SILVIO MORENO
LE SARCOPHAGE CHRETIEN DE LAMTA EN TUNISIE
ET CEUX DE L’ABBAYE DE SAINT VICTOR A MARSEILLE
Un commun dénominateur : la « traditio legis »
Structure et symbolique. Origine et originalité
« Oh ! Je voudrais qu’on écrive mes paroles,
qu’elles soient gravées en une inscription,
avec le ciseau de fer et le stylet,
sculptées dans le roc pour toujours ». (Job, 19, 23-24)
RESUME
Un sarcophage chrétien en marbre remontant au IVème siècle trouvé en 1990 à Sayada au SudEst en Tunisie présente des caractéristiques particulières. Seul chef d’œuvre en son genre en Tunisie
ce sarcophage nous interroge sur son origine et ses caractéristiques. Etudié à la lumière des
sarcophages des écoles d’Arles et de Marseille, spécialement ceux de l’abbaye de Saint Victor, nous
découvrons une identité iconographique mais aussi une originalité par rapport aux sarcophages
chrétiens provençaux et de Rome. Il n’est pas tout entier à caractère chrétien, mais il mélange des
scènes de la vie ordinaire romaine avec une iconographie notamment chrétienne : la traditio legis et
l’orant.
Mots-clés : Lamta, Tunisie, sarcophage chrétien, traditio legis, orant, Pierre et Paul, Christ,
paradis
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Sommaire. 1. Le sarcophage de Lamta en Tunisie. 2. La traditio legis. 3. Descriptions des
sarcophages. 4. La différence et originalité de la traditio legis de Lamta. 5. Conclusion.
Les sarcophages chrétiens de l’Antiquité tardive sont célèbres pour leurs thèmes communs
tirés de la Bible. Des scènes telles que la multiplication des pains, la guérison des aveugles, le repos
de Jonas, la naissance du Christ, la résurrection de Lazare, etc., ainsi que des scènes symboliques se
retrouvent sur les sarcophages chrétiens.
De retour de ma récente visite aux monuments paléochrétiens situés en Provence, dans le sud
de la France, spécialement les sarcophages chrétiens d’Arles et de l’abbaye de Saint Victor à
Marseille, je me propose d’analyser à la lumière de ces beaux sarcophages, celui non moins
extraordinaire de Lamta en Tunisie (fig. 1).
Il s’agit, en effet de l’un des rares sarcophages chrétiens en marbre de ce pays, datant de la fin
du IVème siècle et qui offre un exemple intéressant montrant l’unité mais aussi son originalité par
rapport aux sarcophages chrétiens provençaux et de Rome. Il n’est pas tout entier à caractère chrétien,
mais il mélange des scènes de la vie ordinaire romaine avec une iconographie notamment chrétienne.
Découvrons-le.
Fig. 1. Sarcophage de Lamta. Musée de Lamta. Tunisie
1. Le sarcophage de Lamta en Tunisie
Le beau sarcophage qui a été découvert en 1990 dans un domaine privé non loin de Bekalta,
entre Sayada et Ksar Helal au sud-est de la Tunisie et qui se trouve aujourd’hui au musée de Lamta1
(fermé actuellement pour restauration), constitue une œuvre en marbre unique dans le pays (Bejaoui
1985 ; 2002 ; Kustal 2016). Le sarcophage mesure 2 mètres de long et 70 cm de large. La caisse est
en marbre de Carrare (Italie), tandis que le couvercle en marbre de Proconnèse (Ile de Marmara,
Turquie). Comme ces marbres n’étaient pas disponibles en Afrique, il a fallu les importer.
L’utilisation de différents types de marbre pour le couvercle et la boîte est courante à l’époque.
Bien que nous constatons des dommages mineurs visibles sur la surface du relief. Il manque
par exemple le nez sur chacune des figures, en général les scènes sont bien conservées.
