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SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) MEFRA – 122/1 – 2010, p. 227-330. Activités archéologiques de l’École française de Rome Chronique Année 2009 SPIOX - 228 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Loron Chronique LORON (TAR-VABRIGA. CROATIE) Musée régional de Poreč (Croatie), Ausonius (Université de Bordeaux 3), École française de Rome et Istituto di Topografia antica (Università di Padova) Les fouilles conduites sur le complexe artisanal de Loron se concentrent sur un important atelier d’amphores installé sur la terrasse supérieure du module oriental (fig. 1). Elles révèlent une organisation particulièrement planifiée des espaces de productions (fours à amphores, préaux de séchage, espaces de cuisson), répartis en trois édifices autour d’une vaste cour centrale, dotée d’une réserve d’eau (fig. 2). Différents sondages montrent que ce plan d’architecte remonte à la création du complexe artisanal vers 10 ap. J.-C. par Sisenna Statilius Taurus, fils cadet du grand Statilius Taurus, ami d’Auguste. Il est maintenu sans grandes modifications durant toute la période d’activité de l’atelier, soit du Ier au IVe siècle ap. J.-C. La mission franco-croate intervient dans la partie occidentale de l’atelier (secteur C). Financée par l’École française de Rome et le ministère des Affaires étrangères, elle fait partie du programme L’Istrie et la mer associant le Musée territorial de Poreč (Croatie-V. Kovačić), le centre Ausonius-université de Bordeaux 3 et l’École française de Rome. Elle reçoit, pour la partie croate, un soutien logistique et financier apporté par les municipalités de Tar-Vabriga et de Poreč, par l’office du tourisme de la commune de Tar-Vabriga (Turistička Zajednica TarVabriga) et par le ministère croate de la recherche. Enfin, la fouille est menée en étroite collaboration avec l’université de Padoue qui intervient également sur le site (Dipartimento di Topografia antica-G. Rosada; A. Marchiori). La campagne 2009 a permis d’achever l’étude de la vaste structure hydraulique (47) occupant l’angle nordouest de la cour (fig. 3). Trois sondages réalisés à la pelle mécanique ont contribué à préciser la datation et la fonction de la structure (S30; S31; S32). La découverte d’un bassin de fontaine confirme ainsi qu’il s’agit d’une importante réserve d’eau destinée à approvisionner l’ensemble de l’atelier (S30). La nécessité de protéger les éléments les plus fragiles (pavements, bourrelets en béton hydrauliques) a conduit à recouvrir l’ensemble de la structure en fin de campagne, sous la direction de V. Kovačić, responsable de la conservation du site. La campagne 2009 a été menée par une équipe composée d’Audrey Bertrand (Université de Paris 1), Anne-Laure Foulcher (Université de Grenoble), Valerio De Leonardis (Università di Roma 3) et Claudio Taffe- tani (Università di Roma 3), responsables de secteur; Giulia De Palma (Université de Paris 10), Elyssa Jerray (Université de Provence Aix-Marseille 1), Erika Jurisevič (Università degli studi di Trieste), Julie Marangoni (Université de Bordeaux 3) et Giuseppe Silvestri (Università di Roma 3). Paola Maggi (Università degli studi di Trieste) a réalisé l’ensemble de l’inventaire du mobilier déposé au musée territorial de Poreč, grâce à une mission financée par l’École française de Rome. L’étude du mobilier des précédentes campagnes, coordonnée par F. Tassaux et Y. Marion, a été poursuivie en parallèle de la fouille. La grande réserve d’eau dans l’angle nord-ouest de la cour Les résultats obtenus en 2009 permettent désormais de restituer l’ensemble de la structure hydraulique, constituée d’un vaste bassin ouvert servant de réservoir, alimentant un petit bassin de fontaine accolé au mur sud de la structure. L’ensemble occupe près d’un 1/6e de la superficie de la cour (fig. 4). Le réservoir Le réservoir correspond à un vaste bassin ouvert, mesurant 14,4 m de long sur 10,3 m de large (fig. 5). Le dégagement du mur oriental (MR 3320) montre que la structure est entièrement fermée, sans liens fonctionnels avec les substructions accolées, à une époque indéterminée, au côté est du bassin (MR 3610-MR 3611MR 3774). Les murs, épais de 70 cm, sont fondés directement sur le substrat et liés à ce dernier par du mortier. Un épais renfort en béton hydraulique a été coulé le long du parement interne directement à partir du substrat pour former une sorte de contre-mur. Large de 40 cm, il est conservé dans l’angle nord-est du bassin sur toute l’élévation du mur (1 m). Tout en assurant l’étanchéité de la structure, ces épais bourrelets de béton hydraulique permettent de renforcer la résistance des murs soumis à la pression de l’eau. L’aménagement du fond du réservoir traduit le même souci de solidité et d’étanchéité, avec la réalisation d’un pavement en opus spicatum qui vient s’appuyer à angle droit sur les parois en béton hydraulique (PA 3295). La réalisation d’un sondage (S 3728) au sud d’une des fosses occupant le centre du bassin indique que le pavement en opus spicatum repose sur une épaisse préparation de mortier (US 3597), recouvrant à son tour un niveau de cailloutis, composé d’éclats de taille jetés en vrac (US 3725) et un nivellement d’argile pure de SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 229 Fig. 1 – Loron. Le complexe artisanal, sur la côte sud de la péninsule délimitée par les baies de Cervar et Santa Marina (réalisation A. Marchiori). Fig. 2 – Loron. L’atelier d’amphores occupant la terrasse supérieure du module oriental du complexe artisanal (CAO C. Rousse). SPIOX - 230 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Loron Chronique Fig. 3 – Loron. Vue d’ensemble du secteur C dégagé en 2009. Structure hydraulique (espace 47) et sondages S30-32 (cliché G. Brun – EFR; CAO : C. Rousse). Fig. 4 – Loron. La grande réserve d’eau dans l’angle nord-ouest de la cour. Vue de l’est (cliché C. Taffetani – EFR). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 231 Fig. 5 – Loron. Planimétrie de la structure hydraulique (réservoir et bassin de fontaine) avec les deux niveaux de pavement (CAO C. Rousse). couleur verte (US 3727). Sous cette dernière couche apparaît le substrat rocheux (US 3731), probablement retaillé pour offrir une surface stable, à une cote de 4,8 m (fig. 6). Ces aménagements préalables à l’installation du pavement en opus spicatum se retrouvent le long du côté est du bassin au niveau d’une fosse de spoliation (FS 3743) qui entaille le pavement. Ces observations montrent que le fond du bassin a été réalisé en aménageant une dépression du substrat rocheux, qui a été régularisée, puis nivelée avec un apport d’argile pure constituant un premier isolant. La préparation du pavement consiste ensuite en une couche de cailloutis, recouvert d’un lit de mortier particulièrement solide et étanche. Cette construction soignée a permis d’assurer la stabilité et la résistance du pavement en opus spicatum, qui reste encore le niveau le mieux conservé de la structure. Elle explique également l’orientation parfaitement plane du pavement. À une époque indéterminée, le réservoir est réaménagé : un nouveau pavement, en petites briques rectangulaires (tommettes) posées à plat, est installé sur le fond en opus spicatum (MEFRA, 121-1, 2009). Sur ses côtés ouest, sud et est, ce pavement de tommettes (PA 3290) est isolé des renforts en béton hydraulique par des SPIOX - 232 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Loron Chronique Fig. 6 – Loron. Sondage S3728 au centre du réservoir (cliché C. Rousse). bordures en creux, larges de 29-30 cm, destinées à accueillir un aménagement de tegulae liées par du mortier (CN 3294, CN 3585, CN 3738) (fig. 7). Dans l’angle nord-est du bassin, le nettoyage du parement interne du bourrelet d’étanchéité conservé sur 1m garde l’empreinte verticale de cet aménagement, ce qui suggère un système de banquette ou de caisson constitué de tegulae superposées : il devait servir à renforcer l’étanchéité au niveau d’un point de faiblesse que constitue la liaison entre le second pavement et les parois en béton hydraulique. Cet aménagement ne concerne que les murs les plus exposés à la pression, du fait du pendage général du terrain. En revanche, sur le côté nord, le pavement de tommettes est directement lié au bourrelet en béton hydraulique, avec l’ajout d’une deuxième couche d’enduit pour assurer une bonne étanchéité. Les interventions de spoliation intervenues à l’époque tardive (IVe-Ve siècles) ont complètement détruit ce curieux système de banquette, ainsi qu’une bonne partie des élévations en béton hydraulique, afin d’atteindre les blocs taillés du parement interne des murs. Elles expliquent la forte concentration de tuiles fragmentées retrouvées dans les couches d’abandon du bassin. Il est impossible de dater les réfections effectuées à l’intérieur du bassin. La technique de l’opus figlinum appliquée au nouveau pavement est attestée de la fin de la République jusqu’à l’Antiquité tardive. Quant aux fines couches de chaux trouvées dans l’aménagement des bordures, sous ou entre les tegulae, elles n’ont fourni aucun mobilier. Les seuls indices chronologiques sont donc deux tessons inclus dans la préparation du pavement de tommettes, qui correspondent à une amphore Dressel 2/4 importée de la côte tyrrhénienne, dont la période de diffusion se situe entre la fin du Ier siècle av. J.-C et la fin du Ier siècle ap. J.-C. Mais les réfections ne peuvent être antérieures à la deuxième moitié du Ier siècle ap. J.-C., en raison du terminus post quem fourni par la datation du premier état du bassin. La phase d’abandon de l’ensemble de la structure hydraulique est en revanche mieux connue grâce au mobilier contenu dans les couches de destruction recouvrant le pavement de tommettes et celles venant combler le bassin de fontaine. Ce dernier se caractérise par la présence d’importations africaines et orientales diffusées entre la fin du IIIe s. ap. J.-C. et le début du Ve s. ap. J.-C. Il comprend également l’ensemble des productions de Loron, dont les amphores de type «tardif», qu’on retrouve ailleurs sur le site dans différentes couches datées du IVe s. ap. J.-C. Enfin, un bronze de Constance II (émission : 355-361 ap. J.-C.) a été trouvé dans la couche de destruction recouvrant le pavement de tommettes (US 3508). Ces strates d’abandon de la seconde moitié du IVe s. sont scellées par des couches plus tardives (Ve s. ap. J.-C.), qui correspondent à la destruction et à l’arasement du complexe. Le bassin de fontaine Fig. 7 – Loron. Photogrammétrie de la réserve d’eau, avec dégagement complet des aménagements de bordure du pavement de tommettes (cliché et redressement photographique C. Taffetani – EFR). La réalisation d’un sondage à la pelle mécanique au sud du réservoir a permis de dégager, sous la couche d’abandon recouvrant le côté sud de la cour, un petit bassin de fontaine (FN 3734) relié au réservoir par une arrivée d’eau (fig. 8). De forme rectangulaire, ce bassin mesure 2,64 m de long sur 2,18 m de large. Il présente SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 233 Fig. 8 – Loron. Le bassin de fontaine en cours de dégagement (cliché C. Rousse). une margelle en opus quadratum formée de 11 blocs taillés de pierre calcaire disposés en panneresse et en partie posés sur le substrat (fig. 9). L’excellent état de conservation de la structure permet d’observer les systèmes de scellement des blocs, constitués de crampons en pi réalisés en fer et scellés au plomb aux extrémités, selon l’une des techniques les plus courantes utilisées dans le monde romain. Ces crampons sont encore présents dans 8 des 10 mortaises relevées. Le bassin lui-même est creusé dans la roche et aménagé au moyen d’un épais mortier mêlé de cailloux, recouvert ensuite d’un enduit fin et soigné en mortier hydraulique. Le fond de la vasque est parfaitement plan et recouvert d’un pavement en opus spicatum de bonne facture, qui rappelle le pavement originel du grand réservoir. La cuve rectangulaire ainsi réalisée mesure 1,76 m de long sur 1,20 m de large, pour une profondeur de 86 cm. Elle permettait de stocker une petite quantité d’eau (1,8 m3), facile à puiser à l’aide d’un seau. La trace de l’arrivée d’eau observée en 2008 au niveau du mur sud du réservoir (empreinte en mortier d’un aménagement hydraulique en plomb) se trouve parfaitement alignée avec une mortaise aménagée dans l’un des blocs de la margelle, présentant une forme et des dimensions atypiques (fig. 10). La fonction de cette mortaise est certainement d’accueillir un système de scellement, probablement coulé en plomb, destiné à maintenir un bloc vertical traversé par un tuyau en plomb. On pense par conséquent à un système de bouche d’eau, peut-être doté d’un système de régulation sous la forme d’un robinet. Étant donné l’importance des spoliations menées sur le site, il n’est guère étonnant d’avoir perdu ces éléments. Dans l’Antiquité, les bouches étaient souvent décorées et constituent aussi des blocs particulièrement aisés à récupérer, de même que les éléments en plomb. Ainsi, seuls quelques fragments de plomb ont été relevés dans et autour du bassin, Fig. 9 – Loron. Vue axonométrique du bassin de fontaine (CAO C. Rousse). SPIOX - 234 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Loron Chronique besoins d’une intense activité de production, déjà bien attestée par les batteries de fours relevées dans l’espace 45. L’eau servait également au personnel de l’atelier et pouvait être utilisée pour le nettoyage et l’entretien des pièces de travail. Situé à proximité des fours à amphores, le grand bassin ouvert constituait enfin une réserve aisément accessible en cas d’incendie : un tel incident a peut-être provoqué la destruction d’un des premiers fours de Sisenna, dont les vestiges ont été remployés dans le nivellement du secteur nord de la cour. Fig. 10 – Loron. Alimentation du bassin de fontaine depuis le réservoir (cliché C. Taffetani – EFR). tandis que les blocs solidement fixés de la margelle ont été laissés en place. Du système d’alimentation en eau de la fontaine ne subsiste donc plus que la trace en négatif des scellements au niveau du mur MR 3275 et du bassin de fontaine. La margelle du bassin est installée au niveau du plan de circulation dans la cour, constitué d’une couche d’argile mêlée de tessons (US 3747) qui recouvre le substrat rocheux (US 3767). L’absence de dispositif d’écoulement suggère que l’on pouvait fermer l’arrivée d’eau du bassin, probablement à l’aide d’un robinet. Le pendage naturel de la cour permettait, si besoin d’évacuer le trop-plein. Une direction préférentielle au débit des eaux (trop-plein, mais aussi eau de pluie) était probablement donnée par le passage en pente aménagé dans l’angle sud-ouest entre la cour et la terrasse inférieure du complexe (soit entre les murs MR 3223 et MR 3238 qui longe l’espace 38). Les données stratigraphiques montrent que le bassin de fontaine, aménagé en même temps que le grand réservoir, fonctionne jusqu’au IVe s. ap. J.-C., soit durant toute la période d’activité de l’atelier. Il est ensuite comblé par différents niveaux de remblais datés de la fin du IVe s. ap. J.-C., ce qui correspond à la phase de spoliation et d’abandon du réservoir. Le sondage dans la cour au nord de la réserve d’eau L’espace situé entre la grande réserve d’eau et la limite nord de la cour (mur MR 3284) est étudié par sondage depuis 2007. Il présente, sous les niveaux tardifs, des remblais chronologiquement homogènes constitués de déchets de cuisson (amphores Dressel 6B timbrées SISENNA; sigillée de production locale, dont un exemplaire timbré SISENNA; céramique commune), de concentrations d’argile rubéfiée et des fragments d’un four détruit, probablement l’une des premières structures de cuisson en activité sur le site. L’élargissement du sondage à la pelle mécanique (S31) a permis de confirmer la datation précoce de ces remblais uniquement constitués des premières productions amphoriques de l’atelier, associées à des sigillées d’époque augusto-tibérienne (fig. 11). Les données céramiques conduisent donc à dater la réalisation de cet important nivellement des premières phases d’aménagement du site, soit entre 10 ap. J.-C. et la fin du règne de Tibère, sous le premier propriétaire connu, Sisenna Statilius Taurus. La réalisation de ce remblais précoce, La disponibilité en eau : une nécessité pour le fonctionnement de l’atelier d’amphores Durant les phases d’activité de l’atelier, une grande quantité d’eau douce était nécessaire pour la préparation de l’argile et la réalisation des amphores. Le vaste réservoir construit dans la cour assurait cet approvisionnement en eau. Ses dimensions imposantes répondent aux Fig. 11 – Loron. Sondage S31 au nord de la réserve d’eau, avec profil en escalier du substrat (cliché C. Taffetani – EFR). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 235 Fig. 12 – Loron. Couche d’éclats de taille au fond du nivellement précoce entre la réserve d’eau et la limite septentrionale de la cour (cliché C. Rousse). appuyé à la fois sur le mur nord de la cour et sur le parement externe du mur nord du bassin, semble directement liée à la construction du bassin et à la nécessité d’aménager un niveau de circulation cohérent, dans un espace où le substrat présente de fortes irrégularités : les couches de remblais recouvrent directement le substrat, dont la cote varie de plus d’1 m (6,22-5,30). Cette déclivité n’est pas seulement naturelle. Le dégagement du secteur longeant le mur nord du bassin montre en effet les traces d’un chantier de construction, avec l’extraction de blocs de pierres ayant pu servir aux élévations. Cette activité de taille explique le profil en escalier donné au substrat (fig. 11) et la concentration d’éclats calcaires (US 3762) dans la couche la plus basse du nivellement (fig. 12). La circulation au niveau même du substrat n’a dû être que de courte durée. Dès le bassin construit, la zone de chantier a été nivelée à partir des matériaux à disposition, soit principalement des amphores et les déchets de four déjà en activité. Données chronologiques sur l’aménagement ex nihilo de l’atelier Les différents sondages réalisés montrent que l’atelier d’amphores de Loron suit un plan d’architecte défini dès l’implantation du complexe artisanal, autour de 10 ap. J.-C., par le premier propriétaire Sisenna Statilius Taurus. Les édifices disposés en U autour de la cour s’appuient directement sur le substrat de calcaire blanc qui présente une forte déclivité en direction de la mer. Les murs porteurs sont systématiquement fondés à sec sur la roche et liés à celle-ci par un mince lit de mortier. Ils suivent ainsi le pendage général du terrain, pourtant non négligeable (7‰). Les irrégularités de la roche sont comblées par du gravier, par une accumulation d’éclats de taille, voire pour les creux les plus importants, par un aménagement de blocs grossièrement taillés. L’absence de fosse de fondation suggère que le substrat rocheux était affleurant lorsque le complexe a été édifié ex nihilo. La présence d’une vaste dépression dans l’angle nord-ouest de la cour explique certainement le choix réalisé pour implanter la grande réserve d’eau alimentant le complexe, en réalisant un vaste réservoir semienterré, doté d’une fontaine. La construction modifie légèrement le plan originel, en bloquant un des escaliers d’accès à la cour (fig. 4), mais elle ne peut dépasser les années 30 de notre ère, en raison du terminus ante quem fourni par le remblai dans l’angle nord-ouest de la cour. Des fours à amphores fonctionnaient déjà, probablement installés au centre de l’aile nord : l’un d’entre eux a été abattu et réemployé pour remblayer le chantier de construction, avec de nombreuses amphores correspondant aux premières séries fabriquées sur le site. La construction du bassin suit donc de près l’établissement des premiers édifices de l’atelier et marque l’aménagement définitif de la cour, dans la première moitié du Ier s. ap. J.-C., avec la réalisation d’un niveau de circulation conservé jusqu’à l’abandon du complexe. Les résultats obtenus en 2009 ont donc permis de préciser la chronologie des premières phases de l’atelier, au-delà d’une étude architecturale complète de la structure hydraulique implantée dans l’angle nord-ouest de la cour. Les prochaines campagnes de fouilles (20102011) pourront être consacrées à l’analyse de l’aile occidentale de l’atelier, tandis que l’équipe italienne, conduite par A. Marchiori, poursuit l’étude des fours à amphores (espace 45) et des espaces orientaux. Les équipes françaises ont également poursuivi leurs travaux le long de la côte. L’équipe subaquatique de Marie-Brigitte Carre (Centre Camille Jullian) a complété son étude des vestiges des baies de Valeta et de Busuja avec le Musée de Poreč (V. Kovačić), tandis qu’elle entamait de nouvelles recherches sur le grand vivier à poissons de Katoro, en collaboration avec le Musée d’Umag et Katia Katunaric. Enfin, Christine Machebœuf (université de Boulogne) et Alexandra Hanry (INRAP) ont travaillé sur deux sites riches en murex destinés à la fabrication de la pourpre, à Sv. Ivan et Zambratija, toujours avec le Musée d’Umag. Corinne ROUSSE et Francis TASSAUX SPIOX - 236 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Apollonia d’illyrie Chronique APOLLONIA D’ILLYRIE (ALBANIE) Institut archéologique de l’Albanie (Centre d’études albanologiques, Tirana), Mission épigraphique et archéologique française en Albanie (Ministère des Affaires étrangères et européennes), UMR 5189 (Lyon2-CNRS), École française de Rome et École française d’Athènes Grâce au renouvellement de l’accord de coopération, cosigné par les organismes susnommés, les programmes scientifiques consacrés à l’étude du site d’Apollonia peuvent se poursuivre dans les meilleures conditions, et c’est l’occasion pour les directeurs de mission de remercier, en dehors des cosignataires, toutes les instances qui contribuent au succès de cette collabo- ration, et en particulier l’Ambassade de France en Albanie, la commission des fouilles du Ministère français des Affaires étrangères et européennes, et le Conseil national de l’archéologie du Ministère de la Culture albanais. Outre la poursuite des publications qui restent la priorité, la campagne de 2009 a lancé de nouvelles opérations de terrain dans le secteur G de la cité, consacré à l’habitat et à l’architecture domestique de l’époque hellénistique et romaine, ce qui permet de reprendre le dossier d’une partie des fouilles de Léon Rey et des fouilles albano-soviétiques qui n’avaient pas fait l’objet de publications; c’est aussi l’occasion de participer à la valorisation du site, en collaboration avec le Parc archéologique d’Apollonia et l’Institut des Monuments de Tirana. Jean-Luc LAMBOLEY (directeur de la Mission épigraphique et archéologique française) et Faïk DRINI (directeur de la Mission albanaise d’Apollonia) 1. Exploration archéologique de la ville haute : mission d’étude du matériel et préparation de la publication des prospections géophysiques (2004-2005) et des sondages topographiques et stratigraphiques (2006-2008) Dans le cadre de la Mission franco-albanaise d’Apollonia et en étroite collaboration avec les Écoles françaises d’Athènes et de Rome, le programme consacré à l’étude de la ville haute a vu du 5 août au 9 septembre 2009 l’achèvement de la phase d’étude et d’acquisition des données. Cette chronique est consacrée aux fragments architecturaux (F. Q. et Ph. L.), aux figurines en terre cuite (F. Q.) et à la céramique d’époque romaine (S. Sh.); elle complète ainsi le texte publié l’an passé, essentiellement composé d’une contribution liminaire de Stéphane Verger sur les céramiques archaïques et classiques (MEFRA, 121-1, 2009). La céramique hellénistique est en cours d’étude sous la responsabilité de Vasil Bereti. Le programme est donc dans sa phase de publication. Grâce à l’autorisation de la directrice de l’IAA, Shpresa Gjongecaj, et de Faïk Drini, directeur des études antiques de cette même institution, nous avons pu travailler dans les réserves du Musée archéologique de Tirana, afin de comparer le matériel apolloniate aux faciès céramique et architectural d’autres sites archéologiques albanais. Le même travail a été réalisé dans les réserves du Musée historique de Fieri. Les fragments d’architecture L’enregistrement des fragments architecturaux découverts lors des derniers sondages effectués en 2008 est achevé. Dans la perspective d’une typologie partant des époques les plus anciennes, il a paru important d’enregistrer les moindres variations morphologiques et de prendre en compte toutes les séries, même les plus modestes, afin d’établir une grammaire de référence. La récupération a donc été systématique quand une forme ou une surface travaillée était conservée. Le degré de fragmentation des blocs d’architecture est remarquable, et indique à l’évidence que l’exploitation de cet ensemble architectural comme carrière, fut, au moins dans l’une de ses phases, organisée et rationnelle. Les difficultés engendrées par cette fragmentation peuvent être dépassées de deux façons : la première démarche consiste à partir des vestiges en place, des fondations, afin d’établir l’échelle approximative de l’élévation, le diamètre et la hauteur des colonnes, les entraxes etc.; la seconde procédure, concomitante, impose naturellement d’attribuer les nombreux fragments architecturaux à des groupes fonctionnels (bases, fûts, chapiteaux, entablement etc.), et à des familles morphologiques (éléments de décor, moulures, motifs iconographiques etc.), selon la méthode exposée par Y. Ubelmann et expérimentée à Rome sur le Palatin (Ubelmann 2006). L’étude de ces fragments architecturaux, parfois SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 237 Fig. 13 – Apollonia, Ville haute. Plan de positionnement des sondages 2006-2008 sur l’image de la prospection géophysique (Ph. L.). même de leur position stratigraphique quand elle est fiable, de leur distribution topographique, de leur état de conservation, documentent non seulement les monuments tels que les Apolloniates pouvaient les admirer, mais aussi, plus directement encore, une phase de destruction. Dans le secteur 10 par exemple, la couche superficielle s’appuyait sur un véritable niveau de chantier de démolition composé de fragments, somme toute, peu dispersés. La grande quantité de fragments de cannelures de même taille indique que les tambours de colonne ont été débités selon la même technique – impacts de pioche – afin de produire un bloc brut. En revanche, les fragments de blocs de construction sont rares, ce qui montre qu’ils ont été emportés en l’état, ou sciés. Ces matériaux ont servi à la construction du monastère, des maisons villageoises et des fermes isolées; ils étaient aisément réunis sur un point haut, sur une aire dégagée, d’où il était facile de les évacuer par la «glissière» que représentait la grande rue au sud-ouest (Lamboley 2007). En outre, les édifices ottomans de Berat, dont on sait que certains furent construits avec des pierres provenant d’Apollonia (Leake 1835), sont composés de petits moellons qui sont probablement partis sous cette forme du lieu de débitage. À l’extrémité occidentale du portique, la fouille a révélé l’existence d’un four à chaux; un fragment de fût dorique brûlé indique sans doute quel fut le sort réservé aux décors. La grande majorité des raccords (éléments de décors, petits blocs de construction, fragments de tuiles de courant ou de couvre-joint) réalisés par le restaurateur de l’équipe Avni Alcani réunissent des cassures anciennes. Une des pièces les plus remarquables à cet égard est un couvre-joint peint en rouge sombre sur la face convexe provenant du secteur 8e (40 x 28,5 x 10,6 cm), et SPIOX - 238 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Apollonia d’illyrie Chronique Fig. 14 – Apollonia. Fragment de base attique découverte en 2007. Secteur 5, US 489 (Dessin de Ph. L et F. Q.). composé de 17 fragments. À l’une des extrémités, non conservée, on observe des traces de scie qui prouvent que la tuile a été coupée pour être remployée, sur un autre toit ou bien pour construire une conduite d’eau au sol. Le catalogue des fragments de couvertures est achevé. L’objectif est d’établir, après la mise au net de plus d’une centaine de fragments, une typologie qui précise et complète celle que proposait naguère A. Mano (Mano 1965). Des séries peuvent être établies. On remarque l’usage important, à l’époque archaïque, du système dit laconien. Un grand couvre-joint faîtier en argile jaune correspond à des tuiles découvertes dans le secteur C en 1991 : ces éléments appartiennent à un grand édifice équipé d’un toit corinthien. Un fragment de tuile de courant corinthienne en marbre blanc des carrières de Karaburun découvert dans le secteur 9 (fig. 13) appartenait très probablement au temple érigé à la fin de l’époque archaïque au sommet de la colline 104. Un plan de répartition topographique des fragments de couverture est en cours de réalisation. Fig. 15 – Apollonia. Fragment de chapiteau dorique en calcaire découvert en 2007. Secteur 11, US 545 (Dessin de Ph. L et F. Q.). Il est trop tôt pour attribuer au grand portique ou à la fondation en arc de cercle du secteur 12 les séries de fûts doriques, ou de fûts à cannelures profondes, appartenant à des colonnes ioniques, ou, plus vraisemblablement ici, corinthiennes. Néanmoins, on distingue par exemple une série de fragments composant une sima à anthémion en pierre de petites dimensions, des éléments d’une frise de rinceaux appartenant sans doute à une sima plus monumentale, des fragments de plusieurs bases attiques (fig. 14). La présence dans les environs d’un grand édifice dorique est attestée par des fragments de fût de calcaire tendre identique et un fragment de chapiteau dont le profil de l’échine peut être daté provisoirement vers 500 av. J.-C. (fig. 15). F. Q. Les figurines en terre cuite La coroplathie est bien représentée par des figurines en terre cuite et quelques masques miniatures (secteurs 5, 8 et 13). Les plus anciennes proviennent du secteur 5 à l’extrémité orientale du grand portique, secteur situé à proximité d’une zone interprétée naguère comme une décharge d’atelier céramique, mais qui pourrait corres SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 239 Fig. 16 – Apollonia. Figurine en terre cuite d’époque archaïque. Secteur 5, US 601 (Dessin d’Ilir Zaloshnja). Fig. 18 – Apollonia. Représentation de statue? Secteur 8e, FM 694 et 731, US 400 = couche superficielle (Dessin d’Ilir Zaloshnja). Fig. 17 – Apollonia. Épouse ou divinité trônante. Secteur 5, US 623 (Dessin d’Ilir Zaloshnja). pondre au dépôt secondaire d’un sanctuaire lié à la colline voisine (voir Dimo-Lenhardt-Quantin 2007, et Delouis et alii 2007). L’une d’elles est une figurine modelée d’un personnage masculin assis (6,7 × 4,3 × 3,5 cm), peut-être un comaste accroupi (fig. 16). Elle s’apparente au type C des figurines en terre cuite de Pérachora, à tête d’oiseau (Payne 1940, en particulier la figurine féminine no 263, pl. 111; voir aussi l’exemplaire no 152, pl. 99, p. 227). On trouve aussi des parallèles à Tirynthe et à Argos. Cette statuette date vraisemblablement de la seconde moitié du VIe siècle. Du même secteur provient une autre statuette archaïque, une épouse ou une divinité trônante le bras droit replié sur la poitrine (8,7 × 5,4 × 2,5 cm), tenant un attribut disparu dans la cassure (un oiseau?) et couronnée d’un polos (fig. 17). Le type est conventionnel et courant dans les sanctuaires (Payne 1940, pl. 96, no 102, et R. J. H. Jenkins npréciser n, p. 219-220, type LC. IV Seated Types (matériel votif du sanctuaire d’Héra Liménia); Muller-Tartari 2009, p. 20, fig. 1-3). Du secteur 8, à l’extrémité occidentale du portique, provient une intéressante statuette brisée en deux d’une femme ou d’une déesse en himation, les bras repliés sur le ventre (9,2 × 5 × 3 cm; fig. 18). On trouve le même type iconographique à Épidamne-Dyrrhachion, où un exemplaire complet montre que le personnage est dressé sur une base moulurée, et au «petit sanctuaire d’Artémis» de Corcyre. Selon A. Muller et son équipe, attitude et présence d’une base suggèrent, sans certitude, qu’il s’agit de la représentation d’une statue de culte (Muller-Tartari 2009, p. 24, fig. 1 et 2). Le raccord entre les deux fragments et le rapprochement avec la série de Durrës sont de notre collègue Belisa Muka, que nous remercions. La diffusion géographique de ce type iconographique paraît marquée par la carte de la présence corintho-corcyréen dans ces régions; le lien avec Artémis est probable en raison des différents contextes de découverte (sanctuaires de la déesse à Corcyre, à Durrës et à Apollonia, sur la colline 104), mais reste à préciser. Néanmoins, à l’instar des quelques exemplaires de petits brûle-parfum à acrotères aux angles, ces figurines peuvent aussi témoigner de la pratique de cultes domestiques. Notons aussi la présence de deux fragments de moules, qui illustrent l’activité des coroplathes apolloniates (secteur 8a et 8c); l’un de ses moules porte à l’arrière inscription [...] KEOS. F. Q. SPIOX - 240 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Apollonia d’illyrie Chronique La céramique romaine Les sondages effectués dans la ville haute ont naturellement mis au jour du matériel céramique d’époque romaine. Moins abondant que la céramique plus ancienne découverte dans les mêmes sondages, ce matériel doit être étudié avec attention, car la céramique d’époque romaine, à Apollonia comme ailleurs en Illyrie méridionale, n’a jamais été découverte dans un contexte stratigraphique fiable. Des études précédentes ont été consacrées aux amphores de transport, mais les autres catégories de céramique ont été négligées. Dans la publication à venir, notre objectif est de combler cette lacune en fournissant des types de référence pour d’autres sites, mais aussi, ce qui est plus important, de compléter nos connaissances sur la céramique romaine à Apollonia. Dans ce rapport préliminaire nous exposons un premier état de la recherche sur la céramique romaine, à l’exception des amphores qui seront étudiées par V. Bereti. Contexte de découverte et chronologie La meilleure séquence stratigraphique riche en matériel d’époque romaine est l’US 422 du sondage 4. Il s’agit en effet d’une couche argileuse jaunâtre où abondent fragments de sigillée arétine du Ier siècle ap. J.-C., de pseudo-sigillée, ainsi que de céramique commune et de cuisine. Cette couche n’est pas clairement associée aux vestiges d’une construction, le sondage étant situé au pied de la colline 104; il s’agirait plutôt de matériels provenant du sommet ou des pentes de la colline. Quoi qu’il en soit, le contexte est chronologiquement sûr et cohérent. Le matériel provenant des autres sondages est souvent mélangé à de la céramique hellénistique tardive (secteurs 1 US 445; 1B US 456; 2 US 411 et 439; 5 US 574; 13 US 634). Ce matériel, en contexte stratigraphique peu homogène, appartient aux IIe-Ier siècles avant J.-C. Néanmoins, ces couches sont fondamentales puisqu’elles offrent l’exemple d’une coexistence des formes hellénistiques avec les nouvelles formes de céramique introduites par les Romains. Ces unités stratigraphiques correspondent le plus souvent à des niveaux de circulation, à des remblais ainsi qu’à des couches de destruction. Les catégories de céramique romaine sont les suivantes : les sigillées, les pseudo-sigillées, la céramique commune et la céramique de cuisine. En ce qui concerne la céramique sigillée, bien que l’on sache qu’elle fût introduite très tôt à Apollonia, elle est très peu attestée dans les fouilles de 2006-2008 (sauf dans Fig. 19 – Apollonia. Bol en sigillée italique. l’US 422), comme dans les travaux plus anciens. La sigillée italique est la plus présente (fig. 19). À peu près dans les mêmes proportions que la sigillée, on relève de nombreux tessons de pseudo-sigillée. Souvent, on estime que cette céramique est une production locale, puisqu’elle ne peut être attribuée aux grands sites de production de l’est ou de l’ouest. Sa production commence à la fin du IIe siècle av. J.-C. et se poursuit parallèlement à celle des sigillées italiques et provinciales jusqu’au Haut-Empire. Les pseudo-sigillées imitent presque toutes les formes des sigillées, mais l’argile et la peinture ne sont pas de bonne qualité (fig. 20). Les formes les plus représentées dans la céramique pseudo-sigillée sont les plats et les coupes. Il est important de noter que les sigillées et les pseudo-sigillées ne remplacent pas immédiatement la céramique à vernis noir, puisqu’aux IIe et Ier siècles av. J.-C. les deux Fig. 20 – Apollonia. Pseudo-sigillée. SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 241 coexistent, par exemple dans l’US 421 du secteur 4, ou dans l’US 610 du secteur 13. En ce qui concerne les autres catégories, la céramique commune et la céramique culinaire sont les catégories qui constituent la plus grande quantité de matériel provenant des sondages et qui présentent aussi la plus grande multiplicité de formes : principalement des cruches, casseroles, bols, plats, lampes, unguentarii, etc. (fig. 21), le plus souvent sans décor. Notons la fréquente application de bitume à l’intérieur de ces vases, bien observable par exemple dans l’US 422 du secteur 4 (pour l’exploitation régionale du bitume, cf. entre autres témoignages, celui de Poseidonios, chez Strabon, VII, 5, 8, C 316). Malgré l’absence d’études systématiques de ces céramiques de table et de cuisine dans la région, on suppose qu’il s’agissait principalement d’une production locale. Cette supposition est fondée sur le fait que le catalogue des formes reste le même à Apollonia depuis la fondation de la cité jusqu’à la fin de l’époque impériale (voir Bereti et alii 2007, p. 140). La chronologie de la céramique romaine provenant des sondages 2006-2008 commence avec au IIe siècle av. J.-C., et s’interrompt nettement au Ier siècle ap. J.C. Reste à déterminer si cette interruption correspond à un abandon du secteur de l’agora au Ier siècle ap. J.