Le « Petit Nègre des
Missions » de l’École du
Dimanche, un artefact
ludo-éducatif ?
Studies in Religion / Sciences Religieuses
1–29
ª The Author(s) / Le(s) auteur(s), 2017
Reprints and permission/
Reproduction et permission:
sagepub.co.uk/journalsPermissions.nav
DOI: 10.1177/0008429816673311
journals.sagepub.com/home/sr
Anne Ruolt
GSRL, Paris, France
CIVIIC, Rouen, France
LISEC, Lorraine, France
Institut Biblique de Nogent, Nogent-sur-Marne, France
Université de Rouen Normandie, IRFASE d’Evry, France
Résumé : Cet article porte sur l’histoire et la pratique des tirelires à figurine qui se sont
répandues en Europe dans les Écoles du Dimanche de la fin du XIXe siècle jusqu’au XXe
siècle et sur leur fonction éducative. Dans un premier temps, à partir d’une recherche
iconographique sur internet sur les tirelires missionnaires utilisées pour les offrandes
dans les Écoles du Dimanche protestantes en Europe, et la découverte d’autres formes,
l’article propose une typologie de ces troncs présents dans le monde protestant (figurine
symbolique), dans le monde catholique (figurine réaliste) français, suisse et allemand, et
de cagnottes dans le cadre domestique-séculier (figurine caricaturale burlesque) nordaméricain. Dans un deuxième temps, à partir d’un sondage exploratoire ouvert, effectué
auprès d’anciens élèves d’Écoles du Dimanche devenus des adultes d’âge mûr majoritairement en France, en Suisse et en Allemagne, l’article cherche à répondre à la question
suivante : peut-on dire pour le cas particulier des tirelires à offrande missionnaire
protestantes que leur utilisation a indirectement « éduqué au » racisme ? L’article
montre que dans les Écoles du Dimanche, les figurines en aube ont davantage servi de
figure symbolique personnelle, et les tirelires de rituel ludo-communicationel, que
d’artefact ludo-éducatif.
Corresponding author / Adresse de correspondance :
Anne Ruolt, Institut Biblique de Nogent, 39 grande Rue Charles De Gaulle, F-94130 Nogent-sur-Marne France.
Email : aruolt@gmail.com
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Studies in Religion / Sciences Religieuses
Abstract: This article looks at the history and practice of the use of money-box figurines, whose use spread in Europe in Sunday Schools from the late 19th to the 20th
centuries, and it also examines their educational function. First of all, on the basis of
iconographic internet research on missionary money boxes used for offerings in Protestant Sunday Schools in Europe, and the discovery of other forms of such savings
banks, the article proposes a typology of these money boxes present in the Protestant
world (symbolic figurines), in the Catholic world (realistic figurines) in France, Switzerland and Germany, and coin containers in the domestic and secular context (burlesque caricature figurines) in North America. Secondly, using an open survey of former
Sunday School students who are now mature adults – principally in France, Switzerland
and Germany – the article seeks to answer the following question: Can we say that, in
the specific case of money boxes used for Protestant missionary offerings, this practice
contributed indirectly to educating children in the direction of a form of racism? By
placing these figurines in their context, the article shows that Sunday School figurines
served more as symbolic figures, and the money box as a ludo-communicational ritual
than as a ludo-educational artefact.
Mots clés
Écoles du Dimanche, mission, religion, rite, symbole, colonialisme, ludo-éducatif, artefact,
tirelire, offrande, racisme, discrimination
Keywords
Sunday Schools, mission, religion, rite, symbol, colonialism, ludo-educational, artefact,
money box, offering, racism, discrimination
Introduction
Des tirelires missionnaires protestantes
Cet article est l’occasion d’une réflexion sur l’histoire et la finalité éducative des tirelires
missionnaires exposées dans le musée du protestantisme de Ferrières, le musée Jeanne
d’Albret d’Orthez et plus cachées au centre de documentation du Département Evangélique Français d’Action Apostolique (DEFAP) à Paris (voir la Figure 1)1. Les tirelires à
figurine mécanisée représentent un jeune garçon (une seule figurine de jeune fille a été
trouvée sur internet), un genou à terre et les mains jointes, revêtu d’une aube blanche, et
non d’un vêtement ordinaire, conférant délibérément une valeur symbolique à la tirelire.
Pour dire « merci », la figurine opinait de la tête chaque fois qu’un donateur glissait une
pièce dans la fente de ce tronc à offrandes. La pièce de monnaie tombait dans un tiroir
fermé à clef (voir la Figure 2).
En 1897, dans son article « L’organisation d’une École du Dimanche », publié dans le
Journal des E´coles du Dimanche, et sans jugements de valeur, Paul Faivre (1897 : 142)
mentionne l’existence d’un de ces troncs dénommé : « le Petit Nègre des Missions »,
utilisé dans une École du Dimanche. À partir de 1852, date de la création de la Société
des Écoles du Dimanche, ces Écoles ont réuni les enfants dans les églises protestantes
3
Ruolt
Figure 1. Tirelires missionnaires DEFAP. S’agit-il d’une fille et d’un garçon ? Pas d’indication de lieu
de fabrication (photos Anne Ruolt).
Texte manuscrit recopié, peut-être du socle de la tirelire
féminine plus détériorée :
Le petit nègre prie
pour les missions
et remercie pour
les oboles qu’on
lui donne…
Texte manuscrit du socle de la tirelire masculine :
Je suis un petit négrillo,
Un habitant de l’Afrique.
Donne-moi pour les missions,
et la gloire de Jéhovah
Petite clef de la tirelire,
à ruban noir pour attacher l’étiquette conférant à la clef
une valeur plus liturgique que fonctionnelle
Le petit nègre priant pour
Les missions et remerciant
Des oboles qu’on lui donne
10 Mars
Baudz
Figure 2. Clef du tiroir d’une des tirelires du DEFAP (photo Anne Ruolt).
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Studies in Religion / Sciences Religieuses
avant ou après, et puis pendant le culte dominical. Un enseignement religieux ayant pour
objet l’histoire sainte, et non le catéchisme, leur était prodigué. Dès 1881, la société
des Écoles du Dimanche française a développé conjointement des Écoles du Jeudi
pour remplacer les cours de religion retirés des programmes scolaires par la loi Ferry
(Ruolt, 2012).
Dans la première moitié du XXe siècle, l’utilisation de ces tirelires est devenue un
rituel ludique et récréatif prisé des enfants dans plusieurs Écoles du Dimanche en France,
mais encore plus en Allemagne et en Suisse, au sein de différentes dénominations
protestantes de sensibilité piétiste (Benrath, 2000 : 313). C’est cet usage que nous avons
privilégié, notre champ de recherche portant sur l’histoire des Écoles du Dimanche. Pour
mieux préciser la spécificité éducative du « Petit Nègre des Missions » protestant, nous le
mettrons en perspective avec d’autres types de tirelires à figurine négroı̈de repérées au
cours d’une enquête iconographique en évoquant aussi celles sans figurines utilisées à
cette même fin dans les Sunday Schools en Grande Bretagne. L’évolution de l’image du
Nègre dans les publicités en Europe, et le développement des jeux mécaniques à cette
époque, contribueront à inscrire la pratique des Écoles du Dimanche françaises, Suisses
et Allemandes dans un contexte communicationnel plus large.
Des sources textuelles, iconographiques, et un sondage exploratoire
Sources textuelles. La littérature existant sur ce sujet est rare. À la revue de la littérature et
des musées présentée en langue française par Patrick Cabanel (2015), ajoutons du côté
catholique, le Festschrift de Walter Heim publié en langue allemande en 1971 à l’occasion des cinquante ans de la Société missionnaire de Bethléem (Societas missionum
exterarum de Bethlehem in Helvetia), et l’article « La mobilisation missionnaire, prototype de propagandes modernes (XIXe–XXe siècles) » de Jean Pirotte (2003) révélant
un tel usage au sein de cette Église. L’article d’Eliane Elmaleh (2009) traite du modèle
domestique populaire en Amérique du Nord. Sur le concept de « discrimination », nous
nous appuierons en particulier sur les travaux des sociologues Fabrice Dhume (2014) et
Faı̈za Guélamine (2006). Différentes sources littéraires connexes contiennent des
témoignages comme ceux de Monique Bauer-Lagier (1996) ou de Liv Larsson (2011 /
2014). Sur l’histoire du mouvement des Écoles du Dimanche, nous nous appuierons sur
les travaux publiés suite à notre thèse (Ruolt, 2010b).
Sources iconographiques. La rareté des textes sur cet objet muséal nous a amené, dans un
premier temps, à effectuer une cueillette iconographique sur internet. En découvrant
différentes formes de tirelires surmontées d’une figurine africaine, nous avons cherché à
en établir une typologie. À côté du modèle de tirelire servant de tronc à offrande chez les
protestants, et du modèle utilisé par les catholiques à cette même fin, un troisième
modèle non religieux est apparu, il s’agit d’une tirelire domestique à finalité d’épargne
personnelle, utilisée dans un cadre sécularisé.
La recherche iconographique s’est faite le 20 janvier 2016, en utilisant le moteur de
recherche « google.fr » et le filtre « images ». Des mots clefs en différentes langues ont
été utilisés. En français : Petit Nègre des Missions, tirelire Mission. En allemand et
suisse-allemand : Negerli, Nickneger, Missionssammelbüchse, et Missions-Spardose.
Tableau 1. Mots clefs et nombre d’occurrences réparties par types de tirelires.
Types et nombre d’occurrences
Langues
Français
Mots clefs
Petit Nègre des
Missions
Tirelire Mission*
Suisse allemand Negerli
Allemand
Nickneger
Missionssammelbüchse
Missions-Spardose
Suédois
Negersparbössa
Anglais
Missionary box
Missionary giving box
antique
Negro missionary box
Nick negro bank
Jolly mechanical money
box
Total indicatif
Tirelire missionnaire à
figurine symbolique
protestante à usage de
tronc à offrande
Tirelire à figurine
Tirelire missionnaire à
Tirelire missionnaire
mécanique caricaturale
figurine réaliste
protestante sans figurine
mais autre image symbolique catholique à usage de modèle séculier à usage
domestique
tronc à offrande
à usage de tronc à offrande
1?
7
1
6
14
2
5
5
1
31
5
76
2
67
2
8
2
10
24
7
2
35
33
188
2
9
15 pages x 18 ¼ plus de
270
303
5
6
Studies in Religion / Sciences Religieuses
En suédois: Negersparbössa. En anglais : Missionary box, Missionary giving box
antique, Negro missionary box, Nick Negro bank, et Jolly mechanical money box. (Pour
téléchargez une présentation iconographique, voir : http://ruolt.inthev.fr/documents/Tir
elires-missionnaires2016.pdf).
