Approches de La Transcendance
Approches de La Transcendance
Approches de La Transcendance
Eric TOLONE
APPROCHE DE LA TRANSCENDANCE
APPROCHE DE LA TRANSCENDANCE
LIMINAIRE
Il y a sans aucun doute un rapport entre les Approches que nous proposons et les liqueurs fortes. Lire dune traite lensemble de ce volume est fortement dconseiller. Il faut avaler ce genre de texte par petites doses. Mme si vous tes enthousiaste ou press, ne lisez pas plus dune Approche par jour. Imposez-vous cette discipline ! Prenez le temps de rflchir, dassimiler, de ressentir ce qui est crit. Lire de cette manire, cest dj une pratique spirituelle. Lorsque vous aurez tout lu, il faudra relire. Non point parce que vous tes bte, mais au contraire parce que vous tes intelligent. Seuls, les imbciles simaginent quen ce domaine une seule lecture peut suffire. Dans la vie spirituelle, tout ouvrage que lon veut approfondir doit devenir un livre de chevet qui sera lu un trs grand nombre de fois. Vous constaterez qu chaque relecture, vous devenez capable de vivre de plus en plus intensment et profondment ce qui est crit. A la troisime lecture, des lambeaux de brume se dchirent et des incomprhensions insouponnes dans la deuxime lecture se rvlent. Il en est de mme la quatrime, la cinquime, la sixime, la septime lecture et au-del. Il en est ainsi jusqu ce que le texte soit imprim dans votre me. Mettre en pratique, en une ou deux annes, la totalit des attitudes intrieures voques dans les Approches est impossible. Au dbut, la mise en application doit tre limite. Il faut procder par tapes successives. Commencez par tudier attentivement et mditer sur quelques Approches, de manire les assimiler parfaitement, en vous efforant de raliser quotidiennement les directives psychologiques quelles contiennent, ceci tant poursuivi jusqu ce que cette pratique intrieure soit intgre votre vie. Alors, mais alors seulement, il est efficace de passer la pratique systmatique de quelques autres Approches.
4 Cest en oprant de la sorte, en une espce de pitinement lent et cumulatif, sans hsiter revenir aussi souvent que ncessaire sur les Approches prcdemment tudies, quune volution intrieure relle, durable et profonde, sera obtenue. Seuls ceux qui exprimenteront ainsi lenseignement seront capables den parler valablement et pourront cueillir les fruits quil promet. Chaque Approche constitue une dmarche spcifique aboutissant une prise de conscience particulire. Toutes les prises de conscience ne se situent pas au mme niveau et, de ce fait, toutes les Approches nabordent pas la ralit partir dun point de vue unique. Ainsi sexplique la diversit des propos. On pourra remarquer que si le langage tenu est parfois sensiblement diffrent, il nest jamais contradictoire. Les Approches sont comme de multiples facettes de lunique diamant de la vision spirituelle. Il importe de percevoir lunit et la complmentarit des divers points de vue, mais aussi de raliser que tous les points de vue partir desquels la ralit est contemple ne reoivent pas le mme degr de lumire. Toujours parler au niveau le plus lev ne nous semble pas tre lattitude pdagogique la plus souhaitable. Si nous voulons que tous les aspects de lindividu soient clairs, il faut parler partir dune multiplicit de niveaux et slever en respectant la trajectoire correspondant intrinsquement chaque point de dpart. Il en rsulte un difice dont les lignes convergentes sont dune hauteur et dune porte ingales. Ayant une optique essentiellement pdagogique, nous navons pas hsit, aussi souvent que cela pouvait tre utile, insister lourdement sur certains aspects et nous rpter frquemment pour souligner les notions essentielles. Au diable la lgret du style ! Notre but dpasse la littrature. Le principe que nous avons adopt et auquel sera soumis le lecteur se rencontre en de nombreux textes orientaux dont la vise possde un caractre initiatique. Il sagit dutiliser le martlement rptitif de certains thmes pour obtenir une imprgnation profonde de lesprit. Ce martlement est considr comme insupportable par certains intellectuels. Il leur est difficile de comprendre le bien-fond de ces rptitions, prcisment parce que ces dernires ne sadressent pas leur intelligence suppose brillante, mais des niveaux psychologiques plus profonds.
Lapproche moderne de la mtaphysique se rsume souvent la connaissance superficielle de lintellectualisme et aux jongleries idologiques. Comprendre superficiellement un enseignement spirituel est facile, la simple intelligence du texte suffit. A partir de cette comprhension superficielle, il est possible dcrire ou de discourir interminablement sur le sujet. Quant la comprhension profonde dun enseignement spirituel, elle ncessite tout un cheminement personnel et ne peut tre atteinte que si l'on fait les expriences intrieures, et si l'on aboutit aux tats de conscience dcrits par ledit enseignement. Pour parvenir la connaissance profonde de lenseignement expos plus loin, un effort sincre, persvrant et progressif est requis. En laccomplissement de cet effort se distingueront ceux dont la recherche spirituelle est srieuse, de ceux chez qui elle ne lest pas. Lorsque vous constatez que tout ce qui est crit, vous auriez pu le dire, ltude a t pour vous une Voie dintriorisation. L'antique enseignement exprime alors votre Ralit actuelle. Le Savoir et l'tre se sont rejoints. Cest ce que nous souhaitons tous ceux qui nous liront. Derrire les mots, au travers du temps et de lespace, quelque chose attend.
Sil existe une Ralit transcendante, elle doit tre objet dexprience. Si elle ne lest pas, la spiritualit nest quun ensemble de racontars sans fondement. Innombrables sont ceux qui ont tmoign en affirmant quils avaient vcu une exprience transcendante. A ct de cela, il y a les religions et les sectes qui disent aux gens ce quil faut croire. Pour nous, sil existe une Ralit transcendante elle doit tre apprhendable par lexprience en cette vie mme. Dclarer quil existe une Ralit transcendante et que nous en aurons conscience aprs notre mort, cest postuler lexistence de quelque chose, en nous privant de toutes espces de moyens permettant de vrifier lexistence de cette chose. Nous ne dclarons pas les perspectives eschatologiques et post-mortem inexacts en soi, nous les proclamons sans utilit pratique pour la finalit la plus haute de la vie actuelle et la ncessit ralisatrice quelle contient. Ou bien la Ralit transcendante existe, ou bien elle nexiste pas. Si elle existe, elle est apprhendable. Ce qui pour lhomme n'est pas apprhendable par les sens, lesprit, le cur ou la conscience nexiste pas. Si nous savons quexiste une Ralit transcendante, cest parce que les Matres qui ont fond les grandes traditions en ont fait lexprience. Si la Ralit transcendante a t apprhende par quelquun, elle peut ltre par dautres. Dire que ceux qui lont perue taient des gens exceptionnels et quil ne nous est pas possible de la connatre nous parat suspect. Il y a, dans ce propos, une volont dlibre pour dtourner les gens de lexprience et les orienter vers la croyance aveugle. Certes, nous admettons que certaines individualits exceptionnelles peuvent, en vertu de prdispositions spciales, connatre un degr de Connaissance transcendantale particulirement profond. Mais, si la Ralit transcendante est une ralit au niveau humain, cette dernire doit tre, des degrs diffrents,
7 apprhendable par tous les hommes de bonne volont. Sinon, il sagit dune Ralit rserve une certaine catgorie de gens, une Ralit qui ne nous concerne pas. Or, tous ceux qui ont fait lexprience de cette Ralit ont affirm que celleci concernait tous les hommes. Si cette Ralit est omniprsente, elle doit tre apprhendable ici-bas. Omniprsence et transcendance sont lies. Constitue vritablement lAbsolu, ce hors de quoi il nexiste rien, et ce dont la transcendance est omniprsente. Donc, la Ralit transcendantale est apprhendable en cette vie mme. Et, si elle est apprhendable ici-bas, son aperception intuitive doit tre la proccupation majeure de notre existence, car cest en fonction du Transcendant que nous devons aborder le monde manifest, linfrieur devant procder du Suprieur. Tant que percevant la ralit apparente, nous n'apprhendons pas la Ralit transcendante, notre dmarche existentielle est dnue de valeur. Si la base ne soutient pas le sommet, elle est dnue de fondement. Parmi les gens qui se tournent vers la spiritualit, il en est beaucoup qui ne viennent pas chercher en la religion de leur choix un moyen de sacheminer vers lexprience de la Ralit transcendante. Que cherchent-ils ? Une drogue intellectuelle et affective, un refuge contre leurs angoisses et leurs malheurs. Ils veulent se sentir rassurs et dsirent des explications sur ce qui les trouble. Ils souhaitent contracter une espce dassurance et avoir une garantie vis--vis du Mystre. Leur but nest pas de Savoir mais de croire, dadhrer mentalement quelque chose de rassurant. Toutes les religions sont trs rassurantes. Aprs avoir dcrit les calamits rserves aux incroyants, elles vous expliquent que, somme toute, il suffit dadhrer ce quelles proposent et de faire quelques efforts de manire se conformer aux attitudes quelles prconisent pour, aussitt, faire partie du troupeau des lus. Quelle aubaine ! Et Cest vrai ! Suivre les prceptes dune religion, sest dj beaucoup plus que la simple croyance, et cela permet de sauver la personnalit humaine, de la rendre immortelle et de lui permettre, au terme dune volution posthume datteindre le paradis. Mais si nous nous sentons ltroit dans la personnalit humaine, si notre but dpasse son immortalisation ?
8 Si lhomme, son corps et ces penses font partie des choses que nous percevons ? La religion ne nous convient plus, car limmortalisation dun si mdiocre vhicule ne saurait canaliser notre nergie. Nous respectons les religions, elles sont ncessaires et sadressent ceux qui ne supportent pas les liqueurs fortes et enivrantes de lsotrisme. Notre but tant lobtention de la Gnose, en laquelle se rejoignent tous les sotrismes, nous prenons en ce texte quelque distance critique vis--vis des religions. Nous le faisons, car il y a entre elles et nous une diffrence fondamentale : elles se fondent sur la foi, tandis que nous nous enracinons dans lexprience. Une spiritualit qui nest pas base sur lexprience intrieure, qui na pas pour but dacheminer vers cette exprience, de lalimenter et de llargir, se rsume quoi, en dfinitive ? Il sagit de croire en un dogme, en lefficacit de certaines rgles et de certains rites. C'est un idal infrieur dont les promesses ne peuvent se raliser que dans l'au-del. Nous ne serons, au fond de nous-mmes et malgr les illusions que nous pouvons nous faire, jamais compltement persuads que tout cela est vrai si aucune exprience ne nous le confirme. Cest pourquoi notre but doit tre daccder l'aperception intuitive de la Ralit mtaphysique. Tout ce qui est susceptible de concourir la ralisation de cet objectif doit tre retenu. Tout ce qui nous en loigne, ou essaye insidieusement de se substituer lui doit tre limin. Mais, il ne faut pas se leurrer. Cette recherche de lexprience mtaphysique prsuppose une qute aride mene avec ardeur. Il faut tre prt remettre en cause notre faon dtre, car lveil aux ralits spirituelles ncessite une transformation intrieure radicale. Parmi les gens qui disent sintresser la spiritualit, il en est beaucoup qui, au fond deux-mmes, ne souhaitent pas cette transformation intrieure engendre par lveil la Ralit suprieure. Ils le disent parfois avec la bouche, mais leur cur est bien loin dune telle exigence. Ils prfrent adopter une quelconque petite illusion dore. Cest cause de cette tendance que des spiritualits vnrables sont dformes et que la naissance des fausses spiritualits a prolifr.
Si vous norientez pas votre vie vers la recherche de lexprience intrieure, quallez-vous faire pour dissimuler lexigence spirituelle qui vous habite ? Croire en tel ou tel credo ? Pratiquer telle ou telle discipline ? Assister des confrences, prches, runions ou crmonies ? Lire tel ou tel livre ? Vous efforcer vaguement de faire ceci ou cela ? Adhrer une organisation ou une glise ? Si de tels agissements ne dbouchent pas directement sur une exprience subliminale relle, quoi tout cela rime-t-il ? Voyez combien tout ceci est mesquin et born. Vous pourrez entretenir la fragile illusion de progresser spirituellement. Mais, derrire ce fragile rempart se dressera lombre dun chec existentiel total, dune vie perdue en de vains labyrinthes. Toute vie humaine qui narrive pas apprhender la Ralit mtaphysique est une vie passe dans les tnbres. Cest une vie gche, une vie inutile, car les potentialits les plus hautes sont restes ignores ou inemployes. La condition humaine nest quun pont jet sur le fleuve de lexistence. Il est destin atteindre lAutre rive. A quoi servent les ponts que personne ne traverse ?
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Les gens ont lesprit agit. Cest un fait. Cette agitation est la pente vers laquelle tout le monde glisse dans le contexte actuel. Il faut ragir contre cette tendance et contre les conditionnements qui limposent. Il faut remonter le courant. Lesprit est agit par une vie trpidante. Une vie tellement trpidante quune certaine forme dagitation, devenue si courante, est confondue avec la tranquillit, et que lagitation de lesprit ne devient perceptible, pour nos contemporains, que dans les cas dextrme paroxysme. Pour comprendre comment on peut mettre fin lagitation constante de lesprit, il faut dabord clairement voir en quoi consiste cette agitation en notre vie. Lesprit est agit par laccomplissement de notre travail, par les proccupations horaires, par lutilisation de nos moyens de transport, par la frquentation dune foule de gens. Il est agit par la musique et la radio que nous coutons, par les bavardages, par la tlvision, le cinma et l'ordinateur, par le tlphone et les visites, par les excitations des lieux dits de sortie . Il faut commencer par raliser que tout cela est agitation de lesprit, observer en notre vie en quoi consiste cette agitation intrieure, et sentir le bouillonnement psychique qui accompagne gnralement les activits voques. Il nentre pas dans nos intentions de proposer une vie totalement exempte dagitation. Une telle existence ne serait ralisable que dans des conditions de retraite et disolement. Il existe par ailleurs une forme de tranquillit lourde et obtuse qui nest que paresse. Lagitation de lesprit qui accompagne les activits professionnelles, cratrices ou ludiques, ncessaires notre panouissement, est invitable. Ce qui importe, cest dliminer les agitations vritablement inutiles et de se rserver rgulirement des
11 moments de non-agitation, des moments de calme, durant lesquels nous nous immergerons dans la tranquillit. Rien de plus simple ! Il suffit de sasseoir confortablement, de garder le silence, de contempler paisiblement ce qui nous entoure, d'couter les bruits familiers de la vie et de laisser nos penses aller et venir leur gr, sans contrainte. Nous restons ainsi, tranquillement attentif, ne concentrant notre esprit sur rien, et le laissant se dconnecter des implications fallacieuses. En faisant cela, nous gotons la tranquillit de linstant. Les problmes du moment sont peut-tre encore prsents, mais ils napparaissent plus quen filigrane, tandis que le corps et lesprit connaissent une bienfaisante dtente. Dtente et distraction sont confondues par une publicit abusive. Nous meublons nos loisirs de multiples distractions. A peine rentrons-nous du travail que la tlvision, la radio, les journaux, le cinma, nos commensaux et nos amis nous sollicitent. Il est hors de notre propos de condamner les distractions. Elles sont bnfiques, mais elles ne doivent pas envahir notre vie et ne plus laisser, en celle-ci, de place la paix profonde. En ralit, bien des gens finissent par presque ignorer la paix profonde du non-agir. Leur vie est partage entre les activits professionnelles, les activits domestiques, les activits ludiques et le sommeil. Cest devenu un lieu commun de dire que les distractions sont une dtente. Pourtant, ce lieu commun est un abus de langage. Les distractions mettent fin un type spcifique de tension, mais elles rclament une autre forme de tension. En elles, il y a repos des centres nerveux qui taient sollicits par le travail, mais il ny a pas dtente en soi. La dtente vritable est une absence dactivit ltat de veille, ce nest pas une forme dactivit non motive par la ncessit, comme cest le cas pour les distractions.
12 Pour sortir du cercle vicieux des activits incessantes, il faut apprendre devenir tranquille, par le simple fait de sasseoir en silence quelque part, et de goter la saveur de linstant qui passe. Instaurer, lintrieur de chaque journe, des moments durant lesquels nous laisserons notre esprit devenir tranquille constitue un art de vivre. Cet art de vivre naboutit pas la Transcendance, mais il tablit, pour lindividu, des conditions idalement favorables l'apprhension de la Transcendance. O donc, dans une vie sans cesse agite, y a-t-il place pour llargissement mtaphysique de la conscience ? Les moments que nous rserverons la tranquillit imprgneront lensemble de la journe. Ils finiront mme, avec le temps, par donner notre attitude et notre vie tout entire, une tonalit particulire. Par le fait de rgulirement apaiser notre esprit, nos activits, mme les plus absorbantes, deviendront peu peu incapables de nous loigner srieusement des incommensurables profondeurs de lEsprit. Le voile que lactivit tisse, par accaparement, en notre mental, deviendra un voile lger, qu tout instant il nous sera ais de soulever pour sentir les profondeurs impalpables du vide conscient, sous-jacent tout ce qui bouge. En conclusion : Pour sortir aisment du temporel et entrer dans linfinitude de lIntemporel, commencez par tranquilliser votre esprit. Pour ne pas oublier lIntemporel, en vous perdant dans le ct superficiel de lexistence, instaurez, en chacune de vos journes, de courtes priodes rserves la tranquillit de lesprit. Telle est la rgle dont limportance pratique apparatra ceux qui sy conformeront.
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Savoir que rien ne presse. Le savoir et le vivre : grande chose ! Laisser paisiblement les virtualits qui sont en nous sortir et sexprimer... Laisser les travaux saccomplir... Refuser tout activisme... Refuser daccomplir les actions que nous navons pas profondment et vritablement envie daccomplir en linstant... Les reportes... Elles seront ou ne seront pas faites... plus tard. Tout ce qui doit tre fait sera inluctablement accompli en cette vie. Savoir cela et ne pas loublier. Les consquences de nos dsistements sont souvent trs secondaires si nous les contemplons avec un regard philosophique. Bien sr, en certaines exceptions, il faut agir tout prix ! Mais, limportant est de draciner en soi toute espce de hte. En dehors de ce qui est strictement obligatoire, ne pas se surcharger de projets et demplois du temps ; se rserver des journes vierges dorganisation, en lesquelles, avec lesprit intrieurement contemplatif, nous glissons dans lespace de la journe. Organiser, organiser, tout organiser, mme les loisirs, cest une maladie du sicle. Quas-tu fait aujourdhui ?
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Je me suis rveill tard, jai mang et ensuite jai communi avec lunivers en regardant tranquillement devant moi, assis dans mon fauteuil. Sans bruit, le miracle de la nuit est arriv ... Riche journe, riche et pleine ! Lorsque tu cours de droite gauche pour acheter, arriver lheure, prvoir et coordonner, pour faire en un seul jour de multiples choses qui t'apparatraient souvent inutiles si ton regard apprhendait les choses lointaines, lorsque tu agis ainsi, ne sens-tu pas la pauvret fatigue et tourbillonnante de ta misrable existence ? Une vie devenue si stupide quelle saffole en tous sens, tandis que le regard intrieur reste fix sur le nombril du mental qui, force dtre renferm sur luimme, se prend pour le centre du monde. Laisse-toi pntrer par les choses, Laisse-toi dpasser, Laisse-toi submerger, Laisse-toi pousser, En restant attentif et lucide. Lche prise, ne prvois pas ou prvois le moins possible. Envisage toute prvision comme une simple possibilit. Ne fais pas corps avec elle, ne ty attache pas. Laisse les choses se faire. Laisse ton destin saccomplir. Laisse-toi guider par le destin. Ne brouille pas les cartes par manque de rceptivit.
15 Fais taire le mental prsomptueux qui sait tout et organise tout lavance. Discerne ton chemin dans la tournure des vnements. Ne rsiste pas. Oublie les projets prconus, les esprances trop tt formules. Laisse-toi guider. coute ce qui, en toi, vient du plus profond, et qui contredit parfois les structures superficielles labores par le mental impatient. Apprends suivre, avec confiance, les chauds, profonds et obscurs courants de linformul qui affleurent en toi et cherchent orienter ou rorienter ta vie. Cest dans la limpidit du calme intrieur que nos plus profondes aspirations deviennent discernables. Combien dhommes gchent leur vie, faute davoir su les identifier ! Lexcitation, la hte perptuelle, le flot sans cesse renouvel des activits secondaires, les proccupations aussi multiples que futiles, voil ce qui rend ta vie sans profondeur ! Voil ce qui la coupe de ses racines ! Sil ne test pas possible, cause de linsertion sociale, daller intgralement rebours de lpoque et de la civilisation, de grce, rserve-toi au moins des journes et des priodes pour te dtacher du superficiel, descendre peu peu vers ce quil y a de profond en toi et qui contient ta prdestination existentielle. On voit clair au fond de soi-mme lorsque toute hte et toute proccupation ont t jetes dehors. Alors, dans un calme qui nest pas mollesse ou avachissement, ce que nous devons prsentement faire nous apparat spontanment. Cette rvlation, sortie de nous-mmes, ne ligote pas lavenir qui reste libre, aussi libre, joyeux et riche en possibilits que linfini lui-mme. Car, tant ouverts, nous restons disponibles et, tant compltement disponibles, nous sommes intgralement vivants.
16 Ainsi, en ta vie, laisse les choses se faire. Laisse-les te pousser dans le bas des reins pour tinciter laction. Alors, mais alors seulement, les choses accomplies deviennent une allgresse vivante. Cesse de vouloir tout prcder. Apprends marcher paisiblement dans les jardins de la vie. Petite fraction minuscule, perdue au sein de limmense cosmos, tu viens du Vide et tu vas vers le Vide. Cest tout et cest immense. Cette vie se droule sans ton consentement, avec ou sans ton ignorance, prend conscience de cela. Il ny a rien dimportant accomplir. Car, mme ce que les hommes jugent important nest quun ftu de paille. Il suffit de vivre, de vivre dune manire vritable et profonde. Alors, la vie en toi saccomplira. Elle accomplira les oeuvres dont tu portes les germes. Elle fera fleurir mille printemps et taccordera mille repos dhiver. Sois pour la Nature une terre grasse et fconde et, pour cela, vis selon le rythme profond des priodes cycliques que contient toute vie humaine. Laisse-toi porter par les courants sous-jacents qui veulent te faire aborder de nouveaux rivages. Laisse la vie faire. Tout ce qui doit tre fait le sera.
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Ici-bas, comme dans lau-del, rien ne presse. Nous avons des ternits devant nous. Loublier, cest tomber dans langoisse et, pour masquer langoisse, le tourbillon de lactivisme nous propose son leurre drisoire. Il ne faut plus vouloir faire . Il faut laisser les choses se faire. Paisiblement et sans hte, ta vie se droulera. Toutes les vies sacheminent vers la mme fin. A quoi bon se presser ? La plnitude nest pas dans le faire, elle est dans le vivre. La vie est action, mais, si laction se surcharge, elle perd toute transparence. Garde, garde le calme et labsence de hte.
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Nous devons apprendre tre silencieux. Trouver le silence est simple. Il nest pas ncessaire de chercher sisoler dans une montagne, un dsert ou une fort. Il nest pas ncessaire de fuir le bruit et de devenir grincheux ds quune porte claque. Il suffit de faire silence en soi pour, aussitt, trouver le silence. Le silence est un compagnon ternel. A peine avons-nous dit quil fallait apprendre tre silencieux que la possibilit dune fausse interprtation se dresse. tre silencieux ne veut pas dire se forcer au silence, simposer le silence. Si nous faisons cela, nous prenons les mots pour des ralits. Si nous faisons cela, nous nous imposons une contrainte disciplinaire et notre silence ne sera quun certain mode de crispation, de censure toute superficielle. Il ne sagit pas de jouer au silence ou de faire semblant. Il nest pas question de plaquer, sur notre babillage ou notre tumulte intrieur, la carapace dune attitude artificielle qui serait le fruit dun effort. Il faut trouver le silence. Cest quelque chose de beaucoup plus simple et de beaucoup plus profond. Simposer une contenance ou une contrainte na aucun intrt. Ce qui en a, cest de sveiller la prsence du silence. Le silence est toujours en nous, ternellement.
19 Il faut prendre conscience du silence qui perdure derrire le petit et dcevant tourbillon de nos penses, sentrecroisant et se bousculant comme des insectes aveugles. Derrire, juste derrire les formulations mentales, immdiatement perceptible, ltonnant silence tend son rivage. Pour le percevoir, il faut tre attentif, raliser une forme dattention particulire. Il faut couter, prter loreille au silence. Il se peut quau dbut notre prtentieuse cacophonie intrieure nous en empche. Mais celui qui cherche la dpasser et couter derrire finit par trouver le silence. Une espce de dclic intrieur se produit et le silence nous est perceptible. Les bruits du monde continuent frapper nos oreilles, mais ils ne nous importunent pas, car, venant de beaucoup plus loin, nous sentons le silence dferler sur nous. Un silence imperceptible pour loreille humaine et que seul lesprit peut percevoir. Alors, bercs dans le sein de cet immense silence, nous acqurons un nouveau regard qui est un veil. La vie, en son inexprimable simplicit originelle, nous apparat. Lexistence revt une saveur spciale, accompagne dtranges rsonances. Nous ralisons que l'existence humaine n'est qu'une onde colore traversant la surface dun silence sans fond. Ds lors, lorsque, ayant nglig la profondeur des ralits intrieures, nous nous serons perdus et oublis dans le tourbillon des apparences superficielles du monde extrieur, nous saurons que, pour remettre les choses leur place, il nous suffit dcouter le silence, dvoquer cet ternel compagnon. Lorsque le silence intrieur est prsent, le monde extrieur cesse dtre un enfer dinsouciance accaparante, pour devenir un paisible den. Paradis et enfer sont dans notre regard.
20 Sur celui qui connat le silence et reste en sa prsence, les dchanements du monde extrieur nont pas de prise. Ils glissent telle leau sur les plumes de loiseau. Apprenez donc tre silencieux. Dans votre vie quotidienne, faites une place au silence, ce grand instructeur. Au sein de vos activits, sans rien interrompre, ouvrez loreille de votre esprit et, derrire les bruits, en labsence de cogitation, coutez le silence... Penser la prsence du silence, cest commencer le percevoir, car la pense est une vocation. Une vocation qui, au sens magique de ce terme, appelle et provoque la manifestation de ce qui est invoqu. Dans le silence, la pense se dissout et ltre vritable apparat. Que chaque journe vous voit, plusieurs reprises, prendre conscience des immensits du silence intrieur. Quainsi, au fil des ans, stablisse et grandisse votre intimit avec le silence. Le silence est lespace en lequel est contenue la Connaissance. Arrivs la fine pointe de vous-mmes, vous tes le Silence et vous tes la Connaissance de l'Ineffable.
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APPROCHE DE LINTROSPECTION
Comment puis-je parvenir la connaissance de moi-mme ? Par lobservation. Cest trs simple. La connaissance du monde extrieur, qui a pour rsultat la science, est une consquence de lobservation du monde extrieur. De mme, jaccderai la connaissance de moi-mme par lobservation. Lobservation de soi-mme doit dbuter par le plus apparent et finir par le plus subtil. Ce qui revient dire quil faut commencer par observer le corps. Comment sy prendre ? De la manire suivante : je suis assis et jobserve le corps assis. Ce qui implique quen linstant mme, je prends conscience des sensations corporelles qui me sont naturellement perceptibles. Ainsi, je perois la sensation de pesanteur dans la partie du corps qui repose sur le sige. Je perois la sensation des vtements, la sensation de lair qui mentoure. Je perois le va-et-vient de la respiration. Je perois la chaleur, peut-tre ingalement rpartie, qui rsulte de la circulation du sang. Je reste ainsi, immobile, observant le corps, prenant conscience de la vie vgtative qui lanime et de la force tranquille qui en mane. Cet exercice, si simple, est excellent. Il apporte celui qui lexcute quasi quotidiennement, lhabitude dune mise au repos qui, peu peu, devient profonde. Rien de tel, en fin de journe, pour celui qui est plong dans la vie active et qui veut rcuprer , que dobserver le corps tranquillement, passivement, sans rien chercher faire , sans vouloir intervenir de quelque manire dans le paisible fonctionnement physiologique. Une telle pratique peut durer un temps variable et il est prfrable de ne pas la minuter, chacun restant ainsi jusqu ce que, naturellement, il sente que cela suffit .
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Faire du corps un ami en apprenant le sentir vivre en profondeur, voil o peut nous mener cet exercice. Sentir que lobservation attentive de la totalit corporelle, qui suppose la prsence de la conscience dans lensemble du corps, a un effet de recharge nergtique. Constater que cette recharge nergtique constitue une influence vitalisante qui imprgne le corps tout entier et qui, sans que nous fassions quoi que ce soit pour cela, rend ce dernier plus sain, plus actif et plus rsistant. Voici galement quoi aboutit la pratique, des annes durant, de ce simple exercice. Ds que nous avons pris lhabitude de parvenir bien sentir, en notre observation, la totalit du corps et, pour cela, des annes entires ne sont pas ncessaires, nous ferons succder lobservation du corps une deuxime forme dobservation : lobservation du mental. Cette observation qui en notre pratique doit faire suite lobservation du corps consiste prter attention aux penses qui, en linstant mme, meublent notre esprit. Il faut prendre conscience de la manire dont les penses se succdent et se dveloppent. L aussi, ne rien chercher influencer. Les yeux ferms, observer simplement ce qui se passe dans le mental. Nous nous apercevons que les penses cherchent entraner notre conscience lintrieur de leur dynamisme et que, pour les observer, il faut faire un effort de dsengagement. Un effort de recul par lequel nous nous plaons derrire elles et devenons ainsi le spectateur des penses. Ne pas se dcourager, ne pas simpatienter si, pendant longtemps et frquemment, nous nous laissons emporter par les penses. En nous laissant emporter, nous cessons dtre lobservateur pour redevenir un homme qui pense. Un homme qui pense, cest quelquun qui, au lieu dtre lobservateur des penses et, pour cela stre, en quelque sorte, dcoll delles, fait corps avec les penses et ne se distingue pas delles.
23 Pour parvenir nous sentir distincts des penses qui constituent lobjet de notre observation, il faut, inlassablement, faire ce mouvement intrieur de recul par lequel nous nous situons derrire et devenons le spectateur. Il faut observer impartialement, sans prfrence, sans jugement, sans essai de contrle, toutes les penses qui surgissent. Se mettre et se remettre, sans cesse, larrire-plan de ce qui se manifeste mentalement. Regarder les penses comme on regarderait un insecte bizarre avancer dans lherbe. La pense jobserve mes penses est elle-mme une pense et je dois lobserver son tour. Sans cesse, prendre intrieurement de la distance, jusqu ce que nous soyons installs dans la position du spectateur impassible En cette observation, nous apprendrons beaucoup sur la phnomnologie du psychisme. Nous connatrons, dexprience, les diffrents mcanismes et strotypes qui engendrent la succession des penses. La personnalit mentale nous sera connue, avec ses tics et ses limites. Peu peu, avec lassiduit en la pratique et le temps passant, nous verrons quen lexcution de cet exercice nos penses se rarfient. Sans le vouloir, sans le chercher dlibrment, ayant pour seul but lobservation, nous finirons par arriver au silence mental. Il nous reste goter la saveur de ce silence. Notre familiarit avec le silence allant croissant, son intensit se faisant plus grande, nous connatrons une paix profonde. Cette paix, si nous pratiquons quotidiennement lobservation du corps et du mental en posture assise, imprgnera notre vie et notre personnalit. Ce nest pas une recette miracle. Cependant, au long des annes, cest vritablement un autre homme qui surgira de cette pratique. Combien de faux problmes, de fausses proccupations se dissoudront en limmersion quotidienne de notre esprit dans la paix qui se dploie lorsque le mental se tait !
24 Combien dattachements passionnels, de crispations, finiront par lcher prise ! Quelle force et quelle lucidit dans la tranquillit naturelle qui deviendra, peu peu, une constante de notre caractre ! Cette observation, ce silence, cette paix et cette lucidit, il faudra, systmatiquement, les introduire au sein des activits quotidiennes. Ainsi, peu peu, nous nous installerons dune manire sans cesse plus dfinitive, dans notre vritable Nature qui est celle du spectateur des penses. Lintrospection du profane senlise dans le moi psychologique. Lintrospection de liniti aboutit au dpassement de lhomme et du monde. Ce que vous tes, au niveau le plus profond, est ternel. Se connatre soi-mme, cest connatre lInfini.
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Lobservation constitue pour le dbutant la pratique de base et il y a diffrents objets et diffrents degrs dobservation. Lobservation corporelle, au sein de la vie quotidienne, consiste diriger notre attention sur les activits du corps. Il faut nous entraner cette observation dans laccomplissement dactes multiples : observer les gestes et contractions faciales au cours des conversations, observer les ractions physiologiques pendant divers tats psychologiques caractristiques : joie, colre, chagrin, contrarit, impatience... Ne pas se laisser absorber par les sentiments en question et prter attention aux rpercussions corporelles que leur prsence engendre. Scouter parler, non point avec complaisance, mais avec une lucidit attentive. tre conscient de la respiration pendant laccomplissement dactivits diverses. Sapercevoir des modifications du rythme respiratoire dans certains tats motifs. Percevoir le travail interne des muscles et articulations durant la marche et diverses activits. Sentir la totalit du corps dans la position assise et dans des attitudes dimmobilit. Dune manire gnrale, apprenez vivre avec le corps, en observant, en de multiples circonstances, ses ractions et comportements. Ne limitez pas les observations certains moments de la journe. Il faut les accomplir en toutes espces de circonstances, mme celles considres comme absorbantes ou trs passionnes. Cest extrmement important. De hauts rsultats en dcoulent. La nervosit, la colre, limpatience sont lies linattention corporelle. En devenant conscients des diverses crispations physiques qui les accompagnent, vous raliserez combien de telles attitudes sont ridicules.
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De mme, prendre conscience des gestes, postures et mimiques exprimant la prtention, l'orgueil ou la suffisance, cest percevoir labsurdit et la btise de ces sentiments. Prendre conscience des diffrents tics gestuels, cest galement devenir capable de sen librer, car leur rptition mcanique ne supporte pas lobservation. Tous les tats motifs se manifestent dune manire corporelle. Observer la raction corporelle dune motion, cest en diminuer limpact motif, car, plus nous nous investissons dans lobservation corporelle, moins nous sommes investis dans lmotion. Il y a, dans ce simple fait, la clef dune matrise de soi-mme ralise sans effort de contrle. Plus nous devenons conscients des crispations corporelles accompagnant les motions intenses, plus nous devenons capables dy mettre fin en relchant les zones musculaires inutilement crispes. Ceci est valable pour toutes les motions. Rester conscient du corps, cest, la longue, cesser dtre entran et submerg par les motions. Le corps et le mental sinfluencent rciproquement. Modifier lattitude corporelle, cest modifier le vcu intrieur. En observant les ractions corporelles en diverses circonstances, nous prenons conscience de certaines choses ngatives et la rptition de cette prise de conscience amnera, peu peu, la disparition du ngatif. Dans un premier temps, il est particulirement important que cette disparition seffectue delle-mme, naturellement, sans effort de notre part. Il y a l un cueil quil importe de franchir correctement, car lobservation peut tre utilise pour aboutir une action de rpression systmatique sur ce qui, au regard de certains strotypes, est jug inutile ou ngatif. Une telle manire de faire est errone et il faut sen garder soigneusement. En agissant de la sorte, nous renforons les structures de lego, en nous installant dans une attitude faite de rigidit, dintransigeance et de repliement.
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Commenons par nous contenter dobserver, en prenant de la distance, de manire tre le spectateur impartial des actions et ractions de la personnalit. Approfondissons et intensifions nos observations jusqu ce que lapparition de lenvie dliminer les aspects ngatifs surgisse d'elle-mme. Llimination du ngatif ne doit pas tre vcue comme une contrainte volontaire, mais comme la libration dune chose dsagrable. Il faut donc observer, passivement, jusqu ce quune claire lucidit nous fasse percevoir le joug du ngatif. Lorsque, aprs avoir rgulirement observ une manifestation ngative de la personnalit, nous sentons s'affermir en nous lenvie dliminer cette ngativit, rejetons, sans effort et sans crispation volontaire, ce qui nous est devenu dsagrable. Lobservation est l'outil d'une transformation de la personnalit. Ce nest pas une attitude de faade, cest une transformation qui vient des profondeurs de nousmmes, profondeurs rveilles par notre lucidit observatrice. Constater que le simple fait dobserver engendre la disparition ou la modification de certaines choses et nous donne le pouvoir d'en changer d'autres sera pour nous riche denseignement. Nous constaterons que la prise de conscience a un pouvoir transformateur et que le ngatif est toujours issu dune forme quelconque dinconscience. Plus nous observerons ce que nous appelons notre corps , plus il devient le corps , tandis que nous sommes lhabitant. Le corps est lenveloppe la plus grossire recouvrant ce que nous sommes vritablement. Insensiblement, lobservation des activits et des sensations corporelles fait grandir le sentiment de notre indpendance vis--vis du corps. Il ne sagit pas dadmettre ceci spculativement, ce nest pas de cela dont nous parlons ; lobjectif que nous nous fixons consiste ressentir cette indpendance avec une clart croissante au sein de la vie quotidienne.
