Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
Fabrique du tourisme et expériences patrimoniales au Maghreb, XIXe-XXIe siècles Cyril Isnart, Charlotte Mus-Jelidi et Colette Zytnicki (dir.) DOI : 10.4000/books.cjb.1407 Éditeur : Centre Jacques-Berque Lieu d'édition : Rabat Année d'édition : 2018 Date de mise en ligne : 15 janvier 2019 Collection : Description du Maghreb ISBN électronique : 9791092046373 http://books.openedition.org Référence électronique ISNART, Cyril (dir.) ; MUS-JELIDI, Charlotte (dir.) ; et ZYTNICKI, Colette (dir.). Fabrique du tourisme et expériences patrimoniales au Maghreb, XIXe-XXIe siècles. Nouvelle édition [en ligne]. Rabat : Centre Jacques-Berque, 2018 (généré le 18 janvier 2019). Disponible sur Internet : <http:// books.openedition.org/cjb/1407>. ISBN : 9791092046373. DOI : 10.4000/books.cjb.1407. Ce document a été généré automatiquement le 18 janvier 2019. © Centre Jacques-Berque, 2018 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540 1 Ce livre propose de faire un double pari qui permet de renouveler les perspectives classiques sur le tourisme et le patrimoine au Maghreb et en Méditerranée : d’une part, considérer le tourisme dans les anciennes colonies françaises nord-africaines et au-delà comme une des déclinaisons de la « situation coloniale » décrite par Georges Balandier et en décrire les implications politiques ; d’autre part, réévaluer les conséquences de la naissance et du développement concomittants des pratiques touristiques et de l’institution du patrimoine culturel autour de la Méditerranée, qui sont souvent pensées comme des champs séparés. Fruits de rencontres et de collaborations internationales nouées au début des années 2000, les travaux réunis ici dessinent le paysage complexe, à la fois politique, idéologique et imaginaire, dans lequel une multiplicité d’acteurs, de représentations concurrentes du passé et de stratégies économiques ont continuellement forgé des usages du patrimoine et des politiques touristiques, depuis la période précoloniale jusqu’au moment des contestations des « printemps arabes ». Ces dynamiques ont eu, et ont encore, une influence déterminante sur la structuration des sociétés locales et les circulations internationales. Pour saisir cette complexité, plusieurs perspectives disciplinaires – histoire, histoire de l’art, anthropologie – se sont associées autour d’une même ambition. Par la description fine de leurs usages et de leurs représentations des espaces, des biens et des cultures, il s’agit d’analyser comment des pouvoirs institués, des individus impliqués, des visiteurs curieux pouvaient parcourir des lieux et produire des narrations du passé. Il fallait pour cela croiser les points de vue de ces voyageurs que les sources nomment parfois touristes avec ceux des acteurs patrimoniaux qui voulaient, et veulent encore, construire le champ culturel du Maghreb. Loin de se vouloir exhaustif, le présent volume offre des perspectives de réflexion dans trois domaines : patrimonialisation et mise en tourisme du passé antique dans la Tunisie coloniale, production de l’architecture touristique maghrébine et ses liens avec le patrimoine vernaculaire, usages culturels et touristiques des biens et des pratiques religieuses. CYRIL ISNART Anthropologue, Institut d’ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative, UMR 7307 Aix-Marseille-Université et CNRS (Aix-en-Provence, France). CHARLOTTE MUS-JELIDI Historienne de l’art contemporain, InTRu Équipe d’accueil 6301, Université FrançoisRabelais (Tours, France). COLETTE ZYTNICKI Historienne du contemporain, FRAMESPA UMR 5136, Université Toulouse Jean-Jaurès et CNRS (Toulouse, France). 2 SOMMAIRE Remerciements Avant-propos Habib Kazdaghli Penser le tourisme et le patrimoine, au Maghreb et au-delà (XIX e-XXIe siècles) Colette Zytnicki, Cyril Isnart et Charlotte Mus-Jelidi Tourisme et patrimoine : quels liens ? La difficile définition du passé maghrébin : du passé romain à la pluralité des passés ? Passeurs de cultures et pratiques de l’entre-deux : l’emprise des acteurs non étatiques Objets patrimoniaux et expériences touristiques : vers une histoire croisée des points de vue Partie I : Préserver et visiter le patrimoine antique de la Tunisie Introduction. Les enjeux de la Tunisie antique pendant la période coloniale Colette Zytnicki Promouvoir le tourisme archéologique dans la Tunisie coloniale. Le rôle du Touring Club de France et des Sociétés archéologiques de Sousse et de Sfax Myriam Bacha L’initiative allogène du Touring Club de France et de son Comité des sites et monuments pittoresques Le Comité des sites et monuments pittoresques : lutte pour la sauvegarde de Carthage et pour la protection de l’ensemble du patrimoine tunisien Les Associations de sauvegarde de Sousse et de Sfax : l’Antiquité support de la mise en valeur d’un territoire Conclusion Regards de femmes sur la ville de Didon : le Comité des dames amies de Carthage (1920-1924) Antonella Mezzolani Andreose Les fondateurs Qui sont les membres du CDAC ? L’organisation du CDAC Les objectifs du CDAC Les activités du CDAC Le CDAC et son réseau international Le Bulletin du CDAC, un instrument de propagande coloniale La transformation du CDAC en Société des amis de Carthage et des villes d’or et la fin de l’aventure Tourisme et patrimoine à Carthage en 1930. Souvenirs d’un pèlerin du congrès eucharistique Jacques Alexandropoulous Carthage punique ou Carthage chrétienne : quelle Carthage patrimonialiser ? Carthage et le Congrès eucharistique de 1930 Pèlerin et touriste à Carthage, François Mévellec 3 Barrages hydrauliques, tourisme et Antiquité : les projets d’un ingénieur visionnaire dans la Tunisie coloniale Lassaad Dendani Jean Coignet, un ingénieur hydraulicien Le patrimoine hydraulique et le tourisme en Tunisie à la fin du XIX e et au début XXe siècle Les fondements historiques de la mise en tourisme du barrage-réservoir de Hammam Zriba Le tourisme hydraulique : un projet pionnier resté inachevé Conclusion Partie II : Les relectures du patrimoine local dans l'architecture de tourisme Introduction. Les écritures architecturales touristiques au Maghreb, un moteur à quatre temps ? Charlotte Mus-Jelidi Pastiches orientalisants Des styles régionalistes théorisés Du modernisme méditerranéen au style national Eclatement des références vernaculaires ou retour au pittoresque régional ? Conclusion En six-roues de Biskra à Djerba. Villégiature hivernale, « esthétique de l’oasis » et architecture hôtelière régionaliste Dominique Jarrassé Une « esthétique de l’oasis » Biskra au cœur du développement du tourisme hivernal des oasis Les circuits des six-roues De l’architecture du Djérid au néo-soudanais La sala et le micro-palace : l’hôtellerie en Indochine Aline Demay et Caroline Herbelin Les premières initiatives privées Mettre en valeur le territoire par des gîtes d’étape Hôtels de luxe et palaces ou la folie des grandeurs indochinoises Conclusion Le mouvement moderne marocain à l’épreuve du tourisme (1950-1970) Lucy Hofbauer Casablanca ou le leurre tropical Agadir, balnéaire et modernité Cabo Negro, Ouarzazate, Yasmina : les premiers Clubs Méditerranée Le président, la mer et l'architecte. Cacoub bâtisseur d'une nation touristique Charlotte Mus-Jelidi Bourguiba, l’architecture et la modernité tunisienne L’architecture hôtelière « signal » Clubs et stations de vacances intégrés : re-création d’une architecture tunisienne Port el Kantaoui, l’anti-Grimaud Conclusion 4 La kasbah berbère, ou comment un particularisme architectural devint l’un des principaux archétypes touristiques chérifiens Salima Naji Le corpus de référence de la kasbah historique comme topos touristique Le contexte de la mise en tourisme du Sud marocain Villégiature et modernité Prôner le vernaculaire pour mieux s’en éloigner ? L’amazighité revendiquée, le style post-kasbah des villégiatures privées Conclusion L’architecture troglodytique verticale et la mise en valeur touristique aux Matmata (Sud-Est tunisien). Note de recherche Zayed Hammami L’architecture troglodytique verticale : un potentiel patrimonial spécifique Les troglodytes des Matmata : une curiosité touristique depuis l’époque coloniale L’hôtellerie troglodytique : entre offre classique et hébergement luxueux Les troglodytes ouverts aux touristes Conclusion Partie III : Des usages culturels des biens religieux Introduction. Les biens religieux sont-ils des biens patrimoniaux et touristiques comme les autres ? Cyril Isnart Le touriste, le fidèle et l’administration coloniale. Eléments pour une histoire de la patrimonialisation des mosquées en Tunisie Alain Messaoudi Aujourd’hui et hier, l’architecture musulmane comme objet touristique et politique Tourisme, patrimoine et fabrication d’un récit mythique : l’exemple de Kairouan Conclusion Une histoire du patrimoine religieux au Portugal (XIX-XXe siècles) Maria Isabel Roque Introduction L’extinction des ordres religieux, le transfert vers le domaine public et l’institution de l’histoire de l’art au Portugal La création du répertoire d’art national Muséologie d’initiative religieuse à la fin du XIX e siècle Les musées de la République La muséologie de la religion pendant l’État Nouveau Muséalisation du religieux à la fin du XX e siècle Conclusion L’église Saint-Louis, un site « fantôme » de l’histoire d’Oran. Note de recherche Dalila Senhadji Introduction Une mosquée et une chapelle espagnole Santa-Maria-de-las Victorias, première église de la période française L’agrandissement de 1847 1869, la construction de la cathédrale Saint-Louis Conclusion Les auteurs Liste des illustrations 5 Remerciements 1 Ce livre n’aurait pu voir le jour sans l’appui de nombreuses institutions ayant participé aux différentes étapes qui ont conduit à sa publication. 