Dario Hug
Aymeric Hèche
2020
-
COMITÉ DE LA RDAF
Valérie DÉFAGO GAUDIN
Anne-Christine FAVRE
Christophe JORIS
Pierre MOOR
Yves NOËL
Laurent PFEIFFER
Thierry TANQUEREL
Liliane SUBILIA-ROUGE
Denis SULLIGER
Professeure à l'Université de Neuchâtel
Professeure à l'Université de Lausanne
Juge au Tribunal cantonal du canton du Valais
Professeur honoraire de \'Université de Lausanne
Professeur à l'Université de Lausanne, avocat
Docteur en droit, avocat, Lausanne
Professeur honoraire à l'Université de Genève
Greffière au Tribunal cantonal du canton de Vaud
Docteur en droit, avocat, Vevey
CORRESPONDANTS
Yves NOËL
Xavier OBERSON
Annie ROCHAT PAU CHARD
Professeur à l'Université de Lausanne, avocat
Professeur à l'Université de Genève, avocat
Juge au Tribunal administratif fédéral
229 -
REVUE DE DROIT ADMINISTRATIF
ET DE DROIT FISCAL
REVUE GENEVOISE DE DROIT PUBLIC
76e année
2020
La nature juridique du Joint Statement
Dario Huo
Dr en droit, Avocat et Chargé d'enseignement à l'Université de Neuchâtel
Aymeric HÈCHE
Doctorant à l'Université de Neuchâtel, Chargé d'enseignement à la He-Arc
Table des matières
RÉDACTION
Raphaël GANI
Bastien VERREY
Rédacteur
Juge au Tribunal administratif fédéral
Rédacteur-adjoint, docteur en droit, notaire
Toute contribution est soumise à un comité de lecture
La reproduction des articles n'est admise qu'avec l'assentiment de
la rédaction avec indication exacte de la source
Prix de l'abonnement annuel 2020 (6 numéros): Suisse Fr. 240.-.
Prix d'un numéro: Fr. 40.-
ÉDITEUR: Association Henri Zwahlen pour le développement du droit administratif et du droit fiscal
COMPTE DE CHÈQUES POSTAUX: N° 10-9630-1 Lausanne
ADMINISTRATION, PUBLICITÉ ET IMPRESSION: PCL Presses Centrales SA
Av. de Longemalle 9, case postale 137, 1020 Renens 1, tél. 021317 51 51, fax 021 320 59 50
SERVICE DES ABONNEMENTS: Tél. 021 317 51 63, fax 021 317 51 76
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ISSN 2624- 9251
Introduction ...................................... .
I. Sources pour la qualification ...................... .
A. Droit international ........................... .
B. Droit constitutionnel ......................... .
II. Délimitations et distinctions ...................... .
A. Recension .................................. .
B. Qualification de l'acte ........................ .
1. Traité international. ........................ .
2. Amendement d'un traité préexistant ........... .
3. Accord ultérieur sur l'interprétation d'un traité
préexistant ............................... .
4. Application de traités successifs .............. .
5. Promesse ou déclaration unilatérale ........... .
6. Conclusion intermédiaire .................... .
III. Casuistique des autorités judiciaires suisses .......... .
A. Joint Statement de 2013 conclu avec les Etats-Unis ..
1. Autorité d'adoption ........................ .
2. Présence ou absence d'un processus d'adoption
interne .................................. .
3. Création d'un engagement juridiquement
contraignant .............................. .
4. Enseignements du cas américain . . . . . . . . . . . . . . .
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B. Joint Statements de 2014 et 2016 conclus avec l'Inde.
C. Le défaut d'enregistrement international des Joint
Statements .................................. .
IV. Analyse ....................................... .
A. «Confirmation» d'un acte accompli sans autorisation
(8 CVDT)? ................................. .
B. En fonction du processus d'adoption interne d'un traité
et de sa publication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
C. L'absence d'assujettissement des Joint Statements
au référendum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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257
Introduction
Cette contribution plonge ses racines dans différents arrêts du Tribunal administratif fédéral et du Tribunal fédéral. Le terme de «joint
statement» (ci-après également: «JS») y apparaît dans un contexte
d'assistance internationale en matière fiscale entre la Suisse, d'une part,
et les Etats-Unis et l'Inde, d'autre part 1•
Mais qu'est-ce qu'un JS?
Nous proposons d'esquisser quelques pistes de réflexion afin de
répondre à cette interrogation. Ce qui doit être noté, en premier lieu,
c'est qu'un JS s'inscrit dans un contexte international: il s'agit d'un
«instrument» qui implique au moins deux Etats et qui, généralement,
définit ou précise des modalités de collaboration entre ceux-ci.
La réflexion sera orientée sur les sources du droit, et, en particulier,
les normes internationales et internes relatives aux traités (partie I). Au
sein des multiples sources internationales, il s'agira d'identifier les plus
aptes à décrire la réalité qui se cache derrière les JS (partie II). La partie
III est dévolue à une présentation du traitement des JS par les autorités
judiciaires suisses. Confrontés à cet «instrument juridique non identifié», les tribunaux ont, pour l'essentiel, dû procéder pragmatiquement.
Le JS soulève, cela dit, de nombreuses questions qui n'ont pas toutes
trouvées de réponses dans la jurisprudence suisse. La partie IV tente
1 Cf. par ex. arrêts du TAF A-3482/2018 du 5 août 2019 consid. 9.5; A-6080/2016 du 23 février
2018 consid. 6.2.1.1.3; A-525/2017 du 27 janvier 2018 consid. 3.1; A-6391/2016 du l7 janvier 2018
consid. 5.2.1.3; A-778/2017 du 5 juillet 2017 consid. 6.3.1; A-8297/2015 du 25 août 2016 consid. 5.1;
A-5149/2015 du 29 juin 2016 consid. 5.1.1; arrêt du TAF A-4025/2016 du 2 mai 2017 consid. 4.2;
A3978/2016 du 10 octobre 2016 consid. 6.1.3; A-4695/2015 du 2 mars 2015 consid. 6.4.1.
231
d'identifier certaines questions restées en suspens, de fournir quelques
réponses, et d'analyser le JS dans ses rapports avec l'ordre juridique
suisse.
I. Sources pour la qualification
A. Droit international
Au niveau international, les règles en matière de traités consignés
par écrit sont codifiées dans la Convention de Vienne sur le droit des
traités du 23 mai 19692 (ci-après: «CVDT»; art. 2 al. 1 let. a pour la
définition du «traité» [RS 0.111 ]). En droit des traités, l'un des principes fondamentaux est que les Etats sont tenus de respecter leurs engagements internationaux et de les exécuter de bonne foi (pacta sunt
servanda; art. 26 CVDT). Le champ d'application des règles de la
CVDT se limite aux traités conclus par écrit (art. 3 CVDT), bien que
les règles de la CVDT puissent être appliquées aux traités oraux à titre
de droit coutumier, ce que rappelle notre Haute Cour3 •
B. Droit constitutionnel
Au niveau constitutionnel, plusieurs règles mentionnent le droit
international et les traités internationaux. A ce titre, on se limitera à
rappeler que l'art. 5 al. 4 Cst. pose le principe de la primauté du droit
international, que l'art. 54 al. 1 Cst. stipule que les affaires étrangères
relèvent de la compétence de la Confédération et que l'art. 166 al. 2 Cst.
prévoit l'approbation des traités internationaux par l'Assemblée
fédérale, à l'exception de ceux dont la conclusion relève de la seule
compétence du Conseil fédéral (camp. infra IV.B). Quant aux art. 140
et 141 Cst., ils précisent quels traités sont soumis au référendum
facultatif4 ou obligatoire.
2 La Suisse y est partie depuis le 7 mai 1990. Ni les Etats-Unis. ni l'Inde, ni la France n'y sont
parties. Néanmoins, la CVDT étant considérée comme une codification du droit coutumier en matière
de traités, cette triple absence ne fait pas obstacle à la référence et à l'application à titre coutumier des
règles prévues dans ladite Convention dans les relations entre la Suisse et ces Etats. P. REUTER, Introduction au droit des traités, Nouvelle édition [en ligne], Genève 2014 (http://books.openedition.org/
iheid/1748) pp. 25-26, §75/62. Camp. ATAF 2010/7 consid. 3.6.1. etATAF 2010/40 consid. 4.1.
3 Arrêt du TF 2C_l042/2016 du 12 juin 2018 consid. 5.4.4.: «Sol/te dies nicht zutreffen, beriihrt
gemdss Art. 3 VRK [CVDT] die mangelnde Schriftform eines Vertrages dessen Rechtsgiiltigkeit nicht,
und sie hindert auch nicht die Anwendw,g der Garantien der VRK, die gewolmheitsrechtlich auch auf
miindliche Vertrdge Anwe11d1111g finden». Voir aussi la nbp précédente.
4 Comp. ATF 143 II 136 consid. 5.3.3.
232-
II. Délimitations et distinctions
A. Recension
La figure du JS est peu répandue en droit international public. Une
recherche dans le répertoire des traités enregistrés auprès des Nations
Unies ne renvoie qu'à 24 occmTences 5. Les traductions rencontrées
sont «déclaration commune» 6 ou «déclaration conjointe» 7. Il est parfois précisé, dans le titre de l'instrument, que le JS constitue un accord
international (comp. les réserves infra section II.B .1 en rapport avec le
fait que la dénomination de l'instrument international n'est pas décisive)8. Quant au Guide suisse de la pratique en matière de traités, dans
sa version la plus récente (2015), il mentionne le terme de «déclaration
conjointe» (Gemeinsame Erkliirung; Dichiarazione comune), en le traduisant par le terme anglais de joint declaration, tout en rappelant qu'il
s'agit généralement d'une qualification réservée à des instruments peu
solennels 9.
En l'état 10, plusieurs JS ont été conclus par la Suisse 11. Notre contribution se consacre en priorité à ceux évoqués dans des décisions
judiciaires fédérales. A cet égard, les JS suivants sont, en particulier,
évoqués:
5 https://treaties.un.org/ , onglets «Registration and Publication», «UN Treaty Series», «Title
search». Les Etats-Unis semblent largement en tête de ce bref survol des traités utilisant l'expression
<~oint statement». De plus, les JS sont majoritairement des traités bilatéraux conclus par des chefs de
gouvernements, ministres des affaires étrangères ou ambassadeurs. Les JS possèdent un caractère
éminemment exécutif et ponctuel, la seule signature - sans consultation interne - paraît généralement
suffire à leur mise en vigueur.
6 https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%201152/volume- l l52-I-18 l37French.pdf Déclaration commune entre les Etats-Unis d'Amérique et la Corée du Sud du 31 décembre
1977, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 1l52, 1979, p. 62.
7 https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%20 l 556/volume- l 556-I-27055French.pdf Déclaration conjointe entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Egypte du 4 février 1982,
Recueil des traités des Nations Unies, vol. 1556, 1990, p. 330.
8 https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%201006/volume- l006-I- l4746English.pdf Joint Statement constituting an agreement between the United States of America and Israel
relating to economic cooperation, 13 mai 1975, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 1006, 1976,
p. 154.
9 DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3' éd., Berne 2015, Annexe
A, p. 45 et p. 6, § 17. La version anglaise du Guide suit la même traduction. (accédé le 8 novembre 2019
< https://www.dfae.admin.ch/eda/fr/dfae/dfae/publikationcn.html/publikationen/fr/eda/voelkerrecht/
Praxisleitfaden-Voelkerrechtliche-Vertraege.html >).
10 Au 4 mars 2020.
11 Il faut ajouter le JS conclu avec les Etats membres de l'UE du 14 octobre 2014 sur des questions fiscales (https://www.news.admin.ch/NSBSubscriber/message/attachments/36882.pdf) et celui du
25 avril 2011 avec la Chine concernant la coopération scientifique (https://www.sinoptic.ch/textes/
accords/201 l/20110425_Joint.Statement.SSSTC-en.pdf).
