La Divine Com Die
La Divine Com Die
La Divine Com Die
DANTE ALIGHIERI
LA DIVINE
w
COMEDIE
Traduction par Lucienne PORTIR
LES DITIONS DU C;RF
29, bd Latour-Maubourg, Paris
1987
Les ditions du Cerf, 1987
ISBN 2-204-02685-9
ISSN UM COUb
A ALDo VALLONE
premier lcteur de cette traduction, en profonde
gatitude pour ses parols La sua traduine non
solo nuova, profondamente visuta dall'interno e
rigeneratrice della parola di Dante, ma anche
necessaria perch Dante resta e trova sempre
intelligenza e sentimento per accoglierlo. P
A Jacques et Franoie Lagarrigue
qui ont accompagn ce long travail
avec leur incomparable amiti
Introduction
Mon ambition et t de voir le lecteur entrer directement dans
l lcture du Pome sacr #q sans intervention autre qu'une brve
prsentation du mode de traduction, l traducteur diparaisant bin
vite derrire l'uvre qui seule compte. Cette ambition fut juge
draionnable, et fut estime ncessaire une introduction que voici.
L VIE TRAGIQUE DE DANTE
Les images que le seul nom de Dante fait natre dans les esprits
sont trs diverses et toutes ont certainement un aspect de vrit. On
se souvient de celle que dressait Victor Hugo en ces vers crits sur
un exemplaire de l Divine Comdie #: il les a placs en tte du
troiime livre des Contemplations, intitul Les Lutes et les Rves.
Quel patronage pour ls luttes et ls rves que celui d Dante ! Voici
donc le rve :
Un soir, dans le chemin, je vis passer un homme
Vtu d'un grand manteau comme un consul de Rome,
Et qui me semblait noir sur la clart des cieux.
Ce passant s' arrta, fixant sur moi ses yeux
Brillants, et si profonds qu'ils en taient sauvages,
Et me dit : - J'ai d'abord t dans les vieux ges,
Une haute montagne emplissant l'horizon ;
Puis, me encore aveugle et brisant ma prison,
Je montai d'un degr dans l'chelle des tres,
1 1
LA DIVINE COMDIE
Je fus un chne, et j 'eus des autels et des prtres,
Et je jetai des bruits tranges dans les airs ;
Puis je fus un lion rvant dans les dserts
Parlant la nuit sombre avec sa voix grondante ;
Maintenant, je suis homme, et je m'appelle Dante.
C'tait au temps o Vitor Hugo s'adonnait au sciences occultes,
se lissait sduire par la mtempsycose, la migration des mes. A
travers ces fantaiis il a su montrer l'aspect de grandur terrible de
certaines cration du pote. A l'oppos sont ls dssin d Botticeli:
ce fn profl spiritualis, cette fgure arienne et sans poids,
suspendue ou glisant dans les sphres clestes, d'une lgret et
transparence qui font penser la puret de l'enfance. Celle de ce
petit enfant, nomm Dante Alighieri, qui un jour de mai naisait
Florence sur les bords de l'Arno il y a sept cents ans (1265). Et
l gloire de cet enfant devenu pote n'a cess de grandir, de susciter
tmoignages d'admiratin, d respect, d'amour. Cinquante an aprs
l mort du pote, Boccace dj tait charg d'un commentaire publc
de la Comdie, et ainsi furent institues ces Lectures de Dante
qui n'ont pas cess et se font encore chaque semaine Florence.
Elles se font aussi en d'autres villes et toujours avec un clt et une
fereur qui ne se sont point dmenti, et toujours avec une vue neuve
et de nouvelles trouvailles, suggrs par l richesse inpuiable des
cent chants assembls du Pome.
Mai ce pote, pendnt les cinquante-si ans de sa vie mortelle,
fut un homme meurtri : l'homme Dante n'a connu peu prs que
des checs. Trs tt orphelin, il eut une martre et son pre semble
avoir t un homme assez mdiocre. Si son enfance ne fut pas celle
d'un enfant combl, on peut imaginer une jeunesse insouciante,
pendant quelques annes alors que Florence exceptionnellement
n'tait pas en guerre ; car sous le signe de Mars qui ft l protecteur
de l ville panne, elle semblait destine, comme le remarque le
pote, des luttes sans fn. Jeunesse insouciante partage entre les
amitis, l posie, l'amour. Les jeunes potes, Guido Cavalcanti,
Lapo Ginni, Dino Frescobaldi, Cino d Ptoi et d'autres encore,
1 2
INTRODUCTION
hangeaient des sonnet sur l'amour, l nature de l'amour, l faon
de le chanter :
Guido, je voudrais que toi et Lapo et moi
Fussions pris par un enchantement
et mis dans une nef qui tout vent
allt par mer votre gr et au mien
[ . . . ]
et l, parler d' amour toujours.
Jeunesse illumine par l'amour pour Batrice, o l'on peut voir
une expression littraire de l'amour courtoi, dont il a les
caractritiques, mai qui est aussi bien autre chose : un amour qui
l'a vritablement sorti de la volgare schiera Pq de la troupe
vulgaire, et qui a maintenu en lui une vie ardente et dlicate.
L'intenit du sentiment et une senibilit qui de tout fait souffance
devaient connatre trop tt la grande douleur de la mort de cette
Dame. Peut-on parler d'chec parce qu'il a vu diparatre sa bien
aime alors qu'il avait vingt-cinq ans ? Avec cette Dame, le pote
n'a connu de rappors viibls qu'un sourre accompag d quelque
paroles dans une rue de Florence o elle passait avec deu amies
et qui lui frent toucher l combl d l batitud , et pui un salt
refus et enfn un sourire moqueur dans une runion mondaine et
dont il crut bien mourir. Au chapitre XVIII de la Vita nuova,
cette uvre o se mlnt posi et prose dans l rcit de son amour,
on lit ceci :
Jusqu'alors toute sa batitude consistait recevoir le salut de sa Dame
mais depuis que ce salut lui a t refus, il a plac sa batitude en ce qu;
nul ne peut lui ter : la pure louange de la bien-aime sans aucu retour
sur lui.
Ce tournant dans son hitoire sentimental (et qui pourrait donner
lieu une interprtation mystique) est considrer dans la
progession de son amour : toutes ses paroles dsormai seront de
louange, en admiration absolue, en don total sans jamais rien
13
LA DIVINE COMDIE
demander. Rien ne peut donc dsormai dtruire cette batitude.
Dans ces conditions, l mort de Batrice lui arrachera des torrents
de lrmes, certes, et des cris de doulur, mai surtout cette Dame
unique sera dsormai le guide et le rconfort de ses penses, elle
restera l Beatrice beata qu'il voudra louer plus que jamai, et plus
prodigieusement que Dame le ft jamai, dans et par l Divine
Comdie.
C'est sur un autre pln que se plcent ses checs qui commencent
alors qu'il prend part l vie politique de sa patrie, l Rpublque
de Florence. En juin 1300, il tait prieur.
Tous mes malheurs, crira-t-il plus td, eurent cause et commencement
dans mon lection au priorat.
Florence, aprs ls luttes sanglantes entre guelfes et gibelins
(partians du pape ou de l'empereur), tour tour vainqueurs et
vaincus, tait reste fnalement guelfe passant au rgime de l
Signeurie et viscralement dmocratique. Pour protger
l'indpendnce de gouvernants, ell enfermait les priurs, ls pour
deu moi seulement, dans une tour, la fameuse torre della
cstagna ; aini penait-ell l soutraire au presin d puisant.
Ele inventait une multitude de conseil renouvel tous les si moi,
tant ell craignait l tyannie, interdisant l rlection, comme la
possibilit de siger dans plusieurs conseil ; elle nommait comme
podest un tranger pour qu'il ft indpendant des luttes intestines.
Deu mots revinnent constamment dns ls revendication : popolo
et giustizia. La Rpublique tait le lieu de rivalits sans cesse
renaisantes entre ce peupl qui pridiquement se raffrmait mare
et les Grands qui trouvaient toujours le moyen de se rintroduire
dan ls affaires de l Cit. Justement en 1293 avaint t proclm
les Ordinamenta Justitiae: tout homme n'exerant pas un mtier
tait exclu des fonctions publiques, c'tait le cas des nobles. La vie
Florence devint alors impossibl, tout tait sujet bagarre, on en
venait au mains et au armes. Aussi avait-on d introduire un
adoucisement au ordonnances de Justice : l'exercice effectif d'un
14
INTRODUCTION
mtier n'tait plus obligatoire, il suffsait d'tre inscrit dans les
regtres d'un Art; c'est par ce bii que Dante, qui tit pote-et
pote ce n'est pas un mtier -, put participer au gouvernement de
sa Cit en s'inscrivant l corporation des mdecins et apothicaires.
Le choi pour lui tait assez limit, les Arts majeurs taient passs
en 1292 d sept douze: juges et notaies, changeurs, art d l line,
art de l soi, calimal (traitement des lines trangres), mdecins
et apothicaires, foureurs, fipir, cordonnirs, bouchers, forgerons,
ouvriers de l pierre et du bois.
On s'est dmand parfoi, pourquoi Dante n'avait pas choii l'rt
des juges et notaires. Il est vrai que des posies retrouves dans des
grimoires de notaires ont montr que des hommes de plume # se
partageaint entre deu activits crivantes. Mai ausi on a constat
que l plupart des posies crites dans ces registres ont t copies
pour remplir un espace vide au bas d'une page, afn d'empcher
qu'on pt y crire quelque chose qui aurait falsif l'acte.
L'epatin du choi n'et-el pas dn une incompatibilt rll
et dclre entre certains esprits et ldite profession ? Jean
d'ntiche, au V sicl, se destinait au mtier d'avocat, mai ayant
constat combien est pnible et coupabl l vie des hommes du
barreau, il prfra se tourner vers une vi de silnce et se ft moine.
Bien plus tard, au XIV sicle, Ptrarque, ds la mort de son pre
qui lui avait impos des tudes de droit, s'en dtourna, il lui tait
apparu, explque-t-il dans sa Lttre la postrit, qu'il tait diffcil
de rester intgre dans ce mtier. Dante ne s'est pas trouv devant
le mme choi, mai il a mi fermement les lgites en Enfer, sauf
un pourtant : en l personne de Gratien il a montr que tout est
possible Dieu, mme qu'un jurite soit digne du Paradi.
Dante s'tait donc inscrit l'Art des mdecins et apothicaires, et
ds 1295 on voit son nom sur ls regitres de sances; on voit aussi
qu'il manquait d'exactitude: au Conseil spcial du Capitaine du
Peuple, sigeant entre novembre 1295 et avril 1296, si marques
d'absence accompagent son nom, i est vrai que cinq, mal effaces,
indiquent qu'il s'agsait d'un rtard ou d'une absence just. Mai
le jour fatal fut le 15 juin 1300. Peu de jours aprs l'entre en
1 5
LA DIVINE COMDIE
fonction du nouveau Piorat des bagarres cltaient entre deu
factions qui dchiraient l vill, ls Blncs dirigs par l famill des
Cerchi et ls Noirs domins par les Donati. Dante, avec ls cinq
autres prurs, prit une dciin nergique : sept chefs Blncs et sept
chefs Noirs, les plus durs, les irrductibles, ceu qui entraaient
les autres et perturbaient la vie de l Cit, taint envoys en exil.
Or, deu mois plus tard, ls nouveau prieurs, des Blancs comme
ls prcdnts mai moins quitabls, rappelrent ls Blncs, lisant
ls Noirs proscrts, ce qui suscita haine et dsir de vengeance. C'tai
donc pour Dante un chec, un double chec, politique et senti
mental: son plus cher ami, Guido Cavalcanti, aprs l'eil dans une
rgion insalubre, revint Florence pour y mourir. Comment ne se
serait-il pas senti responsabl, et par suite d'une dciin qui n'avait
servi rien ? Au chant X de l'nfer, le pre de Guido lui
demandera : Mon fl, pourquoi n'est-il pas avec toi ? # N'est-ce
pas signe d'une angoise non apaie ?
Pendant ls prorats des Blncs, les Noirs manuvraint Rome
auprs du pape Boniface VII pour l faire intervenir Florence par
l moyen d'un pacicateu, en l'occurrence Charles de Valoi, frre
de Philippe l Bel. Pour parer l menace, Florence envoya auprs
du pape une ambassade de troi Florentins, l'un des troi tait
Dante. Le pape reut ls troi envoys, lur ft une dure semonce
qui s'adressait en fait Florence, pui les congdia avec sa
bndiction, sauf Dante qui se sentit menac.
Il avait dj connu un chec, disant non au requtes du pape,
alors que la majorit du Conseil avait dit oui par crainte de Rome.
Ce nouvel chec allit avoir des consquences beaucoup plus gaves.
Il avait appri que Charles de Valoi tait dj entr Florence y
faiant revenir ls Noirs eils, et que l nouveau Poes prononait
des sentences d'exil, dont la sinne. I s'enfuit de Rome, jugea
prudent d'iter Florence, ainsi commena un exil qui ne devait pas
fnir.
Dante a tout dit dans son Pome, au cours du voyage d'outre
tombe, dans les tnbres infernales, sur l montagne du Prgatoire
et dans les sphres clestes, faisant parler ls habitants des troi
16
INTRODUCTION
mondes ou ses guides ou lui-mme ; tout vnement de sa vie est
ainsi prsent directement ou allusivement. Ce moment tragique
entre tous de son bannisement lui est annonc par son anctre
Cacciaguida, rencontr au Ciel de Mars :
[ . . . ] de Florence il te faudra partir,
cela on le veut, cela on le cherche
et tt sera fait par qui y pense
l o chaque jour de Christ on fait commerce.
(Par. XVII, 48)
Il s 'agit, idemment, d Rome et du pape Boniface VII Sre
est l'accusation mai ce serait une erreur de voir l une rancur
personnelle. Il faut dire que depui l mort de Frdric I l'Empire
vaquait, puique l'lction du colge germanique n'tait valbl que
lorsque l souverain dsign avait t couronn Rome, or, aprs
Frdric, les lus ne s'en souciaient pas, d'o ls invectives
dantesques. L'Italie est prsente comme une cavale non monte :
0 Albert 1 'Allemand qui abandonnes
cette bte devenue indomptable et sauvage
alors que tu devrais enfourcher les arons !
(Prg. VI, 97)
Les papes, dans cette carence, agisant au nom de l'empereur #
s'estimaient les mares du destin du pays. Or Dante tait trs sr
que l'quilibre du monde voulait ditincts les pouvoirs temporel et
spirituel. Il reproche Boniface VII de se faire prince temporel et
il l maltraite quand il l considre comme un pape indigne. Par un
procd ingnieu, dans un chant vocateur et splendide (nf.
XIX), il le plce d'avance parmi les simoniaques. Dans un autre
piode (nf. XXVI, 55-132) un damn, mauvai conseiller, dresse
un portrait d ce pape cause de sa damnation pour lui avoir etorqu
un conseil de faude.
L pape, simonique et poltique, a donc une plce en Enfer. Mai
que Boniface, exerant sa fonction de pape, soit maltrait, bafou,
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LA DIVINE COMDIE
humili comme ce fut le cas dans l'attentat d'Anagni, Dante
intervient en deux tercets vengeurs contre ceux qui en ont fait un
nouveau Chrit (ug. XX, 85-90). Incontestablement c 'est l'amour
de l'glie qui porte le pote condamner ou louer selon le cas
celui (( qui tient les clefs .
Dante, donc, se trouvait parmi les premiers banni, accus - il
fallait bien trouver un motif - de concussion et de menes contre
l 'glie de Rome. La premire accusation ((selon la rumeur
publique , disait l'acte, n'a jamai pu tre prouve, et pour cause.
Quant la seconde, elle jouait sur une ambigut, puisque
l 'opposition au menes temporelles de loniface tait pour Dante
un rappel angoiss de la saintet de l 'Eglise. Le 27 janvier 1302
Dante Alighieri tait condamn payer une trs forte amende, il
tait banni pour deux ans et exclu des fonctions publiques. Le
10 mars, comme il ne s 'tait pas prsent, il y eut aggravation de
peine : exil perptuel et menace d'tre brl s 'il tait pris.
Dante ne renona pas pour autant la lutte ; avec les autres
Blancs exils et d'anciens gibelins rencontrs sur les routes de l'exil,
il essaya une rentre Florence. Plusieurs entrepries furent
malheureuses et la dernire, qu'il avait dsapprouve, aboutit un
vritable dsastre La Lastra dans l 't de 130. En outre il n'tait
plus d'accord avec ls autres exils. On peut facilement imagner que
sa puisante personnalit, son caractre entier, ses exigences de
droiture et de justice n'en faiaient pas un compagnon facile, surtout
dans ce milieu d'exils au intrts divergents et parfoi mesquins.
Ce nouvel chec, durement subi, se transfgura pour l pote en prie
de conscience de sa propre valeur, il s 'loigna frement et plus tard
rappela ces moments dramatiques, les faiant prophtiser par
Cacciaguida en paroles qui se terminent par le vers fameux : (( I
sera beau pour toi 1 d'avoir fait un parti toi seul (ar. XVI,
61-69).
Mais cette fert pouvait-elle supprimer la souffrance de chaque
jour ? Dsormai c 'tait l 'exil accept ou plutt subi, et aprs la
diversion de tentatives plus ou moins dsespres, c 'tait l solitude
du cur priv des douceurs de la famille, des ami, du paysage
familier:
18
INTRODUCTION
Tu laisseras toutes choses aimes
plus chrement, et c'est l, la flche
que l' arc de l' exil dcoche en premier.
(Par. XVII, 55-57)
Ces mots dicrets et pudiques dient peu mai suggrent tant. Ce
pre priv de ses enfants qu'il ne reverra qu'adultes a suggr au
pote maintes images d'enfance. (Qu'on se reporte Par. XXXII,
108, Pug. XI, 105, et encore Par. , XV, 123, Par. XXX, 82,
Par. XXII, 121, Par. XXI, 1-6, Pug. XXXI, 64. ) Ce n'est pas
un hasard si les vocations sont toutes d'enfance et n'arrivent pas
l 'adolescence. Sans ostentation, mai l 'occasion d'une
comparaion, d'une similitude, dicrtement toujours, c 'est le rappel
mu des souvenirs du pre.
Dans son iolement, reu d'abord Vrone par ( ( l courtoiie du
grand Lombard , de la famille des Scaligeri, le pote connat une
vie errante au service de l'un ou l'autre de ceu qui l 'employaient.
Mai leur bienveillance, loue plus d'une foi dans le Pome,
n'effaait pas l'amertume d se sentir chez ls autres et non chez soi :
Tu sauras comme a saveur de sel
le pain des autres, et comme est dur chemin
descendre et monter l'escalier des autres.
(Par. XVII, 58-60)
Cette souffrance-l ne s 'apaiera pas et, l 'occasion d'un
personnage, ou d'un piode, elle passe toute vibrante, dns un vers,
dans un tercet. S'agit-il de Romieu de Villeneuve qui, aprs avoir
servi avec un parfait dvouement le comte de Povence, calomni
partit en digrce pauvre et vieu :
et si le monde savait le cur qu'il eut
mendiant sa vie morceau par morceau
bien le loue, et bien plus le louerait.
assai lo Ioda, e pi lo loderebbe.
(Par. VI, 140-143)
19
LA DIVINE COMDIE
Ce vers bri par une sorte de sanglot dit le sort de Dante autant
que celui de Romieu.
Pendant les annes qui suivirent cette srie d'checs, on peut,
grce parfoi un document prci, le plus souvent par suite de
dductions conjecturales, imaginer le pote dans tel ou tel lieu, en
des fonctions diverses, charg d'ambassades ou de messages, peu de
fait sont certains. Ce qui est certain en revanche c 'est qu'il rdigeait
plusiurs ouvrages ; l'un en italien comme l 'avait t l Vita nuova,
ouvrage philosophique sous la forme de commentaire des Canzoni
allgoriques ; deux autres en latin, le De vulgari eloquentia sur la
lngue et l posie; l 'autre sur l Monarchia, c 'est--dire l 'Empire,
lgitime et indpendant de la papaut. Les deu premiers ne furent
pas termins.
Faut-il voir dans ces ouvrages abandonns un nouvel chec ?
serait-ce par incapacit les poursuivre ? Non, Dante a
dlbrment arrt son travail aprs l commentaire de l troiime
Canzone ( en avait prvu quatorze), crivant alors une premire
parti en guie d'introduction, il mettait un point fnal cet ouvrage
inachev. L vrai motif est aillurs. Il est dans ce que Dante a appel
l mirabile visione. Cette admirable vision lui ft ajouter un derier
chapitre la Vita nuova pour reler le grand Pome l 'uvre de
jeunesse, cette louange de Batrice dont il dclrait ne plus rien
pouvoir crire avant de pouvoir dire d'elle ce qui jamais ne fut dit
d'aucune autre. Cette mirabile visione lui fut donne par l
rencontre de Virgil, non du Virgil d'anthologie de ses premires
tudes, mai du pote de l'nide, ce vaste pome o tout tait dit,
histoire et lgende, relgion et mythes, philosophie, morale, art, et
qui suggrait l 'id d'un pome analogue, moderne et chrtin, o
tout serait dit de sa pense et de ses connaisances, de son action,
de ses souvenirs, de ses espoirs, toute une viion du monde et de la
vie, o tout serait dit, dans et par la posie et non dans des traits
thoriques dsormai devenus inutiles. Et Virgile, prciment,
tu duca, tu signore, tu maestro
20
INTRODUCTION
sera son guide dans ls deux premiers mondes, le conduiant
Batrice qui l 'lvera dans les sphres clestes. Ainsi, les deux
ouvrages inachevs reprsentent non pas un chec - sur le pln
littraire, Dante n 'a connu aucun chec -, mai les bauches ou
mieu ls racines qui trouveront panouisement et floraison dans
le pome ternel.
Mai la vie orageuse de Dante n 'est pas pour autant termine.
Entre 1308 et 1313, il va vivre un puisant espoir: l 'Italie ne sera
plus abandonne, Henri VII de Luembourg, lu par la Dite de
l 'Empire, promettait de venir en Italie. Pour Dante, c 'tait le rve
de sa vi qui commenait se ralier. Il avait dif sa thorie de
l 'Empire universel la foi dans son ouvrage la Monarchia et dans
l quatrime partie du Convivio, mai dj ses actes politiques
Florence taient anis par l mme pense. Cette pens tait que
pour ralier sur la terre l pai et l justice, qui ne peuvent exiter
sans l libert, tait ncessaire une unit mondiale dans un
gouvernement universel. Un empereur universel dirigeant les
hommes dans la raliation de leur bonheur terrestre ; l pape
pasteur universel conduisant son troupeau - ses enfants - dans
les voies spirituelles aboutisant au bonheur ternel. L'un et l'autre
marchant d'accord dns l respect mutuel de l fonction parfaitement
indpendante de chacun. Il a sembl certains que l clbre
mosaque du Latran reprsentait l 'idal politique de Dante : on y
voit saint Perre qui remet au pape Lon III son pallium orn de
deux croi, et Charlemagne un tendard. Or c 'est prcisment ce
que Dante refuse : l o est Perre il aurait mis le Chrit ; il prend
soin d'ailleurs de prciser que nous devons au pape ce que nous
devons Prre, non ce que nous devons au Chrit.
Et voici qu'apparaisait l'homme prdstin qui, une foi couronn
Rome et accept par ls nations, allait tablr le monde dans l
pai et la justice. Dante exulte, sa mision se prcie, il doit tout
faire pour la russite de l 'empereur. Par ses pres, il appelle les
uns, supplie les autres, admoneste ceux qui ne veulent pas
comprendre. Au dut de 1311, il s 'est adress tous ls roi, princes
et peupls d'Itali, pour ls inviter recevoir Henri envoy par Diu
21
LA DIVINE COMDIE
mme ; l 31 mars dans une dure lettre au Florentins mirables
qui s 'opposent l 'empereur, il les menace :
Alors que vous cherchez ue fausse liber, vous tomberez dans ue vraie
servitude.
Le 17 avril, il s 'adresse Henri lui-mme qui s 'attarde Miln
o il a ceint la couronne de fer qui le faiait roi d'Italie :
Allons, plus de retard. Prends confiance et abats Florence.
Mai Henri n 'tait pas de ces hommes d'action qui savent dcier
vite et agir sans retard. Et pui son passage dans les villes reillit
les vieilles oppositions entre guelfes et gibelins.
Dante, lui, s 'tait dgag de ces oppositions, il renvoyait les uns
et les autres dos dos, les guelfes qui appellent les Franais sous
le signe des li d'or contre le signe sacr, l'igle de l 'Empire et de
l Justice ; et les gibelins qui de ce signe ont fait l signe d'un parti
(ar. VI, 100-108). Tous n 'taient pas capables de cette hauteur de
vue. Aprs diverses oppositions, Henri arrive tre couronn
Rome, mai Sint-Jean-de-Latran et non Sint-Perre ; non de
la main du pape mai de celle de trois cardinau. Couronnement
au rabais # qui souleva l 'indignation de Dante contre Clment VI
le Gascon # qui avait ainsi trahi le noble Henri #+ Le pire devait
arriver peu aprs: Buonconvento, prs de Sienne, l 'empereur,
malade, devait s 'arrter, et il mourait le 24 aot 1313.
C'tait pour Dante la fn de cinq annes de vie passionne, faite
d'une succession d'espoirs, de dsoltion, de colre, de regrets, et
tout maintenant s 'effondrait, de ce rve d'un harmonieu quilibre
de l justice et de la pai dans le monde. C'tait bien le plus grand
chec que Dante ait jamai connu dans une vie seme d'checs, un
chec la mesure de l 'univers.
Dans l haut Paradi o ls bienheureu sont rassembls dans un
vaste amphithtre - l rose clste - Batrice montre Dante
un sige vide, c 'est celui
22
INTRODUCTION
du noble Henri qui, redresser l' Italie
viendra avant qu'elle soit dispose.
(Par. XXX, 137-138)
Pourquoi n 'tait-elle pas dipose ? La grande coupable c 'est la
cupiit. L'ancinne image revient, l Veltro devait chasser l louve,
c 'est--dire la cupidit ; c 'est la cupidit qui a gagn. Dante
humblment reconna son erreur : port par son dsir il avait oubli
que, selon les textes vangliques, qui lui sont pourtant familiers,
Diu seul connat les temps et les moments. C'est ce que, sous une
forme obscure commande par le genre de la prophti, Batrice,
au Paradis terrestre, lui fait comprendre (ug. XXXII, 67-72).
Ss penses fausses sur le rle d'Henri VI avaient immobili son
esprit comme tel objet plc dans ls eau ptrifantes de l 'Ela, et
son attachement passionn ces penses l 'avait rendu semblable
Pyrame tromp par le voile ensanglnt de Thib.
Un Dante rsign, repentant mme sur ce point prci d'hitoire
faus par sa passion, mai non sans esprance. D'esprance sur son
sort personnel il n 'en avait pas, il n 'en avait plus. Des amis avaint
bien essay de flchir l rigueur de Florence, mais de la lite des
amnitis d septmbre 1311 i avait t eclu ; et apr sa lttre au
sclratisimes Florentins # il tait diffcile d'esprer miu.
Nanmoins, quatre ans plus tard, en mai 1315, on obtenait pour lui
l retour dns sa patri. Revoir mon beau Sint-Jean #q ls fonts
de mon baptme #q le beau bercail o je dormi agneau #q toutes
epressions de tendresse dont est parsem le pome . . . Revenir
Flrence ! . . . Mai l haine est tenace au cur des mdiocres, et ls
conditins imposs pour ce retour taint si humilintes - i devait
entrer en pnitent et faire amend honorabl - que, dns un sursaut
de fert indigne, il refusa :
Est-ce donc l cette courtoise dmarche qui de l'exil rappelle dans sa
patrie Dante Alighieri, aprs les soufrances d'un exil long de presque trois
lustres ? Est-ce l ce qu'a mrit son innocence vidente pour tous ? . . .
Non, ce n'est pas la voie pou revenir dans ma patrie. Si vous, ou d'autres,
en trouverez une qui ne soit pas indigne de la renomme et de l'honneur
23
LA DIVINE COMDIE
de Dante, alors je m'y engagerai, et non pas lent
. Mais si pa
uc
l
e
voie de cette sorte on n'entre Florence, Florence Je ne renterai Jamais.
Et Florence voulant avoir le dernier mot, en septembre de la
mme anne, le condamnait mort et tendait la condamnation
ses fl. Il lui restait si ans vivre : malde, il mourait dans l nuit
du 13 au 14 septembre 1321.
Mais son rve d'une humanit unife, il ne l 'a pas reni, il a
seulement appris que les temps n 'taient pas mrs. I a cru avoir
une mission sur le plan politique, il n 'y a connu que des checs.
Autre tait sa mission, plus large, plus haute : redire au hommes
de l terre ce qui pourra rendre lur esprit plus droit, leur cur plus
aimant, leur apporter ce que lui-mme sollicitait de son anctre : le
conseil de celui
qui voit et veut droitement et qui aime
(Par. XVII, 1051
Sa mision c 'tait son Pome, et c 'est la dure ralit vcue, sa
passion, ses checs, ses souffrances qui ont nourri son gnie. I en
avait bien conscience : n 'est-il pas signifcatif qu 'au cur mme de
l troisime Cantica il ait plac ce chant X VI qui est en mme
temps celui de l 'exil et de la mission ? Cacciaguida a prdit toutes
les souffrances de l 'exil son descendant qui l 'avait interrog, et l
description de cette vie de tribulations il l 'a coute sans broncher,
san se plindre, san un retour sur soi, mai virilement a dmand :
que dois-je faire ?
Ta mission est de parler, lui est-il rpondu, de redire ce que tu
as vu et entendu. Ta parole fera comme le vent qui frappe plus
fortement les plus hautes cimes, tu susciteras des colres ... peu
importe, parle
et laisse gratter l o est la gale.
Et il a parl celui qui signait Dante Alghieri exul immeritus, il
a donn au monde son chef-d'uvre, et sa gloire n 'a cess de
grandir.
24
INTRODUCTION
LA DIVINE COMDIE
Dan cet immortel Pome, que l 'auteur a dsign comme comdie
(style intermdiaire entre le tragique et l 'lgiaque), et la postrit
l 'a qualfe de divine autant par le sujet trait que par l 'excellence
de l raliation, Dante apparat sous troi aspects diffrents, sans
cesser d'tre Dante. I est le crateur, l 'architecte des mondes
d'outre-tombe. Il est aussi le voyageur qui parcourt ces mondes,
dirig par Virgile pui par Batrice, et en mme temps acteur, dans
des rencontres, homme Dante avec ses connaisances, ses interro
gatn, ses passion. Il est enfn l pote qui, revenu d cet tonnant
priple, assi sa table comme l 'a peint Signorelli dans les fresques
de la cathdrale d'Orvieto, en fait le rcit, suppliant les Muses et
l 'Esprit de lui garder une mmoire fdle, afn que du fait le dire
ne diffre 1 #q un esprit et un cur dignes de rapporter ce qu 'il a
vu, entendu et compri : ce que tu vois, 1 retourn l-bas, prends
soin de l 'crire
2
#+
Devant l Comdie, souhaitons chaque lecteur une imagination
visuelle capable de suivre celle de Dante dans une admirable vision
de l 'univers, o l matrialt des leu, dj blouisante, n 'est que
le support de tout ce que le gnie humain a pu suggrer. D'autres
ont prcd le Florentin en imaginant des sjours d'outre-tombe et
l 'on a pu y voir des sources, depui Homre, Virgile, maints auteurs
du Moyen Age, potes ou mystiques, on a mme suggr une
influence de textes islmiques 3 Nul pourtant n'a propos un
enembl d'une tell cohrence, ni su aueindre un si parfait quilibre,
dans une si harmonieuse architecture.
Selon Polme et selon la vrit chrtienne 4 #q de cet univers
l terre est l centre, tout petit centre arpent de terre qui nous rend
si froces 5 # entour, envelopp de ciel concentriques, sphres
comme vides s 'embotant l 'une dans l 'autre, ditinctes par leur
rotation vitesses diffrentes, ce qui produit un son harmonieu
sement musical, vitesse qui s 'acclre mesure qu'elles sont plus
proches de l 'infni o est Dieu. Chacune entrane un astre ayant lui
mme son propre mouvement giratoire qui lui donne son nom.
25
LA DIVINE COMDIE
L'infni c 'est l 'Empye qui enveloppe l Ciel Critallin (appel ausi
premier mobile), pui le Ciel des toiles fes et successivement ceu
de Saturne, de Jupiter, de Mars, du Soleil, de Vnus, de Mercure,
de l lune, le plus proche de la terre. Signalon ds maintenant le
jeu signifcatif des nombres. 9 est le nombre qui accompagne la vie
et l 'uvre de Dante, sa racine tant le 3 de la Trinit Sainte, en
ajoutant l 'unit on a 10, le nombre parfait. C'est ainsi qu'il y a
9 Ciel plus l 'Empyre.
Notre arpent de terre # dimenions humaines a une confgu
ration qui s 'eplque par l chute d Lucifer : le rebell foudroy qui
tomba sur l terre lquelle d'horreur et de dgot s 'carta alors qu'il
allit se plnter au centre de notre globe ; l masse de terre dplce
souleva le Paradi terrestre qui se trouva ainsi la cime d'une
montagne dont les flancs devinrent lieu du Prgatoire. Sur ses
terrsses (9+ 1), ls sauvs qui ont se purifer souffent en chantant
la gloire de Dieu 6
Quant l 'Enfer, c 'est un vaste cne sous terre dont la pointe est
au centre du corps d Lucifer. Il se divie ausi en 9 cercls, prcds
du vestibul o sont les lches. A mesure que l 'on descend, ls fautes
punies sont de plus en plus graves, et si nombreuses que les cercles
se divient en zones et en sous-zones jusqu 'au tratres dont le plus
hideu est Satan. Mai, de grce, qu'on abandonne ce schma et
qu'on lie le pome.
On l 'a dit et rpt, ce pome est celui de l'omo viator. I va
cherchant la libert qui est si chre 7 #q dclare Virgile Caton,
gardien du Purgatoire. L'homme en marche vers l perfection, vers
la divinit. Le pote, en son voyage, dcouvre l 'histoire du monde,
celle du lointain pass, celle de son prsent et celle d'un certain
avenir, car l longue marche tant imagne au temps de Pques de
l 'anne 1300, tout ce qui est signal, annonc aprs cette date prend
fgure de prophtie. Que de personnages rencontrs ! Que de scnes
sucites par ces rencontres, tragques ou cocasses ! Et les diffcults
des passages franchir, non pour l 'ombre de Virgile mai pour son
compagnon qui a encore | le poid de la chair d'Adam 8 #+ Mai,
l encore, qu'on lie, qu'on lie, et qu'on se laise emporter par le
pote !
26
INTRODUCTION
Car san le pote, que serait tout cel ? Peut-tre un schma sera
t-il encore ici utile, et d'ailleurs tout n'est-il pas signifant ? Les
14 233 vers de la Comdie se diposent en 3 Cantiche, . chacune de
33 chants, plus un chant d'introduction, ce qui fait 100. La strophe
est le tercet o le 1er et le se vers sont lis par l rime au 2e du tercet
suivant, en un rythme harmonieu.
L'abandon du Convivio inachev, nous l 'avons dit, reprsente
fondamentalement le passage du pote de l 'allgorie au symbole.
Non plus d'abord l 'ide habille, par dmarche intellectuelle, de
comparaions, mai le rel directement saii et suggr en
mtaphores. Non que l 'allgorie soit absente du pome, mai ses
allgories y ont une me de symbole. Les images surgisent de
partout, de la beaut du monde, des critures, de la mythologie
lrgement et fnement exploite. Dante veut-il signifer son
impuisance redire ses viions paradiiaques ? Voici:
Ainsi la neige au soleil perd sa forme,
ainsi au vent dans les feuilles lgres
se perdait la sentence de la Sibylle.
Il convient surtout de ne pas oubler que l lettre, si belle en elle
mme, est toujours porteuse de symbole.
