"Les Sciences de demain"
Conférence pour le festival scientifique le « Tour des Sciences »
organisée par Le Campus des Étoiles et le BDE Bio’Hazard
à Clermont-Ferrand
le Jeudi 14 mars 2018
À la lecture de ce thème, j'ai eu un peu le sentiment de me retrouver comme Nostradamus ou
Madame Soleil et donc d'y voir, de façon métaphorique, quelque chose de météorologique. Si la
météo consiste à prédire le temps futur, la science météorologique perd sa précision scientifique
au fur et à mesure que le temps avance, ou plutôt, qu'elle essaie de prédire la météo, longtemps à
l'avance. Si j'essaie de savoir quel temps il fera dans 1 heure, la météo peut me le dire de façon à
peu près certaine. Il suffit pour se faire de prolonger l'état du temps présent. En effet, s'il pleut
maintenant, il y a de fortes chances qu'il pleuve dans 1 heure. Dans 5 heures, le temps devrait
encore être le même, ie ue la p o a ilit s’a e uise. Dans 24 heures aussi, mais avec encore
moins de certitude. Dans 1 semaine, cela paraît encore plus incertain et dans un mois, je ne suis
plus vraiment sûr du temps qu'il fera. Il y a donc dans la prédiction météorologique une prédiction
forte à un intervalle de temps faible et une prédiction faible à un intervalle de temps long, comme
si le savoir perdait de sa valeur scientifique, et se transformait petit à petit en croyance ou en
opinion.
Ce « demain », da s l’i titul , est to a t a : « demain » est-il le jour qui précède aujourd'hui,
auquel cas il suffit de regarder l'état des sciences d'aujourd'hui pour déterminer celles
de demain ? Ou, ce « demain » est-il dans 50 ans, auquel cas il paraît difficile de savoir quel sera
l'état des sciences et si de nouvelles sciences pourraient apparaître ? Nous pourrions donc dire que
les sciences de demain ne correspondent peut-être pas au lendemain des sciences car si demain, il
a de fo tes ha es ue les s ie es esse le t à elles d’aujou d’hui, il ’est pas du tout
e tai u’il ’ ait pas d’aut es s ie es ui appa aisse t, et ui pou aient être complètement
différentes de elles d’aujou d’hui. Alors, comment répondre à la question des "sciences
de demain" ? Comme nous allons le voir, toute anticipation doit s’i s i e dans un champ temporel
qui modifie la nature de sa réponse, et, o
e j’ai essa de le o t e a e
o e e ple
introductif, peut-être que, dans le cas des sciences, elle peut graviter entre connaissance et
croyance.
Dès lors, j’e ai finis avec mon introduction, et plutôt que de se demander quelles seront les
sciences de demain, essa o s d’a o d de ous de a de u’est-ce que sont les sciences de
demain, c'est-à-dire d'accepter de penser les sciences de demain « au présent » ; car, si je ne suis
pas certain du temps qu'il fera demain, je suis à peu près certain du temps qu'il fait aujou d’hui. Et
puis, dans cette pensée des sciences de demain sur le mode du présent, nous nous servirons aussi
du passé, car nous le connaissons un peu. L’Histoi e des S ie es peut e effet ous pe ett e de
d gage des a ia les ou des o sta es et, e les p olo gea t, d’ ta li des h poth ses, des
tendances, des visions pour les sciences de demain.
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Pour commencer, je oud ais pa ti de l’id e de progrès ui est u po t e t e le pass et l’a e i
afin de préciser la tension entre connaissance et croyance en rapport au lendemain des sciences.
Un progrès, c'est quoi ? L'idée de progrès implique d'abord une amélioration, c'est-à-dire un gain
ou une plus-value mesurable. En latin, progrès cela vient de gradior qui veut dire "marcher",
"avancer", plus le préfixe pro-, "premier", "avant". Un progrès c'est donc un gradient ou un
quotient, c'est-à-dire une amélioration que je peux voir et constater, et qui en raison de son avance
donne le sentiment à l'Homme d'aller mieux. Un progrès qui créerait de l'inconfort, alors cela
serait plutôt un regret, si vous me passez le jeu de mot, puisque je veux parler en fait de
régression.
