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Pisistrate au Lycée ou le temps de Cronos retrouvé Pour O. Murray, l’analyse de la tyrannie livrée par Aristote dans la Politique et nourrie par les informations collectées lors de la rédaction des 158 politeiai grecques menée par le Lycée reste « la plus fondée historiquement »1 parmi toutes celles proposées par les penseurs du IVe siècle. La remarque a de quoi surprendre, car Aristote peut lui aussi se livrer à des jugements anachroniques ou à des analyses partisanes. Il envisage même de prêter foi à l’opinion commune : « Il faut aussi se servir des maximes qui sont dans toutes les bouches et employées par le commun des hommes, si elles sont utilisables ; parce qu’elles sont communes, on les croit fondées sur le consentement unanime et d’une parfaite justesse » « χρῆσθαι δὲ δεῖ καὶ ταῖς τεθρυλημέναις καὶ κοιναῖς γνώμαις, ἐὰν ὦσι χρήσιμοι. διὰ γὰρ τὸ εἶναι κοιναί, ὡς ὁμολογούντων πάντων, ὀρθῶς ἔχειν δοκοῦσιν » 2. Comme exemple susceptible de contrarier la formule d’O. Murray, on compte, dans le corpus aristotélicien, l’élogieux portrait de Pisistrate, un tyran sous lequel les Athéniens auraient, disait-on, vécu comme à l’âge d’or3 car, en leur faisant retrouver la paix et la tranquillité, il mit fin à la stasis qui déchirait la cité après le départ de Solon4. La Constitution des Athéniens rappelle ainsi : « Il ne gênait la foule en rien pendant sa domination, mais il préparait toujours la paix et maintenait la tranquillité. C’est pourquoi [lacune : on répétait souvent ?] que la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos » « Οὐδὲν δὲ τὸ πλῆθος οὐδ’ ἐν τοῖς ἄλλοις παρ(ην)ώχλει κατὰ τὴν ἀρχήν, ἀλλ’ αἰεὶ παρεσκεύαζεν εἰρήνην καὶ ἐτήρει τὴν ἡσυχίαν. διὸ καὶ πολλὰ κλέ[ ]θρ[ ]υν ὡς ἡ Πεισιστράτου τυραννὶς ὁ ἐπὶ Κρόνου βίος εἴη) »5. Plutôt que de prêter à Aristote des analyses susceptibles de répondre à nos canons contemporains de l’analyse historique6, la démarche la plus prudente reste de suivre l’appel à la vigilance lancé par N. Loraux7 et de considérer les sources littéraires O. Murray, La Grèce à l’époque archaïque, Toulouse, 1995, p. 148. Aristote, Rhétorique, II, 21, 1395 a (traduction M. Dufour). 3 Depuis Hésiode, l’âge de Cronos fait figure d’âge d’or dans la littérature grecque. Les Travaux et les Jours, 109-125 et 134-135 rappellent ainsi que les hommes vivant au temps de Cronos appartiennent à la race d’or et que, tels des dieux, ils mènent une existence tranquille à l’abri des maux, de la misère, de la vieillesse et, à la différence des hommes de la race d’argent, de la démesure. Sur l’âge d’or et son utilisation littéraire : H. C. Baldry, « Who invented the golden age ? », CQ, 46, 1952, pp. 83-92. 4 Aristote, Constitution des Athéniens, XIII, 1-2. Sur la solidité du régime de Pisistrate, son acceptation par les Athéniens et l’apaisement des tensions politiques, voir H. Sancisi-Weerdenburg, « The Tyranny of Peisistratos », in H. Sancisi-Weerdenburg, Peisistratos and the Tyranny : a Reappraisal of the Evidence, Amsterdam, 2000, pp. 1-15 (notamment pp. 8-9). 5 Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 7 (traduction M. Sève). 6 Sur le débat autour des qualités d’historien prêtées à Aristote, voir F. Gregorio, « Le rôle de l’histoire dans la Politique d’Aristote ou la naissance de la philosophie politique », in G. Cajani et D. Lanza, L’antico degli antichi, Palerme, 2001, pp.71-82, et notamment p. 71. 7 Selon N. Loraux, « Thucydide n’est pas un collègue », Quaderni di storia, 12, 1980, pp. 55-81 (notamment pp. 55, 56 et 70), l’historien ne doit pas s’incliner dans une crainte révérencielle devant les sources littéraires anciennes, dont la qualité est telle que bien souvent elles sont considérées comme « un monument, à jamais élevé dans le jardin des humanités, soustrait à la corrosion du temps comme à la relativité des lectures, et auquel on a rapport sous le signe de l’admiration : on en exalte la beauté (…), on 1 2 anciennes dans leur singularité historique. Contre la tentation de voir dans la Constitution des Athéniens une archive taillée sur mesure pour les historiens d’aujourd’hui, il s’agira de replacer la formule « la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos » dans son contexte intellectuel de production pour en cerner l’origine et le sens8. On pourra ainsi comprendre dans quelle mesure la reprise de cette formule par Aristote9 est liée aux conceptions historiographiques du IVe siècle et à leurs enjeux mémoriels, combien elle dépend de la volonté du Stagirite de répondre aux polémiques du temps sur les traits à donner à la figure du monarque idéal. Cette formulation, enfin, nous invite à questionner les débats politiques qui agitent Athènes à l’heure de sa mise sous tutelle macédonienne. La richesse du portrait de Pisistrate de la Constitution des Athéniens n’est pas toujours là où l’on croit la trouver : plus qu’une simple compilation de données historiques passées au crible de la lucidité aristotélicienne, la figure du tyran athénien est surtout une pièce à replacer dans le puzzle des débats intellectuels des années 330-32010. I : Pisistrate au temps de Cronos, une tradition venue de l’historiographie classique ? Quel chemin explorer pour espérer remonter aux origines de la tradition assurant, dans la Constitution des Athéniens, que « la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos » ? Faut-il d’abord interroger les textes historiques de la seconde moitié du Ve siècle qui, les premiers, transmettent la légende dorée du tyran athénien 11 ? Élogieux, le portrait aristotélicien de Pisistrate fait écho aux informations recueillies par Hérodote comme par Thucydide12. À chaque fois, il s’agit de vanter le gouvernement de Pisistrate pour sa capacité à respecter les lois de Solon. À l’instar d’Hérodote13 qui affirme que : en proclame l’inaltérable actualité, celle même des chefs d’œuvre qui savent dire ce que l’homme a d’humain ». Un travail de contextualisation historique est dès lors nécessaire pour les transformer en documents d’étude. 8 À la différence de Cl. Zatta, « Making history mythical : the golden age of Peisistratos », Arethusa, 2010, 43 (1), pp. 21-62, qui montre, à partir d’Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 7 comment Pisistrate a pu utiliser le mythe de l’âge de Cronos pour asseoir son autorité et faire accepter son programme politique aux Athéniens du VIe siècle, nous préférons éviter tout risque de surinterprétation anachronique en retenant uniquement la lettre du texte d’Aristote et en proposant de comprendre le on-dit à la lumière des sources du IVe siècle qui le mentionnent pour la première fois. 9 Sans prétendre donner une solution à l’épineuse question de l’identité de l’auteur de La Constitution des Athéniens, nous proposons, par commodité, de l’attribuer à Aristote, tout en étant conscient que le Stagirite a présidé un travail d’équipe lors de la rédaction des 158 politeiai. 10 Pour la datation de La Constitution des Athéniens, nous privilégions l’hypothèse d’une période de rédaction assez longue (335-322). 11 Sur la tradition légendaire entourant la figure de Pisistrate depuis la fin de l’époque archaïque jusqu’à Plutarque : M. V. Skrzinskaja, « The Oral Tradition about Pisistratus », VDI, 110, 1969, pp. 83-96 qui dégage trois phases dans l’histoire de la tradition de Pisistrate (la première phase orale et favorable à Pisistrate serait née du vivant du tyran ; la deuxième, défavorable à Pisistrate, aurait duré de la chute de la tyrannie jusqu’au milieu du Ve siècle ; la dernière, littéraire, se baserait sur des récits à l’authenticité douteuse) ; L. Calabro, « Pisistrato in positivo. Un excursus sulla tradizione aneddotica pisistratea », Seia, 1984, I, pp. 54-64 estime quant à elle que la tradition d’anecdotes sur Pisistrate choisit, d’Hérodote à Plutarque, de le présenter comme un partisan de la véritable démocratie. 12 Pour J. Day et M. Chambers, Aristotle’s History of Athenian Democracy, Berkeley-Los Angeles, 1962, p. 175, l’examen du chapitre XVI de La Constitution des Athéniens montre qu’Aristote ne sait rien de l’administration de Pisistrate, à l’exception de ce qu’Hérodote et Thucydide peuvent lui en apprendre. Voir aussi G. E. Pesely, « Aristotle’s source for the tyranny of Peisistratus », Athenaeum, 1995, 83, pp. 4566. 13 Hérodote compte parmi les penseurs les plus estimés par Aristote. Considéré comme le type même de l’historikos par Aristote, La Poétique, 9, 1451b1-4, seul historien cité dans la Constitution des Athéniens (XIV, 4), il est aussi bien utilisé comme source des œuvres de sciences naturelles que des travaux de « Pisistrate fut maître d’Athènes, mais sans rien changer dans les magistratures existantes et sans toucher aux lois ; il s’appuya sur les institutions en vigueur et son administration fut sage et bonne » « Ἔνθα δὴ ὁ Πεισίστρατος ἦρχε Ἀθηναίων, οὔτε τιμὰς τὰς ἐούσας συνταράξας οὔτε θέσμια μεταλλάξας, ἐπί τε τοῖσι κατεστεῶσι ἔνεμε τὴν πόλιν κοσμέων καλῶς τε καὶ εὖ » 14, Aristote rappelle que : « Mais le plus important de tout ce qu’on a dit est qu’il était d’un caractère affable et bienveillant. Car en tout domaine il voulait tout administrer conformément aux lois, sans s’attribuer aucun avantage » « Μέγιστον δὲ πάντων ἦν τῶν ε[ἰρη]μένων τὸ δημοτικὸν εἶναι τῶ ἤθει καὶ φιλάνθρωπον. Ἔν τε γὰρ τοῖς ἄλλοις ἐβούλετο πάντα διοικεῖν κατὰ τοὺς νόμους » 15. Bien qu’il ait une mauvaise image de la tyrannie16, Thucydide estime également que, sous le régime de Pisistrate et de ses fils, « la cité gardait les lois anciennes (ἡ πόλις τοῖς πρὶν κειμένοις νόμοις ἐχρῆτο) »17. La tradition positive du tyran athénien est ainsi prolongée par Aristote. Il manque cependant l’essentiel. Ni Hérodote ni Thucydide n’évoquent la tradition assurant que « la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos », n’affublent Pisistrate de l’adjectif « proche du peuple » (dèmotikos)18 ou ne disent encore de lui qu’ : « il administrait avec modération les affaires de la cité, en citoyen plutôt qu’en tyran. Il était en général bienveillant et doux, et enclin au pardon envers les fautifs ; et en particulier, il avançait de l’argent aux indigents pour leurs activités, en sorte qu’ils tirent leur subsistance de l’agriculture » « Διώκει δ’ ὁ Πεισίστρατος, ὥσπερ εἴρηται, τὰ περὶ τὴν πόλιν μετρίως καὶ μᾶλλον πολιτικῶς ἢ τυραννικῶς. ἔν τε γὰρ τοῖς ἄλλοις φιλάνθρωπος ἦν καὶ πρᾶος καὶ τοῖς ἁμαρτάνουσι συγγνωμονικός, καὶ δὴ καὶ τοῖς ἀπόροις προεδάνειζε χρήματα πρὸς τὰς ἐργασίας, ὥστε διατρέφεσθαι γεωργοῦντας »19. Dans la quête des origines de la tradition mentionnée au chapitre XVI de la Constitution des Athéniens et de la survalorisation légendaire de Pisistrate chez Aristote, il semble nécessaire d’abandonner la piste de la tradition historique née au Ve siècle pour privilégier celle de la pensée historiographique du IVe siècle. sciences humaines (R. Weil, Aristote et l’histoire, Essai sur la “Politique”, Paris, 1960, p. 316). Le parcours de Pisistrate dans la Constitution des Athéniens s’inspire souvent d’Hérodote (pour l’automutilation, la ruse du char, la coalition des factions de Mégaclès et de Lycurgue, la durée du second exil, le durcissement du régime sous les Pisistratides, confronter respectivement Constitution des Athéniens, XIV, 1 ; 4 ; 3 ; XV, 1-2 ; XVI, 7 et Hérodote, I, 59, 19-24 ; 60, 9-29 ; 60, 1 ; 52, 1-2 ; V, 55, 5-7). 14 Hérodote, I, 59 (traduction A. Barguet). Pour une mise en perspective critique des relations entretenues par Pisistrate avec les institutions athéniennes existantes au VIe siècle, voir H. SancisiWeerdenburg, op. cit., pp. 7-9. 15 Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 8 (traduction M. Sève). 16 Thucydide, I, 17. 17 Thucydide, VI, 54, 6. 18 Aristote, Constitution des Athéniens, XIII, 4. 