Un seul artite a su illustrer le Paradi dantesque, c 'est
Botticelli 9
Tous les autres - et il sont nombreu ! - ont
reprsent soit des personnages qui en fait ne sont pas viibles, soit
des scnes rappeles dans ls conversations. Or, si dan la structure
terrestre de l 'Enfer et du Purgatoire, l 'ombre des personnes
rencontres a une apparence humaine plus ou moins abme, ou
mme transforme en arbustes ou en serpents, dans le monde
immatriel de la troiime Cantica, tout est lumire. Les mes
bienheureuses, par faveur divine pour Dante encore humain, se
manifestent lui dans les diffrents Ciel, sous forme de lumires
d'intensit et de couleurs diffrentes ; l 'amour qui les anime les
entrane en des danses formant des dessins qui se font et se dfont ;
ainsi les tonnantes chorgraphies des rondes dans le Soleil, de la
27
LA DIVINE COMDIE
Croi dans Mars, de l 'Aigle dans Jupiter . . . ; et ces danses lgres
et symboliques s 'accompagnent de chants qu'oreille humaine ne
saurait imaginer. Lumire, danse et chant sont la triple epression
senibl pour l 'humanit de Dante d l'amour, substance du Paradi.
C'est aini que Botticelli a su diposer une multitude de lumires
dansantes parmi lesquelles le pote arrive en une vertigineuse
ascension, les yeux dans les yeux de Batrice
10
Passionnant suivre un Dante mystique tout au long du Pome,
qui, aprs l 'ineffable viion directe de l divinit impossible redire,
se sent rappel ou plutt envoy parmi les hommes ses fres :
A la haute fantaisie ici manqua le soufle,
mais dj tounait mon dsir et vouloir
comme roue qui galement est mue
1 'Amour qui meut le soleil et les autres toiles.
(Par. XXXIII, 142-145)
Ces quelques notations Il, destines aider l lecteur, resteraint
bien faibles, si ne se prsentait le Pome sous une forme accessible
au lecteur franai
1
2
.
LA TRADUCTION
Encore une traductin d la Divine Comdie ! dira-t-on peut-tre.
Eh oui, encore une traduction de l 'intraduiible pome de Dante.
Pciment parce qu'il est intraduiibl, il demande des approches
diffrentes. Mme aprs la traduction de mon ami Andr Pzard,
qui enchante les mdivites, il a sembl que serait bienvenue une
traduction qui permette un plus vaste publc de lecteurs la
connaisance du sacrato poema # tout en lui conservant, autant
que faire se peut, une saveur dantesque. C'est du moins ce qui tait
apparu nombre de collgues et d'ami, autant italins que fanai,
qui ayant apprci les nombreuses citations qui parsment le texte
de mon Dante, dans la collection Les crivains devant Dieu #q
28
INTRODUCTION
ne se rsignaient pas l suppression, pour des raions ditoriles,
des traductions qui auraient d suivre l 'essai. Leurs instances ont
fni par me convaincre et je me sui mie l 'uvre.
Mes critres de traduction n 'ayant pas chang, je reproduirai
simplement ce que j 'en crivai alors.
La culpabilit du trare - traduttore traditore - n'accompagne pas
fatalement le traducteu qui, en revanche, ne peut viter une sorte de
dsespoir, surtout quand il s'agit de posie, de cette posie qui rside dans
l'expression irremplaable o rien, abslument rien ne sauait tre modifi,
et dont la traduction se propose de changer les mots, la syntaxe, le rytme,
les sonorits... Il reste le sens, mais les nuances du sens sont si troitement
lies aux formes suggestives qu'on est ramen l encore une difficult
souvent insurmontable. Il faut pourtant choisir.
Aprs deux refus, refus d'un talement en prose du verset dantesque qui
s'y trouve ananti, refus d'une traduction en vers qui peut tre agrable
1 'oreille mais qui porte fatalement des inexactitudes et mme des
contresens, mon choix reste celui de la strophe dont le rythme est cherch
dans une harmonie aussi proche que possible de l' original, sans toutefois
lui sacrifier des nuances de sens toujous importantes. Dans l'impossibilit
dj dclare par Dante nul crit harmonis par le lien musical ne peut
tre de sa langue en une autre transform sans rompre toute douceu et
harmonie P ( Convivio, 1, vu, 14) - il reste transmettre le transmissible.
Parmi le transmissible, il est parfois une certaine obscurit, de mystre ou
de rserve, qu'il faut bien se garder de dtruire par une clart importune
et grammaticalement correcte.
Quant la langue, l encore entre un franais moderne et correct qui
ne peut se plier aux raccourcis du pote, la forte sobrit de son toscan
plus d'une fois invent, et un pastiche trop savant en langue du XIV
sicle, inaccessible l'ensemble des lecteurs, je persiste dans l'emploi d'un
franais d'aujourd'hui, mais trs souvent bris dans sa syntaxe quand le
rythme le demande, et accueillant des termes soit anciens - non pou
faire ancien P mais pour correspondre mieux l'intention du pote -,
soit crs, sans complexe, suivant en cela l'exemple de Dante
1
3,
Convient-il d'ajouter quelques prciion sur des choi dlibrs ?
Le respect ds rptitions, qu'ells soient de simplicit : il dit, je di,
ou de paroles signifcatives, ce qui est trs fquent. L'imitation de
l'italin dn l suppression d'articles ou d pronom pour l sobrit
29
LA DIVINE COMDIE
ou l vigeur d l phrase, ou encore sa douceur, et pour un rythme
plus serr. L'empli si riche en italen de l 'infnitif comme nom ...
Pour les noms propres il fallait s 'arrter un choi nuanc. Les
nom propres italn restnt en ialin, sauf dn ls cas o l forme
fanaie trs courante s 'imposait : il et t riicul, dans un tete
fanai, d lre Milno, Rom, Firenze, ou Franceco pour Franoi
d'Assie. Les noms des dmons, dan l 'enfer, sont conservs car il
ont un sens si fondu dans l trouvaille de la forme qu 'on ne peut
risquer un quivalent. Les noms trangers restent dans lur propre
lngue, sauf dns ls cas indiqus pls haut (aini saint Dominique).
Suf ausi au Paradis, XI, 79-80, ls noms de Felice et Giovanna,
Dante voyant dans lur forme italinne le sens du destin des deu
personnages.
Encore un mot : je n 'ai pas hsit, en quelques cas rares,
emprunter une epression qui me paraisait singulrement heureue
chez un autre traducteur: ainsi, Paul Renucci, l'arpent d
terre de Paradis XXI, 151 ; ou Andr Pzard, le temps qui
t 'ensommeille d Paradis XXXI, 139 ; ou encore, comme tu
regard, Pre, qu'as-tu ? (nf. XXXII, 51), Lamennai.
Enfer
Chant 1
1 Au milieu du chemin de notre vie
je me trouvai dans une fort obscure
gar hors de la voie droite.
4 Ah, comme est chose dure dire quelle tait
cette fort sauvage et pre et forte
qui dans la pense fait revivre la peur !
7 Si amre que peu plus est la mort ;
mais pour traiter du bien que j 'y trouvai,
je dirai les autres choses que j 'y ai vues.
10 Je ne sais bien redire comment j 'y entrai
tant j 'tais plein de sommeil au moment prcis
o j 'abandonnai le vrai chemin.
13 Mais quand je fus venu au pied d'une colline
l o prenait fin cette valle
qui de frayeur m'avait treint le cur,
16 je regardai en haut et vis ses paules
revtues dj des rayons de l' astre
qui mne droit chacun en tout sentier.
19 Alors fut un peu calme la peur
qui au profond du cur m'tait reste,
la nuit que je passai en telle angoisse.
22 Et comme celui qui, le souffle haletant,
sorti hors de la mer sur le rivage
se tourne vers l'eau prilleuse et regarde,
25 ainsi mon esprit qui encore s'enfuyait
33
LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT 1
se tourna en arrire pour voir ce passage
61 Tandis que je croulais vers les lieux bas,
qui ne laissa jamais nulle personne en vie. devant mes yeux quelqu'un me fut offert
28 Lorsque j 'eus repos un peu mon corps lass, qui par long silence semblait enrou.
je repris marcher sur la cte dserte, 64 Quand je le vis dans ce si grand dsert :
o le pied qui pesait tait le plus bas.
Piti de moi criai-je vers lui,
31 Et voici, non loin d'o commenait la pente, *
qui que tu sois, ombre ou homme vrai .
une panthre, lgre et trs agile,
67 Il rpondit : Homme non, mais homme je fus
qui de poil tachet tait recouverte,
et mes parents furent lombards,
et mantouans de patrie, l'un et l' autre.
34 elle ne s'loignait de devant mon visage,
70 Je naquis sub Julo encore qu'il ft tard,
et mme empchait tellement mon chemin
et vcus Rome, sous le bon Auguste,
que plus d'une fois je fus pour revenir.
au temps des dieux factices et mensongers.
37 C'tait le temps quand commence le matin,
73 Je fus pote et je chantai ce juste
et le soleil montait avec ces toiles
fils d'Anchise qui vint de Troie
qui taient avec lui lorsque l'amour divin
quand la superbe Ilion fut incendie.
40 fit mouvoir en premier ces choses si belles ;
76 Mais toi, pourquoi retourner telle dtresse ?
aussi me portrent esprer un bien
pourquoi ne gravis-tu le mont heureux
de cette bte au pelage bigarr
principe et cause de toute joie ?
43 et l'heure du jour et la douce saison, *
79 Es-tu donc ce Virgile, et cette source
mais non tant que peur ne me donnt
qui du parler pand si large fleuve ?
la vue d'un lion qui l m' apparut.
lui rpondis-je la honte au front.
4 Celui-ci paraissait venir contre moi,
82 0 des autres potes honneur et lumire,
la tte haute avec une faim rageuse,
me vaillent la longue tude et le vif amour
au point que l'air en semblait pris de crainte,
qui r
'
ont fait rechercher ton livre.
49 et d'une louve qui de toutes convoitises*
85 Tu es mon matre et tu es mon auteur ;
semblait charge en sa maigreur,
seul tu es celui de qui j 'ai reu
et maintes gens dj fit vivre misrables ;
le beau style qui m'a fait honneur.
52 celle-ci mit en moi un tel accablement
88 V ois la bte pour qui je retournai,
par la peur que suscitait sa vue,
sage fameux, sauve-moi d'elle
que je perdis l'espoir de la hauteur.
qui fait trembler mes veines et mon pouls.
55 Et tel est celui qui volontiers acquiert,
91 Il te faut tenir un autre voyage
et, si vient un temps qui le fait perdre,
rpondit-il quand il me vit pleurer,
en toutes ses penses pleure et s' attriste,
si tu veux chapper ce lieu sauvage,
58 tel me fit cette bte sans paix
94 car cette bte pour laquelle tu cries
qui, venant contre moi, peu peu
ne laisse aucun passer par son chemin,
me repoussait l o le soleil se tait.
mais tant l'empche qu'elle lui te la vie ;
34
35
97
lOO
103
106
1 09
l l 2
I l S
l l 8
121
124
127
130
36
LA DIVINE COMDIE
elle a nature si mauvaise et cruelle
que jamais n'assouvit toutes ses convoitises
et aprs le repas a plus de faim qu'avant.
Nombreux les animaux auxquels elle s'accouple,
et seront plus encore jusqu' ce que le Veltre*
vienne la faire mourir grand'douleur.
Il ne se nourrira de terre ni d'argent,
mais de sagesse d' amour et de vertu,
et son pays sera entre Feltre et Feltre ;
il sera le salut de cette humble Italie*
pour qui moururent et la Vierge Camille
et Euryale et Turnus et Nisus, de blessures.
Il la pourchassera par toutes les villes,
jusqu' ce qu'il l' ait replace en Enfer
d'o l'envie d' abord la fit sortir.
Aussi je pense et juge pour ton bien
que tu me suives et je serai ton guide,
et hors d'ici je te mnerai par u lieu ternel
o tu entendras les cris dsesprs,
tu verras les anciens esprits souffrants
que la seconde mort fait hurler ;
et puis tu verras ceux qui sont contents
dans le feu, parce qu'ils esprent venir
un jour parmi les mes bienheureuses,
vers qui ensuite si tu veux monter
une me viendra pour cela, plus que moi, digne,
avec elle te laisserai mon dpart,
car cet empereur qui l-haut gouverne,
parce qu' sa loi je fus rebelle
ne veut qu'en sa cit par moi l'on vienne.
En tout lieu il domine et l il rgne,
l est sa cit et son trne suprme,
bienheureux celui qu'il y appelle !
Et moi lui : Pote je te demande,
par ce Dieu que tu n'as pas connu,
afin que je fuie ce mal et pire,
133
136
ENFER. CHANT 1
que tu me mnes l o tu viens de dire,
de sorte que je voie la porte de saint Pierre
et ceux-l que tu dis tre si affligs.
Lors il partit et moi je le suivis.
1
4
7
10
13
16
19
22
25
38
Chant II
Le jour s'en allait et l'air assombri
enlevait les vivants qui sont sur terre
leurs travaux, et moi, homme seul,
me disposais soutenir le combat
et du chemin et de la piti
que retracera mon esprit fidlement.
0 Muses, mon plus haut gnie, aidez-moi,
mmoire qui crivis ce que j ' ai vu
ici apparatra ta noblesse.
Je commenai : Pote qui me guides
considre ma valeur si elle est suffisante,
avant que tu m' engages au passage ardu.
Tu dis que de Sylvius le pre, *
corruptible encore, au sicle
immortel alla et fut sensiblement.
Partant si l'adversaire de tout mal
lui fut courtois, en vue du haut effet
qui de lui devait natre, et qui et quel,
cela ne parat pas indigne d'homme sage,
car de l'auguste Rome et de l' empire
il fut, dans l' empyre, lu pour pre,
laquelle et lequel, si l'on veut dire vrai,
furent tablis en vue du lieu saint
o sige le successeu de Pierre le Majeur.
Au cours de ce voyage dont tu lui fais gloire
28
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34
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40
43
4
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55
58
ENFER. CHANT II
il entendit des choses qui furent cause
et de sa victoire et du manteau papal.
Y alla ensuite le vase d'lection*
pour en rapporter appui cette foi
qui est l'entre dans la voie du salut.
Mais moi, pourquoi venir ? ou qui le concde ?
Je ne suis pas
me altire
bnie soit celle dont le sein te porta !
Celui-ci fut au monde personne orgueilleuse
bont en rien ne marque sa mmoire,
ainsi se trouve ici son ombre furieuse.
Combien se tiennent ores l-haut pour des rois
qui ici seront comme porcs en brai
laissant d'eux-mmes un horrible mpris !
Et moi : Matre, j 'ai bien grand dsir
de le voir plonger dans ce brouet
avant que nous sortions de ce lac.
Et lui moi : Avant que l'autre rive
se laisse voir, tu seras satisfait :
de ce dsir il est bon que tu jouisses.
Peu aprs je vis celui-ci dchir
de telle sorte par la gent fangeuse
qu'encore j 'en loue et en remercie Dieu.
67
LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT VIII
61 Tous criaient : Sus Filippo Argenti !
97 0 mon cher duc qui plus de sept
Et cet esprit florentin rageur, fois m'a rendu sret et tir
contre soi-mme se tournait belles dents. du grand pril contre moi dress,
64 L le laissmes et plus je n'en dis mot ;
100 ne me laisse pas , dis-je, ainsi dfait ;
mais dans l'oreille me frappa cri de douleur
et si nous est refus d'aller plus outre
pour quoi je tendis en avant mon regard.
ensemble vite retrouvons la trace de nos pas.
67 Le bon matre dit : Dsormais, fils,
103 Et ce seigneur qui l m'avait men
proche est la cit qui a nom Dite
me dit : Ne crains pas, nul ne peut
avec ses mchants citadins en grande foule.
arrter notre marche, si Tel nous l' a donne.
70 Et moi : Ses mosques dj
106 Mais attends-moi ici, et ton esprit lass
je distingue l dans la valle,
conforte-le et nourris-le de bon espoir
vermeilles comme si sortaient du feu.
car ne te laisserai pas dans ce monde bas.
73 Et il me dit : Le feu ternel qui dedans
109 Ainsi s'en va et ici m'abandonne
les embrase les fait paratre rouges
mon doux pre, et je reste en doute
comme tu le vois en ce bas enfer.
76 Nous arrivmes dans les hautes fosses
car non et oui se querellent en ma tte.
qui dfendent la cit dsole :
112 Je ne pus entendre ce qu'il leur dit,
me semblait de fer tre les murs.
mais il ne resta gure l avec eux
79 Non sans faire d' abord long dtour
car tous dedans l'envi rentrrent.
nous vnmes en un lieu o le nocher
1 1 5 Ils fermrent les portes, nos adversaires,
cria fort : Sortez d'ici. Ici est l'entre.
la face de mon seigneur qui resta dehors
82 Je vis, en haut des portes, plus de mille
et revint moi d'un pas lent.
tombs du ciel qui rageusement
1 18 Les yeux terre, les sourcils privs
disaient : Qui est celui-ci qui sans la mort
de toute hardiesse, il disait en soupirant :
85 va par le monde de la gent qui est morte ?
Qui m'a refus les dolentes demeures ?
Et mon sage matre fit signe
121 Et moi il dit : Si je m'irrite
de vouloir leur parler secrtement.
toi ne t'inquite, car je vaincrai l'preuve
88 Alors calmrent un peu leur grand courroux
quel soit celui qui au-dedans s'oppose.
et dirent : Viens toi seul et s'en aille
124 Cette outrecuidance chez eux n'est pas nouvelle
celui qui si hardi entra en ce royaume. et dj l'usrent moins secrte porte
91 S'en retoune seul par le fol chemin, laquelle est reste sans serrure.
qu'il essaye s'il peut, car tu resteras ici 127 Sur elle tu as vu l'crit de mort :
toi qui l'as guid en si sombre rgion. et, de l, dj descend la pente,
94 Pense, lecteur, si je m'pouvantai passant par les cercles sans escorte
au son de ces paroles maudites 130 celui par qui la ville nous sera ouverte.
car je crus ne jamais revenir.
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13
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Chant IX
Cette couleur que la peur me poussa au visage
lorsque je vis mon guide revenir en arrire,
refoula en lui la sienne aussitt.
Attentif s' arrta, comme homme qui coute,
car ne le pouvait le regard porter loin
dans l'air noir et dans la brume dense.
Il nous faut bien vaincre ce combat ,
commena-t-il, sinon . . . Telle nous se prsenta ! *
Oh ! combien me tarde qu'ici un autre arrive.
Je vis bien comment il recouvrit
le dbut de son dire avec ce qui suivit
qui furent paroles diffrentes des premires ;
mais non de moindre peur fut cause son dire,
parce que je tirais la parole tronque
peut-tre sens pire que celui qu'elle avait.
En ce fond de la triste conque
descend-il jamais quelqu'un du premier cercle
dont la seule peine est le manque d'esprance ?
Cette question fis-je ; et lui : Rare
est le cas , rpondit-il, que l'un de nous
fasse le chem
i
n par lequel je vais.
Il est vrai qu'une autre fois je fus en bas,
suppli par cette Erichton cruelle*
qui rappelait les ombres dans leurs corps.
Ma chair depuis peu tait vide de moi
28
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4
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ENFER. CHANT IX
quand elle me fit entrer au-del de ce mur
pour tirer un esprit du cercle de Judas,
qui est le lieu le plus bas, le plus noir,
et le plus loin du ciel qui tout encercle ;
je sais bien le chemin, sois donc rassur.
Ce marais qui exhale la grande puanteur
ceint tout autour la cit de douleur
o nous ne pouvons entrer sans colre.
Il dit d' autres paroles que je n'ai retenues,
car mes yeux m'avaient tout entier entran
vers la haute tour la cime embrase,
o d'un coup furent soudain dresses
trois furies infernales, de sang teintes,
qui membres avaient de femmes et le port ;
ceintes taient d'hydres horriblement vertes,
serpenteaux et guivres avaient comme chevelure
dont leurs tempes farouches taient enserres.
Et lui, qui bien reconnut les servantes
de la reine des plaintes ternelles,
Regarde , me dit-il, les Erinnyes froces.
Celle-ci est Mgre du ct gauche ;
celle-ci qui pleure, droite, est Alechto,
Tisiphone est au milieu , et aprs il se tut.
Des ongles chacune dchirait sa poitrine
se frappait de ses mains, poussait des cris si hauts
que de frayeur, contre le pote me serrai.
Vienne Mduse ; nous le ferons de pierre
criaient-elles toutes, regardant vers le bas,
mal avons-nous veng de Thse l' assaut.
Retourne-toi et tiens les yeux ferms,
car si Gorgone se montre et si tu la voyais,
vain serait le dsir de retourner en haut.
Ainsi parla le matre et lui-mme
me tourna et, peu sr de mes mains,
des siennes encore il me ferma les yeux.
7l
LA DIVINE COMDIE
ENFER. CHANT IX
61 0 vous qui avez intelligence saine,
97 Que sert contre destin donner de la tte ?
regardez le sens qui se cache
votre Cerbre, si bien vous en souvient,
sous le voile de mes vers tranges.
en porte encore pels le menton et le cou.
64 Et dj venait par-dessus les eaux troubles
100 Puis s'en retourna par le chemin fangeux
le fracas d'un bruit porteur d'pouvante
et nous ne dit mot, mais eut visage
par quoi tremblaient et l'une et l'autre rives :
d'un qu'autre souci et presse et mord
67 tout semblable au bruit que fait un vent
103 que souci de celui qui est l devant lui ;
imptueu dans les chaleurs contraires, et nous dirigemes nos pieds vers la ville
qui frappe la fort et sans rpit aucun rendus confiants par les paroles saintes.
70 brise les ramures, les abat, les emporte ; 106 Dedans entrmes sans plus d'opposition
et devant soi, poudreux, s' en va superbe, et moi, qui avais grand dsir de regarder
et fait s'enfuir et btes et pasteurs. la condition qu'enserre telle forteresse,
73 Me libra les yeux et dit : Ores dirige le nerf 109 sitt entr je lance tout autour mon regard
de ton regard le long de cette cume antique, et je vois partout une vaste campagne
par l-bas o cette fume est plus dense. pleine de soufrance et de tourment cruel.
76 Comme grenouilles devant la couleuvre
1 12 Comme dans Arles o le Rhne stagne,
ennemie, travers l'eau toutes disparaissent
comme Pola, tout prs du Quarnaro
tant qu' la terre chacune se tasse,
qui clt Italie et baigne ses confins,
79 je vis plus de mille mes perdues
1 1 5 font les spulcres tout le sol ingal,
fuir ainsi devant un qui, avanant,
ainsi faisaient-ils l de toute part
passait le Styx pied sec.
sauf que le mode y tait plus amer.
118 Car entre les tombeau brlaient des flammes
82 De son visage il loignait l' air gras
par lesquelles tant taient embrass
portant souvent sa main gauche en avant
que pour le fer nul art n'en demande plus.
et de cette angoisse seule paraissait las.
121 Tous leurs couvercles taient levs
85 Bien vis-je qu'il tait un messager du ciel
et hors en sortaient si dures plaintes
et me tournai au matre qui me fit signe
que bien semblaient de pauvres torturs.
de rester coi et m'incliner lui.
124 Et moi : Matre, quels sont ces gens
88 Ah ! comme il me parut plein de courroux.
qui ensevelis au-dedans de ces tombes
Il vint la porte et, d' une vergette,
se font entendre par soupirs de douleur ?
l'ouvrit, et rien ne rsista.
127 Et lui moi : Ici sont les hrsiarques
91 0 chasss du ciel, gent abjecte ,
avec leurs disciples, de toute secte, et plus
commena-t-il sur cet horrible seuil,
que tu ne crois sont les tombes charges.
d'o cette outrecuidance qui en vous se niche ?
130 Semblable avec semblable est ici enseveli,
94 Pourquoi regimbez-vous cette volont
et les monuments plus ou moins sont brlants.
dont ne peut le but jamais tre tronqu,
Et lorsqu' main droite il se fut dtoun
et qui plus d'une fois accrt votre deuil ?
133 passmes entre les martyres et les hautes murailles.
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Chant X
Ores s'en va, par un troit sentier
entre les murs de la ville et les martyres,
mon matre, et moi derrire lui.
0 vertu suprme qui, par les cercles impies,
me fais tourner , commenai-je, ton gr,
parle-moi et satisfais mes dsirs.
La gent qui gt dans les spulcres
pourrait-on la voir ? puisque sont levs
les couvercles, et nul ne fait la garde.
Et lui moi : Tous seront ferms
lorsque de Josaphat ils reviendront ici
avec les corps qu'ils ont l-haut laisss.
Leur cimetire, de ce ct, ont
avec
thique traite
et pleure o il devrait tre joyeux.
des trois dispositions que le ciel ne veut :
4 On peut tre violent contre la divinit
82 incontinence, malice et folle
la niant dans son cur et la blasphmant,
bestialit ? et comment incontinence
et mprisant nature et sa bont :
moins offense Dieu et s' attire moindre blme ?
49 partant le giron moindre scelle
85 Si tu regardes bien cette sentence,
de son sceau et Sodome et Cahors*,
et te remets en mmoire qui sont ceux
et qui parle en mprisant Dieu dans son cur.
qui l-haut subissent chtiment,
52 La fraude, dont toute conscience est mordue,
8 tu verras bien pourquoi des flons d'ici
1 'homme peut en user avec qui se fie
ils sont spars, et pourquoi moins courrouce
ou avec celui qui n' a pas confiance.
la divine vengeance les martelle.
55 Ce dernier mode parat ruiner
91 0 soleil qui guris toute vue trouble,
seulement le lien d' amour que fait nature,
tant me satisfais, dliant dficult,
partant dans le cercle second se nichent
que douter, non moins que savoir, r
'
est cher.
5 hypocrisie, flatterie, sorcellerie,
94 Encore un peu retourne en arrire ,
fourberie, larcin et simonie,
dis-je, l o tu as dit qu'usure offense
ruffians, baratiers et semblable ordure.
la divine bont et dlie-moi ce nud.
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LA DIVINE COMDIE
Philosophie , me dit-il, qui l'entend,
note et non en un seul point,
comment nature prend son cours
dans l'intelligence divine et dans son art,
et si tu suis bien ta Physique
tu trouveras, non trs loin du dbut,
que votre art autant qu'il peut la suit
comme le disciple son matre ;
de sorte que votre art est comme petit-fils de Dieu.
De ces deux-l, si tu rappelles ton esprit
la Gense, au commencement, il faut
que prennent et progressent les gens.
Et parce que l'usurier tient autre voie
il mprise la nature en elle-mme et l' art
qui la suit, mettant ailleurs son esprance.
Mais suis-moi maintenant, il me plat d' aller,
car les Poissons glissent l'horizon*,
le Chariot sur le couchant s'tend,
et la falaise un peu plus loin s' abaisse.
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Chant XII
Escarp tait le lieu o pour descendre
arrivmes et tel, par celui qui y tait*,
que tout regard s'en serait dtourn.
Comme cet boulement qui de de Trente
frappa l' Adige en son rivage par
tremblement ou manque de soutien,
et de la cime du mont d'o il partit
jusqu' la plaine, la roche est si brise
qu'un qui serait en haut y pourrait passer,
telle de ce ravin tait la descente
et l'extrmit de ce bord croul
tendue tait l'infamie de Crte,
qui fut conue dans la fausse vache ;
et quand nous vit, soi-mme se mordit
comme celui que la rage au-dedans domine.
Mon sage alors vers lui cria : Peut-tre
crois-tu qu'ici est le duc d'Athnes*
qui l-haut dans le monde te donna la mort ?
Pars d'ici, bte, celui-ci point ne vient
enseign par celle qui fut ta sur*
mais s'en va pour regarder vos peines.
Tel ce taureau qui se dtache au moment
qu'il a dj reu le coup mortel,
qui ne sait o aller mais et l bondit
tel vis-je le Minotaure faire ainsi ;
83
LA DIVINE COMDIE
et le matre avis cria : Cours au passage,
tant qu'il est en fureur, vite, descends.
28 Ainsi nous descendmes le long de l'boulis
de ces pierres qui souvent se mouvaient
sous mes pieds, au fardeau insolite.
31 J'allais songeant, et lui me dit : Tu penses
sans doute cette ruine qui est garde
par la fureur bestiale que je viens de dompter.
34 Or, je veux que tu saches que l' autre fois
que je descendis dans le plus bas enfer,
cette roche n' tait pas encore tombe.
37 Mais ce fut peu de temps, si bien je discerne,
avant que vnt celui qui ravit Dite*
sa grande proie du cercle le plus haut ;
40 de toutes parts la ftide valle
trembla si fort que je pensais que l'univers
ressentait cet amour par lequel certains croient
43 le monde plusieurs fois en chaos transform,
et juste ce moment cet antique rocher
ici et ailleurs ainsi se renversa.
46 Mais fixe les yeux vers le bas, car est proche
le fleuve du sang en lequel bout
quiconque par violence nuit aux autres.
49 0 aveugle cupidit, colre insense
qui tant nous peronnes en notre courte vie,
et puis, dans l'ternelle, si mal nous baignes !
52 Je vis une ample fosse arrondie en arc,
qui embrasse entirement la plaine,
selon ce qu' avait dit mon guide :
55 entre elle et le pied du rocher, en file
couraient des Centaures arms de flches,
comme dans le monde ils allaient la chasse.
58 Nous voyant descendre tous s' arrtrent
et, de la troupe, trois se dtachrent
avec arcs et flchettes choisies.
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ENFER. CHANT XII
Et l'un cria de loin : A quel martyre
venez, vous qui descendez cette cte ?
dites-le de l-bas, sinon je tire l' arc.
Mon matre dit : La rponse
nous la ferons Chiron qui est prs de toi :
mauvais fut ton vouloir toujours si htif.
Puis me toucha et dit : Celui-ci est Nessus
qui mourut pour la belle Djanire
et de sa mort fit vengeance lui-mme.
Celui du milieu qui fixe sa poitrine
est le grand Chiron, lequel nourrit Achille,
l'autre est Pholus qui fut si plein de rage.
Tout autour de la fosse ils vont par mille et mille
dardant de flches toute me qui se dresse
hors du sang plus que ne permet sa faute.
Nous approchmes de ces btes agiles,
Chiron prit une flche et de la coche
releva sa barbe en arrire des mchoires.
Quand ainsi eut dcouvert sa grande bouche,
il dit aux autres : Avez-vous remarqu
que le second fait bouger ce qu'il touche ?
Ne font ainsi les pieds des morts.
Et mon bon guide qui dj tait sa poitrine
l o les deux natures se raccordent,
rpondit : Bien est vivant, et tout seulet
il me faut lui montrer le val obscur,
ncessit ici le conduit et non plaisir.
Telle quitta son chant d'alleluia
qui me commit cet office tout nouveau :
il n' est larron, ni moi me coupable.
Au nom de cette vertu par laquelle je dirige
mes pas par si sauvage route,
donne-nous un des tiens qui puisse nous guider,
qu'il nous montre o l'on passe le gu
et qu'il porte celui-ci sur sa croupe
car ce n'est un esprit qui aille par les airs.
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LA DIVINE COMDIE
Chiron se tourna sur son flanc droit
et dit Nessus : Retourne en arrire, guide-les
et fais s'carter toute bande gnante.
Alors nous partmes avec ce guide sr,
longeant la rive de cette vermeille bouillure
o les bouillis poussaient de hauts cris.
Je vis des gens plongs jusqu'au sourcil
et le grand Centaure dit : Ce sont tyrans
qui se saisirent et du sang et des biens ;
ici on pleure les crimes sans piti,
ici est Alexandre et Denys le cruel*
qui fit en Sicile tant d'annes douloureuses.
Et ce front qui a le poil si noir
c'est Azzolino, et cet autre qui est blond*
est Obizzo d'Este lequel vraiment*
fut occis par son filltre, l-haut, dans le monde.
Alors je me tournai vers le pote, et il dit :
Celui-ci te soit premier, et je serai second.
Peu plus outre le Centaure s'arrta
au-dessus de gens que jusqu' la gorge
on voyait sortir de ce flot de sang.
Il nous montra une ombre isole de ct
disant : Celui-ci frappa dans le sein de Dieu*
le cur qui sur la Tamise encore est vnr.
Puis je vis des gens qui hors du fleuve
tenaient la tte et mme tout le torse,
et de ceux-l j 'en reconnus plusieurs.
Ainsi de plus en plus s' abaissait
le sang, et ne cuisait plus que les pieds ;
ensuite ce fut pour nous le passage de la fosse.
De mme que de ce ct tu vois
le flot de sang qui toujours diminue ,
dit le Centaure, sois certain
que de l'autre ct, de plus en plus bas
est le fond jusqu' ce qu'il arrive
o convient que tyrannie gmisse.
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ENFER. CHANT XII
L, la divine justice chtie
cet Attila qui fut flau sur terre*
et Pyrrhus et Sextus ; et ternellement trait*
les larmes, causes par la bouillure,
Rinieri da Corneto, Rinieri le Fol
qui sur les routes menrent telle guerre.
Puis il se retourna et repassa le gu.
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Chant XIII
N'tait Nessus encore arriv au-del
quand nous entrmes dans un bois
qui n'tait d'aucun sentier marqu.
Ni feuillages verts, mais de couleur sombre,
ni rameaux lisses, mais noueux et tordus,
ni fruits aux arbres, mais pines venimeuses.
N'ont si pres broussailles ni si touffues
ces btes sauvages qui, entre Cecina et Corneto*,
ont en haine les lieux cultivs.
L font leur nid les horribles Harpyes*
qui chassrent des Troades les Troyens,
avec la triste annonce des dommages futurs.
Larges ont les ailes, cous et visages humains,
pieds grfus et grand ventre emplum ;
elles se lamentent sur ces arbres tranges.
Le bon matre : Avant que tu entres plus loii,
sache que tu es dans le second giron ,
commena-t-il dire, et y seras
tant que tu arrives l'horrible sablon ;
aussi regarde bien, car tu verras
des choses qui teraient toute foi mon dire.
J'entendais de toute part venir des plaintes
et ne voyais personne qui les ft,
pour ce, tout gar, je m' arrtai.
Je crois qu'il crut que je croyais
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ENFER. CHANT XIII
que toutes ces voix sortaient, entre les branches,
de gens qui s'y cachaient nous.
Aussi le matre dit : Si tu romps
quelque branchette d'un de ces arbres,
les penses que tu as deviendront toutes vaines.
Alors je tendis la main un peu en avant
et cueillis un rameau d'une grande pine
et son tronc cria : Pourquoi me brises-tu ?
Lorsqu'il fut ensuite couvert d'un sang brun,
il cria de nouveau : Pourquoi m'arraches-tu ?
n' as-tu donc nul esprit de piti ?
hommes nous fmes, ores sommes broussailles ;
bien devrait tre ta main plus pitoyable
eussions-nous t mes de serpents.
Comme d'un tison de bois vert qui brle
l'un des bouts et l'autre gmit
et sfle par l'air qui s'en va,
ainsi de la branche brise sortaient ensemble
paroles et sang : alors je laissai le rameau
tomber, et restai comme un saisi de crainte.
S'il avait pu croire aussitt,
me blesse , rpondit mon sage,
ce qu'il a pourtant lu dans mes vers,
il n'aurait pas port la main sur toi ;
mais la chose incroyable me fit
l'induire au geste qui moi-mme pse.
Mais dis-lui qui tu fus afin que, en guise
d'amende, il rafrachisse ta renomme
dans le monde, en haut, o il peut retourner.
Et le tronc : Tant me sduit ton doux parler
que je ne puis me taire, et qu'il ne vous dplaise
si discourir un peu je m'englue.
Je suis celui qui tint les deux clefs*
du cur de Frdric, et qui les tournai
si doucement, ouvrant et fermant,
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LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT XIII
61 que de son secret presque tout homme cartai ; 97 Elle tombe dans la fort sans place choisie
telle foi j 'apportai au glorieux office mais l o Fortune la fait choir,
que j 'en perdis le pouls et le sommeil. puis elle germe comme grain d'peautre.