Prenons un exemple de progrès, il y a 18 ans, jour pour jour, le 14 mars 2000, Bill Clinton et Tony
Blair lançaient un appel commun aux scientifiques du monde entier, pour un accès libre au
génome humain. Ici, deux progrès apparaissent : i) premièrement, dans l'étude du génome humain
proprement dit dans le sens où de nouvelles séquences sont découvertes chaque année. Il y a là
un progrès quantifiable facilement identifiable (le nombre de séquences) ; ii) deuxièmement, un
progrès dans la diffusion de ces séquences puisqu'il s'agit d'une donnée qui devient publique, et
qui ne reste plus privée. Il y a là un progrès qualitatif dans le sens où, les données scientifiques
deviennent accessibles à tous et que cela montre un universalisme de la raison, c'est-à-dire la
volonté publique de partager la connaissance gratuitement.
Le problème est que, s'il existe un gain quantitatif indéniable dans le séquençage génétique et un
progrès éthique fort dans la diffusion publique de ces données scientifiques, la question de leur
utilisation reste posée. En effet, ce n'est pas parce qu'une donnée scientifique est diffusée, qu'elle
est compréhensible ou assimilable, et peut-être même, que cette diffusion et son accessibilité
pu li ue, is ue t d’e t ai e des catastrophes irrémédiables pour la vie. Avant-hier, je lisais un
article sur la dernière folie de la génétique, dite CRISPR-Cas9 (krispère-casse-nine)1, une sorte de
« iseau à d oupe l’ADN » extrêmement précis, permettant de modifier, remplacer, ou inactiver
un gène, et offrant des possibilités infinies en terme de manipulation du génome. Cette nouvelle
te h ologie, si l’o est opti iste, elle pou ait pe ett e de soig e des aladies g ti ues
graves ; si l’o est pessi iste, elle pou ait pe ettre de créer de nouvelles « armes de
destructions massives », o
e l’a d la la CIA – des virus notamment. Si je parle de CRISPRCas9, ’est aussi pa e ue, au États-Unis (pas encore en France), il est possi le d’a hete des
« kits CRISPR » pour 150 dolla s et odifie hez soi, g â e au ode d’e ploi, u e a t ie. Les
clients sont des bricoleurs de génome qui se nomment « biohackers ». Ce mouvement, né aux
Etats-U is où il o pte des illie s d’adeptes, d fe d l’id e ue l'o peut tous fai e de la iologie
dans son garage ou dans des « laboratoires participatifs ». Autre remarque, concernant le génome
humain : alors même qu'il fait partie intégrante du patrimoine mondiale de l'humanité, depuis le
11 novembre 1997, grâce à l'UNESCO, ce qui signifie qu'il ne saurait être la propriété de
quiconque, il est de e u, d’u e e tai e faço , la propriété de tout le monde en devenant une
donnée publique, ce qui veut dire qu'il peut être utilisé par ha u d’e t e ous, et e, à des fins
personnelles ou privées, et éventuellement dans l'intention de faire le mal ou d'aller à l'encontre
même de la dignité humaine. Dernier problème, en rapport à la génétique, il est clair que la
diffusion publique de la connaissance et sa régulation éthique (par des comités par exemple),
n'empêchent pas du tout une exploitation privée de ces données, ainsi que leur manipulation, et
ce, pour des raisons très peu scientifiques, souvent économiques, voire politiques. Pour moins de
100 dollars, aux États-Unis (81 eu os , ’i po te ui peut acheter en ligne un kit, avec la promesse
de recevoir des indications sur ses origines géographiques, ou de trouver sa place dans un vaste
1
Inventé en 2012 par la française Emmanuelle Charpentier et l’américaine Jennifer Doudna.
