Économie rurale
Agricultures, alimentations, territoires
310 | Mars-avril 2009
La gestion de l'eau en France
Eau des Villes et Eau des Champs
Vers des accords coopératifs entre services publics et agriculteurs ?
Towards cooperative agreements between water utilities and farmers in France
Bernard Barraqué et Christophe Viavattene
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/economierurale/708
DOI : 10.4000/economierurale.708
ISSN : 2105-2581
Éditeur
Société Française d'Économie Rurale (SFER)
Édition imprimée
Date de publication : 5 avril 2009
Pagination : 5-21
ISSN : 0013-0559
Référence électronique
Bernard Barraqué et Christophe Viavattene, « Eau des Villes et Eau des Champs », Économie rurale [En
ligne], 310 | Mars-avril 2009, mis en ligne le 01 mars 2011, consulté le 02 mai 2019. URL : http://
journals.openedition.org/economierurale/708 ; DOI : 10.4000/economierurale.708
© Tous droits réservés
Eau des Villes et Eau des Champs
Vers des accords coopératifs entre services publics
et agriculteurs ?
Bernard BARRAQUÉ • CNRS, Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CIRED), Nogent/Marne
Christophe VIAVATTENE • Flood Hazard Research Centre, Middlesex University, Enfield (U.K.)
es mesures réglementaires de protection
de la ressource en eau tendent à être
Lcomplétées
par des dispositifs d’incitation
des agriculteurs à réduire l’utilisation d’intrants (Villey et al., 2001). Dans certains cas,
les coûts d’actions volontaires, locales et
plus ambitieuses, sont compensés par des
fonds issus d’augmentations de prix de l’eau
potable. Quatre Länder (République fédérale
allemande), dont la Bavière, ont choisi cette
voie. En France, on connaît bien le cas de
l’eau minérale de Vittel. Mais il manque
encore un inventaire, une analyse et une
évaluation systématiques des Accords
coopératifs (AC) éventuellement passés par
les services publics d’eau potable. Celle-ci
ayant une valeur économique très nettement plus grande que les profits de l’agriculture intensive, l’échange entre les deux
types d’acteurs est a priori économiquement réaliste.
Le projet EVEC1 (Eaux des Villes, Eaux
des Champs) a donc cherché en France des
cas où ont été tentées de nouvelles approches
territoriales négociées pour protéger la
ressource en eau (solution préventive)
comme alternative à une sophistication
croissante des procédés de traitement de
l’eau (solution curative), et au recours à des
approfondissements de forages existants, à
la recherche de nouveaux forages ou à des
1. Quatre équipes de recherche (LATTS, CERTOP,
Cemagref, CREDECO) ont été associées dans ce
projet financé par le CNRS (PIDUD), le MEDD –
D4E, l’AESN et la FPEE. Un premier contrat
(Salles, Barraqué, Garin, 2006) a été prolongé :
voir le rapport final sur : http://www.territoiresrdd.net/recherches_axe1.html
interconnexions (solution palliative). Déclarons tout de suite que compte tenu de la
petitesse moyenne des réseaux de distribution d’eau en France, c’est à cette troisième
solution qu’on pense d’abord, puis à la
seconde, et la prévention par AC avec les
agriculteurs reste rare : avec plus de 10 000
unités de gestion et plus de 30 000 points de
captage, la France doit d’abord concentrer
ses services publics, et de nombreux départements travaillent à des schémas regroupant
les unités sur des points de captage plus
« sanctuarisés ». À l’inverse, nous savons
que Paris, tout comme New York, mène
depuis longtemps une politique d’accompagnement de la protection sur des territoires dont le développement économique
est contraint. Comment se développent ces
actions, avec quels acteurs, et pourquoi y en
a-t-il si peu en France ?
Au passage, nos études de cas ont
contribué à un inventaire, une caractérisation et une évaluation comparée, des dispositifs de protection de l’eau destinée à l’alimentation humaine ou ayant un effet indirect
sur celle-ci : la procédure des périmètres de
captage avec des servitudes plutôt imposées,
et les Mesures agro-environnementales
(MAE) plus incitatives de la PAC. Dans la
plupart des cas que nous avons analysés, il
n’y a pas eu de démarche préventive négociée
avec les agriculteurs. Ils permettent d’analyser
la situation de base, de loin la plus répandue,
par conséquent les blocages et les limitations fréquemment rencontrés.
Aux États-Unis, ces politiques, et les
réflexions qui les ont précédées, sont
conduites avec une certaine antériorité par
ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009 • 5
Eau des villes, eau des champs : les accords coopératifs
rapport à l’Europe. Un courant disciplinaire
appelé Law & Economics étudie comment
recombiner la réglementation et l’incitation
économique pour une action publique plus
efficace. Autrement dit, comment donner
une valeur économique digne de son rôle à
la nature ?
L’expérience américaine
des paiements
pour services écosystémiques
Un long article (Salzman, 2005), consacré
aux services écologiques rendus à la société
par les propriétaires ruraux contre indemnisation, commence ainsi : « Les services
écosystémiques sont créés par les interactions d’organismes vivants avec leur environnement, et ils soutiennent notre société
en lui apportant de l’eau et de l’air purs, en
décomposant les déchets, en pollinisant les
fleurs, en régulant le climat, et en fournissant toutes sortes d’autres avantages. Pourtant, à de rares exceptions près, ces services
ne sont pas rémunérés par des marchés ni
explicitement protégés juridiquement. Ces
dernières années, des initiatives en nombre
croissant partout dans le monde ont cherché
à créer des marchés pour ces services,
certaines prises par des gouvernements,
d’autres issues de projets purement privés.
Ces expériences ont démontré qu’investir
dans du capital naturel plutôt que financer
de la technologie pouvait avoir du sens à la
fois aux plans économique et politique.
[...].Cet article examine les enjeux et les
opportunités d’une approche en termes de
services écosystémiques pour la protection
de l’environnement. Il passe en revue l’éventail des types de paiements qu’on rencontre,
et identifie les principales conditions nécessaires pour la conception de ces instruments. Il rebondit sur ces analyses pour
élaborer une réflexion sur les enjeux politiques de fond du paiement des améliorations de l’environnement. Malgré leur
(mauvaise) réputation de subventions
dispendieuses et inefficaces, les démarches
6 • ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009
de compensation monétaire sont omniprésentes dans le droit et dans la politique de
l’environnement, aux États-Unis et
ailleurs ». Depuis quelques années, « neuf
ans » dit l’auteur, cette idée s’est institutionnalisée : aux États-Unis l’Environmental
Protection Agency (EPA) a créé en 2003 un
Comité consultatif scientifique sur la valorisation de la protection des écosystèmes
et de leurs services ; l’Australie s’est dotée
d’un Comité similaire de haut niveau appelé
le Wentworth Group ; au Costa Rica, le
gouvernement a adopté un dispositif national
de Paiements pour services écosystémiques
(PSE).
