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Laval théologique et philosophique
Littérature et histoire du christianisme ancien
Eric Crégheur, Steve Bélanger, Isabelle Camiré, Eric Crégheur, Lucian Dîncă,
Steve Johnston, David Joubert-LeClerc, Jean-Michel Lavoie, Anne Pasquier,
Paul-Hubert Poirier, Martin Voyer et Jennifer K. Wees
Intuition et abstraction dans les théories de la connaissance
anciennes et médiévales (I)
Volume 66, numéro 1, 2010
URI : https://id.erudit.org/iderudit/044327ar
DOI : https://doi.org/10.7202/044327ar
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Éditeur(s)
Faculté de philosophie, Université Laval
Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval
ISSN
0023-9054 (imprimé)
1703-8804 (numérique)
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Citer cet article
Crégheur, E., Bélanger, S., Camiré, I., Crégheur, E., Dîncă, L., Johnston, S.,
Joubert-LeClerc, D., Lavoie, J.-M., Pasquier, A., Poirier, P.-H., Voyer, M. & Wees,
J. K. (2010). Littérature et histoire du christianisme ancien. Laval théologique et
philosophique, 66(1), 183–226. https://doi.org/10.7202/044327ar
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2010
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Laval théologique et philosophique, 66, 1 (février 2010) : 183-226
X
chronique
LITTÉRATURE ET HISTOIRE
DU CHRISTIANISME ANCIEN*
En collaboration**
Instrumenta studiorum
1.
Takamitsu MURAOKA, A Greek-English Lexicon of the Septuagint. Louvain, Paris, Walpole,
Mass., Peeters, 2009, XL-757 p.
Il existe déjà un certain nombre de dictionnaires de la Septante, partiels ou complets, dont celui
de J. Lust, E. Eynikel et K. Hauspie, récemment réédité1, et les deux que Takamitsu Muraoka a consacré aux Douze Prophètes2. Mais celui que livre maintenant le professeur émérite de l’Université
de Leiden s’imposera sans peine comme le principal outil lexicographique dans le domaine. Le nouveau dictionnaire se distingue tout d’abord par l’exhaustivité de ses relevés puisqu’il couvre non seulement l’ensemble de la Septante, y compris les livres dits deutérocanoniques ou apocryphes, mais
aussi les versions ou recensions secondaires ou divergentes attestées pour certains livres bibliques,
comme le texte antiochien, la recension dite kaigé (qui désigne un groupe de traducteurs affectionnant
cette particule pour rendre la particule hébraïque gam, « aussi »), la version de « Théodotion » du livre
de Daniel, etc. Sur le plan textuel, le lexique se fonde essentiellement sur les éditions critiques préparées par le « Septuaginta-Unternehmen » de Göttingen ou, à défaut, sur l’édition manuelle d’Alfred
Rahlfs ou sur la grande édition de Cambridge. En certains cas, il enregistre des mots ou des formes
* Précédentes chroniques : Laval théologique et philosophique, 45 (1989), p. 303-318 ; 46 (1990), p. 246-268 ;
48 (1992), p. 447-476 ; 49 (1993), p. 533-571 ; 51 (1995), p. 421-461 ; 52 (1996), p. 863-909 ; 55 (1999),
p. 499-530 ; 57 (2001), p. 121-182, 337-365, 563-604 ; 58 (2002), p. 357-394, 613-639 ; 59 (2003), p. 369388, 541-582 ; 60 (2004), p. 163-177, 363-378 ; 61 (2005), p. 175-205, 363-393 ; 62 (2006), 133-169 ; 63
(2007), p. 121-162 ; 64 (2008), p. 169-207 et 65 (2009), p. 121-167.
** Ont collaboré à cette chronique : Steve Bélanger, Isabelle Camiré, Eric Crégheur, Lucian Dîncă, Steve
Johnston, David Joubert-LeClerc, Jean-Michel Lavoie, Anne Pasquier, Paul-Hubert Poirier, Martin Voyer
et Jennifer K. Wees. Cette chronique a été rédigée par Eric Crégheur.
1. J. LUST, E. EYNIKEL, K. HAUSPIE, A Greek-English Lexicon of the Septuagint, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 2003.
2. A Greek-English Lexicon of the Septuagint (Twelve Prophets), Louvain, Peeters, 1993 ; A Greek-English
Lexicon of the Septuagint. Chiefly of the Pentateuch and the Twelve Prophets, Louvain, Peeters, 2002.
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ne figurant que dans les apparats des éditions de référence. Cet ouvrage se veut « a fully fledged
lexicon », c’est-à-dire un lexique complet ou exhaustif, visant à tenir compte de la morphologie, de
la syntaxe, de la paradigmatique (rapports ou oppositions entre les mots) et de la sémantique. C’est
ainsi que, sous un lemme, on trouvera non seulement la forme de base du mot, mais aussi, pour les
verbes, toutes les formes attestées dans le corpus, avec leur identification. Sont également signalés
par un « Cf. » les mots qui entretiennent des liens sémantiques significatifs avec le lemme ; p. ex.,
sous ἄνθρωπος, on mentionne ἀνήρ, ἀνθρώπινος, βροτός. Le symbole || signale les termes qui sont
associés au lemme dans un même passage ; ainsi, en Is 52,14, δόξα est couplé à εἶδος. Lorsque
deux mots sont étroitement liés par καί ou ἤ, un + le signale. En ce qui concerne les équivalents
anglais des mots grecs, l’auteur explique (p. XII) qu’il a opté pour des définitions et non des
équivalents de traduction, à savoir des formulations qui décrivent le plus précisément possible le
sens d’un mot donné dans tel ou tel contexte. De fait, l’utilisateur appréciera rapidement la manière
explicite et détaillée dont est développé le contenu sémantique des mots du corpus septantiste. De
nombreux exemples sont en outre donnés, dont la plupart sont accompagnés d’une traduction anglaise. La très grande majorité des articles du dictionnaire comporte en finale des indications bibliographiques renvoyant aux publications susceptibles d’éclairer la sémantique d’un terme. Le recensement de ces titres, en typographie serrée, occupe plus de quinze pages. L’ouvrage se termine par
un relevé des lexèmes qui n’ont pas été inclus dans le dictionnaire même s’ils sont répertoriés dans
la concordance de la Septante de Hatch-Redpath ; il s’agit dans la plupart des cas de leçons variantes figurant dans certains manuscrits ou de translittérations grecques de termes hébraïques. Il convient enfin de souligner la très grande qualité typographique de cet ouvrage, d’une composition
aérée et d’une mise en page qui permet de repérer d’un seul coup d’œil les différentes parties d’un
article, ce qui n’est pas à dédaigner pour un instrument de travail appelé à être utilisé très fréquemment. Ce nouveau lexique constitue un ajout substantiel aux nombreux dictionnaires grecs en circulation. Son usage s’imposera non seulement aux biblistes ou aux patristiciens mais aussi à tous les
hellénistes. Dans l’introduction (p. VIII-IX), T. Muraoka insiste à juste titre sur le fait que la Septante
n’est pas qu’une traduction mais qu’il s’agit d’un authentique représentant du grec des périodes
hellénistique et impériale. Le Lexicon se situe ainsi dans la mouvance des études les plus récentes
sur la Septante, promues, entre autres, par l’« école » française de la Bible d’Alexandrie, publiée par
les Éditions du Cerf 3.
Paul-Hubert Poirier
2.
Cornelius MAYER, éd., Augustinus-Lexikon, vol. 3, fasc. 5/6 : Institutio, institutum - Liber
(libellus). Bâle, Schwabe AG Verlag, 2008, col. 641-960.
Avec cette troisième double livraison du volume 3 du lexique d’Augustin, c’est la publication
d’un des grands dictionnaires historiques et théologiques contemporains qui se poursuit à un rythme
soutenu. Car il ne faudrait pas croire que l’Augustinus-Lexikon n’intéresse que les spécialistes
d’Augustin. Les notices qu’il contient, si elles visent d’abord et avant tout le contenu augustinien,
situent les concepts ou les objets sur lesquels elles portent dans le contexte élargi de l’histoire doctrinale et culturelle de l’Antiquité. C’est particulièrement vrai pour les fascicules que nous présentons ici. Parmi les articles qui risquent d’intéresser les historiens de la pensée antique, mentionnons : Intellectus et Intellegibilis, Intentio, Interpretatio, Iudaei, Lex. Pour les œuvres d’Augustin,
les plus amplement traitées sont l’In Iohannis evangelium tractatus, le Contra Iulianum et le Contra
3. Voir, à titre d’illustration, E. BONS, J. JOOSTEN, S. KESSLER, P. LE MOIGNE, Les Douze Prophètes, Osée,
Paris, Cerf (coll. « La Bible d’Alexandrie », 23.1), 2002, où on trouvera une « Introduction aux Douze Petits Prophètes » signée par T. Muraoka.
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LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
Iulianum opus imperfectum. La prosopographie n’est pas négligée (notices sur Jean Chrysostome,
Jean de Jérusalem, Jovinien, Julien d’Éclane), non plus que les realia (notices sur Itinera, Laicus,
Lectio, Lector, Liber). Les concepts augustiniens y figurent aussi en bonne place (Interior intimo
meo, Iustificatio, Iustitia et Iustus). Enfin, plusieurs personnages bibliques font l’objet d’une notice
(Job, Jean Baptiste, Jonas, Joseph, l’époux de Marie, Isaac, Juda le patriarche, Judas Iscariote,
Lazare).
Paul-Hubert Poirier
3.
Oda WISCHMEYER, éd., Lexikon der Bibelhermeneutik. Begriffe - Methoden - Theorien Konzepte. Berlin, Walter de Gruyter, 2009, LXX-695 p.
Avec cette publication, c’est un nouveau dictionnaire biblique qui s’ajoute à une liste déjà fort
longue. Intitulé « Lexique d’herméneutique de la Bible. Concepts - Méthodes - Théories - Notions »,
cet ouvrage origine, dans la foulée du « linguistic » et du « cultural turn » (p. v), de la prise de
conscience d’un déficit herméneutique engendré par l’absence d’un discours herméneutique transdisciplinaire sur la Bible et sa compréhension qui soit à la hauteur des discours théoriques et
méthodologiques contemporains sur le texte, et de la pratique scientifique en regard du texte (p. IX).
Plus précisément, la mise en œuvre de ce lexique est partie des questions suivantes : celles du triple
rapport de l’herméneutique de la Bible à l’herméneutique théologique, à l’« herméneutique biblique »
et aux méthodes historiques, philologiques et linguistiques de l’interprétation scientifique des textes.
Les éditeurs comprennent la Bibelhermeneutik, l’herméneutique de la Bible, comme une partie de
l’interprétation générale des textes, dont relèvent, en premier lieu, la question de l’origine et de la
situation historique des textes, deuxièmement, leur dimension « propositionnelle », qui se déploie
« entre “sens” et “signification” », et troisièmement, l’influence et la réception des textes, en l’occurrence la Bible, dans le passé et le présent. En ce sens, l’herméneutique de la Bible se veut plus
englobante que l’herméneutique biblique traditionnelle, dans la mesure où celle-ci reste trop tributaire de la théologie. Il s’agit aussi, tout en les prenant en compte, de dépasser les perspectives
strictement historiques ou, à l’inverse, strictement théologique, approche nécessitée par le fait que
la Bible est un corpus textuel canonique qui, en raison de son exceptionnelle réception dans l’histoire, appartient au procès de la compréhension des textes. Dès lors, les lemmes du nouveau dictionnaire embrassent, dans une perspective historique et actuelle, des conceptions, des théories, des
méthodes et des concepts de l’exégèse et de l’herméneutique de la Bible du point de vue de la
« textualité » (p. XIII). Les domaines suivants sont touchés : l’herméneutique et les méthodes et concepts de l’exégèse vétérotestamentaire et néotestamentaire ; les conceptions, méthodes et concepts
de l’interprétation de la Bible et de l’herméneutique de la Bible hier et aujourd’hui ; l’herméneutique théologique ; l’herméneutique antique et les méthodes et concepts de la philologie classique ;
les méthodes et concepts de l’interprétation des Écritures saintes dans le judaïsme et dans l’islam ;
les théories et méthodes de l’interprétation littéraire des textes, des sciences du langage et de celles
de la culture, et de l’herméneutique philosophique. Comme on le voit, ce lexique prétend couvrir
l’ensemble des sciences humaines qui travaillent sur le texte et les appliquer à la Bible, entendue
comme écritures chrétiennes, mais en considérant en même temps les deux autres corpora d’écriture canoniques les plus proches de celle-ci, la Bible juive, ou Tanakh, et le Coran. Ce faisant, on
veut situer l’herméneutique de la Bible dans le contexte des sciences humaines et des sciences de la
culture, pour qu’à la fois elle en tire profit et y apporte sa contribution. La « prémisse herméneutique » qui est à la base de l’entreprise est que la Bible n’est pas le livre des seules Églises chrétiennes, mais tout aussi bien un livre qui appartient à la culture de l’humanité dans son ensemble
(p. XXI). L’herméneutique de la Bible ne peut donc pas être la chasse-gardée des deux spécialités
exégétiques par excellence que sont les sciences de l’Ancien et du Nouveau Testament, ni de la
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théologie systématique, mais elle doit intégrer des contributions provenant de toutes les sciences du
texte. En conséquence, le Lexikon der Bibelhermeneutik ouvre l’exégèse biblique et l’interprétation
théologique de l’Écriture aux méthodes et théories contemporaines du texte et de la culture dans
leur ensemble.
La conception du dictionnaire reflète ces principes méthodologiques, d’abord par l’architecture
des articles. Prenons pour exemple le lemme « Hermeneutik » (p. 245-254), où l’on trouvera les
sections suivantes : I. Ancien Testament ; II. Nouveau Testament ; III. Histoire du christianisme ;
IV. Théologie systématique ; V. Judaïsme ; VI. Islamologie ; VII. Philologie classique ; VIII. Littérature ; IX. Linguistique ; X. Philosophie. Les articles sont rédigés de telle manière qu’on puisse les
lire d’un seul trait ou ne considérer qu’une section (chacune des sections est d’ailleurs pourvue de
sa propre bibliographie). Tous les articles ne sont pas aussi développés que celui consacré à l’herméneutique — l’article suivant, « Hermeneutischer Zirkel » (p. 254-255), n’a aucune subdivision
— mais ils suivent tous, grosso modo, le même modèle.
Le dictionnaire comprend 212 articles, rédigés par 311 auteurs (dont la liste figure aux p. XLVIIainsi répartis (cf. p. XXVII et XLII-XLV) : six articles de fond (« Leitartikel ») : Bible, Ancien
Testament, Nouveau Testament, herméneutique, exégèse, texte ; 21 articles principaux (« Hauptartikel ») portant sur la terminologie herméneutique des disciplines exégétiques et théologiques, de la
littérature et de la philosophie ; 136 articles thématiques, p. ex., esthétique, littérature apostolique,
exégèse narrative, « Reader-Response Criticism », critique postcoloniale, targum, etc. ; 49 articles réservés à des concepts herméneutiques, philosophiques ou théologiques, comme analogie, déconstruction, foi, « Linguistic Turn », corrélation, etc. La deuxième partie de l’introduction (p. XXX-XLI)
présente, sous forme de schémas, les textes, corpus et traductions qui constituent l’objet du lexique :
l’Ancien Testament du Tanakh et de la Septante, le Nouveau Testament, la Vulgate, la Peshitta (en
quatre lignes), la Bible de Luther et celle de Zurich, la version dite « King-James » et les apocryphes de la Bible de Luther.
LII),
Comme on l’aura compris à la lecture de cette présentation, le Lexikon der Bibelhermeneutik
constitue un instrument de travail dont on devra désormais tenir compte et ce, en dépit du fait que l’information bibliographique est résolument germanophone, anglophone et nord-américaine.
Paul-Hubert Poirier
Bible et histoire de l’exégèse
4.
Daniel MARGUERAT, dir., Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture,
sa théologie. Quatrième édition revue et augmentée. Genève, Éditions Labor et Fides (coll.
« Le monde de la Bible », 41), 2008, 547 p.
Cette Introduction au Nouveau Testament n’a pas besoin de présentation. Publiée pour la première fois en 2000, elle a connu, dès l’année suivante, une deuxième édition et la troisième paraissait en 2004, avec l’ajout d’un 28e chapitre consacré au texte du Nouveau Testament et à son histoire. Cette quatrième édition comporte un chapitre initial supplémentaire, ce qui a entraîné une
réorganisation des deux premières sections de l’ouvrage. C’est ainsi que la première section, intitulée « La tradition de Jésus » est nouvelle, et elle comprend un chapitre inédit, « De Jésus aux Évangiles », signé par Daniel Marguerat, ainsi que le chapitre consacré au problème synoptique, qui
ouvrait la première section de la précédente édition. Cette première section, devenue la deuxième
dans la quatrième édition, a également changé de titre, de « La tradition synoptique et les Actes des
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LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
apôtres » à « Les Évangiles synoptiques et les Actes des apôtres ». Cette nouvelle répartition de la
matière permet de faire une distinction plus nette entre les documents littéraires, en l’occurrence les
« livres » du Nouveau Testament, et ce qui les précède ou ce qui n’est plus accessible de façon immédiate, par le biais de documents, les traditions sur Jésus, d’une part, et la préhistoire des Évangiles synoptiques, de l’autre. Les chapitres qui figuraient dans l’édition précédente conservent la
même facture et le même contenu. Une comparaison page à page des troisième et quatrième éditions montre que, sauf l’ajout d’un nouveau chapitre, les modifications apportées sont somme toute
superficielles. Les bibliographies figurant à la fin des chapitres ont été, dans des proportions variables, mises à jour ou modifiées, la police de grec utilisée est plus élégante (meilleur rendu de l’accent circonflexe), des formulations ont été modifiées ici ou là. En ce qui concerne le contenu, nous
avons relevé les changements suivants : le plan du livre des Actes se présente un peu différemment
(p. 130-133) ; un encadré sur les « Juifs » dans l’évangile de Jean a été ajouté (p. 380-381) ; la
structure de l’Apocalypse fait l’objet d’un traitement plus développé (p. 411-413) et une carte situe
les villes destinataires des lettres (p. 416). Autrement, l’ouvrage se présente comme le précédent, ce
qui signifie qu’on y retrouvera les mêmes qualités de clarté et de rigueur. Le fait que les différents
chapitres offrent tous plus ou moins la même architecture rend l’utilisation de ce manuel plus aisée.
Le chapitre initial rédigé par Daniel Marguerat, « De Jésus aux évangiles », porte sur les « quarante
années qui séparent la mort de Jésus de l’écriture du plus ancien évangile », « l’époque la plus
obscure du premier christianisme » (p. 11). Il y présente les trois modèles explicatifs qui ont été
proposés pour rendre compte du parcours de la tradition : ceux de l’Église ancienne, de la transmission rabbinique et de l’histoire de la forme littéraire (Formgeschichte). C’est ce dernier modèle
que l’auteur retient dans la suite de sa présentation. Il y traite de la transmission orale de la mémoire
de Jésus dans celle des communautés, des formes littéraires attestées dans les évangiles, et du passage de l’oral à l’écrit, pour finalement se demander pourquoi les premiers chrétiens ont choisi de
fixer la mémoire de Jésus sous forme narrative. Ils auraient voulu à la fois s’inscrire dans la tradition de la Bible juive, qui raconte l’histoire de Dieu avec son peuple, et rejoindre la culture grécoromaine en empruntant un genre proche de celui de la biographie.
Cette nouvelle édition de l’Introduction sera sans aucun doute très bien accueillie par les professeurs et les étudiants, et par tous ceux qui s’intéressent sérieusement au Nouveau Testament. Elle
offre un heureux complément aux autres ouvrages du même genre parus en français ces dernières
années4.
Paul-Hubert Poirier
5.
Bertrand de MARGERIE, Introduction à l’histoire de l’exégèse. T. 1, Les Pères grecs et
orientaux. T. 2, Les premiers grands exégètes latins. T. 3, Saint Augustin. T. 4, L’Occident
latin. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Initiations aux Pères de l’Église »), 2009, VII-328,
195, 202 et 286 p.
Grâce à l’Encyclique du pape Pie XII sur les études bibliques, Divino afflante Spiritu, l’exégèse dans les milieux catholiques a connu un grand développement. De nouvelles méthodes historicocritiques, reconnues par le Magistère de l’Église, aident le croyant à faire une lecture des Écritures à
partir de l’« archê » du texte, afin d’extraire toute la saveur doctrinale et théologique des textes inspirés. Cependant, un certain abus de telles pratiques en exégèse biblique risque de l’isoler des autres
4. Signalons les manuels de H. CONZELMANN, A. LINDEMANN, Guide pour l’étude du Nouveau Testament,
Genève, Labor et Fides (coll. « Le monde de la Bible », 39), 1998 ; et de R.E. BROWN, Que sait-on du
Nouveau Testament ?, Paris, Bayard, 2000.
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EN COLLABORATION
disciplines théologiques et la pousser vers la stérilité sur le plan ecclésial. D’où l’importance de cet
ouvrage de Bertrand de Margerie, qui se propose de présenter une introduction à l’exégèse biblique
des Pères comme une unité entre Écriture, théologie et vie chrétienne, c’est-à-dire unité entre la Bible
et la Tradition vivante de l’Église. L’A. lui-même précise dans l’introduction que son intention n’est
pas celle d’offrir une histoire complète et détaillée du travail exégétique des Pères, et ne prétend pas
non plus à l’exhaustivité du sujet, mais veut tout simplement mettre à la disposition de tout lecteur
une introduction à cette histoire. Dans son étude, l’A. fait référence aux représentants les plus prestigieux de la patristique : Irénée de Lyon, Origène, Athanase et Cyrille d’Alexandrie, pour le monde
grec, et Tertullien, Hilaire de Poitiers, Ambroise, Augustin, Jérôme et Léon le Grand, pour le
monde latin. Faisant ce choix, l’érudit français reconnaît à la fois les limites et les ambitions d’un
tel projet : les limites, parce que le lecteur ne trouvera pas de grands noms comme Basile de
Césarée, Grégoire de Nazianze, Cyrille de Jérusalem ou Jean Damascène, mais projet ambitieux
parce qu’il envisage de rendre manifeste « l’intérêt théologique et permanent que retient l’exégèse
des Pères, notamment face à l’incroyance contemporaine » (t. 1, p. 10). Les fruits d’une telle exégèse sont recueillis par les premiers conciles christologiques et trinitaires des quatrième et cinquième siècles. Le travail exégétique des Pères a facilité, et peut faciliter encore aujourd’hui,
l’approfondissement des dogmes fondamentaux de la foi chrétienne, l’incarnation, la rédemption, la
maternité de la Vierge et la Trinité, synthétisés dans le Credo de Nicée-Constantinople, confessé et
reconnu par différentes Églises.
