Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement
E. Tielkes, E. Schlecht et P. Hiernaux (Editeurs)
© 2001 Verlag Ulrich E. Grauer, Beuren, Stuttgart /Allemagne
L'économie de la gestion des risques en zone semi-aride
Han van Dijk
Centre d'Études africaines, BP 9555, 2300 RB Leiden, PaysBas
t:v)
1
"\
(
^ /
j
1
i
'
j
«
;
1
j
l
\
RESUME
Les risques émanant des dynamiques écologiques et les fluctuations économiques qui en
résultent constituent les conditions de base dans la zone semiaride sahélienne. Toute
forme de gestion ou d'aménagement des ressources fourragères commence
obligatoirement par l'appréciation d'un nombre de variables et notamment leur
variabilité dans l'espace et le temps. Cette variabilité est en fait la source d'une grande
gamme de risques au Sahel. Le problème de leur gestion ne réside pas dans le faible
taux de la pluviosité ou la basse productivité de pâturages qui en résulte, mais dans leur
variabilité d'une année à l'autre et d'un endroit à l'autre. L'accommodation continue à
cette variabilité et la compétition pour les ressources entre les divers (groupes d')
utilisateurs qui en résultent est la force motrice pour un nombre d'autres phénomènes.
Toute évaluation des possibilités économiques ou toute décision de gestion doit être
basée sur une analyse approfondie de ces risques.
Dans cette communication il est démontré comment les risques forment le canevas des
stratégies d'utilisation et de gestion des pâturages et même des modes d'appropriation et
des droits d'accès. Les interventions extérieures dans les stratégies d'utilisation et la
gestion des pâturages peuvent non seulement avoir un grand impact sur la profitabilité
des stratégies des éleveurs, mais aussi sur les modes d'appropriation et les droits
d'accès. Les sujets suivants seront traités : la production pastorale ; les stratégies
d'investissement ; l'évaluation de résultats ; la prise de décision ; et les droits d'accès
aux parcours. Dans la conclusion quelques conséquences pour les interventions
extérieures seront discutées.
Mots clés : ressources pastorales, variabilité, risque, droits d'accès, Sahel
ABSTRACT
The basic factors in the semiarid Sahelian zone are the risks emerging from the
ecological dynamics and the resulting economie fluctuations. Anyform of management
or improvement offeed resources is obligea to start with an appréciation of a number of
variables and especially oftheir spatial and temporal variability. This variability is in
fact the source of a great spectrum of risks in the Sahel The problem of risk
management is not the sparse rainfall or the resulting low range productivity, but their
variability from oneyear to the next and from one place to another. The continuous
265
Comptesrendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement"
adaptation to this variability and thé résultant compétition for resources between
various (groups of) users is at thé origin of a number of other phenomena. Every
évaluation of économie possibilities and ail management décisions must be based on an
indepth analysis of thèse risks.
This article illustrâtes how risks form the background for stratégies of utilisation and
management of postures and even offorms of appropriation and access rights. The
external interventions in stratégies of utilisation and management of postures can not
only hâve a gréât impact on thé profitability of stratégies of livestock managers but also
on modes of appropriation and access rights. The following subjects are treated:
pastoral production; Investment stratégies; évaluation ofresults; decisionmaking and
access rights to postures. In thé conclusion some conséquences of external interventions
are discussed.
Key words: pastoral resources, variability, risk, access rights, Sahel
RISQUE ET LA PRODUCTION PASTORALE
è
Dans la littérature scientifique, le risque est traité comme une variable stochastique.
Dans une conception technique, le risque est le produit du hasard de la chance et le
magnitude des conséquences (Kasperson 1992). L'analyse de la prise de décisions
économiques des individus et des collectivités est faite avec l'aide des modèles de
simulation qui sont linéaires. Ces modèles sont basés sur la théorie de choix rationnels.
Ils sont basés sur la supposition que les acteurs sont orientés vers l'optimalisation de
leur bénéfice ou la minimalisation des risques et qu'ils connaissent le hasard et la
magnitude des conséquences. Cette conception ignore le rôle moteur du risque dans
l'économie pastorale. Cependant chaque événement a sa propre dynamique et mène à
des réponses différentes des acteurs (individuels ou collectifs). Les événements du
risque sont liés à d'autres processus psychologiques, économiques, institutionnels et
culturels. Les interactions entre ces événements et ces domaines sociétaux au niveau de
l'individu ont à leur tour des conséquences aux niveaux des collectivités (Kasperson
1992). Donc, le risque est à la base de la structuration des sociétés dans lesquelles il
intervient.
Le pastoralisme pur peut être défiai comme une activité basée sur l'exploitation des
générations successives des animaux domestiques. L'accumulation du capital bétail et la
mobilité des troupeaux sont les éléments clés dans cette entreprise afin de gérer la
variabilité dans les environnements arides et srariarides oê cette activité prend place.
Pour accumuler le capital bétail, le gestionnaire du troupeau (disons un berger avec sa
famille), doit le protéger contre des fléaux de nature diverse, (fauves, maladies
contagieuses, manque d'eau et de pâturage ; Ingold 1980). Certains fléaux peuvent
anéantir (une grande partie de) son capital dans peu de temps. Par conséquent,
l'accumulation d'un grand nombre d'animaux n'est pas une stratégie irrationnelle ou de
prestige, mais une stratégie d'assurance. Si 10% des animaux survivent une grande
sécheresse, le berger qui avait 100 têtes pourra en conserver 10 et celui qui avait 10
têtes en pourra sauver qu'une. Une telle stratégie est une stratégie d'opportunité plutôt
qu'une stratégie d'optimalisation (Horowitz 1986).
Cependant une stratégie d'opportunité ne garantie pas au berger (le gestionnaire du
troupeau) d'échapper au risque. Au contraire, sa stratégie est plutôt gérante au niveau
266
Van Dijk : L'économie de la gestion des risques en zone semiaride
collectif. Les interventions de tous les gestionnaires du troupeau (la protection qu'ils
donnent aux animaux contre les fauves et les maladies, et manque de l'eau et nourriture)
permettent à la survie d'un nombre plus grand des animaux placés dans des conditions
naturelles défavorables. Cette condition de base rend le total plus vulnérable aux
conditions néfastes, comme les maladies contagieuses et le manque de l'eau et de
pâturages. On peut prévoir que des désastres correctifs se produiront en fonction de la
variabilité du climat, avec des effets plus sévères que dans des conditions naturelles
(Ingold 1980).
La manière la plus efficace de faire face à ce genre de risques est d'opter pour de petites
unités de production. A cause du fait que tout le monde est assujetti aux mêmes
conditions il est plus rationnel de s'investir dans sa propre entreprise. Il n'est pas
possible de maintenir des réseaux élaborés de soutiens mutuels. Et dans les situations de
crise, le cercle de la solidarité a tendance de se limiter aux parents très proches (Spittler
1993) jusqu'au dernière refuge, le foyer, c'està dire la mère avec ses enfants (De
Bruijn 1997). La chance d'être aidé par les autres en cas de besoin devient négligeable,
parce qu'ils sont soumis aux mêmes conditions. Par conséquent les possibilités pour un
soutien mutuel sont très limitées en cas de désastre climatique (Van Dijk 1994). Voilà la
raison de base de l'organisation fragmentée de la majorité des sociétés pastorales. Donc,
les conséquences et les réponses aux risques concernent toute la société, et pas
seulement les responsables des troupeaux et des pâturages, parce que la survie de l'unité
de production en dépend. Dans le Sahel la nécessité des réponses au risque est toujours
présente, parce que les fluctuations du climat se produisent partout et toujours, au gré
des variations de la pluviosité dans le temps et l'espace. Donc il y a toujours cette
pression sur la société humaine au Sahel.
L'influence du risque n'est pas difficile à démontrer dans la vie quotidienne. Tout le
monde connaît les conséquences graves des sécheresses des années 70 et 80 au Sahel.
Mais il est moins connu que la gestion du risque persiste dans des années dites
"normales". Par exemple, il a été observé que la variabilité dans la production agricole
et des pâturages des zones semiarides ait le même niveau que pendant les sécheresses
(voir De SteenhuijsenPiters 1995 ; De Bruijn et Van Dijk 1995 ; Gandah 1999). Même
dans ces conditions, des calamités peuvent toucher des producteurs individuels.
Il en va de même pour les indicateurs démographiques. La pression des conditions
écologiques est telle (en l'absence d'une couverture suffisante des services de santé
dans les régions faiblement peuplées), que les indicateurs démographiques ne montrent
pas de réponse aux sécheresses. Parmi les populations pastorales du Sahel le taux de la
mortalité des enfants est très élevé, pour atteindre parfois près de 50%. « La survie des
ménages dépend de la chance émanant de la distribution irrégulière et imprévisible de la
pluviométrie et la mortalité du bétail des membres clés de la famille ». Pendant les
sécheresses des années 70 et 80 il n'y a pas eu de mortalité exceptionnelle parmi ces
populations. « Les taux de mortalité sont extrêmement élevés avec des espérances de vie
parmi les couches de populations « isolées dans la campagne » de 30 à 35 ans » (Hill
1991 : 178). Cela veut dire que le risque et la pression écologiques sont toujours très
élevés, dans les années dites "normales" et pas seulement dans les mauvaises années.
267
Comptesrendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement"
RISQUE ET INVESTISSEMENT, DEUX STRATEGIES
Quelles options peuton distinguer pour accommoder ce risque ? La stratégie la plus
rationnelle et la plus pratiquée est la mobilité ou au moins la potentialité de mobilité.
Tout éleveur est prêt de déplacer son troupeau d'une zone à l'autre si les conditions de
pâturage sont meilleures dans la seconde. Cette mobilité prend des formes diverses, du
déplacement du seul berger avec le troupeau jusqu'au fractions entières qui pratiquent la
transhumance de façon organisée. Cette stratégie permet de jouir toujours les meilleures
conditions possibles pour les animaux dont dépend la survie de la famille.
Il est clair que cette tendance ou cette potentialité de mobilité a des conséquences pour
l'organisation de la société : l'organisation sociale, la régulation de l'accès aux
ressources, les communications entre les communautés et l'organisation de l'économie
domestique. Tout cela doit être structuré en fonction de la façon de gérer les risques et
la mobilité.
Si les éleveurs ne se déplacent pas, donc en absence de mobilité, la seule option possible
est d'investir dans les ressources fourragères qui permettent aux animaux de survivre les
périodes dures. Cependant, étant donné la productivité faible de l'environnement agro
écologique, les coûts seront énormes par rapports aux rendements qu'on peut espérer.
Aux coûts s'ajoutent les efforts nécessaires pour sauvegarder les acquis sous forme des
pâturages améliorés ou aménagés. En général les surfaces sont énormes. C'est pour cela
que l'accès aux pâturages est presque toujours libre à ceux qui ont du bétail pendant les
périodes sans contraintes d'exploitation.
Une autre option est d'investir dans les êtres humains afin d'amoindrir le risque pour le
groupe. Si on peut acquérir une position sociale, en tant qu'individu ou groupe, où on
peut répercuter les conséquences des risques sur d'autres, on est mieux placé. Les
hiérarchies politiques d'autrefois forment un bon exemple de ce mécanisme. La mise en
captivité des esclaves dans l'époque précoloniale assurait la survie des élites politiques
pastorales au Sahel. Les populations dépourvus de bétail formaient un réservoir de main
d'œuvre moins chère et des clients politiques dans les sociétés pastorales Ouest
africaines (Jhffe 1987 : 6568). Dans la société Tamasheq, les captifs faisaient tous les
travaux de l'élevage et de la culture en donnant une grande partie des fruits de leur
travail aux nobles et aux propriétaires de la terre (Bernus 1990 : 154). Des populations
devenues pauvres à cause de calamités naturelles formaient un apport permanent à ces
couches défavorisées. Les hiérarchies sociales qui étaient basées sur des idées sur
l'inégalité des hommes et des statuts différents, fournissaient des modèles
d'organisation sociale qui permettaient d'incorporer ses populations sinistrées. Leur
existence ne formait pas un problème de légitimation pour les élites politiques, parce
que ses populations avaient une place reconnue dans ces hiérarchies (Iliffe 1987 :
4247).
