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ARCHIMÈDE N°4 ARCHÉOLOGIE ET HISTOIRE ANCIENNE DOSSIER THÉMATIQUE 1 : NOMMER LES « ORIENTAUX » DANS L’ANTIQUITÉ 1 Dominique LENFANT, Agnès MOLINIER ARBO et Pascale GIOVANNELLI-JOUANNA Nommer les « Orientaux » dans l’Antiquité : présentation du dossier 6 Luca MACALE et Francesco MARI Le lexique grec de l’Oriental dans la poésie lyrique archaïque et chez Eschyle 19 Dominique LENFANT Les « Asiatiques » du traité hippocratique Airs, Eaux, Lieux ont-ils été les premiers « Orientaux » ? 26 Yannick MULLER Le monde « oriental » et ses habitants chez Thucydide 35 Emanuele PULVIRENTI Des désignations des « Orientaux » chez Xénophon ? Le cas des Helléniques et de l’Anabase 45 Pascale GIOVANNELLI-JOUANNA Isocrate et l’ennemi commun des Grecs : désignation et représentation des peuples d’Asie dans le corpus isocratique 54 Charlotte LEROUGE-COHEN Aristote, la Politique et les « habitants de l’Asie » 60 Dominique LENFANT À la recherche des Orientaux dans l’œuvre d’Athénée 68 Jean-Luc VIX L’Orient chez Ælius Aristide 73 Agnès MOLINIER ARBO Ammien Marcellin. L’Orient et les Orientaux dans l’Empire au 80 Agnès MOLINIER ARBO Le vocabulaire de l’Orient et de l’Oriental dans l’Histoire Auguste. Regards d’un Romain sur l’Est de l’Empire à la in du ive siècle ive siècle 87 DOSSIER THÉMATIQUE 2 : PRYTANÉE ET REGIA 155 ACTUALITÉ DE LA RECHERCHE : DYNAMIQUES HUMAINES ANCIENNES 216 VARIA 236 LA CHRONIQUE D’ARCHIMÈDE Retrouvez tous les articles de la revue Archimède sur http://archimede.unistra.fr/revue-archimede/ 2017 , REVUE RCHIMeDE ARCHÉOLOGIE ET HISTOIRE ANCIENNE LE LEXIQUE GREC DE L’ORIENTAL DANS LA POÉSIE LYRIQUE ARCHAÏQUE ET CHEZ ESCHYLE Luca MACALE Francesco MARI Doctorant en histoire grecque Sapienza Università di Roma Docteur en histoire grecque Université de Strasbourg UMR 7044 Archimède Università degli Studi di Genova luca.macale@uniroma1.it fmari@unistra.fr RÉSUMÉ Cet article étudie l’évolution sémantique des concepts d’« Asie » et d’« Asiatique » dans la poésie lyrique grecque d’époque archaïque et chez Eschyle. L’attention se focalise notamment sur le processus par lequel le choronyme grec Ἀσία, qui désignait initialement une partie de l’Anatolie nord-occidentale, élargit son spectre sémantique en suivant les développements géopolitiques qui caractérisèrent l’Asie Mineure, le Proche et le Moyen-Orient aux viie et vie siècles av. J.-C., jusqu’à recouvrir le continent asiatique tout entier. Au ve siècle, enin, l’Asie paraît coïncider tantôt avec le continent, tantôt avec l’empire perse, mais ses frontières demeurent susceptibles d’être ajustées selon les buts littéraires et politiques divers des auteurs envisagés. Quant à l’enquête sur les mots désignant les Asiatiques, l’étude des textes met en lumière l’absence d’éléments qui permettent d’attribuer avec Mots-clés sûreté des connotations quelAsie, conques — et notamment négaEmpire perse, poésie lyrique grecque, tives — aux « Orientaux » pris Eschyle, dans leur ensemble. orientalisme. The aim of this paper is to study the semantic evolution of the concepts of “Asia” and “Asiatic” in both the archaic Greek lyric poetry and Aeschylus’s works. Particular attention is devoted to the process through which the term Ἀσία – initially used to designate the Anatolian norther-western region – ended up indicating what the Greeks considered to be the Asiatic continent: it seems plausible that such a semantic development is to be linked to the political events which took place in Asia Minor and in the Near East during the 7th and the 6th centuries BC. Finally, during the 5th century, the idea of Asia seems to coincide with both the Persian Empire and the continent, while its borders seem to remain quite luid and susceptible to be adjusted to the literary or political aims of the different authors. As for the inquiry on the terms which indicate Asiatic people (or which are linked to them), textual analysis seems to show that oriental Keywords populations are not always negAsia, atively connoted, since we can Persian Empire, Greek lyric poetry, also ind them in junction with Aeschylus, positive judgements. Orientalism. Article accepté après évaluation par deux experts selon le principe du double anonymat 6 ARCHIMÈDE Archéologie et histoire Ancienne N°4 2017 - p. 6 à 18 Dossier « Nommer les “ Orientaux ” dans l’Antiquité » Dans le cadre de ce dossier intitulé Nommer les « Orientaux », qui se focalise sur les questions lexicales pour tester la pertinence du concept d’« orientalisme » d’Edward Said pour l’étude des sociétés grecque et romaine, la présente contribution se concentrera sur les termes en rapport avec l’Orient dans la poésie lyrique [1] de la Grèce archaïque et dans les tragédies d’Eschyle. Elle couvrira une période qui s’étend du viie siècle à la première moitié du ve siècle av. J.-C. En ce qui concerne la poésie lyrique, il convient d’abord de mentionner les dificultés que l’on rencontre lorsqu’on cherche à envisager des productions diverses, dont chacune répond aux contraintes du genre auquel elle appartient et de l’occasion pour laquelle elle fut composée. En outre, il vaut mieux ne pas sous-estimer ni l’état fragmentaire dans lequel pareilles productions sont arrivées jusqu’à nous ni l’ampleur de leur distribution chronologique et géographique. Quoique liées, dans leur ensemble, aux contacts humains qui avaient lieu à l’époque, les raisons qui poussèrent les poètes lyriques à s’intéresser à l’Orient et à le mentionner sont donc de nature différente : politique, ethnographique ou mythographique. Ce dernier cas concerne aussi les tragédies d’Eschyle, dont l’inspiration est notamment mythologique. Bien entendu, dans la mesure où le répertoire mythique auquel puisait Eschyle comprend des épisodes qui se déroulent en terre d’Asie, l’intérêt de ce dramaturge pour l’Orient peut assumer lui aussi un caractère ethnographique ou plus précisément historico-politique : c’est le cas des Perses (472 av. J.-C.), une [1] L’emploi du terme « lyrique » est parfois considéré comme ambigu et inadapté à la déinition d’une poésie à la fois complexe et variée (voir, par exemple, Calame 1998). Toutefois, en l’absence d’une expression capable d’indiquer synthétiquement et eficacement tous les genres poétiques qui vont être envisagés (aussi bien que d’exclure ceux qui ne vont pas l’être), on a préféré utiliser cette expression. Cf. Rossi & NiColai 2002, p. 207. [2] said 1978, p. 21. [3] Cf. par exemple : sChwabl et al. 1962 ; lévy 1984 ; hall 1989 ; TupliN 1999 ; haRRisoN 2002 ; isaaC 2004 ; GazzaNo 2009 ; GRueN 2011). Jusqu’aux décennies centrales du ve s. le mot βάρβαρος ne semble guère s’éloigner de la signiication de « non-Grec ». C’est aussi le cas tragédie au contenu historique tournant autour de la bataille de Salamine, à laquelle Eschyle avait luimême participé. Dès les premières pages d’Orientalisme [2], c’est justement dans les Perses d’Eschyle qu’Edward Said reconnaît la première construction du stéréotype occidental sur l’Asie et sur les Asiatiques. Par conséquent, non seulement