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- 27 Aurélie CHATENET Nobles bourboNNais au service de la priNcesse de coNti1 Marie-Fortunée d’Este (1731-1803), princesse de Conti, est une princesse inconnue et oubliée. Fille du duc François III de Modène, elle vint en France à partir de 1759, après son mariage avec le ils du prince de Conti, Louis-François-Joseph de Bourbon-Conti, comte de la Marche, qui devient après la mort de son père, en 1776, le dernier prince de Conti. De son vivant, très peu de témoignages l’évoquent. Toutefois, l’étude de son livret de comptes, tenu de 1776 à 17892, permet d’obtenir des informations sur sa consommation et par ce biais sur sa vie3, et la connaissance de son existence met en lumière son entourage, tant un prince ou une princesse n’est pas un individu solitaire. Il cristallise autour de lui un ensemble de réseaux de dépendance, de idélités que l’historien Jean Duma a qualiiés de « nébuleuse aristocratique » dans son étude sur les Bourbon-Penthièvre4, même si ce terme a été soumis à discussion5. Il explique que le « Grand » n’est pas un homme seul, isolé mais inséré dans un ensemble de réseaux aux contours mal déinis « rassemblant plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de personnes et s’organisant autour du personnage principal dans des rapports complexes de domination et de dépendance »6. Au cœur de ce réseau s’inscrit la maison princière dont l’Encyclopédie propose une déinition qui renvoie à une conception très large de ce qu’est une maison. La « Maison » est composée de tous ceux qui vivent dans l’espace de la maison. C’est la famille élargie, elle « se dit des personnes et des domestiques qui 1 - Communication à la séance du 8 mars 2008. 2 - Arch. nat., R3 172 à 185. 3 - Cette recherche est inscrite dans la préparation d’une thèse de doctorat d’histoire. 4 - Jean DUMA, Les Bourbon-Penthièvre (1678-1793), une nébuleuse aristocratique au XVIIIe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995, 744 p. 5 - Michel NASSIET, « Recension de Jean Duma, Les Bourbon-Penthièvre », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 46-1, janvier-mars 1999, p. 219-223. 6 - J. DUMA, op. cit., p. 14. - 28 composent la maison d’un prince ou d’un particulier »7. Pour les auteurs du dictionnaire de Trévoux de 17718, les personnes qui composent une maison sont à la fois les membres de la famille et la domesticité, c’est-à-dire tous ceux qui vivent dans la maison, qu’ils soient nobles ou roturiers, alliés par le sang ou non. Les princes sont ainsi entourés d’un personnel nombreux, aux origines, aux fonctions variées, organisé au sein d’une maison calquée sur le modèle de la maison du roi. Les membres de la maison ont en commun de vivre ensemble dans l’hôtel du prince et d’être régulièrement appointés. La maison est également un élément essentiel du mode de vie aristocratique. Elle rassemble domestiques et serviteurs et aussi tous ceux qui sont attachés au maître ou à la maîtresse de maison. L’ampleur des maisons est variable selon le sang, la qualité, le prestige du prince, l’importance des terres et des biens à gérer… Elle est organisée autour de différents pôles, notamment les services de la Bouche, de la Chambre et de l’Ecurie. Le prince ou la princesse vit également entouré d’une suite nobiliaire et des familles bourbonnaises qui sont placées au service de la princesse de Conti. Il s’agit donc ici d’analyser quelles sont les modalités et les enjeux de l’intégration de nobles issus de la même province, le Bourbonnais, à la maison de la princesse de Conti. Avant de présenter ces nobles et de cerner les enjeux de leur entrée dans la maison, il convient de montrer leur place, leur fonction au sein de cette maison princière qui a la particularité d’être féminine. La maison est celle d’une princesse du sang au dernier quart du XVIIIe siècle : son titre, son statut rappellent que la princesse appartient à la famille du roi, ce qui rehausse le prestige de son service. La princesse de Conti appartient en effet par son mariage en 1759 à la branche cadette des Bourbon : elle est cousine du roi mais en dernière position dans la hiérarchie des princes du sang après, au XVIIIe siècle, la famille d’Orléans et la famille de Condé. De fait, la maison d’une princesse du sang présente certaines particularités : à la différence de la maison des premiers princes du sang, les autres maisons princières ne sont soumises à aucun édit royal et sont formées et appointées à la discrétion du prince ou de la princesse concernés. Guyot, dans son Traité des ofices9, indique en effet qu’« elles ne tiennent aucunement de l’ordre public et ne sont remarquables que par la qualité et 7 - Denis DIDEROT et Jean d’ALEMBERT, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, article « maison ». 8 - Dictionnaire universel françois et latin dit de Trévoux, 7e édition, 1771, article « maison ». 9 - Joseph-Nicolas GUYOT, Traité des droits, fonctions, franchises, exemptions, prérogatives et privilèges annexés en France à chaque dignité..., t. II, Paris, Visse, 1787, ch. LXXII. Des princes ils de France et de leurs maisons. - 29 les titres des oficiers qui la composent ». Seuls, les domestiques du premier prince du sang, prince de Condé au XVIIe siècle, duc d’Orléans au XVIIIe siècle, possèdent le statut de commensal, comme le souligne, pour le XVIIe siècle, le marquis de Dangeau dans le Journal de la cour de Louis XIV10 : « Le premier prince du sang est le seul dont la maison soit passée à la cour des comptes pour les privilèges de ses oficiers (…) » ; les autres princes du sang « n’ont pu ni avoir de grands oficiers ni faire passer leur maison à la Cour des comptes, ni avoir de privilèges pour aucun de leurs domestiques ». Ainsi, les charges dans les maisons princières ne sont en rien des ofices mais seulement des nominations. La maison de Marie-Fortunée est également une maison princière particulière : c’est celle d’une femme, épouse séparée. En effet, en 1776, le couple Conti se sépare et la princesse fonde à partir du 1er avril 1776 sa propre maison. Elle dispose de inances propres, composées de deux pensions, l’une payée sur sa dot, l’autre délivrée par le roi soit 180 000 livres par an. Sa domesticité est indépendante. C’est enin la maison d’une princesse étrangère. La princesse de Conti, née d’Este, est italienne et la ille du duc de Modène. Sa maison apparaît spéciique parce qu’elle est organisée autour du service domestique. L’absence de terres et de revenus liés aux domaines à administrer et à gérer, à l’exception du château de Triel qu’elle acquiert en usufruit en 1781, la faiblesse des revenus décident d’un nombre limité de domestiques. Il y a très peu de spécialistes du droit et de la gestion des biens. La maison de la princesse est d’ampleur modeste : quarante personnes vivent à son hôtel situé au cœur du faubourg huppé de Paris, rue Saint-Dominique. Au total, soixante-cinq personnes sont régulièrement appointées par elle, ce qui est loin de l’ampleur de la maison de Penthièvre à la même période avec une moyenne de 100 personnes11, ou encore de la maison de la comtesse de Provence qui en 1771 compte 258 oficiers12. La maison de la sérénissime correspond cependant au critère de la Maison idéale selon Audiger13 pour qui une maison féminine doit être constituée de 37 à 38 personnes. La suite nobiliaire de la princesse de Conti est également limitée. Cinq nobles sont à son service : un écuyer, deux pages, deux dames suivantes. 10 - Marquis de DANGEAU, Journal de la cour de Louis XIV de 1684 à 1715, Londres, 1770. 11 - Louis-Jean-Marie de Bourbon occupe de hautes charges, grand veneur, amiral, qui l’obligent à entretenir une écurie importante. Voir Jean Duma, op. cit., p. 188, tableau 31. 12 - Déclaration du roi pour faire jouir des privilèges des commensaux les oficiers de la maison de madame la comtesse de Provence... Registrée en Parlement le 1er décembre 1772. Suivie de divers états des oficiers de la maison de la comtesse de Provence, arrêtés au Conseil le 1er avril 1771 et enregistrés au Parlement le 1er décembre 1772, Paris, 1772, 30 p. 13 - AUDIGER, La Maison réglée et l’art de diriger la maison d’un grand seigneur et autres, Paris, N. Le Gras, 1692, 1re partie, chap. 1. - 30 Cela correspond au nombre ixé pour les princesses du sang selon la comtesse de Genlis14 : la première princesse du sang peut cependant avoir cinq dames suivantes, ce qui est peu, comparé aux entourages pléthoriques des princesses de la famille royale, reine ou Mesdames de France qui chacune ont à leur suite un chevalier d’honneur, un premier écuyer, deux écuyers, un écuyer ordinaire, une dame d’honneur, une dame d’atour, neuf dames de compagnie15… Au total, la « Maison honoriique de Mesdames de France » compte, en 1752, trente et un courtisans sans compter les dames de compagnie surnuméraires16. Sa suite se caractérise par une certaine stabilité : l’écuyer est inamovible, le changement des dames suivantes dépend de leur existence : séparation et décès… Le renouvellement des pages est bien plus fréquent et correspond à la pratique d’une formation temporaire. De 1776 à 1789 apparaissent ainsi successivement : un écuyer, quatre dames suivantes, huit pages par deux. Le recrutement géographique de cette suite est varié et différentes aires d’origine peuvent être dégagées : l’Ouest avec la Normandie, l’Anjou, la Bretagne ; le Sud-Est autour du comtat Venaissin et d’Arles et Nîmes et le Centre avec le Bourbonnais et le Nivernais. En Bourbonnais, il faut souligner la présence d’un page, Claude Lebel de Bellechassaigne (1766-avant 1828), et du marquis Jean-François de Rochedragon (1744-1816), époux de la dame d’honneur de la princesse de Conti. Les noms de ces nobles apparaissent de façon épisodique dans le livret de comptes, à l’occasion de changement de vêtements, de livrée, de dépenses de deuil, et pour retrouver la trace de ces nobles, différents documents doivent être convoqués. Les dictionnaires de noblesse17 peuvent offrir une première piste mais leurs informations sont souvent lacunaires voire erronées, surtout pour des familles peu connues. Les monographies18 ou généalogies des érudits locaux, comme celles établies par le montluçonnais Maurice 14 - Madame de GENLIS, Dictionnaire critique et raisonné des étiquettes de cour et des usages du monde, Paris, 1818, t. 1, article « dame ». 15 - Arch. nat., O1 3772, dépenses de Mesdames, état des gages du personnel, Service de Mesdames, 1781. 16 - W. R. NEWTON, La petite cour, services et serviteurs à la cour de Versailles au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2006, p. 340. 17 - François-Aubert de LA CHENAYE-DESBOIS, Dictionnaire de la noblesse, Paris, Veuve Duchesne, Badier, 1770-1786, 15 vol. Henri Jougla de Morenas, Raoul de Warren, Grand armorial de France, Paris, Frankelve, 1975, 7 vol. 18 - Édouard GARMY, Histoire du canton de Marcillat-d’Allier, Montluçon, 1930, 163 p. ; Michel PEYNOT, La Combraille, Guéret, 1931, 720 p. - 31 des Gozis (1851-1909)19, donnent des indications précieuses. Mais pour mieux connaître ces familles et les insérer dans leur environnement social et familial, d’autres sources sont utilisables. Les manuscrits du Cabinet des titres de la Bibliothèque nationale de France conservent les dossiers, les preuves de noblesse de ceux qui ont obtenu les honneurs de la cour, sont devenus pages des rois ou des princes, sont entrés dans les maisons militaires royales ou à Saint-Cyr et ont été conirmés nobles20. Il s’agit ensuite de compléter ces informations par les archives notariales, ou du séquestre révolutionnaire conservées dans les dépôts départementaux, par les archives militaires qui conservent les dossiers de carrière de ces nobles21 ou tout au moins le détail de leurs services dans les contrôles des oficiers22. Par le recoupement de ces documents, il est possible de mettre en évidence des caractéristiques de ces membres de la suite nobiliaire de la princesse de Conti. Il s’agit ainsi de dégager à partir du cas bourbonnais un cursus propre aux nobles qui intègrent la maison princière. L’étude prend en compte les apports des sciences sociales et notamment de la sociologie. En effet, s’appuyant sur les rélexions de l’historien Carlo Ginzburg sur le paradigme indiciaire23 qui cherche à travailler par traces, par indices, des sociologues ont réléchi à la manière de raisonner à partir de singularités. Dans leur ouvrage récent24, Jean-Claude Passeron et Jacques Revel invitent les historiens et au-delà tous les scientiiques à penser par cas et à mettre en place une méthodologie d’interprétation circonstanciée des singularités. Il s’agit donc de voir le cas non pas comme un exemple interchangeable mais de « mettre le cas en perspective » pour « en extraire une argumentation de portée plus générale, dont les conclusions seront réutilisables »25, tout en mettant en avant sa singularité. Le cas des nobles bourbonnais permet donc d’approfondir les connaissances sur les maisons princières tout en soulignant la spéciicité de cette maison de rang modeste. 