L’enseignement tutoral :
l’exemple du pasteur-pédagogue
David Bogue (1750-1825), un
pionnier des missions modernes
L’en
seig
ne
me
nt
tuto
ral :
l’exe
mpl
e du
Anne Ruolt
Résumé : Cet article porte sur la personne et l’œuvre d’une éminente
figure oubliée de l’histoire du Réveil, de la mission, mais aussi de la formation théologique : le pasteur écossais David Bogue (1750-1825).
Nous considérerons surtout sa longue carrière de pasteur et directeur
« d’Institut biblique missionnaire » à Gosport. En établissant quelles
ont été les relations entre Bogue et la mission baptiste de William
Carey (1761-1834), nous chercherons à déterminer qui, de Carey ou
de Bogue, doit être désigné comme « le père des missions modernes », et
montrerons une des spécificités pédagogiques de ce pédagogue : le tutorat.
Abstract : This article presents the person and work of an eminent forgotten figure of the revival, a pioneer of missions and of theological
education : David Bogue (1750-1825). While relating his long career
as pastor and director of the “Missionary Bible Institute” in Gosport,
the author also discusses the question as to whether the Baptist William Carey (1761-1834) or the Presbyterian David Bogue should be
considered “the father of modern missions”. Finally, the article draws
the reader’s attention to a particular point of Bogue’s educational
system : the tutorial system.
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
Introduction
Qui se souvient aujourd’hui de David Bogue (1750-1825), pièce maîtresse de la fondation de la Mission de Londres 1, que ses contemporains
ont surnommé « le père des Missions », et qu’Alice Wemyss qualifie
volontiers de « père du réveil » 2 ? Comme le souligne A.F. Walls, contrairement au baptiste William Carey (1761-1834), le dissident pédobaptiste whitefieldien 3 David Bogue était une personne éminente dans son
Église 4. Pourtant, l’histoire cultive souvent plus la mémoire des pionniers en terre lointaine que celle de ceux qui leur ont permis de partir,
soit en les formant soit en leur donnant les moyens d’accomplir leur
ministère, en servant de courroie de transmission avec l’Europe. Cet
article sur le Dr David Bogue veut contribuer à raviver le souvenir d’un
de ces artisans du travail missionnaire en « terre lointaine », bien qu’il ne
soit jamais parti au « bout du monde » pour y évangéliser un « peuple
non atteint » par l’évangile. Cette première approche cherchera à montrer l’importance du rôle d’artisan des Missions du dissident Bogue à
côté de celui qu’a eu le baptiste Carey. Nous chercherons à déterminer
qui de Carey ou de Bogue doit être désigné comme « le père des missions
modernes », et montrerons une des spécificités pédagogiques de ce pédagogue : le tutorat 5.
1. John MORISON, « Memoir of the Rev. David Bogue D.D. », The fathers and founders
of the London Missionary Society : a jubilee memorial, Londres, Fisher, 1844, p. 156217.
2. Alice WEMYSS, Histoire du Réveil 1790-1849, Paris/Lausanne, Les Bergers et les
Mages/Ale, 1977, p. 59.
3. Une étude plus fine des influences théologiques de Bogue serait ici utile. Nous simplifions en le rattachant aux idées du calviniste Georges Whitefield (1714-1770),
dont la chapelle Taitbout fut en France un des fiefs.
4. A.F. WALLS, « Les Sociétés missionnaires protestantes », in Charles EHLINGER,
sous dir., Guide illustré de l’histoire du christianisme, Paris, Centurion, 1982, p. 549.
5. Sur ce sujet nous renvoyons aussi aux actes du symposium : Anne RUOLT, « L’activité comme invariant pédagogique dans le système éducatif de David Bogue (17501825) et le principe de l’éducation de Louis-Frédéric François Gauthey (17951864) », Portrait Robot du pédagogue protestant : quel(s) invariant(s) dans leur
pédagogie?, LISEC-IBN, Nogent-sur-Marne 11-12 mars 2013 (à paraître en 2014).
28 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
1. Revue bibliographique : David Bogue, l’oublié
des historiens de l’histoire des missions
En langue française, parmi les ouvrages qui parlent de Bogue, nous
avons pu consulter celui sur « La fondation de la London Missionary
Society (LMS) », publié en 2001 par Vincent Huyghues-Belrose 6, ainsi
que celui d’Alice Wemyss sur l’histoire du Réveil de 1790-1849, publié en
1977 7. Avant eux, en 1826, les rédacteurs des Archives du christianisme
au XIXe siècle avaient consacré une notice à Bogue, à l’occasion de son
décès 8. Entre ces deux dates, Bogue sera cité dans l’œuvre d’Émile Leonard 9.
On s’étonnera, en revanche, de l’absence de toute mention de Bogue
sous la plume de Jacques Blandenier, qui consacre cependant trente
pages à celui qu’il surnomme le « père des Missions modernes », le baptiste William Carey 10. Si Jacques A. Blocher mentionne bien que Robert
Morrison (1782-1834) s’est formé à l’Académie missionnaire de Gosport avant de partir en mission en Chine, il n’évoque cependant pas le
nom du directeur de cet « institut biblique missionnaire ». En 1860, pas
de mention de Bogue non plus dans l’Histoire des missions évangéliques de
Samuel Descombaz 11. Le catalogue en ligne du Service protestant de
Mission (Défap) ne connaît aucun ouvrage de Bogue, ni de biographie
sur lui 12.
6. Vincent HUYGHUES-BELROSE, « La fondation de la LMS », Les premiers missionnaires protestants de Madagascar 1795-1827, Paris, Karthala, 2001.
7. WEMYSS, op. cit.
8. « Biographie religieuse, Notice biographique sur le révérend docteur David
Bogue », Archives du christianisme au XIXe siècle, janvier 1826 / février 1826, p. 1-8/
p. 49-63.
9. Émile G. LÉONARD, Histoire générale du protestantisme : déclin et renouveau, t. 3,
Paris, PUF, 1988, p. 153 et 182.
10. Jacques BLANDENIER, Précis d’histoire des missions : du XIXe siècle au milieu du
XXe siècle. L’essor des Missions protestantes, vol. 2, Nogent-sur-Marne/Saint-Légier,
Éditions de l’Institut biblique/Emmaüs, 2003, p. 49-79.
11. Samuel DESCOMBAZ, L’Histoire des missions évangéliques, vol. 2, Paris, Meyrueis,
1860.
12. Service protestant de Mission (Defap), http://www.defap-bibliotheque.fr/catalogue/simple.php [site consulté le 17 juillet 2012].
| 29
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
Faut-il interpréter cet oubli par la sensibilité plus proche du baptisme
de certains historiens des missions, alors que l’initiative de Bogue visait à
mobiliser tous les « Réveillés », parmi les protestants dissidents mais
aussi parmi les anglicans en Grande-Bretagne et au-delà?
Peu de travaux récents ont été consacrés à ces artisans du Réveil calviniste-modéré britannique qui rayonnèrent depuis Genève par Haldane
(1764-1842), œuvrant à la reviviscence du protestantisme français
réformé, et dont les Églises libres françaises sont plus particulièrement
les héritières. Le vent du Réveil n’a pas été insufflé que par des baptistes
ou des méthodistes wesleyens 13. Qui se souvient aujourd’hui encore par
exemple du pasteur Laurent Cadoret (1770-1861), formé chez Bogue,
agent de la Mission de Londres depuis 1801 14, précurseur du Réveil et
fondateur de la première École du dimanche en France 15 ? L’absence de
13. Wesley (1703-1791) rompit malgré lui en 1784 avec l’Église nationale. George
Whitefield (1714-1770), son proche ami, rompit avec lui et le méthodisme en
1741, sur la question de la prédestination. Pour les baptistes, John Smyth (1570 28 août 1612), Thomas Helwys, (1550- 1616). Sébastien Fath situe les « premiers
balbutiements de l'implantation baptiste en France aux environs de 1808/1810 »
dans le Nord à Normain, parle de début 1820 pour le début de l'implantation baptiste proprement dite et situe l’essor de ce courant entre 1832 et 1852. En 1819,
l’évangéliste suisse (vaudois, né à Sainte Croix) Henri Pyt (1796-1835), de la
Société continentale, encadre un important groupe proto-baptiste à Nomain, dans
le département du Nord (environ 200 fidèles). Il avait fréquenté dès 1810 à Genève
« le cercle des amis » de Bost, Empeytaz… Sébastien Fath, Une autre manière d'être
chrétien en France. Socio-histoire de l'implantation baptiste, 1810-1950, Genève, Labor
et Fides, 2001, p. 101, 139. Patrick Ph. STREIFF, « La doctrine de la grâce selon
John Wesley – Le méthodisme wesleyen (arminien) en comparaison avec le méthodisme calviniste », Centre méthodiste de formation fhéologique, Documents méthodistes, www.cmft.ch/arminianisme_wesleyen_-_article_f.php [site consulté le
22 juillet 2011].
14. Laurent CADORET, Lettre au pasteur Bogue, Paris, Lettre du 4 décembre 1801,
Londres, SOAS, CWM/LMS/Europe/France/Incoming Correspondence/ Box
3/ Folder 1/Jacket C, council for world mission archives, incoming letters europe
1797-1849, europe-France, box 1-3, 1801/13 n° 33.
15. Sur Cadoret voir : Daniel ROBERT, « Cadoret », in André ENCREVÉ (dir.), Les protestants. Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, vol. 5, Paris,
Beauchesne, 1993, p. 114; Anne RUOLT, « Laurent Cadoret (1770-1861) et l’École
du Dimanche à Luneray (1814) : les prémices de la renaissance des écoles protestantes en France », Penser l’éducation, n° 30, décembre 2011, Université de Rouen,
p. 52-71; [suite de la note page suivante]
30 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
travaux sur le rôle majeur joué à Paris par les pasteurs et les membres de
la chapelle Taitbout 16 dans le développement des œuvres que cette aile
du Réveil a soutenues, mérite aussi d’être relevée.
En langue anglaise, plusieurs documents tirés des archives de la Mission de Londres ont été publiés par Sell et Bebbington, en particulier
l’appel à la Mission lancé par Bogue le 6 août 1794 (Document IV.13,
p. 216-219), les principes fondamentaux de la Mission de Londres
(Document IV.14, p. 219), et sur Bogue et sa théologie (Document
IV.12, p. 212-215) 17. Citons la biographie de Bogue publiée en 1827 par
James Bennett, ainsi que la thèse de Tempstra sur Bogue soutenue en
1959 18. L’histoire de la Mission de Londres par Richard Lovett (1899)
donne aussi des informations utiles 19, comme les quatre volumes rédigés
par Bogue et Bennett sur l’histoire des dissidents de 1688 à 1808 20 : History of Dissenters, from the Revolution in 1688, to the Year 1808, vol. I-IV,
1808/1809/1810/1812.
15. [suite] « Le pasteur Laurent Cadoret (1770-1861) et une de ses œuvres : l’École du
Dimanche de Luneray », Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme Français,
n° 158, 2012, p. 703-741; « Luneray, berceau de la première École du Dimanche en
France? », Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme en Normandie, n° 47,
février 2010, p. 20-26 sur la période, Daniel ROBERT, Les Églises Réformées en France
(1800-1830), Paris, PUF, 1961; et André ENCREVÉ, Protestant Français au milieu du
XIXe siècle, les réformés de 1848 à 1870, Genève, Labor et Fides, 1986.
16. Voir Jacques PANNIER, Centenaire de la chapelle Taitbout (1840-1940), texte ronéotypé, 1840.
17. David BOGUE, « David Bogue’s Call to Mission », document IV.13, in Robert
Tudur JONES, Alan P. F. SELL, David WILLIAM, Protestant Nonconformist Texts :
The Eighteenth Century, Documents, Ashgate Publishing, Ltd., vol. 2, d’après Evangelical Magazine, septembre 1794, 1792/2006, p. 216-219.
18. James BENNETT, Memoirs of the Life of Rev. David Bogue, Londres, F. Westley &
A.H. Davis, 1827, 445 p., TEMPSTRA, Chester, David Bogue, D.D., 1750-1825 pioneer and missionary educator, thèse de doctorat, University of Edinburgh, 1959.
19. Richard LOVETT, The History of the London Missionary Society 1795-1895,
Londres, Henry Frowde, Oxford University Oress, vol. I, 1899, p. 4-6; vol. 2, 1899,
p. 1, 64.
20. David BOGUE, James BENNET, History of Dissenters, from the Revolution in 1688, to
the Year 1808, Vol. I-IV, 1808/1809/1810/1812.
| 31
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
John Morison publie en 1844, à l’occasion du jubilé de la Mission, un
article sur Bogue, « Memoir of the Rev. David Bogue D.D. » 21, comme
Richard Lovett 22 dans son histoire de la Mission publiée en 1899 23.
Parmi les auteurs récents de langue anglaise, Boël Gibbard publie en
1988 l’article « David Bogue and the Gosport Academy 24 ». En mars
2012, le Dr Christopher Daily de l’Université de Londres publie, à partir d’un travail sur les archives de la LMS, « David Bogue (17501825) » 25. Plus récemment, l’historien Mark Noll cite aussi Bogue 26.
Parmi les ouvrages de Bogue traduits en langue française, citons dès
1803 (an 11) : Essai sur la divine autorité du Nouveau Testament, traduit
par Combes-Daunou et, en 1822, Paix universelle durant le millenium,
traduit par Malleville de Condat 27.
Cet article étant plus particulièrement consacré à Bogue, nous ne
mentionnerons ici que quelques-uns des documents, beaucoup plus
nombreux, qui existent sur William Carey. En langue française, citons la
biographie de Robert Farelly 28 , la section que Jacques Blandenier
21. John MORISON, « Memoir of the Rev. David Bogue D.D. », The fathers and founders
of the London Missionary Society : a jubilee memorial, Londres, Fisher, 1844, p. 156217.
22. Richard Lovett (1851-1904) était un pasteur whithefieldien. Il a obtenu un B.A. en
philosophie en 1873 de l’Université de Londres, puis a commencé un M.A. en 1874
lorsqu’il a été appelé comme pasteur de la Countess of Huntingdon's connexion
(branche calviniste du méthodisme).
23. Richard LOVETT, The History of the London Missionary Society 1795-1895, vol. 1 et
vol. 2, Londres, Henry Frowde, Oxford University Press, 1899.
24. Noel GIBBARD, « David Bogue and the Gosport Academy », Foundations 20, 1988,
p. 36-41.
25. Christopher A. DAILY, « David Bogue (1750-1825) », Dissenting Academies
Online : Database and Encyclopedia, Dr Williams’s Centre for Dissenting Studies,
Mars 2012. Il s’inspire des archives de la Mission de Londres et d’une thèse que nous
n’avons pas pu consulter : Chester, TERPSTRA, « David Bogue, D.D., 1750-1825 :
Pioneer and Missionary Educator », thèse de doctorat non publiée, University of
Edinburgh, 1959.
26. Mark NOLL, The Rise of Evangelicalism, The Age of Edwards, Whitefield and the Wesleys, Leicester, IVP, 2004, p. 194ss.
27. Une notice bibliographique est accessible sur le blog de l’auteur : http://
histoire2pedagogie.overblog.com
28. Robert FARELLY, William Carey, Paris, SPB, 1984.
32 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
consacre à Carey dans son Précis d’histoire des missions 29, de brefs résumés d’études publiés dans le journal d’église Le bon Combat 30. En langue
anglaise, une bibliographie ancienne est à signaler 31, un texte concernant
Carey qui précède ces documents d’archives sur Bogue chez Jones, Sell
et William (Documents IV.11) 32 , et l’ensemble des documents
d’archives accessibles en ligne sur le site du Carey Center 33.
2. David Bogue, l’homme, le pasteur et la mission
2.1. David Bogue, sa famille et son éducation
Bogue, son enfance et sa famille
David Bogue est un érudit écossais, né à Dowlau en 1750. Il était le
quatrième fils d’un avocat, John Bogue, mort en 1786, et de Margaret
née Swanston, décédée en 1805 34. Douze enfants naquirent dans cette
famille pieuse 35, membre de l’Église nationale d’Écosse, l’Église presbytérienne calviniste (et non l’Église anglicane).
Le jeune David avait 6 ans lorsqu’il a commencé à apprendre le latin.
À 13 ans, il lisait cette langue aussi aisément qu’un texte en anglais.
Après neuf ans de brillantes études à l’université d’Édimbourg, en 1771,
29. BLANDENIER, op. cit., p. 49-79.
30. Anne RUOLT, « William Carey (1761-1834) », in Le Bon Combat, mars-avril 2004,
p. 10-17 et mai-juin 2004, p. 10-17.
31. George SMITH, Life of William Carey, Shoemaker & Missionary, Londres, J.M. Dent,
1922.
32. William CAREY, « William Carey on the Lord’s Missionary Commission. An
Enquiry Whether The Commission Given By Our lord To His Disciples Be Not
Still Binding On Us », Documents IV.11; JONES…, op. cit., p. 210-213.
33. Bennie R. Jr CROCKETT, Myron C. NOONKESTER, Carey Center : Center for Study
of the Life and Work of William Carey, D.D. (1761-1834), http://www.wmcarey.edu/carey/bms/bms.htm [site consulté le 17 juillet 2012].
34. RÉDACTEUR, « Memoir of the late Rev. David Bogue D.D. of Gosport, Hampshire », Evangelical magazine and missionary chronicle, 1826, p. 1-7.
35. Evangelical magazine and missionary chronicle, 1826; Biographie universelle
(Michaud) ancienne et moderne de Eugène Ernest DESPLACES, Joseph Fr.
MICHAUD, Louis Gabriel MICHAUD, publiée par Mme C. Desplaces, 1854,
p. 544.
| 33
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
il obtenait un MA (Magister Artium, Maîtrise ès arts) en théologie 36. La
prestigieuse université de Yale, marquée à la fois par le congrégationalisme puritain et l’élitisme scientifique, lui décernait en 1815 un doctorat
Honoris Causa 37.
Le 28 août 1788, il épousait Charlotte Uffington, estimée pour son
amabilité, son intelligence vive, ses bonnes manières et sa ferme piété 38.
De cette union sont nés quatre fils et trois filles. En 1804 leur fille Mary
mourait dans son jeune âge. En 1814, c’est leur deuxième fils Thomas
qui leur était emporté à l’âge de 22 ans, puis, en 1822, leur plus jeune fils
John décédait à l’âge de 20 ans, devançant David Jr, le troisième fils de la
famille, qui disparaissait le 27 septembre 1824 à l’âge de 19 ans. David
Bogue père avait placé beaucoup d’espoir en ce fils pour lui succéder. En
1817, il avait obtenu un MA à l’université de Glasgow et avait enseigné
avec lui au Séminaire missionnaire de 1817 à 1821 39. Il avait ensuite
entrepris des études de Droit pour devenir juriste, mais il est mort avant
d’achever ces études 40.
David Jr est mort sept mois après sa mère, décédée le 26 février 1824.
La mort, la même année, de sa femme Charlotte porta un coup fatal à
David Bogue, qui mourait un an après eux 41.
36. « Bogue David », Penny Cyclopaedia of the Society for the Diffusion of Useful
Knowledge, Supplément, vol. 1, Londres, C. Knight, 1851, p. 211.
37. « David Bogue of Gosport », http://www.wmcarey.edu/carey/bogue/bogue.htm
[site consulté le 5 mars 2008].
38. « A lady generally esteemed for amiable spirit, intelligent mind, agreeable manners,
and decided piety », in « The Rev. David Bogue D. D. », The Annual biography and
obituary, vol. 11, Londres, Longman, Brown, Green, p. 27. John CAMPBELL,
« David Bogue », Maritime discovery and Christian missions : considered in their
mutual relations, Londres, Snow, 1840, p. 335; John Morison, op. cit., p. 175.
39. Selon http://dissacad.english.qmul.ac.uk/new_dissacad/phpfiles/sample1.php?
asearch=0&detail=people¶meter=Peoplesearch& alpha=bogue&personid=
6886 [site consulté le 3 mars 2013].
40. « He had the office of classical tutor to the Missionary seminary there several years,
but he had devoted himself to legal studies, with a view to the Bar, when he was
removed by death ». Congregational Magazine, n° 7, 1824, p. 615.
