Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
UTILISATION DE L'ÉCHELLE DE MORENO EN FRANCE ET AU ROYAUMEUNI Alistair Cole, Jocelyn Evans De Boeck Supérieur | « Revue internationale de politique comparée » 2007/4 Vol. 14 | pages 545 à 573 ISSN 1370-0731 ISBN 2804154646 DOI 10.3917/ripc.144.0545 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politiquecomparee-2007-4-page-545.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- RIPC_2007-04.book Page 545 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 14, n° 4, 2007 545 UTILISATION DE L’ÉCHELLE DE MORENO EN FRANCE ET AU ROYAUME-UNI Alistair COLE, Jocelyn EVANS © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) L’échelle des identités selon Moreno s’est imposée comme un moyen efficace et précis pour tester des identités complexes dans des domaines où les fidélités à ces identités se chevauchent. Au départ, cette méthode a été développée en tant que moyen de situer sur un schéma les identités ethno-territoriales en Espagne et au Royaume-Uni. Le questionnement de Moreno mesure des identités doubles et cherche à déterminer comment les identités « ethno-territoriales » (régionales) peuvent se combiner à des identités civiques (nationales). Logiquement cette mesure ne prend du sens que là où des identités s’entremêlent. En même temps qu’étant une méthode rigoureuse, l’échelle de Moreno soutient une thèse précise à propos de l’évolution des sociétés européennes contemporaines. Plutôt que de reculer, ainsi que cela avait été prédit par les sciences sociales modernes, le « nationalisme minoritaire » a émergé comme une force puissante au travers de l’Europe. On a observé une résurgence des identités « ethno-territoriales » et une remise en question du modèle de cen- © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) L’article compare le Pays de Galles et la Bretagne, deux régions à identité marquée dans deux États, la France et la Grande-Bretagne, de tradition unitaire, avec, toutefois, dans ce second cas, plus de permissivité envers les expressions identitaires internes. L’analyse porte à la fois sur les niveaux « macro » et « micro ». L’application de la question Moreno permet de constater qu’une identité duale est assumée plus facilement en Bretagne qu’au Pays de Galles. Il y a peu de conflit entre le fait de se sentir breton et celui de se sentir français, tandis que pour une importante minorité de Gallois, l’identité britannique est perçue de manière négative. Les raisons de cette différence sont analysées dans le cadre d’une comparaison binaire approfondie. RIPC_2007-04.book Page 546 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 546 Alistair COLE et Jocelyn EVANS tralisation de l’État unitaire 1. Moreno 2 ainsi que Mc Ewen et Moreno 3 mettent en contraste un nationalisme majoritaire ou « civique » et un nationalisme minoritaire, basé sur l’appartenance ethnique ou régionale dans les États divisés. Dans le modèle de nationalisme civique, un groupe ethnique prédominant a forgé un État et unifié une « nation ». Moreno insiste sur le fait que des nations ont été construites à partir de noyaux de groupes hégémoniques, tels que les Piémontais en Italie, les Anglais en Grande-Bretagne, les Francs en France, les Prussiens en Allemagne et les Wallons en Belgique. Aucun de ces États ne pourrait éradiquer complètement des formes de nationalisme minoritaire. Depuis peu, les nationalismes ethniques se sont réveillés au travers de l’Europe. Cela met en évidence l’existence de multiples identités, les « nationalistes minoritaires » récusant l’idée que l’État puisse gouverner au nom d’« un seul peuple ». © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Le Pays de Galles et la Bretagne : deux régions à forte identité Schématiser des identités composées est potentiellement un exercice très important en France, un pays où il n’y a pas de collection de données statistiques sur la base de l’« ethnicité » ou du critère linguistique. Le seul critère 1. McEWEN N. et MORENO L., (dir), The Territorial Politics of Welfare, London, Routledge, 2005 ; DE WINTER L. et TURSAN H., (dir), Regionalist Parties in Western Europe, London, Routledge, 1998 ; KEATING M., The new regionalism in Western Europe : territorial restructuring and political change, Cheltenham, Edward Elgar, 1998 ; LOUGHLIN J., (dir.), Subnational Democracy in the European Union : Challenges and Opportunities, Oxford, Oxford University Press, 2001 ; MORENO L; « Dual identities and stateless nations (the « Moreno » question) », dans ce numero de la RIPC. 2. MORENO L, op. cit., dans ce numero de la RIPC 3. McEWEN N. and MORENO L., op. cit., 2005. 4. Ibid., p. 22. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Bien que les nationalismes civique et ethnique entrent souvent en conflit, Moreno constate en même temps – et c’est au cœur de sa démarche – l’émergence d’identités multiples au sein des Etats modernes. Il est évident que « les citoyens de démocraties libérales avancées semblent réconcilier le ‘supra-national’, l’État et les identités locales que, souvent, les nationalismes à la fois majoritaires et minoritaires tendent à polariser dans des situations conflictuelles » 4. Plutôt que de situer les nationalismes civiques et culturels, en les opposant l’un à l’autre, Moreno dit clairement être avant tout intéressé par une investigation empirique cherchant à savoir comment les deux tendances sont parvenues à combiner leur identité ethno-territoriale et leur identité civique. Moreno insiste sur l’aspect constructiviste de l’édification identitaire: à l’extrême, il s’agit de choix individuels entre des marqueurs variables d’identité. Dans cet article, nous considérerons les cas du Pays de Galles et de la Bretagne, deux régions à forte identité dans deux États, la France et la Grande-Bretagne, de tradition unitaire. RIPC_2007-04.book Page 547 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni 547 se base sur la nationalité. Ce manque de données a privé les sociologues d’informations solides pour explorer les causalités. Cela a également créé des dilemmes en politique publique. Des recherches sur des identités composées de tout type sont rares en France. Dans la tradition de la République française, des identités territoriales (spécialement régionales) ou des identités ethniques sont considérées comme une menace envers la neutralité de la sphère publique, la seule capable de garantir les droits civils et politiques 5. À bien des égards, la France apparaît comme l’archétype de l’État-nation moderne. Le modèle républicain français rejette toute notion d’identité basée sur des origines ethniques, qui prendrait la place d’une appartenance à la nation française. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) La résistance officielle à reconnaître des identités composées rend le cas de la France particulièrement intéressant. La France fournit un contre-exemple, un cas évident où la tradition d’un État unitaire a réprimé les identités particulières. La Bretagne moderne est une région française particulière 9. 5. RAYMOND G., « Introduction », dans COLE A. et RAYMOND G., (dir), Redefining the French Republic, Manchester, Manchester University Press, 2006, p. 1-5. 6. BALME R., Les Politiques de néo-régionalisme, Paris, Economica, 1999 ; NAY O., La Région, une Institution. La représentation, le pouvoir et la règle dans l’espace régional, Paris, l’Harmattan, 1997 ; PASQUIER R., La Capacité politique des régions. Une comparaison France/Espagne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004. 7. RUANE J., TODD J. et MANDEVILLE A., (dir), Europe’s Old States in the New World Order. The Politics of Transition in Britain, France and Spain Dublin, University of Dublin Press, 2003. 8. CHARTIER E. et LARVOR R., La France Éclatée ?, Spézet, Coop Breizh, 2003. 9. FORD C., Creating the Nation in Provincial France : Religion and Political Identity in Brittany, Princeton, Princeton University Press, 1993 ; LE COADIC R., L’identité bretonne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1998 ; McDONALD M., We Are Not French, London, Routledge, 1989 ; NICOLAS M., Histoire du mouvement breton (Emsav), Paris, Syros, 1982 ; PASQUIER R., op. cit., 2004. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Toutes les parties de la France territoriale doivent être traitées de la même façon. Lorsqu’elles furent finalement créées en 1972, les Régions françaises ont été imaginées comme des institutions standardisées sans lien aux provinces d’avant 1789 6. Avec l’exception partielle de la Bretagne et de la Corse, les Régions et les communautés historiques de la France ne jouissent d’aucune expression institutionnelle. Le mouvement basque n’a pas réussi lors de sa demande timide de créer un département basque. Il n’existe qu’une faible clientèle électorale réclamant la régionalisation en Alsace, en Savoie, en Bretagne, au Pays basque et en Catalogne française. Des partis régionalistes ou autonomistes ont, à l’occasion, élu des représentants au niveau d’un conseil local ou régional, mais ils ont rencontré de grandes difficultés pour obtenir une voix indépendante dans les autres parties de la France métropolitaine 7. D’autre part, des mouvements pour la défense de la culture, de la langue et des intérêts territoriaux ont émergé depuis 1970. Un régionalisme culturel s’est éveillé comme une force puissante en Bretagne, dans le Pays basque et en Alsace, et aussi, mais dans des proportions moindres, en Savoie, en Normandie, dans le pays occitan, et dans les Flandres 8. RIPC_2007-04.book Page 548 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 548 Alistair COLE et Jocelyn EVANS © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) La Bretagne et le Pays de Galles constituent deux régions historiques présentant des