2 Les coordinateurs de cette publication souhaitent ainsi remercier le programme Mistrals ENVI-med (CNRS/Ministère des Affaires étrangères), qui a soutenu le projet « TPMTourisme et patrimoine au Maghreb, XIXe-XXIe siècles : approche pluridisciplinaire de la mise en tourisme et des processus de patrimonialisation au Maghreb sur la longue durée », accueilli par l’École des hautes études hispaniques et ibériques (Casa de Velázquez, Madrid). Ce projet a réuni, sous la direction de Habib Kazdaghli et Colette Zytnicki, le groupe de recherche « Patrimoine » (Université La Manouba, Tunisie), l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (Tunis, Tunisie), le Centre JacquesBerque (Rabat, Maroc), le Framespa (UMR 5136 Université Jean-Jaurès et CNRS, Toulouse, France) et le CIDEHUS (Centro Interdisplinar de História, Culturas e Sociedades, Universidade de Évora, Évora, Portugal). 3 Stéphane Michonneau, alors directeur des études modernes et contemporaines à la Casa de Velázquez, a soutenu de manière indéfectible le projet. 4 Les responsables des institutions participantes (Habib Kazdaghli, Karima Dirèche, Baudoin Dupret, Jean-Marc Olivier, Hélène Debax Fernanda Olival) ont accompagné le déroulement du projet en soutenant financièrement et matériellement les diverses rencontres scientifiques. 5 Nous sommes également reconnaissants à Myriam Bacha, qui a co-organisé avec Charlotte Mus-Jelidi la journée d’étude sur l’architecture de tourisme à l’IRMC en septembre 2014, et à Muriel Girard, Bernard Toulier et Guillaume Quiquerez pour leur soutien lors de la préparation de la partie consacrée à l’architecture. 6 Enfin, notre gratitude va à l’équipe du Centre Jacques-Berque à Rabat qui a accepté de publier cet ouvrage collectif. 6 Avant-propos Habib Kazdaghli 1 En me proposant de faire l’avant-propos de cet ouvrage collectif qu’ils ont brillamment dirigé, Charlotte Mus-Jelidi, Cyril Isnart et Colette Zytnicki m’honorent. Mes trois collègues – et tous ceux qui ont contribué à ce beau livre – m’offrent ainsi l’occasion de me joindre à eux, même symboliquement, pour les féliciter et leur exprimer tout mon soutien pour le travail accompli autour d’un champ de recherche que nous avons eu l’honneur d’entamer, Colette Zytnicki et moi-même, il y a presque quinze ans. Nous avions alors engagé une réflexion sur la faisabilité d’une histoire du tourisme dans le Maghreb colonial, entraînant avec nous une cohorte de jeunes – et moins jeunes – chercheurs, d’étudiants et de doctorants. Le présent ouvrage regroupe des travaux présentés et discutés dans diverses rencontres tenues entre 2010 et 2014 sur la thématique des relations entre tourisme et patrimoine, et je me réjouis qu’au cours de toutes ces années l’étude ait pu se poursuivre et se développer de manière fructueuse. 2 Le contexte de la transition à la démocratie qui a suivi le changement de régime en Tunisie en 2011, contexte auquel j’ai été mêlé, a voulu que je sois, avec mes collègues tunisiens, aux premières lignes du combat pour la défense des libertés académiques. Sans elles, il ne serait plus possible d’assurer la transmission libre des connaissances ou le développement d’une coopération sereine avec les collègues des autres universités, comme nous avons pu le faire pendant plus de deux décennies avec l’université de Toulouse et d’autres universités françaises. Fier, certes, d’avoir apporté ma modeste contribution à un tel combat pour les libertés dans mon université et dans mon pays, je ne peux cependant que regretter de n’avoir pas eu le temps nécessaire pour continuer à m’associer avec mes collègues dans le travail d’animation de ce champ de la recherche sur les rapports entre le tourisme et le patrimoine au cours de la période coloniale et postcoloniale. Je signale toutefois qu’un petit groupe de doctorants et de docteurs travaillent sur ces thématiques sous ma direction. 3 Comme il sera rappelé dans l’introduction du présent ouvrage, les études sur le tourisme et le patrimoine au Maghreb ne prétendent nullement donner une vision alternative de l’histoire de la colonisation. Cependant, elles partent du postulat que la situation coloniale a suscité une multitude d’expériences historiques. Jusque-là, les réalités impériales ont été le plus souvent approchées sous l’angle de l’histoire d’une domination 7 et d’une hégémonie imposées du dehors dont le facteur déterminant était la recherche de profits à travers l’exploitation des ressources et des richesses des pays dominés. Évidemment, tout cela est vrai et a bien eu lieu, et les recherches sur le tourisme et le patrimoine n’ont nullement l’intention de vouloir contredire ces faits bien avérés. Cependant, sans vouloir nier ce contexte, les recherches présentées ici montrent les nouveaux rapports qu’il a créés, certes inégaux, entre colonisés et colonisateurs, mais qui n’en constituent pas moins des lieux d’échanges et de nouveaux terrains d’expérimentation ainsi que des formes inédites de passage à la modernité. L’école moderne fut introduite dans la majorité des cas pour éduquer les enfants des colonisateurs, tout comme l’hôpital, la poste, la route, les transports, les hôtels, les plaisirs et les loisirs, etc., ont été pensés pour répondre aux besoins des dominants. Cependant, plus ou moins rapidement, ces nouvelles formes de vivre et de se détendre, venues de l’extérieur, ont été également « adoptées » par les populations des colonies, même si le bénéfice s’est étendu pendant de longues années à des groupes limités, tant étrangers qu’autochtones. On ne peut donc s’empêcher de remarquer que la période coloniale a permis historiquement, et de manière contrainte, la mise en orbite de la modernité des pays du Maghreb. Le tourisme et les activités de loisirs contemporains qui ont connu un véritable développement depuis les indépendances du Maroc et de la Tunisie sont bel et bien nés et se sont développés dans les trois pays du Maghreb dans le cadre de l’empire colonial français. Et, même si ces deux activités poursuivaient des objectifs propres à chacun d’elles, il n’en demeure pas moins que des liens de complémentarité se sont tissés entre le tourisme et le patrimoine. Certes, les premières fouilles visaient à montrer les liens entre les nouveaux arrivants et le passé antique des régions colonisées dans un effort supplémentaire de légitimation des visées de l’opération coloniale. Toutefois, au lieu de chercher à tout prix à exporter les fouilles vers l’Europe, les colonisateurs les ont transformées en sites et ont créé des musées destinés à nourrir l’activité touristique naissante. Comme le montrent les contributions présentées ici, l’intérêt porté aussi bien au tourisme qu’au patrimoine a été, pendant longtemps, le fruit d’initiatives d’entrepreneurs privés, d’amateurs amoureux des lieux et de collectionneurs. L’administration coloniale prit la suite et s’occupa de la promotion de cette activité en canalisant les initiatives pour susciter une meilleure adéquation entre tourisme et patrimoine. Le soutien à l’activité touristique s’affirma au fur et mesure que les autorités se rendirent compte que le tourisme pouvait constituer un des meilleurs vecteurs de propagande pour l’œuvre coloniale dans son ensemble. 4 La somme des recherches présentées ici, couvrant aussi bien l’archéologie ou l’architecture tant civile que religieuse, montre que les recherches sur l’histoire du tourisme colonial et postcolonial résistent bien à l’effet de mode et qu’elles n’ont pas encore livré tous leurs secrets. Les thèses de doctorat en cours de réalisation sur l’histoire du tourisme dans les pays du Maghreb constituent la meilleure confirmation de l’attrait qu’exerce de plus en plus ce nouveau champ de recherche. En effet, le patrimoine riche et pluriel de ces territoires constitue de nos jours une chance pour diversifier l’activité touristique. Après avoir été cantonnée par des tours opérateurs puissants durant plusieurs décennies dans sa forme de masse tournée vers un tropisme balnéaire, elle s’oriente maintenant vers le tourisme culturel. Espérons que ce travail donnera lieu à des débats et qu’il sera prolongé par des études concernant d’autres thèmes encore peu étudiés tels que les parcs naturels ou le tourisme de montagne. 8 AUTEUR HABIB KAZDAGHLI Professeur d’histoire contemporaine, faculté des Lettres, des Arts et des Sciences humaines de la Manouba (Tunis, Tunisie). 47 Regards de femmes sur la ville de Didon : le Comité des dames amies de Carthage (1920-1924) Antonella Mezzolani Andreose 1 La « pittoresque aventure », selon l’heureuse définition de J.P. Laporte1, du Comité des dames amies de Carthage (ou CDAC) est une claire démonstration de l’intérêt porté par des dames de la haute bourgeoisie française en Tunisie à l’Antiquité et à l’archéologie. Dans les premières décennies du XXe siècle, en effet, les fouilles archéologiques de Carthage font l’objet de promenades des familles, avec dames et enfants, sous la conduite experte du père Alfred-Louis Delattre ou du docteur Louis Carton (fig. 1). À ce titre, l’article se présente comme un modeste mais éclairant jalon de l’histoire du patrimoine tunisien, notamment de l’histoire de la valorisation de Carthage, en étroite interaction avec le développement touristique. Jusqu’à récemment, le CDAC n'a pas attiré l'attention des chercheurs, si l’on excepte la brève note rédigée par J.P. Laporte déjà citée et la simple mention qu’en fait Clémentine Gutron dans ses travaux2. Il se trouve que mes recherches sur l'archéologie en Algérie et en Tunisie à l’époque coloniale, menées dans les Archives nationales de France à Paris, m’ont conduite à retrouver, par hasard, le dossier du ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts sur le CDAC. De cet intérêt est né un article préliminaire écrit avec Hédi Dridi et centré sur la section neuchâteloise du CDAC3. 