-
233 -
Celui du 29 août 2013 avec les Etats-Unis 12 , dans le cadre plus
large du règlement du différend fiscal entre les banques suisses et
les Etats-Unis (ci-après: «JS CH-US») 13 ;
Celui du 15 octobre 2014 avec l'Inde (ci-après: «JS CH-IN 2014»)
14, en lien avec la Convention du 2 novembre 1994 entre la Confédération suisse et la République de l'Inde en vue d'éviter les
doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu (ci-après:
CDI CH-IN; RS O.672.942.31) 15;
Celui du 15 juin 2016, également avec l'Inde (ci-après: «JS CH-IN
2016») 16 , toujours en lien avec la CDI CH-IN 17 .
Ultérieurement, deux autres JS, qui n'ont, à notre connaissance 18 ,
pas donné lieu à des litiges devant les tribunaux suisses, ont également
été conclus avec l'Inde:
Le 22 novembre 2016, une «Joint Declaration» sur l'échange
automatique de renseignement en matière fiscale 19.
Le 1er septembre 2017, sur des questions fiscales et de coopération20.
Nous commencerons par examiner la qualification d'un JS du point
de vue du droit international (B). Nous nous attarderons ensuite sur la
casuistique des autorités judiciaires suisses (III), puis, dans le cadre
d'une analyse (IV) nous passerons en revue les questions soulevées en
droit suisse par cette forme d'acte international.
B. Qualification de l'acte
1. Traité international
La nature juridique d'un JS - comme accord international ex nova,
comme amendement d'un traité préexistant, ou encore en tant qu'activité interprétative se greffant sur un accord préalable - ne dépend pas
12
Seule la version anglaise originale fait foi au sens de l'art. 33 CVDT (RS 0. l 11): https://
www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/3 l 815.pdf. Pour la traduction française inofficielle:
https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/3 l8l4.pdf. Sur la question de la version
linguistique faisant foi, voir aussi l'art. 15 al. 3 de la Loi sur les publications (RS 170.5 l2).
13
Par ex. arrêt du TF 4A_390/2017 du 23 novembre 2017 consid. A.d.
14 https ://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/369 l 8.pdf.
15 Par ex. arrêt du TF 2C 88/2018 du 7 décembre 2018.
16 https://www.newsd.ad~ün.ch/newsd/message/attachments/44446.pdf.
17
Par ex. arrêts du TAF A-3482/2018 du 5 août 2019 consid. 9.5; A-6080/2016 du 23 février
2018 consid. 6.2.1.1.3; A-525/2017 du 29 janvier 2018 consid. 3.1.1; A-6391/2016 du 17 janvier 2018
consid. 5.2.1.3; A-778/2017 du 5juillet 2017 consid. 6.3.1; A-4025/2016 du 2 mai 2017 consid. 4.2.
18 Au 4 mars 2020.
19 https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/46216.pdf.
20 https://www.newsd.admin.ch/newsd/rnessage/attachrnents/49507.pdf.
-234-
- 235 -
du titre du document dans lequel il est consigné21. En droit international
public, la règle est l'autonomie de la qualification22 : un JS constitue un
traité notamment s'il prévoit des droits et obligations entre Etats23 . Ce
qui est primordial est de savoir si les parties entendaient conférer ou
non à leur entente un caractère juridiquement contraignant, ce qui se
déduit du contenu de l'acte considéré24.
Pour qu'il y ait conclusion d'un traité, les termes employés doivent
dénoter l'intention de s'engager juridiquement. Cette condition est
satisfaite si le texte fait état de ce que les parties ont «décidé»31 ou
· «convenu», s'il contient un rappel des obligations précédemment
conclues, les points sur lesquels un accord a été trouvé, ou encore la
détermination d'une marche à suivre pour le futur32.
Les circonstances entourant la rédaction du texte permettent égale
ment de confirmer ou d'infirmer la conclusion obtenue prima facie sur
la seule base des termes employés.
Dans une affaire plus ancienne opposant la Grèce à la Turquie,
nonobstant des formulations fortement connotées adoptées dans le
communiqué conjoint (soit les expressions «décidés» et «doivent être
résolus»), les circonstances étaient en revanche de nature à nier un
engagement juridique33 . L'historique des négociations entourant le
communiqué conjoint contredisait, en l'occurrence, la possibilité de
déduire la création d'obligations juridiques: «Replacés dans ce
contexte, les termes du communiqué ne paraissent pas, selon la Cour,
Mais où tracer la ligne de partage entre un engagement juridique
ment contraignant versus de simples déclarations politiques?2 5 L'inter
rogation est centrale; en cas d'inexécution, le premier peut engager la
responsabilité juridique internationale de l'Etat, alors que les secondes
ont uniquement une portée politique26.
Dans une affaire opposant Qatar à Bahreïn, la Cour internationale
de Justice (ci-après: «CIJ») fut appelée à déterminer si un «procès
verbal» de 1990 constituait un accord international obligeant les par
ties27. A l'appui de son analyse, la CIJ fit appel à deux critères princi
paux dans le but de déterminer si des droits et obligations avaient bien
été prévus. Ces deux critères sont (i) le texte lui-même28 et (ii) les
circonstances de sa rédaction29. De manière subsidiaire, la conduite des
Etats ultérieurement à «l'adoption» du texte pouvait être prise en
compte30.
DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3 éd., Berne 2015, p. 4, §6.
Art. 2 al. 1 lit. a CVDT (RS 0.111): «L'expression 'traité' s'entend d'un accord international
conclu par écrit entre Etat et régi par le droit international, qu'il soit consigné dans un instrument unique
ou dans deux ou plusieurs instruments connexes et quelle que soit sa dénomination particulière»
[nos italiques]. Le droit international public fait en cela écho aux droit nationaux (comp. art. 18 al. 1
CO)
23 Entre autres critères de définitions: «Le traité est l'expression de volontés concordantes, éma
nant de sujets de droit dotés de la capacité requise, en vue de produire des effets juridiques régis par le
droit international» (P.-M. DUPUY, Droit international public, 9e éd., Paris 2009, p. 28 3, §236).
24
DFAE, Guide de la pratique e11 matière de traités illfernationaux, 3' éd., Berne 2015, p. 4, §6;
p. 6, §19 et p. 7, §22.
25 P. REUTER, I11troductio11 au droit des traités, Nouvelle édition [en ligne], Genève 2014 (http://
books.openedition.org/iheid/1748) p. 29, §74/90: «un traité peut avoir d'autres effets juridiques que de
créer ou modifier une 'norme'. Ensuite si des effets juridiques d'un traité peuvent en effet dans certains
cas être très réduits, il est difficile d'imaginer qu'un traité n'implique aucun effet juridique de quelque
nature que ce soit[ ... ]».
26 DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3' éd., Berne 2015, p. 6,
§18.
27 Affaire de la délimitation maritime et des questions territoriales (Qatar c. Bahreiil), Compé
tence et recevabilité, Cour internationale de Justice, Arrêt du l". juillet 1994, Rec. CIJ 1994, p. 120, §22
et p. 126.
28 Sur l'utilité des «marqueurs linguistiques» cf. H. TH!RLWAY, The Sources of International
Law, Oxford 2014, p. 207 et J. D' ASPREMONT, Formalism and the Sources of International Law,
Oxford 201 3, 322p. (not. pp. 185-191).
29 Affaire de la délimitation maritime et des questions territoriales (Qatar c. Bahreii1), Compé
tence et recevabilité, Cour internationale de Justice, An-êt du l" juillet 1994, Rec. CIJ 1994, p. 121,
§23 .
30 Affaire de la déli111itatio11 maritime et des questions territoriales (Qatar c. Bahreïn), Compé
tence et recevabilité, Cour internationale de Justice, Arrêt du l ". juillet 1994, Rec. CIJ 1994, p. 122,
§§28-29.
21
22
e
traduire un changement de position du Gouvernement de la Turquie
[ ... ]»34 _
Subsidiairement au texte et aux circonstances, la conduite des par
ties ultérieure35 à l'adoption du document litigieux peut être utilisée à
titre probatoire afin d'établir la création d'un engagement juridique36 .
Cette conduite peut, par exemple, se manifester par des communiqués
31 Affaire du plateau continental de la Mer Egée (Grèce c. Turquie), Arrêt du 19 décembre 1978,
Rec. CU 1978, p. 40, §98.
32 Affaire de la délimitation maritime et des questions territoriales (Qatar c. Bahreiiz), Compé
tence et recevabilité, Cour internationale de Justice, Arrêt du l" juillet 1994, Rec. CIJ 1994, p. 121,
§24-25.
33 Afaire de la délimitation maritime et des questions territoriales (Qatar c. Bahreii1), Compé
f
tence et recevabilité, Cour internationale de Justice, Arrêt du J e< juillet 1994, Rec. CIJ 1994, p. 41-44,
§10 0-108.
34 Affaire du plateau continental de la Mer Egée (Grèce c. Turquie), Arrêt du 19 décembre 1978,
Rec. CIJ 1978, p. 44, §105, nos italiques.
35 A noter qu'en droit suisse des contrats, en présence d'un litige interprétatif, le comportement
subséquent des parties est pertinent du point de vue de l'interprétation dite subjective selon la volonté
des parties, mais pas dans le contexte - subsidiaire - de l'interprétation dite objective selon le principe
de confiance, BK OR-MÜLLER, art. 18 N 163 ss. Cornp. en rapport avec les circonstances postérieures à
la conclusion du contrat, du point de vue de la finalité du contrat de consommation, D. HuG, La forma
tion du contrat de consommation, thèse, Neuchâtel 2019, N 627 ss.
36 Il ne peut pas s'agir de pratique subséquente au sens de l'art. 31 al. 3 lit. b CVDT car l'enjeu
n'est pas d'interpréter un traité préexistant mais d'établir l'existence ou non d'un traité. L'art. 31 al. 3
lit. b ne peut avoir pour effet de transformer un simple texte en traité. En revanche, la pratique des par
ties peut permettre de déterminer si elles ont souscrit à des engagements juridiques. Il s'agit alors d'uti
liser la pratique comme moyen complémentaire d'i111e17;rétation (art. 32 CVDT), par exemple aux fins
d'établir si les parties ont utilisé le terme de «décidé» ou «d'obligations» comme impliquant des obliga
tions juridiques (cf. art. 3 1 al. 4 CVDT). Commission du droit international, «Projet de conclusions sur
les accords et la pratique ultérieurs dans le contexte de l'interprétation des traités et commentaires y
relatifs», Annuaire de la Commission du droit international, 2018, vol. II(2), Conclusion 9, §3, p. 74
-236conjoints ultérieurs ou par la prise de positions (concordantes ou divergentes) des Etats sur la nature du document litigieux37. La CIJ ne considère en revanche pas que le défaut d'enregistrement international d'un
traité (sur le défaut d'enregistrement des JS, comp. infra III.C.)
implique, en tant que conduite ultérieure d'un Etat, que ce dernier
considère que le texte n'est pas constitutif d'un engagementjuridique 38 .
La volonté des Etats de conclure un accord international ou de se
limiter à consigner par écrit des intentions politiques sans productions
d'effets de droit n'est pas pertinente:
«Bahrei"n fait cependant valoir que les signataires du procès-verbal
n'ont jamais eu l'intention de conclure un accord de cette nature [i.e.: un
accord de nature juridique plutôt que politique]. [ ... ] La Cour n'estime pas
nécessaire de s'interroger sur ce qu'ont pu être les intentions du ministre
des affaires étrangères de Bahreïn, comme d'ailleurs celles du ministre des
affaires étrangères de Qatar. En effet, les deux ministres ont signé un texte
consignant des engagements acceptés par leurs gouvernements, et dont
certains devaient recevoir immédiatement application.» 39
La volonté ou intention pertinente est celle de souscrire à un engagement juridique ( ou «negotium», le contenu de l'accord). C'est de cette
intention que peut être issu, par voie de conséquence, un traité international (ou «instrumentum», c'est-à-dire la forme extérieure revêtue par
le «negotium» )40 . La rencontre de volontés concordantes est nécessaire
pour la production d'effets juridiques, la résultante de cette volonté sera
la qualification de «traité» en cas de souscription d'un engagement
juridique41 .
37 Affaire du plateau continental de la Mer Egée (Grèce c. Turquie), Arrêt du 19 décembre 1978,
Rec. CIJ 1978, p. 44, §104-106.