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arbre généalogique. Le géant américain Ancestry assure que 6 millions de personnes lui ont déjà
confié leurs échantillons de salive. Et son concurrent californien 23andMe – qui commercialise
aussi des tests de prédisposition à des maladies comme Parkinson et Alzheimer – totalise plus de
2 illio s de lie ts, l’id e ta t de te d e de plus e plus e s u e
de i e individualisée. Aux
États-U is, il s’agit d’u
a h
alu à
illia ds de dolla s e
. E F a e, il tait de
l’o d e de , milliards en 2017, et il pourrait dépasser 5,8 milliards de dollars en 20222.
Alors, la science de demain doit questionner le concept de progrès dans sa composante éthique, le
fai e so ti de l’oppositio t aditio elle pu li ue/p i e, et peut-être le réviser pour y installer
plus de stabilité et plus de durabilité, alo s
e u’il ’a ja ais t aussi apide et tout puissant.
Dans mon affaire de climatologie, si nous parlons de développement durable, c'est bien parce que
nous avons conscience que les ressources de la planète sont limitées, que nous les avons trop
entamées et que nous les entamons de façon exponentielle, le risque étant de les faire disparaître,
donc d'avoir une énergie limitée, mais aussi de modifier en profondeur l'écosystème de la planète
et de risquer de faire disparaître la vie, et certainement la nôtre. L'année dernière, mercredi 2
août, les êtres humains avaient consommé plus de ressources que ce que la Terre pouvait fournir
un an. S'il peut s'agir d'un discours relevant d'une ONG, dont la scientificité est toujours délicate
car reliée à une idéologie, l'ONG Global Footprint Network, qui calcule cette date en prenant en
compte l'empreinte carbone, les ressources consommées pour la pêche, l'élevage, les cultures, la
o st u tio et l'utilisatio d'eau, appelle u’elle a i e tous les a s plus tôt. E
, le "jou du
dépassement" – puis u’il s’agit du terme retenu – était intervenu le 3 août. En 1997, il survenait fin
septembre. Dans un communiqué, Global Footprint Network et le WWF3 dresse un bilan alarmant :
"Pour subvenir à nos besoins, nous avons aujourd'hui besoin de l'équivalent de 1,7 planète". Les
sciences de demain devraient-elles prendre en compte cet amenuisement des ressources de la
planète, ou continuer de creuser dans le sol du savoir et espérer toujours pouvoir trouver de
ou elles te h ologies pe etta t de fo e plus loi , ou alo s da s d’aut es te itoi es, e fi
même de ne plus forer du tout en produisant des ressources de façon purement artificielle ?
Alors, de quoi tous ces phénomènes sont-ils le symptôme et quelles sont les conséquences pour
nous et notre sujet ?
Il semblerait que les sciences de demain soient prises dans un prisme à trois côtés donnant trois
visions futures du monde : i) tout d’a o d, il a une vision progressiste, qui fait de la science une
machine toute puissante dont l'objet est un progrès infini, positif, et idéal. Il a là l’esp it de
Descartes et de la révolution des Lumières ; ii) d'autre part, il y a une vision regressiste, qui
s’oppose à la science et désire même la d t ui e ou la fai e dispa aît e. Il a là u peu l’esp it de
Rousseau avec la volonté de revenir à un état de nature ou un paradis perdu ; iii) enfin, il y a une
vision modérée, répondant notamment au "p i ipe de p autio ". Il s’agit de oi une science
dont les progrès sont mesurés, non pas à l'aulne de leurs effets réels, mais de leurs effets
probables ou potentiels, ’est-à-dire selon les risques pour la vie et le genre humain. Il y a là un très
o li e de Ha s Jo as ui s’appelle Le Principe responsabilité (1979).
Permettons-nous donc ces trois visions du futur et osons poser le regard sur chacune des facettes
de ce prisme.
2
http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/01/17/les-donnees-genetiques-une-mine-d-or-pour-les-laboratoires_5242884_3224.html
World Wide Fund for Nature) ou Fonds mondial pour la nature est une organisation non gouvernementale internationale (ONGI) créée en 1961,
dédiée à la protection de l’e i o e e t et fortement impliquée en faveur du développement durable.