identités complexes mais fortes. La Bretagne et le Pays de Galles sont tous deux situés sur la lointaine côte atlantique occidentale de l’Europe, aux marges géographiques d’États traditionnellement très centralisés. Les deux régions possèdent de fortes identités culturelles, linguistiques et politiques. Des langues celtiques, bretonnes et galloises, sont – un peu – parlées dans les deux régions, ce qui apporte directement un objet de comparaison. La religion a joué un rôle important dans le modelage des identités régionales. Bien que le catholicisme et le non-conformisme aient tous deux décliné en tant que marqueurs d’identité, ils ont, dans chaque cas, laissé un héritage politique et culturel important. Ces deux régions sont largement comparables en termes des défis qu’elles affrontent. Du point de vue historique, la Bretagne et le Pays de Galles correspondent à ces types de régions identifiées par Rokkan et Urwin 10, dans lesquelles le développement d’une prise de conscience régionale est fonction d’une dépendance économique et de la persistance d’une identité culturelle très marquée. Il existe certaines autres caractéristiques similaires, mais avec une différence majeure : les structures de l’État qui les englobe diffèrent dans leur permissivité envers cette asymétrie territoriale et ces expressions d’identité régionale. Ni la Bretagne, ni le Pays de Galles n’ont pu échapper aux conséquences de leur passé. L’État français a, du point de vue historique, remarquablement réussi à constituer une légitimité profondément enracinée en associant territoire national et progrès social. L’État du Royaume-Uni s’est montré de loin plus tolérant et a été enclin à prendre en compte les différences territoriales. Le Royaume-Uni est montré moins insistant que la France qui a lié les structures d’un Etat uniforme à la jouissance de droits civils et politiques. Malgré la différence de degré, la Bretagne et le Pays de Galles sont de 10. ROKKAN S. et URWIN D., The Politics of Territorial Identity, London, Sage, 1982. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) La Bretagne peut se retourner vers son passé politique indépendant, avec ses propres mythes fondateurs et ses institutions politiques. Bien que les symboles de l’État soient depuis longtemps disparus, la région retient plusieurs caractéristiques distinctives. En théorie, la Bretagne détient finalement plusieurs « éléments clés » identifiés par Moreno comme capables de développer une identité « ethno-teritoriale » : l’existence d’un « pré-État » politique, un mouvement politique breton autonome, un mouvement linguistique, des traditions culturelles et des formes spécifiques d’adaptation pour l’élite. La Bretagne est aussi l’une des rares régions où les institutions politiques se réfèrent à des entités régionales historiques. Si l’on veut tester l’importance et les limitations du mode de relations entre des identités duales en France, la Bretagne fournit un bon cas. RIPC_2007-04.book Page 549 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni 549 bons points de comparaison, la comparaison étant enrichie par les liens étroits qui existent entre les deux régions, que ce soit du point de vue économique (l’Arc Atlantique), culturel (festival inter-celtique) ou politique (Mémorandum de 2003 entre l’Assemblée du Gouvernement gallois et le Conseil Régional de Bretagne). © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Dans la partie principale de cet article, nous étudierons les fondements politiques et sociaux de l’identité, sur la base de l’échelle de Moreno et nous procéderons à des comparaisons. L’identité est un concept mal défini. Son sens est un sens composé : l’identité peut être personnelle, sociale ou collective. La question de Moreno naît de l’hypothèse que, dans des sociétés plurales, des individus sont reliés dans des groupes de référence culturelle, groupes qui pourraient entrer en compétition les uns avec les autres. Ils sont composés d’identités sociales et politiques multiples. Comme l’identité constitue un processus permanent de construction, des individus définissent leur identité en respectant toute une série de marqueurs d’identité. Dans cet article, nous comparons la Bretagne et le Pays de Galles selon les critères clés d’identité identifiés par Moreno lui-même, lorsqu’il associe identité et caractère ethnoterritorial. Nous tentons d’approcher des identités composées (la variable dépendante) au travers de variables jouant un rôle à un « macro-niveau » ou à un « micro-niveau ». Au « macro-niveau », nous menons des investigations à propos de l’enchaînement des identités avec les institutions, les partis politiques, les mouvements culturels et linguistiques. Dans des applications contextuelles, nous faisons aussi apparaître des contrastes entre des modèles d’adaptation de l’élite. À un « micro-niveau », nous identifions une série de variables indépendantes, basées sur le territoire, l’âge, la classe sociale, l’éducation et le langage, par rapport auxquelles nous pouvons évaluer des identités duales en Bretagne et au Pays de Galles. La méthode de Moreno s’applique le mieux dans les territoires où existent des identités duales. La Bretagne et le Pays de Galles ont été identifiés comme des territoires pertinents selon cette problématique, et deux organismes de sondage ont été chargés d’enquêter en juin 2001. Nous avons mesuré les données d’identités en utilisant l’échelle de Moreno, et nous avons demandé à ceux qui répondaient à nos questions de se situer euxmêmes sur une échelle continue de cinq niveaux. Les résultats du questionnaire de Moreno en Bretagne et dans le Pays de Galles sont présentés dans le Tableau I. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Les fondements politiques de l’identité en Bretagne et au Pays de Galles RIPC_2007-04.book Page 550 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 550 Alistair COLE et Jocelyn EVANS Tableau 1 : L’échelle de la mesure d’identité de Moreno pour le Pays de Galles et la Bretagne Bretagne (n. 1007) % Galles (n.1008) % Breton, pas français 2 Gallois, pas britannique 20 Plus breton que français 15 Plus gallois que britannique 17 Aussi bien breton que français 57 Aussi bien gallois que britannique 35 Plus français que breton 17 Plus britannique que gallois 22 Français, pas breton 7 Britannique, pas gallois 6 Ne sait pas 2 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) La découverte « clé » consiste dans le fait que l’on peut constater que cette identité duale est assumée plus facilement en Bretagne qu’au Pays de Galles. Il y a peu de conflit entre le fait de se sentir breton et celui de se sentir français, tandis que pour une importante minorité de Gallois, l’identité britannique est perçue de manière négative. L’identité bretonne s’accommode sans trop de problèmes à l’identité nationale française. Dans les référendums de 1992 et 2005 (au sujet du Traité de Maastricht et de la Constitution de l’Union européenne), la Bretagne était la plus « proeuropéenne » de toutes les régions françaises. La Bretagne s’arrange pour combiner clairement son identité ethno-territoriale à ses identités civique et supranationale. Les identités française et bretonne apparaissent complémentaires, la prise de position médiane (« aussi Breton que Français ») étant la position favorite. D’un autre côté, nos résultats mettent en pièce le mythe selon lequel il n’existe qu’une identité française unique : les trois-quarts des personnes consultées ont déclaré d’elles-mêmes qu’elles se sentaient finalement aussi bien bretonnes que françaises. Par contre, au Pays de Galles, nous observons une incidence beaucoup plus élevée d’identités divisées. L’idée qu’un Gallois est essentiellement opposé à un Britannique est fermement enracinée dans une minorité mesurable du peuple gallois. Identité et choix institutionnels Les institutions jouent un rôle dans le schéma de Moreno. Des citoyens s’identifient avec des institutions effectives et les institutions peuvent contribuer à créer un sens identitaire à des niveaux plus ou moins éloignés de l’État 11. Des institutions ont joué un rôle important dans la production et le 11. McEWEN N. et MORENO L., op. cit., 2005. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Les pourcentages ont été arrondis à l’unité supérieure ou inférieure pour la facilité de la lecture. RIPC_2007-04.book Page 551 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni 551 soutien d’identités régionales, dans la mesure où elles pouvaient y resituer d’anciens marqueurs d’identité comme la langue ou les traditions culturelles. Les institutions politiques décentralisées peuvent constituer de nouveaux marqueurs d’identités. Cela nous conduit à présenter des conclusions relatives aux identités composées et aux préférences institutionnelles et à tirer un certain nombre de déductions à propos des politiques régionales/ethno-territoriales et de la structure d’opportunité politique. Dans le Tableau 2, nous montrons les préférences institutionnelles en Bretagne et au Pays de Galles, ainsi qu’on l’a mesuré de manière comparative en juin 2001. Tableau 2 : Préférences institutionnelles au Pays de Galles et en Bretagne Q. Il y a un débat aujourd’hui sur le futur du pays de Galles/Bretagne. Laquelle des options suivantes préférez-vous ? Bretagne (n.1007) % Galles (n.1008) % « Abolir le Conseil Régional / l’Assemblée Nationale du Pays de Galles » 2 24 « Maintenir le Conseil Régional / l’Assemblée Nationale avec des pouvoirs limités » 44 24 « Créer un Parlement élu avec des pouvoirs de taxation et législatifs » 34 38 Une Bretagne / Pays de Galles indépendant 12 11 Ne sait pas 8 3 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) En Bretagne et au Pays de Galles, nous observons un fort soutien pour consolider, voire