L'EVALUATION DES RESULTATS DES INVESTISSEMENTS
Étant donné que les conditions écologiques, comme la répartition de la pluviosité dans
l'espace et dans le temps, sont très variables il est impossible de déterminer avec
exactitude les rendements des investissements dans une zone semiaride. L'effet d'un
investissement dans la fertilité du sol pour améliorer la productivité des pâturages ou
des cultures peut être complètement annihilé par le climat capricieux. Pendant les
268
an
eu
ex
fui
ex
qu
hé
réi
Van Dijk : L'économie de la gestion des risques en zone sentiaride
années 50 et 60 des éleveurs peuls au Mali central ont développé des systèmes de
culture basés sur la fertilisation des sols avec la fumure organique. Us utilisent par
exemple les terres de leurs campements de façon itinérante afin d'exploiter toute la
rumure possible. Ces champs temporaires étaient reconnus pour leurs rendements
exceptionnels. Avec les sécheresses ils étaient obligés d'abandonner ce système, parce
que les cultures étaient brûlés en misaison par manque d'eau et excès fumure. Ils
hésitent également de mettre beaucoup de rumure sur les champs normaux, parce que la
réussite de cet investissement n'est pas assurée.
Le même problème se pose pour des investissements dans les infrastructures anti
érosives ou hydrauliques ou pour la protection des pâturages. Même si les agroéleveurs
ont des possibilités de s'investir dans des pâturages dont ils peuvent se réserver
l'utilisation, ils ne le font pas. Pourquoi ? La raison principale pour ne pas investir dans
les ressources est la variabilité du climat. A cause de ce facteur il est presque impossible
de déterminer le rapport exact d'un tel investissement. Pire, le manque de pluie peut
masquer et même annihiler tout effet et rendre l'investissement inutile. De plus les coûts
en termes de main d'œuvre ou capital sont tellement élevés que ces investissements ne
sont possibles qu'avec des apports extérieurs. Au contraire, lorsque les rendements sont
augmentés suite à la mise en place de nouvelles infrastructures, la cause peut en être
l'amélioration des conditions climatiques. Donc, la croissance de la productivité ne peut
pas être automatiquement attribuée aux nouvelles infrastructures.
C'est pour cela que la grande majorité des investissements dans ce milieu est dirigée
vers des infrastructures qui facilitent l'exploitation des ressources ou qui limitent l'accès
à cellesci. Par exemple, la création d'un point d'eau n'est pas un investissement dans la
production, mais un moyen pour mieux exploiter les pâturages. La création des
périmètres fermés ou des parefeux n'est pas un investissement dans la production
même, mais dans la protection des ressources contre les autres éleveurs et le feu. De
même un investissement dans la santé animale n'est qu'un moyen pour mieux exploiter
les pâturages disponibles.
Pour profiter de ces investissements, le contrôle sur les ressources et les moyens pour
les exploiter est le facteur clé pour accommoder les risques en absence du contrôle sur
la production même. La seule manière efficace pour se protéger contre le risque est de
se mettre dans une position politique qui permette de répercuter les conséquences des
risques sur les autres ou pour être bien placé pour récupérer les bénéfices des
investissements.
Un bon exemple est donné par les projets participatifs d'aménagement des périmètres de
pâturages. En général ce genre de projet tourne autour l'installation d'une infrastructure
hydraulique pour faciliter l'exploitation des pâturages. Dans la version moderne de
l'approche participative par les associations pastorales, la gestion de ce point d'eau est
confiée à un groupement des éleveurs qui permet de mieux impliquer la population.
Pour éviter des problèmes de la durabilité écologique le nombre d'animaux admis sur
un tel périmètre doit être adapté à la capacité de charge. Loin d'être pertinent pour la
durabilité écologique la limitation du nombre d'animaux pose une question qui ne peut
être admise et qui doit être refusé. Étant donné le caractère nondémocratique de ces
sociétés et leurs autorités traditionnelles, qui sont souvent en tête d'une telle
"association pastorale" ces projets mènent souvent à une privatisation cachée des
ressources au nom de développement participatif (p.ex. Van Dijk et De Bruijn 1995).
269
Comptesrendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement"
Pour mobiliser des moyens, pour investir et pour protéger et rentabiliser ces
investissements, il faut acquérir un pouvoir politique.
Du côté des autorités politiques et des agences internationales de développement ce
genre de projets et investissements est souvent vu comme un outil pour mieux contrôler
les mouvements et le nombre de troupeaux (Hogg 1988). Toute la problématique du
risque et de la variabilité des conditions climatiques est réduite à une prétendue
mauvaise gestion de la part des éleveurs. La solution proposée est l'imposition d'un
contrôle politique par la voie des institutions dites participatives (voir De Bruijn et Van
Dijk 1999, mais aussi Ribot 1999 pour le domaine forestier).
,
è
LES RISQUES ET LA PRISE DE DECISIONS
,
Nous avons démontré maintenant que le risque doit être placé au centre de l'économie
et la gestion des pâturages et que, en parlant des investissements et de la gestion même,
il y a des ramifications importantes dans l'économie politique et l'écologie politique des
hiérarchies sociales locales, régionales, nationales et même internationales. Le problème
qui se pose maintenant est de clarifier les actions des opérateurs économiques au niveau
local. Ce que nous intéresse ici sont les décisions prises par les unités de production et
les mécanismes qui régissent la prise de ces décisions de gestion du troupeau et de choix
des pâturages.
j
j
Ici tous les facteurs et risques écologiques, économiques, mais aussi politiques,
juridiques et sociaux, ainsi que les dispositions émanant de la situation domestique
(capitaux, main d'œuvre, genre, rapports sociaux), se joignent et sont considérés
ensembles par les décideurs. Tous ces facteurs sont liés d'une façon ou une autre. Pour
une bonne appréciation de la prise de décision dans ce grand cadre, il faut analyser la
dynamique de la prise de décisions de tous les acteurs.
Etant donné la multitude de facteurs à prendre en compte pour assurer la survie de
l'individu, de la famille ou du groupe, il est clair qu'une telle analyse de la gestion de
pâturages ne peut pas se limiter aux facteurs écologiques. Toutes les décisions sont
prises, à notre avis, en vue de la continuité de l'unité de production et non de la
durabilité écologique, de la maximalisation de bénéfice, et de la réduction du risque.
Mais ces trois derniers objectifs peuvent être des moyens pour atteindre l'objectif final
de la continuité. Les effets composés des décisions et actions des opérateurs au niveau
local ont à leur tour une influence sur les décisions des acteurs intervenant aux niveaux
supérieurs et vice versa.
Pour donner un exemple, un éleveur en quête de la survie ne choisira pas
nécessairement les meilleurs pâturages, parce qu'au Sahel la présence des possibilités de
vente ou de troc des produits laitiers est une considération importante pour la décision
concernant la direction de la transhumance. Mais ces considérations plus ou moins
économiques ne sont pas des conditions suffisantes. Un éleveur nomadisant ne bouge
pas dans un espace vide. Au contraire l'espace est déjà approprié par d'autres,
agriculteurs et éleveurs. Par conséquent il doit se ranger et s'adapter aux exigences des
autres. Il a besoin d'un réseau social afin de pouvoir s'insérer dans cette nouvelle
situation. Il doit négocier l'accès aux ressources hydrauliques locales, si elles sont
contrôlées par la population. Sa position politique, son appartenance ethnique et son
identité culturelle entrent tous en jeu dans cette quête. Tout facteur a des exigences
270
^
Van Dijk : L'économie de la gestion des risques en zone semiaride
spécifiques d'un décideur à l'autre. Comment attaquer cette complexité pour une
analyse de la prise de décisions ?
Dans le cadre d'un projet de recherche sur les réponses des populations sahéliennes à la
variabilité climatique, un modèle a été développé pour mieux analyser ces réponses (De
Bruijn et Van Dijk 2001). Les facteurs divers peuvent y être considérés plus ou moins
en détail en fonction des besoins de la recherche ou l'action de développement. Une
telle analyse de prise de décisions des bénéficiaires des actions de développement peut
donner des informations en avance sur la pertinence d'une intervention.
Cependant ce modèle ne contient pas de suppositions sur la logique des décideurs.
Normalement on attribue une logique linéaire aux décideurs, ainsi que des stratégies
bien définies et rationnelles. Étant donnée la dynamique des conditions de production,
une telle démarche n'est pas adaptée à la réalité des zones semiarides. Les suppositions
concernant le comportement des décideurs, qui gèrent les troupeaux et prennent les
décisions de choix de pâturages sont les suivantes :
a) L'environnement des décideurs est fondamentalement instable ;
b) En analysant la prise de décision une grande variété de facteurs de risque doivent
être pris en considération ;
c) Les décideurs progressent pas à pas. La prise de décisions dans les environnements à
haut risque est un processus itératif. Par conséquent, les décisions et leurs résultats
n'ont pas nécessairement un caractère planifié ou rationnel, et ne suivent pas
forcement un ordre logique. Il en résulte que le choix d'un itinéraire entraîne la
fermeture des autres itinéraires possibles.
d) Les variations dans les décisions ne sont pas nécessairement basées sur les
caractéristiques actuelles du décideur, mais peuvent également émaner de l'histoire
de vie du décideur ;
e) Donc on suppose qu'en prenant des décisions, un décideur suit son propre itinéraire.
Les décisions prises dans le passé sont, par conséquent, pertinentes pour la
compréhension des décisions d'aujourd'hui, parce qu'elles font partie du même
itinéraire ;
f) Les autres décideurs sont des facteurs externes pour le décideur. En prenant leur
comportement en compte, les décideurs coordonnent leurs décisions explicitement et
implicitement.
Donc, pour bien comprendre les décisions économiques d'aménagement et de choix des
pâturages, toute une gamme de facteurs doit être prise en compte. De plus, ces décisions
doivent être suivies dans le temps pour en saisir la logique fondamentale.
Il s'en suit un nombre d'impératifs pour la méthodologie de recherche. Une approche
qui veut s'orienter sur les rapports dynamiques entre les conditions écologiques et les
réponses des décideurs est nécessairement rigoureusement empirique. Cela veut dire
que les décideurs doivent être suivis de près pour bien apprécier la logique de leurs
décisions et les facteurs (et leur variabilité) qui ont mené à ces décisions.
INVESTISSEMENTS ET DROITS D'ACCES
Les droits d'accès aux pâturages reflètent la variabilité du climat et la répartition de la
productivité dans l'espace qui en résulte. De la même façon que les décisions
concernant les investissements dans les pâturages et l'infrastructure sont prises, les
271
Comptesrendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement"
droits d'accès sont formulés de façon très souple et imprécise. En fait, ils doivent être
renégociés constamment en fonction de la dynamique écologique. Ce ne sont pas les
règles juridiques et les systèmes réglementaires, mais les caractéristiques émanant de la
prise de décisions des individus qui tentent d'avoir accès aux ressources dont ils ont
besoin pour survivre. Il est possible de démontrer par une reconstruction historique, que
les pratiques de gestion des ressources et les régimes fonciers sont les résultats des
adaptations cumulatives aux conditions écologiques fluctuantes et des changements
dans les environnements institutionnels et politiques qui influencent la gestion des
ressources naturelles (Van Dijk 1996). Une notion de propriété ou même de propriété
commune avec des droits fixes et un groupe d'adhérents stable, qui est très populaire
dans la littérature anglophone est très loin de la réalité quotidienne. Les intervenants de
l'extérieur doivent aussi être très prudent en jugeant les possibilités d'améliorer
l'aménagement de ces parcours par des investissements dans la productivité ou les
infrastructures qui facilitent leur exploitation. Ces intervenants ont tendance à sous
estimer le rôle des aléas climatiques dans l'appréciation de la rentabilité de ces
investissements.