38 Affaire de la délimitation maritime et des questions territoriales (Qatar c. Bahreii1), Compétence et recevabilité, Cour internationale de Justice, Arrêt du I" juillet 1994, Rec. CIJ 1994, p. 122,
§28-29. Cf. art. 102 de la Charte des Nations Unies (RS 0.120) et art. 80 CVDT (RS 0.111). L'art. 102
permet, en plus des traités, d'enregistrer les déclarations unilatérales et les instruments modifiants les
traités (ONU, Treaty Handbook, New-York 2012, p. 33-34, §5.5).
39 Affaire de la délimitation maritime et des questions territoriales (Qatar c. Bahreiil), Compétence et recevabilité, Cour internationale de Justice, Arrêt du 1cr juillet 1994, Rec. CIJ 1994, p. 121-122,
§§26-27, nos italiques.
40 Sur la distinction entre negotium et instrumentum: J.-P. JACQUÉ, «Acte et norme en droit international public», Recueil des Cours de l'Académie de la Haye, vol. 227, 1991-Il, p. 375. Par abus de
langage, Je terme «traité» recouvre à la fois Je contenu et Je contenant.
41 «Le traité est l'expression de volontés concordantes, émanant de sujets de droit dotés de la
capacité requise, en vue de produire des effets juridiques régis par Je droit international» [nos italiques]
(P.-M. DUPUY, Droit international public, 9" éd., Paris 2009, p. 283, §236).
-
237 -
La CIJ - en accord avec l'art. 46 CVDT - ne considère pas que la
méconnaissance des règles nationales (et en particulier constitutionnelles) sur l'adoption des traités indiquerait l'absence de volonté de
créer un engagement juridique (comp. infra IV .B )42 ; il s'agit en quelque
sorte de protéger la bonne foi et la confiance de l'Etat en la capacité
«objective» de s'engager de son partenaire 43 .
En dépit de la règle claire de l'art. 2 al. l let. a CVDT («L'expression
< traité > s'entend d'un accord international [ ... ] quelle que soit sa
dénomination particulière»), le choix du terme <~oint statement» plutôt
que «pacte», «traité», ou «convention» peut jouer un rôle dans l'interprétation du texte44 . L'intitulé de l'acte peut donc constituer - certes à
titre subsidiaire - un élément d'interprétation de l'intention, le cas
échéant de se lier, des parties 45 . Le titre choisi indique dans ce contexte
la «solennité» avec laquelle le traité est conclu, l'importance qu'il représente pour les Etats 46 . A cet égard, le JS (ou déclaration conjointe) se
place plutôt au bas de la hiérarchie. Il précède néanmoins l'avenant, le
protocole d'accord47 et l'amendement48 .
De plus, un traité n'a pas besoin d'être consigné dans un document
unique49 : «L'expression < traité > s'entend d'un accord international
[ ... ] qu'il soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou
plusieurs instruments connexes» 50 . Un considérant du Tribunal fédéral
suggère que le JS CH-US pourrait faire partie de l'accord en vue de
mettre fin au différend fiscal:
«Le 29 août 2013, le Conseil fédéral et le Dol ont trouvé un accord
visant à mettre un terme au différend fiscal entre les banques suisses et les
Etats-Unis. Trois documents servent à concrétiser cet accord: la déclara42
Affaire de la délimitation maritime et des questions territoriales (Qatar c. Bahreii1), Compétence et recevabilité, Cour internationale de Justice, An"êt du 1er juillet 1994, Rec. CIJ 1994, p. 122,
§28-29.
43 R. KoLB, «Note sur un problème particulier de "ratification imparfaite" (article 46 de la
Convention de Vienne sur le droit des traites de 1969)», RSDIE, 2011, p. 429 ss.
44 Un «joint statement» étant tout aussi contraignant qu'un «pacte» ou qu'une «convention».
45 DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3e éd., Berne 2015, p. 5, §6
SS et p. 7, §22.
46
DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3e éd., Berne 2015, Annexe
A,p. 45.
47
La Suisse a privilégié la conclusion de «protocoles d'accord» lorsqu'elle a modifié des CDI
(comme le démontre un simple survol de la liste des traités d'imposition: https://www.admin.ch/opc/fr/
classified-compilation/0.67.html#0.67).
48 DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3e éd., Berne 2015, Annexe
A,p. 45.
49 K. SCHMALENBACH, «Article 2», in: 0. DôRR / K. SCHMALENBACH (éds), Vienna Convention
on the Law ofTreaties, Berlin 2012, p. 35, §22.
50 Art. 2 al 1 lit. a CVDT (RS 0.111), nos italiques. Dans Je vocabulaire de la CVDT Je terme
"accord", qui désigne la rencontre de volontés concordantes, est plus large que le terme traité (voir les
arts 31 et 39 CVDT). M. E. VILLIGER, Commentary on the 1969 Vienna Convention on the Law of
Treaties, Leiden 2009, p. 77, §6-7.
-238tion commune (Joint Statement) du Conseil fédéral (Département fédéral
des finances) et du DoJ, le programme volontaire américain (Programfor
Swiss banks), ainsi que l'autorisation modèle du Conseil fédéral du 3 juillet
2013.» 51
Cette hypothèse est évoquée infra (section III.A). Parallèlement au
JS en tant que traité, les autres hypothèses sont qu'il pourrait amender
un traité précédent (2), constituer un accord ultérieur au sujet de l'interprétation d'un traité précédent (3), entrer en conflit avec un traité
précédent portant sur la même matière (4) ou, subsidiairement, constituer une promesse unilatérale (5).
2. Amendement d'un traité préexistant
L'art. 39 CVDT prévoit qu'«un traité peut être amendé par accord
entre les parties [ ... ]».Un amendement se greffe au traité préexistant
et le modifie 52 , le respect du parallélisme des formes n'étant pas nécessaire à l'amendement d'un traité 53 . En cas de procédure d'amendement
prévue dans le traité, celle-ci prime l'art. 39 CVDT54 .
Le Guide suisse de la pratique en matière de traités internationaux
relève que le terme «amendement» (Anderung, Emendamento, Amendment) est employé pour désigner un instrument complémentaire ou de
rang secondaire55 . L'amendement peut prendre la forme d'un échange
de lettres ou de notes 56 . Sous réserve d'une compétence du Conseil
fédéral, c'est en principe l'Assemblée fédérale qui l'approuve (art. 166
al. 2 Cst.; comp. Infra IV.B.) 57 .
Par hypothèse, l'effet du JS CH-US pourrait être celui d'amender la
Convention du 2 octobre 1996 entre la Confédération suisse et le EtatsUnis d'Amérique en vue d'éviter les doubles impositions en matière
d'impôts sur le revenu (RS 0.672.933.61; ci-après: CDI CH-US). Le§ 4
du JS CH-US 58 précise:
Arrêt du TF 4A_390/2017 du 23 novembre 2017 consid. A.d., nos italiques.
M. E. VJLLIGER, Commentary 011 the 1969 Vienna Convention 011 the Law ofTreaties, Leiden
2009, p. 511, §3.
53 M. E. VILL!GER, Commentary 011 the 1969 Vienna Convention 011 the Law ofTreaties, Leiden
2009, p. 513, §7.
54 Ni la CDI CH-USA (RS 0.672.933.61), ni la CDI CH-IN (RS 0.672.942.31) ne prévoient une
procédure d'amendement.
55 DFAE, Guide de la pratique en matière de traités intemationaux, 3' éd., Berne 2015, p. 6.
56 DFAE, Guide de la pratique en matière de traités intemationaux, 3' éd., Berne 2015, p. 43.
57 DFAE, Guide de la pratique en matière de traités intemationaux, 3" éd., Berne 2015, p. 25.
58 Le JS CH-US date du 29 août 2013, il a été conclu après la signature du Protocole de modification du 23 septembre 2009, mais avant l'entrée en vigueur de ce dernier le 20 septembre 2019. RO
2019 3145; FF 2010 217. En rapport avec l'art. 26 CDI CH-US, cf. les modifications apportées par les
arts 3 et 4 du Protocole.
51
52
-
239 -
«Switzerland intends to process treaty requests according to the
Convention between the United States of America and the Swiss Confederation for the Avoidance of Double Taxation with Respect to Taxes on
Income, signed at Washington on October 2, 1996 [ ... ] and in tends to do
so on an expedited basis, including by providing additional personnel and
the other necessary resources to process the requests.» 59
Les JS CH-IN 2014 et CH-IN 2016 se réfèrent tous deux à la CDI
CH-IN60 et à la collaboration entre les autorités des deux Etats, dans le
but de traiter rapidement et efficacement des demandes d'entraide
fiscale 61 . Ils pourraient donc a priori être considérés comme des amendements à la CDI CH-IN.
L'hypothèse des JS amendant les CDI se heurte toutefois à des
écueils: au niveau formel, tant la CDI CH-US que la CDI CH-IN ont
été amendées à de nombreuses reprises par des protocoles, des protocoles d'accord ou des accords amiables qui figurent en tant que tels
dans le recueil officiel. D'autre part, il est contestable que les JS aient
pour effet de modifier les CDI préexistantes (les JS ne créent pas de
nouvelles obligations, ils apportent plutôt des précisions sur la manière
d'exécuter des obligations préexistantes). Finalement, les JS CH-IN
2014 et JS CH-IN 2016 mentionnaient certes la CDI CH-IN, mais sans
pour autant en faire le point focal du document. Le véritable enjeu
semble bien plus être le respect d'un «standard international» en
matière d'échange de renseignements par les partenaires.
3. Accord ultérieur sur l'interprétation d'un traité préexistant
La pratique ultérieure des Etats parties à un traité est une règle générale d'interprétation (art. 31 al. 3 CVDT) 62 . La possibilité réservée aux
Etats de trouver un accord ultérieur sur l'interprétation est prévue à
l'art. 31 al. 3 let. a CVDT:
«Il sera tenu compte, en même temps que du contexte:
a) De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispositions; [ ... ]»
Par hypothèse, les CDI constitueraient les traités préexistants et les
JS seraient des accords ultérieurs relatifs à l'interprétation.
59 https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/31815.pdf. L'art. 26 CDI CH-US
prévoyant la procédure d'échange de renseignement serait spécialement concerné par l'amendement.
60 RS 0.672.942.31.
61 Cf. les §§2 des JS CH-IN 2014 et 2016 (https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/
attachments/36918. pdf; https://www.newsd.ad min. ch/newsd/message/attachments/44446. pdf).
62 DFAE, Guide de la pratique en matière de traités intemationaux, 3' éd., Berne 2015, p. 44.
r
-240-
Pour qu'un accord c01Tesponde à la définition de l'art. 31 al. 3 let. a
CVDT, il doit être postérieur à la conclusion du traité 63 et de même
rang que celui-ci64 . La limite externe d'un tel accord - souvent difficile
à établir en pratique - est qu'il doit se cantonner à l'interprétation; une
modification du traité ne peut pas résulter d'un accord ultérieur au sens
de l'art. 31 CVDT65 .
L'effet d'un tel accord mis par écrit, qui n'a pas besoin de respecter
les formalités plus lourdes propres aux traités, est de préciser la
manière d'exécuter les obligations ou d'arrêter un consensus sur le sens
des termes du traité. Dans le cas du JS CH-US, le § 4 pourrait être
considéré comme un tel accord, vu qu'il précise que la CDI CH-US sera
utilisée aux fins de la mise en œuvre du programme pour les banques
suisses 66 . De la même manière, les §§2 respectifs des JS CH-IN 2014
et 2016 se réfèrent à la CDI pertinente et à la manière et la célérité avec
laquelle les requêtes seront traitées 67 , ainsi qu'à la problématique des
données obtenues en violation du droit suisse (les «données volées» )68 .
Dans cette optique, ce seraient seulement certaines parties de ces trois
JS qui constitueraient des accords sur l'interprétation - hypothèse parfaitement envisageable vu que ce type d'accord répond à des exigences
formelles moindres qu'un traité conclu en bonne et due forme.