Le premier tome, dédié aux Pères grecs et orientaux, suit l’évolution et les progrès exégétiques
à partir de Justin jusqu’à Cyrille d’Alexandrie. L’idée majeure qui se dégage de ce parcours est que
la personne de Jésus Christ est l’objet des annonces faites dans l’A.T. et manifestées dans le
mystère de l’« inhumation » du Verbe dans le N.T. Le but de l’Écriture est d’aider l’homme et lui
fournir des éléments pour arriver à confesser que le Fils unique de Dieu, le Sauveur du monde, Dieu
depuis toute éternité, par amour pour nous et pour le salut du monde, s’est fait chair et a habité
parmi nous. Dans cette perspective, le Christ est à la fois l’exégète et l’exégèse de l’Écriture, non
pas en paroles, mais en actes, comme le dit si bien Henri de Lubac : « Avant d’expliquer à ses
disciples, au soir de Pâques, comment l’Écriture ancienne porte témoignage au Testament nouveau
et se trouve ainsi changée en lui, Jésus opère ce changement… Exégète de l’Écriture, Jésus l’est par
excellence dans l’acte par lequel il accomplit sa mission » (cité au t. 1, p. 23).
Le deuxième tome est consacré aux premiers grands exégètes latins. L’A. sensibilise le lecteur
à la fois à la diversité des méthodes et à l’originalité apportée par chaque Père de l’Église latine, de
Tertullien à Jérôme. Ainsi, on découvre que Tertullien a le grand mérite d’avoir mis en évidence la
« moelle incontestée » des Écritures, le Christ-Dieu. Hilaire de Poitiers a insisté sur la typologie
eschatologique des textes sacrés. Ambroise de Milan enseigne une exégèse morale et mystique
mettant en avant l’ombre et la vraie image, l’ombre des prophéties de l’A.T. et la vraie image du
Christ révélée dans le N.T. Jérôme met en lumière le sens littéral et spirituel des Écritures en
exaltant souvent l’excellence du sens spirituel.
Dans un parcours d’introduction à l’histoire de l’exégèse, l’A. consacre tout le troisième tome
à Augustin d’Hippone, « le plus génial des Pères » (t. 3, p. 17). Margerie ouvre au lecteur trois
fenêtres successives pour pénétrer dans l’âme de l’exégète Augustin. Tout d’abord, le lecteur est
invité à suivre le cheminement d’un homme avant sa conversion, pris du dégoût esthétique à l’égard
du langage « barbare » de la Bible en comparaison avec la langue des grands classiques, Cicéron et
Virgile. Après sa conversion, devenu évêque d’Hippone, Augustin offrira à la postérité son manuel
d’exégèse biblique, le De Doctrina Christiana, ouvrage qui pose les bases de l’interprétation et de
la finalité des Écritures. La deuxième fenêtre est caractérisée par l’analyse rigoureuse et originale
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LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
du livre XII des Confessions avec cette question de fond : « Augustin a-t-il enseigné la pluralité du
sens littéral des Écritures ? » (t. 3, p. 8). Enfin, en ouvrant la troisième fenêtre, l’A. met en évidence
quelques perspectives exégétiques augustiniennes qui ont laissé leur marque dans l’exégèse biblique
au cours de l’histoire : le rôle de la charité, l’observation de la Loi, le Christ comme le « fil rouge »
des Écritures.
Le quatrième tome, consacré à l’Occident latin, présente quelques maîtres exégètes qui ont
laissé leur marque sur la façon d’interpréter les Écritures, de Léon le Grand, au cinquième siècle, à
Bernard de Clairvaux, au onzième siècle. Si, dans les quatre premiers siècles, on constate une exégèse qui dépend largement de la célébration des mystères chrétiens dans la liturgie, à partir de Léon
le Grand on voit plutôt une insistance sur une exégèse beaucoup plus liée à la vie et à l’expérience
sacramentelle de l’Église : « On peut dire : sans la liturgie, pas de Bible. La Bible, aussi bien l’A.
que le N.T., est née dans un contexte de prière liturgique et communautaire du peuple de Dieu »
(t. 4, p. 12). L’idée de fond partagée et mise en évidence par les auteurs présentés dans ce tome est
celle de découvrir le Christ dans la totalité de son mystère, « le Christ total », et de son Église
derrière chaque ligne de l’Écriture. Les divers sens des textes inspirés développés par les exégètes
du premier millénaire du christianisme sont des voies qui permettent au croyant, armé de la foi et de
la charité, de s’engager dans la forêt de la « lettre » ou de l’« histoire » pour s’ouvrir à l’« allégorie », afin de revivre les gestes néotestamentaires du Sauveur et de ses apôtres, à la « tropologie », pour reconnaître le Christ vivant dans l’âme des fidèles, et à l’« anagogie », pour se renouveler en espérance vers le Christ (cf. t. 4, p. 267).
La lecture de ces quatre tomes peut faire naître dans l’âme du lecteur le désir d’approfondir par
lui-même la méthode exégétique ou encore la passion pour l’Écriture de l’un ou l’autre Père de
l’Église présenté par l’A. avec la modeste prétention de n’être qu’une introduction. La Bible était
l’unique livre qui guidait la vie de foi et la liturgie des premières communautés chrétiennes, elle
était la source et le fondement pour la cristallisation des dogmes de foi, elle était la nourriture spirituelle capable de donner réconfort à l’âme et l’unir mystiquement à Dieu son créateur. La première édition de ces quatre tomes a vu le jour entre 1980 et 1989. Vu l’intérêt grandissant pour les
intuitions exégétiques des pionniers dans l’interprétation des textes bibliques, les Éditions du Cerf
ont réédité cet ouvrage fort précieux dans la collection Initiation aux Pères de l’Église en 2009. Le
but de cette réédition est de mettre entre les mains des néophytes et/ou des experts en études exégétiques et/ou théologiques, un manuel qui les aidera à découvrir ou redécouvrir les intuitions, sur des
points particuliers, des Pères de l’Église qui ont su défricher et offrir des pistes de réflexion pour
solutionner des problèmes toujours de grande actualité. Écrit dans une langue accessible, l’A. offre
à tous les passionnés des Écritures des compagnons qui les aident à en découvrir le sens, un peu
comme Philippe s’est fait le compagnon de l’eunuque, dans Ac 8,30-31, pour le guider dans la lecture de la Bible : « Comprends-tu vraiment ce que tu lis ? Et comment le pourrais-je, répondit-il, si
je n’ai pas de guide ».
Lucian Dîncă
Facoltà Teologica dell’Italia Centrale, Firenze
6.
Rémi GOUNELLE et Jean-Marc PRIEUR, dir., Le décalogue au miroir des Pères. Strasbourg,
Université Marc Bloch (coll. « Cahiers de Biblia Patristica », 9), 2008, 308 p.
L’histoire de la réception du Décalogue dans l’Antiquité reste à écrire, est-il mentionné dans
l’Avant-propos. Les éditeurs soulignent aussi le fait que les dix commandements ne sont devenus
un élément central du catéchisme qu’à la fin du Moyen Âge. Si le Décalogue a tenu une place importante dans la théologie et la pastorale antiques, cette place n’a pas été aussi essentielle qu’on l’a
189
EN COLLABORATION
affirmé. Toutefois, les chrétiens ont très tôt fait la distinction entre les dix paroles et le reste de la
législation juive, qui leur paraissait caduque, ce qui indique que le rapport à la Loi est l’objet de
débat dès les débuts. En outre, les commentaires sur la Loi de la part de Marcion ou des gnostiques
valentiniens ont très vite suscité des réactions. Les onze contributions de ce volume présentent les
exemples les plus représentatifs des réflexions des écrivains chrétiens anciens sur cette question, ce
qui représente déjà une bonne introduction à l’histoire de la réception du Décalogue. L’ouvrage
comprend trois sections.
La première section touche tout d’abord l’histoire des textes grecs du Décalogue (Innocent
Himbaza) ainsi que les réflexions des auteurs anciens à propos de l’unité et de la structure même du
Décalogue. Celui-ci est compris comme un texte clos et autonome, les chrétiens contrairement aux
Juifs cherchant d’ailleurs à dissocier celui-ci des prescriptions légales du judaïsme (Frédéric
Chapot). Cette contribution met en lumière le fait que le découpage des dix préceptes et leur répartition en deux tables a fait l’objet de nombreuses réflexions ; on s’efforce de trouver une unité pardelà la pluralité des préceptes. Quand la lecture devient allégorique, le symbolisme des nombres est
mis en lumière. Outre une appropriation par les chrétiens du Décalogue, on note un effort de rationalisation et d’organisation dans le christianisme ancien à la suite du judaïsme hellénistique. D’ailleurs, le découpage des dix commandements reste encore maintenant un objet de débat entre les
exégètes.
Les deux autres contributions mettent l’accent sur la fonction pastorale et l’importance du
Décalogue comme instrument catéchétique (Martine Dulaey et Laurence Mellerin). La symbolique
des deux tables est également abordée par Martine Dulaey ainsi que l’iconographie, avec les représentations de Moïse recevant la Loi. Laurence Mellerin traite plus précisément de la présence du
Décalogue dans la théologie pénitentielle des premiers siècles en portant une attention particulière à
une triade qui aura une grande postérité : la triade idolâtrie-meurtre-adultère dans la littérature chrétienne.
Dans la deuxième section, est examinée l’interprétation de deux auteurs du deuxième siècle :
Irénée de Lyon (Gilles Pelland) et Ptolémée (Enrico Norelli). Le premier situe les réflexions d’Irénée
sur le Décalogue dans leur contexte polémique : Irénée écrit contre Marcion et la gnose valentinienne.
Sont mis en lumière les thèmes fondamentaux de la réplique d’Irénée : l’Économie du salut prend la
forme de trois grandes étapes correspondant aux phases de « l’accoutumance de la chair » à porter
les attributs de l’Esprit. Autrement dit, la progression de l’homme prend la forme d’une accoutumance graduelle à porter la vie et à suivre le Verbe de Dieu, à la suite des Patriarches de l’Ancien
Testament et des Apôtres.
Étant donné l’importance de la contribution d’Enrico Norelli qui examine de manière exhaustive, en quelque soixante-quinze pages, la Lettre de Ptolémée à Flora, je reviendrai à la fin sur cette
contribution.
La troisième section est consacrée à l’exégèse de préceptes spécifiques : « Écoute Israël »
(Françoise Vinel) et le premier commandement (Raymond Winling). Dans cette contribution, les
commentaires dans les écrits patristiques sont examinés en fonction des différents contextes, polémiques (antignostiques, antiariens) ou catéchétiques formulés dans ces écrits. L’auteur reprend une
des classifications retenues par la tradition, selon laquelle la première parole concerne l’adoration
du Dieu Un, et non celle que l’on voit par exemple chez Augustin selon qui la première parole englobait l’interdiction du culte des idoles. Jean-Marc Prieur aborde pour sa part le thème de l’interdiction des idoles et des ressemblances dans la littérature chrétienne ancienne (Ex 20,4-5 et Dt 5,8-
190
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
9a). Il prend en compte l’interprétation des témoins les plus significatifs, du deuxième au huitième
siècle.
Marie-Odile Boulnois examine la formule jugée scandaleuse par les gnostiques et Marcion :
« Dieu qui reporte les fautes des pères sur les enfants » d’Exode 20,5, ainsi que la réponse des Pères
de l’Église. Enfin, Alain Le Boulluec considère le commandement : « Honore ton père et ta mère »
(Ex 20,12 ; Dt 5,16). Il étudie la portée du commandement envisagé comme Loi universelle,
naturelle et divine, mais aussi les interprétations théologiques qui ont été données de cette Loi, par
l’allégorie. La mère est parfois identifiée à la sagesse divine ou à l’Église. La formule est souvent
utilisée dans des contextes polémiques contre Marcion et les gnostiques pour affirmer l’unicité du
Dieu créateur, père du Christ. Ce commandement paraissant en contradiction avec les divisions que,
dans les évangiles, Jésus introduit dans les familles, A. Le Boulluec inclut également les réflexions
des écrivains chrétiens à propos de cette contradiction apparente.
Marcion et les gnostiques sont évoqués à de nombreuses reprises tout au long de l’ouvrage.
Cela se comprend dans la mesure où ils ont été parmi les premiers à comparer la Loi nouvelle à
l’ancienne. On sait en outre que plusieurs valentiniens s’appuyaient sur Paul pour élaborer leurs
interprétations des Écritures. L’importance de la contribution d’Enrico Norelli est donc justifiée. La
Lettre de Ptolémée à Flora, conservée par Épiphane (Panarion 33), représente l’un des rares documents « gnostiques » originaux qui soient parvenus en grec. La Lettre a été composée probablement
vers le milieu du deuxième siècle. Elle offre une réflexion centrée essentiellement sur la Loi, c’està-dire sur le Pentateuque. L’auteur souligne dans une note qu’il s’agit de la plus ancienne occurrence du terme « Pentateuque » qui nous soit parvenue.
Dialoguant avec les études antérieures sur ce texte, particulièrement celles de A. Harnack,
G. Quispel, C. Markschies et W. Löhr, et grâce à un examen des principaux manuscrits (Vaticanus
Graecus 503 et Marcianus Graecus 125), Norelli offre une nouvelle traduction de certains passages
litigieux. Une analyse minutieuse permet de conclure que le Décalogue joue bien un rôle décisif
dans ce document, même s’il est peu mentionné en tant que tel. Selon Norelli, et c’est ce qu’il cherche
à montrer à travers son analyse, la polémique antimarcionite traverse l’ensemble de l’ouvrage. Un
très bon point à relever du point de vue méthodologique : Norelli évite d’interpréter la Lettre à
Flora à partir des notices d’Irénée et d’autres hérésiologues qui présentent un système dont rien ne
garantit qu’il remonte à Ptolémée lui-même. Le seul document disponible pour reconstituer la
pensée de Ptolémée est cette Lettre.
Son analyse ainsi que la comparaison avec les réflexions de Justin, d’Irénée et surtout de
Philon d’Alexandrie sur Dieu et la Loi apportent un éclairage nouveau par rapport aux études
précédentes. La subtilité de la pensée de Ptolémée apparaît encore davantage. Voulue par Dieu, le
Dieu bon, la nature même de la Loi met cependant en évidence une contradiction : non seulement
les châtiments, inévitables à cause de la faiblesse humaine, sont des actes d’injustices, car ils
infligent au transgresseur des traitements qui selon la Loi représentent des transgressions (par exemple la « Loi du talion »), mais la nature même de la Loi, qui est pourtant bonne, met en évidence
une contradiction interne entre libre arbitre et « faiblesse » chez les humains. En effet, le Décalogue
n’est respecté que grâce à la menace des châtiments et la Loi est soumise à la nécessité qui oblige à
énoncer toute la législation autre que le Décalogue. À partir de la Lettre de Ptolémée est donc bien
mis en évidence un questionnement qui devait occuper penseurs et théologiens, lors de leurs débats
à Rome au milieu du deuxième siècle.
191
EN COLLABORATION
Bref, il s’agit d’un livre plein d’intérêt pour les philosophes, les théologiens et les historiens,
ou encore pour tout lecteur qui, à la suite de Thomas Mann (Das Gesetz, La Loi, 1943), tente de
réfléchir à ce qu’est la Loi, face aux dérives qui menacent la survie de l’humanité.
Anne Pasquier
Jésus et les origines chrétiennes
7.
John P. MEIER, A Marginal Jew. Rethinking the Historical Jesus. Volume Four : Law and
Love. New Haven, Londres, Yale University Press (coll. « The Anchor Yale Bible Reference
Library »), 2009, XIII-735 p.
ID., Un certain Juif, Jésus. Les données de l’histoire. IV. La Loi et l’amour. Traduit de
l’anglais par Dominique Barrios, Charles Ehlinger et Noël Lucas. Paris, Les Éditions du Cerf
(coll. « Lectio divina »), 2009, 742 p.
Avec ce quatrième volume, se poursuit la monumentale monographie de John P. Meier consacrée au « Jésus historique ». Rappelons que les précédents volumes ont paru en anglais en 1991
(I. The Roots of the Problem and the Person), 1994 (II. Mentor, Message, and Miracles) et 2001
(III. Companions and Competitors), et que leur traduction française a suivi en 2004, pour le premier
volume, et en 2005, pour les deux autres. Il faut donc féliciter les Éditions du Cerf d’avoir réussi le
tour de force de faire paraître la traduction française du quatrième volume la même année que
l’original anglais. Nous avons déjà eu l’occasion de présenter la visée et les principes de l’entreprise
de Meier ; nous n’y reviendrons donc pas maintenant5. Disons seulement que la démarche de l’auteur, professeur à l’Université Notre-Dame (Indiana), se veut à la fois historique, exégétique et interprétative. Il s’agit d’une approche que l’on peut qualifier à la fois de globale et de classique, dans
la mesure où elle satisfait aux principes reconnus de la méthode historique sans toutefois verser
dans le positivisme, ce qu’indique bien le sous-titre de l’ouvrage : « Les données de l’histoire », dans
l’original : « Rethinking the Historical Jesus ». Quant au volume IV, « La Loi et l’amour », il aborde
pour ainsi dire le cœur du message de Jésus. Dans un chapitre d’introduction, l’auteur rappelle ce
qui est un des fils conducteurs de son entreprise : réaffirmer la judéité de Jésus. Il pose en effet
comme principe de son réexamen de la question de la loi dans le message de Jésus, le fait que « le
Jésus historique est le Jésus de la halakha », de la loi juive telle qu’elle était enseignée vers le
tournant de l’ère chrétienne par toutes sortes de maîtres juifs. Le chapitre suivant (XXXI) a justement comme objectif d’éclairer la nature de cette loi pour l’Ancien Testament et le judaïsme intertestamentaire, et pour le Nouveau Testament et le judaïsme rabbinique, tout en faisant ressortir la
complexité du concept et du vocabulaire qui l’exprime, en hébreu (tōrā) ou en grec (nómos).
Les quatre chapitres suivants abordent les points les plus marquants de l’enseignement de Jésus
relatif à la loi, soit le divorce (XXXII), les serments (XXXIII), le sabbat (XXXIV) et les lois de
pureté (XXXV). Dans chacun des cas, Meier examine d’abord la position du judaïsme, des Écritures à la Mishna, et ensuite les déclarations du Nouveau Testament, pour chercher « à savoir ce
qu’un certain Juif de Palestine nommé Jésus a enseigné à d’autres Juifs de Palestine sur le divorce
[et les autres points], vers l’an 28 » (p. 58), et cela, sans confondre des recherches purement historiques sur Jésus le Juif, ce qui est le but de cet ouvrage, et les affirmations théologiques ultérieures
sur Jésus le Christ. L’attitude de Jésus sur des quaestiones disputatae de la Loi n’est pas toujours
5. Voir Laval théologique et philosophique, 59 (2003), p. 549-551 ; et 65 (2009), p. 128-129.
192
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
facile à caractériser. En ce qui concerne l’interdiction des serments et celle du divorce, on peut y voir
deux exemples « de la révocation par le Jésus historique d’institutions et/ou de commandements
singuliers de la loi de Moïse » (p. 134). Quant à la « question halakhique la plus évidente » (p. 135),
celle de l’observance du sabbat, tous les récits évangéliques qui la concernent, aussi bien ceux des
synoptiques que de Jean, « dans leur état présent, […] pour autant qu’ils montrent Jésus débattant
avec des adversaires de ce qu’il fait ou de ce que font ses disciples pendant le sabbat, sont très
probablement le fruit de la polémique et de l’apologétique chrétienne » (p. 193).
L’examen de l’attitude de Jésus face aux lois de pureté repose sur une étude approfondie de la
controverse sur les traditions des anciens rapportée en Marc 7,1-23, qui apparaît comme « une collection de diverses traditions chrétiennes que Marc a soudées ensemble en portant davantage attention aux connexions littéraires et à la théologie chrétienne qu’à la cohérence halakhique » (p. 264).
Il est donc impossible d’y chercher « une ligne cartésienne de pensée ou une approche systématique
de la loi mosaïque » (p. 275). Cela tient sans doute, continue Meier, à la manière dont Jésus se voyait
lui-même, « comme un prophète eschatologique et un thaumaturge dans le style d’Élie. Il n’était pas
un maître, un scribe ou un rabbin ayant une méthode systématique ; il était un charismatique religieux. Or il est de la nature d’un charismatique religieux de ne pas tirer son enseignement des canaux traditionnels de l’autorité (par exemple, Écriture, loi, coutume, fonction liturgique ou politique) ou d’une argumentation logique détaillée. Implicitement ou explicitement, le charismatique
religieux prétend savoir directement et intuitivement quelle est la volonté de Dieu dans une situation particulière ou sur une question particulière » (p. 275).
Le dernier chapitre (XXXVI) de ce quatrième volume est consacré aux commandements d’amour
de Jésus, le double commandement d’amour en Marc 12,28-34, le commandement d’amour des ennemis de la tradition Q (Luc 6,27-36), la « règle d’or » (Matthieu 7,12 || Luc 6,31) et le commandement d’amour dans la tradition johannique, évangile et lettres. Même en en restant aux deux commandements de la tradition marcienne et de la tradition Q, comme ceux qui ont le plus de chance de
venir du Jésus historique, il appert que, pour Jésus, on a besoin de la Torah comme d’un tout :
« Pour ce juif palestinien, rien ne pouvait être plus étranger qu’une antithèse simpliste entre la Loi et
l’amour. Mais, en tant qu’ordonné par la Loi, l’amour vient en premier — et en second » (p. 383).