Il s’agit jusqu’à présent du seul sarcophage chrétien dans son genre trouvé en Tunisie. Bien
qu’il offre des thèmes classiques de sarcophages romains du IVème siècle, il constitue cependant un
cas particulier à cause de l’association de deux thèmes qui ne semblent pas avoir un lien direct entre
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Ancien site romain Leptis minus
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eux : scènes de chasse romaine et la « traditio legis » chrétienne. Cette caractéristique nous conduit
à nous questionner, comme nous l’avons déjà dit, sur son origine et ses particularités par rapport à
d’autres sarcophages de l’époque.
Deux éléments peuvent nous aider : sa constitution par rapport à son origine et son décor par
rapport à son originalité.
Le premier élément qui frappe est sa structure et son découpage en partie (fig. 2). Le
sarcophage se composait à l’origine de quatre parties qui étaient reliées entre elles et l’articulation est
originale. Il possède un décor sur une seule face. Le montage des pièces a nécessité l’utilisation
d’agrafes en fer dans la base, où leurs traces sont encore visibles. En Tunisie, par rapport à d’autres
villes chrétiennes d’Europe et par rapport au nombre de tombeaux funéraires chrétiens en mosaïques
de production locale, la production des sarcophages chrétiens en pierre taillée selon les
caractéristiques de celui de Lamta est très rare, voire même presque nulle. En effet, selon Baratte, il
n’y a qu’un nombre réduits de sarcophages chrétiens en Afrique du Nord et ces sarcophages
proviennent presque exclusivement de Rome (Baratte 2013).
Fig. 2. Sarcophage de Lamta. Détail du découpage en quatre parties.
Cela peut indiquer alors que notre sarcophage a pu être préfabriqué en plusieurs morceaux
dans un atelier à Rome en vue de faciliter son transport. La discussion sur son origine reste cependant
ouverte. En effet, Koch, cité par Kustal (Kustal 2016), affirme que le sarcophage de Lamta ne vient
pas de Rome, mais qu’il a été fabriqué dans un atelier nord-africain, dans le style romain. Il considère
et interprète la situation de la ville de Rome afin de pouvoir montrer que la demande de sarcophages
y était fortement diminuée à la fin du IVème siècle, et c’est pour cette raison que les sculpteurs ont
commencé à chercher de nouvelles villes. Selon lui, le sculpteur de ce sarcophage a appris à Rome,
mais il s’est ensuite rendu en Afrique du Nord, où il reçut une commande spéciale. Selon Baratte
(Baratte 2013) également, le sarcophage pourrait être une œuvre locale tant sont grandes les
particularités de ce monument. Mais, il est vrai, un sarcophage ne suffit pas à faire un atelier. Bejaoui
(Bejaoui 2002) par contre, affirme avec plus de probabilité, que le sarcophage était presque
certainement importé de Rome et qu’il fut retravaillé sur quelques détails dans un atelier local. Selon
lui, les visages des protagonistes et les tabula ansatae possèdent des signes de remaniement, puisque
le propriétaire du tombeau a sa place dans la vie sociale en Afrique et que les noms Maziva et Sizan
figurant sur le sarcophage sont d’origine local numide.
Cette dernière hypothèse peut être tout à fait vraisemblable si nous regardons la frappante
similitude qu’existe entre ce sarcophage et ceux des écoles d’Arles et de Marseille. Les uns comme
les autres s’origine dans une même école : Rome. En effet, Le Blant (Le Blant 1878) affirme qu’entre
les sarcophages chrétiens des écoles de Rome, d’Arles et de Marseille, il existe une identité de
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manière et de style : mêmes cuves en parallélogramme, même type de couvercle, mêmes dispositions
et, parfois aussi, mêmes réunions des sujets. Cette communauté de types entre Rome et la Gaulle,
mérite d’être remarquée, alors que, dans l’Italie même, nous trouvons des façons de faire si
dissemblables entre elles et en même temps si différentes de celles des sculptures de Rome.