63 On signale le cas de l'accord oral entre la France et la Suisse relatif aux données volées (ou
«données Falciani») du 27 janvier 2010. Cet accord, intervenu avant l'entrée en vigueur d'un avenant à
une convention en matière fiscale, mais après la conclusion de cet avenant, guide l'interprétation à donner à la Convention telle que modifiée par 1' avenant. Cet accord oral correspondrait à 1' art. 31 al. 3 lit. a
CVDT. Voir: https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-31623.html
(communiqué du 12 février 2010 - La Suisse et la France ont clarifié les questions fiscales restées
ouvertes); art. 3 del' AITêté fédéral portant approbation d'un nouvel avenant à la Convention entre la
Suisse et la France contre les doubles impositions (RS 672.934.9). Au niveau de la jurisprudence fédérale, seul l'ATF 143 II 202 consid. 7 paraît évoquer cet AtTêté fédéral d'approbation.
64 0. DôRR, «Article 31», in: 0. DôRR / K. SCHMALENBACH (éds), Vienna Convention on the
Law ofTreaties, Berlin 2012, p. 553, §73. Un texte gui se subordonnerait au traité ne constituerait pas
un accord ultérieur sur l'interprétation, l'accord ultérieur au sens de l'art. 31 al. 3 Iit. a CVDT prolonge
et précise le traité qu'il interprète.
65 Sur ce sujet: G. DISTEFANO, «La pratique subséquente des États parties à un traité», Annuaire
français de droit international, vol. 40, 1994, pp. 54-70; 1. BUGA, Modification of Treaties by
Subsequent Practice, Oxfonl 2018, pp. 107-194.
66 https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/318 !5.pdf, le «Progamm for Swiss
Banks».
67 JS CH-IN 2014: «[t]he Swiss competent authority will provide the lndian side with the
requested information in a time-bound manner [ ... ]»; JS CH-IN 2016: «[t]o ensure that the requests are
dealt with guickly and efficiently [ ... ]». Cf. resp. https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/36918.pdf et https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/44446.pdf.
68 JS CH-IN 2014: «State Secretary de Watteville indicated that Switzerland would be wil/ing to
examine requests for which investigations have been carried out independently from what the Siviss
government considers as data obtained in breach of Swiss law» et JS CH-IN 2016: «Revenue Secretary
Adhia, white rea.ffirming India's position that Switzerland should share information in al/ cases in
accordance with its treaty obligations, noted the progress made in a number of India11 requests based
011 investigations c:arried out independently of the <stolen data>».
-
241 -
La voie du JS en tant qu'accord sur l'interprétation permet de pallier
certaines difficultés: n'étant pas un traité au sens de l'art. 2 al. 1 let. a
CVDT, la Suisse n'a pas besoin, pour le «conclure», de respecter les
procédures constitutionnelles et légales habituelles 69 , la publication au
RS n'est pas non plus nécessaire7°, pas plus que l'enregistrement auprès
des Nations Unies 7 1. Sur la base du Guide de la pratique en matière de
traité publié sous les auspices du Département fédéral des affaires
étrangères (ci-après: «DFAE»), il semble aussi que les JS n'aient pas
été conçus comme des traités. Entre autres indicateurs employés afin de
différencier un instrument conventionnel d'un texte non contraignant,
des termes comme «intention», «souhaiter», l'absence de clauses
finales (dispositions sur l'entrée en vigueur, la dénonciation, etc.), une
structure par paragraphes plutôt que sous forme d'articles et la signature
finale (à la place de <<fait à») seraient à interpréter comme une absence
de force contraignante du texte 72 . La qualification d'un texte comme
traité international ou non relève des règles du droit international et de
l'interprétation émise par les Etats73 : c'est à ce dernier titre que le Guide
de la pratique suisse du DFAE est pertinent74 .
4. Application de traités successifs
L'enjeu de l'art. 30 CVDT est de déterminer l'ordre de préséance
entre un traité antérieur (par ex. la CDI CH-US) et un traité successif
(par ex. le JS CH-US) portant sur la même matière75 . Les alinéas pertinents de cette disposition sont libellés ainsi:
«2. Lorsqu'un traité précise qu'il est subordonné à un traité antérieur ou
postérieur ou qu'il ne doit pas être considéré comme incompatible avec cet
autre traité, les dispositions de celui-ci l'emportent.
69
Selon le type de traité: art. 166 al. 2 Cst. (RS 101), arts 7a et 48 de la Loi sur l'organisation du
gouvernement et de l'administration (LOGA, RS 172.010). Sur la question du «déficit démocratique»
soulevée par l'art. 31 CVDT, cf. Georg Not.TE (éd.), Treaties and Subsequent Practice, Oxford 2013,
chapitres 13 à 15.
70
Art. 3 Loi sur les publications officielles (LPubl, RS 170.512). La publication n'est d'ailleurs
pas nécessaire pour certains traités internationaux: art. 2 OPubl (RS 170.512.1).
71
Cf. art. 102 Charte des Nations Unies (RS 0.120) et art. 80 CVDT (RS 0.111 ).
72
DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3e éd., Berne 2015, pp. 6-7,
§§18-22 et Annexe B, p. 46.
73
G. Am-SAAB, «'Interprétation' et 'Auto-Interprétation'» en droit international», in: G. ABISAAB, Le développement du droit international, Paris 2013, pp. 214-220.
74
Les «marqueurs» énumérés dans le Guide (pp. 6-7 et 46) n'ont pas d'effet constitutif sur la
qualification ou non de traité, mais ils peuvent être pris en compte afin de déterminer si la Suisse désirait créer des droits et obligations en vertu du JS. De même, la Suisse pourrait invoquer que selon sa
pratique, telle qu'elle est mise en évidence par le Guide de 2015, elle n'entendait pas créer d'obligations en souscrivant à un JS.
75 Comp. ATAF 2010/7 consid. 3.4 et 3.7.10.
-242-
3. Lorsque toutes les parties au traité antérieur sont également parties
au traité postérieur, sans que le traité antérieur ait pris fin ou que son application ait été suspendue en vertu de l'article 59, le traité antérieur ne
s'applique que dans la mesure où ses dispositions sont compatibles avec
celles du traité postérieur.»
Conformément à la toute-puissance du consentement, la priorité est
donnée à la solution prévue par les parties. Celles-ci peuvent choisir de
faire primer le traité antérieur ou postérieur (art. 30 al. 2 CVDT)76 . En
cas de silence des parties, l'application du traité antérieur est cantonnée
aux dispositions qui ne contredisent par le traité successif (art. 30 al. 3
CVDT).
Les règles consacrées par l'art. 30 CVDT entrent en jeu en cas
d'incompatibilité entre les deux traités. Une incompatibilité survient s'il
est impossible d'appliquer simultanément les deux traités sans violer
les dispositions d'un des traités 77 . Ce n'est bien souvent que quand le
traité doit être appliqué - et interprété - que les incompatibilités se font
jour7S_
A quelle catégorie (al. 2 ou 3 de l'art. 30 CVDT) pourraient appartenir la CDI CH-US et le JS CH-US?
L'art. 28 al.1 let. b CDI CH-US prévoit un régime en deux temps:
«La présente Convention ne limite d'aucune manière les abattements
exonérations, déductions, crédits ou autres allégements qui sont o~
seront accordés [ ... ] par un autre accord conclu entre les États
contractants» 79 . En cas de divergence, l'art. 28 al. 2 s'applique. En
substance, cet alinéa prévoit que les procédures de la CDI CH-US ont
la priorité sur celle d'un traité ultérieur. Cette solution est reprise dans
le § 4 du JS CH-US, puisque la Suisse y indique que les demandes
d'entraides seront traitées en conformité avec la procédure prévue dans
la CDI CH-US 80 . Une règle explicite de conflit qui accorde la priorité 81
à la CDI préexistante est donc prévue, conformément à l'art. 30 al. 2
CVDT.
-
Dans le cas de l'Inde, nous arrivons à la conclusion inverse: aucune
règle de conflit ne ressort clairement des textes de la CDI CH-IN et
des_ JS C~-IN._ Il en déc_o~l~ 9-~e ~•art. 30 al. 3 CVDT trouverait applicat10n. S1 une mcompat1b1hte etalt constatée entre ces instruments, les
JS CH-IN auraient la priorité.
5. Promesse ou déclaration unilatérale
On évoquera encore la promesse ou déclaration unilatérale, avant
d'exposer l'appréciation jurisprudentielle suisse quant à la nature des JS
(infra, III.A et B).
, U_ne promé;sse est u? acte juridique unilatéral par lequel un Etat
s oblige ou cree des droits en faveur d'un ou d'autres Etats 82 . Faute de
manifes~ation concordante de volonté, il ne s'agit pas d'un traitéS3_
Toutefois, comme le ~·appell~ notre Haute Cour, en référence à la jurisprudence de la Cour mternatlonale de Justice84 , une déclaration unilatérale concernant une situation de droit ou de fait peut, le cas échéant,
générer des obligations juridiques pour leur auteur en vertu du principe
de bonne foi85_
Selon la Commission du droit international des Nations Unies un
«objet clair et précis» doit être identifiée dans la déclaration unilaté~ale
afin que celle-ci engage l'Etat qui en est l'auteur 86 . Bien que lourde de
conséquence(s) 87 , la ligne de partage entre acte unilatéral et bilatéral
n'est pa~ toujours claire. Au niveau de la compétence interne suisse, la
co!1fect10n ~•actes unilatéraux doit quoi qu'il en soit respecter les
memes procedures que celles propres aux traités internationaux 8 S_
§ 23.
76
Pour un exemple de conflit de normes expressément mentionné: art. 7a de l' Accord entre la
Confédération suisse et les Etats-Unis d'Amérique concernant la demande de renseignements de l'IRS
(RS 0.672.933.612) et le message y relatif: FF 2010 2693, p. 2713, §6.3.
77 K. ÜDENDAHL, «Article 30», in: 0. ÜÔRR / K. SCHMALENBACH (éds), Vienna Convention 011
the Law ofTreaties, Berlin 2012, p. 511, § 13.
78 R. KOLB, The Law ofTreaties, Cheltenham 2017, p. 183.
79 RS 0.672.933.61.
80 Et du protocole signé le 23 septembre 2009 dès son entrée en force, survenue le 20 septembre
2019 (RS 0.672.933.611).
81 En tout cas en ce qui concerne les demandes d'entraide. Une règle de conflit peut être
partielle ou intégrale selon qu'elle concerne une partie ou l'ensemble d'un traité.
243 -
!! DFAE,
P.-M. DUPUY, Droit international pub'.ic, 9' éd, P~ris 2009, p. 367, §346.
Gwde de la plCllique en mat,ere de tralles 111ternatw11aux 3e éd
'
84
.,
Berne 2015 p 7
' . '
Affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. }"rance), Arrêt du 20 décembre 1974
Rec. CIJ 1974, p. 268 § 46.
'
85 ATF 143 II 224 consid. 6.3.
86
Commission du droit international, Pri11c111es directeurs applicables aux déclarations unilatérales des _Etms susceptibles de créer des obligations juridiques et commentaires y relatifs, Annuaire de
la Co11~;11ssw11 du droit 111:ernatw11al, 2006, vol. II(2), principe n° 7, p. 396.
. Apphcation _du reg1me du droit des traités ou du corps de règle - relativement peu développé
des_p1omesses umlaterales. Sur cette d1stmct1on: P. SAGANEK, Uni/ateral Acis of States in Public Jnternat1011al Law, Bnll 2016, p. 380 et pp. 421-426.
88
DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux 3e éd. Berne 2015 p 7 §
24.
'
'
' . '
r
-244-
A priori, le JS CH-US relève plutôt d'une logique de réciprocité et,
partant, ne peut pas être considéré comme un acte unilatéral 89. Concernant les JS CH-IN 2014 et CH-IN 2016, la situation est similaire: les
deux Etats réitèrent des obligations préexistantes et indiquent la
manière dont ils vont coopérer, avec certes un accent sur la célérité dont
les autorités fiscales suisses doivent faire preuve dans le traitement des
demandes indiennes. La qualification de promesse semble donc
compromise.
