Recherche et formation
55 | 2007
La question des contenus en formation des
enseignants
Éditorial. Contenus de formation
Joël Lebeaume et Anne-Marie Chartier
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/rechercheformation/837
DOI : 10.4000/rechercheformation.837
ISSN : 1968-3936
Éditeur
ENS Éditions
Édition imprimée
Date de publication : 31 octobre 2007
Pagination : 5-10
ISBN : 978-2-7342-1091-7
ISSN : 0988-1824
Référence électronique
Joël Lebeaume et Anne-Marie Chartier, « Éditorial. Contenus de formation », Recherche et formation [En
ligne], 55 | 2007, mis en ligne le 31 octobre 2011, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://
journals.openedition.org/rechercheformation/837 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rechercheformation.
837
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ÉDITORIAL
CONTENUS DE FORMATION
Ce numéro de la revue Recherche et Formation paraît à la rentrée de l’année universitaire 2007-2008, marquée par la profonde reconfiguration de la formation des
maîtres en France : les IUFM deviennent des écoles intégrées aux universités, les
plans et les maquettes de formation sont réécrits en rapport avec les dix compétences
fixées par le Ministère. Inscrit dans les préoccupations conjoncturelles, ce numéro
répond pourtant à un projet plus ancien. En effet, entre les recherches didactiques
dédiées à chaque spécialité et l’approche habituellement transversale de Recherche
et Formation, les formateurs ont parfois peine à penser le rôle que jouent les contenus (et pas seulement leur discipline préférée) dans l’architecture des formations. Les
préparations aux concours confortent le découpage traditionnel en disciplines, mais
une fois réussies ces épreuves de sélection intellectuelle, quels apports construisent la
ou les professionnalités de l’enseignant ? Ces contenus, égaux en droit, sont inégaux
en fait : les maths « pèsent » plus que la physique ou l’éducation physique, ce que
sait tout ancien élève, mais aucun étranger ne peut le deviner à lire les plans de formation ou les recherches en didactique. Les contenus sont également hétérogènes
dans leurs objets, renvoyant tantôt à des savoirs discursifs (la phylogénétique en
SVT), tantôt à des « savoir-faire » aux frontières floues (le savoir lire-écrire élémentaire), tantôt à des compétences techniques spécialisées (pour les sections industrielles ou tertiaires des lycées professionnels). Dans le curriculum de formation,
comment sont considérés ces « contenus » que les jeunes enseignants doivent non
seulement connaître mais apprendre à faire acquérir à leurs élèves.
Dans les discours de l’éducation et de la formation, le terme « contenu(s) » renvoie
à programme, dans le sens plus ancien de plan d’études présentant une liste d’intitulés successivement traités. Par exemple, l’ESEN présente les « contenus de formaRECHERCHE et FORMATION • N° 55 - 2007
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tion » en listes selon les métiers auxquels elle prépare (1). De même, les analyses
européennes (2) associent « contenu » à cours, formation, programme, offre d’enseignement et l’opposent à « organisation » ou à « méthode », distinguant ainsi
« contenus » et « contenants », ce sur quoi s’interroge Bernard Rey dans le « Autour
des mots » de ce numéro. Recherche et Formation est parti de cette acception usuelle,
la focalisation sur les contenus soulignant en revanche la dépendance à leur égard
des modalités ou des méthodes qui leur sont adjointes. Cette préoccupation traverse
les nombreuses recherches concernant la formation professionnelle, comme on a pu
le voir au récent colloque de la CDIUFM (3) dans les ateliers intitulés « Didactique et
formation des enseignants » ou « Formation des enseignants et enseignement scolaire des savoirs et disciplines ».
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Ces recherches sur ou pour la formation des maîtres sont parfois rassemblées sous
l’étiquette « didactiques des disciplines », domaine souvent disjoint des domaines
intitulés « didactique professionnelle », « développement professionnel » ou « gestion de classe ». On retrouve ainsi dans la recherche les découpages de la formation qui distingue savoirs d’enseignement (concernant les disciplines scolaires),
sciences de l’éducation et sciences humaines et sociales (apportant des informations
sur l’école, l’enfant, l’apprentissage), savoirs d’action (traitant du travail enseignant),
etc. La complémentarité (présupposée) des enseignants-chercheurs, des praticiensformateurs, des conseillers pédagogiques assurerait la dimension professionnelle de
la formation. Des savoirs académiques (la linguistique, par exemple), des matières
scolaires (comme l’orthographe), des enseignements-apprentissages (analyse de dictées d’élèves), des pratiques effectives (séquences d’orthographe en classe) se trouvent ainsi distribués, restant à la charge des stagiaires de les « intégrer ». Ces
contenus répartis au gré des lieux et des temps de formation entrent mal dans les
binômes théorie-pratique, enseignement disciplinaire-formation professionnelle, formation générale-formation professionnelle. Jean-Louis Martinand et Yves Reuter discutent dans la rubrique « Entretien » ces modèles de formation en vigueur dans de
nombreux pays, qui ne correspondent pas aux modalités institutionnelles de recrutement et de formation des enseignants en France. Pour ces chercheurs en didactique,
le cœur du métier des professeurs est (ce qui ne surprendra personne) la « matière »
appartenant à un champ du savoir, scolarisé sous la forme des disciplines historiquement constituées : c’est donc autour de ces matières qu’ils pensent nécessaire de
structurer la formation professionnelle initiale.