l’étude du lexique de l’Orient dans les sources lyriques archaïques et chez Eschyle permet de cerner le développement des idées d’Asie et d’Asiatiques dans la pensée grecque, mais elle joue aussi un rôle important dans l’évaluation de ces propos de Said. Ain de garantir à notre étude sa cohérence avec les objectifs généraux du dossier, nous avons choisi de n’inclure dans l’analyse lexicale que les termes se référant à l’Asie de manière claire et distincte. Par conséquent, nous avons laissé de côté les mots auxquels il n’est pas toujours possible d’attribuer avec sûreté le sens d’« Oriental », et notamment βάρβαρος, qui a d’ailleurs déjà fait l’objet de maintes études savantes [3]. LA POÉSIE LYRIQUE ARCHAÏQUE [4] Les témoignages de la poésie lyrique archaïque qui permettent de cerner des références lexicales spéciiques à l’Orient revêtent une importance particulière. D’abord, parce que ces références comptent parmi les plus anciennes que nous avons, mais aussi parce qu’elles ont permis de saisir le développement particulier que les termes « Asie » dans les Perses d’Eschyle (voir bRoadhead 1960, p. 79 ; 166 ; GaRvie 2009, p. 118). Chez Eschyle, d’ailleurs, l’idée de barbare n’est explicitement connotée qu’en un seul passage (Agamemnon, 918-920), où il n’y a aucun doute que les barbares soient les Orientaux et que leur représentation soit totalement négative (voir FRaeNkel 1950, I, p. 145 ; II, p. 416-417 ; deNNisToN & paGe 1957, p. 149 ad v. 920). Il ne s’agit, pourtant, que d’un passage isolé, qui témoigne sans doute plus de l’évolution sémantique que le mot βάρβαρος connut durant le ve siècle que de l’usage de ce mot propre à Eschyle (cf. aussi Suppliantes, 234236, où βάρβαρος signiie probablement « Oriental », quoique la nuance négative soit absente). [4] Ce paragraphe a été écrit par Luca Macale. 7 Le lexique grec de l’Oriental dans la poésie lyrique archaïque et chez Eschyle et « Asiatiques » ont eu en grec. Dans ce cadre, il convient de relever qu’un tel développement semble devoir être relié aux changements géopolitiques qui ont touché l’Asie Mineure et le ProcheOrient aux viie et vie siècle av. J.-C. Dans un premier temps, il est possible de distinguer deux types principaux de témoignages lexicaux : les ethnonymes de populations qui peuvent être associées à l’Orient, et, de manière plus parlante, les occurrences du terme « Asie » ou de la désignation collective « Asiatiques ». Dans la poésie jusqu’à Eschyle, on trouve un bon nombre d’occurrences d’ethnonymes de populations non grecques [5]. Cependant, les contextes sont souvent très fragmentaires, c’est pourquoi il n’est pas toujours aisé de comprendre la connotation de ces dénominations (une dificulté similaire à celles que l’on rencontre pour le terme βάρβαρος [6]). On peut tout de même signaler que, alors que dans certains cas ces populations non grecques semblent être caractérisées négativement, dans d’autres elles sont considérées, par certains aspects, de manière positive [7]. Il est désormais admis que le mot « Asie » (et par conséquent « Asiatiques ») a eu en grec une évolution particulière et qu’il a progressivement désigné d’abord une portion de l’Asie Mineure occidentale, puis l’empire perse, en raison des changements politiques intervenus dans ces régions [8]. Certains témoignages issus de la poésie lyrique d’époque archaïque (auxquels s’ajoutent les Perses d’Eschyle) permettent de mieux saisir les phases de cette évolution. Il convient par ailleurs de noter que, en raison du petit nombre de témoignages, il est ardu d’appréhender le rôle qu’ont dû jouer, d’une part, la provenance micrasiatique de la [5] Deux fragments de Simonide (7, 5-7 W. : παισὶν μη[/ Φρυξί τ̣[ε/ Φοινίκω[ν ; 13, 8-10 W. : ὄφρ᾽ ἀπὸ μὲν Μήδ[ων/ καὶ Περσῶν, Δώρου δ[ὲ/ παισὶ καὶ Ἡρακλέο̣ς̣ [ ) apparaissent tout à fait intéressants à ce propos : le premier mentionne en même temps plusieurs peuples non grecs faisant partie de la lotte de Xerxès ; il se peut que ceux-ci soient présentés sous forme de catalogue : voir lulli 2011, p. 63-64 (avec bibliographie). Le deuxième fragment, qui mentionne à la fois les Mèdes et les Perses (cf. Simonide XI FGE), est signiicatif pour le cas particulier de l’ethnonyme des Perses : voir TupliN 1994 ; lulli 2011, p. 83-84 (en général sur le fragment, avec bibliographie). [6] Cf. supra, n. 3. [7] Voir, par exemple, hall 1989 ; huTzFeldT 1999, p. 9-23 ; TupliN 1999. [8] Voir, par exemple, dyeR 1965 (cf. LfgrE s. vv. Ἀσίη ; Ἄσιος, ἄσιος) ; Talamo 1979, p. 106-107 ; Càssola 1998, p. 43-44 (cf. Càssola 2007, p. X-XII) ; Cassio 2000, plupart des auteurs envisagés et, d’autre part, le genre de leurs compositions [9]. Les premières attestations d’« Asie » et d’« Asiatique » dans la lyrique datent du viie siècle av. J.-C. : chez Callinos et Archiloque, dans les fragments ci-dessous, ces mots semblent se référer à une zone précise de l’Asie Mineure, à savoir la Lydie. Callinos fr. 5b W. φησὶ δὲ Καλλισθένης (FGrHist 124 F 29) ἁλῶναι τὰς Σάρδεις ὑπὸ Κιμμερίων πρῶτον, εἶθ᾽ ὑπὸ Τρηρῶν καὶ Λυκίων, ὅπερ καὶ Καλλῖνον δηλοῦν τὸν τῆς ἐλεγείας ποιητήν, ὕστατα δὲ τὴν ἐπὶ Κύρου καὶ Κροίσου γενέσθαι ἅλωσιν. λέγοντος δὲ τοῦ Καλλίνου τὴν ἔφοδον τῶν Κιμμερίων ἐπὶ τοὺς “Ἠσιονῆας” γεγονέναι, καθ᾽ ἣν αἱ Σάρδεις ἑάλωσαν, εἰκάζουσιν οἱ περὶ τὸν Σκήψιον (fr. 41 Gaede) Ἰαστὶ λέγεσθαι Ἠσιονεῖς τοὺς Ἀσιονεῖς· τάχα γὰρ ἡ Μῃονία, φησίν [10], Ἀσία ἐλέγετο. Callisthène assure que Sardes fut prise une première fois par les Cimmériens ; qu’elle le fut ensuite par les Trères et les Lyciens, que le témoignage de Callinos (le poète élégiaque) est formel sur ce point, qu’enin, au temps de Cyrus et de Crésus, elle fut prise une dernière fois. Mais comme, en parlant de l’invasion des Cimmériens pendant laquelle Sardes fut prise, Callinos ajoutait qu’elle avait été dirigée contre les Ésionéens, le Scepsien [11] conjecture que Ésionéens est une forme ionienne mise là pour Asionéens : la Méonie, dit-il, s’appelait peut-être Asie [12]. Archiloque fr. 227 W. ὁ δ᾽ Ἀσίης καρτερὸς μηλοτρόφου. Le maître de l’Asie nourrice de brebis [13]. Le fragment de Callinos fait référence à l’invasion des Cimmériens pendant laquelle fut prise la ville de Sardes. Callinos aurait afirmé que cette invasion était dirigée à l’encontre des Ἠσιονεῖς. Or, selon le p. 107 ; mazzaRiNo 2007, p. 43-101 ; FowleR 2013, p. 14 ; DGE s. v. Ἀσία, II, 1. [9] On pense en particulier à l’élégie (narrative), notamment à la lumière des hypothèses modernes quant à la position que celle-ci occupe dans l’évolution de la pensée et de la rélexion historique et historiographique grecques. Voir, par exemple, mazzaRiNo 2011, p. 37-46 ; bowie 2001 ; lulli 2011 ; bowie 2010. [10] GeNTili & pRaTo 1988 ; RadT 2004 ; φασίν chez wesT 1989-1992. [11] Selon l’interprétation de RadT 2008, p. 555. D’autres pourtant préfèrent lire « les disciples du Scepsien » : voir, par exemple, lulli 2011, p. 25. [12] Callinos fr. 5b W. (Strabon, XIII, 4, 8), trad. TaRdieu 1867-1890 modiiée. [13] Archiloque fr. 227 W., trad. lasseRRe & boNNaRd 1958. On trouve la même déinition d’Asie chez les Perses d’Eschyle (v. 763 : Ἀσίδος μηλοτρόφου). Voir GaRvie 2009, p. 302. 