6 La courtisane qui jamais du palais* 100 Elle monte en tige puis en plante sylvestre :
de Csar ne dtourna ses yeux de prostitue, les Harpyes ensuite, se paissant de ses feuilles,
mort commune et vice des cours, lui font douleur et douleur fentre.
67 enflamma contre moi tous les esprits 103 Comme les autres, viendrons nos dpouilles
et les enflamms enflammrent tant Auguste sans pourtant qu'aucune s'en puisse revtir,
que joyeux honneurs tournrent en tristes deuils. car n'est juste avoir ce qu'on a rejet.
70 Mon cur, par choix ddaigneux 106 Ici les tranerons et dans la triste
croyant dans la mort fuir le ddain, fort seront nos corps suspendus
contre moi juste me fit injuste. chacun au buisson de son me ennemie.
73 Par les singulires racines de cet arbre 109 Nous tions encore attentifs au tronc
je vous jure que jamais ne rompis ma foi croyant qu'autre chose voulait nous dire
mon Seigneur qui fut d'honneur si digne. lorsque nous fmes par un bruit surpris
76 Et si l'un de vous au monde retourne 1 1 2 tout comme celui qui entend venir
qu'il conforte ma mmoire encore le sanglier et la chasse son poste
gisante du coup que lui porta envie. et entend bruire les btes et les branches.
79 Un peu le pote attendit et puis me dit : 1 1 5 Et voici deux, du ct gauche,
Puisqu'il se tait, ne laisse perdre l'instant, nus et griffs, fuyant si fort
mais parle et lui demande ce qui plus te plat. que de ce bois ils rompaient tout branchage.
82 Et moi lui : Demande encore, toi, 1 1 8 Le premier : Accours, accours, mort ! ,
ce que tu crois qui puisse me satisfaire, et l' autre, qui trop il semblait tarder,
car je ne pourrais tant piti me navre. criait : Lano, ne furent si promptes*
85 Pour ce recommena : Librement te sera 121 tes jambes, la joute du Toppo !
accord ce que ta prire demande, et puis, sans doute lui manquant le souffle,
esprit emprisonn, qu'encore te plaise de soi et d'un buisson ne fit qu'un.
88 nous dire comment l' me se lie 124 Derrire eux la fort tait pleine
en ces troncs noueux, et dis-nous, si tu peux, de chiennes noires avides et courantes
si l'une jamais de tels membres s'chappe. comme lvriers librs de leur chane.
91 Alors souffla le tronc trs fort et puis 127 En celui qui s'tait blotti elles mirent les dents
ce vent se convertit en telle voix :
et le dchirrent lambeau par lambeau
Brivement vous sera rpondu : et puis emportrent ces membres dolents.
94 Lorsque l'me farouche s' en va
130 Mon guide alors me prit par la main
du corps dont s'est elle-mme arrache,
et me mena au buisson qui pleurait
Minos l'envoie au septime des cercles. en vain pour les brisures sanglantes.
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LA DIVINE COMDIE
0 Giacomo da Sant'Andrea , disait-il,
que t'a servi me prendre pour abri ?
quelle faute ai-je de ta coupable vie ?
Mon matre, lorsque fut arrt devant lui,
dit : Qui donc fus-tu qui, par tant de blessures,
soufles avec le sang paroles douloureuses ?
Et lui nous : 0 mes qui tes venues
voir le honteu saccage qui a
ainsi de moi loign mon feuillage,
rassemblez-le au pied de ce triste buisson.
Je fus de la cit qui remplaa par le Baptiste*
son premier patron, lequel pour cela
toujours avec son art la fera triste,
et s'il n'tait que sur le pont d'Arno
reste encore de lui quelque pierre,
les citadins qui ensuite la rdifirent
sur les cendres laisses par Attila
auraient fait travailler en vain.
Moi, de ma propre maison je me fis un gibet*.
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Chant XIV
Parce que l 'amour du lieu natal
me poignit le cur, je runis les branches parses
et les lui rendis, alors que dj il s'enrouait.
Ensuite nous vnmes au point o le second
giron se dtache du troisime et o
l'on voit de justice un art horrible.
Pour bien manifester les choses nouvelles,
je dis que nous arrivmes une lande
qui de son lit loigne toute plante.
La fort douloureuse lui est guirlande
tout autour, comme l'tait elle la triste fosse ;
ici arrtmes nos pas tout au bord.
Tout l'espace tait d'un sable aride et pais
non d'autre aspect que celui
qui fut jadis foul par le pied de Caton*.
0 vengeance de Dieu, combien tu dois tre
redoute par chacun de ceux qui lisent
ce qui se manifesta mes yeux.
D'mes nues je vis plusieurs troupeaux
et toutes pleuraient trs misrablement,
et leur semblait impose une loi diverse,
sope
ma pense, par la prsente rixe,
l o il parla de la grenouille et du rat,
car plus ne se ressemblent mo et issa
que l'un et l'autre cas, tant bien s'accouplent
dbut et fin, pour l' esprit attentif.
Et, comme une pense d'une autre jaillit,
ainsi de celle-ci naquit ensuite une autre
qui fit ma peur double de la premire.
Ainsi pensais-je : A cause de nous
ils ont t jous avec dam et dpit
tels que je les crois fort irrits.
Si la colre sur le mal vouloir s'accumule
ils viendront derrire nous plus cruels
que le chien sur le livre qu'il happe.
Dj je sentais se dresser tous mes poils,
par peur, et j 'tais en arrire attentif
quand je dis : Matre, si tu ne nous caches
toi et moi prestement, j 'ai grande pouvante
des Malebranche : nous les avons aux trousses,
je l'imagine si fort que dj les entends.
Et lui : Si j 'tais fait de vitre plombe,
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LA DIVINE COMDIE
ton image dehors ne me viendrait
plus vite que ne reois celle du dedans.
A l'instant venaient tes penses parmi les miennes
avec mme geste avec mme visage
si bien que de nous deux je fis un seul conseil.
Si vraiment la cte droite tant s'incline
que nous puissions dans l'autre fosse descendre,
bien fuirons-nous la chasse imagine.
Il n' avait pas achev de dire tel conseil
que je les vis venir, ailes tendues,
non trs loin et pour nous prendre.
Mon guide aussitt me saisit,
comme la mre qui au bruit se rveille
et voit prs d'elle les flammes allumes,
qui prend son fils et fuit et ne s' arrte,
ayant de lui plus que d' elle souci,
le temps mme de vtir une chemise ;
et, glissant du haut de la dure roche,
sur le dos s' abandonna la pierre en pente,
qui fait un mur au bord de l'autre fosse.
Jamais ne courut si vite eau par bief
pour tourner roue de moulin en montagne
quand plus elle approche des aubes,
comme fit mon matre par cette lisire
m'emportant serr sur sa poitrine
comme son fils, non comme compagnon.
A peine ses pieds eurent-ils touch en bas
le fond, qu'eux furent sur la crte
au-dessus de nous, mais l plus de crainte ;
car la haute providence qui voulut
les placer ministres de la cinquime fosse,
du pouvoir d'en sortir tous l'ta.
L, en bas, nous trouvmes une gent toute peinte
qui allait tout autour pas lents,
pleurant et semblant lasse et vaincue.
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ENFER. CHANT XXIII
Ils portaient des chapes aux capuchons tirs
devant les yeux, tailles comme celles
qu' Cluny on fait pour les moines.
Dehors sont dores, tant qu'elles blouissent,
mais dedans sont de plomb et si pesantes
que Frdric, auprs, les faisait de paille*.
Oh pour l'ternit dououreux manteau !
Nous tournmes encore, toujours main gauche,
en mme temps qu'eux, attentifs leur triste plainte ;
mais, sous le poids, cette gent fatigue
tait si lente, que nous trouvions nouvelle
compagnie chaque mouvement de hanche.
Pour quoi mon guide je dis : Tche de trouver
quelqu'un qui par faits ou renom soit connu,
tout en marchant porte alentour tes yeux.
Et l'un qui entendit ma parole toscane
derrire nous cria : Retenez vos pieds,
vous qui courez ainsi par l'air tnbreux
Peut-tre auras-tu de moi ce que tu demandes.
Alors le guide se retourna et dit : Attends,
et ensuite selon son pas avance.
Je m'arrtai, et j 'en vis deux montrer par leur visage
grande hte du cur d'tre avec moi ;
mais les retardait le fardeau, et la voie troite.
Quand ils furent arrivs, les yeux louches,
longtemps me regardrent sans dire mot ;
puis se tournrent l'un vers l'autre et se disaient :
Celui-ci parat vivant au mouvement de sa gorge,
et s'ils sont morts, par quel privilge
vont-ils non couverts de la pesante robe ?
Puis moi : 0 Toscan, qui au collge
des tristes hypocrites es venu,
dire qui tu es, ne l' aie pas en ddain.
Et moi eux : Je suis n et j 'ai grandi
sur le beau fleuve Arno la grand'ville,
et je suis avec le corps que j ' ai toujours eu.
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LA DIVINE COMDIE
Mais vous qui tes-vous qui telle douleur,
je le vois bien, coule le long des joues ?
et quelle peine est en vous qui tant tincelle ?
Et l'un moi rpondit : Les chapes jaunes
sont de plomb, si lourdes que les poids
font ainsi craquer leurs balances.
Frres Joyeux fmes et bolonais* ;
moi Catalano et lui Loderingo
nomms, et par ta ville ensemble pris,
alors que de coutume elle choisit un seul homme,
pour conserver sa paix ; et ce que nous fmes
encore se voit autour du Guardingo*.
Je commenai : 0 frres, vos maux . . . ,
mais plus n'en dis-je, car mes yeux courut
un, cmci terre avec trois pieux.
Quand il me vit, tout se tordit
soufflant dans sa barbe et soupirant,
et le frre Catalano qui s'en aperut
me dit : Ce clou que tu regardes*
conseilla aux Pharisiens qu'il convenait
de mettre un homme au martyre pour le peuple.
En travers du chemin il est, nu,
comme tu vois, et il faut qu'il sente
de quiconque passe, combien d'abord il pse ;
et de mme faon son beau-pre peine*
en cette fosse, et les autres du Conseil*
qui fut pour les J us male semence.
Alors je vis s'tonner Virgile
sur celui qui tait tendu en croix
si vilement dans l'ternel exil.
Puis il s'adressa au frre en ces termes :
Ne vous dplaise, si c' est permis, nous dire
si, main droite, existe quelque passage
d'o nous puissions tous deux sortir d'ici,
sans contraindre les anges noirs
nous venir tirer hors de ce fond.
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ENFER. CHANT XXIII
Il rpondit donc : Plus que tu ne l'espres
proche est un rocher qui se dtache
du grand cirque et franchit tous les durs vallons,
sauf qu'en celui-ci il est bris et ne le surplombe :
monter vous le pourrez en gravissant la ruine
qui s'tend sur la cte et s'entasse en bas.
Mon gide resta un instant la tte incline
puis dit : Mal nous contait l'affaire
celui qui l-bas accroche les pcheurs.
Et le frre : J'ai ou dire jadis Bologne,
du diable, de nombreux vices parmi lesquels
qu'il est menteur et pre de mensonge.
Et puis mon guide grands pas s'en alla
le visage troubl un peu de colre ;
et moi je m'loignai des lourdement chargs,
suivant les traces des pieds si chers.
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Chant XXIV
En cette partie de l'anne jeunette,
quand le soleil trempe ses crins sous le V erseau,
et les nuits dj vont tre gales aux jours,
quand le givre sur la terre imite
l'image de sa blanche sur,
mais peu dure la teinte son pinceau,
le pauvre villageois qui manque le fourrage
se lve et regarde et voit la campagne
blanchoyer toute, et il se bat le flanc ;
rentre en sa maison et et l gmit,
comme un malheureux qui ne sait plus que faire ;
puis il ressort et emplit son cur d'esprance
en voyant que le monde a chang de visage
en peu d'heure, et il prend son bton,
et dehors ses moutons pousse la pture.
Ainsi me fit trembler le matre
quand je vis tant se troubler son front,
et, aussi vite, au mal vint le remde ;
car, comme nous arrivions au pont bris,
mon guide se tourna vers moi avec cet air
doux que je vis d' abord au pied du mont ;
il ouvrit les bras, aprs avoir u peu pens
en lui-mme, regardant bien d' abord
la ruine, et il me saisit.
Et comme celui qui uvre et value,
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ENFER. CHANT XXIV
qui toujours montre qu'il a prvu d'avance,
ainsi en r
'
levant vers la cime
d'un gros rocher, il avisait u autre clat
disant : Sur celui-ci tu t'agrippes
mais essaie d' abord s'il est tel qu'il te porte.
Ce n'tait chemin pour vtu de chape
car nous, peine, lui lger moi soutenu,
pouvions monter de saillie en saillie.
Et si ce ne ft que, de cette digue,
plus que de l' autre, brve tait la pente,
lui, je ne sais, mais moi, j 'tais vaincu.
Mais parce que Malefosses tout se penche
vers l'entre du puits le plus profond,
la disposition de chaque valle porte
que l'un des bords s'lve et l'autre s' abaisse ;
nous arrivmes enfin sur la pointe
d'o la dernire pierre se dtache.
De mes poumons le souffle tait si puis
quand je fus en haut, que je n'en pouvais plus,
et je m' assis aussitt arriv.
Il te faut dsormais secouer toute paresse ,
dit le matre, car ce n'est dans la plume
que nat la renomme, ni sous la couette ;
celui qui sans elle consume sa vie
laisse sur terre vestige de soi,
comme fume dans l'air et dans l'eau cume.
Donc lve-toi : vaincs l'angoisse
avec le courage qui vainc toute bataille
s'il ne s' affaisse avec le poids du corps.
Plus longue chelle il convient de monter ;
il ne suffit pas de s'tre loign d'eux :
si tu m'entends bien, fais-en ton profit.
Je me levai alors, me montrant fourni
d' ardeur plus que ne me sentais,
et dis : V a, je suis fort et hardi.
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LA DIVINE COMDIE ENFER. CHANT XXIV
61 En haut nous prmes le chemin du rocher 97 Et voici qu' un qui tait de notre ct
qui tait raboteux, troit, et malais s'lana un serpent et le transpera
et beaucoup plus raide que celui d' avant. l o le cou l'paule se noue.
6 J'allais parlant pour ne parare faible ; 100 Ni o si tt jamais, ni i ne s'crivit,
ce qui fit sortir une voix de l'autre fosse comme il flamba et brla, et tout cendre
formant des paroles incomprhensibles. il lui fallut en tombant devenir ;
67 Je ne sais ce qu'elle disait, encore que je fusse 103 et lorsqu'il fut tere ainsi dtruit
dj sur le haut de l' arc qui enjambe ici, la cendre se rassembla d'elle-mme
mais celui qui parlait semblait m par colre. et d'un coup il redevint ce qu'il tait ;
70 J'tais pench vers le bas, mais mes yeux de vivant 106 ainsi par les grands sages est dclar
ne pouvaient aller au fond trop obscur, que le phnix meurt et puis rena,
pour ce, moi : Matre fais que tu arrives quand il approche la cinq centime anne :
73 l' autre enceinte et descendons ce mur ; 109 herbe ni bl en sa vie ne gote
car, de mme que j 'entends et ne comprends pas mais seulement larmes d'encens et d'amome ;
ainsi en bas je vois mais ne distingue rien. nard et myrrhe forment son linceul.
76 Autre rponse ne te donne , dit-il, 112 Et tel est celui qui tombe, et ne sait comme,
sinon le faire, car l'honnte demande par force de dmon qui terre le tire,
se veut suivie de l'uvre, en silence. ou d'autre obstruction qui noue l'homme,
79 Nous descendmes le pont vers la tte, 1 1 5 quand il se lve, qu'il mire alentour,
o il rejoint la huitime rive, tout gar par la grande angoisse
alors la fosse se dcouvrit moi ; qu'il a prouve, et regardant soupire,
82 et je vis au-dedans un horrible amas 118 tel tait le pcheur l' instant lev.
de serpents et d'espces si monstrueuses Oh puissance de Dieu combien est svre
que le souvenir encore me glace le sang. qui de tels coups par vengeance frappe !
85 Qu'on ne vante plus la Libye et ses sables 121 Mon guide lui demanda qui i l tait
car si chlydres, javelots et phares et il rpondit : Je chus de Toscane
elle produit, et chencres et amphisbnes, il y a peu, en cette gueule froce.
88 one tant de pestilences et si a
,
troces 124 Vie bestiale me plut et non humaine,
ne montra, avec toute l'Ethiopie, comme mulet que je fus : je suis Vanni Fucci*
et tout ce qui est autour de mer Rouge. la bte, et Pistoia me fut digne tanire.
91 Dans ce cruel et horrible grouillement 127 Et moi au guide : Dis-lui de ne fuir
couraient des gens, nus, pleins d'pouvante et demande quelle faute le poussa si bas,
sans espoir de pertuis ni d'hliotrope. car je le vis homme de sang et de violence.
94 Des serpents liaient leurs mains par-derrire 130 Et le pcheur qui m'entendit point ne dissimula,
et leur fichaient aux reins la queue mais dressa vers moi l'esprit et le visage,
et la tte, et s' entrelaaient par-devant. et de mchante honte se peignit ;
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LA DIVINE COMDIE
puis il dit : Plus r
'
est deuil que tu r
'
aies surpris
dans la misre o tu me vois,
que lorsque je fus de l ' autre vie t.
Je ne peux repousser ce que tu demandes :
je suis si bas plac parce que je fus
voleur la sacristie des ornements prcieux,
et, faussement, fut accus un autre.
Mais pour que telle vue ne te rjouisse,
si jamais tu seras hors des lieux de tnbres,
ouvre les oreilles ce que j ' annonce, et entends :
Pistoia d' abord de Noirs s'amaigrit,
et puis Florence renouvelle gens et lois.
Mars tire une vapeur de V al di Magra,
qui est de troubles nuages enveloppe ;
et, avec tempte imptueuse et cre,
sur Campo Piceno on se battra ;
mais elle soudain rompra la nue
de sorte que tout Blanc en sera bless.
Et je l ' ai dit pour que te soit douleur !
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Chant XXV
*
Au bout de ses paroles, le voleur
leva les mains et des deux fit la figue,
criant : Prends, Dieu, toi je 1 'envoie !
De ce moment me furent les serpents amis
parce que l 'un s'enroula alors son cou,
comme s'il disait : Je veux que plus ne dises ,
et un autre ses bras, et le lia
se rabattant en avant si fort
que lui, avec eux, ne pouvait plus bouger.
Ah Pistoia, Pistoia, pourquoi ne dlibres-tu
de te rduire en cendres et de ne plus durer,
puisqu' mal faire tu dpasses ta semence !
Par tous les cercles de l 'enfer tnbreux
je ne vis esprit envers Dieu si superbe,
pas mme celui qui, Thbes, tomba au pied des
[murs.
16 Il s'enfuit sans parler davantage,
et je vis u centaure plein de rage
venir, appelant : O est-il, o est-il, l 'insolent ?
19 Je ne crois pas que Maremme ait autant
de couleuvres qu'il en avait lui sur la croupe
jusque-l o commence notre figure humaine.
22 Sur les paules, derrire la nuque,
gisait sur lui, ailes ouvertes, un dragon,
lequel incendie quiconque il rencontre.
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LA DIVINE COMDIE
25 Mon matre dit : Celui-ci est Cacus
qui, sous le roc du mont Aventin,
de sang souventes fois fit un lac.
28 Il ne va pas avec ses frres par le mme chemin,
cause du vol qu'il fit frauduleusement
du grand troupeau qui lui tait proche ;
31 et l cessrent ses uvres louches,
sous la massue d'Hercule qui peut-tre
donna cent coups, et lui n'en sentit dix.
34 Tandis qu'ainsi parlait, et Cacus s'loignait,
trois esprits vinrent au-dessous de nous*,
que ni moi ni mon guide apermes,
37 sinon quand ils crirent : Qui tes-vous ?
pour ce notre discours s' arrta
et sur eux seuls porta notre attention.
40 Je ne les connaissais, mais il arriva,
comme il arrive par quelque hasard,
que l'un eut nommer l'autre,
43 disant : Cianfa, o sera-t-il rest ?
et moi, pour que mon guide restt attent,
posai mon doigt droit du menton au nez.
4 Si ores, lecteur, tu es lent croire
ce que je dirai, ce ne sera merveille,
car moi qui le vis, peine me l'accorde.
49 Comme j 'avais sur eux les yeux fixs*,
soudain s'lance un serpent six pattes
sur l'un d'eux, et tout lui s' attache.
52 Des pattes du milieu il lui serra le ventre,
dans celles de devant lui saisit les bras,
et puis planta ses dents dans l'une et l'autre joue ;
55 les pattes de derrire tendit sur les cuisses
entre lesquelles introduisit sa queue
et la redressa derrire sur les reins.
58 Lierre jamais ne fut enracin si troitement
sur un arbre, comme l'horrible bte,
su les membres d' autrui, entortilla les siens.
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ENFER. CHANT XXV
Puis se collrent comme si de cire chaude
eussent t, et mlrent leur couleur,
ni l'un ni l'autre dj ne paraissait ce qu'il tait ;
comme, avant que le papier s'enflamme,
glisse la surface une couleur brune
qui n'est encore noire, et le blanc meurt.
Les deux autres regardaient, et chacun
criait : Las ! Agnel, comme tu changes*,
vois que tu n'es dj ni deux ni un.
Dj les deux ttes taient devenues une
et nous apparurent deux figures mles
en une seule face, o taient deux perdus.
Deux de quatre se firent les bras,
les cuisses avec les jambes, le ventre et le thorax
devinrent membres qui ne furent jamais vus.
Tout aspect premier tait ici bris,
deux et personne l' image perverse
paraissait, et telle s'en alla d'un pas lent.
Comme le lzard, sous la brlure
des jours de canicule, changeant de haie,
semble un clair s'il traverse la route,
tel apparut arrivant vers le vente
des deux autres, un serpenteau brlant*,
livide et noir comme grain de poivre,
et cette partie par o en premier est pris
notre aliment, l'un d'eux transpera
puis retomba, tendu devant lui.
Le transperc le regarda mais ne dit rien,
les pieds fixs terre, il billait
comme si sommeil ou fivre 1 'assaillait.
Il regardait le serpent et le serpent le regardait :
l' un par la plaie, l'autre par la bouche
fumaient trs fort et la fume se mlait.
Se taise Lucain ormais l o il touche*
du pauvre Sabellus et de Nisidius,
et s' apprte ou ce qui ores surgit.
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LA DIVINE COMDIE
Se taise de Cadmus et d' Arthuse, Ovide*,
car si lui en serpent, elle en source
les mtamorphose en ses vers, point ne l'envie,
car deux natures jamais, face face,
ne transmua de sorte que les deux formes
changer leur matire fussent prtes.
Ensemble se correspondirent de telle faon
que le serpent fendit sa queue en fourche
et le bless ensemble resserra ses pieds.
Les jambes et les cuisses entre elles
se collrent si fort qu'aussitt la jointure
ne laissa aucun signe qui ft visible.
La queue fendue prenait la forme
qui l se perdait, et sa peau
se faisait molle et l devenait dure.
Je vis rentrer les bras dans les aisselles,
et les deux pattes de la bte, qui taient courtes,
s'allonger autant qu'eux se raccourcissaient.
Puis les pattes de derrire ensemble retordues
devinrent le membre que l'homme cache,
et le malheureux, du sien, en avait sorti deux.
Alors que la fume l'un et l' autre voile
de couleur nouvelle, et fait natre le poil
celui-ci tandis qu'il dpile celui-l,
l'un se dressa, l'autre terre tomba
sans dtourner pourtant les regards impies
sous lesquels chacun changeait de museau.
Celui qui tait droit tira le sien aux tempes
et du trop de matire qu'il en resta
sortirent les oreilles des joues lisses,
ce qui ne courut en arrire et demeura,
de ce surplus, forma un nez la face
et gonfla les lvres autant qu'il convenait.
Celui qui gisait pousse en avant le museau
et retire les oreilles au-dedans de la tte
comme fait de ses cornes la limace ;
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ENFER. CHANT XXV
la langue qu'il avait unie, et preste
parler d' abord, se fend, et la fourchue
chez l' aute se referme ; et cesse la fume.
L'me qui tait en bte change
en sifflant s'enfuit dans la valle,
et l' autre derrire lui va parlant et crache.
Puis lui tourna ses nouvelles paules
et dit l' autre : Je veux que Buoso coure*
comme je l'ai fait, sur le ventre, par ce sentier.
Ainsi vis-je la septime sentine
se muer et transmuer ; et que me soit excuse
l'insolite, si ma plume un peu a parfois err.
Et mme si mes yeux taient un peu
confus et mon esprit gar,
ceux-l ne purent s' enfuir tant cachs
que je n'aperusse bien Puccio Sciancato* ;
et il tait le seul des trois compagnons
venus d' abord n'tre pas chang ;
l'autre tait celui, Ga ville, que tu pleures*.
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Chant XXVI
Rjouis-toi, Florence ! si grande es-tu
que par terre et par mer tu bats des ailes,
et jusque dans l'enfer ton nom est rpandu !
Parmi les voleurs, j ' ai trouv cinq
de tes citoyens, dont il me vient vergogne,
et toi, grand honneur n'en acquiers.
Mais si, prs du matin, on songe du vrai,
tu apprendras, peu de temps d'ici,
ce que Prato, et hien d' autres, te souhaitent*.
Et si dj c'tait, ce ne serait trop tt ;
que ce soit donc, puisque cela doit tre !
car plus me psera, quand plus je prendrai d' ge.
Nous partmes, et par cet escalier
que, pour descendre, nous avaient fait les pierres,
mon guide remonta, me tirant aprs lui ;
et, poursuivant la route solitaire,
parmi les saillies et les blocs du rocher,
le pied sans la main n' avanait gure.
Alors je m'affligeai, et je m' afflige encore,
lorsque je repense ce que je vis l,
et plus que jamais refrne mon esprit
pour qu'il ne coure sans que vertu le guide,
et que, si bonne toile ou chose meilleure
m' a donn un hien, de moi-mme ne m' en prive.
Autant le villageois qui se repose sur la colline,
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ENFER. CHANT XXVI
dans le temps que celui qui claire le monde
tient, pour nous, son visage le moins longtemps cach,
quand la mouche au moustique cde la place,
autant il voit de lucioles en bas dans la valle,
l o peut-tre il vendange et laboure,
d'autant de flammes toute resplendissait
la huitime fosse comme je m'aperus
ds que je fus l o le fond apparaissait.
Et tel celui qui se vengea avec les ours*
vit le char d'
ve le fruit amer.
Parmi l'herbe et les fleurs elle rampait, immonde,
tournant parfois la tte, et se lchant
le dos, comme bte qui se lisse.
Je ne vis, et partant ne puis dire,
comment se murent les clestes autours,
mais bien vis-je l'un et l' autre en mouvement.
Au bruit des grandes ailes fendant l'air,
le serpent s'enfuit ; et les anges retournrent
en haut, d'un vol gal, leurs postes.
L'ombre qui s'tait du juge approche,
quand il l' appela, durant tout cet assaut
point ne dtacha de moi son regard.
Puisse la lumire qui te mne en haut
trouver en ton arbitre tant de cire
qu'il en faut jusqu'au sommet fleuri ,
commena-t-elle, si nouvelle vraie
de V al di Magra ou partie voisine
tu sais, dis-le moi, moi qui l tais grand.
Je fus appel Currado Malaspina* ;
je ne suis pas l' ancien, mais de lui descendis :
aux miens je portai l'amour qui, ici, s' affine .
Oh , lui dise, par vos pays
jamais ne fus ; mais o donc,
par toute l' Europe, ne sont-ils connus ?
La renomme dont s'honore votre maison
exalte les seigneurs, exalte la contre,
et ainsi la connait qui encore n'y fut.
Et je vous jure - puiss-je en haut aller !
que votre famille honore en rien n'a perdu
valeur de la bourse et de l'pe.
Usage et nature tant la privilgient
que, si le chef coupable dvoie le monde,
seule elle va droit et mprise la male voie.
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PURGATOIRE. CHANT VIII
Et lui : Ores va, le soleil ne se couchera
sept fois dans le lit que le Blier
de ses quatre pattes couvre et enfourche,
que cette opinion courtoise
te sera cloue au milieu de la tte,
de clous plus forts que les discours d' autrui,
si ne s'arrte le cours du jugement.
Chant IX
1 La concubine de l'antique Ti thon*
dj blanchoyait au balcon d' Orient
hors des bras de son doux ami ;
4 de gemmes tait luisant son front,
places en figure de ce froid animal
qui de sa queue frappe les gens ;
7 et la nuit, des pas dont elle monte
en avait fait deux au lieu o nous tions
et le troisime dj baissait l'aile ;
10 lorsque moi, qui portais le poids d'Adam,
vaincu par le sommeil r 'inclinais sur l'herbe,
l o nous tions tous les cinq assis.
13 A l'heure o l'hirondelle commence ses tristes
lais aux approches du matin,
peut-tre au souvenir de ses premiers malheurs,
16 et que notre esprit plus dtach
du corps et moins pris de soucis,
dans ses visions est presque devin,
19 en songe, me paraissait voir, suspendu
dans le ciel, un aigle aux plumes d'or,
les ailes ouvertes en mouvement de descente ;
22 et il me semblait tre au lieu o furent
abandonns les siens par Ganymde,
lorsqu'il fut ravi au suprme consistoire.
25 En moi-mme je pensais : Peut-tre qu'il chasse
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PURGATOIRE. CHANT IX
ici par habitude, et peut-tre ddaigne-t-il
emporter d'ailleurs quelque proie en ses grfes.
Puis me semblait que, ayant un peu tournoy,
terrible comme foudre, il descendait
et m'emportait en haut jusqu'au feu.
L, il me semblait que lui et moi brlions,
et tant l'incendie imagin me brla,
qu'il fallut bien que le sommeil se brist.
Non autrement Achille se rveilla*,
promenant ses yeux ouverts alentour
et ne sachant en quel lieu il tait,
quand sa mre, de Chiron, le transporta
endormi entre ses bras, Scyros,
d'o ensuite les Grecs l 'emmenrent,
que je r
'
veillai, et comme de mon visage
s'enfuit le sommeil, je devins blme
tel un homme que l'pouvante glace.
A mon ct, seul, tait mon confort
et le soleil tait haut de deux heures,
et ma face tait tourne vers la mer.
N'aie crainte , dit mon Seigneur,
rassure-toi, nous sommes bon point :
ne contrains pas mais dilate ta vigueur.
Tu es dsormais arriv au Purgatoire,
vois la falaise qui le clt tout autour,
vois, l o elle parat disjointe, l'entre.
Il y a peu, dans l'aube qui prcde le jour,
quand ton me en toi dormait
sur les fleurs qui ornent le vallon,
vint une dame et dit : "Je suis Lucie,
laisse-moi prendre celui-ci qui dort,
ainsi rendrai-je plus facile sa route. "
Sordel resta avec les autres nobles mes ;
elle te prit, et quand le jour fut clair,
elle s'en vint en haut, et je suivis ses traces.
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LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT IX
61 Ici te posa ; mais d' abord ses beaux yeux
97 La seconde tait, d' une teinte plus que perse,
me montrrent cette entre ouverte ; faite d'une pierre rude et calcine,
puis elle, et le sommeil, s'en allrent. crevasse en long et en travers.
6 Tel un qui du doute se raffermit
100 La troisime, qui pose sur elles sa masse,
et qui change en confort sa peur m'apparaissait porphyre aussi vermeil
quand la vrit lui est dcouverte, que sang qui jaillit d'une veine.
67 je me transformai ; et, comme sans inquitude
103 Sur celle-ci, posait ses deux pieds
me vit mon guide, sur le rocher se mit l' ange de Dieu, assis sur le seuil
en marche et moi derrire vers la hauteur. qui me semblait pierre de diamant.
70 Lecteur, tu vois hien comment j 'lve
106 En haut des trois marches, de hon vouloir
ma matire et donc ne t'tonne m'entrana mon guide disant : Demande
si avec plus d'art je la rehausse. humblement qu'il ouvre la serrure.
73 Nous approchmes et tions en un point
109 Dvotement me jetai aux pieds saints,
d'o, l'endroit qui avant me semblait bris par misricorde demandai qu'il m'ouvrt,
tout comme une fente qui spare un mur, mais avant, trois fois me frappai la poitrine.
76 je vis une porte et trois marches au-dessous 1 1 2 Sept P sur mon front il traa
pour y monter, de couleurs dfrentes, avec la pointe de l'pe et : Il faut que tu laves
et un portier qui encore se taisait. quand tu es dedans ces plaies , dit-il.
79 Et comme mes yeux de plus en plus j 'ouvris, 1 1 5 Cendre ou terre que 1 'on tire dessche
je le vis assis sur la plus haute marche, tait la couleur de son vtement ;
tel en son visage que mon regard ne le souffrit ; d'en dessous il prit deux clefs.
82 et il avait en main une pe nue 1 18 L'une tait d'or et l' autre tait d' argent,
qui refltait la lumire vers nous tant d' abord avec la blanche, ensuite avec la jaune
qu'en vain souvent j 'y dirigeai les yeux. il fit tant la porte, que je fus content.
85 Dites, vous, l, que voulez-vous ? 121 S'il arrive qu'une de ces clefs choue,
commena-t-il dire, o est votre escorte ? qu'elle ne tourne pas droit dans la serrure ,
prenez garde que monter ne vous nuise ! nous dit-il, cette porte ne s'ouvre.
88 Dame du ciel, experte en ces choses
124 Plus prcieuse est l'une, mais l'autre
lui rpondit mon matre, il y a peu, demande plus d'art et de savoir avant d'ouvrir,
nous a dit : "Allez de ce ct, l est la porte". car c' est elle qui dlie le nud.
91 Et qu'elle dirige vos pas vers le hien ,
127 De Pierre je les tiens, et il me dit d' errer
recommena ce portier courtois, plutt en l'ouvrant qu'en la tenant ferme,
venez donc nos marches, approchez . pou qu' mes pieds l'on se prosterne.
94 L nous vmes, la premire marche
130 Puis il poussa le battant du portail sacr
tait de marbre blanc si lisse et pur
disant : Entrez, mais hien je vous avise
que je m'y refltais tel que je suis. que hors s'en retourne qui regarde en arrire.
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LA DIVINE COMDIE
Et lorsqu' cette porte sacre
dans les gonds se tordirent les pivots
qui, de mtal, sont sonnants et forts,
ne rugit tant, ni tant se montra dure,
Tarpeia quand lui fut enlev le bon
Metellus, pour quoi ensuite resta maigre*.
Je me tournai attentif au premier tonnerre
et Te Deum laudamus me semblait entendre
en voix mles un son doux.
Telle impression au juste me donnait
ce que j 'entendais, comme celle qu'on reoit,
quand on vient chanter avec l'orgue,
et ores si ores non s'entendent les paroles.
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Chant X
Quand nous emes pass le seuil de la porte
dont perd l'usage le mal amour des mes
qui fait paratre droite la voie torse,
au bruit je l'entendis tre referme,
et si j 'avais tourn les yeux vers elle
quelle digne excuse eut t ma faute ?
Nous montions le long d'une pierre brise
qui se mouvait d'un ct et de l' autre,
comme la vague qui fuit et approche.
Ici il faut user un peu d' adresse ,
commena mon guide, et ctoyer
ores ici, ores l, le ct qui s'carte.
Et cela rendit nos pas si lents
que la lune descendante
rejoignit son lit pour se recoucher
avant que nous fussions hors de ce chas,
mais quand nous fmes libres et au large
en haut o le mont en arrire se rassemble
moi fatigu et nous deux incertains
de notre route, nous restmes sur un plan
plus solitaire que chemin pour ermitage.
De son bord qui longe le vide
au pied du haut rocher qui se dresse
il mesurerait trois fois un corps d'homme,
et aussi loin que pouvait voler mon regard
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LA DIVINE COMDIE
tantt gauche et tantt droite,
cette corniche r
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apparaissait gale.
L-haut n'avions pas fait encore un pas
quand je connus que cette paroi autour
qui, droite, ne se laissait gravir,
tait de marbre blanc et orne
de reliefs tels que non seulement Polyclte
mais la nature, l, s'avouerait vaincue.