La réflexion part d’une analyse de l’expérience du Conservation Reserve Program
(CRP) des États-Unis qui constitue l’un des
systèmes de PSE les plus importants du
monde. Créé dans les années 1980 pour
réduire l’érosion et aider des agriculteurs à
l’occasion d’une crise du marché, il conduit
à dépenser (en 2004) 1,6 milliard de dollars
($) pour des actions couvrant 13,6 millions
d’ha. On estime que sur ces terrains (avec des
contrats de 10 à 15 ans) l’érosion a diminué
de 21 % et que le lessivage des nitrates et des
pesticides se sont également réduits. Mais
le CRP a aussi ses détracteurs : on risque de
déplacer le problème (des agriculteurs labourent de nouvelles terres à la place) ; les
terrains à protéger n’ont pas été bien choisis,
et les contrats ne protègent pas grand-chose ;
le programme envoie « le mauvais message »,
car les fermiers qui protégeaient déjà leurs
terrains de l’érosion ne sont pas éligibles au
CRP ; enfin, les agriculteurs sont soupçonnés
d’entente illicite dans les procédures d’appel
d’offres.
En cas de market failure (dysfonctionnement du marché), l’intervention des autorités est nécessaire, et l’auteur voit cinq
possibilités, appelées les « 5P » :
1. la prescription : l’approche réglementaire et le command-and-control, sont
adaptés pour lutter contre la pollution
ponctuelle industrielle, moins pour la
pollution diffuse ;
RECHERCHES
Bernard BARRAQUÉ, Christophe VIAVATTENE
2. la pénalité : il ne s’agit plus d’interdire ou
de réglementer les activités, mais de les
soumettre à des redevances. Nous
connaissons cette approche en France ;
3. la persuasion : en informant les propriétaires fonciers ou les exploitants sur les
effets négatifs de leurs pratiques et sur les
alternatives : on vise une autorégulation ;
4. la propriété : la ressource est répartie et
privatisée, et on encourage ensuite la
vente des droits de propriété ; le plus
souvent, cet outil n’est pas utilisé seul et
une réglementation doit d’abord créer la
rareté ;
5. le paiement : il s’agit de subventionner,
directement ou par des dégrèvements
fiscaux, des pratiques bénéfiques pour la
société mais non intégrées au marché.
Le caractère grossier de bien des expériences (du genre « la même taille pour
tous ») a conduit à les mettre en doute ;
mais certaines tentatives plus récentes
ont en partie répondu à cet argument d’inefficacité, en introduisant de fait une
émulation entre les partenaires potentiels.
Après d’autres études de cas, Salzman
rappelle : « Quel que soit l’outil préféré
parmi les 5P, il faut déterminer quel service
doit être fourni, comment il doit l’être, qui
le fournit, et combien payer. » Tous les
services écosystémiques ne peuvent pas
faire l’objet de marchés intéressants. En
revanche, en pratique, il suffit souvent de
pouvoir comparer les PSE au coût d’une
solution technologique.
Salzman n’esquive pas la question de la
légitimité des paiements et a contrario il
présente diverses critiques : il évoque notamment le « principe pollué-payeur » et les
effets pervers des subventions ; la marchandisation de l’environnement sape la nouvelle
Exemple
New York doit faire face à une injonction de l’US EPA de filtrer son eau, provenant pourtant
à 90 % des Catskills, une zone déjà protégée, située à 200 km. Le coût de la filtration se
situait entre 6 et 8 milliards de $. La ville a pu se dégager de cette obligation en lançant
un programme de reconquête de la qualité de l’eau brute, basé sur des acquisitions
foncières et sur d’autres mesures, pour seulement 1,5 milliard de $. Et en 1996, l’EPA avait
identifié 140 municipalités qui utilisaient la protection des milieux aquatiques comme moyen
d’améliorer la qualité de l’eau destinée à l’alimentation humaine. Le cas de New York est
plus connu à cause du conflit suscité : « les riches des villes » allaient régenter les
pratiques agricoles à 200 km sans consultation préalable. Il a fallu 2 ans et 150 réunions
pour arriver à un compromis signé avec 60 villes, 10 villages, 7 comtés et divers groupes
de défense de l’environnement.
Une corporation du Bassin des Catskills, à but non lucratif, a été créée pour gérer l’affaire.
L’essentiel des investissements a cependant concerné les réseaux d’égouts et les stations
d’épuration dans la région, ainsi que des projets de développement local ; l’acquisition de
terrains et de servitudes n’a représenté que 250 millions de $, et des programmes en
partenariat ont représenté 270 millions. Seulement 160 ha ont fait l’objet d’une plantation
d’espèces indigènes au bord des cours d’eau, alors que la ville offrait 250 $/ha par an pour
un contrat de 15 ans. C’était semble-t-il moins que ne rapporte le maïs. Peu de terrains ont
été acquis, car l’annonce d’un important programme d’acquisition lors de la signature du
contrat a fait monter les prix... Mais les fermiers ont su tirer parti des services de conseils
gratuits pour les bonnes pratiques agricoles ; en définitive, l’objectif a été atteint, puisque
EPA a accordé cinq ans de grâce (jusqu’en 2007) à New York avant de décider ou non
d’imposer la filtration.
ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009 • 7
Eau des villes, eaux des champs : les accords coopératifs
éthique recherchée. Mais depuis le temps
que cette discussion dure (cf. Ellickson,
1973), la question essentielle n’est pas tant
la prévention de beaucoup d’économistes
contre toute forme d’aide, que de savoir s’il
faut encourager le changement des utilisations du sol par des compensations plutôt
que par la coercition, et ce que cela signifie
pour notre représentation de ce que sont les
droits et les devoirs de la propriété.
Mais les autres « P » sont aussi discutables. Ceci conduit l’auteur à en proposer
une utilisation combinée, les paiements étant
utilisés de façon transitoire, le temps de
faire accepter les nouvelles normes. Finalement, les PSE peuvent être préférés à
d’autres instruments dans de nombreuses
situations :
– lorsque le droit est du côté des offreurs et
que les moyens réglementaires sont limités ;
– lorsque l’asymétrie d’information est
importante, et/ou que les coûts d’obtention
de l’information sont élevés ;
– quand le territoire visé est hétérogène et
qu’on recherche des changements ponctuels
de pratiques, par rapport à une norme sociale
moins stricte que ce qui est désiré ;
– lorsque le contexte politique est semblable
à celui de la négociation du changement
climatique : en l’absence d’une autorité
supérieure, la coercition est impossible.
L’auteur favorable aux approches négociées, ciblant les aides au niveau local, cite
Ellickson (1973) pour nous rappeler utilement la position d’Alasdair Pigou : « Les
chercheurs d’aujourd’hui seraient surpris
d’apprendre que Pigou pensait que la bonne
manière de réduire la pollution de l’air est de
donner des récompenses aux usines qui réduisent leurs émissions, plutôt que de taxer les
pollueurs. À une époque où il était normal
d’utiliser des poêles à charbon très polluants,
Pigou avait sans doute raison d’admettre
que les récompenses constituaient la méthode
d’internalisation la plus efficace, et de considérer les rares non-pollueurs comme des
producteurs d’externalités positives.»
8 • ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009
Les accords coopératifs
dans trois pays européens
En Europe, une analyse comparative sur
quelques pays a été conduite par un partenariat financé par l’Union européenne
(Brouwer et al., 2003). Les trois équipes
qui se sont réunies étaient néerlandaise,
allemande et britannique. La France a été
couverte plus sommairement. Les critères
retenus pour définir les Cooperative Agreements (accords coopératifs ou AC), sont :
– le volontariat des parties prenantes,
– l’autorégulation entre les acteurs,
– la participation d’un gestionnaire d’eau
potable à la négociation ou au financement,
– le caractère localisé et spécifique du partenariat.