19 - Arch. dép. Allier, Fonds des Gozis, 5 J 1-84. 20 - Robert Descimon a toutefois souligné les limites d’une telle source dans son article « Élites parisiennes entre XVe et XVIIe siècle. Du bon usage du Cabinet des titres », Bibliothèque de l’École des chartes, t. 155-2, 1997, p. 607-644. 21 - Service historique de la Défense (désormais SHD), arch. Guerre, 7 Yd 740, dossier de Jean-François de Rochedragon. 22 - SHD, arch. Guerre, Yb 388, contrôle des oficiers, régiment du Poitou, 1788. 23 - Carlo GINZBURG, « Spie. Radici di un paradigma indizario », dans A. GARGANI (ed.), Crisi della ragione, Turin, Einaudi, 1979 (trad. fr. « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat, n° 6, 1980, p. 3-44). 24 - Jean-Claude PASSERON et Jacques REVEL (dir.), Penser par cas, Enquête, éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, Paris, 2005, 291 p. 25 - Ibid., p. 9-10. - 32 Il convient donc de présenter ces nobles, de comprendre leur intégration à la maison princière et d’analyser ce que représente pour un noble le service d’un prince en termes de carrières, de revenus, d’honneur, de prestige. I. Une noblesse d’épée ancienne et bien implantée en Bourbonnais Tout d’abord, soulignons les points communs aux deux nobles bourbonnais qui intègrent la maison de la princesse de Conti : ce sont des représentants de familles anciennes du second ordre bien implantées localement. Le premier est le marquis Jean-François de Rochedragon qui, par son mariage en 1774 avec Adélaïde de Sailly, entre dans la maison de la princesse de Conti. Âgé de trente ans, c’est un homme en pleine force de l’âge. À l’inverse, Claude Lebel de Bellechassagne ou Bellechassaigne26, né en 1766 à Chamblet, a seize ans lorsqu’il est reçu en qualité de page en 1782. Cette courte présentation rend compte de deux parcours différents : d’un côté, Jean-François de Rochedragon a déjà reçu une formation et est au cœur de sa carrière tandis que Claude Lebel de Bellechassaigne est un jeune homme qui recherche une formation. Au-delà de l’étude de ces deux personnages, il faut analyser deux lignages nobiliaires déinis selon Michel Nassiet comme un « concept ethnologique désignant un groupe de iliation composé d’individus descendant d’un ancêtre commun selon une règle unilatérale »27 ain de distinguer sur la moyenne durée des stratégies ou des trajectoires, mais aussi de mesurer l’éclat, le prestige de ces deux maisons. Ce terme de maison, pour les auteurs du dictionnaire de Trévoux de 1771, « se dit d’une race noble, d’une suite de gens illustres venus de la même souche qui se sont signalés par leur valeur, ou par leurs emplois ou par de grandes dignités. Ce gentilhomme a épousé une ille de bonne maison, de grande maison. Il n’y a que les personnes un peu distinguées par leur naissance et élevées par leurs dignités qui puissent dire ma maison ». Cette analyse révèle des points communs que l’on peut étendre à l’ensemble de la noblesse au service de la princesse. C’est une noblesse provinciale, ancienne et de tradition militaire. La noblesse doit obligatoirement être ancienne pour entrer dans la maison princière. C’est une noblesse d’épée qui fait une carrière militaire à partir du règne de Louis XIV et qui passe du service des armes, donc du roi, au service des princes. 26 - On retrouve dans les sources les deux orthographes pour ce jeune page. Le livret de comptes évoque quant à lui « M. de Bellechassaigne », orthographe qui sera préférée ici. 27 - Michel NASSIET, « Réseaux de parenté et types d’alliances dans la noblesse, XVe-XVIIe siècles », Annales de démographie historique, 1995, n° XXXIV, p. 105-123. - 33 C’est enin une noblesse provinciale bien implantée localement par la possession de terres nombreuses. A - Des noblesses anciennes et d’épée Pour être admis dans la maison princière, un noble doit prouver une extraction ancienne, à des degrés variables selon les fonctions occupées. Le modèle est celui de l’intégration à la maison du roi et notamment aux écuries royales qui imposent des preuves de noblesse étudiées par François Bluche28. Jean de Marguerite de Rochedragon Varton Antoine de Rochedragon Jacqueline de Ligondès 1547 Sébastien de Rochedragon Gabrielle de Vaillant Geoffroy de Isabeau de Rochedragon Gouzolles 1628 Marie de la Faye de la Porte Sylvain de Rochedragon 1668 Joseph Jean de Rochedragon Claire de Fougières 1711 1 Jean-Joseph de Rochedragon Marie-Françoise de Gamaches 1739 Jean-Baptiste de Rochedragon Jean-François de Rochedragon Figure 1. Généalogie des Rochedragon d’après les preuves pour les Honneurs de la cour en 1774. Sources : Bibl. nat. France, Mss, Carré d’Hozier 545 (1667), Chérin 174 (1774). Les Rochedragon ont ainsi prouvé l’ancienneté de leur noblesse en différentes occasions. Selon les généalogistes, la noblesse de cette famille remonterait à Guillaume de Rochedragon qui affranchit la ville de Marcillat29 en 1258. Cette ancienneté est prouvée à plusieurs reprises lors des grandes 28 - François BLUCHE, Les Pages de la Grande écurie, Paris, les Cahiers nobles, 1966. 29 - Marcillat est située en Combraille. - 34 enquêtes de noblesse du milieu du XVIIe siècle30, lors de l’entrée aux écuries royales31, lors de l’admission en qualité de chevalier de l’ordre de Malte32. Néanmoins, l’aboutissement des preuves de noblesse et leur validité sont sanctionnés par l’obtention des Honneurs de la Cour en 1774 au moment où le marquis épouse Adélaïde de Sailly. Elles passent par une validation des preuves de noblesse par le généalogiste du roi Bernard Chérin mais, depuis 1759, on assiste à un durcissement des conditions d’accès à celles-ci : le requérant doit produire trois titres originaux sur chacun des degrés de sa famille établissant une iliation depuis 1400. Le généalogiste met également en avant la réputation d’une maison, l’éclat de ses services et de ses alliances. Or, les preuves apportées par la famille sont insufisantes, comme le rappelle le généalogiste du roi : « la iliation jusqu’à Jean-François de Rochedragon son chef actuel n’est prouvée que par des copies, collations (…) lesquelles ne sont admissibles en preuves ni de iliation ni de noblesse »33. Les preuves valides ne vont pas au-delà de 1441. Néanmoins, comme l’indique Chérin, « la maison de Rochedragon est connue depuis plus de 500 ans »34, ce qui leur permet d’obtenir une dérogation. Les preuves de noblesse sont ainsi primordiales dans l’intégration à la noblesse de cour : elles sont indispensables pour obtenir une charge ou assister aux cérémonies de la vie curiale. Les preuves de noblesse sont une obligation pour intégrer les pages d’une maison princière. Par rapport aux Honneurs de la cour, l’accès est plus ouvert : les généalogistes ne réclament que 200 ans de noblesse. Si la généalogie de des Gozis, reprise par l’abbé Peynot35, fait remonter la généalogie des Lebel à Guillaume Lebel, sergent royal par lettres de commission du 20 août 1451 pour recevoir les tailles en haut pays d’Auvergne, la famille peut prouver, lors des grandes enquêtes de noblesse de 1667, une iliation noble remontant à 151536. La famille Lebel de Bellechassaigne doit 30 - Bibl. nat. France, Mss, Nouveau d’Hozier 287, maintien de noblesse pour Sylvain de Rochedragon, 10 octobre 1667. 31 - Bibl. nat. France, Mss, Carré d’Hozier 545, preuves de noblesse pour l’entrée aux écuries royales de Jean-François de Rochedragon, 25 juin 1756. 32 - Arch. dép. Rhône, 48 H 101*, fol. 376, cité dans Éric THIOU, Dictionnaire biographique et généalogique des chevaliers de Malte de la langue d’Auvergne sous l’Ancien Régime, 16651790, Versailles, Mémoires et documents, 2002, 344 p. 33 - Bibl. nat. France, Mss, Clairambault 934 et Chérin 174, preuves de noblesse de JeanFrançois de Rochedragon pour l’obtention des Honneurs de la cour, 1774. 34 - Bibl. nat. France, Mss, Chérin 174. 35 - M. PEYNOT, op. cit., p. 317. 36 - Bibl. nat. France, Mss, Nouveau d’Hozier 34, maintien de noblesse pour Gilbert et Jean Lebel de Bellechassaigne, 21 décembre 1667. - 35 prouver une nouvelle fois sa noblesse en vue de placer ses enfants dans les grands lieux de formation des jeunes nobles : Saint-Cyr et les pages. Trois enfants sont concernés : une ille pour Saint-Cyr, Claude pour les pages de la princesse de Conti et son frère pour le prince de Condé. À cette occasion, la famille peut prouver sept degrés de noblesse depuis 1548. Philippe Lebel Louise Canche 1548 Jacques Lebel Louise du Plain 1575 Jean Lebel Marie du Betz 1599 Claude Lebel Louise des Ages 1636 Jean Lebel Marguerite de la Garde 1688 Jacques Lebel Gilberte Marquet de Barbaudière 1721 Gilbert Lebel Marie-Marguerite de Louan 1766 Claude Lebel de Bellechassaigne 1766 Charles Lebel de Bellechassaigne 1771 Figure 2 : La famille Lebel de Bellechassaigne Figure 2. La famille Lebel de Bellechassaigne Sources : Bibl. nat. France, Mss, Chérin 21 (1784) et 36 (1782), Nouveau d’Hozier 34 (1667). On retrouve ainsi le même proil pour les familles de la noblesse qui souhaitent entrer au service d’un prince : la noblesse doit être ancienne et démontrée par des preuves validées par les généalogistes du roi. Ces deux exemples montrent l’importance des documents, des preuves, de leur validité même si des dérogations sont possibles37. Autre signe commun et distinctif des familles bourbonnaises entrant au service de la princesse de Conti et au-delà des familles entrant au service des princes : elles sont issues de la noblesse d’épée et font carrière dans l’armée. Le parcours des hommes de la famille de Rochedragon est rythmé par leur passage aux écuries royales ou leur admission dans l’ordre de Malte. 37 - François Bluche note ainsi que sur 942 familles présentées aux Honneurs de la cour de 1715 à 1790, seules 462 ont été capables de présenter une iliation prouvée jusqu’en 1400. - 36 Le marquis de Rochedragon est un militaire passé par les petites écuries royales qui effectue une carrière relativement brillante. Son dossier militaire38 permet de retracer les grandes étapes de sa carrière jusqu’au moment où il épouse, en 1774, Adélaïde de Sailly, dame de compagnie de la comtesse de la Marche. En 1760, à sa sortie de page, il entre dans la maison du roi comme garde du corps du roi dans la compagnie de Villeroy puis fait tout d’abord carrière dans la cavalerie. En 1762, il est reçu capitaine dans le régiment Royal-Piémont. En 1763, il achète une compagnie pour 10 000 livres et, en 1765, il est promu capitaine commandant dans les carabiniers. Au moment de son mariage en 1774, il occupe le même rang d’oficier subalterne dans la 4e brigade des carabiniers. Le marquis a un parcours proche de celui de son grand-père Jean de Rochedragon, chevalier de Malte et capitaine de cavalerie dans le régiment de Ligondès qui a été celui de plusieurs Rochedragon. Les Lebel de Bellechassaigne sont issus également d’une famille de noblesse d’épée qui sert dans les régiments royaux à partir du milieu du XVIIe siècle. Mais les Lebel restent exclusivement des oficiers subalternes, comme le montre la igure 3. Nicolas, le grand-oncle du page, est commandant d’un bataillon du régiment de Picardie et chevalier de Saint-Louis. Son oncle, Claude, est lieutenant en second dans le régiment d’Apchon-dragons. Il faut également noter l’absence de chevalier de Malte dans cette famille. Philippe Lebel Archer de la garde du roi Né en 1523 Jacques Lebel de Bellechassaigne Lieutenant aux archers du roi en 1562 Jean Lebel de Bellechassaigne marié en 1599 Claude curé de Chamblet Claude seigneur du Plot Claude Lebel de Bellechassaigne Gabriel seigneur de la Voreille né en 1614 marié en 1636, capitaine au régiment du roi capitaine au régiment de la reine Gilbert Jean Lebel de Bellechassaigne puis de la Voreille, né en 1651 et maintenu noble en 1667 Jacques Lebel de la Voreille et de la Vérolles, né en 1691 Claude Seigneur de la Voreille né en 1721 Lieutenant régiment d’Apchon-dragons chevalier de Saint-Louis Gilberte Lebel de la Voreille née en 1765 Preuves pour Saint-Cyr 1782 Nicolas seigneur de la Vérolles Meurt en 1770 Branche des Lebel du Plot Nicolas commandant d’un bataillon régiment de Picardie infanterie chevalier de St louis Seigneur de Bellechassaigne Gilbert Lebel seigneur de Bellechassaigne après la mort de Nicolas Claude Lebel de Bellechassaigne né en 1766 Charles Lebel de Bellechassaigne né en 1771 Figure 3. La famille Lebel de Bellechassaigne. Sources : Bibl. nat. France, Mss, Chérin 21 (1784) et 36 (1782), Nouveau d’Hozier 34 (1667). 