L' ange qui vint sur terre avec le dcret*
de la paix, si longtemps implore,
qui ouvrit le ciel aprs long interdit,
devant nous apparaissait si vrai,
taill ici en un geste trs doux,
qu'il ne semblait pas image qui se tait.
On aurait jur qu'il disait Ave ,
car l dj tait reprsente celle
qui pour ouvrir le haut amour tourna la clef ;
elle avait en son geste imprime cette parole :
Ecce ancill Dei # aussi exactement
qu'une figure dans la cire s'empreint.
Ne retiens en un seul lieu ta pense ,
dit mon doux maitre qui me tenait
son ct l o les gens ont le cur,
alors je tournai mon regard et je vis,
derrire Marie, l
o tait celui qui me guidait,
une autre histoire, dans la roche, taille,
dpassant alors Virgile je me fis proche
afin qu'elle ft mes yeux dispose.
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LA DIVINE COMDIE
Ainsi les aveugles qui manque de quoi vivre
se tiennent lors des pardons, demander l' aumne,
et l'un appuie sa tte sur l' autre,
pour qu'en autrui piti aussitt s'veille
non seulement par le son des paroles
mais par la vue qui non moins sollicite.
Et comme aux aveugles n'arrive le soleil
ainsi aux ombres l, dont je parle,
lumire du ciel ne veut se donner,
car tous un fil de fer perce les paupires
et les coud, comme pervier sauvage
on fait, tant qu'il ne demeure paisible.
Il me semblait, en allant, faire outrage
voyant autrui et n'tant pas vu,
aussi me tournai-je mon sage conseil.
Bien savait-il ce que voulait dire mon silence
et il n'attendit pas ma demande
mais dit : Parle et sois bref et prcis.
Virgile venait prs de moi du ct
de la corniche d'o l'on peut tomber,
car d'aucun rebord ne s'entoure ;
de l'autre ct se trouvaient les pieuses
ombres qui par l'horrible couture
soufraient tant qu' elles baignaient leurs joues.
Je r
'
adressai elles et commenai :
0 gent assure de voir la haute lumire
qui est le seul dsir dont vous ayez souci,
que bientt la grce rsorbe l'cume
de votre conscience de sorte que par elle
descende clair le fleuve de la mmoire ;
dites-moi, ce me serait aimable et cher,
si me est parmi vous qui soit latine ;
et peut-tre sera-ce hon pour elle que je l'apprenne.
0 mon frre, chacune est citadine
d' une vraie cit : mais tu veux dire
une qui vcut en Italie son plerinage.
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PURGATOIRE. CHANT XIII
Cela me sembla entendre en rponse,
plus loin que l o je me trouvais,
alors je m' avanai pour me faire mieux entendre.
Parmi les autres je vis une ombre qui me semblait
attendre ; et tel un qui voudrait dire : Comment ?
le menton, comme fait un aveugle, elle levait.
Esprit , dis-je, qui pour monter te domptes,
si tu es celui qui m' a rpondu
fais-toi connatre par lieu et par nom .
Je fus Siennoise , rpondit l'ombre, et avec*
ces autres, je lave ma vie mauvaise,
en implorant celui qui peut nous aider.
Sage ne fus, hien que Sapia
fusse nomme, et je fus du malheur des autres,
hien plus joyeuse que de mon bonheur.
Et pour que tu ne croies pas que je te trompe,
entends combien je fus, comme je le dis, folle,
alors que dj je descendais la courbe de mes ans.
Mes concitoyens taient prs de Colle,
sur le champ arrivs avec leurs adversaires,
et je priais Dieu pour ce qu'il voulut.
Ils furent vaincus l et pousss dans l' amer
chemin de la fuite ; et les voyant poursuivis
je fus prise d'une joie nulle autre pareille,
tant que je tournai vers le haut mon visage hardi,
criant Dieu : "Dsormais je ne te crains plus !
comme fit le merle pour un peu de bonace.
Paix avec Dieu je voulus au terme
de ma vie ; et encore ne serait
mon devoir de pnitence amoindri,
si ce n'tait que fit mmoire de moi
Pier Pettignano, en ses oraisons saintes*,
qui par charit eut piti de moi.
Mais toi qui es-tu, qui vas interrogeant
sur nos conditions, et portes les yeux ouverts,
comme il me semble, et parles en respirant ?
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LA DIVINE COMDIE
Mes yeux , dis-je, me seront ici ts
mais peu de temps, car faible est l'offense
faite en les tournant avec envie.
Trop plus grande est la peur qui tient en suspens
mon me, du tourment d'en dessous,
et dj le fardeau de l-bas me pse.
Et elle moi : Qui donc t'a conduit
ici parmi nous si tu crois retourner en bas ?
Et moi : Celui-ci qui est avec moi et ne dit rien.
Et vivant je suis et, partant, requiers-moi
esprit lu, si tu veux que je meuve
l-bas encore pour toi mes pieds mortels.
Oh ! c'est l chose nouvelle entendre ,
rpondit-elle, et grand signe est que Dieu t'aime,
et par ta prire tu peux m' tre utile.
Et je te demande, au nom de ce que plus tu dsires,
si jamais tu foules la terre de Toscane,
qu' auprs de mes proches tu me rendes honneur.
Tu les verras parmi cette gent vaine
qui espre en Talamone, et ils y perdront*
plus d'espoir qu' trouver la Diana ;
mais plus encore y perdront les amiraux.
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Chant XIV
Qui est celui-ci qui fait le tour de notre mont
avant que mort lui ait donn l'envol
et ouvre les yeux volont, et les ferme ?
Je ne sais qui il est, mais sais qu'il n'est pas seul :
demande-le-lui toi qui es plus proche,
et, avec douceur l' accueille, pour qu'il parle.
Ainsi deux esprits l'un vers l'autre penchs
s'entretenaient de moi, l, main droite ;
puis, pour me parler, levrent leurs visages,
et l'un dit : 0 me qui encore fiche
en ton corps t'en vas vers le ciel,
par charit console-nous et dis-nous
d'o tu viens et qui tu es, car cette grce
tienne nous fait merveiller
comme chose qui jamais ne fut.
Et moi : Par le milieu de la Toscane passe
un petit fleuve qui nat en Falterona
et cent mille de course ne le rassasient.
19 De ses rives j 'apporte ma personne ;
vous dire qui je suis serait parler en vain,
car mon nom ne sonne encore trs haut.
22 Si bien ton intention je pntre
par l'intellect , me rpondit alors
celui qui dj parlait, tu veux dire l' Arno .
25 Et l'autre lui dit : Pourquoi celui-ci
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LA DIVINE COMDIE
PURGATOIRE. CHANT XIV
a-t-il cach le nom de ce fleuve
61 Il vend leur chair encore vivante
comme on le fait de choses horribles ?
puis les tue comme bte vieillie ;
28 Et l'ombre qui sur ce point tait interroge beaucoup, de leur vie, et lui d'honneur il prive.
s' acquitta ainsi : Je ne sais, mais 6 Sanglant il sort de la triste fort,
justice est que le nom de ce val prisse la laisse telle que d'ici mille ans
31 car depuis son origine, o si haut se dresse* dans son tat premier ne se reboise.
la montagne dont s'est dtach Peloro, 67 Comme l'annonce de dououreux malheurs
qu'en peu de lieu sa cime est dpasse,
se trouble le visage de celui qui coute
de quelque part que le pril le morde,
34 jusque-l o il se rend pour redonner
70 ainsi vis-je l'autre me, qui tendue
la mer ce que lui prend le ciel
se tenait l'coute, se troubler et se faire triste
dont les fleuves reoivent ce qu'ils entranent,
aprs qu'elle eut la parole entendue.
37 la vertu est ennemie, tous la fuient
73 Le dire de l'une et de l'autre la vue
comme un serpent, soit par infortune du lieu,
me fient dsireux de savoir leus noms
soit par mal usage qui les incite,
et j 'en fis la demande y mlant la prire ;
40 au point que tant ont chang leur nature
76 pour quoi l'esprit qui venait de parler
les habitants de la misrable valle
recommena : Tu veux que je fasse
qu'il semble que Circ les ait eus en pture.
pour toi ce que tu n'as pas voulu pour moi.
43 Parmi d' affreu porcs plus dignes de glands*
79 Mais puisque Dieu veut qu'en toi resplendisse
que d'autre mets fait pour l'usage humain,
tant sa grce je ne refuserai pas.
se dirige d' abord son pauvre chemin.
Sache donc que je suis Guido del Duca* ;
4 Trouve ensuite en descendant roquets*
82 si brlant d'envie fut mon sang,
plus hargneux que ne demande leur force
que si j ' avais vu quelqu'un tre joyeux
et devant eu, ddaigneu, tord le museau.
tu m'aurais vu le visage livide.
49 Elle s'en va tombant et plus elle grossit
85 De ma semence telle paille je moissonne :
plus trouve des chiens devenus loups*,
gent humaine, pouquoi places-tu ton cur
la maudite et misrable fosse.
aux seuls biens qui refusent le partage ?
52 Descendue ensuite par sombres marcages,
88 Celui-ci est Rinieri : valeur et honneur*
trouve les renards si pleins de fraude*
de la maison des Calboli, o nul
qu'ils ne craignent engin qui les soucie.
ne s'est fait hritier de sa vertu.
55 Ne m' arrterai de dire encore qu'un autre coute ;
91 Et son sang n'est point seul tre dpouill,
et bon sera pour celui-ci, si plus tard se souvient
entre le P et le mont et la mer et le Reno,
de ce qu'un esprit vrai me rvle.
du bien requis pour le vrai et la joie,
58 Je vois ton neveu qui devient*
94 car l'intrieur de ces limites prolifrent
chasseur de ces loups sur la rive
les broussailles vnneuses de sorte que trop tard
du fleuve cruel, et tous les pouvante.
dsormais on voudrait les faire disparare.
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LA DIVINE COMDIE
O est le bon Tizio et Arrigo Manardi* ?
Pier Traversaro et Guido di Carpigna ?
Oh Romagnols devenus btards !
Quand Bologne u Fabbro refera souche
et quand, Faenza, un Bernardino di Fosco,
tige aimable venue de petite graine ?
Ne t'merveille Toscan si je pleue
quand je me rappelle, avec Guido da Prata,
Ugolino d' Azzo qui vcut avec nous,
Federigo Tignoso et ses compagnons,
la maison Traversara et les Anastagi,
( et l'une et l'autre famille est sans hritier) ,
les dames et les chevaliers, les peines et les joies
o nous pressaient amou et courtoisie,
l o les curs se sont faits si mauvais.
0 Bertinoro, pourquoi ne fuis-tu pas
puisque s'en est alle ta famille
et nombre de gens pour ne point se corrompre ?
Bien a fait Bagnacavallo sans hritier mle,
et mal a fait Castrocaro, et pire Conio
qui plus se trompe en engendrant tels comtes.
Bien feront les Pagani aprs que leur dmon*
s'en ira, mais non que pourtant sans tache
reste jamais d' eux tmoignage.
0 U golino dei F antolini, en scurit
est ton nom, puisqu'on n'attend plus
qui pourrait en forlignant l'obscucir.
Mais va dsormais, Toscan, qu'ores trop plus
ai-je envie de pleuer que de parler,
tant r
'
a notre discours treint l'esprit.
Nous savions que ces mes chres
nous entendaient marcher, aussi, se taisant,
elles nous assuaient du chemin.
Puis en avanant nous fmes seuls ;
foudre fendant l' air nous parut
une voix qui arriva contre nous disant :
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PURGATOIRE. CHANT XIV
Me tuera quiconque me trouve* ,
et s'enfuit comme tonnerre qui s'teint
s'il dchire aussitt le nuage.
A peine avions-nous cess de l'entendre
voici l'autre avec si grand fracas
qu'on et cru u tonnerre qui aussitt suit.
Je suis Aglauos qui devins pierre*.
et alors pou me serrer au pote,
je fis droite et non en avant u pas.
De toute part dj l' air tait calme
et il me dit : Cela tait le dur frein
qui devrait retenir l'homme dans sa voie.
Mais vous prenez l' amorce, et l'hameon
de l'antique adversaire vous tire lui,
alors peu vaut frein ou appels.
Le ciel vous appelle et il vous entoure
vous montrant ses beauts ternelles
et pourtant votre il regarde terre,
dont vous frappe celui qui tout discerne.
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Chant XV
Autant, entre la fin de l'heure tierce
et le dbut du jour, parat la sphre
qui toujours tel un enfant se joue,
autant paraissait dj vers le soir
tre au soleil demeur de son cours :
vpres tait l, et sur terre minuit.
Et les rayons nous frappaient sur le nez
car autour du mont nous avions tourn
en sorte que tout droit nous allions au couchant,
quand je sentis peser sur mon front
une splendeur plus vive qu'auparavant
et stupeur me causaient les choses non connues ;
alors je levai les mains vers le haut de mes cils
et r
'
en fis un cran
pour limiter l'excs de la lumire.
Comme quand de l' eau ou du miroir
rejaillit un rayon du ct oppos,
en montant de la mme faon
dont il descend, et s'loigne
du fil plomb d' un espace gal,
comme nous montre exprience et art ;
ainsi me sembla-t-il tre frapp
d' une lumire rflchie devant moi,
et prompte fuir fut ma vue.
Qu'est-ce donc, doux pre, ce dont je ne peux
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PURGATOIRE. CHANT XV
protger mon regard tant que me vaille ,
dis-je, et qui semble s' avancer vers nous ?
Ne t'tonne pas si encore t'blouit
la famille du ciel , me rpondit-il,
c'est un messager qui vient nous inviter monter.
Bientt voir ces choses
tu n'auras peine mais plaisir,
autant que nature sentir te disposa.
Quand nous fmes arrivs l'ange bni,
d'une voix joyeuse il dit : Entrez ici ,
montrant des degrs bien moins hauts que les autres.
Partis de l nous montions, et
Beati miericordes # fut chant
derrire nous, et : Joie dans ta victoire !
Mon matre et moi, tous deux seuls,
allions vers le haut, et en allant je pensai
valeur acqurir par ses paroles,
et je m' adressai lui en demandant :
Qu'a voulu dire l'esprit de Romagne
en mentionnant "refusent" et "partage"* ?
Alors lui moi : De sa plus grande faute
il connat le dam, partant qu'on ne s'tonne
s'il la reprend afin que moins l'on pleure.
Parce que se pointent vos dsirs
l o par le nombre chaque part diminue,
envie tire le souflet aux soupirs ;
mais, si l' amour de la sphre suprme
dirigeait vers le haut votre dsir,
point ne serait cette crainte en vos poitrines,
car l, plus on est dire "notre"
et plus chacun possde de bien
et plus de charit brle en ce clotre.
Je suis plus loin d' tre rassasi ,
dis-je, que si j e r
'
tais tu,
et plus de doutes j 'amasse en mon esprit.
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LA DIVINE COMDIE
61 Comment se peut-il qu'un bien distribu
plusieurs possesseurs les fasse plus riches
que si par peu est possd ?
6 Et lui moi : Parce que tu replonges
ton esprit encore en choses terrestres,
de vraie lumire tu recueilles tnbres.
67 Cet infini et ineffable bien,
qui est l-haut, court l'amour
comme un rayon vient un corps brillant ;
70 tant se donne autant qu'il trouve d' ardeur,
de sorte que plus charit se dploie
plus crot sur elle l'ternelle valeur ;
73 et tant plus de gens l-haut s'enflamment
plus y est de bien aimer, et plus on s'y aime,
et comme en un miroir l'un l'autre rpond.
76 Et si mon discours ne comble ta faim,
tu verras Batrice et elle pleinement
satisfera ce grand dsir, et les autres.
79 Fais en sorte que bientt soient effaces
comme dj les deux premires, les cinq plaies
qui se referment quand on se repent.
82 Comme j 'allais dire : Tu me contentes ,
j e me vis arriv sur l'autre corniche
et me fit taire le dsir de mes yeux.
85 L il me sembla en une vision
extatique soudain tre ravi
et voir en un temple plusieurs personnes,
8 et une femme, sur le seuil, en douce*
attitude de mre, dire : Mon enfant
pourquoi as-tu agi ainsi envers nous ?
91 vois, en peine ton pre et moi
te cherchions. Et comme elle se tut
ce qui r
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tait montr disparut.
94 Ensuite m' apparut une autre avec, le long des joues*
cette eau que la douleur distille
quand de grand dpit elle nat chez quelqu'un,
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PURGATOIRE. CHANT XV
et dire : Si tu es seigneur de la ville
dont le nom fit chez les dieux telle querelle
et o toute science resplendit,
venge-toi de ces bras hardis
qui embrassrent notre fille, Pisistrate !
Et le seigneur m'apparaissait bienveillant et doux
lui rpondre, le visage paisible,
Que ferons-nous qui nous souhaite du mal
si celui qui nous aime est par nous condamn ?
Puis je vis des gens enflamms de colre*
lapider un jeune homme en criant
fort l'un l'autre : Tue-le, tue-le.
Et lui je le voyais s' incliner, par la mort
qui d l'crasait, vers la terre,
mais de ses yeux encore faisait portes au ciel,
priant le haut Sire, en telle guerre,
qu'il pardonnt ses perscuteurs,
avec ce visage qui ouvre la piti.
Quand mon me revint dehors,
aux choses qui hors d'elle sont vraies,
je reconnus mes erreurs non fausses.
Mon guide, qui me pouvait voir
faire comme un qui du sommeil se dlie,
dit : Qu'as-tu que tu ne peux te tenir,
tu es venu plus d'une demi-lieue
les yeux voils et les jambes alourdies
comme un que vin ou sommeil accable ?
0 mon doux pre, si tu m'coutes ,
dis-je, je te dirai ce qui m'apparut
quand mes jambes me furent tes.
Et lui : Si tu avais cent masques
sur la face, ne me seraient closes
tes cogitations mme minimes.
Ce que tu as vu te fut donn pour que tu ne refuses
d'ouvrir ton cur ces eaux de la paix
qui s'pandent de l'ternelle fontaine.
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LA DIVINE COMDIE
Je n'ai pas demand : "Qu'as-tu ? " comme fait
celui qui regarde d'un il qui ne connat
en quelle inconscience gt le corps ;
mais j 'ai demand pour donner force ton pied ;
ainsi faut-il secouer les paresseux, lents
user de la veille, quand elle revient.
Nous allions dans le soir, regardant
aussi loin que pouvaient aller les yeux,
contre les rayons brillants du couchant.
Et voici peu peu une fume avancer
vers nous, sombre comme la nuit,
et n'tait lieu pou l'viter :
elle nous ta et les yeux et l'air pu.
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Chant XVI
Noir d'enfer, noir de nuit prive
de toute toile, sous pauvre ciel,
autant que se peut tnbre de nuages,
ne fit ma vue voile aussi pais
comme cette fume qui ici nous couvrit,
ni aux yeux si pre poil,
car l 'il ne souffrit rester ouvert,
d'o mon aide sage et fidle
s'approcha m' offrant son paule.
Comme un aveugle va derrire son guide
pou ne point s'garer, ni se heurter
chose qui le blesse ou peut-tre le tue,
j 'allais dans l'air amer et sale,
coutant mon seigneu qui ne cessait
de dire : Prends garde n'tre coup de moi.
J'entendais des voix et chacune semblait
prier, pou paix et pou misricorde,
l' Agneau de Dieu qui te les pchs.
( ( Agnus Dei # tait leu exorde.
Mme parole en toutes et mme ton,
ainsi paraissait en elles vraie concorde.
Ce sont l des esprits, matre, que j 'entends ?
dis-je. Et lui moi : Tu as compris le vrai
et ils vont dliant le nud de la colre.
Oh toi qui es-tu qui fends notre fume
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LA DIVINE COMDIE
et parles de nous comme si encore
tu divisais le temps par calendes ?
Ainsi fut dit par une voix ;
d'o mon mare dit : Rponds
et demande si par l on va vers le haut.
Et moi : 0 crature qui te purifies
pour revenir belle celui qui te fit,
merveille entendras si tu me suis.
Je te suivrai tant qu'il m'est possible
rpondit-elle, et si voir ne laisse la fume,
l'our nous tiendra lis la place .
Alors je commenai : Avec cette enveloppe
que la mort dissout, je r
'
en vais l-haut,
et ici je suis venu par l'infernale angoisse ;
et si Dieu m' a en sa grce inclus
tant qu'il veut que je voie sa cour
de faon toute hors du moderne usage,
ne me cache pas qui tu fus avant la mort,
mais dis-le-moi, et dis-moi si bien je vais au passage ;
que tes paroles soient notre escorte .
Lombard fus et fus appel Marco*,
je connus le monde et j ' aimai cette valeur
vers laquelle, ores, chacun a dtendu son arc.
Pour monter tu vas tout droit ,
rpondit-il et ajouta : Je te prie
que pour moi tu pries, quand tu seras l-haut.
Et moi lui : Par foi je m'engage
faire ce que tu demandes, mais j ' clate
dans un doute, si je ne m'en explique.
D' abord il tait simple et maintenant est doubl
par ta sentence qui me certifie,
ici et ailleurs, celui auquel je l'accouple.
Le monde est bien, comme tu le dis,
dsert et vide de toute vertu,
de malice il est gros et il est envelopp,
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PURGATOIRE. CHANT XVI
mais je te prie de m' indiquer la cause,
afin que je la voie, que je la montre aux autres,
car l'un aux toiles, l'autre ici-bas la place.
Profond soupir que douleu resserra en houi !
fit-il d'abord entendre, puis commena : Frre
le monde est aveugle et tu viens bien de lui.
Vous qui vivez reportez toute cause
en haut au ciel, comme si vraiment
il entranait tout avec lui par ncessit.
S'il en tait ainsi, en vous serait dtruit
le libre arbitre et ne serait justice
avoir joie pour bien et deuil pour mal.
Le ciel suscite vos mouvements,
je ne dis pas tous, mais mme dans ce cas,
lumire vous est donne pour le bien et le mal,
et libre vouloir qui , s'il peine
dans ses premires batailles avec le ciel,
ensuite est partout vainqueur, si bien nourri.
A plus grande force et meilleure nature,
libres vous tes soumis, c'est elle qui cre
en vous l'esprit qui chappe l'influence des cieux.
Partant si le monde prsent est dvoy
en vous est la cause, qu'on cherche en vous,
et je saurai bien maintenant te l'exposer.
Elle sort de la main de celui qui l' aime
avant qu'elle soit, pareille une enfant
qui pleurant et riant foltre,
l'me simplette qui ne sait rien
sauf que, mue par joyeux crateur,
volontiers va ce qui l'amuse.
D'un petit bien d' abord gote saveur,
s'y trompe et cout aprs lui,
si guide ou frein son amour ne redresse ;
d'o il fallut la loi pour mettre un frein,
il fallut avoir un roi qui discernt
de la vraie cit au moins la tour.
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LA DIVINE COMDIE
Les lois sont l, mais qui y tient la main ?
personne car le pasteur qui prcde
peut ruminer, mais n'a l'ongle fendu* ;
pour ce la gent qui voit son guide
tendre aussi ce hien dont elle est gloutonne,
s'en repat et ne demande plus outre.
Bien peux-tu voir que le mal gouverner
est la cause qui a fait le monde coupable
et non nature qui serait en vous corrompue.
Rome, qui fit le hon monde, soulait avoir
deux soleils qui et l'une et l' autre routes
montraient, et du monde et de Dieu.
L'un a teint l'autre et l'pe est jointe
la crosse, et mal convient que de vive force
l'une avec l' autre aillent ensemble
car, unies, l'une ne craint l'autre ;
si tu ne me crois, considre l'pi
car toute herbe se connat sa graine.
Dans le pays qu'arrosent Adige et P
on trouvait valeur et courtoisie,
avant que Frdric y portt querelle ;
ore avec assurance peut passer par-l
quiconque et craint, par honte,
parler avec les bons ou mme les approcher.
Bien y a-t-il trois vieillards encore, en qui reprend
l' ge ancien le nouveau ; il leur tarde
que Dieu meilleure vie les prenne.
Currado da Palazzo et le hon Gherardo*
et Guido da Castel qui mieux se nomme
la franaise, Lombard le Simple.
Dis que dsormais l'
glise de Rome,
pour confondre en elle deux pouvoirs,
tombe dans la fange et souille elle et sa charge.
0 mon Marc , dis-je, hien tu argumentes ;
et ore je comprends pourquoi de l'hritage
les fils de Lvi furent exclus.
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PURGATOIRE. CHANT XVI
Mais quel Gherardo est celui que tu cites,
comme tant rest de la gent teinte,
reproche au sicle sauvage.
Ou ton parler me trompe ou il m'prouve
rpondit-il, car, me parlant toscan
tu parais du hon Gherardo ne rien savoir.
Par autre surnom ne le connais,
si ne le prenais de sa fille Gaia.
Dieu soit avec vous, car avec vous plus ne viens.
Vois, la couleur d' aube qui perce la fume
dj hlanchoie et il me faut partir
- l' ange est l - avant qu'il me voie.
S'en retournant, plus ne voulut m' entendre.
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Chant XVII
Rappelle-toi, lecteur, si jamais dans l' Alpe
te surprit le brouillard, dans lequel tu voyais
non autrement que taupes par leur taie,
comment, lorsque les vapeurs humides et denses
commencent se rarfier, la sphre
du soleil faiblement les pntre.
Alors ton imagination facilement
arrivera voir comment je revis
le soleil qui dj se couchait.
Ainsi rglant mes pas sur les pas assurs
de mon matre, je sortis hors d'un tel nuage
dans les rayons, dj morts sur les bas rivages.
0 imaginative qui nous ravit parfois
tant hors de nous que rien n'y peut,
encore que sonneraient alentour mille trompettes,
qui donc te meut si les sens rien ne t'offrent ?
Te meut une lumire - qui au ciel s'informe -
par elle-mme ou par vouloir qui ici-bas l 'envoie.
De l' impit de celle qui mua sa forme*
en l'oiseau qui le plus chanter se dlecte,
mon imaginer reut l'empreinte ;
et l, mon esprit fut si resserr
en soi que, du dehors, ne venait
chose qui ft alors par lui accueillie.
Puis, tomba dans ma haute fantaisie
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PURGATOIRE. CHANT XVII
un crucifi dpit et dur*
en son regard, et tel il se mourait :
autour de lui taient le grand Assurus,
Esther son pouse et Mardoche le juste
qui fut dire et faire si franc.
Et, comme cette image se rompit
d'elle-mme, guise de bulle
qui manque l 'eau sous laquelle se fit,
surgit en ma vision une fille* ;
pleurant fort elle disait : 0 reine,
pourquoi as-tu voulu, par ire, ne plus tre ?
Tu t'es tue pour ne pas perdre Lavinia,
ore m'as perdue ! et je suis celle qui pleure,
mre, ta mort plus que celle d'autrui.
Comme se brise le sommeil quand soudain
lumire nouvelle frappe les yeux ferms
et que, bris, il glisse avant de mourir tout fait,
ainsi retomba mon imaginer,
ds que me frappa au visage une lumire
bien plus grande que celle de notre monde.
Je me tournais pour bien voir o j 'tais,
quand une voix dit : Ici l'on monte
qui r
'
carta de tout autre dessein
et fit ardent mon dsir
de regarder qui tait qui parlait,
dsir qui ne s'apaise que face son objet.
Mais, comme au soleil qui pse sur nos yeux
et par excs voile son visage,
ainsi ma vue ici dfaillit.
C'est un esprit divin qui, sans tre pri,
vers le chemin qui monte nous dirige
et qui en sa propre lumire se cache ;
il fait avec nous comme l 'homme avec soi
car celui qui attend la prire et voit le besoin
malignement dj s' apprte au refus.
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LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XVII
61 Ore accordons nos pas telle invite, 97 Tant qu'il est dirig au Premier bien,
commenons monter avant qu'il fasse nuit et dans les seconds se mesure lui-mme,
car ensuite ne se pourrait, si le jour ne revient. il ne peut tre cause de faux plaisir.
6 Ainsi dit mon guide, et moi et lui 100 mais quand au mal se tord, ou quand, avec plus
dirigemes nos pas vers un escalier ; ou moins d' ardeur qu'il ne doit, court au bien,
et peine fus-je au premier degr contre le crateur agit sa crature.
67 je sentis tout prs comme un mouvement d' aile 103 Tu peux donc comprendre qu'amour
et sur mon visage un souffle, et entendis : Beati doit tre en vous semence de toute vertu
pacifci qui sont sans mauvaise ire. et de toute action qui mrite chtiment.
70 Dj, au-dessus de nous, tant taient levs 106 Or, parce que jamais amour ne peut
les ultimes rayons, aprs quoi vient la nuit, dtourner les yeux du bien de son sujet,
que les toiles en plusieurs lieux apparaissaient. de la haine de soi les hommes sont exempts,
73 0 ma vertu pourquoi disparais-tu ? 109 et parce qu'on ne peut considrer aucun tre
en moi-mme disais-je, car je sentais tant par soi-mme, spar du Premier,
la force de mes jambes mise au repos. le har, pour toute crature, est exclu.
76 Nous tions l o ne montait plus 1 1 2 Reste, si j 'ai bien distingu,
vers le haut l'escalier et tions arrts que le mal qu'on aime est celui du prochain,
comme la nef qui la plage arrive ; et cet amour nat de trois faons sur votre glbe.
79 attent un instant : si je pouvais entendre 1 1 5 Tel par l'oppression de son voisin
aucune chose dans le nouveau giron, espre l' excellence, et pour cela seulement dsire
puis je me tournai vers mon matre et dis : qu'il soit de sa grandeur jet en bas ;
82 Mon doux pre, dis-moi, quelle faute 1 18 tel craint de perdre pouvoir, grce, honneur,
se purge ici dans le cercle o nous sommes ? et renomme si un autre s'lve,
que l' arrt de nos pieds n'arrte ton discours. de cela tant s'attriste qu'il aime le contraire ;
85 Et lui moi : L' amour du bien, priv 121 et tel, pour injure, prend honte tellement
de force, ici se restaure : qu'il devient affam de vengeance
ici l'on bat plus vite la rame attarde. et port chercher le mal de l'autre.
88 Mais pour que plus largement tu entendes encore, 124 Cet amour en trois formes, ici dessous*,
tourne ton esprit vers moi et tu recevras se pleure ; ore je veux que de l'autre tu entendes,
quelque bon fruit de notre pause. celui qui court au bien en ordre perverti.
91 Ni crateur, fils, ni crature , commena-t-il, 127 Chacun confusment conoit un bien,
jamais ne fut sans amour en lequel l' me s' apaise, et le dsire ;
ou naturel ou d'lection, tu le sais. ce pourquoi de l'atteindre chacun s'efforce.
94 Le naturel est toujours sans erreur, 130 Si trop lent amour vous tire le voir
mais l'autre peut errer par faux objet ou l'acqurir, cette corniche,
ou par trop ou par peu de vigueur. aprs juste repentir, vous en punit.
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LA DIVINE COMDIE
Il est un autre bien qui ne fait l'homme heureux ;
ce n'est le bonheur, ce n'est la bonne
essence, de tout bien fruit et racine.
L' amour, qui trop lui s' abandonne,
au-dessus de nous se pleure en trois cercles* ;
mais comment se raisonne cette tripartition,
je le tais, afin que par toi-mme t'en assures.
Chant XVIII
1 A v ait mis fin son discours
le noble docteur et, attent, regardait
en mes yeux si j 'tais satisfait ;
4 et moi, qu'une nouvelle soif encore pressait,
au-dehors me taisais et dedans disais : Peut-tre
que trop demander de ma part lui pse.
7 Mais ce vrai pre qui s'aperut
du timide vouloir qui ne s'ouvrait,
en parlant, de parler m'offrit la hardiesse ;
10 et moi : Matre, ma vue s' avive tant
ta lumire que je discerne clair
tout ce que ta raison apporte ou dcrit,
13 partant je te prie, doux pre trs cher,
que tu me dfinisses amour quoi tu ramnes
toute action bonne et son contraire.
16 Dresse vers moi , dit-il, le regard aigu
de l'intellect et que te soit maneste
l' erreur des aveugles qui se font guides.
19 L'me qui est cre prte aimer,
toute chose qui plat se porte,
sitt que le plaisir l'veille l' acte.
22 Votre facult perceptive tire de choses vraies
une image, en vous la dploie
et attire l'me sur elle,
25 et si, attire, vers elle se penche
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LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XVIII
ce penchant est amour, et c'est nature 61 Or pour qu' celle-ci toute autre s' accorde,
qui, par le plaisir, en vous de nouveau se lie. inne est en vous la vertu qui conseille
28 Puis, comme le feu se meut vers le haut, et doit tenir le seuil d' assentiment.
par sa forme qui est faite pour monter 6 Elle est le principe o se fonde
l o plus en sa matire il dure,
raison, pour vous, de mriter selon
31 de mme l'me prise entre en dsir
que bons et faux amours elle accueille et vanne.
qui est mouvement spirituel, et jamais ne repose
67 Ceux qui par la raison allrent au fond,
reconnurent cette libert inne,
qu'elle n'ait joui de ce qu'elle aime.
aussi laissrent-ils morale au monde.
34 Ore peut t'apparatre combien est cache
70 D'o, supposons que de ncessit
la vrit aux gens qui prtendent
naisse tout amour qui en vous s' enflamme,
que tout amour en soi est louable,
de le retenir est en vous le pouvoir.
37 peut-tre parce qu'apparat sa matire
73 Cette noble vertu Batrice l'appelle
tre toujours bonne, mais toute empreinte
le libre arbitre, et donc prends garde
n'est bonne, encore que bonne soit la cire .
de l' avoir en mmoire si elle veut en parler.
40 Tes paroles et mon esprit attent ,
76 La lune, qui avait presque minuit tard,
lui rpondis-je, m'ont dcouvert l'amour,
nous faisait paratre plus rares les toiles,
mais cela r
'
a fait douter davantage ;
faite comme un chaudron de cuivre ardent ;
43 car si amour nous est du dehors offert
79 elle courait contre le ciel par ces routes
et l'me ne va d'un autre pied,
que le soleil enflamme alors que, de Rome,
si droit ou tors elle va, ce n'est son mrite .
on le voit dcliner entre Sardaigne et Corse.
46 Et lui moi : Tout ce que raison ici voit
82 Et cette noble ombre, pour qui on nomme
je puis te dire, au-del attends tout
Pietola plus que ville mantouane*,
de Batrice, car c'est objet de foi.
avait de mon fardeau libr le poids ;
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Toute forme suhstancielle qui, distincte
85 ce pourquoi ayant recueilli la rponse
de la matire, est unie elle,
ouverte et claire mes questions,
recle en soi une vertu spcique,
j 'tais comme un qui, somnolent, rve.
52 laquelle n'est sentie si elle n'opre,
88 Mais cette somnolence me fut te soudain
et ne se maneste que par ses effets,
par gent qui derrire nos dos
comme par verts feuillages, en la plante, la vie.
tait dj dirige vers nous.
55 Partant, d'o vient l' intelligence
91 Et comme jadis Ismne et Asope virent*
des notions premires, on ne sait,
sur leurs bords, la nuit, foule en furie,
ni aux premiers dsirables le penchant ;
si les Thbains Bacchus avaient recours,
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ils sont en vous comme l' aptitude en l'abeille
94 tels par ce cercle passent en grandes foules,
de faire le miel, et cette disposition premire
selon ce que je vis d'eux arrivant,
ne comporte mrite de louange ou de blme.
ceux que hon vouloir et juste amour chevauchent.
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LA DIVINE COMDIE
Bientt furent sur nous, car en courant
s'lanait toute cette grande troupe,
et deux en avant criaient pleurant :
Marie courut en hte la montagne* ;
et Csar pour dompter Lrida*
frappa Marseille et courut en Espagne.
Vite, vite, qu'on ne perde de temps
par peu d' amour , criaient aprs les autres,
que dsir de bien faire fasse reverdir la grce .
0 gent en qui ferveur aigu maintenant
compense ngligence, peut-tre, et retard
mis en vous, par tideur, au bien faire,
celui-ci qui est vivant - et je ne vous mens pas -
veut monter ds que le soleil luira,
aussi dites-nous o est proche l'ouverture.