Au terme de ce long périple « sur le chemin des déclarations de Jésus concernant la loi et le
comportement moral » (p. 385), Meier formule quelques conclusions. Et tout d’abord sur le plan
des acquis. Le plus important est d’avoir établi que « le Jésus historique est le Jésus halakhique »
(p. 387), en ce sens que la dimension halakhique ou nomique du Jésus historique est essentielle
pour la compréhension du personnage. Et cette dimension ne doit pas être opposée à l’enseignement
moral de Jésus comme il s’exprime, par exemple, dans le double commandement de l’amour. Sur le
plan des « perspectives négatives (ou inversées) », il faut mentionner en premier lieu « le caractère
fragmentaire de notre connaissance des positions de Jésus en matière de loi [qui] crée un problème
particulier pour la recherche sur Jésus » (p. 390), dans la mesure où la tradition évangélique ou ecclésiale n’a retenu de ses prises de position halakhiques que ce qui l’intéressait. Il est donc vain de
rechercher dans l’enseignement de Jésus un « “système” de morale ou de loi contenant un centre ou
un principe d’organisation qui fasse sens pour l’ensemble » (p. 391). À défaut d’un tel principe, il
est plus légitime de voir dans la prophétie de Malachie (3,22-24) sur la venue d’Élie ce qui « a pu
mettre Jésus dans la disposition intérieure qui lui permettait de combiner les deux rôles » (p. 396), à
savoir celui de Moïse comme médiateur de la loi et celui d’Élie comme prédicateur prophétique de
la fin des temps appelant Israël à la conversion.
À l’instar des volumes précédents, celui-ci se distingue par l’originalité et la pénétration des
analyses, la vigueur des synthèses et la richesse de la documentation exégétique et historique (pres-
193
EN COLLABORATION
que la moitié de l’ouvrage est occupée par les notes et les index). Les dernières lignes de la conclusion annoncent un cinquième (et ultime ?) volume : « Nous avons bataillé avec l’énigme de l’enseignement de Jésus sur la Torah. Dans le prochain volume de Un certain Juif, Jésus, nous aurons à
porter notre attention sur les trois énigmes en souffrance ; le discours énigmatique des paraboles de
Jésus, le discours énigmatique de ses autodésignations et l’énigme finale de sa mort. Comme la
première, ces trois énigmes livreront quelques perspectives, tout en gardant quelque chose de leur
mystère » (p. 397-398).
Paul-Hubert Poirier
Judaïsme hellénistique
8.
Jan JOOSTEN et Philippe LE MOIGNE, dir., L’apport de la Septante aux études sur l’Antiquité. Actes du colloque de Strasbourg, 8-9 novembre 2002. Paris, Les Éditions du Cerf
(coll. « Lectio divina », 203), 2005, 314 p.
Le collectif qui nous intéresse ici rassemble les actes du colloque de Strasbourg des 8 et 9 novembre 2002. Ce type d’ouvrage est particulièrement difficile à juger d’un point de vue global. Non
seulement trouve-t-on dans les actes de colloques une grande variété de thèmes et d’approches —
de la vue d’ensemble à l’examen en détail —, mais surtout il s’agit plus souvent qu’autrement de
contributions de qualité et d’intérêt variables qui sont ainsi regroupées.
L’ouvrage se sépare en quatre sections chacune comptant deux ou trois articles. La première
section est consacrée aux aspects linguistiques de la Septante. Notons que les trois articles qui s’y
trouvent seront sans doute ceux qui intéresseront davantage les non-spécialistes. La première contribution, due à Anssi Voitila — d’ailleurs sagement placée en tête d’ouvrage — sert en quelque sorte
d’introduction aux problématiques spécifiques à l’étude du corpus judéo-grec en général. L’auteur
s’attarde en particulier au problème du degré de « grécité » de la Septante en regard d’une influence
plus ou moins importante de la langue source sémitique. En d’autres termes, la LXX est-elle vraiment grecque, représente-t-elle un état historique de la langue grecque, dite koinè, au troisième
siècle avant notre ère, ou bien s’agit-il au contraire uniquement d’une langue de traduction, reproduisant rigoureusement la syntaxe, le style et la tournure sémitique de l’original ? Voitila a ici non
seulement le mérite d’exposer clairement l’état de la recherche, mais il montre également comment
la position d’un chercheur donné dans ce sine qua non méthodologique colorera ensuite tout le travail subséquent. L’article suivant de Jan Lust sur la syntaxe et le grec de traduction développe et
complète, dans une large mesure, le travail amorcé dans la contribution précédente. Il rend possible
une définition plus claire d’un élément clé de la question de la nature de la langue de la LXX, à savoir l’utilisation de la parataxe sémitique et son introduction dans un contexte grec.
La deuxième section, qui traite des techniques de traduction dans la Septante, ainsi que la troisième section, qui est consacrée à la critique textuelle et à l’histoire du texte biblique, sont beaucoup plus techniques et plus limitées dans leurs ambitions. En est témoin la contribution de Philippe
Le Moigne, qui présente une étude sur l’utilisation de la construction ouk hôs dans Ésaïe-LXX, ou
celle de Pierre-Maurice Bogaert, qui traite de la datation par souscription dans les manuscrits du
livre de Jérémie, deux études très pointilleuses, dont l’apport aux études sur l’Antiquité (pour reprendre le titre du collectif) est somme toute restreint. Ces articles ont évidemment leur place dans
un recueil tel que celui qui nous intéresse ici, mais leur examen reviendra sans doute à plus savants
que nous.
194
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
Enfin, la quatrième et dernière section de l’ouvrage est consacrée à la Wirkungsgeschichte de la
Septante. Mentionnons au passage le travail de Riemer Roukema, qui offre une belle étude sur l’interprétation des mots hébreux dans la patristique. On découvre avec lui comment le scrupule archilittéraliste des traducteurs (et il est intéressant de se référer ici aux textes de Voitila et Lust en début
d’ouvrage, qui abordent cette question du littéralisme dans la traduction) les avait portés parfois à
conserver, en grec, un certain nombre de termes hébreux, ce qui eut pour conséquence de susciter
chez les Pères, qui souvent connaissaient fort peu l’hébreu, un fécond travail spéculatif d’interprétation allégorique, typologique et mystique.
En dernière analyse, et en dépit des réserves exprimées concernant certains articles, il se dégage effectivement à la lecture de ce livre l’impression claire d’un champ de recherche dynamique
et varié qui mérite de droit l’attention des non-spécialistes.
Jean-Michel Lavoie
Histoire littéraire et doctrinale
9.
Michel MESLIN, dir., Quand les hommes parlent aux dieux. Histoire de la prière dans les
civilisations. Paris, Bayard, 2003, 30 pl. et 866 p.
Par une approche phénoménologique, cet ouvrage fait pénétrer le lecteur au cœur de la manifestation la plus intime de l’expérience religieuse individuelle ou collective : la prière. Transcendant les différences pour éclairer les points de convergence, cette perspective montre que, peu importe l’époque ou la culture, la prière, expérience universelle, est en premier lieu une quête de
l’altérité souvent absolue, qu’elle se nomme Maât, Zeus, Jupiter, Bouddha, Dieu ou Allah, à travers
une relation et un dialogue inégalitaires où l’orant est placé dans une position de dépendance visà-vis de cette puissance supérieure qui demeure muette. À travers ces prières, généralement accompagnées d’une gestuelle et parfois complétées par l’utilisation d’objets divers, se trouvent d’abord et
surtout exprimés librement la foi qu’elle implique et que partagent les croyants, mais également les
angoisses, les craintes et les espoirs des hommes. Sans poursuivre une problématique de recherche,
l’objectif de cet ouvrage est a priori de permettre une compréhension des désirs, des croyances et
des univers religieux de l’homme afin d’ouvrir sur une plus grande tolérance de la diversité religieuse qui compose, depuis l’aube, notre monde.
L’ouvrage adopte une structure à la fois culturelle et chronologique, car la culture influe directement sur l’expression de la prière et la diachronie à l’intérieur d’une même tradition religieuse est
un facteur de changements. Ainsi, se trouvent exposées en premier lieu les traditions les plus anciennes appartenant à des civilisations disparues, mais accessibles par les divers témoignages
qu’elles nous ont laissés (Égypte et Proche-Orient antiques, Grèce et Rome), puis les traditions nées
au sein d’anciennes cultures, mais qui ont perduré jusqu’à nous (hindouisme, bouddhisme et judaïsme), les deux traditions monothéistes plus récentes (christianisme et islam) et, finalement, une
place particulière est accordée à l’Afrique noire, société traditionnellement animiste qui témoigne
d’une acculturation avec le christianisme. La présentation d’une civilisation culturelle et religieuse
abordée s’amorce par une description des principaux éléments qui, en son sein, caractérisent la
prière : le contexte de sa pratique à l’intérieur d’un système social, culturel et religieux plus ou
moins rigide, ses formes et ses manifestations privées, publiques et collectives, son évolution, son
sens et sa nature, la gestuelle qui l’accompagne de même que ses différentes finalités. Les présentations s’achèvent sur une brève bibliographie générale. Par la suite, le lecteur est convié à entrer
plus concrètement en contact avec les prières de ces civilisations à travers un corpus de textes riches
195
EN COLLABORATION
et variés. Chaque prière ou regroupement de prières est précédé d’une glose explicative permettant
de mieux saisir le contexte de leur énonciation, leur auteur et leur contenu, et de nombreux appels
de note viennent apporter les précisions nécessaires à la compréhension des textes.
Parmi les traditions abordées par les onze spécialistes d’anthropologie religieuse, une part plus
importante, soit près de la moitié de l’ouvrage, est consacrée au christianisme, offrant ainsi un panorama plus large de pratiques deux fois millénaires, mais créant tout de même un certain déséquilibre face à d’autres traditions plus anciennes, comme le judaïsme. Le maillon faible de l’ouvrage se
trouve dans les chapitres consacrés à la Grèce et à la Rome antiques. D’une part, la brièveté de la
présentation ne permet pas de montrer toute la richesse des pratiques religieuses grecques et romaines. D’autre part, il y a le manque de variété des textes sélectionnés, qui se limitent aux œuvres
littéraires et qui ne citent pas des auteurs importants tels que Proclus. On délaisse par le fait même
tout le corpus épigraphique, précieux témoin d’une piété antique plus personnelle. Toutefois, ces lacunes ne portent qu’un faible ombrage à l’immense documentation rassemblée, soit près de sept
cents textes, dont plusieurs inédits. Par ailleurs, une trentaine de pages de photographies en couleur
d’une qualité et d’une beauté remarquables, un glossaire, de même qu’un tableau chronologique et
synoptique viennent compléter l’ouvrage. Le lecteur aura tout intérêt à prendre le temps de lire cet
ouvrage afin de se laisser imprégner par cette sensibilité qui a animé la spiritualité de milliard
d’hommes depuis l’Antiquité.
Steve Bélanger
10. Bernard POUDERON, Les apologistes grecs du IIe siècle. Paris, Les Éditions du Cerf (coll.
« Initiations aux Pères de l’Église »), 2005, 355 p.
Spécialiste de littérature grecque chrétienne, Bernard Pouderon présente avec cet ouvrage une
riche synthèse de la littérature apologétique grecque du deuxième siècle. Complément exhaustif à
l’Histoire de la littérature grecque chrétienne qu’il codirige avec E. Norelli et dont le premier tome
vient de paraître chez le même éditeur, cet ouvrage dresse un portrait simple et accessible des apologètes grecs, ces premiers intellectuels chrétiens qui contribuèrent significativement à l’autodéfinition identitaire du christianisme et aux premiers balbutiements théologiques. Bien que l’apologétique ne constitue pas en soit un genre littéraire homogène, l’A. montre que les apologètes chrétiens,
au-delà de cette diversité des genres, partagent une démarche commune visant à présenter et à
défendre ad externos la doctrine et la vie des premières communautés chrétiennes tout en ouvrant
avec l’Autre, tant les Juifs que les païens, une forme de dialogue. Dans cette perspective, la littérature apologétique recouvre alors un ensemble d’ouvrages de controverse, principalement rédigés
entre les règnes de Trajan et de Commode, qui poursuivent à la fois un objectif apologétique, polémique, protreptique et pastoral.
Divisé en quatre parties, l’ouvrage s’amorce par une présentation contextualisée de la littérature apologétique, de ses origines, des thèmes qu’elle aborde et de la théologie qu’elle défend. Alors
que le christianisme se distanciait de plus en plus du judaïsme et qu’il atteignait les couches cultivées de la société gréco-romaine, les premiers chrétiens faisaient l’objet de menaces et de critiques,
et les relations qu’ils entretenaient avec l’Autre étaient souvent tendues, voire conflictuelles. C’est
dans ce contexte de controverses que fleurirent les premières œuvres apologétiques afin de répondre
aux diverses accusations portées contre les chrétiens. Écrivains au service d’une cause, les apologètes s’avèrent également de précieux témoins des réflexions théologiques et doctrinales de leur
époque et leurs œuvres contribuèrent aux premières tentatives d’élaboration et d’explication du
dogme chrétien (pluralité et unicité de Dieu, sa transcendance et son immanence) et de l’histoire du
salut.
196
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
Les trois parties subséquentes sont consacrées à la présentation des apologètes grecs et de leurs
écrits selon une structure similaire : d’une part, l’auteur, son œuvre et sa pensée, d’autre part les
thèmes apologétiques et les points de controverse qui caractérisent ses écrits, la doctrine et la
théologie défendues. La deuxième partie aborde les origines de la littérature apologétique, dont les
prémices sont à situer, selon l’A., dans certains discours des Actes des apôtres. Mais c’est avec le
Kérygme de Pierre, l’une des plus anciennes formes apologétiques chrétiennes qui nous soit parvenue, que s’amorce le genre. La voie était désormais ouverte pour des auteurs tels que Quadratus,
Aristide et Justin de Naplouse, ce dernier représentant l’apogée du genre. La troisième partie, en décrivant les œuvres de Tatien, d’Athénagore d’Athènes, de Méliton de Sardes, de Théophile d’Antioche, de Militiade et d’Apollinaire d’Hériapolis, vient confirmer la dimension multiforme caractérisant
l’apologétique chrétienne. La dernière section, dédiée aux ouvrages anonymes et pseudépigraphiques tels que l’Ad Diognetum, l’Irrisio d’Hermias, les Sentences de Sextus et le corpus pseudojustinien, vient compléter ce riche panorama de la littérature apologétique. Bien que le deuxième
siècle ne marqua pas la fin de l’apologétique chrétienne, qui se poursuivit dans la littérature grecque
et latine chrétienne ultérieure, elle n’occupera désormais plus qu’une place secondaire, preuve sans
doute que le christianisme gagnait en maturité et que son identité craignait de moins en moins les
critiques externes. En se voulant les défenseurs de la foi de leurs communautés et leurs porte-parole,
les apologistes ont, par conséquent, activement participé à la définition identitaire des chrétiens,
cette τρίτῳ γένει distincte des Juifs et des païens, en précisant les caractéristiques de leur unicité
tout en circonscrivant un peu mieux les contours de leur théologie, de leurs dogmes.
L’érudition sur laquelle repose cet ouvrage, et dont témoigne l’impressionnante bibliographie,
permit à l’A. d’offrir au lectorat cible une présentation nuancée, concise et vulgarisée. Prenant en
considération les dernières avancées de la recherche, l’ouvrage s’avère donc un outil précieux pour
s’initier à la littérature apologétique grecque, respectant par le fait même les objectifs poursuivis par
cette collection.
Steve Bélanger
11. Lukas de BLOIS, Peter FUNKE et Johannes HAHN, ed., The Impact of Imperial Rome on Religions, Ritual and Religious Life in the Roman Empire. Proceedings of the Fifth Workshop of the International Network Impact of Empire (Roman Empire, 200 B.C.-A.D. 476),
Münster, June 30-July 4, 2004. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. « Impact of Empire », 5), 2006, XI-287 p.
Le réseau international Impact of Empire regroupe des historiens de l’Antiquité, des archéologues, des classicisants et des spécialistes du droit romain de vingt-huit universités européennes et
nord-américaines qui se réunissent annuellement autour d’une thématique en lien avec l’existence
de l’Empire romain et les conséquences de ses actions sur les régions qu’il domine. La cinquième
édition de cette rencontre internationale fut consacrée à l’impact de Rome sur les religions, les rituels et les pratiques religieuses au sein de l’Empire romain. Quatre thèmes y furent plus particulièrement abordés : l’impact de l’expansion de l’Empire romain sur les religions ; l’interaction centrepériphérie, les impacts sur les cultes locaux et le culte impérial ; les prêtres, les prêtresses et les
évêques ; le culte impérial, la perception et la représentation de la figure et du pouvoir de l’Empereur.
La première partie de l’ouvrage s’intéresse aux conséquences de l’expansion de Rome sur la
réalité religieuse de l’Empire romain et à l’influence de l’Empereur sur les traditions et les conceptions religieuses. Si l’Empire romain conquit un vaste territoire et une multitude de nations, J. Rüpke,
analysant la Lex Ursonensis d’Urso, montre qu’au niveau de la cité, l’impact de la présence romaine
197
EN COLLABORATION
et de son impérialisme, notamment dans son intention d’intégrer religieusement l’empire, devait
être relativisé. Le modèle de Rome n’était pas systématiquement reproduit au niveau local et c’était
d’abord le concept de « religion romaine », plutôt que son contenu religieux, qui avait été exporté,
laissant ainsi subsister certains traits caractéristiques de la religiosité indigène. O. Hekster et J. Nicols
montrent pour leur part que les empereurs, pris comme modèle, eurent un impact considérable sur
certaines conceptions et traditions religieuses. La pratique d’associer une personne à un lignage
d’ancêtres illustres, divins ou héroïques, fréquemment employée par les notables tardo-républicains,
fut reprise et surtout accaparée par les premiers empereurs afin d’assurer la légitimité de leur autorité. Ces mêmes notables furent alors contraints de délaisser cette tradition, ce qui les obligea à se
forger un nouveau modèle de prestige autour des vertus sénatoriales. Une concurrence avec la
préséance de l’empereur leur aurait été en effet nuisible. Toutefois, plus la centralité et la divinité
des empereurs romains s’affirmaient, plus le recours à la généalogie divine devint une pratique du
passé. De même, l’empereur, par son implication religieuse, devint rapidement un modèle de patron
à imiter pour l’ensemble des communautés et des élites locales. Tout comme le firent les empereurs,
les élites locales, notamment celles de l’ordre équestre, s’impliquèrent dans les fonctions civiles,
mais également religieuses de leur communauté, cumulant les charges et s’associant au culte impérial dont elles assumaient parfois les frais liés aux sacrifices et aux événements festifs.
La seconde partie aborde la problématique des interactions centre-périphérie et des influences
de cette dynamique sur les cultes locaux et sur le culte impérial. On y démontre que subsistèrent,
malgré la présence romaine, diverses pratiques et particularismes régionaux, et que la périphérie influença autant le centre que le centre la périphérie. Parmi ces pratiques locales, N. Belayche montre
l’originalité des stèles de confession d’Anatolie, aboutissement d’un processus rituel expiatoire, qui
combinait l’utilisation originale et contradictoire de l’écriture afin de promouvoir la magnificence
du pouvoir divin. S’intéressant à la construction et à l’usage des temples, T. Kaizer, J.H.M. Strubbe
et F.G. Naerebout montrent l’importance des études régionales pour la compréhension des cultes locaux. Même si Rome et le culte impérial jouèrent un rôle important sur l’architecture, l’organisation
spatiale et la vie des cités, l’apport local ne devrait pas pour autant être négligé. En effet, la construction, l’entretien et l’ornementation de certains temples d’Orient, suivant un processus lent et progressif, reposaient souvent sur les largesses des élites locales, qui rivalisaient pour leur propre gloire
ou pour celle de leur cité, et subissaient également l’influence du rapport entre les différentes périphéries de Rome. Dans la même optique, A. Hilali illustre l’influence qu’eurent les légionnaires romains orientaux dans la transformation de leurs divinités locales en divinités professionnelles dans
un processus de remplacement de la patrie d’origine par la véritable patrie du légionnaire, le camp
militaire, avec son corps social, la légion, ce qui favorisa par le fait même l’expansion des cultes
orientaux.
La troisième partie est consacrée aux fonctions de prêtres, de prêtresses et d’évêques dans
l’Empire romain. Par une analyse épigraphique, E.A. Hemelrijk remet en question tout un pan de
l’historiographie romaine en montrant le rôle actif que jouèrent, en Occident, les prêtresses dans le
culte des divinités, mais surtout dans le culte impérial, alors qu’on limitait traditionnellement leur
participation à la fonction de vestale. Pour l’A., la position erronée qu’adopta l’historiographie sur
la question est due au fait que la religion et les pratiques religieuses de Rome ont été trop longtemps
confondues avec la religion et les pratiques religieuses romaines alors que les deux systèmes, bien
qu’étroitement liés, possédaient leurs particularismes. De plus, en ne prenant pour modèle que le système religieux républicain, se trouvent alors négligées toutes les innovations étrangères de l’époque
impériale. Or, il ne faut pas oublier que l’innovation religieuse venait tout autant de Rome que des
provinces. La réalité provinciale subit également des transformations importantes à l’époque impé-
198
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
riale comme le montre D. Slootjes dans son analyse de l’influence grandissante des évêques au sein
de l’Empire, alors qu’ils furent appelés à jouer un rôle grandissant face au gouverneur romain.
La dernière partie se concentre sur la personne de l’Empereur, sur son culte, sur la perception
et la représentation de sa figure et de son pouvoir. En étudiant les papyri, J. De Jong en vient à la
conclusion qu’en Égypte, le culte impérial apparaît en continuité avec la déification des souverains
d’Égypte, sans toutefois remplacer les traditions religieuses égyptiennes, ce qui facilita son acceptation par la population locale. Or, les empereurs étaient fort conscients de l’importance de l’image
qu’ils dégageaient et portaient un soin particulier à la représentation qu’on en faisait comme le mentionnent I. Menne et L. De Blois. Cela était d’autant plus primordial en période de crise alors que la
légitimité de leur pouvoir était contestée, voire menacée.
À travers ces vingt-et-une communications françaises, anglaises et allemandes, nous constatons
à la fois la richesse et la complexité religieuse de l’Empire romain et l’impact des actions du centre
sur la périphérie. De même, plusieurs contributions ont su montrer à quel point cette influence était
bidirectionnelle et qu’elle reposait sur une dynamique interactionnelle fluctuante. Par le biais de
cette approche interactionniste, les différentes analyses ouvrent des perspectives intéressantes pour
aborder la pluralité religieuse de l’Empire romain.
