1999. Catherine Paris (éd.), Revue d'Ethnolinguistique. Diasystème et longue durée (Cahiers du Lacito), 8, 171191.
La dialectologie du maltais et son histoire
Martine VANHOVE
C.N.R.S. - LLACAN
1. Introduction
L'archipel maltais, composé de 3 îles principales dont seules Malte et Gozo
sont habitées, est situé au centre géographique de la Méditerranée, à 90 km de la
Sicile et 350 km de la Tunisie. La superficie totale est d'environ 500 km² (dont
les 4/5 pour Malte) et la population s'élève à 355 000 habitants.
En 870, l'archipel maltais est conquis par les Arabes qui imposent leur langue
à la population au point que la toponymie n'a conservé aucune trace de la langue
précédente. C'est une variété d'arabe qui y est encore parlée aujourd'hui. En
1090, les Normands reconquièrent l'île pour la chrétienté mais la population y
demeure majoritairement musulmane au moins jusqu'en 1241 (date d'un
recensement), et l'expulsion des musulmans qui fut ordonnée après cette date eut
surtout pour effet un grand nombre de conversions. L'histoire du peuplement de
Malte est aussi rythmée par des déportations massives : en 1224, toute la
population de Celano dans les Abruzzes est transférée à Malte ; en 1551 des
pirates raflent toute la population de l'île de Gozo qu'ils emmènent en esclavage
ou massacrent. Elle sera repeuplée par d'anciens détenus et des colons venus de
Malte. En 1530, l'Ordre des Chevaliers de Saint Jean de Jérusalem s'installe à
Malte et triomphe des Turcs lors du "Grand Siège" de 1565. Il administrera
l'archipel (avec l'Inquisition) jusqu'à l'arrivée de Napoléon en 1798. En 1800, les
troupes de ce dernier sont chassées par les Anglais qui gouvernent les îles
jusqu'en 1964, date de l'indépendance.
Depuis cette date, le maltais est devenu la langue nationale, mais co-existe
avec l'anglais comme langue officielle (depuis 1934). Le statut du maltais
jusqu'au début du 20ème siècle est celui d'une langue parlée, même si quelques
tentatives d'écriture d'une littérature en maltais avaient vu le jour à partir du
18ème siècle. L'italien fut la langue écrite de l'administration et de la littérature,
puis l'anglais vint le concurrencer. En 1934, un alphabet maltais en caractères
latins, œuvre d'un groupe d'écrivains et de grammairiens, est officiellement
adopté et commence à être utilisé dans les écoles pour l'enseignement en maltais,
venu quatre ans plus tôt supplanter celui en italien. Cet enseignement ne
deviendra obligatoire pour tous qu'en 1946, mais le taux de scolarisation
auparavant était déjà de 90%. A l'heure actuelle les Maltais sont en grande
majorité bilingues maltais - anglais, et souvent trilingues maltais - anglais italien. A l'école, à l'exception des cours de maltais, tous les sujets sont traités au
moyen de l'anglais1, et, par ailleurs, la télévision italienne est omniprésente à
Malte.
Face à une grande variété dialectale, principalement phonétique, mais pas
exclusivement, favorisée pendant des siècles par des mariages endogamiques à
l'intérieur du village, ce sont d'abord les contacts entre le monde rural et le
monde citadin qui conduiront les paysans à tenter d'effacer de leurs parlers les
caractéristiques les plus saillantes2. Puis l'enseignement en maltais sera
déterminant pour l'imposition d'une norme. Elle fut d'abord fondée sur le parler
de la capitale La Valette. C'est ainsi que le linguiste gozitain J. Aquilina dans sa
thèse (1959:1) préparée avant la seconde guerre mondiale fait remarquer que "In
default of a recognised standard pronunciation, we have followed that which is
commonly heard in Valletta and the neighbouring towns"3. Plus loin (p. 25) il
poursuit "there is no reason for attaching special importance to the type of
Maltese that is spoken in Valletta and the neighbouring towns. The only reason
is that Valletta as the capital of Malta is also the centre of Maltese social life."
Avec le déplacement de l'activité économique du secteur tertiaire vers Sliema,
c'est cette dernière ville qui désormais symbolise le parler prestigieux (les
différences avec le parler de La Valette ne sont pas nombreuses) et donc la
norme, même s'il est jugé snob par beaucoup d'autres habitants de l'archipel. En
tout état de cause la norme n'en demeure pas moins fluctuante.
L'attitude du corps enseignant face à l'utilisation des dialectes ne semble pas
avoir été homogène. Certains l'ont réprimé, d'autres seulement découragé dans
certains usages. Ainsi dans le village de MÅarr (Malte), d'après le témoignagne
d'un ancien instituteur maintenant âgé de 92 ans, les enseignants permettaient-ils
l'emploi oral du dialecte aux élèves tout en n'utilisant eux-mêmes que le parler
1
Mais avec de nombreuses alternances codiques avec le maltais. Voir Camilleri 1995.
C’est le « Mischdialekt » relevé par Stumme (1904).
3
Il faut savoir que le parler de La Valette a évolué entre celui des documents fournis par Stumme en 1904 et
celui décrit par J. Aquilina. Ainsi l’occlusive uvulaire sourde q notée par Stumme est-elle passée à l’occlusive
laryngale sourde à chez Aquilina, comme c’est le cas partout (à quelques rares exceptions près) aujourd’hui dans
l’archipel. A moins qu’il ne faille penser, comme le fait Schabert (1976:7) qui n’a jamais entendu la
prononciation q à la Valette mais encore sporadiquement dans les autres cités du port, que les informatrices de
Stumme (qui n’est resté que trois semaines à Malte) n’étaient en fait pas de La Valette mais des cités
avoisinantes.