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Ce nest qu la suite dune pratique assidue de lobservation corporelle quil arrivera un moment o nous pourrons observer le corps en train de souffrir ou de jouir, sans que cela nous atteigne profondment. Nous ne serons pas parvenus un tat dinsensibilit, la souffrance ou la jouissance seront perues avec autant dintensit. Notre perception sera la mme, mais nous cesserons d'tre colls ce qui est ressenti, tandis que larrire-plan de notre conscience reste intouch par le dferlement des sensations. Rptons-le, il ny a pas diminution dintensit dans le simple fait de sentir quune partie de nous-mmes et, prcisment, la partie la plus profonde et la plus secrte, reste en dehors de lintolrable souffrance ou de lextraordinaire jouissance. Cela rend simplement la premire plus acceptable et la seconde moins indispensable. Un tel rsultat ne se produit pas rapidement. Il faut souvent des annes. Il ne doit pas tre recherch volontairement, car il na rien voir avec une espce de suggestion. Cest une constatation long terme : on finit par sapercevoir que plus on observe le corps, moins on dpend intrieurement de lui. Alors, le mur de lidentification la plus forte scroule et lon sait, dune connaissance totale qui imprgne toute notre sensibilit, que nous ne sommes pas ce corps. Il nest absolument pas question de se rfugier dans lillusoire tour divoire dune vie inattentive la ralit corporelle. Nous vivons au travers du corps, mais nous savons quil nest , pour nous, quun instrument dexpression et de perception passagres. Je ne suis pas ce corps, je ne suis pas cet homme qui parle, qui crit, qui mange, qui travaille, qui se rveille le matin et sendort le soir. Je ne suis pas cela. Le savoir vritablement, vivre quotidiennement ce savoir au travers de multiples activits, se sentir lobservateur du corps et ne plus se sentir tre le corps, tel est le premier pas fondamental sur le chemin de la Gnose. Lorsque je sais, parce que je le constate, que je ne suis pas le corps, la naissance et la mort cessent dtre les troites limites temporelles dans lesquelles je me croyais enferm.
29 Tout ce qui est vcu au sein de la vie matrielle, ou plutt tout ce qui survient au sein de ce mode spcifique de perception qui a commenc avec la naissance concerne la relation entre le corps et le monde extrieur. Cessant de me concevoir comme un individu biologique, me percevant comme une ralit, dont la conscience, est momentanment prsente au sein dune individualit biologique, je cesse dtre emprisonn au sein du monde matriel. La mort cesse dtre perue comme ma fin, puisquelle nest que la destruction de cet instrument corporel utilis par moi. La naissance cesse dtre mon commencement puisquelle nest que le dbut des perceptions corporelles. Tout ce quil advient ce corps, au cours de cette vie, ne constitue quun ensemble de modalits particulires au sein des perceptions qui sont miennes. Sil est vrai que certaines perceptions sont agrables pour le corps, tandis que dautres ne le sont pas, cela na pas une importance primordiale, puisquaucune perception ne constitue, pour moi, un changement dtat, mais, simplement, un changement de perception. Une sensation peut simposer en tant que perception exclusive, mais ma Ralit reste inaffecte par elle. La douleur nest que le spectacle sensitif donn par le corps ma Conscience. Le corps a horreur de la douleur et il cherche lviter. Ceci est normal puisquil est constitu pour fonctionner de la sorte. Mais, cette horreur de la douleur et cette souffrance ne concernent que le corps. Pour ma Conscience, la douleur nest ni une horreur, ni une souffrance. Ce nest quun type de perception particulier. Pour elle, toutes les perceptions, quelles quelles soient, ont un intrt quivalent. Ma Conscience ne redoute pas la douleur, pas plus quelle ne dsire le plaisir. Ma Conscience contemple toute chose ; douleur et plaisir ne sont que modalits du spectacle, spectacle qui perdrait tout intrt sil ne contenait pas un facteur de modification perptuelle.
30 Les notions de douleur et de plaisir sont des interprtations mentales qui ne sauraient exister au niveau de la Conscience qui peroit le mental. Ainsi, par lveil de ma Conscience tmoin, je puis simultanment percevoir le corps se tordant de douleur et constater que lhomme ne souhaite quune chose : que cette sensation cesse. Tandis que, paralllement, larrire-plan, ma Conscience contemplera avec un dtachement immuable les tourments du corps. Alors, je saurai que mon tre vritable nest pas cet organisme tortur, mais cette Conscience sereinement attentive. Je saurai que toutes les sensations sont des choses extrieures moi-mme puisque le corps fait partie de cette extriorit temporelle que je perois. Le corps nest pas moi et mon indpendance par rapport lui est totale. De mme, le vieillissement, les aventures, les gots et les joies du corps ne concernent que le niveau de mes perceptions et non le niveau de ma Ralit transcendante qui est le Tmoin du peru. Le corps nest quun tout petit aspect de Ma manifestation et plus mon indpendance intrieure vis--vis de lui grandt, grce lobservation, plus la mortelle ignorance qui consiste se prendre pour un corps et simaginer que notre Ralit consciente est lie la limitation corporelle, mapparat avec une clart aveuglante, comme une incroyable incongruit.
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Observez les sentiments. Ne vous contentez pas dtre joyeux, triste, colreux ou amoureux. Observez la prsence des diffrents sentiments. Prenez conscience de leur apparition, de leur croissance et de leur disparition, ainsi que des formulations mentales qui accompagnent ces manifestations. Contemplez le spectacle des sentiments. Le profane se laisse porter par ses sentiments. Ceux-ci ltourdissent et labrutissent. Lorsquun sentiment suffisamment fort dferle en lui, il est tout entier dans son sentiment et ce dernier le submerge. Cette submersion plonge sa conscience dans une espce de stupeur qui, malgr les apparences, nest en dfinitive quune forme dinconscience. Ce nest plus un individu port par sa propre conscience, cest un individu port et habit par tel ou tel sentiment. Ce qui, en lui, est conscience, ce nest pas sa propre Conscience, cest la conscience du sentiment . Que notre Conscience reste consciente delle-mme, tel est le but de lobservation. tre conscient dun sentiment nen limite pas lintensit ou la dlicatesse. Au contraire ! les sentiments prennent, par lobservation, un relief accentu. tre conscient dun sentiment, cest ne pas se laisser emporter par le flux motionnel, cest rest soi-mme en toutes circonstances. Lorsquun profane est joyeux ou triste, il est conscient dtre joyeux ou triste.
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Lorsquun veill est joyeux ou triste, il est conscient dtre consciemment joyeux ou triste. Cest cette conscience de la Conscience quil faut dvelopper en vous. tre joyeux comme tout le monde, et tre consciemment observateur de la prsence de la joie, ou de tout autre sentiment, cest trs diffrent. Lorsque je suis consciemment observateur de la prsence dun sentiment, mon observation intrieure agrandit et approfondit ma perception du sentiment en question. Le sentiment nest plus simplement un phnomne qui simpose ma Conscience, cest, galement, le sujet danalyse de mon intellect. Mon attitude, au lieu dtre passive et de se borner subir une manifestation, est une dmarche active qui apprhende volontairement la manifestation. Il rsulte de cette introspection une Connaissance libratrice. Par lobservation, je prends de la distance. Le sentiment cesse dtre un premier plan obnubilateur qui sest impos de luimme. Je perois la joie, la colre, lamour ou tout autre sentiment qui mhabite avec une clart toute particulire, mais ma perception nest plus enchss dans le sentiment qui se manifeste, elle reste libre, indpendante et observatrice. Rptons-le, ceci ne mne aucune espce dinsensibilit ou damoindrissement affectif. Lobservation des sentiments nous achemine vers lindpendance. Les sentiments ne sont que des htes passagers et il est anormal que nous vivions ballotts de droite et de gauche, au gr de leurs manifestations. En prenant lhabitude daccomplir ce type dobservation, nous deviendrons le matre de nos sentiments.
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Il ne sagit pas de raliser une telle matrise par la force. Chasser le naturel, il revient au galop . Si nous voulons rejeter un sentiment par la force et la censure disciplinaire, nous entamons avec lui une lutte de longue haleine qui absorbera nos nergies et ne pourra aboutir qu latrophie de notre sensibilit, accompagne du refoulement de ce sentiment, avec les troubles divers qui en rsulteront. Par lobservation, cest le fond de la personnalit qui finira par se modifier. Les manifestations expressives du comportement ne feront que reflter cette modification en profondeur. Les sentiments sont comme des vampires, ils veulent nous accaparer, ils veulent absorber nos nergies. Leur observation attentive dnoncera bien des supercheries. En lobservation, ils sont soumis aux instances de notre lucidit et la btise, la trivialit, la superficialit et linutilit de nombre dentre eux apparaissent. Les sentiments ngatifs qui se nourrissaient de notre inconscience ne peuvent supporter la lumire dune prise de conscience. Cest pourquoi, en les regardant mentalement, nous les faisons, peu peu, disparatre grce la comprhension analytique qui en rsulte. En les observant, ils nous apparaissent sous leur jour vritable, toutes fausses justifications dissoutes. Nous dcouvrons les procds quils utilisent pour se glisser dans notre conscience et, de ce fait, nous devenons capables de djouer leurs ruses. En les observant, nous les dcollons de nous-mmes, nous ne sommes plus une personne triste, nous sommes habits par la tristesse, la colre ou quelque autre sentiment. Si nous sommes tristes, il nous est impossible de chasser la tristesse, car cela quivaudrait nous chasser nous-mmes. Mais, si par lobservation, nous avons conscience dtre simplement habits par la tristesse, il est possible de mettre dehors cet hte indsirable qui est peru comme indpendant de nous-mmes. Pour le chasser, aucun effort volontaire nest requis. Nous regardons attentivement et il senfuit.
34 De mme, tre intgralement et rgulirement conscient de notre impatience, au moment o lon est impatient, cest bientt cesser dtre impatient, sans avoir fait aucun effort pour rprimer cette motion-sentiment. Limpatience, de mme que tout autre sentiment ngatif, peut tre vaincue sans effort et dracine par la prise de conscience qui rsulte de lobservation. Tous les sentiments doivent tre observs, les ngatifs comme les positifs. Avec la pratique, les sentiments ngatifs disparatront, tandis que les sentiments positifs, tout en demeurant aussi intenses et dlicats, resteront leur place et ne se transformeront pas en passion exigeante, autoritaire et submergeante. Si nous pouvons tre pousss aux extrmits de la violence ou de la colre, si nous pouvons chouer dans le dsespoir damour, la jalousie obsessionnelle ou le pessimisme intgral, cest parce que notre lucidit sest teinte, submerge par un flot de sentiments. Par lobservation, notre Conscience reste consciente delle-mme et aucun sentiment ne peut tablir en nous une espce de possession vampirique, aboutissant de telles incohrences. En devenant indpendants de nos sentiments, nous sommes le matre chez nous. Les sentiments positifs sont des fleurs prcieuses et odorantes dont la croissance est un enchantement. Mais, si nous nous attachons au tronc dune fleur gante et si nous la laissons devenir une plante carnivore, se nourrissant de notre sang, o est le plaisir ? De mme que, certains jours, regardant par la fentre, nous constatons que le ciel est nuageux et quen dautres occasions nous constatons quil est bleu, il nous arrive de percevoir que la tristesse, la fatigue, le dcouragement, la joie, lamour ou lirritation se manifestent dans le mental. Dans un cas comme dans lautre, nous navons rien fait pour cela. Un ensemble de phnomnes rgis par un strict dterminisme engendre ltat du ciel, un autre ensemble de phnomnes, galement rgis par un strict dterminisme, provoque ltat du mental. Dans un cas comme dans lautre, nous ne sommes pas concerns.
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Ces phnomnes se produisent sans nous en demander lautorisation. Ce sont des spectacles qui demeurent extrieurs nous-mmes et qui ne nous appartiennent pas. Un matin, au rveil, le mental est gai. Un autre jour, il est morose. Cest ce que vous constatez. Mais, si vous demeurez le tmoin passif, si vous ne vous identifiez pas aux contenus mentaux, vous leur retirez toute force. Demeurant spectateur, vous ninvestissez aucune nergie en eux. Un sentiment priv dnergie naura pas la possibilit de vous troubler. Ainsi, peu peu, avec la croissance de votre indpendance vis--vis des sentiments, laube de la srnit se lvera. Prenez de la distance vis--vis des sentiments. Ne vous laissez pas duper, entraner, captiver par eux. Ne refusez pas leur expression, mais demeurez distinct delle. Les choses ngatives disparatront lorsque lintensification de votre prise de conscience empchera, sans effort, leur manifestation, ou bien fera natre la volont d'un rejet sans crispation. Vous ntes pas les sentiments, vous tes celui qui les peroit. Demeurez le spectateur impartial de votre vie sentimentale. Observez les engouements, les excitations et les dceptions avec un oeil froid. Ne brimez pas, prenez du recul. Devenez indpendant. Comprenez que les sentiments ne sont, en dfinitive, quun des lments de la vie psychique que vous percevez. Contemplez le spectacle de cette vie psychologique et restez conscient dtre le spectateur.
36 Celui qui sidentifie au hros dun film vit les motions de lacteur. Il est angoiss et heureux selon les pripties du scnario. Cest assez enfantin, mais ce nest pas trs important, car le film ne dure quun bref instant. Sidentifier lhomme qui prouve des sentiments varis en cette vie est plus grave. Cela veut dire tre la proie des chagrins, des esprances, des dsirs, des impatiences, des colres humaines... pendant toute la dure de la vie incarne. Qui est esclave des passions durant la vie incarne le demeurera dans la vie dsincarne. A cause de votre identification aux motions, sentiments et passions humaines, vous ignorez ce que vous tes. La personnalit humaine est un masque qui, la manire des acteurs du thtre antique, dissimule votre vrai visage. Vous tes tellement captiv par le spectacle de lexistence humaine quun oubli profond vous cache votre nature vritable qui est celle de la Conscience spectatrice, tranquillement installe dans une bienheureuse ternit.
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Au travers de diverses occupations quotidiennes, nous pouvons observer les penses. Pour les observer, il suffit de vouloir les regarder mentalement, de prendre conscience de leurs droulements, de leurs apparitions, de leurs enchanements et de leurs successions. Ainsi, peu peu, nous cesserons de nous identifier aux penses. Nous raliserons quel point ces dernires ne sont que de simples contenus vanescents et combien il tait absurde de croire que nous tions cela. Les penses nous apparatront comme une espce de brouillard mouvant qui sagite devant notre Conscience. Au dbut, nous serons peut-tre tonns, voire mme horrifis par la nature de certaines penses. Notre introspection nous rvlant des penses qui restaient subconscientes ou demi conscientes. Dans un premier temps, il ne faut pas chercher chasser celles qui sont dplaisantes. Observons et dtaillons trs attentivement les penses ngatives qui apparaissent dans le champ de notre Conscience. Laissons-les, leur guise, meubler momentanment le mental. Ce qui est entr en lui partira, car, en ce domaine, rien nest stable. Limportant, cest de commencer par se sentir indpendant de leur manifestation, de les observer la manire dun spectateur tranger. En cessant de nous identifier elles, nous leur enlevons toute influence. Cest parce que nous les confondons avec nous-mmes quelles ont pouvoir sur nous. En dnonant, par lobservation, la supercherie de cette identification, nous renversons les rles et, cessant dtre mens par les penses, nous apprenons peu peu les manipuler volontairement.
38 Il nous est alors possible de remplacer des penses ngatives par des penses positives de nature contraire. Au ressentiment, nous substituerons l'amour, la colre, la srnit, lavarice, le plaisir du don, etc. L'homme n'est plus, pour nous, qu'un instrument . On ne saurait se confondre avec un instrument, mais on l'utilise son gr. Ainsi, nous substituerons aux involontaires penses ngatives, des penses volontairement positives. Les penses sont utiles dans leur domaine. Elles sont des outils quil importe de faonner, de polir et dentretenir, mais elles doivent garder la place qui est la leur. Elles doivent tre considres comme des objets psychiques meublant notre mental. Il serait absurde de nous identifier aux meubles qui sont dposs dans notre appartement et de dire en les regardant je suis cela . Il est tout aussi absurde de nous identifier aux penses qui passent dans le champ de notre Conscience. Voici ce que , par lexprience, l'observation nous rvle. Lorsque nous cessons de nous identifier aux penses, il en rsulte un grand dpouillement dans la vie quotidienne. Combien dclairs dorgueil navions-nous pas, jusqualors, tirs de telle ou telle ide ? Combien de penses navions-nous pas considres avec une solennit et une importance extrmes ? Tout cela nous apparat, ds lors, bien vain. Les penses continuent avoir des valeurs et des intrts divers, mais aucune ne mrite limportance que nous attribuions prcdemment certaines dentre elles. Cet intrt excessif venait du fait que nous considrions celles-ci comme constituant lintime de nous-mmes, voire mme, le plus intime. Cette erreur seffaant, nous constatons que nous ne sommes pas les penses. Nous sommes la silencieuse Conscience spectatrice qui se trouve derrire. Ainsi, progressivement, seffectue notre indpendance vis--vis des penses qui peuplent notre esprit. Nous nous librons de ce qui nous enchanait au monde des penses. Cette libration et son dpouillement nous amnent au seuil de notre vritable Nature qui demeure immuablement derrire toutes les manifestations phnomnales, que ces dernires appartiennent au monde extrieur ou au monde intrieur. La premire chose que lon constate en pratiquant lobservation des penses, cest une prise de conscience de la nature de celles-ci.
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La seconde, qui est le fruit dune pratique rgulire, cest un apaisement dans leurs manifestations. Sans que lon ait fait aucun effort pour cela, la longue, certaines penses ngatives ou dsordonnes sestompent et finissent par disparatre, car elles ne peuvent supporter la lumire de la prise de conscience provoque par lobservation. La troisime caractristique est la plus importante : cest la transformation de notre attitude lgard des penses. Lobservation des penses doit tre faite chaque jour, diffrentes reprises. Un grand nombre de courtes prises de conscience valent mieux quune ou deux trs prolonges. Il ne sagit pas de vouloir demeurer constamment en tat dobservateur attentif et passif des penses. Il faut accomplir cette observation de multiples reprises quotidiennes et raliser cette observation avec suffisamment de rgularit et dintensit pour quelle imprgne toute notre vie. Insensiblement, se dveloppera, larrire-plan de notre conscience, une zone qui, mme lorsque nous ne chercherons pas observer volontairement les penses, restera en dehors des processus du mental, dans une attitude dimmuabilit et de silence attentif. Smanciper des penses, cest smanciper du monde.
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Comment pouvons-nous perfectionner notre nature brute sans juguler notre spontanit ? La rponse est : nous le pouvons par lveil. tre veill, cest tre conscient. La personnalit se transformera et voluera spontanment, dans la direction de lpanouissement des potentialits originales qui lhabitent, lorsque nous prendrons une conscience, de plus en plus accrue, des mouvements qui la caractrisent. Pour raliser cela, observons la totalit de son comportement, car lobservation amne une matrise profonde qui nest pas conformation un exemple extrieur. Lveil est une prise de conscience et cette prise de conscience nous fait devenir le spectateur de notre personnalit. En assistant lexpression de ses humeurs, de ses tendances, de ses instincts et de ses aspirations, nous engendrerons un processus de transformation vis--vis de ce qui apparat comme lche, avilissant, stupide, goste, laid... Car, moins dune grave perversion morale, personne ne peut se complaire dans le ngatif, alors quil est peru comme ngatif, au moment de sa manifestation. Percevoir quune chose est ngative, cest susciter en soi lenvie de la voir disparatre. Cest engendrer une raction transformatrice. A contrario, dautres tendances de la personnalit nous apparatront belles, nobles, enrichissantes et nous aurons du plaisir les cultiver. Voici pourquoi lobservation et la prise de conscience qui en rsulte engendrent le perfectionnement moral. Les jugements que nous portons sur les manifestationsintrieures, produisant une impassibilit rigide et artificielle. Nous aurons limin la colre, car nous naurons
41 plus envie de nous nerver, ni tendance le faire, la colre ne pouvant cohabiter avec la lucidit attentive qui nous sera devenue habituelle. Une telle transformation est la rsultante dune prise de conscience qui participe lveil. Ce nest quun exemple. Il faut agir ainsi vis--vis de toutes les manifestations de la personnalit. En certains cas, nous constaterons que la simple prise de conscience du ngatif chassera ce dernier, interrompant puis, la longue, empchant son expression. Ceci se ralisant sans effort, indpendamment de la volont agissante. Mais, en dautres cas, le ngatif, bien que peru comme tel, continuera se manifester si nous demeurons simple spectateur et si, ne prenant pas les choses en mains, nous ne faisons pas un effort volontaire pour le repousser. Quune simple prise de conscience suffise draciner le ngatif ou bien quil soit ncessaire de faire un effort pour nous en librer, dpend du degr denracinement que possde le ngatif. Il est parfois long de vaincre ce qui a t prcdemment cultiv avec intensit. Lobservation nous rvlera, en bien des cas, que des tendances, pulsions ou volonts divergentes cherchent sexprimer. Ainsi, nous comprendrons clairement que lhomme, au niveau psychique, nest quun conglomrat plus ou moins cohrent. Cest une terre en laquelle il importe autant darracher les mauvaises herbes que de cultiver les fleurs de la spiritualit. Lorsque notre lucidit observatrice nous fera constater la prsence de deux pulsions contradictoires prtes sexprimer, cette mme prise de conscience nous fera clairement sentir quelle est la pulsion dont la satisfaction est belle et quelle est celle dont la satisfaction est avilissante. La volont devra donc peser du bon ct afin de permettre la pulsion la plus leve de se manifester et empcher la pulsion perue comme ngative de sextrioriser. La prise de conscience de la ngativit de ce qui est matriser est de premire importance. Le bien-fond de l'adhsion intellectuelle aux rgles morales que nous suivons doit tre vrifi par l'exprience ne de l'observation.
42 L'adhsion des rgles morales, consentie par simple conformisme, engendre soit lhypocrisie, soit le refoulement. Par contre, lorsque nos prises de conscience nous permettent de vrifier la valeur de la morale laquelle nous souscrivons, la matrise de soi nest pas vcue comme une brimade, mais comme un panouissement. Sans prises de conscience, la conduite morale est le fruit dune soumission une autorit extrieure. Sans prises de conscience, la personnalit se crispe dans une attitude faite de rigidit, dintransigeance et de repliement. Le respect des interdits constitue une contrainte et cela engendre de multiples refoulements, de multiples desschements. Les prises de conscience, lorsquelles sont ralises avec suffisamment de constance et de profondeur, brlent la racine des attitudes ngatives. Le ngatif est dracin par la mise en lumire des vritables causes qui provoquaient ses manifestations et vous savez, grce votre observation, pourquoi vous mentez, pourquoi vous tes exagrment autoritaire, etc., etc. Lorsquen vous se lve un puissant dsir de libration du ngatif, la matrise nengendre aucune frustration. Telle est la voie du perfectionnement individuel. Observez le ngatif, comprenez les faiblesses psychologiques sur lesquelles il repose, dgotez-vous de lui. Observez les tendances positives, ressentez la joie et la force qui rsultent de leur expression. Il ne sagit pas de samuser de temps autres prendre conscience des agissements de la personnalit. Il faut sy entraner quotidiennement, longuement, rgulirement, avec persvrance et acharnement. Il faut apprendre vivre sous notre propre regard. Ceci est la clef de la lucidit, de la transformation, de la Ralisation, de lveil. Observer, observer pour faire descendre la conscience dans toutes sortes dactions et de ractions. La matrise, lvolution, le perfectionnement dcoulent de lobservation. Leurs processus seront originaux, spontans et naturels, car ils ne rsulteront pas dune
43 crispation volontaire, dun blocage, dune imitation ou dun conditionnement quelconque, mais dune prise de conscience. La conscience sveille, slargit, descend, prend, englobe et transfigure, peu peu, la personnalit qui souvre elle. Telle est lpiphanie du mystre central de linitiation.
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Si nous pouvons observer les sensations, les sentiments et les penses, cela veut dire quils sont extrieurs nous-mmes. Dans lobservation, ils sont, pour nous, lobjet de notre observation. Sils sont objet dobservation, ils ne peuvent tre nous-mmes, tandis que nous, nous ne pouvons qutre le sujet qui observe. La recherche introspective nous fait dcouvrir que nous ne sommes pas les penses, les sentiments, le corps et les sensations quil prouve. Notre nature vritable, cest ce qui se trouve derrire, ce qui est sous-jacent cet ensemble de phnomnes constituant la personnalit humaine. Au-del des sensations, des sentiments et des penses, que reste-t-il ? Il reste le je . Lorsque nous nous sentons exister derrire les sensations, les sentiments et les penses, nous ne sombrons pas dans linconscience. Au contraire, nous sommes en tat de haute vigilance et, en cette vigilance, nous avons conscience dexister. Cette conscience dtre, cest la racine du Je . Cette Conscience dexister est vide de contenu, tout contenu tant une sensation, un sentiment ou une pense. Cette conscience vide de contenu, cette pure conscience est notre vritable nature, notre tre rel, par opposition la personnalit humaine constituant notre tre apparent. Ainsi, la question qui suis-je ? , nous devons rpondre, aprs analyse, nous sommes conscience pure .
45 Il y a donc, dune part, le moi superficiel qui est compos par lensemble des sensations, des sentiments et des penses et, dautre part, le Moi profond qui est pure Conscience. Le moi superficiel cache le Moi profond. Cest pourquoi les gens sidentifient la personnalit humaine. Pour eux, le je , cest le moi superficiel. Toute initiation digne de ce nom consiste dplacer le niveau du je , de manire ce que le je se situe au niveau du Moi profond. Penses, sentiments et sensations sont des perceptions traversant le champ de la Conscience. Ce qui est en mouvement perptuel, ce sont les perceptions. Ce qui est immuable, cest la Conscience. Dans la mesure o nous identifions notre conscience dexister aux perceptions, nous sommes enchans au devenir perptuel et, de ce fait, sujet la souffrance. Limpermanence des perceptions est constante et les catgories de perceptions qui sont considres comme agrables, sont inluctablement appeles tre remplaces, un jour, par dautres perceptions, considres par la personnalit humaine comme dplaisantes. Mais, si nous cessons didentifier notre conscience dexister aux perceptions, pour lidentifier la pure Conscience, vide de contenu, alors, aucune perte, aucun gain, aucune souffrance ne peuvent nous atteindre. Notre moi superficiel continuera gagner, perdre, souffrir et se rjouir, mais, notre Moi profond restera serein et immuable. Ainsi, par la dcouverte du Moi profond, nous nous manciperons des contingences temporelles. Il nest absolument pas question de rechercher, dune manire ou dune autre, annihiler, mortifier, nier ou oublier la personnalit humaine. Il faut prendre conscience de ce qui se trouve derrire. Cette prise de conscience ne prsuppose aucun appel la volont. Il suffit simplement de raliser, par une forme de perception intrieure directe, que toutes les composantes de la personnalit constituent notre moi superficiel, impermanent et relatif, tandis que notre tre vritable se trouve ailleurs.
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Supposons que, par une trange aberration mentale, un cavalier se prenne pour un centaure et quil considre que le cheval quil monte est une partie de lui-mme. Un jour, le cavalier sveille. Dissipant son trange rverie, il saperoit quil nest pas un centaure, mais un homme. Ds lors, il se considrera comme un homme, mais, est-ce une raison pour mpriser o vouloir se dbarrasser du brave cheval toujours aussi utile ? Il en est de mme lorsque vous accdez lveil intrieur. En ce dernier, vous ralisez que vous ntes pas la personnalit humaine, mais la pure Conscience qui lhabite. Ds lors, il faut cesser de vous prendre pour un homme et vous connatre vous-mmes. Mais, ce nest pas une raison pour dtruire lharmonie qui doit exister entre la pure Conscience et la personnalit humaine. Au contraire, cette harmonie devra tre renforce et la personnalit humaine devenir le parfait instrument daction, dans le monde matriel, de la Conscience immatrielle. Pour linstant, il faut commencer par rflchir. Rflchir aux consquences qui rsultent de la pratique de lobservation. Rflchir au fait que cette pratique nous permet de constater notre indpendance vis--vis des composantes de la personnalit. Rflchir, cest--dire tourner et retourner en tous sens, dans notre esprit, ce qui a t dit ce sujet. Cogiter l-dessus, de frquentes reprises, en faire le sujet de notre proccupation quotidienne, jusqu ce que les vrits exprimes sincrustent profondment en nous. Il faut que celles-ci finissent par faire partie intgrante de notre vie et modifient notre faon de voir les choses. Cest seulement ce momentl quelles sont vritablement comprises. Observer quotidiennement le corps, les sentiments et les penses pour, en quelque sorte, vous dcoller deux et apercevoir ce qui se trouve derrire. Ceci tant obtenu, intensifier la prise de conscience de lau-del de la personnalit humaine. Nenfermez pas votre pratique dans lobservation de lhomme. Allez plus loin. Devenez conscients de votre vritable, profonde, impalpable et impersonnelle Identit qui demeure derrire la personnalit humaine.
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Moi, lobservateur, jobserve lhomme, jobserve le corps, les sensations, les sentiments et les penses de lhomme. En faisant cela, apparat en moi le sentiment dtre distinct de ce que jobserve. Ds lors, je sais que je ne suis pas assimilable lhomme. Je cesse de me prendre pour un homme, ainsi que le fait tout profane. Ceci ne doit pas tre une thorie, mais une exprience intrieure, aux rpercussions profondes, le fruit dune pratique dlibre. Ceci obtenu, allons plus avant. Cherchons prendre conscience de la nature de celui qui observe. Lorsque lobservation de lhomme a commenc produire son fruit, il faut, progressivement, la remplacer par une enqute sur lobservateur. Notre but est de dcouvrir ce quest lobservateur, de le dcouvrir au sein dune exprience intrieurement vcue. Grce mon observation, jai dj progress. Je sais que je ne suis ni le corps, ni le mental. Corps et mental sont les simples objets de mon observation. Si je sais vritablement cela, il en rsulte dj de profondes modifications. En mon sentiment d'existence, il ny a plus mon corps, mais le corps. Il ny a plus mes sentiments, mes conceptions, mes espoirs, mes dsirs, mes craintes, mais des sentiments, des conceptions, des espoirs, des dsirs, des craintes. Je cesse de mapproprier, fictivement, ce qui nest quun produit particularis de la nature en ses aspects physiques et psychiques. Pour dfinitivement cesser de sapproprier fictivement le corps et le mental de lhomme, il faut, dune manire constante, faire un effort de redressement par lequel je rsiste la tendance identificatrice du mental, car, en dfinitive, et cest ce que je suis amen constater au cours de mon travail intrieur, formuler des penses telles que mon corps , mes penses , ne correspond pas une constatation de fait. Au contraire !
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Lanalyse attentive des faits mamne clairement constater que ce corps nest pas mien. Il nest pas mien, car je ne lai pas cr et sa cration na aucunement dpendu de moi. Il nest pas mien, car il est rgi par un dterminisme compltement indpendant de mon vouloir, dterminisme le rattachant la nature qui la engendr et auquel il appartient, dterminisme cause duquel il tombe malade et meurt sans me consulter. Le corps mest donc tranger. De mme, la pense nest pas mienne. Les structures du mental sont le produit de lespce et de lpoque. A lintrieur de ces structures, les ides viennent et se succdent, indpendamment de ma volont. Il est vident que cela mest tranger. Le fait que je puis, sur commande, penser quelque chose, lever la main droite ou la gauche nest, en aucun cas, une preuve de proprit. Cest la preuve que je possde une influence limite sur le corps et le mental qui sont, en cet instant mme, perus par moi. De mme, et par rpercussion, lhomme a une certaine facult dinfluence sur les objets qui lentourent. Il peut nettoyer, salir ou abmer cette table. Il peut la dplacer dun endroit un autre, ou la couper en mille morceaux. Possder le pouvoir daccomplir cela nest pas une raison pour quun homme dise : je suis une table . Telle est, cependant, la folie que je commets lorsque je dis je suis un homme . Jai un pouvoir dinfluence sur le corps et le mental de lhomme. Fort de cette constatation, je dis je suis ce corps et ce mental . Cest compltement absurde. Lidentification au corps et au mental nest donc pas, ainsi que se limaginent les profanes, la constatation dun fait. Lidentification au corps et au mental est une simple pense, une simple conception qui ne repose sur rien de rel et qui est dpourvue de tout fondement. Ayant compris ce que je ne suis pas, il faut que je comprenne ce que je suis. Je suis lobservateur. Mais, cet observateur, cest quoi ? Pour le dcouvrir, il faut se poser un ensemble de questions.
49 Mais, il ne faut pas chercher rpondre ces interrogations par une dialectique mentale. Il faut chercher y rpondre par une exprience issue de la sensibilit intrieure. Si nous faisons de cela une thorie spculativement accepte, nous chouerons. Il faut ttonner en lobscurit dune sensibilit, tout dabord imprcise, jusqu ce que les contours de ce qui est ressenti se dessinent nettement, en la lumire du vcu intrieur. Essayons de sentir intrieurement ce quest lobservateur, en tablissant une comparaison entre lui et ce qui est observ. Le monde que jobserve est peupl de bruits multiples. Est-ce que lobservateur qui peroit ces bruits est lui-mme bruyant ou silencieux ? Fermons les yeux et posons-nous intrieurement cette question, en cherchant, non point raisonner, mais sentir intrieurement la rponse. Cherchons constater, en notre dlicate sensibilit introspective, si celui qui, en cet instant mme, observe les sons est lui-mme bruyant ou bien silencieux... Accomplissons cet exercice et ceux qui vont suivre, de multiples reprises, jusqu ce que la nature du spectateur nous soit connue par une exprience et une aperception forte et solide. Ralisons cette pratique de manire amliorer et intensifier la perception interne quelle engendrera. Perception qui, en son dbut, sera peut-tre dune imprcision fantomatique, mais qui deviendra, pour qui sait persvrer, une lumire aveuglante. Par contraste, lorsque nous nous interrogeons, comme il vient dtre dit, il nous apparat clairement que le Spectateur des sons du monde est totalement silencieux. Nous prenons conscience de son silence qui est notre silence. Focalisons toute notre attention sur ce silence. Ce faisant, nous devenons intrieurement parfaitement silencieux. Nous sommes un silence sans rivage.
50 Nous voici donc amens une premire constatation : notre Moi profond qui se trouve au-del du corps et du mental et qui en est le spectateur, est parfaitement silencieux. Comme notre constatation nest pas la consquence dune simple dduction spculative, elle saccompagne dune capacit dexprience correspondante. Il en sera ainsi pour tout ce que nous dcouvrirons par cette mthode. Dsormais, grce lhabilet qui dcoule dune pratique assidue et rgulire, en tous lieux et en toutes circonstances, nous devenons capables dentrer dans notre silence intrieur. Quels que soient les bruits qui frapperont nos oreilles et, sans que cela ne constitue une gne quelconque, nous pourrons connatre la batifique exprience dun inaltrable silence intrieur. Continuons notre enqute sur les caractristiques de notre tre profond et interrogeons-nous nouveau. Le monde que je perois est habit par des formes diverses. Est-ce que moi, lobservateur silencieux qui peroit cette diversit de formes, je possde une forme, ou bien est-ce que je nen possde pas ? Fermons les yeux et interrogeons-nous. Cherchons percevoir intrieurement la forme, ou labsence de forme, de lobservateur. Dvidence, en notre recherche, nous serons amens sentir que lobservateur est dpourvu de forme et de densit. Il est compltement impalpable. Il ne possde aucun contour perceptible. Il est totalement informel. Il noccupe aucune place dans lespace. Il nest limit ou limitable, dtermin ou dterminable par aucune forme spatiale. Ntant pas limitable, il est infini. Voil ce quil faut parvenir sentir. Savourant intrieurement notre absence de limitation dans la forme, immergeons et maintenons toute notre attention sur la perception de cette Ralit. Faisons lexprience de linfinitude informelle qui est une des caractristiques de ce que nous sommes, en tant quobservateur silencieux, une des caractristiques de notre Nature profonde.