Premièrement, pour investir dans les ressources il faut avoir une certaine garantie de
profiter de ces investissements. Donc, on peut constater une préférence pour
l'investissement dans des infrastructures qui procurent des droits exclusifs à
l'utilisateur, telles que les points d'eau, qui garantissent l'accès exclusif aux ressources
pendant la saison sèche. Sans apport extérieur ces investissements ne dépassent guère le
niveau du puisard. Les grands investissements ne sont faits qu'avec l'aide des bailleurs.
Les investissements dans la qualité des pâturages ne sont pas faits parce que les
rendements ne sont pas sûrs, et parce qu'on ne peut pas réclamer un droit exclusif à leur
utilisation.
Deuxièmement, il y a un problème d'ordre social. L'investissement et la délimitation
d'accès aux ressources sont indésirables du point de vue social et écologique. D'abord
parce que l'exclusion concerne dans 100% des cas les couches défavorisées de la
population pastorale, c'estàdire les affranchis, les dépossédés, les femmes, et cetera.
En plus, l'exclusion et la délimitation d'accès impliquent l'introduction de frontières, de
blocages dans l'espace. Ces blocages limitent la mobilité qui est à la base de toute
stratégie pastorale d'adaptation aux risques. L'immobilisation des hommes et des
troupeaux peut entraîner des grands risques non seulement pour les pasteurs concernés,
mais aussi pour la viabilité de tout le secteur de l'élevage nomadisant. Toute politique
dans ce domaine doit donc avoir pour objectif final de lever les blocages et libérer la
mobilité du bétail et de promouvoir des mécanismes de négociation et de médiation
pour régler les problèmes d'accès aux pâturages. Un sujet qui est souvent négligé dans
ce cadre sont les rapports entre les divers groupes d'utilisateurs. On a tendance à voir
ces interactions surtout en vue de conflits d'intérêts, tandis que dans le passé, et dans
beaucoup d'instances à l'heure actuelle ces divers groupes sont des cogestionnaires des
ressources (De Bruijn et Van Dijk 1997). Donc, les ordres sociaux dans lesquels
l'aménagement des ressources prend place doivent être réétudiés dans ce sens et
impliqués autrement dans les processus de planification et négociation.
Il est clair que les divergences d'intérêts et les conflits entre agriculteurs et pasteurs
augmentent. La survie de ces derniers est en jeu vu la croissance énorme de la
population et celle des superficies cultivées. Des solutions doivent être trouvées, qui
272
Van Dijk L 'economie de la gestion des risques en zone semiande
préservent la flexibilité des pasteurs en vue de leur adaptation continue à des nouvelles
exigences qui leur sont imposées par les conditions écologiques, mais qui sont aussi
dans l'intérêt des populations sédentaires On doit donc promouvoir des systèmes
d'exploitation qui favorisent les interactions économiques, agroécologiques et sociales
et créent des interdépendances qui bénéficient à tous les (groupes d') utilisateurs.
CONCLUSION
Les divers aspects du risque dans le cadre de la gestion de pâturages ont été traités Le
rôle clé du risque dans la gestion des pâturages ainsi que dans l'organisation de la
société pastorale et les transformations des règles et droits d'accès a été démontré, n
semble que la plupart des efforts actuels des agences de développement, étatiques ou
nonétatiques, est en conflit avec la logique pastorale de la gestion du risque, parce que
les exigences de l'aménagement moderne sont d'un autre ordre. Ce conflit fondamental
entre l'absence d'équilibre écologique dans les zones arides et la logique linéaire de
l'aménagement est loin d'être résolu. L'échec des partenaires de développement à
intégrer les leçons du nonéquilibre écologique à leurs interventions sur le terrain peut y
être attribué En fait, tout effort de planification est orienté vers la réduction des risques
par le contrôle des conditions de production ou des gestionnaires des ressources
fourragères Pour le moment les outils techniques et financiers qui permettraient
d'achever une telle tâche ne sont pas disponibles
J
*
*
Cependant, les enjeux politiques autour la gestion des parcours, ainsi que la compétition
entre les divers groupes d'utilisateurs, (agriculteurs, éleveurs, nobles, vassaux,
affranchis, opérateur politiques modernes, éleveurs modernes, propriétaires absentéistes,
agents de développement etc ) pour le contrôle de cette gestion continue. Le défi pour
les années à venir est donc de ne plus chercher un modèle unique de gestion durable et
rationnelle, mais de chercher des procédures et des outils d'accommodation qui donnent
à tous les acteurs, et surtout aux couches défavorisées, la plus grande liberté possible de
suivre leur propre itinéraire de gestion des risques.
i
1
\
P
,
Entre temps, il est indispensable de mieux comprendre les itinéraires suivis par les
acteurs La compréhension de la prise de décision des éleveurs, mais aussi celle des
agriculteurs et agropasteurs en réponse aux conditions de risque nous permettra de
mieux déterminer les paramètres des interventions dans la gestion de parcours et
d'identifier les points où on peut promouvoir des liens de collaboration entre tous les
partenaires Ici il me semble qu'une meilleure collaboration et communication entre les
partenaires de développement, les populations concernées et les chercheurs est la
première exigence
|
*
^iff
I
j
** " *\
* '•
r
ïifi
,r
,,
REFERENCES
f
Bernus, E 1990 Dates, dromedanes and drought Diversification in Tuareg pastoral Systems
In Galaty ] G and D L Johnson (eds) The world of pastoralism Herdmg Systems m
comparative perspective The Guilford Press, New York/USA pp 149176
*
f
1
De Bruijn, M 1997 The hearthhold m pastoral Fulbe society, Central Mali Social relations,
milk and drought Afhca67(4) 625651
DeBruijn, M and H vanDijk 1995 AridWays Culturel understandmgs of msecunty m Fulbe
society, Central Mali PhD Thesis, Utrecht Umversity and Wageningen Agncultural
Umversify Thela Pubhshers, Amsterdam/The Netherlands
*
l1
273
n!* vf*|
f*
Comptesrendus „Elevage et gestion de parcours au Sahel, implications pour le développement"
De Btuijn, M. et H. van Dijk. 1997. Introduction: Peuls et Mandingues: dialectique des
constructions identitaires. In: De Bruijn, M. et H. van Dijk (eds). Peuls et Mandingues.
Dialectique des constructions identitaires. African Studies Centre, Leiden/The
Netherlands, Karthala, Paris/France, pp. 13 29.
De Bruijn, M. and H. van Dijk. 1999. Insecurity and pastoral development in thé Sahel.
Development and Change 30(1): 115 139.
De Bruijn, M. and H. van Dijk. 2001.1: Climate variability and decisionmaking: a conceptual
framework. In : De Bruijn, M., H. van Dijk and M. Breusers (eds). Climate variability
and decisionmaking in thé Sahel: Three casestudies. African Studies Centre, Leiden/The
Netherlands. Forthcoming.
De Steenhuijsen Piters, B. 1995. Diversity of fields and farmers: Explaining yield variations in
Northern Cameroon. PhD thesis. Wageningen Agricultural University, Wageningen/The
Netherlands.
Gandah, M. 1999. Spatial variability and farmer resource allocation in millet production in
Niger. PhD thesis. Wageningen Agricultural University, Wageningen/The Netherlands.
Hill, A.G. 1991. Démographie responses to food shortages in thé Sahel. Population 13: 168
192.
Hogg, R. 1988. Changing perceptions of pastoral development: A case study from Turkana
District, Kenya. In: Brokensha, D.W. and P.D. Little (eds). Anthropology of development
and change in East Africa. Westview Press, Boulder (Colorado)/USA. pp. 183 199.
Horowitz, M.M. 1986. Ideology, policy, and praxis in pastoral livestock development. In:
Horowitz, M.M. and T.M. Painter (eds). Anthropology and Rural Development in West
Africa. Westview Press, Boulder (Colorado)/USA. pp. 251 272.
Iliffe, J. 1987. The African Poor: A history. Cambridge University Press, Cambridge/UK.
Ingold, T. 1980. Hunters, pastoralists and ranchers. Cambridge University Press,
Cambridge/UK.
Kasperson, R.E. 1992. The social amplification of risk: Progress in developing an integrative
framework. In: Krimsky, S. and D. Golding (eds). Social théories of risk. Preager
Publishers, Westport (Connecticut)/USA. pp. 153 178.
Ribot, J. 1999. Decentralization and participation in Sahelian forestry: Légal Instruments of
central politicaladministrative control. Africa 69 (1): 23 65.
Spittler, G. 1993. Les Touaregs face aux sécheresses et aux famines : les Kel Ewey de l'Aïr
(Niger) (19001985). Karthala, Paris/France. 420 p.
Van Dijk, H. 1994. Livestock transfers and social security in Fulbe society in the Hayre, Central
Mali. In: Von BendaBeckmann, F., K. von BendaBeckmann and H. Marks (eds).
Coping with Insecurity: An 'underall' perspective on social security in thé Third World.
Focaal, 22/23 Spécial Issue. Stichting Focaal, Nijmegen/The Netherlands. pp. 97 112.
Van Dijk, H. 1996. Land tenure, territoriality, and ecological instability: A Sahelian casestudy.
In: Spiertz J. and M. Wiber (eds). The rôle of law in natural resource management. Vuga
Publishers, Den Haag/The Netherlands. pp. 17 45.
Van Dijk, H. and M. de Bruijn. 1995. Pastoralists, chiefs and bureaucrats, a grazing scheme in
Central Mali. In: Van Den Breemer, J.P.M., C.A. Drijver and B. Venema (eds). Local
resource management in Africa. John Wiley and Sons, London/UK. pp. 7795.
274
36
L'ETHNICITÉ PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
MALIKI BONGFIGLIOLI Angelo, 1988, Duaal : histoire de famille
et histoire de troupeau chez un groupe de Wodaaße du Niger,
Cambridge, Cambridge University Press.
MARKAKIS J. (éd.), 1993, Conflict and the décline of pastoralism
in thé Hörn ofAfrica, London, MacMillan Press, Ltd.
NIEZEN R.W., 1990, «The Community of helpers of the Sunna,
islamic reform among the Songhay of Gao (Mali) », Africa, 60
(3) : 399424.
RIESMAN Paul, 1992, First find your child a good mother : The
construction of self in two african communities, New York,
Rutgers University Press.
TOULMIN Camilla, 1992, Cattle, women and wells : managing
household survival in the Sahel, Oxford, Clarendon Press.
WATERSBAYER Anne, 1988, Dairying by settled falani
agropastoralists in central Nigeria : The rôle of women and the
implications for dairy development, Kiel, Wissenschaftsverlag
Vauk.
ZUBKOG.V., 1993, «Ethnie and cultural characteristics of the
fülbe », in Paul. K. Eguchi et Victor Azarya (eds), Unity and
diversity of a people. The search for falbe identity (Senri
Ethnological Studies, 35), Osaka, National Museum of
Ethnology,201213.
Régimes fonciers et aménagement des
ressources dans un contexte
pluriethnique et de pluralisme juridique
Han van DIJK
Introduction
Les sécheresses des années 70 et 80 ont provoqué partout en
Afrique de l'Ouest les migrations de beaucoup de familles
d'éleveurs peuls vers des zones plus humides (Bernardet, 1948;
Boutrais, 1994). Dans certaines régions, ce mouvement avait déjà
commencé avant même cette période (WatersBayer, 1988;
Basset, 1993 ; contribution de Diallo dans cet ouvrage). Au début,
il n'y avait guère de problèmes associés à ces mouvements
migratoires. Soit les éleveurs s'installaient sur des terres quasi
vacantes (Frantz, 1980 ; Basset, 1993), soit ils s'établissaient dans
des réserves de pâturages aménagés spécialement pour eux par les
gouvernements des pays concernés par ces migrations (Waters
Bayer, 1988). L'attitude positive envers les éleveurs peuls était
inspirée par le désir de promouvoir la production de lait et de
viande, plus proche du marché pour ces produits à la côte de
l'Afrique de l'Ouest. Dans plusieurs pays, comme la Côte
d'Ivoire, des services gouvernementaux étaient établis dans le but
38
L'ETHNICITE PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
de stimuler l'élevage dans les zones humides (Bernardet, 1984 ;
WatersBayer, 1988 ; contribution de Diallo).