8 Le lexique grec de l’Oriental dans la poésie lyrique archaïque et chez Eschyle commentaire de Démétrios de Scepsis (ou de ses disciples), ce terme serait la forme ionienne du mot « Asiatiques » : le témoignage du poète fait donc émerger une correspondance entre l’Asie et la Lydie (Méonie), que le commentaire conirme explicitement [14]. D’autres témoignages anciens semblent d’ailleurs conirmer cette assimilation de la Lydie à l’Asie (à savoir une partie de la région nord-occidentale de l’Asie Mineure) [15]. Chez Homère, on trouve une autre attestation d’« Asie » qui pourrait avoir la même signiication : au chant II de l’Iliade (v. 461) on mentionne « la prairie asiate, sur les deux rives du Caÿstre » [16], le leuve qui coulait à travers Éphèse [17]. Pareil usage homérique trouve un écho chez Hérodote (IV, 45, 3), selon lequel l’Asie est appelée ainsi « d’après Asiès ils de Cotys, ils de Manès, de qui tirerait également son nom la tribu de Sardes Asiade » [18]. Quant au fragment 227 W. d’Archiloque, il évoque le « maître de l’Asie nourrice de brebis », que la comparaison avec le fragment 19 W. permet d’identiier très probablement à Gygès [19] : ce serait par conséquent un autre témoignage où « Asie » correspondrait à « Lydie ». D’après les témoignages évoqués, il semblerait qu’autour de la première moitié du viie siècle av. J.-C., le mot « Asie » indiquait très probablement la Lydie. Ces deux mots ne sont pourtant pas synonymes, comme l’indique Mazzarino : « Ἀσία non è Λυδία; questa è la terra dei Λυδοί, il nome della regione derivato dal nome [14] Sur la dénomination des Méoniens et sur le rapport avec les Lydiens, voir Talamo 1979, p. 65-98. [15] Cf. par exemple Homère, Iliade, II, 461 ; Hérodote, IV, 45, 3 ; schol. Apollonios de Rhodes, II, 277 ; Étienne de Byzance, α 474 (éd. Billerbeck) ; Étienne de Byzance, η 25 (éd. Billerbeck). Des témoignages hittites (pour la forme mycénienne a-si-wi-ja voir maddoli 1967) qui datent probablement du xve siècle av. J.-C. env. (voir Càssola 1998, p. 43 ; Càssola 2007, p. xi avec bibliographie) sembleraient démontrer qu’« Aššuwa » indique l’Anatolie du nord-ouest, voire la région qui va de la Troade jusqu’à la Méonie (cette dernière est la région qui s’étend entre le cours du leuve Caïque et celui du leuve Hermos). Voir FoRReR 1932 ; Càssola 1998, p. 43 ; Talamo 1979, p. 99-107 (qui, à la lumière des témoignages hittites ainsi interprétés, précise que l’élargissement sémantique du mot « Asie » s’est opéré en relation avec les transformations politiques de la Lydie dès avant la période envisagée par mazzaRiNo 2007, p. 43-101). D’autres témoignages grecs semblent conirmer l’hypothèse qu’il y ait eu une période pendant laquelle « Asie » n’a pas correspondu à « Lydie ». Cf. Homère, Iliade, II, 835-839 ; Hésiode, fr. 165, 11 M.-W. ; peut-être Sappho, fr. 44 V. (cf. infra). [16] Trad. par mazoN 1955. [17] kiRk 1985, p. 164. Par rapport aux témoignages hittites, Càssola (1998, p. 43) pense que chez Homère le mot « Asie » est associé à des régions qui sont situées del popolo; viceversa Ἀσία è concetto territoriale che si può estendere con l’estendersi del territorio lidio. Così, mentre Λυδία resterà sempre la terra dei Λυδοί veri e propri, viceversa Ἀσία è concetto che tende ad estendersi a tutta la zona anatolica ad est dell’Halys. [...] Per questo Λυδία resterà sempre la “Lidia”, e Ἀσία diviene l’Asia Minore, il complesso delle regioni che costituiscono lo stato lidio » [20]. Les auteurs lyriques postérieurs clariient encore la situation. Chez Mimnerme (fr. 9 W.), et aussi, peut-être, chez Sappho (fr. 44 V.), on peut constater une évolution ultérieure de la signiication du mot « Asie » : entre la deuxième moitié du viie et le début du vie siècle av. J.-C., il semble en effet qu’« Asie » ait commencé à recouvrir toute la péninsule anatolienne. Mimnerme, fr. 9 W. Αἰπὺ < > τε Πύλον Νηλήϊον ἄστυ λιπόντες ἱμερτὴν Ἀσίην νηυσὶν ἀφικόμεθα, ἐς δ᾽ ἐρατὴν Κολοφῶνα βίην ὑπέροπλον ἔχοντες ἑζόμεθ᾽, ἀργαλέης ὕβριος ἡγεμόνες· κεῖθεν †διαστήεντος ἀπορνύμενοι ποταμοῖο θε͜ῶν βουλῆι Σμύρνην εἵλομεν Αἰολίδα. Ayant quitté Pylos, la cité de Nélée, nous atteignîmes avec nos vaisseaux l’Asie désirée, et munis d’une force écrasante, nous nous établîmes à Colophon l’aimable [21], chefs d’une arrogance terrible ; de là, partant du leuve ..., par le vouloir des dieux, nous conquîmes Smyrne l’éolienne [22]. plus à l’est (avec le Phrygien Asios, Homère, Iliade, XVI, 715-719) et au sud (Homère, Iliade, II, 461). [18] Trad. par leGRaNd 1945. Sur ce passage, voir asheRi, lloyd & CoRCella 2007, p. 614. [19] Voir par exemple wesT 1989-1992, I p. 85. [20] mazzaRiNo 2007, p. 54-55 (« Ἀσία ne recoupe pas Λυδία ; cette dernière est la terre des Λυδοί, le nom de la région dérivant du nom du peuple ; Ἀσία, au contraire, est un concept territorial, qui peut s’étendre au fur et à mesure que s’étend le territoire lydien. Ainsi, si, d’un côté, Λυδία reste toujours le territoire des Λυδοί à proprement parler, Ἀσία est, de l’autre côté, un concept qui tend à s’étendre à toute la région à l’est du leuve Halys. C’est pourquoi Λυδία demeura toujours la “Lydie”, tandis qu’Ἀσία devint l’Asie Mineure, voire l’ensemble des régions qui composaient le royaume lydien »). [21] Sur les deux adjectifs (ἱμερτήν et ἐρατήν) qui qualiient « Asie » et « Colophon », voir alleN 1993, p. 81-82, en particulier p. 81 : « vivaNTe 1982, 120 f., examines Homer’s use of adjectives meaning “desiderable” or “lovable” or “lovely” with the names of cities and other places. It is because localities are inhabitated, loved and admired, he suggests, that they merit such epithets as ἐραννός, ἐπήρατος, and ἐρατεινός. So, too, for Mimnermus, Asia is “desiderable” and Colophon in the next line is “lovely” ». [22] Trad. beRGouGNaN 1940 modiiée. 9 Le lexique grec de l’Oriental dans la poésie lyrique archaïque et chez Eschyle Sappho fr. 44, 1-4 V. Κυπρ̣.[ - 22 ]α̣· κᾶρυξ ἦλθ̣ θ̣[ - 10 ]ελ̣[. . .].θεις ῎Ιδαος ταδεκα . . . φ[. .].ις τάχυς ἄγγελος <« > τάς τ’ ἄλλας Ἀσίας .[.]δε.