Pour comprendre cette identité il faut dire qu’historiquement du côté de la Gaulle chrétienne,
selon Benoit (Labrousse 1955), les premiers sarcophages chrétiens ont été importés depuis l’Italie
vers Arles à partir du 310. Ce n’est guère qu’à la fin du IVème siècle, à l’époque de Théodose, que des
ateliers se sont ouverts en Arles pour imiter les modèles importés et fabriquer des répliques selon une
forme essentiellement romaine. Ces ateliers arlésiens n’ont guère survécu aux troubles du règne
d’Honorius (384-423); à cette date, un autre atelier local « naît » à Marseille autour de l’abbaye de
Saint Victor fondée par saint Cassien vers 410, cependant il faut aussi noter, comme le montre
Immerzeel, l’attribution du sarcophage de Cassien de l’abbaye Saint-Victor à un atelier de Rome
(Immerzeel 1994).
Donc en Provence c’est la nature de la pierre, la « géologie des sarcophages», qui permet de
distinguer entre sarcophages importés et sarcophages de fabrication arlésienne ou marseillais : les
sarcophages de marbre grec ou oriental sont tous importés; les sarcophages en marbre des Pyrénées
(Saint-Béat, Saint-Pons) sont de fabrication locale; les sarcophages de marbre italien (Carrare)
peuvent être importés ou local.
En revanche pour les sarcophages romains d’Afrique (cent soixante-neuf recensé en 1962), il
est certain que la plupart d’entre eux proviennent des ateliers de Rome, ou d’ateliers locaux souvent
influencés par ceux de la capitale. Rien d’étonnant quand on connaît les liens qui unissaient
l’Afrique et l’Italie et qui se traduisent, en particulier, dans le domaine de la sculpture (Baratte 2013).
Or, si dans plusieurs cas l’origine locale des sarcophages ne fait pas de doute, les exécutions
artistiques souvent trahissent la main d’artisans. Pour l’Afrique concrètement, plus d’une fois il est
permis d’hésiter entre une création locale ou une importation, éventuellement complétée sur place
(Baratte 2006). Dans ce sens le cas du sarcophage de Lamta est particulièrement intéressant : il fait
apparaître quelques caractéristiques locales, mais c’est surtout une reprise qui se veut fidèle de
modèles romains.
Le deuxième élément qui attire l’attention du sarcophage de Lamta et qui explique son unité
avec les sarcophages d’Arles, Marseille et Rome, au même temps que son originalité est son décor
(sa thématique) : les scènes de chasse mélangées avec la traditio legis. Ce dernier sujet chrétien, tout
en étant un commun dénominateur avec Arles, Marseille et Rome, est tout à fait inconnu dans la
Tunisie paléochrétienne, au moins dans l’art figuré de la mosaïque chrétienne.
Fig. 3. Sarcophage avec la traditio legis. Musée de l’Arles Antique. Marbre blanc, fin du IVème siècle.
2. La « traditio legis »
D’abord commençons par expliquer l’origine et la signification de la traditio legis (Franzé
2015 ; De Bruyne 1962). Cette expression latine signifie « donation de la loi ». Il s’agit d’une
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représentation où Jésus-Christ remet un parchemin, qui représente la Loi divine, à l’apôtre Pierre, en
présence de l’apôtre Paul. Il symbolise donc la transmission du message évangélique (la nouvelle loi
du Christ) aux apôtres.
Cette iconographie est, semble-t-il, élaborée à
Rome, sous le pontificat du pape Damase Ier (366-384)
après un retour de la paix de l’Église, succédant au règne
mouvementé de Julien l’Apostat (+ 363) et à la résolution
de la crise arienne. C’est ainsi que, dès les années 360-370,
de nombreux sarcophages sont ornés de la traditio legis. Le
motif peut intégrer des variations, comme par exemple la
position du Christ, tantôt assis, tantôt debout entre les
apôtres. En revanche, à cette époque, l’attitude et la
distribution des apôtres autour du Christ restent inchangées
: celui-ci tend à saint Pierre, placé à sa gauche, un
phylactère ou parchemin où apparaît parfois, la formule
«Dominus legem dat », tandis que saint Paul, à sa droite, fait
le geste de l’acclamation.