38 - SHD, arch. Guerre, 7 Yd 740. - 37 B - Des familles bien implantées en Bourbonnais Il s’agit de présenter plus précisément ces deux familles bourbonnaises qui intègrent la maison de la princesse de Conti dans le dernier quart du XVIIIe siècle. Les deux familles sont liées par une proximité géographique et sont possessionnées autour de Montluçon, au sud de la ville et en Combraille, aux conins du Puy-de-Dôme, de l’Allier, et de la Creuse actuels. L’histoire de la famille de Rochedragon illustre bien cette position de carrefour qu’est la Combraille. La famille possède ainsi des terres entre Marche, Auvergne, Bourbonnais et même en Berry. Dans la Marche, les Rochedragon sont présents autour de Peyrat-la-Nonière avec notamment le château et la seigneurie de la Voreille. En Bourbonnais, la famille de Rochedragon est surtout implantée autour de Marcillat en Combraille dès le Moyen Âge : en 1258, un Rochedragon aurait affranchi la ville de Marcillat. Lors de son mariage39, le marquis de Rochedragon présente ses possessions : des terres à Mazirat et à Vilatte, des terres et le château de Fougières à SaintCaprais40 (au nord de Hérisson), un château reconstruit « à la moderne » par son père. C’est aussi une famille établie à Montluçon où elle possède un hôtel particulier. Comme le soulignent dans leur ouvrage Samuel Gibiat et Isabelle Michard41, les Rochedragon sont propriétaires, dès la in du XIVe siècle, de l’hôtel de Marcillat, rue de Montpeyroux, à Montluçon. En 1770, Jean-Joseph de Rochedragon fait l’acquisition du « logis de Saint-Claude », corps de bâtiment en mauvais état qu’il fait reconstruire à partir de 1772 et qui est situé près de l’angle du boulevard de Courtais et de la rue des Forges. Enin, le marquis est seigneur baron de Mirebeau (au nord de Montluçon). La famille Lebel de Bellechassaigne est, elle, implantée entre la Combraille et Chamblet. En effet, la famille Lebel est partagée en deux branches. Les Lebel du Plot ont des possessions au Plot à Mazirat, à Vérolles, paroisse de Sainte-Thérence, et possèdent également un hôtel à Montluçon, au n° 6 rue des Forges actuel. La branche de Bellechassaigne possède le ief de Bellechassagne, près de Chamblet. La maison forte est déjà mentionnée par Nicolaÿ en 156942 avec la maison et la seigneurie du Plaix. Le château est d’abord acquis par Marc Coppin, bourgeois de Chamblet, et donné à sa 39 - Arch. nat., MC, II, 666, Me Quatremère, 8 octobre 1774, contrat de mariage entre JeanFrançois marquis de Rochedragon et Adélaïde de Sailly. 40 - Arch. dép. Allier, Q 2755, séquestre du château de Fougières à Saint-Caprais. 41 - Samuel GIBIAT, Isabelle MICHARD, Montluçon, les hôtels nobles, XVe-XVIIIe siècles, Chamblet, éd. Les Amis de Montluçon, 2006, notices 23-24, p. 88-89. 42 - Nicolas de NICOLAY, Générale description du Bourbonnois, 1569, rééd. 1875, 200 p. - 38 ille, mariée à Jacques Lebel en 151543. La famille possède également à La Voreille, paroisse de Mazirat, un « château avec une grande tour à quatre étages fermé de hautes murailles le tout crénelé entouré de fossés tenant eau avec un pont levant » 44. En 1559, ce ief passe aux mains des Lebel de Bellechassaigne. Ainsi, ces deux familles, qui possèdent des terres nombreuses en Combraille, sont liées par une proximité géographique et, dans la ville de Montluçon, par la possession d’un hôtel particulier. L’hôtel de Rochedragon, 86 bis, boulevard de Courtais à Montluçon. Cl. S. Gibiat] C - Des maisons de rang et de puissance inégaux Néanmoins, ces deux familles sont de rang et de puissance inégaux. Différents éléments peuvent être soulignés. Tout d’abord, les alliances de la maison de Rochedragon sont plus prestigieuses que celle des Lebel. De plus, les charges militaires sont également de valeur différente. Enin, les biens possédés par les deux lignages peuvent être distingués. 43 - Maurice PIBOULE, Mémoire des communes du Bourbonnais, t. 3. Du Bocage au Val de Cher, 1994, p. 267. 44 - René GERMAIN (dir.), Châteaux, iefs, mottes, maisons fortes et manoirs en Bourbonnais, Romagnat, 2004, 678 p. - 39 Ainsi, la renommée des deux maisons apparaît clairement différente à travers l’étude des alliances. En effet, deux distinctions peuvent être établies en fonction de la proximité géographique des familles alliées et de la réputation de celles-ci. Les Lebel sont alliés avec des familles presque exclusivement du Bourbonnais. La mère du page est issue de la famille de Louan, c’est-à-dire d’une famille originaire de la paroisse de Fleuriel près de Chamblet. De même, les Lebel sont alliés aux Macquet de la Barbaudière et Martilly, près de Bayet, mais aussi avec la famille Des Ages qui a des possessions dans les châtellenies d’Hérisson et de Montluçon et enin avec la famille du Plain, d’Évaux. Les Lebel possèdent ainsi une puissance reconnue localement. En effet, selon l’auteur de l’Histoire du canton de Marcillat, « la famille Lebel de Bellechassagne était toute puissance par sa fortune et ses relations »45. À l’inverse, la famille de Rochedragon possède des alliances qui dépassent le cadre de la province. Les Rochedragon sont tout d’abord alliés à de grandes familles berrichonnes : la mère du marquis, ille du comte de Gamaches, est berrichonne, tandis que sa grand-mère est une Riglet de L’Étang, de Bourges. Les alliances avec les familles bourbonnaises sont évidemment nombreuses. Ainsi, les Rochedragon sont, depuis le mariage de Claire de Fougières avec Jean de Rochedragon, alliés avec cette famille de marquis puis de comtes, seigneurs du Creux. De même, les Rochedragon sont alliés, depuis le remariage d’une veuve de Rochedragon, avec les comtes de Thianges. C’est un lignage qui a de multiples possessions en Bourbonnais : le comte est seigneur en partie de Doyet où il possède le château de BordPeschin46. Il possède un hôtel imposant à Montluçon sur le boulevard de Courtais. En Bourbonnais, les Rochedragon sont également alliés, par la grand-mère maternelle du marquis, aux Cadier, barons de Veauce, originaires de Moulins47. Enin, relets de leurs origines marchoises, les Rochedragon ont des alliances avec des familles de l’actuelle Creuse ou d’Auvergne à l’image des Thianges, seigneurs de Lussat en Marche. Au-delà de l’extension géographique de leurs alliances, les stratégies matrimoniales du lignage mettent en avant le souci de s’allier avec de puissantes familles. Les comtes de Thianges ont des charges militaires prestigieuses : le comte est maréchal de camp et colonel du régiment de dragons de son nom qui devient ensuite régiment de Belzunce. Les de Fougières ont de belles possessions comme la seigneurie de Fougières, au nord de Hérisson, apportée en dot par Claire. De 45 - Édouard GARMY, Histoire du canton de Marcillat, Montluçon, 1930, 163 p. 46 - A.-C. MAILLAT, Géographie, histoire de Doyet, Montvicq, Bézenet, Villefranche, Marseille, 1982, 404 p. 47 - De MARTRES, « Histoire généalogique de la maison Cadier de Veauce », Revue historique de la noblesse, n° 40, 1847, 92 p. - 40 même, ils possèdent le magniique château de Vallon-en-Sully, réaménagé par François comte du Creux. Enin, c’est une famille qui possède des charges importantes : en 1766, François marquis de Fougières est lieutenant général du Bourbonnais48. Les Cadier de Veauce possèdent des terres et le château de Veauce et sont seigneurs de Saint-Augustin à Château-sur-Allier. Enin, ces familles sont insérées dans la vie curiale à l’instar des Cadier de Veauce ou des Thianges qui obtiennent les Honneurs de la cour en 1756 et 1768. De même, la nature des biens permet de mettre en lumière la hiérarchie entre les deux lignages. Les Lebel possèdent de grands domaines. Lors de l’aveu et du dénombrement du ief en 177049, le domaine de Bellechassagne apparaît composé d’un château, fossés, mur de clôture et trois domaines autour. Lors de la vente de domaine en 188750 la supericie des terres est évaluée à 193 ha. De plus, le domaine de la Voreille est composé de terres et d’une seigneurie, d’un château, de deux domaines, de près, jardin, pâturaux, pressoir à huile et de trois étangs. Enin, à Sainte-Thérence, la famille possède le domaine de Vérolles et le moulin de la Bicque sur le Cher. Les possessions des Rochedragon sont nettement plus importantes et le château de Fougières souligne avec plus de magniicence la position sociale des Rochedragon que le modeste château de Bellechassagne. Enin, les charges possédées par les deux lignages sont également à différencier. Les Rochedragon comme les Lebel occupent des charges militaires mais les Lebel font essentiellement carrière dans l’infanterie et ne dépassent pas le rang d’oficiers subalternes tandis que les Rochedragon s’orientent presque exclusivement vers la cavalerie, l’arme la plus prestigieuse mais aussi la plus coûteuse. Ces derniers réussissent à obtenir et à acheter des compagnies. Le passage des jeunes hommes du lignage dans les écuries royales, pratiquement à chaque génération, rehausse l’éclat de la maison. De plus, l’appartenance pluriséculaire à l’ordre de Malte renforce la réputation et le prestige de la maison. Les Rochedragon occupent même au sein de cet ordre militaire des fonctions importantes en devenant pour certains commandeurs51 de Féniers en Marche52. 48 - Henri JOUGLA DE MORENAS, Raoul de WARREN, Grand armorial de France, Paris, Frankelve, 1975, 7 vol. 49 - Bibl. nat. France, Mss, Chérin 36, preuves de noblesse pour l’admission de Claude Lebel de Bellechassaigne aux pages de Madame la princesse de Conty, juillet 1782. 50 - Georgette BUSSERON et Jean-Paul MICHARD, Chamblet, commune rurale et minière au XIXe siècle et au début du XXe siècle, Chamblet, 1994, 208 p. 51 - Gabriel CARTERON DE CIVRAY, Les commanderies de la Creuse, t. 1, Blaudeix, Chambéraud, Féniers, Lyon, 1992. 