19 Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 2 (traduction M. Sève). Tels Éphore20 et Timée, Aristote cherche-t-il à compiler, dans la Constitution des Athéniens, toutes les informations accessibles21, à bâtir une œuvre à partir d’autres œuvres et ainsi à enrichir le savoir historique ? Aux élèves du Stagirite de consulter, dans cette perspective, les différents écrits qui évoquent la tyrannie de Pisistrate, qu’ils soient l’œuvre d’historiens ou bien encore d’académiciens qui, soucieux d’essayer leurs talents, produisent des dialogues poursuivant l’entreprise philosophique de leur maître Platon. Le dialogue du Pseudo-Platon, Hipparque ou l’homme cupide, pourrait ainsi être à l’origine22 de la tradition sur Pisistrate, puisqu’il associe en 229 b 3-7, pour la première fois dans la littérature grecque ancienne, le tyran à l’âge de Cronos. En faisant sienne une tradition utilisée par le Pseudo-Platon pour présenter, dans une perspective oligarchique, Hipparque comme le modèle du chef d’État, Aristote cherche peut-être à compléter les informations recueillies par Hérodote et Thucydide. Par la reprise d’une formule laudative ignorée ou délaissée par les historiens du Ve siècle, le portrait aristotélicien de Pisistrate s’inscrit-il dans la tradition du portrait moral et de l’éloge individuel lancée par Xénophon et Isocrate23 ? Fascinés par l’affirmation d’individus exceptionnels24, appelés à jouer, depuis la Guerre du Péloponnèse et avec la montée en puissance de la monarchie macédonienne, un rôle providentiel sur la scène internationale, les hommes de lettres du IVe siècle retiennent les vertus comme des armes décisives et célèbrent volontiers les hommes prompts à les utiliser pour guider le cours de l’histoire. Dans la galerie des éloges et des portraits moraux nés sous la plume de Xénophon25, d’Isocrate26, de Théopompe de Chios27 et des historiens d’Alexandre, le portrait de Pisistrate de La Constitution des Athéniens pourrait s’inscrire dans cette nouvelle orientation historiographique28. Éphore, Timée, Xénophon, Isocrate, Théopompe… la liste est longue mais incomplète, car, parmi les inspirateurs probables du portrait aristotélicien de Pisistrate, il faut encore compter sur les Atthidographes. Outre quelques anecdotes29 et informations L’influence d’Éphore sur Aristote est probable. Ses analyses sur la tyrannie de Pisistrate (Éphore FGH 70 F 181) pourraient notamment inspirer Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 6 (sur ce point, voir P. J. Rhodes, op. cit., pp. 191 et 216). 21 Sur le travail de compilation d’Éphore et son goût du savoir encyclopédique : H. Van Effenterre, L’histoire en Grèce, Paris, 1967, pp. 33-35 et A. Momigliano, Problèmes d’historiographie ancienne et moderne, Paris, 1983, p. 28. Sur la collecte systématique des informations par Aristote dans la littérature qui le précède : I. Düring, « Notes on the History of the Transmission of Aristotle’s Writings », Göteborgs Högskolas Arsskrift, 56, 1950, pp. 35-70, notamment 57-58. 22 Nous nous rangeons ici à l’avis de J. Souilhé selon lequel le dialogue Hipparque ou l’homme cupide a été composé durant la première moitié du IVe siècle. Pour les débats historiographiques sur la datation du dialogue, voir Platon, Œuvres complètes, tome XIII, deuxième partie, Dialogues suspects, texte établi et traduit par J. Souilhé, Paris, 1930, rééd 1981, pp. 54-58. 23 L’influence d’Isocrate sur Aristote est d’autant plus probable que le Stagirite est passé par son école en 367 avant de se diriger vers l’Académie de Platon (P. Louis, Vie d’Aristote, Paris, 1990, p. 25). 24 Xénophon, Les Helléniques, V, 1, 4 considère ainsi que l’étude des personnalités marquantes est « l’occupation la plus digne d’un homme ». 25 Xénophon est notamment l’auteur d’histoire idéalisée de la jeunesse de Cyrus le Grand (Cyropédie) et de l’éloge du roi spartiate Agésilas. 26 On retiendra par exemple les éloges des rois Agamemnon et Évagoras (Isocrate, Panathénaïque, XII, 72-88 et Évagoras, IX). 27 Sur le rôle historique majeur accordé à Philippe de Macédoine dans Les Philippiques de Théopompe : T. E. Duff, The Greek and Roman Historians, Londres, 2003, pp. 46-47. 28 D’une façon plus générale, on notera qu’Aristote s’intéresse aussi, dans la Constitution des Athéniens, au caractère d’autres grandes figures politiques athéniennes (Solon, Thémistocle, Aristide, Cimon, Éphialte, Périclès) et structure l’Éthique à Nicomaque autour d’une galerie de portraits moraux (P. Aubenque, La prudence chez Aristote, Paris, 1963, rééd. 2009, p. 37). 29 Selon P. J. Rhodes, op. cit., p. 189, l’anecdote sur la réaction de Solon face à la demande de Pisistrate d’obtenir une garde (Aristote, Constitution des Athéniens, XIV, 2-3) serait tirée des Atthis. 20 chronologiques précises30 qu’il puise dans les Atthis, Aristote s’engage, comme eux, dans une interprétation partisane et nostalgique du passé athénien31. Dans un siècle qui propose, depuis la Guerre du Péloponnèse, non plus une lecture commune de l’histoire athénienne mais des interprétations plurielles et antagonistes du passé32, la figure de Pisistrate se pare, avec la tradition relative à l’âge de Cronos, d’une dimension mémorielle utile à Aristote pour faire valoir, dans l’agôn des conceptions historiographiques, sa conception d’une identité athénienne respectueuse de l’héritage législatif solonien. La tentation est donc grande de voir dans les Atthis la source de la tradition associant Pisistrate à l’âge de Cronos, même si les preuves concrètes manquent tant les textes des Atthidographes sont conservés à l’état fragmentaire. Effectivement, les similitudes entre leurs travaux et la Constitution des Athéniens se donnent, nombreuses, à lire jusque dans le portrait de Pisistrate. Comme dans les Atthis33, Aristote voit dans le régime pisistratique une étape mémorable dans l’histoire linéaire et continue de la cité athénienne. À l’image des Atthidographes34, il utilise avec minutie des listes d’archontes35 comme trame chronologique pour traquer les anachronismes de ses prédécesseurs36. Comme les Atthidographes enfin, Aristote met à profit des sources de tout type37 pour cerner au plus près la mémoire collective athénienne de la tyrannie de Pisistrate et de ses fils : des sources matérielles38, des chansons de table39 et des traditions 30 Voir ici F. Jacoby, op. cit., pp. 185-186 et J. Day et M. Chambers, op. cit., p. 175. F. Hartog, Évidence de l’histoire, p. 84 remarque à ce sujet : « Les cités [du IVe siècle] sont soucieuses de fixer publiquement par écrit leur “généalogieˮ politique et de rendre ainsi manifestes l’ancienneté et la continuité de leur histoire. Présence du passé et massif appel à lui, instrumentalisation de ce passé par les orateurs, tel est le climat dans lequel les études sur le passé et les histoires locales vont prendre un grand essor. Participant de ce contexte, elles sont aussi une façon de répondre aux doutes du temps, en fournissant des rappels et des repères, à un moment où les destructions, les épreuves et les morts dues à la Guerre du Péloponnèse devaient renforcer l’impression de rupture avec une époque désormais révolue ». 32 Voir ici Z. Petre, « Le temps des ruptures », in Constructions du temps dans le monde grec, Paris, 2000, pp. 357-370. 33 Sur la conception linéaire de l’histoire dans les Atthis, voir F. Hartog, « Le cas grec : du ktèma à l’exemplum en passant par l’Archéologie », Extrême-Orient, Extrême-Occident, 1997, 19, pp. 127-137 (notamment p. 133), op. cit., pp. 85-86 et C. Darbo-Peschanski, « Se construire un devenir : enquête sur les catégories grecques de l’historicité », in G. Cajani et D. Lanza, L’antico degli antichi, Palerme, 2001, pp. 17-29 (en particulier p. 17). 34 Sur les Atthis comme chroniques articulées autour des règnes de rois et des magistratures officielles : Ph. Harding, The Story of Athens. The Fragments of the Local Chronicles of Attika, New York, 2008, p. 2. 35 Symptomatique de l’intérêt porté au passé des cités qui entreprennent au IVe siècle de publier sur leurs murs des listes de magistrats afin de montrer la continuité et l’ancienneté de leur histoire (F. Hartog, op. cit., pp. 83-84), le goût d’Aristote pour les chronologies officielles se retrouve encore dans son élaboration de la liste des vainqueurs des Jeux Pythiques (W. Jaeger, op. cit., pp. 330 et 338 et P. Louis, op. cit., p. 68) et confirme une fois de plus la proximité de son travail avec l’œuvre d’un Atthidographe, Hellanikos de Lesbos, qui, intéressé par les histoires régionales, a lui aussi publié des listes chronologiques de prêtresses d’Héra à Argos et de vainqueurs aux Karnea (Ph. Harding, op. cit., p. 6). 36 Par exemple, Aristote, Constitution des Athéniens, XVII, 1-2 considère comme anachronique la tradition suivant laquelle Pïsistrate a été aimé par Solon. Sur l’attention de la Constitution des Athéniens aux détails chronologiques, consulter L. Pearson, The Local Historians of Attica, Westport, 1942, rééd. 1975, pp. 102-103. 37 Sur la diversité des sources exploitées par les Atthis : Ph. Harding, op. cit., pp. 3-4. 38 Aristote, Constitution des Athéniens, XIII, 5 exploite ainsi des listes de citoyens révisées après l’expulsion des Pisistratides pour comprendre la composition sociale de la faction des Diacriens menée par Pisistrate. 39 Aristote, Constitution des Athéniens, XIX, 3 et XX, 5 utilise ainsi d’anciennes chansons de table pour étayer ses analyses sur la résistance alcméonide aux Pisistratides. 31 orales40. Elles permettent à Aristote d’expliquer certains aspects du présent athénien41 et de détailler la carte de ses lieux de mémoire : « C’est au cours d’une de ces sorties, dit-on, qu’arriva à Pisistrate l’anecdote de l’homme qui cultivait sur l’Hymette le champ appelé plus tard le “champ non imposable”. Avisant donc quelqu’un qui piochait et travaillait une terre qui n’était que pierres, par étonnement, il chargea son esclave de demander ce qui poussait dans le champ : “Rien que des maux et des douleurs”, dit l’autre, “et il faut que Pisistrate prenne la dîme de ces maux et de ces douleurs”. L’homme avait répondu sans le connaître, et Pisistrate, ravi de sa franchise et de son ardeur au travail, l’exempta de tout impôt » « Τοιαύτης γάρ τινος ἐξόδου τῶ Πεισιστράτῳ γιγνομένης συμβῆναί φασι τὰ περὶ τὸν ἐν τῶ Ὑμηττῶ γεωργοῦντα τὸ κληθὲν ὕστερον χωρίον ἀτελές. Ἰδὼν γάρ τινα παντελῶς πέτρας σκάπτοντα καὶ ἐργαζόμενον, διὰ τὸ θαυμάσαι τὸν παῖδα ἐκέλευσεν ἐρέσθαι τί γίγνεται ἐκ τοῦ χωρίου. ὁ δ’ « ὅσα κακὰ καὶ ὀδύναι, ἔφη, καὶ τούτων τῶν κακῶν καὶ τῶν ὀδυνῶν Πεισίστρατον δεῖ λαβεῖν τὴν δεκάτην », Ὁ μὲν οὖν ἄνθρωπος ἀπεκρίνατο ἀγνοῶν, ὁ δὲ Πεισίστρατος ἡσθεὶς διὰ τὴν παρρησίαν καὶ τὴν φιλεργίαν ἀτελῆ πάντων ἐποίησεν αὐτόν »42. À l’instar de la tradition associant Pisistrate à l’âge d’or, l’anecdote sert sans doute l’identité d’une cité qui cherche, déstabilisée par la défaite de Chéronée (338), à se rassurer par une relecture patriotique des vestiges d’un passé grandiose43. La conclusion semble s’imposer d’elle-même : à l’instar des analyses des Atthidographes ou bien encore des remarques du Pseudo-Platon, la représentation aristotélicienne du tyran Pisistrate pourrait s’inscrire dans une voie politique partisane. Les similitudes sont nombreuses entre les Atthis et la Constitution des Athéniens, les partis pris d’Aristote apparents. Sans doute, mais le détail du texte se montre rétif. À l’image des autres développements de la Constitution des Athéniens, les chapitres consacrés à Pisistrate pourraient se distinguer par leur manque de cohérence politique. Si la tradition conservatrice domine, elle cohabite souvent avec des analyses de tendance démocratique défavorables au tyran athénien. Comment, par exemple, expliquer qu’Aristote puisse tout à la fois louer, grâce à des traditions orales, Pisistrate pour son humanité à l’égard du peuple athénien et considérer qu’il lui impose une taxe, la dîme, plus lourde que celle mentionnée par Thucydide44 ? Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 8 : « Ce qu’on citait le plus, c’était son amour du peuple et son humanité ». Sur l’habitude de Phanodèmos, de Demon comme d’Éphore d’exploiter ce type de parole populaire : P. J. Rhodes, “The Atthidographers”, in Purposes of History, Studies in Greek Historiography from the 4th to the 2nd centuries B.C., Proceedings of the International Colloquium, Leuven, 24-26 may 1988, Leuven, 1990, pp. 73-81 (notamment pp. 78-79) et L. Pearson, op. cit., p. 96. 