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"Travestissement et paternité : la masculinité remade in the USA"

1990, "Américanité et cinéma", CINEMAS - Revue d'études cinématographiques Journal of Film Studies

https://doi.org/10.7202/1000994ar

Abstract

Les films "Trois hommes et un couffin" de Coline Serreau et "Three Men and a Baby" de Leonard Nimoy sont analysés ici de façon comparative. L’auteure explique la façon dont la version américaine fait une « re-vision » du regard attendri que Coline Serreau portait sur les nouveaux hommes nés des mouvements et des analyses féministes. La nouvelle masculinité (non phallique) illustrée (désirée?) dans le film français est totalement abolie et remplacée par l’idéologie patriarcale américaine chez Nimoy. The films "Trois hommes et un couffin" by French filmmaker, Coline Serreau, and "Three Men and a Baby" by American director and actor, Leonard Nimoy, are analyzed here in a comparative way. The author explains how the American remake "re-vises" Serreau's tender gaze on the new men born out of the feminist movements and gender relations. The new (non-phallic) masculinity illustrated (wished-for?) in the French film is totally abolished and replaced by the patriarchal ideology of the American film.

Le père freudien est question 2

La question du père, chez Freud, ne se pose pas en termes d'une psychologie du père mais comme la question du lien au père: c'est ce lien (avant d'être rapport, subjectif donc) qui fait problème.

Il s'agit évidemment du fait qu'on sait toujours plus sûrement qui est notre mère que notre père. Cette «clause de l'incertitude potentielle du père est méditée par l'inconscient du rejeton» (Assoun, p. 39) et l'amènera à penser, à faire des hypothèses. Ainsi ce lien en forme de question est, phylogénétiquement, la condition de toute pensée deductive, et pour Freud, le fait que l'on porte le nom du père prouve l'importance culturelle de celui-ci:

Laurent Assoun] que l'évidence sensible (sensuelle) de la mère contraste avec la dynamique intellectuelle sur laquelle la paternité embraye. Du fait même que l'évidence du père ne crève pas les yeux (...) s'ouvre un espace de jeu. (...) L'essentiel [pour Freud] est donc que le père donne à penser. Ce qui atteste qu'il est tout sauf une nature ou une «donnée». Bref, il y a un lien secret et déterminant entre l'incertitude ontologique de la paternité et sa fécondité dans l'ordre de la pensée (p. 38-39).

Et ainsi, c'est parce que le père est problématique dans son être, qu'il va être, par la romantisation familiale de sa progéniture, remplacé, évacué et «relevé» en même temps comme Idéal du moi, père aimant et protecteur, divinité: le père meurt comme corps pour advenir comme Dieu. En d'autres termes, la stratégie consiste à «sauver le père au nom du père quitte à en immoler le corps pour en exalter l'esprit» (Assoun,p. 39).

Quand on joue à Candide ceci est déjà problématique. Car dans les techniques d'accouchement actuels où la mère est parfois endormie, le risque d'échange de bébés est possible réellement et comme question inconsciente potentielle du sujet. La mère peut aussi être incertaine. Mais sans doute ne s'agit-il pas de ce genre de savoir-là, de savoir objectif, biologique, mais de savoir de corps (Freud parle de «témoignage des sens»). Il s'agirait donc de «sensations de certitude» créées par les soins maternels, par le lien établi par la demande et sa satisfaction: la mère est alors non plus la génitrice mais la personne qui remplit la fonction nourricière. Il y a confusion, chez Freud, et ceux qui parlent de cette incertitude du seul géniteur mâle, entre mère porteuse et mère fonctionnelle: entre la provenance topographique, si l'on peut dire, et l'investissement amoureux, entre filiation biologique et affiliation sociale 3 .