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A la perception du silence, sajoute la perception dun vide, sans contour, dpourvu de tout contenu, et la flicit devient plus vaste. Gotez intrieurement la saveur de la constatation de votre vide absolu. largissez, par des dmarches rptes, la jouissance qui rsulte de cette dgustation intrieure. Vous tes quelque chose qui dcouvre, enfin, ce quil est. Ce monde est plein de mouvements et de transformations. Le spectateur bouge-t-il ? Se transforme-t-il ? En mintriorisant, force mest de constater que moi, lobservateur, je suis impassible et immuable, tranger toute transformation. Tel que je suis aujourdhui, je serai jamais. Je demeure immuablement en mon vide et mon silence absolus. Le monde est plein de couleurs. Tel que je suis, en mon immuable passivit spectatrice, est-ce que je possde une couleur quelconque ? Je regarde attentivement les couleurs qui soffrent mon regard puis, conservant les yeux ouverts, je tourne mon attention vers lintrieur, cest--dire vers moimme, pour discerner si, dans le silence impalpable de ma Ralit profonde, il y a des couleurs... Aucune couleur ne peut y tre vue. Je ne suis ni couleur ni tnbres, car le noir est une couleur du monde extrieur. Je constate que Cela, qui est tmoin de tout, est une dimension imperceptible dpourvue de toute espce de coloration. Voici ce qu nouveau, par la pratique et par lveil dune sensibilit suprieure, il me faut dcouvrir en mon exprience.
52 Le Tmoin, ce Tmoin que je suis, est-il soumis au temps ? Est-il insr dans la trame du temps ? Son intemporalit est une consquence de son immuabilit. A ce niveau, il ny a pas, pour moi, de temps, car il ne saurait y avoir coulement dune dure l o il ny a, dune manire absolue, aucune espce de modification. Le temps appartient au spectacle, au spectacle du monde et de l'homme, mais moi, le Spectateur, je suis hors du temps. Ainsi, je ralise mon intemporalit. Par touches rptitives, successives, je fais, dune manire de plus en plus prononce, lexprience de mon ternelle intemporalit. Suis-je sujet la naissance et la mort ? Quest-ce qui nat et quest-ce qui meurt ? Nest-ce pas ce corps qui est n ? Nest-ce pas en lui que la pense sest forme, peu peu ? Nest-ce pas le compos humain qui doit mourir ? Le corps est apparu, le corps disparatra. La pense est apparue, la pense disparatra. Je me sens tre, dune manire trs claire, lobservateur de tout cela. Me sentant tre lobservateur de ce qui est apparu et qui doit disparatre, je comprends, trs distinctement, que je ne suis jamais n et que je nai aucune possibilit de mourir. En mon immuabilit, je nai ni commencement, ni fin, ni naissance, ni dcs. Que reprsente lhomme pour moi ?
53 Cest un spectacle. Cest dailleurs le spectacle quen cet instant mme, je continue contempler. Ce spectacle a eu un commencement, il aura une fin. Moi, je suis le Spectateur. Par laberration de la pense identificatrice, on se prend pour le spectacle. En ralit, nous ne sommes intgrs dans la limite, la dure et les vicissitudes daucun spectacle. Maintenant, nous savons qui nous sommes. Nous savons que nous sommes cet tre silencieux, incorporel, sans forme, impalpable, incolore, lumineux et intemporel qui, derrire le corps et le mental, demeure immuablement. Nous sommes cette Prsence, hors du temps, spectatrice de tout, non enchane au monde, libre et ternelle. Nous sommes cette Prsence qui est vacuit totale, absence de limitation et absence de particularisme. Voici ce que linitiation et lveil veulent dire. tre initi, cest tre introduit dans la comprhension et lexprience de Cela. tre veill, cest demeurer conscient du Soi, du Soi-mme et ne plus se perdre dans lidentification lhomme. Ce que nous sommes vritablement, cela a t appel me en son sens le plus lev. Or, lme suprieure, distincte de lme au sens psychologique, est image, reflet et parcelle de Dieu. Cela a t appel Atman. Or, lAtman est indissociable de Brahman. Celui qui connat son me connat Dieu, car lme, cest la prsence de Dieu en lhomme.
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Celui qui connat son me atteint le fate de lunivers. Pour lui, il nest plus rien connatre. Il possde le Bodhi, lillumination en laquelle les limitations individuelles sanantissent dans lineffabilit et lincommensurabilit transcendante absolue du Divin impersonnel qui a t appel Nirvna. Celui qui connat son me retrouve le royaume quil avait perdu. Cest un enfant prodigue qui rentre chez son Pre cleste. La batitude lui est donne en partage.
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APPROCHE DE LA DESIDENTIFICATION
Il faut empcher notre Je de se projeter vers lextrieur. De sassimiler et de sidentifier faussement ce qui, pour lui, nest quobjet de perception. En ltat dveil, nous percevons les penses, nous percevons les sentiments, nous percevons les sensations corporelles, nous percevons les choses qui nous entourent, rien nest chang dans la nature de ce qui est peru. Simplement, le Je ne sidentifie plus. Ce corps nest pas moi, ces sentiments ne sont pas moi, ces penses ne sont pas moi. Tout cela constitue les enveloppes concentriques de la personnalit humaine, au centre desquelles se trouve ma vritable nature qui est pure Conscience. La diffrence fondamentale qui spare lveil du non-veil rside en ceci : derrire toutes les perceptions internes et externes, je reste conscient du fait dtre pure Conscience qui observe lhomme penser, ressentir ou agir. Je ne suis plus lhomme qui pense, qui ressent ou qui agit, je suis la pure Conscience observatrice. Cette comprhension peut tre spontane et implicite ou bien raisonne et dlibrment formule. Lorsque lveil est devenu pour nous un tat, dtre naturel, formulation mentale ou verbale et raisonnement disparat. La dsidentification est alors une vidence constante et implicite qui imprgne la totalit de notre vcu. Cependant, aussi longtemps que nous ne sommes pas parvenus trouver en lveil notre tat desprit naturel, il nous faut travailler sur le chemin de lveil. Dans ce travail, nous utiliserons dlibrment lobservation de lhomme et le raisonnement dsidentificateur. Lidentification est un schma mental subjectif qui, par la puissance de lhabitude, sest enracin jusqu devenir un automatisme. Il est donc ncessaire dutiliser une
56 contre-suggestion dsidentificatrice chaque fois que nous constatons la prsence dune pense identificatrice. Rptez intrieurement je ne suis pas cette pense, ce sentiment, cette sensation ou cette action. Je suis le Tmoin silencieux et immuable . Ayant formul cela, devenez intrieurement silencieux et cherchez vous percevoir en tant que Tmoin. Utilisez ce genre de suggestion dsidentificatrice, non point pour vous enfermer dans une rptition mcanique et stupide, mais pour, chaque fois que vous les utilisez, vous aider sentir votre Identit spectatrice. Utilisez le raisonnement dsidentificateur jusqu ce que le Silence contemplateur, demeurant larrire-plan du vcu, soit devenu votre tat naturel. Votre identit vritable qui est votre Soi, votre Moi profond, cest le silence ternel de la Conscience infinie. Vivez cela et oubliez les livres. En travaillant systmatiquement nous dsidentifier de la personnalit humaine, nous faisons place nette pour lveil. Lidentification chasse lveil. Moins il y a didentification, plus il y a dveil. Que faut-il faire ? Il faut nous surveiller, de manire nous surprendre en flagrant dlit didentification corporelle, sentimentale ou mentale. Il sagit de nous surprendre en train de penser au corps ou aux sensations quil ressent, comme tant nous-mmes ; de nous surprendre en train de nous confondre avec un corps et, lorsque nous nous surprenons de la sorte, de bien observer le mcanisme mental qui est lauteur de cette identification, pour acqurir une connaissance profonde du mcanisme en question. Ne cherchons pas supprimer brutalement ce mcanisme. Observons-le et, paralllement son observation, prenons conscience de notre vritable nature, faite de Conscience et non de corporalit, de manire dnoncer limposture. Ce mcanisme d'identification est bas sur lignorance, linconscience et l'automatisme. Cest pourquoi il est incapable de supporter une observation lucide et intelligente. Plus nous lobservons, plus nous le connaissons et plus ses manifestations deviennent vellitaires, jusqu finir, un jour, par disparatre. Saisissez bien la nuance : percevoir des sensations est normal et cela nengendre pas lignorance mtaphysique. Ce quil faut, cest surprendre notre esprit en train
57 de sidentifier au corps et aux sensations. La perception doit tre laisse intacte, cest lidentification qui doit tre tranche sans violence. La mme chose doit tre ralise vis--vis des sentiments. Observer les sentiments cest bien, mais, ce qui importe, cest de voir le moment o nous pensons je en prsence dune manifestation sentimentale quelconque. Nous plaquons cette tiquette sur un phnomne intrieur qui na, en vrit, nul besoin de ce genre dcriteau. Laissons le sentiment sexprimer, mais prenons conscience de linutilit, puis du leurre, quil y a de sidentifier aux phnomnes sentimentaux qui slaborent, jaillissent et dcroissent dans cet espace clos que constitue la personnalit humaine. Identique attitude en face des penses. Elles ne doivent pas tre brimes. Les penses sont ncessaires et utiles. Ce quil faut, cest prendre conscience de linstant o nous nous attribuons la paternit de certaines penses, le moment o nous croyons : je pense ceci ou cela, de manire raliser lerreur qui se produit. Au sein du magma psychique slve une pense didentification et cette pense dclare, en dsignant une autre pense ou un groupe de penses, que ces dernires constituent ce que nous sommes. Telle est la tromperie laquelle il faut cesser de succomber. En ralit, ce sont les penses qui pensent. Penses, sensations et sentiments font partie du spectacle que contemple la Conscience. De mme que nous ne sommes pas le spectacle du monde extrieur, nous ne sommes pas le spectacle du monde intrieur. Nous sommes le spectateur. Comprendre cela au sein de la vie quotidienne et le raliser en tant quexprience vcue, cest se dsidentifier. Par la dsidentification, nous ne nous disons plus jai faim , mais un certain processus en moi exprime la faim. Ou, pour tre plus bref en moi, il y a la faim . Nous ne constatons plus ceci me rpugne , mais, en moi, se manifeste une rpulsion pour telle ou telle chose . De mme, il ne sagit plus de croire que nous aimons telle ou telle personne, mais de sentir un phnomne damour se manifester. Il ne sagit plus de se dire intrieurement je pense ceci, je connais cela, je crois cela... , mais, en moi, un processus mental pense, connat, croit telle ou telle chose .
58 La dsidentification ne se ralise pas grce linattention vis--vis du corps et du mental. Cest, au contraire, en ayant une conscience intense du corps et des mouvements du mental que, peu peu, se dveloppe en vous une sensation de distance entre ce que vous TES et ce que vous observez. En vous dsidentifiant, vous ne fuyez pas la ralit incarne, au contraire. Cest en tant attentif elle que vous comprenez quelle ne peut tre vous-mmes. Seul celui qui demeure attentif et lucide peut voir ce qui EST. La dsidentification est un travail intrieur et non extrieur. Il est normal dans le langage de continuer , conventionnellement, employer le pronom je pour dsigner les activits physiques et mentales de lhomme. Vouloir systmatiquement cesser dutiliser ce pronom et parler de nous la troisime personne, donnerait nos propos une allure bien trange pour autrui et risquerait de devenir une simple attitude de faade. Ce quil faut, cest prendre conscience et dissiper le processus mental de lidentification. Il nest pas gnant dutiliser le pronom je dans la mesure o nous savons, au moment o nous lemployons, que le je dsigne la personnalit humaine et non point ce que nous sommes. Sans parler un langage nigmatique et farfelu, il se peut cependant quune certaine modification dans le choix des termes couramment utiliss rsulte de notre travail intrieur de dsidentification. La petite enfance nest rien dautre quune prise de conscience progressive du corps et du monde extrieur, prise de conscience saccompagnant didentification. Par cette identification, lego se forme tandis que, par ailleurs, au sein de la Conscience globale de ltre, la focalisation en un point du temps et de lespace dune conscience individualise est apparue. Ceci peut tre appel linvolution au sein de la phnomnologie existentielle. Cette involution est absolument ncessaire. Sans elle, lindividualisation nest pas acheve. C'est dailleurs le cas de certains dbiles mentaux qui manquent didentification corporelle. Ils sont plus ou moins inconscients de leur propre corps. La phase involutive tant chez eux inacheve, la phase volutive ne peut avoir lieu et toute Ralisation spirituelle leur est inaccessible.
59 Grce lidentification de la petite enfance, vous tes devenu une individualit. Cependant, cette individualit est misrablement enferme sur elle-mme. Lego est une prison. Voici pourquoi, ayant involu, il vous faut voluer. Et, pour ce faire, casser la gangue identificatrice de lego. voluer, ce nest pas revenir au point de dpart qui tait antrieur linvolution. Par linvolution, lindividualisation apparat, mais elle saccompagne ncessairement de la sparation davec la globalit de ltre. Cette sparation nest cependant quun voile, un brouillard mental. En vous dsidentifiant, puis en plongeant dans le Vide et le Silence infinis de ltre, vous levez le voile de lignorance mtaphysique. Ceci est le processus de lvolution et, par lvolution spirituelle, l'individualit, tout en conservant son individualisation, ralise que la focalisation en un point du temps et de l'espace de la Conscience de l'tre ternel, focalisation qui claire l'instant prsent et lui donne existence, constitue sa vritable identit. tant donn que la conscience focalise et la Conscience absolue sont de mme nature et ne connaissent pas de sparation, vivre cela, c'est la grce de la Rdemption par laquelle on participe la globalit du Transcendant. Issus de ltre divin, vous retournerez Lui.
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La pierre angulaire de la Ralisation spirituelle rside en ceci : vivez au niveau de votre vritable nature. Ne vous fourvoyez pas dans ce qui est extrieur vousmmes. Restez conscient de ce que vous tes. Nous sommes lternelle Conscience. Se rappeler cela et le sentir intrieurement, cest tre veill. Cest trs simple. Il suffit den prendre conscience et de maintenir notre prsence ce niveau, cest--dire, son propre niveau originel. Sentir en nous la prsence de la Conscience transcendante et contempler les choses partir de ce point de vue transcendant. Il faut permettre ltat dveil de se manifester au sein de notre vie quotidienne, durant nos activits journalires. Lveil ne doit pas rester un sommet atteint en de rares moments disolement et dintriorisation. Lveil doit descendre dans la vie de tous les jours. Le mental aimerait quune telle chose soit trs difficile et certains se laissent prendre dans le mirage autosuggestif dune difficult illusoire. Malheureusement pour le pauvre petit mental, lveil est trs facile percevoir. Il ne pourrait, dailleurs, en tre autrement, car, tre veill, ce nest pas raliser un difficile exploit, cest simplement tre conscient de ce que nous sommes. Cela ne demande aucun effort. Les efforts sont le lot du mental et il en fait des efforts pour parvenir construire toute une structure mensongre nous cachant notre ralit et faisant de nous des dupes. Simaginer que lveil est difficile, cest continuer tre leurr par le mental. Comprendre quil rsulte dun mouvement intrieur trs simple, cest contourner le mur dress par le mental, pour trouver la limpidit des origines. Ltat dveil nest pas lui-mme une sorte de suggestion. Cest une ralit vivante. Nous ne produisons pas un tat nouveau. Nous dpouillons notre conscience de la multitude des accaparements qui lempchent de percevoir sa propre Ralit. Pour devenir veill, il ne faut rien ajouter. Il faut, au contraire, tout retirer. Il ne sagit pas de se reprsenter mentalement ce que peut tre lveil, puis de se dlecter de la
61 contemplation de cette reprsentation. Il faut percevoir lveil et, pour le dbutant, lveil est une ralit subtile qui parfois se manifeste et parfois se drobe. Le but est de percevoir le monde partir du point de vue de lveil. Ou, pour sexprimer plus justement, de vivre veill en ce monde. Lveil est un tat de conscience qui se manifeste sans effort volontaire, par une silencieuse dchirure du mental. Pour lui permettre de jaillir, il suffit, quelle que soit lactivit que nous accomplissons, de sentir que nous sommes la silencieuse Conscience qui reste passivement spectatrice. Lactivit continue se drouler, le temps continue couler, le mental travaille et met des penses, la bouche peut parler ou le corps se mouvoir, mais, larrire-plan la Conscience intemporelle est perceptible. La perception de sa prsence donne une dimension radicalement diffrente tout ce qui est peru. Son incommensurable silence ensevelit toutes les possibilits dagitation intrieure. La paix, la plus profonde qui soit, nous est donne. tre veill, cest rvolutionner notre regard. Car, en l'veil, se manifeste une indescriptible et trs subtile diffrence dans notre perception des choses. Nous ne dsirons plus rien, cet tat contenant une plnitude totale. Nous savons quil ny a plus rien obtenir. Le dbut et la fin de lunivers trouvent leur justification au-del des mots et des penses. Tout est boulevers sans violence. Les anciennes valeurs nont plus cours. Les anciens espoirs sont dissous. Les vieilles angoisses sont mortes. Lveil, en sa simplicit, engendre une transformation totale. Cest labandon des rivages familiers, louverture un espace nouveau et illimit. tre veill est dune simplicit extraordinaire. Cela se fait linstant mme o, nous souvenant de lveil, nous abandonnons notre ancien tat desprit. Il ny a rien croire, rien pratiquer. Regardez calmement ce qui vous entoure. Soyez tout entier dans votre regard. Plongez en lui. Sentez que vous tes la Conscience qui peroit, la Conscience qui peroit ce qui vous entoure et qui peroit lhomme vivre. Sentez cela rellement. Voyez, de par ce fait, stablir une certaine distance entre vous et les choses. Vous ntes plus insr dans le monde. Vous tes la Conscience spectatrice, ternellement libre. Vous sentez votre conscience personnelle slargir aux dimensions de lInfini et fusionner avec Lui. Vous demeurez en Lui, dune manire intgrale, pas de rves, pas de pass ou davenir.
62 Seule, la totalit du prsent subsiste et ce prsent est ternel, sans dimensions, sans limites. Toutes les espces de projections mentales sont trs loin devant, oublies dans un pass dignorance qui ne fut quun rve illusoire. Limmense libert et la joie sont une Ralit vivante. Cest lveil.
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APPROCHE DE LILLUMINATION
Pour parvenir la ralisation de lveil spirituel, tout un cheminement est gnralement ncessaire. Cependant, lapparition de cet tat est brusque et soudaine. Cest une illumination intrieure, une silencieuse dchirure du mental. Ltat dveil est peru comme lumineux, par rapport laspect du mental de lhomme ordinaire qui est obscur et tnbreux. Lorsquil apparat, dabord quelques instants, puis par vagues successives dune dure croissante, avant de sinstaller dune manire dfinitive, nous avons limpression de nous rveiller, de sortir de limmense cauchemar dune vie terne, grise, angoissante, mesquine, pleine de dsirs avorts, dinsatisfactions et desprances sans cesse dues. Cest par une clarification intrieure graduelle que nous comprenons que lapaisement des problmes qui nous tourmentent rside en nous-mmes. Peu peu, notre esprit se dtache des illusions, des crispations et des positions fausses qui sont les vritables responsables de nos souffrances et de nos insatisfactions psychologiques. Nos erreurs, leurs causes et leurs origines nous apparaissent et nous nous en librons. Tant que la ralisation spirituelle na pas dessill nos yeux et transfigur le regard que nous posons sur lexistence, notre perception du monde est fausse, incomplte et errone. La Vrit et la Ralit nous sont inconnues. Nous vivons comme des aveugles et nous restons dans lobscurit. Il faut librer lesprit de ses entraves pour le faire accder la perception du Rel. Ceci sobtient en brisant les liens qui nous attachent aux mirages engendrs par la projection de nos conceptions sur notre perception du monde. Car, pour percevoir la Ralit, il faut tre parfaitement vide et parfaitement rceptif. Faute de quoi, nous napprhendons pas la Ralit, mais le simple reflet de nos chimres intrieures. Par lillumination de lveil, nous mergeons dans la perception de la vritable Ralit et nous nous apercevons quavant son apparition nous regardions le monde sans voir la Ralit ultime et immdiate de ce dernier. La multitude de nos penses, de nos proccupations, de nos dsirs, de nos projets, de nos craintes, nous en
64 empchait. Lorsquil survient, tout se tait. Un grand silence se fait en nous et nous percevons le monde en sa vrit originelle et ineffable. Cette perception nous comble de joie et de contentement. En elle, nous vivons la plnitude parfaite de chaque instant. Cest donc vers une insensible transformation de notre faon de voir, de vivre et de sentir que nous achemine linitiation lveil. Il ne sagit pas dune transformation artificielle qui nous serait trangre. Le processus consiste retrouver, par un dpouillement intrieur progressif, la faon de percevoir, de comprendre et dexister, qui est originelle notre vritable nature. Par lveil spirituel, nous parvenons nous retrouver nous-mmes, dcouvrir, sous les artifices o il tait enterr, notre Moi profond, en sa dimension mtaphysique, sa libert bienheureuse intemporelle et inaltrable. Cette ralisation ne nous incite pas nous vader dans la Transcendance pour fuir la vie humaine. Au contraire, elle restitue lexistence sa haute valeur. La spontanit premire est retrouve et la vie devient une bndiction quotidienne, une source constante de joie et dallgresse. Cela ne veut pas dire que lhomme veill ne connatra plus jamais la souffrance, le chagrin, lchec et les vicissitudes inhrentes la condition humaine. Cela signifie quil restera toujours en union avec linaltrabilit de sa nature profonde et que, ds lors, quelles que soient les preuves quil pourra subir, au fond de lui-mme, il restera paisible et libre. Par del les preuves et au travers de ces dernires, qui acquerront la transparence dune signification spirituelle, il demeurera en une ineffable communion avec lUnivers. Ltat dveil nest pas un postulat thorique. Cest un fait dexprience. Cet tat na rien dextraordinaire. Cest un panouissement intrieur tranquille qui est la porte de tous. Cest en lui seul que nous pourrons parvenir un plein et parfait accomplissement de notre existence individuelle.
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Il apparat prfrable de commencer sinitier lobservation dune manire fragmentaire, en procdant par tapes successives et en respectant lordre de la progression dans la difficult. Ce qui signifie quil faut commencer par lobservation du corps puis ajouter notre pratique lobservation des sentiments et, par la suite, celle des penses. Lobservation, quelque peu analytique, soit du corps, soit des sentiments, ou encore des penses, constitue une tape importante dont le but est daboutir au sentiment de notre indpendance, vis--vis de ce que nous considrions, antrieurement comme nous-mmes puisque nous faisions lerreur de nous identifier la personnalit humaine. Mais, lorsque cette sensation dindpendance a commenc tre obtenue, tout en continuant laffermir, il nous faut largir le champ de notre prise de conscience. Pour ce faire, les trois catgories dobservations indiques doivent se fondre en une observation globale et, cette observation globale, doit sajouter lobservation des choses et des vnements dont la perception meuble chaque circonstance. Il sagit dtre pleinement attentifs et conscients de ce qui se manifeste, dinstant en instant. Or, ce qui se manifeste dans linstant, appartiens aussi bien lunivers intrieur quau monde extrieur. Cette division de la ralit entre intriorit et extriorit nest donc daucune utilit pour une observation qui se veut intgrale. En cette observation intgrale, tous les phnomnes intrieurs et extrieurs doivent tre englobs dans une prise de conscience unique. Cette prise de conscience sera celle de linstant prsent. Ayant compris que je ne suis pas lhomme, je sais que je suis le spectateur de la phnomnologie temporelle. Ds lors, le conglomrat des penses, sentiments, sensations, composant la personnalit humaine, nest quune catgorie de phnomnes particuliers perus par ma Conscience. Si lhomme nest quune catgorie de phnomnes particuliers perus par ma Conscience, ce qui mapparat comme une vidence lorsque je me suis dsidentifi, il ny a aucune raison et aucun intrt ce que mon attention reste braque sur cette catgorie de phnomnes
66 particuliers qui compose la personnalit humaine. En bref, la perception dun cendrier est aussi intressante que la perception dune pense. Tous deux font, au mme titre, partie du spectacle existentiel peru par ma Conscience. Attacher une importance particulire la personnalit humaine, cest ne pas tre vritablement dsidentifi delle. Ne pas attacher une importance particulire la personnalit humaine, cest considrer tous les phnomnes perus comme ayant un intrt quivalent. Si tous les phnomnes ont un intrt quivalent, ma prise de conscience observatrice doit se faire indiffremment vis--vis de toutes les catgories de perceptions, que ces dernires soient intrieures ou extrieures la personnalit humaine. Personnalit humaine qui est elle-mme extrieure moi-mme, ce que je suis en ma Ralit contemplative et intemporelle. Observer les penses, les sentiments et les sensations, sans englober les perceptions du monde extrieur dans ma lucidit observatrice, cest procder dune manire arbitrairement slective. Une telle attitude manifeste une volont de repli sur la personnalit humaine. Ce genre de repli est un rflexe de dfense et de fuite, laissant sous-tendre une inadaptation face au monde. Tout ceci apparat comme parfaitement incompatible avec lveil qui doit se caractriser par la prise de conscience de ce qui EST, tous les niveaux. Il faut donc nous loigner des spiritualits introverties qui ont manifestement pour dmarche disoler la personnalit de la ralit du monde extrieur et de lenfermer en elle-mme. Pareillement, nous devons nous dtourner des spiritualits extraverties qui, ngligeant le monde intrieur, sont destines devenir des espces de doctrines sociales plutt que des ouvertures vers la Transcendance. Par lobservation globale, en laquelle nous prenons conscience de ce qui se manifeste dinstant en instant dans la personnalit humaine et dans le monde qui lentoure, un quilibre est obtenu. Jobserve tout ce qui frappe ma Conscience. Parfois, il y aura spontanment prdominance des perceptions intrieures et, dautres moments, il y aura spontanment prdominance des perceptions extrieures.
67 Si ma prise de conscience observatrice est, avec prdilection systmatique, oriente sur la personnalit humaine, au lieu dtre dirige sur linstant prsent, la perception du monde extrieur seffectue avec une intensit secondaire, lessentiel de mon attention tant investi dans lobservation des phnomnes intrieurs. Lintroversion qui en rsulte provoque le renforcement de la personnalit par rapport au monde extrieur. Contrairement, lobservation globale engendre la dilution de la personnalit dans la totalit du peru, les penses, sentiments et sensations apparaissant comme un simple fragment de lensemble des phnomnes qui peuplent linstant. Dans notre apprhension du vcu, la personnalit humaine passe alors au second plan, ce qui engendre de profondes rpercussions au niveau psychologique. Plus je suis attentif aux contenus de linstant prsent, plus les contenus de ma personnalit se rvlent navoir quun intrt anecdotique. Jattache une grande importance aux penses, aux sentiments et aux sensations lorsque je suis dans lattitude intrieure dun homme pench sur lui-mme. Mais, si je suis attentif la totalit de ce qui existe en limmdiat, dans la ferie de linstant, penses, sentiments et sensations mapparaissent comme de bien petites choses. Lobservation globale de linstant me rvle que lgotisme et lgosme sont les consquences dun rtrcissement du champ de lattention. Il faut se concentrer sur la personnalit humaine pour lui attribuer de limportance. Cest donc un oubli et une inconscience partielle, vis--vis de lensemble du contexte existentiel qui engendre lintroversion et gocentrisme. Plus je suis concentr sur le moi humain, plus je suis sourd vis--vis dautrui, sourd vis--vis de la beaut des choses, sourd vis--vis de la plnitude de linstant. tre pleinement attentif linstant qui passe, cest indiciblement sentir en chaque instant la prsence de linfini. Les phnomnes de lexistence se profilent devant la toile de fond de linfini et sont imprgns de sa saveur. LInfini est peru paralllement la totalit des phnomnes, car il transparat derrire tout ce qui existe. Soyez attentifs, pleinement attentifs et conscients de tout ce que vos sens ressentent. Voyez, entendez, pensez, percevez ce qui vous entoure, en participant consciemment cette perception. Ayez conscience de percevoir consciemment.
68 Cependant, ne cherchez pas tout percevoir avec la mme intensit, ce qui est une impossibilit. Vouloir saisir et rassembler, avec avidit, le plus grand nombre de perceptions possible est une dmarche incompatible avec la grande paix de lveil. Laissez librement votre attention se concentrer sur ceci ou cela et oubliez le reste. Laissez-la aller dune sujet un autre sujet de perception. Ce qui compte, ce nest pas la direction de votre attention, mais sa qualit. En toute chose, accompagnez votre attention, soyez totalement en elle. Faites ainsi lexprience dune vie pleine et intense. Lorsque vous tes pleinement attentif, la plus ordinaire mdiocrit est belle percevoir. Cest lmerveillement de linstant. Vous tes intrieurement lger et lumineux. Les penses inutiles se sont tues. Vous tes l o vous tes, mais vous y tes intgralement. Vous ntes pas perdu dans des songeries, des soucis ou des strotypes mentaux. Vous vivez intensment linstant qui passe. Votre perception apprhende les choses habituelles, mais votre participation consciente cette perception engendre un tat de conscience radicalement diffrent. Les penses, sensations et sentiments qui peuvent surgir, sintgrent naturellement la totalit de ce que vous percevez. Votre perception est agrandie lintrieur delle-mme. Il y a rvlation de la batitude du vcu.
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APPROCHE DU DTACHEMENT
Lveil est ltat en lequel, dpouills de tout attachement, compltement libre, nous restons bienheureusement conscients de la Ralit spirituelle. Le dtachement se produit lorsque, avec une grande douceur et tranquillit, sans aucune crispation, nous ralisons profondment, avec toutes les consquences que cela implique, que tout ce qui, en nous, aspire lattachement est extrieur notre vritable nature, puisque notre identification une personnalit est une identification errone. Ressentir intrieurement cela, cest trouver le dtachement. Lorsque cesse lidentification, tous les attachements des personnes, des objets, des lieux, des ides, des sensations, des sentiments, toutes les espces dattachements se dissipent, comme la brume sous laction du soleil. Pour parvenir au dtachement, au vrai et naturel dtachement, aucune mortification de la personnalit nest ncessaire, aucun effort asctique, aucun procd de refoulement, aucune action contre nature nest requise. Le dtachement est le produit spontan dune prise de conscience, dun approfondissement et dune extension de la conscience. Lorsque lveil se produit, nous ralisons que le dtachement est une caractristique de notre vritable nature. Lattachement nous apparat alors comme une monstruosit anormale, engendre par lignorance mtaphysique fondamentale dont les hommes sont la proie. Parvenir au dtachement nest pas cultiver une facult nouvelle. Cest mettre fin ltat maladif qui tait le ntre. Cest retrouver notre manire dtre originelle et naturelle. Lattachement est le fruit dune identification ignorante et pernicieuse la personnalit humaine ; par une discipline artificielle, cette personnalit peut imiter le dtachement vritable. Ainsi naissent les procds de lasctisme qui, loin de mettre fin la douleur, crent de nouvelles souffrances.
70 Parfois, aprs dpres luttes internes, lobjectif de lasctisme est atteint. Une espce de carapace faite de rigueur et dinsensibilit rend la personnalit indiffrente aux attraits du monde. Mais, quest-ce qui est ainsi obtenu ? Une simple modification au sein des composantes de la personnalit. Cette dernire, par la force de sa volont, est parvenue acqurir certaines caractristiques particulires. Cest tout et cest bien peu. Ce dtachement artificiel est n dune imitation et il reste une simple contrefaon sans valeur. Une telle aberration a t institue de la manire suivante : en prsence dtre veills, ceux qui les entouraient et qui taient habits par une proccupation spirituelle ont voulu copier leur attitude, esprant ainsi parvenir aux sommets spirituels que ces veills avaient atteints. Les disciples ont imit le dtachement quils avaient observ chez leur Matre. Aprs la mort du Matre, ils ont continu enseigner ce faux dtachement et ont form des disciples qui lont enseign leur tour. Mais, leur dtachement, au lieu dtre le fruit dune prise de conscience et dun panouissement intrieur, na t que la conformation un ensemble dattitudes. Ces attitudes ntaient pas la rsultante naturelle dun dpassement de lego. Elles taient une contrainte douloureuse, impose par la personnalit la personnalit. Leur fidlit les avait fait tomber dans un pige. Car, faire des actes semblables ceux accomplis par un veill ne conduit pas lveil. Lveil nest pas le fruit dune attitude extrieure, mais le produit dune maturation intrieure. Cette bvue a t commise de nombreuses reprises dans lhistoire des diffrentes religions. Qui la connat cherchera le dtachement sans tomber dans lasctisme. Pour sattacher, il faut tre pralablement identifi ce qui, en nous, conoit de lattachement. La Conscience observe, elle est le Tmoin silencieux qui voit toutes les manifestations, mais Elle ne sattache rien. Elle se situe bien plus loin que lhomme qui sattache, qui gagne et perd quelque chose. La pure Conscience ne contient rien et, de ce fait, elle ne peut rien perdre ou gagner. Elle est tre pur. Si nous vivons au niveau de lhomme, il est normal de sattacher, car lhomme est plein de dsirs. Mais, si nous vivons au niveau de la Conscience intemporelle, aucun attachement nest possible. La Conscience intemporelle contemple avec un regard gal les pertes et les gains de lhomme. Ces dernires ne sont, pour elle, ni des gains ni des pertes. Ce ne sont que des spectacles diffrents qui se droulent devant son immuabilit.
71 Lorsque, mettant fin la chute originelle, nous vivons au niveau qui est le ntre, cest--dire au niveau de cette Conscience intemporelle, lhomme nest plus, pour nous, quun spectacle. On ne sattache pas un spectacle, on apprcie certaines choses, on en dsapprouve d'autres, mais on ne sy attache pas. Le dtachement, lorsquil est spontan et naturel, est un signe dveil. Connatre les signes est une aide. Confrontez tous vos attachements au feu de lveil. Lorsque vous sentez vibrer en vous un attachement, considrez les choses partir du point de vue de lveil. Par ailleurs, passez en revue vos divers attachements et, aprs vous les tre intrieurement reprsents, regardez-les avec loeil de lveil. Vous navez pas deffort faire pour tre dtach puisque le dtachement vritable est un produit de lveil et que tout dtachement volontaire est erron. Les efforts que vous devez faire sont ceux qui sont requis pour sortir du sommeil existentiel et il y a sommeil ds quil y a inconscience spirituelle. Les attachements sont un des soporifiques les plus puissants. Toute espce dattachement vous plonge dans les apparences phnomnales et vous fait oublier la ralit qui se trouve derrire. Il faut donc se rappeler lveil et dissoudre nos attachements en lveil. Lorsque lon a ressenti lveil ne serait-ce quune fois et avec faible intensit, le travail consiste, ds lors, reproduire frquemment lveil et la sensation intrieure qui laccompagne. Partout o lveil se manifestera, lattachement disparatra tandis quune libert euphorique et merveilleuse sera ntre. Il ne faut pas tre parfois veill et parfois retomber dans le sommeil existentiel et les attachements. Il faut, systmatiquement, introduire lveil l o les attachements ont lhabitude de se manifester. Pour permettre lveil de se produire, nous devons nous dcoller des phnomnes de lindividualit en les observant, en les percevant comme trangers nousmmes. Lobservation intgrale aboutit la prise de conscience de notre Nature intemporelle. Cette prise de conscience, cest lveil et le dtachement laccompagne.
72 Trouver le dtachement, cest tre libre. Plus rien ne nous enchane. Lindpendance absolue de notre intriorit transcendante vis--vis du monde et de lhomme est alors une ralit vivante. Voir et contempler les passions, les dsirs et les craintes avec loeil de la Conscience intrieure, les voir, les contempler et les sentir comme indpendants de nous, comme autres que nous-mmes, cest sacheminer vers le dtachement, sans effort, sans lutte, par la douceur et au sein d'une haute plnitude. Regarder les amours, les haines, les ambitions et les avidits, comme de simples objets un peu drisoires. Sentir que leur satisfaction est importante pour eux-mmes, mais non pour nous. Se percevoir totalement dissoci des agitations, des calculs, des espoirs et des angoisses qui les hantent. Constater quils nont que de lointains rapports avec nous et que nous navons absolument pas besoin de leur cacophonie. Sapercevoir que notre lucidit dessche leurs passions et dtruit leurs manifestations, tandis quun calme profond sinstalle. Percevoir les liens qui nous attachaient au monde se couper et, par cette libration pressentir que nous devenons disponibles pour limmensit des espaces intemporels. Voici en quoi consiste le processus du dtachement.