41. John MORISON, op. cit., p. 203-206.
34 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
Bogue, le pasteur-théologien
De caractère résolu et indépendant, le père de David Bogue avait pris
parti contre les patronages en Écosse 42. Cela coûta à son fils sa nomination comme pasteur de l’Église d’Écosse. Il fit carrière en Angleterre,
dans l’Église presbytérienne dissidente 43. Il prêcha son premier sermon
en 1772, à Londres, dans l’Église dissidente de M. Muir, après avoir été
l’assistant du pasteur Smith dans l’Église et l’Académie qu’il avait dirigées à Londres. En 1766, David déclinait l’appel de l’Église écossaise
d’Amsterdam; mais, en 1777, il acceptait la direction d’une Église indépendante à Gosport 44. Fondée par des puritains, cette Église avait été
conduite par une longue suite de pasteurs distingués. Mais James Watson (1728-1796), le dernier en date, avait abandonné le pastorat pour
faire de la politique, puis devenir juge aux Grandes-Indes. Cette église
remplissait presque chaque dimanche ses 1200 places. Elle était en particulier fréquentée par l’amiral Adam Duncan (1731-1804) 45, qui assistait aux cultes parfois accompagné de ses neveux, James (1773-1851) et
Robert (1764-1842) Haldane. Détruite en 1941 par un bombardement
ennemi, l’église a été reconstruite rue Bury. Elle appartient aujourd'hui à
l’Église Réformée Unie (United Reform Church) 46. Edmond Petitpierre
brosse de Bogue ce portrait :
Le nom vénérable de David Bogue, alors âgé de 47 ans, était en lui-même
une forte tour, et aurait ajouté du poids à toute entreprise chrétienne. Cet
homme, qu’on ne pouvait guère comparer qu’à Johnson, était doué d’une
vaste intelligence et avait un courage à toute épreuve. D’un port imposant,
il avait beaucoup de dignité dans son maintien, et il joignait à la réputation
d’un savant et d’un philosophe, celle d’un chrétien expérimenté et d’un
grand théologien 47.
42. Règle d’élection du pasteur, non par le Consistoire, mais par les notables aisés de
l’Église locale (WEMYSS, op. cit., p. 59).
43. Edmond PETITPIERRE (trad), Robert et James Haldane : leurs travaux évangéliques en
Écosse, en France et à Genève, t. 1, Lausanne, Bridel, 1859, p. 37.
44. John MORISON, op. cit., p. 167.
45. Le Vicomte Duncan de Camperdown fut un amiral britannique qui remporta une
victoire éclatante sur la flotte hollandaise lors de la bataille de Camperdown, en 1797.
46. « Stokes Bay and Gosport County Grammar school », http://123-mcc.com/
photo_gosport_grammar.htm [site consulté le 10 mars 2013].
47. PETITPIERRE, op. cit., 18592, p. 87.
| 35
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
Bogue et le réseau du Réveil
Bogue avait aussi fait un voyage en France et en Allemagne pour se
familiariser avec les littératures française et allemande 48. Wemyss rapporte qu’il accompagna Robert Haldane pour son voyage de fin d’études
en 1785 49. En 1802, après la Paix d’Amiens, il séjournait un mois à Paris
accompagné de Matthieu Wilks (1746-1829) du Whitefield's Tabernacle
de Londres et d’autres émissaires de la LMS, pour mener une enquête
sur la diffusion de l’Évangile en France 50. Lortsch rapporte qu’après trois
jours de marche dans Paris, ils n’y avaient pas trouvé la moindre portion
des Écritures 51. C’est à la suite de cette visite, selon Campbell, que Bogue
décidait d’entreprendre la rédaction de son Essai sur l'inspiration du
Nouveau Testament 52 . Ce fut un bref mais marquant séjour. Au
moment où Bogue tombait subitement malade, sa fille cadette, qui résidait à Gosport, et son aînée (Mme Paker), qui habitait aux États-Unis,
vinrent à son chevet. Le seul fils qui lui restait avait élu domicile à Paris
chez son ami Marc Wilks (1783-1856) 53 – fils de Matthieu –, pasteur
congrégationaliste membre du Comité de la chapelle Taitbout 54, précur48. Archives du christianisme au XIXe siècle, 1826, p. 2.
49. WEMYSS, op. cit., p. 59.
50. John CAMPBELL, supra, p. 535.
51. Daniel LORTSCH, Histoire de la Bible française, Saint-Légier, Emmaüs, 1910/1983,
p. 166.
52. John CAMPBELL, « David Bogue », Maritime discovery and Christian missions : considered in their mutual relations, Londres, Snow, 1840, p. 534.
53. Arrivé à Paris pour raison de santé et, d’après Léonard, pour enquêter sur la Terreur
Blanche (op. cit., p. 229), ou aussi, selon Wemyss, comme « agent secret de la Mission de Londres », payé cinq cents livres l’an par la Mission. Wemyss soupçonne
Wilks (1793-1855) et Clément Perrot d’avoir été membres du parti anarchique des
Whigs (1977, p. 133).
54. D’abord rue Taitbout, puis 42 rue de Provence, à Paris 9e. Aujourd’hui, le culte y est
toujours célébré par l’Église évangélique baptiste coréenne de Paris. Sur l’histoire de
cette Église libre : de PRESSENSÉ, CORDEY, HOLLARD, A. FISCH, MEYRUEIS, Une
Église séparée de l’État, notice historique sur l’Église Taitbout à Paris et discours prononcés
à l’occasion du cinquantenaire (1840-1890) de sa chapelle le 6 mai 1890, Paris, Fischbacher, 1890, 99 p. Jacques PANNIER, Centenaire de la chapelle Taitbout (1840-1940),
texte ronéotypé, 1840, 9 p. Dans sa notice, de Pressensé (1890, p. 6) divise le développement de l’Église en quatre périodes : « la naissance, 1830-1839; la jeunesse,
1839-1849; La maturité, 1849-1870; Les temps difficiles depuis 1870 à
aujourd’hui [1890]. »
36 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
seur à sa façon de Mac-All et son œuvre en France, selon Cordey 55. À la
chapelle Taitbout, haut-lieu du Réveil, se réunissaient les « têtes du
Réveil parisien », membres engagés dans les différentes Sociétés évangéliques, mais aussi membres de l’intelligentsia du Paris protestant, alors
qu’au temple du Luxembourg, autre lieu du Réveil parisien, les membres
étaient généralement de condition plus modeste 56.
2.2. David Bogue et la Mission
Premiers engagements
En mars 1792, Bogue avait été appelé à prêcher à Londres à l’occasion
d’une rencontre de la Société pour la propagation de l’Évangile dans les
montagnes et les îles de l’Écosse. Il recommandait dans ce message que
l’on prenne les mesures nécessaires pour l’annonce de l’Évangile aux
nations païennes.
Relevons que cet appel précède celui rendu plus célèbre lancé en mai
1792 par Carey dans sa prédication à l’occasion d’une assemblée générale
de pasteurs baptistes à Nottingham : « Attendez-vous à de grandes
choses de Dieu; entreprenez de grandes choses pour Dieu », et la présentation de l’Enquiry dont le titre complet est : « Enquête sur les obligations des Chrétiens à s’employer à la conversion des païens, et dans
laquelle sont considérés l’état religieux des différentes nations du monde,
55. Henri CORDEY, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), Lausanne, Bridel,
1916, p. 7.
56. « Ces deux chapelles situées dans deux quartiers de Paris assez distants l’un de
l’autre, sont fréquentées par des auditoires très différents. La première [la chapelle
Taitbout] l’est par les chrétiens avec lesquels nous avons le plus de rapports, par les
membres actifs de nos diverses sociétés religieuses, par un certain nombre de protestants qui ne sont pas encore arrivés à la vérité, mais qui tâtonnent pour la trouver, et
aussi par beaucoup d’inconnus, catholiques sans doute, qui ont pris l’habitude d’y
venir pour satisfaire des besoins religieux encore confus. Les pauvres sont ici en
minorité. Ils forment au contraire presque exclusivement l’auditoire de la seconde
chapelle. Là vous voyez plus de blouses que d’habits et plus de sabots que de souliers.
Les familles des fondateurs et les maîtres des écoles sont presque les seuls protestants dans l’assemblée, qui ne se compose d’ailleurs que de catholiques, mais au
milieu de laquelle se forme déjà par la grâce de Dieu un petit noyau de chrétiens… »
(DE PRESSENSÉ, 1890, p. 10).
| 37
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
le succès d’entreprises missionnaires dans le passé, et la possibilité de
nouvelles tentatives de ce genre 57 ».
Bogue avait toujours eu à cœur la France comme terre de Mission. Il
avait déjà participé à la fondation, en 1792, de la French Bible Society, dissoute en 1803, et remplacée en 1804 par la British Foreign Bible Society
(annexe de la London Missionary Society), qui cherchait d’abord à
atteindre les prisonniers français en Angleterre 58. Bogue a aussi été
engagé dans la Religious Tract Society (1789). La Missionary Society est
officiellement née en 1796, dans le droit-fil des idées de la Surrey Mission
Society fondée en 1717 59. Elle devenait en 1818 la London Missionary
Society 60. Cette fondation officielle est postérieure aux discussions provoquées chez les baptistes par Carey et à la rédaction de son Enquiry, qui
a provoqué la création de la Particular Baptist Society for the Propagation of the Gospel Amongst the Heathen (Mission baptiste) le 2 octobre
1792 dans le salon de la veuve Wallis 61.
La volonté des pasteurs et des autres responsables d’Églises évangéliques indépendantes mais aussi anglicanes, qui furent à l’origine, en
1796, de la Mission de Londres, était de « répandre la connaissance du
Christ parmi les païens et les autres nations ignorantes 62 ».
57. William CAREY, An enquiry into the obligations of Christians, to use means for the
conversion of the heathens : « In which the religious state of the different nations of the
world, the success of former undertakings, and the practicability of further undertakings
are considered, Ann Ireland, Leicester ; J. Johnson, St. Paul's Church yard; T. Knott,
Lombard Street; R. Dilly, in the Poultry, London; and Smith, at Sheffield., 1792,
87 p. Accéder au texte complet sur le site : http://www.wmcarey.edu/carey/
enquiry/anenquiry.pdf.
58. HUYGHUES-BELROSE, op. cit., p. 112ss.
59. James Bowden (1745-1812) fut le premier secrétaire de cette Mission « intérieure ».
Le comté de Surrey est situé au Sud-Est du Grand Londres.
60. Elle fait aujourd’hui partie du Council for World Mission (CWM, Conseil pour la
mission mondiale ou Conseil missionnaire mondial) avec l’ancienne Colonial Missionary Society et l’ancien Presbyterian Board of Missions.
61. Site officiel : http://www.wmcarey.edu/carey/bms/bms.htm [site consulté le
17 juillet 2012].
62. « Leaders among the Independent Churches joined forces with Anglican and Presbyterian clergy and laymen to form a Missionary Society in 1795 whose object was
to spread the knowledge of Christ among heathen and other unenlightened
nations » Barrie Scopes, History of the London Missionary Society, http://
www.cwmission.org [site consulté le 17 juillet 2012].
38 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
Petite chronologie de l’appel de William Carey à devenir
le premier missionnaire baptiste
Le 5 octobre 1785 Carey est baptisé comme croyant dans une rivière
par John Jr. Ryland (1753-1825), alors pasteur adjoint de l’Église baptiste dont le père, John Collet Ryland (1723-1792), est le pasteur en titre.
Ce n’est que plus tard, en 1785, qu’il devenait membre, puis prédicateur,
de l’Église baptiste de Moulton 63. Deux ans plus tard, en 1787, Carey, le
cordonnier autodidacte, était consacré comme pasteur baptiste dans
l’Église d’Olney, puis installé à Moulton, tout en continuant d’exercer
son métier de cordonnier et d’assumer la fonction d’instituteur.
En 1787, lors d’une pastorale où il était de coutume de débattre de
questions d’actualité proposées par un des pasteurs, Carey posa cette
question : « le commandement du Seigneur aux apôtres d’évangéliser
toutes les nations est-il valable pour toutes les générations successives
des ministres de l’Évangile jusqu’à la fin des temps? » Le doyen de la pastorale, John Collet Ryland, le père de celui qui avait baptisé Carey, un
calviniste particulièrement strict 64, lui répondit en des termes rendus
63. La Mission baptiste, petite chronologie de Carey, synthèse à partir de FARELLY, op.
cit, 96p. BLANDENIER, op. cit., p. 49-79. George SMITH, Life of William Carey, Shoemaker & Missionary, Londres, J. M. Dent, 1922, 326 p. Bennie R. Jr. CROCKETT,
Myron C. NOONKESTER, Carey Center : Center for Study of the Life and Work of
William Carey, D.D. (1761-1834), http://www.wmcarey.edu/carey/bms/bms.htm
[site consulté le 17 juillet 2012]. Robert Tudur JONES, Alan P.F. SELL, David WILLIAM, op. cit., Documents IV.13, vol. 2, 2006, p. 210-213; Anne RUOLT, « William
Carey (1761-1834) », in Le Bon Combat, mars-avril 2004, p. 10-17 et mai-juin
2004, p. 10-17.
64. Carey inaugure un nouveau courant entre les deux courants historiques de l’histoire
du baptisme : les baptistes généraux et les baptistes particuliers ou hyper-calvinistes.
Les baptistes généraux comme John Bunyan (1628-1688) sont arminiens. John
Smyth (1570-1612), à qui l’on reconnaît d’être le père du baptiste, appartenait,
comme Thomas Helwys (1550-1616) qui l’a introduit en Angleterre, à ce courant de
baptistes généraux, pour qui le salut est offert à tous les hommes. Les baptistes particuliers comme John Collet sont des hyper-calvinistes. Selon eux, le salut n’est destiné qu’aux seuls élus. C’est cette branche qui s’est le plus vigoureusement développée
après Smyth. Le théologien André Fuller (1754-1815), dirigeant de la mission
Carey, prenant le contre-pied de la vague hyper-calviniste. Pour lui, il revient aux
chrétiens d’annoncer la bonne nouvelle de l’Évangile à tous les hommes, notamment
à ceux qui sont nés dans les nations lointaines, sans se borner à attendre simplement
que les seuls élus en contact avec l’Évangile viennent d’eux-mêmes à la foi.
| 39
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
célèbres : « Jeune homme, asseyez-vous. Quand il plaira à Dieu de
convertir les païens, il le fera sans votre aide et sans la mienne 65 ».
Carey se rassit poliment et se tut, mais il resta tenace dans ses idées!
C’est après s’être installé en 1789 avec sa famille à Leicester, et à partir de
toute la documentation qu’il avait collectionnée les années passées sur les
différents pays et leur population, qu’il rédigea une première version de
l’Enquiry. En mai 1791, Il présentait ce texte à ses amis, puis le révisait
avant qu’il ne soit édité en 1792.
En cinq chapitres, Carey y faisait la démonstration du bien-fondé de
la mission d’évangéliser les païens de son temps, et de sa faisabilité. Ces
chapitres abordent successivement les points suivants :
1. Jésus appelle ses disciples à prier pour que le règne vienne (Mt 16.10),
et leur dit d’aller par tout le monde prêcher l’Évangile à toutes créatures (Mc 16.15).
2. Carey dresse le tableau de l’expansion de l’Évangile après la Pentecôte.
3. Puis il présente la situation du monde telle qu’elle est connue à l’époque.
4. Carey dénonce ensuite les faux prétextes invoqués pour ne pas partir,
rappelant que l’Angleterre a été évangélisée alors qu’elle n’était composée que d’indigènes barbares.
5. La prière engendre l’action; conquérir le monde pour Jésus-Christ
sera l’œuvre de l’Esprit, qui vient en aide à ceux qui l’appellent et se
laissent conduire par lui. Pour les finances, il suffit que riches et
pauvres donnent la dîme de leurs revenus.
C’est à l’occasion de la pastorale qui s’est tenue en mai 1792 à Nottingham, que Carey a prêché un sermon sur Ésaïe 54.2-3 et a lancé son
célèbre appel : « Attendez-vous à de grandes choses de Dieu; entreprenez de grandes choses pour Dieu ». Après la démonstration théologique
de l’Enquiry, cette prédication remua les cœurs. Un renversement de
situation se produisit alors. Le Dr John Jr Ryland en témoignait en ces
termes : « Si l’auditoire entier avait élevé la voix et pleuré comme le firent
les Israélites à Bokim, je n’en aurais pas été étonné. L’effet eût été à la
mesure de la cause, tellement il venait de décrire à la perfection notre
paresse criminelle 66. »
65. Traduction FARELLY, op. cit., p. 28.
66. FARELLY, op. cit., p. 39. Sur Carey, voir aussi HUYGHUES-BELROSE, op. cit., p. 88-95.
40 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
Le lendemain, une fois l‘émotion passée, alors que chacun s’apprêtait
à se séparer sans donner de suites concrètes à cet appel, Carey réamorçait
le dialogue. S’en suivit la décision de mettre à l’ordre du jour de la conférence d’octobre la résolution de créer une société missionnaire. C’est
ainsi que, le 2 octobre 1792, dans le salon de la veuve Wallis où étaient
réunis quatorze hommes, dont douze pasteurs de villages, responsables
de petites et pauvres églises, la société missionnaire baptiste fut constituée. La première liste de souscription qui circula entre eux avait produit
13 livres, 2 shillings et 6 pence. Le nom de chaque assistant s’y trouve,
sauf celui de Carey, trop pauvre pour donner quelque argent… mais qui
donnait sa vie en s’offrant pour partir sur le champ missionnaire.
L’effet des premières nouvelles de William Carey
Après la création de la Mission baptiste, c’est le 20 mars 1793 à Leicester que William Carey et John Thomas ont été désignés, pour être
ses premiers missionnaires en Inde. Partis le 13 juin 1793, ils sont arrivés dans la baie de Calcutta cinq mois plus tard, le 11 novembre 1793.
Ce n’est qu’en juillet 1794 que le Dr John Jr Ryland (1753-1825), alors
directeur de l’Académie baptiste de Bristol, reçut les premières nouvelles. Carey parlait de ses six premières semaines en Inde 67. Ryland
réunit alors ses collègues non-conformistes, Bogue l’indépendant, Steven, un presbytérien écossais, et Hey, un autre indépendant, pour leur
faire part des propos de Carey. Suite à cette rencontre, Bogue prenait
l’initiative de lancer un appel missionnaire en publiant un article dans
l’Evangelical Magazine, en septembre 1794, mais en destinant l’appel
aux dissidents « pratiquant le baptême des nourrissons », « Adress to
Evangelical Dissenters who practice infant Baptism » donc à des non baptistes 68. Bogue argumentait en s’appuyant sur la dette qu’avaient les
chrétiens anglais, redevables à ceux qui leur avaient aussi un jour
annoncé l’Évangile :
67. Voir le texte : William CAREY, « William Carey on the Lord’s Missionary Commission. An Enquiry Whether The Commission Given By Our lord To His Disciples
Be Not Still Binding On Us », Documents IV.11.
68. David BOGUE, « David Bogue’s Call to Mission », Document IV.13.
| 41
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
Vous étiez autrefois des païens, qui vivaient dans une cruelle et abominable idolâtrie. Les serviteurs de Jésus sont venus de pays étrangers, et
vous ont prêché l’Évangile. C’est grâce à cela que vous avez connu le
salut. Ne devez-vous pas à votre tour, comme une marque de reconnaissance envers leur bonté, envoyer des missionnaires vers les peuples qui
sont dans cette même condition où vous étiez auparavant, pour les supplier de se détourner de leurs idoles muettes, et de se tourner vers le
Dieu vivant, dans l’attente de la venue de son Fils? En vérité, vous êtes
leurs débiteurs 69.
À partir du 4 novembre 1794, chaque mardi matin, quatre indépendants, David Bogue, Joseph Brooksbank, Reynolds et John Townsend
(1757-1826), deux whithefieldiens, John Eyre et Matthieu Wilks, et
deux presbytériens écossais à Londres, John Love et James Steven, se
retrouvèrent dans le Baker’s Coffee House de Londres. L’idée était de
créer une Mission interdénominationnelle selon le principe du Catholic
Spirit (l’annonce de l’Évangile sans prédéfinir le type de gouvernement
d’Église à fonder), qui associait dissidents, méthodistes, whithefieldiens
et anglicans évangéliques 70. Le cercle s’agrandit dès le 8 janvier 1795. La
69. « Ye were once Pagans, living in cruel and abominable idolatry. The servants of
Jesus came from other lands, and preached His Gospel among you. Hence your
knowledge of salvation. And ought ye not, as an equitable compensation for their
kindness, to send messengers to the nations which are in like condition with yourselfs of old, to entreat them that they turn from their dumb idol the living God,
and to wait for His Son from heaven? Verily their debtors ye are » http://
www.answers.com/topic/london-missionary-society [site consulté le 15 novembre
2008].