Qui profite de cet adage de la certitude de la maternité comme attachée à une fonction sociobiologique immuable, à un lieu immanent, corps, caverne, demeure? Quelle angoisse est ainsi résolue? Sans cette certitude-là, celle de la place de la mère comme ancrage, objet du désir, point stable, le petit sujet de la métapsychologie freudienne ne sait plus d'où partir pour sa quête d'une identité sexuée et d'un désir qui lui soient propres. Il nous est dit, en effet, que le petit OEdipe, dans sa romantisation familiale, conserve la mère comme réelle, avant de rétrograder son père réel et de s'en inventer un autre, qui n'est plus corps (le corps du père est par là même déchu) mais point de vue. La mère n'est donc jamais «rétrogradée» de façon durable, clivée en mère réelle et en mère idéale, «tant elle s'égale à sa propre nature» (Assoun, p. 39). Une mère est une mère. Il n'y a donc, pour le sujet oedipien freudien, aucune chance d'idéaliser la mère, de s'en construire une imago, une figure qui prendrait la place de la mère réelle, car elle est là d'où Ton vient.

Et Paterner, c'est faire la femme: l'expérimentation Dans Three Men and a Baby (1987), le décor est planté dès le générique: l'artiste du groupe des trois finit la fresque murale de l'entrée, une fresque à la gloire des habitants du lieu. On assiste alors, en accéléré, à la circulation des femmes dans le temple que l'architecte, le dessinateur et l'acteur se sont érigés, ont érigé à la masculinité rayonnante de la classe professionnelle de New York. Trois beaux jeunes hommes à l'allure puérile, dont deux insatiables sexuellement, Peter et Jack, et un autre, le sensible Michael, qui joue plutôt au grand frère avec les femmes. C'est ce dernier qui incarne le sentiment, les deux autres pouvant se laisser aller à la virilité pure: les durs ont besoin d'un sensible pour exister.

Ainsi dans la scène d'ouverture, une fête d'anniversaire pour Peter, ils sont héroïsés comme les mâles américains de la cité. Alors que le film français ne fait que suggérer l'ambiance garçonnière de l'appartement, la version américaine n'en finit plus de s'attarder à la virilité de ces hommes, mise sur un piédestal par «les plus belles filles de New York», les serviteurs aux gants blancs, et le décor yuppie. Par exemple, en fin de soirée, Jack, comme le Jacques du film français, a une nouvelle conquête dans sa chambrée; le couple revient ensuite à la cuisine 7 . Jack plaisante alors sur sa future folle nuit et dit:

"Tough job but it's got to be done." Mimant la bravoure du cow-boy, il rejoint ses pénates; les deux colocataires commentent: "Amazing! The guy is a giant gland!" C'est la reconnaissance mutuelle du désir continu et infatigable du mâle.

Pourquoi trois hommes? Parce que, pour l'expérience qui va avoir lieu, un seul homme aurait fait «cas particulier», et deux hommes, couple homosexuel. Les trois hommes vont tout à coup être obligés de faire des gestes de femmes 8 . Le risque est grand pour les sujets en question. L'agressivité montrera le niveau de stress encouru par les sujets de l'expérience. Car, au-delà du rôle Travestissement et paternité: la masculinité remade in the USA 119 120 du père nourricier, c'est toute la question de l'identité masculine qui est mise en scène. Une identité qui va se démanteler et se reconstituer sous l'oeil implacable de l'autre homme, le rival, le surmoi viril possesseur du phallus. Le colocataire incarne ici la provenance, toujours imaginaire, du regard phallique. C'est cela qui est en jeu; et faire la femme sous ce regard-là, représentant l'identité masculine, est menaçant: car le ridicule tue le mâle.

