
c'est pourquoi tu fus seule prdestine
et puis, poursuivant, dit : L
cet office parmi tes compagnes ,
au service de Dieu me tins si ferme
79 A peine arrivai-je l'ultime parole
l i S qu'avec mets simples liqueur d'olive
que, de son milieu, la lumire fit centre
facilement je passais chaleurs et gels,
tournant sur soi comme rapide meule ;
content dans mes penses contemplatives.
82 puis l'amour qui l'habitait rpondit :
l l8 Ce clotre u temps donnait ces sphres
Lumire divine sur moi se pointe
belles moissons, ores est devenu strile,
pntrant par celle-ci o je me niche ;
il faudra que bientt cela soit rvl.
85 sa vertu, unie ma vision, m'lve
121 En ce lieu je fus Pierre Damien*,
au-dessus de moi tant que je vois
et Pierre Pcheur je fus en la maison
la suprme essence dont elle mane.
de Notre-Dame au rivage d' Adria.
88 De l vient l'allgresse dont je flamboie
124 Peu de vie mortelle m'tait reste
parce qu' ma vue autant qu'elle est claire
quand je fus appel et tir ce chapeau
j 'gale la clart de ma flamme.
qui de mal en pis se transvase.
91 Mais l'me qui au ciel le plus s'claire,
127 Vint Cphas et vint le grand vaisseau
le sraphin qui plus en Dieu fixe ses yeux
de l'Esprit Saint maigres et pieds nus,
ta demande ne saurait satisfaire,
prenant leur pain en lieu quelconque.
94 tant ce que tu qutes s'enfonce
130 Ores il faut gens qui et l les tiennent,
dans l'abme de l'ternel Dcret
les modernes pasteurs, et qui les mnent
qui de tout regard cr est scind.
tant ils sont lourds, et derrire les soulvent.
4
465
133
136
139
142
LA DIVINE COMDIE
Ils couvrent de leurs chapes leurs palefrois,
de sorte que deux btes vont sous une seule peau :
patience de Dieu qui tant supportes !
A cette voix je vis plusieurs flammelles,
de degr en degr descendre et tournoyer,
et chaque tour les faisait tant plus belles.
Autour de celle-ci vinrent et s'arrtrent
et lancrent un cri d'un son si haut
qu' rien ici ne saurait ressembler :
et je ne l'entendis vaincu par ce tonnerre.
1
4
7
10
13
Chant XXII
Oppress de stupeur, vers mon guide
je me tournai, comme enfant qui recourt
l o toujours plus il se confie ;
et elle, comme mre qui secourt
aussitt son fils ple et haletant
de sa voix qui sait le bien disposer,
me dit : Ne sais-tu pas que tu es au ciel ?
et ne sais-tu qu'au ciel tout est saint
et ce qui s'y fait vient de bon zle ?
Ce qu'aurait fait de toi le chant
et moi riant, ores tu le peux penser
puisque le cri t'a accabl tellement ;
si tu avais en lui entendu ses prires
dj te serait connue la vengeance
que tu verras avant que tu ne meures.
16 L'pe, en ces hauteurs, ne taille en hte
ni en retard, sauf l'opinion de celui
qui, dsirant ou craignant, l' attend.
19 Mais tourne-toi dsormais vers autrui,
car tu verras maints illustres esprits
si tu conduis ton regard comme je le dis.
22 Comme il lui plut je dirigeai mes yeux
et vis cent petites sphres qui ensemble
s'embellissaient de mutuels rayons.
25 Je restai comme celui qui en soi rprime
47
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
468
LA DIVINE COMDIE
la pointe de son dsir et ne se risque
demander tant il craint d'excder.
Et la plus grande, la plus lumineuse
de ces perles se fit plus proche
pou satisfaire mon envie de savoir.
Puis en elle j 'entendis : Si tu voyais
comme moi la charit qui nous embrase,
tes penses se seraient exprimes ;
mais pou que, attendant, tu ne retardes
le noble but, je donnerai rponse
ta pense que tant tu retiens.
Le mont au flanc duquel est Cassino
fut frquent jadis su sa cime
par la gent trompe et mal instruite ;
et c'est moi qui le premier y portai*
le nom de celui qui amena su terre
la vrit que si haut nous lve ;
et tant de grce su moi rayonna
que je retirai les villes d'alentou
du culte impie qui sduisit le monde.
Ces autres feux fuent tous hommes
contemplatifs, embrass de cette ardeu
qui fait natre fleus et fruits de saintet.
Ici est Macaire, ici est Romualdo*
ici sont mes frres qui dans les clotres
tinrent fermes les pieds et fidle le cu.
Et moi lui : L'affection que tu manifestes
en parlant avec moi, et la bonne semblance
que je vois et note en vos ardeus
a dilat ma confiance comme
le soleil fait la rose quand, ouverte,
elle arrive sa plnitude.
Pou ce je te prie et, pre, claire-moi,
puis-je recevoir une telle grce :
que je te voie visage dcouvert.
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
PARADIS. CHANT XXII
Lui alors : Frre, ton noble dsir
s' accomplira dans la dernire sphre
o s'accomplissent tous autres dsirs et le mien :
l est parfait, mr et entier tout
ce qui est dsir ; en elle seulement
toute partie est l o elle tait toujous,
car n'est en u lieu et ne toune su ple,
et notre chelle arrive jusqu' elle
ce pouquoi de ta vue elle s'envole.
Jusqu'en haut la vit le patriarche
Jacob dresser son suprme sommet*
quand elle lui apparut d'anges si charge.
Mais pou la gravir ores nul ne soulve
de terre ses pieds, et ma rgle
est reste pou gchis de papier.
Les mus qui jadis taient abbaye
sont devenus repaires, et les capuches
sont sacs pleins de farine moisie.
Mais grave usue ne se dresse contre
le plaisir de Dieu autant que ce fruit
qui rend si fou le cu des moines ;
car de ce que l'

glise peut garder,


tout appartient qui demande au nom de Dieu,
non aux parents et non d'autres pires.
La chair des mortels est si fragile
qu'en bas ne suffit bon commencement
pou que du chne naissant vienne le gland.
Pierre commena sans or et sans argent
et moi avec prires et jenes,
et Franois, humblement son couvent ;
et si tu regardes au dbut de chacun
et regardes ensuite o il est arriv
tu verras du blanc devenu noir.
Mais le Joudain retounant en arrire*.
et la mer fuyant, quand Dieu voulut, fuent*
plus tonnants voir qu'ici le secous.
469
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
470
LA DIVINE COMDIE
Ainsi me dit-il, puis il rejoignit
son collge, et le collge se rassembla,
puis, en tourbillon en haut tout s'lana.
Ma douce dame aprs eu me poussa,
d'un seul signe, en haut par cette chelle,
tant sa vertu ma nature vainquit ;
jamais ici bas o l'on monte et descend
selon nature, fut mouvement si rapide
qui ne pt galer mon vol.
Aussi vrai que je dsire, lecteur, revenir
ce triomphe, pour quoi souvent je pleure
mes pchs et me frappe la poitrine,
tu n'aurais pas sitt tir et mis
au feu le doigt, que je vis le signe
qui suit le Taureau et fus en lui.
0 glorieuses toiles ! lumire pleine
de grande vertu, qui je reconnais devoir
quel qu'il soit tout mon gnie,
avec vous se montrait, avec vous se cachait
celui qui est pre de toute vie mortelle,
lorsque je sentis d' abord l' air toscan ;
et puis quand me fut accorde la grce
d'entrer dans le haut ciel qui tourne avec vous,
en votre rgion cela me fut donn.
A vous dvotement ores soupire
mon me pour acqurir vertu digne
du rude labeur qui l'attire.
Tu es si prs de l'ultime salut ,
commena Batrice, que tu dois
avoir regards clairs et aigus.
Partant, avant que plus tu y pntres
regarde en bas, et vois quelle grande partie
du monde sous tes pieds j 'ai fait passer,
afin que ton cur aussi joyeux qu'il peut
se prsente la foule triomphante
qui vient en liesse par ce cercle thr.
133
136
139
142
145
148
1 51
1 54
PARADIS. CHANT XXII
Je retournai par le regard travers toutes
les sept sphres, et je vis notre globe
tel, que je souris de sa vile apparence ;
et j 'estime plus qu'autre l'opinion
qui le tient pour peu ; et celui qui d'ailleurs
regarde peut tre appel vritablement sage.
Je vis la fille de Latone en feu,
sans cette ombre qui fut cause que
jadis je la crus rare et dense.
L'clat de ton fils, Hyprion, l*
je le soutins et vis comme se meuvent
autour et prs de lui Maa et Dion*.
Puis m' apparut Jupiter, entre son pre*
et son fils, il les tempre, et lors me fut clair
comment ils varient leurs lieux.
Et les sept plantes mes yeux dmontrrent
combien sont grandes et combien sont rapides
et comme sont en demeures distantes.
L' arpent de terre qui nous faits si froces,
alors que m'entranaient les ternels Gmeaux
tout entier m' apparut des collines aux rivages.
Et puis aux beaux yeux je reportai mes yeux.
PARADIS. CHANT XXIII
Chant XXIII
Trivia rit parmi les nymphes ternelles*
qui fleurissent par tous les coins du ciel,
28 je vis, au-dessus de milliers de flambeaux,
un soleil qui tous les allumait
comme le ntre les astres l-haut,
31 et dans la vive lumire transparaissait
la lumineuse substance, si claire
que mon regard ne la pouvait soutenir.
34 0 Batrice, doux et cher guide !
Elle me dit : Tu es vaincu
1 Comme l'oiseau, dans les chers feuillages
par une force qui rien ne rsiste.
pos sur le nid de ses doux petits
37 En elle est la sagesse et la puissance
durant la nuit qui nous cache les choses,
qui ouvrit entre ciel et terre les voies
4 qui, pour voir le spectacle dsir
dont fut si long jadis le dsir.
et pour trouver de quoi les nourrir
40 Comme un feu se dgage d'un nuage
en un dur labeur qui lui est cher,
parce qu'il se dilate et ne peut y tenir,
7 devance l'heure sur une haute branche :
et contre sa nature tombe terre,
avec ardent dsir il attend le soleil
43 ainsi mon esprit, devenu par ces festins
et fixe le lieu o l'aube va natre ;
plus grand, sortit de lui-mme
10 ainsi ma dame se tenait dresse
et ce qu'il fit ne puis m'en souvenir.
et vigilante, tourne vers la plage
4 Ouvre les yeux et regarde quelle je suis ;
o le soleil montre le moins de hte ;
tu as vu des choses qui t'ont donn
13 et moi, la voyant en attente et dsir,
puissance pour soutenir mon rire.
je me fis comme celui qui souhaitant
49 J'tais comme celui qui se ressent
autre chose s' apaise en esprant.
d'une vision oublie et qui s'efforce
16 Mais peu fut d'un temps l'autre,
en vain de la ramener son esprit,
entre attendre, dis-je, et voir
52 lorsque j 'entendis cette offre digne
le ciel plus et plus s'clairer.
d'un tel gr qui jamais ne s' efface
19 Et Batrice dit : Voici les lgions
du livre o se consigne tout le pass.
du triomphe du Christ et tout le fruit
55 Si ores sonnaient toutes les langues
recueilli du tournoiement des sphres !
que Polymnie avec ses surs firent
22 Il me semblait voir son visage flamboyer,
de leur doux lait les plus nourries,
et ses yeux taient si pleins de liesse,
58 pour m' aider, au millime du vrai
qu'il me faut avancer sans essayer de dire.
on n'atteindrait, chantant le rire saint
25 Telle dans les pleines lunes sereines
et combien la sainte lumire le faisait pur.
472
473
LA DIVINE COMDIE
PARADIS. CHANT XXIII
61 Et ainsi, dcrivant le paradis,
97 La mlodie qui plus doucement sonne
mon pome sacr doit faire un saut,
ici-bas et plus soi attire l' me
comme un qui trouve son chemin coup ;
semblerait nue qui , dchire, tonne,
6 mais qui penserait au grave thme
100 compare au son de cette lyre
et l'paule mortelle qui s'en charge
qui couronnait le beau saphir
ne la blmerait si sous le faix elle tremble.
dont le ciel le plus clair s'ensaphire.
67 Ce n'est route pour petit esquif
103 Je suis amour anglique qui vole autour
celle que va fendant ma proue hardie,
de la haute liesse exhale du sein
ni pour nocher qui mnage sa peine.
qui fut demeure de notre dsir ;
70 Pourquoi mon visage tant t'enamoure
106 et volerai autour de toi, dame du ciel, alors
que tu ne te tournes au beau jardin
que tu suivras ton fils et feras plus divine
qui sous les rayons de Christ fleurit ?
la sphre suprme, parce que tu y entres.
73 Ici est la rose en qui le Verbe divin
109 Ainsi la mlodie en forme de carole
se fit chair ; ici sont les lis
prenait fin et toutes les autres lumires
dont le parfum fit prendre le bon chemin.
faisaient sonner le nom de Marie.
76 Ainsi Batrice, et moi qui tout ses conseils
1 1 2 Le royal manteau de toutes les sphres
tais prompt, de nouveau je me rendis
du monde, qui le plus s'embrase et s' avive
la bataille de mes faibles cils.
au souffle et aux largesses de Dieu,
79 Comme, sous un rai de soleil qui passe clair
1 1 5 tendait sur nous s a face interne
par un nuage bris, apparut jadis
si distante que son apparence,
un pr de fleurs mes yeux couverts d'ombre,
l o j 'tais, ne se voyait encore,
82 ainsi vis-je des foules de splendeurs,
118 pour ce mes yeux n'eurent pouvoir
fulgures d'en haut par rais ardents
de suivre la flamme couronne
sans voir source de fulguation.
qui s'leva derrire son fils.
85 0 bnigne vertu qui ainsi les empreins
121 Et comme l'enfanon qui vers sa maman
tu t'levas plus haut par gard
tend les bras, aprs avoir bu le lait,
pour mes yeux qui n'taient l puissants.
par la joie qui au-dehors s'enflamme,
88 Au nom de la belle fleur que toujours j 'invoque
124 chacune de ces blancheurs vers le haut tendit
et matin et soir, tout mon esprit se concentra
sa flamme, ainsi me fut manifeste
pour regarder le plus grand feu ;
l' ardent amour qu'elles avaient pour Marie.
91 et, comme en mes yeux se peignirent
127 Puis demeurrent ma vue, chantant
force et beaut de la vivante toile
Regina coeli voix si douce
qui l-haut vainc comme vainquit ici-bas,
que jamais le plaisir ne m'en quitta.
94 du milieu du ciel descendit un flambeau
130 Oh quelle abondante moisson est contenue
form en cercle, guise de couronne,
en ces trs riches arches qui furent
et la ceignit et tourna autour d'elle.
sur terre si bonnes semeuses !
474
475
133
136
139
LA DIVINE COMDIE
Ici l'on vit et jouit du trsor
acquis en pleurant dans l'exil
de Babylone, o fut dlaiss l'or.
Ici triomphe sous le haut fils
de Dieu et de Marie, de sa victoire,
et avec l'ancien et le nouveau concile,
celui qui tient les clefs d'une telle gloire*.
Chant XXIV
1 0 assemble lue au grand banquet
de l'agneau bni qui vous nourrit,
d'o votre faim est toujours rassasie,
4 si, par grce de Dieu, celui-ci prlibe
ce qui tombe de votre table avant
que la mort lui prescrive son temps,
7 portez votre attention son immense aspiration
et versez sur lui votre rose, vous qui buvez
sans cesse la fontaine d'o vient son dsir.
10 Ainsi Batrice, et ces mes en liesse
se firent sphres sur ples fixes,
flamboyant fort, guise de comtes.
13 Et comme roues d'horloges accordes
tournent si bien, qu' les voir, la premire
semble en repos alors que l'ultime vole,
16 ainsi ces caroles diffremment
dansant, me donnaient la mesure
de leur richesse, rapides et lentes.
19 De celle qui m'apparut de plus grande beaut
je vis sortir un feu si heureux
que nul autre y laissa de plus grande clart,
22 et trois fois autour de Batrice
il tourna dans un chant si divin
que ma fantaisie ne me le redit ;
25 ma plume donc saute ici sans l'crire,
477
LA DIVINE COMDIE
PARADIS. CHANT XXIV
car pour tels plis l'imaginer, autant
61 Et je poursuivis : Comme en crivit, pre,
que le parler, a couleur trop vive.
le stylet vridique de ton frre aim
28 0 chre et sainte sur qui nous prie
qui avec toi mit Rome sur le bon fil,
si dvotement, ton ardent amour
6 la foi est substance des choses espres
de cette belle ronde me dlie.
et argument des choses invisibles,
31 Hors de la danse, ce feu bienheureux
l m'apparat tre sa quiddit.
67 Alors j 'entendis : Tu penses droitement
vers ma dame dirigea sa voix
si tu entends bien pourquoi il l' a place
qui parla comme je viens de dire.
dans les substances puis dans les arguments.
34 Et elle : 0 lumire ternelle du grand homme
70 Et moi alors : Les profondes choses,
qui Notre Seigneur laissa les clefs
qui me font largesse ici de leur apparence,
qu'il porta sur terre, de cette merveilleuse joie,
aux yeux d'en bas sont si caches
37 interroge celui-ci sur points lgers et graves,
73 que leur tre y est en seule croyance,
comme il te plat, concernant la foi
sur laquelle se fonde la haute esprance
par laquelle toi sur la mer tu marchas.
et prend ainsi concept de substance.
40 S'il aime bien et bien espre et croit
76 Puis d'aprs cette croyance, il nous faut
ne t'est cach puisque ton regard est fix syllogiser sans avoir d'autre vue,
o toute chose peinte se voit, elle prend ainsi concept d' argument.
43 mais puisque ce royaume, par la vraie 79 Alors j 'entendis : Si tout ce qui s'acquiert
foi, a fait des citoyens pour la glorifier, en bas par doctrine tait ainsi entendu,
il est bon que d'elle il puisse parler. n'y trouverait lieu esprit de sophiste.
4 Comme le bachelier s' arme et ne parle 82 Tel fut le souffle de ce feu d' amour,
tant que le matre propose sa question, puis ajouta : Bien est montr
pour argumenter et non pour conclure, de cette monnaie et l'alliage et le poids,
49 ainsi moi, je m' armai de toute raison, 85 mais dis-moi si tu l'as dans ta bourse.
tandis qu'elle parlait, pour tre prt Et moi : Oui je l'ai et si brillante et ronde
tel matre et telle profession. que de son coin rien ne me fait douter.
52 Dis, bon chrtien, explique-toi :
88 Ensuite sortit du profond de la lumire
la foi qu'est-ce ? Je levai alors le front
qui l resplendissait : Ce prcieux joyau
vers la lumire d'o soufflait cela,
sur lequel se fonde toute vertu,
55 puis me tournai vers Batrice, et elle me fit
91 d'o te vint-il ? Et moi : La large pluie
promptement signe de rpandre au-dehors
de l'Esprit Saint, qui est diffuse
l'eau de ma fontaine intrieure.
sur les vieux parchemins et les nouveaux,
58 La grce qui me donne de confesser ma foi ,
94 est syllogisme qui me l' a prouve
commenai-je, au noble primipile,
si nettement, qu'auprs d'elle
fasse que mes penses bien s'expriment .
toute dmonstration me parat obtuse.
478
479
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
118
121
124
127
130
480
LA DIVINE COMDIE
J'entendis ensuite : L'antique et la nouvelle
proposition qui ainsi te convainc,
pourquoi la tiens-tu pour parole divine ?
Et moi : La preuve qui m'ouvre le vrai
sont les uvres accomplies, nature
jamais ainsi fer ne chauffe et ne bat enclume.
Me fut rpondu : Dis, qui te donne certitude
que ces uvres furent ? Cela mme
qu'il faut prouver, et seul, te l' affirme.
Si le monde se tourna au christianisme
sans miracles , dis-je, celui-l seul est tel
que les autres n'en sont pas le centime ;
car tu entras seul et jeun dans le champ
pour semer la bonne plante
qui, jadis vigne, ores est devenue ronce.
Finis ces mots, la noble et sainte cour
lana dans les sphres un Te Deum
dans la mlodie que l-haut l'on chante.
Et ce baron qui de branche en branche
m'examinant m'avait dj port si haut
que nous approchions des derniers feuillages,
recommena : La grce qui se plat
avec ton esprit, t' a ouvert la bouche
jusqu'ici comme elle devait s'ouvrir,
j ' approuve donc ce qui en vint dehors :
mais ores convient exprimer ce que tu crois
et d'o cela s'offrit ta croyance.
0 pre saint, esprit qui vois ce que
tu crus si fort que tu vainquis
vers le tombeau des pieds plus jeunes ,
commenai-je, tu veux que j e maneste ici
la forme de ma vive croyance
et en demandes aussi la raison.
Et je rponds : Je crois en un Dieu unique
et ternel qui meut tout le ciel,
non mu, avec amou et avec dsir.
133
136
139
142
145
148
151
154
PARADIS. CHANT XXIV
Et tel croire je n' ai seulement preuves
physiques et mtaphysiques, mais me le donne
encore la vrit qui d'ici pleut
par Mose, par les Prophtes, par les Psaumes,
par l'