Les AC étudiés sont donc distincts des
mesures agro-environnementales : ils visent
à aller au-delà des normes imposées par la
Directive nitrates2 ainsi que par la Directive
eau potable, voire même à faire baisser la
contamination en dessous de la valeur guide
pour les nitrates (25 mg/l).
Pour cadrer théoriquement l’enquête, les
auteurs se sont appuyés sur des approches qui
traitent de la gouvernance autonome des
usagers des ressources naturelles, et qui
rejettent le discours idéologique de la
« tragédie des communaux » de Hardin :
par exemple la gestion communautaire de
Elinor Ostrom ; la négociation de Ronald
Coase ; et l’approche par les réseaux sociaux.
La première est adaptée à la résolution d’un
problème local, et passe par la mise en place
de règles de type communautaires. Cependant, il n’existe en général aucun sentiment
d’appartenance à la même communauté entre
des agriculteurs et un distributeur d’eau, fûtil public : ils n’ont guère de valeurs en
commun ni de tradition de réciprocité, ils
n’ont pas de relations multiformes, et la
plupart des agriculteurs n’ont pas le senti2. Directive 91/676 CE qui oblige à conduire des
actions de reconquête du milieu dans les « zones
vulnérables », où le seuil moyen de 40 mg/l de
nitrates a été dépassé.
RECHERCHES
Bernard BARRAQUÉ, Christophe VIAVATTENE
ment d’être eux-mêmes victimes de la pollution diffuse dans l’eau.
On serait plutôt dans la négociation, selon
Coase, entre deux usagers de la même
ressource : s’il revient moins cher au secteur
de l’eau potable de dédommager les agriculteurs que d’investir dans des solutions
techniques, la négociation devrait aboutir.
Pourtant ce n’est pas si simple en pratique :
s’éloigner par trop du principe pollueurpayeur, qui est l’un des principes de base de
la politique de l’environnement de l’UE,
conduit à soumettre différentes catégories
d’usagers de l’eau à des règles très différentes : cela pose un problème politique.
C’est pourquoi les auteurs se sont tournés
vers une approche plus empirique en termes
de réseaux sociaux : on se centre sur la
capacité à mobiliser des ressources sociales
en face des contraintes et des opportunités
d’un contexte social particulier, d’une
histoire culturelle spécifique, qui peut
changer dans le temps. Cela permet
d’ailleurs de mieux comprendre les différences entre les différents cas étudiés :
certains se développent sur fond d’expériences de partenariats plus anciennes, mais
aussi de régimes de propriété variant selon
les endroits.
En définitive, si l’on ne prend pas les AC
comme des modèles de portée générale, on
peut trouver un intérêt à leur existence temporaire, le temps que se fasse l’acculturation à
la nouvelle norme sociale selon laquelle
l’agriculture intensive est polluante, et donc
sujette à des contraintes comme les autres
pollueurs. « En tant que solutions d’autogestion, les AC ne sont pas une alternative à
des obligations réglementaires ou à des
systèmes généraux de taxes ou de compensations (les MAE par exemple), mais ils viennent plutôt soutenir ces outils plus traditionnels. Ce livre montre la tendance à
développer des politiques agro-environnementales mêlant instruments volontaires et
réglementaires, qui, séparément, seraient
incapables de réguler les pratiques... »
(Brouwer et al., 2003, introduction).
• Aux Pays-Bas, c’est la réglementation des
zones de protection des eaux souterraines,
qui est à l’origine des démarches contractuelles. En effet, les agriculteurs concernés
pouvaient exiger des compensations selon la
procédure Agriculture Settlement Claim ;
le contentieux apparaissant contre-productif,
l’approche dite de paiements sur résultats fut
préférée. Les agriculteurs ont vite réalisé
que la réglementation ne pouvait que se
renforcer à leur encontre, et qu’il fallait
changer de méthodes de production pour
une gestion de l’eau plus durable. De plus,
une émulation s’est produite, certains agriculteurs voulant avoir l’image de pionniers
vis-à-vis des demandes exprimées par
l’opinion et matérialisées par les sociétés
de distribution d’eau. Aujourd’hui les AC
perdent de l’importance, par rapport à un
retour vers les politiques réglementaires :
c’est de plus en plus le command-andcontrol, qui sera pratiqué, et de façon
uniforme dans le pays. Les AC auront joué
leur rôle dans l’apprentissage collectif des
agriculteurs.
• En Allemagne, les politiques liées à la
pollution diffuse sont différenciées selon
les Länder. Il n’existe pas de taxes sur les
pesticides et les engrais : elles sont considérées comme peu efficaces. En revanche,
la plupart des Länder ont créé une redevance sur les prélèvements d’eau (notamment d’eau potable) qui peut être utilisée
pour protéger les eaux souterraines3. Le
Land de Bade-Wurtemberg a systématisé
des servitudes compensées aux agriculteurs pour réduire le reliquat d’intrants en
fin de saison de cultures (il vise à protéger
ainsi jusqu’à 25 % de son territoire).
D’autres préfèrent soutenir des actions
plus locales et plus ambitieuses : garder
une eau aussi naturelle que possible a
conduit à réduire la contamination en deçà
des valeurs guides, en s’y prenant dès
qu’elles étaient atteintes ; l’implication
3. En Allemagne, elles sont utilisées pour produire
les deux tiers de l’eau potable.
ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009 • 9
Eau des villes, eaux des champs : les accords coopératifs
des entreprises municipales (ou intercommunales) de distribution d’eau dans des
partenariats avec les agriculteurs permet
de mobiliser la facture d’eau potable.
Comme aux Pays-Bas, l’appartenance des
entreprises de distribution d’eau à des
collectivités publiques leur donne davantage
de légitimité pour intervenir sur le territoire. Les périmètres de captage semblent
plus étendus et surtout plus stricts qu’en
France. En revanche, les agriculteurs
peuvent exiger des paiements compensatoires. Les accords volontaires jouent alors
un rôle majeur dans la protection des
captages (435 accords en 2003), et ils
peuvent être combinés avec les programmes
agro-environnementaux. On les trouve
essentiellement en Basse Saxe, Rhénanie du
Nord Westphalie, Hesse et Bavière (1/3
des AC dans ce seul Land). En général, on
constate d’abord un changement de
pratiques agricoles : fertilisation plus
précise, davantage de cultures intermédiaires et maintien en place plus longtemps ;
en Bavière, le changement va jusqu’à la
conversion à l’agriculture biologique. En ce
qui concerne l’impact sur la contamination
des sols, malgré des variations dues au
climat et à la géologie, on constate une
nette diminution des teneurs en nitrates
dans les zones d’AC : en 6 ans, les zones en
dessous de 60 kg N/ha en Nmin sont passées
de 12 à 44 % en proportion, et celles à plus
de 120 sont descendues de 46 à 22 %. Enfin,
l’impact sur la qualité des eaux souterraines
est aussi positif, bien que plus difficile à
évaluer du fait de l’hystérésis de la contamination des sols. Le coût de ces AC reste
modeste, puisque rapportés au m3 d’eau il se
situe entre 0,005 et 0,10 euros (€). Surtout,
ils rendent l’application des mesures réglementaires plus effective.
• L’Angleterre offre un cas inverse : il n’y a
guère d’accord de partenariat dans ce pays.