L'homme est d'abord fils de femme dans nos sociétés patriarcales mais matrilinéaires. En lui, il y a deux mouvements contradictoires: la nostalgie de la féminité maternelle et la peur de sa propre féminité. Toucher le corps d'un enfant, en prendre soin, c'est entrer dans le modèle féminin de maternage, c'est mimer sa propre mère. Repenser la paternité comme un modèle symétrique à la maternité, c'est donc, comme le dit Delaisi de Parseval 9 , provoquer une crise de la masculinité: «D'abord, parce que cela remet en cause la valeur de la maternité; mais aussi parce que cela révèle la bisexualité de l'être humain» et provoque «une interrogation sur le corps de l'homme, sur sa corporéité» (p. 198). Ces ruptures font sortir de la longue tradition, mise en scène par Three Men and a Baby, de la dénégation du corps masculin, «réduit à être une machine musculaire» (Peter fait de la musculation, du jogging) et «une machine à éjaculer» (p. 198) (Jack est une giant gland). Dans le film de Coline Serreau, c'est cette crise de la masculinité qui est montrée. Dans celui de Leonard Nimoy, c'est le mouvement de l'adolescence à une pseudo-maturité qui est articulée, celle de la responsabilisation: mouvement qui sera simplement accéléré par un conflit provoqué par le corps étranger du bébé dans l'organisme juvénile du boy américain. Il y a donc eu distorsion et récupération dans la relecture de Nimoy: la crise devient simplement conflit. La masculinité traditionnelle reste glorieuse et acquiert, en fait, un surplus de gloire par la responsabilité prise. Le transfert transatlantique opéré passe par une masculinisation, car Nimoy est non seulement américain mais aussi mâle. Il y a donc eu dans le remake un double processus de transposition. Nous démontrerons cette idéologie du statu quo en jeu dans Three Men and a Baby, en examinant le rapport des sujets masculins aux femmes dans les deux films: en effet leur rôle de potentielles mères de l'enfant abandonné est le punctum par rapport auquel le sujet masculin paternant devra se replacer. LA MÈRE. -You were a screw-up. Now you are a father 13 , and you'll be a fine one.

JACK. -You think so?

De même, la copine steady de Peter (remarquons qu'il n'y a pas de steady dans le film français) refuse de s'en occuper et rejoue la position de la mère vis-à-vis de lui:"You're a very big boy and very capable. You're going to go through this just fine!" Elle trouve aussi très comique d'entendre son gros bonhomme de Tom Selleck chanter une berceuse au bébé 14 . Les femmes (figures multiples de la même Femme-Mère) ont ainsi un regard infantilisant, amusé et ironique. Elles obligent le fils-garçon à devenir père et elles observent et commentent. Ainsi restent-elles détentrices d'un savoir secret, du pouvoir phallique: non castrées dans l'imaginaire, elles restent objet de désir du petit OEdipe. Jack gardera l'enfant pour faire plaisir à sa mère (la vision oedipienne masculine jouée dans le fantasme du film créant par là le désir de la mère: la mère du film, rappelons-le, étant un personnage dans l'imaginaire du sujet oedipien masculin).

Puisqu'elle est, somme toute, une réponse à l'injonction maternelle ("Be a father!"), Jack devient père par double contrainte: il n'a ni choix ni possibilité de sortie. La pseudo nouvelle paternité reste forcée, artificielle, abstraite. Jack l'exprime ainsi: "I'm an actor, I can do a father!" Et Peter: "I'm an architect. I build fiftystorey sky-scrapers. I design cities of the future, I should be able to put this goddam diaper."

On entre ainsi dans le domaine du how to et du should do de la moralisation. Tout ce qu'ils gagnent de l'expérience est un surplus de devoirs et par là un supplément de statut viril. Les gadgets et les arrangements topographiques vont remplacer tout processus de maturation, c'est-à-dire de sortie de la phase oedipienne: on trimbale l'enfant au chantier, à la répétition théâtrale 15 , etc. Ainsi, la figure maternelle reste toute-puissante: " [Mary] needs a full-time mother", dit-on avant de proposer à cette mère d'emménager carrément avec les trois hommes: ce qui profite autant à ces derniers et ne remet pas en cause les fonctions sociales et imaginaires de mère et de père. Ce qu'ils gagnent de l'expérience, c'est une nouvelle liste de should et should not, dans la culpabilisation: cette dernière joue le lien masculin au père comme étant position du rival oedipien, position de la loi qui est infiniment rejouée dans le rapport à l'autre homme, dans le regard phallique comme castration (imaginaire). Les trois héros continuent leur route vers leur telos matérialiste, fétichiste (l'objet à la place de tout autre vivant, «différent»). La dernière image du film montre le dessin ajouté de la mère et de l'enfant sur leur mur: leur image à eux n'a pas changé, ils sont encore prêts pour toutes leurs conquêtes donjuanesques juvéniles (c'est-à-dire accumulation de femmes-objets fétiches).

