Hegel 2
par Florent Boucharel
Remarques complémentaires sur le Hegel de Kojève :
Et l’Esprit devint Hegel
Dans la conscience-de-soi, le moi est un Gegenstand. Ça, c’est pour Hegel. Cependant,
dans la conscience de soi, on n’a pas de perception d’objet mais une aperception, dont la réalité
a priori met à bas l’édifice hégélien. Hegel souffre d’illusion grammaticale : « la conscience se
connaît », il y a un objet grammatical dans cette phrase mais le concept d’aperception traduit
mieux la réalité que le langage. La conscience de soi est une pure aperception au principe de
toutes les perceptions d’objet.
Pour Kojève, « [a]ucune philosophie n’a pensé à décrire le phénomène autrement …
Les divergences ne commencent que là où il s’agit d’expliquer etc. » Je suis donc enchanté
d’être le premier. L’aperception n’est pas une relation de sujet à objet – nonobstant la
grammaire.
ii
La non-contradiction est appelée une tautologie ! – En admettant même qu’une
proposition analytique soit tautologique (mais dans ce cas toute analyse est simple tautologie),
une proposition synthétique vraie est à la fois absolument non contradictoire et non
tautologique.
iii
Contre la philosophie de la conscience, c’est-à-dire la philosophie antérieure à Hegel,
laquelle est présentée comme une philosophie de la conscience-de-soi, Kojève dit qu’« il faut
que l’homme soit Désir », et cela inclut le philosophe. « Il faut » est complètement superflu
dans tous les cas. Et le philosophe est comme les autres hommes à cet égard. Seulement la
philosophie est une activité de connaissance et, par conséquent, même dans « une philosophie
de la conscience-de-soi, une philosophie consciente de soi », le philosophe connaît, et sa
connaissance doit (non pas au sens de « il faut ») se perdre dans son objet (tout en sachant que
se perdre en soi-même n’est pas très grave car on se retrouve vite). L’idée que la philosophie
de la conscience-de-soi est une connaissance qui serait en même temps désir est en revanche
irrecevable puisque la connaissance n’est pas, d’après la définition, le désir. Hegel n’a donc pu
produire aucune nouvelle forme de connaissance ou philosophie, même si le contenu de sa
philosophie est nouveau.
Florent Boucharel/Hegel/p. 1
iv
On prétend ordinairement liquider Kant parce que Newton est, dans les grandes lignes,
dépassé. Ainsi Kojève parle-t-il même de « Kant-Newton » : « la chose-en-soi de KantNewton ». Puis il affirme que l’interprétation hégélienne de la science empirique est
« actuellement admise par la science elle-même », et d’évoquer à ce sujet le principe
d’incertitude de Heisenberg. Après Kant-Newton, on a donc Hegel-Heisenberg (seulement
Kant vient après Newton et Hegel avant Heisenberg). Mais si l’on peut rattacher Hegel à un
état de la science empirique, l’hégélianisme, loin d’être un savoir absolu, passera comme le
reste car c’est la nature du savoir empirique que d’être « cumulatif », ce qui signifie provisoire,
et par ailleurs uniquement une tendance asymptotique vers la certitude absolue par la méthode
inductive.
Néanmoins, dans ce passage, Kojève dit que la science est forcément contradictoire : il
renverse le prodige en misère, et il a raison ; seulement de mon point de vue cette misère peut
être rachetée par la science elle-même (elle peut supprimer la contradiction onde-corpuscule,
par exemple, moyennant de nouveaux cadres théoriques). Pour Kojève, Heisenberg donne
raison à Hegel quant à l’insuffisance de la science : c’est un point de vue intéressant dans la
mesure où l’on comprend par-là pourquoi le scientisme interprète l’incertitude comme étant
dans la nature elle-même et non dans la science, car c’est seulement par une telle interprétation
que la science peut prétendre rester un instrument de connaissance pertinent. Autrement dit, le
« consensus de Copenhague » est une idéologie.
« Il n’y a donc pas de Vérité dans le domaine de la Physique. » C’est intéressant mais,
pour le coup, Kojève évacue la science un peu trop vite. Partant de cette même prémisse, qui
est une conclusion de Hegel, Heidegger discutera les implications profondes, métaphysiques,
de la technique.
v
En termes hégéliens, l’évolutionnisme suppose que le concret est sorti de l’abstrait (la
nature). La nature est abstraite parce que c’est l’esprit qui est concret.
