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Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement E. Tielkes, E. Schlecht et P. Hiernaux (Editeurs) © 2001 Verlag Ulrich E. Grauer, Beuren, Stuttgart /Allemagne L'économie de la gestion des risques en zone semi-aride Han van Dijk Centre d'Études africaines, BP 9555, 2300 RB Leiden, Pays­Bas t:v) 1 "\ ( ^ / j 1 i ' j « ; 1 j l \ RESUME Les risques émanant des dynamiques écologiques et les fluctuations économiques qui en résultent constituent les conditions de base dans la zone semi­aride sahélienne. Toute forme de gestion ou d'aménagement des ressources fourragères commence obligatoirement par l'appréciation d'un nombre de variables et notamment leur variabilité dans l'espace et le temps. Cette variabilité est en fait la source d'une grande gamme de risques au Sahel. Le problème de leur gestion ne réside pas dans le faible taux de la pluviosité ou la basse productivité de pâturages qui en résulte, mais dans leur variabilité d'une année à l'autre et d'un endroit à l'autre. L'accommodation continue à cette variabilité et la compétition pour les ressources entre les divers (groupes d') utilisateurs qui en résultent est la force motrice pour un nombre d'autres phénomènes. Toute évaluation des possibilités économiques ou toute décision de gestion doit être basée sur une analyse approfondie de ces risques. Dans cette communication il est démontré comment les risques forment le canevas des stratégies d'utilisation et de gestion des pâturages et même des modes d'appropriation et des droits d'accès. Les interventions extérieures dans les stratégies d'utilisation et la gestion des pâturages peuvent non seulement avoir un grand impact sur la profitabilité des stratégies des éleveurs, mais aussi sur les modes d'appropriation et les droits d'accès. Les sujets suivants seront traités : la production pastorale ; les stratégies d'investissement ; l'évaluation de résultats ; la prise de décision ; et les droits d'accès aux parcours. Dans la conclusion quelques conséquences pour les interventions extérieures seront discutées. Mots clés : ressources pastorales, variabilité, risque, droits d'accès, Sahel ABSTRACT The basic factors in the semiarid Sahelian zone are the risks emerging from the ecological dynamics and the resulting economie fluctuations. Anyform of management or improvement offeed resources is obligea to start with an appréciation of a number of variables and especially oftheir spatial and temporal variability. This variability is in fact the source of a great spectrum of risks in the Sahel The problem of risk management is not the sparse rainfall or the resulting low range productivity, but their variability from oneyear to the next and from one place to another. The continuous 265 Comptes­rendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement" adaptation to this variability and thé résultant compétition for resources between various (groups of) users is at thé origin of a number of other phenomena. Every évaluation of économie possibilities and ail management décisions must be based on an in­depth analysis of thèse risks. This article illustrâtes how risks form the background for stratégies of utilisation and management of postures and even offorms of appropriation and access rights. The external interventions in stratégies of utilisation and management of postures can not only hâve a gréât impact on thé profitability of stratégies of livestock managers but also on modes of appropriation and access rights. The following subjects are treated: pastoral production; Investment stratégies; évaluation ofresults; decision­making and access rights to postures. In thé conclusion some conséquences of external interventions are discussed. Key words: pastoral resources, variability, risk, access rights, Sahel RISQUE ET LA PRODUCTION PASTORALE è Dans la littérature scientifique, le risque est traité comme une variable stochastique. Dans une conception technique, le risque est le produit du hasard de la chance et le magnitude des conséquences (Kasperson 1992). L'analyse de la prise de décisions économiques des individus et des collectivités est faite avec l'aide des modèles de simulation qui sont linéaires. Ces modèles sont basés sur la théorie de choix rationnels. Ils sont basés sur la supposition que les acteurs sont orientés vers l'optimalisation de leur bénéfice ou la minimalisation des risques et qu'ils connaissent le hasard et la magnitude des conséquences. Cette conception ignore le rôle moteur du risque dans l'économie pastorale. Cependant chaque événement a sa propre dynamique et mène à des réponses différentes des acteurs (individuels ou collectifs). Les événements du risque sont liés à d'autres processus psychologiques, économiques, institutionnels et culturels. Les interactions entre ces événements et ces domaines sociétaux au niveau de l'individu ont à leur tour des conséquences aux niveaux des collectivités (Kasperson 1992). Donc, le risque est à la base de la structuration des sociétés dans lesquelles il intervient. Le pastoralisme pur peut être défiai comme une activité basée sur l'exploitation des générations successives des animaux domestiques. L'accumulation du capital bétail et la mobilité des troupeaux sont les éléments clés dans cette entreprise afin de gérer la variabilité dans les environnements arides et srari­arides oê cette activité prend place. Pour accumuler le capital bétail, le gestionnaire du troupeau (disons un berger avec sa famille), doit le protéger contre des fléaux de nature diverse, (fauves, maladies contagieuses, manque d'eau et de pâturage ; Ingold 1980). Certains fléaux peuvent anéantir (une grande partie de) son capital dans peu de temps. Par conséquent, l'accumulation d'un grand nombre d'animaux n'est pas une stratégie irrationnelle ou de prestige, mais une stratégie d'assurance. Si 10% des animaux survivent une grande sécheresse, le berger qui avait 100 têtes pourra en conserver 10 et celui qui avait 10 têtes en pourra sauver qu'une. Une telle stratégie est une stratégie d'opportunité plutôt qu'une stratégie d'optimalisation (Horowitz 1986). Cependant une stratégie d'opportunité ne garantie pas au berger (le gestionnaire du troupeau) d'échapper au risque. Au contraire, sa stratégie est plutôt gérante au niveau 266 Van Dijk : L'économie de la gestion des risques en zone semi­aride collectif. Les interventions de tous les gestionnaires du troupeau (la protection qu'ils donnent aux animaux contre les fauves et les maladies, et manque de l'eau et nourriture) permettent à la survie d'un nombre plus grand des animaux placés dans des conditions naturelles défavorables. Cette condition de base rend le total plus vulnérable aux conditions néfastes, comme les maladies contagieuses et le manque de l'eau et de pâturages. On peut prévoir que des désastres correctifs se produiront en fonction de la variabilité du climat, avec des effets plus sévères que dans des conditions naturelles (Ingold 1980). La manière la plus efficace de faire face à ce genre de risques est d'opter pour de petites unités de production. A cause du fait que tout le monde est assujetti aux mêmes conditions il est plus rationnel de s'investir dans sa propre entreprise. Il n'est pas possible de maintenir des réseaux élaborés de soutiens mutuels. Et dans les situations de crise, le cercle de la solidarité a tendance de se limiter aux parents très proches (Spittler 1993) jusqu'au dernière refuge, le foyer, c'est­à­ dire la mère avec ses enfants (De Bruijn 1997). La chance d'être aidé par les autres en cas de besoin devient négligeable, parce qu'ils sont soumis aux mêmes conditions. Par conséquent les possibilités pour un soutien mutuel sont très limitées en cas de désastre climatique (Van Dijk 1994). Voilà la raison de base de l'organisation fragmentée de la majorité des sociétés pastorales. Donc, les conséquences et les réponses aux risques concernent toute la société, et pas seulement les responsables des troupeaux et des pâturages, parce que la survie de l'unité de production en dépend. Dans le Sahel la nécessité des réponses au risque est toujours présente, parce que les fluctuations du climat se produisent partout et toujours, au gré des variations de la pluviosité dans le temps et l'espace. Donc il y a toujours cette pression sur la société humaine au Sahel. L'influence du risque n'est pas difficile à démontrer dans la vie quotidienne. Tout le monde connaît les conséquences graves des sécheresses des années 70 et 80 au Sahel. Mais il est moins connu que la gestion du risque persiste dans des années dites "normales". Par exemple, il a été observé que la variabilité dans la production agricole et des pâturages des zones semi­arides ait le même niveau que pendant les sécheresses (voir De Steenhuijsen­Piters 1995 ; De Bruijn et Van Dijk 1995 ; Gandah 1999). Même dans ces conditions, des calamités peuvent toucher des producteurs individuels. Il en va de même pour les indicateurs démographiques. La pression des conditions écologiques est telle (en l'absence d'une couverture suffisante des services de santé dans les régions faiblement peuplées), que les indicateurs démographiques ne montrent pas de réponse aux sécheresses. Parmi les populations pastorales du Sahel le taux de la mortalité des enfants est très élevé, pour atteindre parfois près de 50%. « La survie des ménages dépend de la chance émanant de la distribution irrégulière et imprévisible de la pluviométrie et la mortalité du bétail des membres clés de la famille ». Pendant les sécheresses des années 70 et 80 il n'y a pas eu de mortalité exceptionnelle parmi ces populations. « Les taux de mortalité sont extrêmement élevés avec des espérances de vie parmi les couches de populations « isolées dans la campagne » de 30 à 35 ans » (Hill 1991 : 178). Cela veut dire que le risque et la pression écologiques sont toujours très élevés, dans les années dites "normales" et pas seulement dans les mauvaises années. 