vangile et par vous qui crivtes


aprs que l' ardent Esprit vous eut faits saints.
Et je crois en trois personnes ternelles,
les crois une essence si une et si trine
qu'elle admet la fois sunt et est.
De la profonde condition divine
dont je parle, la doctine vanglique
pose le sceau sur mon esprit souventes fois.
C'est l le principe, c'est l l'tincelle
qui se dilate ensuite en flamme vivace
et, comme toile au ciel, en moi scintille.
Comme le matre qui coute chose qui lui plat
puis embrasse le serviteur se rjouissant
pour la nouvelle, peine s'est-il tu,
ainsi, me bnissant en chantant,
trois fois, quand je me tus, me ceignit
la flamme apostolique, sur l'ordre de qui
j 'avais parl, tant mon dire lui plut.
PARADIS. CHANT XXV
Chant XXV en silence, coram me, chacun d' eux se fixa,
si embras que je dus baisser mon visage.
28 Riant alors Batrice dit :
Ame illustre, par qui fut crite
la libralit de notre basilique,
31 fais sonner l'esprance en ces hauteurs,
tu sais, toi qui la figuras chaque fois
que Jsus aux trois se fit plus tendre.
34 Lve la tte et prends assurance,
car ce qui ici arrive du monde mortel
1 Si jamais il advient que le pome sacr doit nos rayons mir.
auquel ont mis la main et ciel et terre
37 Ce rconfort me vint du second feu,
et qui m' a fait de longues annes maigre, d'o je levai les yeux vers ces cimes
4 vainque la cruaut qui hors me tient dont le poids d' abord les avait inclins.
du beau bercail o je dormis agneau,
40 Puisque par grce notre empereur veut
ennemi des loups qui lui font la guerre, que tu t' affrontes avant la mort,
7 avec autre voix dsormais et autre poil, dans la salle plus intime avec ses comtes,
je reviendrai, pote, et sur les fonts
43 et qu' ayant vu le vrai de cette cour
de mon baptme je prendrai la couronne, de cela tu confortes, en toi et en autrui,
10 puisque dans l a foi, qui fait les mes
l'esprance qui en bas hien enamoure,
proches de Dieu, l j 'entrai, et puis
46 dis ce qu'elle est, et comment s'en fleurit
Pierre pour elle ainsi ceignit mon front. ton esprit et dis d'o elle te vint.
13 Alors vint nous une lumire
Ainsi continua encore la seconde lumire.
de la sphre d'o sortait le premier
49 Et cette pieuse, qui guida les plumes
des vicaires que Christ nous laissa :
de mes ailes si haut vol,
16 et ma dame pleine de liesse
devana ainsi ma rponse :
me dit : Regarde, regarde, voici le haron*
52 L'