52 - Féniers est aujourd’hui située dans le sud de la Creuse, en limite de la Corrèze. - 41 FrançoisMarie de Fougières Gaspard de Thianges +1710 Marie de la Faye de la Porte Sylvain de Rochedragon + 1668 Jean-François de Fougières Jean de Rochedragon né en 1672 Claire de Fougières Anne de Riglet Charles de Gamaches + 1711 Jean-François de Fougières Jean-Joseph de Rochedragon né en 1714 Marie-Françoise de Gamaches + 1739 Parrain Marie-Aimée de Riglet Gilbert Cadier baron de Veauce Marraine Jean-François de Rochedragon : Liens non identifiés : Remariage : Parentés spirituelles Figure 4. Les alliances et parentèles de la famille de Rochedragon Figure 4 : Les alliances et parentèles de la famille de Rochedragon Ainsi, à travers cette présentation des deux familles, il est possible de trouver des points communs. Les deux lignages sont de noblesse ancienne, bien implantés localement, avec des domaines nombreux. Cependant, des différences sont aisément identiiables : les Rochedragon ont une noblesse plus ancienne et un service des armes plus prestigieux. De plus, les Rochedragon ont une parentèle qui s’étend au-delà du Bourbonnais avec des familles plus connues et plus renommées que les alliés des Lebel. Après cette caractérisation des deux lignages, il s’agit désormais de comprendre comment les deux nobles bourbonnais ont réussi à intégrer la maison princière de Marie-Fortunée d’Este. - 42 II. Les modalités d’intégration à la maison de la princesse de Conti Les modalités et les réseaux d’intégration de maisons royales et princières ont été étudiés à différentes reprises. Ainsi, Mathieu Marraud a souligné le caractère endogame du recrutement des maisons princières et a mis en exergue le rôle des femmes dans l’obtention d’une fonction auprès d’un prince. Des monographies ont mis en évidence les modalités de recrutement de maisons princières, comme celles des Bourbon-Penthièvre, des Orléans53, des Condé54 ou ducales comme les Nevers55. D’autres travaux se sont orientés vers l’étude de la maison du roi en réléchissant aux façons dont les valets de chambre56 ou plus largement les commensaux du roi57 accédaient à la maison royale. Ces recherches se sont particulièrement attachées à saisir les réseaux d’entrée dans la maison ou à cerner les origines géographiques des serviteurs du prince. En effet, sous l’inluence des études sociologiques58, de nombreux historiens se sont intéressés à la notion de réseaux. Claire Lemercier appelle, dans un article-bilan59, à une analyse des hiérarchies des réseaux et de leur multipolarité. Elle met en évidence l’apport de la théorie des réseaux à l’histoire des familles60. D’une part, prendre en compte l’insertion dans des réseaux permet de mieux comprendre itinéraires et comportements individuels ; d’autre part, en reconstruisant l’ensemble des liens et surtout leur dynamique au sein d’un groupe social, on peut réinterroger la notion de « stratégies » souvent déinies comme familiales. En effet, l’accès à une maison princière est permis par la mise en œuvre de règles explicites et implicites61. Tout d’abord, les règles explicites 53 - Laurent ROUSSEL, La maison des Orléans, idélités et réseaux, 1649-1791, thèse de doctorat d’histoire sous la direction de Jean-François Labourdette, Université de Paris IVSorbonne, 2000, 5 vol. 54 - Katia BÉGUIN, Les Princes de Condé, rebelles, courtisans et mécènes dans la France du Grand Siècle, Paris, Champ Vallon, 1999, 463 p. 55 - A. BOLTANSKI, Les ducs de Nevers et l’État royal : genèse d’un compromis (15501600), Genève, Droz, 2006, 580 p. 56 - Mathieu da VINHA, Les valets de chambre de Louis XIV, Paris, Perrin, 2004, 515 p. 57 - Sophie de LAVERNY, Les domestiques commensaux du roi de France au XVIIe siècle, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2002, 557 p. 58 - Alain DEGENNE, Michel FORSÉ, Les réseaux sociaux, Paris, Armand Colin, 1994, rééd. 2004. 59 - Claire LEMERCIER, « Analyses de réseaux et histoire », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 52-2, avril-juin 2005, p. 88-112. 60 - Claire LEMERCIER, « Analyse de réseaux et histoire de la famille : une rencontre encore à venir », Annales de démographie historique, n° 1 p. 7 à 31. 61 - L. ROUSSEL, op. cit., Troisième partie, chap. 1 « Les règles explicites », chap. 2 « Les - 43 imposent un certain degré de noblesse en fonction des charges occupées. D’autre part, les règles implicites sont caractérisées par la mobilisation d’un réseau familial et amical, né de solidarités par exemple militaires. Il s’agit donc ici d’identiier les réseaux et les alliances mus, activés par ces deux familles pour migrer du Bourbonnais à l’hôtel de la rue SaintDominique. Ces liens peuvent être à la fois très étroits, avec des parentés de sang, ou plus ou moins ténus avec les solidarités géographiques, militaires. Les parentèles spirituelles, symboliques sont également à analyser. Ainsi, entrer dans la maison de la princesse de Conti nécessite au préalable de se faire connaître et reconnaître comme noble et d’obtenir ensuite par le parrainage, le patronage de nobles parents ou alliés. A - Un préalable : faire reconnaître l’ancienneté de sa noblesse Pour les deux nobles, la première étape pour accéder à la maison de la princesse de Conti est de faire reconnaître l’ancienneté de sa noblesse. Elle se traduit différemment pour les deux hommes. Pour Jean-François de Rochedragon, obtenir les Honneurs de la cour conditionne son mariage avec Adélaïde de Sailly et donc son entrée dans la noblesse de cour tandis que pour Claude Lebel de Bellechassaigne réunir les preuves nécessaires et les porter à Versailles lui ouvre les portes des écuries de la princesse. Pour Jean-François de Rochedragon, l’intégration à la maison de la princesse de Conti n’est pas directe car le marquis de Rochedragon n’occupe aucune charge dans la maison de la princesse. Par son mariage avec Adélaïde de Sailly, le marquis est introduit dans la maison de la princesse de Conti. Cette union apparaît donc comme la reconnaissance d’une noblesse ancienne et marque son entrée dans la noblesse curiale. En effet, en 1774 le jeune marquis épouse la dame de compagnie de la comtesse de la Marche, Adélaïde de Sailly, également ille du premier gentilhomme du comte de la Marche. Cette alliance marque l’accession du marquis à la noblesse de cour qui est symboliquement approuvée par l’ensemble de la famille royale, de Louis XVI au duc de Penthièvre62, qui signe le contrat de mariage. La nouvelle union offre ainsi le modèle du règles implicites, la vénalité des charges », chap. 3 « Les règles implicites : l’appartenance à un réseau de relations familiales et amicales ». 62 - Arch. nat., ET/II/666, Me Quatremere, 8 octobre 1774. - 44 mariage de cour, le mariage est adoubé par le prince. Par celui-ci, le marquis de Rochedragon s’allie avec une famille au service des Conti mais également avec une famille aux alliances prestigieuses. La famille de Sailly est bien intégrée à la noblesse de cour tout particulièrement par son alliance avec les Le Tellier de Souvré, descendants des ministres de la Guerre, qui est scellée par un double mariage. En effet, le père de la future marquise de Rochedragon épouse Gabrielle-Flore Le Tellier de Souvré, tandis que la propre sœur du marquis de Sailly épouse le père de Gabrielle-Flore (igure 5). Michel Le Tellier Chancelier (1603-1685) Michel Le Tellier marquis de Louvois (1641-1691) + Anne de Souvré Michel-François, marquis Louis-Nicolas marquis de Souvré maître de la Garde-Robe du Roi Capitaine de cavalerie de Courtenvaux + Jeanne + 1698 Catherine de Pas fille du seigneur de Rebenac d’Estrées François-Louis marquis de Souvré (17041767), seigneur de Rebenac, + 1725 Jeanne fille de François + Marguerite fille Dauvet baron de Boursault du marquis de Cereste Françoise-Sophie religieuse Françoise-Aglaé + marquis de Saint-Chamans Charlotte-Félicité Le Tellier de Souvré + 1722 Louis Brûlart de Sillery, marquis de Puysieulx. + Félicité fille de Aymard marquis de Sailly Marie-Emilie + Gabrielle-Flore + 1751 Louis-Hector Jean-Baptiste de Montmorin marquis de Sailly marquis de SaintHérem. Louis-Sophie marquis de Souvré et marquis de Louvois Adélaïde-Félicité de Sailly Figure 5. Adélaïde de Sailly descendante de la famille Le Tellier Si l’alliance est latteuse pour les de Sailly, elle souligne cependant la perte de prestige de cette branche cadette des Le Tellier comme le signale Luc-Normand Tellier qui évoque les alliances contractées par les différentes branches Le Tellier au milieu du XVIIIe siècle : « si les Saint-Chamans, les Montmorin, les Saint-Hérem, les Sailly, sont tous de très bonne noblesse, les alliances des descendants de Louvois n’ont rien de comparable à celles de leurs tantes et grands-tantes. Les Le Tellier sombrent peu à peu dans l’anonymat de la bonne noblesse »63. Par leur alliance avec les Rochedragon, les de Sailly restent de même dans l’anonymat de la bonne noblesse d’autant plus que la famille de Rochedragon est encore moins intégrée au groupe nobiliaire 63 - Luc-Normand TELLIER, Face aux Colbert, les Le Tellier, Vauban, Turgot et l’avènement du libéralisme, Sillery, Presses de l’université de Québec, 1987, p. 583. - 45 curial : aucun Rochedragon n’a de charge dans une maison princière. La famille de Sailly est elle-même insérée dans un réseau d’alliances avec des familles de la cour (igure 6). Elle est alliée à la maison de Mailly : AnneFrançoise de Sainte-Hermine épouse le comte de Mailly et devient dame d’atour de la reine. Les de Sainte-Hermine sont également alliés à la famille d’Aubigné et donc à Madame de Maintenon. Ainsi, les de Sailly sont alliés à des familles gravitant autour des grands et au service des princes comme la comtesse de Mailly ou les Le Tellier de Souvré, maîtres de la garde-robe du roi. Constant d’Aubigné Louise d’Aubigné Françoise d’Aubigné Mme de Maintenon Benjamin de Villette, Madeleine de Villette Elie de Saint-Hermine + 1649 Louis comte de Mailly Anne-Françoise de Sainte-Hermine dame d’atour de la reine Henri Louis de Sainte-Hermine Geneviève Morel de Putanges Charles de Sailly + 1687 Françoise de Mailly + 1700 Louis Phélipeaux, Marquis de la Vrilliere, ministre d’Etat Françoise Adélaïde de Sainte-Hermine Aymard-Louis de Sailly + 1715 Louis Phélipeaux marquis puis duc de la Vrillière, ministre d’Etat (1707-1777) Louis-Hector de Sailly Gabrielle-Flore le Tellier de Souvré + 1751 Adélaïde de Sailly (1753-1785) Figure 6. Les alliances de la famille de Sailly Pour le jeune marquis, l’alliance est prestigieuse et marque l’aboutissement d’un cursus honorum et la sanction d’une noblesse ancienne. On retrouve entre les deux familles nouvellement alliées le même parcours qui souligne le caractère endogame du mariage. Les de Sailly, à l’instar du grand-père de la future épouse qui fut page de la grande écurie en 169664, débutent leur formation dans les écuries royales tout comme 64 - Bibl. nat. France, Mss, Nouveau d’Hozier 297, preuves de noblesse pour LouisHector de Sailly, 9 mai 1772. - 46 les Rochedragon. Ce sont ainsi deux familles de militaires : Louis-Hector, le père de la future marquise, est colonel du régiment de Conti puis brigadier tandis que son grand-père Aymard-Louis fut maréchal de camp en 1696 et commandeur de Saint-Louis, gouverneur de Saint-Venant65 en Artois. Cette présentation souligne ainsi qu’il existe une forme de parcours obligé pour intégrer les maisons princières. On retrouve le même modèle dans plusieurs d’entre elles. Jean Duma souligne ainsi que les cursus des gentilshommes au service des Bourbon-Penthièvre, princes légitimés, sont souvent identiques : formation aux écuries ou comme pages d’une maison princière, carrière militaire, possession d’une bonne et solide terre en province et in du parcours à la cour dans la proximité du roi ou d’un grand. On retrouve également le même parcours pour des nobles alliés au marquis de Rochedragon ; ces nobles passent ainsi du service du roi par les armes au service des princes. L’obtention des Honneurs de la cour est également un préalable nécessaire au mariage. Les de Sailly montent dans les carrosses du roi en 177266 pour entrer au service du comte de la Marche. Mais, à l’occasion de son mariage, la dame de compagnie doit présenter les preuves sur son nom d’épouse. Les Honneurs de la cour sont donc un enjeu primordial qui pèse dans les décisions pour contracter des alliances comme le souligne JeanNicolas Beaujon, généalogiste du roi, de 1758 à 1772, dans une lettre du 17 juin 1763 adressée au ministre de la maison du roi : « Vous devez vous apercevoir combien on ambitionne aujourd’hui cet honneur, c’est devenu la source des fortunes les plus considérables par les mariages avantageux qu’il procure à ceux qui en sont susceptibles car on ne s’informe plus à présent des qualités d’un sujet qui demande sa ille en mariage, pourvu qu’il soit d’une noblesse assez ancienne pour espérer que sa femme soit présentée, ce titre sufit pour qu’il l’obtienne67 ». L’ancienneté de la noblesse est donc un élément déterminant dans le choix d’un époux. De la même manière, l’entrée comme page est subordonnée à la présentation de preuves de noblesse authentiques, validées par les généalogistes du roi. Trouver des preuves de noblesse valables et les faire enregistrer à Versailles est un premier problème pour une famille provinciale et notamment pour des familles de cadets. Les documents familiaux sont souvent gardés par la branche aînée. Il est donc crucial pour la famille de nobles provinciaux d’avoir le soutien d’un noble, d’un grand qui est intégré 65 - Saint-Venant est située dans l’Artois lamand, au bord de la Lys, dans l’actuel Pas-deCalais. 66 - Bibl. nat. France, Mss, Nouveau d’Hozier 297. 