J. Aquilina (1959) donne aussi parfois des observations sur la phonétique dialectale, mais il peut leur arriver
d’être soit trop généralisantes, soit trop particularisantes. Par exemple, la forme avec voyelle longue ma:ra
« femme » (au lieu de mara) est donnée comme propre à Sannat (Gozo). En fait, elle prévaut au moins aussi
dans de nombreux villages de l’ouest de l’île de Malte.
2
2
de La Valette, en enseignant les prières dans la variété "standard"4, en imposant
que tout travail écrit, notes ou rédactions, soit rédigé en "standard".
2. La variété dialectale chez Vassalli (1796)
Historiquement, le premier à avoir mentionné et tenté de délimiter et
caractériser les différents dialectes5 de l'archipel maltais dans une étude
d'ensemble est le grammairien et lexicographe maltais Mikiel Anton VASSALLI
dans son dictionnaire maltais-latin-italien de 1796. Ses observations se limitent à
la phonétique des parlers et son ambition déclarée est de donner des réflexes de
bonne diction. Toute sa description est animée d'un souci permanent de rectifier
les "fautes" des locuteurs et d'imposer son idéal de prononciation, donc déjà une
norme. Tous ses commentaires sont accompagnés de jugements de valeur mais
contiennent de très intéressantes remarques sociolinguistiques.
Même s'il ne donne pas les limites géographiques précises, ni toujours les
noms des villes et villages inclus dans une zone, Vassalli (p. XVI sq) n'en
reconnaît pas moins l'existence de 5 dialectes (avec des sous-variétés) :
a) le dialecte des cités de Malte, qu'il appelle dialecte du Port, et qui
comprend les villes de La Valette, Birgu (= Vittoriosa), L-Isla (= Senglea),
Bormla (= Cospicua) et Bourg Santangelo, avec des sous-variétés dans chaque
ville,
b) le dialecte de Gozo (avec le cas particulier archaïsant de GÉarb),
et à l'intérieur de l'île de Malte elle-même :
c) le dialecte rural de l'ouest, ou des hautes terres, qui comprend l'ancienne
capitale Mdina et ses faubourgs,
d) le dialecte de l'est, ou des basses terres,
e) le dialecte du centre, ou des villages du centre pour lesquels il cite ÜdaatÅ.
G. Puech (1979) a proposé d'y faire correspondre les cités suivantes :
a) id.
b) id.
c) Rabat, Mdina (où le parler est altéré), Mosta, et sans doute aussi Naxxar et
GÉ`qfÉtq au nord et Dingli au sud,
d) Üurrieq et ses environs, et sans doute aussi Luqa et Üejtun,
e) Qormi, ÜdaatÅ, et probablement RhÅÅhdvh.
4
Cela a son importance, car les Maltais sont des catholiques très pratiquants.
Quelques remarques d’ordre général sont intéressantes pour situer le maltais par rapport au monde arabophone
à cette époque : une phrase (p. XV) comme « Les Africains du Nord, comme ceux de Tripoli, de Tunisie,
d’Algérie et les autres peuples de cette côte nous comprennent facilement nous autres les Maltais » montre bien
la facilité d’intercompréhension qui existait à l’époque. Dans le même ordre d’idées, Vassalli note la présence
d’arabismes dans la langue des habitants du port principal du fait de leurs contacts quasi quotidiens avec les
esclaves de « Barbarie ».
5
3
Les groupes dialectaux établis par Vassalli sont fondés sur trois discriminants
: la prononciation des vélaires et de l'uvulaire, la qualité et le timbre des voyelles
longues et brèves.
a) Le dialecte des cités de Malte
Les consonnes : Les vélaires /x/, /g/ et l'uvulaire /q/ sont confondues avec les
pharyngales correspondantes pour les deux premières, soit /É/ et /â/, et la vélaire
/k/ pour la dernière. Pour lui, il s'agit, selon les locuteurs, soit d'un "défaut de
naissance", soit d'un "défaut acquis" pour suivre la mode. Il note des cas
d'hypercorrection dans la restitution des phonèmes vélaires :
[älimt äolma]
(je-rêvai rêve)
"Je fis un rêve"
pour le correct [âlimt âolma].
Les voyelles : La voyelle longue [ñ:] est diphtonguée en [ií], et la voyelle
longue [ö:] est confondue avec [u:]6. D'où des confusions de mots dans ce
dernier cas : [sju:f] "épées" et [sjö:f] "étés" tous deux réalisés avec un [u:].
Généralement les voyelles sont prononcées de manière "affectée".
Pour Vassalli, il s'agit du dialecte le plus corrompu en raison des contacts
nombreux, notamment pour les travailleurs du port, qui se produisent avec des
étrangers (à cette époque principalement des Siciliens et des Italiens) auxquels
est emprunté du vocabulaire, dont l'"accent" est copié. C'est dans cette imitation
que réside pour lui l'explication de la disparition des vélaires et de l'uvulaire,
inexistantes dans les idiomes des étrangers. Les contacts avec d’autres
populations hétérogènes, les prisonniers musulmans, expliqueraient selon lui la
prononciation affectée des voyelles, tendance qualifiée de propension à
"arabiser". Il note aussi chez les femmes, pour s'en moquer, l'utilisation qu'elles
font d'une variété d'italien maltisé.
b) Le dialecte de Gozo
Vassalli donne peu de renseignements sur ce parler. Il fait seulement mention
d’une grande ressemblance phonétique avec le maltais rural et de différences
plan lexicales importantes (sans donner d'exemples). Les sous-variétés n'auraient
que peu de différences. Par contre il met à part le village de GÉarb, un des plus
vieux villages de Gozo, qui, selon la rumeur de l'époque, aurait possédé un
dialecte séparé du maltais, ce que lui-même n'a pas vérifié. Il y a cependant
remarqué un "jargon artificiel".