Les hommes restent ainsi gender-defensive et la lutte des sexes continue. La résistance à la féminisation -ce qui rend comique le film français -, les défenses masculines, ont été non reconnues et donc non résolues dans la version américaine. Le faire sublimatoire (l'action, l'accumulation, la répétition des gestes 16 ) permet l'effacement du désir (des trois sujets masculins) vis-à-vis du corps paternel, pulsion erotique refoulée par un déplacement: c'est le désir de l'enfant, l'enfant comme sujet, qui est non représenté (le sujet masculin s'identifie à l'enfant, et s'interdit, à travers lui, un rapport possiblement erotique vis-à-vis du corps paternel: il oscille donc entre deux positions imaginaires enfant/père). La paternité se pose comme question de maîtrise vis-à-vis de l'objet-enfant, l'argent et l'inventivité sublimant toute angoisse possible vis-à-vis de l'enfant-sujet: "I'll give you ten dollars if you stop crying", dit Michael au bébé; "I'll give you a thousand dollars if you'll [change her]!" dit Peter à Michael. C'est-à-dire je remplacerai ton corps pleurant, urinant, par un ersatz, un fétiche sec et rond, complet sans la béance que la demande instaure, sans ton altérité.

L'action obligatoire

Actif compulsif, le mâle de Nimoy doit se débattre contre la passivité (n'en finit pas de se séparer de la Mère). Ainsi, le chagrin causé par le départ de la petite va durer dans la diégèse, un aprèsmidi et un gros cinq minutes dans le temps filmique. Car le centre du film s'est déplacé en traversant l'Atlantique. La poursuite des trafiquants de drogue (corps d'hommes en action) est devenue le centre du film 17 , tandis que les trois Français, eux, se complairont dans la mélancolie, la grande déprime, les maladies psychosomatiques pendant un bon bout de temps, sans jamais agir ni en parler (ce sont alors les corps qui parlent): le centre narratif du film étant le départ de l'enfant, c'est-à-dire le départ réel de l'autre. Le corps à corps en est interrompu, les signes du manque indiquent que le lien a été tranché douloureusement. Jacques montrera la profondeur de la «crise ontologique» quand il demandera à Michel: «Je voudrais savoir pourquoi je vis. Tu sais, toi, pourquoi tu vis?» L'inconscient masculin (le désir) français aura eu les moyens de se faire savoir, dans les silences prolongés de certaines scènes, dans l'incohérence des explications, dans les colères, les «engueulades maison», les postures des corps, dans l'obscurité de l'appartement 18 . La fin des résistances est ainsi montrée par la parole débridée, la perte de maîtrise: une parole autre se met en place. Mais surtout, le sujet masculin de Nimoy est bien loin dans le questionnement de la sexuation culturelle de celui de Serreau: ainsi, cette tirade de Jacques, le père biologique, a été supprimée dans le remake 19 : JACQUES, saoul, une bouteille à la main, «enceinte» d'un oreiller, parlant au policier en chômage sur le banc du parc. -Si j'étais Dieu, je fabriquerais Adam avec la côte d'Eve, pas l'inverse. Comme ça les choses auraient été claires dès le début. On nous aurait pas fait croire que quelqu'un sort de notre côte, parce que rien sort de notre côte à nous, jamais. Tout juste de notre queue, et encore y a tout à faire après. Nous, ce qu'on sait fabriquer, c'est des buildings, des avions, des voitures, c'est utile, remarquez... C'est même pas qu'on a voulu nous le faire croire, si ça se trouve, c'est nous qu'avons voulu le croire. Non, il faut se rendre à l'évidence, personne ne sort de notre côte.