67 - Bibl. nat. France, Mss, Chérin 103. - 47 à la noblesse de cour et qui va jouer le rôle d’intermédiaire, de mandataire entre la famille et le généalogiste. Si la première étape pour intégrer une maison princière est fondée sur des critères juridiques précis, celle-ci est insufisante. Pour être accepté dans la maison de la princesse de Conti, il faut également mettre en œuvre des réseaux familiaux, de proximité géographique ou de parrainage de nobles déjà insérés dans la noblesse curiale et dans les maisons princières. B - Des facteurs propices : les liens de famille Pour le marquis de Rochedragon comme pour Claude Lebel de Bellechassaigne, faire reconnaître l’ancienneté de sa noblesse n’est qu’un préalable. Il faut se faire remarquer et l’appui d’un réseau, d’une parentèle est indispensable. Les réseaux familiaux peuvent être mis en évidence par les actes notariés à l’instar du contrat de mariage du marquis de Rochedragon qui permet ainsi d’identiier certains des réseaux et des solidarités mis en œuvre. Plus largement, différents liens familiaux ou de proximité géographique sont utilisés pour permettre l’accès des Bourbonnais à la maison de la princesse. Les liens géographiques sont un élément important. Les nobles présents lors du mariage du marquis et se déclarant de la famille de celui-ci ont tous des origines bourbonnaises. Au comte de Thianges déjà présenté s’ajoute le marquis de Lambertye dont une des branches de la famille vit en Bourbonnais et possède un hôtel à Montluçon. L’idée d’une solidarité géographique apparaît également pour les pages de la princesse de Conti. En étudiant les origines des membres de la suite nobiliaire de la princesse, on remarque qu’il existe une corrélation entre les provinces d’origine des dames suivantes ou de leurs époux, de l’écuyer, et les origines des différents pages notamment pour des nobles normands ou originaires du comtat Venaissin. Or, en 1782, lorsque Claude Lebel de Bellechassaigne est accepté comme page, le marquis de Rochedragon vit à l’hôtel du Lude chez la princesse de Conti. Le rôle éventuel du marquis de Rochedragon dans l’entrée du page rue Saint-Dominique n’apparaît pas dans les sources. Toutefois, le choix d’un page bourbonnais dont une partie de la famille est voisine à Montluçon de l’hôtel du marquis laisserait penser à une intervention oficieuse du marquis. Un autre argument pourrait suggérer un rôle d’intermédiaire de ce dernier : celui-ci parraine en effet de jeunes nobles berrichons au sein des écoles militaires (le marquis a des origines berrichonnes par sa mère et acquiert un château à Bouges). - 48 Un réseau mu par les mêmes origines géographiques est déployé ain de permettre l’entrée de trois enfants68 Lebel de Bellechassaigne dans les lieux de formation traditionnelle de la noblesse. Le rôle de mandataire est souvent conié à des nobles issus de la même province que le candidat mais intégrés au monde aulique. En effet, les manuscrits du Cabinet des titres montrent que le rôle capital de mandataire, chargé des précieuses preuves de noblesse qu’il porte à Versailles, est conié à une puissante famille bourbonnaise : les de Thianges. Chérin mentionne que les documents servant à faire entrer le cadet comme page du prince de Condé en 178569, mais également utilisés pour les trois enfants Lebel, ont été conservés puis apportés par un représentant de cette famille. Cet exemple fait apparaître le grand rôle de redistribution de la part de la famille de Thianges qui a notamment fourni des places dans ses régiments aux jeunes nobles de sa famille. Les deux familles sont également liées par une grande proximité géographique. En effet, les Thianges possèdent le château de Bord-Peschin à Doyet, à proximité de Chamblet. Les liens de parenté sont également mis en œuvre ain de faciliter l’union du marquis avec la dame de compagnie de la comtesse de la Marche. Ainsi, des parentèles très lâches sont convoquées : le comte de Thianges apparaît sur le contrat de mariage et représente la mère du futur mari. Or, les liens entre les Rochedragon et les Thianges sont très ténus : Marie de La Faye de La Porte épouse en secondes noces Gaspard de Thianges, oncle d’Amable-Gaspard de Thianges. Néanmoins, si aucun lien de sang n’existe, Amable-Gaspard de Thianges se déclare cousin du marquis de Rochedragon. Les liens avec les de Lambertye sont si lâches qu’ils n’ont pu être identiiés, toutefois le témoin se déclare « cousin » du futur époux. Or, des liens ont dû exister : en 1773, un Rochedragon est déclaré tuteur des enfants mineurs de la famille de Lambertye. Néanmoins, leur présence lors du mariage, leur aide dans l’entrée du marquis dans la maison souligne que ces nobles ont conscience d’appartenir à la même parentèle que le futur époux et semble indiquer « leur sens de la famille »70 que le vocabulaire de la parenté ne retranscrit que partiellement, ou des relations d’amitié ou de proximité comme le laisse entendre la polysémie du terme qui, pour le dictionnaire de l’Académie de 1762, se dit « de ceux qui sont bons amis et en bonne intelligence ». Les liens avec les de Fougières sont également lâches : François-Marie de Fougières est le cousin à la mode de Bretagne du marquis de Rochedragon. 68 - Cependant, seuls les garçons sont acceptés, la ille, trop âgée, est refusée à Saint-Cyr. 69 - Bibl. nat. France, Mss, Chérin 21, preuves de noblesse pour l’admission de Charles Lebel de Bellechassaigne aux pages du prince de Condé, 20 janvier 1785. 70 - François-Joseph RUGGIU, L’individu et la famille dans les sociétés urbaines anglaise et française (1720-1780), Paris, Presses Universitaires Paris-Sorbonne, 2007, 541p., p. 40. - 49 Cette parenté de sang très lâche est renforcée par des parentés symboliques ou spirituelles. Par exemple, le père du marquis de Fougières est le parrain du futur époux. Les mêmes rélexions peuvent être poursuivies du côté maternel avec les Cadier de Veauce où les faibles liens de parenté sont doublés par une parenté spirituelle. Les Thianges, les de Fougières et les Cadier de Veauce sont également des familles alliées : lors du mariage de Claude de Thianges en 1722 , le marquis François de Fougières, témoin, est qualiié de « cousin ». De même, les trois familles ont, toutes, en commun d’être unies aux Montaignac de Chauvance. Ces parentés sont également renforcées par un parrainage spirituel : l’appartenance commune à l’ordre de Malte apparaît comme un élément extrêmement important. En effet, Joseph de Thianges est un des parrains lors de la réception de Joseph de Rochedragon comme chevalier de Malte en 1685. Les Thianges et les Fougières comptent un grand nombre de chevaliers et de commandeurs de l’ordre de Malte71. L’appartenance de ces familles à l’Ordre montre que celui-ci apparaît comme un moyen de créer et de consolider des alliances. Chaque lignage noble bourbonnais présenté ici appartenant à l’ordre a été tour à tour, soit introduit par une des familles, soit parrain d’un autre lignage. L’ordre de Malte forme ainsi « un capital de relations nobiliaires72 » à l’image de ce que Laurent Bourquin a démontré pour l’ordre du croissant. En effet, pour devenir chevalier de l’ordre militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, appelé Ordre de Malte après son installation sur l’île en 1530, il faut cent ans de noblesse de nom et d’armes prouvés sur quatre degrés, soit huit quartiers. Le profès est généralement reçu à partir de seize ans moyennant 3 000 livres, mais les familles aisées font admettre leurs ils très jeunes en payant un « passage de minorité » trois fois plus élevé, à l’instar du marquis de Rochedragon et de son frère. Les preuves demandées soulignent l’importance d’être parrainé et d’être inséré dans un réseau, car aux preuves littérales, c’est-à-dire fondées sur des documents juridiques, s’ajoutent des preuves testimoniales marquées par le témoignage de quatre témoins nobles, des preuves secrètes aussi basées sur des témoignages et éventuellement des preuves locales, ce qui souligne l’importance de la renommée, de la réputation. 71 - Bibl. nat. France, Mss, Nouveau d’Hozier 312, preuves de noblesse de Claude de Thianges, 1722. Procès-verbaux des preuves de noblesse pour des réceptions comme chevaliers de l’ordre de Jérusalem en 1687 et 1628. En 1628, Paul de Thianges est reçu dans l’ordre avec Gilbert de Fougières pour témoin. Paul de Thianges est signalé comme étant le petit-ils de Catherine de Rochedragon. 72 - Laurent BOURQUIN, « Les chevaliers de l’ordre du croissant : les sources d’une faveur, les limites d’une idélité », dans Chantal GRELL, Arnaud de FORTANIER, Le second ordre, l’idéal nobiliaire. Hommage à Ellery Schalk, Paris, Presses Universitaires de la Sorbonne, 1999, p. 21-29. - 50 Pour le jeune page, aucun lien familial n’a pu être mis en évidence. Les alliances de la famille Lebel sont moins prestigieuses, plus locales et ne peuvent pas être un atout décisif pour l’entrée du jeune homme dans la maison de la princesse de Conti. Toutefois, à la proximité géographique avec les Rochedragon et les de Thianges, vient s’ajouter un lien symbolique avec ceux-ci. En effet, le 2 septembre 1726, lors de la bénédiction d’une cloche Claude à Chamblet73, le parrain est le comte de Thianges, tandis que la marraine est Barbe Lebel de La Vaureille, épouse de M. de Barbaudière, écuyer, seigneur du Plaix, brigadier des gendarmes de la garde du roi et chevalier de Saint-Louis. Le sentiment d’appartenir à une communauté symbolique et spirituelle avec les Lebel a pu inciter les comtes de Thianges à jouer un rôle de protecteurs pour le jeune Claude. Ainsi, l’entrée des deux Bourbonnais dans la maison de la princesse de Conti est favorisée par des nobles déjà intégrés dans les maisons princières. Cet exemple souligne à la fois l’importance des réseaux nobiliaires pour accéder à une maison princière mais également l’enchevêtrement des alliances à la fois au sein d’une maison princière et entre les différentes maisons des « Grands ». C - Le patronage de nobles déjà intégrés à la noblesse curiale L’entrée des deux nobles bourbonnais est favorisée par l’activation d’un réseau de nobles déjà insérés dans les maisons princières. L’exemple du marquis de Rochedragon met en évidence l’existence de deux axes qui visent à permettre son mariage avec Adélaïde de Sailly. L’exemple de Claude Lebel illustre le rôle charnière du comte de Thianges. Ces deux exemples d’intégration d’une maison princière révèlent l’importance des réseaux et des parentèles dans les carrières. Il est donc important d’avoir un intermédiaire, un parrain, un protecteur dont le rôle s’avère crucial lorsqu’il s’agit de réunir les preuves de noblesse et de les porter au généalogiste du roi : ceci est délicat pour une famille provinciale mal intégrée à la noblesse parisienne ou curiale. Pour le marquis de Rochedragon, les parrains de cette nouvelle union sont des nobles déjà insérés dans des nébuleuses princières et qui jouent le rôle d’introducteur du jeune marquis dans la maison de la princesse de Conti. En effet, les témoins du mariage appartiennent déjà à des maisons princières. Deux pôles peuvent être mis en évidence. Tout d’abord, les Thianges et de Fougières ont 73 - Georges MICHARD, « Les registres paroissiaux de Chamblet, relet de la vie rurale au XVIIIe siècle », Bulletin des Amis de Montluçon, 3e s., n° 53, 2002, p. 73-106. - 51 en commun d’appartenir à la maison du comte d’Artois ; comme l’indique la igure 7, Amable-Gaspard est maître de sa garde-robe tandis que FrançoisMarie de Fougières est son premier maître d’hôtel. Ensuite, des membres de la parentèle du marquis de Rochedragon gravitent autour de la maison des Conti. Ainsi, la tante du marquis de Lambertye, « cousin » du futur époux, est dame d’honneur de la princesse de Conti douairière74, c’est-à-dire de la belle-mère de Marie-Fortunée d’Este. De plus, André Cadier de Veauce est, en 1774, capitaine au régiment de la Marche, il est donc intégré à la maison militaire de l’époux de Marie-Fortunée d’Este. Cette présentation des alliances activées pour l’entrée du marquis de Rochedragon dans la maison de la comtesse de la Marche permet de souligner différents éléments. Tout d’abord, cet exemple souligne « la force des liens faibles »75, les parentés les plus lâches sont convoquées et permettent d’ouvrir les horizons du jeune marquis. Il existe donc un réseau de solidarité en faveur des branches cadettes, des cousinages qui fonctionnent même avec des degrés très éloignés comme l’avait montré Yves Durand76 pour la maison de Durfort. De même, le système de recrutement des maisons princières dépasse largement le cadre de la famille étroite. Il faut noter l’importance du berceau de ces maisons au service des princes, qui puisent leur force, à la cour comme en province, de leur capacité à être des intermédiaires actifs. Même intégrés à une maison parisienne, les Thianges, les de Fougières, les Cadier de Veauce ont une logique d’insertion de leurs cousins restés en province ce qui est une manière pour eux de renforcer leur sphère d’inluence dans leur province d’origine. Cette idée se retrouve à travers l’étude des différents bassins de recrutement de la suite nobiliaire de la princesse de Conti : l’entrée d’un noble au service de la princesse comme dame ou écuyer semble entraîner l’entrée d’un page de la même région. Ces nobles qui ont réussi à intégrer le groupe curial jouent alors un rôle d’intermédiaire, de redistributeur des bienfaits de la protection princière dont ils bénéicient désormais : on peut noter le rôle de la famille de Thianges dans ce rôle de patronage des nobles issus du Bourbonnais. 