Ce furent l paroles de mon guide
et l'un de ces esprits dit : Viens
derrire nous, tu trouveras le passage.
Nous sommes si pleins du dsir de marcher
que ne pouvons rester, aussi pardonne
si pour vilenie tu tiens notre justice.
Je fus abb de San Zeno Vrone*,
au temps du bon empereur Barberousse,
dont en pleurant on parle encore Milan.
Et tel a dj un pied dans la fosse*
qui bientt pleurera ce monastre
et s' attristera d'y avoir eu pouvoir,
car son fils, de corps mal fait
et pire d' esprit, et de male naissance
il l'a plac en lieu du pasteur vritable.
Je ne sais s' il parla davantage ou se tut
tant il nous avait de beaucoup dpasss,
mais cela je l'entendis et le retenir me plut.
Et celui qui m'tait en tout besoin secours
dit : Tourne-toi, vois en deux
venir faisant mille morsures la paresse.
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PURGATOIRE. CHANT XVIII
Derrire les autres ils disaient : Morte*
fut la gent qui la mer s'ouvrit, avant
que le Jourdain pt voir ses hritiers.
Et celle qui ne souffrit l'effort*
jusqu' la fin avec le fils d' Anchise,
s'offrit elle-mme une vie sans gloire.
Puis, lorsque furent de nous si loignes
ces ombres que plus ne se pouvaient voir,
nouvelle pense en moi pntra,
de laquelle plusieurs autres et diverses naquirent,
et tant de l'une l' autre rvassais
que par plaisir je refermai les yeux
et le penser en songe transmuai.
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Chant XIX
A 1 'heure que l a chaleur du jour
ne peut plus attidir le froid de la lune,
vaincue par la terre et parfois par Saturne,
quand les gomanciens voient en Orient,
avant l'aube, leur Majeure Fortune
monter par un chemin pour peu encore obscur,
me vint en songe une femme bgue,
les yeux louches, sur des jambes tordues,
mutile des mains, et de couleur blme.
Je la regardais et, comme le soleil conforte
les membres froids alourdis par la nuit,
ainsi mon regard lui dliait
la langue, et puis la redressait toute
en peu de temps, et son visage dfait,
comme le veut amour, le colorait.
Quand elle eut ainsi le parler libr
elle commena un chant tel qu'avec peine
j 'aurais d'elle dtourn l'attention.
Je suis , chantait-elle, Je suis la douce sirne
qui envote les marins en pleine mer,
tant je suis pleine du plaisir donn m'entendre :
Je dtournai de son chemin Ulysse charm
par mon chant ; quiconque s'accointe moi
rarement s'loigne tant je le comble !
N'tait encore sa bouche referme,
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PURGATOIRE. CHANT XIX
quand une dame apparut sainte et prompte,
tout prs de moi, pour la confondre.
0 Virgile, Virgile, qui est celle-ci ?
disait-elle firement, et lui venait
les yeux fixs seulement sur l'honnte dame.
Elle saisissait l'autre et par-devant l'ouvrait,
fendant sa robe et me montrait son ventre :
la puanteur qui en sortit me rveilla.
J'ouvris les yeux, le bon matre disait :
Trois fois au moins je t'ai appel ! Debout ! viens :
trouvons l'ouverture par o tu dois entrer.
Je me levai et dj le grand jour emplissait
tous les girons de la sainte montagne,
et nous allmes, le soleil neuf aux reins.
En le suivant je portais mon front
comme celui qui l'a de pense si charg
qu'il fait de soi demi-arche de pont,
quand j 'entendis : Venez, c'est ici que l'on passe ,
d'une voix douce et bnigne telle
qu'on ne l'entend en nos rgions mortelles.
De ses ailes ouvertes, qui paraissaient de cygne,
nous dirigea vers le haut, celui qui nous avait parl,
entre deux parois du dur rocher.
Il mut ses plumes ensuite et nous en ventila,
dclarant tre bienheureux qui lugent #
car leurs mes seront consoles.
Qu'as-tu que tu ne cesses de regarder terre ? ,
commena me dire mon guide,
peu aprs que nous emes dpass l'ange.
Et moi : Avec tel tourment me fait aller
la dernire vision qui me tire soi,
que je n'en puis loigner ma pense.
Tu as vu , dit-il, cette antique sorcire,
que seule dsormais au-dessus de nous l'on pleure,
tu as vu comment on se dtache d'elle.
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LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XIX
61 Te suffise, et frappe tes talons terre : 97 Et lui moi : Pourquoi le ciel tourne vers lui
tourne tes yeux au leurre que meut nos dos, tu le sauras, mais d' abord
le roi ternel dans les hautes sphres . scias quod ego fui successor Petri*.
64 Tel le faucon qui d'abord ses pieds regarde lOO Entre Siestri et Chiaveri s'coule
puis se tourne au cri et s'lance u beau fleuve, et son nom fait*
par dsir de pture qui l'attire, le titre nobiliaire de ma race.
67 tel me fis-je et tel, tout au long qu'est fendue 103 Un mois, et peu plus, j 'prouvai combien pse,
la roche pour donner passage qui monte, qui de la fange le garde, le grand manteau,
allai-je jusqu'o l'on reprend tourner. tel que plume parat tout autre fardeau.
70 Comme je dbouchai dans le cinquime giron 106 Ma conversion, hlas, fut tardive,
je vis des gens qui l pleuraient, mais quand je fus fait pasteur romain,
gisant terre, retourns vers le bas. alors je dcouvris ce qu'est la vie trompeuse.
73 Adhaesit pavimento anima mea #q 109 Je vis que l ne s' apaisait mon cur,
les entendai-je dire avec si hauts soupirs ne pouvant plus monter en telle vie,
qu' peine s'en distinguait la parole. alors l' amour de celle-ci en moi s'enflamma.
76 0 lus de Dieu, dont les souffrances 1 1 2 Jusque-l je fus me misrable
et justice et esprance font moins dures, et spare de Dieu, tout entire avare,
dirigez-nous vers le lieu o l'on monte. ores, comme tu vois, j 'en suis ici punie.
79 Si vous venez librs du gsir 1 1 5 Ce que fait avarice ici se manifeste
et voulez trouver la voie plus vite, dans la purgation des mes converties
que vos droites soient toujours vers dehors. et nulle peine plus amre n'a le mont.
82 Ainsi pria le pote, ainsi nous fut-il rpondu, 1 1 8 Comme notre il en haut ne s'leva,
peu au-devant de nous et, pour ce, fix aux choses de la terre,
dans le parler j ' avisai ce qui tait cach ; ainsi justice, ici, terre le plongea.
85 et je tournai les yeux aux yeux de mon seigneur 121 Comme avarice teignit notre amour
d'o il me consentit, d'un signe joyeux, pour le bien, d'o se perdit l'agir,
ce que demandait le regard du dsir. ainsi justice ici nous tient serrs
88 Ds que je pus faire de moi mon gr, 124 et saisis, pieds et mains lis,
je me portai au-dessus de cette crature et tant qu'il plaira notre juste Sire
que ses paroles m' avaient fait remarquer, nous resterons tendus, immobiles.
91 disant : Esprit en qui pleurer mrit 127 Je r
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tais agenouill et je voulais parler,
ce sans quoi on ne peut retourner Dieu, mais comme je commenai il s'aperut
arrte un peu pour moi ton plus grand souci. en coutant, de ma rvrence.
94 Qui tu fus, et pourquoi avez les dos tourns 130 Quelle cause , dit-il, te plia ainsi vers le bas ?
vers le haut, dis-moi, et dis si tu veux que je t'obtienne Et moi lui : Pour votre dignit,
chose de l d'o, vivant, je suis venu. d' tre debout ma conscience me remordit .
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LA DIVINE COMDIE
Redresse tes jambes, lve-toi, frre !
rpondit-il, n'erre point, serviteur je suis,
avec toi et avec les autres, d'une seule puissance.
Si jamais la sainte parole vanglique
qui dit "Neque nubent
"
tu as comprise,
hien peux-tu voir pourquoi je parle ainsi.
Va-t'en dsormas, je ne veux que plus tu t'arrtes,
car ta prsence incommode mes pleurs,
par quoi je mris ce que tu as dit.
Au monde j 'ai une nice qui a nom Alagia*
elle-mme est bonne, pourvu que notre maison
ne la fasse, par l'exemple, mauvaise,
et la seule qui au monde m'est reste.
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Chant XX
Contre meilleur vouloir, vouloir mal combat,
d'o, contre mon plaisir, pour mon plaisir,
je tirai de l'eau l'ponge non repue.
Je m' avanai et mon guide s' avana par les
lieux rests libres le long de la roche,
comme on va, sur un mur, serr aux crneaux,
car la gent qui, goutte goutte, par ses yeux
fait fondre le mal qui domine le monde,
de l'autre ct trop s'approche du bord.
Maudite sois-tu antique louve
qui plus que toute autre bte cherche proie
pour ta faim noire et sans fin.
0 ciel, dont on croit que le mouvement
transforme les conditions d'ici-bas,
quand donc viendra celui qui la chassera ?
Nous allions pas lents et compts,
et j 'tais attentif aux ombres que j 'entendais
pleurer, pitoyables, et se plaindre ;
et d'aventure j 'entendis : Douce Marie ,
appeler ainsi, devant nous, dans les pleurs,
comme femme en douleur d'enfantement ;
et poursuivre : Tu fus pauvre*,
autant que se peut voir cette crche
o tu dposas ton saint fardeau.
A la suite j 'entendis : 0 hon Fabrice*
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LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XX
tu voulus possder, avec pauvret, vertu, 61 Tant que la grande dot provenale
plutt que grandes richesses, avec vice.
mon sang n'enleva vergogne, il valait peu
28 Tant m' avaient plu ces paroles
mais au moins ne faisait pas le mal.
que je m' avanai pour connatre
6 L commena par violence et mensonge
cet esprit de qui semblaient venues.
ses rapines, et puis, pour s' amender,
31 Il parlait encore de la largesse
Ponthieu et Normandie prit, et Gascogne.
que fit Nicolas aux pucelles*,
67 Charles vint en Italie et, pour s' amender,
de Conradin fit sa victime, et puis,
pour conduire honneur leur jeunesse.
envoya au ciel Thomas, pour s' amender*.
34 0 me qui tant bien parles
70 Je vois un temps, et pas trs loign,
dis-moi qui tu fus , dis-je, et pourquoi
qui tire un autre Charles hors de France*,
toi seule renouvelles ces dignes louanges ?
pour faire connatre mieux et lui et les siens.
37 Ne sera sans rcompense ta parole,
73 Sans arme il en sort, avec la seule lance
si je retourne mener son terme
dont sut jouter Judas, et la darde si bien
le bref chemin de cette vie qui s'envole .
qu' Florence fait clater la panse.
40 Et lui : Je te le dirai, non que j 'attende
76 Par-l, non terre, mais pch et honte,
confort de l-bas, mais parce que tant
il gagnera, pour lui d'autant plus lourd
de grce en toi brille avant que tu sois mort.
que plus lger il compte ce dommage.
43 Je fus racine de la mchante plante
79 L' autre qui sortit, dj capt, de son vaisseau*,
dont l'ombre s'tend sur la terre chrtienne
je le vois vendre sa fille et marchander
et telle que bon fruit rarement on y cueille.
comme font les corsaires de leurs esclaves.
4 Mais si Douai, Lille, Gand et Bruges
82 0 avarice, que peux-tu faire de plus :
pouvaient, tt en viendrait vengeance ;
tant toi as-tu tir mon sang
et moi je la demande Celui qui tout juge.
qu'il ne se soucie de sa propre chair.
49 Je fus appel l-bas Hugues Capet,
85 Pour que moindre paraisse le mal futur et fait,
de moi sont ns les Philippe et les Louis
je vois en Anagni entrer la fleur de lis*
par qui la France nouvellement est rgie.
et dans son vicaire le Christ tre capt.
52 Fils je fus d'un boucher de Paris ;
88 Le vois encore une fois tre bafou,
quand les anciens rois vinrent manquer je vois renouveler le vinaigre et le fiel,
tous, sauf un qui prit robe grise*,
et par larrons vivants tre occis.
55 je me trouvai serrant entre mes mains le frein 91 Je vois le nouveau Pilate si cruel
gouverner le royaume, et tant de pouvoir que cela ne le rassasie, mais sans dcret
pour nouvel acqut, et si combl d' amis, il pousse dans le Temple ses voiles cupides.
58 qu' la couronne veuve fut promue* 94 0 mon Seigneur, quand aurai-je la joie
la tte de mon fils, et de lui* de voir la vengeance qui, cache,
commena la ligne des ossements sacrs. adoucit ta colre, en ton secret ?
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LA DIVINE COMDIE
Ce que je disais de cette unique pouse*
de l' Esprit Saint, et qui te tourna
vers moi pour quelques gloses,
est rpons toutes nos prires tant
que le jour dure ; mais quand vient la nuit
parole contraire prenons la place.
Nous redisons alors Pygmalion*
que fit tratre, voleur et parricide
son effrn dsir de l'or ;
et la misre de l' avare Midas*,
qui suivit sa demande avide
de laquelle toujours on se rira.
Du fol Achan chacun se souvient*
comment il droba le butin, si bien que l' ire
de Josu parat ici encore le mordre.
Puis nous accusons, avec son mari, Saphire* ;
nous louons les ruades reues par Hliodore* ;
et, autour du mont, court l' infamie
de Polymnestor qui tua Polydore* ;
et pour finir nous crions : "Crassus*,
dis-nous, car tu le sais, quelle saveur a l'or ?
Parfois l'un parle haut et l' autre bas
selon que la passion dire nous peronne,
ore a plus grand, ore plus petit pas ;
c'est pourquoi, au bien que le jour on rappelle,
tantt je n'tais seul, mais prs d'ici
n'levait la voix autre personne.
Nous tions dj loigns de lui
et nous efforcions de gagner du chemin
tant qu' nos forces tait permis,
quand j 'entendis, comme chose qui tombe,
trembler le mont, dont me saisit un froid
tel celui qui saisit l'homme qui va la mort.
Certes si fort ne fut secoue Dlos,
avant que Latone en elle fit le nid
o enfanter les deux yeux du ciel*.
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PURGATOIRE. CHANT XX
puis commena de toute part un cri
tel, que le matre se tourna vers moi
disant : N'aie crainte, tant que je te guide.
Gloria in exceli Deo # tous
disaient, par ce que je compris des plus proches,
de qui on pouvait entendre le cri.
Nous restions immobiles et en suspens,
comme les bergers qui premiers 1 'entendirent,
jusqu' tant que cessa le tremblement et finit l 'hymne.
Puis nous reprmes notre route sainte,
regardant les ombres qui gisaient par terre,
dj revenues aux larmes pour peu interrompues.
Nulle ignorance jamais me fit
u tel tourment dsieux de savoir,
si ma mmoire n'erre sur ce point,
autant qu'il me parut alors avoir en ma pense ;
ni par la hte n'tais-je hardi demander,
ni par moi pouvais-je l voir quelque chose :
ainsi allais-je timide et pens.
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Chant XXI
La naturelle soif, que rien n'tanche
hors l'eau dont l'humble femme*
samaritaine demanda la grce,
me tourmentait ; et la hte me pressait
derrire mon guide, par la voie encombre,
et je compatissais la juste vengeance.
Et soudain, comme Luc a crit*
qu'apparut aux deux qui cheminaient
Christ, dj sorti hors du spulcre,
une ombre apparut et venait derrire nous,
alors qu' nos pieds regardions la troupe gisante ;
nous ne l'avions pas vue avant qu'elle parlt
disant : Frres, Dieu vous donne sa paix !
Nous nous tournmes aussitt et Virgile
fit le signe de salut qui convenait.
Puis il commena : Au bienheureux concile,
que te place en paix la juste Cour
qui me relgue dans l'ternel exil.
<< Comment ? dit-il, tandis que nous htions la marche,
<< Si vous tes des ombres que Dieu n' accepte en haut,
qui donc par ses degrs vous a ici conduits ?
Et mon docteur : << Si tu regardes les signes
que celui-ci porte, gravs par l' ange,
tu verras bien qu'avec les bons il doit rgner.
Mais parce que celle qui file jour et nuit
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PURGATOIRE. CHANT XXI
n'avait encore termin la quenouille
que Clotho impose chacun, et enroule,
son me qui est ta sur et la mienne
ne pouvait, en montant, venir seule
car, notre manire elle ne regarde,
pour ce je fus tir de l'ample gueule d'enfer
pour le faire voir, et je le ferai voir
encore, tant que le pourra guider mon art.
Mais dis-moi, si tu sais, pourquoi ce mont
a donn telles secousses, et pourquoi d'une seule voix
tous clamrent, jusqu'au bas o baigne son pied ?
Sa demande enfila si bien le chas
de mon dsir que l'esprance
fit ma soi moins ardente.
L' autre commena : Ce n'est chose qui trouble
sans raison l'ordonnance
de la montagne, ou qui soit hors de l'usage.
Ce lieu est exempt de toute altration,
en ce que le ciel de soi soi reoit
peut s'y trouver la cause, et non ailleurs ;
aussi ni pluie, ni grle, ni neige,
ni rose, ni brume ne tombe plus haut
que les tois marches de la brve monte ;
n'apparaissent nuages ni pais ni rares,
ni clairs, ni la fille de Thaumas*
qui souvent, l-bas, change de contre.
Sche vapeur ne monte plus avant
qu'en haut des trois marches dont j 'ai parl,
o le vicaire de Pierre pose les pieds.
Plus bas, peut-tre, tremble peu ou beaucoup,
mais, pour vent qui sur terre se cache,
je ne sais comme, ici en haut ne trembla jamais.
Tremble ici quand une me se sent
pure et qu'alors se dresse ou se meuve
pour monter, et un tel cri la seconde.
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LA DIVINE COMDIE
De la puret, seul fait preuve le vouloir
qui surprend l'me toute libre
changer sa demeure, et ce vouloir l'enchante.
Avant, elle veut bien, mais l'envie ne suffit,
car la divine justice, par dsir oppos,
la dispose au toument, comme elle fut au pch.
Et moi qui fus gisant cette peine
cinq cents ans et plus, je viens de sentir
libre vouloir de meilleur logis.
C'est pourquoi tu as entendu le tremblement,
et les pieux esprits, par le mont, chanter louange
ce Seigneur, qui veuille en haut bientt les envoyer.
Ainsi nous dit-il ; et parce qu'on jouit
d'autant plus de boire que grande est la soif,
je ne saurais dire quelle jouissance me donna.
Et le sage guide : Dsormais je vois le filet
qui vous retient et comme on se libre,
pourquoi le mont tremble et de quoi vous louez
[ensemble.
Ores qu'il te plaise que je sache qui tu fus ;
et par tes paroles fais-moi comprendre
pouquoi tant de sicles tu es rest gisant.
Dans le temps que le bon Titus, avec l' aide*
du roi suprme, vengea les plaies
d'o sortit le sang vendu par Judas,
avec le nom qui le plus dure et honore,
j 'tais l-bas , rpondit cet esprit,
assez fameux, mais encore sans la foi.
Tant fut doux mon esprit musical
que, Toulousain, soi me tira Rome
o je mritai d'orner mes tempes de myrte ;
Stace me nomment encore les gens l-bas* ;
je chantai de Thbes, et puis du grand Achille,
mais je tombai en route sous mon second fardeau.
A mon ardeur fuent semences les tincelles
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PURGATOIRE. CHANT XXI
qui m'embrasrent, de la divine flamme
o se sont illumins plus de mille ;
de l'
ve
et celui-ci s'leva venant de lui .
Ainsi disait je ne sais qui dans les branches,
si bien que Virgile et Stace et moi, serrs,
allions outre du ct qui monte.
Qu'il vous souvienne , disait-on, des maudits*
ns dans les nuages qui, pleins de vin,
combattirent Thse de leur double poitrail ;
et des Hbreux qui, en buvant, montrrent leur mollesse,
pour quoi Gdon ne les voulut compagnons,
quand il descendit des collines vers Madian.
Presss l'une des deux lisires, passmes
ainsi, entendant pchs de goumandise
suivis de bien malheureux gains.
Ensuite, plus au large sur le chemin dsert,
bien mille pas et plus nous emmenrent,
chacun contemplant sans parler.
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LA DIVINE COMDIE
A quoi donc pensez-vous, seuls tous les trois ?
dit soudain une voix, d'o je sursautai
comme font poulains effrays.
Je dressai la tte pour voir qui c'tait
et jamais on ne vit en fournaise
verres ni mtaux si luisants et rouges,
comme je vis un qui disait : S'il vous plat
de monter, il faut tourner ici,
par ici va qui veut chercher la paix.
Son aspect r
'
avait t la vue
aussi tournai-e derrire mes docteurs
comme un qui va selon ce qu'il entend.
Telle, annonciatrice de l'aube
brise de mai s'lve et embaume
tout imprgne par l'herbe et par les fleurs,
tel le souffle que je sentis par le milieu du front,
et bien je sentis passer la plume
qui parfuma l'air d'ambroisie.
Et j 'entendis : Bienheureux ceux qu'allume
tant la grce que l'attrait du got
en leur cur n'excite trop grand dsir,
ayant faim toujours de ce qui est juste* !
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Chant XXV
C'tait 1 'heure o monter n'tait pour les boiteux
car le soleil avait laiss le mridien
au Taureau et la nuit au Scorpion,
pour ce, comme fait celui qui ne s'arrte
mais va par son chemin quoi qu'il ait vu
si l'aiguillon du besoin le pique,
nous entrmes dans la voie resserre,
l'un derrire l'autre, par l'escalier
dont l'troitesse dparie ceux qui montent.
Et, comme le cigogneau qui lve son aile
par dsir de voler, puis, ne se hasardant
quitter le nid, l'abaisse,
tel tais-je avec mon dsir, ardent puis teint,
de questionner, arrivant jusqu' l'acte
que fait celui qui s'apprte parler.
Pour rapide que ft notre marche,
ne laissa de dire mon doux pre : Dcoche
l' arc du dire que tu as tendu l' extrme.
Assur alors j 'ouvris la bouche
et commenai : Comment peut-on maigrir
l o nul besoin de nourriture ne touche ?
Si tu te rappelais comment Mlagre*
se consuma quand se consumait un tison ,
dit-il, cela ne te serait pas si aigre ;
et si tu pensais comment au moindre glissement
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LA DIVINE COMDIE
PURGATOIRE. CHANT XXV
glisse votre image dans le miroir, 61 Mais comment d' animal il devient un enfant
ce qui te parat dur te paratrait mol.
tu ne vois pas encore : c'est l un point
28 Mais pour que dans ton dsir tu sois satisfait
qui jadis fit errer un plus savant que toi*,
voici Stace, c'est lui que j ' appelle et prie
6 lequel par sa doctrine a spar
qu'il soit maintenant mdecin de tes plaies .
de l' me l' intellect possible
31 Si les vues ternelles je lui dvoile ,
car ne voyait pour lui aucun organe.
reprit Stace, en ta prsence,
67 Ouvre ton cur la vrit qui vient ;
et sache ceci : ds que dans le ftus
excuse-moi de ne pouvoir te refuser .
la structure du cerveau est parfaite,
34 Puis il commena : Si ton esprit,
70 le Premier Moteur se tourne vers lui joyeux
fils, entend et reoit mes paroles,
d'un tel art de nature, et insuffle
elles seront lumire ton "comment".
un esprit nouveau empli de vertu
37 Le sang parfait qui jamais n'est bu
73 qui tire en sa propre substance ce qu'il trouve
par les veines assofes, et demeure
l d'actif et en fait une seule me
tel un aliment que tu enlves de table,
qui vit et sent et se pense elle-mme.
40 prend dans le cur vertu informative
76 Et pour que tu sois moins tonn par mes paroles,
pour les membres humains, comme celui
regarde la chaleur du soleil qui se fait vin
qui, pour les nourrir, court par les veines.
joint l'humeur qui coule de la vigne.
43 Purifi encore, il descend l o plus beau
79 Quand Lachesis n' a plus de lin*
est taire que dire, et ensuite il s'coule
l' me se spare de la chair et en sa vertu
sur autre sang en vase naturel.
emporte avec elle l' humain et le divin :
4 L ensemble l'un l'autre accueille,
82 les autres puissances restant toutes muettes,
disposs l'un ptir, l'autre agir
mmoire, intelligence et volont
par le lieu parfait d'o il drive ;
en acte, sont beaucoup plus qu'avant aigus.
49 celui-ci arriv commence oprer,
85 Sans s' arrter, d'elle-mme tombe,
d'abord coagulant, et puis vivifiant
oh merveille ! l'un des deux rivages,
ce que par sa matire il a rendu ferme.
l elle connat ds l'abord ses routes.
52 L' me faite, la vertu active, 88 Ds qu'en un lieu se trouve circonscrite,
telle d'une plante, mais diffrente la vertu informative rayonne autour
car elle est en route et l' autre arrive, comme elle fit dans les membres vivants ;
55 uvre tant ensuite que dj se meut et sent 91 et comme l' air, quand est imprgn de pluie,
comme mduse en mer, et puis entreprend par autre rayon qui en lui se reflte
de former les organes dont elle est le germe. se trouve orn de diverses couleurs,
58 Tantt s'largit, mon fils, et tantt s' allonge 94 ainsi l' air proche prend
la vertu venue du cur du gniteur cette forme qu'en lui imprime
o nature conoit tous les membres.
par sa vertu l' me ici fixe,
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LA DIVINE COMDIE
et semblable la flamme
qui suit le feu l o on le porte,
suit l'esprit sa forme nouvelle.
Parce que l'me tire de l son apparence
elle est appele ombre ; et puis elle organise
chacun des sens jusqu' la vue.
De l nous parlons, de l nous rions,
de l nous formons larmes et soupirs
que par le mont tu peux avoir entendus.
Selon que nous stimulent les dsirs
et autres affections, l'ombre prend figure,
et l est la cause de ce qui t'tonne e
Dj l'ultime torture tions
arrivs et avions tourn main droite ;
et tions attents un autre souci.
L, la paroi darde en dehors les flammes
et la corniche souffle vers le haut un vent
qui les rabat et les maintient loin d'elle,
il nous fallait donc aller du ct ouvert,
un un ; et ici je craignais le feu
et l je craignais la chute en bas.
Mon guide disait : En ce lieu
il faut tenir aux yeux le frein serr
car errer se pourrait facilement.
Summae Deus clementiae # q entendis-je
alors chanter au sein du grand brasier,
ce qui de me tourner me fit pourtant dsirer ;
et je vis des esprits qui allaient dans la flamme,
pourquoi j 'tais attent eux et mes pas
partageant mon regard tantt ici tantt l.
Aprs avoir mis fin cet hymne,
ils criaient fort : Virum non cognosco # q
ensuite recommenaient l'hymne voix hasse.
Termin de nouveau, ils criaient : Au bois*
se tint Diane et en chassa Hlice
qui de Vnus avait got le poison.
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PURGATOIRE. CHANT XXV
Puis ils retournaient au chant, puis clbraient
femmes et maris qui furent chastes
comme vertu et mariage nous imposent.
En ce mode je crois se maintiendront
pour tout le temps que le feu les brle :
par tel souci et telle pture, il convient
que la plaie pour finir se recouse.
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Chant XXVI
Tandis qu'ainsi, sur le bord, l'un devant l'autre
nous allions, et souvent le bon matre
disait : Prends garde, je t'ai averti ,
le soleil me frappait contre l'paule droite,
et dj ses rayons, l'occident,
changeaient en blanc le ton d'azur cleste ;
et moi je faisais par mon ombre paratre
plus rouge la flamme, et ce signe
je vis beaucoup d'ombres tre, en passant, attentives.
Ce fut la cause qui les engagea
parler de moi ; et elles commencrent
se dire : Ce n' est pas l un corps fictif.
Puis vers moi, autant qu'ils pouvaient s' avancer,
certains le firent, toujours se gardant
de ne sortir l o n'eussent t brls.
0 toi qui vas, non pour tre plus lent,
mais par respect, peut-tre, aprs les autres,
rponds moi qui dans la soif et le feu brle.
Et non moi seul importe ta rponse,
car tous ceux-ci en ont plus grande soif,
que d'eau froide ceux d' Inde ou d'
thiopie.
Dis-nous comment tu fais de toi cran
au soleil, comme si tu n'tais pas encore
entr dans les rets de la mort.
Ainsi me parlait l'un d' eux, et je me serais
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PURGATOIRE. CHANT XXVI
dj manifest, si ne r
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avait attir
autre nouveaut qui m' apparut alors ;
par le milieu du chemin embras
venaient des gens au-devant de ceux-ci
et pour les regarder je restai en suspens.
L je vois de chaque ct s' empresser
chaque ombre et se baiser l'une l'autre,
sans demeurer, contentes d'une brve joie ;
ainsi, par-dedans leur lgion brune,
se frottent le museau l'une l'autre fourmi,
peut-tre qutant leur route et leur chance.
A peine termin l'accueil amical,
avant que le premier pas les loigne,
chacune s'efforce crier plus fort,
les nouveaux venus : Sodome et Gomorrhe* ,
les autres : Dans la vache entre Pasipha*
pour que le taureau sa luxure accoure.
Puis, comme des grues qui s' envoleraient
les unes aux monts Riphes, les autres aux sables,
les unes fuyant le gel, les autres le soleil,
une troupe s'en va, l'autre s'en vient,
elles retournent en pleurant aux premiers chants,
et au cri qui mieux leur convient.
Alors s'approchent de moi, comme avant,
ceux mmes qui dj r
'
avaient pri,
se montrant attentifs couter.
Moi qui deux fois avais vu leur plaisir
commenai : 0 mes assures
d'atteindre, quand que ce soit, l'tat de paix,
ne sont rests ni verts ni mrs
mes membres en terre, mais ici avec moi
sont avec leur sang et leurs jointures.
L-haut je vais pour n'tre plus aveugle :
dame est au ciel qui r
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acquiert grce
de porter en votre monde mon corps mortel.
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LA DIVINE COMDIE
Mais puisse votre grand dsir tre tt
rassasi, que vous hberge le ciel
plein d'amour, qui plus large s'tend !
mais dites-moi, que je le marque en mes crits,
qui vous tes et qui est cette troupe
qui s'en va derrire vos paules.
Non autrement de stupeur se trouble
le montagnard et s'tonnant reste muet
quand, rustique et sauvage, il entre dans la ville,
que ne fit en son apparence, chacune des ombres,
mais lorsque fut tombe la stupeur,
qui dans les curs nobles tt s'apaise,
Bienheureux toi qui de nos contres ,
reprit celle qui dj m' avait interrog,
pour mieux mourir reois l' exprience !
La gent qui ne vient avec nous commit
le pch pour quoi Csar, en son triomphe,
s'entendit mpris appeler reine ;
aussi s'en vont-ils criant "Sodome"
et, se blmant, comme tu l'as entendu,
ils accroissent la brlure par la honte.
Notre pch nous fut hermaphrodite,
mais pour n'avoir gard loi humaine
en suivant notre apptit comme des btes
en opprobre nous disons,
quand nous nous sparons, le nom de celle
..
qui bte se fit dans la bte de bois.
Tu sais maintenant nos actes et notre pch,
si peut-tre tu veux nous connatre de nom,
temps n' est point de dire, et point ne saurais.
Sur moi ton dsir je satisferai,
je suis Guido Guinizelli et bien me purifie*
pour m'tre repenti avant le dernier jour .
Tels, dans la colre de Lycurgue*,
se firent deux frres en revoyant leur mre,
tel me fis-je, mais non tant m'lance,
PURGATOIRE. CHANT XXVI
97 quand j 'entends se nommer lui-mme ce pre
mien et d'autres meilleurs qui jamais
rimes d'amour chantrent douces et belles ;
lOO Sans entendre ni dire, pensif
longtemps le contemplai
mais, pour le feu, n'avanai pas plus prs.
103 Lorsque de regarder je fus repu,
tout entier m'offris prt son service,
par le serment qui donne toute crance.
106 Et lui moi : Tu laisses en moi
telle trace, par ce que j 'entends, et si claire
que Lth ne la peut effacer ni voiler.
109 Mais si tes paroles ont jur le vrai,
dis-moi pour quelle cause tu montres
en tes dires et regards de r
'
avoir si cher.
1 12 Et moi lui : Vos doux crits
qui, tant que durera l'usage moderne
feront encore chres leurs encres.
1 1 5 0 frre , dit-il, celui que j e te montre*
du doigt , et il montra un esprit devant lui,
fut meilleur forgeron du parler maternel.
1 18 En vers d'amour et proses de romans
il surpassa tous, et laisse dire les sots
qui croient celui de Limoges meilleur*.
121 Au bruit plus qu'au vrai ils tournent le visage
et ainsi arrtent leur opinion
avant d'couter ni a ni raison.
124 Ainsi firent bien des anciens pour Guittone,
de cri en cri ne louant que lui seul,
mais le vrai par plusieurs a vaincu.
127 Or si tu as si ample privilge
qu'il te soit permis d'aller au clotre
o Christ est abb du collge,
130 dis-lui pour moi ces mots du Notre Pre
dont nous avons besoin nous de ce monde
o pouvoir pcher n'est plus ntre .
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LA DIVINE COMDIE
Puis, peut-tre pour faire place aprs lui
cet autre proche, il disparut dans le feu,
comme dans l'eau un poisson glissant au fond.
Je m'avanai un peu vers l'esprit dsign
et lui dis qu' son nom mon dsir
prparait une gracieuse demeure.
Il commena aimablement dire :
Tan m'ahellis vostre cortes deman,
qu'ieu no me puosc ni voill a vos cohrire.
leu sui Arnaut, que plor e vau cantan ;
consiros vei la passada folor,
e vei jausen lo jorn qu'esper, denan.
Ara us pree, per aquella valor
que vos condus al som de l' escalina,
sovenha vos a temps de ma dolor !
Et puis il se cacha au feu qui les affine.
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Chant XXVII
Alors que vibrent ses premiers rayons
l o son auteur rpandit son sang,
et que l' Ehre tombait sous la Balance,
et que l'eau du Gange, none, brlait,
tel tait le soleil ; pour nous le jour baissait
quand l' ange de Dieu, joyeux, nous apparut.
Hors de la flamme se tenait sur la rive
et chantait : Beati mundo corde 1 #
d'une voix hien plus que la ntre vive.
Et puis : Plus outre on ne va si d' abord ne mord,
mes saintes, le feu ; entrez dedans
et au chant, par-del, ne soyez sourdes ,
nous dit-il, quand nous lui fmes proches ;
pour ce que je devins, lorsque je l'entendis,
comme celui qui dans la fosse est mis.
Serrant contre moi les mains jointes, me penchai
regardant le feu et imaginant fort
corps humains que j ' avais vus brler.
V ers moi se tournrent mes bons guides
et Virgile me dit : Fils trs cher
ici peut tre tourment mais non mort.
Souviens-toi, souviens-toi ! Et si,
sur Gryon, sauf je t' ai conduit,
que ferai-je maintenant plus prs de Dieu !
Tiens pour certain que si au sein
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LA DIVINE COMDIE
de cette flamme tu restais bien mille ans
elle ne te pourrait faire d' un seul cheveu chauve.
Et si tu crois que, peut-tre, je te trompe,
avance vers elle et tu croiras alors
en tes mains tenant le pan de ta robe,
Dpose dsormais, dpose toute crainte,
viens de ce ct et entre d'un pas sr !
Et moi fig et contre ma conscience.
Quand il me vit rester ainsi fig et dur,
un peu fch, me dit : Or vois, mon fils,
entre Batrice et toi est ce mur.
Comme au nom de Thisbe ouvrit les yeux*
Pyrame prs de mourir et la regarda,
alors que le mrier devint vermeil,
ainsi, ma duret tout amollie,
je me tournai vers mon sage guide, au nom
qui sans cesse sourd dans ma pense.
Alors il hocha la tte et dit : Comment ?
voulons-nous rester l ? Ensuite il sourit
comme on fait 1 'enfant gagn par un fruit.
