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D E R B E S O N D E R E FA L L Prise en charge d’une intoxication au Stérilium® (alcool isopropylique et propylique) Christophe Bregnard, Damien Tagan Hôpital Riviera-Chablais, site du Samaritain, Vevey Introduction La prise de substance alternative à l’éthanol chez le patient souffrant de dépendance alcoolique est bien connue. Quatre molécules sont à l’origine de la plupart des intoxications domestiques à base de dérivés alcooliques: l’éthanol, le méthanol, l’éthylène glycol et l’isopropanol [1]. La métabolisation de ces quatre molécules se fait au niveau hépatique où une première étape commune implique l’alcool déshydrogénase. Il existe cependant un important polymorphisme génétique concernant la tolérance aux alcools, principalement lié à des variations quantitatives et qualitatives de l’aldéhyde déshydrogénase, autre enzyme impliquée dans la métabolisation hépatique. En milieu hospitalier, les antiseptiques utilisés dans la prévention des infections nosocomiales contiennent fréquemment de l’alcool isopropylique. Nous vous présentons un cas d’intoxication mixte à l’alcool isopropylique et propylique chez un patient hospitalisé. Cas clinique Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis. Un patient de 37 ans, connu pour un alcoolisme chronique, originaire de Russie et en vacances en Suisse depuis deux semaines, est admis dans une unité de médecine pour un syndrome de sevrage aux benzodiazépines après avoir arrêté sa consommation chronique de benzodiazépines 15 jours auparavant. A son admission, le bilan biologique ne montre pas d’anomalies hormis des tests hépatiques discrètement perturbés et une légère rhabdomyolyse (CK 2999 U/l). L’éthanolémie est inférieure à la limite de dosage. Malgré un traitement substitutif de benzodiazépine, le patient reste agité et absorbe 650 ml d’une solution antiseptique de Stérilium® à base d’alcool isopropylique et d’alcool propylique quelques heures après son hospitalisation. Il est admis aux soins intensifs où il va rapidement développer un trouble de l’état de conscience. La gazométrie d’entrée dans l’unité ne montre pas de trouble acidobasique significatif (pH 7,42, pCO2 34 mm Hg, HCO3 23 mmol/l). La lactatémie est à 2,4 mmol/l. En raison de troubles de l’état de conscience, le patient est mis en respiration artificielle. La gravité de l’intoxication motive une hémodialyse de trois heures suivie d’une hémofiltration continue durant 24 heures. L’osmolalité plasmatique mesurée avant le début de la dialyse s’élève à 335 mosm/kg et l’osmolalité plasmatique calculée à 278 mosm/kg. Le trou osmolaire plasmatique est calculé à 57 mosm/kg. L’évolution clinique et biologique est favorable et le patient peut être extubé après 48 heures. Une évaluation psychiatrique ne retient pas un geste suicidaire mais une prise compulsive d’un substitut à l’alcool éthylique. Sous traitement oral de benzodiazépine, le patient quitte l’hôpital dix jours après son hospitalisation et rentre en Russie où une prise en charge de son addiction sera poursuivie. Toxicologie [2] Le Stérilium® est composé d’alcool isopropylique (45%), d’alcool propylique (30%) et de mécétronium en quantité négligeable (0,2%). L’alcool isopropylique (isopropanol, propanol-2) est un liquide volatil incolore, avec une faible odeur d’acétone et au goût légèrement amer. Il est largement utilisé en industrie pour la synthèse de l’acétone et des isopropylamines (glyphosate, herbicide le plus utilisé dans le monde) ou encore comme solvant d’encres ou de vernis et entre dans la composition d’antiseptiques, d’antigels, de lotions, de parfums ou de produits ménagers. Les intoxications à l’alcool isopropylique sont moins dangereuses que les intoxications au méthanol ou à l’éthylène glycol, et plus fréquentes en Amérique du Nord où cette molécule est bien plus utilisée. L’alcool isopropylique a un poids moléculaire de 60,1. Les 80% de la dose orale sont absorbés dans les 30 minutes. Une absorption complète survient dans les deux heures qui suivent l’ingestion. L’alcool isopropylique est ensuite rapidement distribué dans tout l’organisme en environ deux heures. 