Les influences de cette scène se retrouvent dans la
tradition impériale romaine, dans laquelle c’est l’empereur
qui remet un document à un subordonné. Le christianisme
Fig. 4. Sarcophage de Lamta. Détail de la
a adapté l’iconographie au contenu de son message du Salut.
traditio legis
Il est fréquent de voir aussi qu’en plus de représenter Jésus
entre les apôtres Pierre et Paul, d’autres personnages ou symboles sont inclus : le nuage de la gloire,
les quatre fleuves du Paradis, l’orante, l’agneau, etc.
La signification de la scène, à cette époque, est très importante. D’abord, elle a sans doute une
dimension universelle, les deux apôtres manifestant, ensemble, l’Église « catholique - universelle »
formée des Juifs convertis, représentés par saint Pierre, et des Gentils, représentés par saint Paul. Saint
Paul affirme dans sa lettre aux Galates 2, 7-8 : « mais au contraire, ils ont constaté que l’annonce de
l’Évangile m’a été confiée pour les incirconcis (c’est-à-dire les païens), comme elle l’a été à Pierre
pour les circoncis (c’est-à-dire les Juifs). En effet, si l’action de Dieu a fait de Pierre l’Apôtre des
circoncis, elle a fait de moi l’Apôtre des nations païennes ». Ensuite la «traditio legis» est l’ordre
solennel lancé par le Christ de propager la Loi que lui-même avait prêchée. Tel un second Moïse,
Pierre reçoit le livre de la « Loi » divine. Or, tout le monde est d’accord pour reconnaître dans cette
« loi » l’ensemble de la doctrine et des préceptes du Seigneur : ce qu’il faut croire et ce qu’il faut
pratiquer pour Lui être fidèle et pour se sauver. La relation directe entre cette cérémonie, le fidèle
chrétien et le Salut éternelle est manifeste.
Mgr Duchesne ne craignait pas d’établir un rapport entre cette scène célèbre du don de la Loi
et le rite solennel de la traditio symboli lors du baptême (c’est-à-dire la proclamation de la foi
chrétienne : le symbole de la foi = le Credo) : « je n’oserais assurer, écrit-il, que cette scène ait été
composée expressément d’après le rituel de la traditio legis christianae ; mais il y a entre ces deux
choses un rapport trop évident pour qu’il n’ait point été remarqué. Beaucoup de fidèles en jetant les
yeux sur les peintures qui ornaient le fond de leur église (lisons : leur baptistère), devaient se rappeler
une des plus belles cérémonies de leur initiation » (Duchesne 1925, 320). Il n’est alors pas étonnant
que les autres rites de l’Initiation chrétienne : le Baptême, la confirmation et l’Eucharistie devaient
venir spontanément, par voie d’association, à l’esprit de l’un ou d’autre artiste. Ainsi par exemple le
sarcophage des compagnes de sainte Ursule dans l’abbaye de Saint Victor à Marseille en fournit une
éclatante épreuve. Alors qu’une « traditio legis » s’y développe solennellement sur la face principale,
le couvercle est orné de deux dauphins nageant vers le monogramme du Christ, au centre, tandis que
de part et d’autre se trouvent disposés : les cerfs buvant à la quadruple source jaillissant de la
montagne de l’Agneau, le miracle de Cana et les Explorateurs rentrant avec une énorme grappe de
raisin.
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La présence de cette iconographie en contexte funéraire dans les sarcophages, nous indique
clairement la foi profonde que le défunt a reçue au jour du baptême et sa confiance en la Loi du Christ
qui donne en récompense la Vie éternelle.
3. Descriptions des sarcophages
Voyons maintenant la comparaison entre les sarcophages de l’abbaye de Saint Victor à
Marseille et celui de Lamta (Fixot et Pelletier 2004 ; Drocourt-Dubreuil 1989 ; Fernand 1954 ;
Demians d’Archimbaud 1971, 87-117).