Puis dans le feu il entra devant moi,
en priant Stace de venir derrire,
lui qui en longue marche nous avait spars.
A peine fus-je dedans qu'en un verre en fusion
je me serais jet pour y trouver fracheur,
tant tait l l' incendie sans mesure.
Mon doux pre, pour me donner cur,
de Batrice allait discourant
et disait : Ses yeux dj me semble voir.
Nous guidait une voix qui chantait
par-del ; et nous, tendus vers elle,
nous sortmes l, devant la monte.
Venite, benedicti Patr mei ! #
ce chant venait l d'une lumire
telle qu'bloui je ne pus la fixer.
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PURGATOIRE. CHANT XXVII
Le soleil s'en va , ajouta-t-elle, et le soir tombe
ne vous attardez, mais htez votre pas
tant que 1 'occident n'est encore assombri.
Droit montait le chemin par-dedans le rocher
du ct o j 'arrtais devant moi
les rayons du soleil dj bas,
et peu de marches encore avions essayes
quand, par l'ombre qui s'teignit, nous sentmes
le soleil couch derrire moi et mes sages.
Et avant qu'en toute son tendue immense
l'horizon ft devenu d'une seule couleur,
et que la nuit ft partout rpandue,
chacun de nous fit son lit d'un gradin,
car la natue du mont en nous brisa
et le pouvoir et le plaisir de monter davantage.
Telles se tiennent en ruminant, paisibles,
les chvres - auparavant rapides et hardies
sur les cimes, avant d' tre repues -
en silence, l'ombre, tandis que le soleil brle,
gardes par le ptre qui sur son bton
s'est appuy et, ainsi appuy les veille ;
et tel le berger qui, au-dehors, demeure
prs de son troupeau calme et passe la nuit
attentif pour que bte ne le disperse ;
tels tions nous alors tous les trois,
moi comme chvre et eux comme bergers,
entours ici et l du haut rocher.
Peu du dehors pouvait l apparatre,
mais par ce jeu je voyais les toiles,
plus claires et plus grandes qu' l'ordinaire.
Ainsi ruminant, ainsi les admirant,
me prit le sommeil, ce sommeil qui souvent,
avant que soit le fait, en connat la nouvelle.
A l'heure, je crois, que de l'orient
premire rayonna sur le mont Cythre*,
qui du feu d'amour semble toujours brler,
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LA DIVINE COMDIE
97 jeune et belle, me semblait voir en songe,
une dame aller par une lande
cueillant des fleurs et disait en chantant :
100 Sache quiconque demande mon nom*
que je suis Lia, et vais menant l'entour
mes belles mains pour me faire une guirlande.
103 Pour me plaire au miroir ici je me pare ;
mais ma sur Rachel jamais ne s'loigne
de son miroir, assise l tout le jour.
106 Elle est, de voir ses beau yeu, dsireuse,
comme moi de m'orner de mes mains ;
elle voir, moi uvrer, est notre joie.
109 Et dj par les splendeurs d' avant le jour,
qui d'autant sont aux plerins plus chres
qu'au retour ils font halte moins loin,
1 1 2 les tnbres fuyaient de tous cts,
et mon sommeil avec elles, d'o je me levai
voyant mes grands matres dj levs.
1 1 5 Ce doux fruit que par tant de rameaux
s'en va cherchant le souci des mortels,
aujourd'hui apaisera toutes tes faims.
118 Virgile mon adresse ces paroles
pronona, et jamais ne fut trenne
qui ft en joie celle-ci gale.
121 Si grand dsir sur mon dsir me vint
d' tre en haut, qu' chaque pas ensuite
je sentais au vol crotre mes ailes.
124 Quand tout l'escalier au-dessous de nous
fut franchi, et fmes sur l'ultime degr,
Virgile en moi planta ses yeux
127 et dit : Le feu temporel et l'ternel
tu as vus, fils, et tu es arriv l
o plus avant par moi-mme ne discerne.
130 Jusqu'ici t'ai hauss par industrie et art,
ton plaisir prends dsormais pour guide,
hors es-tu des voies abruptes, des voies troites.
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PURGATOIRE. CHANT XXVII
V ois le soleil qui brille devant toi ;
vois l'herbette, les fleurs, les arbustes
qu'ici la terre de soi seule produit.
Tandis que viennent joyeux les beaux yeux
qui, pleurant, r
'
ont fait venir toi,
tu peux t'asseoir ou aller l'entour.
N'attends plus de moi dire ou signe :
libre droit et sain est ton arbitre,
et faute serait ne pas faire ce qu'il veut :
pour quoi toi sur toi je couronne et mitre.
PURGATOIRE. CHANT XXVIII
Chant XXVIII
qui vers l a gauche par ses ondes menues
ployait l'herbe qui poussait sur la rive.
28 Toutes les eaux ici-bas les plus pures
paratraient avoir quelque mlange
prs de celle-ci qui rien ne cache,
31 bien qu'elle s'coule tout obscure
sous l'ombre perptuelle qui jamais
ne laisse filtrer rayon de soleil ou de lune.
34 J' arrtai mes pas, mais des yeux je passai
au-del de la rivire pour admirer
1 Dsireux de chercher dedans et alentour
la grande varit de frache verdure ;
la divine fort paisse et vivante 37 et l m'apparut tout comme apparat
qui temprait aux yeux le jour nouveau,
soudainement chose qui dtourne
4 sans plus attendre, je laissai la lisire,
par mereillement toute autre pense,
prenant par la campagne tout lentement,
40 une dame seulette qui allait*
sur le sol qui de partout embaumait.
chantant et choisissant fleur aprs fleur
7 Un doux air sans nul changement
dont tait peint tout son chemin.
me touchait le front
43 Ah ! belle dame qui aux rayons d'amour
aussi lger que vent suave,
te rchauffes, si j 'en veux croire au visage
10 et par lui les ramures frmissantes
qui de coutume est le tmoin du cur,
toutes ensemble s'inclinaient du ct
4 aie la bont de venir plus avant ,
o la sainte montagne jette sa premire ombre,
lui dis-je, vers ce rivage,
13 non pourtant si ployes
que je puisse entendre ce que tu chantes.
que les oiselets parmi les cimes
49 Tu me fais souvenir o et quelle tait
dussent cesser d' exercer leur art,
Proserpine au temps que la perdit*
16 mais, de pleine joie, ces premiers souffles
sa mre, et elle son printemps .
recevaient en chantant entre les feuilles,
52 Comme se tourne, les pieds glissant terre
qui tenaient le bourdon en leur concert,
et joints entre eux, dame qui danse
19 tel celui qui de branche en branche se forme et pied devant pied peine avance,
traver
!
la pinde, au rivage de Chiassi*,
55 elle se tourna sur l'or et le vermeil
quand Eole livre au-dehors Siroco.
des fleurs vers moi, non autrement
22 Dj m'avaient transport mes pas lents
que vierge qui baisse ses yeux modestes,
dans la fort antique si avant
58 et mes prires elle voulut satisfaire
que plus ne pouvais voir par o j 'tais entr : en s'approchant si bien que le doux son
25 et voici qu'un ruisseau m'empcha d'avancer, venait moi avec le sens qu'il portait.
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LA DIVINE COMDIE
61 Ds qu'elle fut l o les herbes dj
sont baignes par l'onde du beau ruisseau,
de lever les yeux me fit don :
64 Je ne crois que resplendit telle lumire*
sous les cils de Vnus blesse
par son fils hors de sa coutume.
67 Elle riait debout sur l'autre rive
portant en ses mains toutes couleurs
que la haute terre sans semence produit.
70 De trois pas nous sparait la rivire,
mais l' Hellespont, o passa Xerxs,
frein encore aux orgueils humains,
73 plus de haine ne reut de Landre*,
pour la houle entre Sestos et Abydos,
que de moi cette eau qui alors ne s'ouvrit.
76 Vous tes nouveaux et, parce que je ris
commena-t-elle, en ce lieu destin
tre le nid de l'humaine nature,
79 peut-tre quelque doute vous cause tonnement,
mais lumire vient du psaume Delectasti*,
qui peut dissiper la brume de votre esprit ;
82 et toi qui es devant et qui m'a prie,
dis si tu veux r
'
entendre encore : me voici
prte, tant qu'il faudra, toutes tes questions .
85 L'eau , dis-je, et le son de la fort
combattent en moi foi neuve en chose
que j 'entendis contraire celle-ci .
88 Elle alors : Je dirai comment procde
selon sa cause ce qui t'tonne,
et enlverai la brume qui te gne.
91 Le Bien suprme, qui seul plat soi-mme,
fit l'homme bon, et pour le bien, et ce lieu
lui donna en gage d'ternelle paix.
94 Par sa faute ici demeura peu,
par sa faute, en pleurs et en angoisses
il changea rire honnte et doux jeu.
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PURGATOIRE. CHANT XXVIII
Afin que le trouble en bas produit
par les vapeurs de l'eau et de la terre
qui, autant que peuvent suivent la chaleur,
ne ft l'homme nulle guerre,
ce mont s'leva aussi haut vers le ciel
et libre s'en trouve depuis la porte qui le ferme.
Or, puisqu'en circuit tout entier
l' air tourne avec la premire vote,
si n'est rompu le cercle en aucun point,
en cette hauteur qui est toute libre
dans l' air vif, tel mouvement frappe
et fait sonner la fort parce qu'elle est touffue,
et la plante frappe a tel pouvoir
que de sa vertu elle imprgne l' air
qui en tournant la rpand alentour ;
et l'autre terre, autant qu'elle s'y prte
par soi et par son ciel, conoit et enfante
de diverses vertus diverses plantes.
Ne paratrait donc l-bas merveille,
sachant cela, quand quelque plante
sans semence apparente y pousse.
Et tu dois savoir que la sainte campagne
o tu es, de toute semence est pleine
et porte un fruit que l-bas on ne cueille.
L'eau que tu vois ne sourd d'une veine
qu'entretient la vapeur que le gel condense
comme un fleuve qui gagne et perd son cours,
mais elle sort de source stable et sre
qui par vouloir de Dieu reprend autant
qu'elle verse, en deux cts ouverte.
De ce ct elle descend avec une vertu
qui te chacun mmoire du pch,
de l'autre elle la rend de tout le bien fait.
Ici Lth et de l' autre ct
Euno se nomme, et elle n'agit avant
qu'ici et l on l' ait d' abord gote :
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LA DIVINE COMDIE
toutes autres saveurs elle surpasse.
Et bien que puisse tre assez tanche
ta soif pour que plus je ne dvoile,
j ' ajouterai encore un corollaire par grce,
et je ne crois que mon dire te soit moins cher
si au-del des promesses il t'entrane.
Ceux qui aux temps antiques chantrent
l'ge d'or et son tat heureux
peut-tre en leur Parnasse songrent ce lieu.
Ici fut innocente la racine humaine,
ici printemps toujours et tous les fruits,
et c'est l le nectar dont chacun parle.
Vivement alors me tournai en arrire
vers mes potes, et je vis qu'en souriant
ils avaient entendu ce dernier propos,
puis la belle dame dirigeai mon regard.
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Chant XXIX
Chantant comme dame enamoure,
elle poursuivit mettant fin son dire :
( ( Beati quorum tecta sunt peccata* ! #
Et comme ces nymphes qui allaient seules
par les ombres sylvestres, dsirant
l'une voir, l'autre fuir le soleil,
elle avana remontant le fleuve
le long de la rive ; et moi, comme elle,
petit pas suivant son petit pas.
N'taient pas cent, ses pas avec les miens,
quand les deux bords se courbrent
de sorte qu'au levant je me rendis.
Nous n'avions ainsi pas longtemps chemin
quand la dame toute moi se tourna
disant : Frre, regarde et coute !
Et voici : une soudaine lumire parcourut
de toutes parts la grande fort,
telle que me fit croire un clair,
mais parce que l'clair comme il vient disparat
et celui-ci, demeurant, plus et plus resplendissait,
en ma pense je disais : Qu'est-ce donc l ?
Et une mlodie douce courait
dans l'air lumineux ; d'o bon zle
me fit blmer la hardiesse d'
ve,
car l o obissaient et la terre et le ciel,
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LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XXIX
une femme seule, et faite depuis peu,
61 La dame me reprit : Pourquoi brles-tu
ne souffrit de rester sous un voile, tant la vue des vives lumires,
28 sous lequel si fidle tait reste, et ce qui vient aprs ne regardes ?
j 'aurais ces ineffables dlices 6 Gens vis-je alors les suivre, comme
gotes plus tt et longtemps ensuite.
leurs guides, vtus de blanc
31 Tandis que j 'allais parmi tant de prmices
et telle blancheur onques ici-bas ne fut.
de l'ternel plaisir, tout en suspens
67 L'eau resplendissait ma gauche
et dsireux encore de plus de joies
et me renvoyait, comme un miroir,
mon ct gauche, si en elle je regardais.
34 devant nous, tel un feu embras
70 Lorsque, sur ma rive, je fus tel point
se fit l'air sous la verte rame,
que seul le fleuve nous sparait,
et le doux son dj comme chant s'entendait.
pour voir mieux, j 'arrtai mes pas
37 0 sacro-saintes vierges, si jamais pour vous
73 et je vis les flammelles avancer
j 'ai souffert faims froids ou veilles,
laissant en arrire l'air peint de lumire
il me faut ici vous en prier merci.
et avaient l'aspect de pinceaux qui glissent ;
40 Ores que l'Hlicon me verse son onde*,
76 si bien qu'en haut restaient distinctes
et qu'Uranie m'aide, avec son chur*,
sept bandes, toutes en ces couleurs
choses fortes penser, mettre en vers.
dont le Soleil fait l'arc et Dlie sa ceinture.
43 Plus loin taient sept arbres d'or*
79 Ces tendards en arrire allaient plus loin
dont le long espace qui encore
que ma vue, et, quant mon avis,
nous sparait faussait l'apparence,
dix pas sparaient ceux de l'extrieur.
4 mais quand je me trouvai si prs d'eux
82 Sous le si beau ciel que je viens de dcrire
que l'objet commun, qui le sens trompe,
vingt-quatre vieillards, deux par deux*,
ne perdait par la distance aucun aspect,
venaient couronns de fleurs de lis.
49 la facult qui prpare matire la raison
85 Tous chantaient : Bnie sois-tu
perut que c'tait l sept candlabres,
parmi les filles d'Adam et bnies
et dans les voix entendit chanter osanna .
pour l'ternit tes beauts.
52 Flamboyait le sommet du bel objet
88 Aprs que les fleurs et autres fraches herbettes
tant plus clair que lune en ciel serein
en face de moi, sur l 'autre rive,
la minuit de son mi-mois.
furent libres de cette gent lue,
55 Je me retournai tout plein d'admiration
91 comme suit lumire aprs lumire dans le ciel,
au bon Virgile, et lui me rpondit
vinrent aprs eux quatre animaux*
d'un regard charg de non moindre stupeur.
chacun couronn de vert feuillage.
58 Puis je rendis ma vue aux nobles choses
94 Ils taient empenns de six ailes,
qui se mouvaient vers nous si lentes
les plumes pleines d'yeux et les yeux d'Argus
que seraient vaincues par nouvelles pouses. s'ils taient vivants seraient tels.
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LA DIVINE COMDIE
A dcrire leurs formes, plus ne dpense
de rimes, lecteur, car tant me presse autre
dpense qu' celle-ci ne puis tre plus large.
Mais lis
lie
et chang le vtement de leur matre,
tel revins-je moi et vis cette dame
penche sur moi, elle qui d' abord fut guide
de mes pas le long du fleuve.
Et pris de doute, je dis : O est Batrice ?
et elle : Vois, elle est sous le feuillage
nouveau, assise sur la racine de l'arbre.
Vois la compagnie qui l'entoure :
les autres derrire le grfon, en haut, s'en vont,
avec plus douce chanson et plus profonde.
Et si parole s'tendit davantage
je ne sais, car dj en mes yeux tait
celle qui toute autre pense m' avait scell.
Seule assise tait sur la terre vraie,
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PURGATOIRE. CHANT XXXII
comme laisse la garde du char
que j ' avais vu lier par l'animal biforme.
L'entourant lui faisaient clotre
les sept nymphes, avec en main ces lumires
qui ne redoutent Aquilon ni Auster.
Ici en cette fort tu seras peu de temps,
et sans fin avec moi tu seras citoyen
de cette Rome o le Christ est romain.
Mais pour le bien du monde qui vit mal,
au char fixe tes yeux et ce que tu vois,
retourn l-bas prends soin de l'crire.
Ainsi dit Batrice et moi, qui tout dvou
tais aux pieds de ses commandements,
portai l'esprit et les yeux o elle voulut.
Jamais ne descendit d'un mouvement si rapide*
feu d'un nuage pais, quand il pleut
de la rgion la plus lointaine,
comme je vis fondre l'oiseau de Jupiter
sur l' arbre en brisant l'corce
et aussi des fleurs et des feuilles nouvelles ;
et il frappa le char de toute sa force
et le fit plier comme nef en tempte
vaincue par les flots bbord et tribord.
Puis je vis s'lancer, dans le fond
du vhicule triomphal, un renard
qui de toute bonne pture semblait jeun.
Mais le reprenant de laides fautes
ma dame le fit fuir aussi rapidement
que le purent ses os privs de chair.
Ensuite, par o tait dj venu
je vis l' aigle descendre dans le coffre
du char et le laisser couvert de ses plumes.
Et comme elle sort d'un cur meurtri
une voix sortit du ciel et dit :
0 ma nacelle que mal tu es charge !
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LA DIVINE COMDIE
Puis il me sembla que la terre s'ouvrit
entre les deux roues et j 'en vis sortir un dragon
qui dans le char ficha sa queue,
et comme gupe qui retire l'aiguillon,
tirant soi sa queue malfaisante,
arracha le fond et s'en alla content.
Ce qui resta, comme de mauvaise herbe
terre vivace, de la plume, offerte
peut-tre en intention saine et bonne,
se recouvrit, et en fut recouverts
et l'une et l'autre roues et le timon, si vite,
que plus garde un soupir bouche ouverte.
Transform ainsi, le saint difice
fit sortir des ttes de diverses parties,
trois sur le timon et une chaque angle.
Les premires taient cornues comme des bufs,
mais les quatre une seule come avaient au front :
semblable monstre jamais encore ne fut vu.
Sre comme forteresse en haute montagne,
assise sur le char une putain mi-nue
m' apparut, jetant ses regards alentour,
et, comme pour empcher qu'elle lui ft ravie,
tout droit ct d'elle je vis un gant,
et se baisaient l' un l' autre parfois.
Mais comme elle tourna vers moi son regard
errant et cupide, ce froce amant
la fouailla de la tte jusqu'aux pieds.
Puis, plein de soupon et de cruelle rage
il dtacha le monstre et dans la fort le tira
si avant que les arbres firent cran
la putain et l'trange bte.
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Chant XXXIII
Deus, venerunt gentes #q en alternant*
ores trois ores quatre, douce psalmodie
les dames commencrent en pleurant.
Et Batrice, soupirante et apitoye
les coutait, si dfaite que peu plus
la croix se changea Marie.
Mais lorsque les sept vierges se taisant
lui laissrent la parole, debout toute droite
elle rpondit, colore comme feu :
Modicum et non videbiti me ;
et iterum, mes surs bien-aimes,
modicum et vos videbiti me*. #
Puis les mit devant elle toutes les sept
et derrire elle, d'un seul signe, fit venir
moi et la dame et le sage encore l.
Ainsi elle allait, et je ne crois que ft
son dixime pas pos terre lorsque
de ses yeux frappa mes yeux,
et, d'un visage serein : Viens plus vite ,
me dit-elle, afin que si j e parle avec toi
r
'
couter tu sois bien dispos .
A peine fus-je, comme j e devais, prs d' elle
elle me dit : Frre, pourquoi n'oses-tu
me demander, venant dsormais avec moi ?
Comme ceux qui par trop de rvrence,
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LA DIVINE COMDIE PURGATOIRE. CHANT XXXIII
parlant devant les suprieurs, 61
Pour y avoir mordu, en peine et en dsir
ne tirent la voix vive jusqu' aux dents,
cinq mille ans et plus l' me premire
28 ainsi m'advint-il et d'une voix indistincte
attendit celui qui punit en soi la morsure.
je commenai : Dame, vous savez 6
Ton esprit dort s'il ne comprend
mon besoin et ce qui lui est bon.
que par raison singulire il est si
31 Et elle moi : De crainte et de vergogne
haut et si retourn en sa cime.
je veux que dsormais tu te libres
67 Et si n'eussent t eau d' Elsa*
les vaines penses autour de ton esprit,
et ne parles plus comme on fait en rve.
et leur plaisir un Pyrame au mrier*,
34 Sache que le vase bris par le serpent
70 par ces circonstances seulement
fut et n'est pas, mais qui porte la faute croie
tu aurais reconnu la justice de Dieu
que la vengeance de Dieu ne craint soupes.
moralement dans l' interdit de l' arbre.
37 Ne sera pas toujours sans hritier
73 Mais parce que je vois en toi l' intellect
l'aigle qui laissa ses plumes au char
devenu pierre et, ptri, obscur,
par quoi devint monstre et ensuite proie ;
si bien que t'blouit la lumire de mon dire,
40 car je vois avec certitude, et pour cela le narre,
76 je veux encore, sinon crit au moins peint,
des toiles libres de tout encombre et obstacle
que tu l'emportes au-dedans de toi comme
dj proches nous donner le temps
on rapporte le bourdon ceint de palme.
43 o un cinq cent et dix et cinq*
79 Et moi : Comme, en la cire marque par le sceau,
envoy de Dieu occira la voleuse
la figure empreinte ne change,
avec ce gant qui avec elle fornique.
marqu est par vous mon cerveau.
46 Et peut-tre que ma prdiction obscure
82 Mais pourquoi tant au-dessus de ma vue
comme Thmis et Sphinx, moins te persuade*
vole votre parole dsire
parce qu' leur faon elle ferme l'esprit ;
que plus la perd quand plus s'efforce ?
49 mais bientt les faits seront les Naades
85 Pour que tu connaisses, dit-elle, cette cole
qui rsoudront cette forte nigme
que tu as suivie, et voies comment
sans dam de troupeaux ou de moissons.
sa doctrine peut suivre ma parole ;
52 Toi, note, et telles que je les dis
88 pour te montrer que votre voie s'loigne
ces paroles redis-les aux vivants
de la voie divine autant qu'est distant
de cette vie qui est course la mort ;
de la terre le ciel qui le plus haut se hte.
55 et aie soin quand tu les cris, 91 D'o je lui rpondis : Je n' ai souvenance
de ne cler comme tu as vu l 'arbre que jamais je me sois loign de vous,
qui a t ici deux fois dpouill. et n' ai conscience qui m'en remorde.
58 Quiconque le dpouille ou le ravage, 94 Et si tu ne peux t'en souvenir ,
par blasphme en acte, offense Dieu en souriant rpondit-elle, rappelle-toi
qui pour son seul usage le cra saint. comment aujourd'hui tu as bu au Lth ;
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LA DIVINE COMDIE
et si la fume on devine le feu,
cet oubli montre clairement qu'il y eut faute
dans ta volont tourne ailleurs.
Vraiment dsormais nues seront
mes paroles, autant qu'il conviendra
de les dcouvrir ta vue rude.
Plus clatant tait le soleil
et pas plus lents suivait le cercle de midi,
qui et l se meut selon les lieux,
quand s' arrtrent, comme s' arrte celui
qui va devant les gens en escorte
s'il trouve chose nouvelle ou son empreinte,
les sept dames, au bord d'une ombre ple
telle que sous feuilles vertes et rameaux noirs
sur ses froids ruisseaux porte l' Alpe.
Devant elles il me sembla voir
Euphrate et Tigre sortir d'une mme fontaine
et, tels des amis, se sparer regret.
0 lumire, gloire de la gent humaine,
quelle eau est celle-ci qui ici s'coule
d'une seule source et soi de soi loigne ?
Pour telle prire me fut dit : Prie
Matelda de te le dire. Alors rpondit
comme fait qui d'une faute se dlie,
la belle dame : Ceci et d'autres choses
lui furent dites par moi ; et je suis sre
que l'eau du Lth ne les lui a caches.
124 Et Batrice : Sans doute plus grand souci,
qui bien souvent prive la mmoire,
a obscurci les yeux de son esprit.
127 Mais vois Euno qui l drive*,
mne-le l'eau et, comme tu as coutume,
sa vertu affaiblie fais revivre.
130 Comme me noble qui ne se drobe,
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mais fait son vouloir du vouloir d' autrui,
peine est-il par signe manifest,
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PURGATOIRE. CHANT XXXIII
ainsi, r
'
ayant pris avec elle
la belle dame s' achemina et, Stace,
courtoisement dit : Viens avec lui.
Si j' avais, lecteur, plus d'espace
pour crire, je chanterais aussi en partie
le doux boire qui jamais ne m' aurait rassasi,
mais parce que pleins sont tous les feuillets
ourdis pour ce deuxime cantique,
plus ne me laisse aller le frein de l'art.
Je revins de l'onde trs sainte
refait tout comme plantes nouvelles
renouveles de feuillage nouveau,
pur et dispos monter aux toiles.
Paradis
Chant 1
1 La gloire de celui qui meut toutes choses
dans l'univers pntre et resplendit
plus en u lieu et moins ailleurs.
4 Dans le ciel qui prend le plus de sa lumire
je fus, et vis des choses que redire
ne sait, ne peut, qui de l-haut descend,
7 car approchant soi-mme de son dsir,
notre intellect en tel abme se perd,
que la mmoire derrire ne peut suivre.
10 En vrit, tout ce que, du saint royaume,
j 'ai pu en mon esprit rassembler le trsor,
sera maintenant matire de mon chant.
13 0 bon Apollon, pour cet ultime labeur
fais de moi ce vase de ta valeur
que tu veux pour donner le laurier dsir.
16 Jusqu'ici l'un des sommets du Parnasse
m'a sufi, mais ores, avec les deux,
il me faut entrer dans le dernier discours.
19 Entre dans ma poitrine et souffle, toi,
comme lorsque tu tiras Marsyas*
de la gaine de ses membres.
22 0 divine vertu, si moi tu te prtes
assez pour que l'ombre du bienheureux royaume
empreinte en ma tte je puisse manifester,
25 venir tu me verras ton arbre chri
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LA DIVINE COMDIE
PARADIS. CHANT 1
et me couronner alors de ces feuilles
61 et soudain jour au jour parut
dont la matire et toi me ferez digne. tre ajout, comme si celui qui peut tout
28 Si rarement, pre, en cueille, avait orn d'un second soleil le ciel.
pour le triomphe, ou Csar ou pote, 6 Batrice toute aux sphres ternelles
par faute et honte des vouloirs humains, tenait les yeux fixs, et moi en elle
31 que devrait engendrer liesse sur la joyeuse je fixai mon regard ramen d'en haut.
divinit delphique, le feuillage pnen 67 La regardant je me fis au-dedans
comme se fit Glaucus gotant l'herbe*
quand de soi il assoiffe u esprit.
qui le fit parent, en mer, des autres dieux.
34 Brve tincelle produit grande flamme :
70 Dpasser l'humain ne saurait en paroles
peut-tre aprs moi, avec des mots meilleurs,
se dire ; que l'exemple donc suffise
on priera pour que Cyrrha rponde.
qui la grce rserve l' exprience.
37 Surgit sur les mortels de divers points
73 Si j 'tais seulement ce que de moi tu cras
la lampe du monde, mais, venant de celui
en dernier, amour qui gouvernes le ciel
qui joint quatre cercles trois croix*,
tu le sais, toi qui avec ta lumire m' levas.
40 d'un meilleur cours et sous meilleure toile*
76 Lorsque la roue, que tu fais ternelle
elle s'lve, et la cire terrestre
en dsir de toi, me fit attentif
plus son mode forme et marque.
l'harmonie que tu rgles et discernes,
43 De ce point, peine venait l le matin
79 m' apparut alors un si grand ciel embras
et chez nous le soir ; et l tout blanc tait
de la flamme du soleil, que pluie ou fleuve
cet hmisphre, et l' autre partie noire,
jamais ne firent lac aussi vaste.
4 quand je vis Batrice vers la gauche
82 La nouveaut du son et la grande lumire
tourne, et son regard dans le soleil :
enflammrent en moi dsir de leur cause
aigle jamais ainsi ne le fixa.
jamais senti avec telle acuit,
49 Et, comme un second rayon sort
85 et elle, qui voyait en moi comme moi-mme,
du premier et rejaillit en haut,
pour apaiser mon esprit troubl,
comme aussi un plerin dcid au retour,
avant que je demande ouvrit la bouche
52 ainsi de son geste, par les yeux
8 et commena : Toi-mme t'encombres
entr en ma pense, se fit le mien :
de fausse imagination et ainsi ne vois
je fixai le soleil plus qu' est en notre usage.
ce que tu verrais si tu l'avais secoue.
55 Beaucoup est possible l-haut que ne peut ici
91 Tu n'es sur terre comme tu le crois,
notre force, c' est la grce du lieu
mais foudre fuyant son propre site
qui fut destin l'espce humaine . .
jamais ne courut comme toi qui y reviens.
58 Ne le souffris longtemps, mais non si peu
94 Si je fus du premier doute dgag
que ne le visse tinceler tout autour
par les brves paroles souriantes,
comme fer qui bouillant sort du feu,
plus me saisit un autre en ses rets
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LA DIVINE COMDIE
et je dis : Content, bien m' apaisais
du grand merveillement, mais ores m'merveille
comment je dpasse ces corps lgers.
Elle, alors, eut un soupir apitoy, puis
tourna vers moi ses yeux, comme fait
une mre sur son fils qui dlire,
et commena : Toutes les choses qui existent
ont entre elles un ordre, et c'est la forme
qui fait l'univers Dieu ressemblant.
Ici les hautes cratures voient l' empreinte
de l'ternelle valeur, qui est la fin
pour laquelle est faite la norme susdite.
A l'ordre que je dis sont enclins
tous les tres, de diverses faons
tant plus ou moins proches de leur principe ;
ainsi se meuvent diffrents ports
sur le grand ocan de l' tre, chacun
avec l'instinct lui donn qui le porte.
Tel emporte le feu vers la lune,
tel est moteur aux curs des animaux,
tel condense et rassemble la terre ;
et non les seules cratures prives
d'intelligence, sont lances par cet arc,
mais celles qui ont intellect et amour.
La providence qui tout si bien ordonne,
de sa lumire fait le ciel d'ternelle paix,
dans lequel tourne celui qui plus se hte ;
et ores l, comme en lieu destin,
nous emporte l a vertu de cette corde
qui dirige ce qu'elle dcoche vers but heureux.
Il est bien vrai, comme la forme souvent
ne s'accorde l'intention de l' art,
parce qu' rpondre sourde est la matire,
ainsi parfois s'carte de ce cours
la crature qui a pouvoir,
ainsi pousse, de s'incliner ailleurs,
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PARADIS. CHANT 1
et de mme que l' on peut voir tomber
un feu des nues, ainsi l'lan premier
tombe terre, tordu par faux plaisir.
Tu ne dois t'tonner de monter,
je pense, plus que d'un ruisseau
qui de haut mont descend vers la valle.
Merveille serait en toi si, libre
d'empchement, tu fusses rest en bas,
comme serait feu vif tendu sur le sol.
Puis elle tourna vers le ciel son regard.
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Chant II
0 vous qui, en toute petite barque,
dsireux d'couter, avez suivi
mon bateau qui vogue en chantant,
retournez revoir vos rivages :
ne vous lancez au large car, peut-tre,
perdant ma trace resteriez gars.
L'eau o j 'entre jamais ne fut courue,
Minerve soufle et me guide Apollon
et les neu Muses me montrent l'Ourse.
Vous autres, peu nombreux, qui avez dress le cou
de bonne heure vers le pain des anges,
dont ici on vit mais non s'en rassasie,
bien pouvez-vous mettre en haute mer
votre navire en suivant mon sillage
avant que l'eau ne redevienne gale.
Ces glorieux qui passrent Colchos*
ne s'tonnrent autant que vous ferez,
quand ils virent Jason devenu laboureur.
La so, inne et perptuelle en l'homme,
du royaume diforme, nous emportait
presque aussi vite que vos yeux voient le ciel.
Batrice regardait en haut et moi en elle
et dans le temps peut-tre qu'un carreau
s' arrte et vole et quitte l'arbalte,
je me vis arriver o chose merveilleuse
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PARADIS. CHANT II
attira soi mes yeux ; alors celle
qui ne pouvait tre ma pense cache,
tourne vers moi, joyeuse autant que belle :
Rends grce Dieu , me dit-elle,
qui nous a joints la premire toile .
I l me semblait que nous couvrait une nue
brillante, dense, solide, polie
comme diamant frapp par le soleil.
Au-dedans d' elle cette perle ternelle
nous reut, comme eau reoit
rayon de lumire sans s'ouvrir.
Si j 'tais corps - sur terre ne se conoit
comment une tendue peut en soufrir une autre
ce qui advient si corps en corps pntre -
plus devrait nous enflammer le dsir
de voir cette essence en qui se voit
comment notre nature Dieu s'est unie.
L-haut se verra ce que nous tenons par foi
non dmontr, et sera par soi connu
guise du Vrai premier que l'homme croit.
Je rpondis : Dame, dvotement
autant que je puis faire, je remercie celui
qui du monde mortel m'a loign.
Mais dites-moi, que sont les taches sombres
de ce corps, qui en bas sur terre
font les gens fabuler sur Can* ?
Elle sourit un peu et puis : Si erre
l'opinion des mortels , me dit-elle,
l o la clef des sens n'ouvre pas,
point ne devraient te blesser traits
d'tonnement dsormais, puisque tu vois
que la raison suivant les sens a les ailes courtes.
Mais dis-moi ce que par toi-mme en penses ?
Et moi : Ce qui nous apparat divers
je crois que sont corps rares et denses.
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LA DIVINE COMDIE
Et elle : Certes, bien verras-tu submerge
dans le faux ta croyance, si bien coutes
les arguments que lui veux opposer.
La huitime sphre vous montre nombreuses
lumires, lesquelles par qualit et quantit
peuvent apparatre en divers aspects.
Si rare et dense en taient cause,
une seule vertu serait, en toutes,
distribue plus et moins et autant.
Vertus diverses doivent tre fruits
de principes formels, et ceux-ci, sauf un,
seraient dans ton raisonnement dtruits.
Puis, si le rare tait de ces taches
la cause que tu cherches, ou bien de part en part
serait de sa matire ainsi prive
cette plante, ou bien comme se rpartit
le gras et le maigre dans u corps, ainsi celle-ci
dans son volume alternerait les pages.
Si le premier cas tait vrai, il serait manifest
dans l'clipse du soleil : transparatrait alors
la lumire comme dans tout autre corps rarfi.
Cela n'est pas, partant il faut voir
l'autre cas et, s'il advient que je le casse,
sera dclare fausse ton opinion.
S'il est vrai que ce rare ne traverse pas,
il doit y avoir un terme o
son contraire ne laisse pas passer,
et, de l, le rayon de soleil se rflchit
comme la couleur sur un verre
qui est, derrire, tapiss de plomb.
Ores tu diras que l se montre obscur
le rayon plus qu'en autre partie
pour tre rfract de plus loin.
De cette objection peut te librer
l'exprience, si jamais tu essaies,
qui est la source des ruisseaux de vos arts.
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PARADIS. CHANT II
Tu prendras trois miroirs, deux tu les loignes
de toi de mme distance, l'autre plus loin
entre les deux premiers, face tes yeux.
Tourn vers eux, aie derrire toi
une lumire qui claire les trois miroirs,
et revienne toi, rflchie par eux.
Bien qu'en dimension soit moindre
l'image la plus lointaine, tu la verras
comme il convient resplendir galement.
Or, comme sous les traits des chauds rayons
reste de la neige le sujet dpouill
et de la couleur primitive et du froid,
toi, ainsi rest, je veux en ton intellect
t'clairer de lumire si vive
que son aspect t'blouira.
A l'intrieur du ciel de la divine paix
tourne un corps en la vertu duquel
l'tre de tout ce qu'il contient repose.