vi
Ce que je connais comme nature est bien la chose en soi, mais je ne peux la connaître
que comme nature et non en soi, les lois de mon expérience possible me donnant un objet qui
est la nature et rien d’autre. (Le moi lui-même n’est son propre objet, dans la conscience de soi,
qu’au titre d’aperception [voyez i supra], et donc nullement comme un objet de la nature, ce
qu’est en revanche autrui pour moi dans la raison pure.) Par conséquent, la nature est réelle
dans la mesure où c’est en soi la chose en soi, seulement elle n’est pas telle pour mon expérience
qu’en soi. Mon objet est réel mais tout ce que j’en connais est « illusoire ». Ceci s’oppose à « la
connaissance absolument vraie de Hegel, où le réel et l’idéel coïncident ». Dans le kantisme, la
connaissance n’est absolument vraie que dans les limites des formes de la connaissance
humaine. La forme est une limite. Cette forme est universelle à l’humanité et tout ce qui est
compris dans la nature est connaissable (mais le tout lui-même, présupposé comme Idée de la
raison –le Monde–, seulement asymptotiquement) ; par ailleurs, la connaissance humaine peut
acquérir une connaissance complète d’elle-même, c’est-à-dire de sa forme, dans la
métaphysique.
Florent Boucharel/Hegel/p. 2
*
Quelques notes critiques sur la Phénoménologie de l’esprit
Par sa phénoménologie, Hegel a cherché à montrer que la connaissance était possible
après la critique de la raison pure par Kant – une connaissance absolue, dans l’idéalisme et
parce que le réel est dialectique.
ii
« Der Weltgeist ist das allgemeine Individuum. » « Das besondere Individuum aber ist der
unvollständige Geist. » (L’esprit-du-monde est l’individu universel. L’individu particulier est
quant à lui l’esprit incomplet.)
Mon hypothèse Der Geist (qui hante ce blog). Der Weltgeist hégélien est un sujet
(Subjekt) seulement de manière métaphorique, quasi poétique ou légendaire tant qu’il ne
s’incarne pas dans l’Individuum de l’intelligence artificielle, c’est-à-dire dans un cerveau
artificiel, un ordinateur. Comment la somme des individus, chacun incomplets, pourrait-elle
constituer l’individu universel et par définition complet, alors qu’ils sont tous incomplets au
même point de vue par rapport à l’individu complet et donc ne peuvent servir de « briques »
pour, assemblés, former ce dernier ?
L’IA autonome, c’est toujours l’homme – moins l’odeur.
Dans mon hypothèse, cependant, Der Geist n’est pas la fin de l’Histoire, même si c’est
peut-être la fin de l’espèce humaine biologique, car cette étape n’est que la prémisse de la
découverte du monde au-delà des frontières spatiales connues. Ce n’est sans doute pas d’une
grande satisfaction pour l’esprit, hormis celle que l’on peut avoir d’une inférence menée à son
terme.
iii
Les choses sont « an und für sich bestimmte » (déterminées en-et-pour-soi) par leurs
qualités (Eigenschaften). Il a fallu un long développement pour sortir de la chose en soi
kantienne, dont on ne sait, selon Hegel, comment elle produit par notre médium des objets.
J’écris « par notre médium » (le médium qu’est le Ich) car pour Hegel « wir sind somit das
allgemeine Medium, worin solche Momente [die Eigenschaften] sich absondern und für sich
sind. » (Nous sommes ainsi le médium général, dans lequel ces moments [les qualités] s’isolent
et sont pour-soi.) La chose peut être connue an und für sich. C’est ainsi que Hegel rompt avec
la philosophie de la connaissance qui le précède : « Es ist also in Wahrheit das Ding selbst,
welche weiß und auch kubisch…ist » (c’est donc la chose elle-même qui est réellement blanche
et cubique). Les qualités, primaires comme secondaires, sont dans la chose elle-même. S’il est
permis de se servir de l’empirie contre cette affirmation, l’expérience montre bien que certaines
qualités de notre perception sont exogènes à l’objet lui-même.
iv
La différenciation des objets entre eux passe ici pour avoir une origine « logique », à
rebours non seulement du matérialisme mais aussi de l’idéalisme, pour lesquels l’esprit ne fait
qu’enregistrer ces différences. On ne peut donc pas ne pas vouloir en effet remettre ce système
Florent Boucharel/Hegel/p. 3
sur ses pieds ; mais cela n’a pas de sens non plus car la pensée n’est qu’un accident de la matière
et il faudrait qu’elle en soit un prédicat nécessaire pour concevoir un mouvement dialectique
nécessaire par lequel « la matière se connaît ».
v
Décrire ce qu’est une force (Kraft) par un mouvement (Bewegung), de ça vers ça plus
ça dans ça, c’est croire qu’une force a besoin d’une explication alors qu’un mouvement n’en a
pas besoin. Hegel présuppose connue l’une de ces notions fondamentales pour expliquer l’autre.
