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Des fragments manuscrits découverts dans la bibliothèque de l’Institut des Sources chrétiennes L’été 2011 aura permis de mesurer, une nouvelle fois, la richesse de la bibliothèque des « Sources » et de son fonds ancien. L’an dernier, Guillaume Bady découvrait dans un des volumes deux poèmes humanistes (voir « Une curiosité de la bibliothèque de Sources Chrétiennes », Bulletin de l’Association des Amis de « Sources chrétiennes », 101, 2010, p. 27-30). Nul doute non plus qu’un catalogage exhaustif dévoilera d’autres curiosités encore, et qu’un recensement minutieux des caractéristiques de chaque ouvrage, des marques de provenance et autres annotations rendra les plus grands services, ne serait-ce qu’à l’histoire des bibliothèques religieuses et de leurs réseaux. Les volumes qui, au hasard du furetage dans la bibliothèque, ont attiré notre attention sont peut-être, paradoxalement, les moins bien conservés, les plus abîmés, en somme ceux que leur état physique n’exigeait pas de manipuler avec trop de précaution. Parce que leur reliure avait subi les dégâts de l’humidité et tombait presque en lambeaux, il nous était permis – et nous voulons remercier la bibliothécaire, Monique Furbacco, de sa confiance – de sacrifier (ou presque) la couverture de cinq livres, pour en exhumer plusieurs morceaux de parchemin utilisés par les anciens relieurs pour en renforcer les plats et le dos. Considérés comme des rebuts et directement collés sur le carton, ces fragments d’anciens manuscrits sont dans un état qui laisse parfois à désirer. Pour l’étape préalable du nettoyage du parchemin, nous avons bénéficié de l’aide et des conseils de Célinève Bosio, restauratrice-relieuse au fonds ancien de la Bibliothèque municipale de Lyon, que nous remercions également. C’est ainsi que nous avons pu faire ces deux petites trouvailles : Le premier fragment se trouvait dans le second contre-plat de notre exemplaire de la réimpression, faite par l’imprimeur parisien Charles Morel en 1629, des Clementi Alexandrini opera græce et latine quæ extant d’après l’édition de Daniel Heinsius. Sans doute datable de la fin du XIIIe siècle ou du début du siècle suivant, ce fragment, qui correspond à une colonne (67 × 321 mm) dans une mise en page qui devait en comporter deux, provient d’un des très nombreux témoins manuscrits de l’œuvre volumineuse de Jean de Balbis (ou Jean de Gênes) connue sous le nom de Catholicon. Il s’agit plus particulièrement d’un fragment du cinquième livre de cette encyclopédie, qui consiste en un dictionnaire, dont nous pouvons lire plusieurs entrées de la lettre M (voir la photo ci-contre). Une recherche plus approfondie dans les manuscrits subsistants de cette œuvre permettra peut-être de déterminer de quel exemplaire ce fragment a été retiré et comment il a pu se retrouver dans cette reliure. La seconde découverte a nécessité un travail de plus longue haleine. Premièrement parce que les fragments forment, dans ce cas, deux feuilles manuscrites quasiment entières, également en parchemin, qui ont été découpées pour renforcer les plats, mais aussi sans doute le dos (et c’est alors à chaque fois sept morceaux qu’il faut pour occuper chacun des entre-nerfs) des quatre tomes des Beati Theodoreti episcopi Cyri opera omnia in quatuor tomos distributa, qui sont l’œuvre de Jacques Sirmond, publiés par les frères Cramoisy, à Paris, en 1642 (on arrive donc à un total de trente-six fragments, pour des documents qui devaient à l’origine être de 350 × 200 mm). Deuxièmement parce que la lecture de ces documents est des plus malaisées, l’encre ayant été parfois effacée par l’eau, lorsque ce n’est pas le parchemin lui-même qui tend à se décomposer. Quoi qu’il en soit, il est clair que les deux documents, d’une écriture du XVIe siècle et dont le premier est même daté du 30 juin 1584, sont des actes de chancellerie, émanant très vraisemblablement du Conseil privé du roi Henri III (voir, ci-dessous, la titulature « Henry par la grace de Dieu Roy de France et de Polongne »). Ces documents originaux, restés inédits, sont certes d’une relative importance, mais fournissent sur des affaires attestées jusqu’à présent seulement à partir du règne de Henri IV les premiers témoignages ; à ce titre, leur existence mériterait peutêtre d’être signalée. Comme on peut le remarquer, notre enquête n’en est qu’à son début, mais elle promet d’être passionnante. Et il y a fort à parier que la découverte de ces quelques bribes manuscrites, qui dotent, du même coup, la bibliothèque, d’un nouveau fonds sans doute appelé à s’enrichir, suscitera la curiosité de certains et l’envie de se pencher davantage encore sur ces livres anciens. Espérons aussi qu’elle décidera d’éventuels mécènes à redonner à ces ouvrages précieux l’écrin qu’ils méritent ! Jérémy DELMULLE