Cela résulte non seulement d’une tradition
de captage d’eau potable en rivière, mais
surtout de l’approche libérale et étatique à
la fois en matière de services publics. En
10 • ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009
effet, les services d’eau et d’assainissement
sont rendus par des compagnies puissantes
et concentrées : elles devraient pouvoir
entrer facilement en négociation avec des
agriculteurs. Mais, contrepartie du monopole, c’est l’Office of Water Services
(OFWAT) qui fixe le prix de l’eau de
chaque société de distribution pour 5 ans, en
fonction de l’inflation et des besoins d’investissement à venir (à la hausse) et des
gains d’efficacité demandés (à la baisse). Si
une société réussit à signer un contrat avec
les agriculteurs, elle ne peut pas répercuter
la compensation versée sur le prix de l’eau
payé par les abonnés, sauf à avoir convaincu
à l’avance l’OFWAT qu’un certain volume
de contrats serait signé. La libéralisation
s’accompagne d’une régulation centralisée
qui entraîne une sectorisation verticale des
politiques, et c’est sur cette logique que
s’applique le principe pollueur-payeur dans
la version préférée des économistes de l’environnement, c’est-à-dire dans la confrontation « principal-agent », et non dans la
négociation « à la Ronald Coase ». Et
puisque l’industrie de l’eau est dominée
par les ingénieurs, ce sont les solutions
techniques qui sont privilégiées. Comme en
France, des programmes agro-environnementaux, assortis de compensations aux
agriculteurs, ont été lancés peu avant l’adoption de la Directive nitrates, mais ils
semblent avoir été plus nombreux pour la
protection de la biodiversité, les paiements
étant assurés par des fondations et des organisations de défense de la nature. Des MAE
assorties de compensations et concernant
l’eau ont été officialisées dans les Nitrate
Sensitive Areas (NSA) en 1994 ; Il s’agissait de préparer le monde agricole à l’adoption des zones vulnérables prévues par la
Directive ; mais dès 1998, le programme a
été arrêté, et seules les 32 NSA fixées auparavant peuvent se poursuivre jusqu’à leur
terme ; les 36 autres Nitrate Vulnerable
Zones (NVZ) font désormais l’objet de
mesures réglementaires non-compensées.
Au total, les 68 NVZ représentent
RECHERCHES
Bernard BARRAQUÉ, Christophe VIAVATTENE
600 000 ha. Le plus souvent, la contribution
des sociétés de distribution d’eau a été
limitée à la réalisation et à la diffusion de
documents sur l’agriculture raisonnée et la
gestion intégrée par bassin-versant. De toute
façon, les MAE se limitent généralement à
la mise en place d’une animation pour
apprendre aux agriculteurs qu’ils peuvent
économiser sur les intrants, et donc y gagner
sans qu’on les aide davantage.
Il était difficile de finir cette étude européenne sans un chapitre sur la France. Par
opportunité, l’analyse des AC dans notre
pays a été sous-traitée à Anjou-Recherches,
filiale de Veolia Eau. Peu au fait, semble-til, de l’existence d’accords coopératifs spécifiques4, ces partenaires français ont choisi de
présenter les opérations ferti-mieux et irrimieux. Ils ont admis le caractère limité des
programmes suivis par l’Association nationale pour le développement agricole (Anda),
voire leur position hors du champ des
accords partenariaux ; mais les coordinateurs du livre ont estimé qu’ils « peuvent être
considérés comme un genre spécial d’AC,
puisque les distributeurs d’eau partagent
les coûts des Agences de l’eau (en payant
des redevances de prélèvement) qui jouent
un rôle clé dans [le financement] des AC. De
plus, les opérations se centrent spécifiquement sur des bassins versants localisés »
(Brouwer et al. 2003). Or, non seulement ces
opérations « mieux » représentent un investissement très marginal des Agences de
l’eau5, mais elles correspondent aussi à des
4. À l’époque de la recherche présentée dans ce
livre, Marc Benoît (Inra Mirecourt) suivait de véritables AC pour l’eau potable dans le territoire de
Rhin Meuse, et pas seulement le cas exceptionnel de
Vittel, internationalement connu, et qui aurait mérité
une étude de cas.
5. L’auteur du chapitre sur la France mentionne un
coût moyen par opération ferti-mieux de 88 550 €,
soit 3,50 €/ha, auquel on doit ajouter le coût d’administration des procédures. Doit-on s’étonner de la
modicité des résultats ?
MAE nationales et forfaitaires, et similaires
aux mesures adoptées dans les autres pays
étudiés, qui eux, ne les considèrent pas
comme des AC. Leur efficacité est limitée
(Busca, 2002). L’auteur du chapitre
mentionne certes le cas exceptionnel de la
Société anonyme de la gestion des eaux de
Paris (SAGEP), créée en 1984 pour produire
l’eau de la capitale, qui contribuait alors
pour 24 % au montant des dépenses de
certains contrats passés avec les agriculteurs. Mais ce cas n’est pas présenté en
détail, contrairement à ceux du projet EVEC.
Méthode et résultats
Nos équipes ont pu conduire 12 études de
cas en profondeur, variées par la région, le
type de pollution diffuse, et surtout la taille
des unités de distribution d’eau. Nous
n’avons pas trouvé de cas de partenariat
lancé dès l’atteinte des valeurs guides
comme en Allemagne. Dans tous les cas, les
unités de distribution d’eau devaient faire
quelque chose, car le niveau de contamination atteignait ou dépassait les normes. La
méthode consiste d’abord à resituer le cas
dans le double contexte, départemental et
régional de la protection des captages d’une
part, et des MAE d’autre part. Puis des
entretiens ont été conduits avec les acteurs
locaux, y compris des agriculteurs.
Cette approche permet de faire d’abord
le point sur la situation générale de relatif
blocage. De plus, contrairement à ce qui
nous était parfois annoncé comme un
accord coopératif, très peu ont effectivement mobilisé la facture d’eau potable pour
aider les agriculteurs à ne plus dégrader la
ressource en eau. Le plus souvent, on ne
s’est guère éloigné de mesures agro-environnementales classiques, ou bien on a
accompagné la mise en place d’un périmètre de captage rapproché. Dans ce cas,
on s’est situé dans une logique historique
bien française de confrontation entre
contrainte publique et propriété privée ;
on n’a pas offert de compensations très
ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009 • 11
Eau des villes, eaux des champs : les accords coopératifs
intéressantes aux agriculteurs6, et par contrecoup, on a essentiellement imposé des servitudes en périmètre rapproché, alors même
que ce dernier n’est pas fait pour protéger
contre des pollutions diffuses à long terme,
mais contre des pollutions accidentelles.
L’hostilité de nombreux agriculteurs, la perte
de légitimité des chambres d’agriculture sur
ces dossiers, dès qu’il s’agit d’aller vraiment
au-delà d’une simple animation autour des
bonnes pratiques agricoles et d’une agriculture
raisonnée, font que bien des services d’eau
potable sont tentés en définitive par une politique de « sanctuarisation » : on rachète les
terres bien au-delà du périmètre immédiat,
et on les boise. Cette stratégie accompagne de
fait une concentration des unités de gestion,
qui se fait en pratique dans le cadre des
schémas départementaux d’alimentation en
eau potable : avec plus de 10 000 unités de
gestion, et environ 30 000 points de prélèvement en eau souterraine, la France se trouve
dans une situation d’émiettement de ses
services publics qui rend bien difficile l’application des directives européennes. Pourtant,
on trouve des exceptions : certaines villes
comme Auxerre ont fait un AC avec les agriculteurs. Dans cet article nous préférons nous
limiter à ce cas pour illustrer la méthode.