Or ici la force peut bien être physique, le mouvement est purement logique, c’est le mouvement
réflexif par lequel on en vient à concevoir une force. Hegel utilise donc une métaphore de la
notion physique fondamentale de mouvement, un mouvement au sens figuré, pour expliquer la
notion physique fondamentale de force.
Dès lors qu’il emprunte les termes de la physique pour décrire sa logique, il était naturel
de penser à remettre la dialectique sur ses pieds, et c’est alors la physique, la matière qui a la
préséance explicative. Or la physique entière nous est donnée par notre appareil logique et le
temps est logique (plutôt que psychologique) autant que physique, succession de pensées autant
que de phénomènes.
vi
Que la moralité et le bonheur soient en harmonie est postulé parce que le bonheur est
dans l’acte moral lui-même. C’est du formalisme. Pour Kant, il y a un intérêt pratique à poser
ce postulat mais il est contre l’expérience. Car le bonheur n’est pas dans le domaine de la loi
morale mais dans celui des affections naturelles et l’obéissance à la loi morale peut certes,
même nécessairement, produire un contentement moral, ce n’est pas pour autant ce que l’on
entend par bonheur (car on peut obtenir ce contentement moral au prix des plus grands sacrifices
de la nature).
*
Paraphrases de la Philosophie de l’histoire de Hegel
Les modifications de la nature sont dans un cercle (Kreislauf) tandis que l’histoire est
un progrès, le déploiement de l’esprit. Il faudrait demander aux scientifiques si, oui ou non,
l’évolution biologique peut être décrite en termes de progrès, si par exemple la vie est un
progrès : l’apparition de la vie est-elle un progrès selon eux ?
« Das Leben des gegenwärtigen Geistes ist ein Kreislauf von Stufen… » (La vie de
l’esprit dans sa présence est un cercle de degrés.) Plus précisément, la nature est circulaire sur
un même plan tandis que l’histoire est circulaire dans un escalier en colimaçon.
ii
C’est en monarchie que « Alle sind frei » (tous sont libres) – en démocratie comme en
aristocratie, seulement « Einige sind frei » (quelques-uns sont libres). Les trois étapes sont :
1/ despotisme, 2/ aristocratie-démocratie, 3/ monarchie.
Frédéric II de Prusse est un héros du protestantisme, cependant non à la manière de
Gustave Adolphe de Suède mais comme roi d’un État (« sondern als König einer
Florent Boucharel/Hegel/p. 4
Staatsmacht »). La Suède n’était pas encore un État au temps de Gustave Adolphe car l’État
n’apparaît que lorsque le processus de monarchisation est à son terme.
iii
Le droit oriental est un Zwangsrecht (droit de contrainte) ; en Europe, le droit est « im
Gemüte und in der Mitempfindung » (dans le sentiment et l’empathie). Le droit occidental est
fondu dans la morale, les deux se confondent ; le droit devient une détermination intime, et ceci
est lié à notre conception de Dieu « in der Erhebung zum Übersinnlichen » (dans l’élévation au
suprasensible), tandis la théocratie orientale ne parvient pas à ce résultat : la loi y reste une
contrainte externe.
iv
La Chine et l’Inde ont la durée parce que « solche Gedankenlosigkeit ist gleichfalls
unvergänglich » (ce néant de la pensée est en même temps immuable). Ce sont des populations
serves et des États hors de l’histoire mondiale.
Le dénigrement de la culture chinoise par Hegel est contraposé par lui à des jugements
favorables de contemporains sur l’administration de l’État chinois et la science chinoise.
Autrement dit, Hegel affirme de manière expresse que son opinion ne reflète pas celle de la
classe pensante de son époque en Allemagne : à l’attention de ceux qui voudraient écarter ces
thèses comme marquées par une époque. De même, Hegel reproche à Leibniz de s’en être laissé
imposer par le système d’écriture chinois (et dans son Histoire de la philosophie il daube aussi
sur la langue elle-même).
Les jugements favorables à la sagesse indienne sont également discrédités.
Parenthèse sur la philosophie de l’Hindutva
L’axe d’analyse de Hegel s’agissant de l’Inde porte sur les castes : le droit indien est lié
à la naturalité, donc au particulier, via l’institution des castes. Pour les intellectuels de
l’Hindutva, en revanche, les castes ne sont nullement centrales (voyez par exemple V. D.
Savarkar ou encore, parmi les auteurs vivants, Subramanian Swamy). Le système des castes,
largement tombé en désuétude, aurait resurgi avec une dynamique hors de proportion avec la
situation (qui était la fusion de fait des Aryens conquérants avec les populations conquises)
après l’épisode bouddhiste et les invasions hunes, qui suscitèrent chez les Hindous une réaction
nationaliste où le renouveau des castes apparut comme l’antidote nécessaire à l’universalisme
bouddhiste décadent.