41 Il partage ce souci avec les Atthidographes : Ph. Harding, op. cit., p. 3. 42 Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 6 (traduction M. Sève). Voir encore la tradition légendaire de la réaction de Solon face à la demande d’une garde par Pisistrate (legetai) (Aristote, Constitution des Athéniens, XIV, 2). 43 Comme le rappelle Lycurgue, Contre Léocrate, 95-96 et son anecdote sur l’origine du nom du champ de Piété en Sicile, les Athéniens, comme la plupart des Grecs du dernier tiers du IVe siècle, goûtent les relectures patriotiques de leur paysage quotidien, car elles sont à même de rappeler la grandeur et l’ancienneté de leur cité. 44 Alors que Thucydide, VI, 54, 5 estime que Pisistrate exigeait des Athéniens le vingtième de leurs revenus, Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 4 considère qu’il « prélève une dîme des produits ». Pour Aristote, les tyrans ont pour habitude d’appauvrir leurs sujets au moyen de taxes et de prélèvements afin d’entretenir leur garde et d’empêcher leurs sujets, absorbés par leur travail, de conspirer (Aristote, Politique, V, 11, 1313 b 18-28). Il en va ainsi des Pisistratides mais aussi de Denys de Syracuse et de Cypsélos de Corinthe qui leva lui aussi une dîme sur ses sujets (Aristote, Économique, II, 1 et 20b). Sur les 40 Déroutants, les paradoxes du texte n’ont de cesse d’alimenter les débats historiographiques sur le positionnement politique de la Constitution des Athéniens. On a tout essayé : un traité aristocratique ou oligarchique, un manifeste en faveur des idées modérément conservatrices d’Isocrate ou d’Androtion, un ouvrage conduit par les idées politiques de l’école platonicienne, une œuvre démocratique inspirée par la réaction patriotique qui suit l’affaire d’Harpale45… Le foisonnement d’hypothèses trahit à lui seul nos difficultés à appréhender le sens de la démarche d’Aristote : la présence de traditions politiques antagonistes dans son œuvre signe-t-elle son incapacité à porter un regard critique sur les sources consultées ? Traduit-elle, au contraire, une neutralité politique ou un désir d’objectivité46 ? Cherche-t-il encore à fusionner des traditions politiques différentes47 pour livrer un point de vue personnel sur l’histoire athénienne ? De la vivacité des controverses et de l’incapacité des historiens contemporains à trouver une solution consensuelle, il faut sans doute conclure au défaut du questionnement posé. La solution du débat historiographique n’est peut-être pas tant à trouver dans le texte d’Aristote que dans notre représentation de l’intellectuel des mondes anciens. Plutôt que d’envisager la Constitution des Athéniens dans une perspective politique anachronique et la tradition associant Pisistrate à l’âge de Cronos comme une donnée au service d’une étude historique, il est sans doute plus prudent de les considérer d’abord pour ce qu’ils sont fondamentalement : des arguments mis au service du projet philosophique aristotélicien. II : Pisistrate au temps de Cronos, une tradition au cœur des polémiques intellectuelles du IVe siècle Acceptons dès lors d’éclairer la tradition célébrant Pisistrate sous un jour nouveau et de voir en lui le fruit de l’historia aristotélicienne. Produit de la nature, animal politique, Pisistrate est susceptible, comme tout être vivant, d’être l’objet d’une enquête empirique48. Plus ramassé que son prédécesseur hérodotéen, le portrait aristotélicien du tyran tend, comme les analyses biologiques du Stagirite, moins à l’encyclopédisme qu’à la démonstration théorique49. Pas plus qu’il ne faut dénombrer de façon exhaustive tous les animaux pour les classer en grandes familles, il n’est question dans la Constitution des Athéniens de conter dans le détail les taxes de Pisistrate et l’épineuse question de leur prélèvement, voir G. Mathieu, op. cit., pp. 41-42 et H. Sancisi-Weerdenburg, « Solon’s hektemoroi and Pisistratid dekatemoroi », in H. Sancisi-Weerdenburg, R. J. Van der Spek, H. C. Teitler & H. T. Wallinga, De agricultura : in memoriam Pieter Willem De Neeve (1945-2000), Amsterdam, 1993, pp. 13-30. 45 Voir respectivement ici : le compte rendu de H. Diels sur F. G. Kenyon, Aristotle, on the Constitution of Athens in Deutsche Literraturzeitung, 1891, XII, p. 240 ; U. von Wilamowitz-Moellendorff, Aristoteles und Athen, Berlin, I, 1893, pp. 346-347 ; F. Jacoby, op. cit. et M. Chambers, « Aristotle and his Use of Sources », in M. Piérart (dir.), Aristote et Athènes, Fribourg, 1993, pp. 39-52, en particulier p. 44 ; B. Niese, « Ueber Aristoteles Geschichte der athenischen Verfassung », Historische Zeitschrift, 1892, LXIX, pp. 38 sq ; F. Cauer, Hat Aristoteles die Schrift vom Staate der Athener geschrieben ?, Stuttgart, Göschen, 1891, pp. 76-78. 46 J. de Romilly, « Le fait politique », in Penser avec Aristote, Études réunies sous la direction de M. A. Sinacoeur, Toulouse, 1991, pp. 569-571. 47 G. Mathieu, op. cit., pp. V-VI. 48 Sur l’influence des recherches biologiques sur le vocabulaire et la pensée politiques d’Aristote : J. Day et M. Chambers, op. cit., pp. 38 sq. Sur le rapport chez Aristote entre l’enquête (historia) et l’expérience (empeiria) : Aristote, Premiers Analytiques, I, 30, 46 a 4 – 27 et C. Darbo-Peschanski, op. cit, pp. 112-118. 49 Sur l’absence de prétention encyclopédique de la zoologie aristotélicienne : M. Crubellier et P. Pellegrin, op. cit., p. 286. Sur la visée théorique des traités aristotéliciens de sciences naturelles : M. Crubellier et P. Pellegrin, op. cit., pp. 265-266. vicissitudes du parcours de Pisistrate. Sans céder entièrement à une vision téléologique de l’histoire, Aristote entend probablement composer un dossier sur Pisistrate utile pour comparer les tyrannies grecques50 entre elles et ainsi servir ses théories politiques. Menée à partir des investigations des disciples du Lycée51, l’enquête sur Pisistrate suit également la voie méthodologique empirique ouverte par les traités aristotéliciens de sciences naturelles. Elle se fie ainsi surtout aux sens pour sélectionner des informations : il faut relever des indices52, repérer les traces visibles du legs pisistratique53 et écouter les traditions orales. Réhabilitée par Isocrate54, régulièrement mise à profit par Aristote, la consultation des traditions orales comme celle affirmant que « la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos » est considérée comme une étape sur le chemin menant à la vérité. Les rumeurs, les légendes, les proverbes, les maximes ont eux aussi leur intérêt, car ils expriment la pensée de la majorité55. Comme les autres traités aristotéliciens56 qui commencent par une doxographie dont la légitimité repose sur la conviction que les opinions des autres portent une part de vérité57, il s’agit, avec le portrait de Pisistrate, de repérer toutes les endoxa58, qu’elles appartiennent au commun (les on-dit)59 comme au plus savant, de les hiérarchiser en fonction de leur audience60, de leur vraisemblance61 et non de leur orientation politique, de les critiquer62, de les épurer63, de les compiler64 et de les fusionner65 pour espérer avancer sur le chemin de la connaissance, car 50 Aristote, Politiques, IV, 4, 1290 b 25 sq rappelle combien la méthode comparative des constitutions politiques est similaire à celle utilisée pour classer les animaux. Voir aussi R. Weil, op. cit., pp. 317 sq. 51 W. Jaeger, op. cit., p. 341 ; I. Düring, Aristoteles, Heidelberg, 1966, pp. 524 sq ; J. P. Lynch, Aristotle’s School, A Study f a Greek Educational Institution, Berkeley, Los Angeles, London, 1972, p. 87. 52 Aristote, Constitution des Athéniens, XIII, 5 (sèmeion). 53 Il en va ainsi du nom du « champ non imposable » (Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 6). 54 F. Larran, Le bruit qui vole, histoire de la rumeur et de la renommée en Grèce ancienne, Toulouse, 2011, pp. 216-219. 55 Aristote, Rhétorique, II, 21, 1395 a. 56 Par exemple Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 4, 2-4 ; De l’âme, II, 1, 403 b ; Politiques, I, 3, 1253 b 15-21 ; I, 13, 1260 b 20-24. 57 S. Mansion, « Le rôle de l’exposé critique des philosophies antérieures chez Aristote », in S. Mansion (dir.), Aristote et les problèmes de méthode, Louvain, 1961, pp. 35-56 et M. Crubellier et P. Pellegrin, op. cit., p. 27. 58 Pour Aristote, Topiques, I, 1, 100 b 21, un endoxon est une opinion (doxa) admise « par tout le monde, ou par la majorité d’entre eux, ou par les plus réputés et ceux qui ont les opinions les plus valables ». C. Darbo-Peschanski, op. cit., pp. 126-127 traduit endoxa par « opinions communes » et M. Crubellier et P. Pellegrin, op. cit., pp. 112 et 134-135 par « opinions valables ». 59 Pour Aristote, les hommes du commun comme les philosophes peuvent avoir part à la vérité (M. Crubellier et P. Pellegrin, op. cit., p. 393). 60 Pour M. Crubellier et P. Pellegrin, op. cit., pp. 134-135 : « Il est important de remarquer que cette liste des opinions qui comptent comme opinions valables a un ordre qui va du plus au moins. Une opinion qui reçoit l’agrément de tout le monde est plus valable que celles qui reçoivent celui d’une majorité de gens ou des sages. Ces dernières ne comptent comme opinions valables qu’en l’absence d’opinion valable de rang supérieur ». La Constitution des Athéniens accorde ainsi un grand crédit aux on-dit colportés par tous (XVI, 7), retient les opinions partagées par tous les savants (V, 3), se range souvent à l’avis de la majorité (VI, 4 ; XII, 1) et accorde enfin une attention particulière aux historiens les plus réputés, tels Hérodote et Thucydide. 61 La Constitution des Athéniens cherche à suivre les interprétations historiques les plus vraisemblables (par exemple Aristote, La Constitution des Athéniens, VI, 2-4 et IX, 2). 62 Au sujet du portrait de Pisistrate dans la Constitution des Athéniens, P. J. Rhodes, op. cit., pp. 180, 185 et 189 note qu’Aristote donne, contre le récit d’Hérodote, une dimension politique à la faction de Pisistrate, modifie son nom (Diakrioi contre Hyperakrioi : Aristote, Constitution des Athéniens, XIII, 4 / Hérodote, I, 59, 3) et puise dans les Atthis des détails chronologiques en conflit avec l’Enquête. Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 4 ; XVIII, 2 et 4 prend également le contrepied de Thucydide au sujet de « celui qui est apte à trouver les endoxa est dans la même disposition que celui qui est apte à trouver la vérité » « διὸ πρὸς τὰ ἔνδοξα στοχαστικῶς ἔχειν τοῦ ὁμοίως ἔχοντος καὶ πρὸς τὴν ἀλήθειάν ἐστιν »66. Écouter les traditions orales populaires et d’une façon générale les différentes endoxa sur le sujet traité relève ainsi chez Aristote d’une démarche méthodologique propre aux œuvres ésotériques67, parmi lesquelles il faut ranger la Constitution des Athéniens. Texte conçu pour l’usage interne du Lycée, rédigé sans souci littéraire, composé d’une série de notes destinées à être retravaillées à plusieurs reprises et à plusieurs mains68, le portait de Pisistrate ne souffre pas ainsi de ses contradictions. Il en vit. Parce que l’élaboration de la connaissance aristotélicienne est le fruit de discussion collective, de jugement, d’arbitrage et de lente maturation intellectuelle69, il faut, dans le cadre d’une recherche ouverte, mettre sans cesse les endoxa à la question pour retenir les meilleures, indépendamment les unes des autres, sans chercher à les fondre préalablement dans une argumentation cohérente. Dans un siècle ouvert par les leçons de Socrate, la vérité ne s’impose pas d’elle-même, évidente ou inspirée par les dieux, elle est parole partagée, conclusion consensuelle et vraisemblable, affaire de débat et de discussion. Les contradictions de la figure de Pisistrate ne sont pas ainsi les stigmates d’une pensée prise en défaut, mais bien la marque du procès de production du savoir aristotélicien. Passé au crible de la méthode d’investigation du Stagirite, la tradition orale du chapitre XVI de la Constitution des Athéniens célèbre un tyran qui puise ses qualités dans le panthéon des vertus de l’éthique aristotélicienne. Doux (praos), humain (philanthrôpos), indulgent (suggnômonikos), modéré (mètrios), juste, généreux, proche du peuple (dèmotikon)70… Le tableau héraldique des qualités de Pisistrate reprend presque terme pour terme les vertus retenues dans la Rhétorique : « Les parties de la vertu sont la justice, le courage, la tempérance, la munificence, la magnanimité, la libéralité, la sagesse pratique, la sagesse spéculative. Les plus importantes sont nécessairement les plus utiles à autrui, puisque la vertu est la faculté d’être bienfaisant » l’impôt prélevé par le tyran, du nombre de conjurés contre les Pisistratides et du désarmement des Athéniens par Hippias (respectivement Thucydide, VI, 54, 5 ; 56, 3 ; 56, 2) 63 Pour la ruse du char de Pisistrate, Aristote, Constitution des Athéniens, XIV, 4 présente ainsi une version moins poétique que celle d’Hérodote, I, 60 (F. Larran, op. cit., pp. 205-206). 