Le ciel suivant, qui a tant de lumires,
distribue cet tre en diverses essences,
de lui distinctes et par lui contenues.
Les autres ciels, selon leurs diffrences,
disposent pour leurs fins et leurs effets
les vertus distinctes qu'ils portent en eux.
Les organes du monde vont ainsi,
comme tu vois dsormais, de degr en degr
prenant en haut et donnant en bas.
Regarde bien par quelle voie
je vais au vrai que tu dsires,
en sorte que tu saches seul passer le gu.
Le mouvement et la vertu des cercles saints,
comme du forgeron l'art du marteau,
doit driver des bienheureux moteurs,
et le ciel, dont tant de lumires font la beaut,
prend l'image de l'esprit profond
qui le meut et en devient le sceau.
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LA DIVINE COMDIE
Et comme l'me, dans votre poussire,
se manifeste par diffrents membres
conforms diverses puissances,
ainsi l' Intelligence dploie
sa bont multiplie sur les astres,
tournant elle-mme sur sa propre unit.
Vertu diverse fait diverse alliance
avec le corps prcieux qu'elle avive
auquel, comme vie en vous, elle se lie.
Par la nature joyeuse dont elle drive
la vertu mle au corps rayonne
comme liesse en vive prunelle.
D'elle vient ce qui de lumire lumire
parat diffrent, non de dense ou rare ;
elle est la cause formelle qui produit
selon sa qualit, le trouble et le clair.
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Chant III
Ce soleil, qui premier d' amour chauffa mon cur,
m'avait dcouvert, prouvant et rfutant,
de belle vrit le doux aspect,
et moi, voulant me confesser corrig
et certain, comme il convenait
levai plus haut la tte pour le dire,
mais vision apparut qui soi
me retint si troitement, pour la voir,
que de ma confession plus ne me souvins.
Tels par verres transparents et polis,
ou bien par eaux limpides et calmes
non si profondes que les fonds soient perdus,
nous reviennent les traits de nos visages
si faibles que perle sur front blanc
ne vient moins vite nos regards,
tels vis-je des visages prts parler
par quoi je courus l'erreur contraire
celle qui lia d'amour l'homme et la fontaine.
Aussitt que d'eux je m' aperus,
les estimant images refltes,
pour voir qui tait-ce je tournai les yeux,
ne vis rien et les ramenai en avant
droit dans les yeux de ma douce guide
qui souriait et ses yeux saints resplendissaient.
Ne t'tonne pas parce que je souris ,
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LA DIVINE COMDIE
dit-elle, de ta pense purile,
sur le vrai ton pied enre n'est assur,
mais tu tournes, comme de coutume, vide ;
ce sont vraies substances que tu vois l,
ici relgues pour rupture de vu.
Parle donc avec elles et coute et crois,
car la vraie lumire qui les comble
ne laisse leurs pieds se dtourner d'elle .
Et moi, l'ombre qui paraissait plus dsireuse
de me parler, je m'adressai et commenai,
un peu comme un que grand dsir domine :
0 esprit bien cr qui, aux rayons
de vie ternelle, prouves la douceur
qui non gote ne se peut comprendre,
il me plairait que tu veuilles me dire
quel est ton nom et quel votre sort.
Dont elle, prompte et les yeux riants :
Notre charit ne ferme ses portes
dsir juste, non autrement que celle
qui veut semblable soi toute sa cour.
Je fus dans le monde vierge consacre ;
et si tu regardes bien ta mmoire,
tre plus belle, toi, ne me cachera,
mais tu reconnatras que je suis Piccarda,
qui, ici place avec ces bienheureux,
bienheureuse suis dans la sphre la plus lente.
Nos dsirs qui sont enflamms seulement
de ce qui plat l'Esprit Saint
sont en liesse d'tre forms selon son ordre.
Notre sort qui parat si bas
nous est donn parce que furent ngligs
et en partie dsavous nos vux.
Dont moi elle : En vos traits admirables
resplendit je ne sais quoi de divin
qui transforme votre image premire,
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PARADIS. CHANT III
ce pourquoi je fus lent me souvenir ;
mais ores m'aide ce que tu me dis
et il m'est plus facile de te reconnatre.
Mais, dis-moi, vous qui tes ici heureux,
dsirez-vous un lieu plus lev
pour voir mieux ou mieux aimer ?
Avec les autres ombres, d'abord sourit un peu,
et puis me rpondit si joyeuse
qu'elle paraissait brler d'amour dans le feu premier.
Frre, vertu d'amour rassasie
notre volont, et nous fait vouloir
ce que nous avons sans aucune autre soif.
Si nous dsirions tre plus haut
seraient dsaccords nos dsirs
du vouloir de Celui qui ici nous place ;
ce qui n'a lieu, tu verras, dans ces sphres,
si tre en amour est ici ncessaire
et si tu regardes bien quelle est sa nature.
Il est essentiel cette batitude
de se tenir dans le vouloir divin
pour que nos vouloirs ne fassent qu'un.
Nous sommes ainsi disposs de ciel en ciel
dans ce royaume, et cela plat tout le royaume,
comme au roi qui nous donne dsir de sa volont.
Et sa volont est notre paix :
elle est cette mer vers qui tout se meut,
ce qu'elle cre et ce que nature fait.
Clair me fut alors comment tout lieu
au ciel est paradis, quoique la grce
du bien suprme d'une mme faon n'y pleut.
Mais, comme il advient, si un mets rassasie
et d'un autre reste encore l' envie,
qu'on demande l'un en remerciant de l'autre,
ainsi fis-je en gestes et paroles
pour apprendre d'elle quelle fut la toile
dont ne tira jusqu'au bout la navette.
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LA DIVINE COMDIE
Vie parfaite et haut mrite emparadise
dame plus haut , me dit-elle, et sa suite
dans votre monde, en bas, on prend robe et voile,
pour que jusqu' la mort on veille et dorme
avec cet poux qui accepte tout vu
que charit son plaisir conforme.
Du monde, pour la suivre, jeunette
je m' enfuis et dans son habit m'enfermai
et promis de vivre selon sa rgle.
Puis, des hommes, au mal plus qu'au bien adonns,
me ravirent hors du doux clotre
et Dieu sait ce qu'ensuite fut ma vie.
Et cette autre splendeur qui ma droite
t' apparat et qui s' enflamme
de toute la lumire de notre sphre,
ce que je dis de moi, de soi l'entend :
elle fut nonne, et de mme ft te
de sa tte l'ombre des saints bandeaux.
Mais aprs qu'elle fut dans le monde remise,
contre son gr et contre honnte usage,
du voile du cur jamais ne fut dlie.
C'est la lumire de la grande Constance*
qui du second vent de Souabe
engendra le troisime et l'ultime puissance .
Ainsi me parla, et puis elle commena : Ave
Mara # en chantant, et en chantant disparut
comme en eau sombre chose pesante.
Ma vue, qui la suivit autant
qu'il fut possible, quand la perdit
alla l'objet de mon plus grand dsir,
Batrice tout entire se tourna,
mais elle fulgura dans mon regard
tant que mes yeux d'abord ne le souffrirent,
et cela me fit demander plus lent.
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Chant IV
Entre deux mets galement distants
et attirants, mourrait de faim
un homme libre, avant d'en porter un ses dents ;
de mme resterait un agneau entre deux rages
de loups froces, les craignant galement ;
ainsi resterait un chien entre deux daims ;
partant si je me taisais, je ne m'en blme,
en suspens galement entre mes doutes,
ni ne m'en loue, puisque c'tait ncessit.
Je me taisais, mais mon dsir tait peint
sur mon visage qui demandait
plus ardemment qu'un parler distinct.
Batrice fit ce que fit Daniel
tirant de sa colre Nabuchodonosor*
qui l' avait injustement accus,
et dit : Je vois bien comment te tirent
l'un et l'autre dsir, si bien que ton souci
s'entrave lui-mme et au-dehors n' arrive.
Tu argumentes : "Si le bon vouloir dure
pour quelle raison la violence d'autrui
diminue la mesure de mon mrite ?
De douter encore te donne motif
le retour des mes aux toiles
selon ce que dit Platon.
Telles sont les questions qui pressent
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LA DIVINE COMDIE PARADIS. CHANT IV
galement ton vouloir, et d'abord,
61 Ce principe mal entendu, gara
je traiterai celle qui a plus de fiel. presque le monde entier le portant
28 Des sraphins celui qui est le plus en Dieu, invoquer Jupiter, Mercure et Mars.
Mose, Samuel et des deux Jean, celui 6 L'autre doute qui te trouble
que tu voudras, comme aussi Marie, a moins de venin parce que sa malice
31 n'ont leur sige en autre ciel
ne pourrait t'emmener loin de moi.
que ces esprits qui te sont apparus
67 Paratre injuste notre justice
et n'y sont pour plus ou moins d'annes,
aux yeux des mortels est argument
34 mais tous embellissent le premier ciel
de foi, non d'hrtique mchancet.
et diversement ont douce vie
70 Mais parce que votre jugement peut
car sentent plus ou moins l 'ternel souffle.
bien pntrer en cette vrit,
comme tu le dsires je vais te contenter.
37 Ici se sont montrs, non parce que cette sphre
73 Si violence y a quand celui qui subit
leur est attribue, mais pour signaler
ne conc.de rien celui qui le force,
une batitude cleste moins haute.
ne furent ces mes par elle excuses,
40 Ainsi faut-il parler votre esprit
76 car volont, si ne veut, ne s'teint,
parce que, du seul sensible, il apprend
mais fait comme fait nature dans le feu,
ce qu'ensuite il fait digne d'intellect.
mme si mille fois violence le tord,
43 C'est pourquoi l'
criture condescend
79 pour ce si elle ploie peu ou prou
vos facults, et pieds et mains
elle suit la force ; ainsi firent ces mes
attribue Dieu, et autre chose entend ;
pouvant retourner au lieu saint.
46 et sainte
glise se dfendit
et vainquit en combat sa guerre intrieure,
bien devrait t'tre manifeste
l'excellence de l'autre pour qui Thomas
avant ma venue fut si courtois.
Mais l'ornire trace par le sommet
de sa circonfrence est abandonne
et le moisi est l o se trouvait le tartre.
Sa famille qui marcha droit mettant
les pieds dans ses pas est si retourne
qu'elle met maintenant ses pieds rebours
et bientt on verra ce qu'est la rcolte
d'une si mauvaise culture, quand l'ivraie
se plaindra que le grenier lui soit refus.
A vrai dire qui chercherait, feuilletant
notre volume, trouverait encore telle page
o il lirait : "Je suis ce que je fus",
mais ne serait de Casale ni d' Aquasparta*,
l d'o viennent tels servants de la rgle
que l'un la fuit et l'autre la resserre.
Je suis l'me de Bonaventure
de Bagnorea qui en mes grands offices
mis toujours en second le souci temporel.
Illuminato et Augustin sont ici
qui furent des premiers petits pauvres dchaux
et ceints de la corde se firent amis de Dieu.
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PARADIS. CHANT XII
Hugues de Saint Victor est ici avec eux
et Pierre le Mangeur et Pierre d' Espagne
qui brille sur terre en douze livrets* ;
Nathan le prophte et le mtropolite*
Chrysostome et Anselme et ce Donat*
qui au premier art daigna mettre la main ;
Raban est ici et mon ct brille*
le Calabrais abb Giovacchino*
qui fut dot d'esprit prophtique.
A clbrer un tel paladin
me porta l'ardente courtoisie
de frre Thomas et son clair parler ;
et porta avec moi cette compagnie.
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Chant XIII
Qu'il imagine, celui qui a dsir de bien entendre,
ce qu' alors je vis, et qu'il retienne l'image
tant que je parle, comme ferme roc,
quinze toiles qui en divers lieux
avivent le ciel de telle clart
qu'elle vainc toute paisseur de l'air ;
qu'il imagine ce char qui suffit le sein*
de notre ciel et de nuit et de jour
et ne disparat quand tourne le timon ;
qu'il imagine la bouche de ce cor
qui commence la pointe de l' axe
autour duquel tourne la premire roue,
et tout cela ayant form dans le ciel deux signes
tels qu'en fit un la fille de Minos*,
alors qu'elle sentit le froid de la mort,
et que l'un dans l'autre ils rayonnent
et que tous deux tournent de sorte
que l'un va en avant et l'autre en arrire,
et il aura presque l'ombre de la vraie
constellation et de la double danse
qui encerclait le point o j 'tais ;
car elle est loin de notre usage
autant que loin du cours de la Chiana
est le mouvement du ciel le plus rapide de tous.
L on ne chanta ni Bacchus ni Pan,
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PARADIS. CHANT XIII
mais trois personnes en divine nature
et en une personne elle et l'humaine.
Chants et danses s' arrtrent en mesure
et ces saintes lumires dirigrent vers nous
la joie de passer d'un objet l'autre.
Rompit le silence alors, en ces dits unanimes,
la lumire en qui la vie admirable
du petit pauvre de Dieu me fut conte,
et dit : Quand une paille est battue,
quand son grain dj est engrang,
battre l'autre doux amour m'invite.
Tu crois qu'en la poitrine d'o fut tire
la cte pour former le beau visage
dont le palais cote cher au monde entier,
et en celle qui, troue par la lance,
avant et aprs tant a satisfait
que toute faute est contrebalance,
tout ce que la nature humaine peut
avoir de lumire, fut infus
par cette valeur qui forma l'une et l'autre,
et pour ce tu t'tonnes de ce que j 'ai dit plus haut
quand je narrai que n'eut point de second
le bien enclos en la cinquime lumire.
Ores ouvre les yeux ce que je rponds
et tu verras ton croire et mon dire
dans le vrai se faire comme centre en cercle.
Ce qui ne meurt et ce qui peut mourir
n'est autre que splendeur de cette ide
qu'engendre en aimant notre Sire,
car cette vive lumire qui provient
du lumineux et ne se spare de lui
ni de l'amour qui avec eux fait trois,
par sa bont rassemble ses rayons
comme reflts en neuf substances,
en demeurant ternellement une.
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LA DIVINE COMDIE
61 De l elle descend aux ultimes puissances
de ciel en ciel, tant dclinant
qu'elle ne fait plus que brves contingences,
64 et ces contingences j 'entends qu'elles sont
les choses engendres que produit le ciel
en son mouvement, avec ou sans semence.
67 La cire de celles-ci et la vertu qui la modle
ne sont d'un seul mode, partant sous le signe
idal plus ou moins transparat,
70 d'o il advient qu'un mme arbre
selon l'espce donne fruits meilleurs ou pires,
et vous-mmes naissez dous d'esprits divers.
73 Si la cire tait conduite perfection,
et si le ciel tait en sa vertu suprme,
la lumire du sceau apparatrait toute,
76 mais la nature la donne toujours imparfaite
uvrant semblablement l'artiste
qui a connaissance de l' art et main qui tremble.
79 Pourtant si l' ardent amour inspire et imprime
la vue claire de la premire vertu
toute la perfection l s'acquiert.
82 Ainsi fut faite jadis la terre digne
de toute la perfection animale,
ainsi fut faite la Vierge enceinte,
85 en sorte que j ' approuve ton opinion
que l'humaine nature jamais ne fut
et ne sera comme fut en ces deux personnes.
88 Ores, si je ne procdais plus avant,
tes paroles ainsi commenceraient :
"Donc comment fut celui-l sans pareil ? "
91 Mais pour qu'apparaisse bien ce qui n'apparat pas, *
pense qui i l tait et la raison qui le porta
demander, quand lui fut dit : "Demande".
94 Je n'ai parl de telle sorte que tu ne puisses
bien voir qu'il fut roi, qu'il demanda
sagesse afin que roi suffisant ft ;
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PARADIS. CHANT XIII
non pour savoir quel est le nombre
des moteurs des cieux, ou si ncessaire
avec contingent puisse entraner ncessaire ;
non si est da re primum motum esse,
ou si en demi-cercle se peut inscrire
triangle qui n' ait un angle droit.
Donc si tu notes ce que j ' ai dit dj et maintenant,
royale prudence est cette sagesse sans gale,
que vise le trait de mon intention,
et si au "surgit" tu portes u regard clair
tu verras qu'il a gard seulement
aux rois, qui sont nombreux, et peu sont bons.
Prends avec cette distinction mon dit,
qui peut ainsi aller avec ce que tu crois
du premier pre et de notre Bien-aim.
Que ceci te soit toujours plomb aux pieds,
pour te faire aller lentement, comme homme las,
vers le oui et le non que tu ne vois pas ;
qu'il est parmi les sots bien bas celui
qui sans distinguer affirme et nie,
dans l'un tout comme dans l' autre cas,
car il arrive que souvent penche
vers l'erreur l'opinion htive
et puis la passion lie l'intellect.
Bien plus qu'en vain s'loigne de la rive,
car il ne revient tel qu'il est parti,
celui qui pche pour le vrai et n' a l' art,
et de cela sont au monde preuves patentes :
Parmnide, Melissos et Bryson et beaucoup
lesquels allaient et ne savaient o ;
ainsi firent Sabellius et Arius, et ces fous
qui furent comme pes aux
critures
en rendant tors ce qui tait droit.
Ne soient donc les gens trop assurs
pour juger, comme celui qui estime
la moisson sur pied avant qu'elle soit mre,
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LA DIVINE COMDIE
car j 'ai vu tout l'hiver, d' abord
le buisson se montrer rigide et dur,
puis porter la rose sa cime,
et j 'ai vu le vaisseau droit et rapide
courir la mer durant tout son chemin
et prir la fin en entrant au port,
Ne croient dame Berthe et messire Martin,
pour avoir vu l'un voler et l'autre faire offrande,
qu'ils lisent dans le conseil divin,
car tel peut se dresser et tel peut tomber.
Chant XIV
1 Du centre au cercle, et puis du cercle au centre,
1 'onde se meut dans un vase arrondi
selon qu'elle est frappe dehors ou dedans.
4 En mon esprit soudain surgit l'image
que je dis, au moment o se tut
l'me glorieuse de Thomas,
7 par la similitude que fit natre
son parler et celui de Batrice
qui, aprs lui, il plut de commencer :
10 A celui-ci est ncessaire, et il ne vous le dit
ni de la voix ni encore en pensant,
d' aller la racine d'une autre vrit.
13 Dites-lui si l a lumire dont se fleurit
votre substance restera avec vous
ternellement comme elle est maintenant,
16 et, si elle reste, dites comment, aprs
que vous serez refaits visibles,
pourra se faire qu'elle ne gne votre vue.
19 Comme parfois pousss et tirs par plus
grande liesse, ceux qui dansent en rond
forcent la voix et les gestes d'allgresse,
22 ainsi, la prire prompte et dvote,
les cercles saints montrrent nouvelle joie
dans le tournoiement et l' admirable chant.
25 Qui se lamente parce qu'ici-bas l'on meurt
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LA DIVINE COMDIE
pour vivre l-haut, n' a vu l
la fracheur de l'ternelle pluie.
Cet un et deux et trois qui toujours vit,
et rgne toujours en trois et deux et un,
non circonscrit et qui circonscrit tout,
trois fois tait chant par chacun
de ces esprits, avec mlodie telle
qu' tout mrite serait juste don.
Et j 'entendis, dans la lumire la plus divine
du moindre cercle, une voix modeste,
comme celle, peut-tre, de l'ange Marie,
rpondre : Autant que sera longue la fte
de paradis, autant notre amour
rayonnera tout autour pareil vtement.
Sa clart est selon l' ardeur,
l'ardeur selon la vision et celle-ci est gale
tout ce que la grce ajoute sa valeur.
Lorsque nous aurons revtu la chair
glorieuse et sainte, notre personne
sera plus padaite parce que tout entire ;
par cela s'accrotra ce que nous donne
de lumire gratuite le bien suprme,
lumire qui conditionne notre vision ;
d'o la vision doit crotre,
crotre l'ardeur qui en elle s'allume,
crotre le rayon qui vient de l' ardeur.
Mais, comme le charbon qui donne une flamme
et par vive blancheur la surpasse
de sorte que son apparence demeure,
ainsi cette fulgurance qui dj nous enveloppe
sera vaincue dans l' apparence par la chair
que la terre encore recouvre ;
et ne pourra tant de lumire nous fatiguer,
car les organes du corps auont force
pour tout ce qui pourra faire notre joie.
PARADIS. CHANT XIV
61 Tant prompts et d'accord m'apparurent
l' un et l'autre chur dire Amen !
que bien montrrent dsir de leurs corps morts ;
6 peut-tre non pour eux, mais pour les mamans,
pour les pres et pour les autres qui furent chers,
avant que fussent flammes ternelles.
67 Et voici tout autour, de splendeur unie,
natre en plus des autres une lumire,
guise d'horizon qui s'claire.
70 Et comme, lorsque monte l'ombre du soir,
commencent dans le ciel d'autres lueurs
et qu' la vue semblent vraies et non vraies,
73 il me sembla commencer voir
de nouvelles substances faire un cercle
autour des deux autres circonfrences.
76 0 vritable tincellement de l'Esprit Saint !
comme soudain et incandescent il se fit
mes yeux qui ne le supportrent !
79 Mais Batrice si belle et si riante
m'apparut qu'il faut en laisser l'image
avec celles qui chappent la mmoire.
82 Puis mes yeux reprirent la force
de s'ouvrir et je me vis transport
seul avec ma Dame en un plus haut salut.
85 Bien avisai-je que j 'tais plus lev
ce rire enflamm de l'toile
qui m'apparaissait plus rouge que les autres.
88 Du fond du cur et dans ce langage
qui est le mme en tous, Dieu j 'offris
l'holocauste qui convenait la grce nouvelle,
91 et point encore n'tait en mon cur puise
l' ardeur du sacrice, quand je connus
qu'avec faveur il tait accept,
94 car si clatants, si fulgurants, m'apparurent
des splendeurs formant deux rayons
que je dis : 0 Hlios qui tant les embellis !
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LA DIVINE COMDIE
De mme que, forme de moindres et plus grandes
lumires, blanchoie entre les ples du monde
Galaxie, qui laisse dans le doute bien des savants,
ainsi constells, les deux rayons faisaient
dans la profondeur de Mars le signe vnrable,
que forment dans un rond les quadrants runis.
Ici ma mmoire vainc l'esprit car
en cette croix tant resplendissait Christ
que je ne sais trouver une image digne.
Mais qui prend sa croix et suit Christ
saura m'excuser de ce qu'ici je laisse
voyant en cette blancheur fulgurer Christ.
D'un bras l' autre et de la cime au pied
se mouvaient des lumires scintillant fort
se rejoindre et se dpasser :
ainsi se voient ici droites et torses,
vives et lentes, changeant d'aspect,
de fines poussires, longues et courtes,
se mouvoir dans le rai de lumire qui parfois
borde l'ombre que, pour s' abriter,
1 'homme avec art et sagesse obtient.
Et comme luth et harpe dans l'harmonie
des cordes tendues font doux tintement
pour tel qui ne connat les notes,
ainsi, des lumires qui l m'apparurent
le long de la croix, venait une mlodie
qui me ravissait sans entendre l'hymne.
Bien m'aperus qu'elle tait haute louange
car me venaient Ressurgis et Triomphes
comme celui qui n'entend et coute.
Je r
'
enamourais de tout cela tant
que, jusque-l, ne fut aucune chose
qui me lit d'aussi doux liens.
Peut-tre ma parole semble ici trop hardie
plaant second le plaisir des si beaux yeux
en lesquels, mirant, mon dsir est combl,
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PARADIS. CHANT XIV
mais qui s' avise que les vivants sceaux
de toute beaut, plus le sont plus haut,
et que l ne m'tais retourn eux,
peut r
'
excuser de ce dont je r
'
accuse
pour m'excuser et voir que je dis vrai :
car le saint plaisir je n'ai pu l'exclure
puisqu'il se fait, en montant, plus parfait.
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Chant XV
Volont de bien, o toujours
se coule l'amour qui droitement souffle,
comme cupidit fait en volont mauvaise,
mit en silence cette douce lyre
et au repos les saintes cordes
que la main du ciel relche et tire.
Comment seront donc sourdes aux justes prires
ces substances qui, pour me donner dsir
de les prier, en accord se turent ?
Bien est que sans terme souffre
qui, par amour de chose qui ne dure,
ternellement de cet amour se dpouille.
Comme, dans un ciel tranquille et pur,
file de temps autre un soudain feu
tirant soi le regard contemplant,
et semble tre toile qui change de lieu,
sauf que du ct o il s'est allum
rien ne s'est perdu, et que lui dure peu ;
tel, partant du bras qui s'tend droite,
courut jusqu'au pied de cette croix un astre
de la constellation qui l resplendit :
et la gemme ne sortit de son ruban
mais parcourut la bande lumineuse
et parut feu derrire un albtre.
Ainsi s'offrit l'ombre pieuse d'Anchise*,
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PARADIS. CHANT XV
si mrite foi notre plus grande muse,
lorsque dans 1 '
liso,
ma femme vint moi du val de P
et ainsi se fit le nom que tu portes.
Puis je suivis l'empereur Conrad*,
et i l me ceignit de sa chevalerie,
tant je lui vins gr par bien agir.
J' allai avec lui combattre cette loi
inique, dont le peuple usurpe
par la faute des papes votre droit.
L je fus par cette gent rebelle
dgag du monde trompeur
dont l' amour enlaidit tant d'mes,
et je vins du martyre cette paix.
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Chant XVI
0 chtive noblesse du sang !
que tu rendes les gens glorieux
ici-bas o notre cur est faible,
ne peut tre pour moi chose tonnante
puisque, l o l'apptit n'est dvi,
je dis au ciel, je m'en suis glorifi.
Bien es-tu cape qui tt raccourcit ;
et si l'on n'y ajoute de jour en jour,
le temps avec ciseaux tourne autour.
Par le vous qu'en premier Rome admit,
en quoi son peuple moins persvre,
recommencrent mes paroles ;
d'o Batrice, u peu l'cart,
en riant, parut celle qui toussa
la premire faute crite de Guenivre.
Je commenai : Vous tes mon pre,
vous me donnez parler toute hardiesse,
vous m'levez tant que je suis plus que moi.
Par tant de ruisseaux l'allgresse emplit
mon esprit, qu'il s' jouit lui-mme
de pouvoir la soutenir sans se briser.
Dites-moi donc, mes chres prmices,
quels furent vos aeux, et quelles annes
furent celles de votre enfance ;
parlez-moi du bercail de Saint-Jean,
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LA DIVINE COMDIE
combien et qui alors taient les gens
dignes d'y occuper les plus hauts siges.
Comme au souffle du vent s' avive
en flamme une braise, ainsi vis-je cette
lumire resplendir mes paroles d'hommage ;
et comme, mes yeux, elle se fit plus belle,
ainsi d'une voix plus douce et suave,
mais non dans ce parler moderne,
elle me dit : Depuis ce jour que fut dit "Ave"
jusqu'au jour o ma mre, qui ores est sainte
s'allgea de moi dont elle tait grosse,
cinq cent-cinquante et trente fois
vint son Lion ce feu
pour se renflammer sous ses pieds.
Mes anciens et moi naqumes au lieu
par o entrent au dernier sextier
ceux qui courent vote jeu annuel.
Qu'entendre cela de mes aeux suffise,
qui ils furent, d'o ils arrivrent l,
plus convient taire que dire.
Tous ceux qui en ce temps taient l,
propres porter les armes, entre Mars et le Baptiste,
taient le cinquime des vivants d'aujourd'hui,
mais la population qui est maintenant mle
ceux de Campi, de Certaldo et de Figline,
pure se voyait dans le moindre artisan.
Ah comme mieux vaudrait les avoir pour voisins
ces gens que je dis, et placer vos confins
Galluzzo et Trespiano,
que dans la ville souffrir la puanteur
du vilain d' Aguglione et celui de Signa
qui dj pour troquer a l' il aux aguets !
Si la gent qui au monde plus forligne
n' avait t pour Csar martre
mais, comme mre son fils, bnigne,
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PARADIS. CHANT XVI
tel est fait Florentin, et change et commerce,
qui serait retourn Sinifonti,
l o son aeul faisait la garde ;
encore serait Montemurlo aux Conti ;
seraient les Cerchi en paroisses d' Acone,
et peut-tre en Val di Greve les Buondelmonti.
Toujours la confusion des personnes
fut principe du mal des cits,
comme pour le corps des mets surajouts ;
et taureau aveugle choit plus rudement
que l'agneau aveugle, et souvent taille
plus et mieux une seule pe que cinq.
Si tu regardes Luni et U rbisaglia
comme s'en sont alles, et comme s'en vont
derrire elles Chiusi et Senigallia,
entendre comment les lignes se dfont
ne te semblera chose nouvelle ou trange,
puisque les cits mmes ont un terme.
V os choses toutes sont mortelles
comme vous, mais cela est cach en quelqu'une
qui dure longtemps, et vos vies sont courtes.
Et comme le ciel de la lune en sa ronde
couvre et dcouvre les rivages sans cesse,
ainsi la Fortune fait-elle de Florence,
pour quoi ne doit parate chose tonnante
ce que je dirai des grands Florentins
dont la renomme est dans le temps cache.
J'ai vu les Ughi, j 'ai vu les Catellini,
Filippi, Greci, Ormanni et Alberichi,
illustres citoyens, dj au dclin ;
et j 'ai vu, aussi grands que les anciens,
avec ceux de la Sannella, ceux de l' Arca,
et Soldanieri et Ardinghi et Bostichi.
A Porta San Pietro, prsent si charge
de nouvelle flonie d'un poids tel
que bientt la barque s'enfoncera,
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LA DIVINE COMDIE
taient les Ravegnani, d'o est descendu
le comte Guido, et ceux qui ensuite
ont pris le nom du grand Bellicione.
Celui de la Pressa savait dj comment
il faut gouverner, et Galigaio avait
chez lui dj la garde et le pommeau dors.
Grande tait j la colonne du V air,
Sacchetti, Giuochi, Fifanti et Barocci
et Galli et ceux qui rougissent cause du boisseau.
La souche dont naquirent les Calfucci
tait j grande et j s' taient hisss
sur les curules Sizii et Arrigucci.
Oh ! comme je les ai vus ceux qui sont dfaits
par leur orgueil ! et les houles d'or
fleurissaient Florence en tous ses hauts faits.
Ainsi faisaient les pres de ceux-l
qui, chaque fois que votre glise vaque,
se font gras sigeant consistoire.
La race outrecuidante qui s'acharne
derrire celui qui fuit, et comme agneau s' apaise
devant qui montre ou les dents ou la bourse,
dj montait, mais de petites gens,
et ne plut Uhertino Donato
que son beau-pre en fit leur parent.
Dj Caponsacco tait de Fiesole descendu
Mercato Vecchio, et dj taient
citoyens notables Giuda et lnfangato.
Je dirai chose incroyable et vraie :
dans la brve enceinte on entrait par la porte
qui avait pris nom de ceux de la Pera.
Tous ceux qui portent le beau blason
du grand haron, dont la fte de Thomas
ravive et le nom et la gloire,
eurent de lui chevalerie et privilges,
hien qu'avec le peuple aujourd'hui
se ligue celui qui de la fasce le tierce.
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PARADIS. CHANT XVI
Dj taient Gualterotti et lmportuni ;
et Borgo serait plus paisible encore
s'ils taient rests jeun de nouveaux voisins.
La maison d'o sont nes vos larmes,
pour la juste colre qui vous a tus
et a mis fin votre vie heureuse,
tait honore, elle et sa parent :
Buondelmonte, comme tort tu as fui
ses noces par les conseils d'autrui !
Beaucoup seraient joyeux et ils sont tristes,
si Dieu t' avait donn l'Era*
la premire fois que tu vins la ville !
Mais il fallait qu' cette pierre mutile
qui garde le pont, Florence offrt
une victime au terme de sa paix.
Avec ces gens et d'autres avec eux,
je vis Florence en un tel repos
qu'elle n'avait cause qui la ft pleurer,
avec ces gens je vis si glorieux et juste
son peuple, que sur la hampe
le lis jamais n'tais mis rebours*,
ni par la division teint en rouge.
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Chant XVII
Tel vint Clymne, pour s'assurer*
de ce qu'il avait contre lui entendu,
celui qui encore fait les pres chiches aux fils,
tel tais-je, et tel tais-je compris
et par Batrice et par la sainte lumire
qui pour venir moi avait chang de place.
Aussi ma Dame : Exhale au-dehors l'ardeur
de ton dsir , dit-elle, afin qu'elle sorte
bien marque du sceau de ta pense,
non pour que notre connaissance croisse
par ta parole, mais pour que tu oses
dire ta so et qu'on te verse boire.
0 mon cher tronc qui si haut t'lves
que, comme les intelligences terrestres voient
que deux obtus n'entrent en un triangle,
ainsi tu vois les choses contingentes
avant qu'elles ne soient, en regardant le point
auquel tous les temps sont prsents,
alors que j 'tais en compagnie de Virgile
au long du mont qui purie les mes
et descendant dans le monde dfunt,
me furent dites sur ma vie venir
des paroles qui me psent, bien que je me sente
fort comme tour carre contre les coups du sort,
ce pourquoi mon dsir serait satisfait
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PARADIS. CHANT XVII
d'entendre quelle fortune s'approche de moi,
car flche prvue arrive plus lente.
Ainsi dis-je cette mme lumire
qui d'abord m'avait parl et, comme voulut
Batrice, mon dsir fut exprim.
Non par ambages o la gent insense
jadis s' engluait, avant que ft occis
l' agneau de Dieu qui te les pchs,
mais en paroles claires dans une langue
prcise, rpondit cet amour paternel
enclos et rvl par son propre rire :
La contingence qui, pour vous, ne va
au-del du livre de votre matire,
tout entire est peinte au regard ternel ;
mais n'y prend pourtant ncessit*,
non plus que de l'il o il se reflte
le bateau qui descend en suivant le courant.
De l, comme arrive l'oreille
douce harmonie d'un orgue, arrive
ma vue le temps qui pour toi se prpare.
Tel partit d' Athnes Hippolyte*
pour une cruelle et perfide martre,
tel de Florence il te faudra partir.
Cela on le veut, cela on le cherche,
et tt sera fait par qui y pense,
l o chaque jour de Christ on fait commerce.
La clameur condamnera l'offens
comme toujours, mais la vengeance
sera le tmoignage du vrai qui la dispense.
Tu laisseras toutes choses aimes
plus chrement, et c'est la flche
que l' arc de l'exil dcoche en premier.
Tu sauras comme a saveur de sel
le pain d'autrui, et comme est dur chemin
descendre et monter l'escalier d' autrui.
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LA DIVINE COMDIE
61 Et le poids le plus lourd tes paules*
sera la compagnie mchante et sotte
avec qui tu tomberas dans cette valle,
6 et qui toute ingrate, toute insense et impie
se tournera contre toi, mais peu aprs
elle et non toi aura la tempe rouge.
67 De sa stupidit ses entreprises
feront la preuve, et il sera beau pour toi
d' avoir fait un parti toi seul.
70 Ton premier refuge et ton premier abri*
sera la courtoisie du grand Lombard
qui sur l'chelle porte l'oiseau sacr ;
73 et qui pour toi aura tant bons gards
que, faire et demander entre vous deux,
sera premier ce qui ailleurs vient aprs.
76 Avec lui tu verras celui qui fut en naissant*
si marqu par cette forte toile
que notables seront ses uvres.
79 Les gens encore ne s'en sont aperu,
pour son jeune ge, car seulement neuf annes
ces sphres ont, autour de lui, tourn,
82 mais avant que le Gascon trompe le noble Henri*
tincelles apparatront de sa vertu,
ne se souciant d' argent ni d'affaires.
85 Ses largesses encore seront connues
au point que ses ennemis mmes
n'en pourront tenir leur langue muette.
88 En lui, en ses bienfaits, mets ton attente ;
par lui maintes gens seront transmutes
riches et mendiants changeant de condition ;
91 et tu porteras crit en ta mmoire sur lui
mais ne le rediras. . . et il dit des choses
incroyables pour ceux mmes qui en seront tmoins.
94 Puis il ajouta : Mon fils, voil les gloses
sur ce qui te fut dit, voil les piges
que peu de tours de sphres encore te cachent.