Le bouddhisme est décrit par Savarkar, en tant que religion détachée du monde, comme
la cause des invasions hunes et shakas (indo-scythes). – Se pourrait-il que la théorie historique
d’Ibn Khaldun soit un ressouvenir plus ancien que les Almoravides en Andalousie et découle
de pensées indiennes relativement à l’expérience du bouddhisme en Inde ? Du point de vue
moral, ce n’est cependant pas comparable : chez Ibn Khaldun la décadence caractérise la
mollesse du confort et des vices au sein de la civilisation matérielle, dans le nationalisme hindou
elle caractérise l’ahimsa, le détachement ascétique du monde (c’est le nihilisme décrit par
Nietzsche, à moins que ce dernier ne fusionne l’ascétisme avec la mollesse de la civilisation
matérielle).
Florent Boucharel/Hegel/p. 5
Toutefois, Savarkar parle également des agressions des royaumes bouddhistes (« the
Nyanapati (the king of the Huns) and his buddhistic allies ») contre l’Inde après l’expulsion des
Huns, sans relever que sa conception du bouddhisme est par-là même révoquée en doute – mais
il peut rester exact que le bouddhisme ait pu être perçu par les Hindous de la période comme
un ferment de décadence en raison de son pacifisme, de sa fraternité universelle, de son
« défaitisme ».
b/
L’hindouisme est tellement tolérant qu’il ne reste aucune trace en Inde des religions préaryenne des mlecchas. Les Aryens ont relégué ces peuples eux-mêmes au rang des contes de
fées (Gandharvas, Apsaras, etc). Le bouddhisme en est un autre exemple : né en Inde, il n’y
existe pratiquement plus, après y avoir régné. Même au cas où l’on ne pourrait parler de
persécutions contre le bouddhisme (ce qui reste à vérifier), on ne peut pas non plus parler
d’accommodation, inhérente au concept de tolérance ; ce serait de toute façon une forme, moins
perceptible mais effective, de rejet. Il est en effet difficile d’y voir une éviction par pure
indifférence de la population après que le bouddhisme fut fermement établi en Inde, mais on a
le droit de supposer que, s’il passait réellement pour responsable, ne fût-ce que de manière
indirecte, d’une domination étrangère abhorrée, le bouddhisme devait nécessairement
péricliter ; cependant, ce point de vue suppose tout de même, semble-t-il, une forte dose de
propagande hostile.
c/
L’Himalaya est un rempart naturel : Savarkar n’a pas l’air de voir l’absurdité d’une telle
affirmation, alors que tout son système repose sur le fait historique d’une invasion aryenne de
l’Inde. Ce rempart empêchait les autochtones de sortir et, quand la race plus forte des Aryens
fut capable de le traverser, l’Inde devait tomber entre ses mains et les autochtones disparaître
entièrement (culturellement), n’ayant par ailleurs aucune échappatoire faute de compétences
nautiques. Savarkar cherche à exploiter le thème des frontières naturelles : l’Himalaya et
l’Indus au nord, et la mer. En réalité, on n’a jamais aussi bien décrit un cul-de-sac.
v
La différence des ordres féodaux avec les castes indiennes, c’est la possibilité pour tout
individu, au sein des premiers, de rejoindre l’ordre ecclésiastique. De même, les castes ne sont
pas rachetées par l’égalité de tous impliquée dans la religion chrétienne.
vi
La position de Hegel sur les États-Unis est attentiste : il n’y a pas encore d’État en
Amérique en raison d’un phénomène toujours en cours d’immigration interne, par lequel les
problèmes démographiques que connaissent les États européens ne s’y posent pas encore.
Autrement dit, Tocqueville pourrait avoir été moins lucide que Hegel : ce dernier ne parlait de
ce qu’il voyait à peu près à la même époque que comme d’un processus transitoire, qui pourrait
finir par s’aligner sur les modèles européens (et tel est bien, me semble-t-il, le pronostic de
Hegel, malgré son attentisme).