70. « As the union of Christians of various denominations in carrying on this great work
is a most desirable object, so, to prevent, if possible, and cause of future dissension,
it is declared to be a fundamental principle of The Missionary Society that its design is
not to send Presbyterianism, Independency, Episcopacy, or any other form of
Church Order and Government (about which there may be differences of opinion
among serious persons), but the glorious Gospel of the blessed Good, to the
heathen; and that it shall be left (as it ought to be left) to the minds of the persons
whom God may call into the fellowship of His Son from among them to assume for
themselves such form of Church Government as to them shall appear most
agreeable to the Word of God ». MISSIONARY SOCIETY, « The Fundamental Principle of the [London] Missionary Society », Documents IV.14. HUYGHUESBELROSE, op. cit., p. 108.
42 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
date du mardi 12 et mercredi 13 mai 1795 fut retenue pour une première assemblée constituante. Elle réunit 23 personnes 71.
L’assemblée générale constituante s’est tenue du 22 au 24 septembre
1795, lors d’une sorte de convention réunissant 200 pasteurs et des laïcs.
La Mission prenait alors le nom de Missionary Society. Elle regroupait
des membres de différentes dénominations, à l’exception des baptistes et
des quakers 72. En 1817, lorsque la Mission prend le nom de London
Missionary Society (LMS), elle n’est plus composée que de congrégationalistes 73. Dès 1782, David Bogue, le pasteur de l’Église de Gosport,
s’engage activement dans le développement de la LMS. En 1789 il fait
partie des fondateurs de la Religious Tract Society, et en 1804 de la British
and Foreign Bible Society.
Ainsi, l’initiative de l’œcuménisme non-conformiste revenait indirectement à un baptiste, grâce à l’appel lancé par Carey depuis le champ de
Mission, et à Ryland qui le diffusa plus largement en Angleterre 74.
3. David Bogue, le théologien-pédagogue
3.1. L’Académie ou l’Institut biblique missionnaire
de Gosport?
Un Institut biblique dédié à la formation des missionnaires
de la LMS
Le 22 mai 1796, Robert Haldane faisait part à Bogue de son projet de partir en Inde, en lui demandant de s’associer à son plan 75. Le
projet en 1796 échoua à cause du refus de l’East India Company de le
laisser aller évangéliser dans cette région du monde. C’est à partir de
71. Council for World Mission London Missionary Society, School of Oriental and African
Studies, CWM/LMS/01 Home 1764 – 1977.
72. Quaker ou la Société religieuse des Amis. George Fox (juillet 1624-13 janvier 1691)
fonda une communauté christocentrique, mais empreinte de mysticisme où l’illumination intérieure primait, la sola scriptura rejetée. Il n’y avait pas de hiérarchie dans
l’Église, pas de credo, les sacrements n’étaient pas valorisés, par contre on y trouait la
simplicité, l’égalité des sexes et des statuts sociaux.
73. HUYGHUES-BELROSE, op. cit. p. 105.
74. HUYGHUES-BELROSE, op. cit., p. 103ss.
75. PETITPIERRE, op. cit., p. 87sq.
| 43
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
l’année 1800 que l’Académie de Gosport, dirigée par Bogue, est devenue le séminaire de théologie privilégié pour la formation des missionnaires de la LMS 7 6 , qui a régulièrement envoyé ses agents
missionnaires dans des pays à évangéliser, au loin comme en Chine ou
à Madagascar par exemple, mais aussi auprès de populations moins
« exotiques » comme à Londres parmi les juifs, ou en France. C’est à
dessein que nous qualifierons l’Académie de Gosport « d’Institut
biblique missionnaire » de Gosport.
Un Institut biblique dédié à la formation des pasteurs
« Réveillés » pour les Églises dissidentes
Bogue a déjà enseigné à Londres. Il arrive en juin 1777 à Gosport, et
en décembre, un premier élève vient chez lui pour être instruit. Il continue à donner des cours privés chez lui, développant son propre curriculum conjuguant les études classiques et scientifiques, offrant aux
dissidents de pouvoir s’instruire sans être obligés de fréquenter une école
secondaire anglicane. En 1789, c’est un philanthrope londonien, George
Welch, négociant et banquier, qui prit l’initiative de fonder un institut
biblique destiné à former au ministère pastoral des étudiants issus
d’Églises dissidentes d’Angleterre, les Universités prestigieuses n’enseignant pas dans cette ligne théologique orthodoxe 77, et pour servir de
digue contre l’unitarisme. Pour ce faire, il fut décidé de financer les
études à la fois théoriques et pratiques de jeunes destinés au pastorat
dans ces Églises dissidentes. Cette formation devait se faire auprès d’un
pasteur-tuteur. C’est ainsi que trois candidats furent confiés à Bogue 78.
Le comté où il travaillait lui en confia plusieurs autres.
76. HUYGHUES-BELROSE, op. cit., p. 148. Noel GIBBARD, « David Bogue and the Gosport Academy », Foundations 20, 1988, p. 36.
77. David BOGUE, James BENNETT, History of Dissenters, from the Revolution in 1688,
to the Year 1808, vol. 2, Londres, Westley et Davis, 18332, p. 531. RÉDACTEUR,
« Memoir of the late rev David Bogue, D. D. of Gosport, Hamphire », The Evangelical magazine and missionary chronicle, vol. 4, janvier 1826, p. 3.
78. Archibald GEIKIE, Thomas BRADBURY, Dictionary of National Biography, vol. II,
1960; Richard GARRETT, ROGERS Samuel, DNB, vol. XVII, p. 139-142; BEAMISH, HILLIER et JOHNSTONE, op. cit., p. 68-71; William JAY, The Autobiography
of the Rev. William Jay with Reminiscences of Some Distinguished Contemporaries,
Londres, 1855, p. 423-431; R.W. DALE, op. cit., p. 593-594; David BOGUE et James
BENNETT, The History of Dissenters from the Revolution to the year 1808, Londres,
1833, vol. 2, p. 530-531.
44 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
Cette organisation, nouvelle à cette époque, fut à l’origine du séminaire de la LMS. La première classe était composée de quatre étudiants 79. Le rédacteur des Archives du christianisme au XIXe siècle, dans sa
notice sur Bogue, compare cette initiative à celle présidée par le Dr Doddridge 80. Philip Doddridge (1702-1751) était né à Londres en 1702.
Pasteur presbytérien, calviniste modéré et non-conformiste, il a marqué
son époque en publiant en particulier, en 1745, The Rise and Progress of
Religion in The Soul. Cet ouvrage, dédié à Isaac Watts, fut traduit en
français sous le titre Les commencements et les progrès de la vraie piété 81.
Laurent Cadoret cite cet ouvrage comme l’un de ceux qu’il avait distribués aux premiers élèves de son École du dimanche à Luneray 82, ce qui
confirme par là qu’il appartenait à cette aile du Réveil.
Welch rétribuait les « tuteurs » à hauteur de dix livres par an pour
chaque élève qui étudiait ainsi pendant trois ans auprès de son maître 83,
soit l’équivalent de 10 semaines de salaire d’un ouvrier qualifié 84. C’est
après la mort de Welch que l’Académie a pris plus d’ampleur et qu’elle
est devenue ce que nous nommerions aujourd’hui un Institut biblique
missionnaire. Face à un douloureux premier bilan, le comité de la LMS
remit en question les conditions d’envoi des missionnaires, et conclut à
la nécessité de soumettre ses candidats à une préparation avant leur
départ. Cet entraînement missionnaire devait aider le zélé candidat à
développer un savoir plus précis dans la communication, tout en renfor79. Evangelical Magazin, 1826, p. 3
80. RÉDACTEUR, « Notice sur le Dr David Bogue », Archives du christianisme au
XIXe siècle, 1828, p. 3.
81. Philip DODDRIDGE, Les commencements et les progrès de la vraie piété, Paris, Delay,
18452, trad. J. S. Vernède, Bâle 1752 et 1771. L’ouvrage numérisé est accessible sur
le net. Philip DODDRIDGE, The Rise and Progress of Religion in The Soul, Société
américaine des traités, 1822, 180 p., http://www.ccel.org/d/doddridge/rise/
rise.htm [Site consulté le 27 juillet 2008].
82. Laurent CADORET, Ms, Lettre anglaise à Tracy, Dieppe, le 16 août 1814, Londres,
SOAS, CWM/LMS/Europe/France/Incoming Correspondence/Box 3/Folder
1/Jacket C.
83. John MORISON, op. cit., p. 177.
84. Selon Bensinom, au XIXe siècle à Londres, le salaire mensuel d’un ouvrier qualifié
s’élevait à 1 livre : Fabrice BENSIMON, « La culture populaire au Royaume-Uni,
1800-1914 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 48-4bis, Supplément
2001/5, p. 83.
| 45
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
çant ses bonnes dispositions 85. Cela s’est fait après un échange entre
James Bennett, un ancien élève de cette Académie, et Robert Haldane.
Epaulée par Robert Spear, un marchand de coton de Manchester, l’école
s’est alors dotée d’une bourse annuelle de cinq cents livres, complétée par
dix livres par an offertes par la LMS pour chaque élève supplémentaire
accueilli. Le but était de faire de l'établissement de Gosport un centre
missionnaire pour former des pasteurs-missionnaires appelés à évangéliser et à fonder des églises, à l'étranger comme en l’Angleterre 86.
Quelques statistiques et quelques noms
En 29 ans (10 promotions) on estime que 115 missionnaires ont été
formés, soit une moyenne de 4 missionnaires « diplômés » chaque
année. En moyenne, l’Académie accueillait 12 étudiants (3 promotions).
Ils étaient 21 étudiants en 1821. En 1814 les revenus de l’école s’élevaient à 16000 livres (16500 louis); en 1817 à 21600 livres, en 1818 à
23000 livres et en 1819 à 25409 livres 87.
Parmi les plus renommés des missionnaires formés chez Bogue, nous
citerons Robert Morrison, surnommé « l’apôtre de la Chine ». Il a étudié
à Gosport de 1803 à 1807 88. En 1813, William Milne (1785-1822), qui
a été son collègue, a aussi étudié à Gosport. Son histoire illustre le profil
de certains étudiants acceptés dans cette école. Il vaut la peine de le
décrire pour mieux se représenter et apprécier les prouesses auxquelles la
pédagogie de Bogue a conduit.
Milne avait été élevé « à la dure » en Écosse. Orphelin de père à 6 ans,
il est devenu ensuite berger. C’est un sermon de son pasteur qui l’avait
bouleversé et conduit à rechercher Dieu, ce qu’il fit en lisant la Bible avec
ferveur au milieu des moutons… À l’âge de 20 ans, son désir d’évangéli-
85. SOAS, CWM / LMS, LMS, Procès-verbal du Conseil FBN 1 : Microfiche 9, 5 mai
1800.
86. Richard LOVETT, « Board Minutes, LMS, records CWM, School of Oriental and
African Studies, London », History LMS, vol. 1, 1899, p. 67-72 cité par GIBBARD,
op. cit., p. 36.
87. Daniel Ehrenfried STŒBER, Vie de J.F. Oberlin, pasteur à Waldbach au Ban-de-laRoche, Paris, Strasbourg, Londres, Treuttel et Würtz, 1807/1831, selon STŒBER,
op. cit., p. 386.
88. RÉDACTEUR, « Biographie religieuse, Robert Morrison, Missionnaire en Chine »,
Archives du christianisme au XIXe siècle, 1835, p. 53.
46 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
ser les païens grandissant, il prit contact avec la Société missionnaire de
Londres. Au cours de l’entretien, un des membres du comité, considérant ce « brave » berger bien inculte, lui demanda s’il ne voudrait pas plutôt partir comme missionnaire artisan… ce que voulait bien Milne
pourvu qu’il puisse partir évangéliser! Mais malgré son abnégation le
comité émit un avis négatif… jusqu’au moment où l’on demanda à William de prier! Sa ferveur toucha tellement le comité qu’il fut admis à
l’école missionnaire de Gosport 89.
Le 18 août 1818, David Jones (1797-1841) et Thomas Bevan (17961819), envoyés par la mission de Londres, arrivaient à Tamatave. Ces
premiers missionnaires protestants à Madagascar avaient été formés
chez Bogue, comme Jean le Brun (1789-1865), un Français dont les
parents avaient émigré sur l’Île de Jersey après la révocation de l’Édit de
Nantes. Il a été envoyé en 1814 à l’Île Maurice 90. Joseph Samuel Christian Frederick Frey (1771-1850), un Juif (né Joseph Levi) converti à
Berlin, étudiait dès 1803 à Gosport pour travailler en Afrique, mais la
MLS jugea préférable qu’il reste à Londres pour y évangéliser les Juifs 91.
Parmi les Français qui ont étudié à Gosport, signalons Laurent
Cadoret (1770-1861), Gilles Guillaume et Philip Bellot. Laurent Cadoret et Gilles Guillaume ont aidé Bogue à mettre au point une édition
française de la Bible ainsi qu’une préface au Nouveau Testament, qui à
partir de 1800 a été distribuée à Gosport auprès des prisonniers français
et sur les pontons par la Religious Tract Society 92.
3.2. La pédagogie et le curriculum de l’Institut biblique
de Gosport
L’organisation curriculaire de la formation
Nous pouvons nous faire une idée du modèle d’enseignement de
Bogue grâce à la publication des Theological Lectures 93, après sa mort,
89. Jacques BLANDENIER, op. cit., p. 99-100.
90. Louis RIVALTZ QUENETTE, L'œuvre du Révérend Jean Lebrun à l'Île Maurice, PortLouis, Regent press, 1982, 244 p.
91. RÉDACTEUR, « Société religieuses », Revue encyclopédique, vol. 15, Paris, chez
Arthus Bertrand, 1822, p. 397.
92. HUYGHUES-BELROSE, op. cit, p. 148.
93. David BOGUE, Theological Lectures, Joseph Samuel C.F. Frey, éd., New York, Lewis
Colby, 1849, vol. 1 et vol. 2.
| 47
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
par son ancien élève le pasteur Frey. Dans ces deux volumes est rassemblé tout l’enseignement des différentes disciplines des études théologiques, excepté les langues bibliques. Avec les index, l’ensemble fait
802 pages.
Figure 1 : Proportion des disciplines en %, calculées à partir des volumes attribués dans l'édition des 2 volumes des Theological Lectures.
En considérant le nombre de pages attribuées à chaque discipline, on
peut décrire le curriculum de la sorte : presque 50 % de l’enseignement
porte sur la doctrine 94. L’autre moitié est presque également distribuée
entre : la théologie biblique (21 % introduction A.T. et N.T., survol de
chaque livre de la Bible et histoire sainte), la théologie pratique et
l’homilétique (13 % + 6 %), l’histoire de l’Église et la géographie biblique
(7 % + 4 %).
94. Il s’agit du chapitre de doctrine, des sections sur la doctrine de l’Écriture qui introduit le deuxième chapitre et le chapitre sur les Alliances.
48 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
La conjugaison de la foi, de la raison et de la piété
Dans l’histoire des dissidents, Bogue et Bennett confirment cette
priorité de la théologie systématique, en précisant que les deux premières années d’études étaient surtout consacrées à la doctrine chrétienne, la troisième à la théologie biblique (l’étude de chaque livre de la
Bible). Les autres matières étaient régulièrement réparties sur les 3 ans,
à savoir : le latin, le grec et l’hébreu, la géographie, l’astronomie, la linguistique, la composition, l’histoire sainte, l’histoire de l’Église et la théologie pratique 95 . Croyant que la glossolalie ou « don des langues »
(1 Co 14) avait cessé, Bogue mettait l’accent sur la linguistique. Le cours
d’homilétique avait une place importante dans la formation, mais pour
former davantage à la clarté d’expression et la piété qu’à la rhétorique.
Noel Gibbard ajoute cet élément d’appréciation : « tout en voulant
apporter un enseignement solide fondé sur l’autorité des Écritures, la
formation académique devait aller à l’essentiel sans de trop grandes prétentions 96 ».
L’évangélisation tenait aussi une grande place. Après avoir discuté
avec Robert Haldane sur une stratégie à adopter dans la région, c’est
finalement l’association des Églises dissidentes du Hampshire qui, en
1814, a pris à sa charge six mois d’études à Gosport pour former des prédicateurs qui ensuite travaillaient dans la région. L’évangélisation se faisait en binômes; un nouvel élève était associé avec un plus aguerri pour
épauler des pasteurs ou implanter de nouvelles Églises. Ce choix
d’envoyer les élèves deux par deux rappelle la façon de faire de Jésus 97.
95. David BOGUE, James BENNETT, History of Dissenters, from the Revolution in 1688,
to the Year 1808, R. Tilling, S.E. Jackson, Imprimé pour les auteurs par Williams &
Smith, 1812, vol. 4, p. 282. « The Academy curriculum included such subjects as
Latin, Greek and Hebrew geography, astronomy, etc, by his own account James's
course largely consisted of dogmatic theology. By his death some 115 missionary
students had passed through his academy, 50 going to India. Yale awarded him a
D.D. in 1815 », John ROXBOROGH, « David Bogue » http://www.roxborogh.com/
Biographies/biobogue.htm [sites consultés le 15 novembre 2008].
96. GIBBARD, op. cit., p. 37.
97. Les Douze, Marc 6.7; les soixante-dix, Luc 10.1.
| 49
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
La formation de la piété avait aussi une grande importance. Comme
les élèves fréquentaient différentes chapelles dans le district et non une
même communauté, des réunions de prières rassemblant les élèves et les
tuteurs permettaient d’alimenter une vigoureuse piété communautaire.
D’après Noel Gibbard, l’un des auteurs que Bogue recommandait
fortement était Jonathan Edwards (1703-1758). Il avait grandement
influencé la piété de Bogue. Mais il y avait aussi des puritains comme
John Owen (1616-1683) et John Howe (1630-1705). On note aussi le
presbytérien William Bates (1625-1699), ainsi que le pasteur et théologien néerlandais Herman Witsius (1636-1708), qui fut professeur de
théologie successivement à l'Université de Franeker en 1675, puis à
l'Université d'Utrecht en 1680 et en 1698 à l'Université de Leyde, où il
est mort 98.
Au cœur de la dynamique de la formation à l’Académie de Gosport
s’articulent la foi, la raison et la piété.
Bogue enseigne de 1777 à sa mort en 1825, il est seul tuteur jusqu’en
1817, puis, d’août 1817 à 1821, son fils David Bogue Jr travaille avec lui
avant de commencer des études de Droit. De 1821 à 1825, Théophile
Eastman (1784-1870) lui succède. Ebenezer Henderson l’aîné (17841858) est nommé par la LMS à la mort de Bogue en 1825 99.
Un enseignement « tutoral » engageant l’activité des élèves
Le modèle éducatif n’était pas celui des cours magistraux, mais celui
du tutorat. Dans l’université anglaise, le système tutoral (tutorial system)
était un modèle de formation pour les élites, pendant du système monitoral (monitoral system) lancastérien pour l’éducation populaire.
Thierry Bédouret, dans son étude sur les différents sens qu’ont pu
prendre, dans l’histoire de la pédagogie, les termes de « tuteur » et
« moniteur », définit ainsi le modèle anglais adopté par les prestigieuses
universités comme Oxford et Cambridge : contrairement au moniteur
du modèle lancastérien, le tuteur n’est pas un élève plus avancé dans la
98. GIBBARD, op. cit., p. 37.
99. GIBBARD, op. cit., p. 37.
50 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
matière, mais un « professionnel universitaire qui dispense un suivi
individualisé ». Il précise :
Dans l’enseignement supérieur britannique (further education), il est un
universitaire (a college official) auquel on confie le soin de s’occuper de l’intégration universitaire des « jeunes » étudiants (undergraduates). Tel est le
cas du tuteur dans les universités prestigieuses telles que Oxford et Cambridge. Dans le système frère américain, il est un enseignant universitaire
qui donne un enseignement individuel aux étudiants. Il s’intègre dans un
système tutorial (tutorial system) défini comme un système d’éducation
organisé collégialement, dans lequel est donné à chaque étudiant un tuteur
adulte qui le dirige dans ses études et le supervise dans son cursus 100.
Bogue, le pasteur de l’église dissidente de Gosport, était un universitaire. À l’Académie qu’il dirigeait, le modèle tutoral consistait à provoquer le dialogue personnalisé avec les élèves sur la base de leur travail
personnel et en particulier de leurs notes prises pendant les cours. Nous
pouvons nous faire une idée du modèle d’enseignement de Bogue grâce à
la publication des Theological Lectures 101, faite après sa mort par son
ancien élève le pasteur Frey (1771-1850), un juif-allemand, missionnaire
de la LMS auprès des Juifs à Londres après sa formation à Gosport,
comme cité plus haut. Dans le premier volume, chaque leçon porte sur
une doctrine ou un aspect d’un sujet décliné en plusieurs parties. Le deuxième volume est divisé en deux parties : la première traite de l’histoire
sainte (p. 437 -696), la deuxième du ministère pastoral. Bogue y aborde
en particulier le sujet de la prédication (p. 696-798).
