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Il est impossible à l'homme de vivre en tant que tel en l'absence d'un univers symbolique, d'un langage, et donc d'un ensemble d'informations à la fois structuré et structurant - mais non pas fini - , aussi bien que rationnel et non... more
Il est impossible à l'homme de vivre en tant que tel en l'absence d'un univers symbolique, d'un langage, et donc d'un ensemble d'informations à la fois structuré et structurant - mais non pas fini - , aussi bien que rationnel et non rationnel, sur lequel il peut lui-même intervenir. Grâce à ce langage, l'humain peut communiquer avec les autres et avec soi, interpréter son environnement et développer une psyché où cohabitent l'émotion et la raison, le logique et le non-logique. Il intériorise ainsi sa société en même temps qu'il la construit ; par cette dialectique, il se fait, par essence, historique. Que l'humain soit social, historique et communicationnel, que son vécu soit complexe, ce sont là des évidences. On doit donc s'attendre à ce que toute sociologie de l'acteur l'assume et en tire les conséquences. Or, nous posons la question de savoir si c'est bel et bien ce que font ces sociologies...
Sociology, as well as most social sciences, alternates between two approaches: in one case, social phenomena should be understood through a rational actor, in the other, social phenomena is the result of the possibility to understand... more
Sociology, as well as most social sciences, alternates between two approaches: in one case, social phenomena should be understood through a rational actor, in the other, social phenomena is the result of the possibility to understand relations. These two perspectives, although contradictory, often cohabit, even within the same theory; sociality cannot be simultaneously the pure product of individual actions and of human interactions or of relations between social phenomena. This is why interactionism imposes itself upon individualist theories and why the ideology of a rational, free, interested, intentional, and strategic actor does not impend all relational research undertakings. Relational approaches are essential to social sciences simply because there is no individual without human interactions and because there is no social phenomena which is not either a combination of relations or itself in relation with other phenomena.
Résumé
La sociologie, comme l’économie dont elle est issue, et comme la plupart des sciences sociales, oscille entre deux approches : l’une qui veut que les phénomènes sociaux soient interprétables en fonction d’un acteur rationnel, l’autre d’après laquelle l’explication des phénomènes sociaux résulte de la possibilité d’en saisir les relations. Ces deux perspectives cohabitent souvent, même au sein d’une même théorie; mais elles sont contradictoires : le social ne peut être le strict produit d’actions individuelles en même temps que celui des interactions humaines ou des relations entre les phénomènes sociaux. C’est pourquoi l’interactionnisme s’impose aux théories individualistes et pourquoi aussi l’idéologie d’un acteur rationnel, libre, intéressé, intentionnel et stratégique n’annule pas toutes les démarches relationnelles. Les approches relationnelles sont essentielles aux sciences sociales bien simplement parce qu’il n’y a pas d’individu en dehors d’interactions humaines et qu’il n’y a pas non plus de phénomène social qui ne soit pas ou bien un composé de relations ou bien lui-même en relation avec d’autres phénomènes.
Résumé
La sociologie, comme l’économie dont elle est issue, et comme la plupart des sciences sociales, oscille entre deux approches : l’une qui veut que les phénomènes sociaux soient interprétables en fonction d’un acteur rationnel, l’autre d’après laquelle l’explication des phénomènes sociaux résulte de la possibilité d’en saisir les relations. Ces deux perspectives cohabitent souvent, même au sein d’une même théorie; mais elles sont contradictoires : le social ne peut être le strict produit d’actions individuelles en même temps que celui des interactions humaines ou des relations entre les phénomènes sociaux. C’est pourquoi l’interactionnisme s’impose aux théories individualistes et pourquoi aussi l’idéologie d’un acteur rationnel, libre, intéressé, intentionnel et stratégique n’annule pas toutes les démarches relationnelles. Les approches relationnelles sont essentielles aux sciences sociales bien simplement parce qu’il n’y a pas d’individu en dehors d’interactions humaines et qu’il n’y a pas non plus de phénomène social qui ne soit pas ou bien un composé de relations ou bien lui-même en relation avec d’autres phénomènes.
The premise that individuals act rationally, autonomously, consciously, intentionally, and in their own interest has been denounced umpteen times, especially in the relational approaches. These critiques have emphasized the following:... more
The premise that individuals act rationally, autonomously, consciously, intentionally, and in their own interest has been denounced umpteen times, especially in the relational approaches. These critiques have emphasized the following: importance of the unconscious mind and of emotion in the human psyche; the impossibility of comprehending human action without taking into consideration social structures; the illegitimacy of a subjectivity that deliberates in a monadic way. In and of themselves, these critiques should have evacuated a long time ago the rationalizing postulate. Yet, this postulate loses nothing of its force; it keeps dominating models in human studies. The question then arises of how it can perpetuate. It has to justify its existence.
In a recent work, we identified seven ways through which human studies specialists legitimate this postulate, which is, at best, a half-truth (NPSS, 2015). However, neither of these justifications really constitutes an answer to the relational critique. And if these justifications can be identified and proven as inadequate, it is necessarily because there is something comforting for specialists of human studies in ignoring these demonstrations.
Our intention, in this article, is to highlight that which is comforting in the rationalizing modelizations as well as that which is terrifying in others, whether they do not contain a rational actor or they do not rely on an actor per se. We intend to show that human studies are attached to an anthropocentrism which undermines their ability to produce abstractions; that this anthropocentrism is more an idealism than the result of an analysis, which exacerbates the difficulty to generate operationalizable abstractions, and even to perform an empirical relationalism in which exchanges would not only be the relationships between social actors. We furthermore intend to show that anthropocentrism represents an obstacle to relationalism when this approach wants elevate in the abstraction sphere to generate some science aiming to understand human being.