αν κλέος ἄφθιτον· Chypre... héraut est venu..., Idaos... le prompt messager... et du reste de l’Asie... gloire impérissable [23]. Le fragment de Sappho qui décrit le mariage d’Hector et d’Andromaque emploie l’expression « du reste de l’Asie », que Mazzarino interprète comme « du reste de l’Asie Mineure » (puisque, selon Mazzarino, « Saffo guarda a tutta l’Asia Minore, da cui l’epos faceva venire gli alleati dei Troiani » [24] ; le savant pense donc que cette expression ne peut se référer ni exclusivement à la Lydie ni aux régions qui font partie du Proche-Orient). Il faut cependant signaler que Dyer use d’une plus grande prudence [25] : ce chercheur envisage aussi que, dans ce cas précis, « Asie » ne se réfère pas à l’Asie Mineure, mais à la région nord-occidentale de l’Anatolie, ou peut-être à la seule Troade : ce passage contiendrait ainsi une trace de la valeur la plus antique du terme [26]. Dans l’élégie de Mimnerme, qui, selon Strabon (XIV, 1, 4), vient de la Nannô, le mot « Asie » a [23] Trad. ReiNaCh & pueCh 1937 modiiée. [24] mazzaRiNo 2007, p. 59. Cf. DGE, s. v. Ἀσία, II, 1, qui cite le fragment de Sappho parmi les témoignages qui montrent que Ἀσία a été « una de las partes en que los antiguos dividieron el mundo, inicialmente Anatolia o Asia Menor ». [25] dyeR 1965, p. 126-127. Cf. maddoli 1967, p. 14 ; Talamo 1979, p. 106. [26] Cf. paGe 1955, p. 71 et n. 5. Cf. supra, n. 15. En général sur le fragment voir, par exemple, dale 2011 (avec bibliographie). [27] dyeR 1965, p. 127 ; mazzaRiNo 2007, p. 60-66. Plus prudent sur l’extension d’« Asie » chez Mimnerme : wesT 1966, p. 267. Sur le mot « Asie » chez Mimnerme, voir aussi alleN 1993, p. 80-81. [28] mazzaRiNo 2007, p. 61-62. [29] kuhRT 1995, p. 567-572 ; liveRaNi 2011, p. 749-756. [30] mazzaRiNo 2007, p. 55. [31] mazzaRiNo 2007, p. 68-70 considérait que le concept d’« Asie » au sens d’empire perse pouvait déjà exister chez Hécatée : une question irrémédiablement liée aux idées géographiques de l’historien grec. Sur cette question, voir, par exemple, zimmeRmaNN 1997 ; asheRi, lloyd & CoRCella 2007, p. 608-615 ; FowleR 2013, p. 14. Un autre témoignage pris en compte par Mazzarino est la Lettre de Darius à Gadatas (ML 12) qui contient l’expression τοὺς πέραν Εὐ[φ]ράτου καρποὺς ἐπ[ὶ] τὰ κάτω τῆς Ἀσίας μέ[ρ]η καταφυτεύων (lignes 10-13) ; cette tournure présuppose une idée d’Asie déjà étendue. Cependant, la critique n’est pas parvenue à résoudre tous les doutes quant à l’authenticité du texte portant cette inscription et sa datation (qui, au cas où nous aurions affaire à un faux, pourrait ne été interprété au sens d’ « Asie Mineure » [27], mais on peut encore noter un lien avec la signiication homérique d’Asie : en parlant de la fondation de Colophon, qui est proche de la région indiquée par Homère, le poète évoque encore une arrivée en « Asie » [28]. On peut donc émettre l’hypothèse que le mot « Asie », à partir d’une période comprise entre la deuxième moitié du viie et le début du vie siècle av. J.-C., indique l’Asie Mineure. Cette nouvelle signiication est liée à la situation politique de la région : après la chute du royaume de Phrygie, au cours du viie et du vie siècle av. J.-C., il y eut une expansion progressive de la domination lydienne en Asie Mineure ; les Lydiens obtinrent inalement une position hégémonique dans la péninsule [29]. À l’expansion des Lydiens correspond l’élargissement, dans la langue grecque, du sens du mot « Asie », qui en arrive à désigner à peu près l’Asie Mineure tout entière [30]. Il faut attendre les Perses d’Eschyle (à moins que ce ne fût déjà le cas chez Simonide, mais la question est plus douteuse) pour qu’apparaissent les premières attestations du mot « Asie » au sens d’empire perse [31] (et de continent asiatique [32]) ; c’est également chez ces auteurs que l’on trouve les premiers témoignages de l’opposition entre l’Asie ainsi conçue et la Grèce [33]. pas remonter à l’époque de Darius et être postérieur aux Perses). Voir bRiaNT 2003 ; TupliN 2009 ; leNFaNT 2015, p. 102-104. [32] On peut signaler le développement intéressant de ἤπειρος, que l’on emploie parfois avec le sens d’« Asie » (cf. par exemple LSJ s. v. ἤπειρος III ; pRoNTeRa 2011a, p. 118 qui cite Eschyle, Perses, 718 ; 737 ; Hérodote, IV, 91, 2), et de ἠπειρώτης comme « Asiatique » (cf., par exemple, Euripide, Andromaque, 159 ; 652 ; Isocrate, Panégyrique, 157 ; Harpocration, η 13 [éd. Keaney]. Voir LSJ s. v. ἠπειρώτης III ; ReNehaN, 1982 p. 77). [33] Hésiode, Théogonie, 357-359 ne doit pas être considéré comme un témoignage de l’opposition entre l’Europe et l’Asie : voir wesT 1966, p. 266-267. Vis-à-vis des Perses, les témoignages de Simonide dans lesquels on trouve à la fois l’opposition entre la Grèce/Europe et l’Asie et l’idée d’Asie comme empire perse (XXIV ; XLV FGE) ont des problèmes d’attribution et de datation (en particulier le deuxième, qui, de toute façon, est postérieur aux Perses). Sur XXIV FGE, voir paGe 1981, p. 236-238 ; molyNeux 1992, p. 156-157 avec bibliographie. Sur XLV FGE, voir bRavi 2006, p. 81-83 ; peTRoviC 2007, p. 56 n. 13 avec bibliographie. Dans la mesure où il est possible de comprendre les textes, dont l’état est très fragmentaire, il se peut d’ailleurs que ces deux idées d’Asie aient été présentes également dans les élégies de Simonide sur les guerres médiques : à la lumière de cela, l’hypothèse de la présence de sections en forme de catalogues, dans lesquelles pouvaient être présentés les différents peuples faisant partie de l’armée perse et de l’empire devient particulièrement intéressante. Cf., par exemple, Simonide, fr. 7 W. Voir lulli 2011, p. 63-64 ; 83-84, avec bibliographie. Voir aussi Pindare, fr. 189 Sn.-M. (auquel on ajoutera Olympique, VII, 18, où l’on trouve une mention d’Asie). Sur Eschyle, cf. infra. 10 Le lexique grec de l’Oriental dans la poésie lyrique archaïque et chez Eschyle Cette dernière évolution de la signiication du mot Asie est liée aux changements politiques qui se déroulèrent en Asie Mineure autour de la moitié du vie siècle av. J.-C., à savoir la venue des Perses. Pareil événement entraîna une nouvelle signiication du mot « Asie » qui, comme on va le voir, tendit à se superposer à l’idée d’empire perse : pour la première fois, il existait un empire oriental en contact étroit avec les Grecs, qui avait réuni à la fois les formations étatiques du Proche-Orient et de l’Asie Mineure. ESCHYLE [34] Le discours sur l’idée d’Asie dans les tragédies d’Eschyle n’est pas aussi linéaire qu’il pourrait paraître, et les conclusions auxquelles on peut parvenir sont loin d’être univoques. En effet, chez Eschyle aussi, l’enquête lexicale met en lumière un certain intérêt pour différents peuples et régions non grecs, sans pourtant offrir de certitudes concernant les idées d’« Asie » et d’« Asiatique ». Même si de tels concepts sont présents et, en comparaison avec ce que l’on a pu constater pour la poésie lyrique, se rapprochent davantage des signiications qu’on leur a attribuées par la suite, il est clair que leur spectre sémantique est encore en évolution. Ainsi, pour fonder toute considération ultérieure à ce sujet, il faut sans doute partir de la destination des œuvres d’Eschyle. Les détails géographiques que l’on rencontre à plusieurs reprises dans les tragédies d’Eschyle ne sont jamais invraisemblables. Néanmoins, il est possible de constater un certain nombre de contradictions d’une tragédie à l’autre : sans doute le poète a-t-il eu recours, au cas par cas, à différentes visions courantes de la géographie [35]. Ainsi, les tragédies eschyléennes ne témoignent pas tant d’un souci de documentation et de précision propre à l’auteur lui-même que de la volonté de produire une impression chez le public qui assistait aux représentations théâtrales. Par exemple, les mots grâce [34] Ce paragraphe a été écrit par Francesco Mari. [35] Il devait y en avoir plusieurs et, pour longtemps encore après Eschyle, elles ont dû faire l’objet de débats, si « Erodoto (IV, 45, 2) protesta contro l’artiiciosità di queste divisioni » (pRoNTeRa 2011a, p. 115). [36] Eschyle, Agamemnon, 