74 - Bibl. nat. France, Mss, Chérin 114 (2378), preuves de noblesse pour EmmanuelFrançois de Lambertye, 1782. 75 - Mark GRANOVETTER, “ The strength of weak ties ”, American Journal of Sociology, vol. 78, n° 6, mai 1973, p. 1360-1380. 76 - Yves DURAND, La maison de Durfort à l’époque moderne, Lussaud, 1975, 334 p. - 52 La proximité de la maison des Conti Des parents insérés dans la maison du comte d’Artois Claude de Thianges Gaspard de Thianges Sylvain de Rochedragon X 1668 Marie de la Faye de la Porte X 1710 Camille de Lambertye _ Charles-Alexandre de Lambertye Chambellan du roi de Pologne X 1747 Charlotte de Puget dame d’honneur de la princesse de Conti Marraine Gabrielle Antoinette de Lambertye + Emmanuel François marquis de Lambertye (1748-1819) Amable Gaspard de Thianges (1724-1800) maître de la garde – robe du comte d’Artois Jean-François de Fougières Jean de Rochedragon X 1711 Claire de Fougières Jean-François de Fougières (meurt en1768) Jean-Joseph de Rochedragon X 1739 _ Marie-Françoise de Gamaches Cousin Allié aux de Sailly Marie-Aimée de Riglet X 1715 Gilbert Cadier baron de Veauce _ FrançoisCadier de Veauce Marraine Parrain François-Marie de Fougières (meurt en 1787) Premier maître d’hôtel du comte d’Artois Sous-gouverneur du Dauphin Jean-François de Rochedragon André Cadier de Veauce Capitaine au régiment de la Marche né en 1749- Figure 7. Les alliances et les parentèles du marquis de Rochedragon en 1774 Figure 7. Les alliances et les parentèles du marquis de Rochedragon en 1774 Sources : Arch. nat., MC, II, 666 La noblesse au service des princes apparaît comme une société soudée, 21 et comme un creuset de solidarités. Les témoins de la nouvelle union apportent leur patronage aux jeunes époux. Katia Béguin note la fréquence de ces formes de parrainage par des oficiers d’un rang supérieur, lors des mariages des membres de la clientèle des princes de Condé, qui « ne manquent pas de rehausser l’importance sociale du nouveau couple77 ». De façon plus générale, cet exemple souligne la dimension endogame des maisons princières. En effet, les membres d’une même maison sont liés, soudés par des liens forts78, des mariages, des parentés spirituelles comme entre les de Thianges et les de Fougières. La concordance des parcours est un autre lien : tous les membres de la parentèle du marquis sont des oficiers supérieurs et le service des armes crée indéniablement des solidarités et des patronages naguère soulignés par André Corvisier79. Le service des 77 - K. BEGUIN, op. cit., p. 222. 78 - A. BOLTANSKI, op. cit., p. 219. 79 - André CORVISIER, « Quelques formes de la sociabilité militaire », dans Françoise Thélamon (textes réunis par), Aux sources de la puissance : sociabilité et parenté. Actes du colloque de Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 1989, 244 p. - 53 armes est une première étape dans le service des Grands : c’est un moyen d’intégrer la maison civile d’un prince comme pour le marquis de Sailly, ou un moyen d’aider sa parentèle à intégrer la maison comme pour André Cadier de Veauce. Mathieu Marraud a également mis en avant l’idée qu’il existait une « endogamie élargie au sein des « noblesses princières80 ». Des liens existent entre des membres de différentes maisons princières notamment de la famille royale au sens strict. Il estime cependant que ce n’est pas le cas pour les maisons d’Orléans, de Conti et de Penthièvre qu’il juge plus repliées sur elles-mêmes. Or, l’étude des parentèles activées ain de faire entrer le marquis de Rochedragon dans une maison princière montre l’enchevêtrement des alliances entre les membres d’une même maison et entre les différentes maisons princières81. Il existe ainsi des « ponts » entre ces maisons, entre la maison du comte d’Artois et la maison de Conti. De plus, l’alliance d’une sœur du comte de Fougières, époux de la marraine du marquis de Rochedragon, avec le comte de Saint-Chamans fait entrer la première famille dans la parentèle élargie des Le Tellier, et donc des de Sailly. Enin, l’entrée concomitante des deux illes du marquis de Broc, noble angevin, comme dames suivantes de la princesse de Conti et de la princesse de Lamballe, laisse suggérer des liens de parenté entre les membres de toutes les maisons princières et non plus uniquement de celles de la famille royale. L’union du marquis de Rochedragon et de la ille du marquis de Sailly révèle ainsi l’enchevêtrement des alliances car, en déinitive, les deux époux sont liés par des alliances indirectes : le marquis de Lambertye se déclare lors du mariage « cousin » des futurs époux. Néanmoins, cette étude met à jour la gradation des qualités des nobles en fonction du prestige de la maison princière : on note la différence de statut entre un de Thianges ou un de Fougières et le marquis de Rochedragon dont la famille est moins illustre. L’alliance des Le Tellier avec les de Sailly souligne la perte de vitesse de cette famille qui passe de la maison du roi à la maison du comte et de la comtesse de la Marche. La maison de la comtesse de la Marche, et peut-être plus encore celle de la princesse de Conti, ne polarisent pas de grandes familles aristocratiques qui préfèrent des services plus prestigieux. Mathieu Marraud souligne ainsi que la qualité de la suite nobiliaire dépend du prestige du prince, « un prince de second plan ne peut attirer à lui de hautes lignées82 », ce qui est le cas pour la princesse de Conti. 80 - M. MARRAUD, op. cit., p. 253. 81 - La composition de celles-ci est encore loin d’être étudiée. 82 - M. MARRAUD, op. cit., p. 250. - 54 Jean Duma souligne de même une baisse de la qualité des gentilshommes lors du passage de la maison du comte de Toulouse à celle de son ils le duc de Penthièvre qui serait, selon lui, dû au retrait de la part du duc de la vie publique et politique. De même, l’exemple des ils Lebel de Bellechassaigne est éclairant : l’aîné déjà âgé est placé dans la maison de la princesse de Conti tandis que le cadet plus jeune voit s’ouvrir les portes des écuries du prince de Condé, beaucoup plus prestigieuses. Il est alors intéressant de noter que les pages de la princesse sont relativement âgés quand ils entrent à son service. La maison de la princesse de Conti serait alors à l’image de celle-ci : femme séparée, ayant peu de goût pour la vie curiale, elle ne peut attirer que des familles de rang modeste. Néanmoins, servir une princesse du sang peut apparaître comme une source d’honneurs, de revenus, voire comme un tremplin dans une carrière nobiliaire, et les historiens ont insisté sur cette manne que peut être l’entrée dans une maison : Mathieu Marraud parle de « véritable planche de salut »83, Katia Béguin interroge la notion de « marchepied social »84 et mesure les bénéices retirés par les serviteurs des Condé. Il convient cependant ici de nuancer voire de limiter l’importance du passage dans une maison princière de second plan. Intégrer la maison de la princesse de Conti apparaît moins comme une in en soi que comme un moyen d’attirer protections et patronages. Ce ne serait qu’une étape dans un parcours nobiliaire, même si les retombées du service sont réelles. III. Les retombées du service de la princesse de Conti Intégrer la maison d’un prince ou d’une princesse permet de se placer sous la protection d’un prince du sang qui conserve jusqu’à la Révolution française un statut particulier. Leur titulature rappelle qu’ils sont de même sang que le roi, ce qui donne un prestige certain à leur service. Même s’ils ne font pas partie de la famille royale proprement dite, ils forment un second groupe dans l’entourage immédiat du roi et participent à un grand nombre de cérémonies à la cour. Leur rang leur impose d’être présents régulièrement à Versailles. Dans cette perspective, le service d’un prince du sang implique de côtoyer la cour, le monde curial. Il s’agit donc de saisir quels sont les avantages du passage par le service d’une maison princière féminine et modeste pour les deux nobles bourbonnais. La protection princière induit ainsi des bénéices à court terme, dès l’entrée dans la maison qui offre une vie à proximité immédiate du grand, mais aussi à moyen ou long terme, car s’attacher les égards d’un prince permet d’obtenir charges, pensions, emplois dans un milieu où la concurrence pour ces places est rude. 83 - Ibid., p. 254. 84 - K. BEGUIN, op. cit., ch 8 « le service du prince, un marchepied social ? », p. 232-260. - 55 A - Une vie au plus près des Grands : la commensalité Servir le prince implique tout d’abord de partager la vie du grand, de devenir son commensal au sens premier du terme. Commensal est ainsi un terme dérivé de commensalis : le compagnon de table. Toutefois, les personnes au service de la princesse de Conti ne sont pas titulaires d’un ofice. Les charges sont des emplois révocables et payés sur les deniers propres de la princesse. Les membres de la maison de la princesse de Conti ne jouissent donc pas des avantages, privilèges et exemptions des commensaux du roi. Néanmoins, l’habitat commun avec le prince présente différents avantages. Les nobles qui entrent au service de la princesse de Conti sont, en effet, logés à son hôtel. À partir de 1776, la princesse quitte son mari et l’hôtel de la Marche pour s’installer rue Saint-Dominique à l’hôtel du Lude85. Le marquis de Rochedragon rejoint son épouse au dit hôtel et le couple y possède un logement. L’inventaire86 dressé après le décès de la marquise de Rochedragon, le 21 août 1785, permet d’entrer dans le logement occupé par le couple qui est composé de deux appartements : celui de la marquise donne sur la cour tandis que celui de son mari donne sur le jardin à l’arrière. Le premier appartement est composé d’une chambre à coucher, d’un cabinet de toilette, un salon, une antichambre, une salle à manger, une cuisine pratiquée sur une terrasse, une cave. Celui du marquis est composé d’une antichambre suivie d’une autre pièce, une chambre et la chambre de la femme de chambre ayant vue sur la cour. Le couple loue également rue du Bac, à proximité, une écurie, avec remise, grenier, chambre de cocher pour son attelage personnel composé d’un carrosse et de deux chevaux. Ainsi, le couple possède un logement personnel et autonome. Le page Lebel de Bellechassaigne vit aussi à l’hôtel de la princesse. Les pages sont installés dans un espace à part : au fond du jardin dans un pavillon qui leur est entièrement dévolu. Ils sont nourris, logés, habillés, soignés, instruits par la princesse. C’est donc une chance pour les familles nobles qui trouvent l’occasion de fournir à leurs enfants une formation entièrement gratuite. Ils portent la livrée de la princesse qui est régulièrement renouvelée. Les nobles sont également rémunérés par la princesse de Conti. Les gages délivrés par la princesse de Conti sont honorables. En 1774, Adélaïde de Sailly déclare bénéicier d’appointements de 3 000 livres par an pour sa place de dame de compagnie de la comtesse de la Marche. En devenant dame 85 - Cet hôtel est aujourd’hui détruit et son emplacement serait boulevard Saint-Germain. 