267 Comptes­rendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement" RISQUE ET INVESTISSEMENT, DEUX STRATEGIES Quelles options peut­on distinguer pour accommoder ce risque ? La stratégie la plus rationnelle et la plus pratiquée est la mobilité ou au moins la potentialité de mobilité. Tout éleveur est prêt de déplacer son troupeau d'une zone à l'autre si les conditions de pâturage sont meilleures dans la seconde. Cette mobilité prend des formes diverses, du déplacement du seul berger avec le troupeau jusqu'au fractions entières qui pratiquent la transhumance de façon organisée. Cette stratégie permet de jouir toujours les meilleures conditions possibles pour les animaux dont dépend la survie de la famille. Il est clair que cette tendance ou cette potentialité de mobilité a des conséquences pour l'organisation de la société : l'organisation sociale, la régulation de l'accès aux ressources, les communications entre les communautés et l'organisation de l'économie domestique. Tout cela doit être structuré en fonction de la façon de gérer les risques et la mobilité. Si les éleveurs ne se déplacent pas, donc en absence de mobilité, la seule option possible est d'investir dans les ressources fourragères qui permettent aux animaux de survivre les périodes dures. Cependant, étant donné la productivité faible de l'environnement agro­ écologique, les coûts seront énormes par rapports aux rendements qu'on peut espérer. Aux coûts s'ajoutent les efforts nécessaires pour sauvegarder les acquis sous forme des pâturages améliorés ou aménagés. En général les surfaces sont énormes. C'est pour cela que l'accès aux pâturages est presque toujours libre à ceux qui ont du bétail pendant les périodes sans contraintes d'exploitation. Une autre option est d'investir dans les êtres humains afin d'amoindrir le risque pour le groupe. Si on peut acquérir une position sociale, en tant qu'individu ou groupe, où on peut répercuter les conséquences des risques sur d'autres, on est mieux placé. Les hiérarchies politiques d'autrefois forment un bon exemple de ce mécanisme. La mise en captivité des esclaves dans l'époque pré­coloniale assurait la survie des élites politiques pastorales au Sahel. Les populations dépourvus de bétail formaient un réservoir de main d'œuvre moins chère et des clients politiques dans les sociétés pastorales Ouest­ africaines (Jhffe 1987 : 65­68). Dans la société Tamasheq, les captifs faisaient tous les travaux de l'élevage et de la culture en donnant une grande partie des fruits de leur travail aux nobles et aux propriétaires de la terre (Bernus 1990 : 154). Des populations devenues pauvres à cause de calamités naturelles formaient un apport permanent à ces couches défavorisées. Les hiérarchies sociales qui étaient basées sur des idées sur l'inégalité des hommes et des statuts différents, fournissaient des modèles d'organisation sociale qui permettaient d'incorporer ses populations sinistrées. Leur existence ne formait pas un problème de légitimation pour les élites politiques, parce que ses populations avaient une place reconnue dans ces hiérarchies (Iliffe 1987 : 42­47). L'EVALUATION DES RESULTATS DES INVESTISSEMENTS Étant donné que les conditions écologiques, comme la répartition de la pluviosité dans l'espace et dans le temps, sont très variables il est impossible de déterminer avec exactitude les rendements des investissements dans une zone semi­aride. L'effet d'un investissement dans la fertilité du sol pour améliorer la productivité des pâturages ou des cultures peut être complètement annihilé par le climat capricieux. Pendant les 268 an eu ex fui ex qu hé réi Van Dijk : L'économie de la gestion des risques en zone senti­aride années 50 et 60 des éleveurs peuls au Mali central ont développé des systèmes de culture basés sur la fertilisation des sols avec la fumure organique. Us utilisent par exemple les terres de leurs campements de façon itinérante afin d'exploiter toute la rumure possible. Ces champs temporaires étaient reconnus pour leurs rendements exceptionnels. Avec les sécheresses ils étaient obligés d'abandonner ce système, parce que les cultures étaient brûlés en mi­saison par manque d'eau et excès fumure. Ils hésitent également de mettre beaucoup de rumure sur les champs normaux, parce que la réussite de cet investissement n'est pas assurée. Le même problème se pose pour des investissements dans les infrastructures anti­ érosives ou hydrauliques ou pour la protection des pâturages. Même si les agro­éleveurs ont des possibilités de s'investir dans des pâturages dont ils peuvent se réserver l'utilisation, ils ne le font pas. Pourquoi ? La raison principale pour ne pas investir dans les ressources est la variabilité du climat. A cause de ce facteur il est presque impossible de déterminer le rapport exact d'un tel investissement. Pire, le manque de pluie peut masquer et même annihiler tout effet et rendre l'investissement inutile. De plus les coûts en termes de main d'œuvre ou capital sont tellement élevés que ces investissements ne sont possibles qu'avec des apports extérieurs. Au contraire, lorsque les rendements sont augmentés suite à la mise en place de nouvelles infrastructures, la cause peut en être l'amélioration des conditions climatiques. Donc, la croissance de la productivité ne peut pas être automatiquement attribuée aux nouvelles infrastructures. C'est pour cela que la grande majorité des investissements dans ce milieu est dirigée vers des infrastructures qui facilitent l'exploitation des ressources ou qui limitent l'accès à celles­ci. Par exemple, la création d'un point d'eau n'est pas un investissement dans la production, mais un moyen pour mieux exploiter les pâturages. La création des périmètres fermés ou des pare­feux n'est pas un investissement dans la production même, mais dans la protection des ressources contre les autres éleveurs et le feu. De même un investissement dans la santé animale n'est qu'un moyen pour mieux exploiter les pâturages disponibles. Pour profiter de ces investissements, le contrôle sur les ressources et les moyens pour les exploiter est le facteur clé pour accommoder les risques en absence du contrôle sur la production même. La seule manière efficace pour se protéger contre le risque est de se mettre dans une position politique qui permette de répercuter les conséquences des risques sur les autres ou pour être bien placé pour récupérer les bénéfices des investissements. Un bon exemple est donné par les projets participatifs d'aménagement des périmètres de pâturages. En général ce genre de projet tourne autour l'installation d'une infrastructure hydraulique pour faciliter l'exploitation des pâturages. Dans la version moderne de l'approche participative par les associations pastorales, la gestion de ce point d'eau est confiée à un groupement des éleveurs qui permet de mieux impliquer la population. Pour éviter des problèmes de la durabilité écologique le nombre d'animaux admis sur un tel périmètre doit être adapté à la capacité de charge. Loin d'être pertinent pour la durabilité écologique la limitation du nombre d'animaux pose une question qui ne peut être admise et qui doit être refusé. Étant donné le caractère non­démocratique de ces sociétés et leurs autorités traditionnelles, qui sont souvent en tête d'une telle "association pastorale" ces projets mènent souvent à une privatisation cachée des ressources au nom de développement participatif (p.ex. Van Dijk et De Bruijn 1995). 269 Comptes­rendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement" Pour mobiliser des moyens, pour investir et pour protéger et rentabiliser ces investissements, il faut acquérir un pouvoir politique. Du côté des autorités politiques et des agences internationales de développement ce genre de projets et investissements est souvent vu comme un outil pour mieux contrôler les mouvements et le nombre de troupeaux (Hogg 1988). Toute la problématique du risque et de la variabilité des conditions climatiques est réduite à une prétendue mauvaise gestion de la part des éleveurs. La solution proposée est l'imposition d'un contrôle politique par la voie des institutions dites participatives (voir De Bruijn et Van Dijk 1999, mais aussi Ribot 1999 pour le domaine forestier). , è LES RISQUES ET LA PRISE DE DECISIONS , Nous avons démontré maintenant que le risque doit être placé au centre de l'économie et la gestion des pâturages et que, en parlant des investissements et de la gestion même, il y a des ramifications importantes dans l'économie politique et l'écologie politique des hiérarchies sociales locales, régionales, nationales et même internationales. Le problème qui se pose maintenant est de clarifier les actions des opérateurs économiques au niveau local. Ce que nous intéresse ici sont les décisions prises par les unités de production et les mécanismes qui régissent la prise de ces décisions de gestion du troupeau et de choix des pâturages. j j Ici tous les facteurs et risques écologiques, économiques, mais aussi politiques, juridiques et sociaux, ainsi que les dispositions émanant de la situation domestique (capitaux, main d'œuvre, genre, rapports sociaux), se joignent et sont considérés ensembles par les décideurs. Tous ces facteurs sont liés d'une façon ou une autre. Pour une bonne appréciation de la prise de décision dans ce grand cadre, il faut analyser la dynamique de la prise de décisions de tous les acteurs. Etant donné la multitude de facteurs à prendre en compte pour assurer la survie de l'individu, de la famille ou du groupe, il est clair qu'une telle analyse de la gestion de pâturages ne peut pas se limiter aux facteurs écologiques. Toutes les décisions sont prises, à notre avis, en vue de la continuité de l'unité de production et non de la durabilité écologique, de la maximalisation de bénéfice, et de la réduction du risque. Mais ces trois derniers objectifs peuvent être des moyens pour atteindre l'objectif final de la continuité. Les effets composés des décisions et actions des opérateurs au niveau local ont à leur tour une influence sur les décisions des acteurs intervenant aux niveaux supérieurs et vice versa. Pour donner un exemple, un éleveur en quête de la survie ne choisira pas nécessairement les meilleurs pâturages, parce qu'au Sahel la présence des possibilités de vente ou de troc des produits laitiers est une considération importante pour la décision concernant la direction de la transhumance. Mais ces considérations plus ou moins économiques ne sont pas des conditions suffisantes. Un éleveur nomadisant ne bouge pas dans un espace vide. Au contraire l'espace est déjà approprié par d'autres, agriculteurs et éleveurs. Par conséquent il doit se ranger et s'adapter aux exigences des autres. Il a besoin d'un réseau social afin de pouvoir s'insérer dans cette nouvelle situation. Il doit négocier l'accès aux ressources hydrauliques locales, si elles sont contrôlées par la population. Sa position politique, son appartenance ethnique et son identité culturelle entrent tous en jeu dans cette quête. Tout facteur a des exigences 270 ^ Van Dijk : L'économie de la gestion des risques en zone semi­aride spécifiques d'un décideur à l'autre. Comment attaquer cette complexité pour une analyse de la prise de décisions ? Dans le cadre d'un projet de recherche sur les réponses des populations sahéliennes à la variabilité climatique, un modèle a été développé pour mieux analyser ces réponses (De Bruijn et Van Dijk 2001). Les facteurs divers peuvent y être considérés plus ou moins en détail en fonction des besoins de la recherche ou l'action de développement. Une