Le dialecte de Gozo est celui qui est le moins influencé par les langues
étrangères et le plus conservateur par rapport à l'arabe, du fait de son isolation.
6
Il n’y a pas d’opposition phonologique entre ces deux sons en maltais « standard » contemporain. Elle persiste
dans certains dialectes (avec une réalisation diphtonguée pour le premier) et s’explique par un conditionnement
historique lié à la présence ou non d’une consonne anciennement vélarisée (les « emphatiques » de l’arabe).
4
c) Le dialecte de l'ouest ou des hautes terres
Pour Vassalli, il s'agit du dialecte le plus pur, qui n'a pas de "défaut" dans la
prononciation des vélaires et de l'uvulaire, même si la sous-variété dialectale de
Mdina et son faubourg présente quelques défauts dans la prononciation des
voyelles, les longues [a:], [o:] et [ö:] étant diphtonguées :
[doar] ou [duar] pour [da:r] "maison"
[duor] pour [do:r] "il tourna"
[dour] pour [dö:r] "tourne!"
De plus des changements de timbre vocalique (il ne dit pas par rapport à quel
parler de référence, mais en fait il s'agit du passage de */a/ et */a:/ à /o/ et /o: /)7
entraînent des harmonisations vocaliques qui n'existent pas dans les autres
parlers de Malte.
d) Le dialecte de l'est ou des basses terres
C'est un bon dialecte pour les vélaires et l'uvulaire mais défectueux pour les
voyelles, particulièrement les voyelles longues : [ñ:] est diphtongué en [ií] à
l'imitation du dialecte du port, [u:] est diphtongué en [eu] et [ö:] est passé à [u:].
Il y a donc maintien d’une opposition dans le système. De plus l'avancée de /a:/,
réalisé bref en finale absolue, vers [ñ:] devant les pronoms suffixes ne se produit
pas. On a [tñswa:-l-i] pour [tñswñ:-l-i] "ça me coûte".
Pour les brèves, le [e] non accentué est passé à [i].
e) Le dialecte du centre
Il s’agit de la région dont est originaire Vassalli8. Pour lui, c'est là que réside
la meilleure prononciation du maltais, bien que ce dialecte participe souvent des
défauts des régions voisines.
Les consonnes : les fricatives vélaires, l'uvulaire et les pharyngales sont
maintenues même à la finale et il n'y a, par exemple, pas confusion de /h/ avec
/É/ dans cette position (d'où l'on peut en conclure que c'était le cas ailleurs à
l’époque, comme aujourd'hui9). Il cite l'exemple de [nebbñ:h] "inspirateur" et
[nebbñ:É] "aboyeur". Toutefois à Qormi, il remarque que /ä/ et /x/ ne sont pas
prononcés, et qu'à ÜebbuÅ le /q/ est mal prononcé, "trop profondément et avec
une acuité épiglottale", c'est-à-dire vraisemblablement comme une occlusive
laryngale sourde /à/.
Les voyelles : Les voyelles longues ne sont pas diphtonguées (sauf /i:/ qui
passe à [ei] à Qormi) et les brèves ne changent que rarement, dans quelques
sous-variétés et de manière régulière. Il s'agit de règles d'harmonie vocalique
différentes, et, pour Qormi, de l'avancée de [a] en finale absolue vers [e].
Aucun dialecte, si pur soit-il, n'est donc exempt de critiques et Vassalli donne
une version idéalisée et basée sur son propre parler de ce qu'il considère être du
7
Il attribue ce phénomène à une influence du syriaque !
Il était exactement de ÜdaatÅ.
9
En toute autre position *h a disparu en maltais « standard ».
8
5
bon maltais. A savoir un parler qui conserve les fricatives vélaires, l'uvulaire et
les laryngales, en toutes positions, qui ignore la diphtongaison des voyelles
longues et qui ne confond pas les voyelles /u:/ et /ö:/. On peut remarquer, en
relation avec les évolutions futures, les prononciations "défectueuses" qui sont
devenues la norme : celle du parler rural de ÜebbuÅ pour /q/ > /à/ ; celles du
parler citadin de La Valette pour la confusion de /u:/ et /ö:/ en /u:/, la
diphtongaison de /i:/ en /ií/10, le passage des vélaires /x/ et /ä/ aux pharyngales
correspondantes.
3. La variété dialectale chez Annibale Preca (1904)
L'ouvrage de A. PRECA, intitulé Malta Cananea et paru en 1904, est le second
ouvrage d'un grammarien maltais à évoquer le problème de la dialectologie du
maltais. Mais il n'y est pas fait l'effort d'un traitement systématique de tous les
dialectes, le but de l'ouvrage étant d'établir les liens du maltais avec les autres
langues sémitiques. Implicitement Preca admet l'existence de deux dialectes
principaux:
a) le dialecte des villes (La Valette, Floriana, Cottonera, et peut-être quelques
autres),
b) le dialecte de la campagne et des villages de Malte et de Gozo dans lequel
il distingue trois sous-dialectes : ceux des villages de l'ouest, de Birkirkara et de
Gozo.
De ses remarques, il faut retenir que les vélaires /ä/ et /x/, la pharyngale /â/ et
la laryngale /h/ ont disparu du dialecte des villes à cette époque (ce qui est
contredit par les observations de Stumme à la même époque, voir ci-dessous),
alors que les deux vélaires se maintiennent encore dans les sous-variétés de
l'ouest et de Gozo, même s'il constate une tendance à les éliminer.