48 Fig. 1. Visiteurs sur les fouilles de la nécropole dite « de Rabs », à Carthage, (carte postale de 1902 environ). Les fondateurs 2 Le Comité des dames amies de Carthage voit officiellement le jour le 30 mars 1920, grâce à l’initiative de Louis Carton4 et de son épouse, Marie Thélu. Il n’est pas nécessaire de revenir ici sur le docteur Carton (1861-1924) (fig. 2), surnommé par Louis Bertrand l’« apôtre de Carthage5 », qui a suscité de nombreuses études. Il a conduit une véritable croisade en faveur de la « grande ruine », souvent en forte opposition avec le directeur du Service des antiquités. Deux d’entre eux en particulier ont subi les foudres de Carton : Paul Gauckler6 et Louis Poinssot7. 3 Le cumul des charges détenues par Louis Carton8, placé à la tête d’une série disparate d’associations, allant de la Société archéologique de Sousse à l’Institut de Carthage en passant par la section de Tunis du Touring Club de France (Comité des sites et monuments pittoresques), le Comité central du tourisme tunisien, le Syndicat des communes de la presqu’île carthaginoise ou encore le Comité d’hivernage, pas plus que la reconnaissance scientifique obtenue (il est nommé Correspondant de l’Institut en décembre 1923) ne lui ont pourtant pas permis d’atteindre son objectif, la direction d’un chantier de fouilles à Carthage. Son projet de création d’un parc archéologique à Carthage9, avec à sa tête un savant devant à la fois maîtriser toutes les questions concernant les fouilles et être capable d’assurer la valorisation touristique du site, semble étroitement lié à son idée de se proposer pour ce rôle, comme on peut le déduire de la lettre du 12 décembre 1922 adressée au directeur général du ministère de l’Instruction publique10. Pour atteindre cet objectif – la direction de la sauvegarde de Carthage –, la création d’une nouvelle association, mettant en avant cette fois les dames et pas seulement les notables hommes de la société tunisienne (comme ceux de l’Institut de Carthage), pouvait ainsi devenir un instrument utile de pression sur l’opinion publique. 49 Fig. 2. Louis Carton Source : J.P. Laporte, « Un archéologue en Tunisie : Louis Carton (1861-1924) », Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 35, 2009, p. 253, fig. 4. 4 L’esquisse du profil de Mme Carton (1873-1956) (fig. 3), deuxième composante de ce projet, s’avère plus compliquée. Femme sans doute très engagée dans la vie sociale de la ville de Tunis du premier quart du XXe siècle (elle était aussi présidente de l’Association des dames françaises de la Croix-Rouge en Tunisie11), elle défend et soutient toujours son mari lorsque, par exemple, elle frappe Louis Poinssot, alors directeur du Service des antiquités, en public avec son parapluie ou bien encore lorsqu’en 1935, après le décès du docteur, elle s’entretient avec un journaliste de La Dépêche tunisienne au sujet de la constitution de la collection d’antiquités rassemblée par L. Carton12. À son égard, A. Debruge, membre de la Société archéologique du département de Constantine, parle de « dévouement » à la cause de Carthage et de « persévérance inlassable13 », tandis que Stéphane Gsell14 écrit dans son Rapport sur la question de Carthage que « Mme Carton a fait preuve d’un zèle dévorant15 ». 5 C’est donc à ce couple que l’on doit la création de la nouvelle association, qui eut une vie assez brève mais intense, sous la présidence de Mme Carton. Pendant quatre années de publications, d’expositions, de visites guidées, d’activités de vulgarisation, mais également de propagande contre le Service des antiquités (en la personne de Louis Poinssot) et de tentatives des fouilles jamais autorisées, le CDAC mena une propagande autour des thèmes les plus chers à Carton, c’est-à-dire la valorisation du patrimoine archéologique et le tourisme à Carthage. 50 Fig. 3. Villa Stella, Mme Carton devant la « Loggia », Khéreddine Profburp - Own work, Public Domain, https://commons.wikimedia.org/w/index.php ?curid =3924697 Qui sont les membres du CDAC ? 6 À qui s’adresse le CDAC ? Naturellement à toutes les dames qui aiment l’Antiquité et surtout qui souffrent de voir les conditions désastreuses dans lesquelles se trouve la « grande ruine », Carthage. Le Comité, suivant l’article 4 de ses statuts, est composé de dames, mais les messieurs aussi sont admis à ses activités, bien qu’ils ne puissent pas faire partie du conseil exécutif. 7 Afin d’atteindre ses objectifs, le conseil du CDAC « compte sur tout leur zèle [celui des membres] pour chercher des adhésions dans leur entourage, organiser des centres de propagande dans les grandes villes et provoquer les dons qui seuls lui permettront de prendre les mesures les plus efficaces16 ». En effet, ce sont justement ces centres de propagande qui, partant de Tunis, se répandent en Europe et en Maghreb et recueillent le millier d’adhésions, régulièrement enregistrées par le bulletin du Comité. Sous l’égide de dames qui appartiennent à la meilleure société de Tunis et de France se constitue un groupe assez fourni d’amateurs de Carthage. Il s’agit quelquefois de visiteurs, voire de touristes, qui sont tombés amoureux de la cité antique (comme, par exemple, Mme Derscheid-Delcourt, importante médecin belge, ou encore la comtesse Panciera di Zoppola de Rome, en voyage de plaisir avec son mari à Tunis, ou encore Mme Rogers, femme d’un colonel américain en vacances en Tunisie). D’autres fois, il s’agit de personnes qui n’ont jamais vu ces ruines, comme la plupart des membres des sections européennes. 51 L’organisation du CDAC 8 L’organisation du CDAC semble se développer sur un double plan, le noyau de base implanté à Tunis et le réseau de sections éparpillées en Europe et au Maghreb. Le siège social était à Tunis, au Palais des sociétés françaises, tandis que pour la rédaction du bulletin, publié annuellement, il fallait s’adresser directement à l’habitation des Carton, Villa Stella à Khéreddine. 9 Au-delà des membres d’honneur comprenant une présidente et des vice-présidentes, appartenant toutes à la haute société tunisoise ou parisienne, les adhérents au Comité sont composés de trois groupes (fig. 4) : bienfaiteurs (don de plus de 100 francs), donateurs (don de 100 francs ou moins) et actifs (cotisation annuelle de 10 francs). 10 L’organisme principal du CDAC était le conseil, exclusivement piloté par des femmes – du moins officiellement –, qui nommait les membres du bureau ainsi que les délégués et décidait des questions budgétaires. Au niveau pratique, le bureau, avec une équipe formée d’une présidente (Mme Carton), de 4 vice-présidentes, de 2 secrétaires (une générale et une adjointe) et de 2 trésorières (une générale et une adjointe), s’occupait de toutes les activités et initiatives du Comité et, naturellement, de l’aspect financier. Dans la dernière année de vie du Comité, on ajouta aussi un comité des fêtes, chargé de la préparation des après-midis de poésie ou de thés de bienvenue pour les personnalités en visite. Les sections en dehors de Tunis, dotées de délégués en relation étroite avec le conseil central, pouvaient s’organiser à leur convenance. Fig. 4. Bulletin d’adhésion au Comité des dames amies de Carthage, Carthage : bulletin du Comité des dames amies de Carthage, n° 2, 2e semestre 1921 Les objectifs du CDAC 11 Dès l’article 1 du statut du CDAC, publié dans le premier numéro de son Bulletin du Comité des dames amies de Carthage, au premier semestre 1921, on comprend que les activités du CDAC se placent dans une perspective non pas strictement scientifique mais plutôt patrimoniale et touristique. Le but de l’institution, qui vise à une « présentation des ruines de Carthage et à la mise en beauté de leur cadre », reflète l’idée, défendue et 52 diffusée par le docteur Carton, d’un tourisme culturel ante litteram. Pour la première fois en Tunisie, on considère le patrimoine archéologique comme une ressource économique capable de faire renaître le pays déstabilisé après les graves événements de la Grande Guerre. Les touristes doivent donc être attirés par les vestiges qui parsèment le territoire tunisien et les structures mises en place pour les accueillir. Les « pèlerins du passé » doivent recevoir tous les soins et accéder à tous les renseignements utiles puisés dans les nombreux guides des sites archéologiques écrits par Carton lui-même afin rendre le voyage inoubliable17. Le lien étroit entre L. Carton et le Touring Club de France souligne de façon claire la forte interaction entre la société civile, le patrimoine archéologique architectural et les pratiques touristiques à construire18. L’organisation capillaire d’installations hôtelières19 et les activités de sauvegarde et de remploi des vestiges antiques20 sont considérées comme deux outils puissants pour stimuler l’économie, former la culture patrimoniale et galvaniser l’idée coloniale21. 