La notion d’obsolescence programmée est apparue dans le débat public français au début des années 2010. Mobilisée dans le cadre de critiques écologistes et anticonsuméristes (Fabre & Winkler 2010, Dannoritzer 2010, Latouche 2012), elle a...
moreLa notion d’obsolescence programmée est apparue dans le débat public français au début des années 2010. Mobilisée dans le cadre de critiques écologistes et anticonsuméristes (Fabre & Winkler 2010, Dannoritzer 2010, Latouche 2012), elle a suscité bien des critiques épistémiques. Dès 2011, s’exprime dans les médias un fort scepticisme quant à la pertinence de cette notion, et se multiplient les injonctions à définir, exemplifier, prouver l’obsolescence programmée – y compris après que celle-ci soit devenue, en 2015, un délit.
Dans ce contexte controversé, diagnostiquer des pannes, en déceler les causes non accidentelles et mettre en scène de spectaculaires réparations sont des gestes stratégiques pour les acteurs impliqués dans la dénonciation de l’obsolescence. De nombreux discours prennent ainsi pour objet des études de cas, convoquant ce que l’on pourrait appeler une « heuristique de la panne ». Étudiant ces discours et les topoi qu’ils mettent en circulation, on montrera en effet qu’ils recourent à une esthétique de l’enquête qui, parce qu’elle emprunte à des registres divers (recherche historique, expérimentation scientifique, récit policier…), produit des effets contrastés. S’ils permettent d’abord de critiquer l’interprétation accidentelle de la panne et invitent à une critique structurelle, systémique, ces discours aboutissent souvent, par la dramatisation et la focalisation sur l’« arnaque », à une représentation individuelle et marginale de l’obsolescence, qui en dépolitise partiellement les enjeux. Un certain nombre d’objets sont évacués du débat et de la réflexion sur la durabilité, et l’action se limite à la promotion d’une plus grande « transparence » par l’« information du consommateur ».
Au-delà de la documentation de cette controverse toujours d’actualité, l’enjeu de cette analyse de discours est donc d’interroger les effets de cette heuristique de la panne sur la mise en débat de l’obsolescence programmée