4. La variété dialectale chez Hans Stumme (1904)
En 1903, le linguiste allemand Hans STUMME recueille pendant 3 semaines
des récits, des poèmes et des devinettes auprès d'informateurs de diverses
localités de Malte et Gozo. Il les publiera en 1904, accompagnés de notes
explicatives sur la phonétique et la morphologie des parlers. Sur 37 récits, les 11
premiers proviennent de La Valette et lui furent donnés par "une jeune femme
instruite" (sauf le dernier, par une "servante instruite"). Les 10 suivants sont
dans ce qu'il appelle le "Mischdialekt", c'est-à-dire le "parler des campagnards
fréquentant la capitale", et lui furent rapportés par "une femme de 40 ans
illettrée" et une servante. Viennent ensuite des récits recueillis auprès
d'informateurs tous analphabètes : 3 textes d'un jardinier de Balzan âgé de 15
ans, 3 d'un garçon de café de Mdina âgé de 16 ans, 3 d'une fermière de Mosta
10
Elle tend à revenir à ñ: à l’heure actuelle sous l’influence du parler prestigieux de Sliema.
6
âgée de 60 ans, 2 d'un fermier de Dingli âgé de 40 ans, 3 textes d'un apprentidoreur de Victoria âgé de 14 ans, et un texte d'un fermier de XagÉra âgé
d'environ 35 ans.
L'enquête de Stumme ne porte donc que sur une partie des zones dialectales
dégagées par Vassalli : le dialecte des villes de Malte représenté par La
Valette11, le dialecte de l'ouest avec Mdina, Mosta, Dingli, vraisemblablement le
dialecte du centre avec Balzan, et le dialecte de Gozo avec Victoria et le dialecte
"archaïque" de XagÉra. Vient s'y ajouter la variété koïnique du "Mischdialekt",
qui ne correspond pas tout à fait au parler "standard" actuel.
Par rapport aux états décrits par Vassalli, on remarque plusieurs évolutions
dans le système consonantique : l'instabilité de la pharyngale /â/ qui alterne dans
tous les dialectes entre une réalisation consonantique et la disparition de celle-ci
avec laryngalisation compensatoire de la voyelle adjacente12 et qui n'a plus que
la variante vocalique laryngalisée dans le parler koïnique ; le passage généralisé
de l'uvulaire /q/ à la laryngale /à/ dans le dialecte de l'ouest, celui du centre (d'où
le changement est parti) et à W`fÉq` seulement pour Gozo13 ; l'absence totale
des vélaires /x/ et /ä/14 et de la laryngale /h/. Pour cette dernière, Stumme (p.90)
est le premier à avoir parlé d'un phonème virtuel en raison de certaines
réalisations phonétiques et de certains faits morphologiques dans les mots qui
comportent un ancien /h/.
En ce qui concerne les voyelles, c'est la tendance à la généralisation de la
variante diphtonguée de /ñ:/ qui est remarquable, de même que des
conservations : la diphtongaison des voyelles longues dans les dialectes de
l'ouest (et de Gozo), la distinction entre /u:/ et /ö:/ (avec des réalisations
différentes) à l'ouest, au centre et à Gozo.
5. La variété dialectale chez Peter Schabert (1976)
Dans sa thèse publiée en 1976, l'Allemand P. SCHABERT fait une description
phonétique, phonologique15 et morphologique parallèle de deux variétés de
maltais : le dialecte d'un village de pêcheurs, San Çiljan représentant les
dialectes des villes, et celui du village de Marsaxlokk, situé à l'est de l'île de
Malte, représentant les dialectes de la campagne. Le premier est caractérisé par
l'auteur par l'absence d'un recul de /a:/ vers /o:/ et d'une diphtongaison des
voyelles longues /i:/ et /u:/, et, à l'inverse, par la réalisation de */ñ:/ comme une
diphtongue /ií/. Il se différencie toutefois des parlers de La Valette et de Sliema,
autres dialectes des villes, par un système phonologique plus conservateur avec
11
Mais voir la réserve de Schabert concernant la provenance de l'informatrice à la note 3.
C’est Stumme qui le premier a noté et décrit cette réalisation phonétique pour le maltais. Il existe une
troisième variante qui consiste en l’allongement de la voyelle.
13
Pour q à La Valette, voir ci-dessus, note 3.
14
On sait par des enquêtes ultérieures que ä subsiste encore de manière sporadique à Gozo dans quelques
villages, dont GÉarb.
15
Avec une approche structuraliste.
12
7
des voyelles laryngalisées et l'existence d'un /o/ bref au lieu d'un /o:/ dans des
mots empruntés à l'italien : /soru/ pour /so:ru/ "bonne sœur", /bil-mod/ pour
/bil-mo:d/ "doucement". Quant au second dialecte, il connaît le passage de /a:/ à
/o:/, la diphtongaison des voyelles longues /i:/ et /u:/, une laryngalisation des
voyelles plus forte. De plus il n'y a pas eu, comme à San Çiljan, d'action
conditionnante (avec transfert de distinctivité) sur la voyelle au contact de /à/,
/É/ et des anciennes consonnes vélarisées : on a /bèÉèq/ au lieu de /baÉar/
"mer".
Selon l'auteur, le système des voyelles longues ne compte que 3 voyelles /ñ:/,
/o:/, /è:/ à Marsaxlokk, alors qu'il y en a 6 à San Çiljan : /i:/, /u:/, /ií/, /o:/, /è:/
et /a:/. Schabert pose les systèmes des voyelles brèves, des diphtongues et des
laryngalisées comme identiques, même si étymologiquement elles ne
proviennent pas des mêmes phonèmes.