Les captages de la plaine du Saulce
Un cas de paiements
pour services écosystémiques ?
La situation du département de l’Yonne (carte
1), est présentée en détail dans l’étude de
cas7 : on observe une pollution diffuse croissante en nitrates et en pesticides (Diren, 2006)
du fait de l’activité agricole8. Quelques
vignobles se situent sur les coteaux au sud du
département aux alentours d’Auxerre, de
6. Notamment parce qu’on indemnise le propriétaire
des terrains, et beaucoup moins son exploitant.
7. Voir le rapport sur le site mentionné en note 1.
8. Selon l’état des lieux 2004 du bassin SeineNormandie, 46 masses d’eau souterraines sur 53
sont classées à risque dont 39 vis-à-vis des paramètres nitrates et pesticides.
12 • ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009
Chablis et de Tonnerre, mais les productions
dominantes sont des céréales et des oléoprotéagineux. L’eau distribuée approche souvent
les 50 mg/l de nitrates et on les dépasse lors
de pics de concentrations printaniers.
Le département dispose de ressources
en eau souterraine suffisantes pour une
modeste population de 338 000 habitants et
la distribution d’eau potable reste morcelée :
pas moins de 327 captages (Reynaud,
Carte 1. Teneurs moyennes en nitrates
de l’eau distribuée en 2000-2001 dans l’Yonne
Source : Reynaud et al. 2005
2005). Eau de Paris vient y chercher
55 millions de m3, soit plus du double des
besoins en eau des Icaunais.
Dans l’Yonne, les gestionnaires d’eau
potable optent majoritairement pour des
mesures palliatives : 28 interconnexions sur un
autre réseau, 10 substitutions par une autre
ressource, 10 solutions curatives de traitement. Les gestionnaires suivent finalement
les orientations définies par le Schéma directeur pour l’Alimentation en eau potable9.
9. Par ordre de priorité : l’interconnexion, ressources
profondes et protégées, traitement, eaux de surfaces
(Reynaud, 2005).
RECHERCHES
Bernard BARRAQUÉ, Christophe VIAVATTENE
Eau de Paris et ses captages distants10
L’approvisionnement en eau potable de la ville de Paris est à la charge de la société
anonyme « Eau de Paris », (anciennement SAGEP). Dès la fin du XIXe siècle, la ville
de Paris a adopté une stratégie basée sur l’accès à de multiples ressources pour assurer
son alimentation en eau potable. La moitié de cette eau provient de ressources en eau
souterraine prélevées loin de Paris, jusqu’à plus de 180 km, l’autre moitié d’un
traitement des eaux de surface de la Marne et de la Seine. Les eaux d’origine souterraine
sont issues de territoires ruraux situés à l’Ouest et au Sud de Paris et sont soumises à
des pollutions diffuses d’origine agricole. La diversité des ressources permet un
mélange des eaux évitant tout dépassement des normes d’eau potable. Néanmoins, Eau
de Paris a rapidement engagé une politique de préservation par contractualisation
avec les agriculteurs pour sécuriser ces captages. Tel est le cas autour des captages du
Val d’Yonne situés à proximité de Sens. En collaboration avec la SAFER, Eau de Paris
a racheté des terrains puis les a loués gratuitement aux agriculteurs avec un cahier des
charges imposant une agriculture raisonnée. Face à l’inefficacité constatée de ces
mesures, Eau de Paris impose actuellement la mise en jachère sur le terrain. Un des
exploitants, déjà agriculteur biologique, a vu son exploitation pérennisée par une
location gratuite et privilégiée de terrains acquis par Eau de Paris. Pour l’agent contacté,
les opérations se passent plutôt bien avec les agriculteurs concernés et avec les
collectivités, qui récoltent les bénéfices des opérations sur leur propre captage. En outre,
certaines collectivités bénéficient depuis les années 1970 d’eau fournie gratuitement
depuis ces captages. Les actions d’Eau de Paris sur le territoire sont acceptées. La
pollution des captages du Val d’Yonne reste sous le seuil des 50 mg/l avec des valeurs
moyennes de l’ordre de 28 mg/l (entre 20 et 40 selon les captages) mais elle augmente.
La situation en Seine et Marne sur les captages de la Voulzie est plus dégradée avec
des concentrations en hausse autour des 55 mg/l. Ayant vérifié l’inefficacité de
l’agriculture raisonnée sur ces derniers captages (Fournol, 2003), Eau de Paris se
propose actuellement de continuer d’acquérir des terrains autour des captages pour les
maintenir en jachère ou en agriculture biologique, et d’engager une démarche de
promotion d’une agriculture intégrée sur le bassin d’alimentation de captage. La
démarche d’animation est confiée à une association spécifique regroupant les partenaires,
Aqui’Brie. Ce type d’action est aussi affiché par la Direction de l’espace rural et
agriculture (DERA) de l’Agence de l’Eau Seine-Normandie pour le prochain programme
2007-2012. Elle souhaite orienter son programme vers une sensibilisation des agriculteurs
à des systèmes d’exploitation respectueux de la ressource en eau. Par là elle entend
promouvoir l’agriculture intégrée et, sous conditions, l’agriculture biologique.
L’agriculture raisonnée n’est quant à elle pas retenue dans le projet.
Ce schéma ajoute toutefois que « ces propositions doivent être considérées comme un
court terme et accompagnées d’une politique
locale volontariste pour la prévention des
pollutions diffuses à tout niveau ». Mais seulement deux unités de gestion ont fait ce dernier
choix, plus Eau de Paris qui s’est engagée
depuis plusieurs années dans des initiatives
fortes et novatrices (voir l’encadré sur Eau de
Paris). La faible mobilisation des acteurs
locaux résulte largement de leur incapacité à
faire face à la situation, elle-même liée à la
petitesse et à l’émiettement des unités de
gestion.
10. La politique d’Eau de Paris est traitée dans le
rapport complet EVEC (cf. note 1).
ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009 • 13
Eau des villes, eaux des champs : les accords coopératifs
Dans l’Yonne, plus de 90 % des captages
étaient protégés dès les années 1980, ce
qui s’avère finalement pénalisant, car les
périmètres étaient faits pour protéger des
risques accidentels, et la lutte contre les
pollutions diffuses était encore méconnue.
Faute de moyens et de personnel, la révision des périmètres de captage n’est pas à
l’ordre du jour. Quant aux MAE, souvent
utilisées en France pour préserver la qualité
de l’eau, elles ont souffert de réductions
d’intrants trop faibles sur des surfaces trop
petites. Dans l’Yonne (Drass, 2003), les
céréaliers ont largement résisté à la contractualisation (carte 2).
Carte 2. Pourcentage de surfaces contractualisé en
MAE selon la SAU cantonale
changer de politique : elle n’envisage plus
que des contrats collectifs où au moins dix
agriculteurs, dont les parcelles se situent à
proximité des captages, doivent s’engager
pour que l’opération soit menée, et en ciblant
quelques MAE (deux à trois), définies
comme les plus pertinentes et efficaces par
rapport aux problèmes locaux. Une partie de
la profession remet en cause l’agriculture
intensive au profit de l’agriculture biologique11 et de la remise en herbe. L’Agence
de l’Eau Seine Normandie (AESN), tirant
parti des premières expériences comme
Plaine du Saulce, que nous allons aborder
maintenant, est prête à accompagner cette
rupture en proposant des contrats ruraux ou
de Bassin d’alimentation du captage (BAC)
sur les zones concernées.