64 Pour Aristote, Métaphysiques, II, 1, 993 a 30 - b 5, le progrès de la connaissance scientifique résulte d’un processus cumulatif de contributions individuelles. La Constitution des Athéniens compile ainsi la version d’Hérodote et celle de l’Atthis pour livrer l’histoire la plus complète de la tyrannie de Pisistrate (P. J. Rhodes, op. cit., pp. 191, 203 et 205). 65 Pour G. Mathieu, op. cit., pp. 50-51, Aristote fusionne ainsi des versions contradictoires dans son récit des dénonciations d’Aristogiton (Aristote, Constitution des Athéniens,, XVIII, 4-5). 66 Aristote, Rhétorique, I, 1, 1355 a 14 sq. Voir aussi Aristote, Métaphysiques, II, 993 a 30 – b 5. 67 Les œuvres d’Aristote se composent de deux sortes de traités : les traités exotériques produits pour être publiés et qui sont aujourd’hui tous perdus ; les traités ésotériques destinés à l’usage interne du Lycée. 68 M. Crubellier et P. Pellegrin, op. cit., pp. 29-35. 69 Voir ici P. Hadot, op. cit., pp. 139-141 et C. Darbo-Peschanski, op. cit., pp. 125-132. J. Ober, Political Dissent in Democratic Athens, Intellectual critics of Popular Rule, Princeton, 1998, pp. 353-358 considère ainsi qu’Aristote joue, dans la Constitution des Athéniens, le rôle d’arbitre et de modérateur entre les différentes interprétations partisanes de l’histoire athénienne. 70 Pour l’ensemble de ses qualités, voir Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 2-8. Sur l’importance nouvelle de la douceur et de l’indulgence dans l’éthique d’Aristote : J. de Romilly, La douceur dans la pensée grecque, Paris, 1979, pp. 194-195. « μέρη δὲ ἀρετῆς δικαιοσὐνη, ἀνδρεία, σωφροσύνη, μεγαλοπρέπεια, μεγαλοψυχία, ἐλευθεριότης, φρόνησις, σοφία. ἀνάγκη δὲ μεγίστας εἶναι ἀρετὰς τὰς τοῖς ἄλλοις χρησιμωτάτας, εἴπερ ἐστὶν ἡ ἀρετὴ δύναμις εὐεργετική »71. Pour aspirer au titre de bon dirigeant aristotélicien, il manque cependant encore à Pisistrate la prudence. Si la Constitution des Athéniens ne mentionne pas explicitement cette qualité, force est cependant de reconnaître que l’ensemble des vertus que le traité prête au tyran suggère qu’il appartient à la même espèce d’administrateurs que Périclès72. La formule « la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos » confirme d’ailleurs qu’il assure, comme les hommes politiques les plus prudents73, le bonheur des siens. Le portrait est flatteur, la sélection des informations orientée, l’intention délibérée. Porté par une légende dorée célébrant les vertus de sa tyrannie, Pisistrate s’offre à Aristote comme un exemple type de ses théories politiques. Loin de nos canons contemporains de l’analyse, il s’agit moins de brosser un portrait historiquement juste que d’élaborer une figure philosophiquement utile. Sa fonction est sans doute triple. Elle rappelle tout d’abord à des contemporains, bercés par les bruits élogieux sur le tyran athénien, que le bonheur d’une communauté civique repose d’abord sur des qualités humaines, telles que la douceur, l’humanité et la justice74, toutes nécessaires pour renforcer la philia entre ses membres75. Par sa capacité à agir en citoyen (politikôs) et non en tyran despotique, Pisistrate « ne gênait rien le peuple et veillait à sa tranquillité »76. Il montre alors l’exemple à suivre77 et ouvre ainsi, comme le rappelle la tradition orale étudiée, la voie aux Athéniens du VIe siècle vers l’idéal de la cité aristotélicienne, le bien vivre (to eu zèn)78. La figure de Pisistrate s’offre également aux élèves du Lycée comme une démonstration concrète des théories politiques aristotéliciennes. Si l’exemple de ses prises de pouvoir79 valide l’idée selon laquelle les changements de politeia s’effectuent tantôt par la ruse tantôt par la violence80, les traditions orales retenues au chapitre XVI de la Constitution des Athéniens illustrent, en consacrant le succès de la politique menée par Pisistrate, le bien-fondé des conseils suggérés aux tyrans dans le livre V de la Politique. Aristote remarque ainsi : 71 Aristote, Rhétorique, I, 9, 1366 b 1-5. Voir aussi Aristote, Éthique à Nicomaque, III-VI, VIII-IX. Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 5, 5. L’échec des Pisistratides confirme par ailleurs l’hypothèse d’Aristote, Éthique à Nicomaque, X, 9, 18 selon laquelle la prudence n’est pas une qualité transmissible aux descendants. Voir aussi P. Aubenque, La prudence chez Aristote, Paris, 1963, rééd. 2009. 73 Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 12, 1 et 6. 74 Pour Aristote, Éthique à Nicomaque, V, 1, 8 et 13. 75 Aristote, Éthique à Nicomaque, VIII, 1, 3-4 et J. de Romilly, op. cit., p. 190. 76 Respectivement : Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 2 ; Politique, VII, 2, 1324a37-38 ; Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 7. 77 Pour Aristote, Politique, VII, 13, 1332 a 31-33, une cité est vertueuse quand ses dirigeants le sont. Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 13, 2 pense que « l’homme véritablement apte à diriger la cité consacre, plus que quiconque, ses efforts à faire régner la vertu. Il désire en effet faire des hommes de bons citoyens, dociles aux lois ». 78 Pour Aristote, la fin de la politique est le bonheur de la communauté civique (to eu zèn) (Aristote, Politique, I, 2, 1252 b 27-30 ; III, 10, 1281 a 34-35) qui passe par l’existence vertueuse de ses membres (Aristote, Politique, III, 9, 1280 b 5-9 ; VII, 8, 1328 a 36-43). 79 Aristote, Constitution des Athéniens, XIV-XV. 80 Aristote, Politique, V, 4, 1304 b 7 -17 ; G. D. Contogiorgis, La théorie des révolutions chez Aristote, Paris, 1978, pp. 227-230. 72 « Un moyen de maintenir la tyrannie, c’est de rendre son autorité plus royale (…). Tout d’abord, il doit paraître se soucier des fonds publics, ne les gaspillant pas en cadeaux qui irritent les masses populaires, quand on arrache à leur travail et à leur peine, sordidement, un argent que l’on prodigue sans compter à des courtisanes, à des étrangers et à des artistes (…). Le tyran prendra un air, non pas sévère, mais majestueux, et, en outre, propre à inspirer à ceux qui le rencontrent, non pas la peur, mais plutôt le respect (…). Il ne doit donner prise, ni lui-même ni non plus personne de son entourage, au moindre soupçon d’outrage envers l’un de ses sujets, jeune homme ou jeune fille (…). Et comme les États se composent de deux groupes, les gens pauvres et les riches, ce qui importe avant tout pour les uns et les autres, c’est qu’ils comprennent que leur salut dépend du pouvoir (…). [Le tyran doit] montrer aussi que, dans toute sa vie, il recherche la mesure et non l’excès » « οὕτω τῆς τυραννίδος σωτηρία τὸ ποιεῖν αὐτὴν βασιλικωτέραν (…) πρῶτον μὲν δοκεῖν φροντίζειν τῶν κοινῶν, μήτε δαπανῶντα (εἰς) δωρεὰς τοιαύτας ἐφ’ αἶς τὰ πλήθη χαλεπαίνουσιν, ὅταν ἀπ’ αὐτῶν μὲν λαμβάνωσιν ἐργαζομένων καὶ πονούντων γλίσχρως, διδῶσι δ’ ἑταίραις καὶ ξένοις καὶ τεχνίταις ἀφθόνως (…) καὶ φαίνεσθαι μὴ χαλεπὸν ἀλλὰ σεμνόν, ἔτι δὲ τοιοῦτον ὥστε μὴ φοβεῖσθαι τοὺς ἐντυγχάνοντας ἀλλὰ μᾶλλον αἰδεῖσθαι (…) ἔτι δὲ μὴ μόνον αὐτὸν φαίνεσθαι μηδένα τῶν ἀρχομένων ὑβρίζοντα, μήτε νέον μήτε νέαν, ἀλλὰ μηδ’ ἄλλον μηδένα τῶν περὶ αὐτόν (…) ἐπεὶ δ’αἱ πόλεις ἐκ δύο συνεστήκασι μορίων, ἔκ τε τῶν ἀπόρων ἀνθρώπων καὶ τῶν εὐπόρων, μάλιστα μὲν ἀμφοτέρους ὑπολαμβάνειν δεῖ σώζεσθαι διὰ τὴν ἀρχήν (…) καὶ τὰς μετριότητας τοῦ βίου διώκειν, μὴ τὰς ὑπερβολάς »81. Longtemps considérés comme un machiavélisme avant la lettre, les conseils d’Aristote ont surtout comme objectif de tempérer les dérives tyranniques82 des dirigeants de son temps et ainsi de les empêcher de saper la communauté civique en ses fondements83. En jouant au roi84 vertueux, respectueux des lois et bienveillant à l’égard de son peuple, le tyran Pisistrate est là comme preuve de la possibilité de redresser la pire des constitutions déviées85. Pacificateur, il sait mener une politique à même de faire taire les différends entre le peuple et les notables et de réconcilier ainsi les deux groupes habituellement en lutte dans les cités : « Son pouvoir dura longtemps et, chaque fois qu’il était chassé, il le reprenait facilement. Car la plupart des nobles et des gens du peuple y consentaient : il attirait les uns par ses propos, les autres par ses secours pour leurs affaires privées, et il était par nature bien disposé envers les deux clans » « Διὸ καὶ πολὺν χρόνον ἔμεινεν (ἐν) τῆ ἀρχῆ, καὶ ὅτ’ ἐκπέσοι πάλιν ἀνελάμβανε ῥαδὶως. Ἐβούλοντο γὰρ καὶ τῶν γνωρίμων καὶ τῶν δημοτικῶν οἱ πολλοί. τοὺς μὲν γὰρ ταῖς ὁμιλίαις, τοὺς δὲ ταῖς εἰς τὰ ἴδια βοηθείαις προσήγετο, καὶ πρὸς ἀμφοτέρους ἐπεφύκει καλῶς »86. Aristote, Politique, V, 11, 1314 a 34 – 1315 b 3 (traduction J. Aubonnet). S. Vergnières, Éthique et politique chez Aristote, Physis, Ethos, nomos, Paris, 1995, pp. 244-245. 83 D’après Aristote, Politique, V, 11, 1314 a 15 - 29, le tyran cherche à réduire la cohésion sociale (philia) de sa cité et à détourner ses sujets de la sphère politique en avilissant leur âme et en leur retirant tout pouvoir d’agir. Voir ici G. D. Contogiorgis, op. cit., pp. 132-136 et A. Petit, « L’analyse aristotélicienne de la tyrannie », in P. Aubenque (dir.), Aristote politique. Étude sur la Politique d’Aristote, Paris, 1993, pp. 73-92, notamment pp. 84-85. 84 Sur la volonté de Pisistrate de mimer la royauté, voir éventuellement F. Larran, op. cit., pp. 227-234. 85 Aristote, Politique, IV, 2, 1289 a 37 - b 4 ; V, 10, 1310 b 1 - 7. Voir aussi A. Petit, op. cit., p. 73. 86 Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 9 (traduction M. Sève). 81 82 Stabilisateur, il se maintient longtemps au pouvoir87 et évite ainsi le retour d’une stasis qui déchirait Athènes avant l’établissement de sa tyrannie. Il honore, de cette façon, l’objectif proposé à tout législateur de garantir durablement le respect des lois88 et, gage de sa qualité89, la survie du régime politique90. Souple et modéré comme les meilleurs dirigeants91, Pisistrate assure le bonheur des Athéniens en respectant les bonnes lois de Solon92 comme la justice de l’Aréopage93 et tend ainsi, en entrelaçant autorité monarchique et législation démocratique94, à construire un régime politique mixte qui a les faveurs d’Aristote95. Les traditions sur Pisistrate mentionnées dans la Constitution des Athéniens pourraient bien également servir la vocation polémique des conceptions politiques aristotéliciennes96. Spectatrice d’un mouvement de recrudescence des régimes tyranniques97, de l’affirmation de la monarchie macédonienne comme, d’une façon plus générale, de l’individu d’exception, la littérature savante du IVe siècle cristallise son attention sur la figure du monarque idéal98 et se divise sur la nature de ses qualités. Platon, Xénophon, Isocrate, Aristote… chacun apporte sa contribution au débat et livre une œuvre qui, bien souvent, cherche à répondre à celle de ses prédécesseurs99. Indifférente à l’utilisation qu’en feront les philosophes et les historiens contemporains, la pensée aristotélicienne entend elle aussi participer, armée de son réalisme empirique100, à l’agôn intellectuel qui confronte les écoles de pensée athéniennes101. Structurée en 87 Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 9 ; XVII, 1 et Politiques, V, 12, 1315 b 11 - 39. Aristote, Politique, II, 9, 1269 a 14 - 29. 