-C., avant la construction au IIe siècle d’un nouvel espace public au sud-ouest de la colline 104, appelé conventionnellement «centre monumental»; une autre hypothèse est envisageable, plus prosaïque : cette situation pourrait être due aux travaux réalisés par les militaires qui occupaient tout récemment encore le secteur. L’étude de la céramique romaine provenant des sondages topographiques et stratigraphiques de 20062008 permettra de mieux connaître les conditions de l’introduction et de l’utilisation de cette vaisselle dans le contexte apolloniate, tout en établissant, grâce à sa pertinence stratigraphique, un ensemble de référence pour d’autres sites de la région. Nous serons aussi amenés à reconsidérer certains aspects importants, Fig. 21 – Apollonia. Bol de céramique commune. comme le passage de la céramique hellénistique à vernis noir à la sigillée, ainsi que la distinction entre les productions locales et les importations. La nouvelle convention a pris effet en janvier 2009; elle prévoit, entre autres programmes, de lancer la fouille et le projet de présentation au public du grand portique et de son environnement archéologique. Cette fouille sur l’agora de la ville haute n’a pu être commencée cet été, en raison de l’urgence que représentait la préparation de la publication des prospections géophysiques et des sondages topographiques et stratigraphiques dans la ville haute. L’un des nombreux intérêts de ces études du matériel issu des sondages est la richesse archéologique et la diversité fonctionnelle des contextes stratigraphiques et topographiques. Des assemblages céramiques comme le service de banquet de l’époque classique découvert dans le quartier du rempart, ou peut-être le grand cratère corinthien du secteur 11 (cf. MEFRA 121-1, 2009, fig. 12, p. 266), les éléments d’architecture monumentale à décor végétal mais aussi figuré, documentent la vocation publique de ce secteur de la ville d’Apollonia. Parallèlement, l’équipement architectural et céramique de l’habitat n’a jamais fait l’objet à Apollonia d’une enquête aussi vaste, de la fondation de la colonie à l’époque romaine. Cette enquête devrait favoriser à l’avenir une archéologie historique des espaces urbains dans la ville haute, mais aussi sur l’ensemble du site. S. SH. 2. Les sondages dans le secteur G Cinq sondages ont ensuite été ouverts (SG1 à SG5 sur le plan de la fig. 22). Seul le sondage 4 s’est avéré négatif, sans doute parce qu’il n’est pas arrivé à une cote suffisamment basse. Le sondage 1 dans le carré 2930-2940/740-750 avait pour objectif de compléter le plan de la maison romaine SPIOX - 242 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Apollonia d’illyrie Chronique Fig. 22 – Apollonia. Plan du secteur G avec emplacement des sondages. dite à impluvium, dont toute la partie occidentale est manquante. L’assise de fondation du mur intérieur du péristyle sud a pu être dégagée (US 1005), et a abouti à une pièce, située à un niveau légèrement inférieur, dont a été dégagé l’angle nord-est (US 1015), parfaitement intégrée à l’édifice romain, mais dont le module des briques et le matériel récupéré dans les tranchées de fondation (US 1028) prouvent qu’elle appartient à la phase d’époque hellénistique. On a là une information très importante, qui prouve que l’habitat d’époque impériale a parfaitement respecté le schéma d’urba- nisme de l’époque précédente, et qu’il se présente non pas comme une phase de reconstruction, mais comme une phase de reprise et d’agrandissement des habitations d’époque hellénistique. L’étude stratigraphique des parois du sondage a permis d’établir que cette pièce d’époque hellénistique n’avait pas été atteinte par les fouilles albano-soviétiques. En effet le remblai de ces fouilles, US 1022, n’entame pas la couche de destruction des murs (US 2003). Le sol vierge n’a pu être atteint dans le sondage, pour des raisons de sécurité, car la profondeur atteinte dépasse déjà les 2 m et les poussées SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 243 du terrain d’est en ouest sont très fortes (cf. déformation du mur est de la pièce). Cela confirme l’organisation en terrasse de l’habitat. La présence au fond du sondage d’un amas de blocs de grès (US 1037) dont une assise semble repartir dans la berme nord, atteste une phase précédente peut-être d’époque classique. Aucun tesson d’époque archaïque n’a été recueilli dans ce sondage. A noter que le sol correspondant à cette pièce n’a pu être identifié ce qui est assez surprenant; la fouille a permis d’identifier un sol en cailloutis (US 1004) mais très sporadique, conservé en partie le long du mur nord de la pièce. Deux couches, US 1022 et 2026, situé sous ces lambeaux de cailloutis viennent s’appuyer sur les murs des pièces. Le sondage 2, situé le long du mur nord (US 1001) de la maison à impluvium dans les carrés 2950-2960/ 750-760, a permis de dégager un grand caniveau à ciel ouvert (US 1016), en U, construit à l’époque hellénistique, mais qui continue à être utilisé pendant toute la période romaine (fig. 23). Il a toutefois été abandonné à une époque qui reste à déterminer, vraisemblablement Fig. 23 – Apollonia. Le caniveau 1016 dans le sondage 2. au moment de la destruction des habitations dans le courant du IVe siècle ap. J.-C. À l’intérieur du caniveau on a pu en effet identifier deux couches différentes : l’une de terre grise très riche en matériel d’époque romaine (US 1012), au contact avec le fond du caniveau, et au-dessus une couche de destruction avec de très nombreux fragments d’enduits peints, et de briques (US 1006). Le caniveau qui suit la pente naturelle de la colline a été dégagé sur une longueur de 3,90 m et présente un dénivelé de 1,18 m, soit une pente de plus de 30% (la partie la plus haute du fond du canal à l’est se situe à 59,13 m au-dessus du niveau de la mer). Le fond, 76 cm de large, est constitué par deux rangées de briques disposées sur au moins deux assises. Le bord méridional est lui aussi formé de briques de mêmes dimensions qui s’appuient obliquement sur le parement externe du mur 1001 ce qui lui donne une section évasée; ainsi la largeur du canal dans sa partie supérieure atteint en moyenne 1,15 m Les dimensions des briques s’établissent autour d’une moyenne de 37 × 37 cm (= module d’époque hellénistique à Apollonia) lorsqu’elles sont carrées, et de 37 × 45 lorsqu’elles sont rectangulaires Par contre le bord nord (US 1035) semble être un mur autonome pouvant appartenir à une autre maison; il est très détruit, n’étant conservé que sur 8 assises dans la partie la mieux conservée. Il s’accroche par un petit mur de refend au sol géologique (conglomérat) qui remonte très haut à cet endroit de la pente; c’est ce même sol géologique que l’on peut observer sur la partie haute du mur oriental de la maison. Cela explique que l’on n’ait pas retrouvé de sol en contact avec le parement interne de ce mur qui disparaît à l’extrémité est du sondage, mais on peut en observer la trace négative dans la section. Sa destruction correspond à l’US 1006. L’intérêt des résultats de ce sondage est double. D’abord il fournit un élément important pour l’organisation urbanistique de cette partie de la ville, en pente, où l’évacuation des eaux de ruissellement est un problème crucial. La datation de sa construction, à l’époque hellénistique, confirme les observations précédentes : l’habitat d’époque romaine respecte scrupuleusement les orientations et les infrastructures de la période précédente. D’autre part, le matériel très abondant retrouvé sur le fond du caniveau, et scellé par la couche de destruction et d’abandon qui le recouvre, permettra d’établir une typologie complète du matériel domestique d’époque romaine impériale d’Apollonia. Le sondage 3 le plus grand par son extension (27m2), est situé au bas de la pente, en contrebas des SPIOX - 244 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Apollonia d’illyrie Chronique déblais de fouilles de la période albano-soviétique (carrés 2930-2940/760-780) Il a été ouvert en raison d’un gros bloc qui affleurait à la surface à l’issue du débroussaillage. Il a permis de libérer sur environ 7 m la façade d’un bâtiment (US 1008), dont la base est constituée de blocs en grès, et l’élévation de briques (fig. 24). Elle se situe à 52,60 m au-dessus du niveau de la mer. D’orientation nord-est/sud-ouest, la ligne de cette façade est parfaitement parallèle aux murs de même direction de la maison à impluvium. À l’extrémité nord qui est la mieux conservée, on a pu mettre au jour la première assise de fondation, les orthostates (4 blocs dégagés) et sept assises d’élévation en brique. À l’autre extrémité l’angle a été dégagé et le mur de retour sud (US 1044) présente une base avec un bel appareillage à bossage et ciselure d’encadrement. Un mur de refend a également été dégagé (US 1033) qui crée avec le mur de retour d’angle une pièce de 1,80 m de large; ce mur comme les autres présente une base en blocs de grès et une élévation en brique; il a été en grande partie détruit par un obus dont on retrouvé l’ogive éclatée encore fichée dans les briques qui sous l’effet de la chaleur et du choc, se sont réduites en poudre mais en restant en place. La découverte la plus importante reste la présence d’un grand caniveau souterrain, US 1017, passant sous le seuil du bâtiment, et qui a été dégagé sur 1,80 m vers l’ouest; d’une largeur variant entre 62 et 70 cm, son fond, constitué d’un sol de galets, qui a été atteint à l’issue de la campagne, s’enfonce à plus de 2 m au-dessous du niveau de sol. Les parois latérales présentent plusieurs phases de construction, correspondant sans doute à des réfections après destruction, qui Fig. 24 – Apollonia. L’édifice du sondage 3. mêlent l’emploi de gros blocs de grès et de briques. Les dalles de couverture ont toutes disparu, à l’exception du seuil du bâtiment. Le matériel récupéré à l’intérieur est très abondant; on a déjà pu identifier une monnaie en bronze de l’époque de Dioclétien. Il faut souligner que ce caniveau est en parfait alignement avec le caniveau à ciel ouvert du sondage 2. On a donc là un élément de continuité tout à fait intéressant qu’il conviendra d’exploiter lors de la prochaine campagne. Pour l’instant le vidage de ce caniveau a permis d’identifier trois couches successives : la couche supérieure au contact avec le seuil du bâtiment (US 1011), est constituée d’une terre fine et noire; elle recouvre une couche plus argileuse et compacte, avec des charbons de bois (US 1025), qui couvre elle-même une couche sableuse avec beaucoup d’éléments de destruction (US 1040). Enfin, plusieurs éléments d’époque tardive ont pu être identifiées dans ce sondage : d’abord à l’extrémité nord, le creusement d’une fosse circulaire au fond de laquelle a été retrouvée une cruche médiévale (US 1045), et qui a entaillé une grande partie de l’élévation en brique du mur 1008; ensuite un embryon de mur très détruit (US 1046) situé au-dessus du mur 1033 près de la berme orientale (fig. 8), un alignement de fragments de blocs de grès en remploi (US 1032), parallèle au mur 1033, mais situé à une cote beaucoup plus haute (ce mur a été déposé après photographie et relevé); enfin à moins de 20 cm du mur de façade sud, un ensemble constitué d’un mur en dalles de grès (US 1048) et, à l’arrière, un mur en briques (US 1047) dont la première assise est très endommagée. L’aspect tardif de ce dernier ensemble se justifie par le fait qu’il masque totalement la façade sud du bâtiment 1008, ce SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 245 qui suppose qui lui est postérieur. Par contre il respecte l’orientation générale des bâtiments précédents. À l’intérieur du bâtiment, la fouille s’est contentée de décaper les couches jusqu’à la libération des assises des murs 1033 et 1044. Sous l’humus de surface, toute la surface présente une couche de destruction (US 1009), qui déborde également à l’extérieur du bâtiment (US 1010); on rencontre ensuite une couche d’occupation de nature argileuse et de couleur marron, US 1036. Un sondage a cependant été effectué sur la moitié nord de l’espace compris entre les murs 1033 et 1044; il a permis d’identifier une couche de terre grise cendreuse, US 1050, située sous l’US 1009 et qui couvre une couche argileuse compacte US 1034 qui devrait être la même que la 1036. Le sondage 4 (carrés 2940-2050/780-790) n’a malheureusement donné aucun résultat, malgré la présence d’un bloc erratique situé sur son bord méridional. Le sondage 5, le plus au nord (carrés 2950-2960/ 790-800) a permis de dégager sur la moitié ouest du sondage un sol dense en cailloutis (US 1043) qui pourrait être celui d’une rue Il faudra élargir le sondage pour déterminer les dimensions et surtout l’orientation de cette rue si c’en est une. J.-L. L. 3. La restauration de la mosaïque de la maison romaine (fig. 25) La maison a été découverte lors des fouilles albanosoviétiques dirigées par les professeurs V. Bllavatski et S. Islami. Seuls trois des quatre couloirs ont été découverts entre les années 1958-60. Leurs mosaïques, datées du IIe siècle ap. J.-C., ont été restaurées pour la dernière fois en 1983; depuis, les seules opérations de conservation ont consisté à les aérer et à changer le plastique de protection. Cette année, à cause du manque de temps et de fonds, les opérations se sont concentrées sur l’aile sud, sous la conduite d’Agron Islami, responsable du département des mosaïques à l’Institut des Monuments de Tirana, avec Admir Xhelaj. Après retrait et tamisage Fig. 25 – Apollonia. La mosaïque de la maison à impluvium. de la couche de sable, qui a permis de récupéré quelques tesselles, on a procédé au nettoyage au scalpel du pavement envahi par de nombreuses racines. La surface a été ensuite lavée avec de l’eau et du dissolvant (solution Twin à 3%). Ensuite a commencé la pose des tesselles manquantes. Dès les premiers mètres carrés découverts, on a vu que la mosaïque avait besoin d’interventions urgentes pour la consolidation et la conservation de la surface décorée, si on voulait ensuite envisager la possibilité de laisser ouvert au moins une partie de ce pavement. Plusieurs pathologies ont pu être observées : 1. Fracture du radier, plus considérable dans la partie sud, nord et ouest. SPIOX - 246 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) La nécropole celto-étrusque de monterenzio vecchia Chronique 2. Dégradation du mortier avec de nombreuses lacunes. 3. Présence d’incrustations et intrusion de la végétation. 4. Les murs qui longent le couloir sont endommagés et des briques se sont détachées. 5. Beaucoup de tesselles se sont détachées de leur support. Plusieurs échantillons de mortier ont été testés pour retrouver la composition, la consistance et la couleur du matériau d’origine. Les murs qui entourent le couloir ont été renforcés. On a essayé de trouver une solution pour que les eaux de la pluie puissent sortir du couloir. On a enlevé le mortier des anciennes lacunes pour le remplacer. Enfin les tesselles détachées ont été remises en place. Un projet sera présenté l’an prochain par l’Institut des Monuments de Tirana pour permettre de laisser les mosaïques visibles aux visiteurs, ce qui suppose l’aménagement d’une protection adaptée. J.-L. L. Faik DRINI (IAA), Jean-Luc LAMBOLEY (UMR 5189), Philippe LENHARDT (INRAP), François QUANTIN, Stéphane VERGER (EFA-EFR), Vasil BERETI, Saïmir SHPUZA, Altin SKENDERAJ (IAA), A. ISLAMI (Institut des Monuments de Tirana) MONTERENZIO (PROV. DE BOLOGNE). LA NÉCROPOLE CELTO-ÉTRUSQUE DE MONTERENZIO VECCHIA : PRATIQUES ALIMENTAIRES ET CONSOMMATION CÉRÉMONIELLE Université de Bologne, École normale supérieure (Ulm)-Umr 8546 du CNRS, École française de Rome La quarantaine de tombes fouillées entre 2000 et 2005, auxquelles il faut ajouter les restes plus ou moins bien conservés d’une demi-douzaine de sépultures supplémentaires récupérés en 1988, donne une idée significative des rituels funéraires d’un de ces ensembles de l’Apennin bolonais, à l’origine certainement plus important. La partie conservée s’inscrit dans une brève période couvrant la fin du IVe et le début IIIe siècle avant J.-C. Les données archéologiques des territoires cispadans, boïens et sénons, témoignent pour cette période d’un bien-être matériel qui se traduit notamment par une influence marquée des modes méditerranéennes. Le complexe archéologique de Monterenzio Vecchia, situé sur le tracé de la Flaminia minor, une des principales voies de communication antiques reliant la région padane à l’Etrurie interne, domine les vallées de l’Idice à l’ouest et du Sillaro à l’est. Il fait face à l’ensemble voisin du Monte Bibele, également connu pour son importante nécropole celto-étrusque. Installée sur le flanc sud- occidental de la colline, la nécropole de Monterenzio jouxte un habitat étrusque plus ancien dont on commence à deviner l’importance. Pour une visite détaillée du site et un aperçu de ces principales caractéristiques, on se reportera aux précédents comptesrendus. Rappelons pour mémoire que ce cimetière mêle des enfants, en particuliers des enfants morts en bas-âge, aux adultes des deux sexes. Il faut aussi insister sur l’importance de la composante guerrière (40% des individus adultes). C’est dans le domaine très particulier de la guerre que l’élément nord-alpin est le plus remarquable. Pour le reste, la référence est presque exclusivement étrusque et italique, comme nous allons le voir avec l’exemple du banquet. Tandis que les objets personnels du défunt (parure, vêtements et instruments de toilette, ces derniers étant le plus souvent rangés dans un vase, posé au pied ou le long de la jambe droite) et les attributs qui le désignent comme être social (armes, miroirs, quenouilles et fusaïoles) sont placés au plus près du corps, les objets destinés à l’accompagner et à assurer son passage vers l’au-delà sont rassemblés sur le côté et parfaitement individualisés. On trouve là des récipients, en céramique ou en métal, des ustensiles en fer ou en bronze et des restes osseux, que l’on peut mettre en relation avec le cérémonial du banquet. Le service de table ordinaire d’un adulte comprend deux ou trois plats à pied, deux à quatre grandes coupes d’une quinzaine de centimètres de diamètre, deux ou trois coupes de taille moyenne, d’une dizaine de centi- SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 247 mètres de diamètre, une ou deux coupelles ainsi qu’un grand contenant, en général un vase ovoïde avec ou sans anses (olla), plus rarement un cratère ou une situle. Si la duplication des formes céramiques est la norme, le triplement est plus exceptionnel et limité aux ensembles les plus riches. À ce répertoire, il faut ajouter une coupe à boire bi-ansée, une kylix pour les hommes, un skyphos pour les femmes. Les cas d’inversion sont rares (tombes 21 et 22, il n’est pas inopportun de souligner dans ce cas la proximité des deux tombes et la faiblesse numérique de leur vaisselier, respectivement onze et neuf vases, comparé à la quinzaine d’exemplaires qui caractérise la plupart des contextes; par la quantité de pièces, le service de table de ces sépultures est plus conforme à celui rencontré dans les tombes d’enfants qui intègrent ce rituel) et leur association davantage encore (tombe 5). Ces vases, toujours uniques et sexuellement discriminants, sont complétés dans un tiers des tombes par des coupes à pied sans anse (jusqu’à trois exemplaires). Le service à boisson comprend aussi dans quelques cas une cruche, un canthare ou un gobelet à puiser en terrecuite dont la fonction paraît analogue à celle des kyathoi en bronze, à la différence toutefois que ces derniers, lorsqu’ils sont attestés, sont documentés par quatre ou même cinq spécimens de différents modules. Une passoire en bronze, référence implicite à la préparation du vin, complète parfois le service à boisson (tombes 3, 5 et 36). La râpe à fromage, également utilisée pour aromatiser le vin dans les contextes étrusques plus anciens, n’apparaît ici que sous la forme de résidus. On ne saurait donc, dans ce cas, comparer cet ustensile aux autres accessoires culinaires, qui sont toujours complets. Si la râpe métallique n’est pas autrement attestée, nous trouvons en revanche des mortiers qui ont pu jouer un rôle plus ou moins équivalent. Ces vases à fond granuleux, qui paraissent avoir été l’apanage des hommes, devaient remplir une fonction bien précise. Ces vases, limités à une unique pièce par tombe, ne sont jamais séparés du service de table. On peut donc penser dans ce cas à une utilisation pour la préparation de mets ou de breuvages réservés aux seuls individus de sexe masculin. Enfin, il faut signaler la présence avec le service de table de gobelets d’un genre particulier qui se distinguent des autres vases déposés dans les tombes par une pâte exclusivement grossière. Déposés par paire, ces récipients, au fond souvent perforé, présentent des traces de brûlé et sont fréquemment et volontairement brisés au moment du dépôt. Leur aspect fruste est une constante qui répond très certainement aux impératifs du rituel. Bien qu’associés aux ustensiles de table, tout usage alimentaire paraît exclu. Il nous semble préférable de les inter- préter comme des accessoires utilisés, dans le cadre du rituel funéraire, en marge du banquet. Des analyses permettront peut-être de préciser leur fonction et de valider l’hypothèse de vases brûle-parfum, précédemment avancée. Les broches et couteaux à viande, rares, sont attestés dans trois contextes seulement, tous masculins (tombes 8, 15 et 36). Dans la dernière tombe, broches et couteaux étaient associés à une paire de chenets, les seuls documentés dans toute la nécropole (fig. 26). Au-delà des ustensiles et contenants qui garnissent la tombe, il nous faut imaginer la nature des contenus et leur utilisation dans le rituel funéraire. Il s’agit de boissons (du vin comme le laissent deviner certains ustensiles comme la passoire et la kylix, mais pas uniquement) et d’aliments solides. Des offrandes végétales (les analyses archéobotaniques donnent, pour l’habitat de Monte Bibele, un aperçu des denrées végétales produites et consommées à cette époque, dans la région) nous ne savons rien puisqu’il n’a été trouvé ni graines, ni noyaux, ni résidus d’aucune sorte. Les offrandes carnées ne sont repérables que dans la mesure où elles sont associées à des restes osseux. Des pièces désossées pouvaient également participer de cette mise en scène, mais il n’en subsiste aucune trace, seule le dépôt de broches permet d’envisager la présence de tels morceaux. Les ossements animaux, documentés dans plus des deux tiers des cas, démontrent la matérialité de ces denrées. Font exception la plupart des contextes infantiles et deux tombes d’adultes (la tombe 21 qui dispose d’un service de table réduit, et la tombe 28 où l’on ne trouve ni vase ni ossement animaux). Les parties osseuses conservées indiquent qu’il s’agit dans tous les cas de porcs, l’animal qui entre dans plus de 50% de l’alimentation carnée de l’habitat de Monte Bibele. Il s’agit d’animaux immatures ou de jeunes adultes. Le choix des morceaux, également standardisé, se limite à des plats de côtes qui sont prélevés entre la V-VIIe et XIVe vertèbres, avec ou sans les vertèbres correspondantes. Des traces de découpes sont visibles sur la plupart des côtes recueillies. La localisation et la forme des entailles indiquent pour la préparation des morceaux des pratiques de boucherie parfaitement réglées (fig. 27). Le thorax et la colonne vertébrale sont sectionnés longitudinalement. Les deux moitiés étaient ensuite divisées en portions plus petites, avec les parties de vertèbres attenantes (les processus épineux) ou en les séparant, après avoir taillé les têtes articulaires des côtes. La pièce de viande était ensuite brisée et peut-être repliée comme l’indiquent les entailles visibles sur la partie médiane de la face ventrale et les traces de fracture observées en vis SPIOX - 248 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) La nécropole celto-étrusque de monterenzio vecchia Chronique Fig. 26 – Monterenzio Vecchia, tombe 36, candélabre et ustensiles pour la préparation et la cuisson des viandes (broche, couteau et chenet) (T. Lejars del.). à vis sur la face externe. L’expérimentation pratiquée sur des animaux actuels a montré, avec des traces de découpe et des fractures comparables à celles observées ici, qu’une telle pratique correspond à un mode opératoire bien déterminé. L’objectif n’était pas la découpe nette des côtes en deux parties, mais l’affaiblissement de Fig. 27 – Monterenzio Vecchia, reconstitution anatomique de la cage thoracique des restes de porc déposés dans la tombe 32 (cliché E. Maini). l’arc costal – d’abord les entailles rapprochées, sur la face ventrale, puis la pression exercée sur les extrémités et la fracture de la face externe – de manière à replier les deux parties ainsi obtenues. L’absence de trace de décharnement, le fait que ces côtes constituent parfois des ensembles de trois ou quatre pièces maintenus en position anatomique, et que la plupart sont dépourvus de leurs articulations, démontrent qu’il s’agissait de pièces de viande à part entière, analogues à celles consommées dans la vie quotidienne. Ces morceaux, pour n’être pas les meilleurs, n’en était pas moins de bonne qualité. On peut également se demander si la viande a été déposée dans la tombe encore crue ou si elle a été cuisinée, bouillie ou rôtie, avant le démembrement de l’animal. Des indices de cuisson, même limités, peuvent être retenus si l’on tient pour pertinent le noircissement des surfaces visibles sur quelques os. Les morceaux ainsi préparés étaient déposés en quantité variable, de deux à six pièces par tombe, et placés sur des vases ouverts, des coupes principalement et des plats (fig. 28). La répartition des ossements indiquent qu’ils dépassaient souvent les limites du vase. SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 249 immédiat (fig. 29 et 30). On note enfin, au sein de ces amas, des vides qui trahissent la présence d’objets en matériaux périssables (par exemple, tombe 12). Dans la tombe 7, le service de table et les offrandes alimentaires étaient déposés sur une table rectangulaire Fig. 28 – Monterenzio Vecchia, tombe 20. Distribution des restes osseux animaux à l’intérieur des contenants en céramique, détail (cliché T. Lejars). Dans d’autres cas, ils paraissent avoir été déposés directement sur le sol ou plus probablement sur des supports organiques (plat, écuelle, assiette, etc.) qui ont depuis disparu sans laisser d’autres traces que leur contenu. Les éléments constitutifs du service de table (vaisselle, ustensiles et nourriture carnée) sont présents dans la plupart des tombes, à l’exception d’une partie des individus les plus jeunes et d’un adulte. Il est remarquable que les enfants des tombes 24, 25 et 33, âgés de 3/5 ans, aient reçu les mêmes honneurs que leurs aînés. Le guerrier incinéré de la tombe 28, complètement atypique dans ce contexte, se distingue quant à lui par une absence de vases et d’ossements animaux, alors que sa sépulture s’intègre parfaitement dans l’organisation du cimetière. Cette anomalie peut s’expliquer de bien des manières. On peut avancer, parmi diverses hypothèses, une origine exogène de ce guerrier ou encore des conditions de décès particulières, qui ont conduit à modifier les règles et la pratique funéraire. Partout ailleurs, la vaisselle et les restes alimentaires sont présents et ont été déposés ensemble à la droite du défunt, à la hauteur de la tête ou du thorax. Les vases, serrés les uns contre les autres, le plus souvent à plat, parfois inclinés ou couchés, parfois renversés, suggèrent qu’ils avaient été placés sur un support en matériau organique, sorte de table basse. L’espace circonscrit dessine dans plusieurs cas un tracé nettement quadrangulaire (de 60 sur 80 cm pour la tombe 12). Les récipients les plus volumineux (cratère, situle et olla) ont souvent été brisés et écrasés consécutivement à l’effondrement de la couverture du caveau (tombes 3, 5, 14 et 36). Les ossements animaux sont posés pour partie sur les vases, en particulier les formes basses ouvertes, pour partie sur le sol, mêlés aux vases ou dans leur voisinage Fig. 29 – Monterenzio Vecchia, tombe 22. Distribution des restes osseux animaux et des contenants en céramique, détail (cliché T. Lejars). Fig. 30 – Monterenzio Vecchia, tombe 7. Plan de répartition des vases et offrandes alimentaire (bleu : olla, skyphos et canthare, rouge : coupes, vert : coupelles, orange : plat à pied, marron : gobelets; M. della Casa del.). SPIOX - 250 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) La nécropole celto-étrusque de monterenzio vecchia Chronique d’environ 50 cm sur 90, placée à la droite du défunt (fig. 30). La disposition des vases ne doit rien au hasard. Le service est divisé en deux groupes symétriques disposés de part et d’autre d’un canthare à vernis noir. Les côtelettes de porc placées sur la table respectent cette partition de l’espace. Les grands contenants (vin ou eau?), décalés vers le Nord, paraissent quant à eux directement posés sur le sol. L’ensemble était complété au Sud par un candélabre avec pied et fût en bois et porte-chandelles en fer. Chandeliers et brûle-parfums participaient de cette ambiance festive comme l’indiquent les représentations figurées sur les monuments étrusques contemporains. Situé à l’écart, sur le côté Ouest, un vase à parfum (amphorisque en céramique à vernis noir), complétait le mobilier. Ce souci de la mise en scène du mobilier déposé est fréquent. Dans un autre genre, on peut signaler l’olla de la tombe 1 qui, placée au centre du dispositif, supportait un canthare étrusque, posé à l’envers, que recouvrait un casque, à la manière de certains vases cinéraires d’époque villanovienne. Une telle mise en scène n’est pas sans rappeler les représentations de banquets, peintes sur les parois de la tombe Golini I à Orvieto, datée du milieu du IVe siècle av. J.-C. et contemporaine des tombes les plus anciennes de Monterenzio Vecchia. On découvre là, près de grands chandeliers et des brûle-parfums, des tables chargées de boissons et de victuailles présentées dans des récipients qui ne sont pas très différents des nôtres. L’analogie, toute proportion gardée, est saisissante. Si la duplication du service de table caractérise de la même manière les ensembles funéraires de Monte Bibele (deux gobelets, deux plats, deux grandes coupes, deux coupes de taille moyenne et parfois deux plus petites), le triplement de certaines formes (plats à pied, grandes coupes à vernis noir surtout, coupes moyennes, coupes à pieds) est plus fréquent à Monterenzio Vecchia. A Bologne, la situation est sensiblement différente, puisque si l’on trouve effectivement dans les sépultures de la phase celtique de la vaisselle en bronze étrusque et certains accessoires du cérémonial du banquet, la part de la céramique paraît plus ténue et le service de table, lorsqu’il est attesté, se limite généralement à un seul convive. Dans les ensembles funéraires de la basse vallée du Reno (Marzabotto et Casalecchio di Reno), pour se limiter au domaine des Boïens, le rituel très différent exclut aussi bien les objets que les usages et concepts d’origine étrusco-italique. Par leur aspect et la sobriété de leur mobilier, ces sépultures sont similaires à celles des régions transalpines. Les groupes inhumés dans les cimetières de Monterenzio Vecchia et Monte Bibele, bien qu’appartenant à la zone d’influence boïenne, présentent de ce point de vue davantage d’affinités avec leurs homologues Sénons qui furent incontestablement, parmi les Celtes établis dans la péninsule, les plus ouverts aux influences méridionales. La signification de ces offrandes alimentaires est plus difficile à cerner. On peut supposer que les objets utilisés au cours du rituel et laissés dans la tombe, étaient indissolublement liés au mort, et peut-être même lui appartenaient-ils au même titre que les effets personnels (comme le couteau à découper les viandes, etc.). La présence de services avec des vases destinés à plusieurs participants (deux ou trois suivant les cas) permet toutefois d’écarter l’idée d’un simple viatique réservé au seul défunt pour son voyage dans l’au-delà (suggéré par la présence fréquente dans la main droite d’un fragment métallique, désigné comme aes rude). La référence au banquet avait indéniablement une valeur sociale et marque un moment important pour la communauté des vivants – il s’agit de groupes élitaires qui fondent leur pouvoir sur la puissance guerrière – qui se retrouve et rend un hommage au disparu. Cet hommage ne s’arrête pas là puisque l’on a retrouvé en surface de plusieurs tombes des concentrations d’ossements animaux et de vases brisés, qui indiquent que l’on ne manquait pas de revenir sur la tombe pour quelque célébration (repas d’anniversaire, etc.). Si les céramiques peintes, les vases à vernis noir ou encore les récipients et ustensiles métalliques nous invitent à regarder du côté de l’Étrurie tyrrhénienne, nous savons que la pratique du banquet funèbre était partagée par la plupart des peuples italiques. De fait, on reconnait dans le rituel mis en œuvre à Monterenzio Vecchia, comme à Monte Bibele, des traits singuliers qui trouvent davantage d’analogie chez les Ombriens que chez les Étrusques. Cela n’a rien de surprenant si l’on considère la position géographique des groupes de l’Idice, en limite des territoires émiliens et romagnols, et la présence de populations ombriennes à l’Est du Sillaro (par exemple, à Montericco, près d’Imola). On trouve dans les ensembles funéraires ombriens, comme à Monterenzio, les mêmes gobelets en céramique grossière, alors qu’ils paraissent absents des contextes funéraires étrusques padans. Il en va de même de la présence du mortier en contexte masculin ou de l’usage préférentiel de vase à boire comme la kylix ou le skyphos (Montericco, Colfiorito di Foligno, etc.). Ces remarques, suscitées par l’étude du service de table et des accessoires qui l’accompagnent, montrent l’importance et le poids des composantes étrusques et ombriennes, à partir du début du IVe siècle av. J.-C., SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 251 dans le processus de construction des nouvelles communautés qui résultent d’apports multiples, d’interactions et de fusions. L’analyse des nécropoles boïennes, de Bologne, de la vallée du Reno et de l’Idice, montre également que ce processus n’est pas uniforme et que les Celtes ne furent pas tous, loin s’en faut, aussi réceptifs aux modes et coutumes des populations indigènes. Melissa DELLA CASA (Université de Bologne), Thierry LEJARS (CNRS-Umr8546, ENS, Paris), Elena MAINI (Université de Bologne), Venturino NALDI (Musée archéologique de Monterenzio) et Daniele VITALI (Université de Bologne) LES SITES DE HAUTEUR DES VESTINS : ÉTUDE DE L’ORGANISATION TERRITORIALE D’UN PEUPLE DE L’ITALIE PRÉROMAINE École française de Rome, Soprintendenza per i Beni archeologici dell’Abruzzo, Université de Picardie-Jules Verne La 4e campagne d’étude des sites fortifiés et de l’organisation territoriale des Vestins Cismontani et des Péligniens Superaequani s’est déroulée du 5 au 31 juillet 2009, en collaboration avec le Vincenzo d’Ercole (Soprintendenza per i Beni archeologici dell’Abruzzo). Comme les années précédentes, nous avons profité d’une précieuse contribution matérielle de la Comunità Montana Amiternina, dirigée par Giacomo Di Marco. Malgré les circonstances difficiles et la situation d’urgence créée par le séisme du 6 avril 2009, nous avons bénéficié d’un accueil chaleureux de la part de la population du village de Fossa, dont nous avons partagé le quotidien à la tendopoli. Une quinzaine d’étudiants, provenant de diverses Universités françaises et italiennes, a participé à cette campagne 2. À l’issue des trois précédentes campagnes, 36 sites fortifiés ont déjà été étudiés et nous avons dans un premier temps complété nos observations en examinant les quelques centres fortifiés signalés qui n’avaient pas encore été vus. Nous avons également conduit des prospections dans plusieurs secteurs : le massif du Monte Sirente, les versants méridional et septentrional de la plaine de L’Aquila et le pourtour de la vallée de Caspes- 2. Les étudiants qui ont participé à cette campagne 2009 provenaient des Universités Lumière Lyon 2, Lille 3-Charles-deGaulle, Picardie-Jules Verne, Provence, G. D’Annunzio trano, avec une attention particulière pour le territoire de Villa Santa Lucia degli Abruzzi. Nous possédons désormais une carte archéologique à jour, documentant l’occupation des sommets de la région de l’Âge du Bronze final à l’époque médiévale. Enfin, nous avons complété nos observations en réalisant une série de sondages sur le Monte di Cerro (communes de Sant’Eusanio Forconese et Fossa), aussi bien à l’intérieur de la surface enclose que dans le secteur de la porte orientale et de sa rampe d’accès. Les opérations de prospection Nous avons poursuivi l’étude du versant septentrional du massif du Monte Sirente, le long duquel on peut supposer l’existence d’un itinéraire antique reliant le territoire des Èques à ceux des Péligniens et des Marses et passant par le haut-plateau des Rocche, les Prati del Sirente, avant de longer le flanc du Monte Sirente et du Monte San Nicola, pour déboucher sur le Piano di Baullo et la Forca Caruso. Pour documenter la dernière portion de cet itinéraire, nous avons exploré le secteur du Pianoro di Canale jusqu’à Cerreta (commune de Gagliano Aterno). Après avoir passé le Pianoro dell’Acqua (1337 m), dont le fond est occupé par une petite cuvette qui sert d’abreuvoir pour les troupeaux, en parcourant tout le chaînon calcaire qui domine la conque de Castelvecchio Subequo, nous avons découvert un site sur le sommet du Capo della Piaia (1410 m). Au SE, ce sommet est protégé par un fossé, dont la largeur varie de 5,90 à 7,60 m et que l’on peut suivre Chieti, Roma 1-La Sapienza, Marc Bloch-Strasbourg, ainsi que de l’École normale supérieure. SPIOX - 252 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Les sites de hauteur des vestins Chronique sur 44 m de longueur. Au-delà, la cime forme une espèce de «motte» de forme ovale, en surplomb d’environ 8 m par rapport au reste du terrain. Cette «motte» s’étend sur environ 2773 m2 et présente du matériel en surface (67 artéfacts, soit une densité de 0,024 objets / m2) renvoyant à l’époque romaine (céramique à vernis noir et sigillée) et peut-être médiévale. Il semble donc s’agir d’un point d’observation fortifié, occupé à l’époque romaine, en liaison avec l’élevage transhumant et avec l’itinéraire reliant le Pianoro di Canale au col de la Forca Caruso, emprunté par la uia Valeria (fig. 31). Plus au sud, sur le plateau de Cerreta à 1155 m d’altitude, se trouve une enceinte formée d’une simple accumulation de blocs, dont la largeur varie de 3 à 3,55 m, sur les côtés ouest, sud et est. Le versant nord est simplement défendu par l’à-pic de la falaise. L’enceinte, longue de 239 m, ferme une surface de 3733 m2 ; dans la partie orientale, un mur long de 44 m, assez labile, qui plie à angle droit, délimite une surface de 731 m2, distinguant peut-être la partie réservée à l’habitat et celle qui sert à la stabulation. La situation topographique (site appuyé à la falaise), le type de construction de l’enceinte, la présence d’une subdivision interne etc. rappellent fortement la situation des Colli et de Costa Carbone. Il pourrait alors s’agir d’un ensemble de sites destinés à protéger les troupeaux dans le cadre de l’élevage transhumant. Dans la surface enclose et dans les alentours immédiats de la fortification, on a découvert une faible quantité de matériel en surface (céramique d’impasto et à argile dépurée). Nous avons également complété les prospections dans la plaine de L’Aquila, en nous concentrant sur les Fig. 31 – Les sites de hauteur des Vestins. Capo della Piaia, vu du Castiglione (cliché S. Bourdin). alentours du Monte di Cerro et sur l’ubac boisé qui domine le cours de l’Aterno. Ainsi, au-dessus du bourg de Casentino (commune de Sant’Eusanio Forconese), sur un petit sommet (773 m) prolongé par un plateau à 748 m, on a découvert de la céramique à argile dépurée ainsi que des tessons à surface peignée ou portant des traces de glaçure plombifère, qui font penser à un habitat médiéval, peut-être fortifié, dans la mesure où des traces de fossé sont visibles en contrebas. Tout le secteur a été en grande partie épierré, avec la mise en culture de champs clos, la réalisation des maceri caractéristiques de la région et la construction de cabanes et de terrasses de culture en pierres sèches. Toutes les structures médiévales correspondant au matériel de surface ont semble-t-il été systématiquement démontées. Nous avons également exploré l’autre versant de la plaine de L’Aquila, dans les environs du bourg de Pescomaggiore. Dans l’ensemble, nous n’avons noté que quelques traces de fréquentation pastorale : un tesson médiéval sur la pente du Monte La Fronte, un peu de matériel à la cote 1251 et sur le versant oriental du Colle Perno, ainsi que des traces d’activités plus récentes (champ de tir de l’artillerie italienne). Sur l’ensellement entre le Monte La Fronte et le Monte del Prato (1291 m), on a repéré plusieurs tumuli, dont le principal (pillé) a un diamètre de 29,5 m pour une hauteur conservée de 1,65 m. La présence de nécropoles sur des cols est bien documentée dans ce massif et l’on retrouve plus à l’est la nécropole tumulaire de Vallicella, signalée l’année précédente. Trois autres tumuli intacts ont été découverts vers la cote 1361 m, sur le versant occidental du Colle Oragno. Ils sont constitués d’une accumulation de pierres sèches, conservée sur 0,50 à 0,78 m de hauteur, pour un périmètre allant de 19 à 31 m. Cette nécropole se situe encore une fois en position de col et la proximité de l’enceinte de la Croce di Picenze nous conduit à considérer qu’elle en constitue le cimetière. Enfin, nous avons poursuivi l’enquête entreprise l’année précédente, visant à contrôler tous les sommets bordant la vallée de Capestrano, avec une attention particulière pour le territoire de Villa Santa Lucia degli Abruzzi, commune perchée sur un plateau dont le rebord est formé d’un chaînon calcaire à une altitude moyenne de 800 m et qui domine la nécropole de Capo d’Acqua (Capestrano). Ce plateau remonte en pente douce à ses deux extrémités et permet de passer au NO sur le territoire de Castel del Monte et de là au Campo Imperatore; au SE, on parvient à un col à 1335 m, situé entre le Monte Cappucciata (1801 m) et le Monte Scarafano (1432 m), qui permet de rejoindre le