3
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Tout d’a o d, o
e je le disais, il la vision progressiste que nous retrouvons chez Descartes et
dans l'esprit des Lumières. Lorsque Descartes écrit le Discours de la Méthode en 1637, il porte une
foi inconditionnelle en le progrès scientifique, dont la fonction majeure est de s'opposer à l'opinion
et aux croyances religieuses. Au même moment, son homologue italien Galilée est condamné pour
la seconde fois par le Saint-Office, sa théorie de l'héliocentrisme étant jugée hérétique et
fallacieuse. Rappelons que le procès de Galilée s'est déroulé en trois temps : i) 1616 : première
condamnation. L'ouvrage de Copernic, du siècle précédent, est interdit et les propositions de
Galilée sont jugées hérétiques. Galilée a alors l'interdiction d'enseigner l'astronomie de Copernic ;
ii) 1632 : Galilée publie un nouvel ouvrage dans lequel il soutient encore les théories de Copernic.
À sa diffusion, Galilée est menacé d'arrestation ; iii) 1633 : Galilée est arrêté et amené devant le
tribunal de l'Inquisition. Galilée est vieux, fatigué, déprimé et presque aveugle. Il a peur et il
préfère reconnaître ses erreurs. Il jure s'être trompé même s'il continue de penser le contraire.
Pour l'anecdote, Galilée a seulement été réhabilité par le Pape Jean-Paul II le 31 octobre 1992, ce
qui est tout à fait récent.
Alors, la vision progressiste des sciences, ’est u e isio de de ai ui défend le progrès en tant
qu'il est porteur de connaissances et que ces connaissances permettent de sortir de
l'obscurantisme de l'opinion et des croyances. La isio p og essiste, ’est elle des Lu i es et
nota
e t des e
lop distes ui o pile t l’e se le des sa oi s du o de et les dist i ue t
gratuitement dans les rues des villes de France, au risque de finir en prison. C’est d’ailleu s e ui
est arrivé à Diderot. Alors, une critique, qui est souvent faite à cette vision progressiste du savoir,
consiste à dire que, les progrès scientifiques et technologiques comportent aussi des risques, u’il
e iste des a us et des d i es, u’il a
e e tai e e t u gaspillage propre à la science, qui
dépense des sommes colossales avec la question parfois de son utilité. Cependant, les
progressistes répondraient que la science ne doit pas forcément être utile et cette affirmation, si
elle est plus aie aujou d’hui u’hie , elle se a e o e plus aie de ai u’aujou d’hui. De ai
est l’ e de l’Ho
e aug e t et du t a shu a is e, e ou e e t ui ise o plus à p ô e
l’id e d’u e s ie e utile et nécessaire aux plus faibles, aux malades, aux démunis, mais une
s ie e pe etta t d’aug e te les apa it s de l’Homme ordinaire et de lui donner un gain de
puissance par rapport à ses capacités normales. L’Ho
e aug e t , ’est l’Ho
e H+, ’est-àdire celui qui a des capacités ordinaires mais augmentées grâce à la science et la technologie.