glise militante n' a pas un fils


pour qui, en bas, on visite Galice.
qui ait plus d'esprance, comme est crit
19 Comme lorsque la colombe se pose prs
dans le soleil qui claire n
?
tre cohorte ;
de sa compagne : l'une l' autre montre,
55 partant lui est accord que, d' Egypte,
tournant et murmurant, sa tendresse,
il vienne pour voir Jrusalem,
22 ainsi vis-je l'un tre accueilli
avant que sa militance ait pris fin.
par l' autre grand prince glorieux,
58 Les deux autres points qui lui sont demands,
louant le mets qui l-haut les nourrit.
non pour savoir, mais pour qu'il redise
25 Mais lorsque ce joyeux accueil eut pris fin,
combien cette vertu te donne plaisir,
482
43
LA DIVINE COMDIE
PARADIS. CHANT XXV
61 lui je les laisse, car ne lui seront ni durs
97 Aprs la fin de ces paroles, d'abord
ni de jactance ; qu' cela il rponde,
Sperent in te # au-dessus de nous s'entendit,
que la grce de Dieu le lui accorde.
quoi rpondirent toutes les caroles.
64 Comme disciple seconde son matre,
100 Puis parmi elles une lumire tant s'claira
prompt et ravi, en ce qu'il connat bien,
que si Cancer avait un tel cristal
pour que sa valeur soit manifeste,
l'hiver ferait un mois d'un seul jour.
67 Esprance , dis-je, est une attente certaine
103 Et comme se lve et va et entre dans le bal
de la gloire future, esprance produite
vierge joyeuse, pour faire honneur
par grce divine et prcdent mrite.
l'pouse et non pour aucun mal,
70 De maintes toiles me vint cette lumire,
106 ainsi vis-je la splendeur fulgurante
mais le premier qui le distilla en mon cur
venir aux deux qui tournaient en chantant.
fut le souverain chantre du souverain roi*.
comme le voulait leur ardent amour.
73 "Qu'esprent en toi ", chante sa thodie,
109 Elle entra l dans le chant et la danse
" ceux qui connaissent ton nom "
et ma ame tenait sur eux son regard
;
et qui ne le connat s'il a ma foi ?
comme pouse en silence immobile.
76 Ce qu'il m' a instill, tu me l'instillas ensuite
1 1 2 C'est celui qui se pencha sur le cur*
en ton ptre, et j 'en suis si rempli
de notre plican, c'est celui qui fut
qu'en autrui votre pluie je fais repleuvoir .
du haut de la croix au grand office lu.
79 Tandis que je parlais, au sein vivant
1 1 5 Ainsi ma dame, mais sa vue
de ce brasier tremblait une lueur
ne cessa d'tre attentive
soudaine et presse comme fait un clair.
aprs comme avant ses paroles.
82 Puis il spira : L' amour dont je brle
1 18 Tel celui qui regarde et s'efforce
encore pour cette vertu qui me suivit
de voir un peu s'clipser le soleil
jusqu' la palme et au sortir du champ,
et pour voir devient non-voyant,
85 veut que je soufle encore vers toi qui te plais
121 tel me fis-je ce troisime feu
en elle ; et il r
'
est gr que tu dises
et me fut dit : Pourquoi t'blouir
ce que l'esprance te promet.
pour voir chose qui ici n'est pas ?
88 Et moi : La nouvelle criture et l' ancienne
124 En terre, terre est mon corps, et sera l
posent et m'indiquent le but
avec les autres, tant que notre nombre
des mes que Dieu s'est faites amies.
ne sera gal l'ternel dcret.
91 Dit Isae que chacune en sa patrie*
127 Avec leurs deux robes dans le bienheureux clotre
sera vtue d'un double vtement,
seules sont les deux lumires qui y montrent,
et sa patrie est cette douce vie.
et cela tu le rapporteras dans votre monde.
94 Et ton frre, en termes plus clairs*,
130 A cette voix la ronde flamboyante
l o il traite des blanches robes,
s' apaisa et avec elle le doux son
nous manifeste cette rvlation.
o se mlait le souffle trine,
484
485
133
136
139
LA DIVINE COMDIE
comme, pour viter fatigue ou risque,
les rames d'abord frappes dans l'eau
toutes s'arrtent au son d'un sifflet.
Ah combien je fus mu en mon esprit
quand je me tournai pour voir Batrice,
et ne pus la voir bien que je fusse
auprs d'elle et dans le monde heureux !
Chant XXVI
1 Alors que je m'inquitais pour ma vue teinte,
de la flamme fulgurante qui l'teignit
sortit un soufle qui me fit attentif,
4 il disait : Jusqu' ce que tu recouvres
la vue qu'en moi tu as consume,
bien est qu'en raisonnant tu la compenses.
7 Commence donc et dis o tend la pointe
de ton me, et sois assur que la vue
en toi est gare et non morte,
10 car la dame qui, par cette divine rgion,
te conduit a dans son regard
la vertu qu'eut la main d'An anie*.
13 Je dis : A son gr, et tt et tard,
vienne remde aux yeux qui furent portes
quand elle entra avec le feu dont toujours je brle.
16 Le bien qui fait heureuse cette cour
est l'alpha et l'omga de tout l'crit
que me lit Amour doucement ou fort.
19 Cette mme voix qui r
'
avait t
la peur du soudain aveuglement
me donna encore motif de parler
22 et dit : Certes par un crible plus fin
il te faut clarifier ta pense, il te faut dire
qui dirigea ton arc telle cible.
25 Et moi : Par arguments philosophiques
487
28
31
34
37
40
43
46
49
52
55
58
488
LA DIVINE COMDIE
et par autorit qui d'ici descend,
un tel amour convient qu'en moi s'imprime,
car le bien, en tant que bien, peine connu
enflamme amour, et d'autant plus grand
que plus de bont il porte en soi.
Donc, l'essence o est tel avantage
que tout bien qui hors d'elle se trouve
n'est autre que lumire porte par son rayon,
plus qu'en tout autre convient que se dirige,
en aimant, l'esprit de chacun qui discerne
le vrai en quoi se fonde cette preuve.
Ce vrai mon esprit le dclare
celui qui me dmontre l'amour tre
premier des substances ternelles.
Le dclare la voix du vridique auteur*
qui dit Mose en parlant de soi :
"Je te ferai voir toute valeur"
Me le dclares encore toi-mme, au dbut*
de la haute annonce qui crie le mystre
d'ici, l-bas, plus que tout autre ban.
Et j 'entendis : Par humaine raison
et par autorits qui elle s'harmonisent
de tes amours pour Dieu tu gardes le plus grand.
Mais dis encore si tu sens d'autres cordes
te tirer vers lui, afin qu'on entende
de combien de dents cet amour te mord.
Ne me fut cle la sainte intention
de l'aigle du Christ, mais bien m'aperus
o il voulait mener ma profession.
Je repris donc : Toutes les morsures
qui peuvent faire tourner le cur vers Dieu,
ma charit toutes ont concouru :
car l'tre du monde, mon tre,
la mort qu'Il souffrit pour que je vive,
et ce qu'espre tout fidle comme moi,
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
PARADIS. CHANT XXVI
avec la vive connaissance dj dclare,
m'ont retir de la mer du faux amour
et de l'amour vrai m'ont pos sur la rive.
Les feuilles dont est feuillu le jardin
du jardinier ternel je les aime la mesure
du bien qu'en elles il a port.
Sitt que je me tus un trs doux chant
rsonna par le ciel, et ma dame
disait avec les autres : Saint, saint, saint !
Et comme lumire vive on sort du sommeil,
par l'esprit visuel qui revient
la splendeur pntrant les paupires,
et le rveill ne reconnat ce qu'il voit
tant inconsciente est la soudaine veille
avant que le jugement le secoure,
ainsi de mes yeux Batrice chassa jusqu'aux
moindres poussires, par le rayon des siens
qui resplendissait plus de mille milles ;
aussi mieux encore qu'avant je vis ensuite
et, plein de stupeur, je demandai qui tait
une quatrime lumire que je vis avec nous.
Et ma dame : Dedans ces rayons
adore son crateur la premire me*
que jamais cra la premire vertu.
Comme le rameau qui incline sa cime
au passage du vent et puis se relve
par sa propre vertu qui la redresse,
ainsi fis-je, dans le temps qu'elle parla,
tonn, et puis me rendit assurance
un dsir de parler dont je brlais.
Et je commenai : 0 fruit qui seul
fut cr mr, pre antique
qui toute pouse est fille et bru,
dvotement, autant que je puis, te supplie
de me parler : tu connais mon dsir,
et, pour t'entendre vite, je ne le dis.
49
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
490
LA DIVINE COMDIE
Parfois un animal couvert s'agite
de sorte que ce qu'il dsire apparat
par le mouvement qu'il imprime l'enveloppe,
semblablement cette me premire-ne
me faisait apparatre par sa lumire
combien joyeuse elle venait me complaire.
Puis spira : Sans tre profr
par toi, ton dsir je le discerne mieux
que toi la chose dont tu es le plus sr,
parce que je le vois au miroir vridique
qui de soi fait parhlie aux choses
et nulle ne le fait de soi parhlie.
Tu veux entendre quand Dieu me plaa
dans le haut jardin o ta dame
te dirigea par si longue monte,
et combien de temps fut joie pour mes yeux,
et la vraie cause du grand courroux,
et l'idiome dont j 'usai et que je fis.
Or, mon fils, ce n'est pas d' avoir godt l' arbre
qui fut pour moi cause de tel exil,
mais seulement d'avoir pass le signe.
Puis l, d'o ta dame fit sortir Virgile,
quatre mille trois cent et deux tours
du soleil je dsirai ce concile,
et je le vis revenir, toutes les lumires
de son chemin, neuf cent trente fois
durant que je fus sur la terre.
La langue que je parlai fut tout entire teinte
avant qu' son uvre inachevable
fdt la gent de Nemrod attentive :
car nulle uvre de raison jamais,
par le plaisir humain qui change
selon le ciel, ne fut toujours durable.
uvre de nature est qu'homme parle
mais ainsi ou ainsi, nature vous laisse
faire selon ce qui vous plat.
133
136
139
142
PARADIS. CHANT XXVI
Avant que je descendisse l'angoisse d' enfer,
I, s' appelait sur terre le bien suprme
de qui me vient la liesse qui m'enveloppe
El, s' appela ensuite, et ce fut bien,
car l'usage des mortels est comme feuille
en l'arbre : l'une s'en va et l'autre vient.
Sur le mont qui plus s'lve au-dessus de l'onde
je fus, avec vie pure puis dshonnte,
de la premire heure celle qui, lorsque le soleil
change de quadrant, suit l'heure de sexte.
Chant XXVII
1 Au Pre au Fils, l'Esprit Saint
gloire ! commena tout ensemble le paradis,
et la douceur du chant m'enivrait.
4 Ce que je voyais me semblait un rire
de l'univers, car mon ivresse
entrait par l'oue et par la vue.
7 0 joie ! ineffable allgresse !
vie tout entire d' amour et de paix !
sans convoitise richesse sre !
10 Devant mes yeux les quatre flambeaux
restaient enflamms et celui qui vint le premier
commena se faire plus vif,
13 et tel devint en son aspect
comme deviendrait Jupiter si avec Mars,
tant oiseaux, ils changeaient leurs plumes.
16 La providence, qui ici rpartit
charges et offices, dans le bienheureux chur
avait remis le silence de toute part,
19 quand j 'entendis : Si je me transcolore
ne t'tonne, car durant ma parole
tu verras transcolorer tous ceux-ci.
22 Celui qui usurpe sur terre mon sige,
mon sige, mon sige qui est vacant
en la prsence du Fils de Dieu,
25 a fait de mon cimetire un cloaque
492
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PARADIS. CHANT XXVII
de sang, de puanteur, dont le pervers
qui tomba d'ici, tout en bas se rjouit.
Cette couleur qui peint une nue
au matin et au soir, en face du soleil,
sur le ciel entier je la vis se rpandre.
Et, comme honnte dame qui demeure
sre de soi et seulement d' entendre
la faute d'autrui se fait craintive,
ainsi Batrice changea de visage ;
et je crois que telle clipse se fit au ciel,
lorsque souffrit la suprme puissance.
Puis poursuivirent les paroles de la flamme,
d'une voix elle-mme si change,
que son aspect ne changea davantage.
Elle ne fut nourrie, l'pouse du Christ*,
de mon sang, du sang de Lin, de Clet,
pour servir acqurir de 1 'or,
mais pour acqurir cette vie heureuse
et Sixte, et Pie, et Calliste, et Urbain
versrent leur sang aprs beaucoup de larmes.
Ne fut notre intention qu' droite
de nos successeurs siget une partie
du peuple chrtien, et l' autre partie gauche,
ni que les clefs qui me furent remises
devinssent blason sur tendard
qui combattt contre des baptiss,
ni que je fusse effigie de sceau
pour privilges vendus et mensongers,
dont souvent je rougis et tincelle.
En habit de berger des loups rapaces
se voient d'ici sur toutes les ptures :
justice de Dieu pourquoi dors-tu ?
A boire notre sang Cahorsins et Gascons
s' apprtent, bon commencement
quelle vile fin te faut-il tomber ?
493
LA DIVINE COMDIE PARADIS. CHANT XXVII
61 Mais la haute providence qui avec Scipion 97 Et la vertu que son regard m'infusa
dfendit Rome la gloire du monde, m'arracha au beau nid de Leda*
apportera secours bientt comme je le pense. et me lana au ciel le plus rapide.
64 Et toi, mon fils, qui par ton poids mortel, lOO Ses rgions proches ou lointaines
retourneras encore en bas, ouvre la bouche sont si semblables que ne sais dire
et ne cache pas ce que je ne cache pas. laquelle Batrice me choisit pour lieu.
67 Comme vapeurs geles tombent en flocons 103 Mais elle qui voyait mon dsir
dans notre air lorsque la corne commena, riant, si joyeuse
de la Chvre au ciel touche le soleil, que Dieu semblait jouir dans son visage :
70 ainsi en haut vis-je l'ther se parer 106 La nature du monde qui tient en repos
et floconner de vapeurs triomphantes, le centre, et tout le reste meut autour,
qui avaient l avec nous sjourn. ici commence comme son terme.
73 Mon regard suivait leurs apparences 109 Et ce ciel n' a d'autre lieu
et les suivit jusqu' tant que la grande que l'esprit divin o s'allume l'amour
distance l'empcha d'aller plus avant. qui le meut et la vertu qu'il pleut.
76 Et ma dame, qui me vit quitte 1 1 2 Lumire et amour l'entourent de leur cercle,
de regarder vers le haut, me dit : comme lui les autres, et cette ceinture
Baisse les yeux et vois combien tu as tourn. celui seul qui la ceint l'entend.
79 Depuis l'heure o j 'avais regard d' abord, 1 1 5 Son mouvement n' est mesur par aucun autre
je me vis transport par l'arc entier que fait mais les autres sont mesurs par lui,
du milieu la fin le premier climat ; comme dix par moiti et cinquime.
82 et je voyais, au-del de Gads, le passage 1 1 8 Et comment le temps tient en ce vase
insens d'Ulysse, et, de , le rivage* ses racines, et dans les autres ses rameaux,
sur lequel Europe se fit doux fardeau*. dsormais cela pour toi peut tre clair.
85 Et plus m' aurait t dcouvert le site 121 0 cupidit qui enfonce les mortels
de cet arpent, mais le soleil avanait si profond sous toi qu'aucun n'a le pouvoir
sous mes pieds, distant d'un signe et plus. de soulever les yeux hors de tes ondes !
88 Mon esprit enamour qui toujours 124 Bien fleurit chez les hommes le vouloir,
amoureusement cherche ma dame, de reporter mais la pluie continue transforme
sur elle mes yeux, plus que jamais brlait ; en avortons les prunes vritables.
91 et si nature ou art firent des appts, 127 Foi et innocence se trouvent seulement
prendre les yeux pour avoir l' me, chez les petits enfants, et puis elles
en chair mortelle ou en ses peintures, fuient avant que les joues soient couvertes.
94 tous rassembls apparatraient nant 130 Tel, balbutiant encore, jene,
auprs du plaisir divin qui m'blouit qui ensuite dvore, la langue dlie,
quand je me tournai vers ses yeux riants. toute nourriture par toute lune,
494 495
133
136
139
142
145
148
LA DIVINE COMDIE
t tel balbutiant aime et coute
sa mre, et en belle parole
ensuite dsire la voir ensevelie.
Ainsi se fait noire la peau, blanche
en son premier aspect, de la belle fille
de celui qui apporte matin et soir laisse.
Toi, pour que tu n'en fasses mereille,
pense que sur terre il n'est qui gouverne,
ce pourquoi est dvie l'humaine famille.
Mais avant que tout janvier sorte de l'hiver,
pour le centime qu'en bas on nglige,
tant rayonneront ces cercles clestes
que la fortune si longtemps attendue
tournera les poupes o sont les proues,
si bien que la flotte courra droit
et vrai fruit viendra aprs la fleur.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
Chant XXVIII
Aprs qu' l'encontre de l a vie prsente
des misrables mortels, rvla le vrai
celle qui emparadise mon esprit,
comme celui qui voit dans un miroir
flamme de torche allume derrire lui
avant qu'il l'ait aux yeux ou en pense,
et se retourne pour voir si le verre
dit le vrai, et voit qu'il s' accorde
avec lui comme note son rythme,
ainsi fis-je, ma mmoire se souvient,
regardant dans les beaux yeux
o pour me prendre Amour fit la corde.
Et comme je me retournai et que les miens
furent frapps par ce qui apparat dans cette sphre
quand sur son cours on porte bien les yeux,
je vis un Point d'o rayonnait lumire
si aigu que le regard qu'il brle
doit se fermer pour ce trop grand clat,
et telle toile qui d'ici parat la plus petite
paratrait lune auprs de lui place
comme une toile auprs d'une autre toile.
A la mme distance, peut-tre, que le halo parat
ceindre la lumire qui lui donne couleur
quand la vapeur qui le porte est plus dense,
autour du Point un cercle de feu
497
LA DIVINE COMDIE PARADIS. CHANT XXVIII
tournait si vite qu'il aurait vaincu 61 Ainsi ma Dame, puis elle dit : Prends
le mouvement qui plus rapide ceint le monde. ce que je te dirai si tu veux tre rassasi,
28 Et il tait d'un autre encercl, et tout autour tu peux subtiliser.
celui-ci d'un troisime, puis le troisime du quatrime, 6 Les cercles corporels sont amples et troits
du cinquime le quatrime puis du sixime le selon le plus et le moins de vertu
[cinquime. qui s'tend en toutes les parties.
31 Dessus suivait le septime si tendu 67 Plus grande bont doit faire plus grand bien,
en largeur, que le messager de Junon plus grand bien est dans un plus grand corps
pour le contenir entier serait troit : s'il a ses parties galement parfaites.
34 ainsi le huitime et le neuvime, et chacun 70 Donc celui-ci, qui entrane tout entier
plus lentement tournait selon l'autre univers avec lui, correspond
qu'tait en nombre plus distant de l'un, au cercle qui plus aime et plus sait,
37 et avait la flamme plus vive le moins 73 donc si la vertu tu appliques
distant de l'tincelle pure la mesure, et non l'apparence
car, je pense, plus d'elle se pntre. des substances qui t'apparaissent rondes,
40 Ma dame, qui me voyait en suspens 76 tu verras une admirable correspondance,
de fort souci, dit : De ce point de plus grand plus et de moins grand moins,
dpend le ciel et toute la nature. en chaque ciel selon son intelligence.
43 Regarde le ciel qui plus lui est conjoint 79 Comme demeure splendide et serein
et sache que son mouvement est si rapide l'hmisphre de l'air quand souffle
de par l'amour brlant dont il est point. Bore de sa joue la plus douce,
4 Et moi elle : Si le monde tait dispos 82 parce que se purge et se dissout la brume
avec l'ordre que je vois en ces roues, qui d' abord le troublait, et le rire du ciel
m' aurait rassasi ce qui m'est propos ; clate dans ses beauts de toute part,
49 mais dans le monde sensible, on peut 85 ainsi me fis-je aprs que m'eut pou
voir les sphres d' autant plus divines ma dame par sa rponse claire
qu'elles sont du centre plus loignes. et le vrai parut comme toile au ciel.
52 D'o si mon dsir doit tre combl 88 Et lorsque ses paroles se turent,
en cet admirable temple anglique non autrement qu'tincelle le fer
qui a seulement amour et lumire pour confins, qui bout, les cercles tincelrent :
55 il me faut encore entendre comment le modle 91 chaque tincelle filait avec son incendie
et l'image ne vont pas d' accord, et elles taient tant que leur nombre
car par moi-mme en vain je le contemple. par milliers passait le doubler des checs.
58 Si tes doigts ne sont suffisants 94 J'entendais hosanner de chur en chur
pour dfaire ce nud ce n'est merveille, au Point fixe qui les tient leur lieu
tant pou n' tre tent il s'est fait du ! et les tiendra toujours o toujours furent.
498 499
97
100
103
106
109
1 12
1 1 5
1 1 8
121
124
127
130
500
LA DIVINE COMDIE
Et elle, qui voyait en mon esprit
les penses incertaines, dit : Les premiers cercles
t'ont montr Sraphins et Chrubins.
Rapides ainsi, ils suivent leur lan
pour se faire semblables au point tant que peuvent,
et peuvent d'autant qu'ont vue plus haute.
Ces autres amours qui vont autour d'eux
s'appellent Trnes du divin aspect,
ce pourquoi terminent le dernier terne.
Et tu dois savoir que tous ont joie
selon que leur vue pntre le vrai
o trouve sa paix toute intelligence.
De l on peut voir comment se fonde
la batitude dans l'acte qui voit,
non en celui qui aime qui vient en second,
et du voir est mesure le mrite
qu'enfante grce avec bon vouloir :
ainsi on avance de degr en degr.
L'autre terne, qui ainsi bourgeonne
en ce printemps sempiternel
que Blier nocturne ne dpouille,
perptuellement chante ' ' Osanna ' '
avec trois mlodies qui sonnent en trois
ordres de liesse o se forme le terne.
En cette hirarchie sont les trois desses :
d'abord Dominations et puis Vertus
et le troisime ordre est Puissances.
Ensuite dans les deux pnultimes jubilations
tournent Principauts et Archanges ;
le dernier est tout de jeux angliques.
Ces ordres tous en haut s' extasient
et en bas sont si puissants que vers Dieu
tous sont tirs et tous tirent.
Denys avec un tel dsir se mit
contempler ces ordres
qu'il les nomma et distingua comme je fais.
133
136
139
PARADIS. CHANT XXVIII
Mais Grgoire ensuite se spara de lui,
et puis, peine ouvrit-il les yeux
dans ce ciel, que de lui-mme il rit.
Et si une vrit si cache put la dire*
un mortel sur terre, n'en sois tonn
car celui qui l'a vue ici la lui rvla,
avec bien d'autres vrais de ces sphres.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
502
Chant XXIX
Lorsque les deux enfants de Latone*,
sous le Blier et la Balance,
se trouvent aux marges de l'horizon,
de l'instant que le znith les quilibre
celui o l'un et l'autre de cette ceinture,
en changeant d'hmisphre, se librent,
fut le temps que, le visage peint de rire,
Batrice se tut, le regard fix
dans le point qui r
'
avait vaincu.
Puis elle commena : Je dis, sans te demander,
ce que tu veux entendre, parce que je l'ai vu
l o se centre tout lieu et tout temps.
Non pour acqurir un bien soi,
qui ne se peut, mais afin que sa splendeur
pt en resplendissant dire : "J'existe",
en son ternit, hors du temps,
hors de tout espace circonscrit, comme lui plut,
l'ternel amour s'ouvrit en nouveaux amours.
Non qu'avant il restt comme dormant,
car ni avant ni aprs ne procda
le passage de Dieu sur ces eaux.
Forme et matire conjointes et pures
sortirent l'tre, sans dfaut,
comme d'arc trois cordes trois flches.
Et comme en verre, en ambre, ou en cristal,
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PARADIS. CHANT XXIX
rayon resplendit tel qu'il n'est
intervalle de l' arrive l' tre entier,
ainsi l'effet trorme de son seigneur
rayonna tout ensemble leur tre
sans distinction de commencement.
Concrs furent ordre et structure
aux substances, et furent cime dans le monde
celles en qui fut produit acte pur ;
pure puissance eut la partie d'en bas ;
au milieu tel lien unit puissance
et acte que jamais ne se dlie.
Jrme vous crivit que les anges
furent crs une longue suite de sicles
avant que ft fait l'autre monde,
mais le vrai est crit en maints lieux,
par ceux qu'inspira l'Esprit Saint,
et toi tu le verras si tu es attent :
la raison aussi le voit assez bien
car elle n'accepterait que les moteurs
fussent si longtemps hors de perfection.
Ores tu sais o et quand ces amours
furent crs et comment, ainsi teintes
sont, en ton dsir, trois ardeurs.
Et on n'arriverait, comptant, jusqu' vingt
aussi vite qu'une partie des anges
troubla le sujet de vos lments,
l'autre partie resta et commena cet a
que tu dcouvres, et avec tant de joie
que jamais ne cesse de tourner.
Cause de la chute fut la maudite
superbe de celui que tu as vu
contraint par tous les poids du monde.
Ceux que tu vois ici eurent l'humilit
de se reconnatre uvre de la bont
qui les avait faits aptes tant comprendre ;
503
61
6
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
504
LA DIVINE COMDIE
quoi leurs vues furent si exaltes,
par grce illuminante et par leur mrite,
qu'ils ont ferme et pleine volont.
Et je veux que tu n'aies doute, mais sois certain
que recevoir la grce est mritoire
selon que le cur lui est ouvert.
Dsormais autour de ce consistoire
tu peux bien contempler sans mon aide,
si mes paroles sont recueillies.
Mais parce que sur terre en vos coles
on lit que la nature anglique
est telle qu'entend, se souvient et veut,
je parlerai encore pour que tu voies pure
la vrit qui en bas est confuse
par quivoque, en si faite lecture.
Ces substances, aprs que se furent jouies
de la face de Dieu, ne dtournrent la vue
d'elle, qui rien ne se cache,
par suite elles n' ont la vue arrte
par nul objet, et par suite n'ont besoin
de remmorer pour concept loign,
ainsi, en bas, sans dormir on rve,
croyant et ne croyant pas dire vrai,
mais en l'un plus est de faute et vergogne.
Vous n'allez, en bas, par un seul sentier
en philosophant, tant vous transporte
l'amour et le dsir de paratre !
Et cela encore on le supporte ici
avec moins de courroux que quand est dlaisse
la divine criture, ou quand elle est fausse.
Vous n'y pensez combien de sang en cote
la semer dans le monde, et combien plat
celui qui humblement lui est proche.
Pour apparatre chacun s'ingnie et fait
ses inventions, et sont prsentes
par prcheurs, et l'

vangile se tait.
97
lOO
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
PARADIS. CHANT XXIX
L'un dit que la lune se retourna
la passion du Christ et s'interposa
et la lumire du soleil n'arriva en bas,
et il ment, car la lumire se cacha
d'elle-mme, et aux Espagnols et aux Indiens
comme aux J us l'clipse fut commune.
Florence n'a de Lapi et de Bindi autant
que de telles fables chaque anne
en chaire ici et l se dbitent,
si bien que les brebis, qui ne savent,
reviennent du pturage nourries de vent,
et ne les excuse ne voir le dommage.
N'a dit Christ son premier couvent
"Allez et prchez au monde des sottises",
mais leur donna fondement de vrit ;
et tant sonna par leurs bouches
qu' combattre, pour allumer la foi,
de l'

vangile firent cu et lances.