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APPROCHE DU RIRE
Le rire, gai, large et spontan, est une manifestation de la joie de vivre. En lui, elle clate bruyamment. Qui ne rit pas, peu ou trop discrtement, a quelque chose de bloqu en lui. Les forces de la vie narrivent pas une condensation telle que leur clatement par le rire est invitable. Il manque la plnitude violente de celui que traversent librement les nergies de la nature. Nous dnonons lducation et la coutume, soi-disant biensante, qui proscrit le rire et apprend aux individus faire de leurs visages de tristes masques. Nous invitons retrouver le chemin du rire pour avoir des existences retentissantes. Le rire provient dun tat desprit et dtermine un tat desprit. Ne le sous-estimez pas ! Il y a une vaste diffrence entre celui qui rit et celui qui ne rit pas. Il est une morne sagesse qui bannit la joie et le rire. En elle, on croit plus ou moins implicitement que la monte vers lEsprit doit saccompagner dun amoindrissement, dun isolement ou dune censure des forces de la nature. Rappelons que lEsprit qui nest autre que ltre, et la Nature qui nest autre que la pense de ltre sont les deux faces insparables de la mme Ralit. La prsence de ltre engendre la pense de ltre et la pense de ltre recherche ltre. Tous deux constituent un couple complmentaire. Slever vers lEsprit en mprisant ou sloignant de la Nature nous parat une dmarche fondamentalement incomplte. Lidal que nous proposons est celui dun homme, la fois, solidement enracin dans le flux de la Nature et ouvert aux immensits sans fin de lEsprit. Notre sagesse nest pas une sagesse immobile, dsincarne et morose. Cest une sagesse transcendante qui, au niveau humain, saccompagne de joie et deuphorie. Le rire, bien que simple signe extrieur, tmoigne et fait partie des manifestations qui annoncent la joie de vivre et lamour de la vie. Peut-on vritablement aimer la vie sans rire ?
74 On peut, certes, aimer la vie dune manire efface ou contrle, mais il manque alors la plnitude exubrante qui est le propre de celui qui souvre et sabandonne librement aux forces de la mre Nature. Par le rire, nous pouvons dpasser toutes espces de situations existentielles et briser les coquilles dans lesquelles elles voulaient nous emprisonner. Une partie de moi-mme souffre ou jouit. Or, voici qu'en riant, je rvle quun autre tage de moi-mme se trouve au-del de la situation. En riant, je mmancipe, je rvle moi-mme que drames et bonheurs ne sont que des jeux. En riant, je tmoigne que, si ma personnalit temporelle est engage dans la trame du monde, mon Moi suprieur reste au-dessus de la mle. Cest lui qui commande mon rire. Cest pour lui que tout ce qui existe nest que jeux et plaisanteries. Aimer la vie, cest aimer le jeu gratuit et inutile de lexistence. Ainsi, amour de la vie et dtachement deviennent complmentaires. Le rire est lexpression dune haute puissance. En sa saccade, il est la manifestation dune force psychique qui, la manire dun clair, perce toutes les structures du mental. Par le rire, tout est dpass. En lui, tout scroule. Rien ne rsiste au rire, car le rire est capable, en tant quexprience intrieure, de dmontrer quen dfinitive, il nest rien qui soit srieux. Que rien ne soit srieux, cest bien la constatation la plus destructive. Cette destruction qui au niveau conceptuel annihile tout peut constituer pour celui qui sait utiliser le rire, une libration des liens temporels et une lvation de lesprit au niveau de sa propre Essence. Lorsque mon rire englobe tout lunivers, lorsque je ris de lunivers en voyant quil nest quune vaste plaisanterie colore, tout scroule. Plus rien na dimportance. Comme plus rien na dimportance, je ne suis plus attach rien et, de ce fait, je suis libre. Tout scroule et je reste seul, seul et merveilleusement libre. Je ne suis plus celui qui vit au sein de lunivers, je suis celui qui contemple lunivers et qui rit. Ainsi sexprime lexprience transcendante du rire. Bien que le rire soit un jaillissement spontan et que le rire volontaire ne produise quune triste btise, il est possible de souvrir et de se disposer au rire. En ce faisant, japprends dpasser en brisant, jexprimente les tremblements de terre mentaux. Rien ne tient devant le rire. Aucune idologie, aucune croyance, aucune philosophie, aucun sentiment, aucun attachement, aucune peine, aucun espoir... tel
75 des chteaux de cartes, toutes ces constructions humaines scroulent lintrieur du mental, dans un charivari grotesque. La vie nest plus quune comdie bigarre et tout nest plus que jeux drisoires lorsque je ris. Nous devons devenir capables de rire de tout. Il nest rien dimportant, rien de grave, rien de dramatique, pour moi-mme ou pour les autres. Chaque fois que, devenant plus fort, je deviens capable de rire de nouvelles choses dont, jusqualors, je nosais pas rire, chaque fois que je deviens capable de rire dune vrit, dune valeur ou dune horreur, je fais uvre diconoclaste et janantis les idoles du mental. Il nest rien de sacr qui, tout en continuant tre respect et utilis son niveau, ne puisse, paralllement, tre dpass par la destruction du rire. Tant que vous prservez quelque chose du rire, vous tes li a cette chose. Dcouvre donc en vous celui qui peut rire de tout. Car en vrit, tout ce qui est formel, tout ce que lhomme saisit par le corps ou la pense, prte rire. Soyez linformel, pour qui le monde des hommes et le monde des ides nest quune plaisanterie. Nombre de spiritualistes incomplet, sont inconsciemment enracins dans le monde des penses et attachs lui. Rire de leurs chres conceptions spirituelles leur parat sacrilge ! Soyez pour vous-mme un joyeux barbare qui brise les difices de la pense. Les penses de lhomme sont de vastes blagues. Combien enfantins sont leurs ttonnements et leurs approximations, par lesquels, toute prtention dresse, elles veulent risiblement donner une image de linformulable Ralit !Tout ce que lon peut dire dans le domaine spirituel, comme dans tous les domaines, est une bvue. Votre rire intrieur fera place nette pour le silence. Comprenez que lerreur est intrinsquement lie la pense et laissez le rugissement du rire dtruire, en vous, les superstructures du mental. Que la vie dnude, en son rire, aille la rencontre de lEsprit nu, en son abme. En riant, je me trouve implicitement beaucoup plus haut que tout ce dont je ris. Mon rire, lorsquil retentit, apparat aux hommes englus dans la temporalit, comme quelque chose de cruel. Mais, en ralit, cest une force pure et dure qui coupe les liens et libre de la souffrance. Sa cruaut nest quapparente et cette
76 apparence se situe au niveau humain. Or, le rire nous arrache de ce niveau avec violence pour nous projeter au-dessus. A ce niveau suprieur, le rire nest que chaleur, force et joie. Apprendre rire, cest, en tant quhomme, apprendre devenir invincible. Par le rire, tout chec est surmont. Tant que nous pouvons rire, nous sommes le plus fort. Quels que soient les vnements, notre rire montre que ceux-ci ne nous ont pas abattus et que nous avons t capables de les surmonter. Lhumour, lui, est un rire du regard ou de la pense. Un rire discret, subtil et silencieux. En lui, nous percevons le ct cocasse de la situation et nous nous moquons doucement delle. Apprendre lhumour, cest parcourir le sentier du rire. Car le rire transcendant est une perception humoristique condense qui jaillit en lespace dune seconde, fracassant tout. Comment peut-on apprendre lhumour ? En apprenant regarder attentivement. Observez ce qui vous entoure et percevez le caractre lgrement burlesque des dmarches et des attitudes humaines. Voyez les gens vivre avec un oeil martien et moqueur. Une telle perception vous empchera de prendre les hommes et la vie au srieux. Mais, noubliez pas de vous observer galement avec lironie critique requise, de manire vous librer de la possibilit de vous prendre vous-mme au srieux... Sachez rire avec hauteur et largesse de tout ce que vous faites et de tout ce que vous pensez. Qui ne rit pas de lui-mme ne sest pas dpass. Plus vous vous dpassez, plus l'homme vous parat drisoire, plus vous savez intrieurement que vous ntes pas celui qui parle, pense et agit. Par le rire, vous coupez. Qui coupe se dtache des liens. Contemplez avec un regard caustique les hommes, leurs espoirs, leurs amours, leurs ambitions, leurs travaux, leurs violences et leurs douceurs... Qui ne rit pas de lhumanit et de lunivers ne les a pas dpasss. Aimer lhomme et lhumanit sans les prendre au srieux, cest aimer gratuitement et sans attachement. Par simple plaisir de participation au jeu.
77 Apprenez percevoir lironie sous-jacente toutes les situations. Le ct comique qui se tient l, plus ou moins dissimul derrire la gravit, la tragdie, la beaut ou lhorreur de faade. Lorsque lironie aura pris lhabitude de plisser vos yeux, le rire jaillira avec lexplosion des nergies. Lorsque lnergie se sublime, le rire nest plus physique. Apparat alors le rire silencieux de lEsprit, quintessence de tous les humours. Il rvle quau-del du temps et de lespace, un rire silencieux traverse les abmes. Lunivers nest ni grave, ni srieux. Cest un clatement. Aux pitreries du cosmos, le rire silencieux de lEsprit fait cho.
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APPROCHE DE LIMPERMANENCE
Les forces de vie et celles de mort sont troitement entremles. Les puissances de destruction accomplissent leur oeuvre pour permettre la naissance de nouvelles formes de vie. Si la mort naccomplissait pas son travail incessant, depuis longtemps la vie serait fige en des structures sclroses. Cest grce la mort que la vie est vivante, quelle est perptuellement neuve, frache et merveilleuse. Vie et mort sont insparables. Elles font partie du mme rythme ternel. Certains hommes, non initis aux mystres de lunivers, nacceptent pas ce quils appellent le scandale de la mort. Il nont pas compris la monstruosit que serait une vie se prolongeant indfiniment. Ils nont pas suffisamment observ la ralit pour sapercevoir quune existence qui naboutirait pas la dissolution de la mort serait une vie qui, au fil du temps, deviendrait de plus en plus troitement prisonnire de ses propres formes, une vie sans espoir, incapable de se renouveler, incapable dvoluer vers linfini. Car il faut dissoudre par la mort les formes de manifestations devenues anciennes, pour que de nouvelles formes, plus grandes et plus vastes, puissent voir le jour. Limmortalit, au niveau des manifestations phnomnales, serait le blocage de la pousse vitale de lexistence. Quelle triste dchance serait limmortalit dune personnalit ! Tout ce qui est personnalis est limit et doit tre soumis au cycle de croissance et de dprissement. Si cela ntait pas, luniversel qui, lui, est immortel, au lieu de sactualiser par une pousse volutive utilisant une multitude de manifestations spcifiques et temporaires, se manifesterait dune manire statique et, de ce fait, se trouverait emprisonn dans de petites, drisoires, mesquines et dfinitives manifestations particulires. Ainsi, sans la mort, luniversel do procde lindividuel se trouverait limit par le particulier. Par elle, il brise sans cesse les coquilles quil a scrtes. Et, dans un renouvellement perptuel, il va sans cesse au-del du prcdent. Cest pourquoi la mort, celle des autres et la ntre ne sont pas tristes. Mourir, cest toujours abandonner un vtement devenu trop troit pour aller vers une autre vie, nouvelle et plus vaste.
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Il faut aimer les formes de vie, en leur impermanence elle-mme. La lucidit consiste ne jamais oublier cette impermanence et faire reposer sur elle lexpression de nos affections. Les hommes qui nont rien compris ont peur de la mort et de limpermanence. Ils cherchent loublier, vivre en dpit delle. Ils aiment, comme si la mort et la sparation nexistaient pas. Et, lorsque la loi de limpermanence produit ses fruits, prenant ou dtruisant ce quils aimaient, ils sont assomms, dchirs par la stupfaction et la douleur. Si nous voulons connatre la paix intrieure, il faut que notre amour de la mort soit aussi grand que celui de la vie. Mort et vie sont les deux faces de la mme ralit. tre veill, cest apprhender la ralit. La ralit vraie est vaste, immense, mais elle est dpouille de sensiblerie stupide. Certains simagineront que lveiller est insensible et que son coeur est de glace. Ils sont incapables de comprendre que sa sensibilit et son amour englobent la vie et la mort, au lieu de sattacher dsesprment lune, pour fuir dsesprment lautre. Force nous est de constater que lesprit de la majorit des gens nest pas adapt la vie relle. Ils napprhendent pas la vie, mais une reprsentation conceptuelle errone. Cette fausse reprsentation est le fruit de leurs dsirs insenss. Comme il nest pas possible, pour lhomme, de modifier les lois fondamentales de lexistence humaine, il faut qu'il modifie ses conceptions, de manire sadapter aux conditions de lexistence individuelle et limpermanence qui les caractrisent. Dans la gnralit des cas, nous investissons notre sensibilit dans des chimres. Nous agissons et nous aimons comme si les gens taient immortels, comme si les sentiments ne se transformaient et ne se modifiaient pas, comme si la dsunion ntait pas toujours susceptible de succder lunion, comme si toute chose ntait pas soumise limpermanence et aux changements perptuels. Ce nest pas absurde daimer une personne en particulier, mais cest un non-sens de sattacher la manifestation corporelle dune individualit, puisque cette dernire est appele disparatre. Cest trs beau de constater quune union conjugale vritable et profonde a pu durer aussi longtemps que lexistence des conjoints. Mais, cest une folie de vouloir, tout prix, aimer une personne particulire pendant toute notre existence et dtre la proie de multiples rveries sur ce thme,
80 alors que nous ignorons si nos sentiments ou les siens dureront aussi longtemps. De mme, cest exaltant daccomplir ou dessayer de raliser de multiples choses, mais cest de la pure btise dinvestir nos esprances dans la ralisation ou la durabilit de nos entreprises. Il faut voir les choses en face. Il faut apprendre vivre en fonction de la ralit. Vivre selon nos rveries, cest sexposer , sans cesse, subir de cruelles souffrances et de cruelles dsillusions. La vie nest pas cruelle. Elle peut nous paratre ainsi parce que nous linterprtons en fonction de la reprsentation de nos dsirs insenss. Les dsirs insenss sont engendrs par les divagations du mental dont il faut que nous cessions dtre dupes. Savoir que tous les hommes sont mortels et que toutes les relations interhumaines sont temporaires nest pas suffisant. Il faut donner nos affections une tonalit particulire, en fonction de cette vrit. Cela veut dire quil faut aimer la femme et non telle ou telle femme, bien quil soit naturel que cet amour de la femme sexprime avec une intensit particulire, et parfois spontanment exclusive, vis-vis de telle ou telle personne. Si nous aimons la femme, toutes les femmes que nous rencontrerons ne seront que des occasions permettant notre unique amour de se manifester. Unique amour qui, sous peine d'inutiles complications nes de desseins incontrls, devra rester platonique et ne se concrtiser sensuellement qu'avec celle dont nous aurons fait notre compagne. Quant savoir si notre unique amour sexprimera sensuellement vis--vis dune unique personnalit humaine ou dun nombre plus ou moins grand de personnalits, ceci nest pas notre affaire. Cest notre destin qui nous le dira et cest seulement la fin de notre vie que nous pourrons rpondre avec prcision ce genre de question. De mme, il ne faut pas aimer tel ou tel ami, en nous attachant sa personnalit. Il faut aimer lamiti elle-mme, laquelle est susceptible de se manifester au travers de milliers de gens. Identiquement, il faut aimer les enfants, tous les enfants et non tel ou tel enfant. Et ceci, mme si nos liens de parent ou de voisinage font que, tout naturellement, notre amour des enfants ne sexprimera que vis--vis dun nombre restreint denfants. Travaillons par amour du travail et non du fruit qui en rsulte, puisque ce fruit est impermanent. Aimons pour le plaisir daimer et non pour la durabilit de tel ou tel type de relation affective. Ceci nest pas une invitation , systmatiquement, chercher le changement. Durabilit et changement affectif doivent tre des phnomnes spontans et non la consquence dune politique dlibre,
81 reprsentant une crispation vis--vis dune forme typique de relation, crispation engendre par la non-acceptation de limprvisibilit du quotidien. Aussi longtemps que nous nintgrerons pas, notre manire dapprhender lexistence, la prise de conscience de limpermanence, notre attitude ne sera pas raliste et nous serons la proie des illusions engendres par le mental. La rsultante de ces illusions, cest le lot infini des souffrances. Aimer lucidement, cest aimer en sachant lamour immortel et en ressentant que toutes les formes ou les ralits vivantes que nous affectionnons sont passagres. Il ne sagit pas de penser cela de temps autre. Il faut que la prise de conscience de limpermanence fondamentale fasse partie de nos perceptions quotidiennes. Par cette prise de conscience, une profonde transformation de notre manire de voir et de ressentir se ralisera, dans le sens indiqu. Ds lors, nos affections qui se maintiendront au sein dune conscience de lphmre revtiront un autre caractre. Elles seront plus vastes et moins possessives, plus profondes et cependant plus dtaches. Lorsque leur objet nous sera retir, nous ne serons meurtris quen surface, nos sentiments stant difis non point sur lphmre, mais sur ce qui sexprime au travers de lphmre. Les chances invitables ne seront pas de dramatiques ruptures, car nous naimerons pas le particulier pour lui-mme. Ne pas changer notre manire de voir, cest sobstiner sur le chemin de la douleur. Cest prendre le moyen pour une fin en elle-mme. Cest prendre pour but ce qui nest quune apparition passagre. Notre vritable amour sera celui de lternel universel et cest au travers du particulier que nous aimerons les manifestations de luniversel.
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Tous les tourments, toutes les angoisses ont une racine commune. Cette racine, cest le moi moi je... moi, je pense... moi, je crois... moi, je fais... moi, jai... La vie du profane est base sur le moi. Si vous cessiez de croire en son existence, plus rien ne pourrait vous affliger. Cest votre moi qui gagne et qui perd. Sil nexistait pas, vous ne pourriez rien gagner ou perdre. Un grand vide sinstallerait en vous : le vide de la libert. Votre moi existe-t-il vraiment ? Cette question peut vous sembler absurde. Pourtant elle ne lest pas. Vous croyez en lexistence dune individualit spare, dun moi personnel. Mais, en ralit, il ne sagit que dune croyance. Ce nest pas une constatation observable. Or, nous savons que les croyances sont de simples lucubrations du mental. Certes, nous avons la sensation dexister. Mais cette sensation prouve-t-elle lexistence dune individualit appele moi ? Que lexistence existe, cela nous le savons. Quil y ait un homme possdant des cheveux blonds, un corps comme ceci et cela, ayant telles et telles ides, tels et tels gots et sentiments, c'est indiscutable, nous pouvons lobserver. Mais, derrire tout cela, y a-t-il un moi individuel ? Voici la question quil faut poser. Si nous nous promenons dans une fort, nous observons toutes sortes de choses : des arbres de diffrentes espces, des plantes diverses, des compositions gologiques, des animaux qui y trouvent refuge... Inutile de continuer lnumration. Cela forme un tout, cest la fort. Nous lui donnons un nom pour la distinguer des autres et cela devient la fort X. Cette fort possde certaines caractristiques, elle distille une impression et une influence qui lui sont propres. Mais ceci nest que la rsultante de la somme des lments qui la composent. Rien ne nous permet de croire que la fort possde un moi ou un ego individuel. Cest une chose vivante, qui parle au coeur et aux sens. Cependant, si lon retirait la totalit des lments constituant la fort, celle-ci cesserait dexister. Elle nest donc
83 quun assemblage dlments naturels et dinfluences psychiques, au-del il ny a rien de personnel. Il en est de mme pour lhomme. Celui-ci est form dun ensemble de composantes physiques et psychiques. Ces composantes, grossires ou subtiles, peuvent tre catalogues et dnombres. Elles ont des origines diverses, mais aucune delles ne constitue votre moi et, si nous les retirions lhomme cesserait dexister. O se trouve donc votre moi ? Votre moi nexiste pas, voil la vrit ! Pouvez-vous dsigner une partie du corps, une pense, une conception, une aspiration, un instinct, un sentiment ou tout autre constituant de la personnalit et dire : ceci est mon moi ? Cest impossible, nest-ce pas ? Alors, vous postulez une entit invisible, qui appartiendrait tout ce qui compose la personnalit. Cest cela la croyance du moi. Mais cette croyance ne repose sur rien. Ce nest quune construction du mental et, si vous voulez percevoir la ralit, il faut abandonner toutes les constructions de ce genre. La naissance a assembl un ensemble de facteurs physiques et psychiques : voici la ralit observable. En nous, pas dentit, pas de moi, dego et autres fadaises ! ... Rien que la Conscience. Cette Conscience que nous avons par ailleurs appele Moi profond, pour la distinguer du faux moi superficiel et apparent dont nous dnonons prsentement linexistence. Cette Conscience par laquelle nous connaissons lexistence et qui est la conscience de ltre. Cette Conscience qui ne contient aucune trace dego et qui est compltement vide. Cette Conscience qui nest pas notre conscience personnelle, puisquen elle il ny a rien et que ce vide contient tout.
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Le mental a peur de ce vide. Cest pour sen protger quil invente ou utilise toutes sortes de croyances. Cela le rassure. Il est plaisant de croire que nous sommes une personnalit immortelle. Ainsi, ce qui rend attrayante une grande partie des croyances religieuses et spirituelles, cest leur affirmation sur la vie individuelle dans lau-del. Les pauvres humains, confronts avec langoissant problme de la mort, se prcipitent sur ces croyances, car elles euphorisent leur esprit crdule. La vrit est tout autre. La vie post-mortem, bien queffective, nest, pour la personnalit ignorante, quun sursis. Mettre son esprance en elle, cest dplacer le problme sans le rsoudre. De plus, en ltat dexistence qui est actuellement le ntre, il nous est impossible de constater lexistence de la vie post-mortem. Pour nous, cette dernire, bien quexistant effectivement, nest quune hypothse. Se trouvant prsentement hors du champ de notre exprience, la vie post-mortem nest, pour nous, quun simple contenu du mental, un simple objet de croyance. De ce fait, il faut lcarter et nous occuper des choses telles quelles sont, ici et maintenant. La ralit nest pas ce qui sera. La ralit est ce qui est prsentement. Notre ralit est donc celle de notre existence. Pour percevoir cette ralit, il faut que nous rejetions toutes les croyances qui embarrassent notre esprit, car la libration intrieure nest pas engendre par un acte de croyance. Elle est engendre par un acte de constatation. Les croyances sont labores par le mental de lhomme. Elles interposent leur cran devant notre perception du monde en la dformant et en nous faisant perdre la lucidit qui est requise en notre qute. Ne plus croire en lexistence dun moi individuel, dun ego personnel, dune me immortelle au sens psychologique du terme est librateur. Lorsque cette vrit descend en nous, nous lchons prise. Les avidits lchent prise. Nous comprenons que notre personnalit est compose de la runion momentane dun ensemble de facteurs. Savoir quil ny a pas dego, cest se librer de la peur de la mort. La naissance nest que la runion de cet ensemble de facteurs. Au sens strict, rien ne nat et rien ne meurt.
85 Que pouvons-nous craindre lorsque nous le savons ? La vie assemble et disperse les conglomrats au travers desquels elle se perptue. Lhomme qui lit est un de ces conglomrats impermanents. Rien ne nous appartient et nous ne pouvons rien perdre. La sensation de notre existence rside en la Conscience, cette Conscience qui contemple la vie. En cette paisible contemplation silencieuse rside la grande paix.
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Au sein de chaque journe, instaurez, dune manire croissante, lhabitude daccomplir vos activits avec une grande intensit dattention. Intensit qui doit tre dpourvue de tension. Constatez que marcher dans la rue, monter un escalier, parler quelquun, accomplir un travail manuel, lire un livre avec une grande intensit dattention, donne une saveur intrieure particulire lactivit accomplie. En prenant lhabitude de devenir attentif, dune manire la fois paisible et intense, travaillez la dsidentification, lenqute du qui suis-je ? , lidentification transcendante. La dsidentification consiste en ceci : tant conscient du corps et des sensations, vous comprenez je ne suis pas le corps, je suis celui qui peroit le corps . tant conscient des penses ou des sentiments, vous comprenez je ne suis pas les penses ou les sentiments, je suis celui qui peroit les penses et les sentiments . Il faut comprendre cela et le ressentir. Cest dans le fait de le ressentir avec intensit et profondeur, quune exprience transformatrice est vcue. Lenqute du qui suis-je ? consiste en ceci : constatant je ne suis ni le corps, ni les penses, ni les sentiments , on se pose mentalement la question qui suisje? et on cherche voir intrieurement, ressentir qui est celui qui peroit le corps, les penses et les sentiments. Il faut rpter cette dmarche jusqu parvenir la perception interne du silence, du vide et de limmensit de celui qui peroit. Lidentification transcendante consiste en ceci : percevant le corps et les penses de lhomme, on se dit intrieurement je ne suis ni ce corps, ni ces penses, je suis leur Tmoin. Je suis la pure Conscience en batitude jamais . En disant cela mentalement, on cherche ressentir la signification de ce qui est dit, faire lexprience de ce que dsignent les mots. La dsidentification, lenqute du qui suis-je ? et lidentification transcendante doivent tre pratiques de nombreuses reprises quotidiennes. Cest seulement par
87 linlassable rptition de ces trois processus que lon parviendra une exprience illuminatrice, dans laquelle nous percevons notre Nature transcendante. Le chemin du dbutant est donc clair : introduire, dune manire toujours plus frquente, une intensit de lattention dans toutes les sortes dactivits et, par ailleurs, de multiples reprises, accompagner cette vigilance de la dsidentification, de lenqute du qui suis-je ? ou de lidentification transcendante, en alternant lusage de ces trois pratiques. Ce travail initiatique, sil est poursuivi avec la frquence et la rgularit ncessaires, aboutira un tat de conscience dans lequel les processus mentaux de la dsidentification, de lenqute du qui suis-je ? et de lidentification transcendante, seront dpasss et abandonns. En ce dpassement, nous sommes dans un tat de prsence et dindpendance. Nous sommes prsents au monde, prsents lhomme, attentifs au contenu de linstant. Mais, au sein de cette prsence, nous nous sentons parfaitement indpendants de ce qui est peru. Il y a ce qui est peru et il y a nous, le spectateur silencieux du peru. Ce spectateur est immuable, sans forme, sans limites, sans naissance ni mort, audel du temps et de lespace. Ceci est la Connaissance. En demeurant vigilant vis--vis des activits de lhomme, la conscience morale sexprime et indique ce qui doit tre accompli ou ce qui doit tre vit. En demeurant vigilant vis--vis des agissements, une transformation caractrielle se produit. Les impatiences, les contrarits, les nervements, etc., nous apparaissent sous leur vrai jour. La prise de conscience de leur stupidit les fait disparatre peu peu. En demeurant intensment prsents et vigilants, au sein de l'existence quotidienne, nous acceptons la vie mondaine. Il ny a, en nous, aucune fuite et aucun refus de la socit, de la vie familiale ou professionnelle. Cette prsence saccompagnant dune indpendance intrieure totale, nous ne sommes lis par aucune activit ni aucune circonstance. Ceci est la Libration. Travaillez activement sentir, dinstant en instant, votre prsence.
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Travaillez activement sentir, dinstant en instant, que cette prsence est indpendante, vis--vis de lhomme et du monde que vous percevez.
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APPROCHE DU COMPORTEMENT
La ralisation de lveil ncessite une proccupation constante et exclusive. Toute autre recherche passionnelle, tout autre dsir, tout autre but que lveil constituent des obstacles son installation permanente et doivent tre carts. Lveil lui-mme nexclut aucune espce dactivit. Vous pouvez tre en veil dans nimporte quel type daction. Rejeter le rugby ou la guerre comme tant incompatible avec lveil, est aussi erron que rejeter la mditation ou la prire. Dans un cas comme dans lautre, cest la mme erreur. Si je crois que lveil est incompatible avec laction violente, je rejetterai la guerre et le rugby. Par contre, si je dis lveil est indpendant de la mditation et de la prire, donc il faut rejeter toutes les pratiques spirituelles , je commets une bvue identique, en sens inverse. En ralit, aucun type daction ne doit tre rejet au nom de lveil, puisque lveil est possible au sein de toutes les espces dactions. Au plan relatif, nous devons cependant constater que, dans le silence mditatif, lveil est plus facile instaurer pour le dbutant quau sein du fracas de la guerre, ou de lexcitation dune comptition. Et cette constatation pragmatique justifie le fait que lon demande au dbutant dviter toutes les actions violentes ou passionnelles. En cela rside dailleurs la valeur de toutes les techniques authentiquement spirituelles. Dune manire ou dune autre, elles instaurent un tat de calme qui favorise la prise de conscience de lveil. Mais, cela est tout fait relatif et doit tre dpass ds que lon a quelque peu progress, car, celui qui enfermerait son veil dans des moments de recueillement tomberait dans un pige hermtique. Si aucune activit nest rejeter, lexigence de lveil est prescrite dans toute activit. Il faut que ce soit lveil et non la finalit de lactivit qui soit recherch. Ainsi, si la pratique du rugby ou laccomplissement du devoir militaire constituent pour moi une fin en soi, je ne puis atteindre ou maintenir mon veil. Pour atteindre lveil, il faut que mon unique et exclusif but, tout en jouant au rugby ou bien en tant soldat, soit de demeurer pleinement veill.
90 Lissue de la guerre ou du match sportif doit tre, pour moi, tout fait secondaire. Jagis sans tre attach aux fruits positifs ou ngatifs de mon action. De mme, si jeffectue une mditation ou une prire intresse, cest--dire une prire dont le but est, pour moi-mme ou pour les autres, lobtention de ceci ou cela, le chemin de lveil se ferme. Pareillement, une mditation accomplie pour obtenir la dlivrance, la perfection, la progression spirituelle, le paradis, mloigne de lveil. Le critre de lveil est unique : quand je joue au rugby, quand je combats un ennemi, quand je prie ou je mdite, je suis pleinement attentif. Mon unique but, mon unique ambition, est dtre pleinement attentif, en conservant une conscience intense. Le dsir de lveil est un dsir sans contenu. Je ne dsire pas lveil parce que ceci ou cela. Je dsire lveil pour lveil. Je dsire lveil, car le got de lveil a germ en moi. Dsirer lveil pour obtenir la connaissance transcendante, la batitude ou la dlivrance, cest tomber dans un pige mental qui mamnera me concentrer sur lide de dlivrance, de connaissance ou de batitude. O se trouve cette notion de dlivrance, sinon au sein de mental qui, aprs avoir scrt la notion demprisonnement, engendre la notion contraire ? Dans lveil vritable, il ny a ni dlivrance ni emprisonnement. Si, linstant mme, vous vous veillez, que se passe-t-il ? Vous prenez conscience quil y a un homme assis en train de lire. Vous prenez conscience de lair, des bruits, des odeurs, de la luminosit de la pice, des mouvements du mental, du silence intrieur, des sensations corporelles. Vous percevez tout cela, tout ce flot de phnomnes qui coule devant lternel vide et silence de votre prsence immatrielle. Au sein de cela, o se trouve lemprisonnement ? Il ny a pas demprisonnement. O se trouve la dlivrance ? Il ny a pas de Dlivrance. Vous tes ce que vous avez toujours t, la Conscience ternelle, sans forme, vide de contenu, sans limite, partout prsente, ternellement inactive, sans commencement ni fin, hors du temps et de lespace, spectatrice de lhomme. Vous tes cela, il ny a rien dire. Vous ntes pas devenu cela, un moment ou un autre, cela vous lavez toujours t.
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Pour parler de Dlivrance, il faut avoir perdu lveil. Il faut tre entr dans les arabesques et les conceptions du mental. Cest en lui, en lui seulement, que se trouvent les notions de ralisation, de dlivrance, demprisonnement, dignorance et de connaissance. Lorsque vous tes veill, vous voyez cela qui meuble linstant, cela est extraordinaire et indescriptible. Vous percevez limmuable intriorit transcendante qui englobe lextriorit et contient la mouvance phnomnale. Il en rsulte une plnitude qui nexclut rien et au sein de laquelle aucune formulation mentale relative la dlivrance ou lemprisonnement nexiste. Ce type de notion fait partie dun vieux rve oubli. Sveiller pour obtenir la batitude est totalement erron. Lhomme souffre, on lui dit quen lveil il y a batitude et le voici qui sintresse lveil.... Toutes les fausses spiritualits sont bases sur la promesse de quelque chose obtenir ici-bas ou dans lau-del. En vrit, par lveil, vous dcouvrez que votre prsence immuable, cette prsence qui est votre Conscience percevant linstant mme, se trouve au-del des souffrances et des jouissances se manifestant au sein des phnomnes perus. La srnit immuable de cette prsence intemporelle contient une plnitude totalement diffrente des joies et des peines prouves par les hommes. Cette plnitude, cette srnit, est une batitude ternelle. Cependant, ne croyez pas que lveil exclut la souffrance. La souffrance fait partie du monde, au mme titre que la jouissance, et lveil nest pas un retrait hors de ce qui existe. Cest, au contraire, la totale apprhension de ce qui est. Dans la perception de lveil, la souffrance humaine est incluse. Ainsi, lveil nest pas une fuite hors de la douleur. Dcouvrir la batitude de lveil ne signifie pas ne plus connatre la souffrance lorsquune charde pntre dans votre oeil ! Ceux qui veulent fuir la souffrance peuvent parvenir sen abstraire, plus ou moins parfaitement, en cultivant linsensibilit, labstraction sensorielle, ou en se concentrant fortement sur autre chose. Mais cela relve des techniques du fakirisme et na rien voir avec lveil. tre veill, cest tre pleinement attentif la
92 jouissance comme la souffrance. Et, dans cette attention totale, cesser de se trouver emprisonn en elle. Quand le jour se lve, cest le moment dtre attentif dans la beaut du matin. Durant lactivit de la journe, cest le moment dtre attentif au sein de tous nos travaux. Quand vient la paix du soir, cest le moment dtre attentif dans la douceur de la dissolution nocturne. Quand arrive le sommeil, cest le moment dtre attentif pour entrer en lui, en toute conscience, en laissant passer les fantasmagories oniriques et en plongeant dans la glorieuse vacuit du sommeil profond. Dans la rencontre de ltre aim, dans son agonie au cours de laquelle nous tenons sa main dans la ntre, dans la beaut de la rencontre et dans la beaut de son dpart vers la mort, cest le moment dtre attentif. Au sein des splendeurs de la nature et dans la grisaille des villes, cest le moment dtre attentif, sans prfrence et sans rejet. Toute prfrence et tout rejet sont une perte de lattention totale. Cest lentre dans ldifice des considrations mentales, dans les inutiles labyrinthes de la pense. Cependant, ne tombons pas dans le pige contraire, ne repoussons pas la pense. Repousser la pense, cest faire lerreur dun effort mental ngatif. Lorsquapparat une considration, un jugement de valeur, en notre veil, nous les considrons avec une lucidit objective. Nous les prenons pour ce quils sont rellement. Que sont-ils ? De simples phnomnes mentaux que nous regardons apparatre puis disparatre. Vouloir chasser un phnomne est aussi stupide que de vouloir le cultiver. Laissons passer les phnomnes psychologiques. Vouloir chasser ou vouloir cultiver les penses, cest oublier lexigence de lveil. Lveil exige que nous demeurions attentifs ; attentifs tout ce qui se passe et limmuable qui demeure derrire ce qui passe. Tel doit tre notre seul objectif.
93 Lveil ne cherche rien atteindre et, parce quil ne cherche rien atteindre, il nexclut rien. Lveil authentique renvoie, dos dos, ceux qui cherchent la souffrance dans lasctisme et ceux qui cherchent la jouissance. Lveil consiste demeurer attentif et lucide dans la jouissance comme dans la souffrance. Lveil consiste demeurer, chaque instant, en tant que Conscience immatrielle. Lveil consiste vivre, partir du point de vue de la Conscience ; demeurer en tant que Conscience et percevoir lhomme, ses penses, ses sentiments et ses sensations, en tant que Conscience ; Conscience immatrielle non limite au corps, Conscience indiffrente. Que lhomme vite spontanment la souffrance, quil se soigne quand il est malade et quil retire sa main dun objet brlant, cela fait partie de lordre des choses. Cela relve du fonctionnement normal du corps humain, mais na rien voir avec lveil. Lhomme doit continuer agir selon ses buts et ses motivations, en utilisant pour cela sa sensibilit et sa rflexion ; mais, pendant ce temps-l, ce qui importe, dans la maladie, les soins ou la gurison, cest que nous soyons attentifs, que nous demeurions en tant que Conscience immatrielle. Lhomme prfre la gurison la maladie : rien de plus normal. Il agit pour conserver la sant : cest naturel. Mais que nous importe tout cela, nous qui sommes le tmoin de la maladie et de la sant ? Vous tes veill lorsque vous percevez que le devenir de lhomme vous est totalement indiffrent. Il sagit dun simple spectacle ne vous concernant daucune manire. Comment le vide infini de votre Conscience pourrait-il tre concern par des phnomnes physiologiques ou psychologiques ? Cette comprhension na rien voir avec les actions physiques ou mentales de lhomme. Lhomme rflchit aux causes de la maladie, lhomme agit pour se soigner, mais, pendant que cela se produit, vous demeurez en votre transcendance immuable et indiffrente. Certains, confondant le niveau humain avec celui de leur Nature, et de leur vritable identit immatrielle, ont impos lhomme une conduite indiffrente. Ceci est le fruit dune confusion du mental, confusion en laquelle le mental sempare de lide dindiffrence. Alors quen ralit, lindiffrence de lveil se
94 situe au-del du mental. Cest lindiffrence de la Conscience qui peroit et qui nest pas implique dans ce quelle peroit. Cest lindiffrence de la Conscience pour laquelle la vie humaine nest rien dautre quun rve phmre traversant son ternit. Lorsque le mental entend parler de cette indiffrence, il veut la saisir et il instaure, son niveau, lerreur de lindiffrence asctique. Toutes les perversions et les dformations du spirituel sont le fait du mental qui cherche saisir ce qui demeure, pour lui, jamais insaisissable. Dans son effort de prhension, il cre de multiples contrefaons qui gnent la comprhension correcte de lveil transcendant. La vritable indiffrence de lveil nest pas dans laction. Elle nest ni dans laction qui refuse de soigner le corps, ou de lui permettre la jouissance, ni dans laction qui soigne, ou procure de la jouissance. La vritable indiffrence de lveil peroit toute chose avec un oeil gal. Elle voit le bien-tre, lapparition de la souffrance, son maintien ou sa disparition avec un regard identique. Elle voit lhomme lutter contre la maladie, en raison dune raction et dun instinct de vie qui lui est naturel. Elle le voit russir ou chouer dans sa lutte avec une inaltrable quanimit. Purifiez-vous par la lucidit de lveil. Lhomme doit agir sa guise. Il ny a pas de restriction pour lui. Demeurez veill et laissez lhomme aller librement de par le monde. Laissez-le agir son aise, selon ses prdispositions et aspirations. Ne vous confondez pas avec lui. Dire lhomme doit tre comme ceci ou comme cela pour que lveil soit, cest toujours se confondre avec lhomme. Rejeter lasctisme, ce nest pas rejeter toute discipline. Certains tombent dans le pige du mental qui dit il faut rejeter toute jouissance . Dautres tombent dans le pige du mental dclarant il faut rejeter tout effort, toute discipline et toute privation . Tout cela est enfantin. Laissez donc lhomme agir librement dans la lueur de lveil. Il est normal que lindividu fuie la souffrance inutile, mais il est galement normal quil simpose certaines souffrances et certains efforts volontaires en fonction des buts quil veut atteindre. Cest lhomme qui pratique la discipline spirituelle et celle-ci est excellente pour lui. Labandon ou le maintien de la discipline spirituelle ne vous apporte rien, vous qui tes Conscience.