L’Ho
e aug e t , ’est Te i ato ou I o Ma , je pe se au e os uelettes de l’a
e, le
CornerShot, les peaux de dragon qui sont des nouveaux types de gilets pare- alles. C’est aussi la
ape d’i isi ilit o
e da s Ha
Potte , faite de
ta at iau d’opti ue. Ce so t des
implants cérébraux ou des membres bioniques comme dans l’Homme ui valait 3 millia ds. Aussi,
tout à l'heure, lorsque je pa lais du "jou du d passe e t" et du p o l e de l’e ploitatio des
ressources naturelles, les défenseurs inconditionnels de la science, les progressistes, me
répondraient que, justement, en raison de la toute-puissance des sciences, nous trouverons
toujours les moyens de créer de nouvelles technologies permettant de créer ou d'exploiter de
nouvelles ressources. D’ailleu s, le o ept de atu e ou de essou es atu elles ’a pas de se s
pour les progressistes car tout est matière, quand bien même elle est conçue ou créée de façon
artificielle. La pollution elle-même est matière et dire, par exemple, que le dioxyde de carbone
CO est u pollua t pou ait pa aît e stupide puis u’il est p oduit aussi de faço atu elle. Ai si,
les scientifiques trouveront toujours des procédés permettant de contrôler ce que nous appelons
pollution, de recycler, de proposer des espaces sains, d’e te e les d hets ou de les e o e da s
l’espa e. L’espa e, oui. Ils parleraient certainement de sa o u te de l’espa e et de l’e t ep ise
japo aise O a ashi a e so s st e d’as e seu spatial fait de a otu es p u pou 2050 et
permettant de voyager de la Terre à plus de 96000 kms au-dessus de nos têtes. Le mois dernier,
peut-être avez-vous vu la fusée Falcon Heavy lancée depuis Cap Canaveral, dont le fondateur est le
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milliardaire Elon Musk, qui vise notamment la conquête de la planète Ma s. Pou s’a use , il a
glissé dans la soute une de ses voitures électriques de la a ue Tesla u’il a la guée et laisse
maintenant dériver tranquillement. Les progressistes, ils diraient aussi que les nouvelles
technologies, proposées par les grands magnats de l'informatique sont nécessairement une source
d'émancipation car elles permettent à l'Homme plus de confort, plus de possibilités, plus de
communications et de lisibilité. À la dernière conférence Ask More? de Google (demande plus ?) la
réalité virtuelle s'est évidemment invitée sous la forme d'une révision du casque Daydream View.
Photos et vidéos à 360°, réalité virtuelle augmentée, immersion totale dans un environnement
numérique permettant de vivre des films, des animations, et des jeux vidéo selon une expérience
totale, etc. Et puis, ie sû , il a l’i
o talit . Les s ie es de de ai doi e t epousse les
limites de la vie et peut-être même anéantir la mort. Il y a les travaux sur les cellules souches et le
ieillisse e t ellulai e, le lo age, u’il soit th apeuti ue ou reproductif, la cryogénisation, mais
aussi le p ojet t s s duisa t de l’a
i ai Ma i Mi sk du MIT d fe da t l’id e du
t l ha ge e t de l’esp it i d uploadi g , à la Ghost in the Shell. Dans ces progrès, comment ne
pas voir en effet une augmentation profitable des capacités de l'Homme, qui le sortent de sa
condition naturelle et pourrait l’ l er au rang de Dieu ? Ironiquement donc, et pour en finir avec
cette première vision, dans sa radicalisation la plus extrême, la vision la plus progressiste des
sciences ne se rapproche-t-elle pas de la religion dans sa soif d'omnipotence et de rendre l'Homme
à l'image de Dieu, c'est-à-dire un être aux capacités infinis et à la vie immortelle ?
Imaginons maintenant une seconde vision du monde scientifique de demain, laquelle ne serait
plus progressiste, mais regressiste. Le terme de « regressiste » ’est pas vraiment très beau. Une
g essio , e ’est pas u e essatio . Si u e essatio o siste à a te u e a ti it , e
l’o u e e i i le p og s s ie tifi ue, u e attitude g essi e ise à s’ oppose , à le faire
disparaître, afin de retrouver un ordre passé. En politique, le terme équivalent serait réactionnaire
ou son diminutif « réac », terme qui apparaît à la Révolution française. Les réactionnaires étaient
les pa tisa s d’u etou à l’A ie R gi e et s’opposaie t au
olutio ai es ui pa ti ipaie t
eux à un mouvement novateur, progressiste, et républicain. Alors, que pourrait être une attitude
regressiste ou réactionnaire vis-à-vis des sciences et quelle serait alors notre vision de demain ?