Sondage exploratoire. Nous accordant avec Pierre Rabardel (1995 : 19) selon qui
l’approche historique de la technologie est nécessaire pour mieux comprendre la fonction des artefacts, non pris isolément et seulement pour eux-mêmes ; mais prenant en
compte leur cadre et époque d’utilisation, nous esquisserons l’histoire de ces tirelires,
pour mieux en comprendre les effets dans leur contexte. Par artefact, nous entendons ici
un instrument pe´dagogique créé par l’homme, situé entre l’enseignant, l’apprenant et les
savoirs, participant à l’apprentissage.
La médiatisation de l’instrument affecte l’activité humaine, et cela de deux points de
vue différents, au moins : celui des finalités éducatives, et celui des effets psychiques qui
peuvent parasiter ou élargir les apprentissages provenant de l’artefact lui-même. Il s’agit
dans notre cas, du sens du geste à apprendre et de l’effet produit par la figurine sur
l’enfant, lui procurant de la joie ou le terrifiant, forgeant en lui des sentiments d’affection
ou de rejet de ce que symbolise pour lui la figurine.
Pour préciser quels sont les effets psychiques de ces artefacts affectant les représentations de soi et des autres, et déterminer si l’iconographie a contribué à propager des
idées racistes dans les Écoles du Dimanche d’Europe comme l’affirme Eliane Elmaleh
(2009 : 7–23) pour les tirelires domestiques dans le contexte nord américain, nous avons
effectué un sondage exploratoire par courrièls, auprès d’un échantillon de cent-soixantecinq protestants adultes susceptibles d’avoir connu ces pratiques comme enfants, au
cours du XXe siècle. Nous n’avons eu que deux retours de mèl, un pour cause de congé,
l’autre pour boı̂te fermée. Les 44 réponses individuelles (þ 2 groupes institutionnels non
dénombrés) reçues (27 %) sont principalement venues de France (32 þ un groupe
institutionnel de 25 personnes), de Suisse (4), d’Allemagne (1 þ un groupe institutionnel
estimé à 25 personnes), plus marginalement du Canada, des États Unis d’Amérique et de
Scandinavie (1 personne par pays).
Notre objectif était de recueillir, a posteriori, des témoignages d’adultes, de provoquer leurs réflexions sur cette pratique plutôt que de dresser une cartographie dénominationnelle de l’utilisation des tirelires chez les protestants. Notre échantillon
représentatif a ciblé des quinquagénaires et au-delà, c’est-à-dire des pasteurs, d’anciens
missionnaires et des acteurs protestants de sensibilités évangéliques, membres de différentes Églises protestantes, susceptibles d’avoir fréquenté une École du Dimanche dans
leur jeune âge. Par ordre alphabétique : 2 témoins ont fréquenté une École du Dimanche
de l’Alliance des Églises Évangéliques Indépendantes (AEEI-Fr) ; 1 des Assemblées de
frères dites Darbystes ; 2 des Communautés et Assemblées Évangéliques de France (CAEF) ;
9 d’Églises baptistes2 en France, 1 au Royaume Uni, 1 aux États Unis d’Amérique ; 1 de
l’Église indépendante (Chaux-de-Fonds, canton de Neuchâtel-CH) ; 2 de l’Église
luthérienne (Fr) ; 1 þ un groupe de 25 autres personnes de l’Église Luthéro-réformée
d’état en Allemagne, Evangelische Kirche in Deutschland (EKD-De) ; 3 de l’Église
réformée de France3 ; 2 des Églises presbytériennes au Royaume Uni et 1 au Canada ; 1
de l’Église réformée du Canton de Vaux (CH) ; 5 de l’Union des Églises Libres en France
Ruolt
7
et 1 de Neuchâtel ; 1 de la Scandinavian Alliance Mission ; 1 de la Stadmission de
Genève ; 6 de l’Union de l’Église Évangélique Méthodiste de France (UEEMF-Fr) ;
1 des églises Vision France (anciennement Chrischona) ; 1 non précisé. À cela s’ajoutent
les pasteurs et membres de la Société d’Histoire du Protestantisme de Montpellier, et
1 membre de l’Église catholique d’Allemagne.
Ces témoins ont été tirés de notre carnet d’adresses professionnel4, pour faciliter le
libre échange sur un sujet sensible et susciter un retour d’expérience critique constructif.
L’intérêt de deux témoins pour le sujet, les a conduits à recueillir eux-mêmes des
témoignages au sein d’institutions, l’un en France au sein d’une Société d’Histoire du
Protestantisme, l’autre au sein d’un groupe de dames. Ces informations émanant d’un
groupe de référence s’ajoutent aux témoignages d’un nombre de personnes individuelles
sondées. Les informations sont souvent très nourries. Il y a cependant aussi des biais à ce
choix. Le vivier étant acquis à la cause missionnaire, les souvenirs d’enfance peuvent en
être affectés, mais dans tous les cas, la distance est un autre facteur de risque de déformation des témoignages.
Il n’est pas possible d’interpréter les silences, mais deux raisons principales expliquent partiellement le faible taux de réponse – un peu plus d’un quart. D’une part, la
gestion des mèls non prioritaires dans un flux important sont souvent oubliés. D’autre
part, certains témoins relancés de vive voix expliquaient ne pas avoir répondu car ils
n’avaient pas connu ces tirelires et estimaient n’avoir aucune contribution à apporter.
Cette réponse indique que la pratique n’était pas généralisée dans les Écoles du
Dimanche. Nous ignorons si d’autres ne se sont pas manifestés par gêne. La modestie
de ce premier sondage ne permettra que d’esquisser des tendances qu’il faudra affiner, en
particulier pour pouvoir établir une carte des dénominations qui ont utilisé ces tirelires.
Le vivier dans lequel a été sélectionné l’échantillon n’explique pas entièrement le
faible nombre de témoins luthériens français. Ce fait s’explique aussi par l’absence
d’École du Dimanche qu’a constatée un des témoins (Témoin 45, Strasbourg). Cela
s’accordant avec l’histoire des Écoles du Dimanche dans les églises luthériennes
d’Alsace et d’Allemagne. Pour l’Alsace, le rapport de l’Assemblée générale de 1863
de la Société des Écoles du Dimanche (SED) fait état d’une contestation des statistiques
publiées par la SED à propos du nombre d’Écoles du Dimanche dans les Églises de la
Confession d’Augsbourg. La réponse de la SED montre qu’en Alsace certaines Églises
luthériennes confondaient le catéchisme et l’École du Dimanche. C. Meyer s’étonnait
que la Société ne comptabilisait que quarante-deux Écoles, alors qu’il estimait plutôt
qu’il y en avait au moins trois-cents, une par Église, sans compter les annexes. Après un
examen de la question, le Comité de la Société concluait ainsi :
L’on a été unanime à penser que si l’on identifiait les catéchismes de l’école du dimanche, il
n’y aurait plus de recherches statistiques à faire, car il n’existe pas, à notre connaissance
d’Église, soit réformée, soit luthérienne, où n’existaient un ou plusieurs catéchismes pour
les enfants. Mais le Comité persiste à croire qu’il faut réserver le nom d’École du Dimanche
pour ce culte spe´cial destine´ aux enfants, et qui, présidé par un pasteur ou par un laı̈que, est
précédé ou accompagné d’instruction dans les groupes par des laı̈ques pieux, moniteurs ou
monitrices, dont le concours gratuit et dévoué est l’un des plus précieux auxiliaires de
l’œuvre pastorale. (Magasin des E´coles du Dimanche, 1863 : 211 ; Ruolt, 2012 : 8–9)
8
Studies in Religion / Sciences Religieuses
Si l’approche gagnerait à davantage mesurer la réalité de ce fait dans la première
partie du XXe siècle, comme il s’agit d’une période où l’Alsace a par deux fois été
allemande (de 1870 à 1918 puis de 1940 à 1944), la constatation du témoin allemand fait
sens aussi pour les Écoles du Dimanche. L’histoire du développement du mouvement de
ce côté-là du Rhin attribue la paternité de la première école allemande, à Gérard Oncken
(1800–1884), un catholique converti au protestantisme en 1818 dans une réunion méthodiste en Angleterre, qui est venu plus tard à des convictions baptistes en Allemagne. Il a
fondé cette première école le 29 janvier 1825, à Hambourg, en lien avec la Sunday
Schools Union de Londres et Johann Wilhelm Rautenberg (1791–1865), « père » de la
Mission Intérieure Luthérienne. Le mouvement s’établit par la suite davantage dans le
terreau des Églises libres influencées par les idées revivalistes5 (Ruolt, 2012 : 227).
Histoire et typologie des tirelires missionnaires dans leur
contexte
Origine piétiste allemande des tirelires et leur diffusion
Les tirelires missionnaires protestantes sont nées en terrain piétiste allemand, à Jettingen,
à 50 km au sud de Stuttgart, dans le sud du Bade-Wurttemberg. Les fidèles de ce courant
du protestantisme allemand ont été des missionnaires actifs dès le XVIIe siècle avec la
« Mission de Tranquebar » en 1705, puis l’Église des Frères Moraves qui aurait envoyé
2 000 missionnaires dans le monde en 1882, soit un missionnaire pour quatre-vingt-douze
membres depuis sa création, à une époque où, dans les autres Églises protestantes, les
chiffres sont de seulement un missionnaire pour cinq mille fidèles (Blandenier, 1998 : 456).
La paternité de la première tirelire revient à Gottlob Haag (1804–1855). Ce fils de
pasteur était paysan, facteur d’orgues, sculpteur et poète (Wurttemberg, 1905 : 173). Il était
aussi l’ami du commanditaire de ce tronc, le pharmacien Heinrich Zeller (1794–1864).
Membre très actif du mouvement piétiste, Zeller cherchait à susciter de façon ludique la
compassion et l’engagement des enfants dans l’œuvre missionnaire. Le mécanisme qui
faisait bouger la tête de la figurine conférait à la tirelire une nature de jouet. La compassion
était suscitée par la posture de l’enfant, mais aussi par le texte qui figurait sur le socle du
tronc : « Ich war ein armer Heidensohn, nun kenn’ ich meinen Heiland schon, und bitte
daher jedermann : nehmt euch der armen Heiden an ! », c’est-à-dire : « J’étais un pauvre
fils de paı̈en, maintenant je connais mon Sauveur, donc je vous prie tous : prenez les
pauvres paı̈ens à cœur » (Heim, 1971 : 3). Par la suite, d’autres textes ont été apposés sur ces
troncs, associant l’idée de « jours meilleurs » aux changements produits par la foi chrétienne.
