Sans-Abri

Le « football » a été conçu et mobilisé comme outil social depuis un certain nombre d’années par une série d’acteurs, dont les instances internationales (non uniquement la FIFA et l’UEFA mais aussi les Nations Unies ou la Croix Rouge) et une multitude d’organisations non gouvernementales agissant dans divers contextes. Ainsi, le « football » est censé promouvoir le développement local, la paix, la cohésion, l’intégration et l’insertion sociale. Une Coupe du Monde de Football pour des Personnes Sans Abri, la Homeless World Cup, s’est inscrite depuis 2003 dans cette tendance internationale. Bien qu’indépendante, elle a noué des relations institutionnelles avec le monde officiel du football, notamment l’UEFA et d’autres partenaires qui ont contribué à son développement. Derrière les scènes des matchs d’un format spécifique, la Homeless World Cup fédère autour de soixante projets qui ont recours au football dans le monde afin d’accompagner des populations en détresse. Ce travail vise à explorer les facettes de l’action collective qui ont permis l’émergence, l’expansion et la consolidation des circuits liés à la Coupe du Monde des Sans Abri. L’exploration de certains projets souligne les efforts et les défis rencontrés lorsque le football devient un instrument d’accompagnement visant l’insertion des personnes en difficulté sociale. Ceci s’applique en particulier à celui mené en France auprès du Championnat de lutte contre l’exclusion sociale ainsi que celui des sélections de l’équipe française pour la manifestation internationale. En parallèle à la réalisation de cette enquête, Paris a obtenu en juin 2009 l’attribution pour organiser la Homeless World Cup en août 2011, ce qui a constitué une opportunité unique pour suivre la préparation de l’événement, comprendre les efforts nécessaires, la coordination, les convergences et les divergences entre les différents acteurs impliqués. Une diversité d’acteurs travaille en effet pour la mise en place de la manifestation. Le Président, les Parrains, les responsables des Comités, les travailleurs sociaux, les volontaires et les partenaires sont amenés à déployer leur énergie et leur capacité de conviction.  Que se passe-t-il avec les joueurs de football ? En pratiquant ce sport, ils adoptent plusieurs rôles, ils deviennent « joueurs » et quelques-uns bénévoles. Certains vont encore plus loin dans leurs démarches et leurs trajectoires sociales. D’autres décident d’arrêter le football, car ce n’est pas pour eux.

Dans cet article, nous proposons d’analyser les pratiques mises en œuvre par les personnes sans-abri dans les espaces publics. Plutôt que d’insister sur les causes du passage à la rue, nous souhaitons comprendre comment ces individus parviennent à développer des relations sociales et à créer un espace de vie dans lequel prendre place et s’inscrire dans la ville. À travers un travail de terrain dans les quartiers de la Goutte d’Or à Paris et dans le Village Shaugnessy à Montréal, nous montrons comment les pratiques d’appropriation participent à l’élaboration d’un « chez-soi » pour ces personnes privées d’abri.

Cet article porte sur la relation à la ville des personnes sans-abri. À travers une ethnographie de la « vie sans-abri » à Bruxelles, il analyse les pratiques quotidiennes que ces personnes développent pour rendre les espaces publics habitables. La vie à la rue est souvent réduite à l’expression de « l’absence de l’habiter » et à une sortie radicale de la société. Cette représentation ne correspond pourtant pas à un phénomène très diversifié et en constante transformation, comme ce texte le révèle. En focalisant l’attention sur les pratiques que les personnes sans-abri, et notamment les femmes, déploient pour dormir et pour se laver, il montre comment ces personnes construisent leur rapport physique, corporel, affectif à la ville, et comment elles trouvent leur place dans la ville et la rendent habitable.

La recherche urbaine s’est largement emparée des « territoires du vide » au prisme des travaux portant sur la marginalité urbaine, sur l’habitat illégal et informel, dans le Nord et le Sud. Si ce type d’espaces – que l’on peut inclure dans le terme de périphéries urbaines (Dumont & Hellier) même s’il n’est pas nécessairement le plus adéquat – a déjà fait l’objet de beaucoup de travaux, différents phénomènes migratoires sont venus ces dernières années en renouveler la nature et l’existence, les modes de fonctionnement et les ont vu aussi se multiplier, se complexifier. Ce sont ces espaces de marges, produits autant par des phénomènes migratoires que la croissance des nouvelles formes de précarités que nous qualifions d’interstices urbains, à la différences des « camps », ces formes spatiales plus vastes, pouvant faire l’objet de politiques institutionnelles de traitement et de régulation (Agier). C’est le cas dans la métropole de Lille, en France, où une profusion de micro-espaces s’est retrouvée, dans un contexte post-industriel, à l’écart de l’aménagement de la ville. Occupées et transformées par des populations en précarité ces installations ont été improprement nommées « campement illicite » ou « bidonville ». Ces espaces « vacants » - vides institutionnellement mais investis socialement - accueillent de multiples appropriations multiformes (Deboulet) dont l'habitat est l’aspect le plus exploré et étudié. Ils posent une série de question à la recherche urbaine. Est-il possible de recenser une appropriation aussi éphémère et en constant mouvement ? Comment est-il possible d’enquêter sur des situations aussi instables, rebelles aux protocoles plus systématiques de la recherche, lorsque leurs investissements durent une semaine, un an ou quelques jours ? Quelles les contraintes mais avantages revendiqué dans l’expérience de ceux qui y vivent ? Comment peut-on explorer ces installations ? En plus de ces réflexions de recherche théorique, sur le statut de ces espaces très précis dans la recherche urbaine, nous nous proposons de présenter aussi à l’occasion de cet atelier quelques éclairages issus d’une observation empirique et l’ethnométhodologie pour saisir l'analyse de leurs pratiques spatiales, ainsi que d’une certaine cartographie.
L’exploration des interstices urbains nous a permis de identifier deux groupes d'occupants : les sans abris et les migrants de l'Europe de l'Est. Ceux-ci ont rendu les espaces habitables, avec des matériaux de récupération ont construit leur « lieu de vie ».
Nous insisterons sur trois aspects : la différenciation éphémère / pérenne, la dimension genrée de la structuration de ces micro-forme spatiale, la relation différenciée aux institutions et riverains.
Premièrement, donc, la dynamique de l'espace est nettement différente : dans le premier groupe les occupations sont éphémères, saisonnières, en solitaire ou en petits groupes. Le deuxième groupe est lui, plus « pérenne », « stable » lorsque ceux-ci sont tolérés et constitué par des groupes nombreux. Seconde analyse,  la structuration de l'espace chez les sans abris est élémentaire, révélant des vestiges d'organisation primaire de l'espace. Ainsi l'espace des migrants de l'Europe de l'Est est plus complexe, le rôle du genre devient un outil de construction de l’ensemble de l'installation. La femme a un rôle passif et domestique, tandis que les hommes ont un rôle actif, le développement du savoir-faire dans l’immédiat est perceptible au moment de la construction des abris.
Enfin, la visibilité de ses espaces produit des formes de débats différenciés avec les autorités publiques et les riverains, qui ne se réduisent pas aux structures conflictuelles souvent repérées ; elles transforment aussi certains de ces espaces interstices en espaces de transition, questionnant plus largement l'impact de l’habitat spontané dans les politiques publiques de la métropole.