89 S. Vergnières, op. cit., pp. 236 et 244. 90 Aristote, Politique, VI, 5, 1319 b 33 - 41. 91 Alors qu’en matière éthique, l’éloge d’Aristote va à celui qui est prompt à adopter le juste milieu en évitant l’excès et le défaut (Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 1, 1), dans le domaine politique, il revient aux dirigeants modérés capables, tel Solon, de mener une politique du juste milieu (Aristote, Constitution des Athéniens, V, 1-3 ; VI, 2-4 ; XII, 2) ou susceptibles, tel Théramène, d’agir en citoyen modèle en soutenant toutes les formes de gouvernement qui respectent les lois (Aristote, Constitution des Athéniens, XXVIII, 5). 92 Aristote, Constitution des Athéniens, XI, 2. Aristote, Rhétorique, II, 23, 1398 b rappelle clairement que les Athéniens qui ont suivi les lois de Solon ont connu une existence heureuse. 93 Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 8. 94 Sur les continuités entre la démocratie solonienne et le régime de Pisistrate : J. Day et M. Chambers, op. cit., pp. 67-68 et 92. 95 En faveur auprès d’Aristote, le régime de Solon mêle ainsi savamment des caractéristiques démocratiques, oligarchiques et aristocratiques (Aristote, Politique, II, 1273 b 35 - 1274 a 17). La politie est quant à elle un heureux mélange d’institutions démocratiques et oligarchiques (Aristote, Politique, IV, 8-9, 1293 b 22 – 1294 b 41 ; P. Moraux, « Apories de la politique », in Entretiens sur l’Antiquité classique, XI, La « Politique » d’Aristote, Vandœuvres, Genève, 1964, pp. 125-158, notamment pp. 143-144) . 96 Sur le caractère polémique de la littérature politique athénienne du IVe siècle : P. Carlier, Le IVe siècle grec, jusqu’à la mort d’Alexandre, Paris, 1995, p. 255. 97 Cl. Mossé, op. cit., pp. 164-165. 98 Platon (La République, Le Politique), Xénophon (La Cyropédie, Agésilas) et Isocrate (À Nicoclès, Évagoras) se penchent ainsi sur la question de la supériorité du pouvoir monarchique. Sur l’affirmation possible d’un courant idéologique monarchiste au IVe siècle, voir P. Carlier, op. cit., pp. 254-255 et Cl. Mossé, Alexandre, la destinée d’un mythe, Paris, 2001, pp. 156-157, 164. 99 D’après Aullu-Gelle, Nuits attiques, XIV, 3 et Diogène Laërce, III, 34, Xénophon aurait ainsi composé la Cyropédie pour répondre au système de gouvernement proposé par Platon dans la République. 100 Sur le réalisme aristotélicien, son opposition à l’idéalisme platonicien et sur sa remise en cause actuelle : F. Châtelet, La naissance de l’histoire, II, Paris, 1974, pp. 180-183 ; G. D. Contogiorgis, op. cit., p. 160 ; P. Louis, op. cit., p. 53 ; M. Crubellier et P. Pellegrin, op. cit., pp. 152-153. 101 Sur l’opposition entre le Lycée d’Aristote à l’Académie de Platon : Diogène Laërce, V, 2 et M. Crubellier et P. Pellegrin, op. cit., pp. 20-22, 24, 46. Sur la rivalité entre Aristote et Isocrate : Isocrate, V, Lettre à Alexandre (G. Mathieu, Les idées politiques d’Isocrate, Paris, 1925, rééd. 1966, p. 185) ; Denys d’Halicarnasse, Isocrate, 18 ; Diogène Laërce, V, 11. 88 fonction des questionnements majeurs de son époque, la figure de Pisistrate permet au Stagirite de prolonger102 ou bien de répondre, point par point, aux analyses de ses devanciers. S’agit-il d’en découdre au sujet de la nature du régime tyrannique ? Contre le radicalisme des théories platoniciennes et la rigidité de son système de succession des politeiai, le bon gouvernement de Pisistrate célébré dans la Constitution des Athéniens est là pour rappeler que la tyrannie peut adopter des traits monarchiques 103 et qu’elle est susceptible de naître, non pas de la démocratie extrême104, mais d’un régime modéré105. Contre la lecture isocratique du passé athénien106, la complexité du régime tyrannique du VIe siècle ne constitue pas, aux yeux d’Aristote, une parenthèse dans l’histoire de la démocratie athénienne107 mais un régime établi dans la continuité de l’entreprise législative solonienne108. Faut-il s’affronter sur les qualités de l’homme tyrannique ? La tradition associant la tyrannie de Pisistrate au temps de Cronos invite à nuancer l’opposition établie au IVe siècle entre le bon roi et le mauvais tyran dominé par la satisfaction insatiable de ses intérêts personnels109. Chez Aristote, le tyran Pisistrate brille par les qualités prêtées au bon dirigeant par Platon110, Xénophon111 et Isocrate112. Prudent et sage, il tire profit d’un 102 Le portrait aristotélicien de Pisistrate emprunte ainsi des traits au topos de la figure tyrannique classique. Comme chez Platon (République, I, 344 a ; Lois, X, 908 d) et Xénophon (Mémorables, III, 9, 10), le tyran dépeint par Aristote accède au pouvoir par la ruse. Comme chez Platon (République, VIII, 566 d-e ; IX, 577 a-b), il s’y maintient par son jeu d’acteur (chez Xénophon, Cyropédie, VIII, 1, 40, Cyrus assure également qu’il est nécessaire de jouer la comédie devant le peuple). Comme Platon, République, VIII, 565 d, Aristote, Politique, V, 10, 1310 b 8-31 constate que le tyran agit en démagogue. Comme la plupart des théoriciens du IVe siècle influencés par le portrait du tyran du livre VIII de la République de Platon, Aristote reproche à la tyrannie, d’une façon générale, son caractère arbitraire et despotique (Aristote, Politique, III, 8, 1279 b 17-18 ; Cl. Mossé, op. cit., p. 169). 103 Inscrite dans le prolongement des conseils de modération donnés par Xénophon au tyran dans Hiéron, la position d’Aristote s’oppose ici, par sa souplesse et par son attention à la complexité historique, aux remarques de Platon, Lettres, VIII, 354 a-c, selon lesquelles le tyran doit nécessairement se convertir en roi pour aspirer au rang de bon dirigeant. 104 Platon, République, VIII, 562 a. 105 Aristote, Politique, V, 12, 1316 a 1 sq ; 1316 a 35 sq. 106 Isocrate, Aréopagitique, VII, 15-16 ; Panathénaïque, XII, 148. 107 Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 6 et 8. Sur la tradition représentant Pisistrate comme partisan de la démocratie, voir L. Calabro, « Pisistrato in positivo. Un excursus sulla tradizione aneddotica pisistratea », Seia, 1984, I, pp. 54-64. 108 Même si Aristote, Constitution des Athéniens, XIV, 1 et XLI, 2 voit dans le régime institué par Pisistrate la quatrième rupture (metabolè) de l’histoire athénienne, il rappelle qu’il se distingue par son respect du peuple et des lois de Solon (Aristote, Constitution des Athéniens, XVI ; J. Day et M. Chambers, op. cit., pp. 67-68, 92-93). 109 Platon, Politique, 276 e, 301 a-c ; Xénophon, Mémorables, IV, 6, 12 ; Aristote, Politique, III, 14, 1285 a 24-29, IV, 1295 a 17 sq, V, 10, 1311 a 2 sq , Rhétorique, I, 8, 1365 b 37 sq, Éthique à Nicomaque, VIII, 10, 2. Sur les notions basileus et tyrannos chez Platon, voir M. Piérart, « Les figures du roi et du tyran dans les Lois de Platon », Ktèma, 1991, 16, pp. 219-227 ; chez Isocrate : J.-P. Liou, « Isocrate et le vocabulaire du pouvoir personnel : roi, monarque et tyran », Ktèma, 1991, 16, pp. 211-217. 110 Pour Platon, République, IV, 427 c - 435 d, la cité parfaite compte quatre vertus cardinales : sagesse, courage, tempérance et justice. 111 Cyrus : Xénophon, Anabase, I, 9, 16 (justice), 22 (générosité) ; Jason de Phères : Xénophon, Helléniques, VI, 1, 16 (tempérance) ; Agésilas : Xénophon, Agésilas, III, (humanité et loyauté), IV (désintéressement), V (tempérance, justice), VI (courage), VII (respect des lois). 112 Démonicos : Isocrate, À Démonicos, I, 15, 20, 21 (modération, maîtrise de soi, douceur, justice) ; Évagoras : Isocrate, Évagoras, IX, 23 (courage), 43 (humanité), 44-45 (modération, maîtrise de soi, bienfaisance), 49 (douceur), 65 (prudence) ; Nicoclès : Isocrate, À Nicoclès, II, 16, 20, 23 (justice), 26, 2932 (tempérance, maîtrise de soi, justice) ; 15-16, 23-24 (douceur). habile mélange des diverses sortes de régimes politiques113 et obtient l’obéissance librement consentie114 d’un peuple ignorant les dangers de l’oisiveté. Aristote rappelle à ce sujet : « Pisistrate avançait de l’argent aux indigents pour leurs activités, en sorte qu’ils tirent leur subsistance de l’agriculture. Il faisait cela pour deux raisons : afin qu’ils ne passent pas leur temps en ville, mais soient dispersés dans la campagne, et afin qu’ils aient une aisance suffisante et vaquent à leurs affaires sans désirer s’occuper des affaires publiques ni en avoir le loisir » « καὶ δὴ καὶ τοῖς ἀπόροις προεδάνειζε χρήματα πρὸς τὰς ἐργασίας, ὥστε διατρέφεσθαι γεωργοῦντας. Τοῦτο δ’ἐποίει δυοῖν χάριν, ἵνα μήτε ἐν τῶ ἄστει διατρίβωσιν ἀλλὰ διεσπαρμένοι κατὰ τὴν χώραν, καὶ ὅπως εὐποροῦντες τῶν μετρίων καὶ πρὸς τοῖς ἰδίοις ὂντες μήτ’ ἐπιθυμῶσι μήτε σχολάζωσιν ἐπιμελεῖσθαι τῶν κοινῶν »115. En refusant l’oisiveté à ses sujets, Pisistrate agit finalement comme Cyrus116 ou comme le bon tyran chez Isocrate117 et permet à la cité athénienne de connaître une tranquillité civique118 célébrée par des traditions populaires. Dans une perspective comparable, Aristote prend clairement parti dans le débat sur l’origine des vertus politiques du dirigeant idéal. Encore une fois, il s’agit de battre en brèche la pensée platonicienne et de s’écarter des conceptions politiques de Xénophon et d’Isocrate. Que faut-il au dirigeant ? Une solide éducation philosophique ? De savants conseils ? Contre le roi philosophe platonicien119, à la différence des dirigeants brillamment guidés chez Xénophon et Isocrate120, le Pisistrate d’Aristote montre que l’expérience et la prudence sont deux vertus politiques suffisantes pour mener une cité mais difficiles à transmettre durablement aux descendants du chef121. Est-il enfin nécessaire de poursuivre le débat classique sur le bonheur politique122 ? Le réalisme pragmatique d’Aristote prend une fois de plus le contrepied des conceptions idéalistes. Les conceptions platoniciennes et aristotéliciennes de l’âge de Cronos s’opposent ainsi nettement. Dans Les Lois, Platon explique notamment : Pisistrate agit ainsi de la même façon qu’Évagoras (Isocrate, Évagoras, IX, 46). L’obéissance consentie est généralement tenue comme la marque des bons dirigeants (Xénophon, Économique, IV, 19 ; Cyropédie, I, 1, 3 ; I, 6, 21, III, 1, 28…). 115 Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 2-3 (traduction M. Sève) et aussi Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 5. Sur les prêts accordés par Pisistrate aux petits paysans pour résoudre la crise agraire athénienne, voir notamment L.-M. L’Homme-Wéry, « La législation de Solon : une solution à la crise agraire d’Athènes ? », Pallas, 2004, 64, pp. 144-155. 116 Xénophon, Cyropédie, I, 6, 17-18. 117 Isocrate, Lettre à Timothée, VII, 3. 118 Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 7 ; Isocrate, Aréopagitique, VII, 51-52. Sur l’interprétation de l’idéal de la tranquillité civique au IV e siècle : P. Demont, La cite grecque archaïque et classique et l’idéal de la tranquillité, Paris, 1990, pp. 47-51. 119 Platon, Lettres, VII, 326 a-b ; République, V, 463 a sq, 473 d ; Politique, 293 d-e, 297a-b ; Lois , III, 688 e, 690 b-c. 120 Pour Xénophon, Mémorables, III, 9 et IV, 2, l’art du commandement s’acquiert par l’expérience et par le conseil. Chez Isocrate, le bon souverain doit tirer son savoir politique de l’expérience, des conseils comme des spéculations théoriques (Isocrate, À Nicoclès, 4, 10-13, 35). 121 Si Hippias semble avoir hérité des vertus de son père, on notera que la tyrannie se durcit après l’assassinat d’Hipparque et précipite ainsi sa fin (Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 7 ; XVIIIXIX). Sur la question de la transmission héréditaire du pouvoir politique chez Aristote : Aristote, Politique, III, 15, 1286 b 22-27 ; V, 10, 1312 b 18-33. 122 Pour une idée partielle des principaux enjeux de ce débat : Xénophon, Cyropédie, VIII, 1, 1 et 44 ; Agésilas, VII ; Hiéron, XI ; Platon, République, Lois, Lettres, VII, 327 d ; Isocrate, Nicoclès, III, 31-32 ; Évagoras, IX, 43 et 49 ; Aristote, Rhétorique, II, 23, 1298 b. Voir aussi F. Châtelet, op. cit., p. 161. 