Dans le film de Nimoy, tout est littéralement en pleine lumière, pour mieux y cacher la résistance. L'inconscient américain a un surmoi à la taille du pays et de sa masculinité «stéroïdée». L'homme maternant ne peut que cabotiner, car il se sent observé: "I keep waiting for Candid Camera to walk through the door!" Même quand il commence à y prendre plaisir et qu'il est seul de-Travestissement et paternité: la masculinité remade in the USA 125 126 vant la caméra, il n'en finit pas de jouer pour l'homme-absent: le quatrième homme (celui qui punit). Chez Serreau, on se laisse aller à des gazouillis subitement stoppés, évidemment, quand le colocataire entre. L'homme américain ne se laisse pas aller, ni à détester franchement les femmes, à évacuer la figure maternelle phallique, ni à ridiculiser le père en son absence 20 , ni à toucher l'enfant sinon pour lui faire quelque chose. Il est trop bien-pensant, c'est-à-dire dans l'autocensure.

"We should be her family", déclare Peter-Tom Seleck à la fin. Un autre should pour tout arranger, résoudre le conflit: rien n'a changé, le devoir, l'éternité de l'être (be et pas become) et le concept sacro-saint de famille américaine, légèrement éclaté, mais si peu. Trois garçonnets jouant au papa sous le regard de maman, au lieu d'un père absent, c'est alors simplement une autre forme de l'absence. Les hommes américains suivent à la lettre les conseils de leur maman indétrônable.

Est-ce parce que la mère phallique américaine est difficilement «tuable»? Est-elle moins opprimée que la mère française par la «patriarchie», donc moins totalitaire dans son pouvoir maternel? Ou plutôt, les hommes américains n'ont-ils pas été rendus coupables par le féminisme humaniste des Américaines, un féminisme qui continue la tradition puritaine de la censure de l'imaginaire, car il ne croit pas à l'inconscient? Ainsi, le quatrième homme du film américain serait une espèce de surmoi maternel/féministe (détenant encore le phallus), un patriarche, travesti en femme pour continuer à censurer, c'est-à-dire faire le père?

Puritanisme et perversion

Et la conséquence première de la censure, c'est le plaisir du péché qui a pour corollaire la perversion. Elle s'immisce, l'obsession du sexe, comme dans tout ce qui vient d'Hollywood. L'objet de la répulsion et de désir, dans le film, ne l'oublions pas, est de sexe féminin, elle s'appelle Mary/Marie.

Pourquoi, d'ailleurs, avoir choisi une petite fille? L'enfant français n'est-il pas simplement un bébé-fille parce qu'ainsi, elle «est très loin de l'homme» et «très loin de la femme envers laquelle celui-ci vit le... désir» (Chancel, p. 209-210)? Elle est potentiellement féminine, objet d'amour avec laquelle toute la relation à l'autre sexe va être repensée: ainsi à la fin, la Sylvia française s'endort dans le berceau de sa fille, en suçant son pouce, rejoignant ainsi l'enfant et la femme dans une même posture, dans un continuum. C'est une reconnaissance de confiance qui fait des trois hommes des vrais pères ayant réussi à trouver leur paternité sans avoir copié, sans avoir fait la mère: et tout à coup ça glisse sur l'axe de la sexuation, il n'y a plus de place fixe.