L’aube blanche que porte l’enfant (nous n’avons trouvé qu’une aube rouge), parfois
sertie d’un liseré rouge, symbolise la conversion au Christ et de son sang versé pour la
rémission des péchés de l’enfant. La robe blanche fait écho au texte biblique de l’Apocalypse de Jean où les croyants de toutes langues se trouvent réunis, revêtus de vêtements
blancs (La Bible, Apocalypse, chapitre 7, versets 9 à 16). C’est un appel du jeune
converti d’Afrique lancé aux jeunes frères et sœurs chrétiens d’Europe pour qu’ils
s’engagent en faveur des Missions, afin que d’autres paı̈ens se convertissent à la foi
chrétienne, quittent le monde « des ténèbres », et vivent selon l’esprit de cette nouvelle
vision de l’homme et du monde.
Ruolt
9
Chez les protestants, c’est sous l’impulsion de la Mission de Bâle que ces tirelires se
sont répandues dès les années 1880 dans le sud de l’Allemagne, la Suisse et l’Alsace
(Heim, 1971 : 4). Elles ont surtout été utilisées dans les Écoles du Dimanche des communautés marquées par le piétisme, comme chez les frères moraves, les méthodistes, la
Rheinischen Missionsgesellschaft6, etc.
Heim rapporte qu’une première série de « tirelires missionnaires » protestantes a été
fabriquée et commercialisée dans le Wurttemberg sans préciser le nom de la fabrique7.
Les tirelires étaient faites en plâtre, puis en papier-mâché, la boı̂te étant en bois. Après la
première Guerre mondiale, c’est en Suisse alémanique que sont achetées ces tirelires. Si
certaines ont pu être faites en bois à Brienz dans le canton de Berne, c’est chez EberleBirchler, une entreprise d’objets religieux catholiques, sise à Einsiedeln dans le canton
de Schwyz, que les Écoles du Dimanche protestantes s’approvisionnaient (Heim, 1971 :
4). L’hypothèse peut être émise que certaines Écoles du Dimanche ont dès lors pu choisir
dans ce catalogue des modèles de représentations plus variées, le texte imprimé ou
manuscrit sur le socle étant amovible.
Typologie tirée de la cueillette iconographique
Cueillette iconographique. Les vignettes sélectionnées sur internet dépendent des mots
clefs et des sites en ligne, ignorant ce qui n’a pas été numérisé. La fréquence d’images
multiples d’une même tirelire est due au protocole publicitaire des vendeurs d’antiquités
en ligne. L’approche souffre de plusieurs limites : les dates des objets ne sont pas
toujours indiquées, leur provenance est incertaine sauf lorsqu’un nom de Mission ou
d’Église est spécifié, mais nous émettons l’hypothèse que les spécimens les plus populaires sont présents sur le web mondial, permettant d’établir des tendances générales.
Cette première approche quantitative montre que la mode des tirelires, et en particulier des tirelires mécaniques, a été à finalités religieuse et domestique. Les tirelires
missionnaires protestantes à figurines sont les moins nombreuses, et aussi les moins
variées dans leur esthétique.
Typologie des tirelires : protestante – symbolique, catholique – réaliste, domestique –
caricaturale burlesque. Dans le monde protestant, le vêtement de la figurine lui confère
une valeur symbolique, alors que, dans le monde catholique, les figurines sont d’apparences plus réalistes. Dans le monde séculier leurs traits sont plus caricaturaux voire
stigmatisants. Si la fonction du geste est philanthropique et charitable dans les modèles
religieux, il est plus économique et centré sur soi dans le modèle domestique, mais
l’attrait ludo-récréatif est commun aux trois types.
Les tirelires protestantes : une représentation symbolique. Les tirelires protestantes ont été
surtout utilisées chaque semaine à l’École du Dimanche où une instruction religieuse
était donnée aux enfants, en parallèle au culte conçu pour les adultes, autant dans des
Églises réformées qu’évangéliques, en France, en Suisse et en Allemagne. Elles mettaient
l’élève directement en contact avec la représentation d’un jeune converti africain, priant
de contribuer à envoyer des missionnaires dans son pays. Cette médiation directe, sans la
présence d’un pasteur à ses côtés, illustre l’action directe des fidèles, qui selon la
10
Studies in Religion / Sciences Religieuses
doctrine du sacerdoce universel des croyants sont tous prêtres, alors que l’on trouve
fréquemment un religieux à côté d’un autochtone sur les tirelires catholiques. L’argent
était donné par les parents. Sur ce point, le geste n’engageait guère l’enfant au-delà de ne
pas détourner le don en gardant la monnaie pour lui ! Mais le geste inculquait déjà une
certaine culture du don régulier et du réinvestissement de l’épargne, plus marqué chez les
protestants que chez les catholiques selon l’enquête de Max Weber (1904–1905 / 1964 :
29–30, 216). L’idée de la grâce de donner ce que l’on a reçu gratuitement, et de pratiquer
la générosité avec joie, prend le pas sur l’idée du « sacrifice » que l’on trouve plus
présent dans la tradition catholique, rattachée aux mérites que le fidèle peut espérer
acquérir aux moyens de ses bonnes œuvres accomplies.
Au sein des protestantismes souvent organisés selon un modèle congrégationaliste,
et dépendant des seules ressources de leurs fidèles pour les Églises non concordataires
dès avant 1905, la culture du soutien financier était particulièrement nécessaire à la vie
des Églises et des œuvres. Les besoins d’une famille missionnaire, avec la scolarisation
des enfants, augmentaient aussi les coûts, comparativement aux frais nécessaires aux
religieux catholiques célibataires vivant en communauté. C’est pourtant surtout
l’attrait ludique du mécanisme qui reste en mémoire des adultes ayant connu cette
pratique étant enfant. Trois autres contextes ont été signalés par trois témoins sollicités :
il s’agit d’une clinique méthodiste en Alsace (Témoin 24, Strasbourg), d’une école
primaire protestante à Montpellier (Témoin 31, Lyon) et d’un jardin d’enfants protestant
en Allemagne (Témoin 26). Au Royaume Uni où sont nées les Écoles du Dimanche, le
principe d’une tirelire missionnaire existe, mais avec une identification symbolique
moins ludique, sans mécanisme et sans figure négroı̈de.
Les tirelires catholiques : une représentation réaliste. Les tirelires catholiques sont plus
particulièrement présentes dans les crèches, comme le rapportent le Festschrift de Heim,
ou les témoins allemands, et comme le suggère l’iconographie (Témoin 40, Bruchsal
DE ; Témoin 26, Spöck DE). Heim (1971 : 6) cite le témoignage de Josef Stoll Rebstein,
de Rheinau (Bade-Wurttemberg), affirmant avoir vu un Nickneger dans la crèche de
Noël dans les années 1910. Un témoin allemand précise la tradition : « Il y en avait un
près de la crèche de Noël et jusqu’au 2 février (Lichtmess Chandeleur) ». Dans la liturgie
catholique, ce jour commémore la présentation de Jésus-Christ au Temple et le témoignage apporté par le vieux Siméon. Les fidèles font bénir des cierges à cette occasion (Le
Gall, 2005). Un témoignage rapporté par une employée du Paulusheim à Bruchsal
(Allemagne), établissement où à tort nous pensions trouver une collection de tirelires
(Schmitt, 2010), révèle que, dans un village du Palatinat, où aucune personne de couleur
n’habite, ces troncs sont encore présents dans la crèche à l’heure actuelle. Notre interlocutrice n’y voyait aucune gêne, ajoutant qu’une seule famille désapprouvait ces tirelires ; il s’agit d’un couple ayant adopté des enfants d’origine asiatique, ayant donc une
sensibilité différente par rapport aux étrangers, du reste absents de leur village. Cette
pratique est corroborée par l’iconographie à laquelle nous avons eu accès. Citons en
particulier les troncs de type Nickneger du diocèse de la Mission en Chine, au Chili, et au
Congo Mission Saint Antoine. La recherche iconographique a aussi permis de recenser
une tirelire avec une figurine de mendiant blanc, destinée aux offrandes pour les pauvres,
et offerte en 1850 au monastère de Weggental en Souabe pour sa crèche créée, elle, par
Ruolt
11
Leopold Lazaro vers 1835–1840. Ces tirelires se distinguent des modèles protestants par
leur réalisme. Elles représentent des figurines en position de la vie quotidienne, revêtues
de vêtements régionaux, associant souvent un religieux à « l’autochtone ».
Dans son article « La mobilisation missionnaire, prototype de propagandes modernes »,
Jean Pirotte (2003 : 225) confirme l’utilisation de ce type de tronc dans l’Église catholique, précisant que son utilisation s’est répandue dans le contexte post-révolutionnaire
français, mais en parlant aussi de la sécularisation et du déclin de l’Espagne et du
Portugal : il fallait trouver d’autres modes de financement de l’œuvre missionnaire. Les
congrégations ont alors utilisé des tirelires à cette fin. Les antoniens, comme la congrégation « pain pour les pauvres », possédaient des boı̂tes à l’effigie de leurs missionnaires (Heim, 1971 : 4).
Claude Prudhomme (1994 : 37) situe l’essor de cette pratique à partir d’une lettre
datée du 1er mars 1898 écrite par le pape Léon XIII. Il y encourage les dons pour les
« missions paı̈ennes » avec le souvenir symbolique des offrandes apportées par les mages
à l’enfant Jésus, le jour de l’épiphanie. Ces tirelires se répandent surtout après la
première Guerre mondiale, placées comme des santons, dans la crèche, à Noël, mais
mus du dispositif permettant de récolter de l’argent.
Walter Heim rapporte une autre tradition catholique, qui s’est développée en Suisse
et en Allemagne dans les années 1967–1970 : les Fastnachtschinesen (Chinois de
carnaval). Elle illustre une autre forme de relation au réel, celui de la représentation
substitutive de l’autre, par le moyen du théâtre et du déguisement. À l’occasion du
carnaval, des jeunes se déguisaient en Chinois, Africains, Indiens, etc. et faisaient une
quête pour les Missions (Heim, 1971 : 20). En Suisse alémanique, les jeunes déguisés
chantaient ce chant :
J bi es arms, Arms negerli Vie’s do bi Euch e keini Je suis un pauvre, un pauvre petit nègre
Comme chez vous il n’en existe pas,
git.