12 Le deuxième objectif du CDAC, un peu plus caché, est de critiquer l’action du Service des antiquités, dans une « nouvelle guerre punique et inexpiable22 » qui oppose le docteur Carton à Louis Poinssot. Cette action s’est matérialisée par une floraison d’articles parus dans la presse locale, mais aussi métropolitaine, et de lettres et de rapports rédigés par les deux antagonistes au Résident général, au ministère de l’Instruction publique et à l’Académie des inscriptions et belles-lettres. 13 La question des fouilles ne semble pas intéresser le CDAC à ses débuts. Celui-ci semblait davantage préoccupé par les attentes des touristes locaux et internationaux en visite à Carthage. Toutefois, des documents conservés au sein du Fonds Poinssot de l’INHA attestent que Mme Carton a tenté à plusieurs reprises au cours de l’année 1923 d’obtenir, en sa qualité de présidente du CDAC, des concessions de fouilles sur des terrains appartenant au couple avec la mention du docteur Carton comme directeur des fouilles. L’absence de réponse de L. Poinssot incita Mme Carton à s’adresser au directeur général de l’Instruction publique. Le résultat de ses démarches fut négatif, comme l’affirme Gsell dans son Rapport sur les fouilles de Carthage, « [du directeur du Service des antiquités Mme Carton] n’a pu obtenir ce qu’elle souhaitait et a reçu des réponses peu conformes aux traditions de la vieille courtoisie française23 ». Les activités du CDAC 14 Pour respecter le 1er article de ses statuts, c’est-à-dire « présenter et mettre en beauté les ruines », le CDAC s’organise pour aménager le site de Carthage afin d’accueillir les visiteurs, en employant les fonds ordinaires, mais aussi extraordinaires mis à disposition par les membres. 15 Le Comité s’engage sur trois fronts : 1. rendre lisible pour les touristes le site de Carthage, dont les ruines sont éparpillées dans des propriétés foncières privées et sans aucune indication ; 2. contribuer à la valorisation des monuments antiques ; 3. participer ou organiser des manifestations pour attirer l’attention sur Carthage et sa valeur archéologique et touristique. 16 Concernant la première démarche, plusieurs solutions pratiques sont mises en chantier : une carte du site (fig. 5a-5b) est exposée à la gare de Carthage, avec des numéros indiquant les ruines. La pose de panneaux indicateurs avec les mêmes numéros complète 53 l’œuvre d’information sur terrain, ainsi que l’installation de plaques à l’entrée de chaque complexe de ruines et de flèches indiquant les directions. Grâce à l’action convaincante des membres du CDAC, notamment de Mme Flandin, auprès des propriétaires fonciers, on a pu aménager des sentiers de communication entre les ruines et clôturer quelques sites. Fig. 5a et 5b : Carte des ruines de Carthage et légendes Source : Carthage : bulletin du Comité des dames amies de Carthage, n° 1, 1 er semestre 1921. 17 La construction, dans la gare de Carthage, d’un kiosque d’informations pour les touristes et les visiteurs (fig. 6), assurant la vente de plans des ruines, de cartes postales, de brochures et même de « tabacs de qualité », se réalise en un temps bref et rend l’action du CDAC encore plus appréciée. On propose aussi d’organiser un service de guide, mais durant les années d’activité du CDAC, le seul à accompagner les touristes qui arrivaient individuellement ou en caravane pour visiter la grande ruine fut le docteur Carton. 54 Fig. 6. Le kiosque de renseignements du CDAC à la gare de Carthage Source : Carthage : bulletin du Comité des dames amies de Carthage, n° 2, 2 e semestre 1921, planche entre les pages 32 et 33. 18 Parallèlement à ces activités et dans une perspective de valorisation, l’idée d’un parc archéologique, développée et défendue par le docteur Carton24, est soutenue par le CDAC qui tente avec insistance d’obtenir l’autorisation d’aménager un lapidarium sur l’îlot de l’Amirauté25 ou de créer un jardin archéologique dans la zone de la prison de SaintePerpétue. Il offre par ailleurs à plusieurs occasions au père Delattre des subsides destinés à la protection et à la valorisation de ses fouilles (en particulier pour les tombes puniques) 26 . 19 Pour son projet de vulgarisation et de propagande, le CDAC participe aux grands événements publics tels que les festivités organisées lors du centenaire de Flaubert 27. Une occasion particulièrement importante fut, pour le CDAC, l’exposition coloniale de Marseille en 1922. L’invitation à participer est facilement acceptée, et le CDAC présente dans le stand du tourisme du pavillon de la Tunisie la carte de la presqu’île de Carthage (syndicat des communes), de grandes photographies du site, le plan des ruines publié par le Comité, des guides et brochures, des dépliants et deux tableaux avec des vues représentant les monuments antiques (d’André Delacroix et Jean Antoine Vergeaud). Pour cette initiative le Comité reçoit une médaille d’or de participation28. 20 Par surcroît, le CDAC organise lui-même, à Carthage et ailleurs, des manifestations pour attirer l’attention du public sur la situation du site et recueillir des fonds. On peut rappeler, en premier lieu, la représentation théâtrale de la Tamyris de Louis Payen (fig. 7), donnée le 28 mars 1921 au théâtre antique de Carthage avec Madeleine Roch de la Comédie française29, ou encore des soirées lyriques antiques comme « l’Après-midi à l’antique » offert le 7 mai 1922 à Khéreddine dans la fameuse Villa Stella, résidence du 55 couple Carton30. Citons également les innombrables conférences prononcées en Tunisie, en Algérie et en Europe par le docteur Carton31 et d’autres représentants du CDAC32. Pour compléter le tableau, signalons enfin l’exposition photographique des vestiges de Carthage organisée d’abord à Paris en 1923 puis à une échelle plus réduite, à Lyon33. Fig. 7. Théâtre antique de Carthage, Tamyris, 28 mars 1921 : Madeleine Roch et Pierrette Fromentin Source : Carthage : bulletin du Comité des dames amies de Carthage, n° 2, 2 e semestre 1921, planche entre les pages 32 et 33. Le CDAC et son réseau international 21 Le CDAC manifeste dès ses premières années une vocation internationale, illustrée par le premier numéro du Carthage qui recense 226 membres actifs résidant majoritairement en Tunisie, mais également en France, en Algérie, au Maroc, en Belgique et au Luxembourg, ainsi que des déléguées à Paris, à Boulogne-sur-Mer, à Bruxelles, à Rabat et à Biskra. Parallèlement à l’accroissement du nombre de membres actifs, des sections locales se développent à Alger, Bordeaux, Bruxelles, Constantine, Lyon, Marseille, Neuchâtel, Paris et Saint-Omer. Des titres honorifiques de membre d’honneur sont accordés à des femmes surtout de la haute société parisienne et tunisoise34. 22 Parmi les membres du CDAC, le groupe des Italiens (bienfaiteurs ou membres actifs) n’est pas très nombreux, mais il se caractérise par la présence d’une spécialiste de l’antiquité classique, Lorenza Cesano, numismate et conservateur au Musée national romain. On relève aussi la présence de ressortissants de pays non européens comme ce groupe de Japonais appartenant à la suite du prince Hagashi Kuni résidant à l’époque à Paris. Par ailleurs, un groupe important de membres bienfaiteurs vient des États Unis et représente, avec Forbes Morgan, Otto Kahn et Percy Peixotto, la finance américaine établie à Paris 35. 56 Enfin, on trouve seulement quatre personnalités nord-africaines, le caïd Hadjouje du Kef, M. Rabah Haddadi d’El Biar (Alger) et les princesses Hallouma Baccouche, fille du Bey, et Djeneïna, fille de feu Naceur Bey. 23 Les délégués du CDA sont extrêmement actifs, et leur contribution se manifeste dans les nombreuses conférences et leçons et dans les adhésions qu’ils suscitent. Le cas de Mme Dercheid-Delcourt, médecin bruxelloise, réputée dans son pays pour sa passion pour les lettres et son engagement féministe36, est exemplaire, ou encore celui de M. Chappuis qui, déjà très actif en Algérie, crée une nouvelle section à Neuchâtel, en Suisse37. Le Bulletin du CDAC, un instrument de propagande coloniale 24 Le CDAC se dote dès les premiers instants d’un fort instrument de diffusion, le Carthage : bulletin du Comité des dames amies de Carthage (fig. 8), publication semestrielle38, qui fait connaître les actions du CDAC à ses membres, mais également propage les idées de ses rédacteurs au plus grand nombre, offrant une caisse de résonance à la campagne de presse menée par le docteur Carton et ses soutiens. Dans le Carthage, on trouve la liste détaillée des noms des bienfaiteurs, donateurs et membres, un tableau précis des adhésions d’un point de vue quantitatif, mais également qualitatif, en indiquant les milieux socioculturels dans lesquels le CDAC recrute ses membres, en France et ailleurs. À travers le bulletin, le CDAC se pose en « club d’urbanité, où se côtoient civils et militaires, ecclésiastiques, docteurs, fonctionnaires, ingénieurs, contrôleurs, enseignants, qui sont disponibles pour constituer des associations39 ». Y sont enregistrés toutes les activités, toutes les propositions du CDAC, mais aussi toutes les provocations du docteur Carton et les témoignages de soutien à son activité. 57 Fig. 8. Couverture du premier numéro de Carthage : bulletin du Comité des dames amies de Carthage, n° 1, 1er semestre 1921. 