Steve Bélanger
12. James E. GOEHRING et Janet A. TIMBIE, ed., The World of Early Egyptian Christianity. Language, Literature, and Social Context. Essays in Honor of David W. Johnson. Washington,
D.C., The Catholic University of America Press (coll. « CUA Studies in Early Christianity »,
63), 2007, XVII-226 p.
Avec ce recueil d’articles offert à David W. Johnson, les éditeurs James E. Goehring et Janet A.
Timbie nous offrent de faire un survol du christianisme égyptien primitif. L’Égypte étant au centre
des intérêts du dédicataire, les éditeurs ont rangé les contributions dans deux sections thématiques.
La première est consacrée à la langue et à la littérature de l’Égypte chrétienne ancienne et la seconde, au contexte social.
Dans la première partie, langue et littérature, Tito Orlandi (« The Coptic Ecclesiastical History : A Survey ») partage ses plus récentes hypothèses sur l’Histoire de l’Église égyptienne, un
texte dont il ne nous reste aujourd’hui que des fragments en copte ; Mark Sheridan (« Rhetorical
Structure in Coptic Sermons »), après avoir mis en lumière les problèmes méthodologiques des conclusions de C.D.G. Müller6 sur la question des sermons coptes, fait l’analyse rhétorique de quelquesuns de ces derniers ; Monica J. Blanchard (« Sarabaitae and Remnuoth : Coptic Considerations »)
s’intéresse pour sa part au « Sarabaitae » et aux « Remnuoth », une catégorie de moines dont parlent
Jérôme et Cassien, qui a suscité beaucoup de spéculations ; Janet A. Timbie (« Reading and Rereading Shenoute’s I Am Amazed : More Information on Nestorius and Others ») se penche sur le
fameux discours de Shenoute, propose quelques corrections au texte d’Orlandi7 et tire des conclusions sur Nestorius et sur d’autres opposants de Shenoute du texte nouvellement établi ; et enfin
Leo Depuydt (« Questions and Related Phenomena in Coptic and in General : Final Definitions
Based on Boole’s Laws »), dans un article très technique, propose d’appliquer à la grammaire en
6. C.D.G. MÜLLER, Die alte koptische Predigt (Versuch eines Ueberblicks), Darmstadt, 1954.
7. T. ORLANDI, Shenute contra Origenistas : Testo con introduzione e traduzione, Rome, Centro Italiano Microfiches, 1985.
199
EN COLLABORATION
général, et à la grammaire copte et égyptienne en particulier, les idées de George Boole sur la nature
de la pensée.
La seconde partie du volume est pour sa part consacrée au contexte social de l’Égypte chrétienne ancienne : Birger A. Pearson (« Earliest Christianity in Egypt : Further Observations ») nous
fait part de ses plus récentes observations sur le christianisme égyptien en abordant trois thèmes :
les origines juives du christianisme égyptien, les différentes formes qu’a pris le christianisme égyptien primitif et les précurseurs alexandrins du monachisme égyptien ; Daniel Boyarin (« Philo,
Origen, and the Rabbis on Divine Speech and Interpretation ») traite de l’allégorie comme mode
d’interprétation prisé tant par les Juifs (représentés par Philon) que par les chrétiens (dont la figure
de proue est Origène) ; Robin Darling Young (« Cannibalism and Other Family Woes in Letter 55
of Evagrius of Pontus ») étudie une courte lettre d’Évagre le Pontique sur la manière de gérer les
contacts entre le moine et les membres de sa famille, dont les préoccupations perturbent souvent la
solitude du moine ; Philip Rousseau (« The Successors of Pachomius and the Nag Hammadi Codices : Exegetical Themes and Literary Structures ») réfléchit sur quelques textes post-pacômiens qui
peuvent clarifier les liens entre les disciples de Pacôme et ceux qui ont créé, collectionné ou déposé
la bibliothèque de Nag Hammadi, notamment comment ces textes semblent adopter des stratégies
exégétiques qui s’apparentent ; James E. Goehring (« Kepping the Monastery Clean : A Cleansing
Episode from an Excerpt on Abraham of Farshut and Shenoute’s Discourse on Purity ») établit des
liens entre la mention de la purification d’un monastère à la suite de la visite de représentants de
l’empereur Justinien Ier et les préoccupations de Shenoute sur la pureté ; et enfin, David Frankfurter
(« Illuminating the Cult of Kothos : The Panegyric on Macarius and Local Religion in FifthCentury Egypt ») approfondie la question de la survivance des cultes traditionnels locaux en Égypte
chrétienne au moment même où cette Église égyptienne tend vers l’hagiographie et l’héroïsme. Une
bibliographie, un index général (des thèmes, des noms et des auteurs modernes) et un index des
textes bibliques cités ferment le volume.
Si le présent ouvrage ne révolutionne en rien les études sur le sujet, il a néanmoins le mérite de
rassembler des contributions qui mettent en valeur la richesse du christianisme primitif typiquement
égyptien, tant du point de vue de la langue et de la littérature, que de celui du contexte social et
historique. Il intéressera donc certainement professeurs et étudiants qui ont un intérêt pour la naissance et le développement de l’Église égyptienne en général, et pour sa langue et sa littérature en
particulier.
Eric Crégheur
13. Maxence CARON, dir., Saint Augustin. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie »), 2009, 660 p.
Après les volumes sur Hegel, Heidegger, Husserl et Kant, la collection « Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie » s’enrichit en accueillant ce recueil des textes les plus significatifs sur la
pensée philosophique et théologique de saint Augustin. L’évêque d’Hippone ne cesse, de son temps
comme de nos jours, de fasciner, d’interpeller et d’émerveiller l’esprit et l’intellect d’individus
différents par la culture, la formation ou la religion. En ouvrant un nouvel ouvrage sur Augustin, le
lecteur augustinien peut bien se demander : que peut-on encore dire de nouveau sur ce penseur
converti au christianisme en pleine effervescence intellectuelle et professionnelle ? M. Caron nous
assure, d’une certaine façon, dans le bref « Avant-propos », que le recueil d’articles réunis dans ce
livre « regroupe des études dont le sérieux n’assèche pourtant pas la pensée et qui constitue pour
cette raison, dans leur belle exigence, une voie privilégiée d’accession à la philosophie de saint Augustin » (p. 7). À côté des articles et des études provenant d’autres revues ou d’interventions faites à
200
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
l’occasion de différentes manifestations augustiniennes, le recueil bénéficie tout particulièrement de
la publication inédite en français de deux textes du théologien Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI :
« Originalité et tradition dans le concept augustinien de Confessio » (p. 9-36) et « Origine et signification de la doctrine d’Augustin sur la Civitas » (p. 367-388). Le volume publie également un
texte augustinien, aujourd’hui introuvable, qui « nous fait dépasser l’artificiel stérile clivage de la
foi et de la raison dont le christianisme comme philosophie […] est le constant dépassement »
(p. 7), De la foi aux choses qu’on ne voit pas, ou Sens philosophique de la foi et sens de la philosophie par la foi.
À ce recueil fait cependant défaut, à mon avis, une introduction plus ample qui présenterait les
raisons pour lesquelles ces textes ont été retenus et en fonction de quels critères logiques ils sont
présentés. Toutefois, ce qui est tout à fait remarquable, c’est le contenu riche en réflexions théologiques et philosophiques des textes réunis dans ce volume, qui font apparaître à la fois l’incroyable
richesse de la pensée de l’évêque d’Hippone et la compétence avec laquelle des sujets difficiles et
complexes sont traités par les auteurs, afin de présenter aux lecteurs augustiniens d’aujourd’hui un
enseignement rigoureux et facilement compréhensible. Il suffit de mentionner seulement quelques
titres d’articles et leurs auteurs — « Analyse du De Trinitate de saint Augustin » d’E. Bermon (p. 5376), « Platonisme et christianisme. Analyse du livre VII des Confessions » de G. Madec (p. 77-158),
« Le temps selon saint Augustin. Lecture du livre XI des Confessions » d’A. Pic (p. 245-260), « Le
libre arbitre » de C. Michon (p. 307-342), « Destin du moi, destin des empires. Un regard de saint
Augustin sur le mystère de l’histoire » de P. Cambronne (p. 389-452), « Saint Augustin et la méthode de la réduction » de N. Depraz (p. 551-572), « Être, Principe et Trinité » de M. Caron (p. 591636) — pour se rendre compte de la variété des sujets abordés et pour éveiller, chez un plus grand
nombre de lecteurs, le désir d’approfondir l’un ou l’autre aspect de ce grand penseur, théologien,
philosophe et évêque qui a laissé à jamais sa marque dans l’histoire de la culture de l’humanité
qu’est Augustin.
Lucian Dîncă
Facoltà Teologica dell’Italia Centrale, Firenze
14. Geoffrey D. DUNN, Tertullian’s Aduersus Iudaeos. A Rhetorical Analysis. Washington,
D.C., The Catholic University of America Press (coll. « Patristic Monograph Series », 19),
2008, XIV-210 p.
Ainsi que l’A. le fait remarquer, l’Aduersus Iudaeos n’a reçu que peu d’attention de la part des
spécialistes. Peu d’études lui sont consacrées au point de vue littéraire. L’une des raisons alléguées
est que la seconde partie serait une addition effectuée par quelqu’un d’autre que Tertullien, par un
copiste non identifié ayant désiré compléter l’Aduersus Iudaeos. Ce copiste aurait tiré cette partie
du troisième livre du Contre Marcion du même Tertullien. Si cette idée a été acceptée par certains
et contestée par d’autres, personne n’a appuyé ses arguments sur une analyse littéraire, en particulier rhétorique, du texte. C’est l’objectif de l’A. de montrer que cette méthode peut nous éclairer
sur la question de l’intégrité du texte et de son authenticité. Il propose donc une analyse rhétorique
de l’Aduersus Iudaeos, en examinant sa structure, ses arguments et son style. Son étude est interdisciplinaire en ce qu’elle entrecroise l’analyse rhétorique, les apports de la patristique et les études
socio-historiques sur les relations entre Juifs et chrétiens. C’est la première étude en anglais qui
donne un commentaire complet de l’œuvre, en réalité l’exception même en d’autres langues.
Le premier chapitre présente un état de la question et résume les différentes hypothèses concernant l’intégrité du texte, sa composition et sa nature. L’A. aborde également, de manière subtile,
la question des relations entre Juifs et chrétiens à Carthage à la toute fin du second siècle, en tenant
201
EN COLLABORATION
compte des questions identitaires. Sur ce sujet, il s’appuie sur plusieurs études récentes qui montrent la tendance, à cette époque, à projeter sur les Juifs contemporains ce qui est dit des Juifs dans
la Bible, la tendance à comprendre les uns à la lumière des autres. Ce phénomène s’explique par
l’interaction entre les réalités socio-historiques et les besoins théologiques des chrétiens, en particulier la nécessité pour eux de parvenir à une autodéfinition face aux Juifs. Par conséquent, Tertullien peut à la fois affirmer une nette séparation entre christianisme et judaïsme au niveau théologique, en se fondant sur la Bible, et cependant avoir des relations avec les Juifs au niveau social.
Le deuxième chapitre aborde la question des destinataires, réels et imaginés, ainsi que des lecteurs impliqués. Le genre littéraire de l’ouvrage est également défini : il s’agit d’une controuersia,
c’est-à-dire, selon les normes du temps, d’un ouvrage non destiné à être déclamé, en ce sens une
fiction littéraire, et ayant un but pédagogique et instructif. Ce serait en fait une sorte de pamphlet
plutôt qu’un traité, l’étude de la dispositio ou du plan ayant montré son caractère non systématique,
ce qui porte à croire qu’il s’agit d’un écrit d’occasion. Le caractère fictif du texte, en lequel Tertullien imagine une rencontre future avec ses destinataires, ne signifie cependant pas, selon l’A., qu’il
n’y eut pas auparavant de débats réels entre Juifs et chrétiens sur lesquels Tertullien aurait pu se
baser. Cela ne signifie pas non plus que le thème retenu n’était pas pertinent pour des destinataires
de cette époque.
Le troisième chapitre porte sur la question débattue de la structure générale du Contre les Juifs,
les différentes parties de l’ouvrage (exordium, narratio, partitio, refutatio, confirmatio et peroratio)
étant mises en lumière. La comparaison avec d’autres plans proposés par les spécialistes permet à
l’A. de montrer l’importance de la rhétorique classique pour comprendre ce texte de Tertullien. Les
chapitres quatre et cinq traitent respectivement de l’argumentation et du style, en prenant appui sur
les travaux antérieurs, en particulier celui de Robert Sider8.
L’analyse rhétorique permet de conclure que celui, quel qu’il soit, qui a écrit la première partie
(chapitres 1 à 8) a suffisamment fait de commentaires sur la structure d’ensemble de l’écrit, dans sa
partitio et ailleurs, pour qu’il soit possible de démontrer que les questions traitées dans la seconde
partie (chapitres 9 à 14) étaient prévues dans la première. Cela suggère que l’œuvre a été écrite sous
la responsabilité d’un seul auteur, même s’il y a pu y avoir plusieurs mains. La reprise de matériel
tiré d’un autre ouvrage ne sous-entend pas nécessairement l’activité d’un copiste étranger, mais
peut très bien être le fait de l’auteur lui-même qui trouve intéressant et pertinent de le réutiliser. En
outre, ce serait plutôt le Contre Marcion qui réutilise ce matériel déjà présent dans l’Aduersus
Judaeos. Cette conclusion est en accord avec les études de Säflund (1955) et Tränkle (1964) qui
datent l’Aduersus Iudaeos avant et non après le Contre Marcion.
L’A. rejoint les conclusions de plusieurs spécialistes dont Aziza (1977) et Fredouille (1972) sur
l’attribution à Tertullien de cette œuvre. Le choix des faits, leur présentation, l’exclusion de certains
autres, l’arrangement et les arguments, tout a pour objectif la persuasion. Tertullien est un auteur
rompu à la rhétorique et à la sophistique. Ce n’est cependant pas un sophiste, au sens où la situation
précaire des chrétiens de ce temps appelait des réponses pratiques, immédiates, non toujours élaborées complètement. Outre les destinataires juifs imaginés, à quels lecteurs Tertullien destinait-il
vraiment son texte ? La conclusion est qu’il était destiné à des chrétiens afin de leur fournir des
arguments dans leurs débats éventuels avec les Juifs. L’objectif n’est pas tellement de convaincre
des Juifs d’adhérer au christianisme mais des chrétiens de la justesse de leurs convictions.
8. Ancient Rhetoric and the Art of Tertullian, Oxford, 1971.
202
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
L’analyse rhétorique permet de saisir à la fois le plan d’ensemble, la mise en lumière de la
partitio permettant de découvrir les points centraux qui y sont abordés ainsi que les propositions
avancées par Tertullien. Mais elle permet aussi de constater que l’auteur n’a pas toujours mené à
bien ce plan d’ensemble et que l’ouvrage reste incomplet, peut-être par manque de temps.
Geoffrey D. Dunn lui-même fait œuvre de persuasion, d’où l’intérêt de la lecture. Il y montre
que la connaissance de la rhétorique est cruciale pour bien comprendre la littérature chrétienne ancienne : il ne s’agit pas de présenter objectivement des faits, mais le point de vue, l’interprétation et
la présentation qu’un auteur en fait. La rhétorique permet aussi de déceler quels sont les destinataires visés. À ce propos, dans le débat malheureux entre Juifs et chrétiens, débat qui plus tard aura
des conséquences désastreuses, il est utile de rappeler, avec l’A., que le but d’un ouvrage rhétorique
n’est pas de présenter un rapport objectif des faits mais d’apporter des arguments convaincants qui
ne visent pas nécessairement la capitulation ou la conversion de ceux contre qui l’on se bat. La littérature antijuive chrétienne est écrite pour des chrétiens la plupart du temps, elle ne laisse pas entrevoir quels étaient les relations exactes entre Juifs et chrétiens.
Anne Pasquier
15. Beate Regina SUCHLA, Dionysius Areopagita. Leben - Werk - Wirkung. Fribourg, Bâle,
Vienne, Verlag Herder GmbH, 2008, 320 p.
L’ensemble d’écrits connus sous l’appellation de Corpus Dionysiacum — à savoir la Hiérarchie céleste, la Hiérarchie ecclésiastique, les Noms divins, la Théologie mystique et les Lettres — a
exercé une influence considérable sur la théologie médiévale et renaissante, jusqu’au seizième
siècle, pour la seule raison que son auteur se donnait comme le Denys, membre de l’Aréopage, converti par Paul lors de son passage à Athènes (Ac 17,34), et qu’en conséquence, on a vu dans ses
écrits l’expression même de la théologie chrétienne à l’âge apostolique. Cette pieuse fiction a été
démasquée par Érasme (1521) et par Lorenzo Valla (1526), et les recherches de H. Koch et de
J. Stiglmayr ont établi, à la fin du dix-neuvième siècle, la dépendance de ce pseudo-Denys par
rapport au philosophe néoplatonicien Proclus, le situant ainsi à la fin du cinquième ou au début du
sixième siècle. D’autres recherches montreront qu’il doit être postérieur à l’Henotikon de l’empereur Zénon (482) et antérieur à certains auteurs du début du sixième qui l’ont utilisé. Salvatore Lilla
a commodément rassemblé ce que l’on peut savoir sur le pseudo-Denys, son identité, son œuvre et
sa formation philosophique9. On trouvera aussi dans le Dictionnaire de spiritualité un long article
qui introduit substantiellement au pseudo-Denys 10 . À ces publications, il convient maintenant
d’ajouter l’ouvrage de synthèse que consacre au pseudo-Denys Beate Regina Suchla, professeure à
l’Université de Gießen et chercheuse rattachée à l’Académie des sciences de Göttingen, également
éditrice du Corpus Dionysiacum11. Dans ce « Denys l’Aréopagite. Vie - Œuvres - Influence », elle
nous offre une vue d’ensemble bien informée de la recherche la plus récente mais manifestement
adressée à un large public désireux de se familiariser avec les dédales de la « question dionysienne », qui a monopolisé des générations de chercheurs.
9. « Denys l’Aréopagite (Pseudo-) », dans R. GOULET, éd., Dictionnaire des philosophes antiques, II, Paris,
CNRS Éditions, 1994, p. 727-742.
10. R. ROQUES et al., « Denys (L’Aréopagite) », dans M. VILLER, F. CAVALLERA, J. de GUIBERT, éd., Dictionnaire de spiritualité, ascétique et mystique, doctrine et histoire, vol. 3, Paris, Beauchesne, 1957, col. 244429.
11. Cf. Corpus Dionysiacum I. Pseudo-Dionysius Areopagita. De Divinis Nominibus, Berlin, New York,
Walter de Gruyter (coll. « Patristische Texte und Studien », 33), 1990.
203
EN COLLABORATION
L’ouvrage se compose de cinq parties. Dans la première, « la vie », l’A. ne rédige pas bien sûr
la biographie d’un auteur fictif, mais essaie plutôt d’esquisser un portrait de celui qui se cache sous
le pseudonyme de Denys l’Aréopagite. Elle évoque rapidement le Denys historique, connu par un
seul verset des Actes, l’auteur réel, qu’elle situe entre 476 et 518/528, aux environs de l’école de
Césarée de Palestine, et son programme, dans lequel elle voit un essai de « conciliation irénique »
entre « la théologie naturelle des Grecs et la théologie philosophique chrétienne » (p. 19-20). Elle
présente ensuite (chap. 2) les contemporains de l’auteur, empereurs, écrivains chrétiens de langue
grecque et penseurs non chrétiens. Le chap. 3 est consacré au contexte intellectuel (« Zeitgeist ») :
la polémique chrétienne orthodoxe contre l’hétérodoxie chrétienne et la pensée non chrétienne, et la
polémique païenne contre les chrétiens, notamment dans le cadre de l’école platonicienne d’Athènes.
Le chap. 4 présente quelques « contre-courants » par rapport au programme dionysien, auxquels
réagit Jean de Scythopolis (évêque de cette ville entre 536 et 553), qui aurait édité (« Die Redaktion
des Johannes von Scythopolis ») les traités pseudo-dionysiens, en les pourvoyant d’un commentaire
sous forme de scolies qui les interprétait dans un sens orthodoxe. Il réussit ainsi à défendre habilement les écrits dionysiens en les réunissant en un corpus qui allait en assurer la survie et le rayonnement.
La deuxième partie de l’ouvrage porte sur l’œuvre et sa diffusion, depuis la « rédaction » ou
l’édition des quatre traités et des dix lettres par Jean de Scythopolis (chap. 1), celle de Maxime le
Confesseur et les premières traductions, en syriaque, arménien et géorgien (chap. 2), jusqu’à la
diffusion dans l’Orient grec (chap. 3) et l’Occident latin (chap. 4).
La troisième partie, intitulée « La théologie philosophique », porte sur la doctrine des écrits
pseudo-dionysiens, dont la présentation est organisée en quatre chapitres : l’ontologie, la gnoséologie,
la dialectique et l’éthique. Les points forts de la théologie dionysienne y sont mis en valeur,
notamment la double voie de la connaissance philosophique et de la contemplation mystique, le dépassement de la connaissance par l’amour, les différents discours sur Dieu (positif, négatif, symbolique et hyperbolique), l’invitation à la tolérance dans laquelle Mme Suchla voit l’une des lignes
de force de l’éthique du pseudo-Denys.
La quatrième section de l’ouvrage, dévolue à l’influence du pseudo-Denys, considère tout
d’abord le culte qui lui a été consacré en Occident, dont le cœur fut l’abbaye de Saint-Denys-enFrance, fondée dès avant 626 au nord de Paris. Le culte de saint Denys sera favorisé par le télescopage du Denys des Actes, du martyr Denys de Paris, premier évêque de la ville, d’après Grégoire de
Tours, et de l’auteur anonyme du Corpus Dionysiacum. En rivalité avec l’abbaye de Saint-Denys, le
monastère de Saint-Emmeram, à Regensburg, fut aussi l’un des hauts lieux du culte rendu au pseudoAréopagite. Le deuxième chapitre de cette section présente les décisions doctrinales (« Lehrentscheidungen ») de l’Église qui, d’une manière ou d’une autre, reposent sur le pseudo-Denys, relatives au culte des images et à l’iconoclasme, à la question de l’analogie de l’être et à celle de la
tradition comme source de la foi. Les deux derniers chapitres de cette section abordent rapidement
les thèmes de la relation entre philosophie et théologie, et les représentations du pseudo-Denys dans
l’art (même dans le mouvement dadaïste) et la littérature.
