Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
Archives de sciences sociales des religions 110 | avril-juin 2000 Varia STOCZKOWSKI (Wiktor), Des hommes, des dieux et des extraterrestres. Ethnologie d’une croyance moderne Paris, Flammarion, 1999, 474 p. (notes) Nathalie Luca Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/assr/20604 DOI : 10.4000/assr.20604 ISSN : 1777-5825 Éditeur Éditions de l’EHESS Édition imprimée Date de publication : 1 juillet 2000 Pagination : 107-109 ISBN : 2-222-96691-4 ISSN : 0335-5985 Référence électronique Nathalie Luca, « STOCZKOWSKI (Wiktor), Des hommes, des dieux et des extraterrestres. Ethnologie d’une croyance moderne », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 110 | avril-juin 2000, document 110-47, mis en ligne le 19 août 2009, consulté le 21 septembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/assr/20604 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.20604 Ce document a été généré automatiquement le 21 septembre 2020. © Archives de sciences sociales des religions STOCZKOWSKI (Wiktor), Des hommes, des dieux et des extraterrestres. Ethnologi... STOCZKOWSKI (Wiktor), Des hommes, des dieux et des extraterrestres. Ethnologie d’une croyance moderne Paris, Flammarion, 1999, 474 p. (notes) Nathalie Luca RÉFÉRENCE STOCZKOWSKI (Wiktor), Des hommes, des dieux et des extraterrestres. Ethnologie d’une croyance moderne, Paris, Flammarion, 1999, 474 p. (notes) 1 Voici un livre qui provoque à la fois le rire et la frayeur. Si l’humour guette le lecteur à chaque page et maintient le sourire à ses lèvres, la mise en garde contre les failles de la pensée humaine, dite « rationnelle », n’épargne aucun milieu, qu’il soit « scientifique », « militant » ou « croyant », et oblige à une autocritique dérangeante. W.S. démontre à quel point il n’est non seulement pas « loufoque », « frivole » ou « suspect » de travailler sur la croyance aux extraterrestres, mais que celle-ci, vue à travers le prisme de l’histoire et d’une culture occidentale plus vaste, est loin d’occuper la place mineure qu’on lui prête, ou de n’être qu’un îlot d’irrationalité provoqué par une crise énigmatique dont la sortie entraînera l’engloutissement. 2 Au point de départ de la démarche de l’auteur, il y a la moquerie : comment est-il possible de croire à de telles stupidités ? Puis vient l’étonnante découverte de l’important succès de ces inepties. L’instinct de l’ethnologue a alors pris le dessus sur le mépris premier : l’ethnologie n’a-t-elle pas fait « de l’absurde sa pâture » ? « L’expérience acquise hier au loin pourrait aujourd’hui être utile pour comprendre le proche, car les conduites et les idées de nos concitoyens sont parfois non moins insolites que celles des sauvages ». Dès lors, il ne lui restait plus qu’à comprendre, d’une part, comment ce type de croyances a pu naître, et d’autre part, pourquoi elles se sont répandues. Archives de sciences sociales des religions, 110 | avril-juin 2000 1 STOCZKOWSKI (Wiktor), Des hommes, des dieux et des extraterrestres. Ethnologi... 3 Le premier ouvrage qui interpelle W.S. est celui du Suisse Erich von Däniken, Le souvenir du futur, paru en 1968 et dont la vente globale est estimée entre quatre et cinq millions d’exemplaires. Il constate l’existence d’analogies nombreuses entre les conceptions de von Däniken et celles du Français Robert Charroux dont la première publication a précédé la sienne, ainsi qu’avec celles de Louis Pauwels et Jacques Bergier aux publications encore antérieures. Tous développent la « théorie des Anciens Astronautes », qui, dans l’antiquité seraient venus sur Terre pour permettre le développement de l’intelligence et de la civilisation humaine. Cette théorie repose sur deux types de preuves : l’étude des mythes et l’archéologie, toutes obstinément démenties par les spécialistes sans que la théorie n’en vacille pour autant. 