telle analyse de prise de décisions des bénéficiaires des actions de développement peut donner des informations en avance sur la pertinence d'une intervention. Cependant ce modèle ne contient pas de suppositions sur la logique des décideurs. Normalement on attribue une logique linéaire aux décideurs, ainsi que des stratégies bien définies et rationnelles. Étant donnée la dynamique des conditions de production, une telle démarche n'est pas adaptée à la réalité des zones semi­arides. Les suppositions concernant le comportement des décideurs, qui gèrent les troupeaux et prennent les décisions de choix de pâturages sont les suivantes : a) L'environnement des décideurs est fondamentalement instable ; b) En analysant la prise de décision une grande variété de facteurs de risque doivent être pris en considération ; c) Les décideurs progressent pas à pas. La prise de décisions dans les environnements à haut risque est un processus itératif. Par conséquent, les décisions et leurs résultats n'ont pas nécessairement un caractère planifié ou rationnel, et ne suivent pas forcement un ordre logique. Il en résulte que le choix d'un itinéraire entraîne la fermeture des autres itinéraires possibles. d) Les variations dans les décisions ne sont pas nécessairement basées sur les caractéristiques actuelles du décideur, mais peuvent également émaner de l'histoire de vie du décideur ; e) Donc on suppose qu'en prenant des décisions, un décideur suit son propre itinéraire. Les décisions prises dans le passé sont, par conséquent, pertinentes pour la compréhension des décisions d'aujourd'hui, parce qu'elles font partie du même itinéraire ; f) Les autres décideurs sont des facteurs externes pour le décideur. En prenant leur comportement en compte, les décideurs coordonnent leurs décisions explicitement et implicitement. Donc, pour bien comprendre les décisions économiques d'aménagement et de choix des pâturages, toute une gamme de facteurs doit être prise en compte. De plus, ces décisions doivent être suivies dans le temps pour en saisir la logique fondamentale. Il s'en suit un nombre d'impératifs pour la méthodologie de recherche. Une approche qui veut s'orienter sur les rapports dynamiques entre les conditions écologiques et les réponses des décideurs est nécessairement rigoureusement empirique. Cela veut dire que les décideurs doivent être suivis de près pour bien apprécier la logique de leurs décisions et les facteurs (et leur variabilité) qui ont mené à ces décisions. INVESTISSEMENTS ET DROITS D'ACCES Les droits d'accès aux pâturages reflètent la variabilité du climat et la répartition de la productivité dans l'espace qui en résulte. De la même façon que les décisions concernant les investissements dans les pâturages et l'infrastructure sont prises, les 271 Comptes­rendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement" droits d'accès sont formulés de façon très souple et imprécise. En fait, ils doivent être renégociés constamment en fonction de la dynamique écologique. Ce ne sont pas les règles juridiques et les systèmes réglementaires, mais les caractéristiques émanant de la prise de décisions des individus qui tentent d'avoir accès aux ressources dont ils ont besoin pour survivre. Il est possible de démontrer par une reconstruction historique, que les pratiques de gestion des ressources et les régimes fonciers sont les résultats des adaptations cumulatives aux conditions écologiques fluctuantes et des changements dans les environnements institutionnels et politiques qui influencent la gestion des ressources naturelles (Van Dijk 1996). Une notion de propriété ou même de propriété commune avec des droits fixes et un groupe d'adhérents stable, qui est très populaire dans la littérature anglophone est très loin de la réalité quotidienne. Les intervenants de l'extérieur doivent aussi être très prudent en jugeant les possibilités d'améliorer l'aménagement de ces parcours par des investissements dans la productivité ou les infrastructures qui facilitent leur exploitation. Ces intervenants ont tendance à sous­ estimer le rôle des aléas climatiques dans l'appréciation de la rentabilité de ces investissements. Premièrement, pour investir dans les ressources il faut avoir une certaine garantie de profiter de ces investissements. Donc, on peut constater une préférence pour l'investissement dans des infrastructures qui procurent des droits exclusifs à l'utilisateur, telles que les points d'eau, qui garantissent l'accès exclusif aux ressources pendant la saison sèche. Sans apport extérieur ces investissements ne dépassent guère le niveau du puisard. Les grands investissements ne sont faits qu'avec l'aide des bailleurs. Les investissements dans la qualité des pâturages ne sont pas faits parce que les rendements ne sont pas sûrs, et parce qu'on ne peut pas réclamer un droit exclusif à leur utilisation. Deuxièmement, il y a un problème d'ordre social. L'investissement et la délimitation d'accès aux ressources sont indésirables du point de vue social et écologique. D'abord parce que l'exclusion concerne dans 100% des cas les couches défavorisées de la population pastorale, c'est­à­dire les affranchis, les dépossédés, les femmes, et cetera. En plus, l'exclusion et la délimitation d'accès impliquent l'introduction de frontières, de blocages dans l'espace. Ces blocages limitent la mobilité qui est à la base de toute stratégie pastorale d'adaptation aux risques. L'immobilisation des hommes et des troupeaux peut entraîner des grands risques non seulement pour les pasteurs concernés, mais aussi pour la viabilité de tout le secteur de l'élevage nomadisant. Toute politique dans ce domaine doit donc avoir pour objectif final de lever les blocages et libérer la mobilité du bétail et de promouvoir des mécanismes de négociation et de médiation pour régler les problèmes d'accès aux pâturages. Un sujet qui est souvent négligé dans ce cadre sont les rapports entre les divers groupes d'utilisateurs. On a tendance à voir ces interactions surtout en vue de conflits d'intérêts, tandis que dans le passé, et dans beaucoup d'instances à l'heure actuelle ces divers groupes sont des co­gestionnaires des ressources (De Bruijn et Van Dijk 1997). Donc, les ordres sociaux dans lesquels l'aménagement des ressources prend place doivent être ré­étudiés dans ce sens et impliqués autrement dans les processus de planification et négociation. Il est clair que les divergences d'intérêts et les conflits entre agriculteurs et pasteurs augmentent. La survie de ces derniers est en jeu vu la croissance énorme de la population et celle des superficies cultivées. Des solutions doivent être trouvées, qui 272 Van Dijk L 'economie de la gestion des risques en zone semi­ande préservent la flexibilité des pasteurs en vue de leur adaptation continue à des nouvelles exigences qui leur sont imposées par les conditions écologiques, mais qui sont aussi dans l'intérêt des populations sédentaires On doit donc promouvoir des systèmes d'exploitation qui favorisent les interactions économiques, agro­écologiques et sociales et créent des interdépendances qui bénéficient à tous les (groupes d') utilisateurs. CONCLUSION Les divers aspects du risque dans le cadre de la gestion de pâturages ont été traités Le rôle clé du risque dans la gestion des pâturages ainsi que dans l'organisation de la société pastorale et les transformations des règles et droits d'accès a été démontré, n semble que la plupart des efforts actuels des agences de développement, étatiques ou non­étatiques, est en conflit avec la logique pastorale de la gestion du risque, parce que les exigences de l'aménagement moderne sont d'un autre ordre. Ce conflit fondamental entre l'absence d'équilibre écologique dans les zones arides et la logique linéaire de l'aménagement est loin d'être résolu. L'échec des partenaires de développement à intégrer les leçons du non­équilibre écologique à leurs interventions sur le terrain peut y être attribué En fait, tout effort de planification est orienté vers la réduction des risques par le contrôle des conditions de production ou des gestionnaires des ressources fourragères Pour le moment les outils techniques et financiers qui permettraient d'achever une telle tâche ne sont pas disponibles J * * Cependant, les enjeux politiques autour la gestion des parcours, ainsi que la compétition entre les divers groupes d'utilisateurs, (agriculteurs, éleveurs, nobles, vassaux, affranchis, opérateur politiques modernes, éleveurs modernes, propriétaires absentéistes, agents de développement etc ) pour le contrôle de cette gestion continue. Le défi pour les années à venir est donc de ne plus chercher un modèle unique de gestion durable et rationnelle, mais de chercher des procédures et des outils d'accommodation qui donnent à tous les acteurs, et surtout aux couches défavorisées, la plus grande liberté possible de suivre leur propre itinéraire de gestion des risques. i 1 \ P , Entre temps, il est indispensable de mieux comprendre les itinéraires suivis par les acteurs La compréhension de la prise de décision des éleveurs, mais aussi celle des agriculteurs et agropasteurs en réponse aux conditions de risque nous permettra de mieux déterminer les paramètres des interventions dans la gestion de parcours et d'identifier les points où on peut promouvoir des liens de collaboration entre tous les partenaires Ici il me semble qu'une meilleure collaboration et communication entre les partenaires de développement, les populations concernées et les chercheurs est la première exigence | * ^iff I j ** "­ *\ * '• r ïifi ,r ,, REFERENCES f Bernus, E 1990 Dates, dromedanes and drought Diversification in Tuareg pastoral Systems In Galaty ] G and D L Johnson (eds) The world of pastoralism Herdmg Systems m comparative perspective The Guilford Press, New York/USA pp 149­176 * f­ 1 De Bruijn, M 1997 The hearthhold m pastoral Fulbe society, Central Mali Social relations, milk and drought Afhca67(4) 625­651 DeBruijn, M and H vanDijk 1995 AridWays Culturel understandmgs of msecunty m Fulbe society, Central Mali PhD Thesis, Utrecht Umversity and Wageningen Agncultural Umversify Thela Pubhshers, Amsterdam/The Netherlands * l1 273 n!* vf*| f* Comptes­rendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement" De Btuijn, M. et H. van Dijk. 1997. 