Cependant, avec le temps, le nombre de bétail et la densité de la
population ont augmenté, menant à une compétition croissante
pour les ressources naturelles et pour l'espace, une incidence plus
fréquente des dégâts de cultures des cultivateurs sédentaires, une
dégradation des ressources naturelles, etc. (Basset, 1993). Quoique
les causes de ces problèmes semblent être claires et indiscutables,
elles doivent être considérées dans la perspective de changements
fondamentaux dans l'utilisation des terres, l'aménagement de
ressources naturelles, l'économie, les arrangements fonciers et des
interventions plus intenses dans tous ces domaines.
Le but de cette contribution est de présenter quelques réflexions
sur la dynamique de la propriété foncière et de la territorialité, que
nous avons développées au cours de nos recherches au Sahel du
Mali central, et d'examiner les conséquences de ces discussions
sur l'étude des rapports interethniques, plus particulièrement entre
les cultivateurs sédentaires et les éleveurs nomades. Compte tenu
des changements récents dans le secteur pastoral, provoqués par
les sécheresses, on peut s'attendre à ce que les tensions concernant
l'accès à la terre et le contrôle des ressources cruciales pour
l'élevage comme la terre, les pâturages, les points d'eau et les
arbres montent. Des lois et des règles concernant l'accès à ces
ressources jouent un rôle important dans ce processus, souvent
d'une manière inattendue et ambiguë.
Premièrement, nous discuterons quelquesunes de nos
conceptions, par exemple sur les relations entre le pastoralisme et
l'agriculture, le foncier et la territorialité, qui sont pertinentes pour
notre conceptualisation et la compréhension de l'accès aux
ressources naturelles. Ensuite, deux exemples seront présentés,
dans lesquels ces conceptions jouent un rôle dominant dans le
cadre des rapports entre éleveurs nomades et cultivateurs
sédentaires. Finalement, les rôles de l'État et des interventions
gouvernementales et développementistes seront examinés. La
dernière section présentera quelques observations méthodo
logiques pour l'étude des rapports fonciers dans un contexte
ethnique et juridique pluriel.
REGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES
39
Élevage et agriculture
Au Sahel et au Soudan occidental, l'élevage extensif et la
culture des céréales, comme les stratégies de subsistance sont liés
dans une relation dialectique. Normalement, le pastoralisme et
l'élevage extensif sont associés aux notions de mobilité et de
comportement territorial. Au contraire, les cultivateurs pratiquant
les cultures de céréales se sont accordés des droits plus fixes et
mieux définis sur la terre. En fait, la communauté sédentaire est
souvent définie comme une unité qui s'est appropriée la terre avec
le lignage fondateur à la base. Tout autre droit des membres de la
communauté vient après et est déterminé par leurs rapports avec ce
lignage. Cependant, il y a beaucoup de cas de pasteurs ou parties
de la société pastorale qui vivent d'une manière quasi sédentaire
(Bernardet, 1984; WatersBayer, 1988; Spittler, 1992; Bruijn et
van Dijk, 1995). La plupart des éleveurs peuls ne vivent pas
exclusivement des produits de leur bétail, mais ils cultivent des
terres et pratiquent l'élevage extensif en même temps (Dupire,
1970; Delgado, 1979; Marchai, 1983; Grayzel, 1990).
Pareillement, beaucoup de cultivateurs sédentaires ont et gèrent le
bétail, et parfois même font la transhumance avec leurs animaux
(Thébaud, 1988; Toulmin, 1992). Ces tendances montrent qu'au
XXe les cultivateurs sédentaires et les éleveurs nomades sont en
train de devenir semblables. En fait, une majorité dans les deux
groupes pratique aujourd'hui une association de l'élevage et de
l'agriculture.
Ce rapport dialectique entre l'élevage et l'agriculture est aussi
démontré par le fait que pour soutenir le maintien de la
productivité d'un hectare de terre pour la culture, on a besoin d'un
nombre précis d'hectares de brousse, celleci pouvant servir de
zone tampon contre la dégradation écologique (Kessler et
Wiersum, 1993 : 8). Du moment que la proportion de la terre
cultivée s'approche de cette limite, le rapport entre l'agriculture et
l'élevage est affecté inversement et peut devenir antagoniste et
même hostile dans le domaine social. Par conséquent, nous ne
pouvons pas supposer automatiquement que les pasteurs et les
L'ETHNICITÉ PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
RÉGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES
paysans ont des conceptions différentes de la tenure de la terre et
de la territorialité, car ces conceptions dépendent premièrement des
activités qu'ils entreprennent. C'est seulement dans la compétition
pour l'espace et pour les ressources naturelles que les pasteurs et
les cultivateurs expriment leur perception de la tenure de la terre et
de la territorialité. Dans ce processus, c'estàdire dans cette inter
action compétitive, ils construisent conjointement ou négocient des
règles en ce qui concerne l'accès aux ressources à partir des cadres
juridiques qui leur sont propres. L'état actuel de distribution de la
terre est donc toujours un ordre négocié.
donné, qui forment la base de leur existence matérielle, le contrôle
sur cellesci est primordial pour la continuité de cette communauté.
Ce contrôle est toujours obtenu en relation avec les autres, c'està
dire des personnes, des groupes (ethniques) ou l'État. Chacune de
ces collectivités investit une maind'œuvre ou d'autres moyens
dans l'aménagement des ressources dans ce territoire. La gestion
de l'espace et la distribution de la terre entre les champs, les
pâturages et les forêts peuvent être comprises comme la mani
festation de tous ces efforts coordinateurs. L'utilisation et la
gestion des ressources naturelles sont donc dans une large mesure
un phénomène historique et en même temps l'objet de luttes
politiques. La situation présente n'est rien d'autre qu'une solution
temporaire, probablement imparfaite et contestée pour les
problèmes actuels dans une séquence historique de situations et de
solutions.
En plus, il y a un certain nombre de ressources qui ne peuvent
pas être gérées par un individu ou par une famille seule d'une
manière pratique. Normalement, une telle unité ne peut pas
Construire un puits ellemême ou réclamer l'usage exclusif d'un
territoire de pâturages donné. Dans beaucoup de régions
sahéliennes et semiarides, les coûts d'investissement dans un puits
ou les efforts pour garder la pâture contre les autres bergers
excèdent de loin la capacité d'un individu ou d'une famille.
Quelles sont les formes ou les unités d'organisation qui deviennent
importantes dans ce cas ? Estce le patrilignage, le mode archétype
d'organisation de la société pastorale, ou une unité résidentielle
comme un campement d'hivernage, une communauté, ou, dans un
monde moderne, une entreprise commerciale comme le ranch, ou
enfin une association pastorale de développement? Comment
inclure et exclure des gens et selon quels critères? Comment
décider, qui doit utiliser quoi, où et quand ? Comment affirmer ses
prétentions à l'égard du monde extérieur et l'État, ceux qui
réclament l'autorité sur les terres «vacantes» et les ressources
forestières? Quand un nouveau puits est construit, comment
définir l'accès à ce point d'eau ? Qui doit être admis aux
pâturages? Estce que les membres de la communauté ont le
pouvoir de refuser quelqu'un, et si oui, pour quelle raison et en
quelle saison? Pour compliquer la situation, il y a souvent des
40
Tenure de la terre et territorialité
Quelles sont les significations des termes « tenure de la terre »
et « territorialité » ? Dans la littérature, « tenure de la terre » est le
plus souvent traitée comme un terme juridique, tandis que
«territorialité» est tirée principalement du domaine de l'écologie
et de la culture dans un cadre fonctionnel comme une entité extra
juridique et un élément primordial d'une stratégie d'adaptation.
Casimir (1992: 20) définit comme suit le comportement terri
torial :
« Le comportement territorial humain est un système flexible
dans le domaine cognitif et d'action, lequel vise à optimiser
l'accès aux ressources localisées d'une manière temporaire ou
permanente d'un individu et souvent aussi d'un groupe, lequel
satisfait des besoins ou des souhaits, ou les deux, de base ou
universels ou spécifiquement pour une culture, en réduisant
simultanément la probabilité de conflit sur cellesci» (Casimir
1992 :20, notre traduction).
Quoique cette distinction entre tenure et territorialité ait des
avantages nets d'un point de vue analytique, nous devons attribuer
aussi une signification politicojuridique au terme de territorialité.
Pour la communauté exploitant des ressources dans un territoire
41
42
•
L'ETHNICITE PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
droits imbriqués dans le temps et dans l'espace sur la même
ressource. Enfin, la disponibilité des ressources varie énormément
non seulement selon le rythme des saisons, très marqué au Sahel,
mais aussi en fonction des fluctuations des précipitations et de leur
périodicité.
Ces questions sont historiques dans une certaine mesure, mais
elles doivent en même temps avoir un rapport avec l'environ
nement écologique, notamment dans une situation où la disponi
bilité des ressources est très incertaine à cause des fluctuations
climatologiques comme dans les savanes du Sahel et du Soudan
occidental. Les droits d'accès aux ressources doiventils être
réévalués en des changements dans les conditions? Comment
maintenir la flexibilité d'agir, en assurant la disponibilité des
ressources pour tous, pendant le temps de soudure quand les
besoins sont les plus articulés ? Dans l'établissement de la relation
entre une population et son territoire, le domaine de l'écologie
rencontre le domaine de la politique. D'un côté, la démarcation de
frontières fixes en ce qui concerne le territoire, étant donné les
conditions instables de l'environnement écologique, entraînerait un
blocage dans ce territoire du moment qu'une calamité écologique
se présente. La mobilité et la flexibilité qui sont nécessaires pour
donner une réponse aux hasards seraient limitées jusqu'au point où
la survie serait menacée. De l'autre côté, on a besoin d'une
manière d'exclure des étrangers et de maintenir des frontières,
sinon on créerait le chaos.
L'interdépendance entre la nécessité visant l'accès sûr aux
ressources naturelles, c'estàdire l'impératif de « s'approprier» et
l'exigence de les utiliser d'une manière flexible ou l'impératif de
répondre aux aléas climatiques, est la mieux représentée par les
termes jumeaux « tenure » et « territorialité ». « La "tenure" est un
aspect de ce système de relations, lequel constitue des personnes
comme agents productifs et dirige leurs objectifs ; la territorialité
est un aspect de moyens par lesquels ces finalités sont effectuées
dans une situation écologique donnée» (Ingold, 1986: 131,
italique original, notre traduction). «La territorialité engage la
société dam un système de relations naturelles » (Ingold, 1986 :
136, italique original, notre traduction). Elle est qualitativement
différente de la tenure parce que ce terme signifie « un processus
REGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES
43
continuel ». Les rapports sociaux et la tenure ont un caractère
permanent, tandis que la territorialité se réfère à une « série de
situations synchrones» (Ingold, 1986). La nature, c'estàdire les
conditions écologiques, détermine les possibilités pour l'utilisation
de ces ressources, et, par conséquent, la dimension du territoire
exigé pour la survie, plutôt que la société humaine fixant l'utili
sation de pâturages en avance. La densité et la variété des
ressources, lesquelles connaissent des fluctuations énormes d'une
année à l'autre, déterminent les possibilités pour l'utilisation, les
frontières et la surface nécessaire dans une situation particulière.
Ce processus est essentiellement différent de la culture des
céréales. Les gens investissent la maind'œuvre et le fumier dans la
terre, ce qu'ils tiennent en tenure, et ils essayent de contrôler les
processus naturels pour changer intentionnellement la couverture
végétale. Lorsqu'il s'agit de pâturages, ce n'est pas le fourrage
mais le bétail ou ses produits qui sont appropriés. Cette conceptua
lisation des droits d'accès à la pâture facilite l'usage flexible des
pâturages. Étant donné la distribution inégale de la pluviosité dans
le temps et dans l'espace, une pénurie de fourrage peut être
surmontée par l'envoi d'animaux dans le territoire d'un autre
village s'il n'y a pas un manque de pâturages làbas.