Ores l'on va avec bons mots et bouffonneries
prcher ; et pou que bien l'on rie
la capuche est gonfle et on ne demande plus.
Mais tel oiseau niche la pointe
que si les gens le voyaient, ils verraient
quelles indulgences ils ont foi,
par quoi tant de folie a cru sur terre
que, sans preuve d' aucun tmoignage,
toute promesse ils accourraient.
De cela s' engraisse le porc de saint Antoine,
et d' autres encore qui sont bien plus porcs,
payant avec de fausse monnaie.
Mais, parce que nous avons fait trop longue digression,
reporte tes yeux ores vers la voie droite,
de sorte que la route s'abrge avec le temps.
Cette nature de degr en degr tant s'accrot
en nombre, que jamais ne fut langue
ni concept mortel qui allt aussi loin,
505
133
136
139
142
145
LA DIVINE COMDIE
et si tu regardes ce qui est rvl
par Daniel, tu verras qu'en ses milliers*
le nombre exact se cache.
Le premier feu, qui toute l'illumine,
en elle se reoit d'autant de faons
qu'il est de splendeurs qui il s'unit ;
d'o, puisqu' l'acte qui conoit
suit le cur, la douceur d' aimer
diversement en elle est ardente ou tide.
Ores vois la hauteur et la largeur
de l'ternelle valeur qui s'est fait
tant de miroirs en qui se morcelle,
demeurant une en soi comme devant.
1
4
7
10
13
Chant XXX
Peut-tre six mille milles loin de nous
brle l'heure sexte, et notre monde
incline dj son ombre presque l'horizon,
quand la vote du ciel si profonde
commence se faire telle que quelques toiles
perdent leur clat nos yeux,
et comme s' avance la trs claire
ancelle du soleil, le ciel s'teint
d'toile en toile jusqu' la plus belle.
Non autrement le triomphe, qui toujours
s'jouit autour du point qui me vainquit,
et qui parat enclos par ce qu'il enclt,
peu peu ma vue s' teignit ; je fus alors
contraint de ramener mes yeux Batrice
et par amour et par non voir.
16 Si tout ce qui d'elle jusqu'ici s'est dit
tait enferm dans une seule louange
ce serait peu pour remplir cet office.
19 La beaut que je vis non seulement va
au-del de notre porte, mais je crois fermement
que seul son crateur jouit d' elle entirement.
22 Par ce passage je me connais vaincu,
plus que le ft jamais par un point de son thme
auteur comique ou tragique,
25 car, comme le soleil la vue qui plus tremble,
507
LA DIVINE COMDIE
ainsi la remembrance du doux rire
de moi-mme spare mon esprit.
28 Du premier jour o je vis son visage
en cette vie, jusqu' cette vue,
la suite de mon chant n'a pas t brise,
31 mais ores convient que je renonce
suivre sa beaut par mes vers,
comme tout artiste son dernier effort.
34 Elle, que je laisse voix plus puissante
que celle de mon chant qui conduit
son terme la matire ardue,
37 avec geste et voix de guide expert
reprit : Nous sommes passs, hors
du plus grand corps, au ciel qui est pure lumire,
40 lumire intellectuelle pleine d' amour,
amour du vrai bien plein de liesse,
liesse qui transcende toute douceur.
43 Ici tu verras l'une et l'autre milice
de paradis et l'une en cet aspect
que tu verras l'ultime justice.
46 Comme soudain clair qui disperse
les esprits de la vue et prive l'il
de percevoir objets plus lumineux,
49 ainsi r
'
enveloppa lumire vive
et me laissa couvert de tel voile
de sa fulgurance que rien ne m'apparaissait.
52 Toujours l' amour qui apaise ce ciel
accueille en soi avec pareil salut,
pour faire dispos sa flamme le cierge.
55 Ne furent plus tt en moi venues
ces

brves paroles, que je compris
tre surlev plus haut que ma vertu,
58 et de nouvelle vue me rallumai
telle qu'il n'est lumire si pure
que mes yeux ne pussent soutenir.
508
61
64
67
70
73
76
79
82
85
88
91
94
PARADIS. CHANT XXX
Et je vis une lumire en forme de rivire
fulgurante de fulgueur entre deux rives
peintes d'un admirable printemps.
Du large fleuve sortaient des tincelles vives
et de toute part se mettaient dans les fleurs
tels des rubis encercls d'or ;
puis comme enivres par les senteurs
se replongeaient dans l'admirable gouffre
et l'une entrant l'autre venait dehors.
Ce haut dsir qui ores t'enflamme et te presse
d'avoir connaissance de ce que tu vois,
tant plus me plat que plus est intense.
Mais de cette eau il convient que tu boives
avant que telle soif en toi s' apaise ,
ainsi me dit le soleil de mes yeux.
Et puis ajouta : Le fleuve et les topazes
qui entrent et sortent, et le rire des herbes
sont ombre et annonce du rel ;
non que de soi ces choses soient obscures,
mais c'est dfaut qui vient de ton ct,
car tu n'as encore la vue assez superbe.
Il n'est petit enfant qui si soudain se rue
le visage vers le lait, s'il s'veille
beaucoup plus tard qu'il n'est accoutum,
comme je fis pour faire de mes yeux
miroirs encore meilleurs, me penchant sur 1 'onde
qui l s'coule pour qu'on s'y amliore.
Et peine le bord de mes paupires
et-il bu de cette eau, qu'elle m'apparut
de longue tre devenue ronde.
Puis, comme gens vtus en travestis
paraissent autres, s'ils enlvent
l'apparence d'emprunt qui les cacha,
ainsi se transformrent en plus grande fte
et les fleurs et les tincelles, et je vis
clairement les deux cours du ciel.
509
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
121
127
130
510
LA DIVINE COMDIE
0 splendeur de Dieu par qui je vis
le haut triomphe du royaume vritable,
donne-moi force pour dire comme je le vis.
Lumire est l-haut qui rend visible
le crateur cette crature
qui seulement le contempler a sa paix.
Et elle s'tend en forme circulaire
si loin que sa circonfrence
serait au soleil trop large ceinture,
toute son apparence est faite de rayon
rflchi au sommet du premier mobile
qui y prend vie et puissance.
Et comme u coteau dans l'eau son pied
se mire, comme pour se voir par
quand il est riche de verdure et de fleurs,
ainsi dominant la lumire tout autour
je vis se mirer en plus de mille gradins
ceux qui de chez nous ont fait l-haut retour.
Et si le plus bas degr recueille en soi
si grande lumire, quelle peut tre la largeur
de cette rose en ses ptales extrmes !
Mon regard dans l' ampleur et la hauteur
ne s'garait et embrassait ensemble
et nombre et valeur de cette allgresse.
Prs et loin, l, ne donne et n'te,
car o Dieu gouverne sans milieu
la loi naturelle n' a que faire.
Au cur dor de la rose sempiternelle
qui se dilate et monte et exhale son parfum
de louange au soleil d'ternel printemps,
tel celui qui se tait et voudrait dire,
m'entrana Batrice et dit : Regarde
combien est grand le couvent des robes blanches !
Vois notre cit combien s'tend son cercle !
vois nos siges si remplis
que peu de gens on y dsire en plus.
133
136
139
142
145
148
PARADIS. CHANT XXX
Et sur ce grand sige o tu tiens les yeux
pour la couronne qui dj est pose,
avant que tu ne manges ces noces
sigera l' me qui sera sur terre auguste
du noble Henri qui redresser l' Italie
viendra avant qu' elle soit dispose.
L'aveugle cupidit qui vous ensorcelle
vous a faits semblables au petit enfant
qui meurt de faim et chasse sa nourrice ;
et sera prfet alors au tribunal divin*
tel qui ni dcouvert ni en secret
n' ira avec lui par un mme chemin.
Mais peu de temps sera souffert par Dieu
au saint office, il sera enfonc
l o Simon le Mage a mrit d'tre*
et il poussera plus bas l'homme d' Anagni*.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
512
Chant XXXI
En forme donc de rose blanche
m' apparaissait la milice sainte
que, dans son sang, Christ fit son pouse ;
mais l'autre, qui en volant voit et chante
la gloire de celui qui l' enamoue
et la bont qui la fit telle,
comme essaim d'abeilles qui tou tou
entre dans les fleus et puis retoune
l o son travail prend saveu,
descendait dans la grande fleu orne
de tant de feuilles, et de l remontait
l o son amou toujous sjoune.
Toutes les faces taient de flamme vive
et les ailes d'or, et le reste si blanc
qu'aucune neige ce point n'arrive.
Quand ils descendaient dans la fleu de banc en banc
ils apportaient cette paix et cette ardeu
qu'au vent de leus ailes ils allaient chercher.
S'interposant entre le haut et la fleu
une telle plnitude volante
n'empchait la vue ni la splendeu,
car la lumire divine pntre
dans l'univers selon qu'il est digne
et rien ne peut lui tre obstacle.
Ce joyeux et assu royaume,
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
5
PARADIS. CHANT XXXI
rempli de gens antiques et nouveaux,
avait vue et amour dirigs vers un point.
Oh lumire trine qui en unique toile
scintillant leurs yeux tant les contente,
regarde ici-bas notre tempte.
Si les barbares venant de tel pays,
qui chaque jour se couvre d' Hlice*
tounant avec son fils qui a tout son amour,
voyant Rome et ses uvres ardues
fuent stupfaits, quand Latran
dpassa toute chose mortelle,
moi qui de l'humain au divin,
du temps l'ternel tais venu,
et de Florence un peuple juste et sain,
de quelle stupeur devais-je tre saisi !
Entre la stupeur et la joie m'tait doux
ne rien entendre et rester muet.
Et comme un plerin qui se rcre
au temple de son vu regardant,
et espre dj redire comme il tait,
l-haut par la vive lumire allant
je promenais mes yeux su les gradins
ores en haut, ores en bas, ores la ronde.
Je voyais des visages invitant l'amou, pars
de la lumire de Dieu et de leu propre rire,
en attitudes toutes de dignit.
La forme gnrale du paradis
dj mon regard l'avait toute embrasse
et nulle part encore ne s' tait arrt,
et je me tounai avec dsir renflamm
d'interroger ma dame sur des points
qui tenaient mon esprit en suspens.
J'attendais une chose, une autre rpondit ;
je croyais voir Batrice et je vis un vieillard
vtu comme toute la gent glorieuse.
513
LA DIVINE COMDIE
61 Diffuse tait en ses yeux et son visage
une douce joie, et son geste
tait celui que prend u tendre pre.
6 Et : O est-elle ? dis-je aussitt,
et lui : Pour achever ton dsir
Batrice de ma place m'a envoy ;
67 et si tu regardes au troisime rang,
depuis le plus haut gradin, tu la reverras
sur le trne acquis par ses mrites.
70 Sans rpondre vers le haut je levai les yeux
et je la vis qui se faisait une couronne
en refltant sur elle les rayons ternels.
73 De cette rgion du plus lointain tonnerre
nul il mortel n'est loign,
mme abandonn au fin fond de la mer,
76 autant que de Batrice fut l ma vue,
mais rien ne me faisait car son image
descendait moi sans nul mlange.
79 0 dame en qui mon espoir prend vigueur
et qui pour mon salut souffris
en enfer laisser la trace de tes pas,
82 de tant et telles choses que j 'ai vues,
c'est de ta puissance et de ta bont
que j 'en reconnais la grce et la vertu.
85 Tu r
'
as d'esclave lev la libert
par toutes les voies, tous les moyens
qui pour ce faire avaient pouvoir.
88 Ta magnificence en moi protge-la,
pour que mon me, que tu as faite saine,
en te plaisant de mon corps se dnoue.
91 Ainsi priai-je et elle, lointaine
comme elle apparaissait, sourit et me regarda,
puis se tourna l'ternelle fontaine.
94 Et le saint vieillard : Afin que tu accomplisses
parfaitement , dit-il, ta route
quoi prire et saint amour m' envoient,
514
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
PARADIS. CHANT XXXI
que tes yeux volent par ce jardin
car le regarder disposera ta vue
mieux monter par le rayon divin.
Et la reine du ciel, pour qui d' amour
je brle, nous fera toute grce
car je suis son fidle Bernard .
Tel est celui qui vient de Croatie peut-tre,
pour voir notre Vronique
et par si longue faim ne s'en rassasie,
et dit en pense, tant qu'elle est montre :
Mon Seigneur Jsus-Christ, vrai Dieu,
ainsi donc fut fait votre visage ?
tel tais-je, mirant la vivante
charit de celui qui en notre monde
contempler gota cette paix.
Enfant de grce, cette vie de joie ,
commena-t-il, ne te sera connue
si tu tiens les yeux seulement ce fond,
mais regarde les cercles jusqu'au plus lointain,
jusqu' ce que tu voies siger la Reine
qui ce royaume est sujet dvotement .
Je levai les yeux et, comme au matin
la partie orientale de 1 'horizon
surpasse celle o le soleil dcline,
ainsi , comme de val montagne allant
du regard, je vis tout en haut une partie
vaincre en lumire toutes les autres.
Et comme, l o l'on attend le timon,
que mal dirigea Phaton, est flamme plus vive
alors que et l la lumire diminue,
ainsi cette pacifique oriflamme
au milieu s' avivait, et de toute part
de mme faon palissait la flamme.
Et, en ce milieu, les ailes ouvertes,
plus de mille anges en liesse je vis
chacun tant distinct et de splendeur et d'art.
515
133
136
139
LA DIVINE COMDIE
Je vis ici leur fte et leurs chants
rire une beaut qui mettait joie
aux yeux de tous les autres saints ;
et euss-je tant de richesse pour die
et pour imaginer, je n'oserais
le moindre essai de ses dlices.
Bernard quand il vit mes yeux
en sa chaude chaleur fixes et attentis
tourna les siens avec tant d'amour elle
142 qu'il fit les miens mirer plus ardents.
Chant XXXII
1 Tendu vers son amour, ce contemplant
prit librement office de docteur
et commena ces paroles saintes :
4 La plaie que Marie pansa et referma,
celle qui est si belle ses pieds
c'est elle qui l'ouvrit et la creusa.
7 Au rang que forment les troisimes siges
est assise, au-dessous d'elle, Rachel
avec Batrice, comme tu vois.
10 Sarah et Rebecca, Judith et celle
qui fut l' aeule du chantre qui par deuil
de son pch dit "Mierere mei ' ' ;
13 tu peux les voi ainsi de seuil en seuil
en descendant mesure qu'en les nommant
je vais par la rose de feuille en feuille.
16 Et du septime gadin, vers le bas comme
en haut, se succdent des J nives
divisant en deux parts toute la fleur,
19 car selon le regard que porta
la foi en Christ, elles sont le mur
o se partagent les tages sacrs.
22 De cette part o la fleur est me,
dans toutes ses feuilles sont assis
ceux qui crurent en Christ venir ;
25 de l'autre part, o les demi-cercles
517
LA DIVINE COMDIE
PARADIS. CHANT XXXII
sont coups de vides, se tiennent
61 Le roi par qui ce royaume repose
ceux qui en Christ venu eurent leurs regards. en tant d'amour et tant de dlices
28 Et comme, de ce ct, le glorieux sige que nulle volont n'en peut dsirer plus,
de la dame du ciel et les autres siges 6 crant toutes les mes sous son regard joyeux,
au-dessous marquent cette sparation, son plaisir de grce les dote
31 ainsi, en face, celui du grand Jean
diversement ; et te suffise l' effet.
qui, toujours saint, souffrit le dsert
67 Et cela est exprim clairement
dans la sainte

criture par ces jumeaux*


et le martyre, et puis l'enfer deux ans,
qui dans leur mre furent d'ire soulevs.
34 au-dessous de lui, telle sparation chut
70 Partant selon la couleur des cheveux
Franois, Benot et Augustin
convient que la trs haute lumire
et d'autres jusqu' au bas de cercle en cercle.
dignement les couronne de telle grce.
37 Ores considre la haute providence divine,
73 Donc sans l' aide de leurs uvres
car l'un et l'autre aspect de la foi
sont placs en gradins diffrents,
galement emplira ce jardin ;
diffrant seulement en leur premire vue.
40 et sache qu' au-dessous du degr qui coupe
76 Il suffisait durant les sicles neufs,
mi-hauteur les deux divisions
pour avoir le salut, avec l'innocence
nul ne sige par son propre mrite
simplement la foi des parents.
43 mais par celui d'autrui, certaines conditions ;
79 Aprs que les premiers ges furent accomplis,
car tous ceux-ci sont esprits librs
il fallut aux mles acqurir vertu
avant d' avoir eu libert de choix ;
leurs innocentes ailes par la circoncision ;
46 bien peux-tu t'en apercevoir aux visages
82 mais depuis que vint le temps de la grce,
et aussi leurs voix enfantines
sans le parfait baptme du Christ
si bien tu les regardes et si tu les coutes.
telle innocence en bas fut retenue.
49 Ores tu doutes et doutant ne dis rien ;
85 Regarde prsent le visage qui Christ
mais je vais dnouer le fort lien
plus ressemble, car seule sa clart
dont t'enserrent tes penses subtiles.
te peut disposer voir Christ.
52 Dedans l'ampleur de ce royaume
88 Je vis sur elle pleuvoir tant
rien de fortuit ne peut avoir place
d'allgresse porte par les saints esprits
pas plus que tristesse ou faim ou soif ;
crs pour voler travers ces hauteurs,
55 car par ternelle loi est tabli
91 que tout ce que, auparavant j 'avais vu,
tout ce que tu vois, et tout exactement
d'une telle admiration ne m'avait ravi
y correspond comme l' anneau au doigt.
ni montr de Dieu telle semblance.
58 Donc ces enfants si empresss
94 Et cet amour qui premier descendit
la vraie vie, ce n'est sans cause
chantant Ave Maria gatia plena #
s'ils ont ici place plus ou moins excellente.
devant elle dploya ses ailes.
518
519
97
100
103
106
109
1 1 2
1 1 5
1 18
121
124
127
130
520
LA DIVINE COMDIE
Rpondit la divine cantilne,
de toute part, la bienheureuse cour,
et tous les visages s'en firent plus lumineux.
0 pre saint, qui supportes pour moi
d'tre ici en laissant le doux lieu
o tu siges pour l'ternit,
quel est cet ange qui si joyeux
regarde dans les yeux de notre reine
enamour tant qu'il parat de feu ?
Ainsi eus-je recours encore la doctrine
de celui qui s'embellissait de Marie,
comme du soleil l'toile du matin.
Et lui moi : Hardiesse et grce,
autant qu'il en peut tre en ange et en me,
est en lui, et nous voulons que soit ainsi,
parce qu'il est celui qui porta la palme
en bas Marie, quand le Fils de Dieu
voulut se charger de notre fardeau.
Mais ores suis des yeux mesure que
je dirai, et note les grands patriciens
de cet empire trs juste et pieux.
Ces deux qui sigent l-haut, les plus heureux*
pour tre tout fait proches de notre impratrice,
sont de cette rose comme deux racines.
Celui qui se trouve sa gauche
est le pre dont le got trop hardi fit
que l'espce humaine gote tant d' amertume.
Du ct droit vois ce pre vnrable
de Sainte