95 La souffrance de lalpiniste qui conquiert un sommet, le contrle de soi-mme qui est requis pour effectuer un jene, leffort de celui qui rsiste une tentation dadultre, na rien dincompatible avec lveil. Tout cela se situe au niveau humain et non point celui de lveil. Ce qui importe, cest de ne pas confondre les deux niveaux. Que lhomme continue faire des efforts de purification, mais cessez dfinitivement de vous confondre avec lui ! Lorsque vous tes veill, il se peut que, parmi les phnomnes perus, une pulsion charnelle apparaisse. Que devez-vous faire ? Demeurez veill, cest--dire attentif votre ralit de pure Conscience. Ce phnomne quest un dsir charnel et que vous recensez provoque, en raction, un autre phnomne, galement observ par vous-mme, celui du rappel mental de la dcision de fidlit conjugale. Ds lors, que devez-vous faire ? Vous contenter de demeurer en veil. Cest la seule et unique rponse valable. Demeurant en veil, vous tes le spectateur de la lutte entre la tentation charnelle et lthique de la fidlit conjugale. Ce combat qui se situe dans le monde des phnomnes ne vous concerne aucunement, car vous tes lternelle Conscience spectatrice, vide de contenu et sans limites. Cependant, cause de votre veil et de la lucidit quil contient au niveau humain, il se produit le phnomne suivant : lhomme ne se laisse pas entraner par la tentation. Il en est ainsi, car la clart de lveil, bien que non agissante, influence lhomme la manire dont le soleil, sans agir au niveau formel, provoque la croissance des plantes. Lorsque vous tes veill, cest--dire lorsque la prsence vous-mme en tant que Conscience infinie est intense, lhomme est baign dans une lucidit parfaite. Or, percevoir limpulsion charnelle avec une parfaite lucidit, ce qui quivaut la voir telle quelle est rellement, cest automatiquement tre capable de lui rsister. En la lucidit de lveil, le charme et la puissance de sduction des tentations sont dissips, car, lorsque la nature relle des tentations est clairement perue, on constate quil sagit de simples phnomnes dpouills de tout attrait. Ds lors, la volont de lhomme na aucune peine rsister cette impulsion. Nous constatons donc que lhomme agit ngativement uniquement parce quil nest pas clair par la lueur de lveil. Les pulsions ngatives entranent lhomme parce que nous nous identifions elles et parce que nous navons pas une claire vision de leur nature vritable.
96 Si une pulsion de sexualit, de violence, davarice ou dorgueil est considre cause de mon identification errone comme tant mon dsir sexuel, mon envie de frapper, ma passion pour largent, mon orgueil, il est trs tentant de cder cette impulsion. Y rsister se rvle mme parfois frustrant. Mais, lorsque grce mon attention au moment prsent, en laquelle je me sens tre pure Conscience immatrielle, ce genre de manifestations est peru comme tant de simples phnomnes, phnomnes au demeurant peu ragotants et inopportuns, vaincre le dsir quils contiennent est chose facile. Toute tentation est revtue dun masque sducteur qui la fait apparatre comme dsirable lhomme. Cest comme un monstre hideux qui se dissimulerait sous une belle apparence. Par la lucidit de lveil, nous arrachons le masque trompeur, lhomme voit alors le dsir sensuel comme une simple pulsion animale cherchant lentraner et le dominer. Ds lors, en cette claire perception, il prouve un plaisir matriser ses instincts et, ce faisant, demeurer authentiquement humain, au lieu de se trouver raval au niveau dune bte en rut. Lunique dmarche que nous ayons faire, dans la tentation comme en toute chose, cest de renforcer notre prsence nous-mmes, notre sensation dtre Conscience pure. Comprenons cela dfinitivement : tout dcoule de linstauration de lveil. Si nous cherchons lveil, et nous devons le chercher constamment, la transformation du comportement au niveau humain en rsultera invitablement. Cherchons lveil, et la modification purificatrice du comportement nous sera donne par surcrot. Non point sans effort humain, car lhomme doit vaincre la tentation par la lutte spirituelle, mais parce que lveil donnera lhomme la force ncessaire. Si mon attention sinvestit dans la recherche dun comportement vertueux, je deviendrai vertueux. Je serai la fois vertueux et born. Par contre, si mon attention sinvestit constamment dans la lucidit attentive de lveil ma ralit de pure Conscience, proportionnellement ma capacit dveil, lhomme deviendra de plus en plus capable de pratiquer la vertu sans effort. Vouloir tre vertueux, cest senfermer dans lhomme. Chercher lveil cest, au niveau humain, constater que labsence de vertu est dsagrable et, de ce fait, finir par pratiquer spontanment ce niveau ce que lon appelle vertu, mais qui, en fait, nest que la conduite normale et saine de lhomme non dform et non perverti.
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tre veill, cest tre pleinement attentif. Si vous donnez un but votre attention, si vous dites je dois tre attentif ceci ou cela , vous tes tomb dans le pige des considrations mentales et vous vous perdez hors de lveil. Quiconque pratique lveil dcouvre, peu peu, le silence, le vide, limmensit de celui qui peroit. Si le mental sempare de cette exprience, il dit ce vide, cette plnitude bienheureuse, cette immensit transcendante, cest Dieu, cest Brahman, cest le Nirvana. Il faut que je me concentre sur cela et que je demeure constamment dans la contemplation de cela afin de me raliser spirituellement . Ce genre de rflexion mentale est fondamentalement errone. Cest un pige subtil dont il faut vous carter. En premier lieu, vous devez comprendre que si vous dites il y a cette immensit silencieuse, je dois me concentrer sur elle , cela signifie que vous vous identifiez lhomme. Vous tant identifi lhomme, vous dsirez vous unir Dieu, atteindre le Nirvana ou bien vous fondre en Brahman. Cette manire de parler, qui peut tre acceptable pour un dbutant, est en fait, si vous tes srieusement engag dans lveil, totalement errone. Il ny a pas la transcendance du vide et la plnitude silencieuse dune part et vousmme dautre part. La pratique de lveil a d vous faire comprendre que vous tes ce vide et ce silence. Il ny a donc rien obtenir, rien raliser, aucun chemin parcourir. A linstant mme, celui qui peroit ce livre, ce corps, ce lieu, cet espace, ces sons qui peuplent linstant, celui qui peroit tout cela, cest vous-mme et ce vous-mme est : silence - vide - immensit. Seuls, ceux qui font des thories ou des dogmes ce sujet peuvent simaginer que lon doit atteindre linfini. En une exprience immdiatement accessible tous, il est vident que nous sommes le spectateur silencieux, impalpable et immatriel de linstant prsent. Il faut donc que vous sentiez votre Je ternel, votre tre pur, afin de savoir je suis cela . Je suis cette immensit indescriptible. Ds lors, on sait quil ny a rien atteindre.
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Lorsque vous sentez votre immensit, vous vous pressentez vous-mme, en votre nature essentielle et transcendante. Ayant compris cela, devez-vous considrer que le spectacle du monde constitue une terrible tentation qui risque de vous distraire de la contemplation de vous-mme ? Si vous rpondez par laffirmative, vous tes tomb dans le pige du narcissisme mtaphysique. Vous serez un Narcisse se noyant dans la contemplation obstine, crispe et exclusive de locan de votre Conscience. Croyez-vous pouvoir raliser un travail de prcision en demeurant immerg dans la contemplation des infinitudes de votre vacuit transcendante ? Croyez-vous pouvoir conduire trs rapidement et sur un terrain accident, une moto, tout en demeurant parfaitement immerg dans la perception de limmuable gloire du Sansformes ? Croyez-vous pouvoir jouer avec vos enfants, dune manire qui les amusera rellement, sans entrer dans leur jeu ? Vous devez librement contempler linfini et oublier linfini pour vous absorber dans la perception du monde. La voie authentique est trs simple, mais elle ntablit aucune distinction prfrentielle entre le monde et la transcendance. Vous devez raliser lunit et lquivalence du monde et de la transcendance. Ne vous accrochez pas la transcendance, ne vous laissez pas absorber par les phnomnes. Que votre attention aille librement de lun lautre. Vouloir demeurer constamment fix sur la transcendance, cest croire que vous pouvez perdre cette connaissance. Cest absurde puisque vous tes cela . Refuser de se laisser distraire par le monde, cest ne pas savoir que celui-ci est un jeu au sein de votre ternit. Le voile des apparences phnomnales nest quun simple chatoiement qui surgit lintrieur de votre abme, qui ne dure quun instant puis sestompe, sans laisser de ride au sein de votre unique conscience ocanique. Ce que vous tes, au niveau transcendant, ne peut tre perdu. Lorsque vous connaissez vritablement lveil, vous savez quune simple direction de lattention vous fera retrouver les extases du Sans-limites, chaque fois que vous le dsirez. Ds lors, le monde nest plus une prison, cest un parc au sein duquel vous vous promenez librement.
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Dans lactivit la plus absorbante, demandant une concentration de la totalit de votre attention, comme dans la contemplation la plus profonde, au sein de laquelle le corps et le monde sont oublis tandis que le mental est totalement silencieux, dans lun comme dans lautre de ces deux extrmes, vous conservez le mme dnominateur commun, cest lintensit de la Conscience ; intensit en laquelle la Conscience a conscience delle-mme ; intensit en laquelle la Conscience se sent exister en tant que Conscience. La totalit de lenseignement se rsume donc par cette phrase en toute circonstance, soyez attentif et, dans cette attention, ayez la sensation dtre la Conscience qui peroit . Ds que vous aurez compris cette injonction apparemment simple, dune manire exhaustive et ds que vous aurez, srieusement, entrepris sa mise en pratique, vous naurez plus besoin daucune espce de livre ou denseignement. La ncessit de lenseignement rside dans le fait quil est ncessaire de convaincre le dbutant que tout rside en cette unique pratique. Ce nest pas toujours facile, car le mental adore les choses compliques. Toutes les fausses spiritualits prescrivent des pratiques qui deviennent de plus en plus complexes. Plus la pratique est complexe, plus le mental se trouve nourri et renforc en elle. A contrario, les vraies spiritualits vont du complexe au simple et, plus leurs pratiques sont leves, plus elles deviennent simples. Analysez la complexit des pratiques et thories occultistes, thosophiques, cosmogoniques, etc., et vous comprendrez aisment que cela constitue une riche nourriture pour le mental. Seule, une mthode excessivement simple et extrmement dpouille peut aboutir au dpassement du mental. Dans le prcepte soyez attentif la Conscience qui peroit , le mental ne trouve aucune nourriture. Cest une pratique qui dvoile les imperfections et les limites du mental au lieu de lenrichir. Cest une pratique qui rvle, peu peu, larrire-plan de silence qui subsiste immuablement derrire tous les mouvements du mental. Comprenez quindpendamment de leur valeur ou de leur caractre erron, tous les discours sur la cosmologie, la fin du monde, les mondes hyperphysiques, les tres psychiques, les extra-terrestres, la constitution occulte de lhomme, les cycles cosmiques, les anciennes civilisations, les facults parapsychologiques, la vie postmortem, les rites, le symbolisme, lastrologie, les sciences divinatoires, les contenus de linconscient, constituent, pour le mental, des aliments.
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Lorsque vous savez que la ralisat _lit au ni pas dactes importants, pas de circonstances spirituellement importantes. Tout est important. Ce qui compte, cest le degr dattention tranquille la Conscience ellemme que japporte en toute chose. Plus mon attention la Conscience sinvestit sans crispation dans le moment prsent, plus celui-ci est intense et profond. A toute chose, il me faut apporter un supplment dattention. tant attentif au sens courant du terme, je constate que je puis tre plus attentif et, dans ce supplment dattention que japporte linstant prsent, instant au sein duquel lhomme est actif ou non actif, dans ce supplment dattention rside le surgissement de lveil limmensit de notre Conscience. Je suis en train dattendre le bus. En faisant cela, je suis attentif, me direz-vous, car, effectivement, il me faut guetter lapparition du vhicule afin davoir le temps de lui faire le signe ncessaire pour quil sarrte tandis que, paralllement cette attente, observant les gens, je pense ceci ou cela... Nul ne saurait nier quune certaine forme dattention est requise. Mais le degr de cette attention est faible. Ayant compris cela et me rappelant la possibilit dune attention plus intense, quoique non crispe, voici que je renforce la qualit de mon attention. Je deviens plus attentif... Aussitt, le vcu de linstant se modifie... Je cesse dtre un homme qui attend le bus, et je deviens une prsence immatrielle et indfinissable qui peroit un homme attendre le bus. Les penses de lhomme, ses attitudes, ses ventuelles impatiences, curiosits, soucis, observations, rflexions, etc., mapparaissent comme faisant partie de linstant, au mme titre que les voitures qui passent et que le ppiement des oiseaux dans les quelques arbres conservs dans la rue titre de dcoration. Cet homme nest, pour moi, quune perception. Il y a dsidentification implicite de cet instrument de perception grce auquel je vois le bus arriver, respire les odeurs dessence et coute les oiseaux. Cette dsidentification est implicite, car il sagit dune vidence qui na rien voir avec le fait de cultiver, au niveau mental, la pense de la dsidentification. La dlivrance authentique, cest la dlivrance de lidentification, car cest seulement lintrieur de lidentification lhomme quexiste la sensation demprisonnement dans lhomme, le monde et le temps. Lveil contient donc une dlivrance implicite qui na rien voir avec la production de penses concernant la dlivrance. Ma lucidit attentive engendre une modification dans le comportement de cet homme que je perois et partir duquel je perois le monde dans lequel il volue. Lhomme, clair par lintensit de ma Conscience, constate que son impatience est
101 ridicule. Il se calme et cesse daller et venir dune manire, vrai dire, absurde. Tandis quil monte dans le vhicule, les jugements quil met sur lapparence physique des passagers sont perus. Cette perception qui possde la clart et lintensit de lveil la prsence de notre Conscience fait apparatre le manque de charit, la mesquinerie et les prjugs. Il en rsulte une prise de conscience au niveau humain, prise de conscience cause de laquelle lhomme, au sein de ce type de penses qui lui sont pourtant familires, cesse de se sentir laise. Ds la premire exprience, on pressent dj quil suffit que ce genre de prise de conscience se reproduise souvent pour que les schmas de lattitude mentale vis--vis dautrui subissent de profondes transformations. Tandis que lhomme sassoit et que le vhicule dmarre, je sens mon immobilit ternelle. Seules les formes bougent et se dplacent. Ce que je suis, limmensit informelle de la Conscience, limmensit informelle de ma Prsence immatrielle et impalpable, qui nest pas lie au corps, demeure immuablement, en une batitude intemporelle que la vie, la mort et les vicissitudes de lhomme natteignent pas. Voici en quoi consiste le chemin de lattention notre propre Conscience, avec le dpouillement et la connaissance qui en rsulte. Quiconque chemine sur ce sentier comprend clairement le pige dune vie excessivement contemplative. Les mthodes de contemplation ont pour inestimable avantage de nous aider dans le silence, la solitude et limmobilit, dcouvrir limmuabilit bienheureuse de notre vacuit consciente. Tel est du moins laboutissement des mthodes de contemplation authentiquement spirituelles qui ne se fourvoient pas dans le dveloppement ou lapprofondissement de tel ou tel aspect du psychisme. A partir de cet acquis positif, le pige surgit sous deux aspects. Le premier consiste crer un hiatus entre le vie active et la vie contemplative. Ceux qui tombent dans ce pige parviennent un veil qui dpend de leur intriorisation contemplative Cela signifie que, dans limmobilit, le silence, la solitude et linattention au monde, leur conscience devient intense et a la sensation de sa propre libert et infinitude. Plus le monde, le corps et le mental sont oublis, plus ils peroivent avec intensit leur Ralit intemporelle. Cette perception constitue un immense progrs spirituel, mais le pige rside dans son caractre exclusif. A cause de ce caractre exclusif, pour nombre daspirants qui ne connaissent lveil que dans le cadre dune intriorisation contemplative, la vie mondaine devient une gne. Ils conoivent la Ralisation spirituelle comme devant
102 ncessairement saccompagner dun retrait hors du monde. Ils deviennent incapables de raliser la prennit de leur existence transcendante qui demeure inaffecte par les activits et les perceptions de lhomme. Le caractre ludique de la mouvance phnomnale ne leur apparat pas. La vie humaine, par son ct accapareur, constitue, pour eux, un obstacle oblitrant la bienheureuse perception de leur ternit, obstacle quils supportent avec dplaisir. Cest une ralisation spirituelle incomplte. Pour viter ce pige, il faut, ds le dpart, attacher une aussi grande importance la pratique de lveil au sein des activits coutumires quau sein des moments de recueillement contemplatif. Constatant limportance de ce pige, certains matres ont proscrit la pratique de limmobilit contemplative. Un tel rejet est extrmiste. Cest linverse de lerreur consistant ne chercher lveil quau sein de limmobilit silencieuse. La pratique quotidienne de certains moments consacrs limmobilit et loubli du monde ainsi que de lhomme constitue une aide prcieuse sur le chemin de la dcouverte de notre Nature vritable. Ce quil faut simplement, cest viter denfermer la pratique de lveil ces moments disolement. Le deuxime pige concerne la pratique de lveil au sein de lactivit. Laspirant qui trbuche sur cette difficult sait, intellectuellement ou par exprience, que sa nature vritable est une ternit de silence et de vide ; un vide sans limites, plein de sa propre Prsence; un vide constituant sa Ralit authentique. Sachant cela, il cherche, au sein de ses activits, concentrer son esprit et simmerger dans le silence et le vide de la transcendance. Ce genre de pratique peut produire des rsultats satisfaisants lorsque lactivit est, naturellement, peu absorbante. Je puis me promener, manger ou mhabiller sans y prter grande attention et en demeurant presque totalement immerg dans linfinitude du vide intrieur. Cela revient, en quelque sorte, agir dune manire mcanique et quasi somnambulique. Une telle pratique de limmersion dans la transcendance au sein de laction nest pas proscrire systmatiquement, mais elle ne peut senvisager que pour des activits secondaires. Elle demeure incompatible avec les activits ncessitant une concentration de lesprit sur leur accomplissement. Cette manire de faire est un pige, car elle constitue une fausse solution vis--vis de la ncessaire intgration de lveil dans la vie active. Accomplir, dans un tat de quasi-inconscience, un certain nombre dactivits banales ne fera quaccrotre le
103 problme, des activits requrant notre attention. Notre vie se trouvera partage entre, dune part limmersion dans la Transcendance au sein de limmobilit et dactivits peu absorbantes et, dautre part, les activits absorbantes. Ce dilemme est sans issue, car, immerger volontairement et maintenir notre attention dans la Transcendance pendant que lon agit, ce sera toujours agir dune manire distraite et quasi somnambulique. Cela ne pourra jamais devenir la pratique constante dun homme plong dans la vie mondaine et professionnelle o un grand nombre dactivits ncessitent une attention soutenue pour tre accomplie correctement. Lorsquon se heurte ce dilemme, il faut se rappeler que celui qui veut saisir le Principe sen loigne . Ce nest pas en vous concentrant sur la Transcendance que vous trouverez limmuable au sein de lactivit. Cest en vous concentrant sur votre activit que vous percevrez limmuable clart du vide de votre Conscience, au sein de laquelle vos activits sont accomplies. Votre attention doit se fixer sur lactivit accomplie. Il ne doit pas y avoir de recherche dimmersion volontaire dans les profondeurs de la Conscience. Ce quil doit y avoir, cest paralllement la concentration de lattention sur lactivit accomplie, la sensation que cette activit se droule au sein de votre conscience qui englobe la totalit du peru extrieur et intrieur de lhomme. En tant pleinement attentif lactivit, vous dcouvrirez ce qui demeure, en vous, inactif au sein de lactivit. Vous dcouvrirez ce qui contemple lactivit. Dans le plein, le vide rapparat, de mme quau sein du vide surgit le plein, car la perception du monde est pose sur le vide de la Conscience qui peroit et dans le vide sans fond de la pure Conscience, apparat la perception du monde. Il nest pas question, ici, de paradoxe philosophique, mais de constatation pratique. Accomplissez vos travaux en leur apportant le supplment dattention ncessaire ; cest--dire, en devenant encore plus attentif leur accomplissement et vous ferez lexprience du silence dans le bruit, de limmobilit dans le mouvement. En apportant un supplment de conscience, la sensation de la Conscience qui peroit deviendra claire en vous et, lorsquon demeure dans la sensation de la Conscience infinie qui peroit toute chose, on est libre.
104 Il ny a pas volont de simmerger ou de se concentrer sur cette Conscience infinie. La Conscience infinie est lambiance, ou lespace, lintrieur duquel nous nous concentrons sur lactivit accomplie. Si vous essayez de vous accrocher, par un effort volontaire, la perception du vide de la Transcendance, en vous concentrant sur lui, tout en essayant daccomplir une tche absorbante, vous effectuerez une dmarche contradictoire et vous ne parviendrez aucun rsultat durable ; la Transcendance vous chappera ou bien vous perdrez le contrle de votre activit. Par contre, si en effectuant un travail manuel ou intellectuel, vous polarisez la totalit de votre attention sur votre travail, afin datteindre une concentration parfaite, un silence stablit en vous. Non point le silence de labstraction vis--vis du monde, mais le silence de celui qui est entirement prsent ce quil fait. Dans ce silence dpourvu des mouvements parasites ou divergents du mental, dans ce silence, la rvlation du vide et dune immuabilit englobante de la Conscience qui peroit linstant prsent, rapparais mystrieusement. Cest donc en tournant, apparemment, le dos la Transcendance et en devenant pleinement attentif aux phnomnes qui meublent linstant prsent que larrireplan englobant, immuable et transcendant de la Conscience qui peroit se profile clairement dans votre exprience. La pratique sera donc double : dans vos moments de recueillement quotidien, vous vous dtournez du monde et vous immergez votre attention dans linformulable, ineffable et incommensurable prsence de votre Conscience. Dans vos activits, vous irez vers le monde et vous absorberez entirement votre attention dans linstant prsent afin que la sensation de la Conscience qui peroit linstant prsent soit claire en vous. Connatre la Transcendance sans concentrer son attention sur les activits accomplies, cest se condamner oublier sans cesse la Transcendance. Par contre, lorsque vous tes totalement prsent ce que vous faites, la qualit de votre attention vous ramne sans cesse dans la sensation de votre Conscience qui peroit linstant prsent, lenglobe et le transcende. Lexprience confirme donc pleinement laffirmation selon laquelle plus on veut saisir la Transcendance, plus sa ralisation nous fuit .
105 Connaissez la Transcendance dans des moments de recueillement contemplatif, immergez-vous librement en elle en oubliant le monde ; mais, chaque fois que lactivit ou la circonstance exige votre attention, ne cherchez pas vous accrocher la plnitude du vide, demeurer immerg ou concentr dans la Transcendance, entrez totalement dans la mouvance du plein et, en lui, retrouvez-le sans forme. Car, en vrit, toute forme est perue lintrieur du vide de votre Conscience. Devenez donc conscient de lespace lintrieur duquel vous percevez le monde et lhomme. Tout ceci, en dfinitive, consiste vous dire : dans la contemplation comme dans laction, soyez attentif la Conscience . Il y a une attention contemplative qui nous retire hors de la perception du monde. Il y a une attention active qui nous absorbe dans le droulement des phnomnes. Dans un cas comme dans lautre, lorsque lattention est intense, la Conscience est intense. Et, lorsque la Conscience est intense, elle a la sensation et la connaissance, implicite ou explicite, de son infinitude et de sa transcendance. La conscience rduite, cest lignorance et le sommeil spirituel. La Conscience intense, cest la connaissance et cest lveil transcendant. En pratiquant ce que nous venons de dire, vous vous rapprocherez du but, mais vous ne latteindrez pas. Pourquoi ? Parce que, sil est ncessaire de raliser lerreur de se concentrer sur la Transcendance au sein de lactivit, le fait de prter attention vous-mme, en tant que Conscience ou bien de prter attention lactivit accomplie, vous place encore au niveau de lattention, dune attention qui peut se renforcer ou dcliner et qui peut tre oriente dans une direction ou une autre. Or, votre Ralit ultime se trouve au-del de lattention et de linattention ; au-del de lattention contemplative et de lattention active ; au-del de la connaissance et de lignorance.
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APPROCHE DE LA VIGILANCE
La distinction entre la vigilance et la concentration est de la plus haute importance. Lorsquune telle distinction nest pas faite au sein de la pratique quotidienne, le Sentier risque dtre irrmdiablement ferm. Vouloir constamment se concentrer sur la Transcendance deviendrait rapidement un acte artificiel, terne, sans got. Cela engendrerait une lutte puisante. Sans cesse, votre attention serait attire par les choses du monde et, sans cesse, il faudrait la retirer des choses sensibles pour la fixer sur la Transcendance. Une telle discipline serait vcue comme une contrainte terrible et desschante, comme une mortification et une souffrance humaine. Une telle concentration constitue, en fait, un rejet du monde radical. Il y a l une attitude de fuite. Le monde devient un lieu de tnbres dont on cherche dsesprment svader. Une telle dmarche tourne le dos une totale acceptation de ce qui EST. Nous avons dit quil fallait tre attentif aux agissements de lhomme, quil fallait tre prsent soi-mme et que, dans cette attention, larrire-plan de la Conscience tmoin qui peroit lhomme et le monde, se dgagera. Cependant, si vous croyez que cette attention est une concentration, vous ne dcouvrirez pas la Conscience tmoin. Celui qui voudrait utiliser la concentration sur lhomme et le monde extrieur, pour instaurer lveil dans sa vie quotidienne, serait oblig de faire un effort constant. De plus, cet effort constant serait sans cesse contrari par les phnomnes et les circonstances. tant concentr sur le corps physique, il serait distrait par le surgissement dune pense. tant concentr sur les penses, il serait distrait par lapparition dune sensation corporelle. tant concentr sur lhomme dans son ensemble, le monde le distrairait. tant concentr sur un lment du monde extrieur, un autre lment du monde, ou bien lhomme lui-mme, le gnerait. Nous arrivons donc la conclusion suivante : lveil ne rsulte ni dune concentration sur la Transcendance, ni dune concentration sur le monde extrieur, ni dune concentration sur le corps ou le mental de lhomme.
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Il en va ainsi, car lveil ne rsulte pas dune concentration, mais dun tat de vigilance. La distinction entre la concentration et la vigilance est la suivante : dans la concentration, lattention est rassemble sur un point prcis lexclusion des autres types de perceptions. Par contre, la vigilance est une attention ouverte, dans laquelle vous tes le spectateur de toutes les catgories de perceptions internes ou externes. Dans la concentration, une dualit entre vous et lobjet de votre concentration est entretenue. Il y a lobjet sur lequel vous vous concentrez et que vous ressentez comme autre que vous. Par ailleurs, il y a vous-mme qui vous intressez avec une attention soutenue et exclusive cet objet. Dans ce processus, lego demeure et cest lui qui effectue leffort de concentration. Dans la vigilance, il ny a pas de dualit. Or, cest prcisment sur la notion de dualit, sparant et isolant le moi individuel du reste, que se fonde lego. Dans la vigilance, il y a des phnomnes psychologiques et sensoriels qui sont perus et il y a la Conscience qui est attentive vis--vis de tous les phnomnes, sans discrimination. Entre la Conscience qui peroit et les phnomnes, il ny a rien. Il ny a aucun processus mental cherchant saisir tel type de phnomnes et fuir tel autre type de phnomnes Cette absence de saisie ou de fuite est prcisment la disparition de lego. Dans la concentration, il y a implicitement un dsir de possession, une convoitise, une tentative de saisie vis--vis de lobjet de la concentration. Au contraire, la vigilance est une attitude non possessive. Cest une attitude qui ne convoite ou ne redoute rien. En elle, il y a acceptation de ce qui EST. Lorsque vous tes vigilant vis--vis du peru interne ou externe, vous devenez tout naturellement la Conscience tmoin et vous cessez dtre impliqu dans le peru. Lorsque vous demeurez vigilant, simplement vigilant, sans concentration sur quoi que ce soit et sans rejet dun type quelconque de perceptions sensorielles ou psychologiques, vous demeurez alors attentif, en acceptant tout ce qui est peru, sans vous accrocher ceci ou cela et sans refuser ceci ou cela.
108 Les expriences vcues par lhomme ne laissent pas de trace intrieure. Cest la fin du karma. Cest la fin de lincessant conditionnement exerc sur lhomme par la vie quotidienne. Il en est ainsi, car ce qui cre notre destin, ou notre karma futur, ce qui simprime dans le psychisme, le conditionne et conditionne lavenir, ce sont les constantes apprciations et refus de lego. Dans la concentration, une impression sinscrit profondment dans le psychisme. Plus la concentration est intense, plus cette marque est profonde. La concentration est un moyen pour conditionner volontairement le psychisme. Dans cette dmarche, lego ne disparat pas. Il reste puissant, cest lui qui fait leffort de concentration et qui sintresse intensment lobjet de la concentration. La concentration fait donc partie des recueillements qui ont pour but de modeler le psychisme. Cest une bonne chose dans la mesure o lobjet de concentration est spirituel. Si la concentration spirituelle et la vigilance sont complmentaires, il nous faut constater quel point la dmarche de ceux qui cultivent ce que lon appelle la pense positive, ou la pense cratrice est diffrente de ce que nous proposons. La pense positive qui a pour but de modifier le destin dans le sens de nos dsirs consiste se concentrer sur la reprsentation de ce que lon souhaite voir se raliser. Ce type de concentration qui fait appel la puissance cratrice de la pense est tout fait passionnelle. On cherche obtenir une bonne sant, la russite sociale, etc. Il en rsulte un renforcement de lego. La pense est sans cesse concentre, tendue, vers la concrtisation de nos souhaits, la ngation de nos craintes. Dans la vigilance, on retire le voile passionnel. Il ny a plus de dsir, plus de prfrence. La conscience de lhomme vigilant est un espace vierge sur lequel dfilent des phnomnes et en lequel rien ne sincruste. Une libert intrieure totale vis--vis des phnomnes est obtenue.
109 Un aspect fondamental de la vigilance rside dans la notion de dtente. Vous ne pouvez pas tre vigilant si vous ntes pas totalement dtendu. Dans la vigilance, vous ne vous projetez plus sur les objets de perception. De ce fait, vous cessez de vous contracter physiquement, motionnellement ou mentalement. Lexistence humaine est sans cesse traverse par de multiples tensions, car lorsquil y a dsir une tension est dirige vers son objet. Il y a galement les tensions qui rsistent ceci ou cela lorsquil y a un refus. Comprenez clairement que, dans la vigilance, toute tension disparat. Vous acceptez ce qui EST, dinstant en instant, en conservant une attention lucide et dtache vis--vis de toutes les catgories de perceptions. La tension physique, cest la tension qui est la plus aisment perceptible et contrlable. De plus, en raison de linterdpendance entre le corps et le psychisme, toute tension mentale ou motionnelle se rpercute dans le corps. Voici pourquoi vous devez prter une grande attention cette forme de tension afin de progresser sur le chemin de la vigilance. A de frquentes reprises quotidiennes, prenez conscience de votre corps. Passez en revue ses diffrentes parties et regardez sil ny a pas de tensions inutiles. Des tensions qui ne sont pas ncessaires pour laccomplissement de votre activit. Le visage, les paules, les bras, les mains, le ventre, les fesses, les autres parties du corps, sont-ils inutilement crisps ? Si la rponse est affirmative, dcontractez-les. Constatez la relation quil y a entre la vigilance intrieure et la dcontraction du corps. Toute attitude de vigilance engendre une dtente au niveau du corps et toute dtente corporelle favorise laccomplissement de la vigilance. Apprendre vivre avec vigilance, cest apprendre vivre dune manire physiquement dcontracte. Observez les multiples contractions et crispations inutiles laccomplissement dune activit musculaire normale et saine en vous rappelant que sil y a tension interne ou externe, lego est prsent. Lego sagrippe aux phnomnes plaisants, repousse les phnomnes dplaisants et cela cre sans cesse des tensions.
110 Lorsque tout est accept dans une sereine vigilance, il y a dtente ; une dtente profonde et totale vcue comme un contentement parfait au sein de lexistence. Par la vigilance, se librer des tensions mentales, motionnelles et physiques, cest connatre une forme spciale de bonheur. Dans la vigilance et la dtente : Vous tes vraiment bien dans votre peau . Chaque jour est un bon jour . Chaque instant est une perle prcieuse . Sachez-le, si votre vie est crispe, angoisse, grise, terne, morose, vous ne connaissez pas lveil, vous ne connaissez pas la vigilance, vous ne connaissez pas la dtente. La joie et la dtente sont des signes et des consquences fondamentales de lveil. Lorsquelles font dfaut, la pratique est errone. Cest seulement au sein de la vigilance et de la dtente que la vie humaine devient un jeu. Rien nest vraiment srieux lorsquon est parfaitement dtendu. Dans la vigilance, ce quil est convenu dappeler les vicissitudes de la vie humaine sintgrent dans une vision du monde qui demeure ludique. Pour atteindre la perfection dans laccomplissement de nos activits, il faut allier la dtente et la vigilance. Toute crispation physique ou mentale est une erreur. Travaillez dans la dtente et la vigilance. Vivez dans la dtente et la vigilance. Comprenez que toute tension et toute crispation vous lient la chose accomplie et limite vos capacits. La conscience du profane est sans cesse absorbe par ce quil peroit. Constamment, il disparat dans ces perceptions. Au sein de cet oubli de soi-mme,
111 les phnomnes dattraction et de rpulsion qui engendrent des tensions rgnent en matre. Par sa vigilance ladepte passe au-del des contraires. Non point parce quil abolit les contraires, mais parce quil observe avec vigilance les phnomnes dattraction et de rpulsion qui peuvent se produire en lhomme. La concentration enferme notre attention dans ce que lon peroit et cest pourquoi, en dehors des petites concentrations ncessaires laccomplissement des tches quotidiennes, la recherche dune concentration parfaite nest acceptable, durant des moments de recueillement, que sur des thmes spirituels. Dans la vie active, seule, la vigilance qui est une attention ouverte et non slective nous place dans la position du Tmoin par rapport ce qui est peru. Sil y a concentration, cest lego qui fait leffort de concentration. Par contre, la vigilance nous conduit directement ltat sans ego. En demeurant vigilant vis--vis des tres et des choses, vous devenez intensment conscient de ce que vous percevez. Vous tes la pure Conscience qui peroit. Lego sefface. Il ny a personne pour juger ce qui est peru, pour se sentir distinct et spar de lui, pour vouloir sen emparer. Cest un tat dunion et de non-dualit avec le peru. Dans cet tat qui est parfaite comprhension et parfaite acceptation, il y a Amour. Par la vigilance, vous devenez le Tmoin du monde extrieur et du monde intrieur. Vous ne privilgiez aucune direction de lattention. Vous ne cherchez pas tre plus particulirement conscient du monde extrieur ou plus particulirement conscient du monde intrieur. Devenez centr en vous-mme, dans une immobilit immatrielle et attentive. Cette immobilit est celle de la Conscience qui peroit.