Les captages de la Plaine du Saulce
(cartes 3 et 4) ont fait l’objet d’un « contrat
rural » financé par l’Agence sur le bassin
d’alimentation du captage. La protection
des captages résulte d’une concertation entre
trois acteurs : Auxerre et sa communauté
de communes (où la distribution d’eau est
déléguée à la Lyonnaise des eaux), des
collectivités du territoire où Auxerre prend
son eau potable, et des agriculteurs (soutenus
par la Chambre d’agriculture). La négociation a abouti à une « Véritable entente entre
la ville et la campagne pour une gestion
solidaire de la qualité de l’eau »12, les agriculteurs étant en partie indemnisés à partir
de la facture d’eau des urbains. Rappelons
le déroulement des faits.
Source : Drass-Bourgogne, 2003
Paradoxalement, c’est cette situation de
blocage à la fois des périmètres et des MAE
qui semble ouvrir une fenêtre d’opportunité à l’Agence de l’Eau et à des collectivités
locales motivées pour tenter un AC. En
effet, dans le cadre de la nouvelle PAC
l’Administration de l’agriculture veut
14 • ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009
11. BioBourgogne, association loi 1901 qui accompagne les agriculteurs dans leur conversion vers le
biologique, adopte une démarche pro-active avec
l’organisation de rencontres entre collectivités et
agriculteurs. La Draf Bourgogne souhaite la mise en
place, comme dans d’autres pays européens, d’une
aide au maintien de l’agriculture biologique dans le
prochain plan de développement rural hexagonal
(2007-2013). Une telle demande devait être notifiée
à Bruxelles fin 2006.
12. Titre de la plaquette de présentation du contrat
rural Plaine du Saulce.
RECHERCHES
Bernard BARRAQUÉ, Christophe VIAVATTENE
Carte 3. Plaine du Saulce13
Carte 4. Localisation des captages auxerrois
Source : Association pour la qualité de l’eau potable de la Plaine
du Saulce
Source : Société d’étude des sols pour l’aménagement de l’espace rural (SESAER), mars 2005
En 1977, la commune d’Auxerre, dont les
champs captants étaient situés en aval de l’agglomération (les Boisseaux et la Plaine des
Iles), a construit de nouveaux puits en amont,
près de l’Yonne, sur le bassin d’alimentation
de la Plaine du Saulce, afin de sécuriser sa
production en eau potable. D’une superficie de
9 000 hectares, ce bassin s’étend sur neuf
communes rurales au sud de la ville. Son eau
étant considérée comme une ressource importante et bien protégée, le conseil départemental d’hygiène a donné un avis favorable
à l’extension de la zone industrielle de la
Plaine des Iles, sur la base de l’abandon
prochain des premiers captages qui s’y trouvaient. Mais entre l’avis de l’hydrogéologue
(1974) et l’acquisition des terrains (1977),
des gravières ont été autorisées sur le secteur !
Sur la dizaine de captages initialement prévue,
13. Au sud : Syndicat mixte du Saulce ; au nord :
Communauté de communes de l’Auxerrois ; contour
noir : bassin d’alimentation des captages.
seuls deux captages ont pu être réalisés (P2 et
P3). En 1977 une déclaration d’utilité publique
(DUP) a été prise, sur un périmètre rapproché
de 200 mètres de « rayon » autour des
captages14. En dépit d’une étude du Bureau de
recherches géologiques et minières (BRGM),
ce périmètre de protection (carte 5) est maintenu à sa surface initiale de 8 ha, alors qu’une
pollution accidentelle (par exemple d’hydrocarbures sur la route nationale) mettrait en
effet moins de 5 heures pour contaminer le
captage P1.
La Plaine du Saulce dessert finalement en
eau potable, via cinq captages, quinze
communes, soient 67 000 habitants dont
57 000 de la Communauté de communes
de l’Auxerrois (CCA)15. Or, ils sont menacés
par la pollution diffuse.
14. Ces périmètres rapprochés ont fait l’objet d’une
acquisition et d’une remise en herbe. Ils représentent en moyenne moins de 13 ha par périmètre.
15. Créée en 1993 (compétence eau) ; les autres
captages desservent des communes rurales proches.
ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009 • 15
Eau des villes, eaux des champs : les accords coopératifs
Carte 5. Périmètres de protection de la Plaine du Saulce
Yonne
Réseau ferré
Route nationale
P2
PPR P1
P1
P3
PPR P3
100 m
Traits fins et points noirs : les puits P1, P2 et P3 et PPR de la CCA
Petits pointillés clairs : les puits et PPR des autres communes
Gros pointillés : la route nationale et la voie de chemin de fer
Gros trait noir : PPR initialement proposé pour P1
Source : d’après SESAER, mars 2005
Jusqu’en 1994, les concentrations en nitrates
observées dans les eaux prélevées se
situaient sous le seuil de 50 mg/l. La qualité
de l’eau s’est ensuite dégradée avec l’apparition de pics de concentrations en nitrates
supérieurs à la norme durant les périodes
hivernales, la concentration moyenne se
stabilisant autour de 45 mg/l. Le territoire
est majoritairement agricole avec 63 % de
grandes cultures (moitié blé, un quart colza),
et les grandes exploitations céréalières
(180 ha en moyenne) sont rapidement identifiées comme sources de pollution. Pour le
reste, viticulture et arboriculture constituent une menace de pollution par les phytosanitaires. Le reste du territoire est essentiellement couvert de forêts (27 %). En
fonction des caractéristiques pédologiques,
hydrogéologiques et des pratiques de fertilisation, la vulnérabilité spatiale du bassin
est définie en trois zones concentriques :
forte vulnérabilité (2 000 ha), vulnérabilité moyenne (3 000 ha), faible vulnérabilité (3 100 ha).
16 • ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009
Avec l’expansion de la zone industrielle
environnant le site de la Plaine des Iles, les
nitrates de la Plaine du Saulce deviennent
dès lors un enjeu. En 1994, un vif débat éclate
au sein de la CCA et au conseil municipal
d’Auxerre, sur les actions à envisager pour
résoudre le dépassement de normes. En effet,
le délégataire et la DDAF proposent de traiter
l’eau, mais Auxerre projette la construction
d’une nouvelle station d’épuration et rechigne
à investir en plus dans une solution curative
pour le moins coûteuse. Conforté par une
conférence par G. de Marsily sur les parcs
naturels hydrologiques16, le maire propose
d’acheter 1 000 ha pour sanctuariser le
captage, solution rapidement jugée trop
coûteuse et difficile à mettre en œuvre, même
par les Verts. Informée par la Chambre d’agriculture et l’Agence de l’eau Seine Normandie
(AESN), la CCA s’oriente finalement vers
une solution préventive, basée sur la concertation et la persuasion des agriculteurs, pour
obtenir une réduction des intrants azotés.
Cette étape est délicate puisqu’elle remet en
question les activités d’un autre territoire,
territoire rural déjà en partie annexé par les
logements de la population active d’Auxerre.
Il faut donc éviter tout braquage des agriculteurs et responsables locaux contre la ville.