Le contrôle sur un territoire peut être établi de deux manières.
La première passe par le contrôle des ressources qui facilite ou
rend possible l'exploitation de l'espace. L'eau est une telle
ressource. Quoique personne dans la société pastorale ne définirait
le territoire dans le sens spatial, les droits d'accès aux sources
d'eau sont très importants et ont une dimension politique consi
dérable. Des conflits entre pasteurs, d'une part, et entre pasteurs et
cultivateurs sédentaires, d'autre part, ont souvent leur origine dans
l'aménagement de l'eau. L'importance de l'eau comme source de
pouvoir pour des pasteurs est démontrée dans beaucoup d'études
(voir par exemple Thébaud, 1990). Le développement de
nouveaux points d'eau est vu par beaucoup d'observateurs comme
une raison de surgissement des conflits (Horowitz, 1986), et le
contrôle de l'eau a été utilisé par des gouvernements pour exclure
certains groupes de pasteurs en favorisant d'autres pasteurs, mais
aussi des cultivateurs (Kerven, 1992).
44
L'ETHNICITE PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
REGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES
La deuxième manière d'exercer le contrôle sur un territoire
passe par des moyens politiques ou militaires. Les luttes
incessantes entre groupes d'éleveurs nomades à l'époque préco
loniale et lesprétentions des pouvoirs dans les anciens États en
témoignent (EvansPritchard, 1940; Markakis, 1993; Bruijn et
van Dijk, 1995). Par exemple, la Diina ou révolution musulmane
peule dirigée par Sheeku Amadu (18181845), dans le delta
intérieur du Niger au Mali central, ne peut être comprise sans
référence aux prétentions territoriales de l'empire, qui s'étendaient
sur les zones exondées à l'ouest et à l'est du delta (Bruijn et van
Dijk, 1995).
Quelques exemples
Cas 1. Cultivateurs bamana au Mali central (Toulmin, 1992)
Dans ce cas, le caractère dialectique de la relation entre
l'agriculture et l'élevage et entre tenure et territorialité est
démontré très clairement. Les cultivateurs bamana dans la région
d'étude ont abandonné le système de l'association de la culture du
mil et de l'arachide, production commerciale, au profit d'un
système de culture basé exclusivement sur le mil. En vue
d'améliorer les rendements de mil et pour pouvoir gérer deux
systèmes de culture de mil, hâtif et non hâtif, les paysans bamana
investissent des sommes considérables dans la culture attelée, les
bœufs, les puits pastoraux et l'équipement agricole. Par le
creusement des puits et l'installation de parcs à bétail dans les
champs, ils essayent de maintenir à un niveau élevé la fertilité du
sol autour du village afin de pouvoir cultiver les variétés hâtives du
mil qui sont très productives dans ces champs. La production
moyenne de mil sur ces terrains est de 1 000 kilos par hectare, avec
des maximums atteignant jusqu'à 2 000 kilos par hectare dans une
bonne saison, ce qui est beaucoup plus élevé que la moyenne de
215 kilos par hectare pour les champs de brousse cultivés dans un
système de culture itinérante sans aucune utilisation du fumier. La
m
45
productivité de la maind'œuvre est augmentée par l'utilisation de
la charrue en traction de bœufs. De cette manière une personne
peut produire plus de 1 000 kilos en moyenne, et un ménage
moyen cultive plus de 25 hectares de cultures vivrières.
Cependant, il y a un bon nombre de conditions requises pour
que ce système de culture très spécialisé puisse fonctionner de
manière aisée. La fertilité du sol doit être maintenue et les bœufs
doivent être tenus en forme. Ce système de culture est donc très
dépendant du bétail, lequel doit être mis en parcours dans les
environs du village afin de transférer la fertilité du sol de la brousse
aux champs. Cela peut être réalisé par le recrutement de pasteurs
peuls pour qu'ils s'installent aux champs près du village, ou par
l'investissement dans un troupeau par le cultivateur même. Dans
les deux cas, les ménages agricoles investissent dans des puits
situés dans les exploitations afin d'y rendre possible l'installation
des pasteurs et passer un contrat de fumure avec le cultivateur
bamana plus attractif pour les Peuls, ou bien ils diminuent
l'intensité du travail au cas où le troupeau appartient à l'agri
culteur. Afin de garantir un approvisionnement plus régulier et
incertain de fourrage pour ces troupeaux, les cultivateurs bamana
cherchent à avoir plus de contrôle sur la brousse autour du village
que par le passé, car le nombre de bovins et la surface de champs à
fumer commence à s'approcher des limites écologiques dans une
année de pluviosité moyenne.
Dans les stratégies mises en œuvre pour avoir plus de contrôle
sur la brousse, on peut reconnaître des aspects territoriaux ainsi que
des éléments de tenure de la terre. Par le creusement des puits,
l'investissement dans des troupeaux de bovidés et la limitation de
l'accès aux puits à leurs propres troupeaux, ils augmentent le
nombre et la densité de leurs animaux dans la brousse autour du
village. De cette manière, ils rendent la pâture dans cette zone
moins attractive pour les autres, le plus souvent les pasteurs peuls.
Cette « stratégie » peut être considérée comme la partie territoriale
de l'ensemble des régulations de l'accès aux ressources naturelles.
L'aspect foncier du contrôle sur la brousse se compose de la
régularisation de la distribution de terres à cultiver aux nouveaux
venus comme les éleveurs peuls. Contrairement à la loi malienne
qui stipule que l'accès à la terre en vue de la cultiver est libre pour
t«
^«^
46
L'ETHNICITE PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
tous si cette terre est vacante et si une autorisation est obtenue de
l'autorité administrative, les autorités traditionnelles villageoises
limitent ce droit ainsi que la permission de creuser un puits aux
habitants autochtones du village. Aux étrangers bamana, qui
veulent s'installer sur le terroir du village, et aux éleveurs peuls ne
sont donnés que des droits d'accès temporaires et conditionnels sur
la terre à cultiver. Lorsque le contrat de fumier d'un éleveur peul
est fini, ses droits d'accès à la terre expirent aussi. En cas de
conflits, l'administration tranche le plus souvent en faveur des
paysans sédentaires'. Selon la coutume, les droits sur la terre dans
le terroir villageois sont inaliénables ni par la vente, ni par le bail.
Contradictoirement, la permission de construire un puits sur un
champ implique bien sûr une revendication permanente des droits
sur cette terre, interdite par la «coutume». Toulmin (1992 : 203)
rapporte qu'un éleveur peul, qui avait habité dans le terroir
villageois depuis trente ans et avait voulu s'y installer à demeure et
creuser un puits, avait été obligé d'y renoncer. On amena le cas
devant la justice jusqu'à Bamako, la capitale. Ainsi donc, par leur
contrôle sur la terre et l'eau, les habitants du village sont capables
de forcer des troupeaux, visitant le terroir villageois, de fumer leurs
champs et de poser les conditions pour le contrat de fumier.
Cas 2 : éleveurs peuls et cultivateurs riimaayße (Bruijn et van
Dijk, 1995)
Dans cette étude, un exemple totalement différent de la relation
dialectique entre tenure et territorialité est examiné. Dans le
voisinage d'un groupe de campements, où nous avons fait
ensemble nos recherches de terrains, les anciens captifs des Peuls
(rimaayße) ont défriché des champs de brousse pendant l'époque
coloniale. Lorsque le cheptel commençait à augmenter, les
problèmes d'aménagement se multipliaient à cause de l'accrois
sement des cas de dégâts de cultures commis par les troupeaux en
1
Cela dépend souvent de la taille des « dons » offerts par les parties en conflit
Un village est capable de mobiliser beaucoup plus de ressources pour de tels
dons qu'un éleveur à lui seul
REGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES
47
liberté. Les champs de brousse étaient dispersés et cet éparpil
lement empêchait l'exploitation de la brousse comme pâturage.
Les éleveurs peuls, qui menaient leurs troupeaux dans les champs,
demandaient aux riimaayße d'abandonner leurs champs de
brousse. En plus, les éleveurs plaçaient des campements pastoraux
entre les champs de brousse aux terres vacantes sans cependant
violer les droits des riimaayße sur leurs champs. A cause de ces
actions, la densité des bovins devenait si importante que les
riimaayße ne pouvaient rien faire que de laisser leurs champs par
nécessité.
Ces événements ont entraîné la concentrations des champs
autour du hameau des riimaayße à une distante suffisante de ces
nouveaux campements et des pâturages des éleveurs peuls2. Ces
terres étaient mises sous un régime de culture permanente. Cette
évolution s'expliquait par la découverte de réserves d'eau
souterraines à côté du hameau des riimaayße. Ces réserves d'eau
permettaient aux habitants de rester plus longtemps dans les
environs après l'épuisement d'autres sources d'eau dans la région.
Elles étaient considérées comme des propriétés privées. De cette
manière, il était posible de conclure des contrats de fumure par
l'échange de l'eau contre le fumier, et on arrivait à rendre les
champs autour des hameaux plus productifs. Mais la concentration
du bétail sur les réservoirs rendait les champs environnants plus
précieux que ceux éloignés. En allant et retournant en brousse, les
animaux laissaient plus d'excréments près des réserves d'eau
souterraines qu'ailleurs, et ce fumier ne coûtait rien. Un marché de
terre animé se développait. Les riimaayße qui avaient excavé des
réservoirs et les ont obtenus en priorité essayaient d'acheter des
champs près du hameau. Les éleveurs faisaient de même.
Dans ce cas, on voit que le comportement territorial des
éleveurs peuls est orienté nettement vers la protection de leurs
intérêts dans l'élevage. Ce n'est pas le résultat d'une réponse
adaptée aux conditions écologiques. A cause de ce comportement
territorial, les arrangements fonciers subissent des changements
II y avait également un certain nombre d'éleveurs peuls cultivateurs de
champs de brousse Eux aussi étaient obliges de les abandonner et de
transférer leurs activités agricoles à un autre endroit
f
L'ETHNICITE PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
REGIMES FONCIERS ET AMÉNAGEMENT DES RESSOURCES
fondamentaux et une distribution de la terre entre l'agriculture et
l'élevage est créée, une distribution totalement différente de la
précédente. Les Peuls s'approprient la brousse ; les riimaayße ne
sont capables de résister à la pression peule que par leur contrôle
d'une partie des ressources d'eau pour la saison sèche sous forme
de réservoirs d'eau souterrains.
Les changements n'étaient pas encore finis. Par la création de
nouveaux campements pastoraux, les Peuls inventaient une
catégorie de terre, au sens juridique, appelée le wiinde. Par
l'installation des animaux dans ces campements une couche
épaisse de fumier se constituait en quelques années. Lorsque cette
couche était suffisamment épaisse, les éleveurs commençaient à
déplacer les campements, créant ainsi de petits champs très
productifs. Les droits sur les sols du wiinde étaient basés sur la
quantité de fumier déposée par le troupeau d'une personne.
A quelques kilomètres, les éleveurs découvraient un site où on
pouvait construire un puits. Dès qu'il était construit, la terre
environnante était divisée entre les lignages peuls qui avaient
contribué à sa construction. Les aînés obtenaient les champs les
plus précieux, près du puits, à cause du dépôt des excréments, les
cadets recevaient le reste par ordre généalogique.
Ainsi aton intensifié la culture avec l'aide de fumier produit
par les animaux et par la restructuration des droits fonciers. Ce
redressement avait aussi des conséquences importantes pour le
contrôle sur la zone de pâture. Le contrôle du puits et de la terre
environnante par les éleveurs empêchait l'utilisation des pâturages
des environs, sauf par la voie de leur permission. On devrait
demander la permission aux lignages possesseurs ou à un individu
avant de puiser l'eau du puits. Lorsqu'il s'agit d'un individu, ce
consentement est accordé, à condition que le visiteur s'installe
avec son troupeau sur les champs de son hôte afin d'y mettre le
fumier.