113 114 « Les cités ont été précédées, et de fort loin, par le règne et le peuplement si prospère que la légende place au temps de Cronos et dont il y a un reflet dans les meilleures de nos organisations actuelles (…). Cronos savait qu’aucun homme ne peut, de par sa nature, régler en maître absolu toutes les affaires humaines sans se gonfler de démesure et d’injustice ; et dans cette pensée il imagina de préposer alors à nos cités, pour rois et chefs, non pas des hommes mais des êtres d’une race supérieure et plus divine, des démons (…). Et eux prirent soin de nous, et par la paix, le sens de l’honneur, la bonne législation et l’abondance de justice qu’ils nous procuraient, préservèrent des révolutions et établirent dans le bonheur l’espèce humaine. Or ce discours prétend, maintenant encore, et en cela il dit vrai, que dans les cités où règne non un dieu mais un mortel, les citoyens ne peuvent se soustraire aux maux et aux peines ; nous devons au contraire, pense-t-il, imiter par tous les moyens la vie légendaire du temps de Cronos et obéir à tout ce qu’il y a en nous de principes immortels pour y conformer notre vie publique et privée, administrer d’après eux nos maisons et nos cités, donnant à cette dispensation de la raison le nom de loi » « Τῶν γὰρ δὴ πόλεων ὧν ἔμπροσθε τάς συνοικήσεις διήλθομεν, ἔτι προτέρα τούτων πάμπολυ λέγεταί τις ἀρχή τε καὶ οἴκησις γεγονέναι ἐπι Κρόνου μάλ’ εὐδαίμων, ἧς μίμημα ἔχουσά ἐστιν ἥτις τῶν νῦν ἄριστα οἰκεῖται (…). Γιγνώσκων ὁ Κρόνος ἄρα, καθάπερ ἡμεῖς διεληλύθαμεν, ὡς ἀνθρωπεία φύσις οὐδεμία ἱκανὴ τὰ ἀνθρώπινα διοικοῦσα αὐτοκράτωρ πάντα, μὴ οὐχ ὕβρεώς τε καὶ ἀδικίας μεστοῦσθαι, ταῦτ’οὖν διανοούμενος ἐφίστη τότε βασιλέας τε καὶ ἄρχοντας ταῖς πόλεσιν ἡμῶν, οὐκ ἀνθρώπους ἀλλὰ γένους θειοτέρου τε καὶ ἀμείνονος, δαίμονας (…) ἐπιμελούμενον ἡμῶν, εἰρήνην τε καὶ αἰδῶ καὶ εὐνομίαν καὶ ἀφθονίαν δίκης παρεχόμενον, ἀστασίαστα καὶ εὐδαίμονα τὰ τῶν ἀνθρώπων ἀπηργάζετο γένη. Λέγει δὴ καὶ νῦν οὗτος ὁ λόγος, ἀληθείᾳ χρώμενος, ὡς ὅσων ἂν πόλεων μὴ θεὸς ἀλλὰ τις ἄρχῃ θνητός, οὐκ ἔστιν κακῶν αὐτοῖς οὐδε πόνων ἀνάφυξις. ἀλλὰ μιμεῖσθαι δεῖν ἡμᾶς οἴεται πάσῃ μηχανῆ τὸν ἐπι τοῦ Κρόνου λεγόμενον βίον, καὶ ὅσον ἐν ἡμῖν ἀθανασίας ἔνεστι, τούτῳ πειθομένους δημοσίᾳ καὶ ἰδίᾳ τάς τ’ οἰκήσεις καὶ τάς πόλεις διοικεῖν, τὴν τοῦ νοῦ διανομὴν ἐπονομάζοντας νόμον » 123. Contre l’idée platonicienne selon laquelle les communautés humaines ayant vécu à l’âge de Cronos appartiennent à un inaccessible passé idéal dirigé par des puissances divines (daimones), Aristote préfère suivre la voie isocratique de l’éloge d’un épisode historique athénien, celui de la patrios politeia124, associer l’âge d’or à la tyrannie de Pisistrate et rappeler ainsi qu’une communauté politique heureuse appartient au domaine du possible125 et du praticable126. Le bruit « la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos » sert manifestement les prises de position d’Aristote dans le débat intellectuel du IV e siècle sur la figure à donner au dirigeant idéal. Prompt à contrarier ses prédécesseurs, probablement Platon, Lois, IV, 713 b - 714 a. Voir encore Platon, Politique, 271 d - 272 c, 275 b - c. À la différence du Critias, 109 b-e, Platon renonce ici à présenter comme contemporains l’ordre non politique de Cronos et l’ordre politique du gouvernement de Zeus. 124 Pour Isocrate, Aréopagitique, VII, 15-16, 58-59, l’idéal est le retour à la constitution des ancêtres. 125 F. Châtelet, op. cit., p. 167 ; R. Weil, op. cit., pp. 180-182. 126 Aristote, Politique, VII, 2, 1325 a 7 - 10 fixe ainsi les devoirs du législateur : « Et l’office du sage législateur est de considérer, pour un Etat, une famille de peuples ou toute autre communauté comment sera réalisée leur participation à une vie bonne, et au bonheur qu’il est leur possible d’atteindre ». Voir encore Aristote, Politique, VI, I, 3, 1288 b 37. 123 sensible à l’idée de conseiller127 le dirigeant politique128, Aristote assigne un objectif clair à l’enquête sur les 158 politeiai grecques à la fin de l’Éthique à Nicomaque : « Tout d’abord, efforçons-nous de compléter tout ce qu’ont dit d’une manière satisfaisante, quoique fragmentaire, nos devanciers ; ensuite nous rassemblerons les différentes constitutions ; puis nous envisagerons les conditions favorables ou défavorables aux États en général et aux formes particulières de gouvernement, ainsi que les raisons qui font, ou non, la bonne administration des États. Ces considérations nous permettront de mieux discerner le meilleur gouvernement, les institutions, les lois et les mœurs qui lui assurent cette supériorité » « Πρῶτον μὲν οὖν εἴ τι κατὰ μέρος εἴρηται καλῶς ὑπὸ τῶν προγενεστέρων πειραθῶμεν ἐπελθεῖν, εἶτα ἐκ τῶν συνηγμένων πολιτειῶν θεωρῆσαι τὰ ποῖα σῴζει καὶ φθείρει τὰς πόλεις καὶ τὰ ποῖα ἑκάστας τῶν πολιτειῶν, καὶ διὰ τίνας αἰτίας αἳ μὲν καλῶς αἳ δὲ τοὐναντίον πολιτεύονται. Θεωρηθέντων γὰρ τούτων τάχ' ἂν μᾶλλον συνίδοιμεν καὶ ποία πολιτεία ἀρίστη, καὶ πῶς ἑκάστη ταχθεῖσα, καὶ τίσι νόμοις καὶ ἔθεσι χρωμένη »129. C’est ainsi par la mise en parallèle d’exemples historiques130, de régimes politiques et de dirigeants131 qu’Aristote peut envisager de sortir l’histoire du contingent132 et du particulier133 pour la faire accéder au général134 et à l’utilité philosophique. La démarche semble nécessaire, car elle conditionne l’appréhension des phénomènes politiques et permet de tirer des enseignements à même d’éclairer la délibération du législateur135 et d’orienter le travail de l’homme d’État136. 127 Les conseils donnés par Aristote au livre V des Politique en vue de modérer la politique des tyrans de son temps s’inscrivent ainsi dans le prolongement de ceux prodigués par Platon à Denys l’Ancien (Platon, Lettre, VIII, 354 a) ou bien encore par Xénophon, Hiéron, IX-XI et par Isocrate, Hélène, 32 sq. 128 Déjà lors de son séjour à Atarnée, il cherche sans doute à influencer le tyran Hermias qu’il croit acquis aux idées de la philosophie : Diogène Läerce, V, 3, 9, 10 ; W. Jaeger, op. cit., pp. 112-117 ;P. Louis, op. cit., pp. 50-53. Avec Diogène Laërce, V, 4 et P. Louis, op. cit., p. 80, on retiendra que des éléments légendaires assurent qu’Aristote a donné des lois à la cité de Stagire une fois refondée. 129 Aristote, Éthique à Nicomaque, X, 9, 23 (traduction J. Voilquin). 130 Sur le rôle de l’exemple historique dans l’élaboration des théories politiques d’Aristote, voir notamment F. Gregorio, op. cit., pp. 79-80. 131 Les comparaisons historiques menées dans la Politique permettent notamment d’approfondir la connaissance des dirigeants tyranniques : Aristote, Politique, V, 10, 1310 b 8 - 31. 132 Sur l’histoire comme règne de la contingence chez Aristote : Aristote, Poétique, XXIII, 1459 a 17 sq ; F. Châtelet, op. cit., pp. 194-195, 205 ; S. Vergnières, op. cit., pp. 229-230. 133 En réaction probable aux histoires banales et annalistiques de l’Atthis, Aristote, Poétique, IX, 1451 a 36 - b 1 rappelle que la poésie a un caractère plus philosophique et plus intéressant que l’histoire, car la première traite du général, la seconde du particulier. Sur la célèbre opposition entre histoire et poésie chez Aristote, voir par exemple F. Gregorio, op. cit., p. 72 ; F. Hartog, op. cit., p. 41. 134 R. Weil, op. cit., pp. 162-163 ; S. Vergnières, op. cit., p. 230 ; C. Darbo-Peschanski, op. cit., pp. 130132. 135 Aristote, Rhétorique, I, 8, 1365 b : « Ce qu’il y a de plus important et de plus efficace pour pouvoir persuader et bien conseiller est de connaître toutes les constitutions, d’en distinguer les habitudes, les institutions, les intérêts ». Voir encore Aristote, Rhétorique, I, 4, 1360 a 20 – 23, 30 - 36 ; Politiques, II, 1, 1260 b 27 - 35 ; IV, 1, 1288 b 22 - 33 et 1289 a 11 - 23. 136 Une connaissance approfondie des différentes constitutions est ainsi indispensable au dirigeant politique pour connaître la constitution la mieux adaptée au réel et de déterminer la marche à suivre pour redresser une constitution déviée (Aristote, Politique, IV, 1, 1288 b 21 - 1289 a 10 ; IV, 14, 1297 b 37-38). III : Pisistrate au temps de Cronos, une invitation à l’action politique ? Après Socrate et Alcibiade, Platon et Denys l’Ancien, Isocrate et Philippe de Macédoine, faut-il associer Aristote à Alexandre le Grand dans la prestigieuse liste des philosophes éducateurs des hommes politiques et voir alors dans le portrait de Pisistrate un miroir princier et dans les traditions célébrant les vertus de son gouvernement des invitations à l’action politique ? La tentation de considérer le plus docte des philosophes comme l’inspirateur du plus grand137 des conquérants est forte138, mais sans doute dangereuse car elle porte en elle le risque de la réécriture magnifiée. Contre le désir de placer les grands hommes aux commandes d’une glorieuse histoire ancienne, un examen détaillé des sources s’avère nécessaire pour séparer le bon grain historique de l’ivraie anachronique. L’hypothèse selon laquelle Alexandre le Grand peut être considéré comme le destinataire du portrait de Pisistrate en général, et du bruit associant sa tyrannie à l’âge de Cronos en particulier, s’appuie sur deux arguments. Le premier relève de la conception aristotélicienne de l’histoire. Comme Isocrate139, le Stagirite considère le passé comme une source d’exemples utiles pour guider le présent140. L’histoire autorise notamment la mise en parallèle de dirigeants141, confrontés, tels Philippe de Macédoine et les Pisistratides142, à des problèmes politiques de même nature. De sa capacité à se reproduire d’un siècle à l’autre comme d’un monde à l’autre, le passé athénien offre à Alexandre la possibilité de guider son action. À lui dès lors d’écouter les traditions célébrant la geste pisistratique et de voir dans le tyran athénien l’étalon modérateur de sa conduite volontiers intempérante. Fondée en théorie, l’hypothèse est encore affermie par les faits. Aristote a bien été le maître d’Alexandre. Lié à la cour macédonienne par son père Nicomaque qui fut le médecin du roi Amyntas, le Stagirite assura, encouragé par Philippe, la formation littéraire, scientifique comme politique du jeune Alexandre143. Ces quelques années d’enseignement furent-elles cependant assez longues pour assurer une influence durable de la philosophie aristotélicienne sur le Conquérant ? Elles n’y auraient sans doute pas suffi sans le concours d’intermédiaires qui ont maintenu Alexandre, tout au long de son règne, en contact avec la pensée d’Aristote. Les sources mentionnent trois noms. D’abord Nicanor, parent du Stagirite et courtisan suffisamment influent pour être placé à la tête de l’ambassade envoyée en 324 à Olympie afin d’annoncer aux Grecs l’exigence d’Alexandre de recevoir des honneurs divins144. Ensuite Antipater, proche d’Aristote et Tel est en tout cas l’avis de Plutarque (notamment Vie d’Alexandre, 7, 2). Sur l’ambition prêtée à Aristote de faire d’Alexandre un philosophe roi : P. Louis, op. cit., p. 64. 139 Isocrate, Aréopagitique, VII, 78-79 ; N. Loraux, L’invention d’Athènes. Histoire de l’oraison funèbre dans « la cité classique », Paris, 1981, p. 120 ; F. Hartog, L’histoire, d’Homère à Augustin, Paris, 1999, pp. 103-104. 140 Aristote, Rhétorique, I, 9, 1368a et II, 20, 1394 a. Au IVe siècle, la représentation du passé comme source d’exemple pour guider le présent est largement partagée : Démosthène, Sur la couronne, XVIII, 95 et 210 ; Lycurgue, Contre Léocrate, 100 ; F. Hartog, op. cit., pp. 40, 51, 81-83. 141 Aristote, Politique, V, 11, 1313 b 21-25 compare ainsi la politique tyrannique des pharaons et celle des Pisistratides, car elles consistent toutes deux à appauvrir, par le biais de constructions monumentales, leurs sujets. 142 Aristote, Politique, V, 10, 1311 a 28 - b 6 rappelle ainsi que l’outrage déclenche la révolte de Pausanias contre Philippe comme celle d’Harmodios et d’Aristogiton contre les Pisistratides. 143 Voir ici Diogène Laërce, V, 1 et 4 ; Plutarque, Vie d’Alexandre, 7, 1-5 ; P. Louis, op. cit., pp. 61, 6567. Selon A. Dascalakis, « La jeunesse d’Alexandre et l’enseignement d’Aristote », Studii Clasice, VII, 1965, pp. 169-180 (notamment p. 175) et P. Louis, op. cit., p. 68, le traité d’Aristote Sur la royauté (dont il ne reste presque rien) aurait été destiné à l’éducation du prince Alexandre. 