Pendant l’étude hydrogéologique du captage,
le maire d’Auxerre organise une rencontre
avec les agriculteurs et les maires du secteur
pour présenter le projet et réfléchir aux actions
à entreprendre. La Chambre d’agriculture
mène à l’époque des actions de sensibilisation
auprès des agriculteurs, et, en collaboration
avec l’Inra, elle organise un voyage sur le
site de Vittel pour leur montrer les types d’actions envisageables. Un leader agricole, le
président du réseau FARRE17 dans l’Yonne,
16. Professeur à l’université de Paris-VI, De Marsily
défend l’idée de mener une politique territoriale
soutenue par la création de parcs naturels hydrologiques (De Marsily, 2002).
17. FARRE est une association interprofessionnelle créée en 1993, qui a pour vocation de promouvoir l’agriculture raisonnée, mais qui est liée à
l’UIPP (http :///www.farre.org).
RECHERCHES
Bernard BARRAQUÉ, Christophe VIAVATTENE
qui milite pour l’agriculture raisonnée, n’hésite pas à donner l’exemple. Il s’engage dans
le projet en tant qu’exploitant alors même
que ses terres ne se situent pas sur le bassin
d’alimentation de captage (commune d’Escamps). Il obtient l’adhésion des premiers
agriculteurs.
De son côté, l’AESN emmène les élus sur
le même site pour les sensibiliser aux possibilités d’action préventive. L’Agence
cherche en effet à lancer ses nouveaux
contrats ruraux 1 8 dans le cadre du 7 e
programme sur des bassins d’alimentation
de captage test19. La Plaine du Saulce va
permettre d’initier un projet qui devra être
repris à terme en totalité par les collectivités. AESN obtient de la CCA qu’elle
intègre l’action dans le prix de l’eau. Les
collectivités du bassin de captage sont
d’abord réticentes vis-à-vis du projet, craignant des contraintes sur leur développement. Elles veulent être associées à part
égale avec la CCA qui en retour exige une
participation financière. Le rôle joué par
l’Agence de l’Eau et son contrat rural est
alors primordial : dans son volet d’action
« collectivités », elle offre aux communes
une bonification de 10 % pendant cinq ans
sur un ensemble d’investissements, dont le
volet agricole n’est qu’une partie.
Pour porter le projet en réduisant les
oppositions, émerge l’idée d’une association
mixte mettant les différentes institutions
en partenariat. L’Association pour la qualité
de l’eau potable de la Plaine du Saulce est
18. Ces contrats sont des actions locales promues par
les Agences de l’Eau et ont été mis en place en 1996
lors du septième programme (1997-2001). Ils ont
pour objectif principal de provoquer une prise de
conscience locale et d’initier une dynamique territoriale de concertation et d’échanges entre les différents acteurs afin de développer une gestion coordonnée de l’eau à l’échelle d’une zone homogène et
cohérente. Ils sont susceptibles d’une aide bonifiée. En 2002, on comptait sur le district de Seine
Normandie, 31 « contrats ruraux » signés et une
dizaine en préparation.
19. L’action est d’ailleurs soumise au suivi d’un
Comité scientifique.
finalement créée en automne 1998, seulement pour de support au volet agricole du
contrat rural. Ses objectifs sont multiples :
animation, diagnostic, discussion et choix
des moyens à mettre en oeuvre. Association
loi 1901, elle peut recevoir les aides financières de l’agence et des collectivités et les
redistribuer aux acteurs privés. Les autres
volets du contrat seront directement gérés
par le Syndicat mixte de la Plaine du Saulce,
spécialement créé à cet effet en 1999, pour
des raisons de transparence, à la demande
de l’Agence de l’Eau qui les finance seule.
En 1999, pour préparer les trois volets du
contrat rural (collectivités, artisanat et agriculture), un animateur est engagé pour
conduire un diagnostic global du bassin. La
Chambre d’agriculture obtient alors qu’il
soit basé dans ses locaux. L’Agence de
l’Eau y était opposée, mais elle a dû adopter
une attitude conciliante pour rassurer les
agriculteurs. Le diagnostic est validé en juin
2001 ; les mesures préventives et les modalités d’indemnisation en juillet.
Faute de place, nous ne détaillerons pas la
démarche souple et à la carte adoptée avec
les agriculteurs dans des « CTE - Plaine du
Saulce », ciblés afin de « maîtriser les pollutions d’origine agricole afin de préserver la
qualité de la nappe qui alimente les captages
de la Plaine du Saulce ». Mais elle a été
critiquée comme trop timorée : par exemple,
la réduction de 20 % des apports en azote
n’a été contractée dans aucun cas. Par
ailleurs, une action « diversification animale,
agriculture biologique », envisagée au
départ, a disparu du contrat rural. Pour la
DRAF le projet manque de volonté politique et de lisibilité pour les agriculteurs : les
CTE sont basés sur des mesures classiques
peu contraignantes basées sur un engagement long, et il aurait été plus pertinent
d’instaurer des mesures plus marquées mais
flexibles sur le contrat rural. En définitive,
il semble bien que la démarche Plaine du
Saulce ait finalement conduit à une orientation vers l’agriculture raisonnée.
ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009 • 17
Eau des villes, eaux des champs : les accords coopératifs
Au terme de cinq années de contrat rural,
on peut considérer comme un succès d’avoir
réuni l’ensemble des acteurs (collectivités,
Agence, agriculteurs) pour réfléchir, négocier et orienter le développement local par
rapport à l’eau. Et sur les 80 exploitations
agricoles dont 40 sont des céréaliers qui
travaillent la plus grande surface agricole, on
compte, en 2003, 26 contractants en Cultures
intermédiaires pièges à nitrates (Cipan), 16
en dispositifs enherbés, 11 en conseil en
fertilisations. En surface, cela équivaut à
près de 2 395 ha en conseil en fertilisation
pour environ 6 000 ha de SAU et surtout à
757 ha en Cipan contre 800 ha en sol nu. Le
travail des animateurs est reconnu par l’ensemble des acteurs. Ils ont pu cibler au
mieux les objectifs en réduisant au minimum
la surface de sol nu, et rempli leur fonction. Pourtant, 50 % des agriculteurs, soit
40 % de la surface, n’ont pas suivi le conseil
en fertilisation, préférant celui des coopératives, dont l’intérêt réside dans la vente des
intrants...
Contrairement aux cas allemands, il n’y
a pas de suivi à la parcelle. Au niveau du
captage, on a observé une diminution
notable des pics hivernaux et la période
2002-2005 n’a été marquée d’aucun dépassement. La concentration tendait vers les
40 mg/l. Malheureusement, 2006 déçoit les
espoirs avec un léger dépassement de la
norme20 (graphique 1). De toute façon, on est
encore loin d’atteindre les 25 mg/l. Et il
semble difficile d’améliorer la situation en
Plaine du Saulce sans des actions plus
20. Cf. « Les nitrates au sommet ! », Lettre de la
plaine du Saulce, 19-3-07 : « Le Comité scientifique,
s’était étonné de nos bons résultats enregistrés
jusqu’au début de 2006, arguant qu’ils étaient inhabituels par leur rapidité sur ce type d’opération.
Les deux pics de nitrates enregistrés depuis leur
ont donné raison. [...] Ces résultats mitigés ne
doivent cependant pas nous décourager [...] Il n’y a
pas l’ombre d’un doute quant à la détermination des
uns et des autres à poursuivre l’action engagée, et
prouver que l’agriculture raisonnable et raisonnée
est compatible avec la préservation de la qualité du
milieu. »
18 • ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009
marquées : modification des assolements,
changement de pratiques.