Florent Boucharel/Hegel/p. 6
vii
Socrate est l’inventeur de la morale. Cette affirmation s’appuie sur une définition des
mœurs chez les Grecs avant Socrate opposant la Sittlichkeit à « die Moral ». Tout comme
j’affirme que les conceptions de l’espace et du temps sont les mêmes pour tous les hommes de
tous les temps, je dis qu’il en va de même pour la morale et que la distinction subtile de Hegel
ne porte pas sur l’essentiel. Le mouvement de l’histoire ne change que l’extériorité de la
pratique. Il ne peut pas y avoir, au sens strict, d’inventeur de la morale.
viii
Hegel blâme les guerres civiles et massacres ayant résulté de divergences sur les dogmes
chrétiens. Ces phénomènes, dit-il, sont contraires à la religion, qui est « Freiheit, subjektive
Einsicht » (liberté, conviction subjective). Or, s’il existe une religion vraie, on ne saurait
prétendre que la détermination des dogmes est laissée à l’appréciation de chacun, à la
subjectivité. Le fait que « la lettre i » ait « causé des milliers de morts » (omoousios ou
omoiousios : Jésus est identique ou semblable à Dieu) n’est à vrai dire pas plus surprenant que
le fait que les chrétiens des premiers temps aient si volontiers subi le martyre aux mains des
païens (sans omettre le martyre du Christ lui-même), car ils n’ont pas subi le martyre pour une
religion qui dirait « croyez ce que vous voudrez », cette parole revenant à dire que la chose est
indifférente, mais pour une religion vraie, qui possède par conséquent un dogme, un credo
identique pour tous. Quel serait le sens d’un martyre pour une « conviction subjective »
reconnue comme telle ? La vérité s’impose à ma subjectivité, cette dernière ne peut vouloir se
sacrifier (avec la vie de l’individu) que pour une vérité qui s’impose à elle avec une autorité
absolue, car une vérité connue comme seulement subjective est une probabilité et on ne sacrifie
pas sa vie pour une simple probabilité.
C’eût été de la légèreté de laisser à l’appréciation subjective un point de dogme dès lors
que cette religion avait des martyrs, car pourquoi se sacrifier au nom d’une religion dont le
contenu n’est pas arrêté, n’est pas absolument connu ? Que telles et telles autorités religieuses,
tels évêques, arrêtés sur des positions différentes, n’aient pas eu d’autre moyen de faire
prévaloir l’une ou l’autre de ces positions que la violence, sur un point qui devait être tranché,
bien que, par ailleurs, de par la nature même de la controverse elle ne pouvait l’être comme un
problème mathématique, la violence paraît avoir été inévitable. Or, pour Hegel, c’est un
accident dû aux circonstances, à savoir la nature politique du christianisme dans l’empire
romain, dont la religion servait les passions. Ce point de vue n’est pas conséquent. On ne se
sacrifie pas pour une religion au contenu indéterminé ni pour les intérêts mondains d’une
religion (qui sont clairement, en cas de controverses inextricables, qu’il faut laisser certains
points flottants) mais pour sa vérité, qui doit être déterminée afin que le sacrifice ait le moindre
sens. Hegel prétend en somme que les martyrs ont sacrifié leur vie pour une Trinité dont le sens
importe peu : qu’est-ce qui importe donc ? le mot lui-même ? On ne peut pas non plus prétendre
qu’il est possible de se sacrifier pour une pure religion du cœur, car même quand l’adhésion
repose essentiellement sur une telle subjectivité de sentiment elle exige toujours une légitimité
objective, à savoir que la religion est vraie pour tout homme.
Il est notable que les tenants du libre examen ont également rejeté le culte des saints, ce
culte dont l’origine est la mémoire des martyrs.
Florent Boucharel/Hegel/p. 7
L’autorité de conciles accaparant toute discussion doctrinale devenait ainsi le remède
nécessaire à la violence et démontre une volonté de ne pas laisser des questions essentielles
tranchées par la force. Pour Hegel, cet autoritarisme est évidemment lui-même critiquable.
À l’époque où Hegel donne ces leçons, aucun pays catholique n’aurait eu un livre
comparable à la Bible traduite par Luther pour les Allemands, seulement « eine Unzahl von
Gebetbüchlein » (une multitude de petits livres de prière). – Sans doute cela se ramène-t-il à la
même question, aux violences des premiers temps : le rejet de l’autorité par Luther ne pouvait
que conduire aux même situations, c’est-à-dire à la violence, ou bien à l’indifférence religieuse
(ce qui est une façon de rester conséquent : si les points de dogme importent peu, la religion
elle-même importe peu). Mais cela n’apparaît pas à Hegel. Puisqu’une religion, aussi subjective
soit-elle, repose sur des vérités intangibles, qui sont ses dogmes, il faut que ces dogmes aient
un contenu. Quand ce contenu ne repose pas sur une autorité extérieure aux consciences
individuelles, l’interprétation des sources pour déterminer le contenu des dogmes est laissée à
chacun, mais si chacun est libre de trouver les dogmes qu’il veut dans les sources, il n’y a pas
une religion mais une multitude de religions. Les croyants cherchent donc un moyen de définir
un contenu pour leur religion commune, et si ce n’est pas l’autorité qu’est-ce donc ? La violence
éclatera entre les positions opposées car voter sur le contenu des dogmes serait complètement
inopérant (si ce n’est dans un concile où chacun accepte par avance, s’il est mis en minorité, de
se soumettre), la minorité pouvant se séparer purement et simplement de la majorité pour créer
une religion à part. La violence n’est guère mieux, si ce n’est qu’elle évite, par la mort des
minoritaires, un schisme, mais nous sommes entre gens civilisés. Bref, un simple raisonnement
devait conduire Luther à accepter une autorité de droit divin sur la communauté des croyants
s’imposant aux consciences individuelles s’agissant des questions de religion. Si c’est
impossible à la conscience libre, alors la religion chrétienne n’apparaît pas à l’horizon de la fin
de l’histoire.