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PARADIS. CHANT XVII
Je ne veux pourtant qu' tes voisins tu portes envie
car ta vie s'enfuture bien au-del
du chtiment de leur perfidie.
Lorsque, se taisant, l'me sainte montra
qu'elle avait fini de mettre la trame
dans la toile que je lui tendis ourdie,
je commenai com:e celui qui dsire,
dans le doute,
'
onseil d'une personne
qui voit et veut droitement et qui aime.
Je vois bien, pre, comme le temps peronne
vers moi, pour me porter tel coup
qui est plus lourd qui plus s' abandonne,
pour ce de prvoyance je me dois armer,
car si le lieu le plus cher r
'
est ravi,
que je ne perde les autres par mes chants.
En bas, dans le monde ternellement amer
et sur le mont d'o les yeux de ma Dame
du beau sommet m'levrent,
et ensuite par le ciel de lumire en lumire,
j 'ai appris ce qui, si je le redis,
aura pour beaucoup saveur fortement pre ;
et si du vrai je suis timide ami
je crains de perdre vie parmi ceux
qui nommeront ancien ce temps-ci.
La lumire en laquelle riait mon trsor,
que je trouvai l, se fit d'abord blouissante
comme rayon de soleil miroir d'or,
puis elle rpondit : Conscience obscurcie
par sa honte ou par celle d'autrui
sentira en effet ta rude parole.
Nanmoins tout mensonge cart,
dis au grand jour ta vision tout entire,
et laisse gratter l o est la gale !
Car si ta voix sera amre
au premier got, elle laissera ensuite,
digre, une nouriture vitale.
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LA DIVINE COMDIE
Ce cri de toi fera comme le vent
qui frappe plus fort les plus hautes cimes,
et ce n'est pas mince argument d'honneur.
Pour ce te sont montres en ces sphres
et sur le mont et au val douloureux
seules les mes qui eurent renomme,
139 car l'esprit de celui qui coute
ne pose et n' affermit sa foi en exemple
qui ait sa racine inconnue et cache,
142 ni en autre argument qui ne soit vident.
Chant XVIII
1 Alors que se plaisait en sa seule pense
ce miroir bienheureux, et que je gotais
la mienne, alliant au doux l'acerbe,
4 cette Dame qui Dieu me guidait
dit : Change ton souci, pense que je suis
auprs de celui qui allge tout offense.
7 Je me tournai vers la voix amoureuse
de mon confort, et l' amour que je vis
alors dans ses yeux saints, je renonce le dire,
10 non parce que de mon parler seul me dfie,
mais pour la mmoire qui ne peut si profond
sur elle-mme retourner, si autrui ne la guide.
13 Ce que je puis de ce moment redire
c'est que, la regardant, libre fut
mon cur de tout autre dsir,
16 tant que le plaisir ternel qui droit
dardait son rayon en Batrice, me contenta
de son reflet venu du beau visage.
19 Me vainquant par la lumire d'un sourire,
elle me dit : Tourne-toi et coute
car non en mes yeux seuls est paradis.
22 Comme on voit ici quelquefois
dans un regard le sentiment, s'il est tel
que par lui toute l'me est saisie,
25 ainsi, dans le flamboiement de la sainte lumire
47
LA DIVINE COMDIE PARADIS. CHANT XVIII
vers qui je me tournai, je connus le dsir 61 ainsi je r
'
aperus que plus large tait
en elle de me parler encore un moment.
l'arc, o je tournais en mme temps que le ciel,
28 Elle commena : En ce cinquime seuil
en voyant ce miracle accru en beaut.
de 1 'arbre qui a vie de sa cime
6 Et tel est le transmuer rapide
et porte fruits toujours et jamais ne perd feuille,
en blanche dame quand son visage
31 des esprits y sont bienheureux qui, en bas, avant
dcharge sa charge de vergogne,
de venir au ciel, eurent si grand renom
67 telle fut mes yeux, lorsque je me tournai,
la candeur de la frache toile
que toute muse en ferait sa richesse.
sixime, qui en elle venait de r
'
accueillir.
34 Donc regarde bien aux bras de la croix
70 Et je vis dans ce jovial flambeau
celui que je nommerai fera comme
l'tincellement de l'amour qui tait l
l'clair rapide travers la nue.
figurer mes yeux notre langage.
37 Je vis par la croix passer une lumire
73 Et comme des oiseaux surgis d'un rivage,
au nom de Josu qui fut appel
semblant se congratuler de leur pture,
et ne perus le dire avant le fait.
forment entre eux ou des ronds ou des files,
40 Et au nom du grand Macchabe
76 ainsi, dans les lumires, saintes cratures
j ' en vis se mouvoir une autre en tournoyant
chantaient en voletant et formaient
et liesse tait le fouet de cette toupie.
ou D ou 1 ou L en leurs danses.
43 De mme pour Charlemagne et pour Roland
79 D'abord, chantant, se mouvaient en cadence,
ces deux suivit mon regard attentif
puis, devenant un de ces signes,
comme il suit son faucon volant.
un peu s'arrtaient en silence.
4 Ensuite Guillaume et Rainouard*
82 0 divine Pgase, qui fais les esprits
et le duc Godefroy attirrent mes yeux*
glorieux et leur donnes longvit,
dans cette croix, et Robert Guiscard.
et eux, avec toi, les cits et les royaumes,
49 Puis, mle au mouvement des autres lumires,
85 donne-moi de ta lumire, afin que je montre
l'me qui m'avait parl me montra
leurs figures comme je les ai comprises :
quelle artiste tait parmi les chantres du ciel.
que paraisse ta puissance en ces vers brefs.
52 Et moi, je me tournai droite 8 Ainsi donc se montrrent en cinq fois sept
pour voir en Batrice mon devoir voyelles et consonnes et je notai
signi par parole ou par geste, les signes tels qu'ils me parurent dits.
55 et je vis ses yeux si purs 91 DILIGITE IUSTITIAM, premiers
si joyeux, que son visage surpassait furent verbe et nom de tout l'ensemble peint,
toutes ses prcdentes beauts. QUI IUDICATIS TERRAM furent derniers.
58 Et comme sentir plus grande joie 94 Puis dans l'M du cinquime vocable
en bien uvrant, l'homme de jou en jou elles restrent ordonnes, et Jupiter
s' aperoit que sa vertu progresse, paraissait l argent incrust d'or.
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LA DIVINE COMDIE
Et je vis descendre d'autres lumires
sur le sommet de l'M et l se poser
chantant, je crois, le Bien qui les attire.
Puis, comme au choc de tisons embrass
surgissent d'innombrables tincelles,
d'o les sots tirent des augures,
je vis resurgir de l plus de mille
lumires et monter, l'une plus et l'autre moins,
selon que le soleil qui les allume le voulut ;
apaise chacune en son lieu,
je vis la tte et le col d'un aigle,
en dessin de feu sur fond de lumire
Celui qui peint l n' a besoin de guide,
lui est guide, et de lui se souvient
cette vertu qui donne forme aux nids.
Les autres bienheureux qui semblaient
d'abord contents de faire de l'M un lis,
d'un lger mouvement achevrent la figure.
0 douce toile combien de gemmes et quelles !
me dmontrrent que notre justice
est un effet de ce ciel dont tu es gemme !
Aussi je prie l' Intelligence en qui prend naissance
ton mouvement et ta vertu, de vouloir regarder
d'o sort la fume qui trouble ton rayon,
afin qu'une fois encore de nouveau se courrouce
de l'acheter et du vendre dans le temple
qu'ont maonn miracles et martyres.
0 milice du ciel que je contemple,
prie pour ceux qui sont sur terre,
tous fourvoys derrire les mauvais guides.
Jadis on faisait la guerre avec l'pe,
ores on la fait en enlevant ou l
le pain que la bont du Pre nul ne refuse.
Mais toi, qui seulement pour effacer cris,
pense que Pierre et Paul qui moururent
pour la vigne que tu dtruis, encore sont vivants.
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PARADIS. CHANT XVIII
Bien peux-tu dire : J'ai tant fix mon dsir
sur celui qui voulut vivre seul*
et qui pour quelques bonds fut conduit au martyre,
que je ne connais ni le pcheur ni Paul.
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Chant XIX
Devant moi paraissait, les ailes dployes,
la belle image qu'en leur doux bonheur,
joyeuses, formaient les mes assembles.
Chacune semblait tre un rubis en qui
rayon de soleil aurait frapp si embras
qu'en mes yeux il l'aurait reflt.
Et ce qu'il me faut retracer maintenant
jamais voix ne l'a dit ni encre l'crivit,
ni fut par fantaisie jamais conu ;
car je vis et aussi j 'entendis parler le hec,
et rsonner dans la voix je et mien
quand nous et ntre taient dans la pense.
Et il commena : Parce que juste et pieux je fus
je me trouve ici exalt cette gloire
que ne peut vaincre aucun dsir ;
et sur terre j 'ai laiss une telle mmoire
que les gens qui l sont mauvais
en font l'loge, mais n'en suivent l'histoire.
Comme de maintes braises se fait sentir
une seule chaleur, ainsi de tant d'amours
sortait un seul son venant de cette image.
Alors je repris : 0 fleurs perptuelles
de la liesse ternelle qui runissez pour moi
tous vos parfums en un seul,
rompez par votre souffle le grand jene
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PARADIS. CHANT XIX
qui longtemps m' a tenu affam
ne trouvant sur terre aucun aliment.
Je sais hien que si, au ciel, d' un autre royaume
la divine justice fait son miroir,
le vtre pourtant la reoit sans voile.
Vous savez combien attentif je m'apprte
vous couter, vous savez quel est
ce doute qui est pour moi jene si ancien.
Comme faucon qui, dcapuchonn,
agite la tte et hat des ailes,
montrant son dsir et se faisant beau,
je vis se mouvoir ce signe tiss
des louanges de la divine gloire,
avec tels chants que sait qui s'jouit l-haut.
Puis il commena : Celui qui tourna le compas
l'extrmit du monde, et qui au-dedans
disposa tout l 'occulte et le manifeste,
ne put empreindre sa valeur en tout
l'univers sans que son verbe
ne restt en excs infini.
Et la preuve en est que le premier superbe,
qui fut la plus haute de toute crature,
pour n'attendre la lumire chut sans tre mr ;
de l apparat que toute moindre crature
est rceptahle hien court pour ce hien
qui n'a pas de fin, et soi soi mesure.
Donc notre vue qui se trouve tre
un des rayons de l' Intelligence
de qui toutes choses sont pleines,
ne peut par sa nature tre si puissante
que son principe ne discerne
hien au-del de ce qu'elle aperoit.
Par suite, en la justice ternelle
la vue qu'en reoit votre monde
pntre comme l'il dans la mer ;
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LA DIVINE COMDIE
61 bien que du rivage il voie le fond
en haute mer ne le voit, et pourtant
il y est, mais cach par sa profondeur.
6 Il n'est clart sinon venant du ciel serein
qui jamais ne se trouble, ailleurs c'est tnbre
ou ombre de la chair ou son poison.
67 Grand ouvert t'est ores ce lieu obscur
qui te cachait la vive justice
dont tu faisais question si pressante ;
70 car tu disais : "Un homme nat sur la rive
de l' Indus, et il n'est l personne qui parle
de Christ, ni de lui dise ou crive,
73 et tous ses vouloirs et ses actes sont bons,
autant qu'esprit humain peut voir,
sans pch dans sa vie ou ses paroles.
76 Il meurt non baptis et sans la foi :
o est cette justice qui le condamne ?
o est sa faute s'il ne croit pas ? "
79 Or, qui donc es-tu qui veux t'asseoir en chaire
pour juger loin de mille milles
ayant la vue courte d'un empan ?
82 Certes pour celui qui avec moi veut subtiliser,
si l'
cosse ou d'Angleterre
qui ne peut se tenir en ses bornes*.
Se verra la luxure et la mollesse de vie
de celui d'Espagne et celui de Bohme
qui jamais valeur ne connut ni voulut*.
Se verra au boiteux de Jrusalem*
marque par un 1 sa bont,
quand le contraire marquera un M.
Se verra l' avarice et la vilet
de celui qui garde l'le du feu*
o Anchise termina son long ge,
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LA DIVINE COMDIE
et pour donner entendre combien il est peu,
son crit sera en lettres tronques
qui noteront beaucoup en mince espace.
Et tous pourront voir les sales uvres
de l'oncle et du frre qui ont avili*
si noble maison et deux couronnes.
Et celui de Portugal et celui de Norvge*,
l on les connatra, et celui de Rascie*
qui contrefit le coin de Venise.
Oh heureuse Hongrie si elle ne se laisse
plus mal gouverner ! et heureuse Navarre
si elle voulait s' armer du mont qui l'entoure !
Et chacun doit croire que dj en prsage
Nicosie et Famagouste*
se lamentent et grondent pour leur bte
qui du flanc des autres btes ne s'carte.
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Chant XX
Lorsque celui qui le monde illumine
descend hors de notre hmisphre,
de sorte que le jour de toute part se consume,
le ciel, qui d'abord de lui seul s' allume,
soudainement se refait lumineux
de multiples lumires o une seule se reflte.
Et ce moment du ciel me revint en mmoie
lorsque le signe du monde et de ses chefs
en son rostre bni fit silence ;
car toutes ces vivantes lumires
de plus en plus brillantes entonnrent des chants,
de ma mmoie enfuis et disparus.
0 doux amour qui de ton rire t' emmantles
comme tu paraissais ardent en ces flavels
qui ne soufflaient que penses saintes !
Aprs que les chers et luisants lapilli
dont je vis engemm le sixime ciel
eurent mis fin aux notes angliques,
entendre me sembla un murmure de rivire
qui descend claire de pierre en pierre
montant la richesse de sa source.
22 Et, comme un son au col de la cithare
prend forme, et comme au pertuis
du chalumeau vent qui pntre,
25 ainsi, sans plus attendre,
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LA DIVINE COMDIE
ce murmure de l'aigle monta
le long du col comme s'il tait creux ;
l se fit voix, et ensuite sortit
par son bec, en forme de paroles
qu'attendait mon cur o je les crivis :
La partie qui voit et soufre le soleil
chez les aigles mortels , commena-t-il,
fixement en moi il te faut regarder,
car, des feux dont je fais mon image
ceux de qui l'il, en ma tte, scintille,
en leurs divers degrs sont les plus levs.
Celui qui brille au milieu, comme pupille*,
fut le chantre de l' Esprit Saint
qui transfra l'arche de ville en ville ;
ores il conna de son chant le mrite
qui fut en tout effet de son vouloir,
par la rcompense qui lui est gale.
Des cinq qui me font cercle comme sourcil,
celui qui plus prs du bec s'approche*
consola pour son fils l'humble veuve,
ores il connat combien cote cher
ne pas suivre Christ, par l'exprience
de cette douce vie et de la vie contraire.
Celui qui vient ensuite dans la circonfrence*
dont je parle, en remontant l' arc,
retarda sa mort par vraie pnitence ;
ores il connat qu'ternel jugement
point ne change quand digne prire
peut d'aujourd'hui faire, sur terre, demain.
L' autre qui suit, avec les lois et moi*,
en bonne intention qui donna mauvais fruit,
pour cder au Pasteur se fit grec ;
ores il connat comment le mal produit
par le bien qu'il voulut ne lui nuit,
bien que le monde en soit par l dtruit.
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PARADIS. CHANT XX
Et celui que tu vois dans l' arc dclinant
fut Guillaume que pleure cette terre
qui dplore Frdric et Charles vivants ;
ores il connat comme s'enamoure
le ciel du roi juste, et par son clat
fulgurant, il le fait voir encore.
Qui donc croirait dans votre monde errant
que Riphe le Troyen, en cet arc*,
ft la cinquime des lumires saintes ;
ores de la divine grce il conna beaucoup
de ce que le monde en bas ne peut voir,
bien que sa vue n'en discerne le fond .
Comme alouette qui dans 1 'espace s'lance
d' abord chantant, et puis se tait, contente
de l'ultime douceur qui l'enchante,
telle me sembla l'image de l'empreinte
de l' ternel plaisir, au dsir de qui
chacune chose devient ce qu'elle est.
Et bien que je fusse en mon doute
comme verre la couleur qu'il recouvre,
il ne soufrit d'attendre se taisant,
mais Qu'est-ce que cela ? me poussa-t-il
hors de la bouche par la force de son poids ;
pour quoi je vis grand embrasement de joie.
Aprs quoi, son il plus enflamm,
le bienheureux signe me rpondit,
pour ne pas me tenir tonn en suspens :
Je vois que tu crois ces choses
parce que je les dis, mais ne vois pas comment,
de sorte qu'elles sont crues mais restent caches.
Tu fais comme celui qui apprend bien la chose
par son nom, mais sa quiddit
ne peut voir si u autre ne l' claire.
Regnum coelorum soufre violence
par force de grand amour et de vive esprance
qui vainc la divine volont ;
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LA DIVINE COMDIE
non comme l'homme qui domine l'homme,
mais la vainc parce qu'elle veut tre vaincue
et, vaincue, elle vainc par sa bont.
La premire me du sourcil et la cinquime*
veillent ta stupeur parce que tu vois
la rgion des anges en tre orne.
De leurs corps ne sortirent, comme tu crois,
paens, mais chrtiens, ayant ferme foi
aux pieds dj, ou non encore, clous.
Car, de l'enfer, o jamais on ne retourne
bon vouloir, l'un revint dans ses os
ce qui fut de vive esprance le salaire,
de vive esprance qui mit sa force
dans les prires Dieu pour le ressusciter,
afin que son vouloir pt tre retourn.
L'me glorieuse dont on parle,
revenue dans sa chair o elle demeura peu,
crut en Celui qui la pouvait aider,
et, croyant, s'enflamma de tel feu
du vritable amour qu' sa seconde mort
elle fut digne de venir ces joies.
L'autre par grce qui de si profonde
source nat que jamais crature
ne porta le regard jusqu' la premire onde,
tout son amour, sur terre, mit en droiture,
pour ce, de grce en grce, Dieu lui ouvrit
les yeux notre rdemption future,
et il y crut et ne souffrit plus
ds lors la puanteur du paganisme,
et il en reprenait la gent perverse.
Reut comme baptme ces trois dames
que tu vis la droite du char,
plus de mille ans avant qu'on baptist.
0 prdestination, combien ta racine
est loigne de ces regards
qui ne voient toute la cause premire !
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PARADIS. CHANT XX
Et vous, mortels, soyez lents
juger, car nous qui voyons Dieu
ne connaissons pas encore tous les lus ;
et nous est doux un tel manque
car notre bien en ce bien s'affine,
et ce que Dieu veut, nous le voulons.
Ainsi par cette image divine
pour clairer ma coute vue
me fut donne suave mdecine.
Et comme bon chanteur bon cithariste
fait suivre la vibration des cordes
en quoi le chant acquiert plus de plaisir,
ainsi tant qu'il parla, je m'en souviens,
je vis les deux lumires bnies,
comme paupires battant d' accord,
au rythme des paroles mouvoir leurs flammettes.
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Chant XXI
Mes yeux dj taient refixs au visage
de ma dame, et mon cur avec eux
qui de tout autre soin tait dtach ;
elle pourtant ne riait, et : Si je riais
commena-t-elle, tu te ferais telle
Sml quand de cendres se fit* ;
car ma beaut, qui au long des degrs
de l'ternel palais, tu l'as vu,
tant plus s' enflamme que plus on monte,
si ne se temprait, tant resplendit
que ton mortel pouvoir, son clat,
serait feuillage que tonnerre foudroie.
Nous sommes levs la splendeur septime
qui sous le cur ardent du Lion
rayonne ores vers en bas ml sa valeur.
Fiche bien ton esprit derrire tes yeux,
et d'eux fais miroir pour l'image
qui en ce miroir va se montrer toi.
Qui saurait quelle pture tait
pour mon regard le bienheureux visage
quand je portai ailleurs mon attention
connatrait, contrepesant l'un avec l' autre,
combien r
'
tait gr
obir mon cleste guide.
Dedans le cristal qui porte le vocable,
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PARADIS. CHANT XXI
encerclant le monde, de son roi aim*
sous lequel toute malice gisait morte,
je vis, de couleur d'or o brille le soleil,
une chelle vers le haut dresse
tant que mon regard ne la suivait.
Je vis aussi par les degrs descendre
tant de splendeurs, que je croyais voir
les lumires du ciel toutes de l s'pandre.
Et comme par naturelle coutume
les corneilles runies l' aube du jour
s'agitent pour chauffer leurs froides plumes,
et puis, les unes s'en vont sans retour,
d'autres reviennent d'o sont parties,
et d'autres en tournoyant demeurent ;
il me sembla qu'il en tait de mme
en cet tincellement qui ensemble s'en vint
lorsqu'il arriva un certain degr.
Le feu qui plus prs de nous s'arrta
se fit si clair, que je disais en ma pense :
Je vois bien l' amour que tu me montres.
Mais, celle dont j 'attends le comme et le quand
du dire et du taire, ne cille ; d'o
contre mon dsir en bien faire ne demande.
Alors elle qui voyait mon taire
en voyant Celui qui voit tout
me dit : Libre ton chaud dsir.
Et moi je commenai : Mon mrite
ne me fait digne de ta rponse,
mais au nom de celle qui permet la demande,
vie bienheureuse, qui te tiens cache
au-dedans de ta liesse, rvle-moi
la cause qui si prs de moi t'a place,
et dis pourquoi se tait en cette roue
la douce symphonie de Paradis qui, plus bas,
dans les autres sonne si dvotement.
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LA DIVINE COMDIE
PARADIS. CHANT XXI
61 Tu as l'oue mortelle comme le regard
97 Et au monde mortel, ton retour,
rpondit-elle, et ici on ne chante
rapporte-le afin que plus ne prsume
pour mme cause que Batrice ne rit.
tel but porter ses pas.
6 Si par les degrs de cette chelle sainte
lOO L'esprit qui ici luit, sur terre est fume,
je suis si bas descendue c'est pour te fter
regarde donc comment il peut en bas
par mon dire et par la lumire qui me revt ;
ce qu'il ne peut, bien qu'lev au ciel.
67 et non plus d' amour plus prompte me fit venir
103 Si bien me limitrent ses paroles
car tant et plus d'amour brle en ces hauteurs
que j 'abandonnai la question et me bornai
comme le flamboiement te le montre,
lui demander humblement qui elle fut.
70 mais, la haute charit qui nous fait servantes
106 Entre les deux rivages d' Italie rocs se dressent,
prtes au conseil qui gouverne le monde,
et non trs loin de ta patrie, si hauts
assigne chacune son rle comme tu l'observes.
que les tonnerres sonnent bien plus bas,
73 Je vois bien , dis-je, sainte lampe
109 ils font une bosse qui s' appelle Catria
comment libre amour en cette cour
sous laquelle est consacr u ermitage*
suffit pour suivre l'ternelle providence,
qui tai
t
orient seule contemplation.
76 mais ce qui me parat dur comprendre
l l 2 Ainsi commena-t-elle son troisime discours
c'est pourquoi tu fus seule prdestine
et puis, poursuivant, dit : L
cet office parmi tes compagnes ,
au service de Dieu me tins si ferme
79 A peine arrivai-je l'ultime parole
l i S qu'avec mets simples liqueur d'olive
que, de son milieu, la lumire fit centre
facilement je passais chaleurs et gels,
tournant sur soi comme rapide meule ;
content dans mes penses contemplatives.
82 puis l'amour qui l'habitait rpondit :
l l8 Ce clotre u temps donnait ces sphres
Lumire divine sur moi se pointe
belles moissons, ores est devenu strile,
pntrant par celle-ci o je me niche ;
il faudra que bientt cela soit rvl.
85 sa vertu, unie ma vision, m'lve
121 En ce lieu je fus Pierre Damien*,
au-dessus de moi tant que je vois
et Pierre Pcheur je fus en la maison
la suprme essence dont elle mane.
de Notre-Dame au rivage d' Adria.
88 De l vient l'allgresse dont je flamboie
124 Peu de vie mortelle m'tait reste
parce qu' ma vue autant qu'elle est claire
quand je fus appel et tir ce chapeau
j 'gale la clart de ma flamme.
qui de mal en pis se transvase.
91 Mais l'me qui au ciel le plus s'claire,
127 Vint Cphas et vint le grand vaisseau
le sraphin qui plus en Dieu fixe ses yeux
de l'Esprit Saint maigres et pieds nus,
ta demande ne saurait satisfaire,
prenant leur pain en lieu quelconque.
94 tant ce que tu qutes s'enfonce
130 Ores il faut gens qui et l les tiennent,
dans l'abme de l'ternel Dcret
les modernes pasteurs, et qui les mnent
qui de tout regard cr est scind.
tant ils sont lourds, et derrire les soulvent.
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LA DIVINE COMDIE
Ils couvrent de leurs chapes leurs palefrois,
de sorte que deux btes vont sous une seule peau :
patience de Dieu qui tant supportes !
A cette voix je vis plusieurs flammelles,
de degr en degr descendre et tournoyer,
et chaque tour les faisait tant plus belles.
Autour de celle-ci vinrent et s'arrtrent
et lancrent un cri d'un son si haut
qu' rien ici ne saurait ressembler :
et je ne l'entendis vaincu par ce tonnerre.
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Chant XXII
Oppress de stupeur, vers mon guide
je me tournai, comme enfant qui recourt
l o toujours plus il se confie ;
et elle, comme mre qui secourt
aussitt son fils ple et haletant
de sa voix qui sait le bien disposer,
me dit : Ne sais-tu pas que tu es au ciel ?
et ne sais-tu qu'au ciel tout est saint
et ce qui s'y fait vient de bon zle ?
Ce qu'aurait fait de toi le chant
et moi riant, ores tu le peux penser
puisque le cri t'a accabl tellement ;
si tu avais en lui entendu ses prires
dj te serait connue la vengeance
que tu verras avant que tu ne meures.
16 L'pe, en ces hauteurs, ne taille en hte
ni en retard, sauf l'opinion de celui
qui, dsirant ou craignant, l' attend.
19 Mais tourne-toi dsormais vers autrui,
car tu verras maints illustres esprits
si tu conduis ton regard comme je le dis.
22 Comme il lui plut je dirigeai mes yeux
et vis cent petites sphres qui ensemble
s'embellissaient de mutuels rayons.
25 Je restai comme celui qui en soi rprime
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LA DIVINE COMDIE
la pointe de son dsir et ne se risque
demander tant il craint d'excder.
Et la plus grande, la plus lumineuse
de ces perles se fit plus proche
pou satisfaire mon envie de savoir.
Puis en elle j 'entendis : Si tu voyais
comme moi la charit qui nous embrase,
tes penses se seraient exprimes ;
mais pou que, attendant, tu ne retardes
le noble but, je donnerai rponse
ta pense que tant tu retiens.
Le mont au flanc duquel est Cassino
fut frquent jadis su sa cime
par la gent trompe et mal instruite ;
et c'est moi qui le premier y portai*
le nom de celui qui amena su terre
la vrit que si haut nous lve ;
et tant de grce su moi rayonna
que je retirai les villes d'alentou
du culte impie qui sduisit le monde.
Ces autres feux fuent tous hommes
contemplatifs, embrass de cette ardeu
qui fait natre fleus et fruits de saintet.
Ici est Macaire, ici est Romualdo*
ici sont mes frres qui dans les clotres
tinrent fermes les pieds et fidle le cu.
Et moi lui : L'affection que tu manifestes
en parlant avec moi, et la bonne semblance
que je vois et note en vos ardeus
a dilat ma confiance comme
le soleil fait la rose quand, ouverte,
elle arrive sa plnitude.
Pou ce je te prie et, pre, claire-moi,
puis-je recevoir une telle grce :
que je te voie visage dcouvert.
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PARADIS. CHANT XXII
Lui alors : Frre, ton noble dsir
s' accomplira dans la dernire sphre
o s'accomplissent tous autres dsirs et le mien :
l est parfait, mr et entier tout
ce qui est dsir ; en elle seulement
toute partie est l o elle tait toujous,
car n'est en u lieu et ne toune su ple,
et notre chelle arrive jusqu' elle
ce pouquoi de ta vue elle s'envole.
Jusqu'en haut la vit le patriarche
Jacob dresser son suprme sommet*
quand elle lui apparut d'anges si charge.
Mais pou la gravir ores nul ne soulve
de terre ses pieds, et ma rgle
est reste pou gchis de papier.
Les mus qui jadis taient abbaye
sont devenus repaires, et les capuches
sont sacs pleins de farine moisie.
Mais grave usue ne se dresse contre
le plaisir de Dieu autant que ce fruit
qui rend si fou le cu des moines ;
car de ce que l'
vangile se tait.
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PARADIS. CHANT XXIX
L'un dit que la lune se retourna
la passion du Christ et s'interposa
et la lumire du soleil n'arriva en bas,
et il ment, car la lumire se cacha
d'elle-mme, et aux Espagnols et aux Indiens
comme aux J us l'clipse fut commune.
Florence n'a de Lapi et de Bindi autant
que de telles fables chaque anne
en chaire ici et l se dbitent,
si bien que les brebis, qui ne savent,
reviennent du pturage nourries de vent,
et ne les excuse ne voir le dommage.
N'a dit Christ son premier couvent
"Allez et prchez au monde des sottises",
mais leur donna fondement de vrit ;
et tant sonna par leurs bouches
qu' combattre, pour allumer la foi,
de l'
o ( 1291-1329) .
.
82-83. Le pape Clment V, Gascon, et 1 empereu Henn VII.
Chant XVII
46. Guillaume d' Orange ( t 812) , Rainouard de la suite de Guillaume.
47. Godefroy de Bouillon ( 1058-1 100) .
134. Saint Jean-Baptiste, en fait l e florin de florence dont i l tait
l 'effigie.
Chant XIX
1 1 5. Albert d'Autriche ( v. Prg. VI, 97) .
120. Philippe l e Bel.
.
123. Robert Bruce, roi d' Ecosse de 1306 1329. Edouard Il, roi
d'Angleterre de 1307 1327.
126. Ferdinand IV, roi de Castille de 1295 1312. Venceslas, roi de
Bohme ( v. Prg. VII, 101-102) .
127. Charles d'Anjou, roi de I erusalem ( 1 un, M mille) .
131. Frdric II d'Aragon ( 1272-1337) , roi de Sicile o se trouve l'Etna
( Prg. VII, 1 19 ). Anchise, Virgile, nide Ill, 708 ss.
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LA DIVINE COMDIE
137. Oncle et neveu du prcdent : Jacques, roi de Majorque, et Jacques
II, roi de Sicile et d' Aragon (Prg. VII, 1 19) .
139. Denys le Laboureur, roi de Portugal de 1279 1325. Haquin VII,
roi de Norvge de 1299 1319.
140. tienne Ouroch Il, roi de Serbie de 1276 1321 .
146. Deux villes de Chypre, sous l a tyrannie d' Henri II de Lusignan
( 1285-1324 ) .
Chant XX
37. Le roi David.
44. L' empereur Trajan ( v. Prg. X, 73 ss ) .
49. zchias, roi de Juda, 2 Rois 20, 1-6.
55. L'empere! Constantin ( v. Enf. XIX, 1 1 5 et Par. VI, 1-2) .
68. Virgile, Enie Il, 426-428 ; Matthieu 1 1 , 12.
100. Trajan et Riphe.
Chant XXI
6. Ovide, Mtamorphoses Ill, 308.
26. Le nom de Saturne, roi mythique de l'ge d'or ( Ovide,
Mtamorphoses 1, 89 ss ) .
1 10. Monastre cistercien de Santa Croce di Fonte Avellana.
121. Saint Pierre Damien ( 1007-1072) .
Chant XXI
40. Saint Benot, n Norcia en 480, mort Montecassino en 543.
49. Macaire, t 393. Romualdo, fondateur des Camaldules ( 952-1018) .
71 . Gense 28, 12.
94. Exode 14, 21 ss.
95. Josu 3, 7-1 7.
142. Hyprion, pre du Soleil.
144. Mercure, fils de Maa, Vnus, fille de Dion.
145. Entre Saturne et Mars.
562
NOTES. PARADIS
Chant XXII
26. Trivia Diane la lune.
139. Saint Pierre.
Chant XXV
17. L'aptre sait Jacques. Voir sn pie dans le Nouveau Testament.
72-74. David et Psaume 9, 1 1 (Sperent in te 98) .
91 . Isae 61 , 7.
94. Apocalypse 7, 9.
112. L' aptre saint Jean ( Jn 13, 25 t 19, 26 ss) .
Chant XXVI
12. Actes des Aptres 9, 8-19.
40. Exode 33, 19.
43. Jean 1, 1-18.
83. Adam.
Chant XXVII
40. L'glise. Saint Pierre, Lin et Clet ses successeurs immdiats, les
autres parmi les premiers papes.
83. Voir Enfer XXVI, 125.
8. Ovide, Mtamorphoses Il, 832 ss.
98. La constellation des Gmeaux. Les Gmeaux fils de Leda, Ovide,
Hrodes XVII, 55 ss.
Chant XXVII
136. Denys l'Aropagite avait t converti et initi par l'aptre Paul
( Ac 17, 34) .
Chant XXIX
1 . Voir Prgatoire XX, 132.
134. Daniel 7, 10.
563
LA DIVINE COMDIE
Chant XXX
142. Clment V ( v. Enf. XIX, 82) .
147. Enfer XIX, 1.
14. Boniface VIII ( v. Enf. XIX, 53) .
Chant XXXI
32-33. La Grande Ourse et la Petite Ourse ( Ovide, Mtamorphoses Il,
401-530) .
Chant XXXI
68. Esa et Jacob ( Gn 25, 22 ss) .
1 18 ss. A droite de Marie : saint Pierre et saint Jean, auteur de
l' Apocalypse ; sa gauche, Adam et Mose.
TABLE DE
S
MATIRES
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La vie tragiqu de Dante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1 1
l l
25
28
La Divine Comdie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La traduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chant
Chant
Chant
ENFER
I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Chant IV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Chant V . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . 53
Chant VI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Chant VII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
Chant VIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
Chant IX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
Chant X . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
Chant XI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Chant XII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Chant XIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
Chant XIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Chant XV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
Chant XVI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
Chant XVII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
Chant XVIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 2
565
LA DIVINE COMDIE
Chant XIX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 7
Chant XX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Chant XXI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
Chant XXII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
Chant XXIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Chant XXIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Chant XXV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
Chant XXVI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 50
Chant XXVII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 55
Chant XXVIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
Chant XXIX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
Chant XXX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 70
Chant XXXI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 75
Chant XXXII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
Chant XXXIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
Chant XXXIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
566
PURGATIRE
1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
IV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 1
v . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216
VI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
VII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
VIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
IX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
226
231
236
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
TABLE DES MATIRES
x . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
XI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
XII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251
XIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256
XIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
xv . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266
Chant XVI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
Chant XVII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276
Chant XVIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
Chant XIX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
Chant XX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291
Chant XXI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 296
Chant XXII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301
Chant XXIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 306
Chant XXIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310
Chant XXV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Chant XXVI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320
Chant XXVII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325
Chant XXVIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 330
Chant XXIX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335
Chant XXX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340
Chant XXXI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345
Chant XXXII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 350
Chant XXXIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 355
PARADIS
Chant 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chant II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
363
368
567
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
Chant
LA DIVINE COMDIE
III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 373
IV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377
v . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 382
VI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 387
VII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 392
VIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 397
IX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 402
X . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 407
XI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 412
XII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 417
XIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 422
Chant XIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 427
Chant XV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 432
Chant XVI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 437
Chant XVII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 442
Chant XVIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 447
Chant XIX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 452
Chant XX . . . . . . . . . . . . . . . : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 457
Chant XXI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 462
Chant XXII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 467
Chant XXIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 72
Chant XXIV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 477
Chant XXV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 482
Chant XXVI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 487
Chant XXVII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 492
Chant XXVIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 497
Chant XXIX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 502
Chant XXX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 507
568
TABLE DES MATIRES
Chant XXXI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 512
Chant XXXII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 517
Chant XXXIII . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 522
NOTES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 527
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 529
Enfer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 531
Purgatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 545
Paradis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 557