Mon père je ne l’ai jamais vu,
Mi vater hani gar ni g’seh und d’Mutter wott mi
Et ma mère ne me veut pas non plus.
au nümm meh
Do hett der Pater z’Afrika mir so Tiefs Erbarme Là, le Père en Afrique, a eu si pitié de moi
Qu’Il m’a pris sous sa garde (sous son aile)
g’ha. Het mi i sini Obhuet gno, und i ha dörfe zu
et j’ai osé venir chez vous.
Euch cho
Drum heit au lieb mi Negerchind, mir jo au Euri Ayez donc de l’amour pour les petits nègres,
vu que nous sommes aussi vos sœurs,
Schwestre sind.
nous souhaiterions arriver au ciel, et aller
Mir möchte au I Himmel cho, zum liebe
chez le cher enfant Jésus. (Ph. Leiber, trad.)
Jesuchindli go (Heim, 1971 : 25)
Les tirelires domestiques : une représentation caricaturale burlesque. Un modèle séculier a
encore pu être mis en évidence par l’exploration iconographique. Il s’agit là d’une
cagnotte destinée à favoriser l’épargne privée. Même si une partie de l’argent épargné
peut être redistribuée et affectée au soutien d’œuvres missionnaires, cette tirelire renvoie
davantage au principe de thésaurisation que de la philanthropie. Cette tirelire mécanique
a été très populaire en Amérique du Nord, au début du XXe siècle, alors que nous n’avons
pas trouvé de trace de tirelire protestante à figurine. La tirelire domestique était aussi
12
Studies in Religion / Sciences Religieuses
surmontée d’un buste représentant un Africain, mais elle avait plusieurs caractéristiques
la distinguant des précédentes.
Ce modèle était en fonte, avec un bras animé actionné par un levier dans le dos
de la figurine. La pièce était déposée dans la main de la figurine qui avalait la pièce
d’argent en bougeant les oreilles. Sur les modèles ultérieurs, c’étaient les yeux qui
roulaient. La première tirelire Jolly Nigger bank (tirelire « Joyeux Nègre »), ou
Schluckneger (Nègre engloutissant les pièces), a été brevetée en Angleterre en
1920 par Robert Eastwood Starkie de Burnley (brevet britannique n 152 588). Les
traits grossiers du modèle Jolly Nigger bank relèvent de la caricature burlesque.
L’esthétique sarcastique rend méprisante la relation à la figure représentée,
contrairement aux figures religieuses, plus symboliques ou réalistes, aux traits
cherchant à attirer la sympathie et entrer en relation avec ceux à qui renvoit le
tronc à offrande. Ici, l’engloutissement de l’argent véhicule davantage l’image d’une
Nègre cannibale à fuir ou à dompter. C’est dans ce type de tirelires que nous avons
trouvé davantage de profils féminins. Des modèles féminins non mécaniques
existent aussi, fabriqués par la manufacture américaine John Hubley & Co.
Jeux mécaniques, stéréotypes visuels et contexte socio-politique
La mode des nouveaux jeux mécaniques. Avec le développement des jeux mécaniques
naissent des modèles de tirelires à figurines diverses mises en situations plus réalistes,
comme par exemple des joueurs de baseball africains, ou des figurines mixtes, associant
un Européen à un Africain, deux joueuses de hockey, un dentiste et son patient, etc.
(Griffith, 1972). Le site de Siegfried Menzel offre un catalogue fourni de modèles de
jeux mécaniques dont seulement dix modèles représentant une figurine négroı̈de burlesque, et neuf sous des traits reproduisant le réel. Il y a aussi des figurines de type
européen. Parmi elles se trouvent un aristocrate, un chasseur, un magicien, un clown, un
artificier, un dentiste, des danseurs, des acrobates, des joueurs de hockey et de football,
une femme sautant à la corde, etc. Se trouvent aussi toutes sortes d’animaux : ours,
chiens, chats, chevaux, ânes, lions, éléphants, baleines, etc. vendus au début du XXe
siècle. Menzel recense quarante-huit entreprises ayant fabriqué de tels jouets mécaniques.
L’aspect ludique de ces jouets « inter-actifs » attirait les jeunes autant en dehors que dans
les Sunday Schools. Si la Stevens Company lance la première tirelire mécanique en fonte
de ce type en 1869, c’est surtout au début du XXe siècle que ces modèles se répandent.
Citons parmi d’autres, la Chein Company fondée à New York en 1903 qui a fabriqué une
grande variété de jouets en métal. La manufacture John Hubley & Co, créée en 1894 à
Lancaster en Pennsylvanie, après avoir fabriqué des trains électriques jusqu’en 1909 a
produit des jouets en fonte.
Les représentations du Noir Bouffon dans le paysage publicitaire en France au XXe siècle. En
France, au XXe siècle, la figure de l’Africain qui gagne les affiches publicitaires est celle
du Bouffon, parlant « petit Nègre ». La vie des élèves des Écoles du Dimanche s’inscrit
dans la banalisation de l’abaissement des africains dans les images publicitaires8. Pensons pour la France à la boisson chocolatée « Banania ». En 1914, c’est une femme
créole souriante, mais aux traits européanisés, qui vante la « suralimentation intensive ».
Ruolt
13
À ce mélange d’exotisme et d’européanisme succède, en pleine première Guerre
mondiale, dès 1915, l’image du célèbre tirailleur sénégalais et le slogan « Y’a bon ».
Comparée aux Écoles du Dimanche protestantes, c’est l’expression de la « force toute
suffisante » du tirailleur qui transparaı̂t dans la publicité, là où la tirelire des Écoles du
Dimanche souligne plutôt la faiblesse du jeune converti qui appelle son jeune frère à
l’aide. Le slogan en français approximatif de la publicité renforce l’a priori de
l’incapacité de l’Africain à bien maı̂triser la langue française. Le texte apposé sur le
socle des tirelires était dans une langue européenne soignée. Le regard niais du
Sénégalais tranche aussi avec celui, angélique, du Négrillo des tirelires missionnaires
qui n’avait rien d’un clown. Alors que les Écoles du Dimanche ont devancé le
publicitaire en utilisant cette image exotique, elles le devancent encore en changeant
d’elles-mêmes de symbole et de textes au milieu du XXe siècle. En France ce n’est que
le 20 mai 2011 et sous la contrainte, suite à une plainte du Mouvement contre le Racisme
et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP) après une délibération de la Justice, que
l’entreprise Nutrial abandonnait le slogan jugé stigmatisant.
De nombreuses autres références publicitaires peuvent être citées à titre d’exemples
pour rappeler le climat médiatique de l’époque, en Europe. Vers 1910, sur l’affiche pour
le savon La Perdrix on voit ce slogan : « ce savon économique qui blanchit tout », illustré
par le bras blanchi d’un Africain sur lequel est passé le savon. Vers 1914, il y a l’affiche
pour la lessiveuse Chappe´e du Mans, représentant un blanchisseur africain, soulevant le
couvercle d’une lessiveuse laissant apparaı̂tre le visage tout sourire d’une femme
africaine devenue blanche. En 1922 pour le chocolat Félix Pottin, il y a le slogan : « Battu
et content », qui reprend l’image du clown Chocolat. La publicité pour le Chocolat
Gaucher, met en scène un homme blanc servi par un Africain avec ce slogan en français :
« petit Nègre » : « Moi bon serviteur, Moi apporter à bon maı̂tre, Bon chocolat Gauthier ».
En 1910, le slogan pour la javel S.D.C. dit : « Avec Javel S.D.C., pour blanchir un Nègre,
on ne perd pas son savon ». Les publicitaires italiens inventaient Caliméro en 1961, dans
Il pulcino nero, proche conte de celui d’Hans Christian Andersen, « Le vilain petit
canard » (1842), pour faire la promotion de la lessive Ava, où le petit poussin redevait
jaune à la fin de la séquence.
Contexte culturel et politique. La relation à la personne différente, l’étranger en particulier,
est façonnée par l’histoire nationale des différentes régions et l’évolution des échanges.
Si l’Allemagne n’a adopté le Droit du sol qu’au 1er janvier 2000, en France le jus
sanguinis (Droit du sang) et le jus soli (Droit du sol) se combinent déjà avant la
Révolution (Ministère de l’Intérieur français, 2013). À l’histoire ancienne des vagues
d’immigration en France s’ajoute, dans les années 1950–1970, la vague de migration en
métropole de Français des Antilles, venus travailler avec les Continentaux (Condon,
2000 : 8–9). Avant cela, les Métropolitains avaient déjà connu les tirailleurs sénégalais9,
eux venus d’Afrique.
La présence d’un type de tirelire domestique mécanique à figure africaine caricaturale
aux États-Unis d’Amérique et en Grande Bretagne ainsi que l’absence de tirelires
symboliques moins typées que les Nickneger dans les Sunday Schools pour les offrandes
missionnaires sont l’expression d’une relation au Noir différente de celle des pays
d’Europe considérés.
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Studies in Religion / Sciences Religieuses
Pratique des tirelires missionnaires protestantes
Cadre d’utilisation des tirelires protestantes
Les tirelires protestantes, présentation générale. Dans la littérature, plusieurs auteurs attestent avoir connu ces tirelires en Europe. Rolf Schmitt (2010) dresse la liste des pays où
les troncs missionnaires à figurine ont été utilisés pendant près d’un siècle, dans les
Églises protestantes d’Allemagne, de Belgique, de Hollande, de la Suisse, de France et
d’Autriche, pour collecter des fonds pour les Missions en Afrique. Elles ont disparu
progressivement à l’époque des indépendances, leur présentation revêtant alors d’après
lui « un caractère discriminatoire ».
Les tirelires protestantes dans les Écoles du Dimanche. Le témoignage de la Suédoise Liv
Larsson, traduit en anglais dans The Power of Gratitude, confirme leur présence dans
certaines Écoles du Dimanche en Suède. Elle écrit : « Je me souviens clairement de la
tirelire de l’École du Dimanche. C’était un garçon noir à genoux, les mains jointes en
prière. Il hochait la tête à chaque fois qu’une pièce de monnaie tombait dans la boı̂te »
(Larsson, 2011 / 2014 : 7). L’ancienne élue suisse Monique Bauer-Lagier (1922–2006)
rapporte comment se passait une classe d’École du Dimanche à son époque, c’est-à-dire :
dans les années 1930 / 1940 : « À l’École du Dimanche, on nous racontait de belles
histoires de l’Ancien et du Nouveau Testaments, et nous chantions des cantiques. Mais le
moment le plus attendu était celui où, après avoir glissé dans la tirelire la piécette donnée
par notre mère, nous avions la joie de voir le petit Nègre souriant hocher la tête pour nous
remercier : n’aidions-nous pas ainsi nos valeureux missionnaires à porter la Bonne
Parole aux Africains, qui n’étaient pas tous de bons sauvages, n’est-ce pas, puisqu’il y
avait aussi des cannibales . . . » (Bauer-Lagier, 1996 : 15).