ix
L’arianisme était germanique, tout comme, pour Hegel, l’esprit du protestantisme. Le
christianisme germanique au sens de Hegel aurait donc pu s’imposer dès les invasions barbares,
sous la forme de l’arianisme. – Ce n’est pas un christianisme réservé aux peuples germaniques
mais formé par l’esprit germanique et qui donne une juste place à l’individualité, à la
particularité, tandis que le catholicisme, formé par l’esprit oriental, implique la soumission de
l’individualité.
x
Hegel voit dans le wergeld (Geldbuße) des Saxons le témoignage que, chez eux, le
meurtre était vu comme un simple dommage à la communauté, sans de plus profondes
implications (sans doute morales, compte tenu des conceptions de Hegel). Mais le droit pénal
qui se crée en supprimant le wergeld obéit à la même définition et par conséquent l’analyse de
Hegel ne porte pas sur l’essentiel, qui est la différence entre préjudice (civil) et crime (pénal).
Cependant, Hegel a raison de dire que le wergeld existait parce qu’il ne peut pas y avoir d’autre
moyen de punir un homme libre, dans une société où justement ce sens de la liberté empêche
selon Hegel de créer quoi que ce soit d’autre que des Volksgemeinden, jamais un État.
Florent Boucharel/Hegel/p. 8
xi
Hegel lie la question du célibat à celle des moines qui sont l’armée du pape, mais cela
n’a que peu de choses à voir : nous n’avons plus guère de moines et pourtant toujours des
célibataires.
Man muß nicht sagen, das Zölibat sei gegen die Natur, sondern gegen die Sittlichkeit. Die Ehe wurde nun
zwar von der Kirche zu den Sakramenten gerechnet, trotz diesem Standpunkte aber degradiert, indem die
Ehelosigkeit als das Heiligere gilt.
Ce que je traduis : On ne doit pas dire que le célibat est contre la nature mais qu’il est contre la
moralité. Le mariage a certes été placé au rang des sacrements par l’Église mais, malgré cette
conception, elle l’a dégradé en voyant une plus grande sainteté dans le célibat.
Si Jésus avait vécu plus longtemps, il se serait marié.
Pourtant, le texte des Écritures est clair :
« À ceux qui ne sont pas mariés et aux veuves, je dis qu’il est bon de rester comme moi. Mais s’ils
manquent de continence, qu’ils se marient ; car il vaut mieux se marier que de brûler. » (I Cor. 7:9)
La Bible ne dit pas : « Mariez-vous sinon vous brûlerez » mais : « Que ceux qui
brûleraient à défaut de se marier, se marient. » Cela ne veut nullement dire que tout le monde
brûlera s’il ne se marie pas, ce qui est la seule façon d’entendre le passage selon l’idée de Hegel
que le célibat est contre la moralité.
(Je ne sais plus à quelle date le mariage des prêtres a été interdit par l’Église mais je
n’entends parler de prêtres mariés dans aucune histoire !)
xii
La raison pour laquelle il n’y a pas eu de révolution en Allemagne, comme en France,
c’est le protestantisme. D’où mon aphorisme hégélien : « Si la France avait gardé ses
Huguenots, la Révolution française n’aurait pas eu lieu. » (Voyez Philosophie 6 ici.)
*
Autre
Les régimes totalitaires ne suppriment pas toutes les libertés ni toutes les opinions. Par
conséquent, quand les régimes démocratiques suppriment des libertés et des opinions, ils
perdent toute supériorité morale – ou plutôt ils n’ont jamais eu la moindre supériorité morale,
car, ainsi que leurs politiciens et magistrats aiment à le répéter, les libertés ne sont pas absolues.
Les régimes totalitaires n’ont jamais rien autre chose.
*
Dans un pays libre, par construction toute dissidence est contre la liberté. Être un pays
libre, c’est donc supprimer au nom de la liberté toute dissidence. (Le seul pays qui ne raisonne
pas entièrement ainsi sont les États-Unis d’Amérique.)