Dans les années 1930, il y a un éminent philosophe autrichien, mathématicien de formation, issu
d’u e fa ille jui e, ui s’appelle Ed u d Husse l. Pe s ut pa la o t e du azis e, il se oit
d’a o d i te dit de i lioth ue à Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne, puis radié du corps
e seig a t. C’est so l e Ma ti Heidegge ui p e d a sa pla e. Husse l, ho s de l’Alle ag e,
continue de faire des conférences, et ce, notamment à Prague et à Vienne, encore libres,
o f e es ui do e o t lieu à u ou age s’appela t La crise des sciences européennes et la
phénoménologie transcendantale. Que nous dit Husserl ? Co
e ous l’a ez o p is, Husse l
enseigne au moment de la montée du national-so ialis e do t la puissa e s’e p i e
particulièrement dans le domaine de la science et des techniques. Si la seconde guerre mondiale
va marquer le déclin de la s ie e alle a de, tout le d ut du XXe si le fait de l’Alle ag e le pa s
le plus grand en matière de science. Entre 1901 et 1933, 1/3 des prix Nobel sont attribués à des
Allemands (23 sur 71). Pour citer quelques noms célèbres : Max Born, Erwin Schrödinger, Kurt
Gödel, Max Planck, Werner Heisenberg, Otto Stern, Philipp Lenard, Johannes Stark, Richard Kuhn,
et Albert Einstein, do t ’est l’a i e sai e aujou d’hui. Il est
le 14 mars 1879. Si beaucoup de
ces scientifiques o t uitt l’Alle ag e azie, fo e est de o state ue leu s t a au o t pu la
servir puisque si les savants partent, les théories restent. De plus, la moitié des médecins du IIIème
Reich ont défendu une idéologie raciale, le racisme biologique de Joseph Arthur de Gobineau et
Housto Ste a t Cha e lai , suppo ta t le
the d’u e a e pu e et a e e, d te t i e d’u
espace vital et devant dominer les races métissées. Husserl donc, fait le constat que la science des
a
es
est de e ue telle e t positi e et dog ati ue u’elle a is de ôt l’Ho
e et la ie
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en les transformant en de simples pantins, des objets scientifiques, et u’elle est devenue le lieu
des idéologies les plus atroces et destructrices. La critique que Husserl fait des Sciences est
fo da e tale a elle o t e u’il est fi ale e t fa ile à l’Ho
e de s’ou lie da s la s ie e et
de ne plus être lucide devant ses effets et ses implications pour le genre humain. Alors, parce que
la s ie e a d jà f app et u’elle peut f appe e o e, il faut la d t ui e et la fai e dispa aît e,
selon une visée regressiste. Il faut revenir à un stade primitif où la s ie e ode e ’ tait pas là,
revenir à un paradis perdu où les Hommes vivaient en harmonie avec la nature, peut être avec une
espérance de vie moindre et des difficultés devant la maladie, mais avec des valeurs supérieures,
de dignité, de famille, de solidarité, et surtout, avec un respect profond pour la Terre, qui a aussi le
d oit de i e. Da s les a
es , l’ i ai de s ie e-fiction Isaac Asimov, connu notamment
pour Les Robots, a écrit le Cycle de Fondation qui consistait à rédiger un roman historique du futur.