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Au début, il n'y avait guère de problèmes associés à ces mouvements migratoires. Soit les éleveurs s'installaient sur des terres quasi vacantes (Frantz, 1980 ; Basset, 1993), soit ils s'établissaient dans des réserves de pâturages aménagés spécialement pour eux par les gouvernements des pays concernés par ces migrations (Waters­ Bayer, 1988). L'attitude positive envers les éleveurs peuls était inspirée par le désir de promouvoir la production de lait et de viande, plus proche du marché pour ces produits à la côte de l'Afrique de l'Ouest. Dans plusieurs pays, comme la Côte­ d'Ivoire, des services gouvernementaux étaient établis dans le but 38 L'ETHNICITE PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX de stimuler l'élevage dans les zones humides (Bernardet, 1984 ; Waters­Bayer, 1988 ; contribution de Diallo). Cependant, avec le temps, le nombre de bétail et la densité de la population ont augmenté, menant à une compétition croissante pour les ressources naturelles et pour l'espace, une incidence plus fréquente des dégâts de cultures des cultivateurs sédentaires, une dégradation des ressources naturelles, etc. (Basset, 1993). Quoique les causes de ces problèmes semblent être claires et indiscutables, elles doivent être considérées dans la perspective de changements fondamentaux dans l'utilisation des terres, l'aménagement de ressources naturelles, l'économie, les arrangements fonciers et des interventions plus intenses dans tous ces domaines. Le but de cette contribution est de présenter quelques réflexions sur la dynamique de la propriété foncière et de la territorialité, que nous avons développées au cours de nos recherches au Sahel du Mali central, et d'examiner les conséquences de ces discussions sur l'étude des rapports interethniques, plus particulièrement entre les cultivateurs sédentaires et les éleveurs nomades. Compte tenu des changements récents dans le secteur pastoral, provoqués par les sécheresses, on peut s'attendre à ce que les tensions concernant l'accès à la terre et le contrôle des ressources cruciales pour l'élevage comme la terre, les pâturages, les points d'eau et les arbres montent. Des lois et des règles concernant l'accès à ces ressources jouent un rôle important dans ce processus, souvent d'une manière inattendue et ambiguë. Premièrement, nous discuterons quelques­unes de nos conceptions, par exemple sur les relations entre le pastoralisme et l'agriculture, le foncier et la territorialité, qui sont pertinentes pour notre conceptualisation et la compréhension de l'accès aux ressources naturelles. Ensuite, deux exemples seront présentés, dans lesquels ces conceptions jouent un rôle dominant dans le cadre des rapports entre éleveurs nomades et cultivateurs sédentaires. Finalement, les rôles de l'État et des interventions gouvernementales et développementistes seront examinés. La dernière section présentera quelques observations méthodo­ logiques pour l'étude des rapports fonciers dans un contexte ethnique et juridique pluriel. REGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES 39 Élevage et agriculture Au Sahel et au Soudan occidental, l'élevage extensif et la culture des céréales, comme les stratégies de subsistance sont liés dans une relation dialectique. Normalement, le pastoralisme et l'élevage extensif sont associés aux notions de mobilité et de comportement territorial. Au contraire, les cultivateurs pratiquant les cultures de céréales se sont accordés des droits plus fixes et mieux définis sur la terre. En fait, la communauté sédentaire est souvent définie comme une unité qui s'est appropriée la terre avec le lignage fondateur à la base. Tout autre droit des membres de la communauté vient après et est déterminé par leurs rapports avec ce lignage. Cependant, il y a beaucoup de cas de pasteurs ou parties de la société pastorale qui vivent d'une manière quasi sédentaire (Bernardet, 1984; Waters­Bayer, 1988; Spittler, 1992; Bruijn et van Dijk, 1995). La plupart des éleveurs peuls ne vivent pas exclusivement des produits de leur bétail, mais ils cultivent des terres et pratiquent l'élevage extensif en même temps (Dupire, 1970; Delgado, 1979; Marchai, 1983; Grayzel, 1990). Pareillement, beaucoup de cultivateurs sédentaires ont et gèrent le bétail, et parfois même font la transhumance avec leurs animaux (Thébaud, 1988; Toulmin, 1992). Ces tendances montrent qu'au XXe les cultivateurs sédentaires et les éleveurs nomades sont en train de devenir semblables. En fait, une majorité dans les deux groupes pratique aujourd'hui une association de l'élevage et de l'agriculture. Ce rapport dialectique entre l'élevage et l'agriculture est aussi démontré par le fait que pour soutenir le maintien de la productivité d'un hectare de terre pour la culture, on a besoin d'un nombre précis d'hectares de brousse, celle­ci pouvant servir de zone tampon contre la dégradation écologique (Kessler et Wiersum, 1993 : 8). Du moment que la proportion de la terre cultivée s'approche de cette limite, le rapport entre l'agriculture et l'élevage est affecté inversement et peut devenir antagoniste et même hostile dans le domaine social. Par conséquent, nous ne pouvons pas supposer automatiquement que les pasteurs et les L'ETHNICITÉ PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX RÉGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES paysans ont des conceptions différentes de la tenure de la terre et de la territorialité, car ces conceptions dépendent premièrement des activités qu'ils entreprennent. C'est seulement dans la compétition pour l'espace et pour les ressources naturelles que les pasteurs et les cultivateurs expriment leur perception de la tenure de la terre et de la territorialité. Dans ce processus, c'est­à­dire dans cette inter­ action compétitive, ils construisent conjointement ou négocient des règles en ce qui concerne l'accès aux ressources à partir des cadres juridiques qui leur sont propres. L'état actuel de distribution de la terre est donc toujours un ordre négocié. donné, qui forment la base de leur existence matérielle, le contrôle sur celles­ci est primordial pour la continuité de cette communauté. Ce contrôle est toujours obtenu en relation avec les autres, c'est­à­ dire des personnes, des groupes (ethniques) ou l'État. Chacune de ces collectivités investit une main­d'œuvre ou d'autres moyens dans l'aménagement des ressources dans ce territoire. La gestion de l'espace et la distribution de la terre entre les champs, les pâturages et les forêts peuvent être comprises comme la mani­ festation de tous ces efforts coordinateurs. L'utilisation et la gestion des ressources naturelles sont donc dans une large mesure un phénomène historique et en même temps l'objet de luttes politiques. La situation présente n'est rien d'autre qu'une solution temporaire, probablement imparfaite et contestée pour les problèmes actuels dans une séquence historique de situations et de solutions. En plus, il y a un certain nombre de ressources qui ne peuvent pas être gérées par un individu ou par une famille seule d'une manière pratique. Normalement, une telle unité ne peut pas Construire un puits elle­même ou réclamer l'usage exclusif d'un territoire de pâturages donné. Dans beaucoup de régions sahéliennes et semi­arides, les coûts d'investissement dans un puits ou les efforts pour garder la pâture contre les autres bergers excèdent de loin la capacité d'un individu ou d'une famille. Quelles sont les formes ou les unités d'organisation qui deviennent importantes dans ce cas ? Est­ce le patrilignage, le mode archétype d'organisation de la société pastorale, ou une unité résidentielle comme un campement d'hivernage, une communauté, ou, dans un monde moderne, une entreprise commerciale comme le ranch, ou enfin une association pastorale de développement? Comment inclure et exclure des gens et selon quels critères? Comment décider, qui doit utiliser quoi, où et quand ? Comment affirmer ses prétentions à l'égard du monde extérieur et l'État, ceux qui réclament l'autorité sur les terres «vacantes» et les ressources forestières? Quand un nouveau puits est construit, comment définir l'accès à ce point d'eau ? Qui doit être admis aux pâturages? Est­ce que les membres de la communauté ont le pouvoir de refuser quelqu'un, et si oui, pour quelle raison et en quelle saison? Pour compliquer la situation, il y a souvent des 40 Tenure de la terre et territorialité Quelles sont les significations des termes « tenure de la terre » et « territorialité » ? Dans la littérature, « tenure de la terre » est le plus souvent traitée comme un terme juridique, tandis que «territorialité» est tirée principalement du domaine de l'écologie et de la culture dans un cadre fonctionnel comme une entité extra­ juridique et un élément primordial d'une stratégie d'adaptation. Casimir (1992: 20) définit comme suit le comportement terri­ torial : « Le comportement territorial humain est un système flexible dans le domaine cognitif et d'action, lequel vise à optimiser l'accès aux ressources localisées d'une manière temporaire ou permanente d'un individu et souvent aussi d'un groupe, lequel satisfait des besoins ou des souhaits, ou les deux, de base ou universels ou spécifiquement pour une culture, en réduisant simultanément la probabilité de conflit sur celles­ci» (Casimir 1992 :20, notre traduction). Quoique cette distinction entre tenure et territorialité ait des avantages nets d'un point de vue analytique, nous devons attribuer aussi une signification politico­juridique au terme de territorialité. Pour la communauté exploitant des ressources dans un territoire 41 42 • L'ETHNICITE PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX droits imbriqués dans le temps et dans l'espace sur la même ressource. Enfin, la disponibilité des ressources varie énormément non seulement selon le rythme des saisons, très marqué au Sahel, mais aussi en fonction des fluctuations des précipitations et de leur périodicité. Ces questions sont historiques dans une certaine mesure, mais elles doivent en même temps avoir un rapport avec l'environ­ nement écologique, notamment dans une situation où la disponi­ bilité des ressources est très incertaine à cause des fluctuations climatologiques comme dans les savanes du Sahel et du Soudan occidental. Les droits d'accès aux ressources doivent­ils être réévalués en des changements dans les conditions? Comment maintenir la flexibilité d'agir, en assurant la disponibilité des ressources pour tous, pendant le temps de soudure quand les besoins sont les plus articulés ? Dans l'établissement de la relation entre une population et son territoire, le domaine de l'écologie rencontre le domaine de la politique. D'un côté, la démarcation de frontières fixes en ce qui concerne le territoire, étant donné les conditions instables de l'environnement écologique, entraînerait un blocage dans ce territoire du moment qu'une calamité écologique se présente. La mobilité et la flexibilité qui sont nécessaires pour donner une réponse aux hasards seraient limitées jusqu'au point où la survie serait menacée. De l'autre côté, on a besoin d'une manière d'exclure des étrangers et de maintenir des frontières, sinon on créerait le