Fig. 5. Les sarcophages des compagnons de saint Maurice et de sainte Ursule dans la crypte de l’abbaye de saint Victor
et le sarcophage dans l’église haute.
1. Sarcophage de l’église haute de Saint Victor
En face du porche d’entrée de la basilique de Saint Victor est exposé un très beau sarcophage
(fig. 6). Le couvercle est en bâtière dont une pente représente une toiture. Sur la face longitudinale
sont représentés la traditio legis, le sacrifice d’Abraham et la guérison de l’aveugle. Ce sarcophage (L
= 1,93 × l = 0,70 × h = 0,58), est présenté auprès du pilier de la nef où il a été découvert en 1970 dans
une fouille du Laboratoire d’Archéologie médiévale méditerranéenne, inséré dans une pile de
sarcophages sans décor établis comme lui auprès des « catacombes » des cryptes sous-jacentes.
Preuve évidente que le décor mortuaire était destiné dans l’Antiquité, non pas seulement à
l’édification des vivants, mais surtout à l’intention du défunt enterré sous sa protection.
Il s’agit d’une ouvre taillée dans un travertin d’origine locale, qui est attribuable à la fin du
ème
V ou au début du VIème siècle. Sa cuve porte un décor réparti sur la face principale et sur les petits
côtés.
Intérieur du sarcophage : les restes de vêtements et le squelette ont été étudiés par une équipe
de chercheurs et de techniciens du laboratoire de conservation, restauration et recherches
archéologiques du CNRS à Draguignan. La personne inhumée est une femme âgée d’une vingtaine
d’années, mesurant 1,57 m. Son type anthropologique n’a pas pu être déterminé. Sur la tête de la
personne était placée une couronne de végétaux, symbole de victoire et de vie éternelle. Cette
personne devait occuper un rang social élevé comme le suggère la richesse des sculptures du
sarcophage, le vêtement de soie, une croix d’or posée sur le front et l’emploi de l’encens, ingrédient
onéreux à l’époque (Boyer 1987, 45-93).
Sculpture du sarcophage : les représentations sur un grand côté de la cuve se répartissent en
trois groupes : À gauche, représentation d’Abraham qui va sacrifier son fils Isaac : il brandit de la
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main droite un couteau tandis que, de la gauche, il maintient son fils accroupi (fig. 7). La main de
Dieu apparaît dans le ciel pour retenir son geste tandis qu’un bélier tire un pan du manteau d’Abraham
pour manifester sa présence. Dieu demande ainsi de remplacer les sacrifices humains par des
offrandes d’animaux. Cette image est reprise en écho par le décor du petit côté qui évoque le Christ
comme l’Agneau du sacrifice, dont la tête est sommée d’une croix vers laquelle deux agneaux, de
part et d’autre, lèvent le regard.
Fig. 6. Sarcophage avec Traditio Legis. Abbaye de Saint Victor. Marseille
Fig. 7. Le sacrifice d’Abraham
Fig. 8. La guérison de l’aveugle né
Fig. 9. La traditio legis, les palmiers et les quatre fleuves
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À droite, deux personnages encadrent le Christ qui guérit un aveugle en lui touchant les yeux
de l’index (fig. 8). Le Christ est imberbe et porte une longue chevelure se répartissant de part et
d’autre du visage. La scène de la guérison de l’aveugle évoque la symbolique du Christ lumière du
monde. Cette guérison est prolongée sur le petit côté par une célébration de la lumière sous la forme
d’une lampe qui brille entre deux rideaux tirés.
Finalement au centre se trouve la scène la plus importante, la « traditio legis » (fig. 9) : le
Christ barbu est debout sur une montagne d’où s’écoulent les quatre fleuves du Paradis. De la main
gauche, il donne un rouleau à Pierre qui le reçoit les mains voilées et lève la droite au-dessus de Paul
qui l’acclame et en témoigne. Deux palmiers encadrent la figure du Christ.