Les tirelires protestantes hors des Écoles du Dimanche. En France, trois témoignages localisent ces tirelires protestantes dans deux autres endroits : une école primaire et une
clinique. À Montpellier, au début des années 1950, il y avait dans les écoles primaires
protestantes, une fois par an, une rencontre dans laquelle les enfants chantaient des
chants appropriés à la Mission et « défilaient en mettant leur offrande dans la tirelire
missionnaire » (Témoin 31, Montpellier). À Strasbourg, dans les années 1970 et début
1980, un petit « Nègre missionnaire » était situé aux abords de la caisse de la clinique
méthodiste (Témoin 24, Strasbourg), un autre, de la taille d’un petit enfant debout,
devant la porte de la chapelle (Témoin 42, Strasbourg). Dans le Bade-Wurttemberg,
en Allemagne, la tirelire dénommée le « Negersohn », c’est-dire « Fils de nègre », était
placée dans le Kindergarten (jardin d’enfants10) de l’Église protestante nationale, dans
une salle qui servait aussi à l’École du Dimanche (Témoin 26, Spöck DE).
La spiritualité commune aux utilisateurs de tirelires protestantes. Sur les quarante-cinq
témoins qui ont répondu à notre sondage et qui ont fréquenté l’École du Dimanche dans
une église protestante dans leur enfance, vingt-trois affirment ne pas avoir connu cette
pratique des tirelires missionnaires à figurines africaines. La tendance qui se dégage de
notre sondage est que ce mode de collecte des offrandes n’a pas été généralisé dans
toutes les Écoles du Dimanche. Dans une même Union d’Églises, l’Union des Églises
Ruolt
15
Libres en France, à la même époque, dans les années 1930–1940, il y avait une tirelire à
figurine d’enfant africain à Orthez et pas à Matha (Témoins 38, 39, Orthez). Ce n’est donc
pas la dénomination qui détermine forcément la pratique. Une étude plus fine serait nécessaire pour vérifier l’hypothèse du poids du contexte régional (présence de personnes de
couleur dans la contrée, relations plus personnelles de l’Église avec un missionnaire connu,
titre de livres offerts en prix à l’École du Dimanche, etc.) mais aussi du recul réflexif des
responsables de ces Écoles (affiner l’anthropologie biblique et ses conséquences dans les
relations sociales, etc.). Dans le cas cité, le célèbre missionnaire protestant au Lesotho
Eugène Cazalis (1812–1891) était originaire d’Orthez. L’absence de ces tirelires dans les
assemblées de Frères larges et Darbystes, comme dans certaines Églises baptistes et autres
Églises fondées en France par des missionnaires anglais ou nord américains, peut s’expliquer
par leur absence dans le pays d’origine des missionnaires britanniques en France.
Le cas des méthodistes d’Alsace est éclairant. Les témoins rapportent avoir utilisé ces
tirelires à figurines à l’École du Dimanche alors que l’iconographie des tirelires missionnaires méthodistes britanniques sont revêtues d’un symbolisme sans silhouettes
africaines. Les méthodistes d’Alsace étaient plus marqués par le courant piétiste allemand. On rappellera ici que la Société des Écoles du Dimanche française était une œuvre
interdénominationnelle, laissant à chaque École le soin de s’organiser autour de l’objectif commun. L’histoire du méthodisme en Alsace montre que la sensibilité spirituelle ou
culturelle est plus fructueuse que la dénomination pour déterminer ce qui caractérise les
Écoles du Dimanche ayant utilisé les tirelires « Petit Nègre des Missions ». C’est sous
l’impulsion d’émigrés germanophones ayant découvert le méthodisme épiscopal en
Amérique du Nord, et non celui d’un missionnaire wesleyen, que cette branche du
méthodisme s’est enracinée en terres alsaciennes à partir des années 1870 / 1871, lorsque
la région devenait allemande, puis dans le sud-ouest de la France suite à l’évacuation
d’Alsaciens durant la dernière Guerre mondiale (Streiff, 2003 : 7–21).
Notre sondage confirme la caractéristique piétiste-morave évoquée plus haut par
Heim. Les Écoles du Dimanche qui ont utilisé ces tirelires sont signalées dans les Églises
Chrischona, méthodistes de l’Est de la France, réformées des Cévennes et de Montpellier, dans certaines Églises libres, et des Églises Baptistes indépendantes fondées par des
pasteurs français.
Fonction ludique et symbolique des tirelires protestantes
Les effets et les limites de l’attrait du ludique
L’attrait ludique des tirelires missionnaires exprimé par les témoins. L’attrait du « jouet
mécanique » inter-actif est ce qui ressort le plus unanimement du sondage auprès des
témoins protestants adultes qui disent avoir connu les tirelires missionnaires à l’École du
Dimanche. Treize témoins protestants français, suisses et allemands, ainsi que vingt-cinq
autres allemands, interrogés par l’un de nos témoins, confirment l’usage de cette tirelire à
l’École du Dimanche, et insistent sur l’attrait ludique suscité par le mécanisme. Le nom
Nickneger, qui est le plus populaire, désigne cette fonction mécanique de la tirelire qui
attire comme un « jouet mécanique ».
Quatre-vingts ans plus tard, un ancien élève d’une École du Dimanche d’une Église
indépendante de la Chaux-de-Fonds, en Suisse, se souvient :
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Studies in Religion / Sciences Religieuses
Oui, j’ai connu ce ‘‘p’tit nègre’’ comme on l’appelait dans mon Ecole du dimanche il y a 80
ans [ . . . ]. Ce ‘‘p’tit nègre’’ ressemblait beaucoup à celui qu’on voit dans la vidéo [Graff,
2016], sur une étagère, la dernière en bas à droite, celui du milieu, avec une robe blanche
comme un enfant de chœur, les mains collées l’une à l’autre. On ne voyait pas ses jambes.
Lorsqu’on mettait une pièce dans la fente (comme celle d’une tirelire), sa tête s’inclinait en
avant en signe de remerciement, car elle était articulée. Le socle cachait un petit tiroir qu’on
vidait après avoir passé la tirelire dans les rangs des enfants. Vieux souvenirs . . . . (Témoin
28, Chaux-de-Fonds CH)
Un autre Suisse, élève de l’École du Dimanche de l’Église libre de Neuchâtel, se
souvient : « Cela nous amusait de le voir remercier d’un geste de la tête quand on mettait
une pièce dedans ! » (Témoin 10, Neuchâtel CH). Un haut-Rhinois ajoute : « On adorait
ça et on mettait plutôt 2 pièces de 50 centimes qu’une pièce de 1 franc » (Témoin 12,
Colmar). En Allemagne, pour les dames qui ont fréquenté dans leur jeunesse l’École du
Dimanche et le jardin d’enfants de l’Église protestante nationale, ou qui y ont travaillé,
mettre un sou dans la tirelire était même un honneur particulièrement recherché : « Et
c’était une récompense de pouvoir donner un ‘‘Zehner’’ (centime) au petit garçon,
surtout parce qu’il remerciait de la tête ! ! ! ». Ce « rituel » semble avoir fait des émules,
puisque, plus tard, les propres enfants de ces dames leur demandaient des sous pour la
tirelire (Témoin 26, Spöck DE).
Mais, lorsque dans les années 1969 / 1970, le « Negersohn » (Fils de nègre) comme
elles le désignaient, a été mis dans une vitrine avant de disparaı̂tre, les offrandes missionnaires n’ont pas pour autant cessé. Le tronc a simplement été remplacé par un autre,
représentant . . . un perroquet mécanique qui prenait la pièce avec son bec pour le mettre
dans la caisse (Témoin 26, Spöck DE). La tirelire « pour éduquer à » financer la Mission
demeurait, l’image continuait de jouer le rôle d’attrait, mais l’emblème de l’Afrique avait
été changé par les éducateurs. La première figure étant devenue politiquement incorrecte,
les rapports Nord–Sud ayant changé. Mais le caractère exotique du nouvel emblème
symbolique choisi montre que tel était déjà le fondement du choix initial, et que l’aspect
ludique est resté. Le rapport du jeu au monde « réel » se pose (Cohen, 2003). En témoignent aussi les questions soulevées par les actuels Serious Games ou « jeux vidéo sérieux ».
L’idée de concevoir des enseignements sur un tel support pour faire apprendre aux lycéens,
en difficulté s’est heurtée à l’effet d’institutionnalisation de l’activité ludique privée
(Lavigne, 2013 : 49–71 ; Cohard, 2009 : 11–20 ; Pomian, 2009 : 121–126). Mais les
jouets mécaniques étaient moins répandus dans les familles au début du XIXe siècle que ne
sont accessibles les jeux vidéo aujourd’hui. Leur caractère ludique ne cachait pas une
volonté d’imposer un apprentissage refusé selon d’autres procédés.
Les limites de l’attrait ludique des tirelires domestiques, exprimées dans la littérature.
L’ambiguı̈té de l’aspect ludique du « jouet éducatif » est confirmé par l’histoire rapportée dans le « bon livre » offert en prix d’une Sunday School, le 25 décembre 1903, au
jeune Nord-Américain Raymond Fink. Bien que protestant, dans son pays il ne connaissait pas les tirelires « Petits Nègres Missionnaires ».
Le livre conte l’histoire du jeune Franckie, recevant en cadeau de Noël une tirelire
domestique. S’il s’attendait à recevoir une tirelire, il n’imaginait pas recevoir un modèle
Ruolt
17
Jolly Nigger en fonte. Il est autant surpris que ses deux sœurs en découvrant dans la boı̂te
le buste d’un étrange homme noir, regardant droit devant lui, une main portée à sa
bouche, esquissant un large sourire, montrant une double rangée de dents blanches
brillantes, avec de grands yeux écarquillés, tout de rouge vêtu. Le premier réflexe de
l’enfant fut celui du jeu. Il a voulu mettre une pièce dans la tirelire, pour voir comment
elle fonctionnait. La joie fut vite refroidie par le propos « sérieux » de la tante leur précisant
l’enjeu . . . Une fois englouti, l’argent allait disparaitre dans la boı̂te, boı̂te que seuls les
parents pouvaient ouvrir (NN, sd : Money-Box). Le « jeu sérieux » restait entièrement
maı̂trisé par les adultes. Sans finalité immédiatement jugée heureuse dans le réel, le buste
évoquait davantage l’idée du cannibale, freinant l’élan ludique et le plaisir.