86 - Arch. nat., MC, ET, II, 726, 6 décembre 1785, inventaire après décès de la marquise de Rochedragon. - 56 d’honneur de la princesse de Conti à partir de 1776, ses appointements sont augmentés et elle reçoit alors 4 000 livres par an. Cette somme correspond aux gages des dames de compagnie des tantes de Louis XVI, Madame Victoire et Madame Sophie, qui possèdent cependant, elles, le statut de commensale avec les privilèges et exemptions. Le service de la princesse de Conti n’est donc pas en soi une source d’enrichissement, comme le souligne Mathieu Marraud : « ce n’est donc pas le service princier qui s’avère lucratif de manière directe mais bien les avantages qu’il peut procurer »87. Les plus grands avantages sont donc d’être logé, nourri par la princesse et que ses domestiques le soient également. La marquise de Rochedragon est commensale de la princesse de Conti et reçoit des émoluments pour ses repas pris à l’extérieur, et une somme d’argent pour les frais de deuil. Les Rochedragon possèdent leur propre maison à l’intérieur de la maison de la princesse de Conti et leurs domestiques sont logés à l’hôtel. Les pages, quant à eux, ne sont pas rémunérés, mais l’entrée au service de la princesse de Conti comporte plusieurs avantages directs. Elle offre la possibilité pour des nobles d’obtenir une formation de qualité, propre à leur rang, à moindre coût. Le livret de comptes mentionne la présence d’un maître de mathématiques, d’un maître d’armes, d’un maître de danse et d’un maître d’équitation. Les lieux de formation offerts par la monarchie apparaissent ainsi comme un moyen de donner à leurs enfants une formation digne de leur rang et au-delà de les établir en leur offrant une belle alliance, une charge… Le même proil se retrouve chez toutes les familles de pages : l’établissement des enfants nécessite le passage aux écuries princières, ou à Saint-Cyr ; des fratries entières y sont alors envoyées. Servir la princesse de Conti offre également l’opportunité, parfois unique, de côtoyer le monde de la cour, de participer à la vie de cour, occasions de rencontres, de contacts pouvant aboutir à l’obtention de places ou de charges. Le service de la princesse est ainsi source d’honneur et de distinction. Il souligne symboliquement l’appartenance du noble au monde curial, au cercle de la noblesse de cour. En effet, le port de la livrée est un signe distinctif fondamental : en revêtant les armes de la princesse, le jeune page montre avec éclat son appartenance au service d’une princesse de sang royal ce qui est un enjeu primordial dans une société aulique caractérisée par l’importance du jeu des apparences. Dans la même perspective, le privilège accordé aux princes du sang, et donc à la princesse de Conti, de draper lors des deuils de la famille royale rejaillit sur la suite de la princesse 87 - M. MARRAUD, op. cit., p. 245. - 57 qui doit, elle aussi, prendre le deuil. La marquise de Rochedragon ou le page Lebel de Bellechassaigne manifestent alors, par le port de vêtements de deuil, leur appartenance à cette nébuleuse aristocratique, ce cercle des serviteurs des princes. Pour la marquise, l’intronisation dans ce cercle passe par la cérémonie des Honneurs de la cour. La présentation au roi et à la reine apparaît comme une reconnaissance aux yeux des autres nobles de l’ancienneté de son nom, de l’éclat du service, d’autant plus que la jeune marquise est présentée par la comtesse de la Marche. Cette appartenance à la familia de la princesse se manifeste également symboliquement par le fait que la princesse de Conti devient la marraine du premier ils du couple. Elle est présente, ainsi que le duc de Penthièvre parrain, lors du baptême du premier né dont le nom rappelle le double parrainage princier puisqu’il est prénommé Louis-Fortuné. La famille de Rochedragon, le page Lebel de Bellechassaigne fréquentent régulièrement le monde de la cour. La marquise de Rochedragon est logée à Versailles dans l’appartement que la princesse de Conti partage avec son mari, dans l’aile nord, dans une certaine proximité avec le roi et la famille royale. Tous les deux participent aux grands moments de la vie curiale : les pages montent derrière les carrosses de la princesse ou, à cheval, entourent le cortège de celle-ci. On les retrouve à différentes occasions comme lors des cérémonies des relevailles de la reine… La dame d’honneur a un rôle plus déini, elle joue un rôle d’introducteur des visiteurs, et elle a donc un contact direct avec le monde aristocratique ou princier : elle est ainsi présentée à la grande-duchesse de Russie qui séjourne à Paris sous le nom de la comtesse du Nord. Elle est également présente dans tous les cortèges princiers comme pour un mariage, un baptême. Par leur contact avec le cercle curial, les nobles intègrent les règles, les normes de la cour : avec par exemple le port de l’habit de cour de la part de la marquise de Rochedragon, et plus largement l’adoption d’un mode de vie aristocratique comme le laisse entrevoir l’inventaire après décès de la marquise qui révèle le cadre de vie du couple de Rochedragon. Toutefois, il convient de comprendre en quoi ce passage dans la maison de la princesse a contribué à valoriser la carrière du marquis de Rochedragon et à lancer celle du jeune Claude Lebel de Bellechassaigne. B - Un tremplin vers une carrière plus prometteuse ? Madame de Genlis, dame de compagnie de la duchesse d’Orléans et gouverneur des enfants d’Orléans, souligne l’importance du service des princes et plus particulièrement le service féminin pour l’ensemble de la - 58 famille dans ses Mémoires : « Je détaillai tous les avantages de la place de dame de compagnie surtout quand on avait des enfants : des régiments dont les princes disposaient et qui étaient toujours donnés aux enfants ou aux gendres des dames, leurs propres places qu’elles pouvaient céder à leurs illes ou à leurs brus, la protection des princes, etc. » 88. Il convient tout d’abord de s’intéresser à la carrière militaire du marquis de Rochedragon. Celle-ci s’avère bien meilleure que ce que le passage aux écuries royales pouvait le laisser penser. En effet, François Bluche souligne que les pages sortis des écuries royales « retrouvent pour la plupart la médiocrité d’existence d’une noblesse honorable provinciale. Ils ont fourni plus de chevau-légers ou de gendarmes de la garde, plus de capitaines de régiments entretenus que de colonels ou de brigadiers ». Or, le parcours du marquis de Rochedragon montre la réussite d’un parcours et au-delà l’ascension d’une famille. C’est tout d’abord une réussite militaire. Les régiments royaux apparaissent, dans un premier temps, comme « une plateforme de lancement »89 de sa carrière. Le marquis réalise un début de parcours assez classique pour un jeune noble aisé. Il débute dans les gardes du roi et au bout de deux à trois ans devient capitaine en acquérant une compagnie pour 10 000 livres. Cette acquisition donne un essor certain à sa carrière. En 1765, il est capitaine commandant dans les carabiniers, place qui souligne également les qualités du jeune oficier90. Une nouvelle fois, sa carrière est accélérée par l’achat, pour 10 000 livres, d’un brevet de major. En 1776, il est major au régiment d’Artois-Cavalerie. En 1778, il devient colonel en second du régiment de Médoc. En 1781, il est mestre de camp du régiment de Turenne, colonel inspecteur au régiment Colonel général à la veille de la Révolution française. En 1791, il est nommé maréchal de camp. Le déroulement de sa carrière souligne différents points. Tout d’abord, l’exemple du marquis de Rochedragon met en lumière l’importance de l’argent dans l’évolution d’une carrière militaire91 et dans la rapidité de sa progression. Premièrement, l’entretien d’un oficier et plus encore d’une compagnie coûtent cher mais surtout l’argent permet par deux fois, en 1763 et en 1776, au jeune oficier d’accélérer sa carrière. Acquérir une compagnie puis un brevet de major lui fait gagner plusieurs années. Dans cette perspective, son union avec Adélaïde de Saillly est un atout décisif et 88 - Madame de GENLIS, Mémoires, t. 2, p. 159. 89 - Hervé DRÉVILLON, L’impôt du sang, le métier des armes sous Louis XIV, Paris, Taillandier, 2005, 526 p., 90 - Ibid., p. 246. 91 - Ibid., « Patienter ou dépenser ? » p. 248. - 59 lui permet d’obtenir de fortes sommes d’argent : la mariée apporte 160 000 livres dont une dot de 30 000 livres. D’autre part, le choix des régiments où le marquis occupe des charges est révélateur de son insertion dans un réseau de nobles au service des grands. Son passage au régiment d’Artois rappelle les liens familiaux du marquis de Rochedragon avec les membres de la maison du frère du roi. Il existe des liens très forts entre la maison militaire et la maison civile des princes : la première est un moyen d’accéder à la seconde tandis que les familles gravitant autour des princes cherchent inversement à obtenir pour leurs familles ou leurs alliés des places dans les régiments de leur maître. Lors de son passage au régiment d’Artois, des liens familiaux peuvent être mis en évidence : Jean-François de Rochedragon remplace le marquis de Saint-Chamans mestre de camp en 1780. Or, l’oncle de son prédécesseur est marié avec la ille du comte de Fougières, son cousin et maître d’hôtel du comte d’Artois, tandis que le marquis de Saint-Chamans est lui-même marié avec une ille Le Tellier. Cette double alliance a donc dû être un élément déterminant dans l’attribution du poste. En 1784, il est inspecteur au régiment Colonel général puis en 1789 en devient colonel inspecteur. Par le choix du régiment, qui appartient au prince de Condé, le marquis reste dans l’environnement et la protection des princes. L’entrée dans la maison de la princesse de Conti marque la réussite de l’activation de réseaux familiaux mais n’est inalement qu’une étape, les parentèles sont encore sollicitées dans la recherche de places. Néanmoins, l’utilisation des réseaux familiaux s’effectue sous la bienveillance et le patronage des princes. À partir de 1774, le marquis de Rochedragon est inséré dans la noblesse curiale et peut attirer le parrainage, les bienfaits du prince : il reçoit ainsi la croix de Saint-Louis en 1778 des mains du prince de Conti. Cette protection princière conjuguée avec des relations familiales bien placées permet au marquis de Rochedragon de solliciter charges et pensions. En 1784, il reçoit une gratiication exceptionnelle de 2 000 livres puis en 1785 une pension royale de 2 000 livres. En 1788, il obtient une nouvelle pension de 1 000 livres sur l’ordre de Saint-Louis. En 1785, au décès de sa femme, sa carrière semble aboutie : il quitte la maison de la princesse mais aussi Paris pour demeurer à Bouges ou à Montluçon. Ainsi, le marquis de Rochedragon effectue une carrière militaire brillante liée à la fois à sa naissance, à son mérite, mais aussi à l’argent et à ses protections. L’entrée dans la maison princière ne constitue pas une in en soi mais elle lui assure un beau mariage et des protections. Le passage à Paris montre une ascension sociale de la famille. Celle-ci se concrétise et se manifeste avec éclat dans la pierre. Le marquis et la marquise de Rochedragon achètent en 1779 le château de Bouges dans le Berry. Cette - 60 acquisition leur rapporte des revenus confortables. Le marquis possède également des propriétés en Bourbonnais avec le château de Fougières à Saint-Caprais ou à Montluçon. Mais vivre à l’hôtel du Lude, côtoyer la cour, est aussi déterminant pour sa carrière à une période où Paris est le « point de départ de carrières militaires » 92. À l’inverse, la carrière du jeune Claude Lebel de Bellechassaigne est encore en devenir lorsqu’il s’installe rue Saint-Dominique. Pour un jeune homme en début de carrière, le passage dans une maison princière représente l’espoir d’obtenir une place dans un régiment. Or, la période est marquée par la fermeture et l’engorgement des places : en 1788, 150 adolescents sortis des pages des écuries royales attendent leur tour pour obtenir une souslieutenance. La naissance de Claude Lebel de Bellechassaigne, son parcours, lui permettent d’obtenir un premier grade d’oficier dans l’infanterie. De fait, le Conseil de la Guerre décide le 17 novembre 1788 que « les pages des princes ou princesses auront le rang d’oficiers »93. Cette décision – qu’il est possible de mettre en parallèle avec celle en 1788 d’accorder le rang de dames titrées aux dames de compagnie des princesses du sang – valorise le service princier. Claude Lebel de Bellechassaigne intègre, en qualité de sous-lieutenant94 le 24 mars 1785, le régiment de Poitou où est déjà présent l’ancien page de la princesse, Maximilien de Salvador. La sous-lieutenance est vue comme un grade d’apprentissage que l’on obtient gratuitement grâce à l’honorabilité de son nom, et, après l’« édit » de Ségur du 22 mai 1781, en prouvant quatre degrés de noblesse, et la protection d’un capitaine ou d’un colonel95. Dans l’obtention de cette place, le jeune homme peut compter sur la protection du prince ou des autres nobles de la maison. Ainsi, il est intéressant de noter le rôle du marquis de Rochedragon. Lui-même, après avoir été parrainé, se fait protecteur. Se construit ainsi un système pyramidal, une cascade de redistributions des postes. Alors qu’il est mestre de camp au régiment de Turenne, le marquis de Rochedragon accorde successivement deux places de sous-lieutenants aux deux pages normands de Villereau : le premier devient sous-lieutenant en 1783, rejoint par son frère en 1785. Le choix du régiment du Poitou et le fait qu’y soit déjà présent un ancien page de Marie-Fortunée d’Este montrent qu’il existe un réseau conduisant à l’obtention de places dans ce régiment. En 1788, le marquis de SaintChamans, allié aux Rochedragon, devient le colonel du même régiment. 