glise auquel Christ les clefs


recommanda de cette fleur si belle.
Et celui qui vit avant de mourir
les temps durs de la belle pouse
qui fut conquise par la lance et les clous,
est assis prs de lui ; et prs de l' autre
ce guide sous qui vcut de manne
le peuple ingrat, mobile et rtif.
133
136
139
142
145
148
151
PARADIS. CHANT XXXII
En face de Pierre tu vois assise Anne,
si heureuse de contempler sa fille
ne la quitte des yeux en chantant hosanna ;
Et faisant face au pre de la famille humaine
est assise Lucie qui envoya ta dame
quand tu baissais le front devant l' abme.
Mais parce que fuit le temps qui t'ensommeille
nous mettrons l u point comme bon tailleur
qui, selon ce qu'il a de drap, fait la robe,
et nous dresserons nos yeux au premier amour,
afin que regardant vers lui tu pntres
autant qu'il est possible dans son feu.
Vraiment pour que, peut-tre, tu ne recules
en agitant tes ailes et croyant avancer,
il faut qu'en priant grce s'obtienne,
grce de celle qui peut t'aider ;
et toi tu me suivras avec ton amour
pour que de mon dire tu ne spares ton cur.
Et il commena cete sainte oraison.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
522
Chant XXXIII
0 Vierge mre, fille de ton Fils,
humble et haute plus que toute crature,
terme fix d'un ternel conseil,
tu es celle qui tant a ennobli
l'humaine nature que Celui qui la fit
n' a pas ddaign tre fait par elle.
En ton sein se ralluma l'amour
par l'ardeur duquel, dans l'ternelle paix,
ainsi a germ cette fleur cleste.
Tu es ici, pour nous, resplendissant flambeau
de charit, et en bas parmi les mortels
d'esprance tu es source vive.
Dame tu es si grande et si puissante !
qui veut une grce et toi ne recourt
il veut que son dsir vole sans ailes.
Ta bienveillance non seulement secourt
qui demande, mais maintes fois
libralement prvient la demande.
En toi misricorde, en toi piti,
en toi magnificence, en toi s' assemble
tout ce qu'il y a de bont en crature.
Or celui-ci, qui du plus profond abme
de l'univers jusques ici a vu
les vies des esprits une une,
implore de toi, par grce, vertu
28
31
34
37
40
43
4
49
52
55
58
PARADIS. CHANT XXXIII
telle qu'il puisse du regard s'lever
plus haut jusqu' l'ultime salut.
Et moi qui jamais n'ai brl pour voir
plus que je ne fais pour qu'il voie, mes prires
toutes je t'offre, et prie qu'elles ne soient faibles,
pour que tu le libres de tous les nuages
de sa mortalit, par tes prires,
et que le plus haut amour lui s'ouvre.
Encore je te prie, reine qui peux
ce que tu veux, que tu conserves sains
aprs une telle vision, ses dsirs.
Que ta garde triomphe des mouvements humains :
vois Batrice et tant de bienheureux,
unis ma prire, joignent vers toi les mains.
Les yeux chris et vnrs de Dieu
fixs sur l'orant montrrent
combien les pieuses prires lui agrent ;
puis vers l'ternelle lumire se dirigrent
en laquelle on ne doit croire que pntre
si clair le regard d'aucune crature.
Et moi qui au terme de tous dsirs
m'approchais, comme je le devais,
l'ardeur du dsir en moi j 'teignis.
Bernard souriait et me faisait signe
de regarder vers le haut, mais dj
j 'tais par moi-mme tel qu'il voulait,
car ma vue arrivant limpide
plus et plus entrait par le rayon
de la haute lumire qui par soi est vraie.
Pour ce qui suit, mon voir fut plus grand
que notre parler qui cde telle vue,
et cde la mmoire telle outrance.
Tel celui qui en songe voit
et, aprs le songe, le sentiment laisse
son empreinte et le reste l'esprit ne revient,
523
LA DIVINE COMDIE
61 tel suis-je car presque toute cesse
ma vision et encore me distille
au cur la douceur qu'elle fit natre.
6 Ainsi la neige au soleil perd sa forme,
ainsi au vent dans les feuilles lgres
se perdait la sentence de la Sibylle.
67 0 sublime lumire qui tant t'lves
au-dessus des penses mortelles,
reprte un peu ce que tu paraissais,
70 et fais ma langue si puissante
qu'une tincelle au moins de ta gloire
je puisse laisser la gent future,
73 car si elle revient un peu ma mmoire
et rsonne un peu en ces vers,
on concevra mieux ce qu'est ta victoire.
76 Je crois, par le dard que je reus
du vivant rayon, que j 'eusse t perdu
si mes regards s'en taient dtachs ;
79 et il me souvient que je fus ainsi plus hardi
pour le soutenir, tant qu'enfin je joignis
mon regard la valeur infinie. .
82 0 abondante grce, par qui j 'osai
plonger mon regard dans l'ternelle lumire
au point d'y consumer ma vue.
85 Dans sa profondeur je vis que s'interne,
li par l'amour en un volume,
ce qui par l'univers est en feuillets pars ;
88 substances et accidents et leurs proprits
comme fondus ensemble de telle faon
que ce que j 'en dis n'est que simple lueur.
91 De ce nud la forme universelle,
je crois que je l'ai vue, car en disant cela
je sens que plus large est ma joie.
94 Un point seul m'est plus grande lthargie
que vingt-cinq sicles l'entreprise
qui fit Neptune admirer l'ombre d' Argo.
524
97
lOO
103
106
109
112
115
1 18
121
124
127
130
PARADIS. CHANT XXXIII
Ainsi mon esprit tout en suspens
regardait fixe, immobile, attent,
et toujours de regarder s'enflammait davantage.
A cette lumire on devient tel
que s'en dtourner pour autre aspect
il est impossible d'y jamais consentir,
car le bien, objet du vouloir,
tout se rassemble en elle, et hors d'elle
est en dfaut ce qui en elle est parfait.
Dsormais sera plus courte ma parole,
mme pour ce dont j 'ai souvenir, que de l'enfant
qui baigne encore sa langue la mamelle.
Non que plus d'une seule image
ft dans la vivante lumire que je regardais,
car elle est toujours telle qu'elle tait avant,
mais par la puissance visuelle qui se fortiait
en moi regardant, un aspect unique,
alors que je changeais, en moi se transformait.
Dans la profonde et claire subsistance
de la haute lumire, me semblrent trois cercles
de trois couleurs et d'une contenance,
et l'un par l' autre comme Iris par Iris
paraissait rflchi, et le troisime paraissait feu,
de l'un et de l'autre galement man.
Oh combien est court mon dire et faible
mon concept ! et celui-ci pour ce que je vis
est tel que dire peu est trop peu.
0 lumire ternelle qui seule en toi reposes,
qui seule te connais et par toi connue
et te connaissant, aimes et souris !
Ce cercle qui, ainsi engendr,
paraissait en toi comme lumire rflchie,
mes yeux qui en faisaient le tour,
au-dedans de lui et de sa mme couleur,
me parut peint de notre image,
pour ce mon regard tout en elle tait plong.
525
LA DIVINE COMDIE
133 Tel le gomtre qui tout s' applique
mesurer le cercle et ne retrouve
en sa pense le principe qui lui manque,
136 tel tais-je cette vue tonnante,
je voulais voir comment s' tait unie
l'image au cercle et comment y a son lieu,
139 mais point ne suffisaient mes propres ailes :
alors mon esprit fut frapp d'un clair
fulgurant o s'accomplit mon dsir.
142 A la haute fantaisie ici manqua le soufle,
mais dj tournait mon dsir et vouloir,
comme roue qui galement est mue,
145 l' Amour qui meut le soleil et les autres toiles.
Notes
INTRODUCTION
1 . Enfer, XXXII, 12.
2. Purgatoire, XXXII, 104.
3. A ce sujet, voir Lucienne PoRTIER, La question des sources
islamiques de la Divine Comdie , Cahiers algriens de littrature
compare, 1966, p. 109-138.
4. Vita nuova, XXIX.
5. Paradi, XXII, 1 51 .
6 . Voir Lucienne PoRTIER, L vrai Purgatoire de Dante , Revue des
tudes italiennes, janvier-juin 1982, p. 168-180.
7. Purgatoire, 1, 71.
8. Purgatoire, Xl, 4.
9. L'ouvrage d' Yvonne BATARD, Les Dessins de Sandro Botticelli pour
l Divine Comdie, Olivier Perrin, dit. , 1952, rend accessibles certains
de ces dessins.
10. Une Batice qui a d'ailleurs deux aspects lgrement drents slon
que la pointe d'argent a t tenue par le Matre ou par un aide.
1 1 . Pour qui voudrait s' informer plus largement et compltement sur
Dante, sa vie, son milieu, son uvre, l' excellent manuel de Paul
RENUCCI , Dante, coll. Connaissance des Lettres , Ratier, 1958, est la
meilleure prparation la comprhension du pote.
12. Nombreuses se sont succd les traductions du Pome sacr. Au
cours des deux deriers sicles, marques les unes et les autes par l'pue
et par le type de traduction choisi, on a vu celle d' Artaut de Montor en
184 (rd. 1879) longemps apprcie. Puis vinrent celle de Lamennais
publie posthume en 1856 et l'Enfer de Littr en 1879.
A l' occasion du sixime centenaire de la mort de Dante ( 1921 ), Andr
Prat a prsent une nouvelle taduction. Henri Longnon son tour a
publi la sienne en 1938 ( rd. 1951 ) ; puis Alexandre Masseron en 1947.
Enfin Andr Pzard, dans la de la Pliade , a ralis le
travail gigantesque de traduire l'ensmble uvres du Florentin ; c'tait
529
LA DIVINE COMDIE
pou le septime centenaire de sa naissance en 1965 ; tout rcemment
Flammarion a donn une traduction de l'Enfer due Jacqueline Risset.
13. Lucienne PoRTIER, Dante, Paris, DDB, coll. Les crivains
devant Dieu , 1971 , 160 pages, p. 12-13.
ENFER
Chant I
31 , 43, 49, 101 . Les trois btes sont symbole d' esprit de jouissance, de
domination, de possession. Le Veltre, chien qui reprsente le sauveu
espr de l' Italie.
10-108. Nisus et Euale, Troyens ; Camille et Tuus, Latins ; les uns
et les autres luttant pou l 'Italie.
Chant I
13. ne descendit aux Enfers ( nide VI) .
28. L'aptre Paul fut lev au troisime ciel ( 2 Co 12, 2) .
78. Ciel de l a lune.
Chant II
60. Le pape Clestin V qui abdiqua sous la pression de celui qui lui
succda sous le nom de Boniface VIII ( selon la plus plausible des
hypothses).
94. Charon, nocher d'enfer. Dante change des personnages
mythologiques en dmons qui sont spcialement gardiens des cercles
infernaux. On rencontrera ainsi Minos, Cerbre, Plutus, Phlgias, les
Fuies et Mduse, le Minotaue, les Centaues, les Harpyes, Cacus, les
Gants de la fable auxquels le pote adjoint le gant biblique Nemrod.
531
LA DIVINE COMDIE
Chant IV
5. Le Christ, allusion la descente aux enfers.
58. Personnages de l'Ancien Testament.
121 . Personnages de l'istoire ou de la lgende.
129. Saladin, sultan d'Egypte ( 1 137-1 193) .
131 . Aristote.
136-14. Savants et philosophes de l'Antiquit, avec Orphe lgendaire
et Avicenne et Averros, Arabes du XI et du XII sicle.
Chant V
61 . Didon.
74. Francesca da Rimini et Paolo Malatesta, tus par le mari Gianciotto
Malatesta promis au cercle des tratres.
Chant VI
49-75. Ciacco annonce les malheus de Florence dchire entre la facion
des Cerchi, guelfes blancs, et celle des Donati, guelfes noirs. Le 1er mai
1300, agression des Donati contre les Cerchi ( Dino Compagni, Cronica 1,
22) . En 1301 , les Blancs vainqueurs exilent les Noirs. En 1302, ceux-ci
rentrent Florence et exilent les Blancs, dont Dante.
79. Farinata degli Uberti est parmi les hrsiarques ( chant X) ;
Tegghiaio et Jacopo Rusticucci avec les sodomites ( chants XVI, XVII) ;
Arrigo ne parat plus ; Mosca dei Lamberti avec les semeus de discordes
( chant XVIII) .
1 1 5. Plutus et Pluton ne faisant qu'un.
Chant VII
32. Filippo Argenti, riche Florentin de la famille des Adimari, guelfe
noir.
Chant IX
8. Batrice.
23. Erichton, magicienne de Thessalie.
532
NOTES. ENFER
Chant X
14. Du fait du matrialisme d'picue ( philosophe athnien, 342-256) ,
aux XI et XII sicles on appelait picuiens tous les hrtiques.
32. Dans l'histoire de la Toscane dchire, Farinata degli Uberti fut un
grand chef gibelin. En 1248, chasse de Florence les guelfes qui, en 1251 ,
rentrent dans la ville et en chassent les gibelins ; ceux-ci en 1260
Monteaperti battent les guelfes et Farinata s'oppose la destruction de
Florence suhaite par les vainqueus. En fut chass dfinitivement en 125
et mourut en 1264.
52. Cavalcante Cavalcanti, pre de Guido, pote, ami de Dante. Guido
guelfe noir fut exil en 1300 par les Blancs.
82. Dante, en exil depuis 1302, perdit tout espoir de retou en juillet
1304 aprs l'chec de La Lastra.
1 10. Guido est encore vivant, il moura la fin de 1300, mais les
damns ne pouvant connatre le prsent, son pre ne le sait pas.
1 19. Frdric II empereur et roi de Sicile, d'irrligion notoire, et le
Cardinal Ottaviano degli Ubaldini auquel on prte le mot : S'il y a une
me, j 'ai perdu la mienne pou les gibelins. P
Chant XI
8. Anastase II pape de 496 498 protgeait le diacre Photin de
Thessalonique qui professait la seule nature humaine du Christ.
50. Les sodomites punis du vice de luxue, et les Cahorsins du vice
d'usue ( telle tait la rputation de la ville de Cahors) .
1 13. La constellation des Poissons et l a Grande Ourse.
Chant XI
2 et 12. Le Minotaue.
17. Thse qui tua le Minotaure.
20. Ariane qui donna Thse le fil qui lui permit de sortir du
labyrinthe.
38. Le Christ descendu aux enfers.
107. Alexandre le Grand et Denys, tyran de Syracuse.
1 10. Azzolino da Romano, tyran de Padoue.
1 1 1 . Obizzo d'Este, marquis de Ferrare, touff sus un oreiller par sn
fils naturel Azzo VIII en 1293.
533
LA DIVINE COMDIE
1 19. Guy, comte de Montfort, pour venger la mort en Angletere de sn
pre, Simon de Montfor, tua Henri de Corouaille en 1272 dans une glis
de Viterbe pendant la messe. Le cur du mort fut plac, dans une coupe
d'or, la tte du pont de la Tamise.
134. Attila, roi des Huns.
135. Pyrhus, fils d'Achille, qui massacra Priam et ses enfants. Sextus,
fils de Pompe, devenu pirate.
Chant XII
8. Cecina, petit fleuve qui a son embouchure au sud de Livourne.
Corneto, petite ville prs de Civit V ecchia.
10. Les Harpyes, v. nide III, 209 ss.
58. Pier della Vigna, ministre et confident de l'empereur Frdric Il,
se tua dans sa prison.
6. L' Envie.
120. Lano da Siena, gand dissipateur, tu la bataille du Topp cnte
les Artins en 1288. Giacomo da Sant' Andrea de Padoue, clbre pou ses
prodigalits, tu en 1239.
143. Florence : le Baptistre tait difi sur un ancien temple Mars ;
de la statue du dieu restait encore une pierre informe dpose l' angle du
Ponte Vecchio.
1 52. Lotto degli Agli ou Rocco de' Mozzi, l'un et l'autre se pendirent
dans leur propre maison.
Chant XIV
15. Le dsert de Libye tavers par Caton avec les restes de l' arme de
Pompe (Pharsale IX, 588) .
31 . Albert l e Grand raconte qu'Alexandre l e Grand avait crit ce fait
Aristote ( De Meteori 1, IV, 8) .
4. Ca pane, u des Sept conte Thbes, i dfia Jupiter qui le foudroya
( Stace, Tade X, 845) .
56. Nom ancien de l'Etna.
58. Phlga : l eut lieu, dit la lgende, le combat des dieux contre les
gants.
79. Bulicame, petit lac prs de Viterbe d'o vient une suce thermale,
eau rougetre et bouillante.
103. L vieillard de Crte, figure symbolique venue du prophte Daniel.
Sa place en cet endroit reste mystrieuse.
534
NOTES. ENFER
Chant XV
9. Rgion des Alpes o prend source l a Brenta.
30. Brunetto Latini, auteur du Livre du Trsor, et qui fut matre de
Dante.
109. Priscien, clbre grammairien latin du VI sicle. Francesco
d'Accors, juriste bolonais (t 1293) . Andrea dei Mozzi, vque de Florence,
transfr par le pape Vicence o coule le Bacchiglione (' 1296) .
Chant XVI
38. Guido Guerra, des comtes de Dovadola, guelfe ( 1 220-1272) , neveu
de Gualdrada clbre par sa beaut, fille de Bellincione Berti cit au
Paradi XV, 112.
41 . Tegghiaio Aldobrandi, des Adimari, fut podestat d' Arezzo
(t 1266) .
4. Jacopo Rusticucci, Florentin, homme de cour, fin XIIIe.
Sur tout ce qui concerne ce cercle de Sodome et son interprtation, voir
Andr PZARD, Dante sous l pluie de feu, Paris, Vrin, 1950.
Chant XVI
1 . Gryon, roi lgendaire tu par Hercule, n'a rien voir avec celui de
Dante. De celui-ci parle Boccace ( Gnalogie des Dieu 1, 21 ) ; il aurait
t roi des Balares, accueillant les trangers avec beaucoup d'gards et
de douceu pour ensuite les tuer. ( Voir Littr, trad. de l'Enfer, 1879,
p. 212-213, et Pzard, Enfer XVII, 1, note 1 . )
59. Blason des Gianfigliazzi, de Florence.
62. Blason des Obriachi, Florentins gibelins.
6. Blason des Scrovegni, de Padoue.
68. Vitaliano del Dente, podestat de Florence en 1307.
72. Giovanni Buiamonte, changeur florentin, mort en 1310.
107. Phaton ( Ovide, Mtamorphoses Il, 47-324) .
109. Icare ( Ovide, Mtamorphoses VIII, 195-235) .
Chant XVII
50. Venedico Caccianemico, d'une riche famille guelfe de Bologne, il
livra lui-mme sa sur Ghisolabella Obizzo da Este.
535
LA DIVINE COMDIE
86. Jason, chef des Argonautes, aprs avoir sduit et abandonn
Hypsipyle Lmnos, droba Colchos la toisn d'or avec l'aide de Mde
qu'il abandonna ensuite ( Ovide, Mtamorphoses XII ) .
122. Alessio Interminei noble lucquois ( seconde moiti du xn sicle) .
133. Thas, persnnage de l'Eunuque de Trence o l a scne est un peu
dfrente de celle ici rapporte.
Chant XIX
1 . Su Simon, le magicien, voir Actes des Aptres 8, 9.
31. Nicolas III, pape de 1277 1280.
53. Bonace VIII, pape de 1294 1303, tait un Orsini. Par ses
pressions i amena le pape Clestin V dmissionner (v. Enf. Ill, 60), pou
prendre la belle dame P c'est--dire l'Eglise avec le manteau papal ( 69) .
82. Clment V, pape de 1305 1314, avait t prcdemment vque
de Bordeaux ( vient du ponent) .
87. Philippe l e Bel.
99. Charles d' Anjou, roi de Naples.
106. Vo! saint Jean, Apocalypse 17.
109. L' Eglise avec les sept sacrements et les dix commandements.
1 15. Dante croyait la donation de Constantin, origine du pouvoir
temporel des papes.
Chant XX
34. Amphiaras, un des spt contre Thbes, i eut la rputation de devin
( Stace, Thbade VII, 690 ss ).
40. Tirsias, devin de Thbes ( Ovide, Mtamorphoses, III, 324 ss) .
4. Aruns, aruspice tusque ( Lucain, Pharsal 1, 580) .
55. Manto, fille de Tirsias, s' tant enfuie de Thbes elle erra puis
s' tablit au lieu qui prit son nom, Mantoue ( Virgile, nid X, 198-200 ;
Ovide, Mtamorphoses VI, 1 57-162 ; Stace, Thba IV, 43-466, VII,
758 ss) .
65. Lac de Garde.
67. Au centre du lac, qui baigne les diocss de Trente, Brescia, Vrone,
est l'le Lechi o chacun des vques tait chez lui.
70. Peschiera, au sud du lac de Garde.
94. En 1272, Pinamonte de' Buonacolsi chassa de la ville, par ruse,
Alberto di Casalodi.
536
NOTES. ENFER
106. Alors que la Grce tait vide d'hommes pou-le sige de, Troie, le
devin Eurypyle donna le signal du dpart des navires ( Virgile, Enide II,
1 14) .
1 16. Michele Scotto, mdecin et astrologue cossais l a cou de
l' empereu Frdric II, on le disait magicien.
1 18. Guido Bonatti de Forli, astologue de Frdric Il, auteu de taits
d'astonomie. Asdente, savetier Parme (t seconde moiti du XIII sicle) .
Chant XXI
37. Ls dmons Malbranche snt la garde de ce cercle. Ils ont chacun
leu nom qui perdrait toute saveu en taduction. Le chef est Malacoda,
les autes : Scarmiglione, Barbariccia, Alichino, Calcabrina, Cagnazzo,
Libicocco, Draghignazzo, Ciriatto, Graffiacane, Farfarello, Rubicante.
38. Santa Zita, patronne de la ville de Lucques. L' ancien P est sans
doute Martino Bottaio, mort prcisment ente le vendredi saint et le
samedi saint.
41 . Bontuo Dati ironise su ce Lucquois, grande figure de baratier.
Contemporain de Dante.
4. Image du Christ, en bois de noyer, vnre dans la basilique San
Martino de Lucques.
49. Serchio, fleuve prs de Lucques.
95. A la capitulation de Caprona ( aot 1289) les Pisans vaincus duent
sortir de la ville en taversant les lignes des vainqueus florentins et
lucquois. Dante tait de l' expdition.
1 14. Par le temblement de terre la mort du Christ. Les potes sont
donc l le samedi saint 1300.
Chant XXI
31 . Ciampolo, Navarrais, dont on ne sait que ce qu'en dit Dante.
52. Thibaud, roi de Navarre, gendre de Saint Louis, mort en 1270 en
Sicile.
81 . Frre Gomita, Sarde, seigneu de la province de Gallua (fin
XIII sicle) , accus de concussion fut pendu.
8. Michele Zanche, gouverneu de la province sarde de Logudoro, tu
par son beau-pre Branca d'Oria en 1275.
537
LA DIVINE COMDIE
Chant XXII
6. On disait que l'empereur Frdric Il, pour punir les crimes de lse
majest, revtait les coupables d'une chape de plomb que l'on faisait
fondre.
103. Ordre de chevalerie institu Bologne en 1261 en vue de pacifier
les familles et les citoyens. Napoleone Catalano dei Malvolti, de famille
guelfe, et Loderigo degli Andalo, gibelin, furent appels, en 1266,
Florence pour gouverner la vil
l
e et y tablir la paix. Aprs quelques mois
ils durent abandonner la ville.
108. Ls guelfes dtisirent les maisns des Uberi au Guardingo, d'o
la forme irrgulire de la Piazza Signoria.
1 15. Caphe, qui conseilla la mort de Jsus ( Jn 1 1 , 47-54 ; 18, 14) .
121 . Son beau-pre, Anne, qui pronona l e jugement ( Jn 18) .
122. Le sanhdrin.
Chant XXIV
125. Giovanni Fucci, de Pistoia, btard de Fuccio dei Lazzesi, de la
faction des Noirs, prdit haineusment Dante ( 151 ) la dfaite des Blancs.
Chant XXV
Dans la description de la septime fosse o les voleurs sont transforms
en serpents, leurs noms sont peine prononcs ou pas du tout, ce ne sont
plus des humains. Pour la clart, il est bon ds maintenant d'identifier ces
cinq Florentins.
Les trois du vers 35 sont : Agnello Brunelleschi ( 68) , de noble famille
forentine ; Buos Donati (ou degli Abati ) [ 140] , noble forentin ; et Puccio
Sciancato dei Galiga, chasss de Florence en 1268, le seul n' tre pas
transform ( 14) .
Cianfa, chevalier guelfe de l a famille des Donati ( vers 1280) , chang
en srpent s jette sur Agnello Brunelleschi ( 49-78) ; Francesco Cavalcanti,
surnomm il Guercio, est le serpenteau brlant qui s'attache Buoso
Donati ( 83-140) . Son nom est suggr au derier vers ( 151 ) : ayant t tu
par les habitants de Gaville, bourg dans le V aldarno suprieur, sa famille
le vengea par un massacre dont pleure encore la ville.
94. Voir Lucain, Pharsale IX, 763 ss.
97. Voir Ovide, Mtamorphoses IV, 563 ss.
538
NOTES. ENFER
Chant XXVI
9. La ville de Prato et d'autres villes mcontentes de Florence dont elles
dpendaient.
_
. e
34. Le prophte Elise (2 R 2, 1-13 ; 23-25, Btble de Jerusalem) .
54. tocle et Polynice, frres ennemis ( Stlce, Thbade XII, 431 ) .
55 ss. La ruse du cheval de Troie ( Virgile, Enide Il, 13-297) ; Achille
entra la guerre loin de Didamie ,( Stace, Achillide Il, 15 ss) ; le vol
du Palladium qui protgeait Troie nide Il, 163 ss) .
91 . L'une des lgendes sur l a geste d'Ulysse l e montrait dpassant les
colonnes d' Hercule. ,
93. ne devait y enterrer sa nourrice Caieta ( Enide VII, 1-4) .
108. Dtroit de Gibraltar.
133. On comprendra que c'est la montagne du Purgatoire.
Chant XXVI
7. L taureau d'airain que le tyran d'Agrigente Phalaris faisait chauffer
alors que la victime, l' intrieur, hurlait donnant l'illusio