À l’École du Dimanche en France, tout était aussi orchestré par les adultes, mais, à
l’Église, la finalité était autre. L’enfant donnait à celui que la figure représentait, un
enfant comme lui. Si les motivations religieuses pouvaient être parfois discutables,
comme celle clairement avouée, de donner deux petites pièces plutôt qu’une grande
pour voir bouger deux fois plus le « gentil jouet », le sentiment de plaisir n’était pas
affecté, la joie de donner restait intacte. La finalité du « jouet éducatif » et l’image
renvoyée par l’artefact diffèrent dans les deux cas.
Valeur symbolique et sens du texte
Tirelires à figurines et textes. La Société Biblique Néerlandaise a ajouté une case
derrière l’Africain en robe blanche, aux traits d’un adulte non souriant, priant avec insistance pour que des missionnaires soient envoyés dans son pays. Le verset de l’évangile qui
est gravé sur la tirelire encourage à donner aux plus petits des frères, rappelant qu’en
agissant ainsi c’est au Christ que le fidèle donne (Matthieu 25,40). Une tirelire suédoise
porte la légende suivante : « Donner un sou pour la misère des paı̈ens, c’est jeter son pain à
la face des eaux, avec le temps tu le retrouveras » (tiré du livre du Qoheleth 11,1).
Une légende écrite au feutre, détachée d’une tirelire conservée au DEFAP, précise :
« Le petit nègre prie pour les Missions et remercie pour les oboles qu’on lui donne . . . »
(DEFAP). La prière de l’enfant s’adresse à Dieu à qui il demande d’envoyer des
missionnaires chez les siens. L’intention est bien celle de l’appel à l’engagement
missionnaire et au prosélytisme religieux à la suite de l’appel de faire de toutes les
nations des disciples dans l’évangile (Matthieu 28,19). L’élève de l’École du
Dimanche y voit la prière de son semblable, pour que des « pauvres pécheurs »
viennent à l’Évangile libérateur.
Le christianisme est une religion missionnaire, comme le souligne Nadège Mézié (2008 :
63–85). L’offrande missionnaire à l’École du Dimanche témoigne de l’engagement
solidaire en faveur de l’annonce de l’Évangile dans le monde entier, et la création d’Églises
majeures, et non sous tutelle d’une « Église mère » à l’étranger. Son moteur s’écarte de l’idée
de domination politique qui sous-tend l’approche complexe du colonialisme, même si les
Missions européennes ne se sont pas développées hors du contexte géopolitique qui a pu ou
non faciliter la diffusion du message chrétien (Osterhammel, 2010 : 19–28).
Tirelires missionnaires symboliques sans figurines. Dans l’iconographie des Sunday
Schools anglaises, nous n’avons pas trouvé de trace de tirelires mécaniques à figurine
d’enfant africain. Mais une recherche sans filtres par les mots clefs : Sunday School
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Studies in Religion / Sciences Religieuses
Money-Box pointe vers une tirelire en porcelaine datant des années 1870–1880, offerte
en récompense aux élèves méritants de l’École du Dimanche dans laquelle les enfants
apprenaient à lire et à écrire. Ce n’était pas une tirelire missionnaire, mais un moyen
d’apprendre aux élèves des Sunday Schools à faire des économies. Notons que cette
tirelire représente un enfant de type européen auquel l’élève pouvait s’identifier.
Les mentions de Missionary box ou Missionary giving box antique existent pourtant
bien sur le web mondial, mais pour l’essentiel en Grande-Bretagne11 : ce sont des boı̂tes
plus ordinaires, à l’effigie de la Mission, parfois avec une mappemonde, ou revêtant une
forme symbolique comme cette boı̂te aux lettres rouge datée de 1932 sur laquelle il était
écrit : Post your gifts here for Methodist missions (déposez ici vos dons pour la Mission
méthodiste), mais point de silhouette d’Africains. Les mentions de tirelires à figurines
renvoient aux Jolly Nigger banks séculiers.
Le petit nombre (cinq) de témoins originaires d’un pays de langue anglaise consultés,
vivant à présent en France, trois Britanniques (deux presbytériens et un baptiste), l’autre
Nord-Américain (baptiste), le troisième Canadien (presbytérien), corrobore ce que l’iconographie suggère : aucun n’avait connu cette forme négroı̈de dans l’École du Dimanche
qu’il avait fréquenté dans son jeune âge. C’est dans le contexte socio-politique nordaméricain, comme celui du Commonwealth pour le Royaume Uni, qu’il faut chercher la
cause de l’absence des tirelires à figurines dans les Écoles du Dimanche. Les premières
Missions Britanniques ont envoyé plus de missionnaires en Inde, région du monde avec
laquelle le Royaume Uni avait déjà des relations puisqu’il y commerçait.
Mais l’un des témoins a immédiatement fait la liste des différentes formes de tirelires
missionnaires dont il gardait le souvenir. Nous le citons, avec certaines précisions données quant au mode de collecte :
Oui, bien sûr, que des « missionary boxes » existaient – et existent toujours ! J’ai connu :
à la BMS (Eglises baptistes) :
une case africaine avec une fente dans le toit de chaume (de couleur verte !) dans les
années 50 (en papier mâché sans doute !)
- une Bible debout, en bois, dans les années 60
- un globe en plastique
- un cylindre en plastique avec une flamme rouge au-dessus
à la LMS (Eglises congrégationalistes) :
- un globe en papier mâché.
- à l’école du dimanche aussi, garçons et filles rivalisaient en donnant des « farthings »
pour la BMS dans les années 50 (1/4 d’un vieux penny), et puisque la LMS travaillait
toujours dans le Pacifique et à Madagascar, on collectionnait les « ship halfpennies » : 1/2
d’un vieux penny, avec l’effigie d’un bateau à voiles dessus.
J. [son épouse] connaissait aussi les tirelires de la Free Church of Scotland (réformée).
Et j’en ai sans doute oublié ! Je me souviens aussi que la Société biblique en avait, la MMS
(méthodistes) une Eglise en papier mâché, la CMS et la SPG (anglicans) en avaient aussi . . .
Mes parents faisaient la collecte des tirelires de notre Eglise une ou deux fois par an. Les
chrétiens leur donnaient leur tirelire à vider. Après l’avoir vidée, ils inscrivaient la somme
collectée sur une étiquette, qu’ils utilisaient pour resceller la tirelire qu’ils rendaient aux
gens le dimanche suivant. (Témoin 42, UK)
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Usage des tirelires protestantes pour éduquer
Des tirelires pour apprendre à donner avec joie et à prier. La finalité éducative des tirelires
protestantes n’est évoquée explicitement que par une seule personne sondée, mais elle
provient d’une Église francilienne où la tirelire était une boı̂te dépourvue de figurine !
La personne insiste sur la dimension relationnelle et dit : « Ainsi, on apprenait aux
enfants à donner une partie de leur argent de poche. Ils pouvaient aussi avoir un contact
avec les personnes aidées » (Témoin 4, Île de France). Le pasteur de cette Église,
d’origine antillaise, n’avait jamais entendu parler des tirelires à figurines, ni aux
Antilles, ni ailleurs.
Indirectement, par la posture (prière), le geste (remercier) et le texte (appel à évangéliser) du « bon petit Africain chrétien », un enseignement entre pairs était simulé. À la
suite de cet exemple, l’enfant européen était encouragé à dire à son tour merci pour tout
cadeau reçu, à prier pour la Mission et à appeler d’autres à le rejoindre. Mais peut-on
parler de « biais » favorisant la propagation d’idées racistes auprès de ceux qui ont utilisé
ces troncs ?
Des tirelires pour tisser des relations
Des tirelires domestiques insufflant des idées racistes. Eliane Elmaleh (2009 : 7–23)
montre comment les tirelires domestiques telles les Jolly Nigger banks ont contribué à
diffuser les thèses racistes aux États Unis d’Amérique, véhiculant dans les années 1820 à
1950 l’idée d’infériorité raciale des Noirs. Les traits sarcastiques de la figure, le caractère
égocentrique du geste glouton et grotesque des jeux d’yeux ou d’oreilles en réponse à la
chute de la pièce dans la boı̂te, étaient autant de signes de mépris envers l’Homme Noir.
Elmaleh justifie par le prix élevé de ce type de tirelires ou de ses contrefaçons sur le
marché lucratif des antiquités la force intact de leur attrait pour un certain nombre de
personnes suffisamment argentées pour se les procurer. Mais si les Jolly Nigger banks
sont vendues aujourd’hui pour plus de 550 $ (500 €), et les Nickneger entre 100 et 250 €,
ce constat est à pondérer, car le prix des austères Missionary boxes anglaises des années
1920 est aussi très élevé, il faut compter 345 £ (450 €) l’exemplaire (prix et taux de
changes au 2 février 2016).
Même s’il n’est pas directement de notre propos ici de s’interroger sur l’utilisation de
ces tirelires domestiques, soulignons leur variété. D’un point de vue statistique, nous
comptabilisons présentes sur le net, dans « Google images », avec les mots clefs Mechanical Bank, trente-sept pages de références, soit près de sept-cent cinquante images. Parmi
elles, soixante-dix-huit vignettes, c’est-à-dire 9 %, représentant une variante de Jolly
Nigger bank. Si ce chiffre n’est pas négligeable, il ne doit pas faire ombrage aux autres
91 % qui présentent d’autres formes de tirelires en circulation.
Les tirelires des Écoles du Dimanche n’inspirant pas d’idées racistes. Les témoignages des
anciens élèves d’Écoles du Dimanche protestantes français, suisses et allemands, recueillis en 2016, ne vont pas dans le sens d’une connotation raciste, mais d’une recherche de
proximité sur la base de la foi commune, dans le contexte culturel de l’époque. L’illustre
une élève alsacienne de nationalité franco-suisse-alémanique, membre d’une Église
évangélique et du comité de rédaction d’un journal missionnaire. Elle dit : « Ce petit
20
Studies in Religion / Sciences Religieuses
‘nègre’ nous rappelait que l’argent était pour les petits Africains. Mais il n’y avait
AUCUNE connotation péjorative. Pour moi, c’est plutôt un bon souvenir . . . » (Témoin
12, Colmar). Une ancienne élève de l’École du Dimanche d’une Église évangélique
suédoise précise : « Pour le côté raciste, on n’y pensait pas à l’époque. Je ne concevais
pas le mot Nègre comme un mot raciste. C’était comme si on disait ‘Indien’ ou ‘Japonais’ » (Témoin 17, Suède).