En son sein, il parle notamment de la théorie de Gaia qui dit que la Terre est une Terre-mère
nourricière, un peu comme dans Avatar, et que nous, les Hommes, nous sommes comme les
cellules de cet organisme géant, et que nous contribuons à son fonctionnement global et au
maintien de son homéostasie. Le problème, est que, parce que nous avons perdu notre nature
première et avons développé la science, nous avons créé des dysfonctionnements et donc des
maladies. Nous sommes devenus des cellules dégénérées ou encore des cancers, idées que nous
trouvons dans les films Matrix ou Kingsman. La pollution, le réchauffement climatique, la fonte des
glaces, la surpopulation, les famines et les épidémies dans le monde, la sous-alimentation,
l’e ploitatio des e fa ts, l’h pe -industrialisation, le nucléaire, les OGM, le œuf au ho o es,
les d ogues, le ta a , l’alcool, les perturbateurs endocriniens, les ondes de nos téléphones
portables, etc., bref, autant de produits et de technologies qui sont les fruits de nos savoirs
scientifiques et qui laissent entrevoir un futur abominable ou apocalyptique. Et, si nous continuons
cette marche – cette démarche –, non, cette course effrénée vers le progrès des sciences, nous
risquons, une troisième guerre mondiale, où, à l’ e de l’ato e, ou plutôt des pa ti ules
élémentaires, la destruction du monde est une possibilité bien réelle. Alors, il faut faire disparaître
la science et la technologie moderne et devenir un néo-païen, un adepte de la Wicca, un shaman
ou un druide, un sorcier, faire du yoga et être végétarien, ou vegan, ou même ne plus rien manger
du tout, à la rigueur les ra o s du soleil, e ui s’appelle le su -eating, parler aux animaux et leur
d esse des autels, e plus ouge o
e da s le jaï is e, de peu d’ ase u e fou i ui a
aussi so d oit de i e, et do t l’â e est peut- t e elle d’u de nos ancêtres. Mais, cette vision
’est-elle pas un leurre ? Quand bien même nous adoptons une vision pessimiste des sciences, la
science ne doit-elle pas maintenir sa place, ne serait-ce que pour réparer et digérer les dommages
faits et cités précédemment ? De plus, réduire le p og s hu ai à sa gati it , ’est-ce pas
fi ale e t efuse l’a e i , e ui est aïf, oi e
e i possi le ? Car, en effet, le temps, lui, ne
s’a te pas, et il ne revient jamais en arrière.
Alors, il a u e t oisi e isio ui est od e et s’i stalle e t e les deu précédentes. Cette
dernière vision, elle défend le progrès scientifique à condition de l’e ad e d’une mystique, ou
plutôt d’une éthique, pour employer un terme plus contemporain et rester politiquement correct.
Cette isio
od e, elle o p e d ue la s ie e est utile et u’elle peut fai e le ie , ais
u’elle epose : i) sur des croyances do t il faut e o aît e l’e iste e afi d’ ite tout
dogmatisme ; ii) sur des risques et des da ge s u’il faut esu e et essayer de contrôler, tout en
sa ha t u’u o t ôle total ’est ja ais possi le, et u’il a toujou s u e pa t d’al atoi e o
négligeable et bien réelle. Alors, ici, il faut d’a o d réi te oge l’a solutis e progressiste de ceux
qui ne jurent que par la science, ceux qui font de la religion et des croyances de simples
supe stitio s, eu ui efuse t toutes les spi itualit s sous p te te u’elles s’appuie t su des
dogmes et non pas sur des preuves ou des démonstrations, ceux qui pensent que la métaphysique
’a ie à fai e da s la science car elle est une affaire de spécialistes, de techniciens, brefs de gens
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biens ui s’i t esse t au fait et non au dogme. C oi e ue la s ie e s’appuie seule e t su des
faits et des démonstrations, et u’elle est u e affai e de aît ise, ’est ou lier u’elle est d’a o d
une affaire de croyances, et que sa base est bien « religieuse ». Avant Galilée, lorsque Nicolas
Copernic affirmait que la terre tournait autou du soleil, il e s’agissait pou lui ue d’une intuition
puis u’il tait ie i apa le de le p ou e . Et d’ailleu s, de o
eu sa a ts de l’A ti uit
pensaient déjà que la terre tournait autour du soleil. La première mention connue de
l'héliocentrisme se trouve dans des textes védiques des IXe et VIIIe siècles av. J.-C. Au Ve siècle av.
J.-C., Philolaos de Crotone est le premier penseur grec à affirmer que la Terre n'est pas au centre
de l'Univers. La théorie de l’h lio e t is e, a a t d’ t e u e o aissa e s ie tifi ue tait bel et
bien une croyance. Autre exemple, plus récent, le boson de Higgs4. Il s’agit d’une particulaire
l e tai e do t l’e iste e a t postul e pa plusieu s s ie tifi ues, do t Pete Higgs en 1964,
pa ti ule do t l’e iste e ’a t o fi
e e p i e tale e t u’e
g â e à l’utilisatio du
LHC (Large Hadron Collider / Grand collisionneur de hadrons), un accélérateur de particules.