Ces arrangements ne sont pas automatiquement valables dans
le cas des champs et des réservoirs d'eau dans un hameau
riimaayße, parce que toutes les ressources ici étaient tenues en
propriété privée. Néanmoins, une étude plus précise démontre que
toutes les transactions de vente, de location des champs ou des
réservoirs d'eau étaient contrôlées d'une manière informelle par la
communauté des hommes, le suudu baba. Avec ces manipulations,
on pouvait empêcher les étrangers d'avoir accès aux champs, aux
sources d'eau et aux pâturages. De cette façon, on pouvait imposer
des restrictions sur l'accès aux pâturages des étrangers en cas de
nécessité, et en même temps préserver la flexibilité d'échanger
l'accès aux pâturages avec les communautés des éleveurs
avoisinants dans des conditions régulières. Les éleveurs peuls et
même les cultivateurs riimaayße citent ces considérations
territoriales de façon explicite comme une raison importante pour
préserver le consensus dans ce groupe de campements.
Contrairement au cas précédent, cette situation était favorisée
par le gouvernement et les interventions de développement
concernant la construction des forages et le surcreusement des
mares à partir de la fin des années 50. Les forages ont amené des
imprécisions en ce qui concerne la tenure de la terre et la
territorialité, et ont provoqué quelques conflits violents. Après la
sécheresse de 1971 à 1973, une nouvelle vague de ce type
d'interventions se déployait à l'initiative des bailleurs de fonds
internationaux. Ces communautés, en particulier, ont résisté avec
succès aux transgressions sur leur territoire en invoquant le fait
qu'ils avaient déjà leurs propres sources d'eau. Cependant, ils ne
pouvaient pas empêcher l'établissement d'une réserve de pâturage
contrôlée, le contournement de cette réserve localisée dans leur
« territoire » et le surcreusement d'une grande partie de la mare à
côté du hameau des riimaayße. Au début, les éleveurs de ces
communautés étaient les utilisateurs principaux de cette réserve et
de la mare. Depuis la sécheresse des années 19831985, des
étrangers sont présents sur leurs pâturages une grande partie de
l'année, les éleveurs autochtones ayant perdu leurs bœufs lors de la
sécheresse.
48
49
50
L'ETHNICITÉ PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
RÉGIMES FONCIERS ET AMÉNAGEMENT DES RESSOURCES
L'État
Étant donné ce type de développement, il y a debonnes raisons
d'inclure une dimension politicojuridique dans notre conception
de la territorialité. Toutes les populations pastorales du monde
vivent dans le cadre d'un territoire national. L'Etat est devenu un
des acteurs principaux sur le plan du contrôle des ressources
naturelles existantes. Depuis longtemps, les cultivateurs sédentaires
et les éleveurs transhumants composent avec et utilisent l'appareil
d'État dans le domaine du contrôle des ressources naturelles. Au
Mali central, cela n'est pas une invention coloniale. Au XIXe siècle,
l'empire des Peuls du Maasina développait un système de
régulations en ce qui concerne la tenure de la terre, les droits de
pêche et des territoires de pâturage dans le delta intérieur du Niger.
Ce système continue toujours de fonctionner, mais dans de moins
bonnes conditions. A cause des interventions de l'État indépendant
du Mali, il y a une imprécision croissante de droits locaux, des
problèmes d'indiscipline, une trangression des territoires pastoraux
par des riziculteurs et une privatisation déguisée des parcours de
pâturages par les autorités de la terre peules, dans une situation où
le gouvernement n'a pas la crédibilité et la capacité d'aménager la
planification de la terre (Gallais, 1984 ; Moorehead, 1991).
Les États ouestafricains interviennent de plus en plus dans le
domaine de la tenure de la terre et du contrôle des ressources
forestières et des pâturages. Quoiqu'ils ne se soient pas intéressés
aux forêts et aux pâturages dans le passé, l'intérêt croissant de la
part des bailleurs de fonds pour les questions de dégradation de
l'environnement, de la désertification et la nécessité de sécuriser
les revenus pour l'appareil d'État par la promotion de l'exportation
de bétail ont incité les gouvernements ouestafricains à se soucier
plus directement de la tenure de la terre et de la territorialité que
par le passé. Afin d'aborder le rôle de l'État, il est nécessaire
d'étudier les suppositions qui inspirent les interventions et les
régulations des gouvernements. Elles ont une pertinence immé
diate pour notre propos et pour la situation des migrants qui
cherchent à avoir accès aux ressources naturelles dans les régions
d'accueil.
51
Gallais et Boudet, par exemple, décrivent la situation de la zone
exondée de la cinquième région administrative au Mali comme
suit:
« La situation des régions sèches qui s'étendent à l'Est du
Delta, du plateau de Bandiagara, plaine du Séno, Gourma, est
beaucoup plus simple (...). Dans les régions de village, le système
foncier est de type soudanien classique ; propriété collective des
clans fondateurs du village arbitrée généralement par un "chef de
terre", gestionnaire qui est l'aîné du clan le plus ancien du village.
Ce système est à peu près admis par toutes les ethnies paysannes,
Dogon, Houmbébé, Sonraï, Rimaïbé et par les Peuls agriculteurs
de la région. L'évolution politique a fait dans ces régions tomber
en désuétude les droits fonciers auxquels ont prétendu certains
chefs de territoire comme les chefs peuls du Gondo » (Gallais et
Boudet, 1979: 14).
vf
Ainsi l'accès à la terre est défini par l'affiliation à la commu
nauté composée de lignages qui ont des rapports historiques. Dans
ces rapports, on peut définir une hiérarchie politique basée sur la
primogéniture et l'autorité des premiers occupants. Dans le cas des
sociétés agricoles, où prédominent des croyances religieuses
ancestrales, les « chefs de terre » sont les aînés des lignages des
premiers occupants. Ils redistribuent ou donnent aux gens la
permission de défricher la terre. L'autorité de ces chefs coexistent
souvent avec les autorités politiques qui peuvent être d'origine
ethnique ou historique différente. Tant que les systèmes de tenure
de la terre sont influencés par l'islam ou la colonisation, des
déviations sur cette image sont possibles. Dans les sociétés
musulmanes, c'est au chef politique ou amiiru que revient la prise
de décision finale sur la terre et les affaires qui lui sont associées.
A l'exception de l'autorité religieuse, toutes les tâches adminis
tratives étaient concentrées dans ses mains. La terre était un bien
comme les autres et est même devenue un bien qui peut être vendu
dans beaucoup de lieux (Kintz et Traoré, 1993 : 13)3.
3.
Sans doute cette tendance étaitelle renforcée par la juridiction pendant
l'époque coloniale. On peut trouver ces principes presque verbahm dans le
*^kuf!f
L'ETHNICITÉ PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
REGIMES FONCIERS ET AMÉNAGEMENT DES RESSOURCES
Dans la pratique, les principes indigènes, musulmans et
coloniaux en ce qui concerne la tenure de la terre étaient bien sûr
souvent utilisés en combinaison, ce qui provoquait des conflits
d'intérêts entre individus, autorités lignagères et chefs politiques.
Dans un rapport trimestriel de l'administration du cercle de
Douentza en 1948, on peut lire :
était renforcé et même les droits coutumiers dépendaient du bien
public. L'exclusion d'une grande partie de la population (les
anciens esclaves) des centres du pouvoir politiques avant et
pendant l'époque coloniale était complètement négligée. Seules les
élites avaient l'accès libre à la terre. Les riimaayße demeuraient
complètement dépendants de leurs maîtres. C'est à l'indépendance
que le pouvoir des chefs sur la terre sera limité à la faveur de
l'administration et que de nouvelles terres seront mises à la
disposition des démunis.
Comme nous l'avons vu, les systèmes de tenure de la terre dans
les zones exondées au Mali central étaient beaucoup plus divers,
beaucoup plus spécifiques d'une localité à une autre et beaucoup
plus dynamiques qu'on les a souvent décrits dans la littérature. Par
conséquent, les politiques des gouvernements envers les systèmes
indigènes de tenure et de territorialité et la gestion de l'environ
nement étaient basées sur des informations limitées. En plus, ces
politiques ont souvent eu pour but de supprimer la diversité locale
dans ce domaine afin d'établir de manière incontestée l'hégémonie
de l'Etat sur les populations et ses ressources.
52
«... Les cultivateurs cherchent à échapper à la propriété
collective et à établir de façon indiscutable leurs droits sur les
terres qu'ils ont reçu en héritage. Les affaires de revendications de
champs ont été nombreuses. De leur côté les chefs ont tendance à
abuser des droits que les coutumes leur reconnaissent sur les
terres. (...) Douentza souffre particulièrement de cet état de fait, car
les chefs ont toujours été très puissants et n'ont jamais eu auprès
d'eux des assimilés de notables pour les conseiller4. »
II semble qu'il y ait une tension entre les exigences d'une
certaine mesure de contrôle communal afin de ne pas créer de
désordre dans l'exploitation des ressources naturelles et les besoins
des individus pour l'aménagement flexible de leurs propres
moyens de vie. L'administration supportait probablement les chefs
qu'elle regardait comme son outil principal servant à prévenir des
tendances anarchistes dans la région5. D'autre part, elle se sentait
obligée de promouvoir les bienfaits de la propriété privée6. En
général, les autorités coloniales intervenaient le moins possible
dans la matière foncière au niveau local. A l'indépendance, le
pouvoir gouvernemental sur les forêts et les parcours de l'élevage
4.
5
6
procèsverbal de la cour française de Bandiagara, dans un texte en réponse à
des conflits sur la terre. Cf. Archives nationales, Bamako, Fonds anciens,
2M56, Justice Indigène : Rapport sur le fonctionnement des tribunaux,
cercle de Bandiagara, 19051920. 1906 : Rapport sur la justice.
Archives nationales, Bamako, Fonds récents, 1E15 : Rapports politiques et
rapports de tournées: cercle de Douentza, 19411954, Revue des
événements, deuxième trimestre 1948
Archives nationales, Bamako, Fonds récents, 1E132. Transhumance et
droits de nomadisations, 19211931 ; le gouverneur des Colonies, lieutenant
gouverneur du Soudan français à M. le commandant du cercle, 5 avril 1927
Archives nationales, Bamako, Fonds anciens, 3R39 • Eaux el Forets 1916
1918 l'administrateur en chef de T classe à MM les commandants des
cercles et le commandant de la région de Tombouctou, 16 avril 1916
53
Les droits sur l'eau, les forêts, les pâturages et l'intervention
gouvernementale
Les droits sur les forêts et les pâturages étaient définis de façon
moins claire. Dans la pratique, presque tout le monde était capable
de les utiliser. Ce fait amenait les observateurs à conclure qu'il n'y
a pas de droits d'exclusion ni de régime foncier sur ces catégories
de terre. Cependant, des administrateurs coloniaux n'ont pas
manqué de remarquer que la suppression de la pratique des razzias
et de la guerre quasi permanente entre les sociétés pastorales dans
le Gourma malien a causé le chaos dans les mouvements des
troupeaux et des populations7.11 semble qu'il y avait des principes
permettant de régler l'utilisation des pâturages dans ces régions
7.
Voir note 5.
54
L'ETHNICITÉ PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
arides avant même l'époque coloniale. Il est presque certain que
ces principes se composaient d'une combinaison dynamique entre
le pouvoir militaire, les besoins de pâturage et l'incidence
occasionnelle de la guerre et du pillage. Les habitants de ces zones
exondées défendaient non seulement leur famille et leur bétail dans
la guerre, mais préservaient aussi le terroir nécessaire pour faire
paître leurs bœufs et des terres qui pouvaient être défrichées par
leurs esclaves et leurs dépendants.