1 - http://www.esen.education.fr/fr/les-formations/formation-initiale/contenus-deformation/
2. - http://www.qca.org.uk
3. - http://www.lille.iufm.fr/fpu2007/
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De ce fait, apparaissent bien convenues les oppositions entre didactique et pédagogie, entre contenus d’enseignement et gestion de classe, bref, entre le spécifique (les
contenus) et le générique, qui relèverait d’une didactique générale ou d’approches
transversales. Ce partage révèle plutôt des tensions entre la culture secondaire (spécificité des contenus et des didactiques) et la culture primaire (pédagogie « globale »
du groupe classe et organisation spécifique des contenus). Ces tensions sont enracinées dans les oppositions passées (écoles normales vs universités) ou présentes (instituts pédagogiques vs facultés d’éducation) (4). Questionner la formation en partant
des contenus permet ainsi de ne pas faire abstraction de son environnement institutionnel. D’une façon directe, cela interroge également les problématiques des recherches : quelle « focale » choisir pour rendre intelligibles l’activité enseignante et les
actions complexes des novices au travail ? Si l’enseignement est une profession, il se
décline, en effet, en de nombreux métiers. Qu’est-ce qui réunit et distingue un professeur des écoles (de la petite section au cours moyen), un professeur de mathématiques en section S-SI, un professeur d’EPS, un conseiller principal d’éducation, un
documentaliste, un professeur de productique ou un professeur de math-sciences en
lycée professionnel ? On sait à quel point c’est la conscience aiguë des différences
qui fonde l’identité de chacun en relation à « sa » discipline.
Les articles de ce numéro, conçus comme autant d’études de cas, traitent ces questions de biais ou de face, permettant au lecteur des confrontations croisées : entre
formation d’enseignants et formation d’ingénieurs, formations pour le primaire ou le
secondaire, l’enseignement général ou professionnel, dans des disciplines « classiques » (les maths, le français) ou dans des « matières » spécifiques de la formation. Comment qualifier, par exemple, un module intitulé « école maternelle » ? Les
contenus abordés vont de la découverte du monde pour les petits à l’acquisition de
compétences pour des professionnels de la vente et des actions commerciales.
En présentant la formation des ingénieurs Michel Sonntag met d’entrée le lecteur à
distance des débats actuels sur la formation professionnelle des enseignants. Le cœur
du métier vise la maîtrise du processus de conception industrielle, quelle que soit
l’école, et fixe l’architecture et les contenus de la formation, associant enseignements
scientifiques fondamentaux, sciences pour l’ingénieur et spécialisation, enseignements d’ouverture et de culture générale. Michel Sonntag insiste sur l’organisation
administrative et sociale de ces écoles professionnelles, sur les instances régulatrices
des formations en prise directe sur le milieu sociotechnique et sur les dispositifs
(comme les associations d’anciens élèves) qui contribuent si fortement à la construction identitaire des élèves ingénieurs. Les principes directeurs de ces formations
4 - VST 2005.
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diversifiées proposent ainsi un cadre explicite d’analyse et peut-être un outil critique
pour évaluer par contraste la formation des enseignants.
Alain Kuzniak confronte la formation des PE et des PLC en mathématiques, souligne
la différence des deux populations, la diversité des contextes et des formateurs, mais
la convergence des perspectives didactiques partagées par la corporation et fondées
sur les contenus et les tâches mathématiques proposés aux élèves. Dans cette
approche, l’analyse des tâches peut répondre aux soucis urgents des novices sur la
gestion de la classe et la discipline, et met en question la distinction générique/spécifique qui conduit à traiter ces questions indépendamment des contenus.
En lycée professionnel, les référentiels de compétences se substituent aux programmes, l’alternance est constitutive de la formation, l’évolution des contenus est
directement liée aux pratiques des professionnels dans les entreprises. Nicole
Lebatteux et Alain Legardez présentent un dispositif pour former les professeurs de
vente, dispositif qui cherche à aider les jeunes professeurs à adopter un positionnement réflexif, à construire une distance critique aux savoirs sociaux, aux référentiels,
aux ressources pédagogiques. La formation essaie ainsi d’intégrer des résultats de
recherches en les « reproblématisant », et de répondre aux exigences professionnelles sans oublier sa mission éducative.