20 à 50% de la substance sont excrétés par les reins sous une forme inchangée. La plus grande partie de l’alcool isopropylique est oxydée dans le foie par l’alcool déshydrogénase et transformée en acétone qui est un dépresseur modéré du système nerveux central. L’acétone est éliminée par les poumons et par les reins. L’alcool isopropylique n’est donc pas métabolisé en acide carbonique comme c’est le cas pour le méthanol et l’éthylène glycol, limitant ainsi le risque de toxicité. La demi-vie de l’alcool isopropylique est de 2,5 à 8 heures. La demi-vie de l’acétone est de plus de 10 heures. Avec les inhibiteurs de l’alcool déshydrogénase (éthanol, fomépizole), la métabolisation de l’alcool isopropylique en acétone est réduite. L’alcool propylique a le même poids moléculaire que l’alcool isopropylique. Après ingestion, il est rapidement absorbé et distribué dans l’ensemble de l’organisme. Il est ensuite métabolisé par l’alcool déshydroSchweiz Med Forum 2014;14(16–17):345–347 345 D E R B E S O N D E R E FA L L génase en aldéhyde puis en acide propionique qui lui permet d’entrer dans le cycle de Krebs. Cette oxydation constitue l’étape limitante du métabolisme de l’alcool propylique. Il est ensuite éliminé de l’organisme par les poumons et les urines. Le trou osmolaire plasmatique (osmolarité mesurée – osmolarité calculée) permet d’estimer la concentration sanguine d’alcool isopropylique et propylique. Pour chaque mosm/kg de trou osmolaire, la concentration en alcool de ces deux alcools qui ont le même poids moléculaire augmente de 6 mg/dl [3]. En prenant en compte le trou osmolaire plasmatique de notre cas qui s’élève à 57 mosm/kg, la concentration sanguine prédite en alcool isopropylique et propylique est estimée à 342 mg/dl. Etant donné que le Sterilium® contient 45% d’alcool isopropylique et 30% d’alcool propylique, on peut estimer le taux plasmatique d’alcool isopropylique à 154 mg/dl et celui de l’alcool propylique à 102 mg/dl. Le taux sanguin d’alcool isopropylique n’est cependant pas strictement corrélé à la sévérité de l’intoxication car l’acétone contribue aussi à la symptomatologie observée. Manifestations cliniques de l’intoxication à l’alcool isopropylique et propylique [3, 4] L’anamnèse et l’hétéroanamnèse permettent souvent de déterminer le type de substance, la quantité, l’heure et les circonstances (accidentelles, récréatives ou à but suicidaire) de l’absorption du toxique. L’examen physique est orienté vers le status neurologique, respiratoire et cardiovasculaire. En effet, après ingestion d’alcool isopropylique, on peut observer des symptômes affectant le système nerveux central tel que céphalée, ébriété, étourdissement, somnolence, état stuporeux, plus rarement un coma et une dépression respiratoire. On note également des symptômes gastro-intestinaux tels que douleurs abdominales, nausées, vomissements, irritation gastrique. L’évolution fatale lors d’une intoxication isolée par l’alcool isopropylique reste rare. Lors d’ingestion sévère, une hypotension artérielle (par vasodilatation périphérique) est un facteur prédicteur de mortalité. L’hypoglycémie, une insuffisance rénale, une trachéo-bronchite hémorragique, une dysfonction hépatique sont rapportées dans les stades tardifs. Sur le plan biologique, le trou osmolaire est d’autant plus élevé que l’intoxication est sévère. On peut mettre en évidence une acidose métabolique modérée avec faible élévation du trou anionique (par rapport aux autres alcools) quatre à six heures après l’ingestion. Une acidose métabolique sévère avec trou anionique élevé doit évoquer une intoxication mixte (méthanol, éthylène glycol). On observe la présence de cétone dans le sérum et l’urine, trente minutes et trois heures respectivement après l’ingestion. Le taux plasmatique d’alcool isopropylique est souvent difficile à obtenir en situation d’urgence. Il est cependant d’une aide précieuse en cas d’intoxication mixte chez un patient pour lequel les renseignements anamnestiques sont non contributifs. Des décès ont été rapportés chez des patients ayant une concentration sanguine d’alcool isopropylique de 150 mg/dl et des cas de survie ont été rapportés chez des patients ayant une concentration sanguine d’alcool isopropylique de 560 mg/dl grâce à l’épuration extra-rénale [3]. Concernant l’alcool propylique, peu de données sont à disposition quant à la toxicité, la symptomatologie et les caractéristiques pharmacocinétiques. Un seul cas d’intoxication mortelle a été signalé, celui d’une femme retrouvée inconsciente et qui est décédée quatre à cinq heures après ingestion d’un demi-litre d’alcool propylique. L’autopsie a révélé un œdème cérébral et pulmonaire [4]. Traitement de l’intoxication à l’alcool isopropylique [2] En cas d’intoxication