Cela étant, on note tout de même que, dans le JS CH-IN 2014, le
Secrétaire d'Etat M. DE WATTEVILLE indiquait que «[ ... ] Switzerland
would be willing to examine requests for which investigations have
been carried out independently from what the Swiss government
considers as data obtained in breach of Swiss law» 90 . Dans le JS CHIN 2016, son homologue indien, M. Das, indiquait «On the issue of
requests based on what Switzerland considers as data obtained in
breach of Swiss law, Revenue Secretary Adhia, while reaffirming
India's position that Switzerland should share information in all cases
in accordance with its treaty obligations, noted the progress made in a
number of Indian requests based on investigations carried out independently of the < stolen data >» 91 . De même, quelques lignes plus
haut, le JS CH-IN 2014 retient que«[ ... ] bath sides acknowledged the
progress achieved in the bilateral cooperation between the two
countries while noting there were still ongoing discussions on certain
issues».
Au vu de ces éléments, il paraît donc difficile d'affirmer avec une
certitude totale, en tout cas pour le JS CH-IN 2014, qu'il y aurait également une logique de réciprocité en tous points - ou à tout le moins une
entente absolue - sur la question de l'admissibilité des demandes
d'assistance administrative indiennes adressées à la Suisse formulées
sur la base d'informations n'étant pas indépendantes de données volées.
Sur ces questions, la réciprocité pourrait donc uniquement porter sur le
fait que «As a matter of principle, the Revenue Secretary and State
Secretary decided that the competent authorities of the two countries
should continue their regular consultations to came up with effective
and pragmatic solutions agreeable to bath sides in accordance with
Tant les Etats-Unis que la Suisse énumèrent le comportement auquel ils souscrivent ou qu'ils
vont continuer d'adopter. Le «[r]appel d'obligations passées[ ... ]» suffit à constituer un traité (Affaire
de la délimitation maritime et des questions territoriales (Qatar c. Bahreii1), Compétence et recevabilité, Cour internationale de Justice, Arrêt du l" juillet 1994, Rec. CU 1994, p. 121, 25). Camp. arrêt du
TF 2C_l042/2016 du 12 juin 2018 consid. 5.4.3 qui évoque la question d'un engagement unilatéral
juridiquement contraignant en rapport avec l'examen du JS CH-US.
90 https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/36918.pdf, p. 1, nos italiques.
91 https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/44446.pdf, p. 1.
89
-
245 -
their_legal order_and international obligations» 92 , soit l'application de
solutions «effectives et pragmatiques» à chaque cas d'espèce.
6. Conclusion intermédiaire
Après ce tour d'horizon, une première conclusion affleure: les JS
résistent à une classification simple et définitive. Selon les cas, ils
peuvent appartenir à plusieurs catégories juridiques (traités, amendements, accord interprétatif ultérieur). Les JS ont néanmoins en commun de désigner un document qui retranscrit une entente bilatérale - en
~rincipe générale, mais potentiellement également seulement part1elle93 (camp. cep. supra II.B.5, nos réflexions en rapport avec le JS
C~-IN 2014) - sur un sujet spécifique, à une date précise, entre la
Smsse et un autre Etat (à l'instar d'un procès-verbal ou d'un compterendu).
Au moment de la signature de ces JS, la qualification juridique de
ce document ne semble quoi qu'il en soit pas être la préoccupation fondamentale des protagonistes. Le but recherché est plutôt celui de garder
une_ trace écrite officielle d'une réunion. Il est dès lors parfaitement
env1sagea~le qu'un ~S ~e_fasse que consigner des obligations politiques
sans consequences Jund1ques 94 . Toutefois, quand un JS transcrit une
décision ou un engagement juridique, la qualification de traité, ou à tout
le i_noi?s d'amendement ou d'accord interprétatif ultérieur s'impose, et
ce mdependamment de la volonté des Etats de créer ou non un traité ou
un autre acte juridique95.
III. Casuistique des autorités judiciaires suisses
Aussi longtemps qu'un JS n'est pas porté à l'attention des tribunaux
il demeure «sous le radar» et n'attire pas l'attention 96 . C'est tout naturel~
lement que - dans le cadre limité de cette contribution - on se focalise
sur les JS qui ont été au moins évoqués dans des décisions judiciaires
fédérales (arrêts du Tribunal administratif fédéral, arrêts publiés ou non
92
https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/369 l 8pdf p 1
. 93 Camp. TF 2C_l042/2016 du 12 juin 2018 consid. 5.5 où le TF ex;o~e ~ne compréhension
dm'.rgente d'u,n JS, :e} qu'anal,Ysé par l'autorité précédente, ~vant de considérer que Je comportement
del EtgJ 1eq_ueiantn etait, en l occurrence et gum qu 1] en SO!t, pas contraire à la bonne foi.
.
Yone, pai ex., le JS du 14 octobre 2014 conclu avec les Etats Membres de l'UE sur des questlons fiscales (https://www.news.admm.ch/NSBSubscnber/message/attachments/36882.pdf, p. 1):
1
«Tlus,Statement expresses shared pr111c1ples and the shared political intention to salve these issues».
Vo!J' eg. le JS du 25 avnl 2011 (https://www.sinoptic.ch/textes/accords/2011/20110425 Joint.Statement.SSSTC-en.pdf)
conclu avec la Chine concernant la coopération scientifique.
95
La volonté pertinente est celle de contracter une obligation juridique, et non celle de créer un
. ,
traite. Affc!''.r!,de la délimitatlon maritime ~t des questions territoriales (Qatar c. Bahreiii), Compétence
et 1ecetib1hte, Cour '?t_e,rnat1onale de _Justice, Arrêt du l"ïuillet 1994, Rer. CIJ /994, p. 122, §27.
Les JS 1dent1fies dans cet article ne sont pas publiés au RS.
247 -
-246-
du Tribunal fédéral). Avant de présenter le raisonnement des cours
fédérales suisses, il sied de préciser que des considérations doctrinales
approfondies et de portée générale sur le JS en tant qu'instrument juridique n'ont pas été trouvées. Chaque décision se concentre sur un JS
spécifique et limite ses considérations à l'instrument envisagé. D'une
certaine manière, cela confirme la nature juridique évanescente et, partant, difficile à appréhender d'une manière générale, définitive et
péremptoire d'un JS.
Après une présentation casuistique en rapport avec le JS CH-US
(A), nous nous intéresserons aux JS CH-IN 2014 et 2016 (B).
A. Joint Statement de 2013 conclu avec les Etats-Unis
97
L'arrêt du TF 2C_l042/2016 du 12 juin 2018 98 relatif au JS CH-US
est sans doute le plus riche en enseignements. Il aborde aussi bien l~s
aspects de droit international public que le contenu du JS CH-US lmmême99.
Au considérant 5 .4. 1, le TF rejette la qualification de « Verstiindigungsvereinbarung » 100 («accord amiable») 101 . Le JS CH-US est: (i) _un
102
traité, (ii) dont l'existence est indépendante de la CDI CH-US_ , b1e!1
que le TF note que, fondamentalement, la CDI CH-US pourrait constituer le fondement pour un tel accord amiable 103 , en cas de rapport
(Bezug) avec la CDI CH-US. Il ne s'agit donc pas d'un amendement de
la CDI préexistante ou d'un accord relatif à son interprétation. Dans _la
suite de la décision, la nature de «traité» au regard de la CVDT est confir97 Dans le contexte limité de cette contribution, l'historique et l'analyse du JS CH-US ne seront
pas présentés. On renvoie le lecteur à: G. MoLO / D. GIOVANOLI, «Das US-Programm aus Schweiz~r
Sicht», Jusletter 16 décembre 2013, 15p; G. MOLO, «Il 'Joint Statement' per porre fine alla controversia
fiscale tra le banche svizzere e gli USA», Novitàfiscali, NF 11/2013; P. R. ALTENBURGER, Der mternationale Informationsaustausch in Steuersachen, Zürich 2015, p. 24-27; X. OBERSON, Intematlonal
exciwnge of information in tax matters, 2e éd., Edward El_gar 2018, p. 217-221.
98 Deux décisions jumelles reprennent le même raisonnement (2C_l043/2016 et 2C_I044/2016
du 8août 2018).
.
99 Sur l'historique et le fonctionnement du JS CH-US: X. OBERSON, Internatzonal exchange _of
information in fax matters, 2e éd., Edward Elgar 2018, p. 217-221; P. R. ALTENBURGER, Der 111ternat10nale Informationsaustausch in Steuersache11, Zürich 2015, p. 24-27.
.
.
100 On relève que, sauf erreur de notre part, tant dans ses versions allemande et française, le
Guide du DFAE ne contient aucune référence expresse au terme «Verstèindigungsverei11barung» ou
«accord amiable».
101 Pour le contexte: CF, Message relatif à l'approbation de l'accord entre la Suisse et les EtatsUnis d'Amérique co11cema11t la demande de renseignements relative à UBS SA, et du protocole mocil. ,
,
. "
fiant cet accord, FF 2010 2693, pp. 2708-2713.
102 Le JS CH-US est d'ailleurs comparé au Protocole CH-US signe le 19 aout 2009 et applique a
titre provisoire dès le 31 mars 2010 (pour l' Arrêté fédéral d'approbation [comp. supra ndbp n° ~O),
RS 0.672.933.612), Le préambule et le contenu de ce traité signé le 19 août 2009 font amplement reference à la CDI CH-US et à son art. 26 en particulier.
103 Comp. ATAF 2010/7 consid. 3.7.
mée 104 (consid. 5.4.2), de même que sa validité (consid. 5.4.3-5.4.4;
l'approbation formelle de l'assemblée fédérale n'était pas nécessaire).
. Les considérants 5.5.1 à 5.5.4 examinent les engagements de la
Suisse et des Etats-Unis. Les Etats-Unis doivent respecter la voie de
l'art. 26 de la CDI CH-US afin de présenter les demandes d'assistances
administratives. La Suisse assure de son côté que le cadre législatif
interne permet une participation effective des établissements bancaires
au programme mis en place par les Etats-Unis.
A la lecture des considérants 5.5 et d'autres décisions, il apparaît que
le JS CH-US ne fonctionne pas en isolation. Il fait partie d'un tout, aux
côtés de deux autres documents: le «Program for non-prosecution
agreements or non-target letters for Swiss banks» et l'autorisation
modèle au sens de l'art. 271 CP mise en place par le Conseil fédéral le
3 juillet 2013 105 . Le traité international mettant fin au différend fiscal
entre la Suisse et les Etats-Unis regrouperait alors les trois documents
(JS CH-US, autorisation modèle et le Program) 106 •
Dans un article de 2013, Giovanni MOLO s'était prononcé contre
la nature conventionnelle du JS CH-US 107 car le Département fédéral
des finances (signataire du JS CH-US) ne disposait pas de la capacité
d'engager la Suisse et que la déclaration ne possédait qu'une nature
politique (de plus, MOLO met en avant l'absence de ratification 108 afin
de contester l'aspect formel du JS CH-US) 109 . Sans être expressément
104 On note en passant que les Etats-Unis ne sont pas parties à la CVDT. Les règles coutumières
en la matière sont donc en principe les seules à pouvoir s'appliquer lorsque cet Etat conclut des traités
(cf. supra nbdp 11°2 et comp. arrêt du TAF A-4695/2015 du 2 mars 2016 consid. 4.3.2.1 qui admet que,
dans la mesure où la CVDT codifie du droit coutumier, elle s'applique également aux Etats ne l'ayant
pas ratifiée).
ros Notamment l'arrêt du TF 4A_390/2017 du 29 novembre 2017 consid A.d. «Le 29 août 2013,
le Conseil fédéral et le DoJ ont trouvé un accord visant à mettre un terme au différend fiscal entre les
banques suisses et les Etats-Unis. Trois documents servent à concrétiser cet accord: la déclaration commune (Joint Statement) du Conseil fédéral (Département fédéral des finances) et du DoJ, le programme
volontaire américain (Programfor Swiss banks), ainsi que l'autorisation modèle du Conseil fédéral du
3juillet 2013». Nos italiques.