Résumé
Le postulat d’un acteur rationnel, autonome, conscient, intentionnel et intéressé a maintes fois été dénoncé, notamment par les approches relationnelles. Les critiques ont rappelé l’importance de l’inconscient et de l’émotion dans la psyché humaine, l’impossibilité de comprendre l’action humaine en dehors d’un rapport aux structures sociales, le caractère illégitime d’une subjectivité qui délibère de façon monadique. À elles seules, ces critiques auraient dû évacuer depuis longtemps l’axiomatique rationalisante. Pourtant, cette axiomatique ne perd rien de sa vigueur; elle continue à dominer les modélisations en sciences humaines. La question se pose de savoir comment elle fait pour s’éterniser. Il faut bien qu’elle justifie son existence.
Dans un travail récent, nous avons repéré sept manières par lesquelles les spécialistes des sciences humaines parviennent à légitimer cette axiomatique, qui est au mieux une demi-vérité (NPSS, 2015). Or, aucune de ces justifications ne représente réellement une réponse à la critique relationnelle. Et si l’on peut relever ces justifications et montrer qu’elles n’en sont pas réellement, c’est forcément qu’il y a quelque chose de sécurisant pour les spécialistes des sciences humaines à rester sourds à ces démonstrations.
Notre intention, dans ce texte, est de mettre en évidence cet aspect sécurisant des modélisations rationalisantes et ce qu’il y a de terrifiant dans les autres, qu’il s’agisse de celles qui n’ont pas d’acteur rationnel ou de celles qui ne se fondent pas sur l’acteur en lui-même. Nous montrons que les sciences humaines sont attachées à un anthropocentrisme qui nuit à leur aptitude à produire de l’abstraction, que cet anthropocentrisme est beaucoup plus un idéalisme que le résultat d’une analyse, ce qui accentue la difficulté à générer des abstractions opérationnalisables, et même à donner cours à un relationalisme empirique dans lequel les échanges ne seraient pas que les rapports entre les acteurs sociaux. Nous montrons en outre que l’anthropocentrisme agit comme obstacle au relationalisme dès lors que cette approche veut s’élever dans l’ordre de l’abstraction pour générer de la science de l’humain.
In a recent work, we identified seven ways through which human studies specialists legitimate this postulate, which is, at best, a half-truth (NPSS, 2015). However, neither of these justifications really constitutes an answer to the relational critique. And if these justifications can be identified and proven as inadequate, it is necessarily because there is something comforting for specialists of human studies in ignoring these demonstrations.
Our intention, in this article, is to highlight that which is comforting in the rationalizing modelizations as well as that which is terrifying in others, whether they do not contain a rational actor or they do not rely on an actor per se. We intend to show that human studies are attached to an anthropocentrism which undermines their ability to produce abstractions; that this anthropocentrism is more an idealism than the result of an analysis, which exacerbates the difficulty to generate operationalizable abstractions, and even to perform an empirical relationalism in which exchanges would not only be the relationships between social actors. We furthermore intend to show that anthropocentrism represents an obstacle to relationalism when this approach wants elevate in the abstraction sphere to generate some science aiming to understand human being.
Résumé
Le postulat d’un acteur rationnel, autonome, conscient, intentionnel et intéressé a maintes fois été dénoncé, notamment par les approches relationnelles. Les critiques ont rappelé l’importance de l’inconscient et de l’émotion dans la psyché humaine, l’impossibilité de comprendre l’action humaine en dehors d’un rapport aux structures sociales, le caractère illégitime d’une subjectivité qui délibère de façon monadique. À elles seules, ces critiques auraient dû évacuer depuis longtemps l’axiomatique rationalisante. Pourtant, cette axiomatique ne perd rien de sa vigueur; elle continue à dominer les modélisations en sciences humaines. La question se pose de savoir comment elle fait pour s’éterniser. Il faut bien qu’elle justifie son existence.
Dans un travail récent, nous avons repéré sept manières par lesquelles les spécialistes des sciences humaines parviennent à légitimer cette axiomatique, qui est au mieux une demi-vérité (NPSS, 2015). Or, aucune de ces justifications ne représente réellement une réponse à la critique relationnelle. Et si l’on peut relever ces justifications et montrer qu’elles n’en sont pas réellement, c’est forcément qu’il y a quelque chose de sécurisant pour les spécialistes des sciences humaines à rester sourds à ces démonstrations.
Notre intention, dans ce texte, est de mettre en évidence cet aspect sécurisant des modélisations rationalisantes et ce qu’il y a de terrifiant dans les autres, qu’il s’agisse de celles qui n’ont pas d’acteur rationnel ou de celles qui ne se fondent pas sur l’acteur en lui-même. Nous montrons que les sciences humaines sont attachées à un anthropocentrisme qui nuit à leur aptitude à produire de l’abstraction, que cet anthropocentrisme est beaucoup plus un idéalisme que le résultat d’une analyse, ce qui accentue la difficulté à générer des abstractions opérationnalisables, et même à donner cours à un relationalisme empirique dans lequel les échanges ne seraient pas que les rapports entre les acteurs sociaux. Nous montrons en outre que l’anthropocentrisme agit comme obstacle au relationalisme dès lors que cette approche veut s’élever dans l’ordre de l’abstraction pour générer de la science de l’humain.