modérée à l’alcool isopropylique et au vu de la manifestation rapide des symptômes, le patient peut quitter l’hôpital s’il reste asymptomatique au bout de deux heures d’observation, après évaluation du risque d’addiction. En présence de symptômes, le traitement de l’intoxication aiguë à l’alcool isopropylique comporte une hydratation adéquate et une prise en charge symptomatique des complications neurologiques et métaboliques. Un soutien ventilatoire est parfois nécessaire, notamment par respiration artificielle pour protéger les voies respiratoires en cas de coma ou lors de dépression respiratoire. Un soutien par vasopresseurs est souvent requis pour traiter une instabilité hémodynamique. L’hémodialyse est indiquée pour les patients avec une concentration d’alcool isopropylique au-delà de 400 mg/dl, une dépression significative du système nerveux central, une insuffisance rénale ou une hypotension artérielle [5]. L’hémodialyse permet d’éliminer l’alcool isopropylique et l’acétone 40 à 50 fois plus rapidement que l’élimination par les voies naturelles [3]. L’administration comme antidote d’éthanol ou de fomépizole, utilisé notamment dans les intoxications au méthanol et à l’éthylène glycol, n’est pas indiquée dans l’intoxication à l’alcool isopropylique car l’acétone est moins toxique que l’alcool isopropylique. A notre connaissance, aucune donnée n’existe concernant un traitement spécifique de l’intoxication par l’alcool propylique. Conclusion L’intoxication par des solutions antiseptiques semble de plus en plus fréquente. Il n’existe cependant que peu de données dans la littérature médicale. Le premier cas d’intoxication mixte par de l’alcool isopropylique et propylique a été décrit en 2006 par B. Blanchet [5]. Bien que la diffusion des solutions antiseptiques dans le monde hospitalier ait clairement montré son efficacité dans la prévention des infections nosocomiales, l’accès facilité à ces solutions, notamment par des dispositifs muraux, doit être limité pour des patients confus, connus pour une dépendance alcoolique ou à risque suicidaire. Schweiz Med Forum 2014;14(16–17):345–347 346 D E R B E S O N D E R E FA L L Résumé Quatre molécules sont à l’origine de la plupart des intoxications domestiques à base de dérivés alcooliques: l’éthanol, l’isopropanol, le méthanol et l’éthylène glycol. Ces deux dernières sont potentiellement plus dangereuses par accumulation de leurs métabolites causant une acidose métabolique avec trou anionique augmenté. Les symptômes et les signes les plus fréquents d’une intoxication à l’alcool isopropylique sont une dépression du système nerveux central (somnolence, ataxie, confusion, coma), une dépression respiratoire et des symptômes digestifs (douleur abdominale, irritation gastrique, nausées, vomissements). Le trou osmolaire plasmatique permet une estimation de la concentration sanguine d’alcool isopropylique. Le traitement est basé sur une hydratation agressive, une prise en charge symptomatique des complications neurologiques et métaboliques ainsi qu’un soutien des fonctions vitales. L’hémodialyse est indiquée pour les patients avec une concentration d’alcool isopropylique au-delà de 400 mg/ dl ou une dépression significative du SNC, une insuffisance rénale ou une hypotension artérielle. Le fomépizole et l’éthanol utilisés dans les intoxications au méthanol et à l’éthylène glycol ne sont pas indiqués dans les intoxications à l’isopropanol. L’accès facilité à des solutions antiseptiques, notamment par des dispositifs muraux, doit être limité pour des patients à risque d’intoxication accidentelle et à but suicidaire. Correspondance: Dr Christophe Bregnard Hôpital Riviera-Chablais CH-1800 Vevey christophe.bregnard[at]hopitalrivierachablais.ch Références 1 De Haro L. Intoxications domestiques par dérivés alcooliques. Urgences. 2007;77:769–75. 2 Sivilotti MLA, Section Editors, Traub SJ, Burns M, Deputy Editor, Grayzel J. Isopropyl alcohol poisoning. Uptodate Novembre 2013. 3 IPCS INCHEM [homepage on the Internet], Isopropyl alcoohol. Available from www.inchem.org/documents/pims/chemical/pim290.htm 4 IPCS INCHEM [homepage on the Internet], 1-Propanol. Available from www.inchem.org/documents/ehc/ehc/ehc102.htm. 5 Blanchet B, Charachon A, Lukat S, Huet E, Hulin A, Astier. Case of mixed intoxication with isopropyl alcohol and propanol-1 after ingestion of topical antiseptique solution. Clinical Toxicology. 2007;45:701–4. Schweiz Med Forum 2014;14(16–17):345–347 347