2. Sarcophage des compagnons de Saint Maurice (Crypte de Saint Victor)
A la différence du précèdent, ce sarcophage (L = 2,10 × l = 0,55) en marbre de Carrare date
de la fin du IVème siècle. Il se trouve à l’entrée de la crypte-nécropole de l’abbaye de Saint Victor
dans la chapelle de saint Mauront (fig. 10). La grande face est divisée en cinq compartiments avec,
au centre, le Christ consignant la loi aux apôtres Pierre et Paul, d’où la deuxième appellation de ce
sarcophage « le Christ docteur ». À droite, sont figurées l’arrestation du Christ, puis sa comparution
devant Ponce Pilate à qui on apporte une aiguière pour qu’il se lave les mains. À gauche, le Christ
apparaît à l'apôtre Paul représenté barbu et le front dégarni. Puis est représentée la lapidation de Paul
à Lystra.
Fig. 10. Sarcophage des compagnons de saint Maurice. Détail de la traditio legis. Le Christ docteur.
Fig. 11. Sarcophage des compagnes de Sainte Ursule. Abbaye de Saint Victor.
3. Sarcophage des compagnes de Sainte Ursule (Crypte de saint Victor)
Nous avons évoqué toute à l’heure ce sarcophage (L = 1,92 × l = 0,65 × h = 0,43) qui se trouve
dans la chapelle de l’Abbé Isarn (fig. 11). Il date de la première moitié du Vème siècle. La face
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antérieure est divisée par sept arcades reposant sur des colonnes. Au centre il est représenté la traditio
legis : le Christ, couronné par la main de Dieu, est debout sur une montagne d’où s’écoulent les quatre
fleuves du Paradis. Il est encadré par saint Pierre portant une croix qui reçoit la nouvelle loi et
par saint Paul avec de chaque côté cinq apôtres. Sur la frise du couvercle sont figurés, à gauche, deux
cerfs s’abreuvant encadrés par deux arbres : la scène représente le paradis. Au centre, deux anges
portent un cadre au-dessus duquel sont représentés deux dauphins encadrant un chrisme. À droite,
sont figurés le miracle des noces de Cana et celui de la grappe de la terre promise.
4. Sarcophage de Secundinus à Lamta
Il est daté à peu près de la fin du Vème siècle. Il présente sur sa façade principale au milieu, le
défunt Secundinus debout tenant son cheval par la bride, s’apprêtant à quitter ce monde matérialisé
par un fronton, pour le voyage vers la vie éternelle.
Une femme d’origine numide, Maziva, lui présente de forme quasi unique dans ce type de
sarcophage un agneau qui peut vouloir signifier le symbole du Christ et de la pureté. Elle est suivie
d’un chien. Le défunt apparaît encore plusieurs fois, à gauche et à droite parmi des proches, ou
probablement des serviteurs. Les noms numides de ces personnages sont mentionnés dans des
cartouches placés au-dessus d’eux.
A droite de Secundinus se trouve la traditio legis qui donne le caractère chrétien de ce
sarcophage. Nous y voyons le Christ sur les nuées qui règne en gloire entouré des piliers de l’Eglise,
les apôtres Pierre et Paul. Il donne sa loi à Pierre et Paul en témoigne.
Fig. 12. Sarcophage de Lamta. Détail de la traditio legis et Secundinus avec le cheval
A droite, Secundinus signale ou salue le Christ qui s’apprête à rencontrer dans la félicité
éternelle et à son coté un homme, Possidius, lui tient le cheval de voyage entouré des chiens qui
accompagnent la scène. A gauche, Secundinus, toujours à côté de sa monture, fait ses adieux à deux
hommes Possidius et Sizan(us) ?
Le couvercle par contre montre le défunt dans des scènes de chasse, thème très fréquent dans
l’art funéraire païen. Au milieu, deux amours tiennent une cartouche ou l’épitaphe n’a pas été inscrite.