Au canton de Vaud, un témoin de la paroisse protestante de Sainte-Croix se souvient :
« Je me rappelle bien avoir vu un petit nègre qui faisait merci quand l’on mettait un petit
sou dans la tirelire. Alors on en mettait plusieurs pour le plaisir de voir bouger ce petit
monsieur. Je suis sûre qu’il y en avait d’autres ailleurs dans le canton et en Suisse ! Il est
vrai que nous ne verrions plus cela aujourd’hui, mais à l’époque nous n’avions aucune
arrière ou mauvaise pensée. Ça voulait juste dire ‘Mission en Afrique’, pour les petits
que nous étions ! » (Témoin 27, Sainte-Croix CH). À la Chaux-de-Fond, un ancien élève
de l’École du Dimanche évoque a posteriori les travers de cette pratique, en particulier
quant au sens de l’offrande, mais il n’y avait rien vu de gênant en tant qu’enfant. Il s’agit
d’un pasteur retraité de l’Union des Églises Libres en France qui a été missionnaire en
Afrique de l’Ouest. Il écrit :
A l’époque, on n’était pas choqué (comme on s’habitue à nos vieux sachets de velours de
nos collectes d’offrandes !). C’était pour la « Mission ». A mon avis, cela avait le grave
inconvénient d’habituer les enfants à ne donner qu’une piécette (que leurs parents leur
donnaient), comme lors d’une quête d’église. Et puis cela ressemblait trop à une aumône
faite aux « pauvres » petits paı̈ens, comme on les appelait avec une attitude de miséricorde
condescendante. (Témoin 28, Chaux-de-Fonds CH)
A posteriori, un autre témoin qui n’a pas connu ces tirelires dans son enfance, mais
qui est engagé dans l’action missionnaire protestante en Afrique, dit : « Je n’ai jamais vu
ces figurines tirelires. Cela m’inspire plus la mendicité que le soutien fraternel » (Témoin
23, Alsace). Un autre, ancien missionnaire en Afrique avec sa femme, puis professeur de
théologie en France à la retraite, qui n’avait jamais connu ces boı̂tes à offrande avant,
écrit : « Le jour où on a vu cette ‘chose’ à Orthez [Musée Jeanne Albret], nous avons été
très choqués et un peu scandalisés . . . » (Témoin 36, Île de France).
Ces réactions illustrent les regards actuels sur ces objets, marqués par un contexte
socio-politique différent et par une écriture politisée de l’histoire des rapports Nord–Sud
à l’époque dite « coloniale », assimilant parfois sans nuances l’action missionnaire – en
particulier protestante – avec l’intérêt des puissances politiques. Le passage de
l’approche symbolique dans le contexte initial, au regard plus réaliste dans le contexte
contemporain, suscite rétrospectivement une certaine mauvaise conscience et un sentiment de culpabilité, prévalant aussi, dans un musée protestant, chez le guide qui présente
les tirelires. Mais à l’époque de leur utilisation, ces tirelires inspiraient plutôt un élan de
joie chez les élèves des Écoles du Dimanche, comme nous le montrerons plus loin.
D’autres témoins ont évoqué des pratiques actuelles mais en utilisant des tirelires
animalières, montrant indirectement ne pas connaı̂tre ces « tirelires petits Nègres ».
« Nous avons en effet, dans nos salles d’École du Dimanche, des tirelires en forme de
mouton, vache ou cochon, qui permettent de recueillir l’offrande des enfants, qui a pour
Ruolt
21
objet le parrainage d’un enfant » rapporte un témoin, aujourd’hui monitrice d’École du
Dimanche (Témoin 38, Lorraine). Dans la littérature européenne, c’est sous la plume
de la Suédoise Liv Larsson que nous trouvons manifestée la preuve du malaise d’un
enfant devant la découverte de ce garçon d’une autre couleur de peau que la sienne, à
qui il fallait donner une pièce de monnaie parce qu’on lui avait appris qu’il fallait être
généreux envers les pauvres. Elle écrit : « Et le garçon était pauvre, m’a-t-on dit. Je me
suis sentie gênée quand ce fut mon tour de mettre ma pièce de monnaie dans la tirelire,
car il m’était difficile de regarder cet humble enfant hochant la tête » (Larsson, 2011 /
2014 : 7).
La tirelire pour susciter une relation personnelle sensible. La tirelire était plutôt l’emblème
de l’action missionnaire en Afrique, avec une image à caractère symbolique plutôt
religieux (aube, posture à genoux, mains jointes), contrastant avec les traits souvent
effrayants représentant les « sauvages » d’Afrique. L’image positive des effets de
l’Évangile véhiculée par ces « emblèmes publicitaires », faisaient d’elles des ambassadrices de l’engagement missionnaire en rapprochant l’enfant protestant de ses frères en
terre lointaine par ce qu’ils avaient de commun : la foi, symbolisée par la prière. Mais
cette relation symbolique n’allait que dans un sens.
Comme pour d’autres figures négroı̈des promues par les industriels en Europe, à cette
époque, les tirelires « petits Nègres Missionnaires » ont été adoptées sans recul critique
sur l’effet qu’auraient pu avoir ces représentations sur les personnes de couleur qui
n’existaient pas dans l’environnement direct. La mise au placard de ces troncs à offrandes protestants, avant d’être objets de musée, ou avant d’être détruits purement et
simplement, témoigne pourtant d’une nécessité de retirer ces images des Écoles du
Dimanche où elles étaient utilisées jusque-là. Un témoin métropolitain, membre d’une
Église baptiste francilienne, et responsable d’une Mission protestante, parle d’un tournant pris dans les années 1955, précisant : « Faire passer le ‘petit nègre’ devenait
incongru [ . . . ] les termes employés et les images ont évolué en raison de l’évolution
des relations avec les anciennes colonies, du contexte international mais aussi de l’arrivée en métropole des Antillais . . . » (Témoin 8, Colombes). Le contexte socio-politique
post-colonial a changé le développement des relations internationales. Le montre la
présence croissante de chrétiens de toutes les nations en Europe, le flux de missionnaires
venus de tous les continents. Preuve en est, en 2015, cet engagement de 850 responsables
d’Églises protestantes en Chine d’envoyer d’ici 2030 vingt mille missionnaires dans le
monde entier (Eekhoff Zylstra, 2015) !
Bien que notre sondage confirme la disparition des tirelires missionnaires protestantes
à figurine africaine grossomodo au milieu du XXe siècle, une École du Dimanche de
l’Église évangélique du Haut-Rhin les a conservées jusque dans les années 1980
(Témoin 12, Colmar), comme aussi les diaconesses de la clinique méthodiste à Strasbourg. L’une d’entre elles, avancée en âge, commentait l’espace libre du sondage, en
disant : « À cette période [où il y avait les tirelires à figurines africaines], il était plus
courant de mettre un sou dans la tirelire où la tête se baissait pour remercier le donateur.
Actuellement, les dons sont plus rares » (Témoin 24, Strasbourg). Ce commentaire
souligne la force de l’artefact dont l’emblème perdure dans les représentations de certains qui s’y sont attachés dans leur jeune âge. Dans ce contexte hospitalier, l’utilisation
22
Studies in Religion / Sciences Religieuses
de ces troncs était synonyme de mobilisation missionnaire ; leur délaissement, alimente
une certaine nostalgie d’un temps révolu. Pourtant, les Missions existent toujours, et
vivent toujours de dons.
Si, pour les élèves de l’École du Dimanche, la figurine symbolisait le travail des
missionnaires à soutenir la personne paı̈enne à évangéliser, et si les moniteurs d’Écoles
du Dimanche n’ont pas cherché à la dévaloriser, ces tirelires qui aujourd’hui font honte
nourrissent pourtant une forme de discrimination dans le sens où les donateurs et les
bénéficiaires sont différents. Mais il ne s’agit pas d’une discrimination de droit, il s’agit
d’une discrimination psycho-sociologique ou cognitive pour reprendre la différenciation
de Dhume (2014 : 5).
Si l’image n’est ni neutre, ni libre de préjugés, ici, parler de racisme paraı̂t
cependant malheureux. Comme le rappelle à juste titre Faı̈za Guélamine (2006 :
21) : en sciences sociales, le sens des mots peut être affecté, voire « manipulé », par
le contexte « historique, social, culturel et politique ». Si discriminer, c’est bien
distinguer, ce n’est pas la différence qui est discriminatoire mais le manque d’équité
dans le traitement des personnes. Ce n’est pas le cas de la tirelire missionnaire à
figurine qui cherchait à rapprocher l’enfant de son « frère » différent d’apparence
mais pas de cœur. Le hiatus provient de l’absence de réciprocité. C’est le passage de
la relation symbolique à la présence réelle de l’Africain qui a provoqué l’abandon
du symbole chez les protestants, là où dans les crèches le couple religieux–
autochtone dans sa forme plus réaliste demeure.
Au-delà des représentations, la relation personnelle. Avant l’utilisation des tirelires missionnaires, la Société des Écoles du Dimanche française s’était déjà engagée à publier et
diffuser des récits missionnaires et à faire des collectes pour des besoins précis, les
rapports des comptes des Écoles du Dimanche en témoignent. Il y a eu aussi un fait
vécu qui expose un exemple de rapport direct de l’École du Dimanche avec un jeune
enfant Noir. Elle illustre la nature non raciste de l’engagement du mouvement français.
Le 5 mai 1859, lors de la fête annuelle des Écoles du Dimanche au Cirque d’Hiver à
Paris, c’est le témoignage direct du directeur de l’École du Dimanche de Marseille, qui
en a été l’occasion. Nous reproduisons ses propos dans les termes de l’époque : « [à
l’École du Dimanche de Marseille] Il y a une petite curiosité : c’est un moniteur comme
il y en a peu, comme il n’y en a pas dans notre pays, car il est nègre ! Oui, un groupe
d’enfants blancs, est dirigé par un jeune noir, né probablement dans le Darfour ». Enfant,
ce jeune Abdallah avait été vendu par des marchands comme esclave en Egypte. Racheté
par un Marseillais bienveillant pour le ramener en France, où de fait, il était libre. Il s’y
était rapidement montré un jeune prometteur. Ce témoignage avait suscité l’émotion des
5000 enfants et moniteurs présents. S’en suit une collecte spontanée (sans tirelire missionnaire). Un pasteur du Poitou engage son École du Dimanche à contribuer aux frais de
sa bonne scolarisation, et se déclarer prêt, si à l’avenir c’était son appel, à l’envoyer
comme missionnaire aux frais de la Société des Écoles du Dimanche de France (Secrétaire, 1859 : 30–32). Nous ignorons ce qu’est devenu Abdallah, mais l’accueil qui lui a
été réservé en France illustre un autre modèle éducatif, sans artefact artificiel, tout en
impliquant l’affect par le moyen d’un témoignage privilégiant un engagement relationnel responsable direct et pas à sens unique.