Donc, il y a des prétentions historiques sur des terroirs,
cependant non valables sur la base des règles et des lois précises
dans un espace bien défini par des frontières, mais sur le pouvoir
militaire et l'autonomie politique. La base de toute réclamation sur
un terroir donné s'évaporait avec la soumission des chefferies
indigènes et le déclin de leurs hiérarchies politicomilitaires. C'est
pourquoi les droits sur des terroirs n'existent pas au sens juridique
dans le domaine privé de l'État, auquel toutes les «terres
vacantes » appartiennent aujourd'hui. Le seul titre reconnu par
l'État et les observateurs des systèmes fonciers était celui sur des
ressources d'eau. La relation entre l'accès à l'eau et à la pâture
environnante est la suivante :
« L'espace ne fait l'objet de droits fonciers d'aucune sorte. La
terre est à tous. Les parcours pastoraux délimitent de fait
d'approximatifs territoires tribaux, mais ils s'enchevêtrent, se
superposant en certains lieux et aucun groupe ne revendique de
droits exclusifs sur ces pâturages sahéliens. (...) Les seuls droits
traditionnels portent sur les puits qui "appartiennent" à la
collectivité ou aux individus qui les ont forés. C'est par ce biais
que quelques "droits d'usage" peuvent être revendiqués sur les
terres qui les entourent » (Gallais et Boudet, 1979: 14).
Par la suite, Kintz et Traoré spécifient que « c'est l'accès à
l'eau qui détermine l'accès aux pâturages environnants » (Kintz et
Traoré, 1993 : 12). Cependant, les questions : quels droits l'accès à
l'eau et à la pâture entraînent, pour combien de temps, à quelle
période de l'année, et quel est leur rapport avec la diversité dans
les conditions écologiques dans les zones arides au Mali central, ne
sont pas spécifiées. La complexité est seulement reconnue dans le
RÉGIMES FONCIERS ET AMÉNAGEMENT DES RESSOURCES
55
delta intérieur du Niger (Gallais, 1984 ; Gallais et Boudet, 1979 ;
Moorehead, 1991 ; Kintz et Traoré, 1993). Il semble que là
seulement des droits d'accès aux pâturages et à l'eau soient
codifiés dans la forme des règles de la Diina*.
Il apparaît aussi que le gouvernement opérait une discrimi
nation contre les populations non sédentaires, comme les éleveurs
et les cueilleurs, en ce qui concerne leurs prétentions sur des
territoires. Comme la jurisprudence et le cas des cultivateurs
bamana le montrent, les droits sur le territoire autour du village
sont reconnus. Dans le cas des Peuls au Mali central, ces droits
étaient violés par l'administration et par les organisations de déve
loppement. Cependant, on ne sait pas si ces droits concernaient le
droit d'attribuer la terre à cultiver ou incluaient aussi le droit
d'attribuer le droit de pâture. « Lors de l'installation d'une famille
en un point quelconque de la brousse, le chef de famille est, de
droit, propriétaire de tout le terrain autour du lieu où il s'établit
dans les limites du pacage journalier d'un bœuf9. » Ce jugement,
bien sûr, ne concernait pas les communautés patorales et leurs
droits sur les territoire villageois. Pour cela, ils devaient d'abord se
sédentariser et former un village officiel. Si un village n'a pas de
statut officiel, ses habitants ne peuvent pas disposer du territoire
environnant.
Ces points de vue forment le contexte dans lequel le gouver
nement conceptualise les droits d'accès à la terre et aux pâturages,
et transforme ces conceptions en interventions politiques en ce qui
concerne l'utilisation et la gestion des ressources naturelles. Cela
est visible particulièrement dans le cas des projets et des inter
ventions dans le domaine d'aménagement de terroir villageois
(ATV). L'idée d'ATV est présentée depuis quelque temps déjà
comme la panacée pour tous les maux dans le domaine de la
dégradation de l'environnement. Dans ce cadre, on envisage
9.
Cette codification de l'accès à la terre, la pâture, l'eau et la pêche a subi
beaucoup de changements officieux et des manipulations au cours de
l'histoire (voir Gallais, 1984; Moorehead, 1991), et il est douteux si c'est
justifié d'utiliser les règles définies par Sheeku Amadu comme la base de
l'administration de la justice et l'attribution de la terre et des droits d'accès à
la pâture. Le code de la Diina, aujourd'hui, est probablement totalement
différent du code de la Diina au XIXe siècle
Voir note 5.
*
i
56
L'ETHNICITÉ PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
d'arriver à une gestion plus durable des ressources naturelles par
une planification plus rationnelle de l'utilisation de la terre au
niveau local afin d'ingérer des mesures gouvernementales dans les
communautés locales sahéliennes. C'est surtout dans les zones
d'immigration que beaucoup d'efforts sont faits par des services
gouvernementaux pour introduire cette conception de la plani
fication au niveau villageois, entre autres afin de créer des
«politiques démocratiques locales de haut en bas» (Engberg
Pedersen, 1995). Il faut noter que dans presque toutes les zones
d'immigration, les Peuls sont minoritaires et que la décentra
lisation administrative et la réforme foncière qui sont en ce
moment favorisées par les bailleurs de fonds (CILSS/Club du
Sahel, 1994) ne sauvegarderont pas automatiquement la position
des groupes minoritaires au niveau local, surtout dans le domaine
foncier.
Quoique ces efforts dans la réforme foncière et la décentra
lisation soient bien intentionnés, il faut douter des résultats
éventuels et de leurs conséquences sur les rapports entre culti
vateurs et éleveurs. En principe, ATV est exécuté au niveau du
village. Dans beaucoup de cas, les villages ne sont qu'une
construction administrative. Le groupe de campements dans la
deuxième étude de cas se composait d'éleveurs peuls et de
cultivateurs Himaayße qui, officiellement, appartiennent aux chefs
lieux de deux arrondissements, l'un à trente kilomètres, l'autre à
cinquante kilomètres. Les éleveurs, notamment dans les zones
d'immigration, ne sont que rarement des habitants officiels du
village où ils s'installent, même lorsqu'ils ont un rôle important
dans la gestion de l'environnement et des intérêts bien fondés. En
plus, ils sont regardés par la population sédentaire comme
marginaux, quoique tolérés temporairement. La délégation de
l'autorité administrative au niveau local augmentera le pouvoir des
cultivateurs sur le terroir utilisé par les éleveurs. Cela peut gêner la
coordination régionale des mouvements de bétail et troupeaux, par
le blocage des routes pour les troupeaux qui sont absolument
essentiels pour un secteur pastoral viable (Grayzel, 1990 ; Basset,
1994), et peut mener à l'exclusion des éleveurs du processus des
prises de décisions (Marty, 1992).
RÉGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES
57
Discussion : la pluralité juridique
Comment analyser ces thèmes d'une manière qui soit simul
tanément productive du point de vue théorique, de sorte que nous
puissions étudier la tenure de la terre et la territorialité dans le
cadre décrit cidessus, et du point de vue pratique de sorte que
nous puissions apporter une contribution à la solution des
problèmes croissants dans le domaine foncier dans les environ
nements pauvres en ressources naturelles. Un tel cadre doit obliga
toirement s'orienter vers le dynamisme dans les arrangements
concernant le foncier et vers les interactions entre les valeurs et les
règles locales, indigènes ou coutumières, les lois de l'État et les
pratiques de tous les acteurs pour arriver à leur but, c'estàdire de
sécuriser leur subsistance, de promouvoir le pouvoir de l'État ou le
service gouvernemental ou d'atteindre les objectifs des projets de
développement10.
Le cadre le plus commode pour analyser la dynamique des
relations foncières et la territorialité est la « pluralité juridique »
(von BendaBeckmann, 1983, 1992; Griffiths, 1986). Dans la
plupart des États de l'Afrique de l'Ouest, la juridiction étatique et
coutumière ou indigène coexiste. Des droits se trouvent sur les
mêmes ressources et peuvent être tenus par des catégories ou
groupes sociaux et ethniques différents. Des complexes normatifs
pluraux peuvent se rapporter sur la même ressource. Les acteurs
dans de telles situations peuvent recourir à des corps distincts de
règles dans différentes conditions et peuvent tirer leur inspiration,
leur justification et leur explication idéologique de ces sources
multiples.
Dans les rapports sociaux relatifs à la propriété et aux
ressources, «des relations dynamiques et historiques entre
différentes lois dans la pensée et praxis des gens » (von Benda
Beckmann, 1992 : 207) sont donc emboîtées. Ces rapports sociaux
10. Cela ne veut pas dire que ces organisations sont des outils neutres ou
bénévoles dans la lutte pour le progrès et le bien public (voir Quarles van
Ufford, 1988: 16). Souvent, ils ont leur propre dynamisme dérivé de la
structure de l'organisation du projet ou du service gouvernemental Un tel
exemple est décrit dans Bruijn et van Dijk (1995).
L'ETHNICITE PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
REGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES
et les régimes de propriété et fonciers reflètent les voies dans
lesquelles les diverses catégories des gens comprennent non
seulement leur situation écologique, marquée par l'insécurité, mais
aussi d'autres facteurs incertains d'origine économique, sociale ou
politique. Cette insécurité est particulièrement présente en
situations de migration. Les rapports sociaux relatifs à la tenure de
la terre et à la territorialité ne peuvent pas seulement être regardés
comme des réponses adaptées à l'insécurité écologique, ni comme
un résultat direct des hiérarchies politiques, des valeurs ou des
normes religieuses. On doit plutôt les regarder comme composant
un domaine d'activité sociale où les conséquences des sources
diverses d'insécurité se rencontrent et sont entremêlées.
Dans une situation de pénurie, les individus et les groupes
essayent de manipuler et de négocier afin de courber les régimes
de propriété et fonciers dans la direction désirée étant donné leur
situation et leurs objectifs. Les structures normatives et juridiques
forment une matrice vers laquelle ils orientent leurs prétentions et
décisions relatives à la distribution de la propriété et la tenure des
ressources. La compétition pour ces ressources résultant d'une
base écologique en déclin où la croissance de la population
entraîne inévitablement des conflits et peut changer la nature et le
contenu des régimes de propriété et fonciers, et, par conséquent, les
rapports sociaux entre les gens, lesquels sont emboîtés par ces
régimes. La société est donc transformée par les solutions
développées par les gens pour ces problèmes et ces conflits.
Une telle perspective a pour conséquence que nous aban
donnons les approches normatives ou orientées vers la politique à
l'étude de régimes fonciers, approches qui sont basées sur la
supposition que des règles sont valides sans tenir compte du temps
ou de l'espace. La comparaison entre ce qu'il faut et ce qui est,
procédure normale dans ces approches, mène à une réduction de la
réalité à sa relation avec les affirmations/prétentions normatives du
système légal étudié (von BendaBeckmann, 1992: 308). Ces
affirmations normatives peuvent être dans le domaine juridique,
économique, politique ainsi qu'écologique. Une autre supposition
cachée dans l'étude de régimes de propriété et fonciers est qu'il y a
un seul système unitaire juridique fort et pertinent à un moment
donné (von BendaBeckmann, 1992 : 309), ou que c'est au moins
une situation désirable. Cependant, dans presque chaque région
pastorale du monde, des règles coutumières coexistent avec les
ensembles juridiques de l'État et les arrêtés associés, menant à une
situation de pluralisme juridique et même à une symbiose de divers
systèmes juridiques (von BendaBeckmann, 1992), laquelle, loin
d'être toujours désastreuse, peut donner plus de flexibilité à
l'utilisation et l'aménagement de ressources naturelles dépendant
des besoins divers des utilisateurs. Dans cette perspective, les voies
dans lesquelles les ressources sont attribuées à des groupes en
compétition sont plus un processus politique que juridique, et
profiteront dans un accès différentiel à des groupes sociaux et
individus divers.