Ces canevas d’étude étaient structurés selon un même plan, souvent de
ce type :
1. Titre : numérotation de la leçon et thème.
2. Plan général du cours
3. Décomposition méthodique et claire des différentes parties du sujet
4. Dossier biblique, pour exposer la doctrine.
100. Thierry BÉDOURET, « AUTOUR DES MOTS “Tutorat”, “monitorat” en
éducation : mises au point terminologiques », Recherche et formation, n° 43, 2003,
p. 115-126.
101. David BOGUE, Theological Lectures, Joseph Samuel C.F. Frey, éd., New York,
Lewis Colby, 1849, vol. 1 et vol. 2.
| 51
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
5. Questions de compréhension, dans une perspective apologétique de
la défense de la « bonne doctrine » face aux objections qui lui sont
faites.
6. Questions d’application pour le croyant
7. Bibliographie
Ce canevas suffisait à faire travailler chaque élève. Ensuite, sur cette
base pouvait être amorcé le dialogue avec son tuteur. Celui-ci pouvait
ainsi s’assurer de la bonne compréhension de la matière, éclairer les
points restés obscurs ou corriger ceux qui n’avaient pas été bien compris,
tout en prolongeant l’enseignement en lui imprimant un caractère de
pieuse préparation au ministère. Ces notes servaient ensuite au ministère
de l’étudiant, qui pouvait enseigner à d’autres ce qu’il avait compris.
L’activité des élèves était donc primordiale, et le suivi individualisé
favorisait au mieux le développement du potentiel de chacun, quel que
soit le degré d’aptitudes acquis antérieurement. Cette forme d’enseignement garantissait l’efficacité d’une « éducation durable » auprès de ces
petites volées hétérogènes, composées d’élèves motivés mais au parcours
scolaire préliminaire souvent très bref.
3.3. La théologie de David Bogue
Mark Noll voit en Bogue une typologie de l’acteur promoteur d’un
mouvement de Réveil calviniste modéré trans-dénominationnel (transdenominational group of moderate Calvinists) 102, dont l’action visait à lutter contre les effets des anciennes querelles 103. Les publications de
Bogue, et en particulier les deux volumes de Theological lectures, rendent
compte de sa théologie. Nous ne relevons ici que quatre des principales
doctrines, qui suffisent à situer Bogue dans le champ des protestantismes et du Réveil.
102. NOLL, op. cit., p. 195.
103. Noll emprunte l’expression « Dissent had drawn an enormous blood-transfusion
from the veins of the Evangelical Revival » à John WALSH, Methodism at the End of
the Eighteenth Century, Davies et Rupp, 1956, p. 293; NOLL, op. cit., p. 194.
52 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
La doctrine de la dépravation totale de l’homme et la toute
suffisance de l’œuvre du Christ
Le calvinisme modéré s’élevait à la fois contre le pélagianisme des
intellectuels qui, à la suite de Rousseau, faisaient de la raison une action
autosuffisante, indépendante de la foi, et contre l’illuminisme émotionnel d’une certaine forme de piétisme morave minimisant la raison. Lucia
Bergamasco présente ce courant ainsi :
Tous prônaient un réveil évangélique universel, authentique et durable,
fondé tant sur un travail en profondeur au niveau des affections religieuses
(des conversions véritables) que sur une compréhension « rationnelle » de
la doctrine (des conversions bien étayées). Cela ne pouvait se faire que si les
fidèles se plaçaient sous la direction généreuse et bienveillante, mais ferme,
de pasteurs évangéliques ayant reçu une éducation adéquate les rendant
capables de discernement intellectuel aussi bien que spirituel 104.
La dépravation de la nature humaine et l'imputation du péché du premier Adam sont les deux composantes de la doctrine du péché originel
qui explique la nécessaire et seule œuvre efficace du Christ pour l’accomplissement du salut offert par grâce à quiconque le reçoit par la foi 105.
La doctrine de l’inerrance de la Bible
Traduit en français, publié au moins cinq fois (1803, 1812, 1814,
1829, 1839), un Essai sur la divine autorité du Nouveau Testament,
Combes-Dounous 106 (trad., 1803, 334 p.), témoigne d’une autre caractéristique de ce courant, moins mise en exergue par Bergamasco, celle de
l’inerrance des Écritures. Parmi les grands noms des artisans du Réveil,
le théologien Louis Gaussen (1790-1863) s’en est fait un des champions
104. Lucia BERGAMASCO, « Évangélisme et Lumières », Revue française d’études américaines, no 92, 2/2002, p. 22-46.
105. « Du péché originel à la rédemption et l’assurance du salut », David BOGUE, Theological Lectures, Joseph Samuel C.F. Frey, éd., vol. 1, New York, Lewis Colby, 1849,
p. 104-254.
106. David BOGUE, Essai sur la divine autorité du Nouveau Testament, [Combes-Dounous (trad)], 1803, 334 p. Combes-Dounous est un membre protestant du corps
législatif, cf. Annales littéraires et morales, vol. 1, an XII, 1804, p. 375. L’ouvrage est
traduit dès 1829 par J.-J. Pacaud.
| 53
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
à Genève 107. Cet essai sur l’inerrance aurait été envoyé par Bogue à
Napoléon à Sainte-Hélène. Selon l’éditeur de la cinquième édition française, Napoléon l’aurait lu avec « intérêt et satisfaction », et cet ouvrage
aurait suscité un Réveil sur l’île parmi les habitants et les militaires 108.
La doctrine postmillénariste et de l’apogée de l’âge d’or avant
le retour du Christ
Un autre thème caractéristique du Mouvement est également incarné
par Bogue, celui du millénarisme avec l’espérance d’un Age d’or pour les
élus. Bogue n’y dérogea pas. Parmi ses écrits traduits en français figurent
deux volumes avoisinant les 700 p., intitulés Discours sur le millenium,
par David Bogue, prononcés dans le séminaire des missions, à Gosport 109,
ainsi qu’un autre titre, Paix universelle durant le millenium, Discours prononcé à Gosport par David Bogue, accompagné de notes, et suivi du Traité
de la Sainte Alliance, Londres, G. Schultze, 1822, 42 p.
Citant l’ancien élève de Bogue, Bennet, Vincent Huyghues-Belrose
rattache ce zélé élan missionnaire au courant eschatologique, pressant à
annoncer l’Évangile avant l’imminent retour du Christ à la suite de
l’Ecossais David Brainerd (1718-1747) et l’Américain originaire du
Connecticut Jonathan Edwards (1703-1758) 110. Il rappelle aussi le lien
avec le Grand Réveil (great Awakening), dont George Whitefield (17141770) était une tête de pont. Les relations étroites avec les frères Haldane et Marc Wilks placent Bogue aux confins des routes qui touchent
le réveil de Genève 111, et qui à Paris rayonne depuis la chapelle Taitbout.
107. Louis GAUSSEN, Théopneustie, ou pleine inspiration des Saintes Écritures, Paris,
Delay, 1840, 464 p.
108. David BOGUE, « Avis de l’éditeur », Essai sur la divine autorité du Nouveau Testament, trad. Jean-Jacques Pacaud, Paris, J.-J. Risler, 18295.
109. David BOGUE, Discours sur le millenium, par David Bogue : prononcés dans le séminaire des missions, à Gosport, trad. de l’anglais par Malleville De Condat, Paris, Serviern, vol. 1, 1823, 367 p.; vol. 2, 1824.
110. John BENNET, Memoirs of the Life of Rev. David Bogue, Londres, F. Westley & A.
H. Davis, 1827, p. 124; HUYGHUES-BELROSE, op. cit., p. 384.
111. Sur le Réveil de Genève, nous renvoyons en particulier à la thèse de doctorat de
Jean DECORVET, Every scripture θεοπνευστος (theopneustos), an assessment of
Louis Gaussen’s case for Theopneustia with the context of Geneva’s Reveil, mémoire
présenté dans le cadre des exigences au doctorat en théologie historique au Wheaton College, États-Unis, en décembre 2011.
54 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
La doctrine du baptême des nourrissons
Pas moins de cinq articles (Lecture CV-CVIII) portent sur le baptême
et la défense du baptême des nourrissons, par opposition à la doctrine
baptiste du baptême des seuls croyants 112. L’extrait suivant présente les
fondements du pédobaptisme.
Objections I. face aux anti-pédobaptistes
1. Il n'y a aucune loi dans le Nouveau Testament qui ordonne le baptême
des enfants.
Réponse. Ni pour l’accueil des femmes à la Cène, ni pour le changement du
jour du repos du samedi au dimanche.
2. Il n'y a pas d'exemple certain.
Réponse. Dans certains cas, c’est toute une maisonnée qui fut baptisée.
3. Le Baptême ne procure aucun bienfait aux nourrissons.
Réponse. N’en va-t-il pas de même de la circoncision? Et le fait que Jésus
les prenait dans ses bras, croyez-vous que cela leur procurait un bienfait
particulier?
4. Si les nourrissons ont droit au baptême, ils ont aussi le droit de partager
la Cène du Seigneur.
Réponse. Dans le baptême, l'administrateur est le seul à être actif, mais
dans la Cène du Seigneur, c’est celui qui la reçoit qui est actif. [...]
8. Dans son ordonnance, en Matt. 28 : 19, le Christ parle de baptiser seulement ceux qui ont été préalablement enseignés.
Réponse. Croyez-vous que, pour être baptisé, Christ ait eu besoin de se
repentir 113 ?
Conclusion
L’histoire de Bogue et de Carey a permis de décrire deux profils différents et deux vies différentes. Pourtant, chacun a un même appel, et en
réponse chacun a voulu entièrement consacrer sa vie à cet appel en adoptant les idées du Réveil.
112. David BOGUE, Theological Lectures, Joseph Samuel C.F. Frey, éd., vol. 1, New
York, Lewis Colby, 1849, p. 305-316.
113. David BOGUE, « Lecture CVII, Baptism, Conclused », Theological Lectures, New
York, Lewis Colby, 1849 p. 315.
| 55
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
David Bogue a été un travailleur zélé. Sur sa tombe, on peut lire l’épitaphe : « Ici repose quelqu’un qui dans la vie ne s'est jamais reposé »
(Here rests one who in life never rested) 114. Pour lui, le repos était à venir,
auprès du Seigneur. Bien qu’il n’ait pas pu partir au loin, le fil d’Ariane
de la vie de cet universitaire a été, jusqu’au bout, l’annonce de l’Évangile
auprès « des peuples non évangélisés », au près comme au loin. Carey, le
tenace cordonnier autodidacte issu d’un milieu populaire, avait une
même vocation ardente, mais lui est parti chez « les païens ».
Pourtant, Bogue a occupé une place stratégique dans le réseau des
artisans du Réveil, et cela en particulier par l’intermédiaire des agents de
la Mission de Londres, dont il a formé la plupart dans son Académie à
Gosport. Son ministère n’a pas connu de gros séisme et sa vie de famille
a été heureuse malgré les deuils. Carey n’a pas vécu cela. Son rayonnement de pionnier a été essentiellement circonscrit à un pays et a été terni
par une douloureuse division à la fin de son ministère 115. Rappelons
aussi que c’est à contrecœur que sa femme Dorothy avait fini par accepter de partir en Inde avec son mari. William Carey avait d’abord embarqué seul avec leur fils aîné Félix et le Dr John Thomas, qui se montra du
reste un piètre gestionnaire. Après 14 ans de séjour en Inde, à 51 ans,
Dorothy Carey mourait. Durant ses douze dernières années, elle avait
été atteinte de folie sévère.
Théologiquement, Bogue était un pédobaptiste convaincu autant que
Carey était un baptiste convaincu!
Au terme de ce survol de la vie de Bogue, pouvons-nous lui attribuer
la paternité des missions modernes et du réveil?
Pour répondre à cette question, encore faudrait-il définir ce qu’est
une « mission moderne ». Si c’est une Mission d’envergure régie par le
« catholic spirit » du Réveil, selon le modèle des grandes œuvres, fruits
du Réveil, comme l’ont été l’Alliance évangélique et la Société biblique,
ce dont avait rêvé Jean-Paul Cook pour la Société des écoles du
dimanche, alors oui, Bogue est indéniablement le père des Missions de ce
114. « Stokes Bay and Gosport County Grammar school », http://123-mcc.com/
photo_gosport_grammar.htm [site consulté le 10 mars 2013].
115. Ne parvenant pas à partager les responsabilités avec la nouvelle génération de missionnaires arrivés, en 1827 les anciens se séparèrent des nouveaux et l’œuvre se
divisa. Carey ne verra pas sa réunification en 1837, il est mort trois ans avant.
56 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
type. La Mission de Carey a été plus exclusive, car fondée sur une confession de foi plus restrictive. Cependant, en convoquant les non-baptistes
pour leur faire part de l’appel lancé par Carey depuis l’Inde, n’était-ce pas
déjà la volonté du Dr John Ryland Jr du séminaire baptiste de Bristol?
Ce geste ne témoigne-t-il pas en faveur de son ouverture à tous les protestants « réveillés »? Cependant, le choix du premier nom attribué à la
Société missionnaire baptiste soulignant l’appartenance au baptisme
strict, Particular Baptist Society for the Propagation of the Gospel Amongst
the Heathen, le permettait-il? Bogue a-t-il eu peur que l’exclusivisme doctrinal de ces chrétiens n’empêche le recrutement dans le vivier constitué
par tous les protestants évangéliques d’alors?
John Legg cite l’historien des missions Kenneth Scott Latourette, qui
affirme que Carey aurait été le premier à amener les chrétiens à prendre
des mesures concrètes afin d’apporter l’Évangile à toutes les nations 116.
Bogue a toujours désigné Carey comme l’initiateur de la première Mission vers « les païens ». Il est donc juste de reconnaître en Carey à la fois
l’initiateur d’un grand mouvement missionnaire et le premier missionnaire « professionnel » envoyé auprès d’un « peuple non atteint par
l’Évangile », même si, dans l’introduction à la biographie du Dr Thomas, le pasteur A. J. Gordon déplorait que l’on ne parle guère du « pionnier Carey », en reconnaissant à Thomas d’avoir été son précurseur en
Inde 117 !
Mais il ne faudrait pas non plus oublier qu’en 1728, les Moraves
avaient déjà fondé leur mission parmi les païens… La première Mission
permanente au Labrador fut fondée en 1771, à Nain, sur la côte nord 118.
116. « According to the great historian of missions, Kenneth Scott Latourette, Carey
‘seems to have been the first… to propose that Christians take concrete steps to
bring their gospel to all the human race. » John LEGG, « William Carey, the father
of modern missions? », The Evangelical Magazine, 30 juillet 2010. http://
www.emw.org.uk/magazine/2010/07/william-carey/ [site consulté le 20 juillet
2012].
117. « If William Carey was the pioneer of Modern Missions, John Thomas was the pioneer of Carey », A.J. GORDON, in Arthur CHUTE, John Thomas, First Wist Missionary to Bengal, 1757-1801, Halifax, Baptist Book and Tract Society, 1893, p. VII.
118. Jacques BLANDENIER, Jacques A. BLOCHER, « Les missions moraves au XVIIIe
siècle : Un bilan saisissant », Précis d’histoire des missions : Des origines au XVIIIe
siècle, Nogent-sur-Marne/Saint-Légier, Éditions de l’Institut biblique/Emmaüs,
vol. 1, p. 354-360.
| 57
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
Et que dire du zèle missionnaire des Vaudois ou « pauvres de Lyon » dès
le XIIe siècle 119 ? Aussi, c’est pour cause de persécution à Jérusalem que
les premiers chrétiens ont fui cette ville et ont « naturellement » évangélisé les contrées qui les accueillaient (Ac 8).
Il faut donc de reconnaître à Bogue le mérite d’avoir été le fondateur
de la première Mission moderne interdénominationnelle auprès de
toutes les nations, au sens « missionnel » de l’Église, sans pour autant
restreindre l’évangélisation exclusivement aux « païens en terre lointaine ». Il a aussi été un des très efficaces propagateurs du Réveil en
consacrant sa vie à enseigner les candidats au ministère pastoral et missionnaire pour l’Europe, y compris son propre pays. Aurait-il ainsi été le
promoteur et le précurseur de ce que certains appellent aujourd’hui
l’église « missionnelle » 120 ? L’âpreté des débats, nourris avec pugnacité
par les baptistes sur leurs particularités doctrinales, a sans doute empêché le courant incarné par John Ryland et Andrew Fuller (17541815) 121 de fonder une Mission moderne, qui puisse œuvrer avec la
même envergure et les mêmes moyens qu’une mission interdénominationnelle à destination de tous les « non chrétiens ».
Mais alors pourquoi a-t-on perdu le souvenir de la vie de Bogue en
France? Serait-ce parce qu’il revendiquait son attachement au pédobaptisme, une pratique que, contrairement au XIXe siècle, les théologiens
évangéliques français rejettent majoritairement aujourd’hui? Ou est-ce
parce que l’on attribue une aura plus grande aux missionnaires en « terre
lointaine », à cause de leur « héroïsme », entretenu autant par les nouvelles qu’ils envoyaient régulièrement de leur vivant que par les biographies écrites a posteriori?
119. Antoine MONASTIER, Histoire de l'église vaudoise depuis son origine et des Vaudois
du Piémont jusqu'à nos jours, Lausanne, Bridel, 1847, p. 137sq.
120. Jeanne MAIRE, « Les Églises émergentes ou missionnelles : un phénomène stimulant pour les chrétiens occidentaux », www.aiem.ch/materiel/Eglises_
emergentes_missionnelles.pdf [consulté le 28 juin 2012].
121. John RYLAND Jr, The work of faith, the labour of love, and the patience of hope, illustrated in the life and death of the Rev. Andrew Fuller, late pastor of the Baptist church
at Kettering, and secretary to the Baptist Missionary Society, Londres, Button, 1818,
385 p.
58 |
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
Cette période de l’histoire de l’Église au XIXe siècle devrait plutôt
nous inciter à cultiver une vision plus « complète » de l’œuvre missionnaire auprès des non-chrétiens, en manifestant plus d’intérêt pour le rôle
de ceux qui exercent un ministère au sein des comités de mission comme
au sein des écoles qui forment les missionnaires, en écho à ce que disait
déjà l’apôtre des païens : celui qui plante et celui qui arrose sont égaux,
car c’est toujours Dieu qui fait croître (1 Co 3.7), tandis que l’évangéliste
exilé à Éphèse et à Patmos illustrait cela de la manière suivante : si le sarment porte du fruit, c’est parce qu’il est attaché au cep (Jn 15).
Figure 2. À gauche : David Bogue (1750-1825) 122. À droite : Bogue, figure centrale de la fondation de la Mission de Londres, entouré de Thomas Haweis,
John Eyer, John Love et George Burder 123.
122. RÉDACTEUR, « David Bogue », Archives du christianisme au XIXe siècle, 1826, p. 1.
123. John MORISON, op. cit., p. 6.
| 59
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
Figure 3. À gauche : William Carey (1761-1834) baptisant dans le Gange
Krishna Pal (1764-1822), le premier indien converti 124. À droite : Portrait de
Krishna Pal 125.
Figure 4. De gauche à droite : John Ryland (1753-1825) 126, Andrew Fuller
(1754-1815) 127, William Carey et Brahmin Pundit 128.
124. Voir http://www.wmcarey.edu/carey/portraits/kristno-carey.jpg. Krishna Pal a
prêché l'évangile chrétien plus de vingt ans durant. Il est l'auteur de plusieurs cantiques. Il mourut à 58 ans, en 1822. Sur Krisna Pal, voir : The American Baptist
Magazine, and Missionary Intelligencer, n ° 2, vol. 1, mars 1817, p. 65-67. http://
www.wmcarey.edu/carey/krishna_pal/krishna-pal.htm [pages du site consultées
le 17 juillet 2012].
125. Le premier indien converti : A Memoir of Krishna Pal, A Preacher of the Gospel to
His Countrymen More Than Twenty Years, Philadelphie, American Baptist Publication Society, 1852.
126. Portrait de John Ryland, Nathan Cooper Branwhite, Bequeathed, L.M. Griffiths,
1924.
127. Joseph BELCHER, The Complete Works of the Rev. Andrew Fuller : with a memoir of
his life, American Baptist Publication Society, V.1, 1845.
128. Portrait de William Carey avec Brahmin Pundit : Joseph BELCHER, William
Carey, a Biography, Philadelphie, American Baptist Publication Society, 1853.
60 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 27 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral :
l’exemple du pasteur-pédagogue
David Bogue (1750-1825), un
pionnier des missions modernes
L’en
seig
ne
me
nt
tuto
ral :
l’exe
mpl
e du
Anne Ruolt
Résumé : Cet article porte sur la personne et l’œuvre d’une éminente
figure oubliée de l’histoire du Réveil, de la mission, mais aussi de la formation théologique : le pasteur écossais David Bogue (1750-1825).