Dans Three Men and a Baby par contre, la relation d'objet avec la petite fille est marquée par la défense et la séduction. La manière de se sortir de l'angoisse, causée par la représentation (refoulée) du désir du père (dans les deux sens), c'est alors de constituer l'enfant comme une extension de l'ego masculin (pour ne pas dire de son phallus). Les exemples sont nombreux. Ces boutades sont évidemment là pour faire rire le public, au premier degré, c'est-à-dire par la sexualisation (c'est-à-dire être l'objet de désir masculin, seulement) et la sexuation figée, évidente, automatique 22 d'un bébé supposé «pur et innocent». Si dans le film de Serreau, le sexe de l'enfant n'est jamais mentionné, il doit l'être pour rassurer l'homme version Hollywood, car si les mâles doivent rester des sujets pleins, monolithiques, l'enfant doit être posée comme sujet pleinement fille, pleinement sexuée dès la naissance, biologiquement donc. Asexuer l'enfant, ne pas mentionner son sexe, c'est-à-dire sa nudité, serait pour le mâle hollywoodien courir de grands risques: le premier d'être accusé de pédophilie (mais il l'est, pédophile, puisqu'il s'en défend si mal, puisqu'il ne peut pas ne pas voir le sexe); le deuxième risque (et il est peut-être pire) d'être asexué, c'est-à-dire femme, car il n'y a que deux pôles dans la dichotomie inébranlable de cette idéologie du statu quo. L'action, la violence (attaque du colocataire qui rentre la nuit, mise en abyme du film policier du milieu, etc.) subliment le risque d'asexuation, donc de féminisation. La mise en scène obsessive de La sexuation (souvent stéréotypée) du héros américain est la condition de son asexualisation: pas de glissement vers une possible bisexualité, une androgynie qui donnerait à jouir, et donc pas de reconnaissance du pouvoir de la féminité, du corps et de la sexualité des femmes. Ainsi le Jacques français pousse cette belle tirade sur l'impossibilité pour les hommes d'avoir de l'autre en eux; le Jack américain, lui, se contentera de s'habiller en femme enceinte seulement pour semer la police, cachant sous son manteau le vrai bébé. Et le tour est joué! On ne pose pas de questions sur son rapport à l'altérité (enfant et/ou femme): l'illusion de la production d'autre passera par l'action sur l'autre: les bad guys livrés à la police; et le mâle reste seul face à son miroir.

Ainsi, Tom Selleck se déguise en hétérosexuel viril pour jouer au papa avec un corps déjà tout façonnné par Magnum P. I. L'effet d'adresse est ici identifiable comme cette «hollywoodisation» qui refond l'étrangeté possible du film original pour être à la fois rentable et lisible: rentable parce que lisible pour le «grand public». Le choix des acteurs, marqués déjà comme «figures types» de la masculinité américaine et de la comédie légère amuse: le rire viendra de la transposition de héros de télévision dans un cinéma où le travestissement ne fait que les révéler dans leur autosimilitude. Le même se reproduit dans une halloween où on pourrait jouer au couple homosexuel avec, pour excuse, un bébé tombé du ciel; où on pourrait faire la Femme (la Mère) en somme, en s'ajoutant, sur le corps, des traits de la mascarade du féminin patriarcal, comme si c'était là la question des sexes, un problème de robinet, de soustraction et d'addition! Ce sujet masculin-là et la multiplication par trois de son narcissisme colossal a un corps «barré» par la dénégation de son vide et donc de sa possible jouissance. L'homme américain de Nimoy non seulement ne sait pas qu'on ne la lui coupera pas s'il désobéit à sa mère, mais surtout il feint d'ignorer que rien jamais ne sortira de son ventre. On n'y sait pas non plus qu'un père, c'est autre chose qu'un homme jouant à la Mère: dans Three men and a Baby, l'homme viril s'est simplement déguisé en maman, sous la double contrainte maternelle (oedipienne phallique). On reste le fils de sa mère, sans remettre en cause, en pouponnant, sa place imaginaire à elle. Et donc la question de la sexuation ne se pose pas, comme dans le film de Coline Serreau, à la façon d'un construit de positions imaginaires familiales et des postures corporelles culturelles et historiques. Nimoy aura fait une «re-vision» du regard attendri que Serreau portait sur les nouveaux hommes nés des mouvements et des analyses féministes: il aura transformé leurs corps en simples supports pour rejouer l'idéologie patriarcale américaine. La crise bénéfique du sujet masculin n'a pas passé la rampe: cette récupération de Nimoy et de sa machine est décelable comme la tension de cette américanité qui continue de se rêver avec, pour porte-drapeau, ce jeune homme américain type, naïf adolescent musclé qui tient le fort assiégé de la masculinité, une masculinité déniée comme foncièrement homosexuelle. Ce qui a été posé dans Trois hommes et un couffin et qui n'a pas eu lieu dans le remake, c'est la possibilité future d'une intersubjectivité dans la différence sexuelle, d'une véritable hétérosexualité.

University of Western Ontario