25 L’autre aspect à relever dans le Carthage est qu’il s’adresse également aux touristes potentiels : on retrouve l’indication des publications sur Carthage (du père A.L. Delattre et du docteur Carton), mais aussi des encarts publicitaires vantant les qualités de certains hôtels et boutiques de Tunis et d’ailleurs. On y trouve même des annonces de ruines à vendre, mais il s’agit dans ce cas d’une vraie provocation (fig. 9) ! La référence au tourisme, considéré comme une véritable « industrie », est continue et semble constituer le centre unificateur des tous les projets de sauvegarde des ruines. 26 À côté du thème du tourisme, le deuxième leitmotiv est l’honneur de la France, souvent invoqué dans les pages du Carthage par le docteur Carton et ses émules comme une exhortation à la conscience des résidents français40. 58 Fig. 9. « Ruine à vendre ou à louer à Carthage », publicité, Carthage : bulletin du Comité des dames amies de Carthage, n° 2, 2e semestre 1921, quatrième de couverture. La transformation du CDAC en Société des amis de Carthage et des villes d’or et la fin de l’aventure 27 Après la « victoire » obtenue par le CDAC, c’est-à-dire le début de la mission confiée à S. Gsell pour préparer un rapport sur les fouilles de Carthage41, la fin de l’aventure s’annonce. Le Comité, à l’issue de quatre années d’activité, va se transformer en Société des amis de Carthage et des villes d’or (SDAC), suivant une stratégie initiée très tôt par Louis Carton (dès 1922 il affirmait qu’il fallait porter l’action sur la métropole42), mais dont il ne tirera pas de bénéfices puisqu’il décède subitement la même année. Elle consistait, d’une part, à se rapprocher du centre du pouvoir en faisant parrainer cette société par le président de la République, Alexandre Millerand, et le président du Conseil d’alors, Raymond Poincaré, et, d’autre part, à s’allier aux figures conservatrices, voire réactionnaires, partisanes d’une restauration de l’Afrique latine et chrétienne, comme Louis Bertrand43 qui a soutenu le docteur Carton dès le début de l’aventure du CDAC et fut son relais en métropole. La nouvelle société (fig. 10), présidée justement par Louis Bertrand, naquit en 1924, issue de la transformation du CDAC et se plaçant dans un registre indubitablement plus ambitieux, que ce soit à travers le déplacement de son siège à Paris ou l’élargissement de son action à toutes les villes romaines d’importance d’Afrique du Nord. Dans les statuts, les objectifs semblent avoir changé. On ne se limite plus à la seule idée de présenter et mettre en beauté les ruines, mais on prévoit pour Carthage « la découverte et la mise en valeur des ruines », et, au sein de l’organigramme, on crée un « délégué à Carthage, le directeur des fouilles44 ». Ce n’est certes pas un hasard si M. et Mme Carton se virent attribuer le titre de délégués à vie pour la Tunisie et 59 Carthage, le docteur Carton occupant également la charge de directeur de fouilles (à venir) à Carthage. Fig. 10. Couverture de la brochure De Cherchell à Carthage, publiée par la Société des amis de Carthage et des villes d’or 28 L’activité de la SDAC, fortement tournée vers le développement de la région nordafricaine, fait écho aux efforts déployés par le CDAC, en reprenant les mêmes tons rhétoriques : la publicité en faveur des voyages organisés par la Compagnie générale transatlantique (ou Transat) met en évidence une alliance entre la SDAC et des organismes économiques dans une perspective de tourisme culturel45. Dans ses initiatives pour augmenter et améliorer les transports maritimes, les installations d’hôtel ou les croisières en voiture vers le sud, la Transat trouve un appui fondamental dans la société civile coloniale. 29 De l’activité de la SDAC à Carthage, en dehors d’un embarrassant épisode créé par une pièce de Jaubert de Bénac (Le Croisé d’Afrique)46, nous savons bien peu de choses. De fait, l’intérêt du nouveau groupement semble avoir progressivement glissé vers d’autres cités antiques comme Cherchell, privant Carthage du rôle de premier plan voulu à l’origine par le couple Carton et le Comité des dames amies de Carthage. 30 La stratégie du Comité des dames amies de Carthage était-elle promise au succès ? Sur le plan patrimonial, la création d’une Commission spéciale des fouilles de Carthage ainsi que la mission confiée à S. Gsell sur la situation archéologique à Carthage permettent de répondre par l’affirmative ; du côté touristique, par ailleurs, les nombreuses attestations des visiteurs faisant le tour des ruines carthaginoises sous la direction du docteur Carton et l’attention de la presse semblent indiquer que l’entreprise a rencontré un succès certain. 60 31 En revanche, la transformation du Comité des dames amies de Carthage en Société des amis de Carthage et des villes d’or, soit à cause du transfert de son siège à Paris, soit en raison du rôle plus réduit de Carthage par rapport à d’autres cités nord-africaines, semble avoir sérieusement réduit l’attractivité de la nouvelle association. Certaines sections internationales – Bruxelles, Constantine, Neuchâtel, mais aussi Bordeaux, Marseille et Nice – bien que mentionnées dans l’organisation de la SDAC, ne semblent pas représentées par des correspondants-délégués. Par ailleurs, la disparition soudaine de Louis Carton, qui avait souvent contribué à la naissance des sections locales grâce à ses liens personnels, priva l’association de sa cheville ouvrière. Avec lui, donc, le CDAC est né et semble avoir trouvé sa fin. 32 Mais faut-il lier toute l’existence et les activités du CDAC à la seule figure du docteur Carton ? Bien que l’on puisse voir en lui le créateur et le promoteur majeur du Comité, on peut s’interroger sur l’approche genrée mise en acte par l’association. Le nom du groupe, qui met immédiatement en relief la dimension féminine, ultérieurement soulignée par les règles adoptées par l’institution, y incite. Il est en revanche plus difficile de comprendre les moyens d’exprimer « au féminin » l’attention dévolue au patrimoine. Une activité vouée aux solutions pratiques se rapportant aux ruines de Carthage semble la marque distinctive du CDAC dont les dames furent toujours prêtes à organiser des événements, faire des demandes diverses, etc. Héritières, d’un côté, des associations philanthropiques (même s’il s’agit ici d’une association plutôt culturelle et économique), femmes « modernes », habituées à l’indépendance et à l’esprit d’initiative par ailleurs47, les dames du CDAC se situent au cœur des réseaux de pouvoir. Ainsi, le bureau du CDAC est composé de dames qui proviennent de la haute bourgeoisie du protectorat. Sous la tutelle semblet-il bienveillante du docteur Carton, elles deviennent les promotrices d’une riche activité de propagande dont elles se font les protagonistes. Le patronage de l’épouse de Lucien Saint, Résident général à Tunis, et le choix d’attribuer la présidence et la vice-présidence d’honneur aux femmes de plus hauts représentants du pouvoir et de l’administration français en Tunisie48 sont autant de gestes qui renvoient au discours colonial qui trouve son expression dans les pages du Bulletin louant le rôle civilisateur de la France au Maghreb. 33 Au niveau international, à côté de personnages importants appartenant à la société française en Tunisie (avec une exception, la princesse Djeneïna Beya), deux personnalités parmi les membres d’honneur toujours actives lors de la courte vie du CDAC représentent les hautes sphères du pouvoir, de la culture ou encore du petit monde des voyageuses en Afrique du Nord. Il s’agit, pour la France, de la duchesse de Vendôme, patronne de plusieurs activités philanthropiques et culturelles, qui connaissait aussi très bien le Maghreb, comme le montre son livre, Notre voyage en Afrique49 ; et pour la Belgique, de Marie-Charlotte Danse, artiste, aquafortiste qui se consacra surtout à la carrière de son mari, le ministre belge des Sciences et des Arts, Jules Destrée, qu’elle soutint en participant aux universités populaires créées par lui et en accueillant de nombreuses personnalités artistiques, culturelles et scientifiques dans son salon50. 34 Parmi les délégués des sections locales, on retrouve encore une fois, à côté des amies/ amis personnels du couple Carton, des personnalités féminines partageant leur intérêt pour la culture et pour la défense du rôle actif des femmes dans la société. C’est le cas de Marie-Antoinette Derscheid-Delcourt, déléguée de la section bruxelloise, médecin et féministe, mais aussi de Magali Boisnard-Crespin, de la section de Biskra, poète et romancière, conférencière, par ailleurs chargée de la réorganisation des ouvroirs 61 indigènes en Algérie51. On peut encore citer Marguerite et Julie Houriet, de la section de Neuchâtel ; la première était professeur de français, d’anglais, d’histoire et de géographie à l’école secondaire de jeunes filles ; la seconde, femme de lettres et publiciste, entretint une correspondance avec le ministère de l’Instruction publique et des beaux-arts de France à propos du lapidarium de l’îlot de l’Amirauté à Carthage52. 