versant adriatique via Brittoli. Cet itinéraire est donc une bonne SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 253 alternative à la route de la Forca di Penne et un des rares sentiers permettant de traverser le massif du Gran Sasso dans ce secteur. Au NO du village, sur le chaînon du Colle della Guardia (1017 à 1060 m), on ne voit que des traces d’aménagements agricoles (terrasses, enclos en pierres sèches, pierriers) et du matériel qui renvoie essentiellement au Moyen Âge et à l’époque moderne. Au SE, nous avons inspecté toute la ligne de crête depuis le Colle della Madonna jusqu’au Monte Scarafano. La plupart de ces sommets ont fait l’objet d’aménagements agricoles et sur la cime inférieure du Colle della Madonna (1005 m) notamment, on voit un certain nombre de tas d’épierrement et surtout un imposant ensemble de terrasses. Le sommet de la colline lui-même est couronné par un mur en pierres sèches, à double parement, dont la hauteur conservée atteint par endroits 2,40 m pour une largeur de 2 m. Ce mur de belle facture, long de 196 m, ferme une surface de 2591 m2 ; il s’ouvre à l’est par une interruption et un décrochement. À l’intérieur de la surface enclose, on ne voit que des traces d’épierrement et la végétation dense n’a permis de découvrir aucun matériel. Il est malheureusement impossible en l’état d’en dire davantage sur cette structure ou sur sa datation. Dans le vallon situé entre le Colle della Madonna (1036 m) et le Colle San Nicola (1056 m), on a découvert du matériel en abondance (céramique, fragments de tuiles), appartenant probablement à l’époque médiévale. On retrouve le même type de matériel au sommet du Colle San Nicola lui-même. À l’est du sommet, on voit un gros pierrier au sein duquel a été aménagée une cabane à tholos, avec une banquette interne. Ces structures sont en général datées de la fin XVIIIe ou du XIXe siècle. Mis à part cette occupation médiévale et ces traces d’exploitation agricole postérieure, aucun témoignage d’occupation protohistorique ou antique n’a pour l’instant été relevé dans ce secteur. L’étude du Monte di Cerro Depuis 2006, l’enceinte du Monte di Cerro a été étudiée en détail et les prospections réalisées à l’intérieur de la surface enclose ainsi que dans les environs immédiats du site ont permis de documenter une fréquentation allant de l’Âge du Bronze final jusqu’au Moyen Âge, avec une concentration particulière pour le 1er Âge du Fer. Les témoignages des clandestins signalent en outre la découverte de monnaies et de balles de fronde datant de la fin de la période républicaine. Durant la campagne 2009, nous avons d’une part nettoyé plusieurs portions de l’enceinte et d’autre part réalisé des sondages sur le secteur de la porte, mais également à l’intérieur du site, notamment sur le versant septentrional et dans le secteur sommital. D’une façon générale, les sondages conduits à l’intérieur de la surface enclose (sondages e, h, u, z) n’ont pas livré de séquence stratigraphique significative, mais simplement une couche d’humus posant directement sur la roche naturelle. Les sondages a, g et d ont livré des séquences simples, documentant la construction de la fortification ou des divers aménagements et seuls les sondages b et P ont fourni une séquence stratigraphique en place, correspondant à l’aménagement, à l’utilisation et à diverses recharges dans le corridor d’accès de la porte orientale. L’enceinte du Monte di Cerro se présente actuellement sous la forme d’un ovale, ouvert à l’est par la porte orientale, qui est formée du chevauchement du circuit méridional et du circuit septentrional. La muraille, qui conserve au maximum deux ou trois assises superposées, est constituée d’un double parement, avec un remplissage (emplekton) de petits moellons et de terre. Au NO, l’enceinte est doublée d’un fossé, que l’on peut suivre sur une longueur de 86 m. L’accès oriental se présente comme une porte à baïonnette : le mur septentrional se termine par un bastion quadrangulaire, marqué par un léger décrochement à l’ouest. En contrebas de ce mur septentrional, on trouve la rampe d’accès, que l’on suit sur une longueur de 28 m, qui est formée d’une assise de blocs et qui débouche sur un 2e bastion carré, marquant le début du mur méridional de la fortification. Entre les deux bastions, un corridor biais large de 3,5 m permet de pénétrer sur le circuit annulaire et donne accès au site. Cette structure est désormais réduite à une seule assise, mais la présence de nombreux blocs en position de chute, aussi bien à l’extérieur de l’enceinte, que dans le corridor d’accès ou dans le remplissage entre les deux parements, permet de supposer qu’elle était à l’origine formée de trois ou quatre assises superposées au moins, et probablement renforcée par une palissade de bois. Les deux murs se terminent chacun par un bastion carré, qui apparaissent nettement quand on ôte les blocs chutés. Le bastion du mur nord mesure environ 4 × 4 m et celui du mur sud 3,70 × 3,70 m environ. La largeur du mur lui-même, entre les deux parements, est variable, de 2,90 m au SE à 4,50 m à l’est. Elle est toutefois le plus souvent comprise entre 3 et 3,5 m. Entre les deux parements se trouve un emplekton de moellons de calcaire et de terre. Le sondage g, implanté dans l’emplekton du mur nord nous a permis de le vérifier : après le dégagement de la couche superficielle, on a pu SPIOX - 254 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Les sites de hauteur des vestins Chronique démonter un niveau homogène de moellons et de terre brune (US 1024), profond de 0,77 m, qui repose directement sur la roche naturelle. À l’exception d’un tesson de céramique à argile dépurée, le matériel contenu dans ce remplissage est constitué exclusivement de céramique d’impasto, dont un fragment de petite olla à corps globulaire ovoïdal et un fragment de paroi d’olla à cordon horizontal lisse, qui renvoient au premier Âge du Fer, ainsi que quelques fragments d’ossements animaux. Ce matériel ne peut bien entendu fournir qu’un TPQ pour la construction de l’enceinte : l’emplekton a été réalisé en compactant des terres de remblai contenant ce matériel proto-historique. L’accès à la porte orientale se faisait par une rampe large de 6,40 m, soutenue par un mur en pierres sèches, qui utilise le même module et la même technique polygonale irrégulière que les deux parements de l’enceinte. Ce mur est désormais réduit à une seule assise, qui est à la même cote que la première assise du parement externe du mur méridional, mais on peut estimer sa hauteur initiale à quatre assises, soit environ 1,201,30 m. Un sondage (d) a été implanté le long de cette première assise de la rampe, et a révélé la présence d’un remplissage identique à celui de l’emplekton, ce qui laisse supposer que l’ensemble a fait l’objet d’une réalisation unitaire. On a donc dans un premier temps élevé le mur de soutènement en pierres sèches et comblé ensuite la rampe avec de la pierraille jusqu’à atteindre la hauteur nécessaire pour obtenir un niveau de circulation régulier (fig. 32 et 33). Deux autres sondages documentent la construction et le fonctionnement de ce corridor de la porte orientale, le sondage P implanté le long du parement externe du mur nord, au contact de celui-ci, dans un espace qui constitue la partie supérieure de la rampe d’accès, et le sondage. légèrement plus à l’ouest, au contact du parement interne du mur sud, longitudinalement à l’axe du passage. Dans le sondage b, on a atteint la roche naturelle après le démontage de plusieurs niveaux, correspondants aux remblais et recharges (US 1026, 1031, 1032 et 1040) supportant le radier de fondation (US 1023) de la route elle-même (les niveaux de circulation ont disparu). Parmi les couches de remblai, les US 1031 et 1032 se distinguent par la présence de fragments de bois carbonisé, dont des traces de plusieurs planches et des clous de fer. Ce niveau charbonneux, dont on retrouve des traces dans le sondage., provient peut-être d’un premier système de fermeture (portes en bois), détruit, enfoui sur place et remplacé dans une 2e phase. Dans le sondage., la situation est sensiblement la même, mais en raison du pendage, la roche naturelle affleure à une cote inférieure, ce qui a nécessité des niveaux de remblai plus importants. On retrouve sous la couche d’humus des portions d’un radier (US 1021), qui devait porter le niveau de circulation antique disparu. Lors de son démontage, on a récupéré notamment un tesson de céramique à vernis noir, un anneau de plomb et des fragments de tuiles. Ce hérisson résiduel s’appuie sur une couche de préparation (US 1020), pauvre en mobilier, qui recouvre une couche de terre jaunâtre (US 1025), comprenant une grande quantité de tessons de céramique d’impasto ou d’argile dépurée, des pointes de clous en fer etudes fragments de bronze. Au-dessous, on rencontre plusieurs niveaux de remblai, riches de matériel provenant des structures démontées à l’intérieur de la surface enclose, parmi lesquelles un fragment de tasse à petit col et un fragment de paroi décorée d’un cordon digité, qui datent de l’Âge du Bronze final-début Fig. 32 – Les sites de hauteur des Vestins. Coupe au niveau de la porte orientale et de la rampe (à gauche), avec les deux parements du mur septentrional sur la droite et la localisation des sondages b et g (relevé L. Ferreri, M. Davide, X.A. Magli). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 255 Fig. 33 – Les sites de hauteur des Vestins. La rampe conduisant à la porte orientale (cliché S. Bourdin). du Ier Âge du Fer. Cette séquence stratigraphique correspond donc à plusieurs niveaux de remblai, de préparation et éventuellement de recharge, pour poser le radier et le niveau de circulation (disparu et remplacé par une légère couche d’humus) (fig. 34). Le matériel découvert dans ces différents niveaux de remblai fournit donc un TPQ pour la construction de l’enceinte, ou plutôt pour sa réfection. En effet, il semble peu probable que l’habitat du Monte di Cerro n’ait pas été fortifié à l’Âge du Fer. On doit donc supposer qu’aux Xe-VIe s., on trouvait sur le Monte di Cerro un habitat fortifié, composé de cabanes et d’une fortification de type «circuit annulaire», posant sur une seule assise retenant un agger (comme on le voit encore dans le quadrant NO du site), peut-être doublé d’un fossé. Dans un second temps, un système plus complexe est mis en place, dont le Monte di Cerro représente le seul exemple connu pour la région. On construit un mur en appareil irrégulier, composé de deux parements et d’un emplekton et on aménage à l’est une porte à recouvrement, prolongée par une rampe d’accès. En arrière du mur, et le long de la rampe, on obtient un niveau régulier en remblayant avec de la terre provenant des habitations détruites à l’intérieur du site. Le matériel contenu dans ces niveaux de remblai nous amène jusqu’à une date postérieure au Ve, voire au IVe s. On pourrait alors supposer que l’enceinte a été reconstruite à l’époque hellénistique, peut-être dans le cadre des guerres contre Rome, ce qui expliquerait la présence de balles de fronde découvertes en prospection ou prélevées par les clandestins. Plusieurs sondages ont été implantés à l’intérieur de la surface enclose (a, h, z, e, u). D’une manière générale, à cause de l’érosion ainsi que des divers prélèvements effectués pour construire l’emplekton et la rampe d’accès, Fig. 34 – Les sites de hauteur des Vestins. Le sondage # en cours de fouille, avec les lambeaux du hérisson de la route (US 1021) (cliché S. Bourdin). les niveaux d’occupation n’ont pas été conservés. On rencontre partout une couche d’humus, riche en matériel, qui recouvre directement la roche naturelle. Le matériel résiduel correspond à l’occupation du site au Bronze final et au premier Âge du Fer, déjà bien documentée par les prospections de surface réalisées les années précédentes. Ainsi, parmi le matériel découvert dans le sondage, on note la présence d’un fragment d’ollette à corps globulaire ovoïdal, bord évasé et épaule décorée d’un cordon digité, qui rappelle un exemplaire de Poggio Sommavilla, un fragment d’écuelle carénée à paroi rentrante qui renvoie à un exemplaire de Lucostrada 45 et un fragment de vase à col cylindrique qui rappelle un exemplaire de Celano Paludi. Le seul aménagement visible à l’intérieur de la surface enclose est une cuvette, qui s’étend sur 200 m2 environ, sur le versant nord. Un sondage a été implanté sur le rebord de cette structure. Il a révélé la présence d’une couche compacte de terre argileuse, mêlée de moellons de calcaire, contenant un riche matériel (236 artéfacts) datant du Bronze final (deux fragments de couvercle rappelant un exemplaire d’Ortucchio-strada 28) ou du premier Âge du Fer (fragments d’écuelle tronconique à calotte, d’olla à profil continu et corps cylindrique, d’olla à petit col et corps ovoïde). Il s’agit clairement d’une couche de remblai, mais la signification et l’utilisation de cette petite dépression du terrain demeurent encore, en l’état de la recherche, inexpliquées. Les prospections conduites cette année nous ont permis de découvrir deux nécropoles tumulaires protohistoriques, d’identifier un site d’époque romaine (Capo La Piaia) et plusieurs secteurs d’occupation médiévale SPIOX - 256 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Piazza navona Chronique (Cote 773, Colle della Madonna, Colle San Nicola). Nous avons désormais, à l’issue de ces quatre campagnes (2006-2009), une vue assez claire de tous les massifs qui entourent la plaine de L’Aquila, le haut-plateau de Navelli, la vallée de Capestrano et la conque de Castelvecchio Subequo, ainsi qu’une vue partielle des massifs du Sirente et des abords du haut-plateau des Rocche. Une quarantaine de sites fortifiés ont été contrôlés et décrits au cours de ces quatre campagnes. Plusieurs sites fortifiés inédits ont été découverts (I Colli, Costa Carbone, Cote 1052), ainsi que de nombreuses zones d’épandage de matériel d’époque proto-historique (Monte Cogozza), romaine (San Pio...), médiévale (La Corcumella, Cote 773 etc.) et plusieurs nécropoles tumulaires (Vallicella, Croce di Picenze). Nous avons documenté sur la plupart des sites pris en examen les différentes techniques utilisées pour la construction des enceintes, qui correspondent à deux types principaux : une simple accumulation de blocs de pierre, servant probablement d’appui à une palissade (Serra di Navelli, Monte Mattone, Monte delle Croci, I Colli, Cerreta etc.) ou un mur, en général réduit à une ou deux assises, qui retient une accumulation de terre aplatie pour former un chemin de ronde (Croce di Picenze, Collemaggiore, Monte Cafanello, Monte Urano etc.). L’enceinte du Monte di Cerro, étudiée cette année, représente un modèle plus abouti, et pour l’instant unique dans la région, qui combine un mur à double parement, probablement surmonté d’une élévation en matériaux périssables (brique crue ou palissade de bois), en arrière duquel se trouve un circuit annulaire aplati, formant un chemin de ronde. Cette enceinte s’ouvre par une porte à recouvrement élaborée, prolongée par une rampe d’accès, posant sur des niveaux de remblai qui contiennent du matériel récupéré sur l’habitat et font pencher pour une datation basse de l’ensemble. L’analyse complète du matériel, en particulier de la céramique découverte sur l’ensemble de ces sites, permettra de proposer une datation précise de la fréquentation de chacun d’entre eux et de sortir d’une vision réductrice qui tend à considérer tous ces centres fortifiés comme contemporains. Nous pourrons ainsi mieux cerner, au travers des époques successives, les différentes dynamiques du peuplement du territoire des Vestins Cismontani et des Péligniens Superaequani. Stéphane BOURDIN et Antonella NATALI PIAZZA NAVONA 62 QUATRIÈME CAMPAGNE DE FOUILLES DANS LES CAVES DE L’IMMEUBLE SITUÉ AU NO 62 DE LA PLACE NAVONE École française de Rome [en collaboration avec la surintendance archéologique de Rome] La quatrième campagne de fouilles archéologiques, à laquelle ont participé Stéphane Abellon, Julie Leone, Edwige Lovergne, Caroline Michel d’Annoville, Jacopo Russo, Claudio Taffetani et Emmanuel Sanz, s’est déroulée du 3 mars au 30 mai, du 30 juin au 24 juillet et du 17 août au 18 décembre 2009. Les résultats obtenus en 2008 ont induit à une extension importante de la superficie à explorer : la fouille a concerné la totalité de l’imma cavea du stade de Domitien, soit les deux salles aux piliers de part et d’autre de l’escalier qui débouche au-dessus de l’ambulacre interne et mène au départ de la première rampe de gradins, une grande partie de l’ambulacre médian et le restant de la cavea media où un sondage (espace 112) avait été ouvert en 2006 (fig. 35). La cavea media n’a pu être fouillée que superficiellement ou sur une petite surface car les espaces se sont présentés soit encombrés par un réseau serré de canalisations et de puisards (espaces 110 et 131) et couverts d’un pavement de briques récent, qui a été laissé en place, soit inexplorables à cause de la remontée de la nappe phréatique et l’insertion de nombreux micro-pieux (espaces 132 et 124). Aux collaborateurs externes cités dans la chronique de fouilles 2008 et chargés d’études ponctuelles s’ajoutent Hélène Eristov et Nicole Blanc (CNRS, UMR 8546, CNRS-ENS – Archéologies d’Orient et d’Occident) pour l’étude du décor stuqué et Lucia Saguì (Università di Roma I La Sapienza – Ricercatore) pour les objets en verre. Toute la documentation graphique a été réalisée par Julie Leone, Edwige Lovergne et Claudio Taffetani. Cette chronique ne relatera que brièvement les nouveaux résultats, laissant à la publication future les données qui enrichissent les acquis des campagnes de SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 257 Fig. 35 – 62, Place Navone. Plan des structures du Stade de Domitien d’après I. Gismondi et localisation des sondages. fouilles de 2005, 2006 et 2008, l’étude intégrale du matériel et la reconstitution stratigraphique et chronologique des différentes phases d’occupation des espaces. Les fondations du stade de Domitien Une série de fondations continues, orientées estouest, a été mise au jour dans les deux salles aux piliers nord et sud (espaces 126 et 108, espaces 104 et 101); les fondations relient et sont chaînées aux éléments portants de l’édifice, soit les deux piliers et piédroits de chacune des deux ouvertures vers la piste aux deux piliers respectifs qui leur sont alignés à l’est. Dans l’espace 101, qui comprend le quart sud de la salle aux piliers sud et le mur nord d’un escalier, des murs récents et, en particulier l’empattement de leurs fondations, englobent en grande partie l’espace entre les deux piliers sud de la salle, ce qui a exclu la possibilité d’observer les fondations qui les relient; en revanche, une fondation continue a été mise au jour entre le mur nord de l’escalier et le pilastre du mur ouest de la salle. De même, dans l’espace 107 où plusieurs fondations de murs récents ainsi que le réseau particulièrement important de canalisations d’égouts et de puisards ont empêché d’explorer les deux passages situés entre les murs nord et sud de l’escalier central et les piliers situés plus à l’est, et, en conséquence, de vérifier la présence de fondations continues. Ce système de fondation est-ouest s’interrompt dans l’ambulacre médian, ce qui n’est pas surprenant car les éléments portants de la cavea media sont différents et ne sont pas en axe avec ceux de l’imma cavea. Dans l’espace 104, la fondation continue est en légère pente d’ouest en est, et se situe aux cotes SLM de 11,96 à 11,90 (fig. 36 et 37); dans l’espace 101 à 11,94 (fig. 38), dans l’espace 126 à 11,87, dans l’espace 10801 à 11,96 (fig. 39). Les fondations entre les piliers sont, comme ces derniers, larges 0,90 m, tandis que celle qui relie le pilastre ouest au mur nord de l’escalier, dans l’espace 101, est de 0,30 à 0,20 m plus large (le mur nord est large 0,60 m et le pilastre ouest 0,70 m). Les fondations, construites en béton, s’enfoncent SPIOX - 258 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Piazza navona Chronique Fig. 36 – 62, Place Navone. Salle aux piliers sud (10401) : piédroit nord de l’ouverture vers la piste et fondation (1040146); niveaux de circulation (10401058 et 10401043) et sépulture (10401038). Fig. 38 – 62, Place Navone. Salle aux piliers sud (10101) : mur nord de l’escalier (10101006) et fondation (10101029). Fig. 37 – 62, Place Navone. Salle aux piliers sud (10402) : pilier nord-est et fondation (10402040). dans un terrain constitué de limon argileux; là où les conditions de fouilles ont permis un sondage en profondeur, c’est à dire dans l’espace 10401, on a pu constater que les 0,17 m supérieurs de la fondation continue sont parementés de quatre assises de briques (fig. 40). Dans l’ambulacre médian (espace 111), un sondage en profondeur, ouvert le long de la face est du pilier Gismondi no 2 ou pilier nord-est de la salle, a permis de constater non seulement l’interruption de la fondation continue estouest mais aussi un changement de technique de Fig. 39 – 62, Place Navone. Salle aux piliers nord (10801) : Piédroit sud de l’ouverture vers la piste et fondation (10801025); strate de marbres (10801021). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 259 Un niveau de mortier et pouzzolane couvre le sommet des fondations. Les niveaux antiques La salle aux piliers nord Fig. 40 – 62, Place Navone. Salle aux piliers sud (10401) : fondation parementée, détail (10401046). construction : la partie supérieure de la fondation (cote SLM 11,89) est ici constituée de deux assises de briques dont la première est en ressaut (fig. 41). Une extension du sondage au sud (une fondation récente ne favorise pas une fouille en profondeur au nord) serait souhaitable afin de vérifier la présence d’une fondation, annulaire, reliant les piliers qui bordent l’ambulacre et dotée de deux assises de briques ou si celles-ci ne correspondent qu’aux piliers. Fig. 41 – 62, Place Navone. Ambulacre médian (11101) : pilier et fondation (11101023); sol (1101028) et niveau de chaux (11101026). Dans l’espace 12601, seule une infime partie de la fondation continue, qui relie le piédroit et le pilier nord de l’ouverture vers la piste au pilier central, nord, de la salle, n’a été mise au jour jusqu’à présent. Le niveau correspondant au sommet de la fondation est couvert par une strate de terre et de matériaux de destruction, US 076/083 (cote SLM 11,87 à 12,10), sur laquelle se superpose l’importante couche de fragments de marbres colorés, US 055, disposés à plat, en partie dégagée en 2008. La poursuite de la fouille dans cet espace a permis de retrouver le niveau de circulation, compact, constitué de fragments de mortier, US 082/063 (cote SLM 12,24), déjà individualisé en 2008, qui scelle la strate des marbres et qui s’était présenté en grande partie détruit par le creusement de fosses de diverses sépultures; ce niveau est de nouveau entaillé par une sépulture tardoantique, démantelée par une interférence postérieure. Dans l’espace 10801, la fondation continue, US 025 (cote SLM 11,96), qui relie le piédroit et le pilier sud de l’ouverture vers la piste au pilier central, sud (non visible), de la salle, est couverte d’un mince lit de chaux auquel se superpose une strate de terre argileuse, US 023 (cote SLM de 11,98 à 12,08), compacte, qui inclut de nombreux éclats de marbres et constitue le fond de la strate de plaques de marbres colorés, US 022. Celle-ci, en pente du nord au sud, est ici relativement épaisse (15 à 20 cm environ – cote SLM de 12,08 à 12,27) et couverte à l’ouest par de nombreux grands fragments de tuiles. À l’est, au même niveau, se trouve la strate de grands fragments de marbres, US 021 (fig. 39), comparable à celle trouvée dans l’espace 126 (v. la chronique de fouilles 2008). Un niveau de terre compactée, en pente vers le sud, scelle les marbres : sa cote (SLM 12,34/24 à 12,29/19) correspond à celle du niveau 12601082 et du sol de ciment 10401043. Dans la salle aux piliers nord, la fouille des niveaux situés sous le sommet des fondations n’a pas encore été entamée. Toutefois, on a pu observer les traces d’une cassure ou d’arrachement du revêtement stuqué à la base des piliers sur une hauteur d’environ 0,20 m, ce qui suggère une spoliation d’un dallage ou tout au moins un passage à un type d’occupation différent de cet espace. De fait, seule une couche de terre argileuse, mêlée à de nombreux fragments de mortier et de SPIOX - 260 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Piazza navona Chronique briques dans la moitié nord de la salle, sépare le sommet des fondations du stade de la strate de fragments de plaques de marbres colorés. La salle aux piliers sud La fouille de l’espace 104 a distingué deux secteurs, 10401 à l’ouest, 10402 à l’est, en conséquence du cloisonnement de la salle à l’époque moderne; ces travaux et des fondations de murs récents ont également restreint l’espace explorable et en particulier englobé ou arasé les piliers sud de la salle. Dans l’espace 10401, deux sondages de dimensions réduites, afin de conserver le plus possible toute la stratigraphie sur le restant de l’espace, ont permis d’explorer les strates situées sous le niveau de la fondation continue et d’atteindre dans le premier la cote SLM 11,39, dans le second la cote SLM 11, 80. La fondation continue, US 046 (cote SLM 11,96), qui relie le piédroit et le pilier nord de l’ouverture vers la piste au pilier central, nord, de la salle (fig. 2), s’enfonce, à la cote SLM 11,80, dans un terrain constitué de limon argileux verdâtre, US 063, qui continue au-delà des 0,40 m fouillé. Cette cote correspond au plan de pose de la première assise de briques (fig. 6) et à un niveau constitué de terre cuite concassée et couvert par un lit de chaux, US 064 (cote supérieure SLM 11,83) : il pourrait s’agir d’un niveau de préparation de sol ou de chantier du stade. Ce niveau est couvert par une première strate de limon argileux, très pur et dépourvu de matériel, US 61, puis par deux strates, US 059 et 060 (cote SLM 11,95 à 12), composées de terre argileuse compactée, de pouzzolane et d’un lit de chaux, qui englobent la partie haute de la fondation et constituent la semelle d’un sol construit, de mortier, en pente vers le nord, US 058/047 (cote supérieure SLM 12,01 à 12,15). Plusieurs strates de faible épaisseur, de limon verdâtre, US 051, de chaux, US 050, de terre compactée, US 049, et de limon mêlé à des charbons de bois et des débris de stuc, US 048, forment la préparation d’un niveau de circulation, composé de mortier, qui maintient la pente vers le nord, US 043 (cote supérieure SLM du sud au nord 12,38 à 12,29). Ce sol est taillé par la sépulture 10401038 (v. la chronique de fouilles 2008 : le sol 12601063 taillé par les sépultures US 052, 061 et 064). Dans l’espace 10402, la fondation continue, US 040 (cote SLM 11,90), relie le pilier central, nord, au pilier nord-est (fig. 37) et se situe en prolongement de la fondation 10401046. Malheureusement, l’espace 10402 a été tranché par deux canalisations superposées, orientées nord-sud, ce qui nuit à une vision d’ensemble et qui a contraint d’attribuer, par prudence, une numérotation d’US différente de part et d’autre des égouts même quand il s’agissait d’une strate identique. L’étroitesse de ces deux espaces n’a pas permis une fouille en profondeur qui aurait complété et conforté la lecture stratigraphique faite dans l’espace 10401; en particulier, le parement de briques et le niveau correspondant observé à l’ouest n’ont pas été mis au jour à l’est. La fondation est couverte par une strate d’argile verdâtre, US 39/52 (cote supérieure SLM 12,06), sur laquelle a été déposée une couche de chaux, qui constituent la préparation d’un sol construit, de mortier, US 51 (cote SLM 12,06 à 12,11), à relier au sol 10401058. On a pu observer, dans cet espace, le long de la base du pilier, la présence d’une tranchée, US 038 (cote SLM 11,90 à 12,12), comblée de terre argileuse, qui a entaillé le sol et sa préparation. À l’ouest, une strate de terre compactée, US 50, et à l’est, une mince strate de limon mêlé à des charbons de bois, US 035, forment le fond d’un niveau de circulation (fig. 42), composé de mortier, US 49 et 032 (cote SLM 12,14 à 12,22), correspondant au niveau mis au jour dans l’espace 10401. La salle aux piliers sud a donc conservé un niveau de circulation intermédiaire, absent dans la salle aux piliers nord où, aux mêmes cotes, se trouve la strate de fragments de plaques de marbres colorés. L’espace 101 est limité au sud par le mur nord d’une rampe d’escalier du stade; ce mur, conservé jusqu’au Fig. 42 – 62, Place Navone. Salle aux piliers sud (10402) : pilier nord-est et niveau de circulation (10402032). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 261 niveau de fondation, a été ultérieurement arasé jusqu’au niveau du sol actuel de la cave lors des travaux des années 60. La fondation continue, US 029 (cote SLM 11,96), qui relie le mur nord de l’escalier au pilastre du mur ouest de la salle (fig. 38), est couverte par une strate, US 033/034, composée de fragments de briques et de céramiques pilés qui pourrait correspondre à une préparation du sol, spolié, du stade (cote SLM 11,96 à 12,05). Ce vestige de préparation de sol est scellé par une couche d’argile verdâtre couverte par un lit de chaux, US 028 et 031 (cote SLM 12,04 à 12,11); ces deux strates constituent la préparation d’un niveau de circulation et/ou de chantier successif, composé de pouzzolane et d’argile, US 030 (cote SLM 12,10 à 12,15), et correspondant aux niveaux conservés dans l’espace 10401 (US 058 et 047). Une nouvelle couche, constituée de plusieurs strates de limon et d’argile, US 027 et US 019/020 (cotes supérieures SLM 12,32 et 12,38), s’est présentée riche de fragments céramiques, de fragments de stucs et de marbres et, en cela, pourrait correspondre à une période d’abandon et peut-être de spoliation des structures. Elle est scellée par l’épaisse couche de remblai rapporté, US 012/018/014 (cote SLM 12,37 à 12,70; v. la chronique de fouilles 2008). L’ambulacre médian À l’est de la salle aux piliers Nord et de l’escalier central, l’ambulacre médian n’a pu être exploré que par trois sondages de dimensions réduites (espaces 10901, 10902 et 10903). La fouille a atteint le niveau de la strate de fragments de plaques de marbres qui a été conservé en vue de la muséalisation du site. L’espace 10901 se situe le long du côté est de l’ambulacre médian, entre les deux piliers sud et la baie qui sépare l’espace 11201 (salle de l’imma cavea explorée en 2008) de l’ambulacre. L’espace est traversé par une canalisation moderne orientée nord-sud. La strate de fragments de plaques de marbres, US 008 (cote supérieure SLM 12,11) est couverte par une strate de terre friable, US 006/009 (cote SLM de 12,11 à 12,30), contenant des éclats de marbre, des fragments de mortier et de nombreux fragments du revêtement stuqué des piliers et d’une corniche; cette strate de destruction est scellée par une fine strate, blanche, constituée uniquement de débris de stuc. L’espace 10902 se situe à l’est du pilier Gismondi o n 3 ou pilier sud-est de la salle aux piliers Nord; de nouveau, la superficie explorable a été entamée par le passage d’une canalisation moderne, orientée est-ouest, qui a en partie détruit le pilier antique. Toutefois, la fouille s’est révélée riche de données sur l’intense succession des niveaux d’occupation : la strate de fragments de plaques de marbres, US 023 (cote supérieure SLM 12,03) est apparue grâce à une taille pratiquée dans un niveau de circulation, compact, US 022 (cote supérieure SLM de 12,09 à 12,05) qui la scelle. Une strate de terre, US 021 (cote supérieure SLM 12,16), mêlée à des fragments de tuiles, de travertin, de mortier, de stucs et quelques fragments de marbres, riche également de fragments céramiques, couvrait ce niveau de circulation sur lequel posaient un petit vase cassé contenant des pigments de couleur bleu, de nombreuses tesselles en verre et en pâte de verre concentrées plutôt vers l’ouest et plus au nord un deuxième vase contenant des pigments rouges. Une nouvelle strate de terre plus argileuse, US 020 (cote supérieure SLM 12,34/12,39), contenant de grands fragments de marbres et des fragments céramiques, est scellée par deux niveaux de circulation constitués de terre compactée, qui se superposent, US 019 (cote supérieure SLM 12,40/12,43) et US 016 (cote supérieure SLM 12,44) et qui ont restitué quelques fragments céramiques. Cette intense succession de niveaux de circulation avait déjà été observée dans l’espace 12601 où ils avaient été datés à partir de la fin du IVe siècle (v. la chronique de fouilles 2008) : l’étude du matériel céramique fourni en 2009 permettra d’affiner leur chronologie. L’espace 10903 se situe à l’est de l’escalier central; l’espace explorable est limité par la présence d’une fondation récente et d’un important égout moderne, construit. La strate de fragments de plaques de marbres, US 013 (cote SLM de 12,05 à 12,15), ne couvre pas la totalité du sondage : dans l’angle sud-est, se retrouve seulement la couche de terre cuite pilée, US 014, identique à celle qui englobait les fragments de marbres dans l’espace 12601. Un niveau de terre, très compactée, mêlée à du mortier, US 012 (cote supérieure SLM 12,20), les couvre. Dans l’angle nord-ouest du sondage, reste un vestige de la strate de fragments de marbres blancs mêlés à des fragments céramiques, US 011 (cote supérieure SLM12,29), et englobés dans du limon argileux, US 010/009 (cote supérieure 12,39), ce qui rappelle l’US 10801021 (fig. 5). On ne retrouve pas, ici, le niveau compacté qui scelle les marbres mais une série de strates de limon argileux contenant des fragments de tuiles, de briques et de céramiques couvertes par une strate sableuse et cendreuse, blanchâtre, US 004 (cote SLM de 12,64/52 à 12,54/42), en pente vers le sud et particulièrement riche de matériel. Cette dernière strate est, par sa texture et le matériel qu’elle a restitué, comparable à l’US 12601051, fouillée en 2008. SPIOX - 262 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Piazza navona Chronique et serait postérieure à la spoliation du dallage au cours de laquelle le revêtement stuqué de la base ou plinthe aurait été arraché. La strate US 022 correspondrait à un rehaussement du niveau général scellé par un plan de circulation. Le lit de chaux se situe au niveau de la cassure du revêtement stuqué du pilier et au-dessous de la strate de fragments de plaques de marbres colorés, US 013 (cote SLM 12). Ces observations suggèrent que le lit de chaux est antérieur au milieu du IVe siècle. La moitié nord du segment d’ambulacre médian (espace 111) situé à l’est de la salle aux piliers Nord, n’a été fouillée que sur une superficie réduite en raison de l’interférence de structures modernes (canalisation, mur, dalle de ciment); un sondage a été ouvert à l’est du pilier Gismondi no 2 ou pilier nord-est de la salle. Un sol construit, US 028, très compact, a été mis au jour à la cote SLM 11,58 et laissé en place; il est constitué d’un mortier renforcé par de nombreuses inclusions, visibles également en surface, de travertin et de pouzzolane (fig. 41). Le sol est couvert par une strate, US 027, de terre friable, peu compacte, épaisse 0,14 m environ, qui bat contre la fondation. La strate supérieure, US 022, épaisse 0,20 m, se distingue par sa composition argileuse et sa superficie très compactée par la présence de nombreux éclats de marbres (shemtou, rouge antique, serpentine). La surface de ce niveau de circulation se trouve à la cote SLM 11,92/ 11,90 tandis que le sommet de la fondation se situe à la cote SLM 11,89 : ce niveau couvre et bat contre les deux assises de briques qui couronnent la fondation. Deux strates, l’une de limon sableux, US 021 (cote SLM 11,94) et l’autre de chaux, US 026 (cote SLM 11,97) se superposent sur ce niveau (v. le niveau de chantier dans l’espace 112, cité dans la chronique de fouilles 2006). Le sol construit pourrait être le plan de pose d’un dallage, spolié, dont l’épaisseur correspondrait à celle de la strate US 027, et, dans ce cas, situé sous les deux assises de briques; celles-ci (dont la première est en ressaut), tout en liant le pilier avec la fondation, pourraient avoir constitué une base ou une plinthe, peut-être stuquée, du pilier. La strate US 027 peut alors être artificielle, un remblai rapporté, ou naturelle, une alluvion, L’extension de la fouille a permis de trouver les limites de l’aire couverte par l’épaisse strate de fragments de plaques de marbres, disposés à plat, mise au jour dans l’espace 126 (v. la chronique de fouilles 2008); selon P. Pensabene, les fragments de marbres correspondent davantage, vues leurs petites dimensions, à des rebuts d’un atelier plutôt qu’à une aire de stockage comme on l’avait pensé. La strate de fragments de plaques de marbres, US 055, couvre toute la salle aux piliers nord (espaces 126 et 108) (fig. 43) et le segment d’ambulacre médian qui lui correspond (espaces 111 et 109) (fig. 44). Toutefois, la composition de cette strate varie : dans la moitié nord de la salle, les fragments de marbres étaient disposés sur plusieurs couches et englobés dans une strate granuleuse, constituée de terre cuite pilée, atteignant ainsi une épaisseur de 0,15 m. Dans la moitié sud, la strate se compose en grande partie de terre argileuse dans laquelle les fragments sont nettement moins nombreux et elle accuse une forte pente nord-sud (cote supérieure SLM 12,27 à 12,08-12,19 à 12,04). Il en est de Fig. 43 – 62, Place Navone. Salle aux piliers nord (12601) : strate de fragments de plaques de marbres colorés (12601055) Fig. 44 – 62, Place Navone. Ambulacre médian (11101) : pilier et fondation (11101023); sol (1101028) et strate de marbres colorés (11101013). La strate de fragments de plaques de marbres SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 263 même dans l’ambulacre médian, où la strate se situe entre les cotes SLM 12,15 et 12,05. Aux lambeaux de sol mis au jour dans l’espace 126 et qui scellent la strate, peuvent être reliés le niveau de terre compactée, US 020 (cote SLM du nord au sud 12,34/24 et 12,29/19) dans la salle aux piliers nord, le sol, US 10401043 et les niveaux, US 10402032 et 049, dans la salle aux piliers sud. Dans l’ambulacre médian, le sol qui couvre la strate de fragments de marbres est mieux conservé, en particulier dans le secteur central (espace 10902). L’intensité et la complexité des nouvelles données fournies par la campagne de fouilles de 2009 montrent bien l’intérêt et l’importance de l’étude de toutes les classes de matériel, sans laquelle il est difficile de reconstituer les phases chronologiques et les types d’occupation du site parallèlement à l’étude du bâti. Martine DEWAILLY DELTA DU TIBRE CAMPAGNE DE CAROTTAGE 2009 : GEOARCHEOLOGIE DES CANAUX DE PORTUS : L’EXEMPLE DU CANALE ROMANO Université Lyon 2, British School at Rome, École française de Rome, UMR-5600 EnvironnementVille-Société, UMR-5133 Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Soprintendenza per i Beni archeologici di Roma Suite à la campagne de carottages déjà effectuée à Portus l’année dernière en 2008 (voir la chronique précédente), cette année 2009 nous a permis de nous positionner d’avantage vis-à-vis des problématiques géoarchéologiques concernant les canaux de Portus. L’aspect fluvial de portus Si l’on souhaite restituer le système d’approvisionnement de Rome à l’époque impériale, on se doit Fig. 45 – Delta du Tibre. Restitution générale de Portus, port impérial de Rome, et de ses canaux. SPIOX - 264 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Delta du tibre Chronique bien évidemment d’aborder le rôle primordial de Portus. Quelques kilomètres au nord d’Ostie et de l’embouchure du Tibre, les empereurs Claude et Trajan font creuser au 1er et 2e siècle ap. J.