Les motions participatives
Nils Ferrand
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Nils Ferrand. Les motions participatives. 2020. hal-04233985
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Les motions participatives
Nils Ferrand, INRAE G-EAU, 30/3/2020
Elle rêvait ondes douces, algues alanguies et sieste dans l’ombre ripisylve. Seul inondait le soleil,
craquant les roches nues, souches et cloaques putrides. Tristesse et découragement la confinaient en
nostalgie de sa rivière atavique. Cette annonce l’a saisie par curiosité, dés-ennui, nécessité… Osera
t’elle s’échapper entrer rencontrer entendre s’ouvrir s’exposer critiquer proposer contredire tenir
imaginer engager partager assembler bâtir vouloir décider, au gré au sein d’inconnu·e·s à la merci de
ces autres aux dépens de son temps de ses enfants, face à ceux-là puissants élus arrogants ci-devant
experts, et pour quoi ? Fatalisme et fatigue. Les jeux sont faits. On subit le temps et le temps, tant de
diktats, de certitudes, d’acquis intangibles, de rus détournés, de bidons jetés au lône, de beautés
tronçonnées, de oui mais non, de silences et de clôtures. Elle s’endort résignée au défaut.
Pierre ne veut pas d’eau ce matin. Elle a un goût, dit-il. La journée sera encore chaude. A l’école,
l’annonce est là aussi. A sa vue, d’autres s’interrogent, argumentent, et déjà un débat émerge. Oui,
ça vaut le coup d’en parler. Quoi ? Agir pour notre rivière. Il faut y aller. Envie, élan, besoin. Non !
C’est bidon. On nous manipule. Dégoût, défiance, colère. Voilà : elle est dedans ; elle retrouve ses
doutes nocturnes.
C’est l’outre travail, oubli presque. Quoique. De nouveau, le collègue ne l’écoute pas, dans ce
simulacre de collaboration inter-services. Elle fixe son café puis par la fenêtre le lit à nu, blanc
éclatant, et en surplomb les grands asperseurs qui, infatigables, abreuvent un maïs archaïque. Elle ira
ce soir – pour tout ça. A la maison, ils se débrouilleront.
Surprise, des groupes nombreux se pressent à l’entrée. La salle bruisse. Mais où sont les chaises ? Le
gymnase est vide, sans même une tribune – juste un pot dans un coin, et des panneaux blancs. On se
croirait à la galette du maire. D’ailleurs, il est là debout dans un coin, ainsi que d’autres têtes
connues, son patron, la boulangère... Décontenancée, elle se rapproche d’amis. « C’est quoi ce truc ?
C’est pas sérieux… » « On s’est trompé de salle ou date ? Mais non, tout le monde est là. » « Je te
disais. On se moque de nous. »
Sortie des enceintes de la salle une voix interrompt soudain les conversations. « Bonsoir. Bienvenue à
toutes et à tous. Merci d’être venus si nombreux pour l’eau et la rivière. Nous allons commencer
ensemble un travail que l’on espère à la fois utile pour vous et pour votre vallée, et que vous
comprendrez le rôle important que vous pouvez y jouer maintenant et dans le futur. Vous êtes sans
doute étonnés par cet accueil. Nous allons vous proposer pas mal de choses sans doute nouvelles
pour vous.» La curiosité monte, mâtinée d’une certaine gêne. Des regards et des moues dubitatives
se croisent. On se retrouve rapidement à marcher dans la salle, selon un étrange ballet scandé par les
consignes de la voix : « Vous habitez près de la rivière ? Allez vers le rideau. Loin ? Allez vers la
porte. » « Vous vivez ici depuis longtemps, plus de 20 ans ? Allez côté fenêtres » « Voilà. Présentezvous à votre voisine ou voisin. Qui êtes-vous ? Pourquoi êtes-vous là ce soir ?» Coincée dans un coin,
et après un premier instant d’hésitation, elle se tourne vers ce vieux monsieur, veste noire et rosette.
Les salutations sont chaleureuses ; l’échange est cordial. Il habite cette vieille maison qui l’intriguait
tant, avec son petit canal qui traverse sous le mur. Il voudrait y retrouver enfin de l’eau pour arroser
son potager. Elle ressent de la sympathie pour lui et ses laitues. Elle semble l’émouvoir par son
évocation des algues en larmes sèches. La voix les sépare et mène plus loin. Se promenant en long et
en large, elle échange avec quatre autres habitant·e·s, et se sent successivement agacée, charmée,
intéressée, emballée. En tout cas, elle est déjà heureuse d’être venue. Le bal s’achève. Elle sent que
des petits liens se sont noués. Mais l’heure tourne. Quelle sera la suite ? Impatience…
(cc) nils.ferrand@inrae.fr, 2020
La voix prend chair. Un animateur se montre avec le micro, la quarantaine calme et assurée, jamais
vu par ici auparavant. Il reste d’abord debout au milieu de la salle, silencieux et observateur. Moment
incongru. Certains se sont assis sur des bancs. Enfin, il explique en quelques mots que ce soir n’est
qu’un début, qu’il s’agira de construire un plan d’action, puis de le mettre en œuvre, et que, oui, ça
prendra du temps et de l’énergie. Mais que c’est une vraie demande du syndicat de rivière, et que les
participants seront respectés. D’ailleurs il passe la parole à sa responsable. Celle-ci est une tête
connue, ses enfants sont à l’école. En quelques mots, la directrice remercie l’assistance et confirme
qu’il s’agit réellement de se faire confiance et de partager une approche nouvelle. Elle est presque
rassurée, mais prudente encore.