35 Au moment du changement du CDAC en Société des amis de Carthage et des villes d’or, ces sections ne renouvellent plus leur intérêt pour l’aventure. Les femmes qui avaient œuvré pour la propagande en faveur de Carthage renoncent à jouer un rôle dans la nouvelle association. Celle-ci, par ailleurs, semble réserver aux hommes les fonctions plus importantes et reléguer les femmes à des fonctions purement représentatives. Le lien entre les dames et Carthage, lien construit sur les questions de patrimoine et de tourisme, mais aussi sur des idées « modernes » concernant l’éducation et le rôle actif des femmes dans la culture et l’action coloniale, semble se briser. Après la mort de Louis Carton, le déplacement du siège de l’association à Paris, la perte de la primauté de Carthage, le choix d’une publicité vouée à l’aspect économique-touristique plus que patrimoniale s’accompagnent de la réduction du rôle des femmes dans la nouvelle association, et la déception des dames conduit à oublier la singulière expérience du CDAC. BIBLIOGRAPHIE Sources Archives nationales de France (AN), F17/17238, Fouilles de Carthage : constitution de la Commission spéciale des fouilles de Carthage. AN, F17/17238, S. Gsell, Rapport sur la question de Carthage, Tunis le 25 mars 1924. AN F17/17238, Lettre adressée au directeur général de l’Enseignement le 12 février 1922. AN F17/17238, A. Debruge, Impressions sur Carthage, 3 avril 1923. AN F17/17238, Séance de la Commission spéciale des fouilles de Carthage, 10 juillet 1923. AN F17/17238, Lettre du président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, au Résident général Lucien Saint, 26 novembre 1923. Carthage : bulletin du Comité des dames amies de Carthage L. Bertrand, Les Villes d'or : Algérie et Tunisie romaines, Paris, Fayard & C ie, 1921, p. 104. L. Carton, La Tunisie en l’an 2000 : lettres d’un touriste, Tunis, Bonici, 1921. H. de Vendôme, Notre voyage en Afrique, 1920-1921 (L’Algérie, tome I ; La Tunisie, tome II ; Tunis, Carthage, Biserte, Dougga, Alger, Oranais, Sud Oranais ; Le Maroc), Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1928. 62 Bibliographie ALEXANDROPOULOS J., « De Louis Bertrand à Pierre Hubac : images de l’Afrique antique », dans La Tunisie mosaïque : diasporas, cosmopolitisme, archéologies de l’identité, sous la dir. de J. Alexandropoulos P. Cabanel, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2000, p. 457-478. ALEXANDROPOULOS J., « Paul Gauckler (1866-1911) : une évocation de son passage à Tunis d’après le fonds des Archives départementales de l’Ariège », Pallas, n° 56, 2001, p. 119-137. BACHA M., « Patrimoine et tourisme en Tunisie au début du Protectorat : interactions et dépendances », dans Le Tourisme dans l’Empire français : politiques, pratiques et imaginaires (XIX e-XXe siècles), sous la dir. de C. Zytnicki, H. Kazdaghli, Paris, Publications de la Société française de l’histoire des outre-mers, 2009, p. 155-163. BACHA M., « Un archéologue amateur : Louis Carton (1861-1924) et le projet de parc archéologique de Carthage (Tunisie) », dans Initiateurs et entrepreneurs culturels du tourisme (1850-1950), sous la direction de J.Y. Andrieux, P. Harismendy, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 21-33. R., L’Œuvre de Louis Bertrand : miroir de l’idéologie colonialiste, Alger, Office des publications BELAMRI universitaires, 1980. CHADWICK W., LATIMER T., dir., The Modern Woman Revisited : Paris between the Wars, New Brunswick- London, Rutgers University Press, 2003, p. xix. CLANCY SMITH J., « L'École Rue du Pacha, Tunis : l'enseignement de la femme arabe et “la Plus Grande France” (1900-1914) », Clio : Histoire‚ femmes et sociétés [en ligne], URL : http:// clio.revues.org/186, 12, 2000 [consulté le 13 avril 2015]). Dictionnaire des femmes belges : XIXe et XXe siècles, sous la dir. de E. Gubin, Bruxelles, Éditions Racine, 2006. DRIDI H., MEZZOLANI A., « De Carthage à Neuchâtel en passant par le canton de Vaud. Quelques aspects de l’activité du Comité des dames amies de Carthage », dans Entre Carthage et l’Arabie heureuse : mélanges offerts à François Bron, sous la dir. de F. Briquel Chatonnet, C. Fauveaud, I. Gajda, Paris, de Boccard, 2013, p. 317-331. DRIDI H., MEZZOLANI ANDREOSE A., « “Ranimer les ruines” : l’archéologie dans l’Afrique latine de Louis Bertrand », Les Nouvelles de l’archéologie, n° 128, 2012, p. 10-16. DRIDI H., MEZZOLANI ANDREOSE A., (sous la dir.), Under Western Eyes : approches occidentales de l’archéologie nord-africaine (XIXe-XXe siècles), BraDypUS Communicating Cultural Heritage, Bologne (I) 2016. FALGAS G., « Les pratiques touristiques des Français et des Européens de Tunisie à l’époque du Protectorat : touristes, sites et infrastructures », dans Le Tourisme dans l’Empire français : politiques, pratiques et imaginaires (XIXe-XXe siècles) sous la dir. de C. Zytnicki, H. Kazdaghli, Paris, Publications de la Société française de l’histoire des Outre-mers, 2009, p. 293-309. GUTRON C., « Archéologie et tourisme : visiter les ruines de Tunisie avec le docteur Carton », Tourisme, n° 15, 2006, p. 111-122. GUTRON C., « Carton, Louis », dans Dictionnaire des orientalistes de langue française, sous la dir. de F. Pouillon, Paris, Éditions Karthala, 2012, p. 185-187. 63 C., « Voyager dans le temps avec un archéologue à travers la Tunisie coloniale : Louis GUTRON Carton (1861-1924) et sa Tunisie en l’an 2000 », dans Explorations et voyages scientifiques de l’Antiquité à nos jours, sous la dir. de C. Demeulenaere-Douyère, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2008, p. 553-571. C., L’Archéologie en Tunisie (XIXe-XXe siècles) : jeux généalogiques sur l’Antiquité, Paris-Tunis, GUTRON Éditions Karthala-IRMC, 2010, p. 79. HANOUNE R., « Louis Carton, archéologue : note biographique », dans Explorations et voyages scientifiques de l’Antiquité à nos jours, sous la dir. de C. Demeulenaere-Douyère, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2008, p. 573-580. JANSEN J., « Inszenierungen des antiken Erbes in Französisch-Algerie », dans Das Grosse Spiel : Archäologie und Politik zur Zeit des Kolonialismus (1860-1940), sous la dir. de C. Trümper, Köln, DuMont Verlag, 2010, p. 529-537. KAZDAGHLI H., « L’entrée du Maghreb dans les circuits du tourisme international : le rôle précurseur de la Compagnie générale transatlantique », dans Le Tourisme dans l’Empire français : politiques, pratiques et imaginaires (XIXe-XXe siècles) sous la dir. de C. Zytnicki, H. Kazdaghli, Paris, Publications de la Société française de l’histoire des Outre-mers, 2009, p. 155-163 et 205-215. LAPORTE J.P., « Un archéologue en Tunisie, Louis Carton (1861-1924) », Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 35, 2009, p. 239-264. LORCIN P.M.E., Historicizing Colonial Nostalgia : European Women’s narratives of Algeria and Kenya 1900- Present, New York, Palgrave Macmillan, 2012, p. 85-106. MEZZOLANI ANDREOSE A., « Nouvelles de la “grande ruine” : Louis Carton, polémiste et conférencier au service de la Carthage antique », Actes de la journée d’étude Louis Carton, de Saint-Omer à Tunis (21 mai 2015, Centre universitaire du Musée, Boulogne-sur-Mer). OULEBSIR N., « Du voyage pittoresque au tourisme patrimonial : l’action des syndicats d’initiative nord-africains, ou l’invention d’une Méditerranée moderne », dans Explorations et voyages scientifiques de l’Antiquité à nos jours, sous la dir. de C. Demeulenaere-Douyère, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2008, p. 111-129. OULEBSIR N., Les Usages du patrimoine : monuments, musées et politique coloniale en Algérie (1830-1930), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004. PICARELLA G., « Alla scoperta delle Villes d’Or : archeologia, storia e identità coloniale nel Nordafrica di Louis Bertrand », ArcoJournal, [en ligne] URL : http://www.arcojournal.unipa.it/ pdf/picarella_24_7_07.pdf [consulté le 20 juin 2016]. RAYNAL D., « Autres enjeux et contraintes de l’archéologie en Tunisie », dans La Tunisie mosaïque : diasporas, cosmopolitisme, archéologies de l’identité, sous la dir. de J. Alexandropoulos, P. Cabanel, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2000, p. 574-577. RAYNAL D., Archéologie et histoire de l’Église d’Afrique : Uppenna I : les fouilles 1904-1907, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2005, p. 46-51. REZZI N., « Vivre aux colonies : les épouses des gouverneurs français à la fin de XIX e siècle : des auxiliaires du pouvoir colonial ? », Les Circulations européennes à l’âge des empires coloniaux au XIX e siècle : une lecture genrée, colloque organisé par V. Chaillou-Atrous et D. Diaz, Université de Nantes, 4-5 décembre 2014. SHERMAN D., « Amateurs et archéologues : l’affaire Carton/Poinssot et les métiers du Patrimoine en Tunisie, 1892-1933 », dans Les Métiers du patrimoine en France : identités, formations, interrelations 64 professionnelles au service du patrimoine XIXe-XXe siècles, colloque, 12-14 mai 2014, Archives nationales, Pierrefitte-sur-Seine. NOTES 1. J.P. Laporte, « Un archéologue en Tunisie, Louis Carton (1861-1924) », Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 35, 2009, p. 239-264. 2. C. Gutron, L’Archéologie en Tunisie (XIXe-XXe siècles) : jeux généalogiques sur l’Antiquité, Paris-Tunis, Éditions Karthala-IRMC, 2010, p. 79. 3. H. Dridi, A. Mezzolani, « De Carthage à Neuchâtel en passant par le canton de Vaud : quelques aspects de l’activité du Comité des dames amies de Carthage », dans Entre Carthage et l’Arabie heureuse : Mélanges offerts à François Bron, sous la dir. de F. Briquel Chatonnet, C. Fauveaud, I. Gajda, Paris, de Boccard, 2013, p. 317-331. 4. R. Hanoune, « Louis Carton, archéologue : note biographique », dans Explorations et voyages scientifiques de l’Antiquité à nos jours, sous la dir. de C. Demeulenaere-Douyère, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2008, p. 573-580 ; C. Gutron, « Carton, Louis », dans Dictionnaire des orientalistes de langue française, sous la dir. de F. Pouillon, Paris, Éditions Karthala, 2012, p. 185-187. 5. L. Bertrand, Les Villes d'or : Algérie et Tunisie romaines, Paris, Fayard & C ie, 1921, p. 104. 