Nous considérerons surtout sa longue carrière de pasteur et directeur
« d’Institut biblique missionnaire » à Gosport. En établissant quelles
ont été les relations entre Bogue et la mission baptiste de William
Carey (1761-1834), nous chercherons à déterminer qui, de Carey ou
de Bogue, doit être désigné comme « le père des missions modernes », et
montrerons une des spécificités pédagogiques de ce pédagogue : le tutorat.
Abstract : This article presents the person and work of an eminent forgotten figure of the revival, a pioneer of missions and of theological
education : David Bogue (1750-1825). While relating his long career
as pastor and director of the “Missionary Bible Institute” in Gosport,
the author also discusses the question as to whether the Baptist William Carey (1761-1834) or the Presbyterian David Bogue should be
considered “the father of modern missions”. Finally, the article draws
the reader’s attention to a particular point of Bogue’s educational
system : the tutorial system.
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 28 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
Introduction
Qui se souvient aujourd’hui de David Bogue (1750-1825), pièce maîtresse de la fondation de la Mission de Londres 1, que ses contemporains
ont surnommé « le père des Missions », et qu’Alice Wemyss qualifie
volontiers de « père du réveil » 2 ? Comme le souligne A.F. Walls, contrairement au baptiste William Carey (1761-1834), le dissident pédobaptiste whitefieldien 3 David Bogue était une personne éminente dans son
Église 4. Pourtant, l’histoire cultive souvent plus la mémoire des pionniers en terre lointaine que celle de ceux qui leur ont permis de partir,
soit en les formant soit en leur donnant les moyens d’accomplir leur
ministère, en servant de courroie de transmission avec l’Europe. Cet
article sur le Dr David Bogue veut contribuer à raviver le souvenir d’un
de ces artisans du travail missionnaire en « terre lointaine », bien qu’il ne
soit jamais parti au « bout du monde » pour y évangéliser un « peuple
non atteint » par l’évangile. Cette première approche cherchera à montrer l’importance du rôle d’artisan des Missions du dissident Bogue à
côté de celui qu’a eu le baptiste Carey. Nous chercherons à déterminer
qui de Carey ou de Bogue doit être désigné comme « le père des missions
modernes », et montrerons une des spécificités pédagogiques de ce pédagogue : le tutorat 5.
1. John MORISON, « Memoir of the Rev. David Bogue D.D. », The fathers and founders
of the London Missionary Society : a jubilee memorial, Londres, Fisher, 1844, p. 156217.
2. Alice WEMYSS, Histoire du Réveil 1790-1849, Paris/Lausanne, Les Bergers et les
Mages/Ale, 1977, p. 59.
3. Une étude plus fine des influences théologiques de Bogue serait ici utile. Nous simplifions en le rattachant aux idées du calviniste Georges Whitefield (1714-1770),
dont la chapelle Taitbout fut en France un des fiefs.
4. A.F. WALLS, « Les Sociétés missionnaires protestantes », in Charles EHLINGER,
sous dir., Guide illustré de l’histoire du christianisme, Paris, Centurion, 1982, p. 549.
5. Sur ce sujet nous renvoyons aussi aux actes du symposium : Anne RUOLT, « L’activité comme invariant pédagogique dans le système éducatif de David Bogue (17501825) et le principe de l’éducation de Louis-Frédéric François Gauthey (17951864) », Portrait Robot du pédagogue protestant : quel(s) invariant(s) dans leur
pédagogie?, LISEC-IBN, Nogent-sur-Marne 11-12 mars 2013 (à paraître en 2014).
28 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 29 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
1. Revue bibliographique : David Bogue, l’oublié
des historiens de l’histoire des missions
En langue française, parmi les ouvrages qui parlent de Bogue, nous
avons pu consulter celui sur « La fondation de la London Missionary
Society (LMS) », publié en 2001 par Vincent Huyghues-Belrose 6, ainsi
que celui d’Alice Wemyss sur l’histoire du Réveil de 1790-1849, publié en
1977 7. Avant eux, en 1826, les rédacteurs des Archives du christianisme
au XIXe siècle avaient consacré une notice à Bogue, à l’occasion de son
décès 8. Entre ces deux dates, Bogue sera cité dans l’œuvre d’Émile Leonard 9.
On s’étonnera, en revanche, de l’absence de toute mention de Bogue
sous la plume de Jacques Blandenier, qui consacre cependant trente
pages à celui qu’il surnomme le « père des Missions modernes », le baptiste William Carey 10. Si Jacques A. Blocher mentionne bien que Robert
Morrison (1782-1834) s’est formé à l’Académie missionnaire de Gosport avant de partir en mission en Chine, il n’évoque cependant pas le
nom du directeur de cet « institut biblique missionnaire ». En 1860, pas
de mention de Bogue non plus dans l’Histoire des missions évangéliques de
Samuel Descombaz 11. Le catalogue en ligne du Service protestant de
Mission (Défap) ne connaît aucun ouvrage de Bogue, ni de biographie
sur lui 12.
6. Vincent HUYGHUES-BELROSE, « La fondation de la LMS », Les premiers missionnaires protestants de Madagascar 1795-1827, Paris, Karthala, 2001.
7. WEMYSS, op. cit.
8. « Biographie religieuse, Notice biographique sur le révérend docteur David
Bogue », Archives du christianisme au XIXe siècle, janvier 1826 / février 1826, p. 1-8/
p. 49-63.
9. Émile G. LÉONARD, Histoire générale du protestantisme : déclin et renouveau, t. 3,
Paris, PUF, 1988, p. 153 et 182.
10. Jacques BLANDENIER, Précis d’histoire des missions : du XIXe siècle au milieu du
XXe siècle. L’essor des Missions protestantes, vol. 2, Nogent-sur-Marne/Saint-Légier,
Éditions de l’Institut biblique/Emmaüs, 2003, p. 49-79.
11. Samuel DESCOMBAZ, L’Histoire des missions évangéliques, vol. 2, Paris, Meyrueis,
1860.
12. Service protestant de Mission (Defap), http://www.defap-bibliotheque.fr/catalogue/simple.php [site consulté le 17 juillet 2012].
| 29
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 30 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
Faut-il interpréter cet oubli par la sensibilité plus proche du baptisme
de certains historiens des missions, alors que l’initiative de Bogue visait à
mobiliser tous les « Réveillés », parmi les protestants dissidents mais
aussi parmi les anglicans en Grande-Bretagne et au-delà?
Peu de travaux récents ont été consacrés à ces artisans du Réveil calviniste-modéré britannique qui rayonnèrent depuis Genève par Haldane
(1764-1842), œuvrant à la reviviscence du protestantisme français
réformé, et dont les Églises libres françaises sont plus particulièrement
les héritières. Le vent du Réveil n’a pas été insufflé que par des baptistes
ou des méthodistes wesleyens 13. Qui se souvient aujourd’hui encore par
exemple du pasteur Laurent Cadoret (1770-1861), formé chez Bogue,
agent de la Mission de Londres depuis 1801 14, précurseur du Réveil et
fondateur de la première École du dimanche en France 15 ? L’absence de
13. Wesley (1703-1791) rompit malgré lui en 1784 avec l’Église nationale. George
Whitefield (1714-1770), son proche ami, rompit avec lui et le méthodisme en
1741, sur la question de la prédestination. Pour les baptistes, John Smyth (1570 28 août 1612), Thomas Helwys, (1550- 1616). Sébastien Fath situe les « premiers
balbutiements de l'implantation baptiste en France aux environs de 1808/1810 »
dans le Nord à Normain, parle de début 1820 pour le début de l'implantation baptiste proprement dite et situe l’essor de ce courant entre 1832 et 1852. En 1819,
l’évangéliste suisse (vaudois, né à Sainte Croix) Henri Pyt (1796-1835), de la
Société continentale, encadre un important groupe proto-baptiste à Nomain, dans
le département du Nord (environ 200 fidèles). Il avait fréquenté dès 1810 à Genève
« le cercle des amis » de Bost, Empeytaz… Sébastien Fath, Une autre manière d'être
chrétien en France. Socio-histoire de l'implantation baptiste, 1810-1950, Genève, Labor
et Fides, 2001, p. 101, 139. Patrick Ph. STREIFF, « La doctrine de la grâce selon
John Wesley – Le méthodisme wesleyen (arminien) en comparaison avec le méthodisme calviniste », Centre méthodiste de formation fhéologique, Documents méthodistes, www.cmft.ch/arminianisme_wesleyen_-_article_f.php [site consulté le
22 juillet 2011].
14. Laurent CADORET, Lettre au pasteur Bogue, Paris, Lettre du 4 décembre 1801,
Londres, SOAS, CWM/LMS/Europe/France/Incoming Correspondence/ Box
3/ Folder 1/Jacket C, council for world mission archives, incoming letters europe
1797-1849, europe-France, box 1-3, 1801/13 n° 33.
15. Sur Cadoret voir : Daniel ROBERT, « Cadoret », in André ENCREVÉ (dir.), Les protestants. Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, vol. 5, Paris,
Beauchesne, 1993, p. 114; Anne RUOLT, « Laurent Cadoret (1770-1861) et l’École
du Dimanche à Luneray (1814) : les prémices de la renaissance des écoles protestantes en France », Penser l’éducation, n° 30, décembre 2011, Université de Rouen,
p. 52-71; [suite de la note page suivante]
30 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 31 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
travaux sur le rôle majeur joué à Paris par les pasteurs et les membres de
la chapelle Taitbout 16 dans le développement des œuvres que cette aile
du Réveil a soutenues, mérite aussi d’être relevée.
En langue anglaise, plusieurs documents tirés des archives de la Mission de Londres ont été publiés par Sell et Bebbington, en particulier
l’appel à la Mission lancé par Bogue le 6 août 1794 (Document IV.13,
p. 216-219), les principes fondamentaux de la Mission de Londres
(Document IV.14, p. 219), et sur Bogue et sa théologie (Document
IV.12, p. 212-215) 17. Citons la biographie de Bogue publiée en 1827 par
James Bennett, ainsi que la thèse de Tempstra sur Bogue soutenue en
1959 18. L’histoire de la Mission de Londres par Richard Lovett (1899)
donne aussi des informations utiles 19, comme les quatre volumes rédigés
par Bogue et Bennett sur l’histoire des dissidents de 1688 à 1808 20 : History of Dissenters, from the Revolution in 1688, to the Year 1808, vol. I-IV,
1808/1809/1810/1812.
15. [suite] « Le pasteur Laurent Cadoret (1770-1861) et une de ses œuvres : l’École du
Dimanche de Luneray », Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme Français,
n° 158, 2012, p. 703-741; « Luneray, berceau de la première École du Dimanche en
France? », Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme en Normandie, n° 47,
février 2010, p. 20-26 sur la période, Daniel ROBERT, Les Églises Réformées en France
(1800-1830), Paris, PUF, 1961; et André ENCREVÉ, Protestant Français au milieu du
XIXe siècle, les réformés de 1848 à 1870, Genève, Labor et Fides, 1986.
16. Voir Jacques PANNIER, Centenaire de la chapelle Taitbout (1840-1940), texte ronéotypé, 1840.
17. David BOGUE, « David Bogue’s Call to Mission », document IV.13, in Robert
Tudur JONES, Alan P. F. SELL, David WILLIAM, Protestant Nonconformist Texts :
The Eighteenth Century, Documents, Ashgate Publishing, Ltd., vol. 2, d’après Evangelical Magazine, septembre 1794, 1792/2006, p. 216-219.
18. James BENNETT, Memoirs of the Life of Rev. David Bogue, Londres, F. Westley &
A.H. Davis, 1827, 445 p., TEMPSTRA, Chester, David Bogue, D.D., 1750-1825 pioneer and missionary educator, thèse de doctorat, University of Edinburgh, 1959.
19. Richard LOVETT, The History of the London Missionary Society 1795-1895,
Londres, Henry Frowde, Oxford University Oress, vol. I, 1899, p. 4-6; vol. 2, 1899,
p. 1, 64.
20. David BOGUE, James BENNET, History of Dissenters, from the Revolution in 1688, to
the Year 1808, Vol. I-IV, 1808/1809/1810/1812.
| 31
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 32 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
John Morison publie en 1844, à l’occasion du jubilé de la Mission, un
article sur Bogue, « Memoir of the Rev. David Bogue D.D. » 21, comme
Richard Lovett 22 dans son histoire de la Mission publiée en 1899 23.
Parmi les auteurs récents de langue anglaise, Boël Gibbard publie en
1988 l’article « David Bogue and the Gosport Academy 24 ». En mars
2012, le Dr Christopher Daily de l’Université de Londres publie, à partir d’un travail sur les archives de la LMS, « David Bogue (17501825) » 25. Plus récemment, l’historien Mark Noll cite aussi Bogue 26.
Parmi les ouvrages de Bogue traduits en langue française, citons dès
1803 (an 11) : Essai sur la divine autorité du Nouveau Testament, traduit
par Combes-Daunou et, en 1822, Paix universelle durant le millenium,
traduit par Malleville de Condat 27.
Cet article étant plus particulièrement consacré à Bogue, nous ne
mentionnerons ici que quelques-uns des documents, beaucoup plus
nombreux, qui existent sur William Carey. En langue française, citons la
biographie de Robert Farelly 28 , la section que Jacques Blandenier
21. John MORISON, « Memoir of the Rev. David Bogue D.D. », The fathers and founders
of the London Missionary Society : a jubilee memorial, Londres, Fisher, 1844, p. 156217.
22. Richard Lovett (1851-1904) était un pasteur whithefieldien. Il a obtenu un B.A. en
philosophie en 1873 de l’Université de Londres, puis a commencé un M.A. en 1874
lorsqu’il a été appelé comme pasteur de la Countess of Huntingdon's connexion
(branche calviniste du méthodisme).
23. Richard LOVETT, The History of the London Missionary Society 1795-1895, vol. 1 et
vol. 2, Londres, Henry Frowde, Oxford University Press, 1899.
24. Noel GIBBARD, « David Bogue and the Gosport Academy », Foundations 20, 1988,
p. 36-41.
25. Christopher A. DAILY, « David Bogue (1750-1825) », Dissenting Academies
Online : Database and Encyclopedia, Dr Williams’s Centre for Dissenting Studies,
Mars 2012. Il s’inspire des archives de la Mission de Londres et d’une thèse que nous
n’avons pas pu consulter : Chester, TERPSTRA, « David Bogue, D.D., 1750-1825 :
Pioneer and Missionary Educator », thèse de doctorat non publiée, University of
Edinburgh, 1959.
26. Mark NOLL, The Rise of Evangelicalism, The Age of Edwards, Whitefield and the Wesleys, Leicester, IVP, 2004, p. 194ss.
27. Une notice bibliographique est accessible sur le blog de l’auteur : http://
histoire2pedagogie.overblog.com
28. Robert FARELLY, William Carey, Paris, SPB, 1984.
32 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 33 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
consacre à Carey dans son Précis d’histoire des missions 29, de brefs résumés d’études publiés dans le journal d’église Le bon Combat 30. En langue
anglaise, une bibliographie ancienne est à signaler 31, un texte concernant
Carey qui précède ces documents d’archives sur Bogue chez Jones, Sell
et William (Documents IV.11) 32 , et l’ensemble des documents
d’archives accessibles en ligne sur le site du Carey Center 33.
2. David Bogue, l’homme, le pasteur et la mission
2.1. David Bogue, sa famille et son éducation
Bogue, son enfance et sa famille
David Bogue est un érudit écossais, né à Dowlau en 1750. Il était le
quatrième fils d’un avocat, John Bogue, mort en 1786, et de Margaret
née Swanston, décédée en 1805 34. Douze enfants naquirent dans cette
famille pieuse 35, membre de l’Église nationale d’Écosse, l’Église presbytérienne calviniste (et non l’Église anglicane).
Le jeune David avait 6 ans lorsqu’il a commencé à apprendre le latin.
À 13 ans, il lisait cette langue aussi aisément qu’un texte en anglais.
Après neuf ans de brillantes études à l’université d’Édimbourg, en 1771,
29. BLANDENIER, op. cit., p. 49-79.
30. Anne RUOLT, « William Carey (1761-1834) », in Le Bon Combat, mars-avril 2004,
p. 10-17 et mai-juin 2004, p. 10-17.
31. George SMITH, Life of William Carey, Shoemaker & Missionary, Londres, J.M. Dent,
1922.
32. William CAREY, « William Carey on the Lord’s Missionary Commission. An
Enquiry Whether The Commission Given By Our lord To His Disciples Be Not
Still Binding On Us », Documents IV.11; JONES…, op. cit., p. 210-213.
33. Bennie R. Jr CROCKETT, Myron C. NOONKESTER, Carey Center : Center for Study
of the Life and Work of William Carey, D.D. (1761-1834), http://www.wmcarey.edu/carey/bms/bms.htm [site consulté le 17 juillet 2012].
34. RÉDACTEUR, « Memoir of the late Rev. David Bogue D.D. of Gosport, Hampshire », Evangelical magazine and missionary chronicle, 1826, p. 1-7.
35. Evangelical magazine and missionary chronicle, 1826; Biographie universelle
(Michaud) ancienne et moderne de Eugène Ernest DESPLACES, Joseph Fr.
MICHAUD, Louis Gabriel MICHAUD, publiée par Mme C. Desplaces, 1854,
p. 544.
| 33
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 34 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
il obtenait un MA (Magister Artium, Maîtrise ès arts) en théologie 36. La
prestigieuse université de Yale, marquée à la fois par le congrégationalisme puritain et l’élitisme scientifique, lui décernait en 1815 un doctorat
Honoris Causa 37.
Le 28 août 1788, il épousait Charlotte Uffington, estimée pour son
amabilité, son intelligence vive, ses bonnes manières et sa ferme piété 38.
De cette union sont nés quatre fils et trois filles. En 1804 leur fille Mary
mourait dans son jeune âge. En 1814, c’est leur deuxième fils Thomas
qui leur était emporté à l’âge de 22 ans, puis, en 1822, leur plus jeune fils
John décédait à l’âge de 20 ans, devançant David Jr, le troisième fils de la
famille, qui disparaissait le 27 septembre 1824 à l’âge de 19 ans. David
Bogue père avait placé beaucoup d’espoir en ce fils pour lui succéder. En
1817, il avait obtenu un MA à l’université de Glasgow et avait enseigné
avec lui au Séminaire missionnaire de 1817 à 1821 39. Il avait ensuite
entrepris des études de Droit pour devenir juriste, mais il est mort avant
d’achever ces études 40.
David Jr est mort sept mois après sa mère, décédée le 26 février 1824.
La mort, la même année, de sa femme Charlotte porta un coup fatal à
David Bogue, qui mourait un an après eux 41.
36. « Bogue David », Penny Cyclopaedia of the Society for the Diffusion of Useful
Knowledge, Supplément, vol. 1, Londres, C. Knight, 1851, p. 211.
37. « David Bogue of Gosport », http://www.wmcarey.edu/carey/bogue/bogue.htm
[site consulté le 5 mars 2008].
38. « A lady generally esteemed for amiable spirit, intelligent mind, agreeable manners,
and decided piety », in « The Rev. David Bogue D. D. », The Annual biography and
obituary, vol. 11, Londres, Longman, Brown, Green, p. 27. John CAMPBELL,
« David Bogue », Maritime discovery and Christian missions : considered in their
mutual relations, Londres, Snow, 1840, p. 335; John Morison, op. cit., p. 175.
39. Selon http://dissacad.english.qmul.ac.uk/new_dissacad/phpfiles/sample1.php?
asearch=0&detail=people¶meter=Peoplesearch& alpha=bogue&personid=
6886 [site consulté le 3 mars 2013].
40. « He had the office of classical tutor to the Missionary seminary there several years,
but he had devoted himself to legal studies, with a view to the Bar, when he was
removed by death ». Congregational Magazine, n° 7, 1824, p. 615.