112 Devant cette Conscience dfilent les perceptions psychologiques qui constituent le monde intrieur et les perceptions sensorielles qui constituent le monde extrieur. En observant ainsi les deux mondes, intrieur et extrieur, vous percevez clairement leur interrelation. Vous voyez linfluence de lextrieur sur lintrieur. Vous constatez la manire dont lintriorit colore et interprte lextriorit. Pour vous, le Tmoin vigilant, extriorit et intriorit, finissent par faire partie du mme tissu de perceptions. Cest la trame phnomnale que vous contemplez sereinement. Toute concentration est un rtrcissement du champ de lattention. Dans la vigilance, vous devez, au contraire, tre ouvert aussi largement que possible toutes les espces de perceptions sensorielles ou psychologiques qui peuvent jaillir. Vous demeurez attentif, sans choix, sans censure, sans prfrence vis--vis de ce qui surgit. Vous conservez, tout instant, une vue densemble de la situation existentielle. Lhomme doit continuer tablir des choix, faire des projets, mais, dans votre vigilance, vous tes le Tmoin impartial des choix et des projets. Vous regardez constamment lhomme vivre et vous regarder le monde au sein duquel volue cet homme. Tout effort se situe dans la trame des phnomnes. Tout effort engendre une srie de causes effets. Tout effort sintgre dans le fleuve mouvant du devenir. Cest pourquoi aucun effort, de quelque nature quil soit, ne peut vous faire sortir du monde des phnomnes et vous librer de la prison temporelle. Il est donc fondamental que vous compreniez que la vigilance est un non-effort. Le seul effort que vous ayez faire est celui de vous rappeler, au sein de toute activit, la ncessit de la vigilance. Quant la vigilance elle-mme, elle sinstaure par un non-effort, un non-faire, un non-dsir, une cessation de limplication dans le peru, la fin dun mouvement
113 dadhsion au vcu, la fin dun rejet ou dune fuite, linstauration dune passivit intrieure attentive. Dans la vigilance, nous laissons notre esprit dans son tat naturel. Nous cessons de linvestir dans les objets de perception. Lorsque lesprit demeure dans son tat naturel, il sinstalle dans la position du Tmoin. Cette attitude, lorsquelle vous sera devenue habituelle, vous apparatra comme la plus simple de toutes. Cest lesprit du profane qui est compliqu, lesprit du sage est la simplicit mme. La vigilance aboutit demeurer enracin en soi-mme, dans le vide et le silence de notre Conscience et, partir de l, rester veill, ouvert tout ce qui EST, percevoir sans refuser, sans dformer, sans choisir, sans saccrocher ceci ou cela. Par la vigilance, lorsquelle est constante, parfaite et profonde, vous ralisez ltat suprme de la Dlivrance de toutes les conditions dexistence. Vous devenez un tre libr en cette vie. Il ny a rien rechercher au-del de cet tat. Dans la vigilance, vous tes attentif vis--vis du monde et vis--vis de lhomme, mais votre attention, au lieu de vous perdre et de vous absorber dans ce que vous percevez, vous ramne sans cesse vers le centre de vous-mme, vers le silence de la Conscience qui peroit. Dans la vigilance, nous acceptons les choses telles quelles sont. Aucun lment de la ralit perue ne nous drange. Nous laissons le peru tre l, sa place. Nous acceptons les phnomnes, nous les laissons se manifester sans rsistance. Nous ne voulons rien et nous ne refusons rien. La paix la plus haute en rsulte. Lidentification lhomme est la consquence du fait dtre compltement absorb par lexprience du vcu et de labsence de conscience de Soi. Cest dans le connais toi toi-mme que se trouve la Ralisation spirituelle, car celui qui se connat lui-mme, et qui maintient cette connaissance au sein de toutes les activits nest plus emport par le vcu. Il demeure un spectateur attentif et dtach, centr en lui-mme. La dsidentification peut tre, au dbut du chemin, le fruit dun effort, le fruit dun raisonnement analytique. Un tel processus peut tre ncessaire pour arriver se sentir tre le Tmoin. Mais, ds que lon progresse, leffort de dsidentification doit
114 disparatre, au profit dune dsidentification spontane et implicite, qui nest pas la rsultante dun effort, mais la consquence spontane de la vigilance. Sachez-le, lorsque vous tes en tat de vigilance, vous tes automatiquement dsidentifi, sans avoir rien fait pour cela, sans raisonnement particulier, sans dmarche intellectuelle. Dans la vigilance, vous constatez votre dsidentification vis--vis de lhomme que vous percevez. Cest une vidence vcue. Lorsque vous avez compris dexprience ce quest la vigilance, lorsque celle-ci sinstalle dans votre vie, il ny a plus rien dautre faire, il ny a plus rien dautre chercher. La seule chose qui compte et qui est lunique chose ncessaire, cest de continuer devenir de plus en plus frquemment et profondment vigilant. Tous les efforts spirituels doivent tre abandonns. Il sagit de demeurer constamment dans ltat de non-effort attentif qui est le propre de la vigilance. A ce stade, vous pouvez vous heurter une rsistance de lego. Lego sest nourri de la spiritualit, comme il se nourrit de toute chose et il veut continuer faire des efforts spirituels. Il veut lire dautres livres sur la spiritualit, pratiquer des techniques et des disciplines, faire ceci ou cela. Or, en vrit, quand on sait ce quest la vigilance, il ny a plus deffort faire, plus de livre lire, plus de technique ou de discipline spirituelle de ncessaires. La seule chose qui est requise, cest le constant rappel de lexigence de la vigilance. Mais, cela ne plat pas lego, car il se nourrit des efforts et la vigilance est un non-effort. Ainsi, vous constatez que lego veut continuer cultiver une fausse spiritualit faite defforts, car il redoute le non-effort de la vigilance qui lui est tranger. Lego doit lcher prise. Lego est plein de dsirs et, ce sujet, les dsirs spirituels ne sont pas moins asservissants que les autres. Lego veut obtenir ceci et viter cela. Lego veut sefforcer datteindre. Lego veut se raliser spirituellement. Tout ceci doit scrouler. Tandis que la vigilance est une totale acceptation de ce qui existe au moment prsent, la fausse spiritualit est taraude par lobscur dsir datteindre un ailleurs .
115 Par la vigilance, vous devez cesser dtre dans une attitude de fuite et adopter une attitude dacceptation. Or, la totale acceptation de ce qui existe, cest la fin des dsirs errons de lego. Par la vigilance, prenez lhabitude de laisser lhomme accomplir laction ncessaire, sans effort intrieur, sans crispation inutile. Laissez-le accomplir laction comme une rponse spontane, dinstant en instant, aux situations de lexistence. Laissez-le agir sous la lumire de votre prise de conscience, tandis qu lintrieur vous demeurez dans la paix et le silence, en ressentant dune manire profonde que seul lhomme agit, tandis que vous, la Conscience spectatrice, vous demeurez non-agissant. Lhomme doit continuer dagir dune manire aussi efficace que possible, en se laissant guider par sa conscience morale. Lhomme doit continuer faire des projets et agir dans le but daccomplir ces projets. Mais, vous qui demeurez lobservateur silencieux, vous ntes plus impliqu motionnellement dans la russite ou lchec des projets et des activits humaines. Vous constatez la russite ou lchec de lhomme, avec la mme neutralit et indiffrence attentive. Par la vigilance, votre ego va se dissoudre, et cette dissolution de lego est une grande libration pour lhomme lui-mme. Lego porte fictivement le poids du monde sur ses paules. Il est plein de soucis, de peurs, dangoisses, de dsirs. Lorsque la conscience sinstalle dans la paisible position dun spectateur attentif, le fardeau du monde scroule. On ne redoute plus rien. La maladie, la prison, la mort ou la souffrance sont des spectacles que nous sommes prts regarder avec la mme qualit dattention. Nous cessons de redouter, nous cessons de fuir. Il en rsulte une grande paix, une grande dtente. Vouloir faonner son existence, cest une responsabilit terrible. Vous luttez contre les obstacles, vous luttez contre le destin, vous luttez contre ladversit. Par la vigilance, vous savez que lexistence vous est donne gratuitement, vous acceptez tout ce qui vient et vous cessez de chercher quelque chose de particulier. De jour en jour est accompli ce qui doit tre fait et, avec la mme tranquillit, vous voyez certaines choses saccomplir et dautres ne pas se raliser. Vous observez
116 galement des lments nouveaux et imprvus surgir dans votre vie. De cette attitude rsulte une sensation de libert quotidienne. Lorsque lego est dissous, vous tes conscient, en votre manifestation humaine, de jouer un rle auquel vous ne vous identifiez pas. Intrieurement, vous tes distinct et libre vis--vis des actions accomplies, des paroles prononces, des penses mises. De jour en jour, ce quil faut faire apparat clairement lhomme qui est ainsi port et entran par le courant de sa prdestination individuelle. Il ny a aucun souci se faire, tout ce qui doit tre accompli le sera, en son temps. Demeurez simplement dans votre non-agir intrieur, en regardant lhomme agir avec compassion et amusement. Vivre dans la vigilance, cest vivre avec les yeux merveills dun enfant. Vous constatez que chaque instant est unique. Tout ce qui peuple cet instant prend une acuit, une densit, une intensit inexprimables. Le peru devient lumineux. Il ny a plus dacte vide, plus de moment insignifiant. Tout a le got de lternit. Lorsque linstant est vcu avec une vigilance parfaite, une plnitude totale est ressentie, plnitude en laquelle il ny a plus rien dsirer dans le futur. Tout est l, dans linstant qui passe. Ds que la vigilance sinstalle, il ny a plus de corve, plus de chose dplaisante faire, plus dennui, plus dimpatience. La disparition de ces symptmes est un signe trs clair, indiquant que vous introduisez correctement la vigilance dans votre vie. Constatez par vous-mme la ralit de ce que nous disons. Si vous tes ennuy, devenez intgralement conscient des penses, des sons, des mouvements, des couleurs, des sensations, de vous-mme qui percevez tout cela. Devenez vigilant et constatez que lennui sen va. Sennuyer, cest tre enferm dans un ego morose qui ne trouve aucune satisfaction immdiate dans le vcu. Faites de mme lorsque vous tes impatient, lorsque vous accomplissez un travail qui vous rebute. Chaque fois, constatez que si vous tes attentif la totalit du peru qui meuble linstant, le sentiment ngatif disparat. Une humeur ngative nest rien dautre que
117 le fait de senfermer dans la perception intense du ressassement dune pense. En devenant conscient de la totalit du peru, la pense ngative nest plus quun phnomne parmi dautres, cessant de vous accaparer avec exclusivit, elle perd sa force puis disparat. Vous tes timide, observez avec vigilance les manifestations de votre timidit. Acceptez ces manifestations, ne les repoussez pas. Contentez-vous de les regarder avec une attention paisible et, peu peu, elles disparatront. Il en est de mme pour la colre ou la mauvaise humeur. Ne repoussez pas ces manifestations ngatives. Les repousser, cest entrer en lutte avec elles. Contentezvous den prendre conscience, de les observer avec vigilance. En introduisant la vigilance dans tous les aspects de votre vie quotidienne, vous constaterez rapidement quavec elle vous dtenez la clef dune transformation intgrale de ltre humain. Sachez quil existe bien des degrs de vigilance et que, par votre pratique quotidienne, vous irez de vigilance en vigilance plus intense et plus profonde. Il y a trois aspects fondamentaux qui caractriseront vos progrs sur le sentier de la vigilance : la frquence quotidienne de vos moments de vigilance, la dure de ces moments et, enfin, la profondeur de votre vigilance. Long est le chemin qui mne une vigilance la fois profonde, parfaite et ininterrompue. La vertu essentielle est la persvrance. Il faut, jour aprs jour, devenir de plus en plus frquemment, longuement et profondment vigilant. Au dbut, votre vigilance sera peut-tre faible. Vous ne ressentirez peut-tre pas le silence intrieur, la position du Tmoin, le non-agir au-del de lhomme dont nous avons parl. Il faut persvrer. Vous serez confront avec la claire vision de tous vos dfauts, de votre mdiocrit. Acceptez paisiblement cela. Constatez quen demeurant lobservateur attentif de la ngativit humaine, celle-ci sestompe, non point soudainement, mais peu peu. Ce sera dj un bon rsultat.
118 Continuez persvrer et, petit petit, la profondeur viendra ; une profondeur en laquelle vous constaterez ce que nous avons dit et o vous ferez lexprience de tout ce qui est inexprimable. Refuser le ngatif sous prtexte que lveil est incompatible avec lui est une grave erreur qui bloque toute progression ; car il faut vous veiller vis--vis du ngatif pour parvenir vous en librer. Sveiller vis--vis du ngatif, cela veut dire observer avec vigilance le ngatif lorsquil se produit. Il est des chercheurs spirituels qui croient pouvoir voluer en niant la ralit du ngatif qui les habite. Ce ngatif, ils ne veulent pas le voir. Ils le refoulent aussi profondment que possible. Pour eux, la spiritualit consiste planer au-dessus de tout cela. Par leurs conceptions spirituelles, par lentretien de bonnes penses, par un effort dabstraction, ils cherchent dissimuler, se cacher la ngativit qui est en eux. Cest une totale erreur qui se situe aux antipodes de la vigilance et de la lucidit. Lerreur inverse consiste tre parfaitement conscient de notre ngativit et se dcourager en face delle, en croyant que tout effort pour sen manciper est, par avance, vou lchec. vitez ces deux attitudes ; pas de dissimulation, pas de dcouragement, une observation attentive et impersonnelle, cest tout. Supposons que vous soyez angoiss. Ne vous imaginez pas que le chemin de lveil prsuppose la fin de vos angoisses. Le chemin de lveil passera au travers de vos angoisses. Lorsque vous serez angoiss, ne croyez pas je ne puis tre veill, car je suis angoiss . Au contraire, langoisse est une excellente occasion pour vous veiller. Ne refusez pas votre angoisse, acceptez-la. Devenez vigilant. Ne vous concentrez pas sur votre angoisse. Observez-la attentivement tout en restant ouvert lensemble du peru qui constitue linstant prsent. Ne vous laissez pas entraner par elle. Observez lucidement la nature de ce phnomne mental sans vous laisser captiver par lui et en conservant une vision holistique. Devenez le Tmoin. Nattendez aucun rsultat immdiat. Soyez prt observer langoisse aussi longtemps et aussi souvent quelle se produira. Nul doute que si vous observez rgulirement vos angoisses dans un tat de vigilance dsidentifie, qui ne se laisse pas entraner, mais qui ne refuse pas ce qui
119 existe, vos angoisses disparatront. Si vous avez des fantasmes, des manies, des phobies, faites de mme. Quand il y a de lgosme, constatez quil y a de lgosme. Quand il y a de la gnrosit, constatez quil y a de la gnrosit. Ne vous attribuez aucune vertu et aucun vice. Vous tes le Tmoin. Vis--vis du ngatif, savoir constater au moment prcis o cela se produit : ceci est un phnomne davarice , ceci est un phnomne de tristesse , ceci est un phnomne de mauvaise humeur , ceci est un phnomne dnervement , ceci est un phnomne de mdisance , ceci est un phnomne de mensonge , ceci est un phnomne de vantardise , ceci est un phnomne de lchet ..., cest le commencement de la libert et de la purification. Lobservation impartiale et dsidentifie du ngatif, lorsquelle est suffisamment rpte, dtruit le ngatif. Le ngatif ne supporte pas la lumire dune conscience intense. Voici ce que rvle lexprience. Il faut connatre le ngatif pour pouvoir le vaincre sans effort. Or, seule lobservation vigilante du ngatif peut nous en donner une relle connaissance. A chaque instant, vous pouvez tre distrait, concentr ou vigilant. Si vous tes distrait, vous tes perdu dans vos penses, noy dans le ronron de lego. Cest le sommeil spirituel. Si vous tes concentr, une seule chose existe, lobjet sur lequel vous tes concentr. Si vous tes vigilant, votre attention est rceptive, ouverte, elle accepte tout ce qui vient. Paralllement cette attention au peru, vous tes centr en vous-mme. Vous vous sentez en train de percevoir. Il faut absolument faire lexprience de la distinction qui existe entre la concentration et la vigilance, pour travailler dune manire correcte. Asseyez-vous et coutez un disque avec une attention concentre. Cherchez ne plus percevoir que la musique. Ensuite, coutez un autre disque avec une attention vigilante. En ce cas, vous coutez la musique, mais vous demeurez conscient de vous-mme. Le corps est assis, il y a la musique, il y a lensemble de la pice, il y a
120 le silence de celui qui coute. Comprenez la diffrence. Si vous vous concentrez, vous faites un effort. Tout ce qui est tranger la musique vous drange et vous vous oubliez vous-mme. Si vous tes vigilant, vous ne faites pas deffort, vous tes ouvert tout, sans prfrence, et vous tes conscient de vous-mme. Dans la vigilance, rien ne vous surprend et rien ne vous drange. Si, pendant que vous coutez la musique, un enfant ouvre brutalement la porte et entre en criant, vous acceptez ce fait avec tranquillit ; cela fait partie du spectacle. Par contre, en tat de concentration, vous sursautez et vous tes contrari ou agac, drang dans votre audition de la musique. Comprenez bien en quoi consiste la vigilance et, ensuite, cherchez demeurer vigilant chaque instant de votre vie. Toute la difficult est l : demeurer vigilant chaque instant ; car, nous ne parlons pas de faon allgorique, cest chaque instant quil faut tre vigilant. Nous ne disons pas : soyez vigilant chaque instant en esprant que chacun mettra un peu de vigilance dans sa vie. Nest vritablement engag sur le Sentier initiatique que celui qui a pour but effectif, et pour tentative quotidienne, le fait dtre vigilant chaque instant. Cest une tche norme ! Et pourtant, cela mne au non-effort. Ne progresse dans la voie de la recherche constante de la vigilance ou de lveil, que celui qui a compris que cette pratique tait laboutissement concret de la totalit de sa dmarche spirituelle et qui polarise toutes ses forces vive dans latteinte de ce but. Votre vie ne doit avoir quun objectif : tre vigilant. Tout le reste est secondaire. Quels que soient les vnements qui pourront survenir, que vous soyez bien portant ou malade, riche ou misreux, quil y ait la guerre ou la paix, que vous soyez mari ou solitaire, que ceux que vous aimez soient vivants ou morts, vous ne devez avoir quun seul but en toute circonstance, demeurer vigilant On ne peut valablement faire ceci ou cela et en plus sveiller. Il faut dabord, en priorit absolue, chercher sveiller et, ensuite, accessoirement, faire ceci ou cela. Pour vous raliser spirituellement, il faut cultiver et obtenir une vritable obsession de lveil. Lobsession rside dans le dsir dtre veill et dans le rappel de lveil. Cest seulement lorsque vous serez obsd par la ncessit de lveil que,
121 sans cesse, au cours de chaque journe, vous vous rappellerez je dois tre vigilant . Cependant, et cest l o cette obsession se distingue radicalement des obsessions pathologiques que connat la psychologie, chaque fois que vous vous rappellerez la ncessit de lveil, vous ne cultiverez pas une pense au sujet de lveil, mais vous instaurerez un tat de vigilance. Dans cet tat, toute obsession mentale cesse. Aucune pense particulire nest cultive, puisquil sagit dune attention ce qui se manifeste spontanment. Lobsession est donc requise pour se rappeler lveil ; cest elle qui, sans cesse, vous ramnera lveil. Mais, ds quelle vous a rappel lveil, ce qui ne dure quun instant, elle sestompe pour faire place la vigilance. Dans cette recherche ardente, constante et obsessionnelle de lveil, qui est une condition indispensable la Ralisation, un obstacle peut surgir : vous pouvez cultiver une vigilance artificielle qui soit le fruit dun effort. Aussi, noubliez jamais ce critre fondamental : la vritable vigilance saccompagne dune dtente physique et mentale. Si le fait de vous veiller vous demande un effort, une crispation, une tension, si cela engendre une fatigue, une pesanteur, vous ntes pas en veil. La dtente physique et mentale, la joie, le dynamisme, la lgret intrieure sont les premiers signes de lveil. Observez-vous. Bannissez tout effort, toute tension physique ou mentale ; soyez ouvert, alerte, dtendu, heureux. Ne brimez pas lhomme. Laissez-le agir, penser et sexprimer librement. Ne cultivez pas une attitude artificielle. Contentez-vous dobserver avec vigilance ce qui se passe. Sans cesse, vous serez oublieux de la vigilance et, sans cesse, il faudra vous la rappeler. Le seul effort faire se situe dans le rappel. Et encore, ce nest pas vraiment un effort, cest plutt le fait dtre totalement imprgn de la ncessit de la vigilance. Ds que la vigilance sinstalle, cest le non-effort, le non-agir intrieur. Dtendez votre corps, dtendez votre esprit. La vie est belle pour qui sait voir. Lchez prise. Abandonnez le fardeau de vos tensions internes. Quimporte ce qui arrivera ! Quoique ce soit, ce sera le bienvenu.
122
Abandonnez tous les soucis. Vous navez pas de destin, vous tes hors du temps. Vous tes le spectateur immobile et silencieux. Vous tes libre. Quand vous ntes pas en veil, constatez Je ne suis pas en veil et observez votre tat de non-veil. Ne vous rvoltez pas, ne vous dsesprez pas. Ce serait une tension qui vous loignerait de la vigilance. Acceptez ce qui EST. Il y a absence dveil, regardez avec vigilance en quoi consiste cette absence dveil. Comprenez la nature de ce qui vous a loign de lveil. Demeurez vigilant et attentif vis--vis du non-veil. En faisant cela, le non-veil cesse dtre un sommeil et se transforme en veil. Ds prsent, instaurez en vous la vigilance : vous tes assis, soyez conscient dtre assis. Soyez conscient des penses qui surgissent. Soyez conscient des sons. Soyez conscient de la pice dans laquelle vous vous trouvez. Soyez conscient de vous-mme. Ne cherchez pas saisir simultanment le maximum de choses et de perceptions. Cela aussi serait une tension et un effort. Laissez naturellement venir vous les perceptions internes ou externes. Voici une pense et, ensuite, voici un son. Puis, voici une sensation. Tout cela dfile devant moi qui suis le spectateur. Il y a un flot de phnomnes qui coule tranquillement devant moi. Je me lve, dautres phnomnes surgissent. Je change de pice, dautres phnomnes apparaissent. Je vais au travail, dautres phnomnes se manifestent. Je parle, dautres phnomnes simposent. Et, pendant ce temps l, hors du temps, je suis le spectateur, le je qui agit nest quun reflet de moi-mme miroitant dans les phnomnes tandis que Je demeure en ma transcendance inactive. Tout le secret rside dans labolition des prfrences. La prfrence est la racine du dsir, la racine de lego, la racine de la servitude. tre attentif et vigilant quand la jouissance se manifeste, ne pas saccrocher elle, ne pas la repousser. tre attentif et vigilant quand la souffrance se manifeste, ne pas la dsirer, ne pas la repousser. Ne pas prfrer la jouissance la souffrance ou la souffrance la jouissance. Instaurez dans les deux la mme vigilance. Par cette vigilance, vous devenez le spectateur ternel.
123
Agir ainsi vis--vis de tous les couples contraires : la joie et la tristesse, la russite et lchec, la fatigue et lnergie, la rencontre et la sparation, etc. En toute chose, maintenez lidentique vigilance et vous serez libre. Lhomme doit continuer vivre normalement. Il cherche viter la souffrance, cest normal. Il travaille en essayant de russir, cest naturel. Mais cela ne vous concerne pas. Ce nest que le spectacle que vous regardez avec impartialit. La seule chose qui compte, cest dtre vigilant vis--vis des agissements de lhomme, vis--vis de ses ractions aux circonstances et vis--vis des vnements. Plus vous serez attentif, plus vous saurez que vous ntes pas concern par tout cela. A chaque instant, vous demeurez dans votre ternit silencieuse et bienheureuse. Il ny a rien dautre ajouter.
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APPROCHE DU PASSE
La pense humaine saccroche au pass. Sans cesse elle y fait rfrence. Le prsent est jug et interprt en fonction du pass. Le futur est envisag et organis dans lombre du pass. Les hommes portent sur leurs paules le poids du pass. Ce fardeau les crase. Ils sen plaignent parfois. Mais, paradoxalement, ils le chrissent jalousement. Personne ne voudrait tre priv de son pass. Par lego, le pass est appel lexprience . On chrit son exprience de la vie et on la raconte aux autres. Le pass est la fiert, ou la torture de beaucoup, et lon saccroche passionnment sa fiert ou son tourment. Pourquoi le mental gotique saccroche-t-il ainsi au pass ? Parce que le souvenir du pass est lune des illusoires possessions de lego. En fait, lego construit son leurre sur trois types de possessions illusoires. Dune part, il sidentifie au corps, aux ides, aux sentiments qui, en ralit, sont de simples phnomnes perus par la conscience. Dautre part, il sidentifie des choses ou des tres avec lesquels le corps entre en relation. De cette identification rsulte le sentiment de proprit : ma femme, mon mari, mes enfants, ma maison, mon chien, mon stylo. Pour lego, toute proprit est une partie de lui-mme. De ce fait, plus lego a de possessions, plus il se sent vaste, important, puissant. Ainsi se trouvent engendres la soif des possessions et lavarice. Mais, en ralit, le corps humain nest quun phnomne qui apparat et disparat au sein de locan des phnomnes. Chaque phnomne est engendr par dautres phnomnes et engendre, son tour, des phnomnes. Aucun phnomne ne possde un autre phnomne. Cest une impossibilit vidente. Le sentiment gotique de proprit est donc purement illusoire. La preuve en est donne chaque fois que le corps humain cesse dtre en rapport avec un phnomne
125 que lego avait pris lhabitude de considrer comme lui appartenant, car, si la possession tait relle, la sparation ne pourrait avoir lieu. Lorsquune telle relation cesse, lego ressent un sentiment de privation dautant plus fort que lidentification tait puissante. Toute possession tant pour lego une partie de lui-mme, chaque fois quil est priv de lune de ces illusoires possessions, cest comme si on lui arrachait un morceau de sa substance. Les souffrances de lattachement rsultent de cette aberration. En troisime lieu lego saccroche aux souvenirs du pass. Grce au pass, lego construit lillusion de sa permanence. Alors que ltre est quelque chose dindterminable, rservoir inpuisable du surgissement spontan dune multitude de phnomnes, lego construit de luimme une image fige. Il faonne un personnage quil peaufine tout au long de son existence. Une telle image reste cependant trs fragile et une grande partie de lnergie gotique se trouve investie dans la protection de cette image illusoire contre tout ce qui la menace. Lego est donc engag dans une lutte dsespre pour rsister lrosion du temps, la mort et tout ce qui agresse, contrecarre ou, encore, met en cause lintgrit de limage artificielle et illusoire quil a construite. Lamour propre rsulte de cela. Tel est le triste tat des choses communes quil vous faut observer en vous-mme, avec acuit, avant de pouvoir vous en librer. Lattachement au pass est une ncessit vitale pour lego, car la croyance illusoire quil a de sa propre existence repose sur une accumulation de souvenirs, auxquels il fait constamment rfrence, pour construire la fallacieuse impression dtre une entit dote de ralit et de continuit. En fait, lego est simplement une illusion qui rsulte dun fonctionnement erron du mental. liminer lego, cest se soigner dune aberration psychologique. Quune telle aberration soit gnralise dans lespce humaine ne change rien au fait quelle ne soit rien dautre quune aberration.
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Si cent millions de personnes prennent le mirage dune ville aperue dans le lointain pour une ville relle, cela noctroie aucune ralit au mirage. Pour dissoudre le mirage de lego, le fait de cesser de saccrocher au pass constitue un moyen radical. Comment peut-on cesser de vivre avec le poids du pass sur les paules ? En commenant par comprendre qu chaque instant le pass est mort. Ce que vous avez fait il y a une heure, un jour, un mois, un an, tout cela est dj perdus dans les abmes insondables du temps. Ralisez cela et acceptez-le. Si le pass a une influence sur vous, cest parce que vous portez son cadavre sur vos paules. Si vous lchez prise, si vous cessez de traner dans votre esprit une charrette pleine des cadavres en dcomposition du pass, le pass vous quitte et tombe dans le gouffre dvoreur du temps. Si ce que vous avez fait il y a une heure pse sur vous et vous influence, cest parce que vous portez sur les paules le cadavre de cet instant. Si ce que vous avez fait ou vcu il y a cinq ans, dix ans ou plus, pse sur vous et vous influence, cest parce que vous tirez derrire vous une charrette de cadavres puants. Ne croyez pas qu cause dune loi immuable le pass saccroche vous. A chaque instant, le pass est mort et aucun cadavre ne peut saccrocher vos basques. Cest vous qui, avec un dsespoir pathtique, vous accrochez votre pass. Cest vous qui, en tant quego illusoire, faites cela. Cest cet ego, collectionneur de cadavres, qui vous empche de connatre votre vritable nature qui demeure dans un ternel prsent. Pour que, dinstant en instant, le pass vous quitte et cesse davoir de linfluence sur vous, il faut tout simplement cesser de vous accrocher lui. La fracheur et la puret des enfants proviennent essentiellement du fait quen eux la besace du pass est lgre. Ce sont des tres neufs.
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A mesure que le profane avance en ge, la pesanteur psychique qui lenvironne saccrot et il finit par devenir un vieillard repli sur lui-mme, presque totalement inconscient du monde rel, passant ses journes dguster les lambeaux putrides de ses souvenirs, provenant du monceau de cadavres de son pass, sur lesquels il vit affal, en attendant sa propre mort. Puissiez-vous voir lhorreur de cette ralit dgotante et, ainsi, rejeter dune manire radicale les miasmes du pass. Aspirez une vie frache, neuve et limpide. Une telle existence est votre porte si vous cessez de vous agripper au pass. Comprenez ceci : chaque fois que vous apprhendez linstant prsent partir du pass, vous tissez devant vous un voile qui vous empche de voir le monde rel, et qui vous loigne de lveil. Lveil ne peut surgir que dans une pleine apprhension du prsent. Toute rfrence la mmoire du pass est une distraction vis--vis de lattention que vous devez porter au prsent. Pour regarder un arbre avec une pleine attention, il ne faut pas vous souvenir de tel ou tel arbre que vous avez contempl dans le pass, il faut regarder larbre qui est devant vous. Cest une vidence. Si vous comparez cet arbre un autre, si vous voquez des souvenirs lis cet arbre, cela signifie que vous ne regardez pas larbre tel quil est dans le prsent, en tant que phnomne unique, incomparable, inqualifiable, mais que vous vivez dans vos souvenirs et non dans le prsent. Soit vous vivez dans le pass, dans les souvenirs, soit vous vivez dans le prsent. Ceci est vrai chaque instant. Quand vous parlez quelquun que vous connaissez, tes-vous dans le prsent ou dans le pass ? Plus lpaisseur des souvenirs qui colorent le regard que vous portez sur cette personne est importante, moins vous tes dans le prsent.
128 Ainsi, plus les non veills se connaissent, moins ils se voient. Le poids et lpaisseur du pass sinterposent entre eux et la personne. Ils ne laperoivent quau travers de tout ce quils savent delle et tout ce quils ont vcu avec elle. Ce quelle dit ou fait sera, par eux, interprt en fonction de tous les souvenirs qui les relient cette personne. En dfinitive, ils ne peroivent plus la personne telle quelle est dans le prsent. Ils peroivent limage de cette personne, tel quelle sest forge en eux au cours du temps. Cette image est comme un masque plaqu sur la ralit de la personne telle quelle est en linstant. Ce processus peut tre vit. Pour cela, il faut chaque rencontre regarder la personne avec un regard neuf. Le pass est oubli. Il ny a ni souvenir, ni sympathie, ni antipathie, ni amour qui, venant du pass, sont voqus en linstant et colorent la perception. Toute votre attention et votre comprhension sont focalises sur la personne, telle que vous la voyez en linstant. Comprenez bien ceci : voir sa mre ou son pre, en ayant prsent lesprit le fait quils sont notre mre ou notre pre, rend impossible la perception relle de la femme ou de lhomme qui se trouve en face de nous. Nous sommes enferms dans le conditionnement du vcu antrieur et cette paisseur du pass nous empche de voir ce qui est dans le prsent. Il faut rejeter les notions du pass quand elles se prsentent notre esprit, porter un regard neuf, dpouill da priori, de prjugs et de souvenirs. Il faut chercher voir ce qui EST. Ce qui existe vraiment se trouve devant nous et non point dans le rservoir de la mmoire qui ne contient que le pass qui est mort. Si notre regard est neuf, notre comportement et notre comprhension le seront galement. Lamour, la sympathie ou lantipathie pour quelquun nexistent plus dans le pass. Dans le pass, il ny a que le fantme des souvenirs. Ainsi, vous ne pouvez pas dire : jaime mes parents, mon conjoint, mes enfants ou tel ami, en faisant rfrence au pass. Lunique ralit est la suivante : vous aimez
129 si, linstant mme, vous sentez un sentiment damour. Hors de cela, il ny a que le souvenir de lamour. Il en est de mme pour le ressentiment. Avoir du ressentiment en se rfrant une circonstance du pass, cest polluer le prsent dune charogne venue du pays des morts. A linstant mme, sans rfrence au pass, avez-vous du ressentiment pour cette personne ? Se poser cette question en toute sincrit, cest sapercevoir que nos ressentiments ne durent jamais, car, le ressentiment authentique, cest celui qui jaillit en linstant mme. Ds que je dois faire rfrence aux vnements passs pour prouver du ressentiment, il sagit dun ressentiment artificiel qui rsulte du fait de saccrocher au pass. Qui vit dans le prsent, vit avec un coeur libre de la haine et du ressentiment. Limage gotique de nous-mmes est construite sur le pass. Si nous rejetons le pass, nous rejetons toute reprsentation de nous-mmes. Nous sommes un mystre imprvisible qui savance dans une spontanit totale. Lorsque lon demande un non veill de dcrire sa personnalit, que fait-il ? Il se remmore tout un ensemble de faits et, voquant ainsi ses souvenirs, les ordonnant, il dresse, avec plus ou moins de perspicacit, un portrait psychologique de luimme. Un veill est incapable de faire de lui-mme un portrait psychologique. Sa mmoire contient autant de souvenirs que celle du non veill. Il peut raconter ses souvenirs, mais il ne fait pas appel sa mmoire pour dfinir ce quil est. Faire appel la mmoire pour dfinir sa personnalit, tel est le processus par lequel lego se construit. Lveill na pas dego. Il ne peroit pas son identit comme celle dune personnalit humaine. Pour lui, son identit est celle de la pure Conscience ternelle et immatrielle.
130 Une telle Conscience ne contient aucune caractristique particulire. Elle est vide de contenu. Je suis le vide lumineux et informel. Telle est ma nature. Telle est la vtre quelle que soit la circonstance. Chaque instant est pour moi neuf et imprvisible. Ces dclarations sont trs importantes. Elles indiquent que la vision du prsent est libre du poids du pass. Le non veill construit peu peu une image de lui-mme. Dans cette image, fruit du stockage des souvenirs, se dfinissent ses aptitudes, ses inaptitudes, ses gots, ses dgots, ses possibilits et ses impossibilits. A mesure que slabore cette reprsentation gotique, lindividu se trouve enferm dedans et conditionn par elle. En ralit, la personnalit humaine qui est forme dun flux spcifique de phnomnes est changeante et modifiable. Cette capacit de transformation qui est une caractristique de sa nature se trouve grandement amoindrie par limage gotique. Limage gotique a pour consquence essentielle de fixer des limites, de dfinir des caractristiques, et pour fonction de rsister aux possibilits de transformation naturelle. Cest ainsi que se maintient lillusion dtre une entit permanente, et se dissimule le fait que la personnalit nest que lexpression dun flux de phnomnes impermanents. Limage gotique ne parvient pas empcher tout changement et cette incapacit est pour elle la cause de multiples souffrances. Elle parvient cependant limiter dune manire importante la capacit de changement qui est normalement le propre de la personnalit humaine. Limage gotique constitue, au sein de la phnomnologie psychologique, un phnomne jouant le rle de filtre qui empche lapparition dun ensemble de phnomnes profondment transformateurs. Lveill a, galement, une personnalit. Son comportement, sa faon de penser, dagir et de ragir, possde des caractristiques spcifiques. Mais, cette personnalit ne contient pas cette sclrose que reprsente limage gotique. En
131 consquence, sa personnalit est infiniment plus souple que celle du non veill. Elle sadapte aisment aux modifications dues aux circonstances. Dautre part, la personnalit de lveill est une personnalit ouverte face linfinit des possibles, alors que celle du non veill est frileusement recroqueville sur les caractristiques auxquelles elle sidentifie. Dans cette optique, on comprendra que toute analyse dfinissant les caractristiques psychologiques dune personne, que cette analyse utilise les mthodes de la graphologie, de la morphogonomie, de la chirologie, de lastrologie, de la numrologie, des tests, etc., ne peut quaider lego cristalliser, avec plus de prcision, limage quil se forme de lui-mme. Ceci est totalement indpendant de la valeur ou de la non-valeur scientifique de telle ou telle des mthodes que nous avons cites, car, pour nous, que lego construise sa propre image partir dlments objectivement rels, ou totalement imaginaires, cest, en dfinitive, de peu dimportance. Dans un cas comme dans lautre, la nocivit de limage gotique est la mme. Les mthodes danalyse psychologique sont donc incompatibles avec le sentier de lveil. Elles renforcent lidentification et le sentiment gotique. Cest dailleurs ce qui explique leur succs. Lego trouve en elles un appui. Le sentier de lveil a pour but de draciner lego. Il nous amne la comprhension dune double constatation : je ne suis pas cet homme - cet homme est une suite de phnomnes impermanents et imprvisibles. En veil, vous pouvez juger le pass, mais vous ninterprtez jamais le prsent en fonction du pass. Vivre cela, cest vivre de jour en jour une vie totalement neuve. Sur autrui, je ne sais rien dautre que ce que je puis constater dans le prsent. Toute opinion sur autrui relative au pass, mme au pass dune heure, est incompatible avec lveil.