La soirée avance. Les panneaux blancs distribués autour de la salle sont saisis par des petit groupes
qu’on a invités à y dessiner leur vision de la rivière, de l’eau, des problèmes, des gens qui y vivent et
en vivent. Ils ont ainsi face à eux un grand miroir pour y coller leurs idées et les entrelacer. Etonnés,
déroutés, ils se rapprochent. Avec 5 autres participants (dont un voisin de sa rue qu’elle trouve
ronchon) elle se lance peu à peu. Un jeune a tout de suite pris un marqueur et occupe le terrain avec
ses cartons de couleur. Il a de bonnes idées, amusantes mais un peu caricaturales. Le voisin revêche
s’agace vite et cherche à le remettre en place. Une participante les appelle à se calmer, et demande
aussi qu’on lui laisse le temps et un peu d’espace pour réfléchir. Chacun pose peu à peu, sauf une
dame qui reste en retrait, timide et silencieuse. Le tableau prend forme. Elle est fière d’introduire
une branche qui parle de la beauté de la rivière et de l’eau vive, à laquelle tous les autres raccrochent
de nouvelles bulles chargées d’émotion et d’humour. Même la dame timide évoque la sonorité, les
glougloutements. Cela les fait rire. En cascade, le ronchon ajoute un carton sur le chahut des groupes
de « zonards » venus au printemps depuis la ville se baigner et pique-niquer. Il grogne contre ces
envahisseurs. La tension monte d’un cran avec le jeune qui, très en colère, rappelle que la rivière est
à tout le monde. Elle aussi s’interpose et revient sur les règles de respect mutuel. Elle est contente de
s’être mise au défi d’intervenir. Elle se sent reconnue par les trois autres. L’atelier se termine. En
prenant un peu de recul, elle trouve leur travail plutôt honorable, et elle a appris des choses sur les
problèmes de qualité. Elle a aussi découvert avec stupéfaction que l’eau des pivots d’arrosage venait
en fait de la nappe coulant sous la rivière asséchée, et que c’était officiellement autorisé. Merci à
l’agricultrice bio qui leur a expliqué ça.
Ils visitent rapidement les travaux des autres groupes, et découvrent quelques étrangetés. Certains
se sont plus centrés sur l’économie, d’autres n’ont parlé quasiment que de castors et d’écologie. On
sent que des groupes ont été sous le charme ou sous l’autorité de certains, plus entrainants. Il est
tard. La soirée est conclue par l’animateur qui indique que les résultats seront partagés en ligne. Il
demande à chacun de bien vouloir remplir un questionnaire d’évaluation, et d’éventuellement
signaler son intérêt pour des sessions futures. Après l’excitation des panneaux de groupe, le triste
formulaire semble bien ennuyeux, mais elle se convainc que ça doit être utile. Sans plus réfléchir,
convaincue, elle laisse son nom et son contact, déterminée à poursuivre le chemin entamé.
Dans les semaines et mois qui suivirent, elle gardât l’entrain du premier jour, s’investissant
progressivement dans l’animation de visites de rivière et dans des ateliers chez elle, avec des
voisin·e·s et ami·e·s. Une fois dépassée la peur du début, elle s’est sentie capable d’organiser, de
proposer, de présenter en public. Elle s’est parfois lassée de la bêtise ou de l’égoïsme perçus de
certains ; elle a même ressenti du dégoût pour des positions vraiment trop réactionnaires. Mais
l’envie d’aller plus loin et d’obtenir un vrai progrès pour sa vallée l’a tenue alerte et engagée.
Un an plus tard, c’est avec une grande fierté qu’elle a vu ces efforts récompensés par « Des motions
participatives pour une rivière partagée», une proposition commune vers le Comité de Rivière ; la
(cc) nils.ferrand@inrae.fr, 2020
seule amertume et frustration restante étant que ce ne puisse être directement un cadre légal
s’imposant à tou·te·s. Mais combien de nouvelles idées, envies et ami·e·s cela a-t-il créé ?
(cc) nils.ferrand@inrae.fr, 2020