de
mugissements ; la premire victime aurait t son constructeur, Penllos.
36. Au Romagnol qui l' a interrog sur l'tat de sa province, Dante
rpond par une numration appuye de symboles.
41. Ravenne est sus l'aigle des Polenta, blasn de Guido l'ancien (pre
de Francesca da Rimini, chant V) .
43. A Forli, aprs deux ans de sige, les troupes franaiss appuyant les
guelfes avaient t battues le 1er mai 1282. Les seigneurs du lieu avaient
un lion comme blason : les griffes vertes P .
4. Malatesta da V errucchio, seigneur de Rimini ( pre du mari et de
l'amant de Francesca), et son fils a Malatestino avaient emprisonn puis
tu Montagna de Pascitati.
49. Faenza sur le Lamone et Imola prs du Santero. L lion d'azur sur
champ d' argent tait le blason de Maghinardo Pagani di Susinana.
52. Cesena, sur le fleuve Savio.
67. Guido da Montefeltro ( 1220-1298) , gibelin.
70 et 85. Le pape Boniface VIII.
Chant XXVII
10. La deuxime guerre punique ( 218-201 ) . Aprs la bataille de Cannes,
Hannibal aurait rempli trois muits avec les anneaux d'or enlevs aux
Romains tus ( Tite-Live XXIII, 7, 12) .
539
LA DIVINE COMDIE
14. Robert Guiscard, qui dirigeait l'invasion normande ( 1057-1071 ) .
15. Durant l a guerre entre Angevins et Souabes, l a trahisn des barons
des Pouilles eut comme consquence la bataille de Benevento ( 1266) et la
mort de Manfredi ( cf. Purg. III, 128) .
17. En suivant les conseils d' Alard de Valry, Charles d'Anjou,
Tagliacozzo, vainquit Conradin ( 23 aot 1268) .
31 . Mahomet et son gendre Ali sont considrs par Dante comme
schismatiques.
56. Fra Dolcino dirigeait la secte des Frres apostoliques P qui
mettaient tout en commun, y compris les femmes. Assig au mont Zebello,
la famine et le froid l'obligrent se rendre aux Novarais envoys contre
lui par le pape Clment V. Fut brl vii en 1307.
73. Pier da Medicina, attiseur de querelles entre les villes.
76, 77. Guido del Cassero et Angiolello da Carignano tus et jets la
mer, prs de Cattolica, sur ordre de Malatestino.
85. Malatestino tait borgne.
102. Curion, tribun romain en l'an 50.
106. Mosca dei Lamberti provoqua l'incident qui marqua le dbut des
luttes intestines Florence ( cf. VI, 80) .
134. Berand de Bor, signeur de Hautefort, troubadour ( t vers 1207) .
Il excita le << jeune roi P fils d'Henri II d'Angleterre, contre son pre.
Comme Achitophel dressant Absalon contre son pre David ( 2S 15, 12) .
Chant XXIX
27. Geri del Bello, cousin du pre de Dante.
_
59. Quand Junon par jalousie envoya la peste Egine ( Ovide,
Mtamorphoses VII, 523 ).
109. Griiiolino d' Arezzo, alchimiste faussaire de mtaux, n' ayant pas
russi faire voler Albero da Siena, celui-ci le fit condamner au bcher
par son pre vers 1270.
124. Capocchio da Firenze, brl en 1293. Pour l a vanit siennoise P
il en excepte, par ironie, Stricca dei Salimbei et son frre Niccolo, Caccia
d'Asciano et l'Abbagliato, surnom de Bartolomeo dei Folcacchieri.
Chant XXX
4. Athamas, voir Ovide, Mtamorphoses IV.
16. Hcube, voir Ovide, Mtamorphoses XIII.
50
NOTES. ENFER
43. La mule dans l'hritage usurp de Buoso Donati.
77. Les fils de Guido I comte de Romena engagrent Maestro Adamo,
alchimiste, fabriquer de faux florins. Il Iut brl vii en 1281 .
78. La fameuse fontaine siennoise, ou une source prs de Romena.
97. La femme de Putiphar ( Gn 39, 6-23 ) . ,
98. Sinon, qui fit entrer le cheval dans Troie nide Il, 57-194) .
Chant XXXI
4. Ovide, Mtamorphoses XIII, 171- 172.
16. La dfaite de Roncevaux.
41 . Montereggioni dans le Val d'Elsa, fameux chteau construit par les
Siennois en 1203, flanqu de quatorze tours.
59. Grande pomme de pin de bronze (4,23 r) du l" sicle, trouve prs
du Panthon ; actuellement au Vatican.
. , , .
77. Nemrod, roi de Babylone, fit constrUire la tour de Babel d ou vmt
la confusion des langues ( Gn 10, 8-1 2) .
94. phialts, fils de Neptune et d' lphimdie.
.
98. Briare, fils de la Terre et d' Uranus ( celui de la lgende avait cent
bras et cinquante ttes ) .
, .
100. Ante, fils de Neptune et de la Terre. Hercule put 1 etouffer en
l'empchant de toucher terre.
1 1 5. Valle de Bagrada o Scipion Iut vainqueur d' Hannibal.
124. Tityos et Typhe, deux autres gants.
136. Une des hautes tours de Bologne, penche.
Chant XXXI
10. Les Muses qui aidrent Amphion faire descendre au sn de sa lyre
les pierres du mont Cithron ( Horace, Art potique, 394-396 ; Stace,
Thbade X, 873 ss) .
55. Alessandro et Napoleone, fils d'Alberto degli Alberti, comte de
Mangona en V al di Sieve, se turent l'un l' autre.
58. La Cana est la premire rgion du cercle glac, pour les tratres
leurs propres parents.
61 . Mordrec (Lancelot du lac).
63. Focaccia, surnom de Vanni dei Cancellieri di Pistoia, tua par
tratrise un parent.
65. Sasso} Mascheroni tua son pupille pour avoir un hritage.
541
LA DIVINE COMDIE
6. Camicion dei Pazzi, gibelin du Valdaro, qui tua un de ss parents,
attend Carlino dei Pazzi, plus coupable que lui, ayant trahi en 1302 les
Blancs exils.
8. L' Antenora, la scnde rgion, celle des trares leur patie ou leur
parti.
10. Bocca degli Abati. La dfaite des Florentins Montaperti en 1260
fut attribue ce tratre qui trancha la main de Jacopo Nocca dei Pazzi,
le porte-enseigne.
1 16. En 1265, Buos da Duera ( ou Dovara) trahit les gibelins lombards
en laissant passer, contre argent, Charles d'Anjou.
1 19. Tesauro dei Beccaria, abb de Valombrosa, fut accus de complot
avec les gibelins exils de Florence et fut dcapit en 1258.
121 . Gianni de' Soldanieri, gibelin de Florence, trahit son parti faisant
entrer des Blancs dans la ville en 1280.
122. L Ganelon de Roncevau. Et Tebaldello dei Zambrasi de Faenza
qui, par vengeance, livra sa ville dans la nuit du 13 novembre 1280 aux
guelfes de Bologne.
125. Ugolino della Gherardesca qui avait trahi les gibelins fut sn tour
trahi par l'archevque Ruggieri degli Ubaldini.
130. Tyde, l'un des sept contre Thbes, bless mort par Mnalippe
russit le tuer, se fit apporter sa tte qu'il rongea rageusement ( Stace,
Thbade VIII, 1 1 7 ss) .
Chant XXXII
28-33. L'archevque et trois familles nobles de Pise d'accord avec lui.
29. Le mont San Giuliano.
38. Deux fils, Gaddo et Uguiccione, deux petits-fils, Brigata et
Anselmuccio.
82. Deux petites les au sud de l'embouchure de l'Arno.
1 18. Frate Alberigo dei Manfredi de l' ordre des Frres joyeux P ( cf.
Enf. XXIII, 103) . Il invita des parents un repas et au signal - quand
on apporta les fruits - les fit mettre en pices.
124. Cette troisime rgion, rserve ceux qui ont trahi leurs htes,
se nomme Tolomea ; les mes y tombent avant la mort du corps.
126. Atropos, celle des Parques qui coupe le fil de la vie.
137. Branca d'Oria, chevalier gnois, invita un banquet sn beau-pre
Michele Zanche et le tua ( cf. Enf. XXII, 8) .
52
NOTES. ENFER
Chant XXXIV
1ss. Les potes sont dans la quatrime rgion, la Giudecca.
18. Lucifer fut le plus beau des anges.
28. L'ange dchu a trois ttes et, de chaque bouche, dvore les trois
grands tratres : Judas, qui a trahi Jsus-Christ, Brutus et Cassius,
meurtriers de Csar.
127. Nom donn au Prince des dmons.
PURGATOIRE
Chant 1
73. Caton d'Utique n'est pas parmi les suicids. Son geste ( 66 av.
J . -C. ) est considr comme une glorification de la libert et le dsigne
comme gardien de ce lieu o l'on va cherchant la libert .
Chant I
46. Psaume 1 14, chant de libration.
91 . Casella, musicien et chanteur florentin, ami de Dante.
112. Dbut de la canzone de Dante pour la troisime partie du
Convivio.
Ohant II
49. Deux points extrmes du golle de Gnes : Lrici, prs de La Spezia,
et Turbia, prs de Nice.
112. Manfredi, roi de Sicile, fils de l 'empereur Frdric Il, et pre de
Costanza dont les fils taient Jacopo, roi de Sicile, et Allons, roi d'Aragon.
Excommuni et tu la bataille de Benevento en 1266.
124. L'archevque de Cosenza Bartolomeo Pignatelli, enyoy contre lui
par Clment IV, fit porter sa dpouille hors d' une terre d' Eglise, prs du
fleuve Verde ( Garigliano) .
545
LA DIVINE COMDIE
Chant IV
25. San Leone, Noli, Bismantova, trois petites villes sur des hauteurs.
68. Sion, la montagne de Jrusalem, aux antipodes de la montagne du
Pugatoire. La route du soleil va dans un sens pour l'une, dans l'autre sens
pou l' autre.
123. Belacqua (dont le vrai nom tait peut-tre Duccio Bonavia), lutier
de Florence dont on disait qu'il ne se levait de sa chaise que pour aller
table et au lit.
Chant V
6. Jacopo del Cassero, d'une noble famille de Fano, podestat de
Bologne, appel Milan fut assassin en route par Azzo VIII d' Este en
1298.
79. Mira, entre Padoue et Oriago sur la Brenta.
85. Buonconte da Montefeltro, fils de Guido nf XXVII, 19-32), fut
tu lors de la bataille de Campaldino ( 1289) .
1 16. La plaine de Campaldino.
130. Pia dei Tolomei de Sienne, tue par son mari Nello della Pietra
di Maremma.
Chant VI
13. Benincasa da Laterino, juge d'Arezzo, dcapit au Tribunal par
Ghino di Tacco, dont il avait fait condamner des parents.
15. Guccio dei Tarlati se noya dans l' Arno ( fin XIII" sicle) .
17. Federigo Novello, un des conti Guidi (Enf. XXX, 77) , tu en 1291 .
18. Farinata degli Cornigiani de Pise, fils de Marzucco. Celui-ci, qui
s' tait fait franciscain, pardonna au meurtrier de son fils.
19. Le comte Orso degli Alberti di Mangona (Enf. XXXII, 41-57) tu
par son cousin Alberto en 1286.
22. Pierre de la Brosse, chambellan de Philippe le Hardi, accus
faussement par Marie de Brabant, seconde femme du roi ; fut pendu en
1278.
30. nide VI, 376. La Sibylle rpond Palinure Cesse d'esprer
flchir le dcret des dieux par tes prires. P
4. Celle-l : Batrice.
72. Sordello da Mantova, troubadour, t 1269.
5
NOTES. PURGATOIRE
89. L' empereur Justinien, qui a rassembl les lois romaines en un
Corpu ]uri. Point d' empereur sur la selle. Pour Dante, l' Empire est
vacant de la mort de Frdric II en 1250 l'lection d'Henri VII en 1308.
97. Albert d'Autriche, fils de Rodolphe de Habsbourg, fut empereur,
sans venir en Italie, de 1298 1308.
106. Quatre puissantes familles italiennes : les Montecchi ( de Vrone) ,
les Cappelletti ( de Crmona) , les Monaldi ( de Perugia) , les Filippeschi
( d'Orvieto) .
1 1 1 . Les Aldobrandeschi, seigneurs de Santafiora (Purg. II, 58) , comt
cras par Sienne.
Chant VI
35. Les trois vertus thologales.
36. Les quatre vertus cardinales.
94. Rodolphe de Habsbourg, empereur de 1273 1291 .
97. Ottokar II, roi de Bohme de 1253 1278, et son fils Venceslas.
103, 104. Philippe III le Hardi et Henri X le Gros, roi de Navarre, pre
et beau-pre de Philippe le Bel ( le mal de France) .
1 12. Pierre III, roi d' Aragon ( 1276-1285) , et Charles d'Anjou, qui
conquit la Sicile en 1266-1268.
1 16. Pierre, dernier fils de Pierre III.
128, 129. Constance, femme de Pierre III. Batrice de Provence,
premire femme de Charles d' Anjou, Marguerite de Bourgogne, la
seconde.
130. Henri III d'Angleterre ( 1206-1272) .
134. Guiglielmo VII, marquis de Monferrato ( 1254-1292) , mourut
prisonnier des guelfes. Son fils Giovanni voulut le venger et choua : les
deux villes de Monferrato et Canavese furent dvastes.
Chant VII
53. Ugolino Visconti, fils de Giovanni Visconti de Pise, mari une fille
d'Ugolino della Gherardesca.
65. Currado Malaspina, v. 1 18.
71. Giovanna, fille de Nino ; sa mre, Batrice d' Este, se remaria avec
Galeazzo Visconti, seigneur de Milan, qu'elle suivit en exil.
80. Armes de Galeazzo et celles de Nino.
1 18. Curado Malaspina, fils de Federico 1er di Villafranca et petit-fils
de Corrado ( l 'ancien) Malaspina. Seigneurs de la Lunigiana qui
accueillirent Dante exil.
57
LA DIVINE COMDIE
Chant IX
1 . La dess Aurore qui avait enlev et pous Tithon, le frre de Priam,
obtint pour lui l'immortalit, mais n'avait pas pens demander l'terelle
jeunesse.
34. Pour le soustraire la guerre de Troie, Thtis, la mre d' Achille,
l'enleva Chiron, son prcepteur, et le transpora l'le de Scyros.
138. L tribun Caecilius Metellus avait la garde du Trsor public plac
sous la roche Tarpeienne. Csar, pour s'en emparer, chassa Metellus, et
les gonds de la porte crirent ( Lucain, Pharsale III, 154) .
Chant X
34. L'archange Gabriel et, en face, Marie l' Annonciation.
55. Transport de l' arche d'alliance qui ne pouvait tre touche que par
les prtres ; un cahot le lvite Oza avana la main pour la soutenir et
tomba mort (2 S 6, 1-20) .
6. L roi Davd manifestait pit en dansant devant l'arche au grand
dpit de sa femme, Micol.
73. La lgende dit que le pape Grgoire le Grand, qui avait une vive
admiration pour Trajan, obtint de Dieu qu'il le ressuscitt pour tre
baptis, converti et ainsi aller au ciel. L'histoire sculpte l a t souvent
narre.
Chant XI
67. Umberto Aldobrandeschi, fils de Guiglielmo ; plusieurs versions de
sa mort ont circul, le vers de Dante reste assez mystrieux. Campagnatico
tait domaine des Aldobrandeschi.
79. Oderisi da Gubbio, miniaturiste clbre de la seconde moiti du
XIII sicle.
83. Franco de Bologne fut peut-tre lve d'Oderisi.
94. Cimabue, Cenni di Pepo, peintre florentin ( 1240-1302) .
95. Giotto di Bondone, peintre et architecte florentin ( 1 267-1337) .
97. Guido Guinizelli ( 1230-1276) , dpass par Guido Cavalcanti
( 1255-1300) peut-tre est n P - Dante lui-mme.
121 . Provenzano Salvani, dont on raconte l'histoire, fut seigneur de
Sienne au milieu du XIII sicle.
136. Peut-tre Mino de' Mini, prisonnier de Charles d'Anjou.
5
NOTES. PURGATOIRE
Chant XI
25. Lucifer.
31 . Thymbre : Apollon dont un temple est Thymbra ( nide III,
85) .
43. Arachn, voir Ovide, Mtamorphoses VI, 5-45.
4. Roboam, fils de Salomon (1 R 12, 12-19) .
50. riphyle, mre d' Alcmon, avait trahi son pre pour avoir l e collier
Harmonie, Alcmon la tua ( Stace, Thade II, 265) .
53. Sennacherib, roi d'Assyrie, ayant dfi zchias, roi de Juda, son
arme fut extermine et ses fils le turent ( ls 36-37) .
56. Thamyris, reine des Scythes, ayant eu son fils tu par Cyrus, fit
dcapiter celui-ci et jeter sa tte dans une outre pleine de sang.
59. Holopherne et Judith ( Jdt 8-13) .
100. Lorsque Florence ( l a bien guide P ironiquement) on passe le
pont de Rubaconte ( aujourd'hui alle Grazie P ), on monte, droite, vers
l'glise de San Miniato.
Chant XII
29. L'eau change en vin Cana ( Jn 2, 1-10) .
32. Oreste : assaut de gnrosit avec Pylade ( Cicron, De amiciti VII,
24) .
36. Matthieu 5, 4 ; Luc 6, 27.
106. Sapia dei Savani, Siennoise, pouse de Guinibaldo Saracini, tante
de Provenzano Salvani (Prg. XI, 121 ) . Par aversion contre son neveu,
elle s' tait rjouie de la dfaite des siens et de la mor de Provenzano la
bataille de Colle di Val d'Elsa, 19 juin 1269.
128. Pier Petigano, honnte marchand de peignes, t 5 dcembre 1289,
vnr comme saint Sienne.
1 52. Les Siennois avaient voulu crer un port Talamone, rgion de
malaria, dont moururent les amiraux. Et ils se ruinrent chercher l'eau
d' un fleuve souterrain, la Diana.
Chant XIV
31 . L'Apennin dont s'est dtach le massif sicilien Peloro ( cap Faro) .
43. Valle du Casentino o dominaient les comtes Guidi di Porciano.
46. Les gens d' Arezzo.
59
LA DIVINE COMDIE
50. Les habitants de Florence.
53. Les Pisans.
58. Le neveu de Rinieri, Fulcieri da Calboli, podestat de Florence en
1303. Il fit arrter et dcapiter une quantit de loups florentins P .
81 . Guido del Duca, de la famille des Onesti de Ravenne ; t aprs 1249.