4. La différence et originalité de la traditio legis de Lamta
La différence et l’originalité de notre sarcophage de Lamta mis en relief avec les sarcophages
de l’abbaye de Saint Victor et d’Arles, se trouve d’abord, comme nous l’avons déjà dit au
commencement de notre article, dans la configuration des scènes : pour Saint Victor et Arles il existe
de sarcophages revêtus des scènes entièrement chrétiennes, dans celui de Lamta en revanche le
mélange des scènes est caractéristique. Mais à mon avis la grande différence se trouve surtout dans
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la traditio legis elle-même : sous les pieds du Christ nous rencontrons une figure très fréquente dans
l’art chrétien figuré en Tunisie : un orant féminin en attitude de prière. Elle est vêtue d’une tunique
inférieure à manches longues, une dalmatica, et de chaussures. Elle se tient devant et est flanquée de
deux agneaux vue de côté, que l’on peut voir derrière les apôtres. En revanche sur les traditio legis des
sarcophages de saint Victor et d’Arles le Christ est au-dessus d’une petite colline avec les quatre
fleuves du paradis, thème aussi fréquente en Tunisie mais sur les mosaïques chrétiennes.
Voyons maintenant le détail de l’orant (fig. 13). Dans
l’iconographie chrétienne en contexte funéraire cette attitude de
prière de l’orant a plusieurs significations (Prigent 1992).
D’abord il est important de noter que lorsque les artistes chrétiens
ont développé le message d’espoir en une vie éternelle rattachée
à la figure de l’orant, ce sont les paradigmes bibliques de salut
qui ont été utilisés pour orner les tombes. Dans ce sens c’est
l’orant entouré des figures bibliques que nous voyons. Or, ce
rapprochement nous permet de préciser le sens de la prière
représentée : les scènes bibliques, et particulièrement celles qui
comportent des orants, se contentent de les montrer au moment
où l’intervention de Dieu (ou du Christ) se manifeste. Ce n’est
donc pas d’une prière de demande qu’il s’agit, mais d’une action
de grâce pour le salut accordé, d’une louange au Dieu sauveur.
Ainsi l’attitude de l’orant est comme l’épithète qualifiant toute
créature qui éprouve la réalité de l’action du Dieu sauveur et qui
en rend grâce. Elle représente symboliquement la prière que tous
les fidèles défunts font monter vers Dieu dont ils peuvent
désormais mesurer toute la bonté salvifique.
Nous pouvons également interpréter la présence de
l’orant entouré de deux personnages dans notre sarcophage de
Lamta comme l’une des scènes dites d’introductio : un ou deux
personnages assistent le défunt représenté à son arrivée à la vie
éternelle. Ces personnages sont parfois identifiés aux apôtres
Pierre et Paul. En effet, d’un côté ils saluent la réalisation du salut
Fig. 13. Sarcophage de Lamta. Traditio
dont
ils sont les garants en tant que piliers de l’Eglise (traditio
Legis. Détail de l'Orant
legis). Mais aussi ils introduisent l’orant dans la compagnie du
Christ ressuscité et glorieux. Il s’agit donc d’une sorte de confession de foi qui affirme qu’en même
temps que le défunt est sauvé par l’Eglise, il peut aussi compter sur l’intercession des apôtres (de
l’Eglise) pour se présenter devant le Christ Sauveur.
Cela dit, l’iconographie des sarcophages de Saint Victor est aussi intéressante : le Christ sur
une colline d’où découlent les quatre fleuves du Paradis (Décriaud 2013) : ce thème iconographique
commence à se diffuser, dans la partie occidentale de l’Empire romain, dès le IVème siècle, sur des
supports variés tels que la peinture murale, la mosaïque de pavement, l’argenterie, l’orfèvrerie, les
sarcophages ou encore la mosaïque funéraire. Ils sont généralement représentés sous la forme de
quatre filets d’eau sortant en quatre branches d’une petite colline sur laquelle est perché un symbole
chrétien en référence au Christ ou bien le Christ lui-même (fig. 14).
À l’image de la petite colline, source des quatre fleuves, des animaux sont souvent ajoutés. Ils
sont représentés de part et d’autre de la colline, généralement en train de se désaltérer. Leur nature
varie peu : des cerfs, des agneaux (en nombre variable), ou bien encore des deux.