En fait, il est possible de faire une analyse phonologique différente de la
sienne pour les diphtongues et les laryngalisées. Ces dernières peuvent être
considérées comme non phonologiques dans les deux dialectes si l'on pose un
phonème virtuel /°/ qui rend compte aussi d'autres variantes phonétiques,
consonantiques cette fois, comme [É], [w], [y] ou [à] qui entrent en jeu dans les
paradigmes morphologiques d'une même racine et d'un même mot, par ex. [tiíê
j]16 "de moi" mais [taÉÉa] "d'elle". Quant aux diphtongues [èj], [aj], [èw] et
[aw], des considérations morpho-phonologiques autorisent à les élimer du parler
de San Çiljan et à les interpréter comme une suite voyelle + semi-voyelle, celleci faisant partie de la racine du mot. Ainsi /nsawt-èk/ "je te frappe", mais
/nsawwat/ "je frappe". Elles ne peuvent, par ailleurs, être réduites à des
monophtongues brèves correspondantes quand l'accent se déplace à la suite
d'ajouts de morphèmes (comme c’est le cas por ií), ainsi [ëin] "oeil", [êinéin]
"yeux". Par contre, ce n'est pas toujours le cas à Marsaxlokk où seuls /aj/ et /aw/
peuvent être interprétées ainsi. On peut dresser le tableau de correspondances
suivant entre les deux dialectes :
Marsaxlokk
San Çiljan
ñ:
ií
o:
a:
è:
è:
èi
i:, [i] (en finale absolue)
èu
u:, [u] (en finale absolue)
i
i
u
o, o:
è
è
a
a
16
Le tilde sous la voyelle note la laryngalisation.
8
Il n'y a donc qu'un phonème supplémentaire à San Çiljan et non plus trois, le
/a:/, mais il a son correspondant à Marsaxlokk : /o:/. Par ailleurs, le dialecte de
Marsaxlokk a intégré de manière différente le /o/ emprunté dans les mots
d'origine siculo-italienne. A San Çiljan il y a eu création d'un nouveau phonème
/o:/ alors qu'à Marsaxlokk il s'est confondu avec le /u/ existant.
Ce tableau permet également de voir que ni le dialecte citadin ni celui de la
région orientale n'ont conservé l'opposition posée comme idéale par Vassalli
entre /u:/ et /ö:/ (quelles que soient leurs réalisations phonétiques).
En ce qui concerne les consonnes, le système est le même dans les deux
parlers, et tous deux présentent le plus répandu actuellement, celui de la norme :
aucune fricative vélaire, pas d'uvulaire, une seule pharyngale /É/, une seule
laryngale /à/ (anciennement l'uvulaire /q/). Il note, pour Sliema, le passage de la
pharyngale /É/ à la laryngale /h/, sous l'influence de l'anglais.
6. Voyelles longues et diphtonguées à Gozo chez Alexandre Borg
(1977)
Dans un article intitulé "Reflexes of pausal forms in Maltese Rural
Dialects?"17 paru en 1977, A. BORG examine la question du conditionnement des
timbres des voyelles longues et de leurs variantes diphtonguées dans les
dialectes de Gozo. Il montre qu'il est lié à deux facteurs, l'un étymologique, à
savoir la présence ou non d'une ancienne consonne emphatique (= laryngalisée),
l'autre syllabique, c'est-à-dire selon que le phonème se trouve en syllabe interne
ou finale.
Ainsi l'ancien */a:/ a évolué vers deux phonèmes différents selon qu'il était ou
non adjacent à une consonne emphatique (= *E) : sans *E on a /i:/ (correspond à
/ií/ en "standard"), réalisé [i:] en syllabe interne et [e:] à la finale : avec *E on a
/u:/ : [u:] (interne) ~ [o:] (final).
*/i:/ est soit [ij], quelle qu'ait été la nature de la consonne en syllabe interne,
soit [uj] (avec *E) ~ [ej] (sans *E) en finale.
*/u:/ est toujours [u:] en syllabe interne, mais [ow] avec *E et [íw] sans *E à
la finale.
Les voyelles brèves /i/ et /u/ en finale absolue sont également réalisées
comme des diphtongues et présentent les mêmes alternances de timbres que les
longues, conditionnés par les mêmes règles historiques. Elles ont de plus une
variante monophtonguée. Les conditions d'apparition de l'une ou l'autre
semblent être liées à des facteurs de pause (pour la diphtongue), sans que la
règle joue absolument.
Historiquement, A. Borg explique l'apparition des diphtongues pour les
voyelles longues et brèves par une réalisation pausale (les changements
phonétiques à la pause existent dans d'autres dialectes arabes, principalement
17
Son cadre théorique est l’école générativiste.
9
orientaux) qui s'est généralisée dans la syllabe finale pour les voyelles longues,
qu'il y ait désormais pause ou non.
7. La variation dialectale chez Gilbert Puech (1979)
G. PUECH, dans sa thèse d'Etat (1979) sur la phonologie des parlers maltais et
gozitains18, distingue seulement 4 grandes aires dialectales et non 5 comme
Vassalli. Son analyse est fondée sur le critère de la configuration du système des
voyelles qui lui permet de regrouper la région occidentale (Rabat, Mosta) et la
région centrale (SiÅÅiewi, ÜebbuÅ).