chaos. L'interdépendance entre la nécessité visant l'accès sûr aux ressources naturelles, c'est­à­dire l'impératif de « s'approprier» et l'exigence de les utiliser d'une manière flexible ou l'impératif de répondre aux aléas climatiques, est la mieux représentée par les termes jumeaux « tenure » et « territorialité ». « La "tenure" est un aspect de ce système de relations, lequel constitue des personnes comme agents productifs et dirige leurs objectifs ; la territorialité est un aspect de moyens par lesquels ces finalités sont effectuées dans une situation écologique donnée» (Ingold, 1986: 131, italique original, notre traduction). «La territorialité engage la société dam un système de relations naturelles » (Ingold, 1986 : 136, italique original, notre traduction). Elle est qualitativement différente de la tenure parce que ce terme signifie « un processus REGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES 43 continuel ». Les rapports sociaux et la tenure ont un caractère permanent, tandis que la territorialité se réfère à une « série de situations synchrones» (Ingold, 1986). La nature, c'est­à­dire les conditions écologiques, détermine les possibilités pour l'utilisation de ces ressources, et, par conséquent, la dimension du territoire exigé pour la survie, plutôt que la société humaine fixant l'utili­ sation de pâturages en avance. La densité et la variété des ressources, lesquelles connaissent des fluctuations énormes d'une année à l'autre, déterminent les possibilités pour l'utilisation, les frontières et la surface nécessaire dans une situation particulière. Ce processus est essentiellement différent de la culture des céréales. Les gens investissent la main­d'œuvre et le fumier dans la terre, ce qu'ils tiennent en tenure, et ils essayent de contrôler les processus naturels pour changer intentionnellement la couverture végétale. Lorsqu'il s'agit de pâturages, ce n'est pas le fourrage mais le bétail ou ses produits qui sont appropriés. Cette conceptua­ lisation des droits d'accès à la pâture facilite l'usage flexible des pâturages. Étant donné la distribution inégale de la pluviosité dans le temps et dans l'espace, une pénurie de fourrage peut être surmontée par l'envoi d'animaux dans le territoire d'un autre village s'il n'y a pas un manque de pâturages là­bas. Le contrôle sur un territoire peut être établi de deux manières. La première passe par le contrôle des ressources qui facilite ou rend possible l'exploitation de l'espace. L'eau est une telle ressource. Quoique personne dans la société pastorale ne définirait le territoire dans le sens spatial, les droits d'accès aux sources d'eau sont très importants et ont une dimension politique consi­ dérable. Des conflits entre pasteurs, d'une part, et entre pasteurs et cultivateurs sédentaires, d'autre part, ont souvent leur origine dans l'aménagement de l'eau. L'importance de l'eau comme source de pouvoir pour des pasteurs est démontrée dans beaucoup d'études (voir par exemple Thébaud, 1990). Le développement de nouveaux points d'eau est vu par beaucoup d'observateurs comme une raison de surgissement des conflits (Horowitz, 1986), et le contrôle de l'eau a été utilisé par des gouvernements pour exclure certains groupes de pasteurs en favorisant d'autres pasteurs, mais aussi des cultivateurs (Kerven, 1992). 44 L'ETHNICITE PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX REGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES La deuxième manière d'exercer le contrôle sur un territoire passe par des moyens politiques ou militaires. Les luttes incessantes entre groupes d'éleveurs nomades à l'époque préco­ loniale et les­prétentions des pouvoirs dans les anciens États en témoignent (Evans­Pritchard, 1940; Markakis, 1993; Bruijn et van Dijk, 1995). Par exemple, la Diina ou révolution musulmane peule dirigée par Sheeku Amadu (1818­1845), dans le delta intérieur du Niger au Mali central, ne peut être comprise sans référence aux prétentions territoriales de l'empire, qui s'étendaient sur les zones exondées à l'ouest et à l'est du delta (Bruijn et van Dijk, 1995). Quelques exemples Cas 1. Cultivateurs bamana au Mali central (Toulmin, 1992) Dans ce cas, le caractère dialectique de la relation entre l'agriculture et l'élevage et entre tenure et territorialité est démontré très clairement. Les cultivateurs bamana dans la région d'étude ont abandonné le système de l'association de la culture du mil et de l'arachide, production commerciale, au profit d'un système de culture basé exclusivement sur le mil. En vue d'améliorer les rendements de mil et pour pouvoir gérer deux systèmes de culture de mil, hâtif et non hâtif, les paysans bamana investissent des sommes considérables dans la culture attelée, les bœufs, les puits pastoraux et l'équipement agricole. Par le creusement des puits et l'installation de parcs à bétail dans les champs, ils essayent de maintenir à un niveau élevé la fertilité du sol autour du village afin de pouvoir cultiver les variétés hâtives du mil qui sont très productives dans ces champs. La production moyenne de mil sur ces terrains est de 1 000 kilos par hectare, avec des maximums atteignant jusqu'à 2 000 kilos par hectare dans une bonne saison, ce qui est beaucoup plus élevé que la moyenne de 215 kilos par hectare pour les champs de brousse cultivés dans un système de culture itinérante sans aucune utilisation du fumier. La m 45 productivité de la main­d'œuvre est augmentée par l'utilisation de la charrue en traction de bœufs. De cette manière une personne peut produire plus de 1 000 kilos en moyenne, et un ménage moyen cultive plus de 25 hectares de cultures vivrières. Cependant, il y a un bon nombre de conditions requises pour que ce système de culture très spécialisé puisse fonctionner de manière aisée. La fertilité du sol doit être maintenue et les bœufs doivent être tenus en forme. Ce système de culture est donc très dépendant du bétail, lequel doit être mis en parcours dans les environs du village afin de transférer la fertilité du sol de la brousse aux champs. Cela peut être réalisé par le recrutement de pasteurs peuls pour qu'ils s'installent aux champs près du village, ou par l'investissement dans un troupeau par le cultivateur même. Dans les deux cas, les ménages agricoles investissent dans des puits situés dans les exploitations afin d'y rendre possible l'installation des pasteurs et passer un contrat de fumure avec le cultivateur bamana plus attractif pour les Peuls, ou bien ils diminuent l'intensité du travail au cas où le troupeau appartient à l'agri­ culteur. Afin de garantir un approvisionnement plus régulier et incertain de fourrage pour ces troupeaux, les cultivateurs bamana cherchent à avoir plus de contrôle sur la brousse autour du village que par le passé, car le nombre de bovins et la surface de champs à fumer commence à s'approcher des limites écologiques dans une année de pluviosité moyenne. Dans les stratégies mises en œuvre pour avoir plus de contrôle sur la brousse, on peut reconnaître des aspects territoriaux ainsi que des éléments de tenure de la terre. Par le creusement des puits, l'investissement dans des troupeaux de bovidés et la limitation de l'accès aux puits à leurs propres troupeaux, ils augmentent le nombre et la densité de leurs animaux dans la brousse autour du village. De cette manière, ils rendent la pâture dans cette zone moins attractive pour les autres, le plus souvent les pasteurs peuls. Cette « stratégie » peut être considérée comme la partie territoriale de l'ensemble des régulations de l'accès aux ressources naturelles. L'aspect foncier du contrôle sur la brousse se compose de la régularisation de la distribution de terres à cultiver aux nouveaux venus comme les éleveurs peuls. Contrairement à la loi malienne qui stipule que l'accès à la terre en vue de la cultiver est libre pour t« ^«^­ 46 L'ETHNICITE PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX tous si cette terre est vacante et si une autorisation est obtenue de l'autorité administrative, les autorités traditionnelles villageoises limitent ce droit ainsi que la permission de creuser un puits aux habitants autochtones du village. Aux étrangers bamana, qui veulent s'installer sur le terroir du village, et aux éleveurs peuls ne sont donnés que des droits d'accès temporaires et conditionnels sur la terre à cultiver. Lorsque le contrat de fumier d'un éleveur peul est fini, ses droits d'accès à la terre expirent aussi. En cas de conflits, l'administration tranche le plus souvent en faveur des paysans sédentaires'. Selon la coutume, les droits sur la terre dans le terroir villageois sont inaliénables ni par la vente, ni par le bail. Contradictoirement, la permission de construire un puits sur un champ implique bien sûr une revendication permanente des droits sur cette terre, interdite par la «coutume». Toulmin (1992 : 203) rapporte qu'un éleveur peul, qui avait habité dans le terroir villageois depuis trente ans et avait voulu s'y installer à demeure et creuser un puits, avait été obligé d'y renoncer. On amena le cas devant la justice jusqu'à Bamako, la capitale. Ainsi donc, par leur contrôle sur la terre et l'eau, les habitants du village sont capables de forcer des troupeaux, visitant le terroir villageois, de fumer leurs champs et de poser les conditions pour le contrat de fumier. Cas 2 : éleveurs peuls et cultivateurs riimaayße (Bruijn et van Dijk, 1995) Dans cette étude, un exemple totalement différent de la relation dialectique entre tenure et territorialité est examiné. Dans le voisinage d'un groupe de campements, où nous avons fait ensemble nos recherches de terrains, les anciens captifs des Peuls (rimaayße) ont défriché des champs de brousse pendant l'époque coloniale. Lorsque le cheptel commençait à augmenter, les problèmes d'aménagement se multipliaient à cause de l'accrois­ sement des cas de dégâts de cultures commis par les troupeaux en 1 Cela dépend souvent de la taille des « dons » offerts par les parties en conflit Un village est capable de mobiliser beaucoup plus de ressources pour de tels dons qu'un éleveur à lui seul REGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES 47 liberté. Les champs de brousse étaient dispersés et cet éparpil­ lement empêchait l'exploitation de la brousse comme pâturage. Les éleveurs peuls, qui menaient leurs troupeaux dans les champs, demandaient aux riimaayße d'abandonner leurs champs de brousse. En plus, les éleveurs plaçaient des campements pastoraux entre les champs de brousse aux terres vacantes sans cependant violer les droits des riimaayße sur leurs champs. A cause de ces actions, la densité des bovins devenait si importante que les riimaayße ne pouvaient rien faire que de laisser leurs champs par nécessité. Ces événements ont entraîné la concentrations des champs