-C., deux profonds bassins portuaires qui permettent d’accueillir les plus imposants bateaux provenant de toute la méditerranée (fig. 45). Mais de quelles manières les marchandises déchargées à Portus par des navires maritimes sont-elles acheminées jusqu’à Rome? Il existe deux possibilités : la voie terrestre et la voie fluviale. Pour la voie terrestre nous renvoyons le lecteur aux résultats récents des fouilles de la via Portuensis (Di Giuseppe et alii 2008), nous nous intéresserons ici aux voies navigables et au transport fluvial : Comment s’effectuait la connexion entre Portus et le Tibre? Cette question nous fait nous intéresser non pas à la façade maritime de Portus, mais à sa face fluviale. Le gigantisme de la conception des bassins de Claude et Trajan en fait presque oublier la dimension fluviale du port, non moins importante. La question des ouvertures du bassin de Claude vers la mer fait par exemple l’objet de nombreux débats (J.-P. Goiran et alii 2008; J.-P. Goiran et alii 2009; Giraudi et alii 2009; Arnoldus-Huyzendveld 2005), d’un autre côté, la question de la connexion de Portus avec le Tibre, a beaucoup moins attiré l’attention des recherches pour l’instant, mais la situation n’en est pas moins complexe : Combien existe-t-il de canaux? Quelles ont été leur durée d’activité? Quels ont été leurs usages? seur Simon Keay (Université de Southampton et British School at Rome). Dans ce contexte, des prospections géomagnétiques ont été effectuées depuis une dizaine d’années autour de Portus par M. Millett et K. Strutt (Keay et alii 2005). Ces études couplées avec la relecture des photographies aériennes ont permis de reconsidérer complètement l’organisation du port et ses infrastructures en particulier entre Portus et le Tibre (fig. 46). À ce stade de la recherche, trois canaux pourraient avoir été en fonction autour de Portus durant l’Antiquité (fig. 45 et 46). Le premier canal est toujours en fonction aujourd’hui sous le nom de Fiumicino. Il se situe au sud de Portus. On le nomme communément Fossa Trajana, mais il est difficile de savoir si il a été creusé sous Claude ou Trajan, ou seulement réaménagée sous Trajan (Fea, 1824a, 1824b et 1835; Lugli et Filibeck, 1935, 29f; Testaguzza, 1970, p. 173-84; Meiggs, 1973, p. 159-60; Keay et alii 2005, p. 275-278). Un deuxième canal se situe au nord de Portus (Castagnoli, 1963, p. 643 n. 28; Giuliani, 1992). Il relierait le Tibre au littoral au nord du bassin de L’étude des canaux de portus : stratégie de carottage D’une manière générale, l’étude des canaux antiques souffre du peu d’intérêt qu’ils ont pour l’instant suscité. Lorsque la littérature y fait finalement une place, c’est souvent en indiquant un potentiel d’étude et le regret que ce champs de recherche ne soit pas assez investi (Arnaud 2008; Bonnin 1984; Wikander 2000). La raison de cette carence vient probablement du fait que les canaux sont difficilement repérables (Wikander 2000) et que l’archéologie ne peut pas à elle seule tirer bénéfice de tous les avantages de leur étude. Les méthodes de prospection classique étant inefficaces pour identifier des canaux, il faut donc se tourner vers l’observation méticuleuse des photographies aériennes et les méthodes de prospection géophysique. D’autre part, l’étude archéologique des structures propres au canal (contenant) doit s’effectuer de concert avec l’étude du comblement sédimentaire du canal (contenu), grâce aux méthodes d’analyse proposées par la géoarchéologie. L’étude des canaux de Portus s’effectue avec la collaboration de l’équipe archéologique dirigée par le profes- Fig. 46 – Delta du Tibre. Résultats des prospections géomagnétiques effectuées entre Portus et le Tibre (Keay et al. 2005, modifié). SPIOX B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 265 Fig. 47 – Delta du Tibre. Transect des carottages CN-1, CN-2 et CN-3 réalisés à l’intérieur du Canale Romano. SPIOX - 266 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Delta du tibre Chronique Claude. Les prospections géomagnétiques montrent un relatif élargissement du chenal en direction de la mer (20 m à 35 m de large) (fig. 46). Ces mêmes prospections n’ont pas permis de repérer une éventuelle structure maçonnée autour du canal, si elles n’ont pas été détruites; cela pourrait indiquer qu’il s’agirait du canal d’évacuation de crue évoqué dans une inscription attribuée à Claude (CIL XIV, 85) (Keay et alii 2005). Ce canal n’a pas encore fait l’objet de datations. Enfin, un troisième canal, dit Canale Romano, situé entre les deux canaux décrits précédemment, semble être connecté à l’amont au Tibre, contourner le bassin de Trajan par le sud et se jeter dans la dite Fossa Trajana (Testaguzza, 1970, p. 39-40; Keay et alii 2005, p. 282). Grâce au soutien de l’équipe archéologique de Southampton et de la British School at Rome, trois carottages de 9 m à 13 m ont pu être réalisés en septembre 2009. Ils se répartissent en trois points selon une logique amont/aval à l’intérieur du Canale Romano (CN1, CN2 et CN3) (fig. 46, 47 et 48). Ses dimensions sont estimées à 1,4 km de long et 35 m de large. S. Kay et M. Millett ont été d’une aide précieuse pour placer précisément les points de carottage sur le terrain. La charge de fond du Tibre piégée dans Canale romano Une des grandes surprises de cette campagne 2009 a été de découvrir la charge de fond du Tibre antique au fond du canal (fig. 47 et 48). Il s’agit d’une unité constituée de sables très grossiers qui a été relevée entre 6 m et 7,50 m de profondeur sous le zéro topographique. Cette unité comporte des fragments de céramiques émoussés ainsi que des coquilles de Bithynia tentaculata et de Theodoxus fluviatilis et leurs opercules (déterminés par Sheila Hamilton-Dyer). Ils indiquent tous deux un environnement d’eau douce. Des datations C14 sont en cours sur ces carottages. Le comblement du canal est constitué quand à lui de limons et d’argiles gris et jaunes au sommet. Le premier mètre se compose de remblai. Des études supplémentaires et plus précises seront effectuées sur ces différents dépôts sédimentaires. Le canal, comme les bassins portuaires (J.-P. Goiran et alii 2003), constitue un piège artificiel. Il révèle l’activité du fleuve à une période donnée, en tenant bien évidemment compte des modifications induites sur l’écoulement des eaux du Tibre et la compétence du fleuve par l’existence même des multiples canaux en fonction. À l’inverse d’un chenal naturel mobile qui construit ses archives sédimentaires dans la convexité de ses méandres, les canaux pourraient être considérés comme un cliché de l’activité fluviale à une époque précise. Comme nous l’avons dit, la charge de fond du Tibre révélée dans ces sédiments est le résultat de la compétence d’un Tibre réduite par l’existence même des canaux en activité. Cette découverte constitue tout Fig. 48 – Delta du Tibre. Vue en perspective d’une photographie aérienne de 1943 (No 3166 : 23S-167.5P.G 21/10/1943 12.45F/24 26 & 28,000’) avec la représentation simplifiée des carottages réalisés dans le Canale Romano. SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 267 de même un référentiel solide pour aborder l’étude future des sédiments du Tibre piégés dans les convexités du méandre du Fiume Morto près d’Ostia Antica. Jean-Philippe GOIRAN, Jean-Paul BRAVARD, Ferréol SALOMON, Simon KEAY, MnnMILLETT, Kristian STRUTT, GnnEARL, Stephen KAY et Lidia PAROLI CUMES Centre Jean Bérard (USR 3133 CNRS-EFR), Soprintendenza archeologica di Napoli e Pompei et Ministère des Affaires Étrangères (Paris) La nécropole romaine s’étendant au nord de Cumes est en cours de fouille par le Centre Jean Bérard depuis 2001. En 2009, dans le cadre de la publication finale des travaux, quatre secteurs ont fait l’objet d’enquêtes. Trois sont situés le long de la voie qui, sortant de la ville par la porte médiane en direction du nord : l’enclos D35 et ses abords où la fouille stratigraphique commencée en 2007 a été poursuivie, le columbarium D31 et le mausolée D47. Enclos D35 et D66 Dans la zone des enclos D35 et D66, 144 faits archéologiques (murs, fosses, fossés, sols, voies etc.) ont été observés dont 92 sépultures (fig. 49). Ce secteur de la nécropole situé sur le côté est de la voie est certainement occupé depuis l’époque archaïque et probablement depuis l’âge du Fer. Toutefois, du fait de la présence de la nappe phréatique, il n’a pas été possible d’atteindre les niveaux profonds, antérieurs au IVe siècle av. J.-C. À partir de cette époque, la stratigraphie dégagée entre la cote 6 m SLM et la cote 1,10 m SLM peut être scandée en cinq grandes phases : la phase samnite, la phase tardo-républicaine et augustéenne, le Ier siècle ap. J.-C., la période antonine correspondant à la monumentalisation du secteur et l’Antiquité tardive. La phase samnite est représentée par trois structures mises au jour en 2009 : elles sont datables de la fin du IVe siècle et du début du IIIe siècle av. J.-C. La tombe à chambre SP66143 est la mieux conservée. Mesurant 2,40 m de longueur par 1,60 m de largeur et une hauteur de 2,60 m, elle est construite en dalles de tuf jaune. Sur la façade subsiste la décoration du linteau resté hors de la nappe phréatique : grenades rouges sur les côtés et feuilles rouges et noires au centre. On y accédait par une porte en plein cintre (fig. 50). Les parois verticales de la chambre, hautes de 1,20 m, sont composées de deux files de dalles de tuf posées horizontalement. La couverture est formée de six dalles de tuf posées en bâtière. L’intérieur de la tombe était peint : quelques traces de peinture rouge, noire et blanche sont encore visibles, mais presque toute la décoration a disparu à cause de la montée de la nappe phréatique. Le pillage de la tombe ne permet pas de préciser sa chronologie mais sa typologie renvoie au IVe siècle av. J.-C. Aucune sépulture datable avec certitude du IIIe et du début IIe siècle n’a été mise au jour dans cette zone, mais à la fin du IIe siècle av. J.-C., deux ou trois sépultures furent creusées en bordure de la voie. Dans le premier quart du 1er siècle av. J.-C., un ensemble de 26 tombes marquées par des cippes se développe en marge du niveau de voie orienté sud-nord. Les restes osseux sont déposés dans une urne cinéraire en céramique commune italique. L’architecture funéraire comporte généralement un marquage topographique (dalle couchée ou dressée) qui individualise la tombe au sein du niveau de fréquentation. Les sépultures les plus anciennes sont pourvues d’un bloc plus petit formant table (mensa). Les pratiques évoluent jusqu’à la période impériale : la structure générale est maintenue (crémation secondaire, fosse circulaire, stèle en tuf) mais la typologie des urnes change et à partir de la fin du 1er siècle av. J.-C., le dépôt est accompagné d’un voire deux unguentaria (fig. 51). Les dernières tombes de cette phase contiennent des dépôts secondaires (gobelets à paroi fine) et plusieurs éléments attestent de la présence de dépôt primaire sur l’ustrinum. Ces dépôts peuvent être constitués de monnaies, d’appliques en bronze provenant de coffrets, de palettes à fard, de jetons. L’étude carpologique atteste la présence de grappes de raisin sur le bûcher. Plusieurs occurrences montrent des offrandes de poisson matérialisées par des vertèbres non brûlées. À l’origine, ces cippes devaient être pourvus d’une inscription indiquant le nom du défunt sur la partie sommitale. Certaines sont conservées, d’autres ont disparu suite à des phénomènes d’érosion ou à des SPIOX - 268 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Cumes Chronique Fig. 49 – Cumes, vue aérienne l’enclos D35 (cliché J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). remaniements. L’agencement général des tombes indique l’existence de travées. Le long de la voie, les blocs sont mis en place côte à côte, le bloc table tourné vers l’espace public. Derrière cette première rangée, à 1,60 m environ, s’aligne une deuxième rangée. Sur le niveau d’occupation, on trouve des objets liés à l’activité rituelle : lampes à Fig. 50 – Cumes, tombe à chambre d’époque samnite, vue de la porte (cliché J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). Fig. 51 – Cumes, urne à incinération avec balsamaires en céramique (cliché G. Brkojewitsch / J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 269 huile retournées, vases à parfum, pesons de terre cuite, col d’amphore, cailloux lissés et polis et tessons roulés. Au cours d’une troisième phase, datable du er I siècle ap. J.-C., les sépultures individuelles deviennent plus imposantes et la crémation primaire se répand. Trois chambres funéraires enterrées sont surmontées d’un cube maçonné, recouvert d’enduit blanc. Elles peuvent être attribuées à cette phase car l’étude de la céramique les situe au début du règne des Flaviens. La quatrième période est marquée par la construction du mausolée D64 et de l’enclos D35 au début du IIe siècle ap. J.-C. À l’ouest, bien que les couches aient été perturbées par des empierrements plus récents, la limite semble continue. La pratique de l’inhumation primaire devient majoritaire mais la crémation perdure puisque des urnes sont aménagées dans des niches murales de l’enclos D35. Le mausolée D64, édifié en même temps que l’enclos était destiné à accueillir les corps de plusieurs membres de la même famille. On y accédait par l’arrière et la disposition des tombes à inhumation dessinait une sorte de triclinium. La partie nord de l’enclos est dépourvue de tombes attribuables à cette phase et l’on imagine la présence d’un jardin funéraire. Dans la partie sud, un groupe de six sépultures est attribuable à des enfants, probablement ceux des propriétaires du mausolée Le petit Publius Iulius Alexander et sa sœur (?) sont ensevelis dans l’angle sud-ouest et associés à des offrandes animales. La cinquième phase correspond aux tombes de l’Antiquité tardive fouillées durant les campagnes 2007-2008. Dans l’enclos D35, 18 sépultures sont mises en place au cours des Ve et VIe siècles : tombes en pleine terre, tombes sous bâtière simple ou double, en coffre de tegulae etc. Columbarium D31 Le columbarium D31 est situé au nord du D35, le long de voie principale sud-nord se dirigeant vers Capoue. Le mausolée mesure environ 5,70 m du nord au sud et 5,30 d’est en ouest. Son plan approximativement carré présente une nette déformation, les angles n’étant pas droits (fig. 52). Le bâtiment conçu dès l’origine comme un columbarium était précédé d’un enclos. Étant donné l’épaisseur des murs : 0,80 m et jusqu’à 1,15 m, il est vraisemblable que monument présentait un étage. L’extérieur était recouvert d’une épais enduit peint en rouge, conservé seulement en partie basse. Le bâtiment en construit en opus reticulatum de tuf jaune. Les angles et les piédroits de la porte sont bâtis en moellons parallélépipédiques comme il est d’usage dans le réticulé. La porte, large de 0,83 m, permettait de Fig. 52 – Cumes, intérieur du columbarium D31 (cliché J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). pénétrer dans le monument; le sol est réalisé en éclats de tufs noyés dans le mortier. Un conduit, formé de deux tuiles rondes accolées, est scellé dans le sol immédiatement à l’est du seuil, dans l’axe de la porte. Sa construction très particulière montre qu’il s’agit d’un conduit de libation qui devait communiquer avec une tombe qui n’a pas été fouillée car protégée efficacement par une forte épaisseur de béton. Si cette hypothèse se vérifiait, on en conclurait que le mausolée D31 a été construit sur la tombe d’un personnage fondateur de l’édifice. L’édifice se compose d’une chambre principale, mesurant 3,78 × 2,90 m dont les parois sont creusées de niches contenant des urnes cinéraires. Huit niches sont ménagées dans les murs nord, est et sud.; un deuxième rang de niches renfermant des urnes était superposé au premier, mais il a presque partout disparu. Toutes les urnes ont été pillées et vidées; parfois ne subsistait que le fond de l’urne en céramique commune, voire seulement son empreinte. Les loculi devaient être fermés par une plaque, le plus souvent de marbre; aucune n’a subsisté en place mais SPIOX - 270 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Cumes Chronique Fig. 53 – Cumes, façade du mausolée D47 (cliché J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). Fig. 54 – Cumes, arrière du mausolée D47 (cliché J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 271 Fig. 55 – Cumes, intérieur du mausolée D47 (cliché J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). des clous en bronze ayant servi à fixer les plaques sont encore en place. Dans la couche de terre humique remplissant l’espace principal a un fragment de plaque en marbre cipolin, lacunaire sur le côté droit et en bas pourrait provenir d’une des niches. Le texte se déroule sur cinq lignes : D(iis) [M(anibus)] / Monia [...] / qui vixi[t...] / qui labo[ravit] / patrono [suo]. Les caractères paléographiques suggèrent une datation au cours du Ier siècle ap. J.-C. cohérente avec la chronologie relative des monuments de cette zone; en effet, le mur de l’enclos funéraire D35, bien daté du début du IIe siècle s’appuie sur l’angle du columbarium D31. Mausolée D47 Situé à une centaine de mètres de la porte septentrionale, le mausolée D47 fait partie des monuments funéraires construit le long de l’axe nord-sud, orientée en direction de Capoue. De plan rectangulaire (3,60 x 4 m), le monument abrite une chambre funéraire pillée à plusieurs reprises. Le monument D47 est implanté sur le côté oriental de la voie. À l’emplacement où sera construit le monument funéraire D47, existaient déjà des niveaux de voie et au moins une sépulture datable de la première moitié du Ier siècle avant notre ère. Le mausolée, de plan carré, est couvert par une toiture à double pente recouverte d’une couche de béton de tuileau (fig. 53 et 54). Les murs sont construits en opus reticulatum avec des chaînages d’angle en opus vittatum. La façade aujourd’hui dégradée par les spoliations comportait une porte d’entrée probablement surmontée d’une inscription. Le monument abrite une chambre à laquelle on accédait par un couloir dont ne subsistent que les murs latéraux. Cette chambre est un espace voûté comportant deux banquettes sur ses côtés nord et est; chacune d’elles a reçu une inhumation (fig. 55). Ces dépositions ont été très fortement perturbées lors du pillage du monument. Les restes des squelettes ont été retrouvés au pied des lits, sur le sol de la chambre, dans une couche mêlant restes humains et éléments de mobilier funéraire. Les éléments chronologiques sont trop peu nombreux pour assurer une datation précise des dépositions. Des monuments funéraires relativement similaires à celui de Cumes sont connus à Pompéi où ils sont généralement datés du milieu du Ier siècle de notre ère. Le fait que le monument D47 s’installe sur un cippe funéraire daté de la fin de la république ou du début de l’époque augustéenne incite à fixer son implantation dans la première moitié du Ier siècle de notre ère. Une seconde phase est visible dans la construction; le monument est ceinturé sur ses côtés sud, est et nord par un mur construit en opus reticulatum alors que le toit à double pente est recouvert d’une seconde strate de béton de tuileau. Il est probable que cette reprise a dû avoir lieu dans les années ou les proches décennies qui ont suivi sa construction. Une troisième phase correspond à la fermeture définitive du mausolée : un bloc monolithique de tuf jaune fermant la porte est scellé, le couloir d’accès étant comblé par une épaisse couche de mortier supportant un sol en béton de tuileau limité sur trois côtés par un mur construit en opus reticulatum. Le sol et les murs qui l’encadrent forment un petit enclos qui devait servir aux cérémonies funéraires. Suivent plusieurs phases marquées par l’implantation progressive de tombes à inhumation au cours de la période comprise entre le IIe et le Ve siècle. Jean-Pierre BRUN, Emmanuel BOTTE, Gaël BRKOJEWITSCH, Laetitia CAVASSA, Nicola MELUZIIS et Priscilla MUNZI 3 3. Avec la collaboration de Luca Basile, Guilhem Chapelin, Gilbert Ciervo, Anselme Cormier, Cyril Cornillot, Filomena Costagliola, Gianluca D’Avino, Serena D’Onofrio, Stéphanie Le Berre, Boris Marie, Milena Mazza, Stephan Naji, Pascal Néaud, Dorothée Neymé, Elena Piccolo, Karine Peres, Julien Plumereau, Laurence Sereney, Ilaria Turco, Claudia Turco, Ophélie Vauxion. SPIOX - 272 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Pompéi Chronique POMPÉI. PROGRAMME DE RECHERCHES SUR L’ARTISANAT ANTIQUE Centre Jean Bérard, École française de Rome, Ministère des Affaires étrangères (pôle Archéologie), Agence nationale de la recherche (projet Artifex) Tannerie Dans la tannerie de l’insula 5 de la Regio I qui fait l’objet de travaux depuis 2001, les travaux complémentaires ont porté principalement sur l’angle nord-est du portique 8 et sur les rues ouest (300) et sud (400) (fig. 56). À ces sondages ont succédé un long travail de restauration des bâtiments. Les sondages Sous le portique 8, l’objectif des sondages était de clarifier la chronologie relative des structures situées autour des bassins distribuant l’eau dans les ateliers de Fig. 56 – Pompéi, tannerie I 5. Vue aérienne avec localisation des secteurs sondés (cliché J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). trempage de peaux. Les fouilles ont conduit à la découverte d’un puits de plan rectangulaire (1,70 × 1,40 m), creusé dans le basalte et ceinturé en partie haute par trois rangs de blocs en calcaire du Sarno de grandes dimensions (fig. 57). Le puits a été transformé ultérieurement en noria. La partie supérieure du puits a été modifiée, passant de rectangulaire à elliptique pour permettre le passage de la chaîne à godets. À l’ouest du puits, une structure de plan carré, formée de quatre murets fondés sur le substrat sert de socle à une structure supportant les montants du bâti de bois permettant à la roue de fonctionner. Pour mettre en place ces aménagements, on a détruit un mur ancien et on a perforé des niveaux de sols déjà existant pour creuser une tranchée de fondation. La construction d’une noria s’explique aisément : le tremblement de terre de 62 ou 63 ap. J.-C. ayant entraîné une rupture de l’aqueduc, les artisans ont dû trouver une solution pour augmenter le débit du puits, ce qui explique l’aménagement de la roue élévatrice. Peu de temps avant l’éruption du Vésuve, le puits fut comblé, sans doute car on disposait à nouveau dans l’atelier d’un apport d’eau suffisant depuis l’extérieur. Entre le séisme et le moment de l’éruption, l’alimentation en eau courante a dû être rétablie et de ce fait les artisans n’avaient plus besoin du puits et de la noria. Ainsi, le puits est comblé et la zone remblayée, faisant disparaître les murs de support utilisés pour le fonctionnement de la roue. Dans la ruelle ouest (secteur 300), un sondage a été ouvert pour vérifier que, dans la phase 2, l’îlot s’arrêtait à l’angle des murs 4 et 5 et que la ruelle, au tracé un peu tortueux existait dès l’urbanisation de cette partie de la ville. Ce sondage a montré qu’antérieurement à la construction de l’îlot, la zone était occupée par une carrière de basalte exploitée au IVe siècle avant J.-C. La Fig. 57 – Pompéi, tannerie I 5. Vue du puits transformé en noria (cliché J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 273 carrière fut comblée en partie dans la seconde moitié du IVe siècle et des colluvions se déposèrent durant la fin IVe-première moitié du IIIe siècle. Le mur en grand appareil de l’îlot est bâti dans ces colluvions au cours de la première moitié ou vers le milieu du IIIe siècle (fig. 58). Dans ce secteur de la ruelle, le creusement de plusieurs fosses a détruit les niveaux de chaussée des IIIe au Ier siècles avant J.-C. Au début du Ier siècle après J.-C., le début de la ruelle reçut un pavement de basalte. Le dernier épisode notable est marqué par le creusement d’une vaste fosse après le tremblement de terre, en liaison avec les travaux de restauration des murs. Un autre sondage a été réalisé dans la rue qui borde l’îlot au sud séparant ce dernier des remparts de l’époque samnite. Elle prend son origine à la Porte de Stabies, longe l’îlot 1 où se trouve un bar, rencontre la ruelle 300 qui sépare l’îlot 1 de l’îlot 5 et longe la façade méridionale de la tannerie. Le mur de façade sur de l’îlot (M8) bâti en opus incertum comporte, dans sa partie occidentale, sept portes bouchées. Ces portes donnaient accès à autant de pièces rectangulaires et de petite taille ultérieurement détruites par la carrière de basalte implantée dans la partie sud de l’îlot. De part leur plan et leur disposition, il est probable que ces pièces servaient de lieux de prostitution. Afin de dater l’ouverture et le bouchage de ces portes, le sondage a été ouvert dans la rue à mètres de l’angle sud-est de l’îlot. Limité au nord par le mur 8 dont l’élévation totale est de 4,80 m, il est bâti en opus incertum et présente trois phases. De la fondation à 1,30 m de hauteur environ, l’appareil est en tuf calcaire (M8A) recouvert d’un enduit qui présente un angle (angle d’une porte ou d’une maison). La stratigraphie permet de dater la construction de ce mur dans la seconde moitié du IIe siècle avant J.-C. Au-dessus de l’arase de ce mur Fig. 58 – Pompéi, tannerie I 5. Angle de l’îlot reposant sur un ban de basalte entamé par une carrière (cliché J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). primitif et de la fondation 8B commence le mur 8C en opus incertum mêlant du tuf calcaire, du basalte et des tuiles dans un mortier de chaux (fig. 59). Ce mur est percé de 7 ouvertures larges de 0,70 m et hautes de 1,75 m. Les pièces étaient larges en moyenne de 2,10 m, sauf la première et la dernière. Le mur est recouvert par un enduit blanc qui retourne à l’intérieur des portes jusqu’à une feuillure qui marque l’emplacement de l’huisserie. L’édification du mur et des portes est contemporaine ou postérieure à la fin du règne d’Auguste. Une troisième phase est marquée par le bouchage des portes avec des matériaux de remploi scellés à la chaux maigre (M8D); le matériel associé au bouchage des portes permet de dater cette modification dans le courant du second quart du Ier siècle après J.-C. Vers le milieu du siècle, les colluvions s’accumulent contre le bouchage des portes jusqu’au tremblement de terre : à partir de cette époque, ce secteur de la rue, comme la rue est (100), a été remblayé par des gravats provenant des démolitions. Fig. 59 – Pompéi, tannerie I 5. Le mur 8A-B et une porte bouchée (cliché J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). Fig. 60 – Pompéi, tannerie I 5. La salle 16 en cours de restauration (cliché J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). SPIOX - 274 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Pompéi, pistrina Chronique Fig. 61 – Pompéi, tannerie I 5. Les portiques nord et est de la cour après pose des toitures (cliché J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). Fig. 62 – Pompéi, tannerie I 5. L’entrée de la maison I 5 2 après restauration du porche (cliché J.-P. Brun, CNRS-EFR, Centre J. Bérard). Restauration des bâtiments tures no 6, des ateliers de travail sous le portique no 8, et de la galerie nord de la cour no 29 (fig. 61). Il a aussi semblé opportun de remonter le pilier ouest de l’entrée monumentale I 5, 2 qui avait été détruit par le bombardement de 1943. Dans cette zone, la restauration a consisté à remettre en place un chapiteau que nous avions retrouvé dans nos dégagements et à poser une toiture pour mettre les vestiges à l’abri (fig. 62). Les travaux ont été complétés par la mise en place d’une pergola au dessus du triclinium d’été de la cour 20. Grâce à ces travaux, le site ne présente plus de dangers pour les visiteurs. L’ouverture au public dépendra cependant de l’aménagement de la voirie et de la restauration de l’îlot I 1. À partir de janvier 2009, la Surintendance de Naples et Pompéi a fait procéder à d’importants travaux de restauration de la tannerie. Le financement a été octroyé par la Surintendance spéciale avec une contribution de l’Unione nazionale conciaria italiana. Sous l’autorité du Surintendant P. G. Guzzo et du directeur du site de Pompéi A. D’Ambrosio, l’architecte Paola Rispoli a procédé au choix d’une entreprise chargée de consolider les murs, de les reconstruire si nécessaire et de poser des couvertures. L’équipe du Centre Jean Bérard a été chargée de la fourniture des documents techniques (plans, coupes) et a participé aux choix des actions prioritaires : couverture de la salle des cuves no 16 (fig. 60), de la salle ornée de pein- Jean-Pierre B RUN , Emmanuel B OTTE , Guilhem C HAPELIN et Martine L EGUILLOUX 4 POMPÉI, PISTRINA : RECHERCHES SUR LES BOULANGERIES DE L’ITALIE européen d’histoire et des cultures de l’alimentation (Tours) ROMAINE École française de Rome, Centre Jean-Bérard (USR 3133, CNRS-EFR), Soprintendenza speciale per i Beni archeologici di Napoli e Pompei, Ministère des Affaires étrangères (Paris) et Institut La seconde campagne du projet «Pistrina – Étude des boulangeries de l’Italie romaine» s’est déroulée à Pompéi du 31 août au 2 octobre 2009 5 , en continuant d’explorer deux voies. La première consiste à étudier l’ensemble des 36 boulangeries pour 4. Avec la collaboration de Marie Delayeun, de Laura Goglio, d’Étienne Jaffrot et de Victoria Leitch. 5. Outre les financements institutionnels, cette opération a bénéficié du soutien de Fittes S.A. (Nîmes) au titre du mécénat culturel; nous remercions vivement M. Tessier, son gérant. Le projet a également remporté le prix d’aide à la recherche octroyé par l’Institut Européen d’Histoire et des Cultures de l’Alimentation (IEHCA, Tours). Les relevés ont été effectués grâce au logiciel «Top Station», gracieusement prêté par la société JSInfo. L’équipe de fouille et d’étude SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 275 comprendre leurs aménagements et leur agencement spatial, tout en créant une documentation normalisé. La seconde a été de poursuivre les sondages entamés l’an passé. Études thématiques Dans le cadre de la campagne de relevé systématique, seize nouvelles boulangeries, s’ajoutant aux huit de la campagne précédente, ont été dessinées et insérées dans la trame urbaine géoréférencée de la ville. De plus, huit fours ont été relevés de manière systématique et détaillée : pour chacun d’entre eux, une ou deux vues en élévation ont été réalisées, en fonction de la présence ou non d’un mur diaphragme, ainsi que trois coupes selon les axes horizontal, sagittal et frontal (fig. 63). Les réflexions entamées l’an dernier sur l’état d’usure des moulins ont été étendues à l’ensemble des meules de type «pompéien» (entières ou fragmentées) mises en évidence sur le site. Pour ce faire, une description de chaque fragment de meule a été réalisée sur des fiches normalisées et vingt profils d’usure à l’échelle 1/1 ont été relevés. Le traitement des données recueillies permettra de revoir la typologie dressée dans les années 1980 par D. P. S. Peacock, en l’affinant et en ne limitant pas les critères déterminants aux seules dimensions. Une grande partie de nos réflexions de cette année a porté sur le système de fonctionnement des moulins, en particulier sur les techniques d’assemblage et de rotation du catillus (meule active) sur la meta (meule dormante). Pour l’heure, il faut repousser l’hypothèse que le catillus ait été suspendu et que l’écartement des meules ait pu être réglé : tous les exemples de ce type de système, de l’époque romaine jusqu’aux moulins contemporains, impliquent un système de réglage depuis la base de la meta; les moulins pompéiens, dépourvus de perforation dans l’œillard, ne permettent pas la mise en place d’un tel système. L’anille aurait ainsi été simplement une anille de centrage. Les premiers résultats archéobotaniques (carpologie, anthracologie, palynologie et étude des phytolithes) ont été obtenus. Le bilan de l’expérience cherchant à caractériser les phytolithes sur les surfaces actives des meules est contrasté : seule la boulangerie de la maison des Chastes Amants (IX 12, 6) – fouillée en 1987 – a apporté des données exploitables au-delà du «bruit de fond» des graminées observé dans l’ensemble des échantillons. Il en ressort cependant que les céréales broyées dans les moulins étaient nues ou préalablement décortiquées, en dépit de quelques résidus de tiges, feuilles et glumes. Par ailleurs, le tamisage et l’étude des sédiments prélevés l’an passé et cette année, en particulier dans les niveaux Fig. 63 – Pompéi Pristina. Relevé de la façade et plan du four situé dans la boulangerie V 3, 8 (relevé – dessin : V. Albano; échelle : 3/200). était composée de : S. Aho (étudiante Université d’Helsinki); V. Albano (architecte); E. Bukowiecki, M. Célié (INRAP) ; A. Coutelas (Arké Mine), M. Derreumaux (Institut royal du patrimoine artistique); F. Fouriaux (Maison de l’archéologie, Chartres); V. Lallet; L. Garnier, É. Letellier et S. Longepierre (doctorants IRAA-Université de Provence); R. Macario; V. Matterne (CNRS, UMR 7209 «Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements»); O. Mignot, N. Monteix (EFR); Ch.-É. Sauvin (doctorant Université de Paris I); Sandra Zanella; avec la collaboration d’Hélène Dessales (ENS, UMR 8546 : «Archéologies d’Orient et d’Occident et textes antiques»). Les photos des boulangeries de Pompéi (fig. 67, 69 et 70) ont été réalisées par des membres de l’équipe, sur concession du Ministero per i Beni e le attività culturali – Soprintendenza archeologica di Pompei. Toute reproduction, par quelque moyen que ce soit, reste interdite. SPIOX - 276 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Pompéi, pistrina Chronique de circulation de la salle des meules de la boulangerie I 12, 1-2, a progressé. Aux espèces déjà reconnues (olivier, figuier, vigne et féverole) s’ajoutent le pêcher (Prunus persica), le noyer (Juglans regia), l’ers (Vicia ervilia), la gesse (Lathyrus), le cyprès (Cupressus sempervirens) et de la matière organique indéterminée. Le spectre comprend donc des légumineuses et des fruitiers, mais aucune céréale. Sur les 2780 restes recueillis cette année, 2763 correspondent à des noyaux d’olive, soit 99% de l’ensemble, ce qui fait de cette espèce le taxon largement prédominant. Leur utilisation comme combustible pour le four à pain, ensuite épandu avec des cendres dans la salle des meules, reste la seule interprétation raisonnable. Avec l’achèvement de la recension et de la description des pétrins entamées l’an passé, nous avons abordé un autre type d’aménagement cette année. Il correspond à de grandes jattes céramiques, installées soit sur des podiums maçonnés, soit sur des catilli en remploi. Onze exemplaires conservés ont été observés dans sept boulangeries (V 3, 8; IX 1, 3.33 [2 ex.]; IX 3, 19-20 [2 ex.]; IX 5, 4; VI 3, 27-28; VI 11, 8-10 [2 ex.]; VII 15, 1-2), l’un d’entre eux étant sans provenance établie, stocké dans les dépôts du site (Inv. no P52548). Il convient d’ajouter la boulangerie des Chastes Amants parmi les laboratoires dotés de cet aménagement, même si le récipient céramique en a disparu. Contrairement à ce qui a été observé pour d’autres équipements, aucune conception normalisée ne se dessine : chaque boulangerie adapte un schéma général à sa situation particulière. Les lignes directrices semblent être de disposer de récipients souvent évasés et de grandes dimensions, relativement étanches – mais pas suffisamment pour contenir des liquides –, fortement ancrés sur des podiums. Ces récipients peuvent être regroupés par deux ou trois et présentent alors parfois des formes différentes. Les trois principaux types mis en évidence sont les suivants : le premier est un récipient largement ouvert, à parois évasées et lèvre aplatie, élargie vers l’extérieur (fig. 64, a); le second est de dimension plus réduite, les parois sont verticales, la lèvre est aplatie et légèrement épaissie des deux côtés (fig. 64, b); le troisième est dépourvu de fond et pourrait correspondre à un demi dolium globulaire, soit retaillé, soit cuit directement avec cette forme (fig. 64, c). En ce qui concerne la forme des podiums, deux solutions ont été observées : soit un aménagement intégralement maçonné dans lequel est inséré le récipient, soit en fixant celui-ci sur un catillus de meule en remploi à l’aide d’une importante couche de mortier. Lorsque le troisième type de récipient est employé, une feuille de plomb obture l’œil- lard de la meule (fig. 64, c et fig. 65). La large ouverture de ces jattes, associée à une faible profondeur, permet de proposer une première hypothèse d’utilisation : il s’agirait des récipients utilisés pour le pointage, première fermentation légère de la pâte avant la formation des pâtons. La proximité de ces aménagements avec le pétrin pourrait conforter cette hypothèse. L’étude des fours a abordé deux aspects distincts mais complémentaires, l’analyse du bâti et l’approche pétroarchéologique des matériaux de construction d’une part, les aspects techniques et fonctionnels de la construction des fours d’autre part. La mise en place d’un système de description et d’enregistrement des différentes éléments constitutifs des aménagements de cuisson permet de proposer une première hypothèse quant aux techniques et aux procédés de construction. Dans un premier temps, un massif de maçonnerie de forme quadrangulaire est érigé, fréquemment inséré entre deux ou trois murs préexistant. Au centre de cette plateforme, le diamètre de la chambre de cuisson est dessiné, d’abord avec une ou deux assises de fragments de tuiles, surmontées par une assise de blocs de lave de 20 à 40 cm de hauteur intégrant les piédroits et le linteau de la gueule du four. Un tas de sable est ensuite élevé dans cette circonférence, la forme de cet amas déterminant celle de la future voûte. Celle-ci est alors montée en superposant des assises de tuiles biseautées disposées en encorbellement puis recouvertes de blocage. Plus rarement, la voûte est coulée. Après séchage, l’extrados est soigneusement lissé et le tas de sable évacué par la gueule du four. Une partie de nos réflexions s’est également tournée vers l’utilisation des espaces situés au-dessus de la coupole, parfois appuyés sur une voûte en berceau, généralement accessibles depuis une pièce voisine. Parallèlement, une étude des mortiers employés dans les maçonneries – essentiellement des fours mais également de certaines portions de mur – a été amorcée durant cette campagne. Elle a pour but d’aider à la distinction entre les constructions antiques et les restaurations modernes, mais également de mettre en évidence l’existence de techniques propres aux fours. Études de cas La boulangerie I 12, 1-2 En I 12, 1-2, nous avons étendu la fouille initiée durant la campagne 2008 afin de comprendre les rythmes d’installation de la boulangerie dans cette maison (fig. 66). Le sondage initié l’an passé dans la salle 4 a été SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 277 Fig. 64 – Pompéi Pristina. Principaux types de jattes céramiques utilisées pour le pointage dans les boulangeries pompéiennes. Le trait pointillé de la paroi extérieur est lié à l’insertion de ces jattes dans des éléments maçonnés. a) type «à parois évasées» (IX 1, 3.33); b) type «à parois verticales» (IX 1, 3.33); c) type «demi dolium» (V 3, 8; dans la coupe, la feuille de plomb constituant le fond a été représentée; dessins : N.M.; échelle 3/40). Fig. 65 – Pompéi Pristina. Coupe restituée de la jatte de pointage installée sur une meule en remploi dans la boulangerie IX 5, 4. 