Au sein du système gozitain il distingue 6 systèmes :
1. En syllabe finale pausale ouverte accentuée
2. En syllabe finale pausale ouverte atone
3. En syllabe finale pausale close accentuée
4. En syllabe interne accentuée
5. En syllabe liée accentuée
6. Dans les autres positions (finale close et interne atone).
Dans la synthèse finale, ils sont regroupés selon trois systèmes, aussi bien
pour Gozo que pour les autres aires dialectales : les voyelles brèves, les voyelles
longues en syllabes internes et les voyelles longues et diphtongues en syllabes
finales.
a) Pour l'ouest de l'île de Gozo, les voyelles brèves sont au nombre de 4 : [ñ],
[ö], [è], [ç], les voyelles longues internes de 4 : [i:], [u:], [ñ:], [ö:] et les
diphtongues et voyelles longues en syllabe finale 8 : [ai], [öi], [ñu], [çu], [ñè],
[ö:], [îa] et [öç]. Il y a des variations de timbre à l'est (la division est
approximative).
b) Dans la région orientale de l'île de Malte (Üurrieq et ses environs),
l'inventaire des voyelles longues internes est le même qu'à Gozo, celui des
brèves comporte en plus [î] et [ô], et celui des longues et diphtonguées une de
moins. Les 4 premières sont identiques, les trois autres sont [eî] (qui correspond
à [ñè]), [î:] (qui a une variante [îa] comme à Gozo), et [ô:] (qui a une variante
[ôé] comme à l'est de Gozo). Il manque donc la possibilité d'avoir [ö:] dans cette
position.
Il remarque que le parler des jeunes de cette région a réduit le vocalisme bref
en faisant disparaître les voyelles d'arrière [è] et [ç] qui se sont confondues
respectivement avec [î] et [ô] en syllabe fermée finale.
18
Son approche théorique est polylectale. Il mentionne au passage (p. 97), la théorie de Weinreich de 1954 sur
le diasystème.
Dans un ouvrage récemment paru, Ethnotextes maltais (1994), G. Puech résume de façon clair les principales
conclusions de sa thèse d’Etat. Il passe également en revue l’histoire dialectologique maltaise et souligne la
remarquable contribution de Bonelli (1887) à l’étude du système vocalique par la qualité de ses transcriptions et
de ses explications. Bonelli note également le maintien de la laryngale h dans les pronoms suffixes, phénomène
que j’ai relevé encore il y a une dizaine d’années chez un locuteur de San Çiljan (Vanhove, 1990:24-5).
10
c) La 3ème région, qui regroupe centre et ouest de Vassalli, comprend Rabat
et ses environs, SiÅÅiewi, ÜebbuÅ, Mosta. Les voyelles brèves et longues
internes y sont identiques à celles de la région orientale. L'inventaire des
voyelles longues et diphtonguées en finale est plus développé que dans les deux
précédents groupes dialectaux et comprend 10 sons : [iy], [ñu], [îu], [öw], [ôu],
[ií], [ö:], [öô], [eî], [ô:]. [iy] correspond à [ñu] et [çu] des deux autres aires
dialectales.
d) Quant au parler standard, celui de La Valette, Sliema et leurs faubourgs,
même s'il existe des réalisations différentes entre les deux villes, elles n'en sont
pas moins acceptables du point de vue de la norme. G. Puech présente un
système, sans distinction de positions, à 5 voyelles brèves [ñ], [ö], [î], [ô] et [a],
et 6 voyelles longues [i:], [u:], [ií], [î:], [ô:] et [a:], qui correspond exactement
à celui obtenu par le moyen d'une phonologie de type structuraliste.
e) La dernière variété traitée est celle des systèmes mixtes péri-urbains qui
subissent une influence rurale. Il s'agit de celle parlée par des locuteurs
villageois qui gardent quelques traits de leurs parlers en "standard". G. Puech y
note des tendances :
- des rapports différentes entre [ñ] et [î],
- le maintien de [ö] là où le standard exige [ô],
- le maintien éventuel de [è] vs [a], mais avec l'effondrement des contraintes
de répartition dues à l'harmonie vocalique,
- réalisation très en arrière de [a:], parfois très arrondi,
- forte diphtongaison de [ií],
- maintien d'une distinction occasionnelle entre [ñu] et [ôu],
- traces de laryngalisation des voyelles longues.
Par rapport au tableau phonologique dégagé pour Marsaxlokk d'après les
données de P. Schabert, il convient de remarquer une différence dans le statut
des diphtongues et voyelles longues. Dans l'inventaire établi par G. Puech (et par
A. Borg pour Gozo) pour les trois premières aires dialectales, les diphtongues
n'apparaissent, même à l'est (dont fait aussi partie Marsaxlokk), qu'en syllabe
finale, et les voyelles longues presque exclusivement en syllabe interne. On peut
donc supposer une distribution complémentaire entre les deux. Ce n'est pas le
cas à Marsaxlokk où la diphtongaison des voyelles /i:/ et /u:/ s'est répandue en
toute position et s'est phonologisée.
8. La variation dialectale dans l'Atlas linguistique de Gozo (1981)
En 1981, J. AQUILINA et B.S.J. ISSERLIN éditaient le premier volume d'un atlas
linguistique de l'archipel maltais consacré à l'île de Gozo, résultat du travail
d'une petite équipe d'enquêteurs mené dans 17 points, pendant un mois à chaque
fois, de 1964 à 1967, puis de 1969 à 1971. Le questionnaire de 115 termes, dont
certains, liés à des activités traditionnelles en voie de disparition, n'ont pas
11
toujours pu être recueillis, a été étroitement modelé sur celui établi pour l'atlas
de la Grande-Bretagne (avec les modifications nécessaires entraînées par les
disparités géographiques et sociales). Pour des raisons de coût, il n'est
malheureusement fourni que deux spécimens de cartes. Outre l'inventaire
phonétique, qui a aussi fait partiellement usage des récits recueillis au cours des
enquêtes, l'ouvrage comprend un important chapitre sur l'histoire de la
dialectologie du maltais, un chapitre comparatif du maltais avec l'arabe classique
et dialectal, le punique, le sicilien, l'italien, le berbère et l'anglais. Un autre
volume sur les dialectes de l'île principale (Malte) est prévu. Il n'a pu encore voir
le jour, mais les enquêtes ont été réalisées à la même époque.