88. Rinieri de' Paolucci de' Calboli, de Forli, fut tu en 1296 l' assaut
du chteau de Calboli.
97-l l l . Tous noms de Romagnols du XIII sicle, de bonne renomme.
l l8. Maghinardo da Susinana, voir Enfer XXVII, 49.
133. Paroles de Can ( Gn 4, 14) .
139. Aglauros (Mtamorphoses II, 708-832) .
Chant XV
45. Voir Prgatoire XIV, 87.
88. Marie retrouvant son fils Jsus au Temple ( Le 2, 4) .
94. Alors que sa femme voulait chtier l e jeune homme qui avait
embrass leu fille, Pisistrate la lui donna en mariage (Mtamorphoses VI,
70) .
106. Saint tienne lapid ( Ac 7, 55) .
Chant XVI
46. Marco Lombardo, seconde moiti du XIII" sicle.
99. Allusion aux prescriptions alimentaires de l'Ancien Testament ( Lv
9 ; Dt 14) .
124. Trois hommes de mrite du XIII sicle.
Chant XVII
19. Philomle chang en rossignol (Mtamorphoses VI, 412-474 et
643-658) .
26. Aman, ministre d'Assurus, dans l e Livre d'Esther 6-7.
34. Lavinia dont la mre, Amata, se pendit (nide XII, 595-605) .
124. L'orgueil, l'envie, la colre.
137. L' avarice, la gourmandise, la luxure.
550
NOTES. PURGATOIRE
Chant XVII
83. Pietole, o Virgile est n.
91 . En Botie sur les rives de l' Ismne et de l' Asope couraient
bruyamment tous les deux ans, de nuit, les Thbains, en invoquant
Bacchus ( Stace, Thbade IX, 434 ss) .
100. La Visitation de Marie lisabeth ( Le 1 , 39) .
101 . Csar courut en Espagne.
l l8. Abb de Vrone au IV sicle.
121 . Alberto della Scala, seigneur de Vrone, t 1301 . Il avait plac son
fils naturel Giuseppe la tte de l' abbaye ( 1 292-1313) . De ses trois fils
lgitimes, le troisime tait Cangrande, qui souvent accueillit Dante ( v.
Par. XVII, 76) .
133. Les Hbreux qui, aprs l e passage de l a mer Rouge, n'eurent pas
le courage de suivre Mose et prirent dans le dsert avant de voir le
Jourdain ( Nb 14, 1-39) .
136. eux qui n'eurent pas l e courage de suivre ne et restrent en
Sicile nide V, 7ll ss ) .
Chant XIX
99. L pape Adrien V, Ottobono Fieschi de la famille des Lavagna. lu
le 1 1 juillet 1276, il mourut trente-neuf jours plus tard.
101 . Le Lavagna.
142. Alagia, fille de Niccolo Fieschi et femme de Moroello Malaspina ;
veuve en 1315, elle mourut en 1335.
Chant XX
22. Marie la naissance de Jsus ( Le, 2, 7) .
25. Caus Fabricius Luscinius, consul romain en 282 avant J. -C. Refusa
toutes richesses offertes.
32. Nicolas, vque de Mira vers la moiti du IV sicle. En 1087 devint
patron trs ppulaire de Bari o l'on avait transprt ses reliques. L'pisde
auquel il est fait allusion, souvent racont et illustr.
Un pre trs pauvre se disposait vendre ses tois filles ; Nicolas, de
nuit, lana des pices d'or dans leur chambre pour leu constituer une dot.
5. Charles, duc de Lorraine.
58. Louis V tant mort sans hritier.
551
LA DIVINE COMDIE
59. Robert le Pieux.
69. Thomas d'Aquin, mort en 1274. Le bruit courait qu'il avait t
empoisonn.
71 . Charles de Valois.
79. Charles II d' Anjou, en 1302 il maria sa fille Batice Azzo VIII
d' Este (Purg. V, 6) contre forte somme d' argent.
86. L'attentat d'Anagni, 7 septembre 1303.
97. La Vierge Marie ( Mt 1 , 18) .
103. Pygmalion, voir nide 1, 345 ss.
106. Midas, voir Mtamorphoses XI, 85-145.
109. Achan, voir Josu, 7, 1 ss.
112. Saphire et Ananie, voir Actes des Aptes 5, 1-1 1 .
1 13. Hliodore, voir 2 Maccabes 3, 7-49.
1 1 5. Polymnestor, nide Ill, 19-63 ; Mtamorphoses XIII, 429-438.
1 16. Crassus ( t 53 av. J. -C. ) , gnral romain, v. Cicron, De offcii
1, 30.
132. Dans l'le de Dlos, Latone avait mis au monde Apollon et Diane
( le soleil et la lune) . Mtamorphoses VI, 184 ss.
Chant XXI
2. Jean 4, 6-26.
7. Les disciples d'Emmas ( Le 24, 13-32 ) .
50. Iris, messagre des dieux et son charpe arc-en-ciel.
82. La ruine de Jrusalem en 70.
91 . Stace, pote latin ( env. 50-96) , n Naples. Dante a confondu avec
un rhteur toulousain contemporain de Nron. Dante cite frquemment
ses deux pomes piques La Thbae et L 'Achillide inacheve.
Chant XXI
14. J}vnal , pote latin, auteur de Satires ( env. 47-130) .
40. Enide Ill, 56-57.
56. Les deux fils de Jocaste, tocle et Polynice, s'taient entretus
(Thbade).
70. Virgile, Bucoliques IV, 5-7.
83. Domitien, empereur de 81 96.
97, 98, 100. Potes latins.
101 . Homre.
552
NOTES. PURGATOIRE
106-107. Potes grecs.
1 12. Hypsipyle (Prg. XXVI, 94-96) ; abandonne par Jason (Enf.
XVIII, 92 ) .
142. Aux noces de Cana ( Jn 2, 1-1 1 ) .
146. Le prophte Daniel ( Dn 1 , 3-16) .
Chant XXII
26. Voir Mtamorphoses VIII, 77-84.
30. Marie di Eleazaro qui en 70, durant la famine de Jrusalem
assige, tua et mangea son fils.
41 . Forese, ami de Dante, parent loign de sa femme, frre de Corso
(Purg. XXIV, 82-90) et de Piccarda (Par. Ill, 4 ss ) .
74. Matthieu 27, 46.
94. Rgion montagneuse du cente de la Sardaigne o les habitants,
dans leur grande pauvret, vivaient comme des sauvages.
Chant XXIV
8. Stace retarde sa marche, rglant son pas sur celui des deux potes.
19. Bonagiunta Orbiciani degli Overardi fut juge Lucques et rimeur,
t fin XIII.
23. Simon de Brie, chanoine de Tours, lu pape en 1281 prit le nom de
Martin IV, t 1285.
29. Ubaldino della Pila, pre de l'arcivescovo Ruggieri (Enf. XXXIII,
14 ss) . Bonifacio dei Fieschi de Gnes, archevque de Ravenne de 1274
1294.
31 . Marchese degli Orgogliosi, de Forli, en 1296 podestat de Faenza.
56. Jacopo da Lentino et Guittone d'Arezzo.
82. Corso Donati, t 1308.
121 . Les centaures (Mtamorphoses XII, 210-235) .
124. Livre des Juges 7, 4-8.
1 54. Matthieu 5, 6.
Chant XXV
22. Mtamorphoses VIII, 260-546.
63. Averros.
553
LA DIVINE COMDIE
79. La seconde des Parques.
130. Mtamorphoses Il, 401-530.
Chant XXVI
4. Gense 18, 16-33 ; 19, 1-29.
41 . Pasipha ( Virgile, Bucoliques VI, 45) .
92. Clbre pote n Bologne, prcuseu du dolce stil nuovo P
t 1276.
94. Teade V, 720.
1 1 5. Guinizelli montre Arnaut Daniel, pote provenal de l a seconde
moiti du xn sicle. Dante lui prte une rponse ( 140-147) en provenal.
120. Giraud de Boreil, pote de l'cole provenale, originaire du
Limousin, t 1220.
Chant XXVI
37. Mtamorphoses IV, 55-166.
95. Un nom de Vnus.
10-108. Lia et Rachel, filles de Laban, pouss de Jacob (Gn 29, 9-30) .
Ds l'antiquit chrtienne, ces deu femmes taient devenues symboles de
la vie active et de la vie contemplative. Annonce de Matelda et Batrice.
Chant XXVII
20. Pinde prs de Ravenne. ole, dieu du vent. Sirco, vent du sud-st.
4. Il s'agit de Matelda, personnage important du Paradis terreste, elle
reprsente la vie active.
50. Mtamorphoses V, 391-408.
6. Mtamorphoses X, 525-527.
73. Ovide, Hroes XVIII, 139 ss.
80. Psaume 92, 5.
Chant XXIX
3. Psaume 32, 1 .
40. Montagne, sjou des Muses.
554
NOTES. PURGATOIRE
41 . Uranie, Muse de l'astronomie.
43-143. Pou viter de trop frquents arrts de lectue, clarifions ds
maintenant les motifs de cette procession allgorique.
( 43) Les sept candlabres et bandes lumineuses reprsentent les sept
dons du Saint-Esprit ( Ap 4, 5) .
( 83) Vingt-quatre vieillards : les vingt-quatre livres de l'Ancien
Testament. Les lys blancs : la foi.
(92) Quatre animau : les quatre vangiles. Rappel d'zchiel ! , 4-14,
qui leur donne quate !iles, et d'Apocalyps 4, 6, qui leur en attribue six.
( 107) Le char est l'Eglise, tire par un griffon aux deux natures ( corps
de lion, tte et ailes d'aigle) , c'est--dire le Christ.
( 121 ) Trois Dames : trois vertus thologales, charit, esprance, foi.
( 130) Quatre Dames : les quatre vertus cardinales, justice, force,
temprance, prudence.
( 134) Deux vieillards : le_ Actes des Aptres et les pes de saint Paul.
( 142) Les quatre : les Eptres catholiques de Pierre, Jacques, Jean,
Jude.
( 143) L'Apocalyps de Jean. Les couronnes roues, symbole de l'amour.
Chant XXX
10. L'un d'eux : le Cantique des Cantiques o se touve le dbut du
verset 4, 8.
19. Matthieu 21, 9.
21. Manibus P nide, VI, 883. Noter que les louanges Batrice
viennent de l'Ancien Testament, du Nouveau Testament et de l'Antiquit.
33. Les couleus des vertus thologales.
83. Psaume 31 , 1-9.
Chant XXXI
72. La Libye dont le roi tait larbas, au temps de Didon.
98. Psaume, Mierere, 51 , 9.
Chant XXXI
28. Matelda, son nom ne sera prononc qu'en XXXIII, 1 19.
65. Mtamorphoses 1, 568-747.
73-81 . A la Transfiguration ( Mt 17, 1-8) .
555
LA DIVINE COMDIE
109-160. Nouvelle allgorie : l'aigle est l' Empire qui perscute l'glise
primitive. Le renard reprsente l 'hrsie. L'aigle couvrant de plumes le
char, c'est la donation de Constantin laquelle Dante croyait.
Le dragon est Satan ( Ap 12, 3 ; 20, 2) . La putain 17, 1-5) l'glise
de Bonace VIII et de Clment V. Le gant serait Philippe le Bel ; il
dtache le char : transfert de la papaut Avignon.
Chant XXXII
1 . Psaume 79, 1 .
10-12. Jean 16, 16.
43. Sans doute Dante pensait-il l'empereur Henri VII.
47. Mtamorphoses 1, 377-383 ; VII, 759.
67. L'Elsa, affluent de l'Arno, son eau calcaire ptrie les objets.
69. Voir Prgatoire XXVII, 38.
127. Voir Prgatoire XXVIII, 130-131 .
PARADIS
Chant I
20. Ovide, Mtamorphoses VI, 382-400.
39. L o le cercle du zodiaque, celui de l'quateur et celui du colure
uinoxial s'intersquent ente eux et avec l'horizon (4e cercle) , ils forment
trois croix. Sens anagogique : la perfection est l o se trouvent runies
les quatre vertus cardinales avec les trois thologales.
4. La constellation du Blier.
68. Ovide, Mtamorphoses XIII, 898-968.
Chant I
16. Ovide, Mtamorphoses VII, 450 ss.
51 . Cf. Enfer XX, 126.
Chant II
l l8. L' impratrice Constance ( 1 14-l l98) , fille de Roger II de Sicile,
pouse d' Henri VI de Souabe ( fils de Frdric Barberousse) , mre de
l'empereur Frdric II.
Chant IV
14. Livre de Daniel 2, 1-46.
47. Les trois archanges : Gabriel, Michel, Raphal.
103. Voir Prgatoire XII, 50.
557
LA DIVINE COMDIE
Chant V
66. Livre des Juges I l , 30-40.
69. Agamemnon, Ovide, Mtamorphoses XII, 37 ss.
Chant VI
1 . Avec Constantin, l' Empire avait t en 330 transfr de Rome
Byzance.
3. ne.
10. Justinien, empertur de 527 565, qui l'on doit le Code Justinien.
16. Agapit, pape de 533 536.
33. Voir Paradis VI, 97.
36. Pallas, fils d'vandre roi du Latium, Virgile, nide X, 450 ss.
37-80. Rapide histoire de l' Empire, depuis Albe la Longue fonde par
les Troyens jusqu'au troisime Csar, Tibre. Priode de paix, pendant
laquelle le Christ naquit puis mourut Jrusalem.
91 . Mort venge par Titus qui dtruisit Jrusalem.
100. Les guelfes s'opposent l'Empire avec les lys d'or de la maison de
France ( Charles II d'Anjou, roi de Naples, v. plus loin, vers 106) .
101 . Les gibelins se l'approprient en partisans.
128. Romieu de Villeneuve ( l l 70-1250) , ministre de Raymond
Branger, comte de Provence.
Chant VI
51 . Juste cour P : l'empereu Titus.
Chant VII
37. Premier vers de la premire Canzone du Convivio.
49. Charles Martel, fils de Charles II d' Anjou. Dj en 1290 roi de
Hongrie ( 6) , l'attendaient en hritage s'il n'tait mort de la peste en 1295
vingt-quatre ans : la Provence ( 58) , l'Italie mridionale ( 61 ) , la Sicile
( 67) .
75. Les Vpres siciliennes, 30 mars 1282.
76. Robert, qui tait rest spt ans en otage en Catalogne, s'tait entour
de Catalans.
120. Aristote.
558
NOTES. PARADIS
Chant IX
1 . Clmence, pouse de Charles Martel.
32. Cunizza da Romano ( l l98, morte aprs 1279) , fille d' Ezzelino Il,
su d' Ezzelino III, l a torche P ( 29) .
49. O les eaux se rencontrent, c'est--dire Trvise, domine Rizzardo
da Camino (fils du bon Gherardo P [Prg. XVI, 124) , tu traeusment
en 1312.
52. L' vque de Feltre, Alessandro Novello, en 1314, remit entre les
mains du gouverneu de Ferrare Pino della Tosa, qui les fit dcapiter,
plusieurs membres de la famille Della Fontana, exils ferrarais qu'il avait
accueillis.
93. Marseille, assige sur ordre de Csar par Brutus, en rude combat
qui ensanglanta le port ( Lucain, Pharsal III, 571 ss) .
94. Foulques de Marseille, trouvre renomm et sduisant qui, aprs
diverses amous, entra dans l'ordre Cistercien, fut abb du Thoronet et en
1205 vque de Toulouse, t 1231 .
97-102. Amours clbres dans l'Antiquit : Didon, Phyllis ( Ovide,
Hrodes Il) , Hercule ( Hroes IX) .
l l6. Rahab ( Jos 2, 1-21 ) .
Chant X
109. Salomon, qui demanda (Par. XIII, 91 ss) sagesse de roi ( 1 R 3, 5) .
liS. Denys l' Aropagite.
1 18. Paul Orose, prtre espagnol du v sicle.
124. Boce ( 470-525) , auteu du De Consolatione philosophiae dont la
lecture entrana Dante la philosophie.
131 . Isidore de Sville ( 560-636) , Bde le Vnrable ( 674-735) , Richard
de Saint-Victor ( xm sicle ) .
136. Siger de Brabant ( 1 226-1283) , philosophe averroste, enseigna
l 'universit de Paris, fut tu par son secrtaire.
Chant XI
68. Voir Lucain, Pharsale V, 527 ss.
92. Le pape Innocent III approuva la rgle en 1210.
97. Le pape Honorius III donna une approbation solennelle l a rgle
en 1223.
559
Chant XI
13. L'arc-en-ciel.
17. Gense 9, 8 ss.
LA DIVINE COMDIE
60. On dit que sa mre se vit accoucher d'un petit chien blanc et noir,
une torche la gueule avec laquelle il enflammait le monde. Symbole de
l'ordre Dominicain.
6. Sa marraine vit en songe l'enfant une toile au front.
81 . Le sens serait Felix heureux, lohanna gce de Dieu.
83. Taddeo, soit un jurisconsulte, soit un mdecin florentin
( xm sicle) .
124. Umberino da Casale ressrrait la rgle avec les spirituels rigoristes.
Mateo d'Aquaspara, gnral de l'ordre Franciscain durant ving-cinq ans
( 1287-1312) , de tendance laxiste.
135. Pierre d'Espagne, n Lisbonne, pape sous le nom de Jean XXI
en 1276 t 1277, est l'auteur d'une Logique en douze volumes.
136. Nathan, prophte ( env. mille ans av. J. -C. ) , composa une histoire
de David et de Salomon.
137. Donat, IV sicle, clbre gammairien ( le premier art) .
139. Raban Maur, t 856, a crit de longs commentaires sur l a Bible.
140. Joachim de Flore ( 1 130-1202) , d' abord cistercien, fonde un ordre
contemplat qu'il appela Fiore. De ses nombreux ouvrages est clbre
L'vangle ternel. Certaines de ses propositions furent condamnes par
le concile de Latran de 1215.
Chant XII
7 et 10. La Grande Ouse et la Petite Ouse.
14. Ariane ; Ovide, Mtamorphoses VIII, 169-182.
91 ss. Salomon demanda une sagesse de roi ( 1 R 3, 5 ss) .
Chant XV
25. Virgile, nie VI, 684-689.
139. Conrad III de Souabe ; participa la deuxime croisade en 1 147.
Chant XVI
143. L' Era, torrent que devait traverser Buondelmonti pour arriver
Florence.
560
NOTES. PARADIS
153-154. Jamais Florence n' avait t vaincue l'enseigne renverse, ni le
lis blanc sur champ rouge n'tait, avec les factions, devenu lis rouge sur
champ blanc.
Chant XVI
1 . Phatn dsireux de savoir et Phaton obtenant de sn pre de diriger
le char du soleil ( Ovide, Mtamorphoses 1, 753 ss et Il, 47 ss) .
40. Voir 1 et 2 Maccabes.
46. La premire sentence d' exil de Dante fut signe le 27 janvier 1302,
elle comportait une amende de cinq mille florins, confiscation des biens et
deux ans d'exil hors de Toscane. Confirme le 10 mars par contumace avec
menace de peine de mort. Le 2 septembre 1301 il tait exclu de la remise
d' exil et le 16 novembre 1315 l'exil tait tendu ses fils Pietro et Iacopo.
61 .
'
Uni d' abord ses compagnons d'exil pour essayer de rentrer
Florence, il s'en spara aprs des expditions malheueuses qu'il avait
dsapprouves ( La Lastra en 1304) .
70. Bartolomeo della Scala, seigneur de Vrone.
76. Cangrande, jeune frre de Bartolom