autour du hameau des riimaayße à une distante suffisante de ces nouveaux campements et des pâturages des éleveurs peuls2. Ces terres étaient mises sous un régime de culture permanente. Cette évolution s'expliquait par la découverte de réserves d'eau souterraines à côté du hameau des riimaayße. Ces réserves d'eau permettaient aux habitants de rester plus longtemps dans les environs après l'épuisement d'autres sources d'eau dans la région. Elles étaient considérées comme des propriétés privées. De cette manière, il était posible de conclure des contrats de fumure par l'échange de l'eau contre le fumier, et on arrivait à rendre les champs autour des hameaux plus productifs. Mais la concentration du bétail sur les réservoirs rendait les champs environnants plus précieux que ceux éloignés. En allant et retournant en brousse, les animaux laissaient plus d'excréments près des réserves d'eau souterraines qu'ailleurs, et ce fumier ne coûtait rien. Un marché de terre animé se développait. Les riimaayße qui avaient excavé des réservoirs et les ont obtenus en priorité essayaient d'acheter des champs près du hameau. Les éleveurs faisaient de même. Dans ce cas, on voit que le comportement territorial des éleveurs peuls est orienté nettement vers la protection de leurs intérêts dans l'élevage. Ce n'est pas le résultat d'une réponse adaptée aux conditions écologiques. A cause de ce comportement territorial, les arrangements fonciers subissent des changements II y avait également un certain nombre d'éleveurs peuls cultivateurs de champs de brousse Eux aussi étaient obliges de les abandonner et de transférer leurs activités agricoles à un autre endroit f L'ETHNICITE PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX REGIMES FONCIERS ET AMÉNAGEMENT DES RESSOURCES fondamentaux et une distribution de la terre entre l'agriculture et l'élevage est créée, une distribution totalement différente de la précédente. Les Peuls s'approprient la brousse ; les riimaayße ne sont capables de résister à la pression peule que par leur contrôle d'une partie des ressources d'eau pour la saison sèche sous forme de réservoirs d'eau souterrains. Les changements n'étaient pas encore finis. Par la création de nouveaux campements pastoraux, les Peuls inventaient une catégorie de terre, au sens juridique, appelée le wiinde. Par l'installation des animaux dans ces campements une couche épaisse de fumier se constituait en quelques années. Lorsque cette couche était suffisamment épaisse, les éleveurs commençaient à déplacer les campements, créant ainsi de petits champs très productifs. Les droits sur les sols du wiinde étaient basés sur la quantité de fumier déposée par le troupeau d'une personne. A quelques kilomètres, les éleveurs découvraient un site où on pouvait construire un puits. Dès qu'il était construit, la terre environnante était divisée entre les lignages peuls qui avaient contribué à sa construction. Les aînés obtenaient les champs les plus précieux, près du puits, à cause du dépôt des excréments, les cadets recevaient le reste par ordre généalogique. Ainsi a­t­on intensifié la culture avec l'aide de fumier produit par les animaux et par la restructuration des droits fonciers. Ce redressement avait aussi des conséquences importantes pour le contrôle sur la zone de pâture. Le contrôle du puits et de la terre environnante par les éleveurs empêchait l'utilisation des pâturages des environs, sauf par la voie de leur permission. On devrait demander la permission aux lignages possesseurs ou à un individu avant de puiser l'eau du puits. Lorsqu'il s'agit d'un individu, ce consentement est accordé, à condition que le visiteur s'installe avec son troupeau sur les champs de son hôte afin d'y mettre le fumier. Ces arrangements ne sont pas automatiquement valables dans le cas des champs et des réservoirs d'eau dans un hameau riimaayße, parce que toutes les ressources ici étaient tenues en propriété privée. Néanmoins, une étude plus précise démontre que toutes les transactions de vente, de location des champs ou des réservoirs d'eau étaient contrôlées d'une manière informelle par la communauté des hommes, le suudu baba. Avec ces manipulations, on pouvait empêcher les étrangers d'avoir accès aux champs, aux sources d'eau et aux pâturages. De cette façon, on pouvait imposer des restrictions sur l'accès aux pâturages des étrangers en cas de nécessité, et en même temps préserver la flexibilité d'échanger l'accès aux pâturages avec les communautés des éleveurs avoisinants dans des conditions régulières. Les éleveurs peuls et même les cultivateurs riimaayße citent ces considérations territoriales de façon explicite comme une raison importante pour préserver le consensus dans ce groupe de campements. Contrairement au cas précédent, cette situation était favorisée par le gouvernement et les interventions de développement concernant la construction des forages et le surcreusement des mares à partir de la fin des années 50. Les forages ont amené des imprécisions en ce qui concerne la tenure de la terre et la territorialité, et ont provoqué quelques conflits violents. Après la sécheresse de 1971 à 1973, une nouvelle vague de ce type d'interventions se déployait à l'initiative des bailleurs de fonds internationaux. Ces communautés, en particulier, ont résisté avec succès aux transgressions sur leur territoire en invoquant le fait qu'ils avaient déjà leurs propres sources d'eau. Cependant, ils ne pouvaient pas empêcher l'établissement d'une réserve de pâturage contrôlée, le contournement de cette réserve localisée dans leur « territoire » et le surcreusement d'une grande partie de la mare à côté du hameau des riimaayße. Au début, les éleveurs de ces communautés étaient les utilisateurs principaux de cette réserve et de la mare. Depuis la sécheresse des années 1983­1985, des étrangers sont présents sur leurs pâturages une grande partie de l'année, les éleveurs autochtones ayant perdu leurs bœufs lors de la sécheresse. 48 49 50 L'ETHNICITÉ PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX RÉGIMES FONCIERS ET AMÉNAGEMENT DES RESSOURCES L'État Étant donné ce type de développement, il y a de­bonnes raisons d'inclure une dimension politico­juridique dans notre conception de la territorialité. Toutes les populations pastorales du monde vivent dans le cadre d'un territoire national. L'Etat est devenu un des acteurs principaux sur le plan du contrôle des ressources naturelles existantes. Depuis longtemps, les cultivateurs sédentaires et les éleveurs transhumants composent avec et utilisent l'appareil d'État dans le domaine du contrôle des ressources naturelles. Au Mali central, cela n'est pas une invention coloniale. Au XIXe siècle, l'empire des Peuls du Maasina développait un système de régulations en ce qui concerne la tenure de la terre, les droits de pêche et des territoires de pâturage dans le delta intérieur du Niger. Ce système continue toujours de fonctionner, mais dans de moins bonnes conditions. A cause des interventions de l'État indépendant du Mali, il y a une imprécision croissante de droits locaux, des problèmes d'indiscipline, une trangression des territoires pastoraux par des riziculteurs et une privatisation déguisée des parcours de pâturages par les autorités de la terre peules, dans une situation où le gouvernement n'a pas la crédibilité et la capacité d'aménager la planification de la terre (Gallais, 1984 ; Moorehead, 1991). Les États ouest­africains interviennent de plus en plus dans le domaine de la tenure de la terre et du contrôle des ressources forestières et des pâturages. Quoiqu'ils ne se soient pas intéressés aux forêts et aux pâturages dans le passé, l'intérêt croissant de la part des bailleurs de fonds pour les questions de dégradation de l'environnement, de la désertification et la nécessité de sécuriser les revenus pour l'appareil d'État par la promotion de l'exportation de bétail ont incité les gouvernements ouest­africains à se soucier plus directement de la tenure de la terre et de la territorialité que par le passé. Afin d'aborder le rôle de l'État, il est nécessaire d'étudier les suppositions qui inspirent les interventions et les régulations des gouvernements. Elles ont une pertinence immé­ diate pour notre propos et pour la situation des migrants qui cherchent à avoir accès aux ressources naturelles dans les régions d'accueil. 51 Gallais et Boudet, par exemple, décrivent la situation de la zone exondée de la cinquième région administrative au Mali comme suit: « La situation des régions sèches qui s'étendent à l'Est du Delta, du plateau de Bandiagara, plaine du Séno, Gourma, est beaucoup plus simple (...). Dans les régions de village, le système foncier est de type soudanien classique ; propriété collective des clans fondateurs du village arbitrée généralement par un "chef de terre", gestionnaire qui est l'aîné du clan le plus ancien du village. Ce système est à peu près admis par toutes les ethnies paysannes, Dogon, Houmbébé, Sonraï, Rimaïbé et par les Peuls agriculteurs de la région. L'évolution politique a fait dans ces régions tomber en désuétude les droits fonciers auxquels ont prétendu certains chefs de territoire comme les chefs peuls du Gondo » (Gallais et Boudet, 1979: 14). vf Ainsi l'accès à la terre est défini par l'affiliation à la commu­ nauté composée de lignages qui ont des rapports historiques. Dans ces rapports, on peut définir une hiérarchie politique basée sur la primogéniture et l'autorité des premiers occupants. Dans le cas des sociétés agricoles, où prédominent des croyances religieuses ancestrales, les « chefs de terre » sont les aînés des lignages des premiers occupants. Ils redistribuent ou donnent aux gens la permission de défricher la terre. L'autorité de ces chefs coexistent souvent avec les autorités politiques qui peuvent être d'origine ethnique ou historique différente. Tant que les systèmes de tenure de la terre sont influencés par l'islam ou la colonisation, des déviations sur cette image sont possibles. Dans les sociétés musulmanes, c'est au chef politique ou amiiru que revient la prise de décision finale sur la terre et les affaires qui lui sont associées. A l'exception de l'autorité religieuse, toutes les tâches adminis­ tratives étaient concentrées dans ses mains. La terre était un bien comme les autres et est même devenue un bien qui peut être vendu dans beaucoup de lieux (Kintz et Traoré, 1993 : 13)3. 