1) jatte (de type «demi dolium»); 2) meule en remploi; 3) feuille de plomb utilisée comme fond, posée sur du mortier; 4) muret contenant la meule (relevé : N. Monteix; DAO : R. Macario / N.M.; échelle : 3/40). quelque peu approfondi, mettant au jour un mur renvoyant à l’état probablement originel de la maison, très antérieur à l’installation de la boulangerie. Dans la pièce 1, nous avons approfondi la fouille des niveaux de terre battue initiée en 2008, tout en étendant nos recherches à la pièce 3 où se trouvait, en 79, la quatrième meule. Les sondages réalisés dans la salle des meules permettent de proposer une scansion pour l’installation de la boulangerie. Il convient cependant de noter que cet aperçu général reste hypothétique et pourrait être remis en cause par l’étude du matériel. Le principal problème rencontré tient en effet à la présence d’une canalisation coupant la pièce en deux dans le sens nord-sud, ce qui a occasionné une rupture stratigraphique majeure. Une partie des murs de la construction originelle a été aperçue lors des fouilles, exclusivement dans la partie occidentale de la salle des meules. Ils ont été partiellement arasés pour permettre la mise en place de la boulangerie. Les travaux liés à cette installation sont massifs. Après la pose du dallage des deux meules les plus au sud et l’installation des moulins, l’ensemble du sol est remblayé dans la pièce. Une partie des déchets liés à la taille et à l’ajustement des deux meules a été utilisée à cette fin (fig. 67). Un rehaussement de la canalisation paraît devoir être associé avec ces travaux. L’hypothétique mur de refend nord-sud longeant le bord oriental de celle-ci est partiellement arasé et remplacé par deux colonnes. À l’est de celles-ci, un enclos de fonction encore indéterminée est construit. SPIOX - 278 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Pompéi, pistrina Chronique Fig. 66 – Pompéi Pristina. Plan schématique des transformations survenues depuis la création de la boulangerie I 12, 1-2 (échelle : 3/400). Dans cette première phase de fonctionnement de la boulangerie, deux ouvertures donnent sur la Via dell’Abbondanza : une petite porte à l’est et un large seuil – de boutique? – à l’ouest qui laisse voir le travail de mouture. Fig. 67 – Pompéi Pristina. Couche de déchets de taille de fragments de basalte, probablement de meules, correspondant à l’installation de la boulangerie I 12, 1-2 (cliché O. Mignot / EFR). À un moment successif, une troisième meule est ajoutée au nord des deux premières : le remblai préalablement déposé est recreusé pour permettre l’installation de nouveaux blocs de basalte. Il semble que ce soit à ce moment là que le large seuil soit récupéré et la grande porte donnant sur la rue bouchée. Le séisme de 62 entraîne de nombreux désordres dans les maçonneries. La couverture de la canalisation doit être refaite. Dans la pièce 3, les niveaux existant alors sont entièrement détruits pour vérifier et réparer le mur est de la salle ainsi que le mur mitoyen avec la pièce 1. À cette occasion, les creusements nécessaires à la restauration des deux murs sont profonds au point d’atteindre un niveau de grey ash, issu d’une éruption anté-plinienne. Le remblai utilisé pour combler ces tranchées sert de fondation à l’installation d’une quatrième meule. Plus tard, éventuellement en lien avec un second événement sismique, d’autres travaux de restauration sont entrepris. Le mur séparant la pièce 3 de la pièce 1 est arasé pour faciliter la circulation, attestée par la formation d’un niveau de terre battue sur les vestiges du mur. La porte de la pièce 3 est déplacée au sud, SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 279 l’ancienne porte ayant cédé sa place à un nouveau mur de soutènement, réalisé en opus vittatum mixtum, comme son pendant au nord de la pièce 1. Enfin, c’est à ce moment que la petite porte située au nord de la salle des meules est bouchée. Dans la salle du pétrin (pièce 10), un nettoyage méticuleux de surface a permis de mettre en évidence les niveaux de sol «protégés» par la mise en place de fins niveaux de ciment lors des restaurations survenues depuis le dégagement de la maison dans les années 1950. Plusieurs fosses ont été observées mais présentent toujours la difficulté de déterminer si elles précèdent l’éruption – et ont été vidées lors de la fouille – ou si elles ne remontent qu’aux travaux réalisés dans les années 1990. Cependant au moins deux d’entre elles situées dans l’angle nord-ouest de la pièce peuvent être interprétées comme des étais, l’un vertical, l’autre oblique, placés lors de la toute dernière phase d’activité de la boulangerie. Deux autres points sont à noter. Le premier est la confirmation d’une hypothèse avancée l’an passé : la salle présente au moins deux phases. Dans la première, une unique table de façonnage était présente, individualisée par ses deux pieds. Lors de l’extension de la pièce vers le sud, le pied méridional a été abattu, déplacé et deux nouveaux pieds pour une seconde table ont été construits. De plus, courant le long du mur occidental, nous avons observé les traces d’une banquette – éventuellement similaire à celle située contre le mur oriental. La boulangerie IX 3, 19-20 (en collaboration avec l’Expeditio Pompeiana de l’Université d’Helsinki) Dans cette boulangerie, nous avons procédé à l’extension en profondeur des sondages commencés l’an dernier dans les deux salles situées à l’ouest des meules (118 et 121; fig. 68). Ces travaux ont permis de mettre en évidence les transformations du système d’approvisionnement en eau, avant et après la création de la boulangerie, mais également de cerner les modifications successives du parcellaire. La stratigraphie observée s’est Fig. 68 – Pompéi Pristina. Localisation des sondages réalisés en 2009 dans la boulangerie IX 3, 19-20 (échelle : 3/400). SPIOX - 280 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Pompéi, pistrina Chronique révélée fortement perturbée notamment par un effondrement de terrain survenu dans l’antiquité, probablement en lien avec le(s) séisme(s) de la seconde moitié du Ier siècle de notre ère. L’étude du matériel étant encore en cours, la succession ici proposée reste relative. Lors de la première phase reconnue, les pièces 118 et 121 apparaissent séparées par un mur. Dans la pièce 121, une canalisation, probable conduite d’évacuation du surplus d’une citerne située dans la partie septentrionale de la pièce, se développe dans le sens nord-sud, en direction de la rue. Dans la pièce 118, de dimensions alors plus réduites, le sol est composé de terre battue à l’ouest et d’un pavement en galets liés au mortier qui se poursuit dans la salle des meules (113). Au cours d’une seconde phase, la «pièce» 118 est agrandie vers l’est par l’installation d’un muret de facture grossière. Une nouvelle limitation à l’ouest est érigée, puis le sol est refait en béton de tuileau. À l’est, le mur est traversé par une canalisation qui se dirige vers la pièce 113. Il est probable que ce soit l’avaloir recueillant l’eau pluviale se déversant dans la pièce 118, probable puits de lumière. Lors de cette même phase, la pièce 121 bénéficie également d’un nouveau revêtement de sol en tuileau, après un rehaussement. À ce moment, 121 s’ouvre au sud vers la pièce 107. La troisième phase paraît commencer en 62, avec le séisme qui crée d’importants dégâts et conduit à des remaniements notables dans l’ensemble de la zone explorée. Il est possible que cette phase corresponde à l’installation de la boulangerie. La citerne située sous 118 s’effondre, générant un fort pendage aux lambeaux du sol qui subsistent. La porte liant la pièce 121 à la pièce 107 est obturée, tandis qu’une ouverture est créée entre 118 et 121. D’importants travaux liés à la gestion de l’eau sont alors réalisés. La citerne principale devient celle située en 121; elle reçoit l’eau de pluie tombant sur les pièces 118 et 121. Dans cette dernière, un conduit est percé dans l’angle sud-est pour convoyer l’eau vers la citerne occidentale. Le mur oriental de la pièce 118 est déplacé vers l’est. Il est doublement percé à sa base : par une amphore qui fait office de canalisation vers la citerne se développant sous la pièce 113; par une ouverture maçonnée qui devait se déverser sur le sol de 113 avant de rejoindre une canalisation d’eau usée dont le premier tronçon a été détruit lors de l’éruption. Lors de ces travaux, la pièce 118 est dotée d’un nouveau sol en béton de tuileau. Deux probables installations liées au lavage du grain ou à l’humidification des grains avant mouture sont installées. Chacune comprend une base de tuiles insérées dans le sol – possible support pour des planches – et un réservoir d’eau, respectivement situés dans les angles nord-ouest et sud-ouest. La dernière phase est scandée par des travaux dont seule la succession relative peut être déterminée pour l’instant. Le principal d’entre eux est constitué par l’installation d’une arrivée d’eau sous pression, perceptible par le réseau de tuyaux en plomb qui parcourt la pièce 121. Outre la fontaine de la pièce 122, ces fistulae servent à irriguer au moins l’un des récipients de «lavage», peut-être les deux. Conséquemment, la bouche de citerne de la pièce 121 est bouchée par un bloc de lave. Le récipient de l’angle sud-ouest est probablement Fig. 69 – Pompéi Pristina. Expérience de remplissage de la meule remployée comme bassin dans la boulangerie IX 3, 19-20. a) remplissage en cours depuis le point d’arrivée de la fistula en plomb; b) débordement de la meule remplie, on note les traces de calcaire de part et d’autre du passage de l’eau s’échappant du récipient; c) vidange de la meule (clichés N.M. / EFR). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 281 Fig. 70 – Pompéi Pristina. Réfection de la couverture de la canalisation traversant la pièce 121 du nord au sud. Dans la paroi méridionale, on note, au-dessus du passage de la canalisation, un bloc en remploi couvert de stuc de Ier style, correspondant au rehaussement de la seconde phase de la pièce (cliché S. Aho / EFR). changé : il s’agit désormais d’une meta de meule remployée qui porte encore les stigmates de l’écoulement de l’eau calcaire de l’aqueduc (fig. 69). Enfin, dans un second temps, sans que l’on ne puisse en déterminer la raison – l’évocation d’un nouveau séisme reste possible –, la canalisation acheminant l’eau hors de la pièce 121 est refaite (fig. 70). Par ailleurs, le nettoyage des niveaux de sol de la salle des meules a permis de compléter ces informations, en dépit de conditions de conservation assez médiocres : outre un effondrement partiel de la citerne lié à l’éruption de 79, de fortes perturbations ont été observées dans le reste de la salle, liées soit aux secousses ayant ponctué l’ensevelissement final, soit aux conditions de la fouille moderne, soit enfin à l’abandon des lieux après leur dégagement à la fin des années 1860. Nicolas MONTEIX Institut national du patrimoine (Tunis), École française de Rome, Collège de France, Ministère des Affaires étrangères (Paris) Des couches et des aménagements tardifs furent identifiés dans tous ces édifices. Dans la partie orientale de la pente, les restes d’une maison tardive, dont l’axe n’est pas le même que celui du clivus des siècles précédents, furent découverts, ainsi qu’une partie d’un bassin (S37). La fouille de la pente menant au sanctuaire Sondages sur la pente menant au sanctuaire La campagne de 2009 devait éclairer le problème de la liaison entre le secteur du temple et celui du portique des thermes, situé au bas de la pente, à l’est (fig. 71). Jusqu’à présent il était admis qu’il s’agissait d’une voie qui reliait les deux secteurs. Après plusieurs sondages, qui révélaient l’existence de constructions sur la pente, et d’un grand escalier, nous avons décidé en 2008 d’ouvrir l’ensemble de la pente pour être capables de décrire et de dater les structures partiellement dégagées jusqu’alors. Le campagne de 2008, qui partait d’un décapage général de la pente, a permis d’identifier un édifice construit vers la fin du Ier s. de n. è. sur la partie supérieure de la pente, avec des mosaïques en noir et blanc, ainsi que des restes d’une autre salle à la hauteur du bassin S21. Nous avions alors conclu que vraisemblablement il s’agissait d’une phase de constructions liée à la première phase du secteur du temple. L’édifice S25-26, qui était soit un local de réunion, soit l’entrée vers les premiers thermes du site, fut détruit à partir du milieu du IIe siècle, date qui correspond à celle de la construction du deuxième temple, des portiques et des thermes. Dans le secteur de la pente, notre travail a consisté cette année en deux sondages au nord de S25 et S26, fouillée déjà en 2008, et dans la fin de la fouille en S24, dont les couches superficielles ont été dégagées par C. et F. Bessière en avril 2008. En effet, tandis qu’à l’ouest de la pièce S24, la fouille d’avril 2008 s’était poursuivie jusqu’à la roche en place, à l’est, il restait une bande de terrain le long du mur MR 2581, large d’environ 2 m dont seules les couches supérieures avaient été enlevées en avril 2008. Or, nous avions constaté un alignement de traces de blocs suspect au sol et nous voulions vérifier s’il s’agissait d’un mur. Nous avons retrouvé, lors de la fouille, le mur MR 2470 apparu l’an dernier, qui fermait au sud la salle de la mosaïque aux hexagones. Il se poursuit vers l’ouest et fait apparemment retour avec le mur MR 2575, de direction nord-sud, découvert cette année et confirmant les traces vues l’an passé. Au nord du mur MR 2470, nous avons retrouvé la mosaïque aux hexagones UF 2472, sur laquelle est posé le mur MR 2581. Conservée sur environ un mètre à l’ouest du mur, elle a disparu vers l’ouest et aucune trace jusqu’au mur JEBEL OUST (TUNISIE) SPIOX - 282 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Jebel oust Chronique Fig. 71 – Djebel Oust. Plan d’ensemble des structures mises au jour sur la pente, éch. 1/200. MR 2295 n’est visible, sauf peut-être sous la forme d’une fine pellicule de mortier qui serait le résidu du support de la mosaïque. Au sud du mur MR 2470, les lambeaux d’une nouvelle mosaïque UF 2724 ont été dégagés. Elle correspond au niveau de la pièce du bâtiment aux mosaïques à l’ouest de S26. Au nord du mur MR 690, la fouille d’une deuxième zone a permis de préciser au nord l’extension du bâti- ment aux mosaïques. En effet, dans une zone qui semble avoir été partiellement fouillée par Fendri, sous des remblais qui pourraient provenir de ses fouilles, nous avons pu dégager la suite de la mosaïque aux hexagones UF 2472, sur laquelle est fondé à cet endroit le MR 690. La limite nord de cette mosaïque nous est donnée par la présence de la bande de raccord avec un mur qui est totalement arasé, MR 2698. Au nord de ce mur, le lambeau d’une nouvelle mosaïque, UF 2693, est SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 283 apparu : il s’agit d’une nouvelle pièce du bâtiment aux mosaïques vers le nord. Il semblerait que le mur MR 2581 ait coupé en deux cette nouvelle pièce, comme il coupe la pièce à la mosaïque aux hexagones. Nous serons ainsi à même de proposer un plan de ce bâtiment aux mosaïques qui ne sera toutefois pas complet : désormais en effet, nous pouvons encore repousser son extension vers le nord, même si la limite de la nouvelle pièce au nord reste à déterminer, de même que le mur qui ferme cette pièce à l’ouest. Enfin, à l’est, il est peu probable que nous puissions définir la limite de la pièce, de même que la limite de celle à la mosaïque aux hexagones. En effet, un mur MR 2694 vient s’appuyer sur le parement nord de MR 690 et condamne les pièces du bâtiment aux mosaïques. On note qu’aucune tranchée de fondation n’a été repérée le long du parement ouest de ce mur. Solange BIAGI Sondage dans le secteur S36 Le secteur S36, exploré pour la première fois en 2008 est situé à l’extérieur du mur sud du clivus. Le sondage pratiqué dans ce secteur, d’une largeur de 3 m sur 10 m de long, visait à une première reconnaissance de la zone au contact d’une pièce interprétée comme un grand bassin (S21). L’hypothèse d’une ou plusieurs salles thermales en S36 et dans les secteurs environnants a conduit à entreprendre un sondage exploratoire dans cette zone afin de repérer d’éventuelles structures en relation avec des aménagements précoces liés à la source et au premier état du sanctuaire. Cette opération était également l’occasion de documenter un secteur «hors clivus» qui, mis à part le bassin S21, semble avoir été relativement épargné par les fouilles de M. Fendri. À l’ouest du mur 2586 (fig. 72), au contact direct du sol géologique une fine couche de terre sablonneuse (US 2634) a mis au jour le sol géologique sur l’ensemble de la surface fouillée à l’ouest du mur 2586. Dans la Fig. 72 – Djebel Oust. Plan schématique du sondage dans le secteur S36. moitié nord du sondage le substrat rocheux a été profondément entaillé de rigoles. Deux creusements principaux (tranchées 1 et 2) orientés ouest-est sont parfaitement parallèles et leur parcours, tout d’abord rectiligne, oblique légèrement vers le sud. Des rigoles secondaires (tranchées 3, 4 et 5), orientées nord-sud, recoupent à intervalles réguliers l’espace entre les deux entailles principales définissant trois blocs subrectangulaires de dimensions sensiblement égales. Cet aménagement, qui se situe parfaitement dans l’axe de la canalisation provenant du sanctuaire, passe sous les murs 2760 et 2586. On peut interpréter ces creusements comme des entailles de carrière destinée au débitage par arrachage des blocs définis par les rigoles. Ce travail est d’ailleurs visible sur le bloc oriental dont le retrait avait déjà commencé avant d’être abandonné. Immédiatement au sud et parallèle à l’aménagement précédent un profond creusement (Tranchée 6) est parallèle à la tranchée 2. Dans ce cas, peut-être s’agit-il d’un canal. Enfin, un canal creusé en palier orienté nord/ouest-sud/est recoupe le creusement précédent. Il ne semble pas avoir été achevé non plus. Nous l’avons reconnu sur un mètre environ, mais il est difficile d’en comprendre l’utilité. Ces creusements sont comblés par un sédiment terreux recouvrant des fragments de sol géologique de couleur rouge. À l’est du mur 2586, après le fouille de la séquence de strates qui dans la moitié sud du sondage la recouvre, une couche 2592 (non fouillée) présente une légère pente vers le sud. L’extrémité sud de cette couche comporte des plaques de terre-cuite posées à plat et quelques pierres qui forment certainement un niveau de sol. Le retrait de 2588 a également permis de mettre au jour l’arasement d’un mur orienté ouest-est (MR 2590) qui semble séparer cet espace sud d’une petite pièce au SPIOX - 284 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Jebel oust Chronique nord du sondage. Dans la moitié nord du sondage, une petite pièce carrée d’environ 2,20 m de côté a été dégagée. Elle est délimitée par les murs 2586 (à l’ouest), 2590 (au sud), le mur sud du clivus (au nord) et peut – être un autre mur très arasé, que l’on devine dans la berme est. Le sol de cette petite pièce (US 2591), légèrement en pente vers le sud-est, est constitué d’un agencement soigné de tegulae et de plaques de terre-cuite posés bords à bords sur 4 rangées successives. Sur le côté est de la pièce sont disposés des fragments de tegulae et de terre cuite, afin de combler les lacunes le long des murs. S’il est peu probable qu’il s’agisse d’un niveau de circulation puisque les tuiles sont disposées rebords en haut, la fonction de ce niveau de tuiles demeure difficile à interpréter. Le mur 2590 qui ferme au sud la pièce présente une harpe en place, en fait un seuil réemployé. À l’est de cette harpe, l’arasement du mur est couvert de 3 plaques de terre-cuite et une autre, conservée sur une hauteur d’environ 40 cm, est dressée sur le parement sud du mur, de façon à former une sorte de caisson dans l’épaisseur mur, ouvrant dans la pièce S37. Derrière cet aménagement, un blocage de pierre (ou un mur 3163?) semble avoir été posé. FnnBESSIÈRE et John SCHEID Secteur S37 La campagne 2008 avait mis au jour du côté nord du clivus, sur le flanc de la salle S31, un bassin taillé dans la roche en place. La campagne 2009 dans ce secteur devait permettre de fouiller le bassin dans son intégralité afin d’en comprendre l’architecture et d’en préciser le phasage et l’implantation dans cette partie du clivus située au-delà du mur nord (MR 690). Pour répondre aux problématiques fixées cette année nous avons ouvert en deux étapes un sondage relativement large au nord de la partie déjà fouillée du bassin : 3,40 m en direction du nord sur 4,90 m dans le sens est-ouest. Cette fenêtre de fouille devait nous permettre de distinguer le bassin dans son intégralité ainsi que son environnement immédiat. Comme pour tous les autres sondages menés dans cette portion du clivus, la première étape de la fouille a été le retrait des couches de remblais tardifs. Sous la fine couche de terre végétale qui recouvrait l’ensemble du sondage, deux couches successives de remblais de destruction/abandon ont été mises au jour (UF 2636 et 2637). L’UF 2636 est composée d’une terre brun clair mêlée à de très nombreuses pierres et moellons ainsi qu’à divers fragments de matériaux de construction. Elle recouvre l’UF 2637 qui est constituée de la même terre brune, légèrement plus sombre, avec là encore de très nombreux blocs et moellons ainsi que plusieurs harpes de murs. Cette UF est de plus caractérisée par la présence de poches de mortier rose friable. Du côté est ces deux couches prennent appui sur un mur (MR 2701), en partie détruit. Un second mur, grossièrement parallèle au premier (MR 2702) prend place du côté ouest sous l’UF 2637. Les nombreuses pierres et moellons retrouvés dans le remplissage des couches 2636 et 2637 proviennent sûrement, au moins en partie, de la destruction et de l’arasement de ces deux murs. Le sommet du bassin est arasé sur les côtés nord, est et sud. On peut voir sur ces trois côtés les deux couches d’enduits hydrauliques successifs. Le bassin mesure environ 2,50 m dans le sens est-ouest sur 2,75 m dans le sens nord-sud. Les parois du bassin sont couvertes de deux enduits successifs (UF 2705 et 2709). Le premier enduit (UF 2705) est un mortier hydraulique de couleur rouge sombre. Il est de bonne facture, solide et il prend place directement sur la roche en place. Le second enduit (UF 2709) est beaucoup plus dégradé : enduit fin, à la chaux de couleur blanchâtre, il s’effrite facilement. À noter que le premier enduit bouche déjà la canalisation qui touche le bassin sur le côté sud (UF 2291). La fonction de cette canalisation reste pour l’instant indéterminée (adduction, évacuation?). Du côté ouest le second enduit, bien lissé, épouse la forme légèrement bombée de la paroi et ne laisse pas voir le premier état. C’est en observant le fond du bassin que les observations les plus intéressantes ont pu être effectuées. Deux niveaux se succèdent en correspondance avec les deux enduits successifs observés sur les parois. Le niveau le plus tardif est formé d’un solide béton de tuileau soutenant un opus signinum formé avec des bris d’amphores (UF 2710). Il est cohérent avec le second enduit des parois (UF 2709) qui le recouvre en partie ainsi qu’avec un boudin d’étanchéité qui court le long des parois (UF 2838). Enfin, sous ce sol on trouve un niveau SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 285 mosaïqué qui constitue le premier état du bassin (UF 2708). La mosaïque court le long des parois du bassin. Dans l’angle sud-ouest du bassin la bande de mosaïque conservée délimite l’emprise d’une marche d’angle rectangulaire. La présence de cette marche d’angle pourrait expliquer l’existence de la fosse présente dans cet angle du bassin (UF 2835). Cette fosse, qui coupe également le dernier état du bassin intervient donc à la fin de l’utilisation du bassin et aurait pour cause la récupération des blocs constituant l’emmarchement. Pour conclure, la mise au jour de ce bassin comportant une première phase mosaïquée, invite à reconsidérer cette partie du clivus. Équipé d’une marche, au moins, ce bassin qui s’appuie sur le mur Nord du clivus, suppose l’existence d’un balnéaire à cet emplacement dont l’organisation globale et la datation précise restent encore à déterminer. Rnn MACARIO Les thermes Dans les thermes la fouille de l’espace T10B a été achevée. En revanche, le sondage projeté en T10C s’est avéré impossible à pratiquer, l’ensemble de l’espace étant recouvert d’un puissant radier de blocage reposant sur un remplissage de pierres d’une épaisseur de plus de 2 m, visible en contrebas dans une brèche à la base du mur de soutènement qui contenait le tout vers l’est. Les six petits locaux T5A-F fouillés par M. Fendri ont été nettoyés et étudiés, mettant ainsi en évidence une symétrie sinon formelle, tout au moins fonctionnelle; les deux exèdres centrales sont occupées par des bassins tièdes encadrés par des locaux dont la fonction nous échappe tandis que celles situées aux deux extrémités abritent des pédiluves. L’étude du bassin T5J a révélé une évolution complexe de son mode d’alimentation et de fonctionnement liée à l’encroûtement progressif de la canalisation qui l’alimentait. Ce bassin semi-circulaire (fig. 73) qui s’ouvre sur T5 et fait saillie dans l’espace de service T10 a été construit dans la phase III des thermes, après ouverture d’une brèche à l’extrémité est de la paroi nord de T5. L’accès au bassin, pourvu d’une marche margelle, s’ouvre au droit de sa paroi ouest mais est limité à l’est par l’angle de la salle T5. En revanche, les deux degrés ayant fonction de siège, situés en contrebas, se développent sur toute la largeur de l’abside. Le sol du bassin est recouvert d’une mosaïque inclinée vers le tuyau de vidange en terre cuite situé dans sa partie orientale. L’approvisionnement hydrique de ce bassin profond de 1,20 m a connu au moins trois états correspondant chacun à un rehaussement du niveau d’arrivée d’eau thermale dans la canalisation d’adduction qui longe la paroi externe de l’abside. Le premier état correspond à Fig. 73 – Djebel Oust. Le bassin T5J (phase III) : A et B, arrivées d’eau respectives des états 1 et 2. D, E, F, et G arrivées d’eau des douches de l’état 3 (vue prise vers le nord). un bain chaud par immersion dont le tuyau d’alimentation sera rehaussé d’une vingtaine de centimètres dans l’état suivant. Lors du troisième état l’arrivée d’eau est démultipliée et encore rehaussée, de 30 cm environ. Désormais l’ensemble fonctionne en tant que douche avec quatre arrivées d’eau, espacées de 65 cm et débouchant à 1,60 m au-dessus du sol du bassin. Nos recherches ont concerné aussi les autres espaces avoisinant l’angle nord-est du portique de la salle T5. L’analyse et le relevé des structures en T10C, T5I et T26 ont révélé une situation extrêmement complexe si bien que, dans ce secteur, de nombreux problèmes restent encore en suspens quant aux phases antérieures au VIe siècle. En revanche, suite à cette campagne, il est désormais possible de proposer une restitution précise des deux derniers états de la phase IV, ceux qui précèdent l’abandon définitif de l’édifice thermal en tant que tel. SPIOX - 286 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Jebel oust Chronique Fig. 74 – Djebel Oust. Plan des thermes dans le dernier état de la phase IV, avant leur abandon : A, bain de la villa; B bain public (1/400. Le nord est à droite) (fond de plan T. Triki). Le dernier état de la phase IV correspond à la mise en place d’un petit bain public à l’est de l’édifice (fig. 74). On y accédait par l’impasse qui, ouvrant vers le sud, longe la façade est des thermes. Ce bain comprenait un vestiaire (R9) ayant aussi fonction de tepidarium (MEFRA 120-1, 2008, p. 267-268), une étuve T26 dont l’hypocauste était chauffée par un four s’ouvrant dans l’espace de service R13 et un caldarium T5I pourvu d’un unique bassin pouvant accueillir au maximum deux personnes. La construction de ce bain eut pour conséquence directe de couper la canalisation d’eau thermale qui après refroidissement à l’intérieur de la rotonde T9 alimentait le bassin tiède T15 du bain privé de la villa. C’est pour remédier à la suppression de ce bassin tiède qu’une canalisation sommaire faite d’imbrices (UF 297) (MEFRA 116-1, 2004, p. 704 et fig. 68) fut alors mise en place au nord-ouest de l’édifice pour acheminer l’eau thermale vers le bassin triconque dans lequel eau chaude et eau froide pouvaient être directement mélangées. L’édification de ce bain public, très probablement à l’initiative du propriétaire de la villa, prouve, s’il en était besoin, qu’au VIe siècle le site était aussi occupé par une population ne dépendant pas directement de la villa, ce dont témoignent les structures de l’Antiquité tardive mises au jour sur la pente et celles fouillées par M. Fendri au nord-ouest des thermes. Stéphane ABELLON, Henri BROISE avec la collaboration de Chiraz GALLALA et Ahmed LARBI SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 287 Le secteur dit de la résidence Lors de la campagne 2009, les efforts ont porté en priorité sur le secteur nord, en vue de préciser l’emprise des constructions de l’état final, d’où la nécessité d’une fouille en aire ouverte. En outre, plusieurs sondages ont été entrepris dans ce secteur ainsi qu’au sud de la résidence, dans le but de recueillir des données chronologiques. Parallèlement les relevés d’architecture au 1/50e ont été complétés. Secteur nord Suite au décapage mécanique d’une surface d’environ 200 m2, dans le prolongement des espaces étudiés en 2008, il a été possible de préciser l’aménagement de l’aile de bâtiments qui borde au nord le jardin et de poursuivre les investigations vers le nord. – L’aile de bâtiments au nord-ouest du jardin (d’ouest en est R67, 72, 73, 68, 74, cf. fig. nn) Quelques structures liées à un premier état ont été reconnues : ainsi en R67, deux murs chaînés antérieurs au mur est de la galerie R14. Toutefois, le principal apport des recherches concerne l’état final des cinq espaces précités qui forment, au nord-ouest du jardin, une aile large de 4, 20 m et longue d’environ 17,50 m. Le mur qui les limite au nord (UF 2316) est dans le prolongement du mur du jardin identifié lors de la campagne 2007 (MEFRA 120-1, 2008, fig. 66, p. 266 et p. 268). D’inégales dimensions, mais toujours réduites, sans ouverture sur le jardin, ces pièces dépourvues de sol décoré semblent correspondre à des espaces de service. Plusieurs communiquent entre elles et en R73, au niveau de la limite nord, la présence d’un seuil vers R64 a été observée dans la stratigraphie. La pièce la mieux conservée, R68, a pu être fouillée entièrement (2008-2009); communiquant avec R73 et R74, elle présentait un niveau de sol rubéfié et induré (UF 2432) correspondant au dernier niveau d’occupation pour lequel l’étude céramologique a fourni un terminus post quem à la fin du Ve siècle. – Les espaces R64 et R69 (fig. 75 et 76) Au nord de l’aile de bâtiments précitée, deux grands espaces R64 et R69 ont été explorés partiellement. R64 a livré des vestiges d’une division antérieure (murs UF 2878 et 2864, fig. nn), mais là encore c’est l’état architectural final qu’on discerne le mieux. Formant alors un espace en L orienté nord-sud, délimité à l’est par les murs UF 2370, 2661 et 2662, R64 était relié à R69 par une large ouverture de 2,40 m (UF 2433). À l’ouest, il introduisait au petit espace dallé menant aux galeries mosaïquées R14 et R15 (fig. nn) et s’appuyait probablement aux murs est des pièces R37 et R44 de la résidence. Des lambeaux d’un sol maçonné en connexion avec les murs UF 2661 et 2662 ont été retrouvés dans la partie nord de l’espace. R69 se moule à l’ouest contre les murs de R64. Ses autres limites restent en dehors de la fouille, hormis une petite section de son mur est, UF 2671, qui s’appuie à angle droit au mur du jardin UF 2316, puis disparaît sous la berme au bout de 70 cm. Dans la partie sud de R 64, une fosse circulaire (UF 2740) au remplissage moderne a fourni une colonne stratigraphique intégrale avec huit niveaux conservés sur 2 m au-dessus de la roche en place. Enfin, la stratigraphie observée en R64 et R69 a permis d’établir un phasage des structures. La phase 4 qui voit l’organisation architecturale finale est de loin la mieux connue. Dans cet état, R64 semble bien faire la transition entre l’espace purement résidentiel fouillé par M. Fendri et les nouvelles pièces, probablement de service, découvertes au nord du jardin. Quant à R69, il serait tentant d’y voir une cour. – Les espaces dallés au nord et à l’ouest Le réexamen des espaces dallés qui ceinturent l’angle nord-ouest de la résidence, sans communiquer avec les salles mosaïquées, dans l’état final, suggère un caractère de service pour ce secteur et il serait vraisemblable de supposer que ces espaces aient été en relation avec R64. Quoi qu’il en soit, le mur nord du couloir R60 qui est en connexion avec le dallage paraît bien marquer la limite septentrionale de l’édifice résidentiel aux sols mosaïqués de l’état final. Secteur sud Au cours de la campagne 2009, un sondage a été entrepris dans l’exèdre sud (R18) de la salle principale à abside et une fouille en extension a été menée en R3 dans la continuité des nettoyages effectués en 2008. – Sondage en R18 Grâce à la dépose d’une bande de mosaïque, un sondage, long de 2 m et large de 1,80 m, en correspon- 288 Jebel oust Chronique Fig. 75 – Djebel Oust. Secteur de la résidence. R 69 au premier plan et R64 ouvrant vers la galerie R14. Fig. 76 – Djebel Oust. Plan du sondage au nord-est de la résidence. SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 289 dance d’une harpe dans le mur sud de la pièce, a été ouvert Au sud-est de R18. Lors de la fouille, trois phasesprincipales ont été observées, la première d’entre elles comportant deux états. Un mur sensiblement orienté nord-sud (UF 2614) correspond à la première trace d’occupation. La seconde phase est constituée par l’érection d’un mur orienté estouest (UF 2655) qui s’appuie sur le mur précédent sans l’araser. C’est seulement au cours de la troisième – et dernière – phase que R18 prend l’aspect encore observable en élévation. Deux opérations conjointes transforment considérablement la physionomie de l’espace : la construction d’un mur au sud-est (UF 2656) et l’arasement du mur antérieur (2614). Après cet arasement, un pilier de fondation est creusé très profondément, destiné à former la base des deux piliers méridionaux séparant l’exèdre de l’espace central de la pièce. Un remblai (UF 2612), constitué d’argile jaune, est mis en place pour niveler. Par-dessus celui-ci, est finalement apposé le mortier de la mosaïque constituant le décor de l’ensemble de la pièce. – Recherches en R3 La remarquable préservation d’une séquence stratigraphique presque complète a permis de suivre l’évolution de cette pièce sur un temps relativement long. Lors d’une ultime transformation, R3 est dotée d’un tour de potier et s’étend au sud par la création d’un four à sole suspendue. Grâce aux données recueillies dans cet espace R3 et grâce à une étude des murs entourant R3 et les espaces environnants, une première esquisse de restitution de développement pour l’ensemble du secteur méridional de la «résidence» a pu être proposée. Aïcha BEN ABED -BEN KHADER , Nathalie ANDRÉ , Catherine BALMELLE, Raphaël DUROST, Raphaël GOLOSETTI, Nicolas MONTEIX et Chiraz GUELLELA, étudiante en architecture (Tunis) KOUASS (ASILAH, MAROC) Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (Rabat, Maroc), Ministère des Affaires étrangères et européennes (France), École française de Rome et Agence nationale de la recherche (programme «EauMaghreb»). Le site de Kouass fait l’objet d’un programme de recherche quadriennal associant l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine à Rabat (INSAP), le Ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) et l’École française de Rome (EFR). Il bénéficie de financements complémentaires dans le cadre du programme ANR «Eau Maghreb» (UMR 8546, CNRS-ENS Paris Ulm; Université de Bordeaux) au sein duquel sont impliqués plusieurs membres de l’équipe. Un soutien logistique est en outre apporté par la commune de Had el Gharbia et par le Service de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade de France à Rabat. En 2009, la mission franco-marocaine, co-dirigée par Virginie Bridoux (EFR) et Mohamed Kbiri Alaoui (INSAP, Rabat), était constituée d’une équipe de 22 personnes comprenant des chercheurs-archéologues marocains et français (Solange Biagi, chercheur associé à l’UMR 8585, CNRS-Centre Gustave Glotz; Néjat Brahmi, enseignante à Lorient; Hédi Dridi, professeur d’archéologie à l’Université de Neuchâtel; Abdelfattah Ichkhakh, conservateur à la délégation du ministère de la Culture à Essaouira; Thierry Jullien, enseignant à Tanger; Christine Machebœuf, chercheur associé à l’UMR 8546, CNRS-ENS Paris Ulm; Halima Naji, conservateur, Division de l’inventaire du patrimoine à la Direction du Patrimoine Culturel de Rabat), des topographes-dessinateurs (Mohamed Alilou, Conservation de Volubilis; Ugo Colalelli, EFR), des doctorants en histoire et en archéologie des Universités de Bordeaux (Séverine Garat), de Paris I (Edwige Lovergne), de Lausanne (Adeline Pichot) et des étudiants de l’INSAP (Soufiane Er-Rahoui, Abdelali Helouani). La conduite de la prospection géophysique a été assurée par Claire Brinon (doctorante, département de géophysique appliquée de l’UMR Sisyphe 7619, Université Pierre et Marie Curie-Paris 6), assistée de Laëtitia Papaxanthos (élève de l’ENS, Paris-Ulm). L’analyse géomorphologique de la zone a été confiée à Mohamed Chaibi, Abdessamad Charif, Mohamed Ridaoui et Mohamed Ougougdal (Université polydisciplinaire de Safi, Maroc). Dix SPIOX - 290 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Kouass Chronique ouvriers ont par ailleurs été recrutés sur place et ont contribué aux travaux de terrain durant toute la durée de la campagne (29 juin-31 juillet 2009). L’équipe de Kouass remercie Aomar Akerraz, directeur de l’INSAP, Abdallah Salih, directeur du Patrimoine culturel, Taoufiq Ouzgane, inspecteur des Monuments historiques et des Sites de la région de Tanger, Hicham Hassini, conservateur du site archéologique de Lixus, et Brahim Mlilou, conservateur adjoint du site archéologique de Lixus, pour l’intérêt porté à nos travaux lors de leurs visites à Kouass, ainsi que Rachid Arharbi, conservateur du site archéologique de Banasa, qui a mis à notre disposition une partie du matériel de dessin de la mission archéologique de Banasa. Les objectifs du programme de recherche quadriennal D’après les fouilles menées par Michel Ponsich dans les années 1960, le site de Kouass est un établissement antique dédié aux activités industrielles et commerciales. Sur une butte située à près d’un kilomètre de l’océan atlantique (fig. 77), à une altitude d’environ 40 m, l’auteur mit au jour un ensemble de structures relativement bien conservées qu’il identifia à un atelier de potiers, sur la base de la découverte de trois fours, de leurs annexes et d’une abondance particulière de mobilier céramique datable de l’époque préromaine (Ve-Ier s. av. J.-C.). Les travaux de M. Ponsich démontrèrent par ailleurs la réoccupation partielle du site à l’époque romaine, illustrée par la présence d’un aqueduc et d’usines de salaison à proximité de l’embouchure de l’oued Rharifa. Enfin un important édifice quadrangulaire, interprété comme un camp d’époque préromaine par l’auteur, fut exhumé à quelque 300 m au sud-ouest de la butte (cf. MEFRA 121-1, 2009). Le bâtiment quadrangulaire et l’aqueduc témoignent d’une occupation entre la zone située à l’ouest de l’actuelle route nationale Tanger-Rabat et la frange littorale, sans que l’on sache si cette occupation présente un caractère continu. L’étendue de l’établissement, qui reste donc inconnue, constitue l’un des principaux axes de recherche du programme quadriennal en cours. La définition du potentiel archéologique, par le biais de prospections pédestres et géophysiques, doit être réalisée en priorité dans la mesure où le site, en attente de classement comme monument historique, s’étend en plein cœur d’une zone qui fait actuellement l’objet d’un grand projet d’aménagement à vocation touristique. Par ailleurs, les résultats des travaux de M. Ponsich étant restés en grande partie inédits, la chronologie générale et la nature de l’établissement demeurent incertaines, même si le réexamen du matériel des fouilles anciennes atteste son occupation entre la fin du VIe et la fin du Ier s. av. J.