renforcer les institutions régionales. Nos données confirment l’existence d’une prise de conscience régionale dans les deux cas. L’argument institutionnel de Moreno paraît bien fondé dans le cas de la Bretagne où les institutions démocratiquement élues existent depuis 1986. On observe que seulement 2 % de la population voudrait abolir le conseil régional, mais que le groupe de loin le plus important, 44 %, souhaiterait conserver la situation d’application (« un conseil régional avec des pouvoirs limités »). Une forte minorité de 34 % désirerait donner un plus grand pouvoir au conseil régional (« un parlement élu avec le pouvoir de lever des taxes et un pouvoir législatif) et, finalement, un groupe de 12 % souhaiterait voir naître « une Bretagne indépendante ». Une très forte majorité des sondés – 82,1 % – exprime sa confiance de manière générale dans le conseil régional de Bretagne et se fie (74,2 %) au Conseil Régional pour défendre l’influence bretonne à Paris. Ces données suggèrent que des institutions © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Les pourcentages ont été arrondis à l’unité supérieure ou inférieure pour la facilité de la lecture. RIPC_2007-04.book Page 552 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 552 Alistair COLE et Jocelyn EVANS politiques régionales marquent une différence et que leur efficacité telle qu’elle est perçue est, en partie, due à leur longévité. Au Pays de Galles, il existait en 2001 moins de confiance dans les institutions régionales. Les clivages autour de la dévolution étaient plus prononcés. Dans l’analyse de 2001, environ 24 % des personnes interrogées étaient opposées à un retour en arrière et un nombre similaire de personnes (24 %) voulaient garder l’Assemblée avec ses pouvoirs existants. Environ la moitié des individus interrogés plaidaient en faveur d’un renforcement de l’Assemblée Nationale : ils désiraient finalement lui donner des pouvoirs équivalents à ceux du Parlement Écossais (38 %) ou plaider l’indépendance (11 %). En 2001, l’existence future de l’Assemblée n’était pas réellement contestée, mais on voulait voir ses pouvoirs consolidés 12. Assemblée élue (n. 238) Assemblée pas élue (n. 238) Ne sait pas (n. 41) Total Gallois, pas Britannique (n.202) 26 41 16 13 4 100 Plus Gallois que Britannique (n.173) 18 44 24 12 2 100 Aussi Gallois que Britannique (n.343) 4 39 26 27 4 100 Plus Britannique que Gallois (n.224) 4 30 26 36 4 100 Britannique, pas Gallois (n. 60) 12 25 27 27 9 100 Le Tableau 3 exclut les petits effectifs (n.26) qui ont refusé de répondre à la question sur l’identité de Moreno. Le Tableau doit être lu comme suit : de ceux qui ont déclaré être plus Britanniques que Gallois, une petite fraction (4 %) veut un Pays de Galles indépendant, un plus grand nombre aimerait un Parlement élu (30 %). Du reste, seule une minorité (26 %) aimerait une assemblée tel qu’elle existe et enfin, un plus grand nombre (36 %) veut abolir l’Assemblée. Enfin, 4 % des répondants ne savant pas. Les pourcentages ont été arrondis à l’unité supérieure ou inférieure pour la facilité de la lecture. 12. COLE A., JONES J. B., LOUGHLIN J., STORER A. et WILLIAMS C., « Political Institutions, Policy Preferences and Public Opinion in Wales and Brittany », Contemporary Wales 16, 2003, p. 88110 ; SCULLY R. et WYN JONES R., « A Settling Will ? Wales and Devolution Five Years On », British Elections and Parties Review 13, 2003, p. 86-106. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Parlement élu (n. 380) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Pays de Galles indépendant (n. 112) Tableau 3 : Identité et préférences institutionnelles au Pays de Galles RIPC_2007-04.book Page 553 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni 553 Bretagne indépendante (n.120) Région avec des pouvoirs de taxation et législatifs (n. 343) Conseil régional avec des Pouvoirs limités (n. 442) Abolir le Conseil régional (n. 19) Ne sait pas (n. 84) Total Tableau 4 : Identité et préférences institutionnelles en Bretagne Breton, pas français (n.21) 33 19 29 - 19 100 Plus breton que français (n.146) 25 35 32 1 7 100 À la fois breton et français (n. 574) 10 36 42 2 10 100 Plus français que breton (n.174) 3 33 57 2 5 100 Français, pas breton (n.75) 15 20 56 1 8 100 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Dans les Tableaux 3 et 4, nous avons réalisé une tabulation croisée des échelles d’identité et des préférences institutionnelles en Bretagne et au Pays de Galles. Ceux qui ont le sens exclusif de l’identité galloise (17 %) sont plus favorables à l’indépendance que tout autre groupe. Si on élargit l’échantillon, tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, se sentent principalement gallois (les 37 % qui occupe les deux premières positions, Gallois, pas Britannique, plus Gallois que Britannique) sont plus favorables à une indépendance propre, ou à un Parlement pouvant lever des taxes et doté de pouvoirs législatifs. Les positions fortement opposées en ce qui concerne l’identité et les préférences institutionnelles suggèrent que l’opinion, au Pays de Galles, était divisée à propos des institutions futures. Même ceux qui avaient un sens exclusif de l’identité galloise, malgré tout, restent méfiants devant l’idée d’une indépendance totale. Dans le cas de la Bretagne, il existe beaucoup moins de divergences entre les identités bretonnes et françaises. Il existe une convergence vers une prise de position médiane (« aussi breton que français »), les bretons se réclamant de chacune des deux identités. Plus important, on retrouve beaucoup moins de répondants avec un sens prédominant de l’identité bretonne © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Le Tableau 4 exclut les petits effectifs (n.18) qui ont refusé de répondre à la question sur l’identité de Moreno. Le Tableau doit être lu comme suit : de ceux qui ont déclaré qu’ils sont plus Français que Bretons, une petite fraction (3 %) veut une Bretagne indépendante, un plus grand nombre (33 %) veut une Région avec des pouvoirs de taxation et législatifs, la plupart (57 %) veulent rester avec un Conseil régional élu avec des pouvoirs limités et très peu sont en faveur de l’abolition du Conseil régional (2 %). Un petit nombre, 5 %, ne sait pas. Les pourcentages ont été arrondis à l’unité supérieure ou inférieure pour la facilité de la lecture RIPC_2007-04.book Page 554 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 554 Alistair COLE et Jocelyn EVANS (17 %, contre 37 % avec un sens prédominant de l’identité galloise au Pays de Galles). Les contrastes entre la Bretagne et le Pays de Galles sont plus frappants que les similitudes. La plus grande différence entre les Gallois et les Bretons ne se trouve pas tant dans les préférences institutionnelles pour le futur, mais dans les liaisons entre les identités nationales et régionales, dans les dynamiques des partis politiques et dans les formes différentes d’adaptation de l’élite. Mouvements ethno-territoriaux et systèmes de partis Une dimension importante de l’ethno-territorialité relevée par Moreno consiste dans l’existence d’un système de partis propre à la région. Notre analyse démontre que le système de partis et le choix électoral jouent un rôle important pour expliquer les différences de constructions ethno-territoriales en Bretagne et au Pays de Galles. Au Pays de Galles, la division des identités se reflète dans le système de partis, grâce à la présence d’un important parti nationaliste. En Bretagne, la structure d’opportunités politiques fournit un terrain moins fertile pour le développement d’un nationalisme sub-statal et les identités partagées sont librement distribuées au travers des formations politiques existantes. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Le caractère distinctif de l’identité galloise est enraciné dans une tradition radicale, et cela bien longtemps avant l’arrivée du nationalisme politique sur la scène galloise. Cette tradition s’est développée au cours du XIXe siècle. Elle était liée d’abord à l’appartenance religieuse « non-conformiste » de la grande majorité de gallois (le non-conformisme étant une branche de la religion protestante séparée de l’église d’Angleterre). Cet esprit non-conformiste s’est exprimé au Parti Libéral à partir de 1880, puis plus tard par un engagement très fort en faveur du Parti Travailliste. La classe industrielle ouvrière se reconnaissait naturellement dans cette tradition, d’origine rurale, et ajoutait un fort sentiment d’appartenance de classe 13. Aujourd’hui, au Pays de Galles, le système de partis spécifiquement « régional » est caractérisé tout d’abord par l’existence d’un puissant parti nationaliste (Plaid 13. COLE A., Beyond Devolution and Decentralisation. Building Regional Capacity in Wales and Brittany, Manchester, Manchester University Press, 2006 ; LANG M., The Labour Party and the Trade Unions in Wales, unpublished PhD dissertation, Cardiff University, 2005. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) La thèse de Moreno à propos du développement de systèmes de partis différents peut être étudiée à deux niveaux : en termes de descriptions générales des systèmes de partis et aussi grâce aux données de notre enquête sur les intentions de vote des partisans d’une identité duale. RIPC_2007-04.book Page 555 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni 555 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Les tableaux croisés d’identité et de choix partisan (ainsi que l’on a pu mesurer par la question de « l’intention de vote dans une élection régionale ») révèlent des relations fortes entre parti et identité au Pays de Galles, mais cela apparaît beaucoup moins vrai en Bretagne. Nous considérons d’abord le cas du Pays de Galles. Dans le Tableau 5, nous présentons des tableaux croisés de la relation entre la localisation sur l’échelle identitaire de Moreno et les intentions de vote dans une future élection de l’Assemblée. Un examen d’un simple coup d’œil révèle un nombre évident de relations. Parmi ceux qui ont un sens exclusif de l’identité galloise, les préférences sont évidemment partagées pour les Travaillistes et Plaid Cymru, les autres partis ne recueillant virtuellement aucune voix. Les Travaillistes maintiennent leur soutien dans toutes les configurations identitaires, un avantage stratégique qui explique leur hégémonie politique au Pays de Galles. Les nationalistes de Plaid Cymru ont un fonds de commerce identitaire beaucoup plus restreint ; plus on se sent britannique, moins on est enclin de voter pour le Plaid Cymru. Enfin les conservateurs se sauvent grâce au soutien d’une partie non négligeable de ceux qui se sentent plus britanniques que gallois. À partir de ces constatations, le Parti Travailliste est apparu comme le « parti pivot » au Pays de Galles, capable de se raccrocher au spectre identitaire dans son ensemble. Le soutien envers Plaid Cymru est limité à ceux qui s’identifient en tout premier lieu comme des Gallois, le soutien envers les Conservateurs se limite à ceux qui s’identifient fortement comme britanniques. Le parti Libéral Démocrate peut aussi mobiliser des électeurs de tous bords mais seulement auprès d’une base numériquement basse. 14. CHRISTIANSEN T., « Plaid Cymru : dilemmas and ambiguities of Welsh regional nationalism », in DE WINTER L. et TURSAN H., (dir), Regionalist Parties in Western Europe, London, Routledge, 1998, p. 125-142 ; ELIAS A., « From Full National Status to Independence in Europe – the Case of Plaid Cymru – the Party of Wales », conférence sur les nations minoritaires et l’intégration européenne’. Florence, Italie, 7-8 mai 2004. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Cymru) dont le noyau électoral est le cœur du pays où l’on parle le gallois (sud-ouest et nord-ouest du Pays de Galles). L’importance de Plaid Cymru peut être évaluée par son influence sur l’agenda politique, notamment par la pression exercée sur les autre partis afin d’incorporer explicitement des demandes territoriales 14. Une telle situation n’existe pas vraiment en Bretagne. Au sein de la Bretagne, il existe une riche variété de petites organisations politiques nationalistes ; mais, à proprement parler, le nationalisme politique breton n’a pas survécu à son discrédit pendant la deuxième guerre mondiale quand une fraction nationaliste a combattu au coté des allemands. Actuellement le parti ethno-territorial breton, l’Union Démocratique Bretonne (ou UDB) occupe un rôle réel mais limité. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Con (n.110) Gr (n.4) Labour (n.338) Lib Dem (n.72) Plaid Cymru (n.171) IW (n.9) UKIP (n.44) DK (n.268) TOTAL Gallois, pas Britannique (n.202) 1,5 - 31 2,5 32 0,5 2,5 30 100 Plus Gallois que Britannique (n.174) 5,2 1,1 33,3 7,5 28,2 1,1 3,4 20,2 100 Aussi bien Gallois que Britannique (n.348) 9,5 0,3 35,6 11,2 9,5 1,1 5,7 27,1 100 Plus Britannique que Gallois (n.224) 24,1 0,4 31,7 6,3 7,6 0,9 3,6 25,4 100 Britannique, pas Gallois (n.59) 16,9 - 22 1,7 13,7 - 8,5 37,2 100 TOTAL 10,9 0,4 32,6 7,2 17 0,9 4,4 26,6 100 IW = Parti « Independent Wales » UKIP = Parti « UK Independence Party » GR = Parti « Verts »Green DK = ne sait pas. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Alistair COLE et Jocelyn EVANS Tous les chiffres sont exprimés en pourcentages à l’exception des n. De ceux qui se sentent plus britanniques que gallois, (n.224), par exemple, 24,1 % ont l’intention de voter pour les conservateurs s’il y avait des élections pour l’Assemblée, 0,4 % pour les Verts, 31,7 % pour le Labour, 6,3 % pour les libéraux-démocrates, 7,6 % pour Plaid Cymru, 0,9 % pour « Independent Wales » et 3,6 % pour UKIP, et 25,4 % des répondants sont incertains pour qui ils vont voter. RIPC_2007-04.book Page 556 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 556 Tableau 5 : Identité double et intention de vote pour l’Assemblée au Pays de Galles © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) PC PS CM Green HF DL UDF RPR FN RB O TOTAL - - 14,3 - 42,8 - 14,3 - - - 28,6 - 100 Plus breton que français (n.51) 3,9 5,9 47,1 - 13,7 - - 11,8 5,9 - 2,0 9,7 100 Aussi bien breton que français (n.214) 2,8 2,3 47,2 0,9 21,5 1,4 0,9 6,1 10,7 - 0,9 5,3 100 Plus français que breton (n.84) 2,4 1,2 46,4 1,2 13,1 - 2,4 8,3 21,4 - 1,2 2,8 100 - 6,1 42,5 3,0 18,2 3,0 3,0 3,0 15,2 3,0 - 3,0 100 Breton pas français (n.7) Français, pas breton (n.33) Tous les chiffres sont mentionnés en pourcentages à l’exception des n. Les n. expriment les opinions à la fois sur l’identité et sur les intentions de vote pour l’élection du Conseil régional. Il y a un problème majeur avec ce Tableau, il n’y a pas de catégorie « ne sait pas » pour laquelle il y a plus de 60 % de l’échantillon (n.608). Les chiffres doivent donc être lus avec beaucoup d’attention même si, en général, ils sont intéressants. Le tableau doit être interprété comme suit : parmi ceux qui se sentent plus Français que Breton (n.84), par exemple, 2,4 % ont l’intention de voter pour un parti d’extrême gauche, 1,2 % pour le PCF, 46,6 % pour le PS, 1,2 % pour le Mouvement des Citoyens, 13,1 % pour les Verts, 2,4 % pour la Démocratie Libérale, 8,3 % pour l’UDF, 21,4 % pour le RPR, 1,2 % pour les Régionalistes Bretons et 2,4 % pour les autres partis. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) 557 FL: parti d’extrême gauche PCF: Parti Communiste Français PS: Parti Socialiste CM: le Mouvement des Citoyens HF: Mouvement « Chasse et Pêche » DL: Démocratie libérale (conservateur) UDF: Union pour la Démocratie Française (centre non gaulliste et centre droit) RPR: Rassemblement pour la République (Gaulliste) FN: Front National RB : Régionalistes bretons O: Autres RIPC_2007-04.book Page 557 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM FL Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni Tableau 6 : Identité double et intention de vote pour l’élection du Conseil régional en Bretagne RIPC_2007-04.book Page 558 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 558 Alistair COLE et Jocelyn EVANS Dans le cas de la Bretagne, nous pouvons observer des tendances similaires, bien que le faible degré de réponses à cette question rend le schéma problématique pour en tirer des conclusions. Certains partis seulement – le PS, les Verts, les Régionalistes – peuvent obtenir un soutien auprès de ceux qui ont conservé un sentiment identitaire breton à un stade prioritaire ou exclusif. La position moyenne d’identité bretonne, aussi Breton que Français, est constante auprès de tous les partis, sauf auprès du FN. La position de prédominance française ou d’identité exclusivement française est importante parmi les partisans de tous les partis, mais disproportionnellement concentrée auprès de ceux qui avaient l’intention de voter pour le RPR. Identités duales, culture et langue © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Les Tableaux 7 et 8 présentent quelques constatations générales à propos des attitudes envers les langues régionales et révèlent tous deux des similitudes et des différences entre le Pays de Galles et la Bretagne. Dans les deux régions, Pays de Galles et Bretagne, il existe un support symbolique de l’héritage culturel, représenté par les langues régionales (comme cela est exprimé par la question générale de l’identité). Dans les deux cas également, l’opinion devient plus polarisée dès que les options précises de politique publique concernant la langue sont évoquées. En règle générale, le soutien est plus important au Pays de Galles qu’en Bretagne, dans le domaine des interventions des pouvoirs publiques à propos de l’éducation, fait que nous pouvons attribuer au succès relatif de politiques publiques actives inscrites à l’agenda du Pays de Galles à ce sujet au cours de la dernière décennie. En Bretagne, les paramètres de l’action publique sont définis d’une façon beaucoup plus étroite. Dans les deux cas cependant, il nous est possible d’identifier une série de positions dans l’opinion publique. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Une troisième dimension de l’approche de Moreno est celle qui concerne les langues régionales et les mouvements culturels. Le soutien envers les langues minoritaires a un certain retentissement en Bretagne, au Pays de Galles et dans d’autres territoires plurilinguistiques. La langue accompagne le nationalisme politique dans une voie où un activisme culturel plus large éprouve des difficultés. En Bretagne, la mobilisation en faveur de droits linguistiques fait partie d’une mobilisation plus générale dans le but d’obtenir une reconnaissance culturelle ; au Pays de Galles, le mouvement pour les droits linguistiques a été associé de manière plus explicite au nationalisme politique. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) D’accord Pas d’accord Pas du tout d’accord Ne sait pas La langue galloise est un élément important de la Culture galloise 37 47 13 2 1 Nous devons inciter plus de personnes qui parlent la langue galloise à postuler pour des emplois dans le secteur public 16 51 22 6 5 Certains emplois au pays de Galles doivent être réservés à des personnes bilingues 7 39 39 12 3 Il devrait y avoir plus de restrictions pour les immigrants qui achètent des propriétés dans des zones où l’on parle principalement le Gallois 8 16 48 21 7 Les pourcentages ont été arrondis à l’unité supérieure ou inférieure pour la facilité de la lecture Tableau 8 : Attitudes vis-à-vis de la langue bretonne Tout à fait d’accord D’accord Pas d’accord Pas du tout d’accord Ne sait pas La langue bretonne est un élément important de la culture bretonne 61 23 8 7 1 Nous devons inciter plus de personnes qui parlent la langue bretonne à postuler pour des emplois dans le secteur public 17 20 22 36 5 Certains emplois en Bretagne doivent être réservés à des personnes bilingues, c’est-à-dire capables de parler le Français et le Breton 20 22 19 36 3 Les aides publiques devraient distribuées aux medias de langue bretonne 30 37 12 16 5 Les aides publiques devraient distribuées aux associations bretonnes 37 36 12 11 4 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) 559 Les pourcentages ont été arrondis à l’unité supérieure ou inférieure pour la facilité de la lecture RIPC_2007-04.book Page 559 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Tout à fait d’accord Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni Tableau 7 : Attitudes vis-à-vis de la langue galloise RIPC_2007-04.book Page 560 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 560 Alistair COLE et Jocelyn EVANS © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Au Pays de Galles, la langue compte en premier lieu, la dimension culturelle ensuite. La culture galloise s’est identifiée d’abord à la langue et aux manifestations culturelles reliées à la langue (« eisteddfod »). Des mouvements de défense de la langue galloise, mouvements actifs et occasionnellement violents, ont créé un sillon ensemencé en faveur du nationalisme politique. Comme les nationalismes politiques divisent, ainsi en est-il de la langue. En comparaison, le soutien au rôle symbolique de la langue galloise est plutôt moins bien enraciné qu’en Bretagne. La population galloise admet généralement le fait que la langue galloise est un symbole de l’identité galloise. L’opinion publique est beaucoup plus polarisée en ce qui concerne les politiques publiques spécifiques qui ont été ouvertement proposées par certains secteurs de la communauté politique galloise. Une majorité accepte qu’il y ait besoin de former davantage d’individus parlant le gallois pour occuper de nouveaux postes dans l’administration publique. D’un autre côté, une majorité est opposée aux deux options politiques les plus controversées : notamment que certains emplois au Pays de Galles seraient réservés aux bilingues et qu’il faudrait établir des restrictions envers les « immigrants » achetant des propriétés en divers endroits où l’on parle le gallois. Une analyse plus détaillée démontre de grandes variations dans les attitudes envers la langue galloise, selon les critères de localités, de préférences politiques et de l’âge. 15. COLE A. et WILLIAMS C., « Identities, Institutions and Lesser Used Languages in Wales and Brittany », Regional and Federal Studies 14:4, 2004, p. 1-26. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) En Bretagne, la culture bretonne importe plus que le domaine plus étroit de la langue stricto sensu. Nous pouvons identifier un puissant mouvement culturel au sein duquel la langue joue un rôle important (mais finalement subordonné) 15. Si le nationalisme politique breton a été faible, le mouvement culturel, lui, a été très important, en parvenant à obtenir une emprise réelle sur l’agenda politique breton en ce qui concerne le bilinguisme dans l’éducation, l’investissement culturel, l’environnement et les médias. Un tissu très dense d’associations culturelles, parfois d’inspiration nationaliste, existe en Bretagne. Bien que la plupart de ces associations soient explicitement apolitiques, leur existence témoigne d’un sentiment durable d’une identité et d’un patrimoine « national-régional ». S’il existe une prise de conscience latente de l’identité bretonne, celle-ci n’est pas construite comme une idée nationaliste, opposant la nation bretonne (armée de sa propre langue) à la Nation française. En Bretagne, au contraire du Pays de Galles il n’a jamais existé un mouvement autonomiste breton utilisant la langue comme premier marqueur d’identité. Alors que le mouvement culturel breton a été très puissant, il a construit son plaidoyer régional sur un support partisan croisé et il a évité les voies de politisation de la langue. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Tout à fait d’accord (n.209) D’accord (n.223) Pas d’accord (n.187) Pas du tout d’accord (n.362) Ne sait pas (n.26) TOTAL Breton, pas français (n.21) 52,4 % 14,3 % 14,3 % 14,3 % 4,7 % 100 Plus breton que français (n. 146) 35,6 % 23,3 % 16,4 % 23,3 % 1,4 % 100 Aussi bien breton que français (n.573) 19,7 % 24,3 % 19,4 % 33,2 % 3,4 % 100 Plus français que breton (n.173) 10,4 % 17,9 % 16,2 % 53,8 % 1,7 % 100 Français, pas breton (n.77) 15,6 % 16,9 % 23,4 % 42,9 % 1,2 % 100 Tableau 10 : Identité double et support pour les politiques visant à soutenir la langue galloise Q). Certains emplois devraient être réservés à des personnes bilingues – parlant le gallois et l’anglais D’accord (n.389) Pas d’accord (n.396) Pas du tout d’accord (n.119) Ne sait pas (n.32) TOTAL % (n.1008) Gallois, pas britannique (n.202) 14,4 41,1 36,1 4 4,5 100 Plus gallois que britannique (n.173) 8,1 48,6 38,2 2,3 2,9 100 Aussi bien britannique que gallois (n.349) 6,3 33,8 43 13,8 3,2 100 Plus britannique que gallois (n.224) 2,2 35,3 38,8 20,5 3,1 100 Britannique, pas gallois (n.59) 3,4 40,7 33,9 22 1,2 % 100 TOTAL (%) 7,1 38,6 39,3 11,8 3,2 100 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) 561 Tout à fait d’accord (n.72) RIPC_2007-04.book Page 561 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Q). Certains emplois devraient être réservés à des personnes bilingues – parlant breton et français Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni Tableau 9 : Identité double et support pour les politiques visant à soutenir la langue bretonne RIPC_2007-04.book Page 562 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 562 Alistair COLE et Jocelyn EVANS En Bretagne et au Pays de Galles, les tableaux croisés présentéss dans les Tableaux 9 et 10 révèlent clairement des relations dans les deux cas, relations entre le critère d’identité à « prédominance ethno-territoriale » et le soutien envers des politiques interventionnistes au sujet de la langue. Nous analyserons ces relations avec plus de détails par la suite. Exemples contrastés concernant l’adaptation de l’élite © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Il existe certaines similitudes avec la situation au Pays de Galles, où les politiciens gallois se sont aussi hissés à la hauteur du pouvoir politique en travaillant au sein des partis nationaux, tout d’abord les Libéraux, et plus tard, les Travaillistes. Un bref survol du système des partis au Pays de Galles depuis le XIXe siècle démontre comment l’idée d’un Royaume-Uni a séduit les élites politiques galloises. Pour la plus grande partie du XXe siècle, l’attraction du Royaume-Uni en tant qu’État unificateur a été beaucoup plus importante que le soutien au développement d’institutions politiques autonomes. Les gouvernements du Royaume-Uni ont réussi à s’adapter à la culture galloise, et, d’un point de vue plus large, à s’adapter aux demandes politiques au nom de la sauvegarde de l’Union. Beaucoup de politiciens gallois ont été convaincus que les intérêts gallois seraient mieux sauvegardés par l’intermédiaire du Royaume-Uni, plutôt que par un hypothétique État gallois ou par des institutions politiques autonomes. L’hostilité du Parti Travailliste à la dévolution témoigne des bienfaits de cette structure politique © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) La quatrième dimension du modèle « ethno-territorial » de Moreno concerne les facteurs d’adaptation de l’élite. Le meilleur héritage de l’influence bretonne est celui de l’adaptation de l’élite. Alors que la Bretagne constitue une région dotée d’une identité forte, son élite est parvenue à s’accoutumer à travailler dans le contexte de l’État français et de l’Union européenne. En tant que région, la Bretagne connait de paradoxes curieux. Il existe une demande largement étendue pour obtenir plus de pouvoir dans les institutions politiques régionales au sein de l’opinion publique, et une demande aussi forte parmi les politiciens régionaux. Mais les hommes politiques régionaux bretons occupent également des positions importantes au sein des partis français. Une certaine ambiguïté sert les intérêts de la Bretagne. Jouant sur cela, il s’agit, au nom de l’identité bretonne, d’encourager l’État central à canaliser ses ressources vers sa région périphérique. L’élite politique de la Bretagne s’est ainsi adaptée à la logique française de décentralisation territoriale, tout en la recadrant, en partie, en termes régionaux. La capacité politique de la Bretagne est réelle, mais n’est articulée qu’en partie avec l’institution politique régionale créée en 1982 par l’Acte de Décentralisation. Les structures d’opportunités institutionnelles et politiques ont mis l’accent sur la conquête du pouvoir national (français). Cette contrainte structurelle résiste, grosso modo, à la décentralisation. RIPC_2007-04.book Page 563 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni 563 pour le Pays de Galles. Les dirigeants du Parti Travailliste ont cru plus à la lutte des classes qu’à l’affirmation territoriale. La percée de Plaid Cymru en 1970 a forcé le Parti Travailliste dominant à modifier son unionisme traditionnel et à développer un message gallois plus distinct. Il y a ensuite la lente émergence d’une conscience politique différente de celle des Anglais et qui se réclame d’institutions politiques plus autonomes. Le développement de puissantes institutions politiques au Pays de Galles a été accompagné d’un affaiblissement du modèle de l’adaptation de l’élite au Pays de Galles et dans le Royaume-Uni. Finalement, même le Parti Travailliste est aujourd’hui très largement acquis à l’idée de la dévolution. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) L’identité, tout en constituant une partie innée de l’individualité des personnes et, par conséquent, un produit d’influences psychosociales fermées et de traits individuels, est aussi très largement construite, particulièrement en termes de loyauté envers les objets macro-level comme les institutions politiques et les régions dont la définition politique diffère. La chance de voir se développer une identité régionale forte paraît amoindrie s’il existe d’autres identités fortes et croisées. Là où un autre groupe identitaire (une classe ou une religion, par exemple) adopte spécifiquement une région en tant que base de sa propre identité, alors elle peut prétendre à devenir une force de mobilisation rivale. Il est difficile d’identifier précisément l’apport des différentes variables dans la construction d’une identité. Au Pays de Galles, la littérature met en avant la langue, le sentiment d’appartenance à la classe ouvrière et l’attachement à un territoire 16. Les institutions politiques de la dévolution ont ajouté une arène institutionnelle pour soutenir le sentiment d’appartenance au Pays de Galles. En Bretagne, les représentations de la culture politique bretonne mettent en avant les traditions politiques consensuelles, le sentiment d’identité régionale, mais aussi des distinctions territoriales basées sur la langue et enracinées dans les traditions locales 17. Nous testerons les questions et les hypothèses suivantes concernant le profil social et l’identité : - Territoire. Des descriptions traditionnelles du Pays de Galles ont mis l’accent sur l’importance de rivalités territoriales : la métaphore des trois Galles (Gallois anglais, Gallois se voulant uniquement Gallois et Gallois se sentant britanniques) résume bien ces différences qui sont en partie linguis16. JONES J. B. et BALSOM D. (dir ), The Road to the Assembly, Cardiff, University of Wales Press. 2000. 17. LE COADIC, op. cit., 1998 ; LE BOURDENNEC Y., Le Miracle breton, Paris, Calmann-Lévy, 1996 ; FAVEREAU F., Bretagne Contemporaine : Langue, Culture, Identité, Rennes, Éditions Skol Breizh, 1993. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Les fondements de l’identité sociologique et territoriale RIPC_2007-04.book Page 564 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 564 Alistair COLE et Jocelyn EVANS tiques. Des divisions territoriales sont aussi très importantes en Bretagne : notamment sous la forme d’une division linguistique breton/non-breton entre l’ouest et l’est de la région. Comment ces images traditionnelles jouent-elles au niveau de la compréhension du caractère gallois, britannique, breton et français ? Selon l’hypothèse territoriale, nous pourrions nous attendre à ce que des positions situées tout au long du spectre d’identité duale soient influencées par des traditions sous-régionales. - Âge. Selon l’hypothèse basée sur l’âge, les jeunes donnent une importance plus grande à l’indépendance régionale, soit par effet de jeunesse, soit parce qu’ils ont bénéficié d’une socialisation bretonne/galloise croissante par le biais du système scolaire (l’enseignement du gallois obligatoire ou la montée des écoles de langue bretonne, voire des sections bretonnantes dans les écoles publiques ou privées). Dans les deux cas, il existe une vie associative et culturelle foisonnante qui peut avoir pour effet de renforcer les phénomènes identitaires au sein de la jeunesse. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) - Éducation. En relation avec la théorie du « colonialisme interne », nous nous attendons à voir des groupes d’éducation inférieure manifester une plus grande identification à des identités régionales. Nous nous attendons aussi à voir les groupes avec des perspectives plus grandes de mobilité sociale et géographique se montrer moins attachés au cœur d’une identité régionale, ou à des identités régionales et nationales mixtes. - Langue. Il va de soi, sans doute, que nous nous attendons à voir des groupes avec des degrés de facilité linguistique plus élevés au Pays de Galles ou en Bretagne manifester un degré plus élevé d’identité régionale. Cela dit, suivant l’hypothèse de l’âge, il se peut que les classes d’âge les plus avancées soient imprégnées d’une plus forte identité britannique ou française. On s’attendrait donc à ce que ces groupes rejettent des identités exclusivement galloise ou bretonne, choisissant plutôt l’une des identités mixtes. 18. SCULLY R. et WYN JONES R., « Settling Will ? Wales and Devolution Five Years On », British Elections and Parties Review 13, 2003, p. 86-106. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) - Classe. Selon Jones et Scully 18, le peuple gallois continue à définir son identité galloise contemporaine selon des critères d’identité de classes plutôt qu’en fonction de tout autre facteur. Suivant la théorie du « colonialisme interne», la variable classe sociale peut renforcer le sentiment d’appartenance à un territoire minorisé. Les groupes économiquement désavantagés qui se situent dans une région périphérique se sentent doublement exploités, voire colonisés par les ethnies hégémoniques et plus puissantes économiquement. On peut donc s’attendre à ce que des groupes économiquement désavantagés dans ces deux régions soient plus imprégnés de leurs identités régionales que des groupes plus avantagés. RIPC_2007-04.book Page 565 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni 565 Données et variables Les deux sets de données employés ont interrogé un échantillon constitué de 1007 individus, choisis selon des critères d’âge, de genre, d’appartenance à un groupe socio-économique et d’appartenance territoriale. On a interrogé des personnes par téléphone, en utilisant la méthode de CATI. Les données recueillies par l’enquête concernent 1007 cas et 60 variables 19. La variable dépendante, l’échelle d’identité duale selon Moreno, a été représentée par une échelle à 5 degrés, allant du score le plus bas (« Je me sens seulement breton/ seulement gallois ») au score le plus élevé (« Je me sens uniquement français/ uniquement britannique »). Les variables sociologiques indépendantes, basées sur les hypothèses précisées antérieurement et prenant en compte des modèles standards de contrôles, sont : le sexe, l’âge, l’éducation, la classe et la langue. Le territoire est considéré comme une variable catégorique, comme on peut le voir ci-dessous, et se sert de la capitale régionale (italiques) comme catégorie de référence. Bretagne Pays de Galles Côtes d’Armor Nord-Ouest gallois Finistère Nord-Est gallois Ille-et-Vilaine Sud-Ouest et centre du Pays de Galles Morbihan Vallées Rennes Sud-Est gallois © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Le genre est codé 1 pour l’homme. L’âge est codé en 6 catégories (16-24 ; 25-34 ; 35-44 ; 45-54 ; 55-64 et 65 et plus) et utilise comme catégorie de référence l’âge le plus élevé. L’éducation est codée elle en 4 catégories pour les deux régions (sans éducation, niveau moyen, niveau secondaire et technique et un cycle supérieur d’éducation de référence). La classe des travailleurs est codée selon le schéma de Goldthorpe avec une modification apportée à la 4e catégorie (managers et professionnels, indépendants, employés et la classe ouvrière), avec une autre catégorie de référence reprenant les retraités, les étudiants et les ménagères à la maison. 19. COLE A., « Devolution and Decentralisation in Wales and Brittany, 2001-2002 », UK Data Archive (www.esds.ac.uk), Study Number 4802, 2004. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Cardiff RIPC_2007-04.book Page 566 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 566 Alistair COLE et Jocelyn EVANS Finalement, la variable langue est saisie par une question interrogeant les répondants à propos de leur capacité à parler la langue régionale. Une variable à trois catégories a été codée à partir de cette question : le code 1 était réservé aux répondants qui disaient la parler « couramment » ou « très bien », le code 2 signifiait une connaissance « de base » ou « intermédiaire » et le code 3 était attribué à ceux qui ne parlaient ni le breton, ni le gallois. Ce code 3 était le code de référence. En utilisant ces variables, les tailles des échantillons d’analyse étaient de 994 (Pays de Galles) et de 963 (Bretagne). Comme c’est normalement le cas avec les modèles sociologiques, une échelle de repères a été utilisée. Le modèle I considère juste la variation territoriale, afin de voir en tout premier lieu si une variation identitaire existe entre les différentes divisions territoriales des deux régions. Le modèle II ajoute les données concernant l’âge, le sexe, la classe sociale et l’éducation afin focaliser l’attention sur l’effet du profil social individuel, en contrôlant les variations par territoire. Finalement, le modèle III ajoute la variable de la maîtrise de la langue. Il est clair que l’emploi de la langue locale variera probablement en fonction de la région et du profil social. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) En regardant d’abord les modèles gallois, partout il y a clairement des différences de type social dans les bases de l’identité. Le modèle I indique qu’il n’existe pas beaucoup de variation territoriale, seulement avec les individus résidant dans les Vallées qui témoignent d’une tendance beaucoup plus grande à l’identification galloise qu’à Cardiff. Il est intéressant de noter que même dans les zones connues pour leur identité galloise, comme le Nord-Ouest et le centre du Pays de Galles, il n’existe pas de différence significative avec la capitale – en effet le Nord-Ouest du Pays de Galles est sensiblement plus britannique dans son identification. Le modèle II montre une plus grande variation des caractéristiques sociologiques. Il existe une relation presque « monotonique » entre les catégories d’âge et le sentiment d’identité, avec les deux plus jeunes couches de la population s’identifiant le plus fortement à l’identité galloise, phénomène qui décroît dans les catégories des 55 ans et plus. Si l’on prend en compte l’occupation de ce groupe, deux classes se distinguent : une petite bourgeoisie, avec la plus grande probabilité d’identification britannique et les travailleurs avec, inversement, le plus haut niveau d’identification galloise. Ces deux groupes ne s’opposent fondamentalement, mais pas uniquement, sur la division traditionnelle Gauche-Droite. De façon intéressante, étant donné la concentration de la classe ouvrière dans les Vallées, l’effet territorial reste le © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Résultats RIPC_2007-04.book Page 567 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni 567 Tableau 11 : Modèle logit ordonné prédisant la position sur l’échelle Moreno sur l’identité galloise/britannique par le profil social © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Seuil 1 2 3 4 Territoire NW Wales NE Wales SW & Mid-Wales Valleys SE Wales Cardiff Genre Homme Femme Age 16-24 25-34 35-44 54-54 55-64 65+ Classe Managers / cadres Petite bourgeoisie Employés Travailleurs Autre Education Aucune Niveau moyen Secondaire/ technique Tertiaire Langue Courant / bon Moyen / base Aucun Model χ2 Model II Model III B s.e. B s.e. B s.e. -1,57*** -0,70*** 0,78*** 2,65*** 0,18 0,18 0,18 0,21 -2,33*** -1,42*** 0,11 2,02*** 0,27 0,26 0,25 0,28 -3.21*** -2.26*** -0.59** 1.44*** 0.29 0.28 0.27 0.29 0,22 0,20 -0,24 -0,60** -0,04 - 0,25 0,24 0,21 0,21 0,22 - 0,29 0,26 -0,14 -0,50* -0,07 - 0,25 0,24 0,21 0,21 0,23 - 0.98*** 0.43* 0.16 -0.50* -0.08 - 0.26 0.24 0.22 0.21 0.23 - -0,12 - 0,12 - -0,21* - 0.12 - -0,60** -0,68** -0,45* -0,37* -0,20 - 0,21 0,22 0,21 0,21 0,20 - -0,48* -0,74** -0,61** -0,38* -0,20 - 0.22 0.22 0.22 0.21 0.21 - 0,25 0,64** -0,08 -0,53* - 0,35 0,24 0,16 0,24 - 0,20 0,58* -0,06 -0,50* - 0.36 0.24 0.16 0.24 - -0,66** -0,38* -0,21 - 0,19 0,19 0,18 - -0,89*** -0,53** -0,40* - 0.20 0.19 0.18 - 26,53*** (5df) *** p < 0,001 ** p < 0,01 * p < 0,1 74,13*** (18df) -1,89*** 0,19 -0,75*** 0,13 176,67*** (20df) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Model I RIPC_2007-04.book Page 568 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 568 Alistair COLE et Jocelyn EVANS même malgré un contrôle par les effets de classe. En d’autres termes, il existe un effet territorial indépendant de la classe – et d’autres variables – relatif à l’identité galloise. En ce qui concerne l’éducation, un profil tout aussi clair émerge. Les individus avec le niveau le plus bas d’éducation se retrouvent au plus haut niveau du sentiment d’identité galloise ; ils sont suivis par le groupe de niveau moyen. Il n’existe pas de différence significative entre les élèves du secondaire, de l’éducation technique, ni même de ceux qui jouissent de qualifications universitaires. Notre hypothèse sur le rôle de l’éducation sort renforcée de ces données. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Si nous nous tournons maintenant vers les données bretonnes (Tableau 12), il existe des différences très évidentes entre les résultats essentiels des deux modèles régionaux. En regardant d’abord le territoire sur le modèle I, on constate qu’il existe des variations beaucoup plus grandes en Bretagne qu’au Pays de Galles. Les territoires des Côtes d’Armor, du Finistère et du Morbihan sont tous, de façon significative, des territoires d’identité bretonne en comparaison avec Rennes, la capitale régionale. En tant que capitale régionale soumise à l’État, ce fait ne nous surprend peut-être pas. Cependant, à l’opposé du cas du Pays de Galles, il existe de façon évidente un centre français et une périphérie bretonne minoritaire. Le modèle II montre surtout qu’il n’existe aucune différence par rapport au modèle I. Un seul paramètre seulement atteint une certaine significativité : la petite bourgeoisie. Dans une région rurale, comme la Bretagne, les agriculteurs et les négociants locaux ont un sentiment beaucoup plus grand d’identité bretonne, plus que dans les autres classes sociales. Ni les indépendants, ni les travailleurs ne se sentent plus bretons que les autres couches, du moins d’une manière significative. Si la théorie de la « colonisation interne » peut s’appliquer au cas breton, alors il semble que cela concerne les agriculteurs avec leur économie minoritaire et soumise. Du point de vue de l’éducation également on ne perçoit pas de différence entre le sentiment d’identité française et bretonne. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Finalement, le modèle III inclut les compétences en langue galloise comme une variable explicative additionnelle. Les effets sont hautement significatifs, comme on pouvait s’y attendre, avec des individus qui parlent couramment ou très bien la langue galloise manifestant un grand attachement envers l’identité galloise. Cela est également vrai pour ceux qui connaissent les bases de la langue et la parlent assez bien. D’autre part, ceux qui ne parlent pas la langue ont un sentiment moins fort d’identité galloise. Il devient tout aussi intéressant de regarder la variation des autres paramètres estimés une fois la langue incluse. En regardant d’abord la région, le NordOuest atteint des résultats hautement significatifs et un peu surprenants, en ce sens que l’identité britannique est mieux définie qu’à Cardiff une fois que la variable langue a été contrôlée. De la même façon, une fois la variable langue contrôlée, le Nord-Est du Pays de Galles présente une signification un peu moins importante dans sa plus grande identification britannique. RIPC_2007-04.book Page 569 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni 569 Tableau 12 : Modèle logit ordonné prédisant la position sur l’échelle Moreno de l’identité bretonne/française par le profil social B s.e. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Seuil 1 -4,38*** 0,29 2 -2,04*** 0,19 3 0,65*** 0,18 4 2,07*** 0,20 Territoire Côtes d’Armor -0,61** 0,23 Finistère -0,50* 0,21 Ille-et-Vilaine -0,33 0,23 Morbihan -0,49* 0,22 Rennes Genre Homme Femme Age 16-24 25-34 35-44 54-54 55-64 65+ Classe Managers / cadres Petite bourgeoisie Employés Travailleurs Autre Education Aucune Niveau moyen Secondaire/technique Tertiaire Langue Courant / bon Moyen / base Aucun 8,48* (4df) Model χ2 *** p < 0,001 ** p < 0,01 * p < 0,1 Model II Model III B s.e. B s.e. -4,65*** -2,29*** 0,47 1,90*** 0.35 0.27 0.07 0.28 -5.30*** -2.89*** 0.07 1.56*** 0.36 0.29 0.27 0.28 -0,57* -0,47* -0,26 -0,43* - 0.23 0.21 0.23 0.22 - -0.30 0.09 -0.18 -0.23 - 0.23 0.22 0.23 0.22 - 0,03 - 0,13 - 0.05 - 0.13 - -0,08 -0,40 -0,02 0,07 0,29 - 0,28 0,28 0,28 0,28 0,24 - -0.52* -0.67* -0.42 -0.23 0.17 - 0.28 0.29 0.28 0.28 0.24 - 0,11 -0,73* -0,31 -0,01 - 0,23 0,32 0,24 0,28 - 0.30 -0.61* -0.25 0.20 - 0.23 0.32 0.24 0.28 - -0,17 -0,24 -0,13 - 0,20 0,19 0,19 - -0.28 -0.28 -0.11 - 0.20 0.19 0.19 - 34,75** (17df) -1,43*** 0.23 -1,20*** 0.15 116,73*** (19df) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Model I RIPC_2007-04.book Page 570 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 570 Alistair COLE et Jocelyn EVANS Finalement, lorsque nous appliquons le rôle du langage dans le modèle III, il existe enfin une relation entre ceux qui parlent le breton et le sens de l’identité bretonne, y compris parmi ceux qui ne connaissent pas bien la langue. En regardant les effets avec des variables étalonnées, la significativité du territoire s’efface, ce qui indique que cette variation était due à des différences de langue. Les catégories d’individus plus jeunes confirment notre hypothèse de la socialisation des valeurs bretonnes. La découverte, de loin la plus importante, est que la catégorie « petite bourgeoisie » demeure significative, prouvant que le désavantage économique mobilise l’identité minoritaire. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Il existe une tension inhérente au sein du modèle Moreno entre, d’une part, l’investigation empirique d’identités mixtes et, d’autre part, le plaidoyer en faveur d’un nationalisme minoritaire. Grâce à l’échelle identitaire de Moreno, nous disposons d’un outil effectif et parcimonieux pour la mesure d’identités mixtes, mais l’accompagnement prévisionnel de cet outil n’a pas la valeur d’un modèle général. Il existe une confusion certaine au niveau des genres. Empiriquement, Moreno se soucie de démontrer que les sociétés européennes postmodernes ont revêtu des caractères multiples et « multi-relayés », laissant aux individus le soin de construire leur propre identité. Politiquement, Moreno parvient à démontrer que les dangers d’adopter des identités territoriales sont fortement amoindris par le développement du « localisme cosmopolite européen », l’enracinement d’identités locales et régionales dans un plus large espace européen. Théoriquement, Moreno s’engage dans des visions constructivistes. Plus spécifiquement, Moreno plaide pour la construction de « projets identitaires » qui offrent de nouvelles perspectives pour le développement de mouvements plus inclusivement ethno-territoriaux. Bien qu’ils puissent inclure d’importants référents symboliques du passé, comme la culture ou le langage, les « projets d’identité » les plus réussis du point de vue territorial parviennent également à rejeter une « ethnicité étroite » en tant que base pour une fidélité politique et organisationnelle. Cette vue constructiviste implique que l’« identité mixte optimale » soit l’une de celles qui combinent l’ethno-territorialité et des identités civiques à relais multiples. Il n’est nullement nécessaire de voir exister une contradiction entre les identités ethnorégionales et civiques. Moreno affirme clairement être convaincu de l’importance de l’interdépendance entre les niveaux territoriaux et il recherche les conditions pour une coexistence pacifique dans l’interaction. L’originalité de cette idée est de relier la construction de l’identité individuelle avec des projets collectifs chers aux auteurs du nationalisme dit minoritaire. D’un autre côté, les indicateurs clés utilisés pour évaluer les identités « ethno-territoriales » – les institutions politiques, les mouvements politiques, la culture et la langue – sont largement inspirés par la pensée nationaliste classique. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Discussion et conclusion RIPC_2007-04.book Page 571 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni 571 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) Dans le cas de la région française, nous observons une relation plus faible entre les identités duales, les choix lors des élections régionales et les attitudes envers une certaine autonomie. Le parti politique joue un rôle plus limité dans l’articulation des identités régionales ; pour leur part, la plupart des Bretons peuvent voter à l’aise pour n’importe quel parti. La Bretagne a un large spectre identitaire : un sentiment puissant d’identité territoriale s’adapte facilement dans le cadre de l’existence d’un État français admis de tous. La Bretagne réussit à combiner des identités ethno-territoriales, civiques et supranationales dans un tout où les divers éléments se renforcent. En Bretagne, on voit apparaître des différences territoriales de façon plus marquées que dans le Pays de Galles. Les départements de Côtes d’Armor, du Finistère et du Morbihan s’identifient comme bretons d’une manière bien plus significative que Rennes, la capitale. Cependant, si l’on voit Rennes comme une capitale régionale dépendant de l’État, le phénomène n’est pas surprenant. Au contraire de ce qui se passe au Pays de Galles, en Bretagne on se trouve devant une évidence de l’existence d’un centre français et d’une minorité bretonne périphérique – l’élite locale régionale métropolitaine considérant comme dépassée une identité bretonne traditionnelle. Notre analyse à un micro-niveau a révélé une série de faits. Il existe un nombre de caractéristiques communes entre les deux régions. L’âge joue un rôle. Dans les deux régions, les cohortes les plus jeunes sont les plus attirées vers un désir d’indépendance. Le genre ne joue pas un grand rôle. Dans les deux régions, nous observons l’importance des dynamiques de classes sociales : les groupes en déclin – ouvriers au Pays de Galles, agriculteurs touchés par la crise agricole en Bretagne – sont plus poussés que les autres catégories à adopter des identités ethno-territoriales, ce qui constitue un soutien pour la thèse de la colonisation interne. Au Pays de Galles, le bas niveau d’éducation renforce © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) L’échelle de Moreno nous guide pour enquêter sur des identités duales et leurs conséquences politiques et sociologiques. Nous tournant vers la Bretagne et le Pays de Galles, nous nous sommes engagés dans un jeu de macro- et de micro-comparaisons. À partir des faits étudiés et selon la plupart des critères (sauf peut-être celui du territoire), les Gallois se situent plus que les Bretons sur le pôle ethno-territorial défini par Moreno. La langue est sans doute le meilleur marqueur pour distinguer et supporter les identités ethno-territoriales. Notre étude suggère que la langue est un symbole puissant de divisions identitaires au Pays de Galles, tandis qu’en Bretagne, elle joue plutôt le rôle de support symbolique et – probablement – superficiel à la cohésion régionale. La présence ou l’absence d’une force politique nationaliste crédible constitue un autre élément de différenciation majeur entre la Bretagne et le Pays de Galles. Au Pays de Galles, à bien des égards, les clivages politiques sont plus profondément constitués et il existe une relation plus complexe entre l’identité, les institutions, les préférences de partis et la langue qu’en Bretagne. RIPC_2007-04.book Page 572 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM 572 Alistair COLE et Jocelyn EVANS l’effet de classe sociale : l’identité galloise est la plus fortement enracinée chez ceux qui sont originaires de la classe ouvrière avec un faible niveau d’éducation. D’après notre enquête, le parti nationaliste est fortement soutenu au nord-ouest, à l’ouest et au sud-ouest du pays : c’est-à-dire dans les localités où la pratique de la langue galloise est la plus importante. Dans les Vallées (l’ancien pays minier au nord de Cardiff) apparaît le plus fort sentiment d’appartenance gallois (« Welshness »), même si cela est beaucoup moins corrélé avec la pratique de la langue ou un soutien pour le Plaid Cymru. Dans ce cas, l’identité régionale très forte s’explique plus par le sentiment de classe sociale. Être gallois relève plus d’un statut social que de l’usage d’une langue (que les ouvriers des Vallées ne pratiquent, en général, pas). Enfin, on ne peut oublier le contexte étatique plutôt contrasté dans les deux cas. L’évolution historique du Royaume-Uni, un curieux mélange d’un État unitaire et d’un État-union, a permis beaucoup plus facilement l’accommodement à la construction de visions différenciées qu’en France, où les traditions politico-administratives et la structure d’opportunité politique restent assez centralisées. Notes complémentaires © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) 2. Le terme « Région » tel qu’il a été appliqué à la Bretagne, est ambigu et peut faire référence à la fois à l’institution incorporée dans l’actuel conseil régional avec ses quatre départements (Côtes d’Armor, Finistère, Ille-et-Vilaine et Morbihan), et aussi à toute l’entité géographique plus large de la « région » historique, incluant le département de Loire-Atlantique, correspondant plus ou moins à l’ancien Duché de Bretagne. L’étude sur laquelle cet article est basé a été reprise de l’aire couverte par la région existante, parfois connue comme région B4. 3. Efficience 3, l’institut de sondage, a interrogé un échantillon représentatif de 1007 individus, choisis en fonction des quotas d’âge, de sexe, du groupe socio-économique et de la localité. Les enquêtes se sont déroulées par téléphone, en employant la méthode CATI. Le set de données obtenu par l’étude concerne 1007 cas et 60 variables 20. Le set de données a été réparti au sein de variables sociodémographiques et de variables d’attitudes. 4. Le groupe « aussi Breton que Français », qui représentait 57 % des personnes ayant répondu, a divisé ses préférences comme suit : « garder le conseil régional 20. COLE A., op. cit., 2004. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) 1. L’une des régions les plus distinctes de la France, la Bretagne, possède un sentiment aigu de sa position spécifique au sein de la société française. Autrefois un Duché indépendant (de 845 à 1532), elle a été ensuite une province française avec des prérogatives spéciales (1532-1789), puis réduite pour longtemps à une collection de départements disparates, avant de connaître le statut de « Région » administrative et politique. RIPC_2007-04.book Page 573 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Utilisation de l’échelle de Moreno en France et au Royaume-Uni 573 existant » (42,2 %) ; « donner au conseil régional les pouvoirs de faire des lois et de varier les taxes » (36,4 %) ; une « Bretagne indépendante » (10,1 %), « je ne sais pas » (9 %) et « abolir le conseil régional » (2,3 %). 5. La Seconde Guerre mondiale a eu un effet dévastateur et probablement fatal sur le mouvement autonomiste breton. Les activités d’une minorité pronazi ont discrédité le mouvement breton pour une génération et tout cela a empêché l’émergence d’un parti régionaliste/nationaliste puissant. 6. Seulement 399 des 1007 répondants ont exprimé un ferme choix de parti. 7. Il existait une distinction marquée, par exemple, entre les Gallois du Nord-Ouest et du Sud-Est en ce qui concerne le soutien de la proposition selon laquelle « certains emplois devraient être réservés à des bilingues » (Gallois et Anglais). Au Nord-Ouest, la proposition a été approuvée par la majorité des personnes interrogées (61,2 %), tandis que dans le Sud-Est (en excluant Cardiff et les Vallées), la proposition a seulement été approuvée par environ 1/3 des personnes interrogées. En Bretagne, les différences étaient plus étroites qu’au Pays de Galles puisque la proposition plaisait à 50,9 % des répondants dans le Morbihan contre seulement 35,4 % dans l’est de l’Ille-et-Vilaine. 8. En termes de soutien partisan (mesuré par les intentions de vote lors de l’élection suivante de l’Assemblée), il existait une division très marquée entre ceux qui voulaient voter pour Plaid Cymru (70 % étaient tout à fait d’accord ou d’accord avec la proposition que certains emplois devraient être réservés aux bilingues) et tous les autres partis qui étaient majoritairement contre cette proposition. De façon similaire, il existait une très grande distance entre les « partisans » du parti régionaliste breton ou UDB, dont 80 % étaient favorables à la proposition, et les votants appartenant à d’autres partis. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) 10. Idéalement, nous aurions voulu inclure les personnes retraitées sous leur occupation passée, mais les données ne le permettaient pas. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.228.66.231) 9. Les groupes gallois les plus jeunes (16-24) étaient des « supporters » plus enthousiastes envers cette proposition que leurs aînés. Ainsi qu’au Pays de Galles (mais de manière moindre), les groupes bretons plus jeunes étaient plus favorables à une politique linguistique interventionniste que leurs aînés.