281-316. [37] À la fois dans le Prométhée enchaîné (v. 700735) et dans les Suppliantes (v. 540-564). Au sujet de l’itinéraire d’Iô chez Eschyle, voir l’étude, aussi pénétrante qu’approfondie, de boNNaFé 1991, qui consacre aussi beaucoup d’espace à la pensée des chercheurs auxquels Clytemnestre décrit au chœur le système de signaux de feu qui ont permis aux habitants d’Argos d’être informés de la prise de Troie [36]. Ces quelque quarante vers ne sauraient constituer une simple démonstration de connaissance géographique : plutôt, lorsqu’il énumère les nombreux sommets sur lesquels, pour transmettre le message de victoire de la Troade à l’Argolide, un feu a été allumé au cœur de la nuit, Eschyle vise à créer chez les spectateurs un effet de distance, de profondeur à la fois physique et temporelle. Il en va de même pour d’autres passages de l’œuvre de cet auteur qui concernent plus spéciiquement l’Asie envisagée en tant que terre à traverser. Or, l’extension et les limites — parfois imaginaires — de cette terre ne sont pas toujours faciles à déterminer. Les pérégrinations qui, selon le mythe, conduisirent Iô à travers l’Asie jusqu’à l’Égypte, par exemple, sont décrites au moins deux fois par Eschyle [37]. Comme on le sait, Iô est une prêtresse du sanctuaire d’Héra à Argos lorsque Zeus la remarque et se prend de passion pour elle. Après maintes rencontres, pourtant, Zeus, craignant la vengeance de sa femme Héra, change Iô en génisse. Dans un premier temps, Héra fait surveiller Iô par le géant Argos, mais, après la mort de ce dernier, elle recourt à un taon qui, par ses piqures continuelles, met en fuite la jeune vache [38]. Son voyage est décrit par Eschyle dans le Prométhée enchaîné, lorsque Iô, poursuivie par le taon, arrive au Caucase et se met à dialoguer avec le titan attaché aux rochers. La description du passage d’Iô de l’Europe à l’Asie est contenue dans une prophétie de Prométhée. Après être arrivée aux bords du lac Méotide (l’actuelle mer d’Azov), Iô devra traverser le détroit qui sépare ce dernier du Pont-Euxin et qui tirera son nom de Bosphore Cimmérien de cet événement [39]. Il n’est cependant pas aisé de conclure avec certitude, sur la base de ce seul passage du Prométhée enchaîné que, pour Eschyle, la frontière du continent (ἤπειρος) asiatique [40] se trouvait au nord, qui l’ont précédée, parmi lesquels on citera notamment duChemiN 1979. Plus récemment, voir aussi Calame 2000, p. 127-135. [38] Pour les différentes traditions mythiques sur Iô, voir GaNTz 2004, p. 353-359. [39] Eschyle, Prométhée enchaîné, 734-735 : « Laissant le sol de l’Europe, tu prendras pied sur le continent d’Asie. » (…Λιποῦσα δ’ Εὐρώπης πέδον / ἤπειρον ἥξεις Ἀσιάδ’. Les textes grecs d’Eschyle sont tirés de l’édition wesT [1991a, 1991b et 1992], les traductions françaises sont empruntées à mazoN 1920-1925.) 11 Le lexique grec de l’Oriental dans la poésie lyrique archaïque et chez Eschyle au niveau du Bosphore Cimmérien. En effet, nous savons que — dans un fragment du Prométhée libéré (191 TrGF) qui contient une description géographique comparable à celle que l’on vient de mentionner — cette frontière est placée ailleurs, sur le leuve Phase (l’actuel Rioni, en Géorgie). Or, il est remarquable que le passage en question appartienne à la même trilogie que le Prométhée enchaîné [41]. Pour résoudre cette incohérence, Alan Sommerstein a récemment suggéré qu’Eschyle avait confondu le Bosphore avec le Phase [42]. Mais peut-être l’incohérence n’en est-elle une qu’aux yeux des modernes : il se peut, en effet, qu’Eschyle n’ait pas visé l’exactitude géographique, mais qu’il ait plutôt adopté tour à tour la version de la géographie asiatique qui s’adaptait davantage à sa narration (Iô igure seulement dans le Prométhée enchaîné, et c’est justement en raison de sa présence que l’on insiste sur l’importance du détroit du Bosphore) [43]. Dans les Suppliantes (v. 544-546), d’ailleurs, le Bosphore que le chœur mentionne au sujet du passage d’Iô de l’Europe à l’Asie est le détroit qui sépare le Pont-Euxin de la Propontide [44]. Le tracé de la frontière septentrionale entre l’Europe et l’Asie chez Eschyle apparaît donc lou et partiellement conditionné par le contexte narratif à l’intérieur duquel apparaît sa description. Mais que comprend — ou semble comprendre — ce continent asiatique ? Quelles sont les régions qui en font partie ? Il convient peut-être d’en rester, dans un premier temps, à la fuite d’Iô décrite dans le Prométhée et dans les Suppliantes. Après avoir traversé le Bosphore — poursuit le chœur des Danaïdes dans les Suppliantes — Iô « se lance à travers l’Asie [40] Bien que le choix lexical soit inluencé par les exigences poétiques et métriques de l’auteur, il n’est pas anodin que le terme ἤπειρος soit appliqué ici à la seule Asie, alors que l’Europe est évoquée par le mot πέδον. [41] Qu’Eschyle ait bel et bien écrit une trilogie consacrée à Prométhée semble être un fait acquis. Il faut néanmoins rappeler que la critique a exprimé des doutes quant à l’authenticité du Prométhée enchaîné, que certains tiennent pour une œuvre postérieure au dramaturge (cf. par ex. GRiFFiTh 1977 et wesT 1979 ; contra hubbaRd 1991). Si ces doutes devaient avoir quelque fondement, l’incohérence que l’on vient de relever pourrait avoir trouvé son explication. Faute d’éléments probants, pourtant (cf. heRNáNdez muñoz 2003), nous préférons nous tenir aux attributions traditionnelles, sur lesquelles nous basons également la possibilité de comparer le Prométhée enchaîné avec les Suppliantes (voir boNNaFé 1991, p. 156). En général, sur la question, voir saïd 1985, p. 25-63. [42] Sur la base du fait qu’Hérodote aussi (IV, 45) place la limite entre Europe et Asie dans la Colchide. Cf. sommeRsTeiN 2009, I, p. 520-521 n. 85. (ἰάπτει δ᾽ Ἀσίδος δι᾽ αἴας), coupe par la Phrygie moutonnière, arrive à la cité de Teuthras en Mysie, puis, par les vallons de Lydie, par-delà les monts de Cilicie et Pamphylie aux leuves jamais taris, aux pays d’opulence au terroir glorieux d’Aphrodite riche en froment » [45]. Dans cette antistrophe, le verbe ἰάπτει introduit une liste de terres (αἶαι) d’Asie : la Phrygie, la Mysie, la Lydie, la Cilicie et la Pamphylie, qui se trouvent toutes en Anatolie, puis la Phénicie et la Palestine, appelées ici « terroir d’Aphrodite ». Cette liste s’achève, dans la strophe suivante, avec la mention de la « plaine de Zeus où s’écoule le Nil » (v. 558-560) : l’Égypte. Est-ce que ce pays représente, chez Eschyle, une partie de l’Asie ? La lecture des Suppliantes ne donne pas cette impression. En effet, la liste de régions est construite de manière à ce que l’Égypte ait une place indépendante par rapport aux αἶαι Ἀσίδος. Iô ne la traverse pas, elle y arrive (ἱκνεῖται, v. 556). Du reste, dans les Suppliantes, l’éponyme de l’Égypte est un descendant de Libye (v. 317-324), et la Libye comprend tout le territoire qui par la suite prendra le nom d’Afrique. S’ouvre à ce point la question du statut géographique de la Libye à l’époque d’Eschyle et, plus précisément, dans son œuvre : est-ce que, au début de