3. Sans doute cette tendance était­elle renforcée par la juridiction pendant l'époque coloniale. On peut trouver ces principes presque verbahm dans le *^kuf!f L'ETHNICITÉ PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX REGIMES FONCIERS ET AMÉNAGEMENT DES RESSOURCES Dans la pratique, les principes indigènes, musulmans et coloniaux en ce qui concerne la tenure de la terre étaient bien sûr souvent utilisés en combinaison, ce qui provoquait des conflits d'intérêts entre individus, autorités lignagères et chefs politiques. Dans un rapport trimestriel de l'administration du cercle de Douentza en 1948, on peut lire : était renforcé et même les droits coutumiers dépendaient du bien public. L'exclusion d'une grande partie de la population (les anciens esclaves) des centres du pouvoir politiques avant et pendant l'époque coloniale était complètement négligée. Seules les élites avaient l'accès libre à la terre. Les riimaayße demeuraient complètement dépendants de leurs maîtres. C'est à l'indépendance que le pouvoir des chefs sur la terre sera limité à la faveur de l'administration et que de nouvelles terres seront mises à la disposition des démunis. Comme nous l'avons vu, les systèmes de tenure de la terre dans les zones exondées au Mali central étaient beaucoup plus divers, beaucoup plus spécifiques d'une localité à une autre et beaucoup plus dynamiques qu'on les a souvent décrits dans la littérature. Par conséquent, les politiques des gouvernements envers les systèmes indigènes de tenure et de territorialité et la gestion de l'environ­ nement étaient basées sur des informations limitées. En plus, ces politiques ont souvent eu pour but de supprimer la diversité locale dans ce domaine afin d'établir de manière incontestée l'hégémonie de l'Etat sur les populations et ses ressources. 52 «... Les cultivateurs cherchent à échapper à la propriété collective et à établir de façon indiscutable leurs droits sur les terres qu'ils ont reçu en héritage. Les affaires de revendications de champs ont été nombreuses. De leur côté les chefs ont tendance à abuser des droits que les coutumes leur reconnaissent sur les terres. (...) Douentza souffre particulièrement de cet état de fait, car les chefs ont toujours été très puissants et n'ont jamais eu auprès d'eux des assimilés de notables pour les conseiller4. » II semble qu'il y ait une tension entre les exigences d'une certaine mesure de contrôle communal afin de ne pas créer de désordre dans l'exploitation des ressources naturelles et les besoins des individus pour l'aménagement flexible de leurs propres moyens de vie. L'administration supportait probablement les chefs qu'elle regardait comme son outil principal servant à prévenir des tendances anarchistes dans la région5. D'autre part, elle se sentait obligée de promouvoir les bienfaits de la propriété privée6. En général, les autorités coloniales intervenaient le moins possible dans la matière foncière au niveau local. A l'indépendance, le pouvoir gouvernemental sur les forêts et les parcours de l'élevage 4. 5 6 procès­verbal de la cour française de Bandiagara, dans un texte en réponse à des conflits sur la terre. Cf. Archives nationales, Bamako, Fonds anciens, 2M­56, Justice Indigène : Rapport sur le fonctionnement des tribunaux, cercle de Bandiagara, 1905­1920. 1906 : Rapport sur la justice. Archives nationales, Bamako, Fonds récents, 1E­15 : Rapports politiques et rapports de tournées: cercle de Douentza, 1941­1954, Revue des événements, deuxième trimestre 1948 Archives nationales, Bamako, Fonds récents, 1E­132. Transhumance et droits de nomadisations, 1921­1931 ; le gouverneur des Colonies, lieutenant­ gouverneur du Soudan français à M. le commandant du cercle, 5 avril 1927 Archives nationales, Bamako, Fonds anciens, 3R­39 • Eaux el Forets ­ 1916­ 1918 l'administrateur en chef de T classe à MM les commandants des cercles et le commandant de la région de Tombouctou, 16 avril 1916 53 Les droits sur l'eau, les forêts, les pâturages et l'intervention gouvernementale Les droits sur les forêts et les pâturages étaient définis de façon moins claire. Dans la pratique, presque tout le monde était capable de les utiliser. Ce fait amenait les observateurs à conclure qu'il n'y a pas de droits d'exclusion ni de régime foncier sur ces catégories de terre. Cependant, des administrateurs coloniaux n'ont pas manqué de remarquer que la suppression de la pratique des razzias et de la guerre quasi permanente entre les sociétés pastorales dans le Gourma malien a causé le chaos dans les mouvements des troupeaux et des populations7.11 semble qu'il y avait des principes permettant de régler l'utilisation des pâturages dans ces régions 7. Voir note 5. 54 L'ETHNICITÉ PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX arides avant même l'époque coloniale. Il est presque certain que ces principes se composaient d'une combinaison dynamique entre le pouvoir militaire, les besoins de pâturage et l'incidence occasionnelle de la guerre et du pillage. Les habitants de ces zones exondées défendaient non seulement leur famille et leur bétail dans la guerre, mais préservaient aussi le terroir nécessaire pour faire paître leurs bœufs et des terres qui pouvaient être défrichées par leurs esclaves et leurs dépendants. Donc, il y a des prétentions historiques sur des terroirs, cependant non valables sur la base des règles et des lois précises dans un espace bien défini par des frontières, mais sur le pouvoir militaire et l'autonomie politique. La base de toute réclamation sur un terroir donné s'évaporait avec la soumission des chefferies indigènes et le déclin de leurs hiérarchies politico­militaires. C'est pourquoi les droits sur des terroirs n'existent pas au sens juridique dans le domaine privé de l'État, auquel toutes les «terres vacantes » appartiennent aujourd'hui. Le seul titre reconnu par l'État et les observateurs des systèmes fonciers était celui sur des ressources d'eau. La relation entre l'accès à l'eau et à la pâture environnante est la suivante : « L'espace ne fait l'objet de droits fonciers d'aucune sorte. La terre est à tous. Les parcours pastoraux délimitent de fait d'approximatifs territoires tribaux, mais ils s'enchevêtrent, se superposant en certains lieux et aucun groupe ne revendique de droits exclusifs sur ces pâturages sahéliens. (...) Les seuls droits traditionnels portent sur les puits qui "appartiennent" à la collectivité ou aux individus qui les ont forés. C'est par ce biais que quelques "droits d'usage" peuvent être revendiqués sur les terres qui les entourent » (Gallais et Boudet, 1979: 14). Par la suite, Kintz et Traoré spécifient que « c'est l'accès à l'eau qui détermine l'accès aux pâturages environnants » (Kintz et Traoré, 1993 : 12). Cependant, les questions : quels droits l'accès à l'eau et à la pâture entraînent, pour combien de temps, à quelle période de l'année, et quel est leur rapport avec la diversité dans les conditions écologiques dans les zones arides au Mali central, ne sont pas spécifiées. La complexité est seulement reconnue dans le RÉGIMES FONCIERS ET AMÉNAGEMENT DES RESSOURCES 55 delta intérieur du Niger (Gallais, 1984 ; Gallais et Boudet, 1979 ; Moorehead, 1991 ; Kintz et Traoré, 1993). Il semble que là seulement des droits d'accès aux pâturages et à l'eau soient codifiés dans la forme des règles de la Diina*. Il apparaît aussi que le gouvernement opérait une discrimi­ nation contre les populations non sédentaires, comme les éleveurs et les cueilleurs, en ce qui concerne leurs prétentions sur des territoires. Comme la jurisprudence et le cas des cultivateurs bamana le montrent, les droits sur le territoire autour du village sont reconnus. Dans le cas des Peuls au Mali central, ces droits étaient violés par l'administration et par les organisations de déve­ loppement. Cependant, on ne sait pas si ces droits concernaient le droit d'attribuer la terre à cultiver ou incluaient aussi le droit d'attribuer le droit de pâture. « Lors de l'installation d'une famille en un point quelconque de la brousse, le chef de famille est, de droit, propriétaire de tout le terrain autour du lieu où il s'établit dans les limites du pacage journalier d'un bœuf9. » Ce jugement, bien sûr, ne concernait pas les communautés patorales et leurs droits sur les territoire villageois. Pour cela, ils devaient d'abord se sédentariser et former un village officiel. Si un village n'a pas de statut officiel, ses habitants ne peuvent pas disposer du territoire environnant. Ces points de vue forment le contexte dans lequel le gouver­ nement conceptualise les droits d'accès à la terre et aux pâturages, et transforme ces conceptions en interventions politiques en ce qui concerne l'utilisation et la gestion des ressources naturelles. Cela est visible particulièrement dans le cas des projets et des inter­ ventions dans le domaine d'aménagement de terroir villageois (ATV). L'idée d'ATV est présentée depuis quelque temps déjà comme la panacée pour tous les maux dans le domaine de la dégradation de l'environnement. Dans ce cadre, on envisage 9. Cette codification de l'accès à la terre, la pâture, l'eau et la pêche a subi beaucoup de changements officieux et des manipulations au cours de l'histoire (voir Gallais, 1984; Moorehead, 1991), et il est douteux si c'est justifié d'utiliser les règles définies par Sheeku Amadu comme la base de l'administration de la justice et l'attribution de la terre et des droits d'accès à la pâture. Le code de la Diina, aujourd'hui, est probablement totalement différent du code de la Diina au XIXe siècle Voir note 5. ­­* i 56 L'ETHNICITÉ PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX d'arriver à une gestion plus durable des ressources naturelles par une planification plus rationnelle de l'utilisation de la terre au niveau local afin d'ingérer des mesures gouvernementales dans les communautés locales sahéliennes. C'est surtout dans les zones d'immigration que beaucoup d'efforts sont faits par des services gouvernementaux pour introduire cette conception de la plani­ fication au niveau villageois, entre autres afin de créer des «politiques démocratiques locales de haut en bas» (Engberg­ Pedersen, 1995). Il faut noter que dans presque toutes les zones d'immigration, les Peuls sont minoritaires et que la décentra­ lisation administrative et la réforme foncière qui sont en ce moment favorisées par les bailleurs de fonds (CILSS/Club du Sahel, 1994) ne sauvegarderont pas automatiquement la position des groupes minoritaires au niveau local, surtout dans le domaine foncier. Quoique ces efforts dans la réforme foncière et la décentra­ lisation soient bien intentionnés, il faut douter des résultats éventuels et de leurs conséquences sur les rapports entre culti­ vateurs et éleveurs. En principe, ATV est exécuté au niveau du village. Dans beaucoup de cas, les villages ne sont qu'une construction administrative. Le groupe de campements dans la deuxième étude de cas se composait d'éleveurs peuls et de cultivateurs Himaayße qui, officiellement, appartiennent aux chefs­ lieux de deux arrondissements, l'un à trente kilomètres, l'autre à cinquante kilomètres. Les éleveurs, notamment dans les zones