106 Le JS CH-US constituerait la clef de voûte de l'accord et servirait à chapeauter l'autorisation
modèle et le Programfor Swiss Banks. Certaines décisions laissent également entrevoir une autre possibilité: le JS CH-US ne se limite pas à son propre texte, mais engloberait aussi le Program for Swiss
banks, qui ferait alors partie intégrante du JS, comme une annexe (Arrêt du TF 2C_640/2016 du
18 décembre 2017 consid. A.a qui ne mentionne que le Program for Swiss banks). Ces interrogations anodines en apparence - quant à savoir quels documents sont englobés dans «l'accord visant à mettre
un terme au différend fiscal» peuvent se révéler cruciales en cas de différend. Si «l'accord» est annulé,
éteint, ou dénoncé, les trois documents seraient-ils concernés, ou seulement le JS CH-US? Le §6 du
JS CH-US prévoit le recours à des «consultations» en cas de différend.
107 Al'exception del' ATAF A-4695/2015 du 2 mars 2016 consid. 6.7.2.2 (qui esquivait habilement la question de la nature de traité ou non du JS), l'article a été boudé par la jurisprudence. Pour la
version allemande de cet article, cf.: G. MOLO / D. G!OVANOLI, «Das US-Programm aus Schweizer
Sicht», Jusletter 16 décembre 2013, 15p.
108 Comp. mTêt du TF 2C_l042/20!6 du 12juin 2018 consid. 5.4.4.
109 G. MOLO, «Il 'Joint Statement' per porre fine alla controversia fiscale tra le banche svizzere e
gli USA», Novitàfiscali, NF 11/2013, p. 21, pp. 23-24.
r
1
-248-
cités, les arguments de MOLO semblent être renversés par le TF dans
l'arrêt 2C_1042/2016 du 12 juin 2018.
1. Autorité d'adoption
Face à un JS, se pose en premier lieu la question de la capacité à
engager la Suisse, ou, en d'autres termes, des organes internes qui
peuvent conclure des traités au nom de la Suisse. Le JS CH-US a été
signé par Manuel SAGER, ambassadeur plénipotentiaire de la Suisse
aux Etats-Unis. Selon l'art. 7 al. 2 let. b de la CVDT 110 , le chef de
mission diplomatique ne peut qu'adopter le texte du traité, et non exprimer le consentement à être lié 111 .
La conséquence de cette absence de pouvoir se trouve à l'art. 8
CVDT, soit l'«absence d'effet juridique [de l'acte accompli sans autorisation], à moins qu'il ne soit confirmé ultérieurement par cet Etat». La
forme de cette confirmation est libre, la mise en œuvre du traité par
l'Etat vaut confirmation 112 . L'illégalité initiale de la signature par un
représentant non autorisé a donc été assainie par l'attitude générale de
la Suisse 113 .
2. Présence ou absence d'un processus d'adoption interne
Le choix de ne pas soumettre le JS à la ratification (par ex. de
l'Assemblée fédérale) n'est pas pertinent au regard du droit international public; les traités conclus en forme simplifiée ne sont pas soumis à
une telle condition et lient tout de même la Suisse 114 . La simple signature suffit à exprimer le consentement définitif à être lié par un traité.
110 «[E]n vertu de Jeurs fonctions et sans avoir à produire de pleins pouvoirs, sont considérés
comme représentant leur Etat: [ ... ] b) les chefs de mission diplomatique, pour l'adoption d'un texte
d'un traité entre l'Etat accréditant et l'Etat accréditaire».
Ill F. HOFFMEISTER, «Article 7», in: o. DôRR / K. SCHMALENBACH (éds), Vienna Colll'ention 011
the Law ofTreaties, Berlin 2012, p. 128, §26.
!12 F. HOFFMEISTER, «Article 8», in: 0. DôRR / K. SCHMALENBACH (éds), Vienna Convention on
the Law ofTreaties, Berlin 2012, p. 134-135, § 17.
IIJ Camp. arrêt 2C_1042/2016 du 12juin 2018 consid. 5.4.3. Voir également R. KOLB, «Note sur
un problème particulier de "ratification imparfaite" (article 46 de la Convention de Vienne sur le droit
des traites de 1969)», RSDIE, 2011, p. 49.
114 Arrêt 2C_1042/2016 du 12juin 2018 consid. 5.4.4. Voir ég. les art. 11 et 12 CVDT.
249 -
3. Création d'un engagement juridiquement contraignant
Le dernier argument avancé par Molo et refuté par le TF est
l'absence de nature juridique du JS CH-US 115 . Néanmoins, ce dernier
constitue bel et bien un traité international vu que la Suisse s'y est engagée à adopter un comportement spécifique et que les Etats-Unis ont
également mis en œuvre le «Programfor Swiss Banks» 116 • Le§ 4 du
JS CH-US prévoit, en particulier, que la Suisse traitera les demandes
selon la CDI CH-US et selon le protocole du 23 septembre 2009 117 dès
l'entrée en force de ce dernier. Cette référence au protocole n'est pas
anodine: une des modifications introduites est que «l'échange de renseignements ne sera plus subordonné à l'existence d'un délitfiscal» 11 8.
Ce protocole est entré en vigueur le 20 septembre 2019 et modifie la
lettre de l'art. 26 de la CDI CH-US relatif à l'échange de renseignements. Dans sa nouvelle teneur, l'art. 26 permet donc de déposer
des demandes d'entraide même en l'absence de fraude fiscale 119 . Le JS
CH-US semble donc avoir acquis une plus large portée depuis l'entrée
en vigueur du protocole.
Dans le § 4 également, le JS CH-US précise que «Switzerland
intends ta process treaty requests [... ]on an expedited basis, including
by providing additional personnel and the other necessary resources ta
process the requests». La Suisse s'est exécutée en engageant de nouveaux collaborateurs au sein de la division d'échange d'informations en
matière fiscale (SEI - Division Service d'échange d'informations en
matière fiscale) 120 . Preuve supplémentaire du caractère juridique du JS
CH-US, au 28 janvier 2020, plus de 80 établissements ont bénéficié du
«Program for Swiss Banks» 121 .
115 G. MOLO, «Il 'Joint Statement' per porre fine alla controversia fiscale tra le banche svizzere
egli USA», Novità fiscali, NF 11/2013, p. 21, p. 24. Comp. mTêt 2C_l042/2016 du 12 juin 2018
consid. 5.4.2.
116 An'êt 2C_l042/2016 du 12juin 2018 consid. 5.4.2 et 5.4.3.
117 RS 0.672.933.611.
118 Message concernant l'approbation d'un protocole à la Convention contre les doubles impositions entre la Suisse et les Etats-Unis d'Amérique, 27.11.2009, FF 2010 217, p. 222. La Suisse s'aligne
sur la Convention Type de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en
matière de double imposition.
119 La distinction entre soustraction d'impôt et fraude fiscale est abolie, FF 2010 217, p. 222.
120 Dans son rapport d'activité de 2015 déjà, l'administration fédérale des contributions (ci-après:
«AFC») signale que les Etats-Unis et l'Inde se classent au quatrième et cinquième rang des Etats déposant le plus de demande et que «Pour pouvoir faire face à l'augmentation de la cha,ge de travail et
pour réduire le temps de réaction aux demandes d'assistance, l'AFC a créé, en 2015, 30 postes supplémentaires dans le domaine de l'assistance administrative internationale. Elle en créera encore 17 en
2016. Ces 47 postes sont p,vvisoirement limités jusqu 'àfi11 2017». AFC, Rapport d'activité 2015, p. 11
(accessible à l'adresse https://www.estv.admin.ch/estv/fr/home/die-estv/fachinformationen/taetigkeitsbericht.html). Par la suite le nombre de demandes d'entraides a explosé, passant de 2'623 en 2015, à
66'553 en 2016, avant de redescendre à 18'164 en 2017 (AFC, Rapport d'activité 2018, p. 11).
121 La liste complète est disponible sur le site du Department of Justice (DoJ): https://
www.justice.gov/tax/swiss-bank-program.
-250-
4. Enseignements du cas américain
Quelles leçons peut-on tirer de la décision 2C_l042/2O16 pour les
autres JS conclus par la Suisse? A travers quels cribles examiner ces
différents accords? Les JS CH-IN 2014 et 2016 ont été signés pour la
Suisse par Jacques DE WATTEVILLE, Secrétaire d'Etat pour les questions financières internationales (SFI). A moins qu'il «ressort [e] de la
pratique des Etats intéressés ou d'autres circonstances [que les Etats
intéressés] avaient l'intention de considérer cette personne comme
représentant l'Etat», la présentation de pleins pouvoirs est nécessaire
pour engager la Suisse (art. 7 al. 1 let. a et b CVDT). Aucune information infirmant ou confirmant la présence de pleins pouvoirs n'est
disponible 122 . Comme pour le JS CH-US, la conjugaison des arts 8 et
46 CVDT peut indiquer que le traité est valable, malgré l'absence de
capacité du signataire. Les deux autres JS conclus par la Suisse avec
l'Inde ont été signés par un chargé d'affaire 123 ou par la Présidente de la
Confédération 124 . De même, un JS conclu avec la Chine avait été signé
par un Conseiller fédéral, quant à un JS conclu avec l'UE, il avait été
signé par le Conseil Fédéral 125 . En cas de signature par le Conseil Fédéral ou un de ses membres, le traité est valablement conclu (les membres
du Conseil Fédéral sont considérés comme des chefs de gouvernement)l26_
Deuxième point, l'expression du consentement définitif à être lié par
le JS. La simple signature (ou forme simplifiée) est le mode prioritairement utilisé pour exprimer le consentement127 . Un JS poun-ait même
être conclu sans signature, par exemple à travers l'échange de documents qui le constituent 128 . Le droit international public laisse une
grande liberté aux parties 129 , des traités peuvent être conclus par oral
ou tacitement 130 .
Anotre connaissance, la question n'est pas abordée dans les décisions relatives aux JS CH-IN
2014 et 2016.
123
Le JS 2016 récite: «Gilles Roduit, Chargé d'affaires a.i. [ad i11terim] of Switzerland».
124 Respectivement, JS du 22.11.2016 et du 1.09.2017 cités en introduction (nbdp n°19 et 20)
Voir aussi art. 28 LOGA (RS 172.0 IO).
125 Respectivement, JS du 25.4.2011 et du 14.10.2014 cités en introduction (nbdp n°1 l).
126 DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3e éd., Berne 2015,
pp. 29-30.
127 Al'exception du JS du 1.09.2017 qui n'est pas signé (ce document ne semble pas comporter
d'engagements juridiques).
128 Cf. art. 13 CVDT.
129 Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), Exceptions préliminaires, Cour
internationale de Justice, Arrêt du 26 mai 1961, Rec. CIJ 1961, p. 31.
130 Une promesse ou déclaration unilatérale peut également être faite par oral: cf. la promesse
française relative aux «données Falciani» (https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/
communiques.msg-id-31623.html; arrêt du TF 2C_l000/2015 du 17 mars 2017 consid. 6.5).
122
-
251
Troisième et dernier point, le plus problématique: la vérification ou
la détermi~ation de~ dr?its et obligations juridiques créées par un JS 131 _
Dans les lignes qm suivent, on se limitera à l'examen des JS CH-IN
2014 et 2016 car ils ont fait l'objet de décisions fédérales.
B. Joint Statements de 2014 et 2016 conclus avec l'Inde
L'i?v?cation des JS CH-IN 2014 et 2016 dans la jurisprudence fédérale d1ffere grandement du traitement réservé au JS CH-US; elle procède de ce que l'on pourrait qualifier de logique ou raisonnement à
rebours. En raison des spécificités du droit fiscal suisse (et- sans entrer
dans de p_lus am~les co~s~dérations-:- de la manière dont le principe de
bonne fo1 y est mterprete) 132, les tribunaux ont considéré que les JS
CH-IN 2014 et 2016 ne contenaient pas d'engagementjuridique133_ La
nature globale des JS n'était cependant pas examinée, il suffisait, en
substance, de constater que l'Inde ne s'était pas restreinte quant à la provenance (en clair: l'obtention illicite) des données qu'elle souhaitait
employer afin de déposer des demandes d'entraides fiscales auprès de
134
la Suisse . Il importait donc aux autorités suisses que les JS CH-IN
2014 et 2016 ne soient pas constitutifs d'un engagement international à
ne pas utiliser de données volées 135_
En_ dehors de ces cas américains et indiens, nous n'avons pas
connaissance d'un examen de la nature juridique des JS dans la jurisprudence fédérale. Quoi qu'il en soit, la nature d'un JS - en tant que
Cf. décision TAFA-525/2017 du 29 janvier 2018 consid. 3.1.1 et ss.