Une autre conséquence de cette norme d'un système juridique
unitaire est qu'elle est appliquée à la pratique, ce qui mène à la
négligence de l'étude d'arrangements ou de mécanismes non
juridiques. Dans la vie réelle, d'autres moyens comme la
corruption, la violence, les razzias, l'intimidation militaire, les
relations politiques, le népotisme et les rites (Johnson et Anderson,
1988; Schlee, 1992) jouent souvent un rôle déterminant La
littérature ethnographique sur les sociétés pastorales est pleine
d'exemples à ce propos, quoique ce corps n'ait jamais été analysé
dans cette perspective. Même des réformateurs progressistes de la
politique mettent ces réalités en dehors de leurs analyses et,
inévitablement, composent des cadres prescriptifs et volontaristes,
et donc irréalistes, pour la transformation des régimes fonciers.
En plus, la question de la variabilité des ressources n'est jamais
posée. La démarcation de frontières joue un rôle crucial dans la
définition des bottes claires de droits sur des ressources. Derrière
l'argumentation en faveur de la création des frontières se trouve la
supposition qu'on peut créer un cadre de règles basées sur les
attentes et les calculs des utilisateurs et des fonctionnaires
relativement au courant des coûts et revenus des ressources. Un tel
cadre clair donne plus de sécurité aux utilisateurs. Ainsi, on
suppose qu'on peut calculer et négocier la quantité d'une ressource
spécifique dont les utilisateurs ont besoin pour leurs objectifs de
production, et qu'on peut estimer combien les utilisateurs peuvent
gagner avec ces négociations visàvis d'autres individus et
58
59
60
L'ETHNICITÉ PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
groupes qui s'intéressent aussi à l'usage et l'aménagement des
ressources.
Mais, dans la pratique, on ne peut pas prévoir ces coûts et
revenus, surtout dans les régions arides et semiarides où la
production de biomasse connaît des fluctuations énormes avec les
aléas climatiques. Dans beaucoup d'instances, la nature plutôt que
la société détermine la disponibilité et donc les possibilités pour
l'utilisation des ressources. Par conséquent, la définition de
frontières strictes est devenue un exercice académique pour les
utilisateurs concernés. L'accès doit être renégocié à chaque
moment et reste toujours temporaire en raison de la nature des
conditions écologiques.
Ainsi donc, les régimes de propriété et fonciers et les frontières
dynamiques entre éleveurs transhumants et cultivateurs sédentaires
doivent être analysés comme des phénomènes historiques, dans un
cadre spatial et historique, qui sont constamment recréés dans un
processus dialectique avec la réalité quotidienne. Les complexes
normatifs et juridiques qui encadrent l'accès aux ressources et les
rapports interethniques se composent de réseaux de normes, règles
et régulations relatifs à l'accès à une variété de ressources, sous
diverses conditions, et aux formes d'organisation sociale très
hétérogènes. Ces réseaux doivent être suffisamment flexibles pour
permettre aux individus et aux groupes de gérer les dynamiques
dans la disponibilité des ressources caractéristiques des régions
(semi) arides de l'Afrique de l'Ouest. D'autre part, ils doivent être
marqués par une certaine mesure de rigidité pour prévenir le chaos
résultant de l'insécurité dans la disponibilité des ressources. Cela
ne veut pas dire que nous pouvons postuler une relation
fonctionnelle entre les divers types de régimes fonciers et la
situation écologique. Au contraire, nous pensons que, étant donné
les oscillations dans la disponibilité des ressources, il y a une lutte
permanente entre éleveurs et cultivateurs pour ces sources de vie
rares et, en ce qui concerne le contenu et l'interprétation des règles,
que cette compétition augmentera à cause de la tendance récente
des deux groupes à se rapprocher sur le plan technique.
RÉGIMES FONCIERS ET AMÉNAGEMENT DES RESSOURCES
61
Bibliographie
BASSET Thomas J., 1993, «Land use conflicts in pastoral
development in northern Côte d'Ivoire», in T.J. Basset et
D. Crummey (eds), Land in Africa agrarian Systems, Madiso,
University of Wisconsin Press, 131 154.
—1994, «Hired herders and herd management in Fulani
pastoralism (northern Côte d'Ivoire)», Cahiers d'études
africaines, XXXIV (13), 133135 : 147175.
BENDABECKMANN Franz von, 1983, Op zoek naar het kleinere
euvel in de jungle van het rechspluralisme (inaugural lecture,
Wageningen Agricultural University).
—1992, «The symbiosis of indigenous and Western law in
Africa and Asia », in W .J. Mommsen et J.A. de Moor (eds),
European expansion and law : the encounter of european and
indigenous law in the 19th and 20th Century, Oxford, New
York, Berg Publishers, 307325.
BERNARDET Philippe, 1984, Association agricultureélevage en
Afrique : les Peuls semitranshumants de Côted'Ivoire, Paris,
L'Harmattan.
BOUTRAISJean, 1990, «Les savanes humides, dernier refuge
pastoral : l'exemple des Wodaabe, Mbororo de Centrafrique »,
GenèveAfrique, 28 (1) : 6590.
BRUIJN Mirjam de & Han van DlJK, 1995, Arids ways : cultural
understanding of insecurity in fulbe society, Central Mali,
Ph.D. thesis, Wageningen Agricultural University, Utrecht
University, Amsterdam, Thela Publishers.
—1995 (in press), « Pastoralists, chiefs and bureaucrats, a
grazing scheme in Central Mali », in J.P.M. van den Breemer,
C.A. Drijver et B. Venema (eds), Local resource management
in Africa, Londres, John Wiley and sons.
CASIMIR M., 1992, « Introduction to territoriality », in M. Casimir
et A. Rao (eds), Mobility and territoriality among pas taraiists,
hunters, fishers andperipatetics, Oxford, Berg Publishers.
CILSS/Club du Sahel, 1994, Le foncier et la gestion des
ressources naturelles au Sahel, synthèse régionale pour la
conférence régionale sur la problématique foncière et la décen
62
L'ETHNICITE FEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
tralisation au Sahel, Praia (CapVert), Document préparé par
Gerti Hesseling et Boubakar Moussa Ba, avec la collaboration
de Paul Mathieu, Mark S. Freudenberg et Samba Soumare.
DELGADO Christopher L., 1979, The southern fulani farming
system in Upper Volta : a model for the intégration of erop and
livestock production in the west african savannah, African
Rural Economy Paper, 20, Department of Agricultural
Economies Michigan State University.
DUPIRE Marguerite, 1970, Organisation sociale des Peuls, Paris,
Pion.
ENGBERGPEDERSEN, 1995, Creating local démocratie politics
from above : the « gestion de terroirs » approach in Burkina
Faso, Londres, IIED, Issue paper n° 54, Drylands Programme.
FRANTZCharles, 1980, «The open niche: pastoralism and
sedentarization in the Mambila Grasslands (Nigeria)», in
P.C. Salzman (éd.), When nomads seule, Brooklyn, Praeger,
J.F. Bergin Publishers.
GALLAIS Jean, 1984, Hommes du Sahel. Espaces, temps et
pouvoir. Le delta intérieur du Niger 19601980, Paris,
Flammarion.
GALLAIS J. et G. BOUDE!, 1979, Étude d'un avantprojet de code
pastoral, concernant plus spécialement la région du delta
central du Niger au Mali, Maison Alfort, IEMVT.
GRAYZEL John A., 1990, «Markets and migration: a fulbe
pastoral system in Mali », in John G. Galaty et Douglas
H. Johnson (eds), The World of pastoralism : Herding Systems
in comparative perspective, New York, The Guilford Press,
3568.
GRIFFITHS J., 1986, « What is légal pluralism », Journal of Légal
Pluralism,24(\): 150.
HOROWITZ Michael M., 1986, « Ideology, policy, and praxis in
pastoral livestock development », in Michael M. Horowitz et
Thomas M. Painter (eds), Anthropology and rural development
in WestAfrica, Boulder, Colorado, Westview Press, 251272.
iNGOLDTim, 1986, The Appropriation of nature: essays on
human ecology and social relations, Manchester, Manchester
University Press.
RÉGIMES FONCIERS ET AMENAGEMENT DES RESSOURCES
63
JOHNSON Douglas H. et David ANDERSON (eds), 1988, The
ecology of survival: case studies from northeast african
history, Boulder, Colorado, Westview Press.
KERVEN Carol,1992, Customary commerce, Londres, ODI.
KESSLER JanJoost et Freerk K. WlERSUM, 1993, « Ecological
sustainability of agroforestry in the tropics », Entwicklung und
Ländlicher Raum, 5:811.
KlNTZ Daniele et O. TRAORÉ, 1993, La décentralisation opé
rationnelle en matière foncière, étudetest en cinquième région,
Bamako, Caisse française de développement.
MARCH AL JeanYves, 1983, Yatenga, Nord HauteVol ta. La
dynamique d'un espace rural soudanosahélien, Mémoires de
l'ORSTOM, 167, Paris, ORSTOM.
MARTY André, 1993, « La gestion de terroirs et les éleveurs : un
outil d'exclusion ou de négociation ? », Revue Tiers Monde,
XXXIV (134): 328344.
MOOREHEAD Richard M., 1991, Structural chaos : Community and
state management of common property in Mali, Brighton,
University of Sussex, Ph.D. thesis.
QUARLES VAN UFFORD Ph., 1988, «The hidden crisis in deve
lopment : development bureaucracies in between intentions and
outcome », in Ph. Quarles van Ufford, D. Kruyt et
Th. Downing (eds), The hidden crisis in development :
development bureaucracies, Tokio, United Nations University,
Amsterdam, Free University Press, 939.
SCH LEE Günther, 1992, «Ritual topography and ecological use:
thé Gabbra of thé kenyan/ethiopian borderlands », in E. Croll et
D. Parkin (eds), Bush base : forest farm, culture, environment
and development, Londres, New York, Routlegde, 101128.
SPITTLER Gerd, 1992, Les Touaregs face aux sécheresses et aux
famines, les Kel Ewey de l'Aïr (Niger) (19001985), Paris,
Karthala.
THEBAUD Brigitte, 1990, Élevage et développement au Niger.
Quel avenir pour les éleveurs du Sahel, Genève, Bureau
international du Travail.
— 1990, «Politiques pastorales et gestion de l'espace au
Sahel », Cahiers des sciences humaines, XXVI ( 1 2) : 1331.
64
L'ETHNICITE PEULE DANS DES CONTEXTES NOUVEAUX
TOULMINCamilla, 1992, Cattle, women and weih: managing
Household survival in the Sahel, Oxford, Clarendon Press.
WATERBAYER Anne, 1988, Dairying by settled Fulani agro
pastoralists in central Nigeria : the rôle of women and the
implications for dairy devlopment, Kiel, Wissenschaftsverlag
Vauk.
Les Peuls et les Sénoufo
de la savane ivoirienne
Quelques modalités de leurs relations'
YoussoufDiALLO
Depuis plusieurs décennies, l'élevage bovin peul en zone
sahélosoudanienne est confronté au problème de la disponibilité
des ressources pastorales. La détérioration des conditions
climatiques, l'accroissement du cheptel et la dégradation conco
mitante des pâturages sont les principaux facteurs qui ont poussé
les éleveurs de certains États sahéliens à émigrer (Gallais, 1979).
L'installation des Peuls burkinabés et maliens parmi les anciens
peuples de la savane ivoirienne (Sénqufo, Lobi, Koulango)
s'inscrit dans ces mouvements qui se traduisent un peu partout par
un glissement progressif des éleveurs „en zone humide Dès les
années 4050, de petits groupes d'éleveurs peuls burkinabés
quittèrent les anciennes zones d'elevagejapvin de l'ouest du pays
(régions de BaraniNouna) pour se diriglplers les régions de San,
Koutiala et Sikasso (Mali). Après avoir séjourné quelques
décennies au Mali, ils pénétreront en 1960 dans les savanes
1
Les informations présentées ici ont été collectées en 1994 lors d'une mission
effectuée dans le nord de la Côted'Ivoire, mission financée par le Centre de
recherche en sociologie de développement de l'Université de Bieieield