144 W. Jaeger, op. cit., p. 331. 137 138 représentant tout puissant d’Alexandre en Grèce et en Macédoine145. Enfin Callisthène, neveu et disciple d’Aristote, historien officiel d’Alexandre chargé de coucher par écrit sa geste glorieuse et de préparer ainsi les Grecs à voir en lui un héros surhumain146. Confortée par l’accumulation d’indices, l’envie est toujours plus forte de voir en Aristote le maître à penser d’Alexandre et de considérer le portrait aristotélicien de Pisistrate comme un miroir princier. Ami des lettres, de la philosophie et des sciences naturelles147, Alexandre aurait même affirmé, selon Plutarque, qu’ : « il n’aimait [Aristote] pas moins que son père, parce que, si l’un lui avait donné la vie, l’autre lui avait appris à bien vivre » « καὶ ἀγαπῶν οὐχ ἧττον, ὡς αὐτὸς ἔλεγε, τοῦ πατρός, ὡς δι´ ἐκεῖνον μὲν ζῶν, διὰ τοῦτον δὲ καλῶς ζῶν» 148. Qui croit-on cependant entendre ici ? Alexandre, admirateur d’Aristote ? Plutarque, maître ouvrier de la légende dorée du Conquérant ? La seconde solution risque, décevante, de s’imposer. Projection anachronique incapable de plonger ses racines dans les strates les plus anciennes de la tradition, l’amitié entre Aristote et Alexandre n’a ni la grandeur ni la force que le moraliste souhaite lui prêter. Si Aristote a bien été le maître d’Alexandre, il est nécessaire de rappeler qu’il fut sans doute un second choix pour Philippe et qu’il n’est pas encore à cette époque le grand fondateur du Lycée149. Si Aristote est resté en contact avec Alexandre, force est de constater que leurs relations se sont distendues 150. Contre les intentions présumées d’Aristote de le convertir en dirigeant modéré et respectueux des lois151, les tentations absolutistes d’Alexandre, sa divinisation et son projet de fusion entre les gréco-macédoniens et les peuples sous domination perse prouvent que le Conquérant s’est comporté en disciple plutôt rétif. La mise à distance critique de la tradition légendaire d’Alexandre interdit-elle pour autant de considérer le portrait aristotélicien de Pisistrate comme un miroir princier et la tradition célébrant son bon gouvernement comme une invitation stimulante à la modération politique ? Si Alexandre n’a probablement pas consulté la Constitution des Athéniens qui est avant tout un outil de travail du Lycée, il n’est pas complètement exclu 145 W. Jaeger, op. cit., p. 122 et P. Louis, op. cit., pp. 95-96. Voir notamment P. Goukowsky, Essai sur les origines du mythe d’Alexandre (336-270 avant JC), I, Les origines politiques, Nancy, 1978, pp. 22-23 et 25, P. Pédech, Historiens, Compagnons d’Alexandre, Callisthène, Onésicrite, Néarque, Ptolémée, Aristobule, Paris, 1984, pp. 15-16 et Cl. Mossé, Alexandre, la destinée d’un mythe, Paris, 2001, p. 78. 147 Plutarque, Vie d’Alexandre, 7-8, 10-11. 148 Plutarque, Vie d’Alexandre, 8, 4. Voir aussi Plutarque, Sur la fortune d’Alexandre, I, 4 (Moralia, 327 F). 149 M. Crubellier et P. Pellegrin, op. cit., p. 15. 150 P. Louis, op. cit., p. 69. Les échanges épistolaires qu’on a pu leur prêter sont probablement apocryphes (pour le débat historiographique sur l’authenticité de la correspondance entre Aristote et Alexandre, voir notamment P. Carlier, « Étude sur la prétendue lettre d’Aristote à Alexandre », Ktèma, 5, 1980, pp. 277-288 et R. Weil, « Sur la Lettre d’Aristote à Alexandre », Aristoteles Werk und Wirkung. Mélanges P. Moraux, I, Berlin, 1985, pp. 485-498). 151 Pour P. Goukowsky, op. cit., pp. 51-56, la Lettre d’Aristote à Alexandre sur la politique envers les cités traduite par J. Bielawski et M. Plezia, Varsovie, 1970 doit être considérée comme un authentique programme de gouvernement assorti de conseils relatifs à l’art de bien gouverner et d’une mise en garde contre l’influence nocive de certains flatteurs (Anaxarque). Alexandre doit ainsi préférer la gloire du législateur à celle du soldat (Préambule, 1, 1-4) et s’astreindre à respecter la justice pour éviter de se comporter en un tyran détesté (7, 5 et 9-10 ; 12, 1-9). 146 que Callisthène, neveu d’Aristote et historien officiel du Conquérant152, s’en soit inspiré pour vanter, à la cour macédonienne, les vertus de modération du tyran athénien. Tout au long de l’expédition asiatique, Callisthène choisit de lutter pied-à-pied contre les justifications de l’absolutisme royal avancées par son rival Anaxarque153 : le meurtre de Cleitos n’est pas exploité politiquement154, la proskynèse refusée155 et le tyrannicide évoqué devant des Pages révoltés156. Est-il possible qu’en cette occasion, Callisthène ait fait l’éloge des tyrannicides Harmodios et Aristogiton pour mieux légitimer la contestation des dérives tyranniques d’Alexandre157 ? Une certitude demeure : Callisthène paiera de sa vie la conception aristotélicienne du bon dirigeant. Quelle que soit sa pertinence, l’hypothèse suivant laquelle Callisthène aurait utilisé la figure de Pisistrate présente dans la Constitution des Athéniens pour orienter l’action d’Alexandre manque de preuve concrète. La prudence impose plutôt d’opter pour l’évidence en considérant les membres du Lycée comme ses principaux destinataires. Prise dans un débat politique158 qui divise la cité entre les partisans d’une indépendance acquise dans la douleur contre la Macédoine et ceux favorables à l’acceptation d’une tutelle tyrannique étrangère synonyme de servitude heureuse159, cette élite intellectuelle est sans doute plus à même qu’Alexandre d’entendre l’éloge aristotélicien d’un tyran qui aurait permis aux Athéniens de vivre comme au temps de Cronos. Dans l’Athènes placée sous tutelle macédonienne, il est fréquent d’établir un parallèle entre la tyrannie de Pisistrate et la monarchie de Philippe et d’Alexandre le Grand. Habitués au Lycée à utiliser des exemples historiques comme clefs de lecture du présent, les disciples athéniens d’Aristote sont encore incités à se plonger dans l’histoire athénienne par Lycurgue, dont l’œuvre de régénération morale de la cité 160 passe par la redécouverte de son grandiose passé161. Les membres de l’école aristotélicienne sont régulièrement invités par les orateurs athéniens à voir dans les monarques macédoniens de terribles tyrans. Démosthène présente ainsi Philippe comme un tyran absolu qui, esclave de ses vices et gonflé d’hybris162, ignore la paix, la liberté et la justice163. Critiqué 152 Voir ici P. Pédech, Historiens, Compagnons d’Alexandre, Callisthène, Onésicrite, Néarque, Ptolémée, Aristobule, Paris, 1984, pp. 15-16. 153 Sur la rivalité entre Callisthène et Anaxarque : Plutarque, Vie d’Alexandre, 52, 8-9, Arrien, Anabase, IV, 10, 1 et P. Goukowsky, op. cit., p. 267. 154 Sur le meurtre de Cleitos et la différence de son exploitation politique par le modéré Callisthène et le partisan de l’absolutisme Anaxarque : Plutarque, Vie d’Alexandre, 50-52 ; P. Goukowsky, op. cit, p. 46. 155 Sur la rivalité de Callisthène et d’Anaxarque au sujet de la proskynèse et de son utilisation politique par Alexandre : Arrien, Anabase, IV, 10, 5 – 12, 6 et P. Goukowsky, op. cit., pp. 47-49. 156 Callisthène tenait des conférences devant de hauts dignitaires comme de jeunes pages, attirés par le franc-parler de l’historien comme par son refus des dérives tyranniques d’Alexandre. Certains d’entre eux auraient même tenté de l’assassiner. Callisthène, impliqué dans l’affaire, est alors exécuté (Plutarque, Vie d’Alexandre, 55, 2-9 ; Arrien, Anabase, IV, 13-14 et P. Goukowsky, op. cit., pp. 49 et 55). 157 Arrien, Anabase, IV, 10, 3-4 et P. Pédech, op. cit., pp. 16-17. Sur l’évocation du tyrannicide par Callisthène chez Plutarque, voir Vie d’Alexandre, 55, 2-4. 158 Sur la situation politique athénienne au temps d’Alexandre, voir Cl. Mossé, « La tyrannie chez Aristote », in L. Varcl et R. F. Willetts, Geras, Studies presented to G. Thomson on the occasion of his 60th birthday, Prague, 1963, pp. 163-169, notamment p. 164. 159 Démosthène, Sur la couronne, XVIII, 203-206. 160 Sur la politique de Lycurgue visant à redonner force, grandeur et indépendance à la cité athénienne après Chéronée, voir notamment Ch. Habicht, Athènes hellénistique, histoire de la cité d’Alexandre le Grand à Marc Antoine, Paris, 2000, pp. 26-27, 41-43, 47-48. Aristote montre un intérêt manifeste pour la politique de renouveau athénien menée par Lycurgue, comme le suggère la minutieuse description de l’éphébie livrée au chapitre XLII de Constitution des Athéniens, XLII (Ch. Habicht, op. cit., p. 43). 161 Lycurgue, Contre Léocrate, 98. 162 Voir ici respectivement : Démosthène, Première Olynthienne, I, 3-4 ; Deuxième Olynthienne, II, 1719 ; Première Philippique, IV, 3, 37, Sur l’Halonnèse, VII, 44, Troisième Philippique, IX, 32. pour sa violence liberticide, considéré comme « le tyran de la Grèce »164, Alexandre est encore associé aux Pisistratides165 par le Pseudo-Démosthène dans le discours Sur le traité avec Alexandre : « Si l’on vous demandait, Athéniens, quel pourrait être l’objet de votre plus ardente indignation, ce serait, répondriez-vous tous, le retour des Pisistratides, s’il en existe encore ; ce serait la contrainte, la violence de leur rétablissement. Oui, vous courriez aux armes, vous braveriez tous les périls plutôt que de les recevoir et de vous courber sous leur joug (…). Alexandre, qui au mépris des serments et de la pacification générale, a rétabli les tyrans de Messène, les fils de Philiade, a-t-il respecté la justice ? N’a-t-il pas suivi son instinct de despote, dédaignant et votre courroux et les stipulations communes ? » « Εἰ δή τις ἐρωτήσειεν, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, ἐπὶ τίνι ἂν μάλιστ' ἀγανακτήσαιτ' εἴ τις ἀναγκάζοι, οἶμαι ἄν, εἰ ἦσαν κατὰ τὸν νυνὶ χρόνον οἱ Πεισιστρατίδαι καί τις ἐβιάζετο κατάγειν αὐτοὺς δευρί, ἁρπάσαντας ἂν ὑμᾶς τὰ ὅπλα πάντα κίνδυνον ὑπομεῖναι ἀντὶ τοῦ παραδέξασθαι (…) Παρὰ τοὺς ὅρκους τοίνυν καὶ τὰς συνθήκας τὰς ἐν τῇ κοινῇ εἰρήνῃ γεγραμμένας Ἀλέξανδρος εἰς Μεσσήνην καταγαγὼν τοὺς Φιλιάδου παῖδας, ὄντας τυράννους, ἆρ' ἐφρόντισε τοῦ δικαίου, ἀλλ' οὐκ ἐχρήσατο τῷ αὑτοῦ ἤθει τῷ τυραννικῷ, βραχὺ φροντίσας ὑμῶν καὶ τῆς κοινῆς ὁμολογίας ; »166. En dépit des efforts des partisans d’une négociation avec la Macédoine, la cité athénienne, pourtant défaite à Chéronée, se laisse régulièrement emportée par des accès d’ardeur patriotique167. À chaque fois, il s’agit de secouer le joug de la tyrannie macédonienne : en 335, Athènes envisage de soutenir la révolte thébaine contre la Macédoine ; en 331, il faut encore irriter Olympias, la mère d’Alexandre, en parant à grands frais la statue de Dionè à Dodone ; en 331, on entend soutenir la révolte du roi spartiate Agis ; en 330, le procès de la Couronne sert de caisse de résonance à un patriotisme fervent168… Soutenu et financé par la Macédoine169, proche d’Antipater170, hôte d’une cité qui doit se résigner à supporter l’autorité d’Alexandre, Aristote cherche peut-être lui aussi à utiliser la légende dorée de Pisistrate pour atténuer les tensions politiques et convaincre les Athéniens des bénéfices à tirer de la mise sous tutelle macédonienne171. Clef de lecture partisane du présent, le portrait élogieux de Pisistrate pourrait s’offrir comme un miroir où les Athéniens sont susceptibles de retrouver le fils de Philippe de Macédoine : Alexandre n’est-il pas, comme Pisistrate, un tyran qui joue au roi et qui accepte de 163 Respectivement : Démosthène, Seconde philippique, VI, 21, 24, 25 et Sur la couronne, XVIII, 65-66, 72 ; Seconde Philippique, VI, 7. 164 Pseudo-Démosthène, Sur le traité avec Alexandre, XVII, 4, 5, 6, 10, 12, 25, 29. 165 D’une façon générale, le topos du mauvais tyran est régulièrement incarné, dans la seconde moitié du IVe siècle, par les Pisistratides. Tel est le cas chez les Athéniens comme chez les Macédoniens (Démosthène, Lettre de Philippe, XII, 6-7). 166 Pseudo-Démosthène, Sur le traité avec Alexandre, XVII, 3-4. 167 Ch. Habicht, op. cit., pp. 45-48. 168 Pour une analyse de ces épisodes, voir respectivement Ch. Habicht, op. cit., pp. 34, 39, 40, 46. 169 Athénée de Naucratis, IX, 398 e, Élien, Histoire variée, IV, 19, Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VIII, 16, 44 et J. P. Lynch, op. cit. p. 83 et P. Louis, op. cit., p. 89. 