l’époque classique, ce territoire était tenu pour une des parties majeures de la terre, à l’instar de l’Europe et de l’Asie ? Et dans la négative, ne faut-il pas le considérer comme une sous-région, une sorte de dépendance de l’Asie [46] ? Dans la mesure où ce problème tourne autour des sources qu’Eschyle luimême avait à sa disposition, il n’est guère aisé de fournir une réponse déinitive. Certains chercheurs [43] Cf. boNNaFé 1991, p. 179 : « La carte mentale du monde qui sous-tend les récits d’itinéraire du Prométhée est beaucoup plus proche de celle d’Hésiode que de la nôtre ou de ce que nous pouvons savoir des premières cartes ioniennes. Elle situe dans un même espace ce qui est purement humain et ce qui est divin […]. [E]lle fait usage d’un concept de la réalité qui nous est étranger et elle ne s’inscrit pas uniquement dans le plan ». Sur la géographie d’Eschyle, voir aussi baCoN 1961, p. 49-56. [44] Il en va de même dans les Perses (v. 65-72, 125132-736-737, 798-799). [45] Ἰάπτει δ᾽ Ἀσίδος δι᾽ αἴας / μηλοβότου Φρυγίας διαμπάξ· / περᾷ δὲ Τεύθραντος ἄστυ Μυσῶν / Λύδιά τε γύαλα, / καὶ δι᾽ ὀρῶν Κιλίκων, / Παμφύλων τε {γένη} διορνυμένα / γᾶν, ποταμούς τ’ αἰενάους / καὶ βαθύπλουτον χθόνα, καὶ τὰν Ἀφροδί- / τας πολύπυρον αἶαν (Eschyle, Suppliantes, 547-555. La traduction de Mazon ne tient pas compte de l’intégration proposée par West au vers 552). [46] Cf. pRoNTeRa 2011c, p. 45 : « Al di là dell’odierno istmo di Suez la “Libia” è […] concepita come un’appendice occidentale dell’Asia ». 12 Le lexique grec de l’Oriental dans la poésie lyrique archaïque et chez Eschyle supposent que, pour les vers 16-58 des Perses — où il dresse un catalogue de chefs de l’armée perse — Eschyle a tiré son inspiration de l’œuvre d’Hécatée de Milet [47]. Mais puisque nous ne connaissons aucun fragment d’Hécatée contenant ne serait-ce qu’une partie d’une liste semblable, l’hypothèse est invériiable. Par conséquent, toute évaluation du statut de la Libye par rapport à l’Asie chez Eschyle doit être tirée de l’ensemble de l’œuvre d’Eschyle lui-même. Sans surprise, la clé du problème a été cherchée dans les Perses. Il n’en reste pas moins que d’autres tragédies fournissent du moins un élément de rélexion intéressant relatif à la place géographique de l’Éthiopie. Sans entrer dans le détail, on se contentera de remarquer que, chez Eschyle, les deux Éthiopies, « africaine » et « orientale », parfois mentionnées dans les sources [48] et homogènes quant à la couleur noire de la peau de leurs habitants, semblent se toucher ; on dirait presque qu’elles sont fondues en un seul pays qui, tout en couvrant la marge méridionale du monde, s’allonge vers l’est : ainsi, si dans les Suppliantes le roi Pélasge mentionne des femmes indiennes qui habitent à côté des Éthiopiens (v. 284-286), dans un fragment du Prométhée libéré l’Éthiopie africaine semble être rapprochée de l’océan indien [49], et dans le Prométhée enchaîné le titan explique à Iô comment remonter le leuve Aithiops depuis les sources du soleil jusqu’au Nil [50]. Chez Eschyle, [47] hall 1996, p. 15 fonde ses considérations à ce propos sur Hérodote, Histoires, V 36, où l’historien d’Halicarnasse afirme qu’une fois, à Milet, Hécatée avait dressé une liste de tous les peuples soumis à Darius pour en montrer la puissance. Voir aussi supra, n. 31. [48] Cf. Homère, Iliade, I, 423-425 ; XXIII, 206-207 ; Odyssée, I, 22-26 ; V, 282-283 et 286-287 ; Hésiode, Théogonie, 984-985 ; Hérodote, Histoires, III, 94 et VII, 70. À ce sujet, voir sNowdeN 1970, loNis 1981, p. 74-81 et boNNaFé 1991, p. 182 : « Sitôt que l’on accorde, dans les poèmes consacrés à la défense d’Ilion, un rôle privilégié à Memnon l’Éthiopien, le peuple dont ce ils de l’Aurore est le roi tend inévitablement à se trouver lui-même localisé au Levant du monde. […] L’Éthiopie des Grecs […] est d’abord un pays des conins. Sa caractéristique essentielle est d’être au bout du monde. […] Dès l’Odyssée, les Éthiopiens sont représentés comme “partagés en deux” […] et, de l’époque homérique à celle d’Auguste, la situation dans l’espace des deux groupes d’Éthiopiens dont on afirme l’existence ne cesse de varier en fonction des époques comme des géographes ». [49] Eschyle, fr. 192 TrGF : φοινικόπεδόν τ’ ἐρυθρᾶς ἱερὸν / χεῦμα θαλάσσης / χαλκοκέραυνόν τε παρ’ Ὠκεανῷ / λίμναν παντότροφον Αἰθιόπων. (« Le lot sacré de la mer Érythrée, / Roulant sur le sol pourpre l’onde / Aux relets d’airain, au bord de l’Océan, / Nourricière des Éthiopiens. » Trad. aujaC 1969.) Voir sommeRsTeiN 2009, III, p. 201 : « The close connection made between the Ethiopian Bay and the “Red Sea” [for the classical Greeks l’Éthiopie semble donc se trouver à la fois en Asie et en Libye. Plus précisément, ce pays au portrait quasi mythique semble occuper une zone méridionale aux frontières vagues où l’Asie et la Libye entrent l’une dans l’autre, sans solution de continuité [51]. Or, si cela ne constitue pas une preuve que, dans les tragédies d’Eschyle, la Libye soit tenue pour une sous-région de l’Asie, le statut ambigu, incertain et, pour ainsi dire, mineur de la Libye par rapport au continent asiatique en est renforcé. Cette dernière considération nous fournit la base de départ pour enin envisager la tragédie qui, plus que toutes les autres, permet d’étudier l’idée d’Asie chez Eschyle : les Perses. Reprenons d’abord nos considérations sur l’Asie géographique et les régions qu’elle contient. Nous avons déjà mentionné le catalogue de peuples et de généraux composant l’armée de Xerxès que — s’inspirant sans doute du modèle homérique du νεῶν κατάλογος (Iliade, II 494-759) — Eschyle fait chanter par le chœur de vieux Perses au début de la tragédie. La liste est ouverte par la phrase πᾶσα γὰρ ἰσχὺς Ἀσιατογενὴς / ᾤχωκε (v. 12-13 : « la force née de l’Asie s’en est allée tout entière ») [52], à laquelle font suite la mention des villes de Suse et d’Ecbatane (v. 16), de Cissie (v. 17), de l’Égypte (v. 34 et s.), du peuple des Lydiens (« qui dominent tous les peuples de leur continent [ἠπειρογενές] » [53], v. 41-43) et de la ville de Sardes (v. 45), des Mysiens (v. 51), this name denoted the whole Indian Ocean and its gulfs] implies that we are to place it in the distant East ». [50] Eschyle, Prométhée enchaîné, 807-812 : […] Tήλουρον δὲ γῆν / ἥξεις, καλαὶνον φῦλον, οἳ πρὸς ἡλίου / ναίουσι πηγαῖς, ἔνθα ποταμὸς Αἰθίοψ. / Τούτου παρ’ ὄχθας ἕρφ’, ἕως ἂν ἐξίκῃ / καταβασμόν, ἔνθα Βυβλίνων ὀρῶν ἄπο / ἵησι σεπτὸν Νεῖλος εὔποτον ῥέος. (« Et tu arriveras alors en un pays éloigné, celui d’un peuple noir, établi près des eaux du Soleil, au pays du leuve Aithiops. Suis-en la berge jusqu’à l’heure où tu atteindras la “Descente”, le point où, du haut des monts de Biblos [sic], le Nil déverse ses eaux saintes et salutaires. ») Cf. boNNaFé 1991, p. 180 : « Nous ne connaissons pas plus de leuve Éthiops (Visage-Brûlé) dont le cours mène à celui du Nil que de Monts des Papyrus (Byblos) où situer la “Descente”, c’est-à-dire la Cataracte qui marque l’entrée du Nil en Égypte. Mais il s’agit une fois encore de “noms parlants” ». [51] La même impression que l’on tire, d’ailleurs, en lisant Hérodote : voir boNNaFé 1991, p. 184-188. [52] Pour les solutions possibles aux cruces textuelles qui suivent les mots que l’on vient de citer et les complètent, voir GaRvie 2009, p. 53 ad v. 12-13. [53] Ici ἤπειρος est utilisé en relation à une idée plus restreinte de l’Asie, correspondant à l’Asie Mineure : la signiication plus ancienne et plus spéciique – qui oppose la terre ferme aux îles de l’Égée – coexiste avec une signiication plus récente et inclusive (pRoNTeRa 2011a, p. 118). 