-C. et son implication dans la commercialisation des produits dérivés de la pêche («Cercle du Détroit») (voir Kbiri Alaoui 2007). Il s’avère cependant nécessaire de mieux déterminer les grandes phases d’occupation du site, de pallier à l’absence de stratigraphie de référence et de vérifier l’existence d’une production de vases en céramique et d’amphores caractéristiques de l’aire du détroit de Gibraltar. D’autres questions restent par ailleurs en suspens, telles que le rôle et la datation précise de l’aqueduc, la localisation exacte des usines de salaison, la chronologie et la fonction de l’édifice quadrangulaire, ou encore les raisons de l’abandon de l’établissement. En outre, l’existence vraisemblable d’une enceinte autour de la zone de la butte (zone 1), révélée par la campagne de prospection magnétique effectuée en 2008 (cf. MEFRA 121-1, 2009), tend à renouveler les problématiques relatives à la nature du site. La datation et les raisons de la mise en place de ce système défensif font donc partie des axes de recherche de ce programme. Enfin la mission s’intéresse à la question de l’accès à la mer et à la localisation du port de Kouass. Elle se propose de vérifier si le grand golfe mentionné entre Tanger et Lixus par le périple de Scylax au VIe s. av. J.C. (golfe Kôtes) peut correspondre aux grandes plaines marécageuses de la basse vallée de l’oued Tahadart (Oulad Khalouf) qui s’étendent à peu de distance du site côté nord-est (fig. 77). Tout porte à croire que ces plaines, largement inondables en hiver, étaient autrefois envahies par les eaux marines. Si tel est le cas, et si celles-ci étaient navigables, cette zone devait constituer un lieu privilégié pour la pénétration et l’escale des navires. La résolution des problématiques relatives à la chronologie et à la nature du site est envisagée par le biais du réexamen des structures mises au jour dans les années 1960, l’ouverture de sondages stratigraphiques et de nouveaux secteurs de fouilles en extension en divers points du site, l’examen du mobilier complété par des analyses archéométriques sur le matériel céramique et amphorique, ainsi que des études paléo-environnementales (analyses géomorphologiques; études de l’ichtyofaune et de la malacofaune). Les opérations de la campagne 2009 La campagne 2009 a été principalement consacrée à la poursuite de la prospection géophysique, à la mise en SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 291 Fig. 77 – Kouass. Carte topographique de la région d’El Manzla (1/50.000e). En rouge les points 17 et 21 prospectés. SPIOX - 292 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Kouass Chronique place d’une méthodologie d’approche concernant les analyses géomorphologiques, au dégagement et au relevé des structures exhumées dans les années 1960, à l’ouverture de nouveaux secteurs de fouilles sur la zone de la butte (zone 1). La prospection géophysique La prospection géophysique a été effectuée aux abords de la butte (zone 1), en complément des opérations réalisées en 2008. Le traitement des données récoltées n’étant pas totalement achevé nous nous limitons pour l’heure à la présentation du choix de la méthode, de l’appareil de mesure, du mode opératoire, de la localisation des surfaces prospectées et à la mise en valeur de quelques résultats préliminaires. L’emploi de la méthode magnétique s’est avéré le plus approprié dans la mesure où la campagne menée en 2008 avait prouvé l’efficacité de son application sur le site en mettant en évidence un agencement cohérent de structures construites sur l’ensemble de la butte. Elle s’avérait également bien adaptée pour tenter de résoudre parallèlement une autre problématique relative à la nature du site, à savoir la localisation de fours de potiers. Un magnétomètre à vapeur de césium G-858 (Geometrics) a été utilisé en configuration de gradiomètre. L’acquisition des données a été réalisée en continu (5 à 10 mesures par seconde), le long de profils parallèles espacés d’un mètre. La sensibilité de l’appareil à la présence des lignes électriques (à l’est du site) et de tout objet métallique au sol constitue la principale limitation de la méthode. Malgré un ramassage préliminaire des éléments polluants repérés en surface (piles, ferrailles, débris métalliques divers, ...), de nombreux résidus d’origine moderne subsistent et sont causes d’anomalies magnétiques ponctuelles difficilement différenciables des anomalies créées par des structures plus anciennes. Après traitement des données les résultats sont présentés sous forme de cartes de gradient magnétique vertical. Les angles de chaque surface prospectée ont fait l’objet d’un relevé topographique afin de recaler géographiquement les cartes magnétiques sur un plan d’ensemble (fig. 78). Les valeurs s’échelonnent entre -8/8 nT/m, les plus élevées étant représentées en niveaux de blanc. L’application d’une même échelle de couleurs permet d’obtenir une vision relative des différentes zones. La prospection magnétique a été réalisée sur une surface de 4 ha, principalement dans les champs cultivés et moissonnés qui couvrent les pentes et les alentours immédiats de la butte. Priorité a été donnée aux parcelles comprises entre la route nationale et la butte, directement concernées par le projet d’urbanisation. Les flancs de la butte ont été reconnus jusqu’aux obstacles matériels que constituent la végétation et un terrain trop accidenté. D’autre part deux secteurs ont été testés sur la butte-même, au nord et au sud-ouest, en vue d’une comparaison avec les données existantes. Les secteurs de prospection ont été définis sous la forme de surfaces rectangulaires regroupées et dénommées d’après leur position par rapport à la butte (choix arbitraire). Les résultats préliminaires font état de nombreuses anomalies tant linéaires que ponctuelles qui ressortent sur la quasi-totalité de la carte magnétique globale (fig. 78) et sont le reflet de la présence de structures. Au nord plusieurs anomalies d’origine non géologique sont visibles, tandis qu’à l’ouest un ensemble d’alignements est mis en évidence et qu’au sud-ouest un réseau d’anomalies rappelle le schéma organisé des structures localisées sur la butte. À l’est, vers le sommet de la pente, une double anomalie d’orientation SO-NE s’étirant sur une vingtaine de mètres et contournant la butte pourrait correspondre au tracé de l’enceinte supposée de l’établissement. Outre les structures linéaires ou curvilignes détectées et causées par des vestiges en pierres (murs) ou des fossés/fosses, de nombreuses anomalies ponctuelles peuvent être rattachées à la présence de fours. L’application de méthodes complémentaires (géophysiques ou sondages) devrait permettre de les identifier. Seule la surface prospectée entre le chemin d’accès à la butte et la route nationale, au nord-ouest, est caractérisée par une absence d’anomalies magnétiques similaires à celles repérées dans les autres secteurs et créées par des structures enfouies (en dur ou en creux). Les études géomorphologiques La campagne 2009 a permis d’aborder, en collaboration avec l’Université polydisciplinaire de Safi, les aspects géographiques et topographiques actuels de la région, en premier lieu de récolter des enseignements sur le substrat géologique du plateau de Kouass et la nature des terres constituant les strates archéologiques mises au jour sur la butte. Pour apporter les premiers éléments de réponse et installer une méthodologie d’approche des problématiques exposées concernant l’emprise des eaux marines par rapport au site, l’accès à la mer, l’identification et l’emplacement des installations portuaires de Kouass, des enquêtes de terrain ont été effectuées à proximité du site archéologique, le long des vallées des oueds Hachef, Tahadart et Rharifa, le long de l’estuaire de l’oued Tahadart et du rivage atlantique. Deux des points culminants SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 293 Fig. 78 – Kouass. Carte magnétique globale de la prospection (mission archéologique de Kouass, juillet 2009). des grandes plaines marécageuses des Oulad Khalouf ont également été visités (points 21 et 17, fig. 77). Le mobilier observé en surface témoigne d’une occupation de ces collines à l’époque romaine. À première vue, l’estuaire du Tahadart est creusé dans des formations géologiques datant probablement du pliocène. Une coupe géologique réalisée à proximité de la butte (zone 1) montre la succession du haut vers le bas de dunes pédogenèsées, d’un niveau de limons calcaires riche en bioclastes (Pecteneidés), de marnes calcaires à lentille de silex et de barres gréseuses. L’estuaire du Tahadart offre des niveaux topographiques très bas auxquels l’eau de mer accède encore actuellement avec des dépôts vaseux et salés, ce qui laisse supposer qu’une navigation aurait été possible avec un niveau d’eau plus haut. Néanmoins, la position des usines de salaison datant de l’époque romaine à proximité de l’oued Tahadart et leur basse altitude conduisent à dire que si le niveau marin à l’époque romaine était plus haut que l’actuel, les usines n’auraient pas existé. Ainsi, si le niveau marin était à l’époque romaine au niveau actuel, la navigation ne serait possible que par une éventuelle profondeur du lit de l’oued. La recherche de niveaux plus profonds offrant une possibilité de navigation ne peut s’effectuer qu’à travers la réalisation de sondages en plusieurs endroits de l’estuaire et le long du lit actuel de l’oued El Hachef, ainsi que par des analyses stratigraphiques et sédi- SPIOX - 294 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Kouass Chronique mentologiques. À ces démarches doivent s’ajouter une compilation de données et des synthèses appuyées par des références bibliographiques, des cartes géologiques et géomorphologiques, des données hydrologiques (apport de l’oued et de la mer, charge des sédiments et vitesse de sédimentation), des photographies aériennes (échelonnées dans le temps). Les fouilles, les relevés topographiques et architecturaux L’ampleur de la documentation récoltée cette année nous amène à ne présenter ici qu’un résumé des opérations réalisées et des principaux résultats obtenus. Le travail a porté en 2009 sur la zone de la butte (zone 1), où se situe l’essentiel des vestiges signalés jusqu’à présent. Ces derniers, encore bien visibles aujourd’hui dans le secteur sud (secteur 1) et dans les quatre tranchées qui ont été pratiquées dans les années 1960 au nord, à l’est, à l’ouest et au centre de la butte (fig. 79), n’avaient pas fait alors l’objet de relevés, ni de descriptions particulières exception faite de la zone sud de la butte (Kbiri Alaoui 2007, p. 52-59, fig. 25). Un important travail de défrichage et de nettoyage, Fig. 79 – Kouass. Situation des vestiges de la zone 1. accompagné d’un ramassage du matériel de surface, a dû être mené afin de dégager la végétation qui recouvrait la zone, en particulier dans les secteurs 1 et 3 (fig. 81). L’ensemble du mobilier, qu’il provienne des ramassages de surface, des remblais de fouilles anciennes ou des niveaux archéologiques en place, a été traité en parallèle aux travaux de terrain. – Le secteur sud (secteur 1) Le plan général du secteur dressé en 1999 dans le cadre de l’étude de M. Kbiri Alaoui (Kbiri Alaoui 2007, fig. 25) fait état de deux ensembles constitués d’axes de circulation et d’îlots. Leur appellation (ensembles 1 et 2) a été conservée, tout comme celles des différents espaces identifiés (espaces 1 à 35). Les murs qui ont fait l’objet d’une étude lors de la campagne 2009 ont en revanche été renommés selon les modalités de notre chantier (fig. 80). Les principaux objectifs étaient de rechercher des niveaux en place susceptibles d’éclairer la nature des espaces et d’établir une stratigraphie dans les ensembles 1 et 2, de préciser le relevé des structures établis en 1999 SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 295 Fig. 80 – Kouass. Zone 1, secteur 1. Plan des vestiges, numérotation des espaces et des murs. Fig. 81 – Kouass. L’espace 8 avant nettoyage, vu vers le nord (cliché mission archéologique de Kouass, juillet 2009). SPIOX - 296 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Kouass Chronique afin de mieux comprendre les relations entre les murs et la structuration de ces ensembles et enfin de restituer autant que possible les phases successives d’occupation dans ce secteur. Le nettoyage des structures et des espaces intermédiaires dans la totalité de l’ensemble 1 et dans la partie nord-ouest de l’ensemble 2 a permis de distinguer les zones plus ou moins explorées par M. Ponsich. Les travaux de fouilles effectués cette année, basés sur ce constat, ont porté sur les espaces 4, 7, 8 de l’ensemble 1 et les espaces 10, 19 de l’ensemble 2 (fig. 80), où l’existence de strates archéologiques en place a pu être mise en évidence. Le dégagement des niveaux superficiels a par ailleurs permis d’observer, notamment dans les espaces 7, 9 et 19, la dégradation récente de certaines structures dont témoignent des effondrements de murs postérieurs aux remblais des fouilles anciennes. Dans l’ensemble 1, les fouilles ont permis la mise au jour de structures supplémentaires qui constituent le prolongement de murs déjà connus ou qui leur sont antérieures : mur [1061] et prolongement septentrional du mur [1016] dans l’espace 7; murs [1078], [1042], [1046], [1063], [1044] et [1029] dans les espaces 4 Sud et 8 (fig. 80). Au fur et à mesure de l’avancée des opérations, les espaces 7 et 8 ont davantage retenu notre attention. L’espace 8 est constitué dans sa partie ouest par de gros blocs grossièrement posés à plat [US 1052] qui correspondent manifestement à une zone dallée (fig. 82). On ne sait dans quelle mesure ce dallage se poursuivait vers l’est, la partie centrale de l’espace ayant été fouillée plus en profondeur dans les années 1960. Sa façade sud est par ailleurs bordée côté externe par de gros blocs monolithiques alignés selon une orientation Fig. 82 – Kouass. L’espace 8 à la fin de la campagne, vu vers le nordest (cliché mission archéologique de Kouass, juillet 2009). E/O, posés de champ, dont on trouve le prolongement à l’est le long du parement sud du mur [1003]. Le nettoyage de la berme des fouilles anciennes limitant l’espace 8 à l’est a permis de mettre en évidence une succession de niveaux, caractérisés par des amphores brisées (US 1040), de la brique crue (US 1034, US 1036, US 1038, US 1041), des zones charbonneuses (US 1037), des lentilles de chaux. Le dégagement de la couche charbonneuse (US 1037) a permis de mettre au jour un sol constitué de chaux conservé sur une superficie d’environ 1 × 1,50 m (fig. 83). Ce sol appartient à une phase de circulation liée au mur [1016]. Les couches de destruction de celle-ci, US 1037 et 1040, contiennent de nombreux fragments d’amphores Maña-Pascual A4 datables du IIIe s. av. J.-C. (Ramon T.12.1.1.) ou au plus tard du IIe s. av. J.-C. Dans l’espace 7 (fig. 80), après dégagement des niveaux superficiels, deux phases de construction ont pu être identifiées clairement. La phase la plus antique correspond à un niveau de circulation en place formé par un sol (US 1075) composé d’argile et de chaux, et Fig. 83 – Kouass. La berme de l’espace 8, vue vers le sud. Restes d’un sol en chaux (cliché mission archéologique de Kouass, juillet 2009). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 297 par un foyer (US 1074) de même composition, situé dans l’angle N/O. Le mur [1016] semble appartenir à cette phase. Le terminus ante quem nous est fourni par le matériel des couches de destruction de l’espace 8 précédemment décrites. Dans la partie nord les murs [1005] et [1006] sont contemporains et appartiennent à une phase successive pour laquelle le manque de stratigraphie ne permet pas de fournir une chronologie absolue. Dans l’ensemble 2, la fouille a en premier lieu porté sur l’espace 10, délimité au nord et au sud par des murs ([1003] et [2010]), à l’est et à l’ouest par des bermes laissées en place après les fouilles de M. Ponsich (fig. 80). Il s’agit d’un espace à ciel ouvert en connexion avec les espaces 8 Sud et 10bis, qui s’étend à l’ouest et à l’est jusqu’aux talus constituant les limites des fouilles anciennes. L’espace 10, partiellement excavé dans les années 1960, comprend notamment dans sa partie nord un sondage d’1,65 m de profondeur (fig. 84). Les remblais de ces fouilles anciennes ont été dégagés jusqu’à retrouver les niveaux archéologiques en place. Fig. 84 – Kouass. La partie nord de l’espace 10, vue vers le nord (cliché mission archéologique de Kouass, juillet 2009). Au fond du sondage trois gros blocs de soutènement [US 2072] s’appuient contre le mur [1003]. Ils sont posés sur l’US 2070, intacte, dont la fouille peut ainsi dater leur installation. La stratigraphie des bermes des fouilles anciennes laisse apparaître une épaisse succession de couches cendreuses, d’argile rubéfiée, de remblais jaunâtres s’appuyant contre le mur [1003] et présentant un pendage N/S. La zone pourrait donc s’identifier à un espace de travail en liaison avec un atelier comprenant des structures de combustion. La fouille des couches supérieures des bermes a notamment livré de nombreux fragments d’amphores Maña-Pascual A4 (Ramon 12.1.1.1.), des lèvres d’amphores de type Tiñosa (Ramon 8.1.1.2.) et de la céramique de type Kouass, soit un matériel typique du IIIe s. av. J.-C. L’espace 19, qui correspond à la zone la plus méridionale explorée lors de cette campagne (fig. 80), est un espace central de l’ensemble 2 relativement moins touché par les fouilles anciennes. Les travaux effectués cette année ont permis de définir plus nettement ses limites. Au fur et à mesure de l’avancée des travaux l’attention a été portée sur la partie occidentale de l’espace. Les principaux éléments récoltés concernent la mise au jour de deux fosses d’époque médiévale (US [2030]/2031 et US [2032]/2033), de niveaux de destruction d’un four manifestement en activité durant l’époque préromaine et de structures qui n’apparaissaient pas jusque là et s’avèrent contemporaines ou antérieures aux murs déjà connus : murs [2020], [2040], [2063] et [2058] (fig. 9). La fouille de la couche de destruction du four (US 2021) n’a pu être achevée durant cette campagne mais des indices permettent de penser qu’il s’agit d’un four de potier. La destruction est une épaisse couche de terre comprenant des zones fortement rubéfiées et une très grande quantité de matériel céramique présentant également des traces de rubéfaction. Les parties plus claires de la couche, jaunes et argileuses, sont essentiellement composées de morceaux de briques crues. Au centre de l’espace fouillé est apparue une zone plus compacte, fortement arasée, qui pourrait correspondre au pilier de la sole du four (US 2062, fig. 85). Tout comme l’US 2021, les strates adjacentes, dont l’une correspond à une couche de terre grise et cendreuse qui s’étend vers le nord, s’appuient toutes, à l’ouest, contre la structure de brique crue [2058] qui doit correspondre au mur contre lequel était dressée la paroi ouest du four. La fouille fait également apparaître autour de la couche centrale cendreuse, en périphérie, au nord et à l’est une terre plus compacte, claire (US 2065) qui pourrait être le niveau arasé des parois du four. Au nord et à l’est la SPIOX - 298 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Kouass Chronique à mesure du nettoyage et de la mise au jour des éléments construits. Il a été accompagné d’un travail de description et de relevés au pierre à pierre, qui à ce jour a été consacré aux espaces 2 à 9 dans l’ensemble 1 et aux espaces 13, 19 et 21 dans l’ensemble 2 (fig. 80). Les espaces fouillés ont donné lieu à la réalisation d’une série de relevés en plan au 1/20e, complétée par des coupes stratigraphiques et des sections au 1/20e ou au 1/50e. En complément de ce travail, les coupes ouest et sud du sondage ancien de l’espace 9bis et la coupe de la berme nord de l’espace 13 ont été relevées. Fig. 85 – Kouass. L’espace 19 Ouest à la fin de la campagne, vu vers le sud (cliché mission archéologique de Kouass, juillet 2009). relation entre le four et les murs [2013] et [2020] reste à préciser. L’abondant matériel contenu dans l’US 2021 comprend notamment des céramiques attiques à vernis noir, dont les fragments d’un canthare de type Saint Valentin et un fragment de lampe Howland 23A, des fragments d’amphores Maña-Pascual A4 ainsi que de nombreux restes de vases en céramiques peintes. Une datation ne pourra toutefois être émise qu’après le dégagement total de la couche. À l’heure actuelle, la fouille de l’espace 19 a permis de reconnaître plusieurs phases qui peuvent s’établir comme suit : – l’état le plus ancien est représenté par le mur [2040] situé dans la partie centrale de l’espace 19. Il n’est pour l’instant pas daté, n’étant pas rattaché à une phase précise. – un état antérieur au four, représenté par les murs et les structures [2063] et [2058] manifestement réemployés lors de la phase de fonctionnement du four. – un état correspondant à la construction du four et à son utilisation (US 2061, US 2065, US 2055, US 2054); – un état correspondant à la destruction du four, matérialisée par la couche US 2021, et son abandon; – un état correspondant à la construction des murs [2013] et [2020]. Les niveaux appartenant à cette phase ont vraisemblablement disparus suite aux fouilles des années 1960; – une phase médiévale au cours de laquelle sont creusées les deux fosses US [2030]/2031 et US [2032]/2033. Pour compléter le plan de ces deux ensembles architecturaux désormais mieux visibles un relevé topographique avec une station totale a été effectué au fur et – Le secteur nord-est (secteur 3) Dans l’optique d’obtenir une séquence stratigraphique générale de la butte et de cerner son évolution, un sondage de 4 m de côté a été ouvert dans une zone intacte, non encore explorée, à quelques mètres d’une ancienne tranchée ouverte par M. Ponsich (tranchée nord, fig. 79). Cette dernière lui avait permis de retrouver des structures enchevêtrées similaires à celles du secteur 1. Celles-ci ont fait cette année l’objet d’un nettoyage avant d’être relevées et intégrées sur le plan d’ensemble de la zone. L’implantation du sondage dans cette zone répond également à la nécessité de contrôler les résultats de la prospection géophysique qui fait ici état d’anomalies magnétiques d’origine anthropique, en particulier deux tronçons de murs se recoupant à angle droit et une anomalie peu magnétique, presque circulaire, se détachant de l’ensemble. Des structures ont émergé à 30 cm environ du sol actuel, ainsi que des niveaux en place témoignant d’une occupation «tardive» de la zone. Les premières données fournies par ce sondage permettent de proposer le schéma évolutif suivant : L’état le plus récent correspond à un niveau d’utilisation (US 3007) marqué par la forte présence de la céramique islamique (essentiellement à glaçure) et à une fosse-dépotoir (US 3009) contenant une quantité considérable d’ossements et de matériel datable de l’époque islamique. Ce niveau supplante immédiatement le sol antique, ce qui suggère un nivellement de la zone à l’époque médiévale. Le mobilier contenu dans la fosse ou issu du niveau d’utilisation ne permet pas d’avancer, pour l’heure, une datation précise en l’absence de matériel associé plus significatif. À l’état le plus ancien découvert jusqu’ici se rattachent les structures [3006] et [3014]. La caractéristique majeure de ces deux murs réside dans leur mode SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 299 de construction, en l’occurrence l’utilisation d’un soubassement de pierres sommairement dégrossies et de moellons vraisemblablement surmonté d’une élévation de briques crues dont seules quelques traces subsistent encore. Si aucun indice révélateur ne permet de dater les structures construites [3006] et [3014], le matériel provenant de la couche de destruction (US 3012) suggère néanmoins une datation «basse» par rapport à ce que l’on connaît de la chronologie de l’établissement préromain. Ce matériel (amphore Dressel 1A, probables parois d’amphores Dressel 7/11, céramique à vernis noir de Calès et fragments de céramique à paroi fine) renvoie à un contexte allant de -50 à +50. LES APPORTS DE LA CAMPAGNE 2009 Apports relatifs à la connaissance des méthodes de fouilles anciennes Les travaux réalisés dans l’ensemble 1 du secteur 1 démontrent que M. Ponsich a en partie fouillé cette zone en se basant sur la méthode Wheeler, consistant à diviser géométriquement la zone à fouiller, généralement en carrés de 5 m de côté, et à réserver des bermes larges d’1 m sur les côtés de chacun de ces carrés. Préservées après la fouille, ces bermes constituent désormais des buttes témoins de la stratigraphie dans cette zone. La méthode n’a manifestement pas été appliquée à la lettre. Néanmoins, dans l’ensemble 1, une zone carrée de 8 m de côté s’étendant sur les espaces 9, 9bis, 10 et 10bis a été subdivisée en quatre carrés de 4 m de côté, comme en témoignent les bermes bien conservées (fig. 80 et 84). Suivant les découvertes de terrain, M. Ponsich semble avoir élargi les zones fouillées dans les espaces 9 et 10 afin de permettre la mise au jour des limites de ces derniers (murs d’orientation est-ouest [1079] et [2010]). L’utilisation vraisemblable de la méthode Wheeler comme base de travail constitue une documentation inédite sur les pratiques de fouilles employées dans les années 1960 au Maroc. Apports relatifs à l’étendue de l’établissement Bien qu’en l’absence d’éléments datant, les opérations de prospection magnétique effectuées en 2009 révèlent l’occupation ancienne des pentes de la butte et l’extension du site au nord, à l’est et au sud de celle-ci. L’absence d’anomalies magnétiques dans le champ situé entre le chemin d’accès à la butte et la route nationale, côté ouest, semble en outre indiquer que l’occupation du site aux abords de la butte trouve là une de ses limites géographiques. Apports relatifs à la chronologie de l’établissement La relative abondance de la céramique d’époque islamique observée dès 2008 parmi le matériel de surface pouvait amener à douter de la chronologie de l’ensemble des structures exhumées dans les années 1960 sur la zone de la butte. Les fouilles menées durant la campagne 2009 démontrent la datation préromaine de ces vestiges tandis que le mobilier recueilli, tant dans les niveaux en place, qu’en surface ou dans les remblais des fouilles anciennes confirme une chronologie générale d’occupation comprise entre la fin du VIe s. et la fin du Ier s. av. J.-C. Toutefois, en l’absence d’information sur les tout premiers niveaux d’occupation du site, on ne peut exclure pour le moment que les débuts de celle-ci remontent à l’époque phénicienne. La découverte d’amphores de type Rachgoun 1 dans les remblais des fouilles anciennes tend d’ailleurs à plaider en faveur de cette hypothèse. L’abandon de la zone de la butte vers la fin du Ier s. av. J.-C. peut être, à titre d’hypothèse, mis en relation avec la création entre 33 et 25 av. J.-C. de la colonie romaine Iulia Constantia Zilil, située à quelques kilomètres au de sud-est Kouass. Enfin l’abondance de la céramique islamique récoltée cette année et la présence de fosses islamiques dans les secteurs 1 et 3 démontrent que le site a été réoccupé à l’époque médiévale. La chronologie précise et la nature de cette réoccupation font désormais partie des problématiques à résoudre. Apports relatifs à la nature de l’établissement – Un site-atelier impliqué dans le «Cercle du Détroit» L’existence d’un atelier préromain producteur entre autres, de céramiques peintes, communes, de type Kouass, d’amphores à salaison, tel que le décrivait M. Ponsich, ne nous était connue que par la présence d’un certain nombre de ratés de cuisson (amphore Ramon 7.4.3.3., amphore Ramon 8.2.1.1., amphore Ramon 11.2.1.3. : voir Kbiri Alaoui 2007, p. 66, fig. 40, 41, 44). Elle tend aujourd’hui à être confirmée sur la base des données récoltées cette année dans l’espace 19 et certaines des anomalies ponctuelles relevées par la prospection magnétique. S’y ajoute la présence sur le flanc nord-est de la butte et sur son extrémité sud-ouest de deux zones comportant des indices de production (fragments de briques crues rougies et durcies par l’action du feu, zone d’argile fortement rubéfiée). Ces deux zones pourraient correspondre à deux des fours mentionnés par M. Ponsich. SPIOX - 300 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Kouass Chronique Parmi le mobilier récolté cette année sont en outre attestées des scories qui peuvent correspondre à des rebuts de cuisson. L’intégration de Kouass aux courants commerciaux et culturels qui caractérisent la zone du détroit de Gibraltar est cependant évidente à en juger par la prédominance des productions locales ou régionales dites du «Cercle du détroit». Les divers types d’amphores et de vases en céramique attestés trouvent leurs plus proches parallèles sur les sites côtiers d’Andalousie et démontrent notamment la connexion étroite qui existait entre Kouass et les établissements de la région de Gades (Cadix). Kouass constituait manifestement un établissement commercial d’importance à l’époque préromaine, ce dont témoigne non seulement l’abondance des amphores mais aussi la présence, en quantité non négligeable, de la céramique attique des Ve-IVe s. av. J.C. pourtant peu diffusée au Maroc. S’ajoute à cela la présence de quelques amphores carthaginoises (Ve-IIe s. av. J.-C.), ébusitaines (IIIe-IIe s. av. J.-C.), des importations ibériques (IIIe-Ier s. av. J.-C.) et italiennes (fin IIIe-fin Ier s. av. J.-C.). L’ensemble de ces importations nous apportent des renseignements sur l’intégration de Kouass dans les circuits commerciaux et culturels de Méditerranée et représentent des jalons chronologiques indispensables à la connaissance des productions locales, dont l’évolution reste fort méconnue. – Un établissement fortifié Les premiers indices relatifs à la nature fortifiée du site, apparus lors de la première campagne de prospection (2008), concernent les flancs nord-est de la butte où une anomalie notable pourrait correspondre aux vestiges d’une enceinte. La poursuite de la prospection sur le flanc est de la butte met en évidence le même type de résultats. L’attention portée aux structures existantes dans la partie extrême sud-ouest de la butte incite également à penser que Kouass était muni d’un système défensif. On relève dans cette zone, au sud de l’espace 10, l’existence d’une structure renforcée ([2010] et [CD]) constituant un ensemble de près d’1,50 m de large, et plus au sud encore, celle de deux autres murs épais de 1,50 m et 1,25 m de large ([BQ] et [X], fig. 80). Enfin, trois boulets en pierre probablement exhumés lors des fouilles anciennes sur la butte peuvent conduire à penser que le site a fait l’objet d’un siège sans que l’on soit en mesure pour l’instant de déterminer la datation d’un tel événement. Apports relatifs à l’architecture et à l’urbanisme d’époque préromaine Les premières opérations menées sur le site font état de l’existence d’un urbanisme cohérent, constitué d’axes de circulation et d’îlots dont la distribution spatiale respecte un plan plutôt orthogonal. Les pièces, de forme rectangulaire, sont de dimensions variées, parfois munies d’un seuil tel qu’on peut le constater dans l’espace 3 (fig. 4). L’ensemble actuellement dégagé révèle l’emploi d’une assez grande diversité des matériaux et des techniques de construction. Les murs, de largeur variable (de 0,45 m à 1,50 m), sont la plupart du temps façonnés en galets d’oueds, non taillés mais soigneusement ajustés, posés à plat et liés à de la terre. Ces galets sont parfois assemblés à des blocs de petite ou de moyenne taille constituant les parements. De plus des dalles en grès de dimensions variables sont utilisées et peuvent notamment constituer les socles des murs. Des parois construites entièrement en briques crues ou des élévations de briques crues sur soubassement de pierres sont également attestées. Les parements pouvaient être revêtus d’une couche d’argile (espace 23) ou de chaux (espaces 7, 8, 19). L’emploi récurrent de la chaux, non seulement utilisée pour les parements des murs mais aussi le revêtement des sols (espace 8), et la découverte de plusieurs boules de chaux dans des niveaux archéologiques en place (espace 10) nous indiquent que celle-ci fut sans doute produite sur place. L’ensemble architectural, d’ores et déjà imposant, offre un état de conservation appréciable, comprenant plusieurs structures préservées jusqu’à 1,50/1,60 m de hauteur. Il permet d’envisager d’intéressantes perspectives d’analyse et de mise en valeur, notamment de combler une partie des lacunes de nos connaissances actuelles sur l’architecture et l’urbanisme des cités maurétaniennes et de préciser l’évolution des techniques de construction (matériaux et types d’assemblage) sur une large période. Conclusion En grande partie consacrée aux travaux de défrichage, de nettoyage et de relevés, la première campagne du quadriennal a néanmoins donné lieu à la mise au jour des premiers niveaux archéologiques en place et a confirmé l’intérêt de la reprise des activités archéologiques sur le site. Elle enrichit dès à présent nos connaissances relatives à l’étendue, la chronologie, la nature de l’établissement et ses relations avec le reste de la Méditerranée. Elle apporte également une documentation complémentaire sur le répertoire des productions dites du détroit de Gibraltar et contribue à SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 301 renouveler nos connaissances relatives à la Maurétanie préromaine, en particulier son implication dans la production et la commercialisation des produits dérivés de la pêche en Extrême Occident, ainsi que son insertion dans les grands courants d’échanges méditerranéens avant la fin du IIe s. av. J.-C., qui ont sans doute été jusqu’à présent sous-estimées. Virginie BRIDOUX et Mohamed KBIRI ALAOUI 6 AUTRES ACTIVITÉS ARCHÉOLOGIQUES FRANÇAISES EN ITALIE PORTUS. LES ENTREPÔTS D’OSTIE ET DE PORTUS : vaste bâtiment unitaire entretient avec les quais qui l’entourent. La construction des magazzini traianei : premières considérations LES MAGASINS DE TRAJAN Agence nationale pour la recherche, Université de Provence, Soprintendenza speciale per i Beni archeologici di Roma, Direzione regionale per i Beni culturali e paesaggistici del Lazio, Centre Camille Jullian et Institut de recherche sur l’architecture antique Dans le cadre du projet quadriennal «Entrepôts et structures de stockage dans le monde gréco-romain antique», financé par l’ANR (ANR-08-BLAN-0059-01), le volet consacré à l’étude des magazzini traianei à Portus a été initié en juin 2009 7. L’insertion des entrepôts de Trajan dans le système portuaire de Portus nous a conduit a réaliser cette étude en suivant deux directions indépendantes mais complémentaires. La première concerne l’étude de la construction des entrepôts et de son fonctionnement, la secondevise à déterminer les rapports étroits que ce 6. Avec la collaboration de Solange Biagi, Claire Brinon, Mohamed Chaibi, Abdessamad Charif, Hédi Dridi, Abdelfattah Ichkhakh, Edwige Lovergne, Adeline Pichot, Mohamed Ridaoui et Mohamed Ougougdal. 7. Ces recherches s’inscrivent dans la continuité des travaux effectués dans le programme Ramses2 (cf. MEFRA, 119-1, 2007 et 120-1, 2008). La campagne s’est déroulée en trois temps : une intervention principale du 8 juin au 17 juillet, complétée par une seconde opération principalement consacrée à l’étude des quais et à la réalisation de deux carottages, du 23 septembre au 2 octobre; une dernière intervention, réalisée entre le 24 novembre et le 4 décembre, a porté sur les relevés topographiques. Sous la responsabilité de G. Boetto (CNRS-CCJ), E. Bukowiecki (IRAA), N. Monteix Respectant une certaine symétrie, les magasins de Trajan s’organisent autour du petit bassin connu sous la dénomination de «darsena» selon un plan en «U» s’ouvrant vers l’est, en direction du bassin hexagonal de Trajan. Le bloc rectangulaire constitué par les corps de bâtiment et le bassin mesure approximativement 315 m de longueur sur 175 m de largeur et occupe, dans cette zone portuaire, une surface d’environ 5,5 ha dont près de 4 ha sont consacrés aux entrepôts. À titre de comparaison, nous rappelons que la surface des Grandi Horrea d’Ostie dépasse à peine 0,7 ha. À l’occasion de travaux d’assainissement et de fouille effectués dans les années 1930 par le Prince Torlonia, alors propriétaire du site, une petite partie du bâtiment a été dégagée et encore aujourd’hui, seules 40% des structures sont réellement visibles (fig. 86). L’éparpillement des zones dégagées rend difficile une vision globale de l’édifice et c’est pourquoi nous avons organisé l’étude en 6 secteurs : le secteur A, bien déga- (EFR), C. Rousse (CCJ-IRAA) et S. Zugmeyer (IRAA), ont participé à la campagne 2009 : S. Della Giustina, G. Peresso (Università di Roma-Tre) ; B. Rindone et M. Sardoni (Università della Tuscia, Viterbo); Ch.-E. Sauvin, P. Wech (doctorants Université de Paris I); S. Zanella (Università di Siena). Nous remercions chaleureusement L. Paroli (Soprintendenza archeologica di Ostia) pour son accueil, pour la confiance qu’elle nous a accordée et pour les échanges scientifiques qu’elle a entrepris avec nous. Nous remercions également l’équipe responsable des espaces verts et l’ensemble du personnel du Museo delle Navi pour leur soutien au quotidien qui nous a permis d’organiser les opérations de terrain dans les meilleures conditions. SPIOX - 302 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique Fig. 86 – Les entrepôts d’Ostie et de Portus. Plan schématique des structures visibles des magasins de Trajan à Portus, délimité en six secteurs d’étude. SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 303 gé, correspondant à l’angle nord-ouest du monument; le secteur B à l’angle nord-est, le secteur C à l’angle sud-est, à l’est du cimetière moderne; le secteur D correspondant à la zone de la darsena et à ses alentours immédiats; le secteur E, peu dégagé, compris entre les secteurs A et B; et enfin le secteur F, incluant la zone sud, à l’ouest du cimetière moderne et les structures attenantes à la strada colonnata et au portico di Claudio. La hauteur de conservation des structures dégagées atteint parfois 5 à 7 m mais malheureusement, les intensives restaurations réalisées à partir des années 1980 sur l’ensemble des vestiges compromettent souvent la bonne lecture stratigraphique des élévations. Lors de la campagne d’étude du monument qui s’est déroulée en 2009, une attention particulière a été portée sur l’emploi des différentes techniques de construction : opus reticulatum, opus mixtum à panneaux, opus testaceum et opus mixtum à bandes (fig. 87). Dans cette première phase de travail, ont déjà été relevées et analysées, 8 parements en opus reticulatum, 48 parements en opus testaceum et 13 parements en opus mixtum à panneaux. La variation dans l’emploi des techniques de parement semble correspondre, selon un premier examen qui devra être approfondi lors de la seconde campagne prévue en mai 2010, aux principales phases constructives de l’édifice qui s’étalent entre le milieu du Ier siècle ap. J.-C. et l’époque médiévale. Pour la période impériale, le premier chantier démarre sous le règne des empereurs Claude et Néron et les dernières modifications substantielles sont attribuables au début de la dynastie sévérienne, même si certaines traces témoignent d’une occupation tardive du bâtiment comme édifice de stockage (fig. 88). De plus, une recherche systématique des timbres sur brique in situ a Fig. 87 – Les entrepôts d’Ostie et de Portus. Différentes techniques de parement utilisées dans la construction ou les restaurations successives des magasins de Trajan à Portus (Clichés E.B. et C.S.). SPIOX - 304 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique permis, pour l’instant, l’identification de 56 exemplaires épigraphiques (28 dans le secteur A, 1 dans le secteur D et 27 dans le secteur F) dont les datations s’échelonnent entre l’époque de Néron et à la dynastie antonine. Ce qui caractérise en premier lieu la construction de ce bâtiment est la performance du système de fondation. En effet, implantée en zone maritime ou marécageuse, la plateforme sur lequel ont été élevés les entrepôts devait pouvoir assurer aux structures une stabilité uniforme et c’est pourquoi, dès début du chantier, a été installé un réseau de fondations remarquablement unitaire et homogène. Réalisées en opus reticulatum ces fondations ont une largeur variable entre 1,5 m et 2,5 m et peuvent atteindre jusqu’à 3,5 m de profondeur, selon les premiers résultats obtenus sur l’un des deux carottages programmés en septembre 2009 (cf. infra). Les observations réalisées dans les secteurs A et B permettent de constater que ce sont d’abord les longues fondations est-ouest qui ont été installées, en correspon- dance du quai nord, des façades et des murs de fond des cellules de stockage. Puis, adossées à ces premiers alignements, en correspondance avec les murs diviseurs des espaces, les fondations nord-sud ont complété le réseau, créant un système solidaire de compartimentage appelé caissons de fondation. La disposition de ces caissons de fondation a déterminé la dimension moyenne des cellules de stockage autour de 13,5 x 6 m, même si ces dimensions ne sont pas toujours régulières d’une cellule à l’autre puisque la largeur excessive des fondations à permis une certaine variation dans le positionnement des murs de refend allant parfois, d’une phase de construction à l’autre, au doublement de ces murs. Pour l’ensemble des magazzini traianei, une première restitution des éléments manquants permet de compter environ 150 cellules de stockage au rez-de-chaussée (fig. 89). La présence de nombreux escaliers témoignent de l’existence d’un étage et donc, sans doute, d’un autre niveau de stockage nous permettant de pouvoir doubler ce chiffre et atteindre un total de 300 magasins indépendants. En ne prenant en considération que le rez-dechaussée, la surface de stockage au sol des entrepôts de Trajan atteint 12150 m2 soit plus d’un hectare. À titre de comparaison, les quelques 80 cellules de stockage des Grandi Horrea d’Ostie présentent une surface disponible de 3.200 m2. Du point de vue de la disposition architecturale, la façade des cellules de stockage est systématiquement orientée vers l’extérieur, le long des axes de circulations externes donnant soit sur les quais du canal d’accès à l’hexagone, sur les quais de la darse ou sur la façade ouverte sur le vaste bassin de Claude à l’ouest. Les murs a b Fig. 88 – Les entrepôts d’Ostie et de Portus. Insertion à l’époque tardive, dans un espace de circulation des entrepôts antiques, qu’un système rudimentaire de sol surélevé destiné au stockage des denrées (Cliché N.M.). Fig. 89 – Les entrepôts d’Ostie et de Portus. Cellules de stockage dans les magasins de Trajan à Portus (Clichés E.B. et C.S.). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 305 Fig. 90 – Les entrepôts d’Ostie et de Portus. Escalier d’accès à l’étage dans le secteur A : espaces 31-32 (Cliché E.B.). de fond des cellules de stockage délimitent, pour les corps de bâtiment nord et sud, un large espace central de circulation, d’orientation est-ouest. Cet espace, où probablement il est possible de restituer de nombreuses activités liées au fonctionnement quotidien des horrea (comptage, vérification et comptabilisation des marchandises; organisation de sa distribution; stockage provisoire etc.), communique avec l’extérieur grâce à de nombreux passages nord-sud, systématiquement couplés aux rampes d’escaliers qui accèdent à l’étage. Ces observations, réalisées en grande partie grâce à la conservation quasi intégrale de la façade nord donnant sur la darsena mais aussi grâce aux informations recueillies sur les autres secteurs dégagés du monument, nous permettent de restituer pour chaque série est-ouest, cinq passages nord-sud (environ 1 tous les 5 cellules), soit au total, 20 espaces de communication nord-sud auxquels correspondent 20 rampes d’accès à l’étage (fig. 90). Il est intéressant de constater que les rampes d’accès sont systématiquement orientées vers l’extérieur et qu’il n’était donc pas possible d’accéder à l’étage depuis le long couloir couvert central. Ces premières considérations sur la construction des magazzini traianei à Portus devront être vérifiés et approfondies au cours de la prochaine campagne. Nous chercherons en particulier à définir l’insertion chronologique des différentes phases de construction reconnues mais surtout à mieux comprendre le fonctionnement interne de l’édifice et notamment, en consacrant une attention particulière aux différentes techniques de stockage employées au cours de la longue vie de ces entrepôts. En association avec nos thèmes de recherches, nous avons noué plusieurs collaborations scientifiques. Signalons entre autres la réalisation d’une tesi di laurea à l’Università della Tuscia (Viterbo) par B. Rindone, sous la direction de C. Pavolini; l’intervention du Dipartimento di Fisica tecnica de l’Università La Sapienza qui participera, suite à un accord de coopération scientifique avec l’IRAA, à nos réflexions liées aux conditions de stockage dans les magasins; une étude de L. Paroli (Soprintendenza archeologica di Ostia) et C. Panzieri (Università La Sapienza) sur l’occupation tardive du bâtiment ainsi que sur les entrepôts qui s’adossent à sa façade occidentale. E. B. et N. M. La façade portuaire : les quais et leurs aménagements Les magazzini traianei occupent une position stratégique à l’intérieur du complexe portuaire : situés entre le bassin de Claude et celui de Trajan, ils sont bordés au nord et à l’est par le canal de liaison entre les deux plans d’eau et au sud par un petit bassin fermé (darsena) relié directement au Tibre (fig. 91). Ce contexte spécifique justifie une étude détaillée des systèmes de quais et de mouillage facilitant le déchargement des cargaisons et leur transfert à l’intérieur des magasins. Les résultats obtenus devront être confrontés avec les données acquises sur les caractéristiques architecturales du bâtiment (distribution des accès, circulation et systèmes de stockage) et avec les données connues sur les types de navires pouvant fréquenter les quais des entrepôts de Trajan, situés à l’interface entre navigation maritime, navigation fluviale et navigation portuaire. La campagne 2009 a permis d’enregistrer les diffé- SPIOX - 306 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique Fig. 91 – Les entrepôts d’Ostie et de Portus. Plan des entrepôts de Trajan au sein du complexe de Portus. rents aménagements de quais (murs de quais, niches, bittes d’amarrage et escaliers) dont disposent les façades nord, sud et est des entrepôts. Les structures sont partiellement dégagées (quai nord), parfois difficilement accessibles (quai sud ouvert sur la darsena) ou ont fait l’objet d’important travaux de restauration remontant au XIXe s. (quai est). Une première étape en cours est la réalisation d’un relevé topographique complet, intégrant pour la première fois ces structures portuaires au plan d’ensemble de l’entrepôt. Ce relevé est réalisé sous la direction de S. Zugmeyer (IRAA). La réalisation de quatre sondages le long du quai nord longeant le canal d’accès au bassin de Trajan a permis d’observer deux phases de construction dans la maçonnerie actuellement conservée. La première correspond à un mur de quai accolé à la fondation en opus caementicium du mur nord de l’entrepôt (fig. 92). Ce premier mur de quai (quai de 1ère phase) présente un unique parement en opus mixtum du côté du canal d’accès (réticulé dans les sondages S301, S302; assise de brique dans le sondage S303). Sa faible largeur (90 cm) montre qu’il sert avant tout de parement à la paroi externe du monument qui s’ouvre directement sur le canal reliant les bassins de Claude et de Trajan. Ce premier quai est ensuite englobé dans la maçonnerie d’une seconde maçonnerie constituée d’un blocage de petits blocs de tuf grossièrement taillés et de mortier de chaux et dotée, sur la face externe, d’un parement en briques (quai de 2e phase). Cet aménagement plus tardif crée une véritable plateforme de circulation, large de Fig. 92 – Les entrepôts d’Ostie et de Portus. Les deux phases du quai nord, appuyées sur le mur de fondation de l’entrepôt (cliché C.R.). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 307 3,20 m, le long des entrepôts. Elle est desservie par un double escalier (S302) réalisé à partir de blocs de travertin en réemploi (fig. 93). D’autres blocs en travertin pris dans la maçonnerie du quai semblent avoir servi de bitte d’amarrage. À l’angle nord-est du quai, particulièrement exposé au courant et aux manœuvres des navires, deux niches semi-circulaires en brique, dont on ignore encore la fonction, ont été réalisées dans cette même maçonnerie de 2o phase, puis rebouchées par d’ultérieures recharges consolidant l’angle entre les quais nord et est (fig. 94). Une autre niche de plan rectangulaire, mieux conservée mais massivement restaurée, a pu être étudiée le long du quai est (fig. 95). Elle est aménagée dans une large maçonnerie constituée d’un blocage de lits réguliers de fragments de tuf marron et protégée sur la face externe d’un parement de fines briques rouge. Cette maçonnerie, correspondante vraisemblablement au quai de 2e phase, s’appuie sur une élévation en opus mixtum identique à celle qui, au nord, recouvre la paroi externe des entrepôts (quai de 1ère phase). L’étude de la façade nord montre que les magazzini traianei, dans leur premier état, s’ouvraient directement sur le canal grâce à une colonnade monumentale en travertin. Cette façade particulièrement aérée fut ensuite progressivement fermée par plusieurs phases de Fig. 93 – Les entrepôts d’Ostie et de Portus. Sondage S302. Escalier aménagé dans le quai nord (cliché C.R.). maçonneries en brique. Cette situation peut être mise en relation avec les aménagements des quais observés. En effet, dans la première phase, le bâtiment donnant sur le canal permettait aux navires de stationner le long du portique de façade, où ils étaient directement déchargés de leurs marchandises grâce à une circulation aisée entre les colonnes et dans le large couloir délimité par la colonnade et la façade interne des premières cellules de stockage. La restructuration de cette façade et la fermeture partielle du portique entrainent, dans un second Fig. 94 – Les entrepôts d’Ostie et de Portus. Sondage S304. Dégagement de l’angle nord-est du quai (cliché G.B.). SPIOX - 308 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique Fig. 95 – Les entrepôts d’Ostie et de Portus. Niche de plan rectangulaire conservée le long du quai est (cliché E.B). temps, l’installation d’un véritable quai offrant un espace de déchargement et de manutention des marchandises à l’extérieur du monument (transport à dos d’homme des marchandises vers l’intérieur des entrepôts). Pour approfondir la relation entre les entrepôts, le bassin portuaire et les navires qui fréquentaient les divers secteurs, il est nécessaire d’évaluer la hauteur du quai par rapport au plan d’eau antique. Cette question rejoint la problématique géoarchéologique développée par J.-Ph. Goiran et son équipe sur le site de Portus (projet UMR 5133 Archéorient, Lyon - École française de Rome). En septembre 2009, deux carottages ont été effectués à l’intérieur de l’entrepôt (MT1) et dans le canal d’accès, à proximité immédiate du mur de quai nord, au niveau du sondage S301 (MT2). En attendant les résultats de ces deux interventions, une première observation importante a pu être réalisée in situ sur le second carottage, qui est venu percer des niveaux de maçonnerie et de bois (analyses xylologiques confiées à F. Guibal, UMR 6116, IMEP, Aix-en-Provence) : il est probable que le carottage ait traversé la fondation même du quai, aujourd’hui enterrée. Elle semble avoir été bâtie en caissons de bois avec poteaux de renfort transversaux, selon une technique de construction couramment utilisée en milieu humide. Les prochaines missions permettront d’approfondir les données déjà recueillies, en élargissant l’étude au quai sud de l’entrepôt, ouvert sur le petit bassin fermé que constitue la darsena. G. B. et C. R. Giulia BOETTO, Évelyne BUKOWIECKI, Nicolas MONTEIX et Corinne ROUSSE INCORONATA. LA SEPTIÈME CAMPAGNE DE FOUILLE : CONFIRMATIONS ET NOUVEAUTÉS Université de Haute-Bretagne, Rennes 2, Laboratoire LAHM, UMR 6566 CReAAH La septième campagne de fouille de la mission archéologique de l’Université de Rennes 2 à l’Incoronata a eu lieu au mois de septembre 2009. Les opérations de terrain et les activités de laboratoire, menées sous la direction de Mario Denti, ont eu lieu grâce à la concession de la Soprintendenza per i Beni archeologici della Basilicata et à l’aide financière de l’UMR 6566, du laboratoire LAHM et de la Mairie de Pisticci (que nous souhaitons vivement remercier). Cette activité de fouille et de recherche s’inscrit dans un projet de longue durée, consacré à l’étude des modalités de l’occupation – dans l’espace aussi bien que dans le temps – de la colline traditionnellement nommée dans l’historiographie «Incoronata greca», lieu privilégié pour la compréhension des relations entretenues par les Grecs et les indigènes entre VIIIe et VIIe siècle avant J.-C. sur la côte ionienne de l’înôtrie. L’exploration archéologique a porté sur la partie nord-occidentale du plateau, où les Secteurs 1 et 4 (fig. 96) ont été étendus et approfondis, dans le but de confirmer les données stratigraphiques et chronologiques issues des campagnes précédentes et de mieux appréhender la physionomie des structures mises au jour. En synthèse, les résultats sont les suivants : – Secteur 1, sur le côté méridional du plateau : approfondissement de la connaissance de l’extension et SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 309 Fig. 96 – Incoronata, plan du plateau occidental de la colline. de la chronologie des deux sols appartenant aux phases œnôtres du VIIIe siècle (Phases 5 et 4); reconnaissance des nouvelles structures relevant de la phase grécoœnôtre de la première moitié du VIIe siècle (Phase 3); mise au jour d’une nouvelle portion de la grande strate d’oblitération des phases précédentes, datable à partir de la moitié du VIIe siècle (Phase 2) et d’un dépôt de céramique contextuel à celle-ci. – Secteur 4, au centre du plateau : extension de la fouille de la fosse quadrangulaire contenant d’importants restes d’argile, relevant du complexe des bassins pour la décantation et le stockage de l’argile; identification définitive du plan de piétinement appartenant à la dernière phase de l’occupation de la colline (troisième quart du VIIe siècle, Phase 1). Secteur 1 : le cailloutis de la plus ancienne phase d’occupation de l’Incoronata (première moitié du VIIIe siècle, Phase 5) Dans la partie méridionale du Secteur 1 (fig. 97), la fouille a été menée avec l’objectif de mieux déterminer l’extension et la chronologie du cailloutis US 70, la structure la plus ancienne actuellement découverte à Incoronata. C’est pourquoi, la strate de terre US 45 et les blocs de pierres qui devraient représenter la substruction du pavement de la phase suivante (US 38, Phase 4) et qui s’appuient directement sur le cailloutis US 70, ont été enlevés. Le sol US 70, réalisé avec des cailloux de petites et moyennes dimensions (fig. 98, au centre de l’image), se réduit progressivement vers l’est, tout au long d’une limite de forme irrégulièrement concave (une fosse?), et s’appuie directement sur le terrain naturel. La même situation peut être vérifiée en direction du sud, où le cailloutis s’arrête en correspondance d’une série de pierres qui en représentent vraisemblablement la limite de consolidation vers la pente méridionale de la colline. Ici, encore, la strate argileuse jaune du terrain naturel émerge juste en dessous de cette préparation. La donnée, certainement la plus importante, est représentée par la découverte, dans la strate US 62 qui recouvrait la situation que nous venons de décrire, d’un tesson appartenant à l’orle d’une protokotyle corin- SPIOX - 310 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique Fig. 97 – Incoronata, Secteur 1. Planimétrie. thienne du Géométrique Moyen II, décorée avec des chevrons (fig. 99). Associé avec de la céramique indigène à impasto ou à décor géométrique de très haute Fig. 98 – Incoronata, Secteur 1. En premier plan, le cailloutis US 70, sur lequel s’appuient les strates de substruction du pavement US 38 (à droite) : US 45 (en terre) et US 46 (en pierres). Incoronata, Secteur 1. US 62, fragment de protokotyle corinthienne du MG II, associé au sol (US 70) de la plus ancienne phase d’occupation de la colline. datation, il permet de préciser la chronologie de la fréquentation de ce cailloutis – pendant la première moitié du VIIIe siècle – et de confirmer ainsi la chronologie haute de sa réalisation, déjà proposée l’année dernière (MEFRA 121-1, 2009, p. 350 s.) : au moins pendant la première moitié du même siècle, et probable- Fig. 99 – Incoronata, Secteur 1. Le pavement US 38, vu de l’ouest. SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 311 ment dans son premier quart. Cette petite mais significative découverte se soude maintenant aux célèbres tessons d’une coupe du même type retrouvés par la mission de l’Université de Milan (Sondage A1, à nouveau dans un contexte indigène; voir Orlandini 1974-76, p. 177-186), et confirme le vaste horizon des relations internationales caractérisant l’émergence des élites œnôtres de cette zone de la côte ionienne, et plus particulièrement de l’Incoronata, dans les phases précédant l’arrivée des communautés grecques à l’époque proto-coloniale. Nous commençons ainsi à percevoir de façon tangible les structures fonctionnelles – et non seulement une documentation jusqu’alors limitée à des contextes secondaires comme les remplissages des fosses – de la plus ancienne phase d’occupation de la colline (Phase 5), dans lesquelles nous devons encadrer ces cruciaux événements historiques. Secteur 1 : le pavement de la phase œnôtre de la deuxième moitié du VIIIe siècle (Phase 4) L’extension de la fouille dans les extrémités occidentale et orientale du Secteur 1 (fig. 97) a permis de vérifier ultérieurement l’extension du pavement (US 38) datable pendant la deuxième moitié du VIIIe siècle, appartenant à la deuxième phase œnôtre de l’occupation de la colline (Phase 4). Réalisé dans une technique extrêmement fine avec de minuscules cailloux battus (fig. 98, sur la droite de l’image, 5, 7, 8), il s’étale en sens est-ouest tout au long de la marge méridionale de cette partie de la colline sur une longueur (à l’état actuel de la recherche) de 18 m. Si d’un côté, nous pouvons saisir son extension dans le sens de la longueur, d’un autre cela se révèle impossible dans le sens de la largeur : les limites méridionales et septentrionales ont en effet disparu puisque, dans la phase suivante (datant de la première moitié du VIIe siècle, Phase 3), l’implantation d’un espace artisanal a eu comme conséquence le remploi de ce sol, arraché au sud comme au nord. Toutefois, sur la base des nombreuses pierres conservées encore in situ (US 46, fig. 97 et 98, à gauche de l’image), qui auraient pu en représenter la ruderatio, il serait possible de récupérer l’extension première de ce pavement au moins vers le sud. Un petit sondage, réalisé dans son bord septentrional (fig. 97, au centre, et 5), a en effet permis de vérifier la fonction de substruction jouée par la strate de terre US 45, laquelle s’appuie à la fois sur les grandes pierres (US 46) vraisemblablement aptes à consolider le pavement US 38. Or, les altitudes mesurées sur la partie supérieure des pierres présentes sous le pavement, aussi bien que de celles mises au jour juste au nord de celui-ci (fig. 100, en premier plan) et de celles conservées bien plus loin, au sud (fig. 98), sont identiques. Compte tenu du fait que nous nous trouvons dans une zone où la colline commence à diminuer progressivement en hauteur, il semble légitime de proposer pour ces pierres un rôle de régularisation et de substruction pour la mise en place du pavement US 38; et par conséquence d’imaginer – sur cette base – la possible largeur originaire de ce sol au moins de 5 m et demi environ (en mesurant la distance entre la limite sud des pierres et la limite nord du pavement). Si cette hypothèse devait être confirmée par la suite, nous serions alors en présence d’un bâtiment qui devait atteindre au moins une vingtaine de mètres en longueur et environ 6 m en largeur. L’interprétation de cette structure est pour le moment prématurée. Toutefois, comme cela avait déjà été suggéré l’année dernière (MEFRA 121-1, 2009, p. 350 s.), il n’existe aucun argument pour exclure que ce pavement aurait pu appartenir à un bâtiment à caractère «princier», apanage de l’élite œnôtre de la deuxième moitié du VIIIe siècle (une autre possibilité serait l’appartenance à une construction donnant l’accès à la colline depuis les zones d’habitat relevant du système de l’occupation œnôtre de la zone : une terrasse?). Qualité technique; parfaite identité de son altitude tout au long de son étendue; orientation est-ouest; remarquable extension; rapports entre la largeur et une longueur très étendue : tous ces éléments correspondent bien aux caractéristiques propres des bâtiments contemporains, apanage des rulers, ou de l’élite, que nous connaissons dans le monde méditerranéen (Mazarakis Ainian 1997, p. X) mais également dans le milieu indigène de la Basilicate (Battiloro-Carollo-Osanna 2008, p. 113-129). Pour vérifier cette hypothèse, nous aurons bien évidemment besoin d’en détecter au moins quelques survivances relatives à ses limites originaires. En ce sens, un premier indice semblerait émerger de la découverte, à la limite occidentale du sondage, d’une grande pierre de forme quadrangulaire, qui semble fonctionner avec le pavement (fig. 97, à l’extrémité ouest). La continuation de la fouille permettra de vérifier si cet élément appartient – comme nous aimons l’imaginer – à une limite (mur?) du pavement, en commençant ainsi à fournir des indices concrets pour comprendre la physionomie réelle de cet important bâtiment. Dans la zone sud-orientale du secteur, l’enlèvement d’une nouvelle partie de la strate de substruction US 45 de notre pavement a permis d’en confirmer une chronologie précédant le passage du VIIIe au VIIe siècle : la céramique grecque de production locale qui caractérisera la SPIOX - 312 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique première moitié du VIIe siècle étant complètement absente, l’horizon archéologique apparaît profondément ancré à la culture œnôtre de l’âge du Fer du VIIIe siècle, comme le suggèrent les nombreux tessons de céramique à impasto bucchéroide rouge et noir (fig. 100 et 101) et la céramique œnôtre du Bradano Middle Geometric. Ce n’est pas le hasard si les seuls tessons de céramique grecque (très rares et minuscules), attestés dans ce contexte, peuvent dater du Géométrique Tardif, comme on pouvait s’y attendre s’agissant d’une phase où les Grecs n’étaient pas encore arrivés sur la colline (situation qui se vérifiera à partir du début du VIIe siècle, Phase 3). Il semble donc légitime de proposer, pour la réalisation de ce pavement, une chronologie à l’intérieur de la deuxième moitié du VIIIe siècle (Phase 4). Le nettoyage du bord septentrional du pavement US 38 a permis en outre d’identifier une sorte de «profil» en terre cuite rougeâtre, riche en inclusion charbonneux, qui semble exister seulement sur quelques centimètres en dessous de la strate supérieure du sol, pour disparaître progressivement vers le sud. L’état actuel des recherches ne permet pas une interprétation satisfaisante ni de sa fonction ni de ses relations stratigraphiques exactes avec le sol. Il s’agit, en tout cas, de la même situation que l’on a pu vérifier plus au sud, comme on le verra, tout au long du bord nord du même sol (fig. 102). Secteur 1 : des structures de la phase grécoœnôtre de la première moitié du VIIe siècle (Phase 3) Dans la partie orientale du Secteur 1, l’extension de la fouille au nord du pavement US 38 a mis au jour une nouvelle situation, riche en perspectives nécessitant la continuation de la fouille pour une meilleure compréhension des ses aspects chronologiques et fonctionnels. Au delà de la limite septentrionale de ce pavement, ont été découverts deux nouveaux trous de poteau, associés Fig. 100 – Incoronata, Secteur 1. La strate de substruction (US 45) et les pierres de la ruderatio (US 46) sous le pavement US 38. Fig. 101 – Incoronata, Secteur 1. Céramique indigène à impasto, de la strate de substruction US 45 du pavement US 38. Fig. 102 – Incoronata, Secteur 1. Les trous de poteau (Phase 3) au nord et sur le pavement US 38 (Phase 4). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 313 à un sol en terre battue et parfaitement orientés en sens nord-sud (fig. 102). Ceux-ci doivent être mis en relation avec un trou de poteau, fouillé l’année dernière, qui avait été creusé dans la surface du pavement US 38 (fig. 102, en haut de l’image; fig. 103, à droite). L’emplacement topographique et les relations stratigraphiques propres de ces structures suggèrent de les attribuer – en guise d’hypothèse de travail – à l’espace artisanal actif pendant la première moitié du VIIe siècle (Phase 3), dont il est utile de rappeler ici les autres éléments que nous avons reconnus (Denti 2008a, p. 111-138; Denti 2009a, p. 350-357; Denti 2009b) : au sud du pavement US 38, d’importants restes de fours associés à des rejets de cuisson et à de la céramique indigène et grecque (de fabrication locale et d’importation); au nord de ce même pavement, une grande carrière d’argile, oblitérée par un remplissage réalisé à partir de la moitié du VIIe siècle; plus au nord, dans le Secteur 4, des fosses circulaires et rectangulaires (présentant encore de l’argile sur leur fond), identifiables comme bassins pour la décantation, la transformation et le stockage de l’argile (voir infra, fig. 106). À nouveau, le profil septentrional du pavement US 38, arraché irrégulièrement pour la mise en place de ces structures, présente la même concentration d’éléments en argile, avec des inclusions charbonneuses, que nos avons décrits précédemment. Secteur 1 : la grande strate d’oblitération (de la moitié du VIIe siècle, Phase 2) et un dépôt appartenant au moment final de l’occupation du site (Phases 2 et 1, troisième quart du VIIe siècle?) Tout ce secteur de la colline, aux marges méridionales de l’ample plateau occidental (fig. 96), est caracté- Fig. 103 – Incoronata, Secteur 1. La strate de nivellement-oblitération US 8, sous lequel est la strate en cailloux (US 23), sorte de «protection» du pavement US 38. risé par une énorme strate de terre grisâtre (US 8), identifiable juste en dessous de l’humus. Cette dernière, recouvrant intégralement toute évidence précédente, correspond à une grande opération de nivellement et d’oblitération datable – sur la base de la céramique qu’elle contient – à partir de la moitié du VIIe siècle (Phase 2). Suite à l’extension de la fouille dans la partie occidentale du Secteur 1, il a été possible de confirmer que cette strate présente, en correspondance du pavement US 38, une importante concentration de cailloux fluviaux de dimensions moyennes et grandes, sur une hauteur variable entre 15 et 25 cm environ (fig. 103). Cette concentration appartient à la même opération qui a conduit à la réalisation du grand nivellement-oblitération US 8 : la terre de comblement, aussi bien que les très nombreux tessons qu’elle contient (appartenant à toutes les phases précédentes de l’histoire de l’occupation du site, Phases 3, 4, 5), sont en effet les mêmes dans les deux strates. Des tessons d’un même vase sont souvent présents dans les deux US. La fonction exacte de cette opération se révèle à l’heure actuelle de difficile compréhension. Il s’agit clairement d’une opération d’oblitération et en même temps de nivellement, mais elle pourrait cacher également d’autres finalités. On se pose notamment la question de la raison pour laquelle la strate avec les cailloux US 23, au lieu de se trouver au sud du pavement (fig. 97) – où l’on aurait dû penser la trouver, en raison de la fragilité d’une zone en pente, dépourvue de solidité – a été posée exclusivement en correspondance du pavement US 38 (un espace, en soi, déjà bien consolidé). Ainsi, le ratio de cette oblitération ne pourrait pas être forcement celle d’un simple aplanissement. Le volet «oblitérant» pourrait-il s’ouvrir également à la notion de «protection» d’une structure (comme ce pavement) qui avait dû assumer avec toute évidence une certaine signification aux yeux de celui qui a voulu cette opération? L’étude préliminaire de la documentation céramique présente dans les US 8 et 23 a permis de confirmer une importante donnée chronologique et fonctionnelle : la contemporanéité de cette opération, menée dans la zone méridionale du plateau, et de l’opération du remplissage et d’oblitération des bassins circulaires qui se trouvent plus au nord (Secteur 4, fig. 106). Stratigraphiquement contemporaines, les deux situations dépendent d’une même et grande intervention de nivellement du sol de cette partie de la colline et d’oblitération des phases précédentes, dont le terminus post-quem (suggéré par la céramique) est la moitié du VIIe siècle. Certains tessons appartenant à un SPIOX - 314 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique même vase sont en effet présents à l’intérieur des US de nivellement, au sud (US 8 et 23), et même dans les remplissages des fosses, au nord. Cette circonstance représente une preuve décisive de l’identité de la source – de la terre de remploi, très riche en tessons apparentant à toutes les phases précédentes – utilisée au moment de la réalisation de ces opérations; une identité qui confirme la coïncidence fonctionnelle et chronologique de ces deux opérations. L’exemple le plus représentatif de cette situation nous vient de quatre tessons, qui recollent parfaitement entre eux, d’une lekythos du Protocorinthien Ancien (fig. 104) laquelle «photographie» le moment du passage entre la phase œnôtre et l’arrivée des Grecs à l’Incoronata : fin VIIIe-début VIIe : ils sont été découverts l’un dans l’US 8, l’autre dans l’US 23 (Secteur 1), deux dans le remplissage d’une fosse (US 15, Secteur 4, 2008) située à une quarantaine de mètres plus au nord! À la limite opposée (est) de l’extension actuellement connue du pavement US 38, la fouille a permis de détecter une nouvelle situation, en mesure de confirmer des données chronologiques et fonctionnelles relatives aux dernières phases d’occupation de ce côté de la colline (Phases 2 et 1). À quelque centimètre du bord septentrional du sol a été mis au jour un nouveau dépôt de céramique mélangée à des pierres (US 83, partielle- ment bouleversé par des travaux mécaniques modernes), qui semble avoir été réalisé à l’intérieur de la strate de nivellement US 8 (fig. 97, extrémité est). La fouille de ce secteur n’étant pas achevée, nous devrons confirmer par la suite si nous nous trouvons – comme cela semble fort probable à l’heure actuelle – à la limite définitive de cette strate vers l’est. Ce dépôt montre la même nature et la même composition des plus grands dépôts mis au jour plus au nord, au centre du plateau (Secteur 4 et fouilles Université de Milan), avec les mêmes modalités de déposition et de fracture volontaire des vases, la même typologie et la même chronologie de la céramique, en prévalence grecque (Denti 2009c, p. nnn; Denti 2008b). À l’intérieur ont été déposés, entre autres : une amphore corinthienne fragmentée in situ; des tessons d’une hydrie de production locale; des parties d’un vase grec de production locale décoré par des bandes ondulées polychromes, selon une technique identique à celle caractérisant un grand récipient de forme ouverte, déposé – entier – dans le dépôt US 2 du Secteur 4; une kotyle du Protocorinthien Tardif, déposée renversée; la moitié d’une coupe à une seule anse, déposée renversée (fig. 105). L’ensemble des gestes accomplis et le choix des formes céramiques permettent d’interpréter cette évidence comme un «dépôt de fondation» du nivellement US 8, en le montrant extrêmement cohérent à l’horizon archéologique et fonctionnel des grands dépôts qui caractérisent, plus au nord, la dernière phase d’occupation de ce secteur de la colline (Phase 1). La présence de la kotyle du PC Tardif représente une donnée chronologique importante pour encadrer la réalisation de ce dépôt au moment final de l’occupation du site (troisième quart du VIIe siècle, Phase 1) et permet de formuler l’hypothèse que le moment de la réalisation Fig. 104 – Incoronata, fragments d’une lekythos du PC Ancien, des US 8 et 23 (Secteur 1) et de l’US 15 (Secteur 4). Fig. 105 – Incoronata, Secteur 1. Kotyle PC Tardif, coupe avec une seule anse, céramique œnôtre, du dépôt US 83. SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 315 du nivellement-oblitération de cette partie de la colline (US 8, Phase 2), dans lequel ce dépôt semble se situer, correspond au moment de la réalisation des grands dépôts du Secteur 4. Par conséquent, il est fort probable que le délai entre ces deux phases ait été très court. Secteur 4 : fouille de la fosse quadrangulaire et identification du plan de piétinement de la dernière phase d’occupation (troisième quart du VIIe siècle, Phase 1) Dans le Secteur 4, au centre du plateau occidental de la colline (fig. 96), nous avons mis au jour dans les campagnes précédentes trois fosses circulaires (fig. 106), orientées en sens est-ouest, qui (tout comme celles découvertes par l’Université de Milan) servaient comme bassins pour la décantation de l’argile (restes de l’argile encore présents au fond de l’une d’elles). Relevant avec toute évidence de l’espace artisanal dont nous avons trouvé les débris des fours et la carrière dans le Secteur 4 (Phase 3), elles ont été définitivement oblitérées, à partir de la moitié du VIIe siècle (Phase 2), par du remplissage réalisé avec du matériel provenant de la zone artisanale abandonnée, contenant des fragments de fours, des restes de charbons, une énorme quantité de cendre et des tessons de céramique grecque et indigène datables de la première moitié du VIIe siècle (Phase 3). Les restes de l’argile encore in situ sont particulièrement évidents dans une autre fosse, de forme quadrangulaire (le seul côté complètement dégagé mesure 3 m et demi environ) et peu profonde (US 18), qui longe le profil méridional des précédentes et qui avait été partiellement fouillée l’année dernière (fig. 106 et 107, en deuxième plan). L’extension réalisée vers le sud, si d’un côté elle n’a pas pu définir les limites méridionales de cette fosse, elle aura permis de l’autre de confirmer la présence d’importants restes d’argile gisant encore sur son fond (fig. 106, US 26; voir MEFRA 2009-1, fig. 93 p. 352). L’étude comparée (Denti 2009b) avec d’autres bassins de forme rectangulaire, destinés au stockage, à la transformation ou à la décantation de l’argile, documentés dans le monde grec à l’intérieur d’espaces artisanaux contemporains au nôtre, a permis de vérifier la récurrence de la présence des deux cuvettes dans deux des angles de ce type de structure (interprétées comme des dépressions destinées à recueillir les impuretés les plus lourdes), qui se trouvent également dans notre fosse. L’identification définitive, juste en dessus de l’humus, du plan de piétinement correspondant à la dernière phase d’occupation de ce secteur de la colline, la phase de la réalisation des dépôts de céramique (troisième quart du VIIe siècle, Phase 1) a été également un résultat important. Ce plan, extrêmement difficile à saisir – voir même pratiquement impossible – juste autour des dépôts, puisque correspondant à une zone très perturbée par le même creusement des fosses recueillant les dépôts, avait déjà été intercepté en 2008 dans le coin oriental du sondage (US 22). Si cette année, ce même plan a été mis au jour tout au long de la marge occidentale (US 34) et à l’est (US 22) de la fosse US 18 (fig. 106 et 107), il n’a cependant jamais été détecté en dessus de la surface des fosses. Il est caractérisé par une superficie de consistance extrêmement fragile, et pour cette raison il peut être reconnu sur la base des tessons étalés à plat et par le fait que l’humus qui le recouvre s’en détache, sous l’action de la truelle, de manière très évidente. Ces tessons, peu nombreux, incluant des fragments d’amphores corinthiennes et attiques et de la céramique monochrome indigène tardive, confirment la datation de ce sol à la phase la plus récente d’occupation du plateau occidental de la colline (Phase 1). Sa faible consistance révèle qu’il s’agit d’un sol qui n’a pas vécu longtemps, mais d’un plan de piétinement plutôt éphémère, dépendant donc d’une fréquentation très brève, liée à une action ponctuelle. Ces caractéristiques permettent de formuler quelques, provisoires, conclusions. Le plan de piétinement, appartenant à la dernière phase d’occupation de ce côté de la colline, correspond à la phase de la réalisation des dépôts (troisième quart du VIIe siècle, Phase 1) : il a dû représenter le sol sur lequel les individus qui ont créé les dépôts ont marché. Le fait qu’il ne se trouve en dessus d’aucune des fosses – forcément remplies et oblitérées avant la réalisation des dépôts – semble confirmer l’hypothèse présentée plus haut, selon laquelle l’opération de remplissage et d’oblitération des fosses, avec le nivellement de tout ce secteur (Phase 2), aurait dû correspondre pratiquement au moment de la création des dépôts. En effet, ce plan de piétinement existe seulement aux marges, à côté et autour des fosses (désormais comblées) : si la fréquentation avait dû continuer longtemps après l’oblitération des fosses, un plan de piétinement se serait forcément formé en dessus de ces dernières. Par conséquent, il est fort possible que les dépôts (lesquels, rappelons-le, «coupent» les fosses chaque fois qu’ils en rencontrent une) ont été réalisés juste après le remplissage des fosses. Nous sommes ainsi autorisés à commencer à imaginer que la Phase 2 (remplissage et oblitération des fosses) et la Phase 1 (réalisation des dépôts) auraient pu coïncider. En conséquence, si les deux phases sont presque contemporaines (même si, du point de vue logistique, la Phase 2 précède évidemment la Phase 1), nous pour- SPIOX - 316 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique Fig. 106 – Incoronata, Secteur 4. Planimétrie. Les fosses circulaires et la fosse quadrangulaire US 18, avec les restes de l’argile encore in situ (US 26). Le plan de piétinement, contemporain au moment de la réalisation des dépôts (Phase 1), est visible à l’est (US 22) comme à l’ouest (US 34). SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 317 Fig. 107 – Incoronata, Secteur 4. En premier plan, le plan de piétinement (US 22) appartenant à la dernière phase d’occupation de ce secteur de la colline. En deuxième plan, la fosse quadrangulaire US 18 et, au fond, les trois fosses circulaires. rions être face à une seule et unique opération. Opération que la stratigraphie (dernières strates documentées) et la chronologie de la céramique présente dans les dépôts aussi bien que sur ce plan de piétinement, poussent immédiatement à la limite inférieure de l’occupation de ce côté du plateau de l’Incoronata : vraisemblablement – selon la datation traditionnellement acquise – au troisième quart du VIIe siècle. Dans ce cas, cette opération pourrait-elle être interprétée comme une phase d’abandon définitif du site? Cela expliquerait alors, avec beaucoup de cohérence, la présence de nombreux gestes à caractère rituel (grands dépôts de céramique; dépôt «de dé-fonctionnalisation» de la carrière (Denti 2008b et Denti 2009b); dépôt associable à l’US 8, découvert cette année) ainsi que la mise en œuvre d’une énorme strate d’aplanissement-oblitération (US 8) des précédentes structures caractérisant la partie méridionale du plateau (Secteur 1), solidaire avec l’opération de comblement-oblitération des fosses mise en place plus au nord (Secteur 4). L’existence du plan US 22 et 34, que nous avons pu détecter immédiatement en dessous de l’humus, permet en outre de confirmer des observations que nous avons pu développer récemment (Denti-Lanos 2007, p. 445-481; p. 472), relatives à l’absence – au moins dans ce secteur de la colline – de travaux agricoles modernes suffisamment profonds pour avoir pu remuer les strates archéologiques, ou bien pour avoir «arasé» les (supposés) niveaux supérieurs de ces dernières, comme cela a longtemps été supposé. Nous sommes en effet face à la même situation que nous avons pu observer par rapport aux dépôts, toujours reconnaissables sur la superficie de l’humus grâce à des fortes concentrations de céramiques et de pierres : il s’agit, chaque fois, de l’émergence du sommet d’un dépôt, correspondant à la partie la plus haute du cumul qui existe en-dessous, lequel n’a donc subi aucun bouleversement substantiel. À l’Incoronata «grecque», les dépôts aussi bien que le plan de piétinement associé à ces derniers (que nous avons finalement reconnu) se sont conservés presque intégralement. Pour cette même raison, nous fouillons aujourd’hui des structures entières (des dépôts), et non – comme il a été cru longtemps sur la base d’une interprétation à caractère domestique – des «bâtiments» dont l’absence de restes de l’élévation avait été attribuée à l’action de «traînement», de «remuement», ou bien de «coupure» en horizontale, due à des labourages estimés avoir agi en profondeur. Même si, dans certains points de la colline, cela s’est sûrement vérifié. L’absence de labourage en profondeur sur la colline de l’Incoronata nous a été plusieurs fois confirmée par les témoignages recueillis auprès des anciens agriculteurs. Les dépôts de céramique de la dernière phase, aussi bien que leur plan de piétinement, sont restés fondamentalement intacts, in situ, pendant des siècles. Ce seul et dernier aspect nous oblige évidemment à entamer une réflexion sur la nature de ces structures caractérisant la dernière phase d’occupation de l’Incoronata. Nous avons présenté dans d’autres occasions les différentes pistes interprétatives qui – à l’état actuel de nos connaissances – sont susceptibles d’être suivies pour la compréhension de la fonction de ces dépôts. La septième campagne de fouille à l’Incoronata a donc permis de consolider des importants points de repères stratigraphiques et de reconnaître ultérieurement toute une série de structures fonctionnant dans des phases chronologiques désormais établies. Toutefois, comme le lecteur a pu le vérifier, les instruments nous font encore défaut pour saisir avec plus de certitude la logique historico-archéologique capable d’expliquer la nature des différentes phases d’occupation du site, aussi bien que les relations fonctionnelles entre elles. Ce que nous sommes en mesure de faire, à l’heure actuelle, est de décrire simplement, de manière la plus précise possible, l’état des évidences archéologiques. L’opportunité de nommer avec plus d’exactitude ces évidences appartient à un chapitre qui reste à écrire dans le long parcours de la compréhension de ce site. Mario DENTI SPIOX - 318 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES À LAOS-MARCELLINA (CALABRE, CS) La reprise des recherches archéologiques sur la colonie grecque de Laos et la mise en valeur du site archéologique de Marcellina (fraction de Santa Maria del Cedro, province de Cosenza) ont pour ambition de poursuivre et de développer la collaboration fructueuse entre institutions françaises et italiennes qui avait permis entre 1973 et 1994 la fouille de l’établissement lucanien de Laos-Marcellina (fig. 108). Les nouvelles fouilles entreprises par la Surintendance de la Calabre et l’exploration du territoire menée par une équipe de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne 8 s’inscrivent dans le prolongement de la création d’un parc archéologique à Marcellina et visent à mieux Fig. 108 – Laos-Marcellina. Localisation du site archéologique de Laos-Marcellina (L. Costa et A. Duplouy). 