On vise !'_interprétation donnée à l'art. 7 lit. c LAAF (RS 651.1) et aux dispositions relatives à
1echange de renseignements des CDL A savoir qu'en l'absence d'un engagement exprès, ]'Etat requérant peut en pnnc1pe fonder sa demande d'assistance administrative sur des données obtenues en violation du dro;t smsse (voir, entœautres, arrêt du TF 2C_88/2018 du 7 décembre 2018 consid. 5.2-5.4, en
part.: «Il decoule de ~et arrê! /1.e ATF 143 II 224] que, si l'Etat requérant a formé l'engagement de ne
131
, ,
132
pas 1mhser des donnees volees et qu',l dépose une demande d'assistance en lien de causalité avec lesdites c/0111'.ées,_ il est réputé ag!r de mauvaise foi» [consid. 5.4]). Pour un exemple d'engagement exprès
excluant 1ut1hsat1on de donnees v?lées (par ex. les «données Falciani»), cf. https://www.admin.ch/gov/
fr/accue11/documentat1on/commumques.msg-id-31623.html; cf. not. arrêt du TF 2C 1000/2015 du
17 1~ars ~~17_c?nsid. 6.5. Pour une exigence similaire de la Suisse vis-à-vis des Etats-Unis, cf. l'art. 3
ge 1Arr~te leder~l- portant approbation du protocole modifiant la Convention entre la Suisse et les
Etats-U_ms d' ~menque contre les doubles impositions (RS 672.933.62). Comp. L. PAPADOPOULOS,
''.[)onnees volees»_ et assistance admm1strat1ve internationale en matière fiscale: un rempart contre
1echange
de renseignements, m: ASA 86 (2017/2018), p. 709 ss.
133
AJTêt du TF 2C_648/2017 du 17 juillet 2018 consid. 3.1; arrêt du TAF A-3482/2018 du 5 août
2019 consid.
9.5 (décision attaquée devant le TF).
134
Arrêt du TAF A-4025/2016 du 2 mai 2017 consid. 4.2.
135
,
Par ex. arrêt du TAF A-3482/2018 du 5 août 2019 consid. 9.5. Sur la question des données
volees _au ~-e?ard de la pratique suisse: X. ÜBERSON, Intemational Exchange of Information in Tax
Matte,s, 2 ed., Cheltenham 2018, p. 38-39. On note que confrontée à des données obtenues illicitement, la Bel_g1que a ref~sé d'accorder l'entraide administrative (ibid., p. 39). Sur les données volées et
les d1fficultes que soulevent leur ut1hsat1on: A. LAUMONIER, La coopération entre Etats dans la lutte
contre lafraudefiscale et l'évasionfiscales internationales, Paris 2019, p. 242-243.
-252-
traité international ou simple engagement politique - s'examine au cas
par cas, ce qui semble, à nouveau, confirmer la nature floue de l'instrument.
C. Le défaut d'enregistrement international des Joint Statements
Une dernière ligne argumentative mérite d'être mentionnée: l'enregistrement et la publication du traité par les Nations Unies ou dans les
recueils officiels nationaux des parties contractantes.
Au niveau international, le secrétariat des Nations Unies est le
dépositaire des traités internationaux. En vertu de l'art. 102 de la Charte
(RS 0.120), «Tout traité ou accord international conclu par un
Membre des Nations Unies [sera] enregistré au Secrétariat et publié
par lui». Les JS mentionnés dans cette contribution n'ont, à notre
connaissance, pas été enregistrés auprès des Nations Unies 136 . En soi,
l'enregistrement n'est pas une condition à la constitution d'un traité
international 137 , mais l'absence d'enregistrement reste néanmoins une
indication utile quant au fait que les parties considèrent les JS comme
des traités de moindre importance 138 .
La situation est identique du point de vue des recueils officiels des
traités internationaux des parties contractantes. Le JS CH-US n'appa39
raît ainsi pas dans le répertoire des traités conclus par les Etats-Unis 1 .
Les JS CH-IN 2014 et 2016 n'apparaissent pas non plus dans le répertoire des traités conclus par l'Inde 140 . Quant aux recueils officiel ou
systématique suisses, ils ne contiennent pas plus trace des JS conclus
par la Suisse 141 (comp. infra IV.B).
IV. Analyse
A. «Confirmation» d'un acte accompli sans autorisation (8 CVDT)?
-
253 -
s'e~t n?tam~e~t ~anifestée par l'attitude des autorités judiciaires et
execut_1ves v1s-a-v1s du JS CH-US. En considérant le JS CH-US comme
c?ntrai?nant et e~ mettant e~ œ~vre un examen rapide des demandes
d entraides, la Suisse a confmne que l'absence d'autorisation initiale
n'entachait pas la validité de l'accord.
B. En fonction du processus d'adoption interne d'un traité
et de sa publication
. Les affaires étrangères relèvent de la compétence de la Confédération (art. 54 al. 1 Cst.). Le Conseil fédéral est chargé des affaires étrangères, sous réserve des droits de participation de l'Assemblée fédérale
(ar~. 184 al. 1 Cst.); il signe et ratifie les traités, et les soumet à l'approbation de l'Assemblée fédérale (art. 184 al. 2 Cst.). L'Assemblée fédérale approuve ainsi les traités internationaux, sauf ceux dont la
conclusion relève de la seule compétence du Conseil fédéral (art. 166
al. 2 Cst.; cf. art. 24 al. 2 de la loi fédérale du 13 décembre 2002 sur
l'Assemblé~ ~~déraie [RS 171.1 O; Loi sur le Parlement, LParl]).
Plus spec1fiquement, la conclusion, la modification ou la dénonciation de ~ra~té~ internationaux par le Conseil fédéral est régie par l'art. 7a
de la 1~1 fe~e~·ale ~u 21 mars 1997 sur l'organisation du gouvernement
et de 1admm1strat10n (RS 172.010; LOGA). Le Conseil fédéral peut
conclu:e seul des traités de portée mineure (art. 7a al. 2 LOGA). N'est
en partic~l_ier ?as co?sidér~ comme étant d'une telle portée, un traité ou
une modification qm entrame une dépense unique de plus de 5 millions
de francs, ou des dépenses périodiques de plus de 2 millions de francs
par an (art. 7 al. 4 let. c LOGA). Le Conseil fédéral peut en outre déléguer à un département la compétence de conclure, de modifier ou de
dénoncer un traité international 142 . En ce qui concerne les traités internationaux de portée mineure et les modifications et dénonciations de
portée mineure, il peut également déléguer cette compétence à un groupement ou à un office (art. 48a al. 1 LOGA).
On l'a mentionné, la mise en œuvre d'un traité vaut confirmation des
actes accomplis sans autorisation (supra III.A.1, en rapport avec l'autorité d'adoption du JS CH-US). Au niveau suisse, une telle confirmation
136 Cf. https://treaties.un.org/Pages/Home.aspx?clang=_fr, onglets «enregistrement et publication», puis «Recueil des Traités des Nations Unies en ligne».
137 Affaire de la dé/imitation maritime et des questions territoriales (Qatar c. Bahreïn), Compétence et recevabilité, Cour internationale de Justice, An-êt du 1«· juillet 1994, Rec. C/J 1994, p. 122,
§28-29.
138 Voire comme ne constituant pas des traités mais de simples engagements politiques.
139 https://www.state.gov/tias/.
140 https://www.mea.gov.in/treaty.htm.
141 https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilaLion/0.67.html.
. 142 Cf. Jurisprudence dc,s autorités administratives de la Confédération, JAAC 70.69 (2006 IV), à
la lit. C (http://www.vpb.admm.ch/franz/doc/70/70.69.html).
-
-254-
Lorsque la Confédération «prend des engagements concrets qui
l'obligent juridiquement», on est en présence d'un traité, en raison de la
responsabilité endossée au plan international (comp. art. 6 CVDT) 143 .
En revanche, l'absence d'obligation juridique exprimée signifie que le
texte n'est pas contraignant; le Conseil fédéral dispose alors de la
compétence de conclure un tel instrument (art. 184 al. 1 Cst.) 144.
La publication des traités et décisions de droit international dans le
RO est quant à elle régie par l'art. 3 de la loi fédérale sur les recueils du
droit fédéral et la Feuille fédérale (RS 170.512; Loi sur les publications
officielles, LPubl). La lettre de la loi ajoute un élément important, soit
que cette publication intervient pour autant que ces instruments lient la
Suisse (art. 3 al. 1 LPubl). Un traité de portée mineure (comp. art. 2 de
l'ordonnance du 17 novembre 2004 sur les publications officielles
[RS 170.512.1; OPubl]) ou dont la durée de validité ne dépasse pas six
mois n'est en principe pas publié dans le RO (art. 3 al. 2 et 3 LPubl),
étant précisé qu'un traité non publié doit tout de même rester accessible
au public 145 . Ne sont pas considérés comme des traités mineurs aux
termes de l'art. 2 OPubl les traités qui «concernent les droits et les obligations de particuliers» et ceux dont la «publication se révèle nécessaire pour des raisons de sécurité du droit ou de transparence». Quant
au RS, il contient les décisions et traités publiés au R0 146 .
Mais qu'en est-il en l'absence de publication d'un instrument qui
aurait dû l'être?
D'emblée, relevons que, du point de vue international, l'absence de
publication n'a aucun effet sur sa validité 147 . Si les obligations juridiques des textes naissent certes dès leur publication (art. 8 al. 1 LPubl),
l4J
§105.
DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3e éd., Berne 2015, p. 25,
144 DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3' éd., Berne 2015, p. 25,
§ l 06 qui précise qu' «un tel instrument ne peut être conclu par un département de sa propre compétence
que s'il revêt une importance très limitée sous l'angle de la conduite de la politique étrangère de la
Suisse. Il ne peut l'être par un office ou groupement que si celui-ci dispose d'une délégation de compétence pour conclure également des traités en ce domaine». Pour des ex.: art. 2 al. 3bis de la Loi fédérale
sur le statut et les tâches de l'Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle (RS 172.010.31); art. 4a de
!'Ordonnance sur l'exécution du renvoi et de l'expulsion d'étrangers (RS 142.281); art. 8 de la Loi
fédérale sur des mesures de promotion civile de la paix et de renforcement des droits de l'homme
(RS 193.9); art. 150 de la Loi fédérale sur l'armée et l'administration militaire (RS 510.10).
145 DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3' éd., Berne 2015, p. 37,
§16!. Conformément à l'art. 48a al. 2 LOGA, les traités publiés et non publiés figurent dans le «rapport
sur les traités internationaux» qui est établi chaque année par le CF. Pour un exemple de traité d'importance mineure qui ne fait pas l'objet d'une publication: «Rapport sur les traités internationaux conclus
en 2013», FF 2013 4149, p. 4263: Accord concernant l'amélioration de la gestion des pâturages en
Mongolie.
146 DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3e éd., Berne 2015, p. 38,
§165.
147 DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3' éd., Berne 2015, p. 37 s.,
§163.
255 -
cela ne vaut toutefois, a priori, que pour les organes étatiques. Un traité
non publié - et qui aurait dû l'être - ne lie en revanche pas les autres
sujets de droits soumis à l'ordre juridique s'ils prouvent qu'ils n'en ont
pas eu connaissance, ni ne pouvaient en avoir connaissance, malgré le
devoir de diligence qui leur incombait (cf. art. 8 al. 3 LPubl) 148 .
Du point de vue des publications électroniques, la Direction du droit
international public offre par ailleurs une banque de données aussi
complète que possible et accessible sur Internet 149 .
Comment analyser ces principes en rapport avec les différents JS
conclus par la Suisse nous intéressant?
A ce titre, on constate que, sauf erreur de notre part, une recherche
avec le mot-clé <~oint statement» sur la banque de données du DDIP ne
renvoie qu'à 8 occurrences. Les JS CH-US, JS CH-IN 2014 et 2016, à
la source de plusieurs décisions judiciaires fédérales, n'y figurent pas.
D'autre part, la politique des départements concernés est cruciale.