Ni plus ni moins que vingt-cinq appendices, dont certains sont à vrai dire fort brefs (une ou
deux pages), complètent l’ouvrage. Mentionnons les plus significatifs : la traduction du prologue de
Jean de Scythopolis au Corpus Dionysiacum (1) ; le signalement des éditions les plus importantes
du Corpus (7) ; les stemmas du Codex mixtus (Corpus Dionysiacum + scolies de Maxime le Confesseur) et du Codex merus (Jean de Scythopolis seul) des écrits dionysiens (11 et 12) ; une liste des
manuscrits grecs du Corpus (14) ; les lecteurs et commentateurs du pseudo-Denys dans l’Orient
grec (15 et 16) et l’Occident latin (17 et 18) ; le schéma des hiérarchies célestes et ecclésiastiques (20
204
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
et 21) ; un répertoire des noms divins dionysiens (22) ; et même la catéchèse que le pape Benoît XVI a
consacrée au pseudo-Denys, le 14 mai 2008 (24).
L’ouvrage s’achève sur une bibliographie des sources et des études, qu’on complétera par les
importantes contributions de Salvatore Lilla12, curieusement absentes de la liste, et par un article
récemment paru de Dominique Poirel sur la fortune française du pseudo-Denys13. Dans l’ensemble,
il s’agit d’une excellente introduction à la question dionysienne rédigée par une des meilleures spécialistes.
Paul-Hubert Poirier
16. Daniel KING, The Syriac Versions of the Writings of Cyril of Alexandria. A Study in Translation Technique. Louvain, Peeters (coll. « Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium »,
626, Subsidia, 123), 2008, XXVIII-615 p.
Cet ouvrage hautement technique se propose d’étudier les anciennes traductions syriaques des
œuvres de Cyrille d’Alexandrie. Son objectif est double : il s’agit, d’une part, de juger de la nature
de ces versions, sur le plan de leur fidélité à l’original grec et de leur apport à l’établissement du
texte cyrillien, et, d’autre part, de les situer, du point de vue des techniques de traduction qu’elles
utilisent, dans l’histoire de la traduction du grec en syriaque. Comme la littérature syriaque s’est
développée dans une aire de bilinguisme et de biculturalisme et qu’elle est essentiellement chrétienne, les œuvres traduites du grec y tiennent une place très importante. À cela s’ajoute, dans le cas
de Cyrille, une communauté d’intérêts ecclésiologiques et dogmatiques liant l’Église d’Alexandrie
et celles de l’Orient syriaque. De l’abondante production littéraire de l’évêque d’Alexandrie, sept
écrits ont été traduits en syriaque (De recta fide, Quod unus sit Christus, Scholia de incarnatione
unigeniti, Explanatio duodecim capitulorum, Apologia duodecim capitulorum contra Theodoretum
et contra Orientales, Responsiones ad Tiberium diaconum), ainsi que sept lettres (39, 40, 44, 45,
46, 50, 55). L’ouvrage de Daniel King comporte quatre parties. La première constitue l’introduction
à l’ensemble. L’A. donne tout d’abord un aperçu de l’importance des traductions du grec pour le
développement de la théologie et de la culture syriaques, puis il dresse l’état de la question en ce qui
concerne l’étude des versions syriaques de Cyrille. La brève deuxième partie du livre (« Cyril of
Alexandria’s Christological Works in Syriac : The External Evidence for their History ») fait état
des manuscrits qui ont transmis les œuvres de Cyrille susmentionnées en syriaque (tous des manuscrits de la British Library, sauf un, datant des sixième ou septième siècles) et des citations de
Cyrille préservées en syriaque chez Philoxène de Mabboug et dans un florilège philoxénien. La
troisième partie de cette monographie (« Cyril of Alexandria’s Christological Works in Syriac : The
Internal Evidence for Their History ») procède, dans un premier temps, à une description des techniques de traduction utilisées, puis à une comparaison de ces techniques avec celles qui sont attestées par les citations de Cyrille dans d’autres textes, notamment dans les Homélies cathédrales de
Sévère d’Antioche. Plusieurs pages (277-314) sont également dévolues à l’analyse des techniques
de traduction dans les citations scripturaires, dans une perspective de critique textuelle biblique
(« […] whether we can rightly use citations from translation literature as evidence for an underlying
Syriac text of the scriptures » [p. 277]). La quatrième partie, intitulée « Conclusions. On Motivations and Models », essaie de comprendre pourquoi on a senti le besoin de recourir à des traductions
12. Signalées dans « Denys l’Aréopagite (Pseudo-) ».
13. « Le mirage dionysien : la réception latine du pseudo-Denys jusqu’au XIIe siècle à l’épreuve des manuscrits »,
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Comptes rendus des séances de l’année 2007, III (2007 [paru
en 2009]), p. 1 435-1 455.
205
EN COLLABORATION
littérales (« slavish mirror-translation » ou traduction verbum de verbo). Prenant appui sur les études de Sebastian Brock, l’A. tend à situer les débuts du « mirror-style » aux sixième-septième siècles, « in Edessa in the context of the post-Ephesine schism in the school of the Persians, in which
both sides began to translate the exegetical works as their key authorities » (p. 370). Il ne fait pas de
doute qu’un tel contexte a joué un rôle décisif. Néanmoins, toute histoire de la traduction du grec en
syriaque qui ne tient pas compte du témoignage de l’Add 12150 de la British Library, le plus ancien
manuscrit syriaque daté (411) constitué uniquement d’œuvres traduites du grec (dont la Théophanie
d’Eusèbe de Césarée et le Contre les Manichéens de Titus de Bostra), risque fort d’être incomplète.
Ce manuscrit témoigne en effet d’un style de traduction qui décalque servilement le grec, au point
de rendre parfois le syriaque incompréhensible si l’on se fie aux règles usuelles de la grammaire.
Malgré cette réserve et nonobstant le caractère très analytique et parfois répétitif de l’ouvrage, celui-ci
rendra de grands services à tous ceux qui s’intéressent aux écrits cyrilliens conservés à la fois en
grec et en syriaque, ainsi qu’aux spécialistes de la critique textuelle néotestamentaire.
Paul-Hubert Poirier
17. Dale B. MARTIN and Patricia Cox MILLER, ed., The Cultural Turn in Late Ancient Studies.
Gender, Asceticism, and Historiography. Durham, Duke University Press, 2005, IX-364 p.
This collection attempts a definition of the term “late antique” through sociological, cultural,
and anthropological approaches in order to define the “cultural turn” present in late antiquity. All
sections use early Christian asceticism, monasticism, and literature as a focal point around which to
examine these ideas, with one article focusing on rabbinical texts. The book is further divided into
three sections : Gender (David Brakke, “The Lady Appears : Materializations of ‘Woman’ in Early
Monastic Literature” ; Maureen A. Tilley, “No Friendly Letters : Augustine’s Correspondence with
Women” ; Susan Ashbrook Harvey, “On Mary’s Voice : Gendered Words in Syriac Marian Tradition” ; and Virginia Burrus, “Macrina’s Tattoo”) ; Asceticism (David G. Hunter, “Rereading the
Jovinianist Controversy : Asceticism and Clerical Authority in Late Ancient Christianity” ; James E.
Goehring, “The Dark Side of Landscape : Ideology and Power in the Christian Myth of the Desert” ;
Blake Leyerle, “Monks and Other Animals”) ; and Historiography (Daniel Boyarin, “Archives in
the Fiction : Rabbinic Historiography and Church History” ; Averil Cameron, “How to Read Heresiology” ; Teresa M. Shaw, “Ascetic Practice and the Genealogy of Heresy : Problems in Modern
Scholarship and Ancient Textual Representation” ; Mark Vessey, “History, Fiction, and Figuralism
in Book 8 of Augustine’s Confessions” ; Susanna Elm, “Hellenism and Historography : Gregory of
Nazianzus and Julian in Dialogue” ; Philip Rousseau, “Knowing Theodoret : Text and Self” ; Dennis E. Trout, “Damasus and the Invention of Early Christian Rome”).
The articles by Brakke, Tilley, and Harvey in the section titled “Gender” discusses the position
of women in early Christianity, where women who are successful Christians are admonitions to
men : i.e. if women can be “good” Christians, men have no excuse, as women are weaker both
physically and intellectually, according to the opinions of the time. Burrus’ article uses the Vita of
Macrina as a resource for women’s history, seeing the physicality of the tattoo as a metaphor for
larger concerns.
The Hunter, Goehring, and Leyerle articles in “Asceticism” examine the inherent tension between ascetic and societal ideals ; whether marriage or renunciation was preferable, how the presentation of society is not necessarily in keeping with the actual operating of that society, and the
depiction of society through the metaphor of animals and their activities.
206
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
In “Historiography” the particulars of how to read a text within its historiographic context is
examined using, as examples, rabbinic literature relating to the establishment of Yavneh ; the study
of heresiology today by looking at its depiction in late antiquity ; the construction of heresy as it
relates to asceticism ; Augustine’s presentation of his own life to depict the conversion experience ;
putting aside labels of “Hellenism” and “Christianity” to study connections between Gregory Nazianzus and the Emperor Julian ; an author’s self perception as revealed in his or her own writing ;
and the context within which Bishop Damasus of Rome “invented” early Christian Rome.
Each of these sections allows for a slightly different investigation of the time period that fleshes
out our assessment of late antiquity as a complicated time period denying easy categorization. There
are no easy answers to where Christian society started and pagan society ended, if there even was
any such boundary, as is reflected in the multiplicity of contexts found in these articles. The book is
aimed at those with some background in the field with good endnotes and an excellent bibliography
for those wishing to do further reading.
Jennifer K. Wees
Gnose et manichéisme
18. David M. SCHOLER, Nag Hammadi Bibliography 1995-2006. Leiden, Boston, Koninklijke
Brill NV (coll. « Nag Hammadi and Manichaean Studies », 65), 2009, XVII-256 p.
Cet ouvrage est le troisième volume de la Nag Hammadi Bibliography, projet mené depuis plus
de quarante ans par David M. Scholer14. Le travail colossal de Scholer est d’avoir fait l’inventaire
des ouvrages et des articles scientifiques publiés de 1948 à 2006 sur les thèmes de la gnose et du
gnosticisme en général, et sur les textes de Nag Hammadi en particulier. Même s’il est évidemment
illusoire de croire que Scholer a pu recenser absolument tout ce qui s’est écrit sur ces documents et
ces thèmes, on ne peut que saluer son entreprise. Le premier volume, paru en 197115, couvrait les
années 1948 à 1969, et le second, publié en 199716, poursuivait de 1970 à 1994. Par la suite, huit
suppléments, parus dans la revue Novum Testamentum entre 1998 et 200817, sont venus continuer
l’entreprise.
Ce sont précisément ces huit suppléments qui sont aujourd’hui rassemblés dans un seul volume. De nouveaux éléments, qui avaient été omis des suppléments parus entre 1998 et 2006, sont
également intégrés au volume (quarante entrées), et l’A. nous précise qu’il a par erreur inclus trois
publications de 2007. Le troisième volume des Nag Hammadi Bibliography nous offre ainsi 3 063
entrées, et fait porter le compte des trois volumes à 11 580 titres. L’A. prend le soin d’avertir le
lecteur qu’en raison des difficultés engendrées par son combat contre le cancer, son recensement
des publications de la période qui va de 2000 à 2006 n’est pas complète. Son travail de « bibliographe » du gnosticisme et des textes de Nag Hammadi se conclut avec ce volume annonce-t-il, et il
14. Il est décédé en 2008.
15. D.M. SCHOLER, Nag Hammadi Bibliography 1948-1969, Leiden, Brill (coll. « Nag Hammadi Studies », 1),
1971.
16. ID., Nag Hammadi Bibliography 1970-1994, Leiden, New York, Köln, Brill (coll. « Nag Hammadi Studies », 23), 1997.
17. Les huit suppléments sont numérotés II/1 à II/8 ; voir Novum Testamentum, 40, 1 (1998), p. 73-100 ; 41, 1
(1999), p. 58-93 ; 42, 1 (2000), p. 39-85 ; 43, 1 (2001), p. 39-88 ; 44, 1 (2002), p. 55-94 ; 45, 1 (2003),
p. 71-104 ; 46, 1 (2004), p. 46-77 ; 50, 1 (2008), p. 159-202 et 50, 2 (2008), p. 209-261.
207
EN COLLABORATION
laisse à un autre le soin de prendre le flambeau. Comme ces volumes sont des outils de référence
d’une importance capitale pour les études non seulement sur le gnosticisme et les textes de Nag
Hammadi, mais aussi sur l’étude des religions anciennes dans le monde gréco-romain et du christianisme ancien, souhaitons que son vœu de voir quelqu’un poursuivre sont travail soit exaucé.
Eric Crégheur
19. Madeleine SCOPELLO, ed., The Gospel of Judas in Context. Proceedings of the First International Conference on the Gospel of Judas. Paris, Sorbonne, October 27th-28th, 2006.
Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. « Nag Hammadi and Manichaean Studies », 62),
2008, XV-404 p.
Ce volume réunit les textes des communications présentées lors d’un congrès international
portant sur l’Évangile de Judas, qui s’est tenu à Paris les 27 et 28 octobre 2006. Ces actes totalisent
vingt-et-une contributions qui témoignent chacune à leur façon du grand intérêt que suscita la
découverte de ce « nouvel » écrit gnostique. Ces contributions sont rédigées en anglais et en français. L’éditrice, Madeleine Scopello, est chercheuse au Centre National de la Recherche Scientifique de l’Université de Paris-Sorbonne.
Les articles sont regroupés sous cinq sections thématiques. La première section contient quatre
articles (Bosson, Mahé, Emmel et Meyer) rassemblés sous la thématique « Textual and Literary
Issues », articles qui abordent l’Évangile de Judas d’un point de vue linguistique, stylistique et
littéraire. La seconde section contient également quatre articles (Robinson, Most, Pouderon et
Dogniez) qui traitent des sources et des influences de l’Évangile de Judas. Ces contributions tentent
principalement de déterminer quels textes et traditions néotestamentaires ont influencé l’auteur de
l’Évangile de Judas. Le troisième bloc thématique, intitulé « Judas : Tradition and History »,
compte quatre contributions (Franzmann, Scopello, Mimouni et Dubois) qui permettent d’évaluer
l’importance de l’influence qu’ont exercée les traditions juives, chrétiennes, et peut-être même basilidiennes sur l’Évangile de Judas. Le bloc thématique suivant est consacré à l’épineuse question de
la valeur à accorder à la figure de Judas. Les auteurs des quatre articles (Thomassen, Painchaud,
Turner et DeConick) arrivent tous à la conclusion que la figure de Judas est une figure négative et
que nous sommes donc loin du portrait d’un Judas réhabilité que présente l’équipe de chercheurs
chargée de l’édition de l’Évangile de Judas pour le compte du National Geographic. La dernière
section thématique regroupe cinq articles (Montserrat-Torrents, Albrile, Kim, Van den Kerchove,
Bermejo Rubio) qui traitent de différents thèmes inspirés par la lecture de l’Évangile de Judas.
Nous y retrouvons donc des articles sur des thèmes aussi variés que la cosmologie, les éléments iraniens, la polémique et l’ambiguïté du rire de l’Évangile de Judas. Le volume est complété par une
bibliographie et trois index.
Ce volume est très intéressant, mais doit être utilisé avec quelques précautions, car l’édition
critique du texte n’était pas encore disponible aux chercheurs au moment de la tenue du congrès en
octobre 2006. Ainsi, leurs analyses reposent sur la seule traduction anglaise publiée par le National
Geographic18, et ne sauraient être, au mieux, que provisoires. Par contre, les contributions rassemblées par ces actes permettent de prendre connaissance des premières hypothèses formulées par les
spécialistes de l’histoire du christianisme ancien et du gnosticisme peu de temps après la publication de la traduction anglaise de l’Évangile de Judas. À la lecture de ces actes, nous pouvons aussi
constater que les avis sur la valeur à accorder à la figure de Judas sont partagés. Presque tous les
18. Voir l’adresse suivante : http://www.nationalgeographic.com/lostgospel/?fs=www9.nationalgeographic.com.
208
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
auteurs des contributions de ce volume prennent position sur cette question. Judas est-il une figure
positive ou négative ? Est-il le modèle du parfait gnostique ou plutôt un artisan du Dieu créateur du
monde ? Ce débat est d’ailleurs toujours d’actualité, quatre ans après la tenue du congrès. Ce volume est donc un témoin important des premiers balbutiements de la recherche sur un texte destiné
à faire couler beaucoup d’encre.
Steve Johnston
20. Michael KALER, Flora Tells a Story : The Apocalypse of Paul and Its Contexts. Waterloo,
Ont., Wilfrid Laurier University Press (coll. « Studies in Christianity and Judaism/Études sur le
christianisme et le judaïsme », 19), 2008, XIV-258 p.
« The Apocalypse of Paul is a text, written in the late second or early third century by a gnostic
(possibly Valentinian) author, showing the apostle Paul as an apocalyptic hero, in order to authoritatively present a gnostic understanding of the cosmos and the Pauline writings ». C’est par cette affirmation que Michael Kaler annonce non seulement l’hypothèse qu’il entend défendre tout au long
de son ouvrage, mais également la structure même de celui-ci, puisque chaque segment de cette proposition sert de titre aux chapitres constitutifs de cette étude fort exhaustive de l’Apocalypse de Paul.
L’ouvrage comprend sept sections majeures. Après une brève introduction où l’A. annonce la
démarche qu’il entend mener et l’hypothèse qu’il défendra, une traduction anglaise annotée présente le texte au lecteur. Bien que succinctes, les annotations cherchent, et parviennent, aussi bien à
relever les diverses références bibliques se trouvant dans le texte qu’à rendre justice aux subtilités
intraduisibles du texte copte original. La seconde section, « Flora Tells a Story », constitue sans
aucun doute l’élément le plus idiosyncrasique de l’ouvrage. Kaler y propose un récit fictif de la
rédaction de l’Apocalypse de Paul, dans lequel il soumet au lecteur une reconstitution hypothétique
des événements et des motivations ayant mené à son écriture. Cette section se veut également une
introduction générale au contexte socioculturel dans lequel s’est développé le valentinisme. Le
chapitre suivant, « The Apocalypse of Paul is a text… », discute des détails généraux concernant le
codex V de Nag Hammadi, où se trouve la seule recension de l’Apocalypse de Paul, puis fait état de
la recherche réalisée sur ce document dans le passé. Suit alors « written in the late second or early
third century by a gnostic (possibly Valentinian) author… », où l’A. discute du Sitz im Leben du
texte. Une attention particulière est portée à la discussion d’Irénée de Lyon de l’ascension de Paul
décrite en 2 Co 12,2-4 et à sa réfutation d’une interprétation gnostique de ce passage19. Bien que de
nombreux parallèles existent entre les propos de l’hérésiologue et la description de l’ascension de
Paul retrouvée dans les textes de Nag Hammadi, Kaler n’y perçoit pas d’indices de dépendance
textuelle, mais y voit plutôt le résultat fortuit de l’utilisation de la même source, à savoir la brève
mention d’une ascension en 2 Co, couplée au dessein commun d’en extrapoler une spéculation
valentinienne. L’A. cherche ensuite à exposer plus systématiquement les éléments gnostiques et valentiniens retrouvés dans l’Apocalypse de Paul.
Le chapitre « showing the apostle Paul… » s’intéresse tout d’abord à l’expansion du concept
de paulinisme au cours des dernières décennies, un concept qui est passé d’une compréhension
principalement théologique de l’héritage paulinien à l’inclusion relativement récente des représentations de Paul en tant que figure légendaire. Kaler démontre ensuite de quelle manière un tel Paul
légendaire a été récupéré par l’auteur de l’Apocalypse de Paul et transformé en héros apocalyptique
afin de légitimer ses écrits. La sixième section de l’ouvrage, « as an apocalyptic hero… », s’attarde
19. Adversus Haereses II,30,7.
209
EN COLLABORATION
premièrement à la terminologie gravitant autour de la tradition apocalyptique et de son utilisation
dans la recherche contemporaine. L’A. élabore ensuite sur la notion de littérature apocalyptique en
tant que genre et sur ses caractéristiques principales, puis examine l’usage que font les textes apocalyptiques de Nag Hammadi, en particulier l’Apocalypse d’Adam et l’Apocalypse de Paul, des conventions de ce genre, le constat final étant que ceux-ci tentent en fait de subvertir ces conventions
afin de transmettre de manière plus frappante leurs messages respectifs. Le chapitre se conclut par
une discussion portant sur la place de l’Apocalypse de Paul au sein de la tradition apocalyptique. Le
dernier chapitre de l’ouvrage, « […] in order to authoritatively present a gnostic understanding of the
cosmos and the Pauline writings », cherche à synthétiser les informations présentées antérieurement
afin de mettre en évidence la manière dont le contenu narratif, les sources, les genres et les motifs
littéraires utilisés, ainsi que l’interprétation de certains rites chrétiens sous-jacents au texte, servent
tous à renforcer la légitimité conférée au message de l’Apocalypse de Paul.
L’ouvrage que nous présente Michael Kaler s’avère une étude riche et approfondie de l’Apocalypse de Paul, analysée sous ses moindres facettes. Écrit dans un style à quelques occasions décontracté et informel, mais plus souvent académique et technique, Flora Tells a Story offre dans ses
premières sections une introduction au contexte socio-historique dans lequel s’est épanoui le valentinisme qui s’avérera tout à fait convenable à un lectorat néophyte. Les sections suivantes sauront
pour leur part intéresser les lecteurs possédant déjà une bonne connaissance des mouvements chrétiens de cette période. Bien que se concentrant principalement sur l’Apocalypse de Paul, l’importante couverture que l’auteur fait de l’utilisation de la figure de Paul dans la littérature chrétienne
des premiers siècles ainsi que de la littérature apocalyptique s’avérera instructive pour ceux intéressés par ces sujets.
David Joubert-LeClerc
21. Barbara ALAND, Was ist Gnosis ? Studien zum frühen Christentum, zu Marcion und zur
kaiserzeitlichen Philosophie. Tübingen, Mohr Siebeck (coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament », 239), 2009, XV-434 p.