170 Diogène Laërce, V, 11 et W. Jaeger, op. cit., p. 323. 171 W. Jaeger, op. cit., p. 323. Les Athéniens considéraient Aristote comme un homme lié de la Macédoine, comme le suggèrent les railleries dont il est victime (par exemple Plutarque, De l’exil, 10, 604 d) et la violente réaction anti-macédonienne qui le frappe à la mort d’Alexandre le Grand (Diogène Laërce, V, 5-6 ; Élien, Histoire variée, III, 36 ; W. Jaeger, op. cit., p. 30 ; P. Louis, op. cit., p. 100 ; M. Crubellier et P. Pellegrin, op. cit., pp. 18-19). conserver leur régime démocratique pour mieux assurer le bonheur de la cité athénienne ? De cette mise en parallèle et des engagements politiques qu’elle laisse espérer, chacun peut tirer profit. Du côté d’Aristote, l’acceptation par les Athéniens de la tutelle macédonienne est la garantie de se maintenir à la tête du Lycée et de poursuivre son travail philosophique. Du côté d’Alexandre, le contrôle politique de la communauté athénienne est le gage de mener, serein, son expédition en Asie. Du côté athénien, l’arrivée d’un nouveau Pisistrate a de quoi séduire. Athènes connaît-elle dans les années 320 une situation économique difficile172 ? À l’instar de Pisistrate qui a permis à leurs ancêtres de vivre comme à l’âge de Cronos 173, Alexandre propose aux Athéniens une paix souvent garante de prospérité. Athènes cherche-t-elle à soutenir les Grecs dans leur rébellion contre le pouvoir macédonien ? Dans le prolongement de la politique de Pisistrate respectueuse de la législation solonienne, Alexandre choisit de maintenir le régime démocratique athénien et refuse d’intervenir dans les affaires intérieures de la cité174. Comme Pisistrate qui assure paix et tranquillité à son peuple, Alexandre se distingue par une politique bienveillante à l’égard de ses sujets athéniens : plus doux que son père175, il accepte, après l’écrasement de la révolte thébaine en 335, de ne pas exiger la tête des huit athéniens les plus compromis ; parti en guerre contre la Perse au nom de la défense de la liberté et de la lutte contre la tyrannie, il rétablit des démocraties en Asie, libère les Athéniens pris dans les rangs perses lors de la bataille du Granique, et envoie trois cents armures perses aux Athéniens pour venger les violences barbares perpétrées au temps des Guerres Médiques176… La politique bienveillante d’Alexandre à l’égard des Athéniens nourrira même une légende selon laquelle son expédition asiatique lui permit de rendre les statues des Tyrannoctones à leur cité d’origine177 ! Une fois de plus, les preuves explicites manquent. Aucun traité du Stagirite ne fait d’ailleurs la moindre allusion à l’actualité de son temps178. Il faut probablement reconnaître en cette absence la volonté d’Aristote de mener une observation suffisamment patiente et prudente pour éviter le piège d’un idéalisme trop directif dont fut victime Platon179. À la conception platonicienne d’une philosophie entièrement impliquée dans la vie politique180 répond ainsi l’idéal théorétique aristotélicien qui, tourné vers la sagesse et le savoir, se borne seulement à former le jugement du législateur sans chercher à diriger son action et risquer ainsi de se laisser entraîner dans les turbulences de la vie politique181. 172 Entre 331 et 324, Athènes est effectivement touché par une durable pénurie de blé (P. Garnesy, Famine and Food Supply in the Graeco-Roman World, Cambridge, 1988, pp. 154-166 et Ch. Habicht, op. cit., pp. 44-45). 173 Sur la prospérité économique athénienne au temps de Pisistrate : J. Day et M. Chambers, op. cit., p. 175. 174 Ch. Habicht, op. cit., p. 32. 175 D’après M. A. Levi, « Filippo, Alessandro e l’opinione pubblica attica », CISA, V, 1978, pp. 59-67, Alexandre donne, à la différence de son père, l’impression de rechercher l’alliance des Grecs plutôt que leur soumission. 176 Plutarque, Vie d’Alexandre, 16, 17-18, 34, 1-2 ; Arrien, I, 16, 6-7 ; 29, 5 ; III, 6, 2. Voir aussi P. Goukowsky, op. cit., pp. 19-20, p. 245 ; Ch. Habicht, op. cit., pp. 34 et 37 et Cl. Mossé, op. cit., p. 72 177 Arrien, III, 16, 8 et Ch. Habicht, op. cit., p. 32. 178 Voir notamment sur le silence d’Aristote au sujet de l’œuvre politique d’Alexandre : T. A. Sinclair, op. cit., p. 222 ; F. Châtelet, op. cit., p. 199 ; P. Carlier, op. cit., p. 117. 179 F. Châtelet, op. cit., pp. 203-204. 180 P. Hadot, op. cit., p. 124. 181 Sur l’idéal théorétique et ses conséquences éthiques et politiques : P. Hadot, op. cit., pp. 124-129, 142-144 et M. Crubellier et P. Pellegrin, op. cit., pp. 111-112, 187, 203-205. Ni véritablement historique, ni franchement politique, ni simplement philosophique, la figure aristotélicienne de Pisistrate semble se présenter, dans un siècle séduit par l’affirmation d’individus providentiels, comme un outil à penser. C’est bien à partir de figures individuelles, puisées dans les temps passés et relues à la lumière de préoccupations contemporaines182, que les penseurs athéniens proposent désormais de construire leurs analyses, de répondre à leurs devanciers et de guider leurs contemporains. Nourri de traditions populaires positives, le Pisistrate d’Aristote pourrait lui aussi tenir sa place parmi les personnages historiques revisités et instrumentalisés par Platon, Xénophon, Isocrate, les Atthidographes ou Aristote183. Menée à partir d’investigations historiques, leur description s’offre surtout comme une clef de lecture partisane d’un passé appelé à orienter le présent de la cité. Au IV e siècle, prendre parti pour Cyrus, tel Xénophon, ou pour Évagoras, tel Isocrate, conditionne non seulement la représentation du bon monarque mais détermine aussi l’orientation des politiques à suivre pour mener correctement la cité184. Placer Thésée, Solon ou Clisthène à l’origine de la démocratie athénienne ne relève pas uniquement, dans les Atthis, d’une querelle d’historiens érudits mais d’un débat engagé sur les choix politiques à prendre pour construire le régime athénien et guider son gouvernement185. Dans une perspective comparable, la reconstruction mythifiée d’un Lycurgue chez Platon186 comme d’un Solon chez Aristote187 ne signe pas leur incapacité à mener une enquête historique objective mais offre aux législateurs des sources d’inspiration. Replacée dans le contexte intellectuel du IVe siècle, la reprise des traditions sur Pisistrate dans la Constitution des Athéniens pourrait elle aussi avoir comme vocation de soutenir les positions aristotéliciennes dans l’arène des rivalités de son temps. 182 Sur la construction des figures politiques par les hommes de savoir : R. Bodéüs, « Figures du politique », in J. Brunschwig, G. Lloyd et P. Pellegrin, Le savoir grec, Paris, 1996, rééd. 2011, pp. 198-222. 183 Sur l’utilisation des figures mythologiques et historiques comme exemples paradigmatiques au service des théories aristotéliciennes, voir notamment P. Aubenque, op. cit., pp. 49-50. 184 Isocrate, Évagoras, IX, 37-39. 185 Voir ici par exemple F. Jacoby, op. cit., p. 77. 186 Platon, Lettres, VIII, 354 a-c. 187 Cl Mossé, « Comment s’élabore un mythe politique. Solon, père fondateur de la démocratie athénienne », Annales (ESC), XXXIV, 1979, pp. 425-437. Appendice : Le régime de Pisistrate d’après Aristote, Constitution des Athéniens, XVI, 2-9 (traduction de M. Sève) « 2 Pisistrate administrait avec modération les affaires de la cité, en citoyen plutôt qu’en tyran. Il était en général bienveillant et doux, et enclin au pardon envers les fautifs ; et en particulier, il avançait de l’argent aux indigents pour leurs activités, en sorte qu’ils tirent leur subsistance de l’agriculture. 3 Il faisait cela pour deux raisons : afin qu’ils ne passent pas leur temps en ville, mais soient dispersés dans la campagne, et afin qu’ils aient une aisance suffisante et vaquent à leurs affaires sans désirer s’occuper des affaires publiques ni en avoir le loisir. 4 En même temps, il lui arriva que les ressources augmentèrent, puisque la campagne était cultivée ; il percevait en effet la dîme des productions. 5 C’est pourquoi il créa les juges des dèmes, et lui-même sortait souvent dans la campagne pour inspecter et arbitrer les litiges, afin que les gens ne négligent pas leurs travaux en descendant en ville. 6 C’est au cours d’une de ces sorties, dit-on, qu’arriva à Pisistrate l’anecdote de l’homme qui cultivait sur l’Hymette le champ appelé plus tard le “champ non imposableˮ. Avisant donc quelqu’un qui piochait et travaillait une terre qui n’était que pierres, par étonnement, il chargea son esclave de demander ce qui poussait dans le champ. “Rien que des maux et des douleursˮ, dit l’autre, “et il faut que Pisistrate prenne la dîme de ces maux et de ces douleursˮ. L’homme avait répondu sans le connaître, et Pisistrate, ravi de sa franchise et de son ardeur au travail, l’exempta de tout impôt. 7 Il ne gênait la foule en rien pendant sa domination, mais il préparait toujours la paix et maintenait la tranquillité. C’est pourquoi [lacune : on répétait souvent ?] que la tyrannie de Pisistrate était la vie du temps de Cronos. En effet, il arriva plus tard que, ses fils lui ayant succédé, la domination devint beaucoup plus rude. 8 Mais le plus important de tout ce qu’on a dit est qu’il était d’un caractère affable et bienveillant. Car en tout domaine il voulait tout administrer conformément aux lois, sans s’attribuer aucun avantage. Un jour, cité à l’Aréopage pour une affaire de meurtre, il se présenta lui-même pour assurer sa défense, mais l’accusateur, pris de peur, fit défaut. 9 C’est pourquoi son pouvoir dura longtemps et, chaque fois qu’il était chassé, il le reprenait facilement. Car la plupart des nobles et des gens du peuple y consentaient : il attirait les uns par ses propos, les autres par ses secours pour leurs affaires privées, et il était par nature bien disposé envers les deux clans ». « διῴκει δ´ ὁ Πεισίστρατος, ὥσπερ εἴρηται, τὰ περὶ τὴν πόλιν μετρίως καὶ μᾶλλον πολιτικῶς ἢ τυραννικῶς. ἔν τε γὰρ τοῖς ἄλλοις φιλάνθρωπος ἦν καὶ πρᾷος καὶ τοῖς ἁμαρτάνουσι συγγνωμονικός, καὶ δὴ καὶ τοῖς ἀπόροις προεδάνειζε χρήματα πρὸς τὰς ἐργασίας, ὥστε διατρέφεσθαι γεωργοῦντας. τοῦτο δ´ ἐποίει δυοῖν χάριν, ἵνα μήτε ἐν τῷ ἄστει διατρίβωσιν, ἀλλὰ διεσπαρμένοι κατὰ τὴν χώραν, καὶ ὅπως εὐποροῦντες τῶν μετρίων καὶ πρὸς τοῖς ἰδίοις ὄντες, μήτ´ ἐπιθυμῶσι μήτε σχολάζωσιν ἐπιμελεῖσθαι τῶν κοινῶν. ἅμα δὲ συνέβαινεν αὐτῷ καὶ τὰς προσόδους γίγνεσθαι μείζους, ἐξεργαζομένης τῆς χώρας. ἐπράττετο γὰρ ἀπὸ τῶν γιγνομένων δεκάτην. διὸ καὶ τοὺς κατὰ δήμους κατεσκεύασε δικαστάς, καὶ αὐτὸς ἐξῄει πολλάκις εἰς τὴν χώραν, ἐπισκοπῶν καὶ διαλύων τοὺς διαφερομένους, ὅπως μὴ καταβαίνοντες εἰς τὸ ἄστυ παραμελῶσι τῶν ἔργων. τοιαύτης γάρ τινος ἐξόδου τῷ Πεισιστράτῳ γιγνομένης, συμβῆναί φασι τὰ περὶ τὸν ἐν τῷ Ὑμηττῷ γεωργοῦντα τὸ κληθὲν ὕστερον χωρίον ἀτελές. ἰδὼν γάρ τινα παντελῶς πέτρας σκάπτοντα καὶ ἐργαζόμενον, διὰ τὸ θαυμάσαι τὸν παῖδα ἐκέλευσεν ἐρέσθαι, τί γίγνεται ἐκ τοῦ χωρίου. ὁ δ´ ‘ὅσα κακὰ καὶ ὀδύναι’ ἔφη, ‘καὶ τούτων τῶν κακῶν καὶ τῶν ὀδυνῶν Πεισίστρατον δεῖ λαβεῖν τὴν δεκάτην.’ ὁ μὲν οὖν ἄνθρωπος ἀπεκρίνατο ἀγνοῶν, ὁ δὲ Πεισίστρατος ἡσθεὶς διὰ τὴν παρρησίαν καὶ τὴν φιλεργίαν ἀτελῆ πάντων ἐποίησεν αὐτόν. οὐδὲν δὲ τὸ πλῆθος οὐδ´ ἐν τοῖς ἄλλοις παρώχλει κατὰ τὴν ἀρχήν, ἀλλ´ αἰεὶ παρεσκεύαζεν εἰρήνην καὶ ἐτήρει τὴν ἡσυχίαν· διὸ καὶ πολλάκις ἐθρύλλουν ὡς ἡ Πεισιστράτου τυραννὶς ὁ ἐπὶ Κρόνου βίος εἴη· συνέβη γὰρ ὕστερον διαδεξαμένων τῶν υἱέων πολλῷ γενέσθαι τραχυτέραν τὴν ἀρχήν. μέγιστον δὲ πάντων ἦν τῶν εἰρημένων τὸ δημοτικὸν εἶναι τῷ ἤθει καὶ φιλάνθρωπον. ἔν τε γὰρ τοῖς ἄλλοις ἐβούλετο πάντα διοικεῖν κατὰ τοὺς νόμους, οὐδεμίαν ἑαυτῷ πλεονεξίαν διδούς, καί ποτε προσκληθεὶς φόνου δίκην εἰς Ἄρειον πάγον, αὐτὸς μὲν ἀπήντησεν ὡς ἀπολογησόμενος, ὁ δὲ προσκαλεσάμενος φοβηθεὶς ἔλιπεν. διὸκαὶ πολὺν χρόνον ἔμεινεν ἐν τῇ ἀρχῇ, καὶ ὅτ´ ἐκπέσοι πάλιν ἀνελάμβανε ῥᾳδίως. ἐβούλοντο γὰρ καὶ τῶν γνωρίμων καὶ τῶν δημοτικῶν οἱ πολλοί. τοὺς μὲν γὰρ ταῖς ὁμιλίαις, τοὺς δὲ ταῖς εἰς τὰ ἴδια βοηθείαις προσήγετο, καὶ πρὸς ἀμφοτέρους ἐπεφύκει καλῶς.» Bibliographie - - P. 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