132 Sur lhomme que jhabite et utilise comme instrument, je ne connais rien dautre que ce que je constate dinstant en instant. Toute opinion sur lui, relative ce quil aime ou naime pas, peut faire ou ne pas faire, doit faire ou ne pas faire, si elle fait rfrence au pass, mme au pass dune heure, et si elle nest pas le fruit dune constatation jaillissant linstant mme, nappartient pas lveil. Rflchissez cela et comprenez quel point lveil ncessite un changement radical. Ralisez toutes les complications et surcharges inutiles de lexistence qui scroulent dans lveil. Voyez quel point la vie de lveill est comparable celle de lenfant : frache, pure, ternellement neuve, imprvisible, spontane, vibrante de vie, constamment jaillissante, merveille ! Ayant clairement vu cela, mettez-vous au travail. Chaque fois que le pass intervient dans votre perception ou apprciation, rassemblez toute votre attention sur ce qui peut tre vu en linstant mme, sans rfrence au pass. voquer le pass et le superposer au prsent, voil ce qui loigne radicalement de lveil. Cela ne veut pas dire quil est interdit de penser au pass, car penser au pass est un acte qui seffectue dans le prsent. Ce quil faut proscrire, ce sont les interfrences du pass sur le prsent, interfrences qui dforment notre apprhension du rel, tel quil est perceptible dans linstant. Les gens vivent constamment avec leur pass. Lorsquils disent je suis ceci ou cela , ils se rfrent gnralement ce quils ont t dans le pass et non ce quils sont linstant mme. Puis-je dire je suis courageux ? Sil sagit dune constatation dans un moment de danger o je surmonte ma peur pour faire ce que me dicte mon devoir, je puis effectivement le dire. Mais, en dehors de ce moment-l, dire je suis courageux , cest une rfrence au pass.
133 Mettre le pass au prsent, telle est lerreur commune qui donne lego limpression de possder des qualits stables. Autrefois, jai t courageux et aujourdhui je dis je suis courageux , cest totalement erron, et ceci pour deux raisons. En premier lieu, on ne peut tre courageux quen cas de danger. Dire je suis courageux en prenant un verre avec quelques amis est un non-sens absolu. Je parle au prsent dun phnomne qui nexiste pas. En faisant cela, je cr lillusion de lexistence actuelle dune qualit qui sest manifeste il y a longtemps. En second lieu, si demain un nouveau danger survenait, jignore totalement si mon comportement serait courageux. Le dire nest que de lautosuggestion ou de la vantardise. Nombreux sont les gens qui, ayant t courageux en telle ou telle circonstance, ne lont pas t par la suite en dautres. La vrit, cest que jai t courageux, mais que le courage nest pas une facult stable. Comme toute facult humaine, elle est impermanente. Limage de moimme, en tant quhomme courageux, repose donc sur une illusion gotique qui puise dans le pass pour construire une permanence inexistante. Si, par une pseudomodestie, je nose pas dire en public je suis courageux , mais le pense et en suis convaincu en faisant rfrence au pass, si je cherche cultiver et dfendre cette image de moi-mme, le processus psychologique et ses consquences sont les mmes. En vrit, je suis ce que je constate tre dinstant en instant et rien dautre. Le reste appartient au pass et le pass est mort. Ce qui vient dtre dit au sujet du courage, vous devez lappliquer pour toutes les qualits ou caractristiques dont se pare votre ego, pour construire une fallacieuse image de lui-mme quil appelle sa personnalit . La mme prise de conscience doit tre faite vis--vis des dfauts : je suis pcheur entretient la mme illusion. Vous tes un pcheur au moment mme o vous accomplissez un pch. Linstant daprs, vous ne ltes plus. Cest une vidence objective.
134 Pour aider les gens comprendre le fait que le pass est mort, des rites de purification pour les pchs ont t institus en diverses traditions. A la fin de ce rite, la personne doit comprendre que ses pchs ont t effacs, car il nest rien de plus terrible, pour un dvot, que de porter sur ses paules, toute sa vie durant, des pchs accomplis dans le pass. Si nous ne nous accrochons pas au pass, le pass nous abandonne dfinitivement, dinstant en instant. Mais, si nous nous accrochons au pass, celui-ci peut nous influencer pendant de longues annes. Tel acte commis ou subit, il y a des annes, continue conditionner la vie psychologique dun individu. Pourquoi ? Parce que cette personne sest accroche au souvenir de lacte commis ou subi. Si elle ne lavait pas fait, il y a longtemps que cet acte naurait plus aucune influence sur son comportement psychologique. On voit limportance que ceci peut avoir vis--vis des actes ngatifs. Plus je maccroche au souvenir de mes pchs, plus ceux-ci continuent minfluencer. Plus je maccroche au souvenir des expriences ngatives, plus celles-ci me traumatisent. Le remords prolong nest rien dautre quun attachement morbide au pass. Il en est de mme des chagrins. Jai pch, mais pour peu que je ralise que le prsent est neuf, mon vcu actuel est un vcu nouveau dans lequel tout est possible. Ayant fait une erreur, il me faut savoir que cette erreur nhypothque mon avenir que dans la mesure o je maccroche elle. Si je ralise que le prsent est neuf, cette erreur na plus aucune influence sur moi et un changement radical se produit. Certains pleurent des disparus pendant quelques mois, dautres pendant quelques annes, dautres enfin les pleurent jusqu la fin de leur vie. Ceci nest pas une preuve damour, cest une preuve dattachement au pass. Quand jaime, je suis heureux et je communique mon bonheur autrui. En pleurant sur les morts, je ne leur fais aucun bien et je suis malheureux. En pleurant sur les morts, je ne fais que conserver un cadavre dans mon coeur.
135 Si jaimais la personne telle quelle est maintenant, en tant quesprit dsincarn, mon amour vcu dans le prsent serait une source de bonheur pour moi-mme et une aide pour lesprit dsincarn. Tel est lextraordinaire message despoir que contient lveil : nous pouvons dposer le fardeau du pass. En voulant abandonner ce fardeau, nous constatons que lego saccroche avec opinitret ses hontes, ses faiblesses, ses remords, ses chagrins, ses orgueils ou ses vantardises. Il a peur du vide et de la libert intrieure qui surviennent lorsque lon cesse de sappuyer sur le pass pour vivre, lorsque lon avance dans une vie vierge et neuve o tout est possible. De son point de vue, lego a raison, car, vivre constamment dans le prsent, cest dissoudre lego dune manire dfinitive. Certains objecteront peut-tre : Puisque tout phnomne est le produit dune loi de cause effet qui a son origine dans le pass, le prsent nest-il pas la rsultante du pass ? La manire dont japprhende la vie nest-elle pas la rsultante de la manire dont je lai apprhende depuis lenfance ? Le poids de nos conditionnements ne pse-t-il pas sur nous ? Certes, il en est ainsi, mais la sensation : tout est possible , provient du fait que, limage gotique ayant disparu, beaucoup plus de choses sont effectivement possibles au sein de notre exprience. Enferm dans son image gotique, le profane cr de multiples limitations. Ces limitations disparaissent avec la dissolution de lego. Sachez-le, lveil nest jamais dans le pass. Cest dinstant en instant que vous tes en veil. Quelle quait pu tre la puissance de votre veil ou de votre exprience spirituelle dhier, ce nest pas un acquis immuable. La seule chose qui compte, cest le degr de votre veil en linstant mme.
136 De mme, vous ntes jamais bon, gnreux, intelligent, mauvais, perverti, etc., dune manire stable et acquise. Cest dinstant en instant que vous tes ceci ou cela et, ds que linstant sefface, vous tes autre chose. Croire en la permanence de vos qualits ou de vos dfauts, cest construire un ego. Nayez aucune image de vous-mme. Toute image est un mensonge. Seul compte ce qui est peru dans linstant. Faire revenir en linstant la saveur de lexprience spirituelle dhier, cest la vivre nouveau, mais, se rappeler le souvenir de cette exprience, le chrir et le considrer comme un acquis dfinitif, cest le processus de lillusion gotique. Le but nest pas davoir un ego spirituel, illusoirement par des qualits morales prescrites par les traditions. Le but est de dissoudre lego illusoire. Cest dinstant en instant que lon est endormi ou veill. Cest dinstant en instant que le pass meurt pour lveiller.
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APPROCHE DE LA SOLITUDE
En son aberration coutumire, lego veut tout ramener lui-mme. Cest le processus de lgocentrisme. En sappropriant fictivement les choses, lego se gonfle dmesurment. Cest une baudruche pleine de vide. Avide de possessions, la personnalit, par cercles concentriques, cherche tendre une emprise illusoire sur le monde. Ce faisant, elle conoit des sentiments de proprit pour un logis, une voiture, une femme, des enfants, des parents, une famille, un pays, une race, une position sociale... Lhomme, ici-bas, a des rapports avec des choses, des tres, des concepts. Il na que des rapports, mais rien ne lui appartient. Contre une certaine somme dargent, je puis acheter des objets divers. Ces objets sont alors ma proprit au sens lgal et conventionnel. Mais ils ne sont pas ma possession au sens gotique, car la possession, au sens gotique, est une extension du moi. Je possde ce que jincorpore moi, ce qui devient partie de moi-mme. Cette incorporation au moi seffectue par linvestissement du sentiment de possession dans la chose en question, sentiment de possession qui engendre lattachement : Jy tiens, car cest moi , Si lon men prive, cest comme si lon marrachait une partie de moi-mme . Pour une certaine somme dargent, je bnficie momentanment de la jouissance de certaines choses, mais jamais ces choses ne feront partie de moi. Elles resteront toujours trangres moi. Tenir quelque chose comme la prunelle de ses yeux , cest plus quun abus de langage, cest le symptme dune absurde identification un objet. Les choses matrielles auxquelles on sidentifie sont alors ressenties comme un prolongement passionnel et sensitif du moi.
138 Cest ainsi que lon voit des automobilistes identifis leur vhicule qui, lorsquils conduisent, sont vexs quand une autre voiture les dpasse. Cest ainsi que ceux qui sont identifis leur appartement souffrent psychologiquement en apprenant que celui-ci a brl en leur absence. Plus je me projette moi-mme dans un grand nombre de choses par lidentification possessive, plus je suis fragile et sujet souffrance. User des choses, sans investir en elles un attachement sentimental, considrer mes rapports avec elles comme des rapports momentans, cest rester lucide, car je suis tranger tout ce qui existe dans lunivers. Je suis irrmdiablement et dfinitivement distinct et spar de tout. La croyance du contraire est une illusion pernicieuse. Sachant cela, je traverse la vie sans me lier sentimentalement quoi que ce soit. Les choses dont juse, je sais que je nen use que momentanment. Savoir cela, lorsque jentre en jouissance de la chose et ne pas loublier, cest ne pas tre surpris ou pein lorsque cette chose nest plus accessible. Tout ce qui a un commencement a une fin. Tout ce qui traverse le champ de mon exprience le quittera dans un temps plus ou moins proche. Mon regard est celui de lternit. Je suis lternit traversant un monde phmre. Est-ce que je possde une nationalit, une race, une famille ou une position sociale ? Quelle btise de le croire ! En tant quhomme, je suis n au sein dun pays, dune race, dune famille. Je puis voluer au sein de telle ou telle catgorie sociale, mais je ne possde aucune de ces notions. Elles ne sont pas moi et nont aucune chance de ltre. Je suis distinct de tout cela.
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Je suis moi et moi, je suis compltement autonome et indpendant. Il y a moi et il y a les autres. L o je suis, ils ne sont pas et l o ils sont, je ne suis pas. Nous ne sommes pas superposables, nous ne sommes pas assimilables. Nous sommes distincts et indpendants. Nous sommes irrmdiablement spars. Un tre humain peut-il mappartenir ? Comment pourrais-je le croire ? Il peut y avoir une femme avec laquelle je vis, des enfants que jai engendrs, des parents qui mont mis au monde. Mais, dire ma femme , mes enfants , mes parents , cest utiliser un langage trompeur. A ce langage, une attitude mentale fait cho. Un tre humain ne peut appartenir un autre tre humain. Chaque tre humain est une ralit indpendante et spare des autres. Il y a des femmes, des enfants et des parents ; mais, je nai ni femme, ni parents, ni enfants. Je ne possde rien. Comment le pourrais-je ? Je nai que des rapports avec des objets et des tres. Puis-je emporter la femme avec laquelle je suis mari ou la voiture que jai achete dans lau-del ? Y a-t-il dans lunivers quelque chose qui soit insparable de moi ? Au contraire, tout est spar de moi. Je suis seul, isol de tout, ne possdant rien. Comprenant cela, le vivant intrieurement, je constate que je suis absolument libre. Ne possdant rien, rien ne mattache.
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Toutes mes relations avec les tres et les choses sont momentanes. Je suis un voyageur qui traverse limmense univers. Je suis un voyageur dpourvu de besace. Cet homme lui-mme au travers duquel je mexprime nest quun instrument momentan daction et de perception. Il ne mappartient pas, il est engendr par la nature et bientt il me sera retir. Ne possdant ni corps, ni sentiments, ni mental, je suis un voyageur immobile qui, regardant par la fentre du train, contemple le monde intrieur et extrieur lhomme. Je suis limmuable devant qui sagite le monde. Je suis lternellement seul qui se distrait par le spectacle de lunivers. Il ny a personne mes cts de par les abmes des ternits successives Les illusions de la possession et de lidentification lhomme mapparaissent comme des leurres, masquant la solitude cosmique qui est la mienne. Dissipant ces illusions, je cultive une lucidit froide, la lucidit glace des espaces infinis. En cette lucidit et en ce froid, nulle douleur. La douleur est chaude, la douleur est un spectacle. Et moi, je suis lternel spectateur solitaire. En mon esseulement intgral, jatteins lextrme pointe de moi-mme. Par la prise de conscience de mon esseulement mtaphysique, lorsque cette prise de conscience descend dans mon vcu quotidien et dcolore le regard que je pose sur les tres et les choses, je coupe tous les liens psychologiques qui me relient au monde et jaccde au dtachement intgral.
141 Cest parce que je suis intgralement dtach que je suis libre. Sans dtachement, pas de libert. Tout attachement, tout sentiment didentification ou de possession vis--vis dun lment physique ou psychique de lhomme ou de lunivers, menchane lhomme ou lunivers. Nous subissons le destin de ce quoi nous sommes enchans et cest pourquoi, par le dtachement intgral, je nai plus de destin. Tous les destins sont extrieurs moi. Ce sont les diffrentes espces de spectacles qui ont des destins. En ma solitude intgrale, en lamplification, lapprofondissement et lintgration de ma solitude, jobtiens la libert. Je suis alors face moi-mme, un moi-mme indtermin et indterminable. Il faut aller jusque-l ! Puis, tant arriv lextrme pointe de moi-mme, il faut comprendre que je ne suis pas la totalit de limmuable et de linconditionn. Il faut pressentir intuitivement que je suis une parcelle du vide cosmique devant qui dfilent les abmes du temps. Alors, mouvrant la Totalit, je quitte mon esseulement tandis que lindescriptible fusion de la parcelle et du global se ralise. Ds lors, la solitude est dpasse et la plnitude se fait mienne. Une batitude bien au-del des joies humaines mest connue. Arriv lextrme pointe de moi-mme, je sens cette extrme pointe raliser une fusion expansive avec linfini. Voici pourquoi le conqurant de la lucidit doit aller jusqu la solitude suprme, puis briser sa solitude pour trouver le Divin, lequel est totalit de la transcendance immuable dont il nest quun fragment.
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Lorsque nous percevons que notre identit est celle de la pure Conscience, lorsque toutes les composantes matrielles et psychologiques de la personnalit humaine nous apparaissent comme de simples perceptions passagres traversant la surface de notre Conscience immacule, lorsque ceci nest pas spculativement accept, mais vcu au niveau intuitif, la contemplation des immensits de notre propre gloire devient possible. Pour ce faire, il ne faut pas conserver lattention fixe sur lhomme, mais, paralllement linvitable perception de lhomme et du monde matriel apprhend par ce dernier, percevoir linfinitude de notre propre Essence. Cest en cette perception que se situe laboutissement de toute mtaphysique. Je suis pure Conscience. Mais, je suis la pure Conscience de quoi ? Il ne sagit pas dendosser le vtement dune croyance quelconque. Il faut faire lexprience aperceptive de ma propre essence. Nous allons expliquer cela avec des mots, mais chacun devra utiliser ses mots pour raliser linvestigation quils suggrent. Lorsque je contemple le monde matriel, lorsque je contemple les penses et les sentiments qui appartiennent la personnalit, lorsque je ralise ainsi la contemplation globale de tout ce qui se manifeste dans le champ de ma Conscience, je sais par exprience intrieure directe que je ne suis ni le monde, ni le corps, ni le mental. Je le sais, car, en ma contemplation, ils sont tous objets de mon observation, tandis que moi, je me ressens comme le sujet qui ralise lobservation. Mais, quelle est la nature de celui qui observe ? Quy a-t-il, en dernire analyse, au-del des sensations, des sentiments et des penses ?...
143 Il ne reste que la Conscience. Cette Conscience est vide de contenu et ce sont les penses, les sentiments et les sensations qui constituent les objets dobservation de la pure Conscience. Cette Conscience vide de contenu est la Conscience de quoi ? Voici la question quil faut longuement nous poser. Quy a-t-il pour celui qui peroit, derrire tout ce qui est intrieurement et extrieurement peru ? Quy a-t-il ? Posez-vous la question. Mme si vous connaissez la rponse, posez-vous la question de manire faire surgir une rponse qui ne soit pas dialectique, mais qui soit aperceptive. La pure Conscience qui est ma vritable nature, qui est moi, cette pure Conscience qui peroit lhomme et peroit le monde, cest la pure Conscience de quoi ? Cest la pure Conscience de l'tre. Ceci est une vidence quil faut intuitivement apprhender. En effet, derrire les penses, en cette Conscience vide de contenu, tmoin silencieux de tous les contenus, il y a le fait dtre. Cette Conscience est donc la Conscience de ltre en soi. Ainsi, nous devons distinguer ltre en soi de lexistant. Ou, en dautres termes, nous devons distinguer ltre des manifestations de ltre. Je me sais exister. Je puis ne pas prter attention la perception de mon existence, mais, tout le monde sait consciemment ou inconsciemment, quil existe. Si nous sommes attentifs, chaque instant nous apporte lclatante confirmation de notre existence.
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Cette perception du je , cest laperception de ltre. Sentir je suis , cest percevoir ltre. Mais, sur cette perception du je suis , sajoute un ensemble de notions qui la recouvrent et la dissimulent. Je suis ceci ou cela... Je suis un homme... Je suis une me... etc. Les qualits attribues ltre, au Je , sont en ralit extrieures Lui. Lessence du Je qui est le fait dtre, est vide de toutes attributions et qualifications. En me dsidentifiant des attributions et qualifications faussement attribues ltre, il mest possible de distinguer clairement, au sein de mon exprience quotidienne, ltre en soi, de ses manifestations. Lhomme et le monde sont des manifestations de ce qui existe. Ils sont lexistant. Mais, derrire toutes les manifestations qui peuplent et composent lunivers, il y a un fait unique et commun toutes les formes dexistence, il y a le fait dtre. Il y a ltre qui est la racine de moi-mme, comme il est la racine de toute chose. Nous devons diriger notre Conscience vers sa propre Essence, cest--dire vers ltre. La notion de ltre ne peut tre valablement apprhende que par notre intuition, le mental en est incapable. Il peut mener jusquau seuil de lintuition, mais doit tre abandonn en cette dernire. Dirigeons donc notre attention vers ltre et, par lintuition, percevons ltre vide de toute qualification, car, au-del de toute qualification. Contemplons ltre pur, au sujet duquel rien de valable ne peut tre dit. Contemplons cet ineffable et incommensurable ocan silencieux, sous-jacent tout ce qui existe, tmoin de tous les univers.
145 Ne faisons pas de cela une conception philosophique ou une croyance. Ralisons la perception intuitive de ltre universel. En cette perception transcendante, tout ce qui peuple la multitude des univers nous apparatra comme la manifestation mouvante de ltre unique et immuable. Partant du fait que tout ce qui peuple lunivers a en commun le fait dtre, ce qui est une vidence, nous contemplons ce principe de ltre, commun tout ce qui existe. En contemplant ce principe de ltre, nous contemplons notre propre Essence puisque notre pure Conscience est la Conscience de ltre. Le fait dtre est unique, la multiplicit se situant au niveau des manifestations existentielles. Je suis, larbre est, toute chose est... Entre larbre et moi, il y a de grandes diffrences au niveau de lexistence, mais au niveau de ltre il ny en a pas. Larbre et moi-mme avons le fait dtre en commun. Mais, ce fait dtre, cet tre que nous avons en commun, nous lavons dune manire identique. Il est impossible de faire la distinction entre ltre dun arbre et ltre dun homme. Cest le mme tre, car la notion dtre est une notion vide de qualification. tant vide de qualification, ltre est un fait univoque qui ne contient aucune espce de diffrenciation. On ne peut distinguer ltre dun arbre de mon tre car toute distinction repose sur lexistence de qualifications spcifiques. Ltre est universel, car aucun pluralisme et aucun individualisme ne peuvent exister l o rgne labsence totale de toute espce de qualit particulire. Cette absence nest pas un manque, mais, au contraire, le signe dune plnitude intgrale, car toute qualification engendre une limitation. Ltre est plnitude parfaite, car il est au-del de toute qualit particulire.
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Il est universel, car il est au-del de toute espce dindividualisation. Ainsi, mon Essence, le je suis , exempt de qualifications et de caractristiques individuelles, est indissociable de ltre. Je suis ltre. Mon essence est celle de ltre. Ma conscience est la conscience de ltre. Au sein de la vie quotidienne, paralllement la perception du monde objectif et subjectif, soyons conscients de lternel et infini silence de ltre. Racine de notre existence, racine de tout ce qui existe, ltre en soi, ltre omniprsent, est immanent tout, indpendant de toutes les formes dexistence et transcendant toutes les manifestations de lunivers. Ltre en soi, cest Dieu, cest lAbsolu, cest Brahman. Que ltre soit, de frquentes reprises quotidiennes, lobjet de notre contemplation. Que larrire-plan de notre Conscience simmerge dans linfinitude de cette suprme ralit. Laissons les penses, les sentiments, les sensations et les perceptions se manifester, mais ne nous laissons pas accaparer par elles. Maintenons en nous une inaltrable aperception de ltre en soi. Tel est le but de la ralisation spirituelle qui se manifeste par lveil la Conscience transcendante.
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Que suis-je indpendamment et au-del de mes sensations et perceptions corporelles, de mes sentiments et de mes penses ? Il me faut rpondre cette question, non point par une thorie philosophique, mais en accdant une exprience intrieure rvlatrice. Je puis me sentir exister comme un corps. Un corps fatigu ou dtendu, un corps tortur par la faim ou tendu par le dsir sexuel, un corps tremblant de peur, etc. Me sentant exister comme un corps, je fixe momentanment la perception du moi au niveau corporel. Je puis me sentir exister comme un complexe psychique, le corps oubli, mon attention tant accapare par lintensit de ma vie psychologique. Je me sens tre un homme qui souffre dun chagrin damour, un homme qui pense, qui espre ou qui attend... En ce cas, la perception du moi se trouve momentanment fixe au niveau de la psych et il y a dpassement du niveau corporel. Puis-je aller au-del ? Il le faut si je veux atteindre la Transcendance. Les niveaux physique et psychique constituent la ralit de lhomme incarn, le niveau exclusivement psychique la ralit de lhomme dsincarn. Mais, tout cela se situe dans le temporel et lintemporel commence au-del. Que suis-je par del les niveaux physique et psychique ? Je sais, par habitude et exprience, comment je puis me sentir exister ces deux niveaux, mais il faut que japprenne me sentir exister au niveau suprieur. Telle est la tche initiatique. Comprenant que mes perceptions et mes penses sont de simples phnomnes qui traversent le champ de ma Conscience et quainsi elles ne peuvent tre moi-mme, car, dvidence, je suis celui qui peroit lexistence des phnomnes en question.
148 Comprenant cela et vivant intrieurement cette comprhension, je dirige mon attention sur ce qui se trouve derrire les perceptions, les sensations et les penses qui, linstant mme, meublent ma Conscience. Et, ce faisant, je cherche savoir ce que je suis au-del des phnomnes qui sont perus ou produits par le mental. Suis-je le mental ? Non, car le mental nest rien dautre que lensemble actuel et virtuel des phnomnes subjectifs qui sont par moi perus. Je perois un monde et je perois ce monde au travers dun homme. La question est de savoir qui peroit lhomme. Se prendre pour un homme, se prendre pour linstrument qui peroit le monde, cest lerreur classique. Mais, au bnfice de qui existe ledit instrument ? Le fait que je puisse contempler tout ce qui compose lhomme me prouve bien que je ne suis pas cet homme. Que suis-je ? Ou, en dautres termes, quy a-t-il derrire mes penses, mes sentiments, mes sensations ? Il ny a rien de dterminable, mais il y a quelque chose de constatable. Il y a le fait dtre. Si je fais abstraction des perceptions, des sensations, des sentiments et des penses, il me reste le fait dexister. Voici que je dcouvre quil mest possible de me sentir exister derrire mes penses, mes sentiments et mes sensations. Il y a alors fixation du moi au niveau ontologique, avec dpassement des niveaux physique et psychique. Je me sens tre quelque chose dimmatriel, de lger, de silencieux, dimmobile et dindescriptible.
149 Me sentant tre CELA, je sais que la naissance et la mort ne me concernent plus. Car CELA ne nat pas et ne meurt point, naissance et mort tant des phnomnes se situant aux niveaux physique et psychique. Me sentant tre AINSI, je sais que je suis ternel, car le temps nest quune simple perception du mental. Je me connais comme une Ralit impalpable, vierge de toute trace de personnalit ; la personnalit tant une combinaison psychique et physique. Tel que je suis, jai toujours t et je serai toujours, au-del de la vie et de la mort, par-del lapparition et la disparition de lunivers. La sensation de mon existence au niveau ontologique peut, au dbut, ntre quune faible apprhension. Mais son agrandissement progressif finira par me faire comprendre tout cela, non point spculativement, mais comme une vidence intuitive aussi forte que la prsence du soleil dans le monde matriel. Rptons-le : ce qui importe, cest de sentir ce quil y a derrire le mental et dentrer dans cette sensation jusqu la submersion complte. Ceci tant ralis, je comprends le mcanisme de lexistence. Il y a dabord le fait dtre. Il y a ensuite le monde psychique et, enfin, le monde physique. Trois cercles concentriques, le cercle ontologique se trouvant au centre et le physique la priphrie. Rintgrer le niveau ontologique, cest retrouver labsence de changement et de contingence qui prcde tout et qui est antrieure tout. En moi-mme, il faut savoir quen premier lieu il y a le fait de mon existence et, quau sein de cette existence, apparaissent secondairement les phnomnes subjectifs et objectifs. Si mon sentiment dexistence se situe dans la trame des phnomnes subjectifs et objectifs qui sont perus, je suis emprisonn lintrieur des contingences qui rgissent lesdits phnomnes. Mais, si mon sentiment dexistence se situe dans le pur fait dtre, il ny a plus pour moi aucune contingence possible et me voici, ds lors, dlivr de lemprisonnement dans le temporel.
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La temporalit nest pas abolie ou mprise. Elle est perue comme auparavant, mais cette perception nest plus alinante au niveau de mon sentiment dexistence. Le cheminement intrieur que nous venons de faire est un cheminement conscient. Mais, le fait dtre est-il limit par la conscience humaine ? Certainement pas. La conscience dont je fais prsentement lexprience concerne lindividualit humaine. Cest elle qui est consciente ou inconsciente. Le fait dtre est totalement indpendant de la conscience individuelle. Nous avons lclatante preuve de cela chaque fois que nous sommes en tat de sommeil profond dpourvu de rve. Ce sommeil est une inconscience pour lindividualit. Cependant, au rveil, nous savons que nous navons pas cess dtre durant notre sommeil. Concentrons notre attention au sortir de cette inconscience, sur ce qua t une priode de sommeil profond et nous sentirons quil y a en elle une Prsence vierge de perception. En elle, il y a le pur fait dtre. Il ny a plus de moi individuel, il ny a plus ni homme ni univers, il y a le seul fait dtre, vide de contenu. Ce qui cesse dans le sommeil profond et lvanouissement, cest lindividualisation. Mais la Conscience prsente en nous existe de toute ternit et indpendamment de lindividualisation, cest--dire indpendamment de ce rtrcissement de la conscience aux dimensions des perceptions humaines. Sveiller cest, tout en demeurant une conscience individualise, cesser de nous limiter aux contenus des mondes physiques et psychiques. Cest cesser de nous enfermer dans lindividualit et dans les perceptions humaines. Cest devenir conscient de notre propre Essence. Cest permettre la focalisation de la conscience de ltre prsente en lhomme de connatre ltre lui-mme. Cest savoir ce que nous sommes. Si mon sentiment dexistence se situe au niveau de ltre, la conscience ou linconscience de lhomme ne me concernent plus. Il sagit simplement de la prsence ou de labsence des perceptions physiques ou psychiques. Lorsque je sais que jexiste indpendamment de toute perception, mon sentiment dexistence nest plus dpendant des perceptions.
151 Jexistais avant la naissance de cet homme. Jexiste dans le sommeil profond. Jexiste de toute ternit et sentir cela cest connatre la Paix et la Batitude.
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Confortablement assis, je ferme les yeux et je me dsintresse du monde ainsi que des bruits qui, me le rappelant encore, parviennent jusqu moi. En faisant cela, je constate intrieurement que jexiste indpendamment du monde. Cessant galement de prter attention aux sensations corporelles qui peuvent survenir, je constate intrieurement que jexiste indpendamment du corps. Me dsintressant de toute espce de pense, dimagination et de sentiment, je constate intrieurement que jexiste indpendamment du psychisme. Restant ainsi, concentr en moi-mme, indiffrent tout, je fais lexprience de ltre pur. Je fais lexprience de mon existence, telle quelle est en elle-mme, indpendamment du monde et de lhomme qui ne sont plus pour moi que des perceptions. Je constate que derrire tout ce que lon peut percevoir, il y a le pur et immuable fait dtre. Il y a mon tre, ma pure existence, sans qualification ni attributs individualiss. Investissant toute mon attention dans cet arrire-fond de lintriorit, je perois un silence, un vide, un espace. Les perceptions de quelque nature quelles soient, quelles appartiennent au monde extrieur ou bien au monde psychique et qui peuvent simposer moi pendant que je reste ainsi, concentr sur la sensation de ltre pur, ne me gnent pas. Elles appartiennent la surface des choses et voici que, par ma concentration, jentre dans la profondeur. Cette surface du peru, constitu par quelques penses qui surnagent encore, par quelques sons qui frappent mes oreilles, cette surface ne drange aucunement. Car, par ma concentration sur ce qui se trouve derrire les sons, je perois le silence
153 impalpable. Derrire le monde, je perois le vide. Derrire les penses, je perois labme. Vouloir chasser les perceptions du monde qui me parviennent, vouloir chasser les penses qui se formulent serait une manire indirecte de leur prter attention et donc, de renforcer leur emprise sur moi. vitant cette erreur que certains commettent, je ne rejette rien, mais, prtant attention ce qui se trouve au-del, je ne suis accapar par rien. Avec lhabitude de cette pratique, mon attention sinvestit de plus en plus profondment dans lau-del du peru et, peu peu, sans le chercher, les perceptions du monde et les penses qui matteignent encore, se rarfient. Jentre dans un silence, un espace et un vide qui ne sont pas matriels. Les mots sont inadquats pour dcrire. Jentre dans linformulable et limpalpable, au-del de tout concept. Et l, il ne subsiste que mon Existence, ma pure Existence dpouille de tout. Comprenant que je suis Cela, je comprends ce que jai toujours t, car cet impalpable na ni commencement ni fin. On peut sentir ou ne pas sentir sa prsence, cest tout. Le pur fait dtre, cest cela. Cette somme incommensurable de tranquillit immobile et ce silence, cest ce que je suis. Ds lors, je comprends que je me confondais avec ce que je percevais. Je percevais un homme et, faute de connatre ma vraie, inaltrable et profonde nature, je croyais tre un homme. Cette fausse croyance sestompe comme la brume devant le soleil. Je vois, au-del de toute vision, je vois et je sais ce que je suis. Je suis le simple fait dtre. Tout le reste nest que perceptions.
154 Le monde nest quun amas de perceptions, une suite schmatique de perceptions coordonnes. Il na aucune ralit profonde. La seule Ralit qui ne dpend daucune autre ralit, cest le pur fait dtre. Est-ce dire que le monde et lhomme nexistent pas ? Ce serait absurde. Cela revient dclarer que la nature relle du monde et de lhomme est celle dune perception. Le monde et lhomme ne sont pas innexistants car leur perception existe. Ce qui est illusoire, cest de voir en eux autre chose quune simple perception. Je comprends que je ne suis jamais n. La naissance na t que le dbut de ces perceptions qui, en linstant mme, viennent encore jusqu moi. Ce silence bienheureux, cette densit impalpable, ce vide qui nest pas une absence ont toujours et immuablement t, bien avant lexistence de lhomme, bien avant l'existence du monde. Tel que je me perois, je ne suis li ni au monde, ni lhomme, ni au temps. Le temps, cest ce qui dcoule de la succession des perceptions. Et moi, je ne suis aucune perception. Je suis la pure conscience de ltre pur. Ma Conscience a enregistr toutes les perceptions de lhomme. Quant la conscience humaine, cest le fragment de conscience li cet enregistrement. Mais, ma Conscience englobe et dpasse lexistence de lhomme. De ce fait, ma Conscience nest pas limite par la conscience humaine. Je perois mon existence pure, avant le dbut des perceptions qui ont compos ce qui est appel la vie de lindividu. Je perois mon existence pure, aprs la disparition de ce fleuve de perceptions que lon appelle lunivers. Car, pour moi, en ma nature propre, il ny a ni avant, ni aprs. Il ny a que limmuable ternit du vide et du silence, de la pure existence.
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Avant lapparition de cet homme, jtais le pur silence du Sans-limites. Lhomme na t quune perception qui a frapp ma Conscience. Une parcelle de cette Conscience sest trouve lie ce quelle peroit. Maintenant, cette parcelle vient dapprhender intuitivement la totalit de son tat originel et indiffrenci. Cette parcelle de conscience est encore lie la perception de lhomme et ceci aussi longtemps que ladite perception humaine se manifestera. Mais quimporte ! Dornavant, cette perception de lhomme nest plus alinante. L telle jamais t ? En vrit, je maperois quil ny a eu aucune espce dalination. Il ne peut y avoir alination pour ce qui est immuablement transcendant. Une simple transformation sest produite lintrieur du peru. Avant lexprience intrieure qui vient dtre vcue, la perception de lhomme contenait une fausse croyance sur la conception de ma Ralit et sur la conception de la ralit du monde. Maintenant, la perception de lhomme sait quelle nest quune perception qui traverse lintemporel espace de mon immuable Nature. Je suis de toute ternit et lphmre tincelle dune perception humaine est en train de partiellement meubler le champ de ma conscience. Voici la Ralit.