4 À étudier les textes, W.S. se rend déjà compte des interprétations sinon mensongères, en tout cas très légères et simplistes, qui en ont été faites en en trahissant largement le contenu et dont le but était d’en réduire les idées à un tissu d’ignorance ou de folie. Il lui sembla plus fécond, pour s’engager dans une réflexion sur les croyances modernes « de se libérer au préalable du présupposé qui veut faire de celles-ci un phénomène pathologique ou exceptionnel ». Les créations culturelles n’émergent pas du néant, mais se nourrissent de l’ancien, et c’est donc à travers l’histoire que l’A. décide de retrouver les traces de la théorie des Anciens Astronautes. Il la repère déjà dans la science-fiction, qui exerçait une profonde emprise sur les auteurs de cette théorie, et qui fut la première à envisager la possibilité d’une visite d’extraterrestres sur la Terre à une époque préhistorique. Mais la vision du monde proposée par von Däniken est globale et présente un aspect théologique offrant des ressemblances non négligeables avec la théologie d’un jésuite de la première moitié du XXe siècle : Pierre Teilhard de Chardin. Un abîme cependant les sépare : le jésuite ne parle pas d’extraterrestres. C’est finalement dans des temps bien plus reculés – durant les premiers siècles de notre ère, dans l’empire romain – que W.S. retrouve une trame de raisonnement extrêmement similaire à celle du « dänikenisme » : le gnosticisme, qui développe l’idée que des êtres parfaits étaient descendus sur Terre pour transmettre à l’humanité le message de gnose et de salut, que le temps avait en partie fait tomber dans l’oubli, mais dont on pouvait retrouver la trace dans les mythes. Pour l’A., c’est de cette influence dont il faut partir pour comprendre la théorie des Anciens Astronautes. Il s’agit d’une « réactualisation de la structure conceptuelle du gnosticisme antique retravaillé par l’occultisme du siècle dernier ». Car en effet, après cet immense retour en arrière, qui plonge dans des racines traditionnelles très anciennes les croyances modernes, W.S. s’arrête longuement sur le XIXe siècle, et plus particulièrement encore sur la fondatrice de la Société Théosophique en 1875 : Madame Blavatsky. Au centre de ses ouvrages, on retrouve à nouveau l’idée de la création de l’homme et de la culture par des êtres venus du Cosmos. Influencée par le spiritisme qui se développait bon train depuis la fraude – reconnue en 1888 – des sœurs Fox qui prétendaient communiquer avec l’esprit d’un colporteur assassiné dans leur maison, Madame Blavatsky assurait pour sa part obtenir de sérieuses informations sur le passé de l’humanité grâce aux services de Maîtres invisibles : les Mahatmas. « Il ne manque pas de sel que les Maîtres, avec une touchante naïveté dont on ne devrait pas tenir rigueur aux esprits purs, soient allés jusqu’à adresser aux sceptiques des attestations en bonne et due forme certifiant qu’ils avaient réellement dicté à Madame Blavatsky le texte de La doctrine secrète », publié en 1888, ironise l’A.. La théorie gnostique de Madame Blavatsky devait arriver jusqu’aux auteurs de la théorie des Anciens Astronautes par le biais de ses héritiers plus ou moins fidèles (tels le Rosicrucian Fellowship ou l’AMORC, Anticus Mysticus Ordo Rosae Crucis), enrichie Archives de sciences sociales des religions, 110 | avril-juin 2000 2 STOCZKOWSKI (Wiktor), Des hommes, des dieux et des extraterrestres. Ethnologi... par l’avènement d’un fait nouveau, apparu en 1947, les OVNIS, qui pouvaient dès lors remplacer les Mahatmas et devenir les nouveaux transmetteurs du message de l’humanité. Un public nombreux, baigné dans cette culture, était prêt à recevoir l’ouvrage de von Däniken. Ainsi, peu à peu, étape par étape, W.S. replace la théorie des Anciens Astronautes dans l’histoire d’une tradition fort ancienne, à laquelle chaque époque a apporté sa touche en fonction des événements qui l’ont marquée, mais sans en changer le « filet conceptuel »: « Dieu, transcendance, mondes habités, Initiateurs extraterrestres, trace de leur séjour sur Terre, ancienne sagesse qu’ils nous ont léguée, civilisation oubliée, condition actuelle de l’homme, signes avant-coureurs de notre futur, etc. ». Ainsi enracinée, elle en devient certes moins aberrante, mais c’est toute la culture sur laquelle elle se fonde qui en devient plus effrayante. L’A. souligne notamment le rôle de la subculture occultiste dans la propagation des thèses antisémites du nazisme ; il nous livre quelques citations des positions racistes de Charroux largement publiées dès 1963, sans que personne ne s’en émeuve. Plus grave encore, il constate que le procédé intellectuel et la méthode de validation par lesquels la théorie des Anciens Astronautes a été construite sont également employés dans des milieux dits scientifiques. C’est le cas lorsque les conceptions « sont des pyramides bâties à l’envers, qui reposent non pas sur la large base des « preuves factuelles » invoquées en leur faveur, mais sur la fragile pointe des a priori métaphysiques », c’est-àdire, lorsque ne sont mobilisées que les preuves empiriques permettant la confirmation d’une « intime conviction ». Dans ce cas, les preuves peuvent être invalidées sans que la théorie-conviction n’en souffre. Il suffira simplement d’en trouver d’autres, voire d’en inventer. W.S. cite en exemple deux grands savants ayant fonctionné sur ce modèle : Carl Gustav Jung, très proche de la théorie du gnosticisme et dont la thérapie ressemblait à une « doctrine initiatique qui promettait la délivrance du mal par la régénération spirituelle » ; et Mircea Eliade qui rejetait tout ce qui contredisait ses convictions, expliquant lui-même que « la théorie décide de ce que nous devons observer ». 5 Ce tableau noir amène l’A. à distinguer non plus entre rationalité et irrationalité mais entre « rationalité performante » et « rationalité indigente » ou « circonscrite ». La première seule scientifique, repose sur la résistance effective des preuves. La seconde, redoutable, refuse d’examiner les idées se trouvant hors de ses convictions, et peut mener à la pensée unique. Bien que chacun utilise tous les jours la rationalité circonscrite, elle devient dangereuse lorsqu’elle est hégémonique. Ainsi selon l’A., les idées peuvent être plus mortelles que les pires carambolages. Il faut savoir les voir, les craindre, et les dénoncer. Or, poursuit-il, « les universitaires se gardent bien de stigmatiser les idées parascientifiques, créationnistes, fondamentalistes ou racistes lorsqu’elles émanent d’une « minorité ethnique » qui en vertu de sa qualité de « victime » revendique le droit à un traitement privilégié. Et il n’est pas rare que la tolérance frivole et conformiste se prolonge par une coupable sollicitude ». Les associations de militants anti-sectes ne sont pas mieux traités et leur rationalité est également considérée « circonscrite ». 6 W.S. surprend parfois. Malgré sa vigilance, il lui arrive aussi d’être proche de la « rationalité circonscrite », mais lui-même reconnaît qu’on ne peut y couper. Quoi qu’il en soit, son analyse est toujours stimulante et elle montre, si besoin en était encore, qu’il est impossible d’étudier un groupe tout en laissant de côté ses convictions et théorie sous prétexte « d’égalité des discours ». Il pointe discrètement certains groupes, tels la Scientologie, l’OTS ou le mouvement raëlien, sur la doctrine desquels les Archives de sciences sociales des religions, 110 | avril-juin 2000 3 STOCZKOWSKI (Wiktor), Des hommes, des dieux et des extraterrestres. Ethnologi... sociologues des religions sont fort discrets. Il était peut-être utile qu’un anthropologue des savoirs de la culture occidentale, intéressé aux interactions entre pensée ordinaire et théorie des sciences humaines se plonge sur cette question sans pour autant traiter de « sectes ». Archives de sciences sociales des religions, 110 | avril-juin 2000 4