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S’agissant de la didactique du français, Claudine Garcia-Debanc retrace comment
celle-ci a évolué, s’éloignant d’une logique applicationniste au fur et à mesure qu’elle
prenait en compte la complexité des actions enseignantes et les déterminants multiples des pratiques. S’agissant par exemple de l’enseignement de la lecture, les
acquis des recherches didactiques sont devenus des ressources pour la formation et
des aides pour analyser les pratiques, pour catégoriser les activités des élèves au CP,
analyser leurs stratégies de lecture, afin de conforter les choix d’interventions ou le
recours à des solutions alternatives.
Concernant l’école maternelle, Maryline Coquidé rappelle l’importance de la
« méthodologie spéciale » dans la formation des anciens instituteurs et liste les
savoirs innombrables susceptibles de « nourrir la formation », alors que le temps
consacré à l’école maternelle en IUFM est très bref. Centrée sur l’organisation des
coins où se déroulent les activités de petits groupes, ou les jeux libres contribuant à
la « découverte du monde », elle relate les choix didactiques d’une recherche-action
structurée selon quatre perspectives : l’élève, la classe, les obstacles et les horizons,
et débouchant sur une formation de formateurs.
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Qu’en est-il des contenus de formation hors de France ? L’ouvrage collectif paru en
2006 et dirigé par Lenoir et Bouillier-Oudot, permet de comparer et discuter les curriculums de formation professionnelle dans l’espace francophone, ce qui légitime la
longue note de lecture (p. 151) qui lui est ici consacrée, de même, on y trouvera
aussi la présentation de l’ouvrage de Lenoir, Larose et Lessard sur les curriculums primaires québecquois. Pour le Brésil, Flavia Medeiros Sarti éclaire les difficultés de
réception liées aux contenus de formation, transmis selon la logique universitaire, à
des institutrices en cours de requalification. Centrée sur les lectures « théoriques »,
son approche discute d’une part, les références de ces actions de formation, et
d’autre part, les processus d’appropriation, individuels ou collectifs, de textes universitaires. Ceux-ci sont appréciés ou rejetés non en fonction de leurs « contenus »
textuels (leur thématique spécifique, leur cadre théorique, la nouveauté des informations, la force de l’argumentation), mais en fonction de leur valeur d’usage « pour
faire la classe ». Quand les contenus de formation ne font pas « sens » pour ces praticiennes sans formation initiale, le prestige symbolique d’une formation diplômante
ne suffit pas à éviter les tensions avec les formateurs.
Les auteurs sollicités sont des chercheurs, spécialistes d’une didactique disciplinaire,
mais leurs contributions sont aussi des analyses de leur travail de formateurs. Ils indiquent tous que leur attention portée au contenu enseigné s’inscrit dans une configuration curriculaire particulière. Quelle que soit par ailleurs la diversité de leurs
positions, on pourrait dire qu’il ne s’agit pas pour eux de former des « praticiens
réflexifs » mais plutôt des « enseignants réflexifs », disposant des outils intellectuels
pour analyser leurs actions du point de vue des spécialités disciplinaires qu’ils représentent et pas seulement pour être des enseignants efficaces. C’est en ce sens que la
recherche « nourrit » la formation, non par la diffusion des résultats de recherche
mais par leur reformulation et/ou leur reconstruction en tant qu’outils de formation :
leur légitimité théorique cède le pas, en quelque sorte, à leur valeur d’usage pour
élaborer des repères et prendre de la distance, quand il s’agit « d’analyser les pratiques », pour préparer et conduire la classe, évaluer et poursuivre une action d’enseignement. On est loin de la logique applicationniste qui présuppose qu’il suffirait
d’enseigner aux praticiens les résultats de la recherche pour modifier les pratiques.
Est-ce à dire que les didactiques seraient, plutôt que des savoirs universitaires, des
« disciplines de formation » au sens fort, visant à discipliner l’esprit, à construire de
nouvelles catégories de pensée plus qu’à accroître le stock des connaissances ?
Les différents contributeurs signalent également la nécessité de recherches sur ou
pour la formation elle-même. La naissance d’une nouvelle revue Éducation et
Didactique, saluée dans ce numéro (p. 158), montre bien qu’il est aujourd’hui urgent
de créer de nouveaux espaces d’expression et de réflexion, pour construire une
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culture « comparatiste ». Cette livraison espère contribuer à cette problématisation,
nécessaire pour discuter, sans les séparer de leurs contenus, les fondements et les
orientations des dispositifs de formation.
Joël LEBEAUME
ENS Cachan ; INRP (UMR STEF)
Anne-Marie CHARTIER
INRP (SHE)
Rédacteurs en chef invités
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