Dans cette contribution il ne s’agit pas de se limiter à résumer l’interprétation que Derrida fait de la Khôra, mais d’en prolonger l’analyse. Khôra est un dispositif performatif de dépouillement, de kénose de la référence. Je montre...
moreDans cette contribution il ne s’agit pas de se limiter à résumer l’interprétation que Derrida fait de la Khôra, mais d’en prolonger l’analyse. Khôra est un dispositif performatif de dépouillement, de kénose de la référence. Je montre notamment que parmi les analogies utilisées afin d’expliciter la khôra, l’ekmageion traduit généralement de manière erronée par porte-empreintes, doit être compris à partir du terme désuet écacher qui désigne le fait de lisser en cachant toute marque pour recevoir le cachet. Un ekmageion est un écaché pour empreintes, dont le mécanisme vaut pour la catoptrique du Timée mais aussi pour le mécanisme de la résonance et la Khôra possède la concavité caractéristique des lieux incubatoires ou katabasiques. Ces observations conduisent à penser la khôra en-deçà du discours architectural et harmonique légitime du phyto-démiurge, faisant place à une autre pensée de la relation du devenir à l’intelligible. C’est pourquoi le protocole d’entrée de la Khôra dans le Timée est si insolite. C’est dans une figure étymologique que Timée introduit la Khôra dans ce qu’il nomme un retour en arrière, en usant de l’adjectif verbal du verbe anakhôrèô, rétrocéder, se retirer, faire un pas en arrière, il faut prendre un autre commencement et adopter une posture apparentée à la Khôra, une anakhôrèse.
Je montre enfin que la Khôra, vidée de toute référence, de tout énoncé, se réduit à une simple adresse dans un dispositif d’énonciation : lorsqu’on ne parle pas d’elle, il reste à l’appeler au double sens de nommer et de s’adresser à, comme dans cette phrase ambiguë du Timée « ταὐτὸν
αὐτὴν ἀεὶ προσρητέον » qu’on peut traduire de manière délocutive par « il faut la désigner toujours de la même manière » mais aussi allocutivement par « il faut s’adresser à elle toujours de la même manière » (50b7). Lieu d’adresse de toute parole à un autre (« autre »), elle rend possible tout ce qui procède de la mise à nu apophatique du dispositif énonciatif, en le purgeant de toute référence, prédicat, théorème, théologoumène, y compris « nom de Dieu », le nom de Dieu n’étant que l’un des noms de Khôra. Si le nom de Dieu ou l’un de ses noms, désigne l’effet hyperbolique de la rhétorique de la négativité apophatique, Khôra serait la structure anakhôrètique de toute machine "théurgique", de toute machine à faire des dieux (deus ex machina).