Sur la foi du titre de cet ouvrage (« Qu’est-ce que la gnose ? ») et sans avoir encore vu son
sous-titre (« Études sur le christianisme primitif, Marcion et la philosophie impériale »), je m’attendais à recevoir un nouvel essai sur la nature de la gnose, du genre de ceux qui ont été publiés naguère par Christoph Markschies (2001) ou Karen King (2003). Mais il s’est avéré qu’il s’agissait
d’un recueil d’articles, seize au total, parus — sauf pour le premier, un inédit — entre 1970 et 2004.
Ce qui, bien sûr, n’enlève rien à l’intérêt du livre, qui nous permet de lire ou de relire des textes qui
ont tous gardé leur pertinence scientifique. Ceux-ci ont été rassemblés en quatre sections, dont la
première (« Sur la définition de la gnose ») justifie le titre général donné à l’ouvrage. Avant celle-ci,
une introduction générale s’ouvre par la question : qu’est-ce que la gnose ?, à laquelle Barbara Aland
veut apporter une réponse dans une perspective théologique résolument affirmée, « chrétienne, plus
précisément évangélique, luthérienne » (p. 1), tout en reconnaissant la possibilité et l’utilité d’autres
approches20. Elle propose d’entrée de jeu une Kurzdefinition qui cherche à préciser le contenu — ou
l’élément constitutif (Gehalt) — de la gnose : la gnose serait essentiellement une expression de
l’expérience chrétienne de la chute et du salut, découverte et confirmée par la révélation chrétienne.
Aland voit donc la gnose comme une réalité inhérente au christianisme (ce en quoi je suis assez
d’accord avec elle), et non comme une religion non chrétienne qui se serait approprié des noms et
20. Sur la perspective de B. Aland, voir les remarques de M. TARDIEU, « Le Congrès de Yale sur le Gnosticisme (28-31 mars 1978) », Revue des études augustiniennes, 24 (1978), p. 202-203.
210
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
des appellations chrétiennes, car, écrit-elle (p. 2), on ne saurait alors expliquer pour quelle raison
cette religion aurait cherché à se donner un revêtement chrétien à une époque, le deuxième siècle,
où le christianisme n’était pas encore devenu un mouvement qui aurait séduit par son prestige. En
ce qui concerne les sources gnostiques, l’auteur fait remarquer avec raison que, pour utiliser adéquatement la « bibliothèque » de Nag Hammadi, il faut le fil conducteur que sont les matériaux
gnostiques conservés par les Pères de l’Église et les commentaires qu’ils en ont faits. Elle maintient
aussi que les éléments que l’on considère habituellement comme caractéristiques de la gnose — elle
cite (p. 9) ceux énumérés par Markschies — ne peuvent rendre compte à eux seuls de la cohérence
théologique de la gnose en tant que prédication ou annonce (Verkündigung). La dernière partie de
l’introduction présente brièvement les articles l’un après l’autre pour en donner un résumé et une
mise en contexte. Mais on est loin d’y trouver les Retraktationen que l’auteur promet à la p. 16.
Le texte liminaire de l’ouvrage, intitulé « L’indispensable contribution de ce que l’on appelle la
gnose à la construction de la théologie chrétienne », revient plus longuement sur la question posée
dans l’introduction. Se basant à la fois sur le témoignage d’Irénée de Lyon et sur celui des textes de
Nag Hammadi, B. Aland essaie d’isoler l’affirmation ou le noyau central de la gnose, qui serait la
chute et le salut. C’est ce double thème qui s’exprime à travers le mythe et l’imagerie gnostiques,
largement tributaires de la culture philosophique, littéraire et religieuse du monde gréco-romain.
Les textes qui suivent dans cette première section, consacrée à la définition de la gnose, portent sur
les relations entre gnose et philosophie (1977), l’Apophasis mégalè et la gnose simonienne (1973), la
gnose, entre platonisme et christianisme : piété cosmique versus théologie du salut (1997), la gnose
et les Pères de l’Église : leur opposition sur l’interprétation de l’Évangile (1978), l’anthropologie
d’Irénée (1979), « Heracleon Philologus » (2004), gnose et christianisme (1980) et un essai de
« courte définition » de la gnose (1984).
La deuxième section de l’ouvrage concerne « la forme du discours gnostique ». Elle comporte
deux articles, le premier sur « la paraphrase comme forme de la prédication gnostique » (1978), le
second sur le problème des formes d’expression polythéistes dans la gnose : « polythéisme gnostique ou monothéisme gnostique ? » (2002). La troisième section est tout entière consacrée à Marcion,
sur lequel B. Aland a beaucoup travaillé. On y trouvera « Marcion : essai d’une nouvelle interprétation » (1973), « Marcion et les marcionites » (1992) et « Péché et rédemption chez Marcion et la
conséquence pour les soi-disant deux dieux de Marcion » (2002). La dernière section, « Sur la
gnose syrienne », reproduit tout d’abord le long compte rendu de B. Aland de la monographie de
H.J.W. Drijvers, Bardai├an of Edessa (Assen, 1966), paru sous le titre : « Bardesane d’Édesse - un
gnostique syrien » (1970). Un second article figure dans cette section : « Mani et Bardesane. Sur la
genèse du système manichéen » (1975). L’ouvrage se termine par trois index, des textes cités, des
matières et des auteurs.
Le rassemblement de toutes ces études, même reproduites sans modification ni mise à jour
malgré une nouvelle composition typographique, rendra sans aucun doute service, même si certaines d’entre elles ont moins bien vieilli. C’est notamment le cas pour celle qui porte sur la Paraphrase de Sem et sur le terme « paraphrase », dont Michel Roberge a montré qu’il doit être entendu
en son sens classique, rhétorique, et non comme la désignation du genre littéraire de l’écrit21. En
parcourant l’ouvrage, on remarque aussi à quel point Barbara Aland, nonobstant la profondeur de
21. La Paraphrase de Sem (NH VII, 1), Québec, PUL ; Louvain, Paris, Peeters (coll. « Bibliothèque copte de
Nag Hammadi », section « Textes », 25), 2000, p. 40.
211
EN COLLABORATION
certaines de ses analyses, écrit dans une ignorance quasi complète de la bibliographie autre que germanophone ou anglophone. Hélas, elle n’est pas la seule à faire ainsi !
Paul-Hubert Poirier
Éditions et traductions
22. CYPRIEN DE CARTHAGE, La jalousie et l’envie. Introduction, texte critique, traduction, notes et
index par Michel POIRIER. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 519),
2008, 148 p.
Il faut constamment être à l’affût des pièges pernicieux tendus par le diable pour entraîner les
chrétiens dans le péché. Cyprien de Carthage entame son traité La jalousie et l’envie avec cette
idée. Les vices ou les pièges démoniaques de la jalousie et de l’envie sont, selon Cyprien, trop
souvent négligés ou mal perçus, ce qui les rend difficiles à combattre. Pour aider les chrétiens dans
ce combat ardu, Cyprien remonte à l’origine des premiers méfaits de la jalousie en examinant des
exemples de l’Ancien Testament. À l’évidence, le traité exhorte les chrétiens non seulement à combattre ces vices néfastes, mais aussi à prendre « conscience de [leur] nouvelle nature de fils de Dieu,
animée par l’Esprit et promise à la gloire [s’ils] demeurent fidèles » (p. 14). De cette façon, selon
Cyprien, nous pouvons vaincre le diable, plaire à Dieu et ainsi couronner notre combat par la vie
éternelle.
Les circonstances qui entourent l’écriture de ce traité de l’évêque de Carthage demeurent obscures, puisque le texte n’offre aucun indice d’une période précise de rédaction. Néanmoins, on peut
la situer hypothétiquement aux environs de l’an 253. De plus, rien dans le texte ne permet savoir s’il
s’agit d’un sermon, qui aurait pu être diffusé par une lecture publique, c’est-à-dire dans le cadre
d’une homélie à l’Église, ou retravaillé à la manière des orateurs, en vue d’une publication (p. 11).
L’introduction au traité expose certaines des difficultés liées à la traduction et à l’interprétation
de quelques termes, notamment de zelus, mot d’origine grec, qui possède à la fois une valeur positive et une valeur négative. Cyprien, bien qu’il ait utilisé à quelques reprises la valeur positive du
terme dans ses traités, l’emploie ici dans le sens du vice de la jalousie. En revanche, livor fut utilisé
au sens psychologique d’« envie » depuis la poésie classique. Cyprien a donc choisi pour titre de
son traité des mots dont l’interprétation est ambiguë, alors qu’il aurait pu employer des mots latins
plus courants pour désigner la jalousie et l’envie. Toutefois, Poirier est convaincu que ce choix de
Cyprien n’est point un hasard. Selon lui, une part importante du traité a été influencée par des textes
« à portée psychologique des moralistes profanes », c’est-à-dire que Cyprien a puisé ses arguments
autant dans les textes d’auteurs profanes que dans l’Écriture pour ce traité (p. 27). L’introduction
fournit également au lecteur des détails importants sur le plan du traité, le problème des sources, la
technique rhétorique utilisée par Cyprien et l’édition du texte employée.
La traduction du traité reste fidèle au texte latin dans la mesure du possible et offre une lecture
fluide et plaisante. Les notes de bas de pages sont nombreuses, mais chacune apporte des précisions
appréciables pour le lecteur non initié soit à la langue latine ou au personnage de Cyprien. Maintes
fois, les notes de bas de pages justifient la traduction d’un verbe spécifique en indiquant l’origine et
le développement de celui-ci et les différentes interprétations possibles. Aussi, lorsque Poirier adapte
le texte latin, il prend soin d’indiquer la traduction littérale. Enfin, les notes de bas de pages fournissent des informations supplémentaires qui nous renseignent soit sur les intentions de Cyprien,
soit sur des traits qui caractérisent le style d’écriture de ce dernier.
212
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
Ainsi, cette traduction accompagnée d’une introduction indispensable et de notes complémentaires bien choisies est d’une qualité assurée.
Isabelle Camiré
Université d’Ottawa
23. Frank WILLIAMS, The Panarion of Epiphanius of Salamis. Book I (Sects 1-46). Second
Edition, Revised and Expanded. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. « Nag Hammadi
and Manichaean Studies », 63), 2009, XLII-404 p.
D’abord publié en 1987, puis réimprimé avec quelques changements en 1997, le premier volume de la traduction anglaise du Panarion d’Épiphane de Salamine par Frank Williams nous arrive
aujourd’hui dans une seconde édition, revue et augmentée par l’auteur. Williams en a profité pour
revoir et réviser la traduction, pour enrichir les notes et les index, et pour ajouter un index des
citations. L’auteur soutient aussi être redevable des études sur le Panarion qui sont parues depuis la
publication de sa traduction. Il affirme entre autres avoir tiré grandement profit du Wortregister de
l’édition critique du texte grec du Panarion réalisée par Karl Holl et publié en 200622, après près
d’un siècle d’attente. C’est d’ailleurs le texte grec établi par Holl23 que Williams traduit.
L’introduction qui précède la traduction touche à différentes questions entourant Épiphane et le
Panarion et donne une bonne vue d’ensemble du sujet et des problèmes : 1) Epiphanius’ Life and
Writings (né vers 315 en Palestine, Épiphane fut envoyé en Égypte pour son éducation ; de retour
en Palestine, il fonda un monastère près d’Éleuthéropolis et en devint l’abbé ; il fut un farouche
opposant de l’origénisme et mourut en mer en 403 ; parmi ses œuvres se trouvent plusieurs lettres,
l’Ancoratus [374] et le De Mensuris et Ponderibus [392]) ; 2) The Panarion (commencé en 374
ou 375, il fut achevé en moins de trois ans) ; 3) The Sources of the Panarion (informations de première main et témoignages externes, essentiellement littéraires) ; 4) The Panarion and Gnostic Literature (le Panarion se réfère à de nombreuses œuvres gnostiques et en cite même plusieurs,
comme l’Évangile d’Ève, les Questions de Marie, la Lettre de Ptolémée à Flora et l’Évangile de
Philippe [différent de celui de Nag Hammadi]) ; 5) Epiphanius as a Writer (la pauvreté du style du
Panarion peut s’expliquer par son caractère « oral ») ; 6) Epiphanius the Controversialist (de tous
les Pères de l’Église, Épiphane est généralement le moins apprécié, surtout pour sa farouche opposition à Origène). Une courte bibliographie mise à jour clôt l’introduction.
Suit ensuite la traduction des hérésies 1 à 46 (précédées de la Lettre d’Acace et de Paul et des
deux Proem). Les hérésies dénoncées sont à ranger tantôt chez les barbares (stoïciens, platoniciens,
pythagoriciens, épicuriens, etc.), tantôt chez les Juifs (samaritains, esséniens, dosithéens, sadducéens, pharisiens, etc.) et les chrétiens (simoniens, basilidiens, gnostiques, valentiniens, ptoléméens,
marcosiens, ophites, séthiens, archontiques, etc.). La traduction est accompagnée de notes très uti-
22. Epiphanius IV. Register zu den Bänden I-III (Ancoratus, Panarion haer. 1-80 und De fide), nach den Materialien von Karl HOLL (†) bearbeitet von Christian-Friedrich COLLATZ und Arndt RATTMANN unter Mitarbeit von Marietheres DÖHLER, Dorothea HOLLNAGEL und Christoph MARKSCHIES, Berlin, New York,
Walter de Gruyter (coll. « Die griechischen Christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte », Neue
Folge, 13), 2006. Le volume fut d’ailleurs recensé par Paul-Hubert Poirier dans la précédente chronique
(Laval théologique et philosophique, 65, 1 [2009], p. 159-160).
23. Le premier volume pour les sectes 1 à 33 (Epiphanius I. Ancoratus und Panarion haer. 1-33, Leipzig,
J.C. Hinrichs, 1915 ; réimpression avec addenda et corrigenda prévue en mai 2010 chez de Gruyter) et le
deuxième volume pour les sectes 34 à 46 (Epiphanius II. Panarion haer. 34-64, Leipzig, J.C. Hinrichs,
1922 ; réimprimé avec addenda et corrigenda par les soins de Jürgen DUMMER en 1980 dans les Griechischen christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte, à Berlin).
213
EN COLLABORATION
les, qui se réfèrent pour la plupart à des œuvres issues de littérature patristique ou gnostique. Ces notes
ont pour but, dans un premier temps, de mettre en lumière les sources d’Épiphane et de révéler où
les mêmes informations se trouvent chez les Pères, et, dans un deuxième temps, de souligner où les
sources gnostiques confirment ou contredisent Épiphane. Il est cependant dommage que l’éditeur
n’ait pas profité de cette seconde édition pour ajouter des titres courant plus explicites, titres qui
auraient indiqués non seulement le nom de l’hérésie dénoncée, mais aussi son numéro. Ce simple
détail aurait permis au lecteur de se référer au volume et de le consulter avec encore plus d’aisance.
Nul besoin de rappeler ici l’importance du Panarion d’Épiphane de Salamine, non seulement
pour l’hérésiologie, mais aussi en raison des nombreuses œuvres qu’il cite et qui ne nous sont plus
accessibles aujourd’hui. Saluons donc la publication de la seconde édition du premier des deux
volumes que Williams consacre à la traduction du Panarion. Si cette traduction est essentielle pour
ceux qui étudient le gnosticisme, elle intéressera aussi certainement les patrologues, de même que
les historiens de la religion et de l’Église. L’auteur profite de la seconde édition pour nous rappeler,
et cela est en quelque sorte bien malheureux, que ce volume, avec son compagnon qui couvre les
sectes 47 à 80 et contient aussi le De Fide24, sont les seuls à offrir une traduction complète du
Panarion dans une langue moderne25. On ne peut maintenant que regretter davantage l’absence de
toute traduction française du Panarion26.
Eric Crégheur
24. La gnosis eterna. Antología de textos gnósticos griegos, latinos y coptos. II. Pístis Sophía/Fe
Sabiduría. Edición y traducción de Francisco GARCÍA BAZÁN. Madrid, Editorial Trotta, S.A.
(coll. « Pliegos de oriente », XXX), 2007, 238 p.
Cet ouvrage est le second volume d’une anthologie de textes gnostiques (grecs, latins et coptes)
entreprise par Francisco García Bazán. L’objectif poursuivi par l’A. est de donner accès, en traduction espagnole, à des textes à saveur gnostique autrement difficilement accessibles27. Dans le
premier volume de cette anthologie paru en 200328, l’A. y faisait d’abord une introduction générale
à la gnose et au gnosticisme. Puis, les textes traduits étaient répartis en trois parties : 1) fragments
d’auteurs gnostiques trouvés chez les hérésiologues et les Pères de l’Église (Simon, Basilide, Valentin et Ptolémée), Actes de Pierre et Hymne de la Perle ; 2) Évangile selon Marie et recension brève
de l’Apocryphon de Jean ; 3) traduction en espagnol du Codex Bruce (Livres de Iéou et Anonyme de
Bruce).
Ce deuxième volume est quant à lui entièrement consacré à une traduction en espagnol de la
Pistis Sophia du Codex Askew. L’A. divise son introduction en sept partie : 1) Genre et structure de
l’œuvre ; 2) arrière-plan ésotérique et mystériosophique ; 3) les mystères de la lumière ; 4) la Pistis
24. The Panarion of Epiphanius of Salamis, Books II-III (Sects 47-80, De Fide), Leiden, New York, Copenhague, Cologne, Brill (coll. « Nag Hammadi and Manichaean Studies », 36), 1994.
25. Il existe une traduction anglaise partielle : P.R. AMIDON, The Panarion of St. Epiphanius, Bishop of Salamis, Selected Passages, New York, Oxford, Oxford University Press, 1990.
26. S’il n’y a aucune traduction française du Panarion, le public francophone dispose heureusement d’une
importante étude portant sur l’œuvre et son contexte ; voir A. POURKIER, L’hérésiologie chez Épiphane de
Salamine, Paris, Beauchesne (coll. « Christianisme antique », 4), 1992.
27. Les textes de Nag Hammadi ont déjà été édités et traduits en espagnol par J. MONTSERRAT-TORRENTS, Los
Gnosticós, introducciones, traducción y notas, 2 vol., Madrid, Editorial Gredos (coll. « Biblioteca clásica
Gredos », 59-60), 1983.
28. F. GARCÍA BAZÁN, La gnosis eterna. Antología de textos gnósticos griegos, latinos y coptos, Madrid,
Trotta (coll. « Pliegos de oriente », 8), 2003.
214
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
Sophia et le Livre du grand discours initiatique ; 5) Gnose et mystère ; 6) Cadre historicoheuristique ; 7) Intérêt contemporain pour la Pistis Sophia. Après une brève bibliographie, suit le
texte de la Pistis Sophia en traduction. L’édition critique qui a servi de point de départ à l’A. est
celle de Carl Schmidt29. Toutefois, même si l’intitulé du livre semble bien indiquer que García
Bazán a édité le texte (edición y traducción), nulle part dans la traduction indique-t-il les modifications qu’il aurait apportées à l’édition de Schmidt. Un glossaire des noms propres et trois index
(noms propres, thèmes et citation) ferment l’ouvrage.
Le public hispanophone, tant spécialiste que non spécialiste, doit se réjouir de l’initiative de
García Bazán, qui s’efforce, avec son anthologie de textes gnostiques, de faire découvrir et redécouvrir des traités dont l’intérêt scientifique ne dépasse malheureusement que trop rarement le
monde anglophone, germanophone et francophone. La seule chose que nous pourrions nous permettre de critiquer est l’absence quasi totale de notes dans la traduction (trois notes). Sans faire un
commentaire complet de l’œuvre, quelques remarques littéraires, philologiques et historiques auraient été appréciées et auraient ajouté de la valeur au volume.
Eric Crégheur
25. GRÉGOIRE LE GRAND, Homélies sur l’Évangile. Livre I et II. Texte latin, introduction et traduction par Raymond ÉTAIX, Charles MOREL et Bruno JUDIC. Paris, Les Éditions du Cerf (coll.
« Sources Chrétiennes », 485 et 522), 2005 et 2008, 482 et 586 p.
Grégoire Ier, pape entre 590 et 607, rédigea un recueil de quarante Homélies sur l’Évangile, qui
correspondent au rythme des grandes fêtes liturgiques (Pâques, l’Ascension, la Pentecôte), aux fêtes
des martyres (Félicité, André, Silvestre, Félix, Agnès, Pancrace, Processus et Martinien, Mennas,
Sébastien) et aux fêtes des saints patrons des églises où il prêcha (Pierre, Laurent, Paul, JeanBaptiste, Philippe et Jacques, Marcellin et Pierre, Clément, Étienne, Nérée et Aquilée). La Vierge
Marie occupe également une large place dans le corpus homilétique grégorien, tout comme la
hiérarchie céleste et Marie Madeleine. La louange par le pape de Marie Madeleine contribua d’ailleurs grandement au développement du culte rendu à cette dernière. Ces deux numéros de la collection « Sources Chrétiennes » nous offrent l’édition du texte latin et la traduction française des
quarante homélies comme suit : le Livre I (no 485) contient les vingt premières homélies dictées par
Grégoire à un notaire et lues au public pendant les célébrations eucharistiques par ce dernier, et le
Livre II (no 522) présente les vingt dernières homélies prononcées par le pape lui-même. Les quarante homélies portent la trace de la même main rédactionnelle et nous font ressentir une étonnante
unité dogmatique et théologique. Cependant, on peut remarquer que les homélies du Livre I sont assez
courtes et dépourvues d’une doxologie finale, tandis que celles du Livre II sont habituellement plus
longues et finissent toujours par une doxologie. Le contexte historique, peste meurtrière, ouragans,
tempêtes, guerres et beaucoup d’autres malheurs du même ordre, inspire une tendance plutôt apocalyptique aux homélies grégoriennes. Pour le prédicateur, il s’agit d’autant de signes annonciateurs
de la fin imminente des temps et de la venue du Christ en gloire. Grégoire, comme Paul au premier
siècle du christianisme, a l’impression de vivre les temps eschatologiques où la place est faite au
secours des malheureux et des affamés, à la délivrance des captifs, au soin des malades et surtout à
29. C. SCHMIDT, Pistis Sophia, neu herausgegeben mit Einleitung nebst griechischem und koptischen wortund namensregister, Copenhague, Gyldendalske Boghandel-Nordisk Forlag (coll. « Coptica », II), 1925.