6. Sur les relations tendues et difficiles entre L. Carton et P. Gauckler, voir D. Raynal, Archéologie et histoire de l’Église d’Afrique : Uppenna I : les fouilles 1904-1907, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2005, p. 46-51 ; J. Alexandropoulos, « Paul Gauckler (1866-1911) : une évocation de son passage à Tunis d’après le fonds des Archives départementales de l’Ariège », Pallas, n° 56, 2001, p. 119-137. 7. Une riche documentation sur le conflit sans trêve entre L. Carton et L. Poinssot se trouve dans les Archives nationales de France (AN), dans le Fonds Poinssot de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) de Paris et dans les Archives diplomatiques de Nantes : sur la question voir D. Sherman, « Amateurs et archéologues : l’affaire Carton/Poinssot et les métiers du patrimoine en Tunisie, 1892-1933 », dans Les Métiers du patrimoine en France : identités, formations, interrelations professionnelles au service du patrimoine, XIXe-XXe siècles, colloque, 12-14 mai 2014, Archives nationales, Pierrefitte-sur-Seine. 8. Sur les nombreuses affiliations du docteur Carton, voir J.P. Laporte, « Un archéologue… », op. cit., p. 252 ; C. Gutron, « Archéologie et tourisme : visiter les ruines de Tunisie avec le docteur Carton », Tourisme, n° 15, 2006, p. 111-122. 9. Pour le projet de L. Carton, voir M. Bacha, « Un archéologue amateur : Louis Carton (1861-1924) et le projet de parc archéologique de Carthage (Tunisie) », dans Initiateurs et entrepreneurs culturels du tourisme (1850-1950), sous la direction de J.Y. Andrieux, P. Harismendy, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 21-33. Dans les mêmes années, l’idée d’un parc archéologique à Carthage n’était pas nouvelle : une première classification des monuments historiques à protéger fut dressée par P. Gauckler dès 1894 (voir D. Raynal, « Autres enjeux et contraintes de l’archéologie en Tunisie », dans La Tunisie mosaïque : diasporas, cosmopolitisme, archéologies de l’identité, sous la dir. de J. Alexandropoulos et P. Cabanel, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2000, p. 574-577), tandis que L. Poinssot pour sa part semble avoir avancé des propositions pour un parc archéologique à Carthage dès 1906, comme en témoigne le compte-rendu de la séance du mardi 10 juillet 1923 de la Commission spéciale des fouilles de Carthage : AN F17/17238, Fouilles de Carthage : constitution de la Commission spéciale des fouilles de Carthage). S. Gsell aussi mentionne une région de Carthage (collines du Théâtre et de l’Odéon, colline de Bordj Djedid, plaine de Dermèche) où l’on pourrait constituer un parc « à la fois pittoresque et archéologique » : Archives nationales de France, F 17/17238, S. Gsell, Rapport sur la question de 65 Carthage, Tunis, 25 mars 1924, p. 11-17 (seulement la première partie du rapport a été récemment publiée par les soins de A. Ennabli dans CEDAC : Carthage, 10, 1989, p. 5-10). 10. AN F17/17238, Lettre adressée au directeur général de l’Enseignement le 12 février 1922. L. Carton semble promettre en contrepartie sa collection d’antiquités puniques qui constituerait le noyau d’un futur musée à construire. 11. Carthage : bulletin du Comité des dames amies de Carthage, n° 4, Tunis, 2 e semestre 1922, p. 51. Cette charge de Mme Carton est également mentionnée dans son épitaphe funéraire sur la tombe du couple à Tatinghem. Je remercie R. Hanoune qui très aimablement m’a envoyé une photo du monument. 12. La collection des antiquités recueillies par L. Carton à Villa Stella a souvent été le cœur de la controverse entre le docteur et L. Poinssot, comme en témoignent les nombreuses lettres envoyées par ce dernier à ses supérieurs. Pour l’interview à M me Carton, voir J.P. Laporte, « Un archéologue… », op. cit., p. 263-264. 13. A. Debruge présente au ministère de l’Instruction publique une relation sur la visite à Carthage d’une caravane de vingt-deux membres de la Société archéologique de Constantine (3 avril 1923) : AN F17/17238, A. Debruge, Impressions sur Carthage, 3 avril 1923. 14. Stéphane Gsell (1864-1932) fut l’un des plus grands historiens de l'Afrique du Nord à l'époque coloniale. Après l'agrégation d’histoire à l’École normale supérieure (1886), il fut membre de l'École française de Rome de 1886 à 1890, quand il fut nommé titulaire des cours d’histoire et d’archéologie à l’École supérieure des Lettres d'Alger. Il poursuivit sa carrière avec la chaire d'histoire et antiquités de l'Afrique (1894) et les charges d’inspecteur des Antiquités de l’Algérie (dès 1900) et de directeur du Musée des antiquités algériennes et d'art musulman d’Alger (dès 1902) ; en 1912 il rentra à Paris où il reçut la chaire d'histoire de l'Afrique du Nord, tout en maintenant les charges de directeur du musée d’Alger et, enfin, d'inspecteur général des musées d'Algérie (dès 1919). Correspondant et, dès 1923, membre titulaire de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, il fut l’auteur de nombreuses publications sur les sites antiques d'Algérie, parmi lesquelles il faut rappeler des œuvres fondamentales comme l'Atlas archéologique de l'Algérie (1911), les deux tomes des Monuments antiques de l'Algérie (1901) et les huit volumes de l'Histoire ancienne de l'Afrique du Nord (1913-1927). Pour une biographie plus large, voir N. Oulebsir, Les Usages du patrimoine : monuments, musées et politique coloniale en Algérie (1830-1930), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004, p. 332 ; C. Gutron, L’Archéologie en Tunisie..., op. cit., p. 267-269. 15. S. Gsell, Rapport, op. cit., p. 20. 16. Carthage : bulletin du Comité des dames amies de Carthage, n° 1, Tunis, 1 er semestre 1921, deuxième de couverture. 17. Ce projet à la fois économique, politique et culturel, souvent relancé par le docteur Carton dans la presse locale et nationale, est bien expliqué dans deux livres : L. Carton, Carthage et le tourisme en Tunisie, Boulogne-sur-Mer, Imprimeries réunies, 1919 ; L. Carton, La Tunisie en l’an 2000 : lettres d’un touriste, Tunis, Bonici, 1921. Sur les deux œuvres voir C. Gutron, « Archéologie et tourisme… », op. cit., p. 117-119 ; C. Gutron, « Voyager dans le temps avec un archéologue à travers la Tunisie coloniale : Louis Carton (1861-1924) et sa Tunisie en l’an 2000 », dans Explorations et voyages scientifiques de l’Antiquité à nos jours, sous la dir. de C. Demeulenaere-Douyère, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2008, p. 553-571. 18. M. Bacha, « Patrimoine et tourisme en Tunisie au début du Protectorat : interactions et dépendances », dans Le Tourisme dans l’Empire français : politiques, pratiques et imaginaires (XIX e-XXe siècles), sous la dir. de C. Zytnicki, H. Kazdaghli, Paris, Publications de la Société française de l’histoire des outre-mers, 2009, p. 155-163. 19. H. Kazdaghli, « L’entrée du Maghreb dans le circuit du tourisme international : le rôle précurseur de la Compagnie générale transatlantique », ibid., p. 205-215 ; G. Falgas, « Les 66 pratiques touristiques des Français et des Européens de Tunisie à l’époque du Protectorat : touristes, sites et infrastructures », ibid., p. 293-309. 20. H. Dridi, A. Mezzolani Andreose, « “Ranimer les ruines” : l’archéologie dans l’Afrique latine de Louis Bertrand », Les Nouvelles de l’archéologie, n° 128, 2012, p. 10-16. 21. C. Zytnicki, H. Kazdaghli, « Introduction », dans Le Tourisme dans l’Empire français : politiques, pratiques et imaginaires (XIXe-XXe siècles), sous la dir. de C. Zytnicki, H. Kazdaghli, Paris, Publications de la Société française de l’histoire des outre-mers, 2009, p. 5-14 ; N. Oulebsir, « Du voyage pittoresque au tourisme patrimonial : l’action des syndicats d’initiative nord-africains, ou l’invention d’une Méditerranée moderne », dans Explorations et voyages scientifiques de l’Antiquité à nos jours, sous la dir. de C. Demeulenaere-Douyère, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2008, p. 111-129. 22. S. Gsell, Rapport…, op. cit., p. 21. 23. S. Gsell, ibidem, p. 26. 24. À ce propos, voir M. Bacha, « Un archéologue amateur… », op. cit., p. 25-26. 25. La question du lapidarium est relancé au niveau officiel par la section neuchâteloise du CDAC : H. Dridi, A. Mezzolani, « De Carthage à Neuchâtel… », op. cit., p. 327-329. 26. Carthage : bulletin…, op. cit., n° 2, 2e semestre 1921, p. 31. 27. À l’occasion du centenaire de la naissance de G. Flaubert, le docteur Carton donna au Musée Flaubert à Croisset une stèle punique avec l’emblème de Tanit, provenant de sa collection : Journal de Rouen, 30 mars 1920 ; Carthage : bulletin…, op. cit., n° 1, 1 er semestre 1920, p. 13. Une initiative de commémoration fut prise également à Tunis, sous les auspices du CDAC à côté de la Société des Normands de Tunisie : l’événement culminant fut la conférence prononcée par L. Bertrand sur la scène du théâtre romain de Carthage : Voir Carthage : bulletin…, op. cit., n° 3, 1 er semestre 1922, p. 17 ; Carthage : bulletin…, op. cit., n° 4, 2 e semestre 1922, p. 51. 28. Toutes les mesures d’organisation et les résultats sont enregistrés dans le bulletin du CDAC : Carthage : bulletin…, n° 3, 1er semestre 1922, p. 9, p. 16 ; idem, n° 4, 2e semestre 1922, p. 53. 29. Pour la réutilisation des lieux de spectacles antiques en clé de propagande coloniale, A. Mezzolani Andreose, « “S’il est une terre où le drame antique puisse refleurir…” : Teatri antichi e società coloniale nelle regioni del Maghreb », en cours de préparation pour Anabases. 30. La description détaillée de l’initiative trouve sa place dans la presse locale : Carthage : bulletin …, op. cit., n° 4, 2e semestre 1922, p. 93-95. 