13 Le lexique grec de l’Oriental dans la poésie lyrique archaïque et chez Eschyle et de la ville de Babylone (v. 50). Le catalogue s’achève par un propos qui reprend l’idée initiale : τὸ μαχαιροφόρον τ᾽ ἔθνος ἐκ πάσης / Ἀσίας ἕπεται / δειναῖς βασιλέως ὑπὸ πομπαῖς (v. 56-58 « [Derrière eux,] accourant de l’Asie entière, vient le peuple à l’épée courte, docile aux mandements terribles du Roi » [54]). Nous avons dit qu’il est possible d’afirmer que, pour Eschyle, l’Égypte est une partie de l’Asie : voilà la justiication textuelle sur laquelle s’appuie pareil constat [55]. Le passage le plus intéressant quant à cette question, cependant, est contenu dans les vers qui font immédiatement suite à ceux que l’on vient de citer : Τοιόνδ᾽ ἄνθος Περσίδος αἴας οἴχεται ἀνδρῶν, οὓς πέρι πᾶσα χθὼν Ἀσιῆτις θρέψασα πόθῳ στένεται μαλερῷ, τοκέες τ᾽ ἄλοχοί τ᾽ἠμερολεγδὸν τείνοντα χρόνον τρομέονται. Ainsi s’en est allée la leur des guerriers du pays de Perse, et sur eux la terre d’Asie, qui fut leur nourrice, gémit toute d’un regret ardent, cependant que parents, épouses, en comptant les jours, frémissent du temps qui s’allonge. [56] Ces quelques vers constituent la vraie conclusion, et le complément, du catalogue eschyléen. Ils reprennent pour la deuxième fois l’idée des vers d’ouverture (12-13), mais présentent une variatio importante : ce ne sont plus les forces de l’Asie qui sont parties (verbe οἴχομαι), mais la leur des hommes de la Perse. L’Asie, quant à elle, est représentée comme la nourricière de ces hommes, selon une métaphore qui avait été introduite par l’ Ἀσιατογενής du vers 12 [57]. L’équation d’Eschyle paraît donc claire : en ce catalogue, l’Asie [54] Voir GaRvie 2009, p. 69, ad v. : « It is doubtful whether any such distinction is intended here. As the catalogue passes from the individual contingents to the Persian forces as a whole, A[eschylus] recognizes that, although the bow is his symbol for Persian ighting, many of Xerxes’ troops fought with the sword, which has not yet been mentioned ». [55] Mais Eschyle semble opérer quelques distinctions entre ces peuples, que l’on doit sans doute aux formes différentes de domination que les Perses exerçaient sur eux : cf. TouRRaix 1992-1993, p. 104. [56] Eschyle, Perses, 60-64. [57] En fait, l’Asie est représentée comme une femme, voire une mère qui pleure pour la perte de ses enfants (v. 61-62, 548-549). À maintes reprises, ce portrait a été interprété comme une preuve de la vision « orientaliste » d’Eschyle : voir said 1978, p. 21 mais aussi hall 1996, p. 13 : « The effeminisation of Persia is achieved by various means : […] Repeatedly marriage beds, cities, and the whole continent of Asia are described as “manless” or “unmanned” (117-119, 289, 579-80, 730) whereas “men remain” to Athens (349) ». et l’empire perse coïncident parfaitement [58]. Voilà donc, pourrait-on conclure, le point d’achèvement du processus par lequel — comme on l’avait anticipé ci-dessus en analysant la poésie lyrique — l’idée d’Asie chez les Grecs s’élargit progressivement suivant les évolutions géopolitiques proche et moyen-orientales jusqu’à assumer une dimension continentale. Aussi va-t-il de soi que, en ce contexte, l’Égypte soit traitée en pays asiatique, puisqu’elle est en effet un pays sujet des Perses et, comme on l’a vu, le statut et le rapport géographique de la Libye vis-à-vis de l’Asie elle-même ne sont pas assez déinis pour qu’une telle attribution apparaisse impropre. Nous nous garderions, pourtant, d’afirmer que cette représentation de l’Asie relète strictement la conception de l’Asie chez Eschyle ou ses contemporains [59]. Il convient, plutôt, de faire valoir les mêmes considérations que nous avons formulées ci-dessus à propos de l’usage des informations géographiques en d’autres tragédies d’Eschyle : la superposition de l’idée géographique d’Asie avec l’idée géopolitique d’empire perse dans les Perses a un sens dans la mesure où elle s’intègre bien à l’économie de la tragédie. Le catalogue géographique sert également à transmettre au public une image de la Perse cohérente avec l’idéologie athénienne, qui présente la victoire des Grecs dans les guerres médiques comme la victoire des vertus morales et politiques d’un petit nombre de citésÉtats contre un empire aussi grand qu’un continent [60]. Le catalogue découle de cette idéologie et, en même temps, il la construit. La représentation géographique participe du souci de décrire les guerres médiques comme un choc de civilisations : sous la Pareille interprétation pourrait dépendre moins de la source grecque que de la grille d’interprétation contemporaine et post-colonialiste de l’interprète. [58] Dans les Perses, Ἀσία est utilisé neuf fois pour se référer à l’empire perse : 12, 57, 73, 249, 270, 549, 584, 763, 929. Pour les autres périphrases et tournures dont use Eschyle pour indiquer l’empire, voir TouRRaix 19921993, p. 101 n. 12. [59] Ainsi par exemple pRoNTeRa 2011a, p. 116-118. heRReNsChmidT 1976, p. 45 et bRiaNT 1996, p. 192 pensent quant à eux que pareille superposition pourrait s’expliquer par une interpretatio Graeca comme domination sur une partie tout entière du monde de la prétention typique des empires orientaux à dominer la totalité des terres et des peuples. [60] Cette idée est surtout exprimée par hall 1989 : du moins quant aux Perses, cependant, il convient de nuancer les conclusions de cette chercheuse, car il n’y a guère de jugements de valeur sur les Perses qui transparaissent des vers de cette tragédie : voir TouRRaix 1984 et 1992-1993, p. 101 (plus nuancé) ; huTzFeldT 1999, p. 24-96. Cf. aussi haRRisoN 2000 ; leNFaNT 2011, p. 196 ; leNFaNT 2013. 