8. Nous tenons à remercier tout particulièrement les autorités de la Surintendance de la Calabre, en particulier la Surinten- connaître le paysage et l’histoire de la basse vallée du fleuve Laos. État des recherches antérieures La cité grecque de Laos sur le versant tyrrhénien de la péninsule italienne est une colonie de Sybaris. Ni les auteurs anciens ni les recherches archéologiques n’ont pour l’heure permis d’établir avec précision la date de cette fondation coloniale. D’aucuns y ont vu une création consécutive à la destruction en 510 avant J.-C. de la métropole; comme le rapporte Hérodote (VI 21), la ville accueille alors, avec Skydros, les réfugiés sybarites. D’autres supposent une fondation antérieure à la catastrophe et inscrivent l’implantation de la colonie dans le cadre d’une politique de contrôle des axes de circulation reliant les deux côtes, ionienne et tyrrhénienne. La cité archaïque et classique de Laos est assez mal connue. Seules la tradition littéraire et les émissions monétaires apportent un témoignage sur cette phase. Laos possède alors son propre monnayage d’argent qui commence dans la dernière phase de la frappe incuse autour de 500. La colline de Marcellina a d’ailleurs livré en 1986 un coin en pierre relatif à une série monétaire incuse; bien que découvert dans le contexte de la ville hellénistique, il s’agit actuellement du seul document archéologique qui renvoie à la cité du Ve siècle (initialement mentionné par E. Greco; voir Greco 1986, p. 720). L’établissement colonial grec est en effet inconnu et aucune découverte archéologique n’a permis à ce jour de lever un coin du voile sur ce problème historique. Le devenir de la colonie grecque est particulier. Située aux confins méridionaux du territoire lucanien, Laos est peu à peu intégrée à celui-ci et voit l’implantation de populations italiques qui semblent absorber les descendants des colons grecs. Il s’ensuit le développement d’une culture singulière, à la rencontre des mondes grec et indigène. Comme Poseidonia, Laos tomba vraisemblablement aux mains des Lucaniens vers la fin du Ve siècle. Diodore de Sicile (XIV 101) évoque à cet égard la campagne menée en 389 par les Grecs de Thourioi en territoire lucanien «afin d’assiéger Laos, cité prospère». La ville, dont nous n’avons malheureusement aucune trace archéologique, marque alors, avec le fleuve du même nom, la limite méridionale de la Lucanie (cf. Strabon VI 1, 1). Le dernier quart du IVe siècle marque une nouvelle dante S. Bonomi et l’Inspecteur G. Aversa. SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 319 étape dans l’organisation du territoire. Les Lucaniens installent alors un habitat fortifié sur les hauteurs du village actuel de Marcellina, à 3 km au sud du fleuve Laos. La création ex nihilo d’un nouvel établissement sur la colline de San Bartolo (alt. 72 m) laisse penser à un déplacement de l’habitat depuis l’ancien centre urbain fondé par les Grecs. Si l’on excepte quelques traces sporadiques de fréquentations indigènes à la fin du VIIe et au VIe siècle, les structures mises au jour sur la colline reposent en effet sur le sol vierge. Découvert en 1929 lors des travaux de construction de la route Naples - Reggio de Calabre (l’ancienne SS 18), le site de Marcellina est d’abord fouillé par E. Galli, qui en dresse le premier plan et identifie l’établissement à la station de Lauinium Bruttorium, mentionnée dans la Table de Peutinger (Galli 1932, p. 323-363). Entre 1973 et 1994, le site fait à nouveau l’objet de fouilles sous la direction de P. Guzzo (puis de G. F. La Torre), E. Greco et A. Schnap. Les recherches visent tout d’abord, entre 1973 et 1985, à restituer la trame urbaine; à partir de 1986, les archéologues poursuivent leur exploration par la fouille systématique de plusieurs parcelles (Schnapp-Greco-Luppino 1989. À ce sujet, un volume en préparation rassemblera les travaux des années 1986-1994. Mentionnons également la thèse de doctorat de Priscilla Munzi, Munzi 2000). Les dégagements ont permis de mettre au jour un ensemble urbain orthogonal (fig. 109). C’est là la marque incontestable d’un processus d’acculturation des populations lucaniennes aux modes de vie grecs. Une grande artère (plateia A), large de 12 m, traverse la ville du nord au sud. L’édification de portiques de part et d’autre de celle-ci en a ultérieurement réduit la largeur à un passage de 5 m. À une distance régulière de 96 m, la plateia A croise des rues est-ouest larges de c. 4,80 m; divers sondages ont permis de mettre en évidence six d’entre elles. Une seconde rue parallèle, située à 175 m à l’est de la plateia A, apparaît sur les photographies aériennes de 1943 et a peut-être été retrouvée dans un sondage proche du cimetière moderne. Plusieurs lots urbains ont été fouillés de manière extensive, révélant des habitations de taille imposante : la casa con la rampa occupe ainsi plus de 600 m2, avec cour centrale et dépendances. L’un de ces édifices a été identifié comme atelier monétaire grâce à la découverte d’une série de flans en bronze prêts pour la frappe. En dehors du parc archéologique, le sommet de la colline n’a guère livré d’autres vestiges que des tuiles et autres céramiques qui affleurent à la suite des labours. L’ensemble urbain était entouré d’un mur de gros blocs quadrangulaires. Son tracé n’est que très partiellement connu : seule une partie du mur ouest est identifiée sur un tronçon d’environ 350 m, ainsi que diverses sections autour de la colline. Le circuit des murs, tel qu’il a été fouillé et étudié par E. Galli puis contrôlé par P. Guzzo, englobe une superficie d’au moins 35 hectares. La nécropole est située sous le bourg moderne de Marcellina. Outre les quelques tombes fouillées en 1929 par la Surintendance, seule une riche tombe à chambre révélée fortuitement à l’automne de 1963 a été publiée in extenso (Galli 1932 et Greco-Guzzo 1992). Il s’agit d’une double sépulture princière dont le mobilier renvoie tantôt au monde masculin de la guerre, de l’athlétisme et du banquet, tantôt à la sphère féminine de l’oikos. Elle appartient à cette première génération d’individus qui s’installent vers 330-320 sur la colline voisine de San Bartolo. Le site de Marcellina est abandonné vers la fin du III siècle avant J.-C., probablement à la suite de la deuxième guerre punique. Aucune trace de destruction ou d’incendie n’est cependant perceptible dans la stratigraphie du site. La colline ne fut réoccupée partiellement que deux siècles plus tard par un modeste établissement agricole d’époque romaine, dont les dernières campagnes de fouilles ont commencé à révéler quelques éléments. C’est toutefois ailleurs, probablement à l’emplacement de la ville moderne de Scalea plus au nord, que se développe un établissement d’époque tardo-républicaine et impériale sous le nom de Lauinium Bruttiorum, qui conserve ainsi le nom latinisé de l’antique cité grecque de Laos. En l’absence de la cité grecque et de l’établissement romain, l’habitat lucanien de Marcellina constitue en fait le principal site archéologique de la basse vallée du Laos. Une série de découvertes ont néanmoins permis de comprendre les dynamiques territoriales à l’œuvre au cours de l’Antiquité. La bande côtière a en effet fait l’objet d’un inventaire archéologique détaillé en 1999 par les soins de Gioacchino La Torre, qui est venu compléter les recherches publiées en 1995 par Emanuele Greco (Greco 1995, Greco-La Torre 1999 et La Torre 1999). La carte archéologique ainsi disponible repose essentiellement sur des signalements ponctuels et des opérations de sauvetage menées par la Surintendance au fil du XXe siècle, mais aussi sur les résultats de quelques prospections de surface menées depuis les années 1980. Les données ainsi disponibles ont fourni un cadre historique général. Aux VIIe et VIe siècles, la bande côtière est occupée par des groupes indigènes qui s’installent sur divers promontoires rocheux (Tortora, Scalea, Marcellina) et font un usage abondant de céramique grecque importée. E SPIOX - 320 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique Fig. 109 – Laos-Marcellina. Colline de San Bartolo : trame urbaine de l’établissement lucanien et extension du parc archéologique (L. Costa et A. Duplouy). Ces établissements de tradition œnotre sont abandonnés vers la fin du VIe siècle, ce qui laisse penser à une rupture importante dans l’histoire du territoire. L’absence de trace repérable au sol d’un établissement SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 321 grec de l’époque archaïque a fait douter de l’existence d’une apoikia antérieure à l’arrivée des Sybarites vaincus et exilés en 510. Mais il faut admettre aussi qu’il n’existe pas davantage d’indices probants pour localiser la ville grecque du Ve siècle, dont l’existence ne peut pourtant être mise en doute. Avec la Laos lucanienne doivent être associés une série d’établissements ruraux des IVe et IIIe siècles dont aucun n’a pour l’heure été fouillé de manière extensive. Enfin, à l’époque impériale, plusieurs grandes villas sont attestées sur le littoral par des découvertes de surface. L’habitat lucanien de Marcellina Grâce à une série d’acquisitions par la Surintendance, les découvertes effectuées à Marcellina ont permis la création et l’extension progressive d’un parc archéologique qui a vocation à devenir une attraction touristique et culturelle pour la commune de Santa Maria del Cedro. En l’état actuel, ce parc d’une superficie d’environ 3,5 hectares s’étend sur la pente occidentale de la colline de San Bartolo, de part et d’autre de l’ancienne SS 18 (fig. 109). Le reste de la colline appartient à divers propriétaires privés. Afin de mettre en évidence les structures archéologiques existantes, seule une approche non destructrice et non invasive est donc envisageable sur ces parcelles. Pour confirmer l’implantation et mieux cerner l’extension de la trame urbaine, une première campagne de prospection géophysique a été conduite en septembre 2009 par Boris Di Fiore et Domenico Chianese (CNR, Potenza) au moyen d’un magnétomètre. Le choix des aires prospectées a dû tenir compte de l’état de la végétation, mais aussi et surtout des autorisations délivrées par les propriétaires, fort inquiets de voir les archéologues s’intéresser d’un peu trop près à leur terre. Seuls deux champs récemment moissonnés, pour une superficie totale d’environ un hectare, ont pu être explorés. Le premier couvre une large zone est-ouest (230 × 45 m) située à l’extrémité septentrionale de la colline, tandis que la seconde parcelle (125 × 15 m), également orientée est-ouest, s’inscrit à l’intérieur de l’un des îlots définis par les rues transversales de la trame urbaine. Les données collectées sur le terrain sont encore à l’étude. Entre juin et octobre 2008, la Surintendance de la Calabre a du reste procédé à de nouvelles fouilles à Marcellina dans le cadre d’un projet d’extension et de valorisation de la zone archéologique. Les recherches ont porté sur la zone située dans le prolongement méridional de la plateia A. Dans ce secteur, deux sondages (alpha et bêta) ont permis de découvrir les restes d’un îlot délimité, au nord, par l’angle de la plateia A et de la rue 4 et, au sud, par une canalisation monumentale perpendiculaire à la plateia, coupant celle-ci à une distance de 35 m. Dans l’ensemble, les fouilles ont confirmé le plan urbain mis en évidence par les recherches italo-françaises menées entre 1977 et 1992. D’une largeur initiale de 12 m, la plateia A, constituée de graviers, tessons et fragments de briques concassés, fut ensuite réduite pour faire place à un vaste portique (large de 3 m) sur le côté ouest. Ce dernier, délimité par le front oriental de l’îlot et par un mur, était complètement effondré lors de sa découverte. Au nord, la plateia A croise de manière orthogonale la rue 4 (large de 5 m), à laquelle appartient probablement un tronçon pavé mis au jour à l’extrémité nord-ouest du secteur fouillé. Le sol de la plateia a livré une canalisation orientée nord-sud, creusée dans le sol vierge et constituée par l’association de tuyaux circulaires en terre cuite. Cette canalisation présente une pente légère mais constante du nord au sud; elle est reliée au grand collecteur découvert au sud dans le sondage alpha (fig. 4). À cette canalisation semble se raccorder également un petit bout d’une autre conduite en terre cuite provenant de la zone bâtie (peut-être l’évacuation d’une toilette). Les tuyaux sont endommagés en plusieurs endroits et tout porte donc à croire que la canalisation était déjà hors d’usage durant la première moitié du IIIe siècle avant J.-C. (cf. infra). Le sondage bêta a permis de découvrir deux îlots donnant sur la plateia A : le premier, situé au nord de la rue 4, est attesté par son seul mur méridional; le second, au sud de la même rue, a en revanche été exploré de manière extensive (fig. 110). Ce dernier, qui définit l’edificio con cortile, est délimité à l’est par un long mur nord-sud, réalisé dans la même technique de construction que les autres murs mis au jour à Laos, qui croise à angle droit le mur extérieur nord, orienté est-ouest. Le mur extérieur est se prolonge au sud par un autre mur de même orientation (US 316), assez imposant (ép. 0,90 m sur 13 m de long) sur lequel il s’appuie; ce dernier délimite un bâtiment composé de deux pièces (A et B). Notons que le mur US 316 se poursuit plus au sud dans le sondage alpha et pourrait représenter une phase précédente de l’habitat lucanien utilisant la même trame urbaine. Les deux pièces A et B de l’edificio con cortile se présentaient dans des conditions bien différentes lors de la découverte. La première (A), de forme quadrangulaire et bien définie sur les quatre côtés par des murs apparemment dépourvus d’ouverture, ne montrait aucune trace d’écroulement, ni d’ailleurs d’occupation ou SPIOX - 322 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique Fig. 110 – Laos-Marcellina. Photographie du sondage bêta prise depuis le nord (Soprintendenza per i Beni Archeologici della Calabria). d’abandon, mais seulement une couche rougeâtre, d’origine argileuse, presque exempte de matériaux, qui recouvrait le sol vierge. La salle contiguë (B) présentait en revanche une épaisse couche de destruction qui couvrait un morceau résiduel de sol. En dehors de ces deux pièces, le bâtiment ne présente aucune autre division interne. Quatre murets de dimensions identiques (0,80 × 0,50 m), espacés régulièrement, s’appuient sur les murs externes nord et est de la cour; ils formaient peut-être un portique peu profond, comme le suggère la présence de tuiles dans l’écroulement. Dans la partie centrale de la cour, probablement hypèthre, se trouvent au moins trois bacs pour la préparation de l’argile et deux grands récipients, partiellement enterrés, ayant peut-être eu des fonctions analogues. Enfin, la disposition des pièces suggère que l’entrée se faisait par le sud, où est encore visible un étroit couloir d’accès. La taille totale du complexe s’élève à quelque 700 m2, surface comparable aux autres grandes résidences aristocratiques lucaniennes. L’absence de structures similaires aux installations déjà explorées dans les autres maisons du centre urbain porte à croire qu’il s’agit ici d’un espace à destination non résidentielle, mais plutôt artisanale, lié au travail de l’argile à des fins économiques et productives. La séquence stratigraphique permet de situer l’abandon de l’édifice durant la première moitié du IIIe siècle avant J.-C., tandis que la chronologie relative des structures indique une antériorité du mur US 316 en gros blocs, sans cependant qu’aucun niveau archéologique ne puisse y être associé. En ce qui concerne l’égout découvert dans le sondage alpha, il consistait, à en juger par les 15 m mis au jour, en une simple tranchée d’environ 1 m de large et de quelques dizaines de centimètres de profondeur constituée de dalles de conglomérat local grossièrement taillées, de formes et dimensions variables (fig. 111). Il reste néanmoins à comprendre comment les piétons, les animaux et les chars franchissaient cet obstacle (couverture en planches de bois?). En tout état de cause, les données à notre disposition permettent d’établir une discontinuité très claire entre les zones situées au nord et au sud de cette canalisation, qui constituait apparemment une limite tangible à l’extension des bâtiments. Ce grand égout ainsi que la conduite descendant la plateia A paraissent avoir été abandonnés au bout de quelques décennies d’utilisation. De la terre mêlée à un abondant SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 323 Intégrant la composante environnementale, les archéologues se sont tout d’abord attachés à une approche paléographique du paysage. Celui-ci a en effet connu des modifications profondes au cours des derniers millénaires en raison des divagations du lit du fleuve Laos et de l’apport de millions de mètres cubes d’alluvions. Nous nous heurtons cependant pour le moment à une lacune de nos connaissances sur la configuration antique des sols. L’avancement de la ligne de côte par rapport à l’Antiquité n’est pas clairement défini, même s’il est évident : jusqu’au début du XX siècle encore, la mer arrivait au pied du centre historique de Scalea et la Torre di Talao, aujourd’hui sur le littoral, était alors sur un îlot. Depuis les années 1930, d’importants travaux d’assainissement de la plaine du Laos ont en outre considérablement modifié un paysage jadis marécageux. En revanche, les terrasses marines plus anciennes, constituées de sables, de graviers et de marnes, ne semblent pas avoir connu de modifications majeures à époque historique. La ligne de côte antique a donc été fixée de manière commode sur l’ancien tracé du chemin de fer qui, à la hauteur de la plaine du Laos, effectuait naguère une courbe vers l’intérieur des terres. L’histoire du paysage de la basse vallée du Laos revêt en ce sens une importance considérable dans la compréhension des phénomènes historiques. Cette situation complexe, que des études géomorphologiques devraient permettre de clarifier dans les années à venir, a bien évidemment orienté nos recherches archéologiques de surface. En l’occurrence, il était exclu d’explorer les plaines alluviales des fleuves Laos et Abatemarco, respectivement au nord et au sud de Marcellina, ainsi que toute la bande côtière (globalement délimitée par le tracé de la voie de chemin de fer). La prospection s’est donc concentrée cette année sur les collines basses situées à l’est du site lucanien de Marcellina jusqu’aux premières pentes de la Serra Bonangelo (alt. 802 m). L’aire explorée s’étend sur une superficie d’environ 6,5 km2, essentiellement sur le territoire de la commune de Santa Maria del Cedro 9. Ces collines, étroites et allongées, sont séparées par des ruisseaux saisonniers. Le caractère sédimentaire des sols a en outre donné lieu dans le temps à l’exploitation de diverses carrières pour matériaux de construction qui ont modifié par endroits la morphologie antique. Une E Fig. 111 – Laos-Marcellina. Photographie du sondage alpha prise depuis l’ouest (Soprintendenza per i Beni Archeologici della Calabria). matériel antérieur à la fin du IVe siècle avant J.-C. en constitue le comblement. Le tout fut ensuite recouvert 2d’une couche de terrain bien compact élevant le niveau du sol jusqu’à effacer toute trace de rupture dans le tracé de la plateia A. La Laos du IIIe siècle avant J.-C. présente ainsi à cet endroit une vaste esplanade non bâtie, dont la destination reste pour l’heure incertaine. Prospection et histoire du paysage Parallèlement aux travaux menés sur l’habitat de Laos-Marcellina, les recherches entreprises dans le cadre de ce nouveau programme visent à mieux connaître la structuration du territoire de Laos aux époques grecque, lucanienne et romaine. Une première campagne de terrain s’est déroulée en septembre 2009 (fig. 112). 9. Nous en profitons pour adresser tous nos remerciements au maire de Santa Maria del Cedro, Giuseppe Aulicino, et à son adjoint, Giuseppe Pisciotti, qui ont grandement facilité nos démarches et ont toujours montré la plus grande disponibi- lité à notre égard. Nous remercions également Grazia Cianciulli, directrice du collège Paolo Borsellino pour son invitation à présenter nos recherches devant les élèves. SPIOX - 324 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique Fig. 112 – Laos-Marcellina. Zone de prospection 2009 avec l’indication des sites inventoriés en 1995 et 1999 (L. Costa et A. Duplouy). grande partie de ces zones est couverte par une végétation spontanée assez dense (chênes, broussailles, roseaux à proximité des cours d’eau et des sources), qui limite fortement la visibilité au sol, voire l’accessibilité. En raison des mutations économiques des dernières décennies et de l’abandon de nombreuses terres agricoles, seule une fraction des terrains est aujourd’hui destinée à l’agriculture. Les cultures les plus répandues sont l’olivier et la vigne, mais on trouve aussi des céréales, des agrumes (en particulier le cédrat, pour lequel Santa Maria del Cedro est mondialement renommée) et des cultures potagères. Le village de Marcellina et le hameau de Destri ont par ailleurs connu au cours des dernières décennies une expansion immobilière irrégulière et frénétique qui rend impossible les observations de surface, parfois même en périphérie immédiate. Pour faire face à ces difficultés, il était indispensable d’avoir recours dès le départ à la collaboration de la population locale, dont la connaissance et la pratique du territoire ont constitué une aide précieuse pour cette première campagne10, qui visait avant tout à évaluer le potentiel archéologique de la zone et à adapter les méthodes de recherche à celui-ci. Compte tenu des moyens et du temps disponibles, notre petite équipe, composée de 4 ou 5 personnes selon les jours, s’est attachée prioritairement à une prospection extensive, dont les résultats qualitatifs ont pour l’heure été privilégiés à l’exploitation quantitative des informations recueillies. Partout où l’enquête était possible, des traces évidentes d’occupation antique et médiévale sont apparues, confirmant la richesse et la densité archéologiques du territoire. Il s’agissait en outre de construire les instruments 10. Nous remercions en particulier Antonio Durante, Angelo Cava et Giuseppe Trifilio, qui nous ont souvent accompagnés ou guidés sur le terrain; Pierluigi Maradei, Enrico Esposito, Francesco Fazio, Angelo Napolitano et Lorenza Cupìdo nous ont transmis leurs mémoires familiales et leurs connaissances. Enfin, Nicola Franco Parise, originaire de Marcellina, a partagé avec nous ses souvenirs de jeunesse et nous a donné des indications précieuses. SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 325 nécessaires à la gestion des données. L’élaboration d’un système d’information géographique (SIG) par Laurent Costa (ingénieur CNRS) a permis d’unifier l’ensemble des informations cartographiques déjà disponibles ou produites au cours de la mission. Le fond de carte est issu de la très récente carte technique régionale (CTR, 2008), acquise auprès du Centro cartografico regionale della Calabria (Lamezia Terme). Sur celui-ci ont été positionnés les nouvelles cartes au 1/50.000 (f. 542 de 1992) et au 1/25.000 (f. 542, I et IV de 2001) de l’Istituto geografico militare (Florence), la carte géologique d’Italie au 1/100.000 (f. 220 de 1970), les plans cadastraux et le réseau de bornes topographiques des communes concernées, ainsi que les photographies aériennes orthogonales commandées par la région pour la réalisation de la CTR. Grâce à quelques mesures de contrôle, on a tout d’abord pu repositionner dans le nouveau système l’ensemble du travail topographique réalisé sur la colline de Marcellina au cours des années 1980. On a ensuite pu procéder au géoréférencement des sites mentionnés par nos prédécesseurs : d’une part, dans le volume édité en 1995 par Greco où l’emplacement des sites est reporté sur les anciennes cartes militaires au 1/10.000 des années 1950 (vecchie tavolette) et, d’autre part, sur la carte archéologique de La Torre basée sur les cartes au 1/50.000 de l’IGM. Tous les déplacements de l’équipe de prospection, ainsi que les structures et le matériel repérés au sol ont été localisés au moyen d’un GPS et reportés dans le SIG. Enfin, une banque de données relationnelle a été créée pour gérer l’ensemble des informations topographiques, archéologiques et photographiques recueillies sur le terrain. En relation avec le SIG, celle-ci offrira à terme un outil précieux pour l’interrogation et l’exploitation des résultats de la prospection. Notre objectif a tout d’abord été de retrouver sur le terrain les sites mentionnés dans les publications antérieures. Pour ce qui est du secteur compris entre le Laos et l’Abatemarco (fig. 112), seuls quelques sites étaient en fait répertoriés dans l’inventaire de Greco (1995) et sur la carte archéologique de La Torre (1999). Le site no 24 (La Torre no 130, situé plus précisément sur la carte) a longtemps donné des espoirs de localiser la cité archaïque et classique de Laos. Lors de travaux d’assainissement de la plaine du Laos, les ouvriers ont mis au jour en 1959 un mur composé de blocs quadrangulaires en grès, parfaitement alignés. A. Maiuri proposa d’associer ce mur à un établissement portuaire grec (Maiuri 1962, p. 65). À l’époque de la découverte, aucun matériel céramique n’avait toutefois été recueilli pour situer chronologiquement la structure. En raison de l’importante couche d’alluvions, le mur n’avait d’ail- leurs pas pu être retrouvé à l’occasion des prospections menées dans les années 1980, telles que signalées par Greco. En revanche, les fouilles reprises en 1990 ont révélé un complexe monumental présentant plusieurs phases de construction allant du IVe siècle avant J.-C. à la basse Antiquité, mais aucune trace de structures archaïques ou classiques. Aujourd’hui, plus rien n’est visible en surface. Le site no 26 (La Torre no 131) correspond à une petite église en ruine autour de laquelle de nombreuses tuiles et plaques en calcaire servant de couverture à des tombes à ciste ainsi que du mobilier funéraire sont signalés depuis les années 1970 à l’occasion des travaux agricoles. L’installation d’un poteau électrique de l’ENEL à quelque 150 m plus à l’est a livré des vestiges similaires; ce qui donne une idée de l’extension de cette zone de nécropole. Notre prospection a confirmé ces données et les quelques tessons ramassés pourront peutêtre préciser une chronologie hellénistique déduite de la typologie des tombes, semblables à celles de Marcellina. La localisation du site no 27 ne va pas sans poser quelques difficultés, car l’emplacement reporté sur les vecchie tavolette reproduites en 1995 est non seulement d’un accès très difficile, mais encore ne correspond pas vraiment à la description donnée dans l’inventaire : en lieu et place d’un vignoble, il s’agit d’une zone densément boisée. Dans le doute, nous en concluons à une erreur de placement du point par nos prédécesseurs, qui s’explique aisément par l’absence à l’époque de technologie de positionnement par satellites. D’autant qu’en suivant leurs indications écrites, nous avons en revanche retrouvé, à environ 350 m plus à l’ouest, une zone de vignes et de cultures potagères où le matériel hellénistique découvert correspond parfaitement à la description de la publication (fig. 113, A). C’est là même du reste que La Torre place son site no 134, sans pour autant faire le rapprochement avec le site no 27 de Greco, ni d’ailleurs confirmer l’hypothèse d’une nécropole. Pourtant, comme le rapportent les habitants du secteur, les constructions des dernières années semblent avoir livré du matériel funéraire. Signalons d’ailleurs la découverte d’une plaque en pierre cassée dans sa longueur (l. 63 cm; L. cons. 90 cm; ép. 9 cm) ayant probablement servi de dalle de couverture à une tombe à ciste; ce qui au final ne laisse guère de doute sur la destination funéraire de la zone. L’habitat lucanien de Laos paraît ainsi avoir été entouré de plusieurs nécropoles, situées à l’ouest, au nord-est et au sud-est de la colline de San Bartolo. Seule la riche tombe à chambre découverte dans le village de Marcellina est précisément datée et publiée. Elle n’était SPIOX - 326 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique Fig. 113 – Laos-Marcellina. Principaux sites identifiés lors de la prospection de septembre 2009 (L. Costa et A. Duplouy). d’ailleurs pas isolée : à côté des tombes signalées par Galli, d’autres sépultures sont en effet attestées par les nombreux témoignages des habitants et documentées par divers fragments de céramique à vernis noir qu’ils nous ont montrés. Cette nécropole occidentale reste pourtant mal connue en raison de l’expansion immobilière de la seconde moitié du XXe siècle qui a oblitéré le site. Afin de préciser son extension, nous avons entrepris de localiser sur la carte les souvenirs des habitants et des ouvriers ayant procédé aux multiples travaux de construction et de voirie qui n’ont jamais manqué de révéler l’une ou l’autre tombe. Pour peu qu’ils soient fiables et précis, ces renseignements viendront compléter l’inventaire dressé par La Torre à partir des seules notices publiées (no 128 et 129). Enfin, ce dernier mentionnait également, à la suite d’une prospection réalisée en 1980, la découverte de tessons et tuiles d’époque hellénistique sur le sommet d’une petite colline au sud-est de San Bartolo (no 132), qui n’a pas pu être confirmée cette année en raison de la végétation. Au-delà de la reprise des anciennes prospections, il s’agissait bien entendu d’étendre largement l’enquête de terrain, en particulier vers l’intérieur des terres qui n’avait pas été exploré par nos prédécesseurs. Plusieurs nouveaux sites – entendus pour le moment au sens commun du mot – ont été repérés, dont on retiendra ici les plus significatifs (fig. 113). L’observation de matériel épars (essentiellement des fragments de céramique, mais aussi quelques restes architecturaux) dans les terrains explorés dépend naturellement des conditions de visibilité au sol. Le matériel découvert a été documenté in situ; les tessons les plus diagnostiques ont été ramassés. L’étude du matériel étant encore en cours, il n’est pas possible pour l’heure d’offrir une chronologie détaillée et précise de ces découvertes au-delà de considérations immédiates. On commencera tout d’abord par signaler l’important gisement archéologique que constitue un terrain situé à l’extrémité méridionale de la colline de San Bartolo (fig. 113, B) et qui pourrait bien appartenir à l’ensemble urbain, c’est-à-dire s’inscrire à l’intérieur de l’enceinte lucanienne dont le tracé se perd au sud du parc archéologique. À cet endroit se trouvent les ruines SPIOX - B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) 327 du monastère de San Bartolomeo (IXe siècle) fondé par les moines basiliens. Ce monastère de «San Bartolomeo in Abatemarco» est notamment mentionné dans un document de 1491 (d’Avino 1848, p. 158). L’édifice présente plusieurs phases de construction, dont les murs remploient une grande quantité de tessons antiques et de tuiles. La structure, assez dégradée, n’a – à notre connaissance – jamais fait l’objet d’un examen approfondi, probablement en raison de sa localisation dans une propriété privée. Le terrain, abandonné mais menacé par l’expansion immobilière, a livré une grande quantité de céramique, médiévale naturellement, mais aussi antique. À une centaine de mètres plus au sud, sans doute à l’extérieur des portes de la ville, La Torre signalait déjà quelques fragments de céramique hellénistique (no 133) et rapportait la conviction diffuse des paysans que le lieu abritait des tombes à chambres. D’autres vestiges datables du Moyen Âge, souvent associés à du matériel antique, se remarquent ailleurs dans le paysage. Ils doivent peut-être être rapportés à l’action et à l’influence de l’éparchie monastique du Mercurion, qui occupait la moyenne et basse vallée du Laos (Celico 2002). Une structure en particulier mérite d’être signalée. Il s’agit d’un édifice, aujourd’hui transformé en habitation privée et actuellement en restructuration, situé dans la contrada Marina sur l’une des dernières collines qui dominent la partie orientale de la vallée du Laos, entre le Fosso Cinquerime et la Valle della Menta (fig. 113, D). La structure présente plusieurs phases de construction, dont la plus ancienne pourrait remonter au haut Moyen Âge, même si des réfections plus tardives (XVIIIe-XIXe siècles) en ont profondément altéré l’aspect originel. Les terrains environnants sont parsemés de nombreux restes architecturaux et des tessons antiques ont été remployés dans les murs du bâtiment, selon une pratique assez diffuse dans les constructions rurales de la zone. Si le matériel récolté doit encore être étudié avec attention, certains fragments semblent dater de l’Antiquité, tandis que d’autres pourraient renvoyer à une occupation protohistorique du site. Plus complexe est en revanche l’interprétation d’une structure en ruine située sur l’extrémité centrale de la colline trilobée faisant face au site de San Bartolo vers le nord-est (fig. 6, C). Il s’agit d’un édifice rectangulaire, orienté nord-ouest/sud-est, de 20 m de long sur 7,5 m de large. Les murs, en pierres sèches à peine dégrossies, sont préservés sur une hauteur de 50 cm environ; leur épaisseur ne dépasse pas 60 cm. Les dimensions et les caractéristiques de la construction diffèrent des édifices agricoles plus récents et la phase d’abandon prolongée que semble avoir connue ce bâtiment révèle une datation au plus tard médiévale. L’intérieur de la ruine, envahie par la végétation et par trois grands chênes, n’a pas pu être exploré. Dans le terrain environnant, on remarque une concentration de tuiles et quelques tessons de céramique antique non décorée ont été prélevés. D’autres traces à mettre en relation avec l’exploitation agricole du territoire peuvent être rapportées à l’époque médiévale, si ce n’est à l’Antiquité. Parmi les plus intéressantes, signalons les aménagements visibles sur le flanc méridional de la colline de Pàstina (fig. 6, E). Des murs de soutien en pierres sèches ont été construits pour préserver des oliviers centenaires de l’action de l’eau qui, délavant progressivement les terres, risquait de mettre en péril la stabilité des arbres situés sur un terrain escarpé. La présence dans cette zone de fragments de céramique médiévale (et peut-être antique) dénote l’ancienneté des interventions. Enfin, sur la pointe sud-ouest de la colline de Pàstina (fig. 113, F), nous avons repéré quelques blocs de pierre reposant directement sur la roche. Il semble s’agir des fondations d’un bâtiment quadrangulaire, dont l’angle nord-ouest est encore bien visible. Les deux côtés sont préservés sur une longueur de 4,5 m environ pour une épaisseur de 0,55 m. Les blocs affleurent à peine du sol, tandis qu’il ne reste plus rien de l’élévation. L’état de la structure et le peu de tessons retrouvés ne permettent pas de préciser la nature de la ruine; l’hypothèse (théorique) d’une «tour de garde» doit néanmoins être formulée en raison de la position dominante du site. Les données réunies jusqu’ici, sans avoir aucune prétention à l’exhaustivité, révèlent au contraire l’étendue des questions qui demeurent ouvertes en l’état actuel de la recherche sur le territoire de Laos, à commencer par la localisation de la cité grecque. Cette première campagne de terrain n’en a pas moins livré des aspects inattendus. En particulier, les nombreuses traces d’occupation médiévale, qui n’ont guère intéressé les archéologues classiques, méritent sans doute une attention plus approfondie. Ainsi, la continuité observée sur certains sites entre l’occupation antique et médiévale n’est pas sans rappeler que dans la commune de Santa Maria del Cedro, les fouilles récentes conduites sur le Carcere dell’Impresa ont montré que ce château médiéval, dont la dernière phase de construction remonte au XVIe siècle, s’est installé sur des structures antiques d’époques hellénistique et romaine. Pour toutes ces raisons et avec ces finalités, les SPIOX - 328 B1: MFA101 - cap. 16 - (1ª bozza) Autres activités archéologiques françaises en italie Chronique travaux se poursuivront dans les années à venir par une extension de la zone de prospection sur le territoire des communes de Scalea, Santa Domenica Talao, Orsomarso, Verbicaro et Grisolia. La campagne 2009 s’est clôturée par une rencontre avec les élèves du collège Paolo Borsellino de Santa Maria del Cedro. Cette présentation a permis de sensibiliser la population et en particulier les jeunes générations aux richesses de leur patrimoine et à l’intérêt de nos recherches. Gregorio AVERSA, Alain DUPLOUY, Valentino NIZZO et Alessia ZAMBON Abréviations bibliographiques APOLLONIA D’ILLYRIE (ALBANIE) Bereti et alii 2007 = V. Bereti, V. Dimo, J.-L. Lamboley et B. Vrekaj, La céramique d’Apollonia, dans Apollonia d’Illyrie 1. Atlas archéologique et historique, Rome, 2007 (Collection de l’École française de Rome, 391), p. 140. Delouis et alii 2007 = O. Delouis, J.-L. Lamboley, Ph. Lenhardt, F. Quantin, A. Skenderaj, S. Verger et B. Vrekaj, La ville haute d’Apollonia d’Illyrie : étapes d’une recherche en cours, dans D. Berranger-Auserve (éd.), Épire, Illyrie, Macédoine, Mélanges offerts au Professeur Pierre Cabanes, Clermont-Ferrand, 2007 (Collection Erga, Recherches sur l’Antiquité, 10), p. 43-44. Dimo-Lenhardt-Quantin 2007 = V. Dimo, Ph. Lenhardt et F. Quantin, dans Apollonia d’Illyrie 1. 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