o ( 1291-1329) .
.
82-83. Le pape Clment V, Gascon, et 1 empereu Henn VII.
Chant XVII
46. Guillaume d' Orange ( t 812) , Rainouard de la suite de Guillaume.
47. Godefroy de Bouillon ( 1058-1 100) .
134. Saint Jean-Baptiste, en fait l e florin de florence dont i l tait
l 'effigie.
Chant XIX
1 1 5. Albert d'Autriche ( v. Prg. VI, 97) .
120. Philippe l e Bel.
.
123. Robert Bruce, roi d' Ecosse de 1306 1329. Edouard Il, roi
d'Angleterre de 1307 1327.
126. Ferdinand IV, roi de Castille de 1295 1312. Venceslas, roi de
Bohme ( v. Prg. VII, 101-102) .
127. Charles d'Anjou, roi de I erusalem ( 1 un, M mille) .
131. Frdric II d'Aragon ( 1272-1337) , roi de Sicile o se trouve l'Etna
( Prg. VII, 1 19 ). Anchise, Virgile, nide Ill, 708 ss.
561
LA DIVINE COMDIE
137. Oncle et neveu du prcdent : Jacques, roi de Majorque, et Jacques
II, roi de Sicile et d' Aragon (Prg. VII, 1 19) .
139. Denys le Laboureur, roi de Portugal de 1279 1325. Haquin VII,
roi de Norvge de 1299 1319.
140. tienne Ouroch Il, roi de Serbie de 1276 1321 .
146. Deux villes de Chypre, sous l a tyrannie d' Henri II de Lusignan
( 1285-1324 ) .
Chant XX
37. Le roi David.
44. L' empereur Trajan ( v. Prg. X, 73 ss ) .
49. zchias, roi de Juda, 2 Rois 20, 1-6.
55. L'empere! Constantin ( v. Enf. XIX, 1 1 5 et Par. VI, 1-2) .
68. Virgile, Enie Il, 426-428 ; Matthieu 1 1 , 12.
100. Trajan et Riphe.
Chant XXI
6. Ovide, Mtamorphoses Ill, 308.
26. Le nom de Saturne, roi mythique de l'ge d'or ( Ovide,
Mtamorphoses 1, 89 ss ) .
1 10. Monastre cistercien de Santa Croce di Fonte Avellana.
121. Saint Pierre Damien ( 1007-1072) .
Chant XXI
40. Saint Benot, n Norcia en 480, mort Montecassino en 543.
49. Macaire, t 393. Romualdo, fondateur des Camaldules ( 952-1018) .
71 . Gense 28, 12.
94. Exode 14, 21 ss.
95. Josu 3, 7-1 7.
142. Hyprion, pre du Soleil.
144. Mercure, fils de Maa, Vnus, fille de Dion.
145. Entre Saturne et Mars.
562
NOTES. PARADIS
Chant XXII
26. Trivia Diane la lune.
139. Saint Pierre.
Chant XXV
17. L'aptre sait Jacques. Voir sn pie dans le Nouveau Testament.
72-74. David et Psaume 9, 1 1 (Sperent in te 98) .
91 . Isae 61 , 7.
94. Apocalypse 7, 9.
112. L' aptre saint Jean ( Jn 13, 25 t 19, 26 ss) .
Chant XXVI
12. Actes des Aptres 9, 8-19.
40. Exode 33, 19.
43. Jean 1, 1-18.
83. Adam.
Chant XXVII
40. L'glise. Saint Pierre, Lin et Clet ses successeurs immdiats, les
autres parmi les premiers papes.
83. Voir Enfer XXVI, 125.
8. Ovide, Mtamorphoses Il, 832 ss.
98. La constellation des Gmeaux. Les Gmeaux fils de Leda, Ovide,
Hrodes XVII, 55 ss.
Chant XXVII
136. Denys l'Aropagite avait t converti et initi par l'aptre Paul
( Ac 17, 34) .
Chant XXIX
1 . Voir Prgatoire XX, 132.
134. Daniel 7, 10.
563
LA DIVINE COMDIE
Chant XXX
142. Clment V ( v. Enf. XIX, 82) .
147. Enfer XIX, 1.
14. Boniface VIII ( v. Enf. XIX, 53) .
Chant XXXI
32-33. La Grande Ourse et la Petite Ourse ( Ovide, Mtamorphoses Il,
401-530) .
Chant XXXI
68. Esa et Jacob ( Gn 25, 22 ss) .
1 18 ss. A droite de Marie : saint Pierre et saint Jean, auteur de
l' Apocalypse ; sa gauche, Adam et Mose.
TABLE DE
S
MATIRES
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La vie tragiqu de Dante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1 1
l l
25
28
La Divine Comdie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La traduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chant
Chant
Chant
ENFER
I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Chant IV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Chant V . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . 53
Chant VI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Chant VII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
Chant VIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
Chant IX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
Chant X . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
Chant XI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Chant XII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Chant XIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
Chant XIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Chant XV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
Chant XVI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
Chant XVII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
Chant XVIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 2
565
LA DIVINE COMDIE
Chant XIX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 7
Chant XX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Chant XXI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
Chant XXII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
Chant XXIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Chant XXIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Chant XXV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
Chant XXVI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 50
Chant XXVII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 55
Chant XXVIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
Chant XXIX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
Chant XXX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 70
Chant XXXI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 75
Chant XXXII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
Chant XXXIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
Chant XXXIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
566
PURGATIRE
1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
IV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 1
v . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216
VI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
VII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
VIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
IX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
226
231
236
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
TABLE DES MATIRES
x . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
XI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
XII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251
XIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256
XIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
xv . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266
Chant XVI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
Chant XVII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276
Chant XVIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
Chant XIX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
Chant XX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291
Chant XXI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 296
Chant XXII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301
Chant XXIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 306
Chant XXIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310
Chant XXV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Chant XXVI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320
Chant XXVII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325
Chant XXVIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 330
Chant XXIX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335
Chant XXX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340
Chant XXXI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345
Chant XXXII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 350
Chant XXXIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 355
PARADIS
Chant 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chant II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
363
368
567
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
LA DIVINE COMDIE
III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 373
IV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377
v . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 382
VI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 387
VII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 392
VIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 397
IX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 402
X . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 407
XI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 412
XII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 417
XIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 422
Chant XIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 427
Chant XV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 432
Chant XVI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 437
Chant XVII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 442
Chant XVIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 447
Chant XIX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 452
Chant XX . . . . . . . . . . . . . . . : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 457
Chant XXI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 462
Chant XXII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 467
Chant XXIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 72
Chant XXIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 477
Chant XXV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 482
Chant XXVI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 487
Chant XXVII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 492
Chant XXVIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 497
Chant XXIX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 502
Chant XXX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 507
568
TABLE DES MATIRES
Chant XXXI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 512
Chant XXXII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 517
Chant XXXIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 522
NOTES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 527
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 529
Enfer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 531
Purgatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 545
Paradis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 557

Vous aimerez peut-être aussi