Le texte biblique fondateur de cette iconographie dit: « Or un fleuve sort d’Édem pour arroser
le jardin ; de là, il se sépare en quatre bras. Le nom de l’un est Phisôn ; c’est lui qui entoure toute la
terre d’Évilat, là où est l’or ; et l’or de cette terre est bon ; et là est l’escarboucle et la pierre verte.
Et le nom du second fleuve est Gêôn. C’est lui qui entoure toute la terre d’Éthiopie. Et le troisième
fleuve est le Tigre. C’est lui qui coule le long du pays des Assyriens. Le quatrième fleuve, c’est
l’Euphrate » (Gn. 2, 10-14).
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Il y a trois sources bibliques inspiratrices des fleuves comme source d’eau vive : le psaume
41, le baptême du Christ au Jourdain en Mt 3, 13-16 et la valeur salvifique de l’eau vive de Jean 7,
37-38 (Bisconti 2000). Dans les fleuves issus de la source du nouveau Paradis (le Calvaire) inauguré
par le sacrifice du Christ, coule une eau sainte et purificatrice grâce à laquelle le chrétien se lave de
ses péchés.
Fig. 14. Détail des sarcophages avec traditio Legis et quatre fleuves du Paradis.
5. Conclusion
Il faut dire d’abord que la plupart de ces sarcophages ont été trouvés dans leur contexte
archéologique mais nous les avons analysés individuellement. Alors un fait est évident : à considérer
le nombre de sarcophages chrétiens de la seconde moitié du IVème et surtout de la fin du siècle, voire
même du Vème siècle, et les échanges produits entre les grandes métropoles chrétiennes, apparaît
nettement que la christianisation devient un phénomène plus massif, plus social et plus universel.
Ensuite, en évoquant les particularités et l’originalité du sarcophage chrétien de Lamta à la
lumière des sarcophages de l’abbaye de Saint Victor à Marseille nous nous interrogeons sur le défunt
Secundinus ? Qui était-il ? Nous trouvons une première réponse dans un témoignage qui, pour tardif
qu’il soit, mérite d’être évoqué : celui de Grégoire de Tours à propos du sarcophage du sénateur
Hilarius de Dijon : « Lorsque mourut ce personnage, on le déposa dans un sépulcre de marbre de
Paros sculpté et dont la magnificence atteste la haute position qu’Hilarius occupait en ce monde »2.
S’éclaire donc, ainsi, le rôle que la tombe continuait d’assumer pour ce membre de la classe
sénatoriale : objet de prestige qui transmet, au-delà de la mort, le souvenir et le mérite, comme
également la richesse de la famille.
2
Grégoire de Tours, De Gloria confessorum, XLII
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Enfin, l’originalité de cette iconographie nous montre que le maitre du domaine Secundinus,
au lieu d’ordonner la représentation de son buste sur le devant du sarcophage comme c’est souvent le
cas sur ce type de sépulture, a plutôt choisi de mettre en valeur deux éléments essentiels de sa vie
(Bejaoui 2002). Premièrement : son statut social avec non seulement le bâton qu’il tient dans sa main,
symbole de pouvoir par excellence, et les scènes de la chasse qui était une activité largement pratiquée
durant l’Antiquité par les classes sociales privilégiées. Deuxièmement : il tenait à cœur également de
préciser sa confession de foi chrétienne en se faisant représenter sur la face avant de son propre
sarcophage acclamant le Christ et les apôtres dans la « traditio legis » sans oublier certainement la
figure de l’orant qui donne un sens définitif d’espérance dans la vie éternelle comme récompense de
sa foi proclamée et vécue. Pour cela le choix de la scène n’est pas le fruit du hasard car le Christ est
représenté comme un Christ vainqueur. Par voie de conséquence Secundinus triomphe à son tour de
la mort.
P. Silvio Moreno, IVE
Cathédrale de Tunis
silviomoreno@ive.org
Février 2021
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