92 - Jean CHAGNIOT, Paris et l’armée au XVIIIe siècle, étude politique et sociale, Paris, Économica, 1985, p. 201-255. 93 - SHD, arch. Guerre, Ya 162, écoles militaires. 94 - SHD, arch. Guerre, Yb 388. 95 - H. DRÉVILLON, op. cit., p. 231. - 61 Ainsi, en 1785, Claude Lebel fait l’expérience directe, sur le tas, de la vie militaire. Cependant, en 1789, la situation des anciens pages n’a guère changé. Si le passage aux pages de la princesse de Conti permet d’obtenir certains bénéices : une place d’oficier mais aussi la prise en compte des années de formation dans l’obtention de la croix de Saint-Louis qui sanctionne vingt ans de service et assure une pension de 1 000 livres, l’horizon professionnel des pages semble bloqué à la sous-lieutenance voire au grade de capitaine dans le meilleur des cas, c’est-à dire au rang d’oficier subalterne. En effet, la carrière du jeune apprenti oficier bute sur un premier écueil. L’évolution et la réussite de son parcours passent par l’accès à la charge de capitaine. Pour continuer dans l’armée il faut réunir au moins l’une des trois conditions : le jeune oficier doit tout d’abord témoigner d’un certain goût pour le métier des armes qu’il expérimente vraiment en 1785, et, soit accepter la lenteur du déroulement de sa carrière et l’attente d’une place de lieutenant, soit avoir les moyens d’acquérir une compagnie. Or, la Révolution française marque une rupture dans sa carrière. Claude Lebel de Bellechassaigne quitte le régiment de Poitou le 13 janvier 1792 et semble rentrer en Bourbonnais. Il n’est possible de retrouver sa trace qu’après la Révolution. Il se marie en 1820 à Cosne-sur-Allier avec Louise Brizot et meurt avant 1828. À l’inverse, son frère Charles Lebel de Bellechassaigne, passé par les pages de Condé, émigre dans les armées de celui-ci96 et obtient la croix de Saint-Louis en 181597. La carrière de l’aîné reste, elle, inachevée. Ainsi, au terme de cette étude de deux nobles bourbonnais au service de la princesse de Conti, il est possible de dégager différents points. Se retrouve tout d’abord au sein de la maison de la princesse de Conti le même modèle, le même proil nobiliaire : ce sont des membres de famille de noblesse ancienne, militaire, bien implantée localement. L’entrée au service de celleci apparaît comme la sanction d’une noblesse ancienne et d’un cursus honorum qui passe par les écuries royales et le service des armes. Elle implique l’activation de réseaux familiaux et/ou de proximité géographique conjugués avec des solidarités militaires. Ces deux exemples soulignent l’importance des parentèles, mêmes lâches, et des parrainages, notamment spirituels, ou au sein de l’ordre de Malte. Ils mettent en lumière l’enchevêtrement des alliances au sein d’une maison princière comme celle du comte d’Artois ou entre les différentes maisons des princes. Le parrainage d’un grand est primordial. Le rôle de la famille de Thianges dans cette redistribution des 96 - SHD, arch. Guerre, 1 K 45, 23. 97 - Arch. dép. Allier, Q 3753. - 62 charges et des places apparaît décisif, sa place d’intermédiaire ou broker98 serait à approfondir, et montre comment cette « noblesse seconde »99 sert de relais entre la cour et leur province. La dimension géographique des réseaux est ainsi déterminante et mériterait des investigations plus poussées. Il serait alors intéressant de mettre au jour l’ensemble des Bourbonnais présents dans les maisons princières ain de mieux comprendre l’enchevêtrement des alliances et les ressorts des réseaux. Des travaux ont été entrepris pour l’Aquitaine et ont montré combien les réseaux familiaux se superposent aux liens de clientèle : 50 % des demoiselles de Saint-Cyr100 d’Aquitaine sont ainsi apparentées101 et 12 % des pages de la grande écurie et des demoiselles issus de la même province sont parents102. Une étude déjà ancienne a été conduite sur les jeunes illes bourbonnaises de Saint-Cyr103 et serait à prolonger et à élargir. Les bénéices inhérents à l’appartenance à une maison princière sont également visibles. Si une place dans la maison d’une princesse du sang n’est pas particulièrement lucrative, elle apporte surtout des avantages en termes d’honneurs et de pensions. Elle est l’occasion pour un père de placer son ils, elle apporte prestige et crédit à une famille qui peut obtenir les Honneurs de la cour et des pensions du roi. Si, pour le marquis, son mariage est un tremplin, une étape vers une carrière militaire réussie, pour le page, le passage à l’hôtel du Lude permet d’obtenir un poste dans un régiment. Néanmoins, les perspectives sont limitées et la sous-lieutenance reste l’horizon indépassable de la carrière du jeune Bourbonnais. En déinitive, Claude Lebel de Bellechassaigne regagne, certainement à la Révolution, sa 98 - Sharon KETTERING, Patrons, brokers, and clients in seventeenth-century France, New York, Oxford, Oxford University press, 1986, 322 p. 99 - Jean-Marie CONSTANT, « Un groupe socio-politique stratégique dans la France de la première moitié du XVIIe siècle : la noblesse seconde », Actes du colloque d’Oxford, L’État et les aristocraties (France, Angleterre, Écosse), XIIe-XVIIe siècle, Paris, Presses de l’ENS, 1989, p. 279-304. 100 - Dominique PICCO, Les demoiselles de Saint-Cyr, thèse de doctorat d’histoire sous la direction de Daniel Roche, Université de Paris I-Sorbonne, 1999, 3 vol. 101 - D. PICCO, « L’intégration des Aquitains aux structures royales à l’époque moderne », dans Josette PONTET, Jean-Paul JOURDAN, Marie BOISSON (textes réunis par), À la recherche de l’Aquitaine, Pessac, CAHMC, 2003, p. 205 à 239. 102 - D. PICCO, « Peut-on parler de modèle nobiliaire à propos des familles des demoiselles reçues à Saint-Cyr de 1686 à 1793 ? », Actes du colloque La noblesse de la in du XVIe siècle au début du XXe siècle, un modèle social, Université de Bordeaux III, mai 2001, Anglet, Atlantica, 2002, tome I, p. 173 à 198. Article mis en ligne sur le site Courdefrance.fr : < http://cour-defrance.fr/article377.html. > 103 - M. DENIER, « Les Bourbonnaises de Saint-Cyr », Bulletin de la Société d’émulation du Bourbonnais, 1911, p. 151-162. - 63 province du Bourbonnais, où il se marie peu de temps avant de mourir. Le marquis de Rochedragon poursuit une carrière militaire après le décès de sa femme en 1785. Il se retire à la Révolution dans son château de Bouges puis se remarie en Bourbonnais avec Marguerite Chambon de Marcillat et meurt à Paris en 1816. Toutefois, il reste intégré à la noblesse parisienne et curiale. Il obtient différents honneurs en récompense de ses services et de sa idélité : il est maréchal de camp en 1791 puis, après la Révolution française, obtient le brevet de lieutenant général des armées en 1814 sans pour autant être promu commandeur de Saint-Louis ce qu’il réclamait parallèlement. Ses deux ils mènent une carrière militaire : l’aîné émigre pour servir dans l’armée de Condé et meurt avec le grade de chef d’escadron. Le cadet fait une brillante carrière : il est chevalier de Saint-Louis, obtient la Légion d’honneur ; sous la Restauration, il est nommé colonel au régiment du duc de Berry et maire de Bouges. Il se marie avec la ille de son colonel, Sidonie de Mac Donald de Tarente. En déinitive, le recrutement de la suite nobiliaire de la princesse de Conti, étudié par le prisme du foyer bourbonnais, apparaît à l’image de celleci. Tout d’abord, aucun grand nom ne se détache du service de la princesse. Certes, les membres de la suite nobiliaire adulte, c’est-à-dire l’écuyer et les dames suivantes, sont des nobles titrés : comte, mais dont le titre apparaît surtout honoriique, et principalement marquis, titre dévalué au XVIIIe siècle. Ce peu d’éclat du service révèle la modestie de la maison et permet de mettre en avant les hiérarchies au sein de ces noblesses princières qui dévoilent également les hiérarchies entre les maisons des grands. Si le comte de Thianges peut accéder à la maison d’un membre de la famille royale, le marquis de Rochedragon, beaucoup moins inséré dans la vie aulique, ne peut espérer qu’entrer dans une maison de second plan, celle de la princesse de Conti. L’éclat, le prestige d’une maison se lisent également par la distinction des familles qui y sont attachées. Le recrutement nobiliaire met également en lumière l’entregent limité de la princesse. Le choix d’une noblesse catholique insérée dans l’Ordre de Malte qui apparaît comme une niche, un sanctuaire pour les nobles, mais aussi d’une noblesse militaire, donne un caractère très classique à la maison princière. La maison de la princesse serait à l’image de celle-ci : une personne effacée, vivant en marge de la cour et qui apparaît comme un modèle de la France d’Ancien Régime.  - 64 - Agrégée d’histoire, membre de l’équipe de recherche CERHILIMGERHICO, Aurélie CHATENET prépare une thèse d’histoire moderne à l’université de Limoges sous la direction du professeur Michel Cassan. Allocataire-moniteur de recherche à l’université de Limoges de 2005 à 2008, elle est, depuis septembre 2008, ATER à l’université François-Rabelais de Tours.  - 65 Samuel GIBIAT uNe juridictioN avortée ou les avatars de la séNéchaussée et du siège présidial de MoNtluçoN aux xvie et xviie siècles1 De tout tems, cette ville [de Montluçon] a été regardée comme devant former un chef-lieu. En 1638, il y avoit une sénéchaussée et un présidial : Moulins parvint à les faire réunir à son siège. Ce n’est malheureusement pas la seule circonstance où Mont-Luçon a été la victime de l’ambition qu’ont presque toujours eüe les capitales des provinces d’envahir l’autorité et les avantages qui en sont la suite. (…) Extrait de l’« Adresse des citoyens de la ville de Montluçon à l’Assemblée nationale », novembre 17892. S’il est une juridiction restée obscure dans l’histoire des présidiaux, il s’agit bien de celle de Montluçon3. La plupart des historiens de la ville ont postulé l’existence de ce tribunal au XVIIe, voire au XVIe siècle, sans avoir jamais réalisé qu’il n’aurait curieusement laissé aucune trace de son activité. Et pour cause ! Si le présidial de Montluçon a bel et bien été créé par un édit du roi de mars 1638, il n’a jamais été effectivement installé. En effet, dès le 31 octobre 1638, à peine sept mois après l’acte de création, cette juridiction fut supprimée sur les pressantes instances des magistrats du présidial de Bourbonnais à Moulins. 1 - Communication à la séance du 8 février 2008 2 - H. de Laguérenne, Pourquoi Montluçon n’est pas chef-lieu de département, MoulinsMontluçon, 1919, p. 27. Ce mémorandum, destiné à défendre la création d’un département du Haut-Cher avec Montluçon pour chef-lieu par la voix du député Gaspard Regnard, a été rédigé par les membres du comité exécutif de Montluçon, Raby, Perrot de Chezelles, Chevalier et Chabot, en novembre 1789. Il a appartenu à Georges-Antoine Chabot, dit Chabot de l’Allier, à son tour député de l’Allier à l’Assemblée nationale, originaire de Montluçon. 3 - Je tiens à exprimer ma gratitude à MM. Christophe Blanquie et Michel Cassan pour l’intérêt qu’ils ont témoigné à cette étude et leurs précieux conseils et pistes de recherche. Il m’est également agréable de témoigner ma gratitude à MM. Denis Tranchard et Jean-Thomas Bruel, pour leur bienveillant soutien aux archives départementales de l’Allier, à Mme Virginie Wirth, pour sa disponibilité et son chaleureux accueil aux archives municipales de Moulins et à M. Marc du Pouget, directeur des archives départementales de l’Indre.