41. John MORISON, op. cit., p. 203-206.
34 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 35 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
Bogue, le pasteur-théologien
De caractère résolu et indépendant, le père de David Bogue avait pris
parti contre les patronages en Écosse 42. Cela coûta à son fils sa nomination comme pasteur de l’Église d’Écosse. Il fit carrière en Angleterre,
dans l’Église presbytérienne dissidente 43. Il prêcha son premier sermon
en 1772, à Londres, dans l’Église dissidente de M. Muir, après avoir été
l’assistant du pasteur Smith dans l’Église et l’Académie qu’il avait dirigées à Londres. En 1766, David déclinait l’appel de l’Église écossaise
d’Amsterdam; mais, en 1777, il acceptait la direction d’une Église indépendante à Gosport 44. Fondée par des puritains, cette Église avait été
conduite par une longue suite de pasteurs distingués. Mais James Watson (1728-1796), le dernier en date, avait abandonné le pastorat pour
faire de la politique, puis devenir juge aux Grandes-Indes. Cette église
remplissait presque chaque dimanche ses 1200 places. Elle était en particulier fréquentée par l’amiral Adam Duncan (1731-1804) 45, qui assistait aux cultes parfois accompagné de ses neveux, James (1773-1851) et
Robert (1764-1842) Haldane. Détruite en 1941 par un bombardement
ennemi, l’église a été reconstruite rue Bury. Elle appartient aujourd'hui à
l’Église Réformée Unie (United Reform Church) 46. Edmond Petitpierre
brosse de Bogue ce portrait :
Le nom vénérable de David Bogue, alors âgé de 47 ans, était en lui-même
une forte tour, et aurait ajouté du poids à toute entreprise chrétienne. Cet
homme, qu’on ne pouvait guère comparer qu’à Johnson, était doué d’une
vaste intelligence et avait un courage à toute épreuve. D’un port imposant,
il avait beaucoup de dignité dans son maintien, et il joignait à la réputation
d’un savant et d’un philosophe, celle d’un chrétien expérimenté et d’un
grand théologien 47.
42. Règle d’élection du pasteur, non par le Consistoire, mais par les notables aisés de
l’Église locale (WEMYSS, op. cit., p. 59).
43. Edmond PETITPIERRE (trad), Robert et James Haldane : leurs travaux évangéliques en
Écosse, en France et à Genève, t. 1, Lausanne, Bridel, 1859, p. 37.
44. John MORISON, op. cit., p. 167.
45. Le Vicomte Duncan de Camperdown fut un amiral britannique qui remporta une
victoire éclatante sur la flotte hollandaise lors de la bataille de Camperdown, en 1797.
46. « Stokes Bay and Gosport County Grammar school », http://123-mcc.com/
photo_gosport_grammar.htm [site consulté le 10 mars 2013].
47. PETITPIERRE, op. cit., 18592, p. 87.
| 35
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 36 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
Bogue et le réseau du Réveil
Bogue avait aussi fait un voyage en France et en Allemagne pour se
familiariser avec les littératures française et allemande 48. Wemyss rapporte qu’il accompagna Robert Haldane pour son voyage de fin d’études
en 1785 49. En 1802, après la Paix d’Amiens, il séjournait un mois à Paris
accompagné de Matthieu Wilks (1746-1829) du Whitefield's Tabernacle
de Londres et d’autres émissaires de la LMS, pour mener une enquête
sur la diffusion de l’Évangile en France 50. Lortsch rapporte qu’après trois
jours de marche dans Paris, ils n’y avaient pas trouvé la moindre portion
des Écritures 51. C’est à la suite de cette visite, selon Campbell, que Bogue
décidait d’entreprendre la rédaction de son Essai sur l'inspiration du
Nouveau Testament 52 . Ce fut un bref mais marquant séjour. Au
moment où Bogue tombait subitement malade, sa fille cadette, qui résidait à Gosport, et son aînée (Mme Paker), qui habitait aux États-Unis,
vinrent à son chevet. Le seul fils qui lui restait avait élu domicile à Paris
chez son ami Marc Wilks (1783-1856) 53 – fils de Matthieu –, pasteur
congrégationaliste membre du Comité de la chapelle Taitbout 54, précur48. Archives du christianisme au XIXe siècle, 1826, p. 2.
49. WEMYSS, op. cit., p. 59.
50. John CAMPBELL, supra, p. 535.
51. Daniel LORTSCH, Histoire de la Bible française, Saint-Légier, Emmaüs, 1910/1983,
p. 166.
52. John CAMPBELL, « David Bogue », Maritime discovery and Christian missions : considered in their mutual relations, Londres, Snow, 1840, p. 534.
53. Arrivé à Paris pour raison de santé et, d’après Léonard, pour enquêter sur la Terreur
Blanche (op. cit., p. 229), ou aussi, selon Wemyss, comme « agent secret de la Mission de Londres », payé cinq cents livres l’an par la Mission. Wemyss soupçonne
Wilks (1793-1855) et Clément Perrot d’avoir été membres du parti anarchique des
Whigs (1977, p. 133).
54. D’abord rue Taitbout, puis 42 rue de Provence, à Paris 9e. Aujourd’hui, le culte y est
toujours célébré par l’Église évangélique baptiste coréenne de Paris. Sur l’histoire de
cette Église libre : de PRESSENSÉ, CORDEY, HOLLARD, A. FISCH, MEYRUEIS, Une
Église séparée de l’État, notice historique sur l’Église Taitbout à Paris et discours prononcés
à l’occasion du cinquantenaire (1840-1890) de sa chapelle le 6 mai 1890, Paris, Fischbacher, 1890, 99 p. Jacques PANNIER, Centenaire de la chapelle Taitbout (1840-1940),
texte ronéotypé, 1840, 9 p. Dans sa notice, de Pressensé (1890, p. 6) divise le développement de l’Église en quatre périodes : « la naissance, 1830-1839; la jeunesse,
1839-1849; La maturité, 1849-1870; Les temps difficiles depuis 1870 à
aujourd’hui [1890]. »
36 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 37 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
seur à sa façon de Mac-All et son œuvre en France, selon Cordey 55. À la
chapelle Taitbout, haut-lieu du Réveil, se réunissaient les « têtes du
Réveil parisien », membres engagés dans les différentes Sociétés évangéliques, mais aussi membres de l’intelligentsia du Paris protestant, alors
qu’au temple du Luxembourg, autre lieu du Réveil parisien, les membres
étaient généralement de condition plus modeste 56.
2.2. David Bogue et la Mission
Premiers engagements
En mars 1792, Bogue avait été appelé à prêcher à Londres à l’occasion
d’une rencontre de la Société pour la propagation de l’Évangile dans les
montagnes et les îles de l’Écosse. Il recommandait dans ce message que
l’on prenne les mesures nécessaires pour l’annonce de l’Évangile aux
nations païennes.
Relevons que cet appel précède celui rendu plus célèbre lancé en mai
1792 par Carey dans sa prédication à l’occasion d’une assemblée générale
de pasteurs baptistes à Nottingham : « Attendez-vous à de grandes
choses de Dieu; entreprenez de grandes choses pour Dieu », et la présentation de l’Enquiry dont le titre complet est : « Enquête sur les obligations des Chrétiens à s’employer à la conversion des païens, et dans
laquelle sont considérés l’état religieux des différentes nations du monde,
55. Henri CORDEY, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), Lausanne, Bridel,
1916, p. 7.
56. « Ces deux chapelles situées dans deux quartiers de Paris assez distants l’un de
l’autre, sont fréquentées par des auditoires très différents. La première [la chapelle
Taitbout] l’est par les chrétiens avec lesquels nous avons le plus de rapports, par les
membres actifs de nos diverses sociétés religieuses, par un certain nombre de protestants qui ne sont pas encore arrivés à la vérité, mais qui tâtonnent pour la trouver, et
aussi par beaucoup d’inconnus, catholiques sans doute, qui ont pris l’habitude d’y
venir pour satisfaire des besoins religieux encore confus. Les pauvres sont ici en
minorité. Ils forment au contraire presque exclusivement l’auditoire de la seconde
chapelle. Là vous voyez plus de blouses que d’habits et plus de sabots que de souliers.
Les familles des fondateurs et les maîtres des écoles sont presque les seuls protestants dans l’assemblée, qui ne se compose d’ailleurs que de catholiques, mais au
milieu de laquelle se forme déjà par la grâce de Dieu un petit noyau de chrétiens… »
(DE PRESSENSÉ, 1890, p. 10).
| 37
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 38 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
le succès d’entreprises missionnaires dans le passé, et la possibilité de
nouvelles tentatives de ce genre 57 ».
Bogue avait toujours eu à cœur la France comme terre de Mission. Il
avait déjà participé à la fondation, en 1792, de la French Bible Society, dissoute en 1803, et remplacée en 1804 par la British Foreign Bible Society
(annexe de la London Missionary Society), qui cherchait d’abord à
atteindre les prisonniers français en Angleterre 58. Bogue a aussi été
engagé dans la Religious Tract Society (1789). La Missionary Society est
officiellement née en 1796, dans le droit-fil des idées de la Surrey Mission
Society fondée en 1717 59. Elle devenait en 1818 la London Missionary
Society 60. Cette fondation officielle est postérieure aux discussions provoquées chez les baptistes par Carey et à la rédaction de son Enquiry, qui
a provoqué la création de la Particular Baptist Society for the Propagation of the Gospel Amongst the Heathen (Mission baptiste) le 2 octobre
1792 dans le salon de la veuve Wallis 61.
La volonté des pasteurs et des autres responsables d’Églises évangéliques indépendantes mais aussi anglicanes, qui furent à l’origine, en
1796, de la Mission de Londres, était de « répandre la connaissance du
Christ parmi les païens et les autres nations ignorantes 62 ».
57. William CAREY, An enquiry into the obligations of Christians, to use means for the
conversion of the heathens : « In which the religious state of the different nations of the
world, the success of former undertakings, and the practicability of further undertakings
are considered, Ann Ireland, Leicester ; J. Johnson, St. Paul's Church yard; T. Knott,
Lombard Street; R. Dilly, in the Poultry, London; and Smith, at Sheffield., 1792,
87 p. Accéder au texte complet sur le site : http://www.wmcarey.edu/carey/
enquiry/anenquiry.pdf.
58. HUYGHUES-BELROSE, op. cit., p. 112ss.
59. James Bowden (1745-1812) fut le premier secrétaire de cette Mission « intérieure ».
Le comté de Surrey est situé au Sud-Est du Grand Londres.
60. Elle fait aujourd’hui partie du Council for World Mission (CWM, Conseil pour la
mission mondiale ou Conseil missionnaire mondial) avec l’ancienne Colonial Missionary Society et l’ancien Presbyterian Board of Missions.
61. Site officiel : http://www.wmcarey.edu/carey/bms/bms.htm [site consulté le
17 juillet 2012].
62. « Leaders among the Independent Churches joined forces with Anglican and Presbyterian clergy and laymen to form a Missionary Society in 1795 whose object was
to spread the knowledge of Christ among heathen and other unenlightened
nations » Barrie Scopes, History of the London Missionary Society, http://
www.cwmission.org [site consulté le 17 juillet 2012].
38 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 39 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
Petite chronologie de l’appel de William Carey à devenir
le premier missionnaire baptiste
Le 5 octobre 1785 Carey est baptisé comme croyant dans une rivière
par John Jr. Ryland (1753-1825), alors pasteur adjoint de l’Église baptiste dont le père, John Collet Ryland (1723-1792), est le pasteur en titre.
Ce n’est que plus tard, en 1785, qu’il devenait membre, puis prédicateur,
de l’Église baptiste de Moulton 63. Deux ans plus tard, en 1787, Carey, le
cordonnier autodidacte, était consacré comme pasteur baptiste dans
l’Église d’Olney, puis installé à Moulton, tout en continuant d’exercer
son métier de cordonnier et d’assumer la fonction d’instituteur.
En 1787, lors d’une pastorale où il était de coutume de débattre de
questions d’actualité proposées par un des pasteurs, Carey posa cette
question : « le commandement du Seigneur aux apôtres d’évangéliser
toutes les nations est-il valable pour toutes les générations successives
des ministres de l’Évangile jusqu’à la fin des temps? » Le doyen de la pastorale, John Collet Ryland, le père de celui qui avait baptisé Carey, un
calviniste particulièrement strict 64, lui répondit en des termes rendus
63. La Mission baptiste, petite chronologie de Carey, synthèse à partir de FARELLY, op.
cit, 96p. BLANDENIER, op. cit., p. 49-79. George SMITH, Life of William Carey, Shoemaker & Missionary, Londres, J. M. Dent, 1922, 326 p. Bennie R. Jr. CROCKETT,
Myron C. NOONKESTER, Carey Center : Center for Study of the Life and Work of
William Carey, D.D. (1761-1834), http://www.wmcarey.edu/carey/bms/bms.htm
[site consulté le 17 juillet 2012]. Robert Tudur JONES, Alan P.F. SELL, David WILLIAM, op. cit., Documents IV.13, vol. 2, 2006, p. 210-213; Anne RUOLT, « William
Carey (1761-1834) », in Le Bon Combat, mars-avril 2004, p. 10-17 et mai-juin
2004, p. 10-17.
64. Carey inaugure un nouveau courant entre les deux courants historiques de l’histoire
du baptisme : les baptistes généraux et les baptistes particuliers ou hyper-calvinistes.
Les baptistes généraux comme John Bunyan (1628-1688) sont arminiens. John
Smyth (1570-1612), à qui l’on reconnaît d’être le père du baptiste, appartenait,
comme Thomas Helwys (1550-1616) qui l’a introduit en Angleterre, à ce courant de
baptistes généraux, pour qui le salut est offert à tous les hommes. Les baptistes particuliers comme John Collet sont des hyper-calvinistes. Selon eux, le salut n’est destiné qu’aux seuls élus. C’est cette branche qui s’est le plus vigoureusement développée
après Smyth. Le théologien André Fuller (1754-1815), dirigeant de la mission
Carey, prenant le contre-pied de la vague hyper-calviniste. Pour lui, il revient aux
chrétiens d’annoncer la bonne nouvelle de l’Évangile à tous les hommes, notamment
à ceux qui sont nés dans les nations lointaines, sans se borner à attendre simplement
que les seuls élus en contact avec l’Évangile viennent d’eux-mêmes à la foi.
| 39
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 40 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
célèbres : « Jeune homme, asseyez-vous. Quand il plaira à Dieu de
convertir les païens, il le fera sans votre aide et sans la mienne 65 ».
Carey se rassit poliment et se tut, mais il resta tenace dans ses idées!
C’est après s’être installé en 1789 avec sa famille à Leicester, et à partir de
toute la documentation qu’il avait collectionnée les années passées sur les
différents pays et leur population, qu’il rédigea une première version de
l’Enquiry. En mai 1791, Il présentait ce texte à ses amis, puis le révisait
avant qu’il ne soit édité en 1792.
En cinq chapitres, Carey y faisait la démonstration du bien-fondé de
la mission d’évangéliser les païens de son temps, et de sa faisabilité. Ces
chapitres abordent successivement les points suivants :
1. Jésus appelle ses disciples à prier pour que le règne vienne (Mt 16.10),
et leur dit d’aller par tout le monde prêcher l’Évangile à toutes créatures (Mc 16.15).
2. Carey dresse le tableau de l’expansion de l’Évangile après la Pentecôte.
3. Puis il présente la situation du monde telle qu’elle est connue à l’époque.
4. Carey dénonce ensuite les faux prétextes invoqués pour ne pas partir,
rappelant que l’Angleterre a été évangélisée alors qu’elle n’était composée que d’indigènes barbares.
5. La prière engendre l’action; conquérir le monde pour Jésus-Christ
sera l’œuvre de l’Esprit, qui vient en aide à ceux qui l’appellent et se
laissent conduire par lui. Pour les finances, il suffit que riches et
pauvres donnent la dîme de leurs revenus.
C’est à l’occasion de la pastorale qui s’est tenue en mai 1792 à Nottingham, que Carey a prêché un sermon sur Ésaïe 54.2-3 et a lancé son
célèbre appel : « Attendez-vous à de grandes choses de Dieu; entreprenez de grandes choses pour Dieu ». Après la démonstration théologique
de l’Enquiry, cette prédication remua les cœurs. Un renversement de
situation se produisit alors. Le Dr John Jr Ryland en témoignait en ces
termes : « Si l’auditoire entier avait élevé la voix et pleuré comme le firent
les Israélites à Bokim, je n’en aurais pas été étonné. L’effet eût été à la
mesure de la cause, tellement il venait de décrire à la perfection notre
paresse criminelle 66. »
65. Traduction FARELLY, op. cit., p. 28.
66. FARELLY, op. cit., p. 39. Sur Carey, voir aussi HUYGHUES-BELROSE, op. cit., p. 88-95.
40 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 41 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
Le lendemain, une fois l‘émotion passée, alors que chacun s’apprêtait
à se séparer sans donner de suites concrètes à cet appel, Carey réamorçait
le dialogue. S’en suivit la décision de mettre à l’ordre du jour de la conférence d’octobre la résolution de créer une société missionnaire. C’est
ainsi que, le 2 octobre 1792, dans le salon de la veuve Wallis où étaient
réunis quatorze hommes, dont douze pasteurs de villages, responsables
de petites et pauvres églises, la société missionnaire baptiste fut constituée. La première liste de souscription qui circula entre eux avait produit
13 livres, 2 shillings et 6 pence. Le nom de chaque assistant s’y trouve,
sauf celui de Carey, trop pauvre pour donner quelque argent… mais qui
donnait sa vie en s’offrant pour partir sur le champ missionnaire.
L’effet des premières nouvelles de William Carey
Après la création de la Mission baptiste, c’est le 20 mars 1793 à Leicester que William Carey et John Thomas ont été désignés, pour être
ses premiers missionnaires en Inde. Partis le 13 juin 1793, ils sont arrivés dans la baie de Calcutta cinq mois plus tard, le 11 novembre 1793.
Ce n’est qu’en juillet 1794 que le Dr John Jr Ryland (1753-1825), alors
directeur de l’Académie baptiste de Bristol, reçut les premières nouvelles. Carey parlait de ses six premières semaines en Inde 67. Ryland
réunit alors ses collègues non-conformistes, Bogue l’indépendant, Steven, un presbytérien écossais, et Hey, un autre indépendant, pour leur
faire part des propos de Carey. Suite à cette rencontre, Bogue prenait
l’initiative de lancer un appel missionnaire en publiant un article dans
l’Evangelical Magazine, en septembre 1794, mais en destinant l’appel
aux dissidents « pratiquant le baptême des nourrissons », « Adress to
Evangelical Dissenters who practice infant Baptism » donc à des non baptistes 68. Bogue argumentait en s’appuyant sur la dette qu’avaient les
chrétiens anglais, redevables à ceux qui leur avaient aussi un jour
annoncé l’Évangile :
67. Voir le texte : William CAREY, « William Carey on the Lord’s Missionary Commission. An Enquiry Whether The Commission Given By Our lord To His Disciples
Be Not Still Binding On Us », Documents IV.11.
68. David BOGUE, « David Bogue’s Call to Mission », Document IV.13.
| 41
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 42 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
Vous étiez autrefois des païens, qui vivaient dans une cruelle et abominable idolâtrie. Les serviteurs de Jésus sont venus de pays étrangers, et
vous ont prêché l’Évangile. C’est grâce à cela que vous avez connu le
salut. Ne devez-vous pas à votre tour, comme une marque de reconnaissance envers leur bonté, envoyer des missionnaires vers les peuples qui
sont dans cette même condition où vous étiez auparavant, pour les supplier de se détourner de leurs idoles muettes, et de se tourner vers le
Dieu vivant, dans l’attente de la venue de son Fils? En vérité, vous êtes
leurs débiteurs 69.
À partir du 4 novembre 1794, chaque mardi matin, quatre indépendants, David Bogue, Joseph Brooksbank, Reynolds et John Townsend
(1757-1826), deux whithefieldiens, John Eyre et Matthieu Wilks, et
deux presbytériens écossais à Londres, John Love et James Steven, se
retrouvèrent dans le Baker’s Coffee House de Londres. L’idée était de
créer une Mission interdénominationnelle selon le principe du Catholic
Spirit (l’annonce de l’Évangile sans prédéfinir le type de gouvernement
d’Église à fonder), qui associait dissidents, méthodistes, whithefieldiens
et anglicans évangéliques 70. Le cercle s’agrandit dès le 8 janvier 1795. La
69. « Ye were once Pagans, living in cruel and abominable idolatry. The servants of
Jesus came from other lands, and preached His Gospel among you. Hence your
knowledge of salvation. And ought ye not, as an equitable compensation for their
kindness, to send messengers to the nations which are in like condition with yourselfs of old, to entreat them that they turn from their dumb idol the living God,
and to wait for His Son from heaven? Verily their debtors ye are » http://
www.answers.com/topic/london-missionary-society [site consulté le 15 novembre
2008].
70. « As the union of Christians of various denominations in carrying on this great work
is a most desirable object, so, to prevent, if possible, and cause of future dissension,
it is declared to be a fundamental principle of The Missionary Society that its design is
not to send Presbyterianism, Independency, Episcopacy, or any other form of
Church Order and Government (about which there may be differences of opinion
among serious persons), but the glorious Gospel of the blessed Good, to the
heathen; and that it shall be left (as it ought to be left) to the minds of the persons
whom God may call into the fellowship of His Son from among them to assume for
themselves such form of Church Government as to them shall appear most
agreeable to the Word of God ». MISSIONARY SOCIETY, « The Fundamental Principle of the [London] Missionary Society », Documents IV.14. HUYGHUESBELROSE, op. cit., p. 108.