*
Selon l’Allemand Börne, la révolution française de 1830 montra à l’Europe « l’heure
qu’il est ». À l’Europe continentale ! Le modèle anglo-saxon ne semble se diffuser sur le
Florent Boucharel/Hegel/p. 9
continent qu’à travers la France. Il y a là un déterminisme géographique : la France est la voie
de passage naturelle des idées anglo-saxonnes vers le continent européen. La révolution de
1830, tout comme les Lumières françaises, était une anglophilie, une anglomanie en acte. Mais
c’est dans l’ensemble une pure apparence : le continent reste jacobin-hégélien.
L’attraction, mal comprise, que la France exerce sur ses voisins a une cause purement
géographique : la France est la porte d’entrée de la pensée anglo-saxonne sur le continent.
*
Il n’y a pas de politiquement correct en France, seulement du pénalement contraint.
Dans les deux cas, aucune pensée dialectique n’est possible ; car le législateur français a raison
de considérer que la dialectique demande une représentation équitable (sinon égale) des
courants de pensée dans les moyens de communication, cette représentation étant laissée, aux
États-Unis, au libre choix des médias, acteurs privés, dont le refus de laisser s’exprimer tel ou
tel courant est alors ce qu’on appelle le politiquement correct (PC), mais le législateur français
de son côté n’impose cette représentation équitable qu’entre les courants qu’il ne réprime point
par la force de la loi, de la police et des tribunaux. La question que se pose donc l’individu,
dans ces circonstances, pour juger de ce régime-là de « liberté », qui supprime toute possibilité
de dialectique (de dialogue) sur des pans entiers de la pensée, c’est si la pensée qu’il se reconnaît
(bien qu’en réalité être assuré de sa pensée exige une dialectique totale) est admise dans les
limites de la dialectique resserrée autorisée par l’État. Si ce n’est pas le cas, et s’il ne croit pas
que la majorité lui permettra jamais de dialoguer, il a dans cet État un ennemi objectif de ses
buts existentiels. Car l’État, définissant ainsi cet individu comme un ennemi, n’a d’autre objet
vis-à-vis de celui-ci que de réprimer ses buts existentiels. C’est en réalité la même chose pour
tous les citoyens de cet État, même les plus conformistes, car l’État ne reconnaît pas non plus à
ces derniers le droit de changer d’avis, si ce changement doit les faire verser dans le domaine
réprimé de la pensée. Ce qui ne va pas, le plus souvent, jusqu’à l’anéantissement physique de
l’individu, dont la force de travail, entièrement détachée de ses buts existentiels propres, reste
utile à l’État. En revanche, dans le cas où la dialectique est empêchée par le PC, l’individu doit
demander à l’État qu’il assure une représentation équitable. Autrement dit, dans un pays comme
la France, l’individu doit demander la fin des lois contre la pensée, dans un pays comme les
États-Unis il doit demander la fin du politiquement correct.
En l’absence de ces réformes, chacun de ces pays a un nombre plus ou moins grand
d’ennemis au sein de sa propre population et, loin d’être à la fin de l’histoire, il est à la merci
d’une guerre civile, autant que les États ennemis de ces États « libres ». Les États « libres » ne
sont nullement protégés par leur liberté, puisque cette liberté n’a pas en elle de dialectique
véritable, même si à cet égard le PC est a priori une meilleure garantie que la contrainte pénale,
étant une forme de compromis.
*
En N’Farce, un « principe intangible », c’est ce qui existe uniquement sur le papier.
C’est ainsi que la liberté d’expression est intangible : on ne peut pas la toucher parce que
personne ne l’a vue. C’est l’histoire de N’Farce.
Florent Boucharel/Hegel/p. 10
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L’éthique est la science du subjectif. « La science » n’est à proprement parler que la
science de l’objectif.
La science de l’homme est la sophistique. Le sophiste Thrasymaque, dans La
République, est le père de l’anthropologie.
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La science est parvenue à rendre invisible l’anneau de Gygès.
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Il n’y a de science que sans conscience.
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Il dit qu’il est riche parce qu’il possède une voiture alors que son grand-père ne possédait
qu’un mulet. Quand nous mettons les choses à parité, nous découvrons qu’il est à peu près aussi
riche que le mulet de son grand-père.
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Dans un monde hégélien, l’art, d’où l’esprit s’est entièrement retiré, continue d’exister
pour prouver à Hegel qu’il a tort (« j’existe, donc je n’ai pas disparu »), et c’est ainsi qu’il
prouve que Hegel a raison, en se montrant comme une chose morte.
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Il faut une life-view à une œuvre pour qu’elle soit un chef-d’œuvre (Kierkegaard). C’est
pourquoi le cinéma ne sera jamais au-dessus du cirque, même quand il adapte des chefsd’œuvre de la littérature.