Les arabisants regretterons sans doute que le questionnaire ait laissé de côté
beaucoup de traits caractéristiques des dialectes arabes, dont ils auraient aimé
connaître le destin en gozitain. Ces lacunes ne permettent en outre pas de dresser
une phonologie des divers parlers de Gozo, surtout pour les voyelles. De plus,
des contraintes externes ont fait que c'est un phonéticien anglais ne connaissant
pas le maltais et n'ayant pas participé à l'enquête qui a transcrit les
enregistrements. Il admet avec une grande honnêteté qu'il a eu des difficultés
pour la reconnaissance des voyelles arrondies, par exemple. Enfin, même si l'on
peut comprendre les impératifs techniques et financiers, l'ouvrage aurait gagné à
une présentation des matériaux plus facile à suivre : une transcription complète
des variantes plutôt que des indications phonétiques souvent trop vagues ou
parcellaires, des informations plus abondamment commentées et reliées entre
elles, des renvois plus systématiques auraient rendu le travail plus aisément
consultable. Les auteurs, enfin, ont pris le parti de présenter chaque son non pas
dans un système mais en référence au phonème étymologique supposé, ce qui
est commode pour la comparaison avec les autres dialectes arabes, mais donne
parfois des raccourcis étranges comme /à/ > [l], alors qu’il est établi que [l]
provient de l'agglutination de l'article réinterprété comme appartenant à la racine
du mot.
Ces réserves mises à part, on peut néanmoins retirer des informations
phonétiques et phonologiques des données présentées : conservation sporadique
de [h] à l'intervocalique à Sanat (chez les locuteurs âgés), XagÉra et Qala,
conservation de l'uvulaire /q/ à Xewqija (qui semble avoir une variante libre
[k]), persistance sporadique de /ä/ chez les knbtsdtqr âgés de GÉarb (les
éditeurs signalent que d'autres observateurs l'ont recueilli aussi dans l'ouest de
l'île à ÜebbuÅ, GÉasri, San Lawrenz et Ker~em). Les éditeurs ont observé
quelques tendances quant à l'articulation des voyelles :
– dans les marges est et sud-est, les voyelles sont plus ouvertes qu'au centre et
à l'ouest,
– de manière générale les voyelles sont plus en arrière et plus arrondies (qu'en
maltais standard),
12
– une tendance très répandue, mais plus prononcée à l'ouest, à la
diphtongaison des voyelles longues, mais dont ils ne peuvent donner la
distribution.
9. Le dialecte de MÅarr (Malte) (1994)
Dans un article paru en 1994, Antoinette CAMILLERI et moi-même avons
présenté une description phonétique et phonologique du dialecte du village de
MÅarr, situé à l'ouest de l'île de Malte. Elle est basée sur le parler de trois
locuteurs âgés de 62 à 80 ans. Le système consonantique y est le même qu'en
maltais standard, la variation portant sur certaines réalisations phonétiques. On
trouve ainsi une forte laryngalisation des voyelles (sauf /o/ chez les femmes) en
présence des anciennes fricatives vélaire, pharyngale et laryngale /ä/, /â/ et /h/
devenues phonème virtuel /°/, quelques allophones [h] et [É] pour l'ancien */h/,
et [à] pour les deux autres ; une grande latitude dans l'articulation de /É/ qui va
de [h] à [x].
Pour les voyelles, le système est symétrique quant au nombre : 4 voyelles
brèves : /i/, /e/, /a/ et /o/, et 4 longues : /i:/, /ie/19, /o:/ et /u:/ (au lieu de 6 en
maltais "standard"). Toutes les longues ont des variantes diphtonguées
(monophtonguées pour /ie/) ainsi que /i/ et /o/ selon les mêmes règles
syllabiques que celles décrites par A. Borg pour Gozo. Le dialecte de MÅarr
diffère de celui de Gozo en ce qu'il n'a pas de différence de timbre liée à
l'environnement historique (les anciennes emphatiques) et en ce que le
conditionnement de l'apparition des variantes diphtonguées est, en synchronie,
un phénomène d'ordre prosodique, à savoir la pause, celui que A. Borg
soupçonnait justement pour Gozo. On trouve donc à MÅarr l'étape initiale qui
manquait pour le maltais.
10. Conclusion
Si l'on peut voir historiquement le stock des consonnes d'arrière diminuer en
maltais pour aboutir à un système qui couvre l'ensemble des variétés du maltais
contemporain (avec quelques rares variantes locales, comme le /q/ au lieu de /à/
à Xewkija, qui de toutes façons n'en augmentent pas le nombre), les systèmes
vocaliques quant à eux ne se superposent pas, le nombre des phonèmes longs
(ou diphtongués) étant particulièrement soumis à des fluctuations d'un dialecte à
l'autre. Il y en a par exemple 4 à MÅarr, 5 à Marsaxlokk et 6 en "standard". Ces
disparités reflètent d'ailleurs, en partie, la plus ou moins grande résistance des
parlers à l'introduction de phonèmes étrangers (provenant du sicilien et de
l'italien).
19
La diphtongue ie est intégrée au système des voyelles longues, car elle subit les mêmes réductions en dehors
de l’accent que les autres voyelles longues.
13
En ce qui concerne la diphtongaison des voyelles /i:/ et /u:/, il est intéressant
de remarquer que les divers dialectes présentent, à époque contemporaine, les
trois étapes d'une évolution. Le parler de MÅarr est emblématique du stade le
plus archaïque : les diphtongues y sont des variantes conditionnées de voyelles
longues qui ne se produisent qu'à la pause en syllabe finale. Gozo illustre le
2ème stade, celui où les diphtongues sont des variantes de position, mais qui ne
sont plus liées à la prosodie. Marsaxlokk enfin a généralisé les diphtongues en
toutes positions, et par conséquent éliminé /i:/ et /u:/.