14 Le lexique grec de l’Oriental dans la poésie lyrique archaïque et chez Eschyle conduite du Grand Roi de l’empire perse [61], c’est le continent asiatique entier et tous ses peuples qui s’attaquent à la Grèce (cf. v. 74-80, 268-271, 474475). À travers le jeu de miroirs qu’il construit en adoptant le point de vue de l’ennemi, Eschyle arrive ainsi à célébrer la grandeur de la Grèce en mettant en scène le désespoir des Perses. Par conséquent, nous sommes autorisés à croire que l’équation entre l’empire perse et l’Asie n’est pas, simplement, une idée propre à Eschyle lui-même ou à ses contemporains. Plutôt, il s’agit de l’idée du pouvoir des Perses que les Athéniens attribuaient aux Perses euxmêmes en raison de leur hubris. Et en effet, lorsque cette hubris s’effrite à la nouvelle de la défaite de l’armée de Xerxès contre les Grecs, il en est de même pour l’équation Asie-empire perse : Tοὶ δ᾽ ἀνὰ γᾶν Ἀσίαν δήν οὐκέτι περσονομοῦνται, οὐδ᾽ ἔτι δασμοφοροῦσιν δεσποσύνοισιν ἀνάγκαις, οὐδ᾽ εἰς γᾶν προπίτνοντες ἄρξονται· βασιλεία γὰρ διόλωλεν ἰσχύς. Et de longtemps, sur la terre d’Asie, on n’obéira plus à la loi des Perses ; on ne paiera plus le tribut sous la contrainte impériale ; on ne tombera plus à genoux pour recevoir des commandements : la force du Grand Roi n’est plus ! [62] Les propos du chœur sont clairs : sans le pouvoir du Grand Roi, l’empire n’existe plus, mais l’Asie demeure à sa place. Ce n’était que par outrecuidance — en aura conclu le public d’Eschyle — que les Perses avaient cru identiier leur gouvernement à l’ensemble du continent asiatique. En réalité, s’ils en étaient arrivés à un tel pouvoir, c’était d’abord par la volonté de Zeus qui, comme l’afirme le fantôme de Darius aux vers 762-764, avait décrété qu’un seul homme gouvernerait l’Asie (ἕν᾽ ἄνδρ᾽ ἁπάσης Ἀσίδος μηλοτρόφου / ταγεῖν ἔχοντα σκῆπτρον εὐθυντήριον). Et de la même manière qu’il l’avait autrefois concédé, l’Olympien avait retiré ce privilège face aux excès aveugles du jeune Xerxès, qui avait voulu dépasser les limites imposées par la nature pour marcher contre la Grèce (v. 739-752) [63]. Le cas des Perses n’est pas différent de celui des deux autres tragédies d’Eschyle : la description de l’Asie y est soumise aux exigences de la narration et aux messages que le poète souhaitait transmettre à son public. Ainsi, dans le cadre de l’expansion sémantique progressive du concept d’Asie chez les Grecs des époques archaïque et classique, l’œuvre d’Eschyle témoigne non seulement de la maturité d’une phase où le terme Ἀσία a désormais atteint l’extension qu’elle conservera durant de longs siècles ; elle témoigne également de la relative plasticité d’un concept géographique encore en pleine évolution, aussi bien que des facteurs culturels qui, par la suite, contribuèrent à sa stabilisation. Ces facteurs sont les mêmes que ceux qui déterminèrent la popularisation du stéréotype de l’Oriental en tant que barbare pourvu de toutes les caractéristiques contraires aux vertus grecques. CONCLUSION De l’analyse lexicale ici menée, il est possible de tirer quelques conclusions intéressantes. En premier lieu, jusqu’à Eschyle, les attestations concernant l’Asie ou les Asiatiques sont très peu nombreuses dans les sources. Cela pourrait, certes, être dû à la transmission des textes, mais sans doute aussi à l’histoire même du terme grec Ἀσία et de sa famille. En effet, dans la poésie lyrique archaïque aussi bien que dans l’œuvre eschyléenne, le concept d’Asie semble avoir un caractère évolutif ; en particulier, il paraît lié à l’histoire politique de l’Asie Mineure jusqu’au milieu du vie siècle av. J.-C. Avant la conquête de la région par les Perses, on relève en effet l’absence, dans les témoignages que l’Antiquité grecque nous a légués, d’un mot susceptible d’indiquer les peuples de ce territoire pris dans leur ensemble. Pareil mot ne pouvait pas encore être Ἀσία, car il était employé pour dénoter non tant le continent tout entier qu’un territoire qui, en suivant les étapes de l’histoire politique du royaume de Lydie, avait ini par s’étendre à toute la péninsule anatolienne. Ce n’est qu’après l’annexion du royaume de Lydie à l’empire perse que Ἀσία devient un synonyme du continent asiatique : dans la pensée grecque de cette phase, inalement, le toponyme et la réalité étatique semblent se superposer jusqu’à se confondre. Et néanmoins la naissance d’un tel macro-concept n’empêche guère que des réalités ethnico-territoriales mineures continuent d’être mises en valeur. En effet, parmi leurs multiples [61] Πολυάνδρου δ᾽ Ἀσίας θούριος ἄρχων […] χρυ- / σογόνου γενεᾶς ἰσόθεος φώς (v. 74 et 79-80 : « L’impétueux monarque de l’Asie populeuse, […] le ils de la pluie d’or, mortel égal aux dieux ». La référence est à l’éponyme que les Grecs avaient attribué aux Perses, Persée, dont la mère Danaé avait été fécondée par Zeus en forme de pluie d’or). [62] Εschyle, Perses, 584-590. [63] Cf. jouaNNa 1981, p. 4-7 ; TouRRaix 1992-1993, p. 100-101 ; GaRvie 1999, p. 23 et Cipolla 2011. 15 Le lexique grec de l’Oriental dans la poésie lyrique archaïque et chez Eschyle facettes, les catalogues de peuples dressés par Eschyle témoignent aussi d’une conscience grecque de la vitalité — à l’intérieur de l’empire — d’identités locales diverses : l’Asie a beau être une, elle ne demeure pas moins une idée composite. Selon l’objet de leur intérêt, les Grecs n’hésitaient pas à employer le mot Ἀσία soit pour indiquer l’empire perse dans son ensemble (y compris l’Égypte) soit, en revanche, pour souligner la présence contemporaine, à l’intérieur de l’empire lui-même, d’une multiplicité de populations et de territoires divers [64]. D’un point de vue géographique, à l’époque d’Eschyle et pour longtemps encore, le processus de déinition des frontières et de l’extension de l’Asie de la part des Grecs ne semble pas être achevé, mais paraît encore faire l’objet de débats. Chaque position particulière dépend de facteurs qui incluent non seulement l’adhésion à une des théories géographiques diverses qui existaient à l’époque, mais aussi — comme l’analyse des tragédies eschyléennes l’a démontré — des éléments contingents (le contexte narratif) ou politico-idéologiques (l’inluence du conlit gréco-perse). Pour conclure, il convient de s’éloigner brièvement de la rélexion sur le lexique et de revenir sur l’opinion d’Edward Said, selon qui, rappelons-le, la première construction du stéréotype occidental sur l’Asie et sur les Asiatiques se trouve dans les Perses d’Eschyle. Sans doute vaut-il mieux afirmer que les traits qui caractérisent les Perses et les Orientaux en général chez Eschyle sont déjà présents dans les sources précédentes ; les Perses sont le document le plus ancien dont nous disposons qui rassemble beaucoup de ces aspects, mais il n’est pas possible d’exclure qu’il y ait eu d’autres témoignages, encore plus anciens. Ainsi, le jugement de Said quant à l’image des Orientaux dans les Perses apparaît, somme toute, trop tranché. La position d’Eschyle ne diffère guère de celle que l’on peut tirer des témoignages lyriques et ne semble pas être aussi nettement déinie au sens négatif qu’il avait paru à ce chercheur : dans les sources grecques un petit nombre d’éléments susceptibles de faire partie du stéréotype orientaliste mis en lumière par Said pour l’époque moderne coexistent en effet avec d’autres jugements, même positifs, qui nous imposent de nuancer toute conclusion.  [64] Il convient de remarquer d’ailleurs que la multiethnicité est un aspect fondamental de l’idéologie impériale perse : voir bRiaNT 1996, p. 184-216. ABRÉVIATIONS FGE = paGe 1981. M.-W. = meRkelbaCh, Reinhold & wesT, Martin Litchield, 1967, Fragmenta Hesiodea, Oxford. ML = meiGGs, Russell & lewis, David, 1988, A Selection of Greek Historical Inscription to the End of the Fifth Century B.C., Oxford, 2e éd. (1re éd. 1969). Sn.-M. = sNell, Bruno & maehleR, Herwig, 1987, Pindari carmina cum fragmentis, pars I, epinicia, Leipzig, 8e éd. 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