Ruolt
23
Conclusion : des tirelires à figurines aux tirelires
dématérialisées
Malgré la non exhaustivité de cette recherche sur les tirelires des Écoles du Dimanche,
les limites de la méthode de cueillette iconographique et le choix ciblé de l’échantillon
témoin, l’exploration nous a permis de découvrir qu’il existait trois différents types de
tirelires à figurines.
Le premier type vise surtout les enfants des Écoles du Dimanche protestantes en
France, en Suisse et en Allemagne, avec des figurines revêtant par leur posture et
leurs vêtements un caractère symbolique. La relation directe avec la personne
représentée et la valorisation du symbolique sur la réalité sont des traits rattachés à
la théologie et à la piété protestante.
Le deuxième type vise les familles devant les crèches catholiques avec des
figurines revêtant un caractère plus réaliste, où la présence d’un religieux aux
côtés ou non d’un africain renvoie à son rôle de médiateur.
Le troisième type a été populaire dans un cadre extra-ecclésial en Angleterre et
surtout aux États-Unis d’Amérique. Sa finalité est l’épargne personnelle. Nous
n’en avons pas trouvé de traces dans les Écoles du Dimanche européennes. Il
s’agit d’un modèle plus individuel et domestique avec des figurines aux traits
caricaturaux et grossiers.
Les trois ont en commun : l’attrait ludique pour le nouveau « jouet mécanique », à la
mode à l’époque, et la mise en relation de l’enfant avec un semblable différent.
Nous avons montré que l’usage de ces tirelires n’était pas généralisé dans toutes les
Écoles du Dimanche en France, Suisse et Allemagne. Ce n’est pas tant la dénomination
qui pourrait permettre de dresser une carte de l’utilisation de ces tirelires chez les
protestants que la sensibilité spirituelle à laquelle se rattachent les responsables de
l’École. Ceux-ci se situent dans le courant du piétisme et des réveils, creuset de ce
mouvement d’éducation religieuse protestant. Pour la France, avec les réserves qu’imposent les limites du sondage, la présence de ces tirelires est repérée géographiquement
dans le Béarn, les Cévennes et l’Alsace, et la région parisienne, sur des terres et dans des
églises touchées par les idées revivalistes, comme en Suisse française dans le vent du
Réveil de Genève et dans une Église luthéro-réformée allemande de sensibilité piétiste,
berceau d’un réveil rattaché au nom du pasteur Aloys Henhöfer (1789–1862).
Si les promoteurs des modèles utilisés dans les Églises et Écoles chrétiennes n’ont ni
intentionnellement cherché à déshumaniser l’autre ou à promouvoir le racisme, la représentation choisie pour l’outil pédagogique oblige à une lecture de l’emblème qui n’est
pas neutre, et d’autant plus lorsqu’il est pris au premier degré. Nous avons souligné
l’effet filtre du contexte historico-politique, qui évolue selon les époques et les lieux, et
l’importance d’une approche bi-partite de la relation plus marquée, même si le principe
d’éducation entre pairs existe à l’École du Dimanche.
Dans les Écoles du Dimanche, jusqu’où la figurine et l’attrait pour le jeu brouillent-ils
le sens de l’éducation visée et poussent-ils à la générosité solidaire consciente ? Si le
« jeu mécanique » revêt davantage une fonction ludo-récréative que ludo-éducative dans
24
Studies in Religion / Sciences Religieuses
les Écoles du Dimanche où les parents fournissent l’argent, l’artefact a d’abord servi à
prendre conscience de façon sensible aux besoins des autres, puis de moyen à un
enseignement « entre pairs » incitant à donner mais aussi à prier, autant pour demander
que pour remercier.
C’est la symbolique religieuse des tirelires protestantes utilisées pour scénariser le
moment de l’offrande, qui confère à cet acte une valeur de rite, pour « apprendre à »
donner avec joie. L’enfant attendait le moment où était apportée la tirelire et où seul,
devant elle, il pouvait venir y glisser sa pièce et surtout attendre la réponse d’approbation
symboliquement matérialisée par le mouvement de la tête de son « petit frère d’Afrique ».
À l’École primaire de Montpellier, les enfants « défilaient en mettant leur offrande
dans la tirelire missionnaire » (Témoin 33, Montpellier). Il s’agit alors davantage de
tirelires servant de rituel ludo-communicationel que d’artefact ludo-éducatif. L’exemple
de la symbolique de l’arbre vert et de sa décoration avec la soigneuse scénarisation de
l’éclairage du sapin à Noël, point d’orgue de la « fête de l’arbre » instituée en France par
le mouvement des Écoles du Dimanche, illustre le même procédé (Gauthey, 1858 :
177–185 ; Ruolt, 2010a). La fonction symbolique permet aussi une distanciation plus
grande à ce que représente la figurine, mais l’arbre est un symbole naturel ne renvoyant à
aucune image humaine.
Si aujourd’hui les spécialistes de la communication mesurent l’importance des images en
les adaptant au contexte et au public à atteindre, une autre pratique pose aujourd’hui question :
celle du don « sans visage ». En France, hors Église, se répandent de nouvelles tirelires
caritatives séculières au design transparent ou au support invisible, sans attrait ludique, ni
figurine, qui permettent de collectionner les « pièces jaunes » ou de faire « l’arrondi » (sites
institutionnels) pour les paiements dématérialisés. Si elles permettent de soutenir des associations d’entraide, elles jouent plus sur les sentiments pour apaiser la conscience de consommateur que sur la volonté d’éduquer à la solidarité humaine. En cela, même s’il leur
manquait l’ouverture à une dimension bilatérale de la relationnelle à l’artefact, les tirelires
symboliques personnalisées sans figurine africaine utilisées dans les Sunday Schools au
Royaume Uni avaient le mérite d’inscrire le rite de l’offrande dans un acte relationnel
représentant symboliquement le réel de façon personnelle, intemporelle et transculturelle.
Déclaration de conflits d’intérêts
L’auteur déclare qu’il n’y a aucun conflit d’intérêt à l’égard de la recherche, les droits d’auteurs et /
ou la publication de cet article.
Financement
L’auteur n’a pas reçu de soutien financier pour la recherche, les droits d’auteurs et / ou la
publication de cet article.
Notes
1. Une collection de près de 130 tirelires est conservée en Allemagne, chez M. Lothar Graff à
Schönecken.
2. Nous ne distinguons pas les églises de la Fédération des églises évangéliques baptistes de
France (FEEBF), de celles de l’Association des églises évangéliques baptistes de langue
française (AEEBLF) et les églises baptistes indépendantes.
Ruolt
25
3. Nous maintenons la distinction entre réformés et luthériens existant à l’époque où les témoins
ont fréquenté l’École du Dimanche pour préciser de quelle branche de l’actuelle EPUF (Église
Protestante Unie de France) il s’agit.
4. Enseignante dans une institution de théologique protestante formant des pasteurs et des missionnaires en France (Val-de-Marne), nous sommes membre de deux comités missionnaires et
avons été membre de la Fédération des Missions Évangéliques Francophones.
5. Les statistiques des Écoles du Dimanche donnent ces chiffres pour l’Allemagne en 1888 : les
Baptistes ont 275 Écoles du Dimanche, avec 14 000 élèves ; les Méthodistes, 244 écoles et
10 000 élèves ; l’Association évangélique, 196 écoles et 11 000 élèves ; les indépendants et
autres communions dissidentes, 150 écoles et 10 000 élèves. D’après le pasteur Rohrbach, le
clergé officiel allemand se montre généralement peu sympathique à la cause des Écoles du
Dimanche (Lelièvre, 1888 : 14).
6. La Société Missionnaire du Rhin est née en 1828 de la fusion de trois sociétés missionnaires
allemandes fondées à Elberfeld, Barmen (préparant les candidats missionnaires à se former à
Bâle) et Cologne. Depuis 1971, cette Mission est devenue la Vereinte Evangelische Mission,
la Société des Missions protestantes, dont un musée est entretenu sur son site à Wuppertal.
Disponible sur : http://www.vemission.org/museumarchive.html (site consulté le 7 février 2016).
7. Les moteurs de recherches nous ont permis de repérer sur le net une entreprise de jouets de ce
type existant à l’époque dans la région. Nous émettons l’hypothèse qu’il pourrait bien s’agir de
la Württemberg–Badische Spielwarenindustrie Verband qui, depuis 1919, fabriquait aussi des
ornements pour les sapins de Noël. Mais nous n’avons pas eu accès au catalogue de l’entreprise, ou aux factures d’Églises, pour pouvoir confirmer l’hypothèse. Voir : http://www.dvsi
.de/verband/historie (site consulté le 10 février 2016).
8. Les références iconographiques figurent en bibliographie.
9. Corps colonial français fondé en 1857 et dissout en 1960. Durant la première guerre mondiale,
près de 200 000 soldats du corps des « tirailleurs sénégalais » désignés sous le nom de « force
noire » prennent part aux combats. Les combattants d’Afrique sont un peu moins nombreux
mais toujours présents dans l’armée française lors de la deuxième guerre mondiale (Saletes,
2011 : 129–140).
10. Les jardins d’enfants sont en Allemagne les institutions d’éducation préscolaires fondées sur les
idées éducatives de Friedrich Frœbel (1782–1852). Comparés aux écoles maternelles françaises
fondées elles sur les idées pédagogiques de Pauline Kergomard (1838–1925), les Kindergarten
sont ouverts toute l’année avec pour objectif de favoriser le développement global de l’enfant
par le moyen d’une culture du jeu qu’il privilégie. Ce sont des éducateurs et non des professeurs
des écoles qui prennent soin des jeunes enfants réunis selon un modèle de groupes et non
de classes. L’éducation religieuse fait partie intégrante de cette éducation complète (Budde,
Chalamet, Savoy et Luc, 1999 : 43–71). Comme annexe sociale des églises protestantes
allemandes, ces lieux d’éducation de la petite enfance protestants sont encore dirigés
aujourd’hui par le pasteur de la paroisse aux côtés de l’équipe d’éducateurs de la petite enfance.
11. Accédez aux références en bibliographie.
Bibliographie et webographie
Textes et sites cités
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