Pendant 50 ans environ, la physique s’est appuyée sur cette particule sans être certaine de son
existence, o
e si sa p se e h poth ti ue suffisait à fai e d’elle u e th o ie s ie tifi ue. Voilà
donc une science bien étrange ! Un dernier exemple en mathématique, pour montrer que la
science a besoin de croyances : la science fonctionne à partir d’axiomes et de postulats qui ne sont
pas toujou s d o t a les. Si je dis u’il e iste u e i fi it de o
es, ela est ai ais il ’est
difficile de le prouver. Toute une vie ne suffirait pas pour le prouver, a il ’est pas possi le de
d o t e l’i fi it à pa ti d’u o se ateu do t les apa it s so t li it es et l’e iste e finie.
Alo s, si je dis tout ela, ’est ue peut-être la science de demain, si elle veut progresser, elle doit
s’a o pag e d’u peu de spiritualité : i spi itualit da s l’app he sio de ses th o ies ui
ite t des philosophes et u e igila e pist ologi ue afi d’aide le s ie tifi ue à so ti de
so dog atis e et de o p e d e u’il a toujou s des o a es ui a o pag ent la pensée
du chercheur ; ii) spi itualit da s les uestio s ui tou he t à l’e iste e et à la ie, et ce, au-delà
d’u e app o he lassi ue, t aditio elle, factuelle et matérialiste. Sigmund Freud, dans ses
Nouvelles conférences sur la psychanalyse (1915-1916), expliquait que si, la science, permet
indéniablement de « lutter victorieusement contre certains maux », elle est ie i utile lo s u’il
s’agit de assu e l’Ho
e et de lui donner espoir. Ainsi, si la médecine progresse sans aucun
doute dans l’ tude des aladies et dans la recherche de remèdes ou des soins, le médecin, bien
souvent, ne possède pas la e tu du p t e, du oi e, du a i , de l’i a , du sha a , ou tout
simplement de la famille et des amis, ceux qui ont un discours, peut-être, peu scientifique, mais
par contre assu a t. Et d’ailleu s, il faut appele u’il e iste des i a les, ’est-à-dire des
événements que la science ne prédit pas. Peut-être sont-ils explicables scientifiquement, de façon
a posteriori, ais ils ’o t pas t dits de façon a priori. Au contraire même, peut-être que la
science avait prédit l’i e se. Vous o aissez tous le ph si ie Stephe Ha ki g, aujou d’hui
complètement paralysé. Lorsque la science lui a donné le diag osti d’u e s l ose lat ale
amyotrophi ue, il ’a ait ue
a s et l’esp a e de ie suite à u tel diag osti se situe e t e
et a s. Il a aujou d’hui 76 ans ; et, qui, à part Madame Soleil ou Nostradamus, aurait pu faire
l’ tat de cet heureux pronostic ? Alors, est-ce la science ou la détermination du scientifique qui le
pousse à vivre et à agir si loin ? Ce qui importe finalement chez l’Ho
e, est- e d’ t e heu eu en
tant que scientifique, ou bien de trouver la pierre philosophale, la connaissance divine qui pourrait
faire de lui un Surhomme capable de rivaliser avec les Dieux ? Et puis, il faut se le demander, si les
sciences de demain nous permettent de devenir comme un Dieu, l’Ho
e de demain pourra-t-il
encore être heureux ?
Voilà, je termine avec cette question et vous remercie de votre attention.
Il pe et d'e pli ue la isu e de l’i te a tio u ifi e le t ofai le e deu i te a tio s pa l'i te
diai e du
Hagen-Guralnik-Kibble et d'expliquer ainsi pourquoi certaines particules ont une masse et d'autres n'en ont pas.
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Les Sciences de demain (jeudi 14/03/18)
a is e de Brout-Englert-Higgs-
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