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Reverdy : ce n’est pas du vers libre. Ce n’est certes pas non plus de la versification
classique (quoi que, le panachage des mètres d’un La Fontaine y ressemble beaucoup) mais
Reverdy se donne toute la peine du monde pour écrire une poésie de recherche formelle en
opposition à la spontanéité du vers libre. À côté du vers blanc (de Robert Sabatier par exemple),
de la recherche formelle d’un Reverdy, avec ses vers métriques, ses rimes plus
qu’occasionnelles, la spontanéité du vers-librisme a-t-elle autant de représentants que cela ?
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Le monde n’a pas attendu la liberté de penser, le plus grand apport de l’Amérique au
monde, pour produire de grands penseurs. En revanche, le monde attend toujours le penseur
américain qui puisse se comparer aux penseurs que le Reich allemand n’a pas empêchés.
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Si j’achète de la propriété foncière à l’étranger, je n’achète pas en même temps un droit
de souveraineté. L’idée de fonder un État juif en achetant des terres était complètement
absurde ; se servir d’acquisitions en bonne et due forme de parcelles ici et là comme d’un
justificatif au fait accompli de l’expulsion massive de populations est une insulte à la raison.
Florent Boucharel/Hegel/p. 11
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L’idée de progrès nous est-elle donnée par autre chose que par la synthèse continue de
l’empirisme ? Oui, par la raison pratique. L’une et l’autre nous donnent cette idée comme une
fiction, sans réalité empirique. – Il n’y a donc pas d’histoire empirique.
Il y a une forme d’insensibilité dans le fait de croire au progrès moral du monde, car
c’est être foncièrement insensible à l’horreur du mal que d’être capable de minimiser le mal
présent en le comparant au mal passé, supposé plus grand. Le mal présent est pour la sensibilité
morale toujours plus grand que le mal passé car c’est celui dont elle souffre, par conséquent il
ne peut y avoir de progrès moral du monde du point de vue moral, qui est aussi une forme de
sensibilité et non une pure intellection. Il n’est de progrès moral que de l’individu. Et comme
l’individu ne peut trouver d’encouragement à son progrès moral individuel dans un progrès
moral du monde auquel il participerait ou qu’il accompagnerait, son seul encouragement est
dans l’idée d’une vie après la mort.
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Quand un magistrat dit que l’homme est libre parce que, dans son travail de magistrat,
il envoie les uns en prison car ils sont responsables de leurs actes et les autres aux petites
maisons car ils sont aliénés, il prend une déformation professionnelle pour une aptitude
philosophique.
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Il n’y a pas plus de trois dimensions de l’espace car on ne parle pas ici d’une échelle de
dimensions (comme on parle d’une échelle ou d’un spectre pour une quelconque qualité
physique) dont nous n’intuitionnerions que trois naturellement. Nous parlons de la forme même
de notre esprit dans son rapport à l’expérience possible. Il n’y a plus de trois dimensions qu’en
dehors de l’expérience possible, c’est-à-dire dans la pure imagination.
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Qu’est-ce que savoir penser ?
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Comme l’homme n’a que l’intuition de la mort, l’idée d’âme immortelle n’est pas
contradictoire.
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Il est certain que Sartre n’a été influencé en rien par Kierkegaard, trouvez un autre père
à l’existentialisme. Il est d’ailleurs tout trouvé : c’est Hegel.
G.W.F. Hegel n’est pas seulement le père de Karl Hegel mais aussi de l’existentialisme.
J’espère voir un jour un film sur la vie de Hegel avec une scène mémorable dans laquelle
il dirait à son fils : « Karl, tu es ce que j’ai fait de mieux. »
De quoi parlait Hegel avec son coiffeur ? De Karl.
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Florent Boucharel/Hegel/p. 12
La philosophie, c’est tout ce que pense un philosophe moins ce qu’il pense malgré lui.
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Le Soll humain ne dépend pas de connaissances empiriques : c’est ce que veut dire « La
vocation de l’homme est morale ». La morale n’est pas relative. Elle le serait si elle était un
savoir (savoir de ce que je dois faire) incomplet, si les valeurs morales dépendaient d’un savoir
empirique, celui-ci étant incomplet (c’est une synthèse en cours). Si la morale est relative,
personne n’est moral ou seulement par hasard, car le savoir qui permettrait de l’être en
connaissance de cause fait forcément défaut. Il faudrait avoir un savoir absolu pour agir
moralement. Dire que la morale est relative, c’est donc supprimer le Soll pour un Tun
entièrement déterminé ; c’est ce que fait le matérialisme, c’est ce que fait la science. Or le Soll
ne dépend pas d’une connaissance empirique mais de « l’intuition » de la Loi morale.
Florent Boucharel/Hegel/p. 13