Dans le cas de traités tels que les JS qui naviguent entre obligations
juridiques et contenu politique, le département a plus de liberté pour
décider de conclure un «traité». Il appartient ensuite au département
d'identifier l'instrument comme un traité et de le transmettre à l'administration centrale 150 . C'est en particulier ce qui ressort de la lecture de
l'OPubl 151 .
Une explication de l'absence de publication du JS CH-US est à chercher dans l'opinion des autorités suisses quant à la nature de ce texte.
Dans une motion de 2013, un membre de l'assemblée fédérale demandait au CF de définir «la nature juridique exacte de l'arrangement
( <joint statement >) qu'il a signé avec les Etats-Unis le 29août2013 ».
En réponse, le CF considérait que le JS CH-US «constitue une déclaration politique» 152 . Or, et comme il ressort de l'arrêt du TF 2C_1042/
2016 (comp. consid. 5.4.2 s.) et de l'affaire Qatar/Bahreïn (CIJ; supra
II.B. l), la conviction du signataire de pas créer un traité international
148
§163.
149
DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internationaux, 3e éd., Berne 2015, p. 37 s.,
https://www.dfae.admin.ch/eda/fr/home/aussenpolitik/voelkerrecht/internationale_vertraege/
daten bank_staatsvertraege. fil terResults. termjoi nt% 20statement. coun try-1 .organizati on-! .topicl.html?_ charset_= UTF-8 (dernière consultation le 10 janvier 2020). A ce sujet, DFAE, Guide de la
pratiqi~e en matière de traités internationa11x, 3' éd., Berne 2015, p. 39, § 17 l.
bO DFAE, Guide de la pratique en matière de traités internatio11aux, 3e éd., Berne 2015, p. 40,
§176.
151
Art. 39 al. 3 OPubl: «Les traités et décisions de droit international doivent e11 011tre être fournis à la Direction d11 droit i11ternational public du Département fédéral des affaires étrangères à temps
avant leur entrée en vigueur[ ... ]», et art. 41 OPubl: «Traités et décisions de droit international. L'autorité responsable doit fournir à la ChF les différentes versions linguistiques des textes ci-après dans les
délais suivants[ ... ]».
152 «L'arrangement signé avec les Etats-Unis ne doit pas abolir l'ordre juridique suisse», motion
13.3918 du 27.09.2013 déposée par Rudolf Joder.
-256-
n'est pas déterminante, il s'agit au mieux d'un élément probatoire parmi
d'autres. Le JS CH-US est bel et bien un traité, peu importe la déclaration contraire du CF à cet égard.
C. L'absence d'assujettissement des Joint Statements au référendum
Pour autant qu'il soit constitutif d'un traité international, un JS est
susceptible d'être soumis au référendum facultatif 153 . Selon les termes
de l'art. 141 al. 1 let. d Cst., sont concernés:
«les traités internationaux qui:
1. sont d'une durée indéterminée et ne sont pas dénonçables,
2. prévoient l'adhésion à une organisation internationale,
.
3. contiennent des dispositions importantes fixant des règles de drmt ou
dont la mise en œuvre exige l'adoption de lois fédérales.»
Le JS CH-US répond aux conditions de durée indéterminée et
d'absence de processus de dénonciation évoquées au ch. 1. Bien que
son but soit de mettre fin à la controverse fiscale relatives aux banques
suisses, il n'est pas expressément limité dans le temps 154 . De plus, il ne
contient aucune clause de dénonciation 155 . Les JS CH-IN 2014 et 2016
satisfont aussi à ces deux conditions. Le ch. 2 peut être éludé car un
traité prévoyant l'adhésion à une organisation internation~le ~st génér~lement libellé «Convention», «Pacte», ou encore «Const1tut10n», mais
pas «Joint Statement». Le ch. 3 fait référence aux «dispositions importantes fixant des règles de droit» 156 . Concrètement, si un JS créé de
nouveaux droits ou devoirs envers les particuliers, la question de son
assujettissement au référendum pourrait - et aurait pu - se poser.
Deux écueils empêchent néanmoins les JS recensés dans cette
contribution de faire l'objet d'un référendum facultatif: en soi, ce n'est
pas le traité international qui est assujetti au référendum, mais so_n
arrêté fédéral d'approbation 157 . Or, dans le cas des JS - dont la parti153 Un JS serait soumis au référendum obligatoire au terme de l'art. 140 al. 1 lit. b Cst. s'il
concerne «l'adhésion à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales», ce qui reste très hypothétique car il s'agit dans ce cas de traités multBaté1:a~x qui ,sont largement
connus et soumis à un processus formel d'expression du consentement défimt1f a etre he.
.
154 L'exécution d'un traité pourrait entraîner sa terminaison: R. KOLB, The Law of Treaties,
..
Cheltenham 2017, pp. 212-213.
,
155 Sur cette notion, cf. art. 56 CVDT. Pour un exemple de clause de denonciatJon: art. 30 CDI
CH-US.
.
156 Cf. art. l al. 1 OPubl: «Sont réputés contenir des règles de droit les traités de droit international qui contiennent des dispositions selon l'art. 22, al. 4, de la loi du 13_ décembre 2002 su:· l~ Parlement». L'art. 22 al. 4 LParl récite: «Sont réputées fixant des règles de dr01t les d1spos1t1ons generales et
abstraites d'application directe qui créent des obligations, confèrent des droits ou attribuent des compétences».
,,
157 J.-F. AUBERT/ P. MAHON, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Conféderation
suisse, Zürich /Bâle/ Genève 2003, ad art. 141, p. 1111, n°7.
-
257 -
cularité est de passer «sous le radar» des procédures parlementaires
habituelles - un tel arrêté fait défaut. D'autre part, le dies a quo du délai
de 100 jours pour récolter les signatures nécessaires débute à la date de
«publication officielle de l'acte» (art. 141 al. 1 Cst.), date qui fait
également défaut dans l'hypothèse d'un JS 158 •
Conclusion
Chaque traité peut s'envisager sous deux aspects: celui de son existence sur la scène internationale, et celui de son application dans un
ordre juridique interne spécifique. Il en va de même pour les JS.
Sur le plan international, un JS n'est rien de plus qu'une dénomination. Ce qui lui donne sa véritable couleur, c'est la présence d'un engagement juridique derrière sa façade. Quand et s'il existe, un tel
engagement peut faire d'un JS un traité international, un amendement,
ou encore une promesse unilatérale. Un JS peut également être utilisé
à titre d'interprétation d'un traité préexistant. Selon la catégorie juridique internationale à laquelle il appartient, le JS doit obéir à certaines
prescriptions (seuls certains organes étatiques ou des représentants
dotés des pleins pouvoirs peuvent conclure un traité international).
Un point commun des JS est de résister à toute taxonomie définitive.
Plus troublant pour l'analyse, leur contenu navigue souvent entre obligations de nature juridique et déclarations politiques (nature «hybride»
des JS). Le juriste est confronté à un ectoplasme, à un être qui n'a de
cesse de lui échapper.
Si la situation est ambiguë en droit international, elle l'est plus
encore dans l'ordre juridique suisse.
La confection d'instruments internationaux, et des traités en particulier, est strictement encadrée dans l'ordonnancement juridique; depuis
les dispositions constitutionnelles jusqu'aux prescriptions relatives à la
publication officielle, nous avons rappelé l'écosystème applicable aux
traités conclus par la Suisse. Cet arsenal juridique réglementant les traités n'est toutefois pas exempt de zones d'ombre: notre contribution
aurait pu être sous-titrée hard case makes bad law. Le grand mérite du
JS reste peut-être d'attirer l'attention sur une série d'incertitudes liées au
droit suisse.
Lors de leur conception, les JS sont souvent perçus par la Suisse et
l'Etat partenaire comme de simples «procès-verbaux» ou des «feuilles
158 A moins de considérer que l'émission d'un communiqué relatif à la conclusion d'un JS par un
département de la Confédération ait valeur de publication. Cependant la LPubl ne prévoit pas un tel
mode de publication (RS 170.512, art. 8 al. 1 LPubl notamment).
-258-
de route». Ils visent à mettre par écrit le contenu - et l'issue- d'une réunion entre représentants étatiques 159 . Mais, suivant les cas, les JS
dépassent le cadre politique et constituent bel et bien de véritables traités. Il y a alors une dichotomie entre les obligations internationales de
la Suisse et le respect du droit suisse par la Confédération: un traité a
été conclu et lie la Suisse bien qu'il ait échappé aux garanties de
contrôle démocratique, au risque de mettre certains intervenants devant
le «fait accompli».
Par exemple, les JS ne font pas l'objet d'une publication officielle
dans le RS et le RO. Ils sont accessibles via des communiqués des
départements concernés, mais restent en marge du système juridique.
Sans publication, pas d'arrêté d'approbation: le traité n'est pas soumis
au référendum facultatif 160 . Les JS évoqués dans cette contribution ne
sont du reste pas non plus mentionnés dans les «rapports sur les traités
internationaux» 161 établis annuellement par le CF, rapports qui cataloguent pomtant les traités ne faisant pas l'objet d'une publication.
Au-delà de la question de la publication, les JS peuvent être lourds
de conséquences sur la situation des particuliers (par ex. en prévoyant
la transmission de renseignements à une autorité fiscale étrangère,
même si leur demande repose sur des données volées à la Suisse), et sur
le plan financier. Selon l'art. 7a al. 2 LOGA, ne sont pas de portée
mineure, et, partant, ne peuvent pas être conclus seul par le Conseil
fédéral, les traités qui «entraînent une dépense unique de plus de
5 millions de francs, ou des dépenses périodiques de plus de 2 millions
de francs par an». Les trois principaux JS évoqués 162 prévoient que la
Suisse réponde de manière efficiente - c'est-à-dire rapidement et efficacement- aux demandes d'entraides fiscales adressées par l'Inde et les
Etats-Unis. En aval, cela se traduit par l'engagement de collaborateurs
au sein de l'Administration fédérale des contributions et du Secrétariat
d'Etat aux questions financières internationales, de même que des Tribunaux. En fonction du nombre de collaborateurs engagés, la masse
salariale peut aisément dépasser le seuil de deux millions de francs par
an prévu à l'art. 7a al. 2 LOGA. Les JS qui occasionneraient de telles
dépenses devraient donc être présentés à l'Assemblée fédérale.
-
Quelles solutions et moyens de contrôle 163 permettent de pallier à
ces incertitudes?
Une publicatio~ de~ JS serait à notre avis souhaitable. Un premier
pas serait de les faire figurer dans les «rapports sur les traités internationaux» établis par le CF. Une telle publication assure que l'Assemblée fédérale (et le peuple) soient avertis des JS conclus par le CF ou
par d'autres branches de l'administration. Cette publication permettrait
aux parlementaires d'utiliser à leur guise les outils que sont les motions
postulats, interpellations et questions 164 afin de s'assurer que des traité~
ne soient pas conclus «en secret» par la Confédération.
En cas d'arrêté d'approbation et de publication officielle, le contrôle
sur les JS serait encore accru puisque la voie du référendum facultatif
serait ouverte.
163
159
160
161
162
Comme en témoigne la réponse du CF à la motion 13.3918 du 27.09.2013, cf. nbdp 152.
Art. 141 Cst.
Art. 48a al. 2 LOGA et nbdp 145.
JS CH-US; JS CH-IN 2014, et JS CH-IN 2016.
259 -
Il ne s'agit pas d'asservir les relations extérieures de la Suisse au contrôle de l'Assemblée
fédérale ou de diminuer la marge de manœuvre des autorités - tout Etat a besoin de latitude afin de
trouver des solutions rapides aux défis de la diplomatie. La situation qui a mené au JS CH-US est
emblématlque à cet égard; la Suisse était assaillie par les Etats-Unis, l'Assemblée fédérale a d'ailleurs
reieté une loi urgente qui aurait évité Je JS CH-US (cf. FF 2013 3473 pour la loi urgente et FF 2013
3463 pour le message). Ce n'est qu'en dernier recours que les autorités suisses ont trouvé cette solution
du «Joint Statement». P. R. At.TENBURGER, Der internationale Informationsaustausch in Steuersachen
Zürich 2015, p. 22-23.
'
164
Art. 118 LParl.