42 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 43 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
date du mardi 12 et mercredi 13 mai 1795 fut retenue pour une première assemblée constituante. Elle réunit 23 personnes 71.
L’assemblée générale constituante s’est tenue du 22 au 24 septembre
1795, lors d’une sorte de convention réunissant 200 pasteurs et des laïcs.
La Mission prenait alors le nom de Missionary Society. Elle regroupait
des membres de différentes dénominations, à l’exception des baptistes et
des quakers 72. En 1817, lorsque la Mission prend le nom de London
Missionary Society (LMS), elle n’est plus composée que de congrégationalistes 73. Dès 1782, David Bogue, le pasteur de l’Église de Gosport,
s’engage activement dans le développement de la LMS. En 1789 il fait
partie des fondateurs de la Religious Tract Society, et en 1804 de la British
and Foreign Bible Society.
Ainsi, l’initiative de l’œcuménisme non-conformiste revenait indirectement à un baptiste, grâce à l’appel lancé par Carey depuis le champ de
Mission, et à Ryland qui le diffusa plus largement en Angleterre 74.
3. David Bogue, le théologien-pédagogue
3.1. L’Académie ou l’Institut biblique missionnaire
de Gosport?
Un Institut biblique dédié à la formation des missionnaires
de la LMS
Le 22 mai 1796, Robert Haldane faisait part à Bogue de son projet de partir en Inde, en lui demandant de s’associer à son plan 75. Le
projet en 1796 échoua à cause du refus de l’East India Company de le
laisser aller évangéliser dans cette région du monde. C’est à partir de
71. Council for World Mission London Missionary Society, School of Oriental and African
Studies, CWM/LMS/01 Home 1764 – 1977.
72. Quaker ou la Société religieuse des Amis. George Fox (juillet 1624-13 janvier 1691)
fonda une communauté christocentrique, mais empreinte de mysticisme où l’illumination intérieure primait, la sola scriptura rejetée. Il n’y avait pas de hiérarchie dans
l’Église, pas de credo, les sacrements n’étaient pas valorisés, par contre on y trouait la
simplicité, l’égalité des sexes et des statuts sociaux.
73. HUYGHUES-BELROSE, op. cit. p. 105.
74. HUYGHUES-BELROSE, op. cit., p. 103ss.
75. PETITPIERRE, op. cit., p. 87sq.
| 43
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 44 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
l’année 1800 que l’Académie de Gosport, dirigée par Bogue, est devenue le séminaire de théologie privilégié pour la formation des missionnaires de la LMS 7 6 , qui a régulièrement envoyé ses agents
missionnaires dans des pays à évangéliser, au loin comme en Chine ou
à Madagascar par exemple, mais aussi auprès de populations moins
« exotiques » comme à Londres parmi les juifs, ou en France. C’est à
dessein que nous qualifierons l’Académie de Gosport « d’Institut
biblique missionnaire » de Gosport.
Un Institut biblique dédié à la formation des pasteurs
« Réveillés » pour les Églises dissidentes
Bogue a déjà enseigné à Londres. Il arrive en juin 1777 à Gosport, et
en décembre, un premier élève vient chez lui pour être instruit. Il continue à donner des cours privés chez lui, développant son propre curriculum conjuguant les études classiques et scientifiques, offrant aux
dissidents de pouvoir s’instruire sans être obligés de fréquenter une école
secondaire anglicane. En 1789, c’est un philanthrope londonien, George
Welch, négociant et banquier, qui prit l’initiative de fonder un institut
biblique destiné à former au ministère pastoral des étudiants issus
d’Églises dissidentes d’Angleterre, les Universités prestigieuses n’enseignant pas dans cette ligne théologique orthodoxe 77, et pour servir de
digue contre l’unitarisme. Pour ce faire, il fut décidé de financer les
études à la fois théoriques et pratiques de jeunes destinés au pastorat
dans ces Églises dissidentes. Cette formation devait se faire auprès d’un
pasteur-tuteur. C’est ainsi que trois candidats furent confiés à Bogue 78.
Le comté où il travaillait lui en confia plusieurs autres.
76. HUYGHUES-BELROSE, op. cit., p. 148. Noel GIBBARD, « David Bogue and the Gosport Academy », Foundations 20, 1988, p. 36.
77. David BOGUE, James BENNETT, History of Dissenters, from the Revolution in 1688,
to the Year 1808, vol. 2, Londres, Westley et Davis, 18332, p. 531. RÉDACTEUR,
« Memoir of the late rev David Bogue, D. D. of Gosport, Hamphire », The Evangelical magazine and missionary chronicle, vol. 4, janvier 1826, p. 3.
78. Archibald GEIKIE, Thomas BRADBURY, Dictionary of National Biography, vol. II,
1960; Richard GARRETT, ROGERS Samuel, DNB, vol. XVII, p. 139-142; BEAMISH, HILLIER et JOHNSTONE, op. cit., p. 68-71; William JAY, The Autobiography
of the Rev. William Jay with Reminiscences of Some Distinguished Contemporaries,
Londres, 1855, p. 423-431; R.W. DALE, op. cit., p. 593-594; David BOGUE et James
BENNETT, The History of Dissenters from the Revolution to the year 1808, Londres,
1833, vol. 2, p. 530-531.
44 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 45 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
Cette organisation, nouvelle à cette époque, fut à l’origine du séminaire de la LMS. La première classe était composée de quatre étudiants 79. Le rédacteur des Archives du christianisme au XIXe siècle, dans sa
notice sur Bogue, compare cette initiative à celle présidée par le Dr Doddridge 80. Philip Doddridge (1702-1751) était né à Londres en 1702.
Pasteur presbytérien, calviniste modéré et non-conformiste, il a marqué
son époque en publiant en particulier, en 1745, The Rise and Progress of
Religion in The Soul. Cet ouvrage, dédié à Isaac Watts, fut traduit en
français sous le titre Les commencements et les progrès de la vraie piété 81.
Laurent Cadoret cite cet ouvrage comme l’un de ceux qu’il avait distribués aux premiers élèves de son École du dimanche à Luneray 82, ce qui
confirme par là qu’il appartenait à cette aile du Réveil.
Welch rétribuait les « tuteurs » à hauteur de dix livres par an pour
chaque élève qui étudiait ainsi pendant trois ans auprès de son maître 83,
soit l’équivalent de 10 semaines de salaire d’un ouvrier qualifié 84. C’est
après la mort de Welch que l’Académie a pris plus d’ampleur et qu’elle
est devenue ce que nous nommerions aujourd’hui un Institut biblique
missionnaire. Face à un douloureux premier bilan, le comité de la LMS
remit en question les conditions d’envoi des missionnaires, et conclut à
la nécessité de soumettre ses candidats à une préparation avant leur
départ. Cet entraînement missionnaire devait aider le zélé candidat à
développer un savoir plus précis dans la communication, tout en renfor79. Evangelical Magazin, 1826, p. 3
80. RÉDACTEUR, « Notice sur le Dr David Bogue », Archives du christianisme au
XIXe siècle, 1828, p. 3.
81. Philip DODDRIDGE, Les commencements et les progrès de la vraie piété, Paris, Delay,
18452, trad. J. S. Vernède, Bâle 1752 et 1771. L’ouvrage numérisé est accessible sur
le net. Philip DODDRIDGE, The Rise and Progress of Religion in The Soul, Société
américaine des traités, 1822, 180 p., http://www.ccel.org/d/doddridge/rise/
rise.htm [Site consulté le 27 juillet 2008].
82. Laurent CADORET, Ms, Lettre anglaise à Tracy, Dieppe, le 16 août 1814, Londres,
SOAS, CWM/LMS/Europe/France/Incoming Correspondence/Box 3/Folder
1/Jacket C.
83. John MORISON, op. cit., p. 177.
84. Selon Bensinom, au XIXe siècle à Londres, le salaire mensuel d’un ouvrier qualifié
s’élevait à 1 livre : Fabrice BENSIMON, « La culture populaire au Royaume-Uni,
1800-1914 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 48-4bis, Supplément
2001/5, p. 83.
| 45
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 46 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
çant ses bonnes dispositions 85. Cela s’est fait après un échange entre
James Bennett, un ancien élève de cette Académie, et Robert Haldane.
Epaulée par Robert Spear, un marchand de coton de Manchester, l’école
s’est alors dotée d’une bourse annuelle de cinq cents livres, complétée par
dix livres par an offertes par la LMS pour chaque élève supplémentaire
accueilli. Le but était de faire de l'établissement de Gosport un centre
missionnaire pour former des pasteurs-missionnaires appelés à évangéliser et à fonder des églises, à l'étranger comme en l’Angleterre 86.
Quelques statistiques et quelques noms
En 29 ans (10 promotions) on estime que 115 missionnaires ont été
formés, soit une moyenne de 4 missionnaires « diplômés » chaque
année. En moyenne, l’Académie accueillait 12 étudiants (3 promotions).
Ils étaient 21 étudiants en 1821. En 1814 les revenus de l’école s’élevaient à 16000 livres (16500 louis); en 1817 à 21600 livres, en 1818 à
23000 livres et en 1819 à 25409 livres 87.
Parmi les plus renommés des missionnaires formés chez Bogue, nous
citerons Robert Morrison, surnommé « l’apôtre de la Chine ». Il a étudié
à Gosport de 1803 à 1807 88. En 1813, William Milne (1785-1822), qui
a été son collègue, a aussi étudié à Gosport. Son histoire illustre le profil
de certains étudiants acceptés dans cette école. Il vaut la peine de le
décrire pour mieux se représenter et apprécier les prouesses auxquelles la
pédagogie de Bogue a conduit.
Milne avait été élevé « à la dure » en Écosse. Orphelin de père à 6 ans,
il est devenu ensuite berger. C’est un sermon de son pasteur qui l’avait
bouleversé et conduit à rechercher Dieu, ce qu’il fit en lisant la Bible avec
ferveur au milieu des moutons… À l’âge de 20 ans, son désir d’évangéli-
85. SOAS, CWM / LMS, LMS, Procès-verbal du Conseil FBN 1 : Microfiche 9, 5 mai
1800.
86. Richard LOVETT, « Board Minutes, LMS, records CWM, School of Oriental and
African Studies, London », History LMS, vol. 1, 1899, p. 67-72 cité par GIBBARD,
op. cit., p. 36.
87. Daniel Ehrenfried STŒBER, Vie de J.F. Oberlin, pasteur à Waldbach au Ban-de-laRoche, Paris, Strasbourg, Londres, Treuttel et Würtz, 1807/1831, selon STŒBER,
op. cit., p. 386.
88. RÉDACTEUR, « Biographie religieuse, Robert Morrison, Missionnaire en Chine »,
Archives du christianisme au XIXe siècle, 1835, p. 53.
46 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 47 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
ser les païens grandissant, il prit contact avec la Société missionnaire de
Londres. Au cours de l’entretien, un des membres du comité, considérant ce « brave » berger bien inculte, lui demanda s’il ne voudrait pas plutôt partir comme missionnaire artisan… ce que voulait bien Milne
pourvu qu’il puisse partir évangéliser! Mais malgré son abnégation le
comité émit un avis négatif… jusqu’au moment où l’on demanda à William de prier! Sa ferveur toucha tellement le comité qu’il fut admis à
l’école missionnaire de Gosport 89.
Le 18 août 1818, David Jones (1797-1841) et Thomas Bevan (17961819), envoyés par la mission de Londres, arrivaient à Tamatave. Ces
premiers missionnaires protestants à Madagascar avaient été formés
chez Bogue, comme Jean le Brun (1789-1865), un Français dont les
parents avaient émigré sur l’Île de Jersey après la révocation de l’Édit de
Nantes. Il a été envoyé en 1814 à l’Île Maurice 90. Joseph Samuel Christian Frederick Frey (1771-1850), un Juif (né Joseph Levi) converti à
Berlin, étudiait dès 1803 à Gosport pour travailler en Afrique, mais la
MLS jugea préférable qu’il reste à Londres pour y évangéliser les Juifs 91.
Parmi les Français qui ont étudié à Gosport, signalons Laurent
Cadoret (1770-1861), Gilles Guillaume et Philip Bellot. Laurent Cadoret et Gilles Guillaume ont aidé Bogue à mettre au point une édition
française de la Bible ainsi qu’une préface au Nouveau Testament, qui à
partir de 1800 a été distribuée à Gosport auprès des prisonniers français
et sur les pontons par la Religious Tract Society 92.
3.2. La pédagogie et le curriculum de l’Institut biblique
de Gosport
L’organisation curriculaire de la formation
Nous pouvons nous faire une idée du modèle d’enseignement de
Bogue grâce à la publication des Theological Lectures 93, après sa mort,
89. Jacques BLANDENIER, op. cit., p. 99-100.
90. Louis RIVALTZ QUENETTE, L'œuvre du Révérend Jean Lebrun à l'Île Maurice, PortLouis, Regent press, 1982, 244 p.
91. RÉDACTEUR, « Société religieuses », Revue encyclopédique, vol. 15, Paris, chez
Arthus Bertrand, 1822, p. 397.
92. HUYGHUES-BELROSE, op. cit, p. 148.
93. David BOGUE, Theological Lectures, Joseph Samuel C.F. Frey, éd., New York, Lewis
Colby, 1849, vol. 1 et vol. 2.
| 47
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 48 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
par son ancien élève le pasteur Frey. Dans ces deux volumes est rassemblé tout l’enseignement des différentes disciplines des études théologiques, excepté les langues bibliques. Avec les index, l’ensemble fait
802 pages.
Figure 1 : Proportion des disciplines en %, calculées à partir des volumes attribués dans l'édition des 2 volumes des Theological Lectures.
En considérant le nombre de pages attribuées à chaque discipline, on
peut décrire le curriculum de la sorte : presque 50 % de l’enseignement
porte sur la doctrine 94. L’autre moitié est presque également distribuée
entre : la théologie biblique (21 % introduction A.T. et N.T., survol de
chaque livre de la Bible et histoire sainte), la théologie pratique et
l’homilétique (13 % + 6 %), l’histoire de l’Église et la géographie biblique
(7 % + 4 %).
94. Il s’agit du chapitre de doctrine, des sections sur la doctrine de l’Écriture qui introduit le deuxième chapitre et le chapitre sur les Alliances.
48 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 49 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
La conjugaison de la foi, de la raison et de la piété
Dans l’histoire des dissidents, Bogue et Bennett confirment cette
priorité de la théologie systématique, en précisant que les deux premières années d’études étaient surtout consacrées à la doctrine chrétienne, la troisième à la théologie biblique (l’étude de chaque livre de la
Bible). Les autres matières étaient régulièrement réparties sur les 3 ans,
à savoir : le latin, le grec et l’hébreu, la géographie, l’astronomie, la linguistique, la composition, l’histoire sainte, l’histoire de l’Église et la théologie pratique 95 . Croyant que la glossolalie ou « don des langues »
(1 Co 14) avait cessé, Bogue mettait l’accent sur la linguistique. Le cours
d’homilétique avait une place importante dans la formation, mais pour
former davantage à la clarté d’expression et la piété qu’à la rhétorique.
Noel Gibbard ajoute cet élément d’appréciation : « tout en voulant
apporter un enseignement solide fondé sur l’autorité des Écritures, la
formation académique devait aller à l’essentiel sans de trop grandes prétentions 96 ».
L’évangélisation tenait aussi une grande place. Après avoir discuté
avec Robert Haldane sur une stratégie à adopter dans la région, c’est
finalement l’association des Églises dissidentes du Hampshire qui, en
1814, a pris à sa charge six mois d’études à Gosport pour former des prédicateurs qui ensuite travaillaient dans la région. L’évangélisation se faisait en binômes; un nouvel élève était associé avec un plus aguerri pour
épauler des pasteurs ou implanter de nouvelles Églises. Ce choix
d’envoyer les élèves deux par deux rappelle la façon de faire de Jésus 97.
95. David BOGUE, James BENNETT, History of Dissenters, from the Revolution in 1688,
to the Year 1808, R. Tilling, S.E. Jackson, Imprimé pour les auteurs par Williams &
Smith, 1812, vol. 4, p. 282. « The Academy curriculum included such subjects as
Latin, Greek and Hebrew geography, astronomy, etc, by his own account James's
course largely consisted of dogmatic theology. By his death some 115 missionary
students had passed through his academy, 50 going to India. Yale awarded him a
D.D. in 1815 », John ROXBOROGH, « David Bogue » http://www.roxborogh.com/
Biographies/biobogue.htm [sites consultés le 15 novembre 2008].
96. GIBBARD, op. cit., p. 37.
97. Les Douze, Marc 6.7; les soixante-dix, Luc 10.1.
| 49
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 50 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
La formation de la piété avait aussi une grande importance. Comme
les élèves fréquentaient différentes chapelles dans le district et non une
même communauté, des réunions de prières rassemblant les élèves et les
tuteurs permettaient d’alimenter une vigoureuse piété communautaire.
D’après Noel Gibbard, l’un des auteurs que Bogue recommandait
fortement était Jonathan Edwards (1703-1758). Il avait grandement
influencé la piété de Bogue. Mais il y avait aussi des puritains comme
John Owen (1616-1683) et John Howe (1630-1705). On note aussi le
presbytérien William Bates (1625-1699), ainsi que le pasteur et théologien néerlandais Herman Witsius (1636-1708), qui fut professeur de
théologie successivement à l'Université de Franeker en 1675, puis à
l'Université d'Utrecht en 1680 et en 1698 à l'Université de Leyde, où il
est mort 98.
Au cœur de la dynamique de la formation à l’Académie de Gosport
s’articulent la foi, la raison et la piété.
Bogue enseigne de 1777 à sa mort en 1825, il est seul tuteur jusqu’en
1817, puis, d’août 1817 à 1821, son fils David Bogue Jr travaille avec lui
avant de commencer des études de Droit. De 1821 à 1825, Théophile
Eastman (1784-1870) lui succède. Ebenezer Henderson l’aîné (17841858) est nommé par la LMS à la mort de Bogue en 1825 99.
Un enseignement « tutoral » engageant l’activité des élèves
Le modèle éducatif n’était pas celui des cours magistraux, mais celui
du tutorat. Dans l’université anglaise, le système tutoral (tutorial system)
était un modèle de formation pour les élites, pendant du système monitoral (monitoral system) lancastérien pour l’éducation populaire.
Thierry Bédouret, dans son étude sur les différents sens qu’ont pu
prendre, dans l’histoire de la pédagogie, les termes de « tuteur » et
« moniteur », définit ainsi le modèle anglais adopté par les prestigieuses
universités comme Oxford et Cambridge : contrairement au moniteur
du modèle lancastérien, le tuteur n’est pas un élève plus avancé dans la
98. GIBBARD, op. cit., p. 37.
99. GIBBARD, op. cit., p. 37.
50 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 51 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
matière, mais un « professionnel universitaire qui dispense un suivi
individualisé ». Il précise :
Dans l’enseignement supérieur britannique (further education), il est un
universitaire (a college official) auquel on confie le soin de s’occuper de l’intégration universitaire des « jeunes » étudiants (undergraduates). Tel est le
cas du tuteur dans les universités prestigieuses telles que Oxford et Cambridge. Dans le système frère américain, il est un enseignant universitaire
qui donne un enseignement individuel aux étudiants. Il s’intègre dans un
système tutorial (tutorial system) défini comme un système d’éducation
organisé collégialement, dans lequel est donné à chaque étudiant un tuteur
adulte qui le dirige dans ses études et le supervise dans son cursus 100.
Bogue, le pasteur de l’église dissidente de Gosport, était un universitaire. À l’Académie qu’il dirigeait, le modèle tutoral consistait à provoquer le dialogue personnalisé avec les élèves sur la base de leur travail
personnel et en particulier de leurs notes prises pendant les cours. Nous
pouvons nous faire une idée du modèle d’enseignement de Bogue grâce à
la publication des Theological Lectures 101, faite après sa mort par son
ancien élève le pasteur Frey (1771-1850), un juif-allemand, missionnaire
de la LMS auprès des Juifs à Londres après sa formation à Gosport,
comme cité plus haut. Dans le premier volume, chaque leçon porte sur
une doctrine ou un aspect d’un sujet décliné en plusieurs parties. Le deuxième volume est divisé en deux parties : la première traite de l’histoire
sainte (p. 437 -696), la deuxième du ministère pastoral. Bogue y aborde
en particulier le sujet de la prédication (p. 696-798).