L’édition fut reprise photographiquement dans V. MACDERMOT et C. SCHMIDT, Pistis Sophia, Leiden,
Brill (coll. « Nag Hammadi Studies », 9), 1978.
215
EN COLLABORATION
la conversion des pécheurs. Pour le chrétien, cet événement est à accueillir avec sérénité, car son
âme est remplie de la paix que donne le Christ dans sa venue glorieuse.
Le style homilétique propre à Grégoire se traduit par l’utilisation d’un langage simple, facilement accessible aux auditeurs des grandes assemblées eucharistiques. Le prédicateur emploie également des formules brèves et frappantes, des antithèses et des raccourcis qui résument sa pensée, afin
de toucher le cœur des fidèles. Les exempla, des petites histoires actualisant le texte évangélique
expliqué, donnent une coloration particulière aux Homélies sur l’Évangile. Ces exempla s’insèrent
tout naturellement dans le prolongement des événements bibliques et conduisent le prédicateur à
offrir une interprétation allégorique ou morale des récits bibliques, car le but principal des exempla
est l’exhortation morale des fidèles.
Le corpus homilétique grégorien semble s’articuler autour de deux pôles majeurs : expositio et
admonitio. L’exposition sur le texte évangélique du jour permet au prédicateur de souligner les
points doctrinaux et théologiques en vue de l’approfondissement de la foi des fidèles, tandis que
l’exhortation appelle les auditeurs à suivre et à mettre en pratiques les enseignements que le Christ
nous a laissés dans l’Évangile. Si l’exposition a pour but la présentation du dogme chrétien en lien
étroit avec la révélation biblique, l’exhortation tend plutôt vers l’eschatologie et pousse le fidèle à
l’action en vue d’accueillir avec joie et dans la paix le jour de la venue du Christ dans la gloire.
L’Église en général et les fidèles en particulier sont concernés par le message évangélique. C’est
pourquoi Grégoire, en tant que successeur de Pierre, se donne pour mission de réorganiser l’Église
en insistant sur une plus grande attention envers les pauvres, sur la promotion de la vie monastique
en Occident, sur le développement des initiatives missionnaires, etc. (cf. Hom. 17).
L’allégorie permet à Grégoire de dessiner le portrait du « prédicateur parfait » à travers des
images bibliques pittoresques dont on peut signaler la présence dans toute la littérature patristique :
les bœufs sous le joug, les chiens du troupeau, les bouquetins et les biches, les sauterelles. Cependant, l’image grégorienne de prédilection qui s’applique le plus parfaitement au prédicateur est celle
du coq. En commentant le texte de Job 38,36 « Qui a donné l’intelligence au coq ? », Grégoire
affirme dans son ouvrage Moralia XXX,3,9 : « Qui d’autre à cet endroit est désigné sous le nom de
coq, sinon, rappelés d’autre manière, les saints prédicateurs, qui dans les ténèbres de la vie présente,
s’efforcent d’annoncer la lumière qui viendra, en prêchant, de même que le coq chante » (p. 33, n. 3).
Pour l’interprétation allégorique, les homélies grégoriennes s’inspirent tant de la tradition grecque,
Origène et Grégoire de Nazianze, que latine, Ambroise et Augustin, dans le domaine.
Le recueil des quarante Homélies sur l’Évangile est précédé d’une lettre dont le destinataire est
Secundinus, évêque de Taormina. De cette lettre dédicacée, nous apprenons que les homélies ont
été prononcées aux cours des célébrations eucharistiques dans la période allant de novembre 590 à
janvier 592. L’ordre des homélies ne suit pas l’ordre des récits évangéliques mais bien celui de leur
exposition devant le peuple, suivant le récit évangélique proposé par la liturgie romaine. Nous savons par ailleurs que le nombre de péricopes évangéliques présentes dans la liturgie romaine était
supérieur à quarante. C’est pourquoi on croit que Grégoire a fait une sélection dans son recueil pour
se limiter au chiffre quarante, qui est plutôt symbolique.
Les Homélies sur l’Évangile de Grégoire ont connu une grande influence sur la postérité,
preuve étant le nombre considérable de manuscrits, 450, que nous possédons. Parmi ceux qui ont
été le plus marqués par les homélies grégoriennes, signalons Isidore de Séville, Bède le Vénérable
et Alcuin. L’Homiliaire de Paul Diacre, vers la fin du huitième siècle, exploite également pratiquement la totalité du recueil homilétique grégorien. Au neuvième siècle, le monde carolingien
prête beaucoup d’attention aux homélies de Grégoire tant dans la prédication que dans la pratique
216
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
des offices monastiques, ou encore dans la prière des groupes de clercs appelés, depuis le neuvième
siècle, des chanoines. Après le dixième siècle, la reprise des homélies grégoriennes ne va qu’en
progressant, faisant du pape Grégoire Ier la figure par excellence du prédicateur face à son peuple.
Ce sont surtout les exempla qui intéressent les prédicateurs du haut Moyen Âge. Ces exempla deviennent l’outillage classique du prédicateur populaire qui veut atteindre le cœur de ses fidèles par
le message évangélique.
L’introduction, la traduction et les notes de ce recueil permettent au lecteur moderne de se
familiariser avec le contexte social et religieux dans lequel a vécu et œuvré celui qui est resté connu
à travers les siècles sous le nom de Grégoire le Grand. La qualité de la traduction et le soin particulier de l’édition font transparaître le message plein de dynamisme, de conviction religieuse et
toujours actuel qu’un pape de la fin du sixième/début du septième siècle a réussi à transmettre à ses
ouailles, en fidélité à la tradition de l’Église et à l’enseignement du Christ.
Lucian Dîncă
Facoltà Teologica dell’Italia Centrale, Firenze
26. BERNARD DE CLAIRVAUX, Sermons divers. Tomes I et II. Texte latin des S. Bernardi Opera
par J. LECLERCQ, H. ROCHAIS et C.H. TALBOT. Introduction et notes par Françoise CALLEROT.
Traduction par Pierre-Yves Émery révisée par Françoise Callerot. Paris, Les Éditions du Cerf
(coll. « Sources Chrétiennes », 496 et 518), 2006 et 2007, 431 et 476 p.
Ce qu’on appelle aujourd’hui les Sermons divers de Bernard de Clairvaux sont une collection
de soixante-neuf sermons reconnus, après un examen critique moderne rigoureux, comme venant de
la main rédactionnelle de Bernard. Il s’agit donc, selon l’indication du titre, de sermons divers, tant
par leurs formes que par leurs contenus, prêchés ou écrits à diverses occasions. Ils n’ont pas le suivi
liturgique ou la cohérence interne des Sermons pour l’année30, ni la continuité du commentaire d’un
livre biblique comme les Sermons sur le Cantique31. Les grandes idées développées dans ces sermons divers se retrouvent néanmoins dans d’autres ouvrages de Bernard et sont, par le fait même,
reconnues comme faisant partie du patrimoine théologique et spirituel bernardin. Dans ces deux
volumes de la collection « Sources Chrétiennes », le lecteur peut lire un total de soixante-neuf
sermons, de 1 à 22 au tome I et de 23 à 69 dans le tome II. Le texte latin est repris de l’édition effectuée et corrigée par Leclercq avec la participation de Rochais et Talbot pour les Sancti Bernardi
Opera, publiée en huit volumes par l’Ordre de Cîteaux de 1957 à 1977, aux éditions cisterciennes
de Rome. La traduction d’Émery fut révisée par Callerot. Sans entrer dans les détails de la riche
théologie et spiritualité qui se dégagent de ces sermons, nous voulons présenter deux aspects importants de leur unité, qu’on peut facilement retrouver dans d’autres ouvrages bernardins : la notion de
la liberté et la spiritualité monastique.
Bernard de Clairvaux a laissé à la postérité monastique et à l’Église une « charte de liberté »,
dont la racine se trouve dans l’amour du croyant envers le Verbe de Dieu fait chair. Le Christ nous
a aimés et a partagé avec nous la nature humaine, et nous sommes appelés à partager, en retour, sa
nature divine. Par le Christ, Dieu appelle tout homme à vivre de lui jusqu’à ne faire « qu’un seul
esprit avec lui » (cf. 1 Co 6,17). Cet appel à la divinisation de notre être humain est possible grâce
au don de la liberté fait à tous les hommes lors de la création. Mais, dès le début, l’homme a mal
utilisé cette liberté : au lieu de l’orienter vers Dieu et vers les choses spirituelles d’en-haut, il l’a
30. Voir « Sources Chrétiennes », 480 et 481.
31. Voir « Sources Chrétiennes », 414, 431, 452, 472 et 511.
217
EN COLLABORATION
dirigée vers lui-même et vers les choses de la terre. L’homme devient aveugle et se prend même
pour Dieu, c’est le péché de l’orgueil de l’homme. D’où la nécessité de la grâce pour que l’homme
retrouve la vue et reconnaisse Dieu, son créateur. Il est ainsi doublement libéré : d’une part du péché,
et, d’autre part, de la mort. Dans ces sermons le prédicateur insiste sur la nécessité de la grâce
comme une initiative gratuite de Dieu pour que l’homme atteigne le salut. Cependant, Dieu n’oblige
pas l’homme, et c’est pourquoi on rencontre dans les Sermons divers une insistance constante à
l’appel au libre arbitre qui, de l’intérieur, agit dans l’âme humaine pour la conduire vers le péché et
la mort, ou vers l’union à Dieu et la vie éternelle. L’action du libre arbitre dans l’homme conduit le
prédicateur à présenter la triple distinction, devenue désormais classique dès l’âge patristique, entre
les débutants, ceux qui ont à veiller sur leurs actes, les progressants, ceux qui ont à veiller sur leur
langue, et les parfaits, ceux qui ont à veiller sur leur cœur (Sermon 17) ; « il y a trois manières pour
s’unir à Dieu » (Sermon 4,3) ; « les trois pains pour restaurer le corps, l’âme et l’esprit » (Sermon 59). Les moines auxquels s’adresse Bernard ont franchi progressivement ces étapes en vivant
la foi, l’espérance et la charité. Leur vie est faite d’humilité. Ils sont profondément unis au Christ
qui leur garantit la vie bienheureuse en Dieu. L’homme est l’image et la ressemblance de Dieu en
raison de la liberté, qui l’appelle à l’union intime et profonde avec Dieu pour arriver à ne plus faire
qu’un avec lui.
Ces sermons s’adressent à tout chrétien, mais plus particulièrement aux moines qui ont pris la
résolution de vivre à fond leur engagement baptismal. Les Sermons divers sont remplis d’allusions
aux vœux monastiques : pauvreté, chasteté, obéissance et stabilité. On rencontre également de nombreuses allusions aux difficultés des moines, à leurs progrès spirituels sur les chemins de la vertu,
aux joies monastiques et aux raisons de vivre des moines. Plusieurs sermons traitent du combat,
jusqu’à l’épuisement, des moines contre « les sept vices » et le diable. En même temps, le prédicateur donne parfois des « recettes spirituelles », si on peut les appeler ainsi, pour aider le moine au
progrès spirituel et accueillir en lui les dons de l’Esprit Saint qui servent d’antidote contre toute
tentation dans le combat spirituel. La terminologie du désert est fréquemment rencontrée dans les
Sermons divers. La première étape à franchir pour le moine est la conversion du cœur, qui souvent
se fait dans le retrait, loin du bruit du monde, dans le cœur à cœur avec Dieu, dans le désert intérieur. Pour mieux décrire cet aspect initiatique de la vie monastique, Bernard utilise la dialectique
johannique : être en ce monde, mais non de ce monde (Jn 8,23). C’est pourquoi, la vie monastique
ressemble beaucoup à la vie des apôtres appelés du monde et mis à l’écart du monde. Une telle
spiritualité monastique nous amène à croire qu’en choisissant la vie contemplative et ascétique, le
moine choisit le retour au Paradis, où les relations entre Dieu et l’homme sont vécues en harmonie
et dans la charité. Les psaumes offrent au prédicateur une source inépuisable pour décrire l’idéal
spirituel de tout chrétien, en général, et de tout moine, en particulier. De ce point de vue, les Sermons font partie du patrimoine du monachisme, au même titre que la Règle de saint Benoit, les
écrits de Jean Cassien, et même la Vie d’Antoine d’Athanase d’Alexandrie.
Toute l’œuvre bernardine jouit d’un soin tout à fait particulier de la part de l’auteur, et les
Sermons divers n’en font pas exception. Souvent, le prédicateur exprime le soin particulier qu’il
faut porter pour les ouvrages destinés à la publication. Sur cet aspect, il s’exprime lui-même ainsi :
« De même que quelqu’un qui écrit organise ses pensées en fonction de raisons précises, de même
tout ce qui vient de Dieu est ordonné… » (Sermon pour l’ascension 4,2). Bien que le prédicateur
essaie d’être le plus clair possible pour que son message puisse atteindre le cœur d’un grand
nombre, les lecteurs néophytes des œuvres bernardines auront quelques difficultés à saisir la pensée
profonde de l’auteur. Dans ses sermons, il déploie une pensée très rigoureuse, tissée de citations ou
d’allusions bibliques, mais le style littéraire n’est pas familier au grand public. Ceci dit, tout lecteur,
d’une manière ou d’une autre, grâce à la belle et très élégante traduction, aux notes critiques et ex-
218
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
plicatives et à l’introduction succincte, mais bien documentée, peut pénétrer, ne serait-ce qu’un peu,
dans l’âme de ce chercheur de Dieu et profiter de son message toujours actuel.
Lucian Dînca
Facoltà Teologica dell’Italia Centrale, Firenze
27. AMBROSIASTER, Contre les Païens (Questions sur l’Ancien et le Nouveau Testament, 114) et
Sur le destin (Questions sur l’Ancien et le Nouveau Testament, 115). Introduction, texte critique, traduction et notes par Marie-Pierre BUSSIÈRES. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 512), 2007, 273 p.
L’Ambrosiaster, ou Pseudo-Ambroise, est un personnage énigmatique auquel on attribue un
commentaire suivi, succinct mais riche, des lettres pauliniennes, de même que 127 Questions sur
l’Ancien et le Nouveau Testament. La paternité de ces ouvrages, attribués longtemps à Ambroise, se
vit mise en discussion pour la première fois par Érasme de Rotterdam, en 1527, qui a laissé à la
postérité le nom d’Ambrosiaster. L’auteur de ces ouvrages n’a jamais été identifié d’une façon convaincante. Les spécialistes, jusqu’à aujourd’hui, n’ont fait que proposer de potentiels candidats à
une telle paternité, sans pour autant convaincre, ou du moins faire l’unanimité. Parce qu’Augustin
d’Hippone cite un passage du Commentaire sur la lettre aux Romains, l’attribuant à un certain
« sanctus Hilarius », on a cru qu’il s’agissait d’Hilaire de Poitiers, d’un certain Isaac, juif converti
au christianisme appelé ainsi « à cause du rire », d’Hilaire de Pavie, d’Hilaire, un proconsul de
l’Afrique du Nord, d’Évagre d’Antioche, ou encore de Simplicianus, le successeur d’Ambroise sur
le siège épiscopal de Milan. Même Morin, qui a consacré pas moins de trente ans à cette question et
rédigé cinq articles sur le sujet, n’a pas réussi à convaincre les milieux scientifiques et à imposer un
candidat pour l’œuvre de l’Ambrosiaster. Bussières, à son tour, se contente de faire simplement un
état de la question et met sous les yeux des lecteurs le panorama des potentiels candidats à cette
paternité, sans pour autant prendre position en faveur de l’une ou de l’autre des hypothèses avancées. Par ailleurs, la chercheuse se situe bien dans la tendance actuelle, à savoir abandonner le travail d’identification de l’Ambrosiaster afin de se consacrer plutôt à l’étude de l’œuvre.
Grâce à de minces informations sur sa personne contenues dans l’œuvre, la mention qu’il écrit
à Rome (cf. Quest. 115,16) durant l’épiscopat de Damase (cf. In I Tim. 3,15), les chercheurs situent
la date de la rédaction de l’ouvrage entre 366 et 388, avec une tendance à la rapprocher de 388. Les
questions 114 et 115 ne suivent pas les règles de composition de tels ouvrages, à savoir « question/réponse », mais constituent des vrais traités, Contre les Païens et Sur le destin. Le premier suit
généralement la règle des apologies, à savoir une réfutation des accusations contre les chrétiens,
suivi d’un exposé des faits pour défendre le christianisme et rendre caduque la religion païenne. En
effet, dans la première partie, l’auteur rappelle les deux accusations auxquelles sont soumis les
chrétiens : la nouveauté du christianisme et sa stupidité, accusations qu’on rencontre par ailleurs
dans l’ouvrage de Julien l’Apostat, Conte les Galiléens. La seconde partie consiste pour sa part en
un bref exposé du christianisme. Le but de l’auteur est commun aux premiers apologistes chrétiens :
montrer à ses lecteurs la nette supériorité de la religion chrétienne sur le polythéisme païen, qui
incite à adorer la créature plutôt que le Créateur. Le second traité se veut une réponse au fatalisme
astral propagé par l’astrologie. Dans une perspective chrétienne, tenant compte de la justice même
de Dieu, le destin est à condamner, car il est l’œuvre du diable. Le Dieu Créateur est le seul à
exercer une toute-puissance divine sur la création, tandis que les autres éléments de la création
obéissent à l’ordre établi par le Créateur. Pour convaincre ses lecteurs que l’homme n’est pas
soumis au destin dicté par les astres, l’Ambrosiaster insiste sur le fait que les êtres humains sont
dotés de volonté ou de passions capables de les faire changer d’habitudes, de goûts et même
219
EN COLLABORATION
d’idées. La conclusion, plus qu’évidente, est que le destin n’existe pas, car la loi de Dieu et le destin
ne peuvent pas cohabiter, le dernier excluant la toute-puissance et la justice divine.
Dans l’introduction, Bussières explique le motif qui a dicté la publication des deux traités dans
le même ouvrage : « […] nous sommes en présence de deux textes apparentés non seulement par le
thème et l’argumentation, mais également par le ton et le style » (p. 49). La différence entre les
deux traités est due aux destinataires : si la question 114 est incontestablement dirigée contre les
païens, la question 115 met en accusation les chrétiens qui se laissent fasciner par les mirages de
l’astrologie. Pour la traduction de son texte, Bussières se fonde sur l’édition d’A. Souter dans la
collection « Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum » de 1908, qu’elle a cependant revue
sur la base des manuscrits. L’ample introduction bien documentée, les notes critiques, la traduction
dans un langage facile à lire, les renvois bibliographiques qui donnent le goût d’approfondir l’un ou
l’autre aspect de l’œuvre, sont autant d’atouts, pour nous les lecteurs modernes, qui nous incitent à
pénétrer dans l’âme et l’esprit croyant de celui qu’on appelle encore aujourd’hui l’Ambrosiaster.
Lucian Dîncă
Facoltà Teologica dell’Italia Centrale, Firenze
28. BERNARD DE CLAIRVAUX, Sermons sur le Cantique. Tome V (Sermons 69 à 86). Texte latin
des S. Bernardi Opera par J. LECLERCQ, H. ROCHAIS, C.H. TALBOT. Préface par Michel ZINK.
Introduction et notes par Paul VERDEYEN. Traduction par Raffaele Fassetta. Index par l’Abbaye
Sainte-Marie de Boulaur. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 511), 2007,
532 p.
Nous saluons avec grande joie et beaucoup d’admiration la parution, dans la collection
« Sources Chrétiennes », du cinquième et dernier volume des Sermons sur le Cantique de Bernard
de Clairvaux. L’objectif de ce monument littéraire, scientifique et spirituel est de montrer à son
auditoire la nouveauté de Dieu à travers la mystique des liens nuptiaux tels qu’ils sont décrits dans
le livre vétérotestamentaire le Cantique des Cantiques. Les images de ce livre biblique ont évoqué
chez ses commentateurs, depuis Origène, tantôt l’union entre le Christ et l’Église, tantôt l’union
mystique entre le Christ et l’âme, Bernard privilégiant plutôt cette seconde interprétation.
La rédaction des sermons édités et traduits dans ce livre est à situer entre 1145 et 1153. Dans
cet intervalle de temps, l’abbé de Clairvaux est occupé à prêcher la deuxième croisade, s’intéresse
au synode de Reims ouvert le 21 mars 1148, et écrit le De consideratione dédié au premier pape
cistercien, Eugène III. En achevant le sermon 86 en 1153, Bernard laisse à la postérité un dense
résumé de sa doctrine développée dans tous ses sermons sur l’amour spirituel. Entre l’âme humaine
et son Créateur et Sauveur, Jésus Christ, il y a un lien amoureux si fort que personne ne pourra le
rompre. C’est à l’intérieur de ce lien que l’âme jouit de la participation à l’amour intratrinitaire du
Père et du Fils unis dans l’Esprit Saint. Une telle conviction ne fait que pousser les moines auxquels
s’adresse Bernard et les lecteurs de ses Sermons à faire leur propre expérience directe et personnelle
avec le Dieu Amour, dans l’intimité de leur être. Toute âme humaine est appelée à vivre de l’intérieur la grâce des noces spirituelles avec son divin Époux, le Christ : « Toute âme, même chargée de
péchés, enveloppée de vices, captivée par les plaisirs, prisonnière en son exil, incarcérée dans son
corps, enlisée dans la boue, plongée dans la vase…, toute âme, dis-je, même ainsi damnée et désespérée, peut cependant trouver en elle-même non seulement de quoi respirer dans l’espérance du
pardon et de la miséricorde, mais aussi l’audace d’aspirer aux noces du Verbe » (Sermon 83,1,
p. 341-343). Dans cette approche de l’expérience mystique, l’abbé de Clairvaux se montre tributaire
de la tradition augustinienne. En effet, dans ses Confessions, Augustin soutenait que le Verbe de
Dieu ne s’adresse pas à l’âme humaine par les fenêtres des sens corporels, mais par les sens spiri-
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LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
tuels. Cependant, contrairement à l’évêque d’Hippone et à la tradition rigoriste de la prédestination
promue par Fulgence de Ruspe, Bernard affirme contre vents et marées la volonté salvatrice de
Dieu pour tous les hommes grâce à la foi au Christ mort et ressuscité et au don de l’Esprit Saint fait
aux croyants.