En termes de coûts, il n’est pas facile
non plus de faire une évaluation dans la
mesure où le contrat rural de l’Agence
couvre plusieurs opérations, dont les plus
importantes concernent l’assainissement
public et l’épuration des communes de la
plaine. Cependant le total des aides reçues
par les agriculteurs serait en moyenne de
38 €/ha, dont un peu plus de 22 pour le coût
de l’animation. Les transferts depuis la CCA
reviennent à plus de 80 000 €/an, soit
0,2 €/m3 d’eau potable : en effet, la contribution au contrat figure en surtaxe communale dans le budget annexe de l’eau potable,
et donc c’est bien la facture d’eau qui est
mobilisée. Le contrat rural de l’Agence de
l’eau permet aussi un financement planifié
de la mise aux normes de l’assainissement
et de l’épuration des collectivités locales, à
hauteur de 6,6 millions d’euros sur cinq
ans. La partie agricole du contrat rural est
donc très modeste, et si l’échange nous
paraît équilibré par rapport à d’autres cas
étudiés, il reste très limité.
Finalement, à Auxerre, le contrat rural
est arrivé à son terme et les objectifs agricoles ont été atteints, mais on admet qu’il
serait nécessaire d’aller plus avant dans
l’objectif environnemental. Elus et animateurs sont donc en attente de réponses sur
les suites à donner au contrat rural, et se
réfèrent aux experts, en l’occurrence
l’Agence de l’Eau et le Comité scientifique. Ce dernier ne peut pas imposer un
changement agricole complet ; on s’orientera probablement plus vers une agriculture
intégrée, en continuité avec l’agriculture
raisonnée. De plus, les regards se tournent désormais vers les pesticides, qui
impliquent les viticulteurs et les arboriculteurs ; or beaucoup sont des doubles
emplois travaillant uniquement le weekend sur leurs terres. Moins formés, avec
une rentabilité économique faible, ils
seront plus difficilement mobilisables.
RECHERCHES
Bernard BARRAQUÉ, Christophe VIAVATTENE
Graphique 1. Evolution des teneurs en nitrates en Plaine du Saulce
60
140
Pluviométrie
Concentration en nitrates
120
100
40
Pluviométrie (mm)
80
30
60
20
40
10
20
0
3
03
s0
ai
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m
m
ju
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0
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03
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ju
il
06
0
03
nv
ja
Concentration en nitrates (mg/l)
50
Source : élaboration des auteurs après enquêtes
Au-delà du problème des pratiques, se
pose la question cruciale de la suite de l’opération : pour l’Agence de l’Eau, il s’agissait
d’aider une opération dont à terme le financement serait assuré à 100 % par les collectivités : pourquoi poursuivre un projet qui ne
réussit pas suffisamment vite pour offrir un
modèle ? Pour le président de la CCA, il faut
renouveler le contrat, sinon l’impact psychologique serait destructeur. Cet avis est
partagé par les collectivités du bassin d’alimentation de captage. Pour les agriculteurs,
notamment des petits exploitants, le maintien des pratiques est conditionné par les
indemnisations, notamment sur les CIPAN.
Les CTE ayant disparu, tout repose donc sur
le futur contrat rural et sur l’Agence de
l’Eau. Mais, comme ailleurs, celle-ci subordonne la poursuite de l’action à une révision
de la DUP, avec extension du périmètre de
protection des captages de la CCA. La réglementation « zone vulnérable » s’appliquant
dans ce cas, un conflit pourrait donc apparaître avec les agriculteurs.
Conclusion
De tous nos cas d’étude, celui de la Plaine du
Saulce est l’un des plus aboutis pour la
contractualisation entre collectivités et agriculteurs pour la qualité de l’eau. Comme
souvent en France, la prise de conscience
est tardive et la décision hâtée par une pollution avérée des captages d’eau potable. Pour
reprendre la classification de Brouwer et al.
(2003), il s’agit typiquement d’un arrangement de reconquête, par opposition aux
accords purement préventifs passés avant
que la pollution des captages ne s’aggrave,
comme en Allemagne. Si on a évité l’urgence absolue, rarement favorable au choix
du préventif, c’est parce que les dépassements étaient épisodiques et qu’on pouvait
mélanger les eaux avec les anciens captages.
Mais ce n’est qu’un pis-aller, car ces captages
sont eux-mêmes fragilisés. Trop coûteuse,
la solution du traitement n’a pas été retenue,
et les représentants d’Auxerre ont alors
montré une véritable volonté de reconquête
de la qualité des eaux, qui a rencontré une
profession agricole emmenée par ses leaders
dans une négociation soutenue par des animateurs de bon niveau. La taille réduite du territoire en jeu (9 000 ha) a aussi facilité l’identification des agents agricoles et des sources
de pollution.
Ensuite, il semble que ce soit l’institutionnalisation du contrat qui joue un rôle
essentiel, par rapport à d’autres cas nombreux
où on n’est pas allé plus loin qu’une animation provisoire par la Chambre d’agriculture, non suivie de contrôles. À Auxerre,
l’Association pour la qualité de l’eau potable
de la Plaine du Saulce permet de réunir les
ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009 • 19
Eau des villes, eaux des champs : les accords coopératifs
acteurs concernés sur une base de démocratie participative, et de bénéficier d’un
financement correspondant à la structure des
PSE présentée en introduction du rapport.
Mais est-ce un paiement pour services environnementaux ? Si on avait réussi à promouvoir une agriculture biologique, ou de la
prairie extensive, cela aurait été plus clairement le cas. Pour reprendre les conclusions
de D. Busca dans sa thèse, par le jeu des
céréaliers et la domination du réseau
FARRE, on a fini par « standardiser les
moyens mise en œuvre et les solutions environnementales adoptées, conduisant à un
allègement des objectifs environnementaux
affichés » (Busca, 2002). Les consommateurs
d’eau potable ont finalement financé, à peu
de frais... la conversion de l’agriculture intensive au raisonné, la norme qui sous-tend
actuellement la politique agricole commune.
Or ce changement aurait dû être imposé, et
bien moins indemnisé, si les périmètres de
protection éloigné et rapproché avaient été
redéfinis correctement. Le futur pourrait
donc être conditionné par une révision de la
DUP. Mais dans nombre de nos cas, on a pu
20 • ÉCONOMIE RURALE 310/MARS-AVRIL 2009
voir que l’application stricte de la réglementation est forcément inefficace, parce
que le conflit conduit à se rabattre sur la
pollution accidentelle et à renoncer à lutter
contre la pollution diffuse.
Par conséquent, si des actions comme la
Plaine du Saulce doivent offrir de véritables
cas de PSE en France, et si l’objectif reste les
25 mg/l, des engagements nouveaux devront
être pris dans un proche avenir : remise en
herbe, agriculture biologique, tout au moins
sur les secteurs les plus vulnérables. Les
agences de l’eau veulent d’ailleurs profiter
du nouveau contexte de la PAC et de la
récupération des produits de la Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP
« phyto »), pour proposer de cibler ses
nouveaux contrats de Bassin d’alimentation de captage sur des opérations impliquant des changements bien plus substantiels : il est alors temps de tenir compte de
l’expérience de nos voisins européens, et
aussi de pays comme les États-Unis, où en
définitive, les agriculteurs sont mieux indemnisés, mais en échange on leur demande
davantage, et ils sont contrôlés. ■
RECHERCHES
Bernard BARRAQUÉ, Christophe VIAVATTENE
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