Ces canevas d’étude étaient structurés selon un même plan, souvent de
ce type :
1. Titre : numérotation de la leçon et thème.
2. Plan général du cours
3. Décomposition méthodique et claire des différentes parties du sujet
4. Dossier biblique, pour exposer la doctrine.
100. Thierry BÉDOURET, « AUTOUR DES MOTS “Tutorat”, “monitorat” en
éducation : mises au point terminologiques », Recherche et formation, n° 43, 2003,
p. 115-126.
101. David BOGUE, Theological Lectures, Joseph Samuel C.F. Frey, éd., New York,
Lewis Colby, 1849, vol. 1 et vol. 2.
| 51
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 52 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
5. Questions de compréhension, dans une perspective apologétique de
la défense de la « bonne doctrine » face aux objections qui lui sont
faites.
6. Questions d’application pour le croyant
7. Bibliographie
Ce canevas suffisait à faire travailler chaque élève. Ensuite, sur cette
base pouvait être amorcé le dialogue avec son tuteur. Celui-ci pouvait
ainsi s’assurer de la bonne compréhension de la matière, éclairer les
points restés obscurs ou corriger ceux qui n’avaient pas été bien compris,
tout en prolongeant l’enseignement en lui imprimant un caractère de
pieuse préparation au ministère. Ces notes servaient ensuite au ministère
de l’étudiant, qui pouvait enseigner à d’autres ce qu’il avait compris.
L’activité des élèves était donc primordiale, et le suivi individualisé
favorisait au mieux le développement du potentiel de chacun, quel que
soit le degré d’aptitudes acquis antérieurement. Cette forme d’enseignement garantissait l’efficacité d’une « éducation durable » auprès de ces
petites volées hétérogènes, composées d’élèves motivés mais au parcours
scolaire préliminaire souvent très bref.
3.3. La théologie de David Bogue
Mark Noll voit en Bogue une typologie de l’acteur promoteur d’un
mouvement de Réveil calviniste modéré trans-dénominationnel (transdenominational group of moderate Calvinists) 102, dont l’action visait à lutter contre les effets des anciennes querelles 103. Les publications de
Bogue, et en particulier les deux volumes de Theological lectures, rendent
compte de sa théologie. Nous ne relevons ici que quatre des principales
doctrines, qui suffisent à situer Bogue dans le champ des protestantismes et du Réveil.
102. NOLL, op. cit., p. 195.
103. Noll emprunte l’expression « Dissent had drawn an enormous blood-transfusion
from the veins of the Evangelical Revival » à John WALSH, Methodism at the End of
the Eighteenth Century, Davies et Rupp, 1956, p. 293; NOLL, op. cit., p. 194.
52 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 53 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
La doctrine de la dépravation totale de l’homme et la toute
suffisance de l’œuvre du Christ
Le calvinisme modéré s’élevait à la fois contre le pélagianisme des
intellectuels qui, à la suite de Rousseau, faisaient de la raison une action
autosuffisante, indépendante de la foi, et contre l’illuminisme émotionnel d’une certaine forme de piétisme morave minimisant la raison. Lucia
Bergamasco présente ce courant ainsi :
Tous prônaient un réveil évangélique universel, authentique et durable,
fondé tant sur un travail en profondeur au niveau des affections religieuses
(des conversions véritables) que sur une compréhension « rationnelle » de
la doctrine (des conversions bien étayées). Cela ne pouvait se faire que si les
fidèles se plaçaient sous la direction généreuse et bienveillante, mais ferme,
de pasteurs évangéliques ayant reçu une éducation adéquate les rendant
capables de discernement intellectuel aussi bien que spirituel 104.
La dépravation de la nature humaine et l'imputation du péché du premier Adam sont les deux composantes de la doctrine du péché originel
qui explique la nécessaire et seule œuvre efficace du Christ pour l’accomplissement du salut offert par grâce à quiconque le reçoit par la foi 105.
La doctrine de l’inerrance de la Bible
Traduit en français, publié au moins cinq fois (1803, 1812, 1814,
1829, 1839), un Essai sur la divine autorité du Nouveau Testament,
Combes-Dounous 106 (trad., 1803, 334 p.), témoigne d’une autre caractéristique de ce courant, moins mise en exergue par Bergamasco, celle de
l’inerrance des Écritures. Parmi les grands noms des artisans du Réveil,
le théologien Louis Gaussen (1790-1863) s’en est fait un des champions
104. Lucia BERGAMASCO, « Évangélisme et Lumières », Revue française d’études américaines, no 92, 2/2002, p. 22-46.
105. « Du péché originel à la rédemption et l’assurance du salut », David BOGUE, Theological Lectures, Joseph Samuel C.F. Frey, éd., vol. 1, New York, Lewis Colby, 1849,
p. 104-254.
106. David BOGUE, Essai sur la divine autorité du Nouveau Testament, [Combes-Dounous (trad)], 1803, 334 p. Combes-Dounous est un membre protestant du corps
législatif, cf. Annales littéraires et morales, vol. 1, an XII, 1804, p. 375. L’ouvrage est
traduit dès 1829 par J.-J. Pacaud.
| 53
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 54 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
à Genève 107. Cet essai sur l’inerrance aurait été envoyé par Bogue à
Napoléon à Sainte-Hélène. Selon l’éditeur de la cinquième édition française, Napoléon l’aurait lu avec « intérêt et satisfaction », et cet ouvrage
aurait suscité un Réveil sur l’île parmi les habitants et les militaires 108.
La doctrine postmillénariste et de l’apogée de l’âge d’or avant
le retour du Christ
Un autre thème caractéristique du Mouvement est également incarné
par Bogue, celui du millénarisme avec l’espérance d’un Age d’or pour les
élus. Bogue n’y dérogea pas. Parmi ses écrits traduits en français figurent
deux volumes avoisinant les 700 p., intitulés Discours sur le millenium,
par David Bogue, prononcés dans le séminaire des missions, à Gosport 109,
ainsi qu’un autre titre, Paix universelle durant le millenium, Discours prononcé à Gosport par David Bogue, accompagné de notes, et suivi du Traité
de la Sainte Alliance, Londres, G. Schultze, 1822, 42 p.
Citant l’ancien élève de Bogue, Bennet, Vincent Huyghues-Belrose
rattache ce zélé élan missionnaire au courant eschatologique, pressant à
annoncer l’Évangile avant l’imminent retour du Christ à la suite de
l’Ecossais David Brainerd (1718-1747) et l’Américain originaire du
Connecticut Jonathan Edwards (1703-1758) 110. Il rappelle aussi le lien
avec le Grand Réveil (great Awakening), dont George Whitefield (17141770) était une tête de pont. Les relations étroites avec les frères Haldane et Marc Wilks placent Bogue aux confins des routes qui touchent
le réveil de Genève 111, et qui à Paris rayonne depuis la chapelle Taitbout.
107. Louis GAUSSEN, Théopneustie, ou pleine inspiration des Saintes Écritures, Paris,
Delay, 1840, 464 p.
108. David BOGUE, « Avis de l’éditeur », Essai sur la divine autorité du Nouveau Testament, trad. Jean-Jacques Pacaud, Paris, J.-J. Risler, 18295.
109. David BOGUE, Discours sur le millenium, par David Bogue : prononcés dans le séminaire des missions, à Gosport, trad. de l’anglais par Malleville De Condat, Paris, Serviern, vol. 1, 1823, 367 p.; vol. 2, 1824.
110. John BENNET, Memoirs of the Life of Rev. David Bogue, Londres, F. Westley & A.
H. Davis, 1827, p. 124; HUYGHUES-BELROSE, op. cit., p. 384.
111. Sur le Réveil de Genève, nous renvoyons en particulier à la thèse de doctorat de
Jean DECORVET, Every scripture θεοπνευστος (theopneustos), an assessment of
Louis Gaussen’s case for Theopneustia with the context of Geneva’s Reveil, mémoire
présenté dans le cadre des exigences au doctorat en théologie historique au Wheaton College, États-Unis, en décembre 2011.
54 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 55 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
La doctrine du baptême des nourrissons
Pas moins de cinq articles (Lecture CV-CVIII) portent sur le baptême
et la défense du baptême des nourrissons, par opposition à la doctrine
baptiste du baptême des seuls croyants 112. L’extrait suivant présente les
fondements du pédobaptisme.
Objections I. face aux anti-pédobaptistes
1. Il n'y a aucune loi dans le Nouveau Testament qui ordonne le baptême
des enfants.
Réponse. Ni pour l’accueil des femmes à la Cène, ni pour le changement du
jour du repos du samedi au dimanche.
2. Il n'y a pas d'exemple certain.
Réponse. Dans certains cas, c’est toute une maisonnée qui fut baptisée.
3. Le Baptême ne procure aucun bienfait aux nourrissons.
Réponse. N’en va-t-il pas de même de la circoncision? Et le fait que Jésus
les prenait dans ses bras, croyez-vous que cela leur procurait un bienfait
particulier?
4. Si les nourrissons ont droit au baptême, ils ont aussi le droit de partager
la Cène du Seigneur.
Réponse. Dans le baptême, l'administrateur est le seul à être actif, mais
dans la Cène du Seigneur, c’est celui qui la reçoit qui est actif. [...]
8. Dans son ordonnance, en Matt. 28 : 19, le Christ parle de baptiser seulement ceux qui ont été préalablement enseignés.
Réponse. Croyez-vous que, pour être baptisé, Christ ait eu besoin de se
repentir 113 ?
Conclusion
L’histoire de Bogue et de Carey a permis de décrire deux profils différents et deux vies différentes. Pourtant, chacun a un même appel, et en
réponse chacun a voulu entièrement consacrer sa vie à cet appel en adoptant les idées du Réveil.
112. David BOGUE, Theological Lectures, Joseph Samuel C.F. Frey, éd., vol. 1, New
York, Lewis Colby, 1849, p. 305-316.
113. David BOGUE, « Lecture CVII, Baptism, Conclused », Theological Lectures, New
York, Lewis Colby, 1849 p. 315.
| 55
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 56 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
David Bogue a été un travailleur zélé. Sur sa tombe, on peut lire l’épitaphe : « Ici repose quelqu’un qui dans la vie ne s'est jamais reposé »
(Here rests one who in life never rested) 114. Pour lui, le repos était à venir,
auprès du Seigneur. Bien qu’il n’ait pas pu partir au loin, le fil d’Ariane
de la vie de cet universitaire a été, jusqu’au bout, l’annonce de l’Évangile
auprès « des peuples non évangélisés », au près comme au loin. Carey, le
tenace cordonnier autodidacte issu d’un milieu populaire, avait une
même vocation ardente, mais lui est parti chez « les païens ».
Pourtant, Bogue a occupé une place stratégique dans le réseau des
artisans du Réveil, et cela en particulier par l’intermédiaire des agents de
la Mission de Londres, dont il a formé la plupart dans son Académie à
Gosport. Son ministère n’a pas connu de gros séisme et sa vie de famille
a été heureuse malgré les deuils. Carey n’a pas vécu cela. Son rayonnement de pionnier a été essentiellement circonscrit à un pays et a été terni
par une douloureuse division à la fin de son ministère 115. Rappelons
aussi que c’est à contrecœur que sa femme Dorothy avait fini par accepter de partir en Inde avec son mari. William Carey avait d’abord embarqué seul avec leur fils aîné Félix et le Dr John Thomas, qui se montra du
reste un piètre gestionnaire. Après 14 ans de séjour en Inde, à 51 ans,
Dorothy Carey mourait. Durant ses douze dernières années, elle avait
été atteinte de folie sévère.
Théologiquement, Bogue était un pédobaptiste convaincu autant que
Carey était un baptiste convaincu!
Au terme de ce survol de la vie de Bogue, pouvons-nous lui attribuer
la paternité des missions modernes et du réveil?
Pour répondre à cette question, encore faudrait-il définir ce qu’est
une « mission moderne ». Si c’est une Mission d’envergure régie par le
« catholic spirit » du Réveil, selon le modèle des grandes œuvres, fruits
du Réveil, comme l’ont été l’Alliance évangélique et la Société biblique,
ce dont avait rêvé Jean-Paul Cook pour la Société des écoles du
dimanche, alors oui, Bogue est indéniablement le père des Missions de ce
114. « Stokes Bay and Gosport County Grammar school », http://123-mcc.com/
photo_gosport_grammar.htm [site consulté le 10 mars 2013].
115. Ne parvenant pas à partager les responsabilités avec la nouvelle génération de missionnaires arrivés, en 1827 les anciens se séparèrent des nouveaux et l’œuvre se
divisa. Carey ne verra pas sa réunification en 1837, il est mort trois ans avant.
56 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 57 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
type. La Mission de Carey a été plus exclusive, car fondée sur une confession de foi plus restrictive. Cependant, en convoquant les non-baptistes
pour leur faire part de l’appel lancé par Carey depuis l’Inde, n’était-ce pas
déjà la volonté du Dr John Ryland Jr du séminaire baptiste de Bristol?
Ce geste ne témoigne-t-il pas en faveur de son ouverture à tous les protestants « réveillés »? Cependant, le choix du premier nom attribué à la
Société missionnaire baptiste soulignant l’appartenance au baptisme
strict, Particular Baptist Society for the Propagation of the Gospel Amongst
the Heathen, le permettait-il? Bogue a-t-il eu peur que l’exclusivisme doctrinal de ces chrétiens n’empêche le recrutement dans le vivier constitué
par tous les protestants évangéliques d’alors?
John Legg cite l’historien des missions Kenneth Scott Latourette, qui
affirme que Carey aurait été le premier à amener les chrétiens à prendre
des mesures concrètes afin d’apporter l’Évangile à toutes les nations 116.
Bogue a toujours désigné Carey comme l’initiateur de la première Mission vers « les païens ». Il est donc juste de reconnaître en Carey à la fois
l’initiateur d’un grand mouvement missionnaire et le premier missionnaire « professionnel » envoyé auprès d’un « peuple non atteint par
l’Évangile », même si, dans l’introduction à la biographie du Dr Thomas, le pasteur A. J. Gordon déplorait que l’on ne parle guère du « pionnier Carey », en reconnaissant à Thomas d’avoir été son précurseur en
Inde 117 !
Mais il ne faudrait pas non plus oublier qu’en 1728, les Moraves
avaient déjà fondé leur mission parmi les païens… La première Mission
permanente au Labrador fut fondée en 1771, à Nain, sur la côte nord 118.
116. « According to the great historian of missions, Kenneth Scott Latourette, Carey
‘seems to have been the first… to propose that Christians take concrete steps to
bring their gospel to all the human race. » John LEGG, « William Carey, the father
of modern missions? », The Evangelical Magazine, 30 juillet 2010. http://
www.emw.org.uk/magazine/2010/07/william-carey/ [site consulté le 20 juillet
2012].
117. « If William Carey was the pioneer of Modern Missions, John Thomas was the pioneer of Carey », A.J. GORDON, in Arthur CHUTE, John Thomas, First Wist Missionary to Bengal, 1757-1801, Halifax, Baptist Book and Tract Society, 1893, p. VII.
118. Jacques BLANDENIER, Jacques A. BLOCHER, « Les missions moraves au XVIIIe
siècle : Un bilan saisissant », Précis d’histoire des missions : Des origines au XVIIIe
siècle, Nogent-sur-Marne/Saint-Légier, Éditions de l’Institut biblique/Emmaüs,
vol. 1, p. 354-360.
| 57
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 58 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
Et que dire du zèle missionnaire des Vaudois ou « pauvres de Lyon » dès
le XIIe siècle 119 ? Aussi, c’est pour cause de persécution à Jérusalem que
les premiers chrétiens ont fui cette ville et ont « naturellement » évangélisé les contrées qui les accueillaient (Ac 8).
Il faut donc de reconnaître à Bogue le mérite d’avoir été le fondateur
de la première Mission moderne interdénominationnelle auprès de
toutes les nations, au sens « missionnel » de l’Église, sans pour autant
restreindre l’évangélisation exclusivement aux « païens en terre lointaine ». Il a aussi été un des très efficaces propagateurs du Réveil en
consacrant sa vie à enseigner les candidats au ministère pastoral et missionnaire pour l’Europe, y compris son propre pays. Aurait-il ainsi été le
promoteur et le précurseur de ce que certains appellent aujourd’hui
l’église « missionnelle » 120 ? L’âpreté des débats, nourris avec pugnacité
par les baptistes sur leurs particularités doctrinales, a sans doute empêché le courant incarné par John Ryland et Andrew Fuller (17541815) 121 de fonder une Mission moderne, qui puisse œuvrer avec la
même envergure et les mêmes moyens qu’une mission interdénominationnelle à destination de tous les « non chrétiens ».
Mais alors pourquoi a-t-on perdu le souvenir de la vie de Bogue en
France? Serait-ce parce qu’il revendiquait son attachement au pédobaptisme, une pratique que, contrairement au XIXe siècle, les théologiens
évangéliques français rejettent majoritairement aujourd’hui? Ou est-ce
parce que l’on attribue une aura plus grande aux missionnaires en « terre
lointaine », à cause de leur « héroïsme », entretenu autant par les nouvelles qu’ils envoyaient régulièrement de leur vivant que par les biographies écrites a posteriori?
119. Antoine MONASTIER, Histoire de l'église vaudoise depuis son origine et des Vaudois
du Piémont jusqu'à nos jours, Lausanne, Bridel, 1847, p. 137sq.
120. Jeanne MAIRE, « Les Églises émergentes ou missionnelles : un phénomène stimulant pour les chrétiens occidentaux », www.aiem.ch/materiel/Eglises_
emergentes_missionnelles.pdf [consulté le 28 juin 2012].
121. John RYLAND Jr, The work of faith, the labour of love, and the patience of hope, illustrated in the life and death of the Rev. Andrew Fuller, late pastor of the Baptist church
at Kettering, and secretary to the Baptist Missionary Society, Londres, Button, 1818,
385 p.
58 |
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 59 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
L’enseignement tutoral : l’exemple du pasteur-pédagogue David Bogue
Cette période de l’histoire de l’Église au XIXe siècle devrait plutôt
nous inciter à cultiver une vision plus « complète » de l’œuvre missionnaire auprès des non-chrétiens, en manifestant plus d’intérêt pour le rôle
de ceux qui exercent un ministère au sein des comités de mission comme
au sein des écoles qui forment les missionnaires, en écho à ce que disait
déjà l’apôtre des païens : celui qui plante et celui qui arrose sont égaux,
car c’est toujours Dieu qui fait croître (1 Co 3.7), tandis que l’évangéliste
exilé à Éphèse et à Patmos illustrait cela de la manière suivante : si le sarment porte du fruit, c’est parce qu’il est attaché au cep (Jn 15).
Figure 2. À gauche : David Bogue (1750-1825) 122. À droite : Bogue, figure centrale de la fondation de la Mission de Londres, entouré de Thomas Haweis,
John Eyer, John Love et George Burder 123.
122. RÉDACTEUR, « David Bogue », Archives du christianisme au XIXe siècle, 1826, p. 1.
123. John MORISON, op. cit., p. 6.
| 59
ThéoEvang_2013-12-3.fm Page 60 Mercredi, 11. décembre 2013 9:18 09
théologie évangélique, vol. 12, n° 3, 2013
Figure 3. À gauche : William Carey (1761-1834) baptisant dans le Gange
Krishna Pal (1764-1822), le premier indien converti 124. À droite : Portrait de
Krishna Pal 125.
Figure 4. De gauche à droite : John Ryland (1753-1825) 126, Andrew Fuller
(1754-1815) 127, William Carey et Brahmin Pundit 128.
124. Voir http://www.wmcarey.edu/carey/portraits/kristno-carey.jpg. Krishna Pal a
prêché l'évangile chrétien plus de vingt ans durant. Il est l'auteur de plusieurs cantiques. Il mourut à 58 ans, en 1822. Sur Krisna Pal, voir : The American Baptist
Magazine, and Missionary Intelligencer, n ° 2, vol. 1, mars 1817, p. 65-67. http://
www.wmcarey.edu/carey/krishna_pal/krishna-pal.htm [pages du site consultées
le 17 juillet 2012].
125. Le premier indien converti : A Memoir of Krishna Pal, A Preacher of the Gospel to
His Countrymen More Than Twenty Years, Philadelphie, American Baptist Publication Society, 1852.
126. Portrait de John Ryland, Nathan Cooper Branwhite, Bequeathed, L.M. Griffiths,
1924.
127. Joseph BELCHER, The Complete Works of the Rev. Andrew Fuller : with a memoir of
his life, American Baptist Publication Society, V.1, 1845.
128. Portrait de William Carey avec Brahmin Pundit : Joseph BELCHER, William
Carey, a Biography, Philadelphie, American Baptist Publication Society, 1853.
60 |