31. A. Mezzolani Andreose, « Nouvelles de la “grande ruine” : Louis Carton, polémiste et conférencier au service de la Carthage antique », en cours d’élaboration pour les Actes de la journée d’étude « Louis Carton, de Saint-Omer à Tunis » (21 mai 2015, Centre universitaire du Musée, Boulogne-sur-Mer). 32. Les conférences sont données par les dames (M mes Derscheid-Delcourt et Lames-Desprès à Bruxelles ; Mme Rigat à Lyon ; M lle Bureau à Tunis), mais également par les messieurs qui soutiennent le CDAC, par exemple Thépenier à Constantine et Chappuis à Lucerne : Carthage : bulletin…, op. cit., n° 4, 2e semestre 1922, p. 101 ; idem, n° 5, 1er semestre 1924, p. 51. 33. L’exposition eut lieu à Paris dans les locaux de la Chambre syndicale de la curiosité et des beaux-arts, du 3 au 7 novembre 1923 : idem, n° 5, 1er semestre 1924, p. 38-39. 34. Présidence d’honneur offerte à M me Puaux, puis à M me de Castillon Saint-Victor et la viceprésidence à Mmes Robillot, Merlin, Mourgnot, d’Anselme et Gaudiani. Parmi les membres d’honneur, la duchesse de Vendôme à Paris ou la princesse Djeneïna Beya. 35. La relation avec les Américains semble tout d’abord très positive, d’autant plus les chiffres les plus élevés proviennent de membres bienfaiteurs de ce pays : Carthage : bulletin…, op. cit., n° 1, 1 er semestre 1921, p. 11. Un reflet de cet intérêt pour le CDAC aux États-Unis se trouve, par exemple, dans une publication largement diffusée comme Current History : « Finally there is the Comité des dames amies de Carthage, composed of prominent women of the Regency, whose zeal and enthusiasm form a precious auxiliary in the colossal work they proposed - none other than “the Resuscitation of 67 Carthage” » (M. Craig, « Ancient Carthage in Today’s Sunshine », The New York Times Current History, April-September 1922, p. 1040-1045). Les rapports semblent un peu se refroidir après l’implantation d’une mission archéologique américaine, qui est présentée avec des éloges, mais également comme une preuve claire des lacunes de la France vers l’archéologie carthaginoise : Carthage : bulletin…, op. cit., n° 4, 2e semestre 1922, p. 21-23. 36. Marie-Antoinette Derscheid Delcourt (1853-1932), médecin specialiste en orthopédie et féministe militante, présidente de la Fédération belge de femmes universitaires, séjournait souvent en Tunisie, où elle fut décorée de l’ordre Nicham Iftikhar pour les soins médicaux donnés aux épouses du Bey : Dictionnaire des femmes belges : XIX e et XXe siècles, sous la direction de E. Gubin, Bruxelles, Éditions Racine, 2006, p. 188-189. 37. H. Dridi, A. Mezzolani, « De Carthage à Neuchâtel… », op. cit., p. 324-329. 38. Seulement cinq bulletins furent publiés : deux pour l’année 1921 (n° s 1 et 2), deux pour l’année 1922 (n°s 3 et 4) et un pour le premier semestre 1924 (n° 5). 39. D. Raynal, « Autres enjeux… », op. cit., p. 581. 40. Voir, par exemple, L. Carton, « Pro Carthagine », dans Carthage : bulletin…, op. cit., n° 1, 1 er semestre 1922, p. 20-25. 41. La mission confiée à S. Gsell pour dessiner un tableau clair de la situation archéologique de Carthage trouve son origine dans le conflit entre L. Carton et L. Poinssot. À travers une riche documentation d'archives, on peut voir comment la condition de guerre permanente entre les deux poussa le Résident général, Lucien Saint, à demander l'intervention directe du ministère des Affaires étrangères (AN F17/17238, séance de la Commission spéciale des fouilles de Carthage, 10 juillet 1923). La solution envisagée en accord avec le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l'Instruction publique fut la constitution d'une Commission spéciale des fouilles de Carthage, composée de membres de la Commission de publication des documents archéologiques de l'Afrique du Nord (AIBL) et de représentants institutionnels du ministère des Affaire étrangères. Après quelques divergences entre les ministères et l'AIBL, nourries par les initiatives politiques et les dénonciations dans la presse de L. Carton, on conçut l'idée d'une mission de « savants particulièrement qualifiés », pour laquelle on mit en avant les noms de S. Gsell et M. Carcopino (AN F17/17238, lettre du président du Conseil, ministre des Affaires étrangères au Résident général, Lucien Saint, 26 novembre 1923). Dans les premiers mois de 1924, le seul Gsell sera à Carthage pour une mission scientifique sur l'état du patrimoine archéologique : le résultat final est le Rapport sur la question de Carthage, terminé à Tunis le 25 mars 1924 et présenté à la Commission spéciale des fouilles de Carthage le 13 mai 1924. 42. Pour la première version des statuts de la nouvelle société, voir Carthage : bulletin…, op. cit., n ° 5, 1er semestre 1924, p. 24-29. 43. R. Belamri, L’Œuvre de Louis Bertrand, miroir de l’idéologie colonialiste, Alger, Office des publications universitaires, 1980 ; J. Alexandropoulos, « De Louis Bertrand à Pierre Hubac : images de l’Afrique antique », dans La Tunisie mosaïque : diasporas, cosmopolitisme, archéologies de l’identité, sous la dir. de J. Alexandropoulos, P. Cabanel, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2000, p. 457-478 ; G. Picarella, « Alla scoperta delle Villes d’Or : archeologia, storia e identità coloniale nel Nordafrica di Louis Bertrand », ArcoJournal, [en ligne] URL : http:// www.arcojournal.unipa.it/pdf/picarella_24_7_07.pdf [consulté le 20 juin 2016] ; J. Jansen, « Inszenierungen des antiken Erbes in Franzosisch-Algerie », dans Das Grosse Spiel : Archäologie und Politik zur Zeit des Kolonialismus (1860-1940), sous la dir. de C. Trümper, Köln, DuMont Verlag, 2010, p. 529-537. 44. Les objectifs, programme et organisation de la SDAC sont présentés de façon très claire dans la brochure (apparemment la seule publié) De Cherchell à Carthage, Paris, Société des amis de Carthage et des villes d’or, s.d., p. 2. Voir H. Dridi, et A. Mezzolani Andreose, « “Ranimer les ruines”… », op. cit., p. 12-13. 68 45. Structures économiques et associatives liées au tourisme sont bien représentés dans la SDAC, qui compte, parmi ses membres honoraires, John Dal Piaz, président de la Transat dans la période 1920-1928, Maurice V.É. Margot, directeur général des Chemins de fer Paris-Lyon-Méditerranée, Henri Defert, président du Touring Club de France et le comte Charles de Polignac, représentant de la Confédération du tourisme de l’Afrique du Nord. 46. La pièce, jouée au théâtre antique de Carthagela le dimanche de Pâques de 1926 et interprétée par les acteurs de la Comédie française, fut un vrai scandale : dans le but de réconcilier l'islam et le christianisme, Jaubert de Bénac mit en scène un Saint Louis liant une douce relation avec l'épouse du bey, provoquant d'un seul coup l'indignation des catholiques et des musulmans. Sur l'événement et les réactions de la presse, voir C. Gutron, L’Archéologie en Tunisie…, op. cit., p. 175-176. La version cinématographique, mise en scène par le même Jaubert de Bénac n’eut pas plus de chance. 47. Du point de vue du zèle activiste, les dames du Comité semblent correspondre à la modern woman caractérisée par independence and enterprising spirit, W. Chadwick, T. Latimer, dir., The Modern Woman Revisited : Paris between the Wars, New Brunswick-London, Rutgers University Press, 2003, p. xix. 48. Ces femmes jouaient dans le protectorat des rôles importants au niveau de l’image de la France : souvent engagées dans les questions sociales comme la pauvreté, la santé et l’éducation (on peut rappeler la figure de Louise René Millet, épouse du Résident général, qui en 1900 ouvrit à Tunis une école pour filles musulmane : J. Clancy Smith, « L'École Rue du Pacha, Tunis : l'enseignement de la femme arabe et “la Plus Grande France” (1900-1914) », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [en ligne], URL : http://clio.revues.org/186, 12, 2000 [consulté le 13 avril 2015]), elles contribuaient aussi à renforcer le rôle politique et publique de leurs époux à l’intérieur d’une construction idéologique coloniale. Sur ce thème et pour une analyse des réalités administratives coloniales, on peut citer la contribution de N. Rezzi, « Vivre aux colonies : les épouses des gouverneurs français à la fin de XIXe siècle : des auxiliaires du pouvoir colonial ? », Les Circulations européennes à l’âge des empires coloniaux au XIXe siècle : une lecture genrée, colloque organisé par V. Chaillou-Atrous et D. Diaz, Université de Nantes, 4-5 décembre 2014. 49. Il s'agit de la relation, écrite et illustrée avec une riche série d'aquarelles par la duchesse, d'un voyage de cinq mois (10 novembre 1920 - 24 mars 1921) en Afrique du Nord : H. de Vendôme, Notre voyage en Afrique, 1920-1921 ( L’Algérie : tome I ; La Tunisie : tome II, Tunis, Carthage, Biserte, Dougga, Alger, l’Oranais, le Sud oranais, Le Maroc), Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1928. 50. Sur Marie-Charlotte Danse, voir Dictionnaire des femmes belges : XIX e et XX e siècles, sous la direction de E. Gubin, Bruxelles, Éditions Racine, 2006, p. 133-135. 51. Sur Magali Boisnard et son activité de romancière, voir en dernier lieu P.M.E. Lorcin, Historicizing Colonial Nostalgia : European Women’s narratives of Algeria and Kenya 1900-Present, New York, Palgrave Macmillan, 2012, p. 85-106. 52. H. Dridi et A. Mezzolani, « De Carthage à Neuchâtel… », op. cit., p. 324-329. AUTEUR ANTONELLA MEZZOLANI ANDREOSE Historienne du contemporain, Istituto di studi sul Mediterraneo antico, consiglio nazionale delle ricerche (Rome, Italie).