d'immigration, ne sont que rarement des habitants officiels du village où ils s'installent, même lorsqu'ils ont un rôle important dans la gestion de l'environnement et des intérêts bien fondés. En plus, ils sont regardés par la population sédentaire comme marginaux, quoique tolérés temporairement. La délégation de l'autorité administrative au niveau local augmentera le pouvoir des cultivateurs sur le terroir utilisé par les éleveurs. Cela peut gêner la coordination régionale des mouvements de bétail et troupeaux, par le blocage des routes pour les troupeaux qui sont absolument essentiels pour un secteur pastoral viable (Grayzel, 1990 ; Basset, 1994), et peut mener à l'exclusion des éleveurs du processus des prises de décisions (Marty, 1992). RÉGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES 57 Discussion : la pluralité juridique Comment analyser ces thèmes d'une manière qui soit simul­ tanément productive du point de vue théorique, de sorte que nous puissions étudier la tenure de la terre et la territorialité dans le cadre décrit ci­dessus, et du point de vue pratique de sorte que nous puissions apporter une contribution à la solution des problèmes croissants dans le domaine foncier dans les environ­ nements pauvres en ressources naturelles. Un tel cadre doit obliga­ toirement s'orienter vers le dynamisme dans les arrangements concernant le foncier et vers les interactions entre les valeurs et les règles locales, indigènes ou coutumières, les lois de l'État et les pratiques de tous les acteurs pour arriver à leur but, c'est­à­dire de sécuriser leur subsistance, de promouvoir le pouvoir de l'État ou le service gouvernemental ou d'atteindre les objectifs des projets de développement10. Le cadre le plus commode pour analyser la dynamique des relations foncières et la territorialité est la « pluralité juridique » (von Benda­Beckmann, 1983, 1992; Griffiths, 1986). Dans la plupart des États de l'Afrique de l'Ouest, la juridiction étatique et coutumière ou indigène coexiste. Des droits se trouvent sur les mêmes ressources et peuvent être tenus par des catégories ou groupes sociaux et ethniques différents. Des complexes normatifs pluraux peuvent se rapporter sur la même ressource. Les acteurs dans de telles situations peuvent recourir à des corps distincts de règles dans différentes conditions et peuvent tirer leur inspiration, leur justification et leur explication idéologique de ces sources multiples. Dans les rapports sociaux relatifs à la propriété et aux ressources, «des relations dynamiques et historiques entre différentes lois dans la pensée et praxis des gens » (von Benda­ Beckmann, 1992 : 207) sont donc emboîtées. Ces rapports sociaux 10. Cela ne veut pas dire que ces organisations sont des outils neutres ou bénévoles dans la lutte pour le progrès et le bien public (voir Quarles van Ufford, 1988: 16). Souvent, ils ont leur propre dynamisme dérivé de la structure de l'organisation du projet ou du service gouvernemental Un tel exemple est décrit dans Bruijn et van Dijk (1995). L'ETHNICITE PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX REGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES et les régimes de propriété et fonciers reflètent les voies dans lesquelles les diverses catégories des gens comprennent non seulement leur situation écologique, marquée par l'insécurité, mais aussi d'autres facteurs incertains d'origine économique, sociale ou politique. Cette insécurité est particulièrement présente en situations de migration. Les rapports sociaux relatifs à la tenure de la terre et à la territorialité ne peuvent pas seulement être regardés comme des réponses adaptées à l'insécurité écologique, ni comme un résultat direct des hiérarchies politiques, des valeurs ou des normes religieuses. On doit plutôt les regarder comme composant un domaine d'activité sociale où les conséquences des sources diverses d'insécurité se rencontrent et sont entremêlées. Dans une situation de pénurie, les individus et les groupes essayent de manipuler et de négocier afin de courber les régimes de propriété et fonciers dans la direction désirée étant donné leur situation et leurs objectifs. Les structures normatives et juridiques forment une matrice vers laquelle ils orientent leurs prétentions et décisions relatives à la distribution de la propriété et la tenure des ressources. La compétition pour ces ressources résultant d'une base écologique en déclin où la croissance de la population entraîne inévitablement des conflits et peut changer la nature et le contenu des régimes de propriété et fonciers, et, par conséquent, les rapports sociaux entre les gens, lesquels sont emboîtés par ces régimes. La société est donc transformée par les solutions développées par les gens pour ces problèmes et ces conflits. Une telle perspective a pour conséquence que nous aban­ donnons les approches normatives ou orientées vers la politique à l'étude de régimes fonciers, approches qui sont basées sur la supposition que des règles sont valides sans tenir compte du temps ou de l'espace. La comparaison entre ce qu'il faut et ce qui est, procédure normale dans ces approches, mène à une réduction de la réalité à sa relation avec les affirmations/prétentions normatives du système légal étudié (von Benda­Beckmann, 1992: 308). Ces affirmations normatives peuvent être dans le domaine juridique, économique, politique ainsi qu'écologique. Une autre supposition cachée dans l'étude de régimes de propriété et fonciers est qu'il y a un seul système unitaire juridique fort et pertinent à un moment donné (von Benda­Beckmann, 1992 : 309), ou que c'est au moins une situation désirable. Cependant, dans presque chaque région pastorale du monde, des règles coutumières coexistent avec les ensembles juridiques de l'État et les arrêtés associés, menant à une situation de pluralisme juridique et même à une symbiose de divers systèmes juridiques (von Benda­Beckmann, 1992), laquelle, loin d'être toujours désastreuse, peut donner plus de flexibilité à l'utilisation et l'aménagement de ressources naturelles dépendant des besoins divers des utilisateurs. Dans cette perspective, les voies dans lesquelles les ressources sont attribuées à des groupes en compétition sont plus un processus politique que juridique, et profiteront dans un accès différentiel à des groupes sociaux et individus divers. Une autre conséquence de cette norme d'un système juridique unitaire est qu'elle est appliquée à la pratique, ce qui mène à la négligence de l'étude d'arrangements ou de mécanismes non juridiques. Dans la vie réelle, d'autres moyens comme la corruption, la violence, les razzias, l'intimidation militaire, les relations politiques, le népotisme et les rites (Johnson et Anderson, 1988; Schlee, 1992) jouent souvent un rôle déterminant La littérature ethnographique sur les sociétés pastorales est pleine d'exemples à ce propos, quoique ce corps n'ait jamais été analysé dans cette perspective. Même des réformateurs progressistes de la politique mettent ces réalités en dehors de leurs analyses et, inévitablement, composent des cadres prescriptifs et volontaristes, et donc irréalistes, pour la transformation des régimes fonciers. En plus, la question de la variabilité des ressources n'est jamais posée. La démarcation de frontières joue un rôle crucial dans la définition des bottes claires de droits sur des ressources. Derrière l'argumentation en faveur de la création des frontières se trouve la supposition qu'on peut créer un cadre de règles basées sur les attentes et les calculs des utilisateurs et des fonctionnaires relativement au courant des coûts et revenus des ressources. Un tel cadre clair donne plus de sécurité aux utilisateurs. Ainsi, on suppose qu'on peut calculer et négocier la quantité d'une ressource spécifique dont les utilisateurs ont besoin pour leurs objectifs de production, et qu'on peut estimer combien les utilisateurs peuvent gagner avec ces négociations vis­à­vis d'autres individus et 58 59 60 L'ETHNICITÉ PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX groupes qui s'intéressent aussi à l'usage et l'aménagement des ressources. Mais, dans la pratique, on ne peut pas prévoir ces coûts et revenus, surtout dans les régions arides et semi­arides où la production de biomasse connaît des fluctuations énormes avec les aléas climatiques. Dans beaucoup d'instances, la nature plutôt que la société détermine la disponibilité et donc les possibilités pour l'utilisation des ressources. Par conséquent, la définition de frontières strictes est devenue un exercice académique pour les utilisateurs concernés. L'accès doit être renégocié à chaque moment et reste toujours temporaire en raison de la nature des conditions écologiques. Ainsi donc, les régimes de propriété et fonciers et les frontières dynamiques entre éleveurs transhumants et cultivateurs sédentaires doivent être analysés comme des phénomènes historiques, dans un cadre spatial et historique, qui sont constamment recréés dans un processus dialectique avec la réalité quotidienne. Les complexes normatifs et juridiques qui encadrent l'accès aux ressources et les rapports interethniques se composent de réseaux de normes, règles et régulations relatifs à l'accès à une variété de ressources, sous diverses conditions, et aux formes d'organisation sociale très hétérogènes. Ces réseaux doivent être suffisamment flexibles pour permettre aux individus et aux groupes de gérer les dynamiques dans la disponibilité des ressources caractéristiques des régions (semi­) arides de l'Afrique de l'Ouest. D'autre part, ils doivent être marqués par une certaine mesure de rigidité pour prévenir le chaos résultant de l'insécurité dans la disponibilité des ressources. Cela ne veut pas dire que nous pouvons postuler une relation fonctionnelle entre les divers types de régimes fonciers et la situation écologique. Au contraire, nous pensons que, étant donné les oscillations dans la disponibilité des ressources, il y a une lutte permanente entre éleveurs et cultivateurs pour ces sources de vie rares et, en ce qui concerne le contenu et l'interprétation des règles, que cette compétition augmentera à cause de la tendance récente des deux groupes à se rapprocher sur le plan technique. RÉGIMES FONCIERS ET AMÉNAGEMENT DES RESSOURCES 61 Bibliographie BASSET Thomas J., 1993, «Land use conflicts in pastoral development in northern Côte d'Ivoire», in T.J. Basset et D. 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Après avoir séjourné quelques décennies au Mali, ils pénétreront en 1960 dans les savanes 1 Les informations présentées ici ont été collectées en 1994 lors d'une mission effectuée dans le nord de la Côte­d'Ivoire, mission financée par le Centre de recherche en sociologie de développement de l'Université de Bieieield