Les lecteurs modernes ont entre leurs mains une édition critique bien au point, une traduction à
la hauteur du prédicateur qui a délecté les oreilles de ses auditeurs, une annotation très riche et une
introduction dense et éclairante sur quelques aspects fondamentaux du message spirituel bernardin.
On y trouve également un index thématique relatif à l’ensemble des Sermons sur le Cantique qui
sera très utile aux chercheurs et aux novices. Bernard de Clairvaux laisse à la latinité médiévale une
des œuvres théologiques et mystiques des plus saisissantes, qui est maintenant accessible à tous
ceux qui veulent vivre l’expérience de l’union mystique de l’âme avec le Christ.
Lucian Dîncă
Facoltà Teologica dell’Italia Centrale, Firenze
29. Paroles à Dieu de Grégoire de Narek. Introduction, traduction et notes par Annie et JeanPierre MAHÉ, Louvain, Éditions Peeters, 2007, 486 p.
Dès le début de leur histoire, aux premiers siècles, les christianismes occidentaux et orientaux
ont souffert d’un manque de contact et parfois d’incompréhension, phénomène qui s’explique par
des différences de culture et de mentalités. Cette situation nous influence encore. Entre autres, la
culture arménienne mérite certainement d’être mieux connue en Occident. C’est cette lacune que
cherchent à combler Annie et Jean-Pierre Mahé dans leurs études sur l’histoire de l’Arménie et des
Arméniens. Les deux éditeurs et traducteurs nous font partager cette culture, cette fois par le biais
de sa littérature, grâce à une traduction d’un de ses plus grands poètes, Grégoire de Narek. Ils nous
offrent ses « lamentations poétiques » dans une édition en format de poche : une édition abrégée
réalisée à partir de celle qui est parue à Louvain, en 2000, adressée aux spécialistes, avec notes
philologiques. Cette édition abrégée conserve cependant intégralement le texte de l’auteur.
Né en 940, Grégoire tient son nom du village de Narek dans lequel était établi le monastère où
il passa une bonne partie de sa vie. Narek est situé dans le Royaume de Vaspouourakan. À cette
époque, les états arméniens étaient inclus, avec la Géorgie orientale et une partie de l’actuel Azerbaïdjan, dans la province d’Armîniya, sous l’autorité musulmane. Le toponyme de Narek est même
devenu le nom propre de l’œuvre de Grégoire. Terminé en 1002, élaboré lentement et s’ordonnant
peu à peu en un tout cohérent de quelque dix mille vers, le Livre des lamentations est, selon les
éditeurs, un des rares ouvrages qui résument toute la tradition d’un peuple et d’une Église. Il s’agit
d’une véritable somme et d’une clef pour pénétrer ce qu’il y a de plus intime et de plus singulier
dans la spiritualité arménienne. Grégoire de Narek a écrit ainsi son œuvre la plus célèbre, un recueil
organisé de prières ou de lamentations poétiques, écrites selon un mètre cadencé : des prières embaumées, pleines de myrrhe et d’encens, selon l’expression qu’il utilise.
Cette traduction en français ouvre tout un monde qui pour beaucoup restait inexploré. Les
traducteurs évoquent avec raison dans l’introduction le choc esthétique et l’impression de beauté
captivante que l’on ressent dès le début de la lecture. Les réseaux d’images de la Bible sont recréés
pour transformer l’imaginaire des lecteurs. L’œuvre de Grégoire s’ancre dans les traditions intellectuelles et religieuses de son époque et, particulièrement, dans le mouvement monastique propre à la
renaissance nationale arménienne des dixième et onzième siècles. Œuvre en partie de circonstance,
Grégoire y combat aussi les adeptes de mouvements religieux qui prônent un christianisme spiritualisé au point de dédaigner tout culte matériel. C’est la notion même d’Église qui pour Grégoire est
221
EN COLLABORATION
en péril et l’incarnation du Verbe qui est dédaignée. Le recueil est bien structuré, le plan reflétant
les trois niveaux du Temple (parvis, saint et saint des saints), ce qui incite le lecteur à une progression constante. Le Temple symbolisant le corps mystique du Christ, qui est l’Église, le lecteur
participe ainsi activement à la rénovation progressive de l’image du nouvel Adam.
Anne Pasquier
30. GRÉGOIRE DE NYSSE, Homélies sur le Cantique des cantiques. Traduction et notes par Adelin
ROUSSEAU, o.c.s.o., moine de l’Abbaye Notre-Dame d’Orval. Introduction et bibliographie par
Bernard POTTIER, s.j. Bruxelles, Lessius (coll. « Donner raison », 23), 2008, 351 p.
En 2004, le P. Adelin Rousseau, éditeur et traducteur bien connu d’Irénée de Lyon, nous avait
donné, dans la même collection (vol. 15) des Éditions Lessius, une traduction intégrale des trois
Discours contre les ariens d’Athanase d’Alexandrie. Cette fois, il rend accessible aux lecteurs francophones une autre œuvre majeure de la patristique grecque, les quinze discours (λόγος) ou homélies de Grégoire de Nysse sur le Cantique des cantiques, un des grands textes de la littérature mystique chrétienne. Cette œuvre a fait l’objet en 1960 d’une édition critique, dans les Gregorii Nysseni
opera (vol. VI), par les soins d’Hermann Langerbeck. C’est cette édition qui sert de base à la présente traduction, non sans que le P. Rousseau en ait réévalué certains choix, comme il le précise
dans les notes qui accompagnent la traduction32. Le texte de Grégoire de Nysse est d’une grande
richesse herméneutique, théologique et spirituelle. Le commentaire ne porte pas sur la totalité du
livre biblique puisqu’il s’interrompt au chap. 6,9, mais les quinze discours rédigés par l’évêque de
Nysse sont d’une grande densité et ils mériteraient une annotation suivie. Mais il faut se réjouir
d’avoir désormais entre les mains une traduction complète et philologiquement sûre33. Le défaut
d’annotation est d’ailleurs pallié partiellement par l’introduction du P. Bernard Pottier, auteur d’un
excellent ouvrage sur le Contre Eunome de Grégoire de Nysse34, dans laquelle il présente les homélies comme un commentaire suivi du Cantique et analyse la thématique de sept d’entre elles (III, V,
VI, X, XI, XII, XIII). Ces pages aident à la lecture du texte grégorien, même si les rapprochements
avec les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola pourront paraître moins pertinents. Sur le plan du
contenu, le lecteur retrouvera dans ces Homélies bien des idées chères à Grégoire de Nysse : l’assimilation à la divinité comme terme de la vie vertueuse (IX,5, p. 204, reprise de Platon, Théétète
176ab) ; l’accueil par l’Écriture « des fables païennes afin de les faire concourir à son propre but »
(IX,12, p. 215) ; la « mystique initiation (μυσταγωγία) » conférée à l’âme (XI,4, p. 239) ; l’âme
humaine sise à la frontière (μεθόριος) de deux natures (XI,8, p. 244) ; la vision de Dieu par ses posteriora (ὀπίσθια), « de dos », d’après Ex 33,18-23 (XII,7, p. 258) ; l’image du bloc de marbre dont
le sculpteur retranche ce qui cache la forme de l’archétype, reprise de Plotin, Ennéades I,6 [1],9.
Sur le plan de l’approche exégétique, on remarquera la liberté que Grégoire laisse à son lecteur (p. ex.,
XII,11, p. 247 : « Nous laissons à l’auditeur le soin de choisir celle des deux explications qui se
rattache de la façon la plus naturelle au texte et s’accorde le mieux avec lui » ; XIII,4, p. 273 :
« Mais qu’il en soit en tout cela selon ce que chacun en décidera »). Bien d’autres points mérite32. On pourrait toutefois juger autrement de certains passages où le P. Rousseau s’éloigne de Langerbeck ; ainsi,
p. 216, n. 8, on ne voit pas pourquoi Grégoire n’aurait pu, ne serait-ce qu’accidentellement, s’éloigner de la
formulation du texte biblique ; p. 274, n. 8, il n’y a aucune raison de supprimer λόγον, qui donne au contraire un sens excellent dans le contexte.
33. En X,7, p. 228, la traduction de σέβασμα par « religion » n’est pas très heureuse ; « culte » eût été préférable.
34. Dieu et le Christ selon Grégoire de Nysse. Étude systématique du « Contre Eunome » avec traduction inédite des extraits d’Eunome, Namur, Culture et Vérité (coll. « Ouvertures », 12), 1994 ; cf. Laval théologique et philosophique, 52 (1996), p. 881-884.
222
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
raient d’être relevés. J’en retiens deux en terminant : la solution remarquable apportée à l’aporie de
la situation « au milieu du paradis » (cf. Gn 2,9 et 3,3) et de l’arbre de la vie et de l’arbre de la connaissance du bien et du mal (XII,4, p. 254 : « […] il est impossible qu’il se soit trouvé en ce point
central une place pour les deux arbres ») ; et l’idée que « la naissance [du Christ] fut sans accouchement (χωρὶς λοχείας), tout comme la conception avait été sans union conjugale » et « son
enfantement sans douleur » (XIII,8, p. 279), ce qui n’est pas sans évoquer certaines représentations
docètes35. La thèse de Grégoire rejoint cependant en partie la doctrine qui sera retenue par le concile quinisexte in Trullo, en 69236. Ce dernier point montre encore une fois que Grégoire de Nysse,
tout en étant imprégné de philosophie, véhicule quantité de doctrines archaïques. Soulignons enfin
la qualité de la présentation typographique de l’ouvrage et le fait qu’on ait reproduit au fil de la
traduction la pagination de l’édition de Langerbeck, ce qui facilite grandement la consultation du
texte grec.
Paul-Hubert Poirier
31. Isabelle ASSAN-DHÔTE, Jacqueline MOATTI-FINE, Ruth. Traduction du texte grec de la Septante. Introduction et annotation. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « La Bible d’Alexandrie »,
8), 2009, 118 p.
Ce dernier-né de la traduction française de la Septante, qui compte maintenant seize volumes,
présente l’un des livres les plus courts de la Bible juive mais, sans aucun doute, l’un des plus attachants. Conformément au modèle adopté pour la « Bible d’Alexandrie », le volume consacré à Ruth
s’ouvre par une bibliographie, suivie par une longue introduction, la traduction annotée et un index
des mots grecs. Pièce de résistance de l’ensemble, l’introduction situe tout d’abord le livre de Ruth
dans la Bible grecque, entre les Juges et les Règnes, comme un document sur les ascendants du roi
David et une étape dans l’histoire d’Israël, ce qui diffère du classement adopté par la Bible hébraïque, qui range Ruth dans les Écrits (Ketouvim), la troisième section du canon hébreu. La
deuxième partie de l’introduction rappelle la fonction liturgique du livre de Ruth, qui était lu au
moment de la fête juive de la Pentecôte (Shabouôt). Même si cette tradition n’est pas attestée par les
sources juives hellénistiques, on peut penser que la version grecque de Ruth, par l’importance
qu’elle accorde au don et à la réception de la Loi, se situait dans la même mouvance, la promulgation de la Loi étant célébrée à Shabouôt. L’histoire du texte grec de Ruth est ensuite retracée,
depuis la théorie d’Alfred Rahlfs jusqu’à l’édition d’Udo Quast (2006). L’apport des manuscrits de
Qumrân est souligné, ainsi que celui des versions, essentiellement la Vetus latina, la Vulgate et le
targum. Si la traduction grecque de Ruth peut être qualifiée de littérale, elle n’est pas pour autant
« littéraliste » (p. 40), car elle témoigne néanmoins d’un « effort d’élucidation des implicites du texte
hébreu » (p. 39) et de la volonté d’en donner une lecture intelligente et d’en proposer une interprétation cohérente. Cette interprétation se manifeste par les choix du traducteur (à propos du lévirat
et de l’expression de la parenté), par « l’agrandissement » des personnages et par le jeu sur les verbes ἐπιστρέφειν/ἀποστρέφειν, qui fait du livre un récit exemplaire de conversion. La dernière section de l’introduction est consacrée aux lectures anciennes de Ruth, juives (Midrash Rabbah et Flavius
35. Dont on trouvera l’inventaire dans M. TARDIEU, « “Comme à travers un tuyau”. Quelques remarques sur le
mythe valentinien de la chair céleste du Christ », dans B. BARC, éd., Colloque international sur les textes
de Nag Hammadi (Québec, 22-25 août 1978), Québec, PUL ; Louvain, Peeters (coll. « Bibliothèque copte
de Nag Hammadi », section « Études », 1), 1981, p. 151-177.
36. Canon 79, texte et trad. dans P.-P. JOANNOU, Discipline générale antique (IVe-IXe s.), t. I, 1. Les canons des
conciles œcuméniques, Grottaferrata (Rome), Tipografia Italo-Orientale « S. Nilo » (coll. « Pontificia
commissione per la redazione del codice di diritto canonico orientale », « Fonti », fasc. IX), 1962, p. 215216.
223
EN COLLABORATION
Josèphe) et chrétiennes (Évangile de Matthieu, Origène, Hippolyte de Rome, Jean Chrysostome,
Jules Africain, Théodoret de Cyr et Jérôme). Une même thématique réunit Juifs et chrétiens : « la lignée davidique ouverte par la généalogie, la vertu des protagonistes et l’annonce messianique »
(p. 61). La traduction est accompagnée d’une très abondante annotation, surtout attentive aux écarts
du grec par rapport à l’hébreu, mais aussi aux échos de la langue du livre grec Ruth dans la langue
classique et dans les commentaires anciens. Tout en donnant désormais accès au texte grec de Ruth,
cette édition constitue en même temps un beau commentaire à ce livre biblique.
Paul-Hubert Poirier
32. Franz Xaver RISCH, éd., Die Pseudoklementinen. IV. Die Klemens-Biographie. Epitome
prior. Martyrium Clementis. Miraculum Clementis. Berlin, New York, Walter de Gruyter
(coll. « Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte », Neue Folge, 16),
2008, CXXIII-279 p.
Avec ce volume s’achève la publication du dossier pseudo-clémentin dans la collection berlinoise consacrée aux écrivains grecs chrétiens des premiers siècles. Il s’ajoute à l’édition des Homélies (B. Rehm, G. Strecker, 19923) et des Reconnaissances (B. Rehm, G. Strecker, 19942), et à la
concordance latine, grecque et syriaque de G. Strecker (1986 et 1989). Dans ce quatrième tome,
F.X. Risch présente l’édition de l’Epitome prior du roman pseudo-clémentin. Comme on le sait, il
existe deux versions abrégées de cette œuvre, faites sur la base des Homélies. C’est la forme la plus
ancienne de ces résumés qui est éditée ici. La seconde, une recension due à Syméon le Métaphraste
(dixième siècle), n’est toujours accessible que dans l’édition d’Albert Dressel37 ou dans la Patrologie grecque (t. II, col. 469-604). Il est à noter que Dressel appelle Epitome prior l’abrégé métaphrastique et Epitome altera l’abrégé pré-métaphrastique, plus ancien, parce que celui-ci ne fut
connu que plus tard. À l’édition de l’Epitome prior (c’est-à-dire l’altera de Dressel), Risch a joint
celle du Martyrium Clementis, transmis sous une double forme, de façon indépendante par quelques
manuscrits mais par un plus grand nombre comme appendice à l’Epitome prior. La forme transmise
de manière isolée représente en gros la rédaction la plus ancienne du Martyre. La troisième pièce à
figurer dans l’édition de Risch est un Miraculum Clementis attribué à un certain Éphrem, évêque de
Chersonèse, région dans laquelle la tradition situe le martyre de Clément de Rome. Après la présentation des trois textes édités, l’essentiel de l’introduction est consacré à la description et au classement des manuscrits, dont le nombre s’élève à cinquante, répartis en six catégories selon les textes
qu’ils contiennent ou qu’ils combinent. Même s’il a pu profiter du travail de Franz Paschke38, l’éditeur s’est appliqué à démêler l’écheveau de la généalogie des manuscrits, ce qui l’a conduit à proposer plusieurs stemmas partiels de la tradition manuscrite. En plus de l’apparat critique principal qui
signale les variantes manuscrites et les leçons parallèles ou divergentes du syriaque et du latin,
l’édition comporte aussi un premier apparat des lieux parallèles dans les Homélies, et un deuxième
qui signalent les rapprochements apparaissant ailleurs, notamment chez des auteurs byzantins, comme
Michel Glycas ou Georges Cedrenus, et les références bibliques. L’ouvrage se termine par deux
index, des textes cités et des mots grecs. Cette belle édition complète heureusement les PseudoClémentines du Corpus de Berlin. Je signale en terminant que la bibliothèque de l’Université Laval
37. Clementinorum epitomae duae, Leipzig, J.C. Hinrichs, 1859, p. 2-119.
38. Die beiden griechischen Klementinen-Epitomen und ihre Anhänge. Überlieferungsgeschichtliche Vorarbeiten zu einer Neuausgabe der Texte, Berlin, Akademie-Verlag (coll. « Texte und Untersuchungen zur
Geschichte der altchristlichen Literatur », 90), 1966.
224
LITTÉRATURE ET HISTOIRE DU CHRISTIANISME ANCIEN
possède un manuscrit du onzième siècle de l’Epitome métaphrastique, qui donne les chap. 51-56,
69-75, 121-124 et 133-136 de l’édition de Dressel39.
Paul-Hubert Poirier
33. ALEXANDRE D’APHRODISE, De l’âme. Texte grec introduit, traduit et annoté par Martin BERGERON et Richard DUFOUR. Paris, Librairie Philosophique J. Vrin (coll. « Textes & Commentaires »), 2008, 416 p.
Cet ouvrage est composé d’une introduction d’une cinquantaine de pages (p. 9-60), du texte
grec et de sa traduction présentés sous forme synoptique (p. 66-231) et d’un commentaire d’environ 140 pages (p. 233-374), le tout suivi d’une bibliographie (p. 375-383) et d’un index des notions,
des auteurs anciens, des textes d’Alexandre et des auteurs modernes.
L’introduction débute par un rappel des quelques données biographiques connues d’Alexandre : né dans la seconde moitié du deuxième siècle de notre ère, il est originaire d’Aphrodise en
Carie. Il a enseigné à Athènes et eut comme professeurs Herminus, Sosigène et Aristote de Mytilène. Les auteurs traitent ensuite de l’œuvre d’Alexandre, qui se compose de commentaires à des
traités d’Aristote et d’œuvres personnelles, comme le traité De l’âme. Les auteurs rappellent que la
chronologie des ouvrages d’Alexandre est mal établie et que certaines hypothèses qui ont été mises
de l’avant demeurent incertaines. Par exemple, ils mettent en doute la postériorité du De l’âme
d’Alexandre par rapport à son commentaire sur le traité du même titre d’Aristote en montrant l’insuffisance des preuves de P. Donini. Le traité est ensuite situé par rapport au corpus aristotélicien,
puis à la doctrine stoïcienne. Alexandre suit de près le De l’âme d’Aristote de 27,3 à 94,6, et plus
librement dans les premiers chapitres. Cette liberté relative face au De l’âme d’Aristote lui permet
d’éviter les « […] questions trop épineuses. Il dépeint ainsi une doctrine vigoureuse et sans compromis » (p. 18). Il se sert également de l’ensemble du corpus aristotélicien, et plus particulièrement
des traités biologiques qui lui servent « à compléter et parfois à corriger la doctrine du traité De
l’âme » (p. 18). Finalement, le traité combat la doctrine stoïcienne en niant que l’âme soit un corps
et une harmonie, et en prenant position contre la théorie du mélange intégral. L’exposé porte toutefois la trace du stoïcisme dans les lignes traitant de la vérité et de la fausseté des représentations.
L’introduction présente en dernier lieu les différentes parties du traité, en en résumant les idées, et
en montrant où elles se situent par rapport aux doctrines du Stagirite. Ces pages montrent clairement le travail exégétique d’Alexandre, qui reste toujours dans l’esprit aristotélicien, mais qui sait
aussi pousser plus à fond certaines questions avec liberté : le De l’âme d’Alexandre possède donc
une part incontestable d’originalité. Certaines des questions qui ont provoqué des débats chez les
commentateurs modernes sont étudiées plus en profondeur et de façon systématique. Les auteurs
montrent ainsi que, contrairement à ce qui fut avancé, l’âme précède le corps pour Alexandre comme
pour Aristote. Comme la doctrine d’Alexandre sur l’intellect agent a fait couler beaucoup d’encre,
les auteurs y accordent une discussion méthodique. Ils présentent les quatre interprétations modernes, pour finalement bien cerner ce qui est certain de ce qui est hors d’atteinte. Ils se montrent prudents et préfèrent prendre une position qui laisse certaines questions en suspens, plutôt que de tenter
d’argumenter sans véritables fondements.
La traduction, la première en français, est basée sur une édition révisée de celle d’Ivo Bruns
datant de 1887. Elle est d’une grande clarté et très fidèle au texte grec. Pour chaque partie du traité,
39. Voir P.-H. POIRIER, B. MONDRAIN, « Les manuscrits grecs de l’Université Laval, Québec, Canada (olim
Collection Alphonse Dain) », Scriptorium. Revue internationale des études relatives aux manuscrits, 55
(2001), p. 155-157 et pl. 30.
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EN COLLABORATION
le commentaire propose un résumé de l’argumentation d’Alexandre. On nous informe ensuite de
l’emplacement de ses idées dans le corpus d’Aristote. Le commentaire signale aussi les échos à
l’intérieur du traité, et donne des éclaircissements terminologiques. Il renvoie à l’introduction pour
les questions qui y sont plus longuement développées, met en relation certaines doctrines avec
celles des stoïciens, et donne des références bibliographiques pour les questions discutées dans des
ouvrages modernes.
L’ouvrage de Martin Bergeron et de Richard Dufour est d’une grande valeur. Il donne la première traduction française de cette œuvre et sert de mise au point concernant la noétique d’Alexandre, son positionnement par rapport à l’aristotélisme et, dans une moindre mesure, par rapport au
stoïcisme. Il sera très utile à ceux qui s’intéressent à la postérité de l’aristotélisme sous l’Empire.
Précis et nuancé, l’ouvrage s’adresse en premier lieu aux spécialistes, tout en demeurant accessible
aux non-spécialistes (comme l’auteur de ces lignes).
Martin Voyer
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