Dans cette présentation, l'accent a été mis sur la phonétique et la phonologie,
car ce sont les deux domaines pour lesquels on possède le plus de documentation
et de surcroît à date (relativement) ancienne. La variété dialectale dans l'archipel
maltais ne se limite cependant pas à ces deux seuls domaines, elle est aussi bien
lexicale (voir ce qu'en disait Vassalli), que morphologique (D. Agius, 1992,
vient d'écrire un article sur ce sujet pour Gozo) que syntaxique. J'ai moi-même
fait plusieurs observations sur le sujet, par exemple en ce qui concerne
l'expression du parfait dans le récit (Vanhove 1991), où c'est le critère animé inanimé qui est révélateur du degré d'acceptabilité d'un auxiliaire dans certains
dialectes.
Bibliographie
AGIUS, Dionisius.
1992. Morphological alternatives in the Gozitan dialects of Maltese. Matériaux Arabes et
Sudarabiques, nouvelle série 4, pp. 111-161.
AQUILINA, Joseph, ISSERLIN, B., S.J. éditeurs.
1981. A Survey of Contemporary Dialectal Maltese. Volume One : Gozo. Leeds : Publisher
B.S.J. Isserlin. With Contributions by J. Aquilina, E. Fenech, B.S.J. Isserlin, P.J. Roach.
BONELLI, Luigi.
1897. Il dialetto maltese. Archivio Glottologico Italiano, serie gen., (Supplementi periodici).
Vol. IV:I, Testi, A 1-5, pp. 53-98.
BORG, Alexandre.
1977. Reflexes of Pausal Forms in Maltese Rural Dialects? Israel Oriental Studies VII : pp.
211-225.
CAMILLERI, Antoinette.
1995. Bilingualism in Education. The Maltese Experience. Heidelberg : Julius Groos Verlag.
CAMILLERI, Antoinette et VANHOVE, Martine.
1994. A Phonetic and phonological description of the Maltese dialect of MÅarr (Malta).
Zeitschrift für arabische Linguistik 28, pp. 87-110.
PRECA, Annibale.
1904. Malta Cananea ossia investigazioni filologico-etimologiche nel linguaggio maltese.
Malte : Tip. del Malta.
PUECH, Gilbert.
1979. Les parlers maltais. Essai de phonologie polylectale. Thèse de doctorat d'Etat :
Université de Lyon II.
1994. Ethnotextes maltais. Wiesbaden : Harrassowitz Verlag (Studia Melitensia 1).
SCHABERT, Peter.
14
1976. Laut- und Formenlehre des Maltesischen anhand zweir Mundarten. Erlangen : Palm &
Enke, Erlangen Studien, Band 16.
STUMME, Hans.
1904. Maltesische Studien. Eine Sammlung prosaischer und poetischer Texte in maltesischer
Sprache nebst Erlaüterungen. Leipzig : Hinrichs'sche Buchhandlung, Leipziger semitistische
Studien, I, 4. (réimprimé par Johnson Reprint Corporation, New York, 1968).
VANHOVE, Martine.
1990. Morphosyntaxe et stylistique en maltais : Le système verbal et la phrase nominale.
Thèse pour le Doctorat, Université Paris III, sous la direction de David Cohen. 2 vol.
1991. L'expression du parfait en maltais. Semitic Studies in honor of Wolf Leslau..., ed. by
Alan S. Kaye, Wiesbaden : Harrassowitz, vol. II, pp. 1601-1618.
1993. La langue maltaise. Etudes syntaxiques d'un dialecte arabe "périphérique".
Wiesbaden : Otto Harrassowitz (Semitica Viva 11).
VASSALLI, Mikiel Anton.
1796. Ktõb yl klõm Mâlti 'mfysser byl-latin u byt-talyân. Lexicon Melitense-Latino-Italum.
Rome : A. Fulgoni.
15
ANNEXES
Tableau des consonnes à l'époque de Vassalli (1796)
Labiales Labio- Dentales Palato- Palatale vélaire Uvulaire- Pharyn- Laryndent.
alvéol.
gale gale
Occlusives
Sourde
p
Sonore
b
Affriquées
Sourde
Sonore
Fricatives
Sourde
Sonore
Nasales
m
Liquides
Vibrante
Latérale
Semi-cons. w
t
d
f
v
k
g
ts
då
tã
s
z
n
ã
x
äã
q
É
â
h
r
l
j
Tableau des consonnes en maltais standard contemporain
Labiales Labio- Dentales Palato- Palatale vélaire Uvulaire- Pharyn- Laryndent.
alvéol.
gale gale
Occlusives
Sourde
p
Sonore
b
Affriquées
Sourde
Sonore
Fricatives
Sourde
Sonore
Nasales
m
Liquides
Vibrante
Latérale
Semi-cons. w
t
d
f
v
à
k
g
ts
(dz)
tã
då
s
z
n
ã
É
°
r
l
j
16
Tableau des voyelles en maltais "standard"
brèves
longues
(u)20
i
îã
ã
ôã
i:
ã
ã
u:
ií
î:
a
o:
a:
Tableau des voyelles à Marsaxlokk
longues et diphtongues21
brèves
i
èi
u
èu
ñ
îã
o:
è:
a
Tableau des voyelles à MÅarr
brèves
longues
i
i:
u:
ie
e
o
o:
a
20
La parenthèse s’explique par les fluctuations de la norme. Les rares paires minimales qui permettent d’opposer
/u/ à /ô/ (toutes dans des emprunts récents à l’italien) sont encore inexistantes chez beaucoup de locuteurs pour
lesquels tout /u/ emprunté à /ô/.
21
Le tableau est organisé de manière à faire ressortir les correspondances avec les systèmes des deux autres
dialectes.
17
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