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Au dbut de lveil spirituel, nous apprenons percevoir le silence qui est prsent derrire tout ce qui sagite, lextrieur et lintrieur de lhomme. Nous commenons par penser au silence ternellement prsent et la pense de ce silence qui est une vocation nous achemine vers la sensation intrieure du silence. Alors, nous faisons lexprience intrieure du silence de ltre. Ds lors, un premier pas est franchi, de la croyance nous sommes passs au savoir. Dsormais, impossible de douter, nous savons que ltre intemporel et silencieux existe. Nous le savons, car nous avons lexprience de sa prsence. Nous pouvons oublier cette prsence, en nous laissant absorber par les dynamismes de lexistence, mais rien ne peut nous priver de cette connaissance. Cependant, il est une plus haute forme de savoir laquelle il nous faut accder. En cette forme de savoir, il ne sagit plus de simplement percevoir le silence de ltre. Il faut comprendre, par lexprience intuitive, que nous sommes le silence de ltre. De mme que pour la perception du silence, la pense peut tre le vhicule nous acheminant vers lexprience. Nous commenons par penser je suis le silence ternel et infini de ltre . Cette conceptualisation intense et la comprhension profonde de cette identification nous amnent goter la saveur interne de son contenu. Nous vivons intrieurement cette vrit. Nous en faisons lexprience. Comment se manifeste cette exprience ? Elle commence par une prise de conscience toute simple : je ralise, avec toutes les consquences que cela implique, lvidence suivante : - Je perois les formes et les couleurs, - Je perois les sons,
157 - Je perois les sensations corporelles, - Je perois les penses et les sentiments. tant ainsi attentif tout le peru, je comprends ce qui est logiquement irrfutable. A savoir que je suis celui qui peroit cet ensemble de choses et que je ne suis aucune des choses perues. Je suis le sujet observant et non point ce qui constitue lobjet de mon observation. Cette vidence descend progressivement en moi et mimprgne. Toutes les consquences de cette vidence sont, progressivement, approfondies par ma perception intrieure. Telle est la forme suprieure de lveil. Je comprends que je ne suis pas un homme. Alors, je sais que je ne suis jamais n et que je nai aucune chance de mourir. Je comprends que je nai aucun lien avec ce monde qui nest que le spectacle contempl par ma conscience. Je suis lternel silence contemplateur de ltre. Je suis ce vide sans fond, en dehors de lespace et du temps. Je suis cet indescriptible ineffable qui demeure immuablement. Je suis cette somme incommensurable de tranquillit immobile que rien ne peut atteindre. Je suis CELA qui, en cet instant mme, peroit lhomme et le monde qui lentoure. Dclarer je ne suis pas un homme tonne beaucoup de profanes. Nest-ce pas un homme qui dclare cela, disent-ils ? Certes, cest un homme qui affirme cela. Mais, en tenant ces propos, lhomme, cet instrument, parle au nom de la Conscience silencieusement observatrice. Or, cette Conscience nest pas la conscience dun homme, ainsi que le voudraient les matrialistes. Cette Conscience, comme le montrent la rflexion et lexprience, est ce qui peroit lhomme. Attribuer lhomme cette Conscience, telle est lerreur de base qui constitue le pch originel que commet, en les premiers ges de sa vie, tout individu.
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Je perois un ensemble de choses, les unes extrieures lhomme, les autres intrieures lui. Et, au sein de ces perceptions, la pense du moi se formule dans le mental. Se connatre soi-mme, au sens profane, cest cela : cest percevoir cette pense du moi. Mais si nous analysons les choses, nous nous apercevons que cette pense du moi ne repose sur aucune ralit. Cest un simple concept, arbitrairement pos sur un monde de fantasmes. En effet, o donc, en la totalit de ce qui est peru, puis-je situer mon moi ? Le profane se prend pour un corps ou pour une psych. Sil se prend pour un corps, o donc situe-t-il son moi ? Dans sa main, son pied, son sexe, son cerveau ? A la rflexion, aucune partie de son corps ne peut tre dsigne comme tant son moi . On peut amputer le corps de telle ou telle partie, la personne physique continue exister. Si je lampute dune partie vitale, le corps cesse de vivre, mais non point dexister. De ce fait, aucune partie spcifique du corps ne peut tre dsigne comme tant le sige du moi . Le moi serait-il la totalit du corps ? Cest impossible, car cette totalit est en perptuel changement et renouvellement. Rien nest perdurable en ce corps. La seule chose qui dure le temps de la vie, cest la perception du corps. Ce qui est permanent, cest ce qui peroit le corps, tandis que les lments qui composent la totalit du corps sont impermanents. La permanence du moi ne peut donc tre situe dans le corps en son ensemble, mais dans ce qui le peroit. Si le profane se prend pour une psych, demandons-lui en quel sentiment ou en quelle pense spcifique situe-t-il son moi ? Il lui est impossible de rpondre, car les penses et les sentiments sont vanescents. Ainsi, de mme que le corps, mais avec encore plus dvidence, dans lensemble de
159 la psych et dans chacune de ses composantes, il ny a de place o situer le sige du moi . Une seule chose est permanente : ce qui peroit les contenus de la psych. Quant ce qui dit moi en se rfrant lhomme, nous nous apercevons quil ne sagit que dune simple pense, elle-mme perue par ce qui peroit lensemble de la psych. Le sens du moi projet sur le corps ou la psych nest quune simple ide et une ide fausse. Il ny a pas de moi dans le corps. Il ny a pas de moi dans la psych. Corps et psych impermanentes. constituent des catgories diffrentes de perceptions
Je suis celui qui peroit, et celui qui peroit tait dupe de lune de ses perceptions. Il tait dupe de la perception de la pense identificatrice qui dit je suis cela , lorsque le corps ou les contenus de la psych sont perus. Comprenant le leurre du moi identifi lhomme, jy mets fin. Quest-ce qui peroit le corps et la psych ? Ce nest pas un corps qui peroit ce corps, ce nest pas une pense qui peroit les penses. Cest une conscience corporelle qui peroit ce corps ; cest une conscience mentale qui peroit les penses. Toute chose perue lest grce lexistence de la conscience. Cependant, la conscience des perceptions est impermanente, car la conscience des perceptions, cest la conscience non dissocie, une conscience lie et limite dans la perception de ceci ou cela. Ainsi, la conscience du corps est engendre par la perception du corps. La conscience du mental est engendre par les perceptions psychiques. La conscience humaine dans son ensemble est engendre par la somme des perceptions intrieures et extrieures de lhomme.
160 Suis-je la Conscience humaine ? Non, puisque la conscience humaine est impermanente. Elle sinterrompt dans les tats de coma, de transe et de sommeil profond. Qui suis-je ? Je suis la Conscience en elle-mme. La Conscience de ltre pur et non la conscience de tel ou tel tre particulier. La Conscience de ltre non manifest, en sa vacuit informelle, indpendante de toutes perceptions sonores, visuelles, gustatives, tactiles ou mentales. Ma conscience nest lie ou suscite par aucune perception, car je ne suis pas la conscience de ceci ou cela. Je ne suis pas la conscience dun homme ou dune psych. Mon essence est Conscience, pure Conscience uniquement. Cependant, cest ma Conscience qui apprhende toutes les catgories de perceptions ainsi que labsence de perceptions. Je suis le tmoin qui peroit labsence du sommeil profond et du coma. Je suis le tmoin de ltat de rve et de ltat de veille. Je suis ce qui perdure et qui contemple toutes les perceptions et toutes les absences de perceptions. Il y a forcment un facteur commun qui relie les tats de sommeil profond, les tats de rve et les tats de veille. Je suis ce facteur commun. Je suis ce qui ne peroit pas en tat de sommeil profond, Je suis ce qui peroit en ltat de rve, Je suis ce qui peroit en ltat de veille,
161 Je suis le silence du fait dtre, ce silence sans fond, infini et indescriptible qui peroit ou ne peroit pas, mais qui reste immuable. La naissance, la mort, la vie post-mortem, tout cela ne maffecte pas : Je ne suis li aucun prsent, pass ou futur. Je suis le tmoin de toutes les catgories de perceptions. Je suis ce qui peroit la fin des perceptions, ce qui peroit loubli des perceptions, ce qui peroit le recommencement des perceptions. Je nai ni vie, ni mort, ni existence post-mortem, ni rincarnation, ni transmigration, ni destin, ni karma. Je ne suis li ni aux conditions dexistence, ni au temps, ni aux lieux. Je suis lternit immuable qui peroit la fantasmagorie des diffrentes conditions dexistence. Je nai besoin de rien, Je ne fais rien, Je ne participe rien, Je ne possde rien, Je ne perds rien. Je suis ce qui est et ce qui reste, dpouill de tout, plein de silence et de flicit, complet, parfait, sans qualit et sans dfaut, sans attribut ni caractristique. Je suis ce qui est derrire tout ce qui est peru.
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A l'instant mme, vous percevez. Constatez cela. Constatez que vous tes en train de percevoir les objets et les sons. Sentez-vous en train de percevoir. Sentez je perois ceci , je perois cela . Concentrez-vous sur la sensation subtile qui rsulte du fait de vous sentir en train de percevoir. Approfondissez cette sensation, amplifiez-la. Sentez avec intensit votre prsence en train de percevoir. Demeurez conscient de votre prsence. Vous tes l. Sentez-le intrieurement. Sentez votre Soi qui peroit. En vous sentant en train de percevoir le monde extrieur, les penses et les sensations corporelles, vous dcouvrez que celui qui peroit n'est ni physique, ni psychique. En percevant une couleur, vous sentez que vous qui percevez n'avez pas de couleur. En percevant un son, vous sentez que celui qui coute est silence.
163 En percevant une pense, vous sentez que celui qui peroit cette pense est au-del du mental. En percevant une sensation corporelle, vous sentez que celui qui peroit est immatriel. Constatez cela, tranquillement, pesamment, en vous attardant sur chaque aspect. Rassemblez et pointez toute votre attention sur ce que vous tes, vous qui percevez. Dcouvrez votre vide, votre plnitude, votre abme, votre silence, votre transcendance. Intensifiez la sensation de votre pure existence spectatrice. Toutes les penses s'engloutissent et disparaissent dans la sensation de votre prsence. Vous tes l, immuable, indfinissable, incommensurable. Regardant cela, vous ne voyez rien. coutant cela, vous n'entendez rien. Vous sentez votre identit vritable, votre Soi. Demeurez en vous-mme. Demeurez conscient de vous-mme. Noyez le mental en vous-mme. Installez-vous en votre ralit spectatrice. Vous tes celui qui peroit. Sentez-le. Entrez dans cette sensation.
164 Rassasiez-vous du nectar de la connaissance transcendante du Soi. Vous tes le Soi. Vous tes la Conscience. A la surface de l'ocan de votre conscience surnagent les perceptions du monde et du mental. Sentez cela. Percevez le miroitement du monde la surface de votre Conscience. Baignez-vous dans les fraches profondeurs de cette Conscience. Prenez conscience d'tre spectateur. Le monde est un mirage qui passe. Demeurez en vous. C'est vous qui percevez. Sentez-le. Sentez la distance et l'immensit de la profondeur qui vous spare du peru. Ne vous crispez pas. Vous tes l. Laissez les perceptions mentales ou physiques surgir. Tout effort pour atteindre un tat d'esprit particulier cr une illusion. Vous tes l. Aucune distance ne vous spare de vous-mme. Sentez votre prsence.
165 Gotez la saveur immatrielle de votre prsence, de la prsence de celui qui peroit les penses et le monde. Laissez-vous submerger par votre Ralit, par votre silence, par votre batitude, par vos tnbres resplendissants. Laissez la sensation de vous-mme dferler. Laissez-la engloutir le moi psychologique. Sentez votre ternit. Apprhendez intuitivement votre gloire. Laissez-la blouir l'homme. Vos yeux sont ouverts, votre regard est fixe. Vous percevez le monde, mais toute votre attention est centre sur vous-mme. Sur le Soi-mme qui peroit. Vous pouvez vous lever, mais ne vous oubliez pas, demeurez conscient du fait d'tre celui qui peroit le corps se lever. Ne vous oubliez plus. De temps autre, immergez-vous totalement dans vous-mme. Rentrez en vous-mme, en votre Ralit impalpable, informelle, immatrielle et incommensurable. Noyez-vous en votre Ralit transcendante. Rappelez-vous votre Soi. Puis, de nouveau, au sein du Soi, laissez l'homme vaquer ses occupations. L'action, c'est l'apparition de l'homme. La contemplation, c'est sa disparition.
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Allez librement de la contemplation l'action et de l'action la contemplation. Vous tes le Soi ternel. L'action et la contemplation sont de simples phnomnes la surface de vousmme. Tel que vous tes, vous serez toujours, au-del de l'action, au-del de l'inaction, audel de la Connaissance spirituelle, au-del de l'ignorance spirituelle. Vous tes la Conscience immuable. De l'abme de cette Conscience jaillissent tous les phnomnes. Naissance et mort sont un simple fantasme color surgissant dans la Conscience. Vous tes cette Conscience ternelle. Rien n'a jamais commenc. Rien ne finit jamais. Vous tes le vide au sein duquel surgit le miroitement du monde. Devenez conscient de votre profondeur, la profondeur de celui qui peroit. Si le mental s'empare de cette Connaissance, elle meurt. Voici pourquoi, sans cesse, tout instant, en toute activit, il faut rinstaurer la conscience du Soi, la conscience de celui qui peroit. Chaque fois que l'oubli s'est empar de vous, chaque fois que le mental vous a entran dans ses arabesques, chaque fois que le monde vous a noy dans ses replis, il faut vous rappeler le Soi. Comme le son d'une trompette qui dchire les nues, le rappel du Soi carte les brumes du sommeil spirituel. Brusquement, au sein du sommeil, comprenez je suis spirituellement en train de dormir . C'est cela le rappel du Soi.
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Vous tes en train de marcher, vous tes en train de lire, vous tes en train de parler, vous tes en train de travailler et, soudainement, vous vous souvenez du Soi, du Tmoin immatriel. Vous souvenant de lui, vous constatez que vous l'aviez oubli. Oublier le Soi, c'est cesser d'tre conscient de votre Ralit transcendante. Oublier le Soi, c'est tre devenu l'acteur et avoir cess d'tre le spectateur. Constatant l'oubli du Soi, cherchez aussitt retrouver la saveur du Soi. A l'instant o vous vous souvenez du Soi, vous tes spectateur. Vous tes ternellement le spectateur du monde, de l'aprs-monde, de tous les mondes et de tous les tats de conscience. Vous tes celui qui peroit l'instant. Vous tes celui qui peroit l'homme en train de lire. Sentez la prsence intrieure, impalpable, immatrielle et informelle de celui qui peroit l'homme lire. A l'instant mme, devenez conscient de votre Soi. Votre Soi, c'est vous-mme, c'est votre identit profonde, c'est la prsence de celui qui peroit. D'instant en instant, restez conscient d'tre celui qui peroit. D'instant en instant, sentez votre pur fait d'tre, contemplateur de l'homme et du monde. D'instant en instant, accrochez-vous ce qui, au dbut, vous paratra sans saveur et dont, peu peu, vous dcouvrirez les immensits immatrielles. D'instant en instant, restez reli votre silencieuse intriorit transcendante. D'instant en instant, sentez la prsence de celui qui peroit.
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C'est le chemin. Il n'y a pas d'autre chemin. En cette qute, tous les mots doivent tre oublis. L'exprience du Soi ne peut tre dcrite ou circonscrite par les mots. Pour celui qui connat et qui ressent la prsence du Tmoin silencieux, toutes les doctrines sont fausses, ce sont des balbutiements nostalgiques au sein des tnbres. Abandonnez tous les mots, dsintressez-vous des penses, ne vous laissez absorber par aucune perception et aucune sensation, allez vers le Soi, allez la recherche de vous-mme. La recherche s'achve au moment o elle commence. Vous tes l. Aucune distance ne vous spare de vous-mme. Pas de degrs, pas d'tapes, pas de stations, pas de cieux ou d'ons franchir. Vous tes l, c'est vous le spectateur. Vous tes celui qui EST. Sentez votre tre. C'est au sein de l'tre qu'apparaissent les perceptions. Demeurez dans l'exprience qui rsulte du fait de sentir immatriellement que vous tes celui qui peroit. Voici ce qui constitue en dfinitive l'unique pratique ncessaire. En premier lieu, intensifier votre conscience des choses. Soyez intgralement conscient du fait d'tre assis, de regarder, de parler, de respirer ; soyez conscient
169 d'tre conscient. Rassemblez toute votre attention sur ce qui est peru afin d'en avoir une conscience plus nette, plus aigu, plus intense. En faisant cela, comprenez que, dans l'tat dit de veille , il y a de multiples niveaux d'intensit consciente. On peut tre assis distraitement, absorb par un souci psychologique ou une rverie. En ce cas, l'intensit est faible. Vous accdez une intensit beaucoup plus grande si vous tes, par une forme d'attention spciale, intgralement conscient du fait d'tre assis. En ce cas, vous percevez la sensation du corps reposant sur le sige, la sensation des vtements enveloppant le corps, la sensation du va-et-vient respiratoire. Vous coutez attentivement les sons et vous tes conscient de percevoir ce qui se trouve dans votre champ visuel. De tout cela rsulte une perception globale de l'instant, perception qui dj possde une saveur particulire. En second lieu, aprs avoir intensifi votre conscience du peru, devenez conscient du fait que vous tes celui qui peroit. Ajoutez cette prise de conscience celle des penses ventuelles qui, malgr la tranquillisation du mental, peuvent encore jaillir. Devenir conscient d'tre celui qui peroit, ce n'est pas penser : je suis celui qui peroit . Il s'agit de vous sentir en train de percevoir. Lorsque vous tes parvenu sentir votre prsence silencieuse qui demeure immuablement, immatriellement et silencieusement le Tmoin de l'homme psychologique, de l'homme physique et du monde, la deuxime pratique est accomplie. En troisime lieu, ayant senti la prsence de celui qui peroit, vous concentrez toute votre attention sur sa nature. Concentrer ainsi votre attention revient vous immerger en vous-mme. Ds lors, pour le temps de la contemplation, oubliez tout. Oubliez le monde, oubliez l'homme, oubliez les penses.
170 Ne faites aucun effort pour chasser quelque chose. Simplement, tournez-vous entirement vers la prsence de celui qui peroit. Grce une attention sans faille, la Vrit suprme vous sera rvle.
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Il y a de multiples faons d'expliquer le mouvement intrieur qui engendre l'veil. Afin de vous indiquer comment procder, nous avons parl de l'observation, de l'attention l'instant prsent, de la vigilance, de la conscience tmoin... Il s'agit, en fait, de diffrentes manires de parler d'une chose unique. Dans le prsent texte, nous parlerons encore de la recherche de la conscience de soi. Le sommeil spirituel, c'est la perte de soi-mme. On est perdu au sein des phnomnes du monde extrieur et du monde intrieur. On est exil hors de soi-mme. Vouloir s'veiller, c'est devenir l'enfant prodigue qui rentre chez lui. Rentrer chez nous, c'est rentrer en nous-mmes, retrouver la conscience de soimme. Vous croyez tre conscient de vous-mme, mais, en fait, vous tes conscient des perceptions sensorielles, vous tes conscient des perceptions psychologiques, mais toutes ces perceptions ne sont pas vous-mmes. Vous vous tes oubli. Vous vous ignorez. L'initiation, c'est la redcouverte de soi-mme, d'un Soi dissimul par le voile bariol des perceptions sensorielles et mentales. La perception de soi-mme est cependant la chose la plus facile qui soit. Elle est trs simple une seule condition : que vous cessiez de la confondre et de l'assimiler avec les perceptions sensorielles et psychologiques. Au cours des annes, votre corps subit de multiples modifications : de maigre vous devenez gros ou le contraire, de chevelu vous devenez chauve, de jeune vous devenez vieux... Au travers des toutes les dcennies, une seule chose demeure : la sensation de votre Soi.
172 Si vous plongez en vous-mme, c'est une sensation que vous retrouvez identiquement en n'importe quelle anne de votre vie. Qui tes-vous ? Vous tes vous-mme.
Mais, ce vous-mme n'est aucun des lments du corps puisque ceux-ci changent constamment tandis que la sensation de votre Soi _ux d'un ch Comprenez cela et ressentez-le profondment. Il y a, d'une part, le corps qui se modifie tout au long de la vie et il y a d'autre part, le sentiment du Soi qui reste identique. En vous intriorisant et en sentant votre Soi, constatez qu'au cours de toutes les annes que vous avez vcues, le sentiment de votre existence est rest identique. Constatez que celui-ci est indpendant des expriences du corps. Lorsque vous sentez moi, je suis malade et lorsque vous sentez moi, je suis en pleine forme , ce qui est diffrent, c'est l'tat du corps. Par contre, la sensation interne de votre Soi est identique. Reportez-vous aux annes de votre jeunesse et de votre adolescence. Rappelezvous combien vos conceptions sur la vie taient diffrentes. Cependant, lorsque vous vous remmorez cette poque, le sentiment de votre Soi tait identique celui qui est le vtre en ce moment mme. Il faut que vous parveniez sentir la chose suivante : en votre jeunesse, avec une conception du monde diffrente, vous vous sentiez tre vous-mme. Maintenant, avec d'autres conceptions, une autre vision des choses, vous vous sentez galement tre vous-mme. Ce qui a chang, c'est votre structure intellectuelle et psychologique. Par contre, le sentiment d'tre soi-mme est identique dans les deux cas. Ce sentiment est indpendant de vos conceptions, de vos croyances, de vos connaissances. Sentez cela. Sentez que quelle que soit votre faon de vivre ou de penser, quelque chose d'indfinissable, mais de clairement vident l'intrieur de vous-mme demeure identique. Ce quelque chose d'impondrable, c'est vous-mme.
173 Ayant compris que vous n'tes ni le corps, ni les penses qui changent constamment, ni les croyances ou les opinions qui se modifient, ni les connaissances qui sont sujettes l'oubli, vous sentez que vous tes celui qui demeure au travers de toutes les modifications de la vie. Ce qui demeure, c'est votre Soi. Le moi gotique est une fausse conception du Soi. C'est le moi identifi par un processus mental au corps et aux penses. Le Moi vritable, que nous appelons le Soi, c'est le sentiment de vous-mme, tel que vous pouvez le ressentir indpendamment du corps, des sentiments et des penses. Ce qu'il faut, c'est donc demeurer conscient de vous-mme, d'instant en instant. Vous tes assis. Vous pouvez tre assis distraitement, plong dans une rverie ou une rflexion. Mais, vous pouvez galement tre conscient d'tre assis. tre conscient d'tre assis, cela ne veut pas dire tre concentr sur la sensation du corps qui est assis. Cela signifie trs simplement tre conscient de soi-mme en position assise. La conscience de soi-mme ne contient aucune rflexion, aucune pense au sujet de soi-mme. C'est une simple conscience vide de toute pense. Votre prsence interne ne contient rien de particulier ou de dfinissable. C'est une plnitude qui se suffit elle-mme. tre conscient de soi-mme en position assise, c'est tre conscient de soi et de la position assise. En ce cas, vous tes centr en vous-mme, dans le sentiment et la perception interne du Soi et, partir de ce centre, vous percevez le corps assis et l'ensemble de la pice. Conserver la perception interne du Soi, c'est tre spirituellement veill. Ds lors, vous pouvez vous lever et marcher en demeurant conscient de vousmme. Il y a vous-mme, immuable, immatriel, et le corps qui marche. Ne vous contentez pas de lire ce qui est crit. Exprimentez la diffrence qui existe entre le simple fait de se lever distraitement et le fait de se lever en tant conscient de soi-mme.
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Cette conscience de soi, qui est indpendante des perceptions sensorielles et mentales, il faut travailler la conserver constamment : tre conscient de vousmme en train de parler, tre conscient de vous-mme en train de travailler, de manger, de souffrir, de rflchir, tre conscient de soi en toutes circonstances de la vie. Vous constaterez qu'tant conscient de vous-mme, votre sentiment du moi ne se localise ni dans la tte, ni dans les pieds, mais au centre de votre poitrine. C'est cause de cette observation que de nombreuses traditions ont fait du coeur le centre spirituel de la personne. Sentir sa prsence immatrielle au centre de la poitrine, c'est la ralisation du Soi suprme qui se trouve dans le coeur. Plus vous garderez la conscience de vous-mme, plus vous sentirez d'une manire vidente que vous tes quelque chose d'intrieur, situ au centre de la poitrine, quelque chose de silencieux, d'immuable, d'informel, d'immatriel, d'incommensurable, vide de tout contenu et plein de vous-mme. Ce quelque chose peroit le monde extrieur, le corps humain et les penses de l'homme. Cependant, il en demeure spar et distinct. Ds lors, votre je ne se situe plus au niveau du corps ou des penses. Votre je a rompu la fausse identification qui l'emprisonnait dans la temporalit. Dbarrass de ces scories, votre JE resplendis : immortel, ternel, libre de toute attache, non concern par la naissance ou la mort, demeurant au-del de toutes les conditions d'existence possibles. Vous avez ralis le but de la vie humaine. Vous tes pass au-del des tnbres.
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Le dbut de la qute spirituelle est dtermin par la pense. C'est la pense qui s'interroge sur les choses de la vie et de la mort. C'est la pense qui tudie les rponses formules dans les diffrentes doctrines. C'est la pense qui cherche la Vrit. En chaque forme de spiritualit, on veut apaiser l'intellect en rpondant aux questions que se pose la pense. Il y a donc toute une partie de la spiritualit qui relve du domaine mental. Cet aspect, quelle que soit l'importance du nombre de livres qui lui sont consacrs, demeure cependant secondaire et infrieur. Certains, durant toute leur vie, ne connaissent rien d'autre qu'une spiritualit mentale. Pour eux, la spiritualit consiste collectionner un ensemble d'ides et de connaissances. Leur pratique spirituelle se rsume des mditations et des rflexions sur les ides qu'ils ont adoptes. Ces gens-l ignorent totalement ce qu'est la vritable spiritualit. La vritable spiritualit commence avec une exprience dans laquelle les mots et les penses sont dpasss. Cette exprience, en laquelle on transcende le domaine mental, nous l'appelons l'veil. L'veil se caractrise par une double prise de conscience. D'une part, il y a une grande attention vis--vis du peru qui acquiert ainsi une clart et une lucidit particulires et, d'autre part, simultanment, l'au-del du peru rvle sa prsence en tant que ralit intemporelle, transcendante et batifique. Tous nos efforts spirituels doivent finir par aboutir l'veil, s'engloutir dans le simple fait d'tre en veil. Que se passe-t-il lorsque nous sommes en veil ? Il se passe la chose suivante : nous sommes trs attentifs ce qui est peru dans l'instant prsent, aux sensations, aux sons, aux perceptions visuelles, aux odeurs,
176 aux penses... Nous sommes trs attentifs et nous nous sentons tre le Tmoin de tout cela. Ce Tmoin se rvle comme tant notre vritable nature et nous percevons ces qualits d'impersonnalit, d'infinitude, de vacuit, de plnitude, d'intemporalit. L'veil se rsume donc ceci : tre attentif la fois au peru et celui qui peroit. Car celui qui peroit n'est pas l'homme. Celui qui peroit, peroit la fois l'homme physique et psychologique ainsi que le monde, c'est l'immuable Tmoin intemporel de toute chose. Par l'veil, nous savons je suis ce Tmoin de l'homme . Percevoir les choses avec intensit et sentir le vide, le silence ternel de celui qui peroit, c'est l'veil. A l'instant mme, regardez autour de vous avec une intensit tranquille... coutez les sons... Sentez la prsence du corps assis... Regardez les penses s'il y en a qui jaillissent... Plus la qualit de votre attention sera forte, plus la nature de celui qui est attentif vous apparatra clairement. Ds lors, vous tes en veil. Vous vivez l'instant prsent non plus en tant qu'homme, mais en tant que Conscience ternelle. L'instant prsent devient un fragment de votre ternit. Extrieurement rien n'a chang. Intrieurement tout a chang. Dans le non-veil, vous vivez avec croyance je suis un homme . Dans l'veil, vous vivez avec connaissance je suis le Tmoin de l'homme . Pour ce Tmoin, il n'y a pas de temps ou d'espace, pas de dbut et de fin, pas de naissance, pas de mort, pas d'incarnation et pas de vie post-mortem, pas de forme, pas de couleur, pas de pense et pas de croyance. Il n'y a qu'une vacuit batifique et incommensurable. Vous vivez cette exprience et vous tes en veil. Dans cette exprience, il n'y a aucune considration mentale, tous les mots sont caducs, toutes les doctrines sont dpasses.
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Dans cette exprience, il n'y a pas de pense, le mental peut s'arrter ou continuer fonctionner, cela est gal. Toute pense se rapporte ce qui fait partie de l'homme que nous observons, mais aucune pense ne peut tre attribue au Tmoin intemporel. Car l Tmoin ne pense pas, il ne fait que demeurer dans son tat d'tre pur - de Conscience pure - de pure batitude. L'exprience de l'veil sonne le glas de l'empire de la pense. Avant l'veil, la pense tait la chose la plus leve et elle rgnait sur la vie humaine. Mais, avec l'veil, voici qu'apparat une exprience qui dpasse infiniment le domaine de la pense. Il y a une Ralit au-del de la pense et cette Ralit est la seule vraie. Lorsque vous atteignez l'exprience de l'veil, le mental n'est plus qu'un instrument du vhicule humain. Vous tes le Tmoin des agissements du vhicule. Dans l'veil, il n'y a ni acceptation ni refus du monde, ni dsidentification, ni amour formul mentalement. Mme les notions d'emprisonnement dans la temporalit, ou la dlivrance dans la Transcendance, d'asservissement au monde de la transmigration, ou de dlivrance vis--vis de la causalit karmique, n'ont plus cours. Tout cela relve du royaume de la pense et a t abandonn. Toute espce de considration mentale, toute espce de pense au sujet de l'veil ou de la spiritualit ont t dissoutes. Seul demeure l'veil en la plnitude de son exprience. Ce que vous vivez est incommensurable. Ce que vous vivez est ineffable. Vous acceptez de parler et d'utiliser les arguments du royaume de la pense pour guider les autres vers l'veil, mais, pour vous-mme, la pense est dpasse. Vous cessez de penser l'veil et la spiritualit, car vous vivez l'veil qui inclut le dpassement de la pense.
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Je suis triste ou morose. Je suis profondment contrari ou impatient. Apparemment, contre cet tat de fait, je ne puis rien faire. Je m'observe tre ainsi. Mme sil m'est impossible de retracer l'ensemble des circonstances qui ont engendr en moi cette humeur, cela ne change rien. Je puis me raisonner, me donner de bons conseils , me dire que tout cela n'est pas bien grave ; cependant, ce genre de suggestions reste inefficace. L'humeur qui est la mienne submerge tout et colore entirement mon esprit. Mais, voici que je me rappelle tre : l'ternelle Conscience, vide de contenu, contemplant le spectacle de l'existence . La sonorit et les chos de cette phrase qui, sortant de ma mmoire, est silencieusement prononce l'intrieur de mon mental provoquent en moi un trange et subtil bouleversement. Semblables la neige fondant sous l'action du feu, ma tristesse, ma morosit, ma contrarit ou mon impatience se sont dissipes. Me sentant exister comme la pure Conscience vide de contenu, ternelle spectatrice de l'existence, exprimentant, vivant en l'instant mme ce mode d'existence qui est le mien au niveau le plus lev, je me sens lger, libre et radieux. Quels taient donc ces sentiments qui, tout l'heure, emplissaient mon esprit et obnubilaient ma conscience ? Ah oui, je me souviens ! il s'agissait de tristesse, de morosit, de contrarit ou d'impatience ! Comme cela me parat lointain ! L'existence de tels sentiments me semble ridicule au sein de la plnitude existentielle qui, en cet instant, est mienne ! Je me rappelle avec compassion et piti ce petit homme qui tait, tout l'heure, la proie de problmes drisoires. Comment ai-je pu, par mon identification, tre aussi stupide, aussi mesquin, aussi troit ? Que s'est-il pass en moi pour qu'une transformation aussi radicale ait pu s'oprer ? Il s'est tout simplement produit un largissement dans le champ de ma conscience.
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Tout l'heure, le champ de ma conscience tait rtrci aux dimensions du mental humain. Ce mental tant empli d'un ensemble spcifique d'motions, sentiments, penses qui avaient un impact de premier plan. Maintenant, en me rappelant quelle est ma Nature profonde, le champ des perceptions embrass par ma conscience s'est largi jusqu'au niveau de ma propre Essence ternelle, intemporelle et bienheureuse. Consquence indirecte de la perception de mon Essence ontologique : un flot d'motions, de sentiments, de penses nouvelles a dferl en l'homme et a chass les humeurs ngatives qui stagnaient dans son mental. Ces dernires ont t chasses irrsistiblement, car l'largissement du champ de ma conscience, en me faisant prendre du recul, m'a fait apparatre les sentiments ngatifs qui habitaient mon mental comme tellement insignifiants quils ont automatiquement perdu toute emprise sur moi. Ainsi, je m'aperois que la tristesse, la morosit ou l'impatience sont, ainsi que mille autres sentiments, la consquence d'un rtrcissement du champ de la conscience ainsi que dune persvrance obtuse et borne cause de laquelle le mental, au lieu de s'ouvrir envers ce qui le dpasse, reste bloqu et concentr sur ce qu'il contient. Celui qui comprend cela et le vrifie en son exprience sait dsormais qu'il lui est toujours possible de quitter, quand il le dsire, le niveau de conscience humain pour atteindre le niveau de Conscience intemporel. Ds lors, gotant les fruits de la vie humaine, il dpassera les horizons de celle-ci chaque fois que l'appel vers le haut s'intensifiera.
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La connaissance mtaphysique commence avec une prise de conscience et finit en une prise de conscience. Pour le dbutant, il y a un double problme : le risque de sous-estimer la pratique en raison mme de sa simplicit, et celui d'tre dcourag par la monotonie et l'indracinable persvrance que rclame cette pratique. Prtendez-vous comprendre en quelques mois l'une des branches de la science du monde extrieur qui vous serait totalement trangre ? Non. Eh bien, pourquoi vous imaginez-vous pouvoir pntrer dans les arcanes de la science introspective en quelques mois de pratique ? La pratique doit tre poursuivie sans relche pendant de nombreuses annes pour mener bien votre qute initiatique. Les solutions prfabriques n'existent pas ! Les ralisations clair ne sont que des promesses de charlatans ! Les sentiers faciles sont fallacieux. Vous tes seul sur le chemin. Vous tes seul et le chemin est long. Commencez par comprendre cela avec toutes les consquences qui en rsultent et, si l'appel intrieur persiste, poursuivez alors le plerinage qui vous mnera vers l'ultime Ralit. La persvrance n'est pas ncessaire pour atteindre l'veil, car l'veil rsulte d'une prise de conscience qui se fait en un instant. Concevoir l'veil comme un tat sublime qu'il n'est possible d'atteindre qu' la suite d'une longue progression, c'est n'avoir vritablement rien compris. Qui pense cela se fait une ide compltement fausse de l'Eveil et, ce qu'il appelle veil, peut tre n'importe quoi, hormis l'veil. L'veil est un tat de conscience qui se manifeste instantanment, partir du moment o, ayant correctement compris en quoi il consiste, vous effectuez adquatement le mouvement intrieur de clarification qui est requis. S'il en est ainsi, en quoi la persvrance est-elle ncessaire ?
181 La persvrance est indispensable pour empcher les tendances psychologiques contraires l'veil d'accaparer la conscience et de la plonger dans des tats de conscience infrieurs. Depuis des annes vous tes habitu fonctionner psychologiquement d'une certaine manire. Voici qu'en l'veil vous faites l'exprience d'un tat intrieur radicalement diffrent. C'est formidable, c'est merveilleux, dites-vous en l'exprimentant. Mais les vieux automatismes psychologiques sont toujours l. Ils se manifestent nouveau et l'veil s'estompe... Un certain laps de temps s'coule puis une autre prise de conscience intrieure permet l'veil d'apparatre, en dissipant les tats de conscience infrieurs dans lesquels vous tiez immerg. Mais cet veil, son tour, ne dure pas... C'est partir du moment o, ayant accd l'veil, nous constatons sa fragilit, que l'ardeur et la persvrance deviennent le moteur essentiel de notre progression. Sans ardeur et sans persvrance, l'veil restera pour vous une srie d'clairs illuminateurs dont la beaut et la brivet ne feront que mieux souligner la grisaille et la pesanteur de votre vie intrieure. Il faut de l'ardeur pour, systmatiquement, travailler introduire l'veil dans chacune de nos journes, avec une frquence toujours plus grande. Il faut de l'ardeur pour lutter contre la pesanteur des automatismes infrieurs et chercher prolonger au maximum la dure de chaque veil. La persvrance est indispensable pour rpter ces efforts avec rgularit, aussi longtemps que ncessaire et sans se laisser dtourner du but par des circonstances contraires. Mais, ce qui importe, ne serait-ce quun bref instant au dbut, c'est de savoir, par exprience, ce qu'est l'veil, d'avoir got sa subtile saveur intrieure. Ceci est fondamental. C'est le dbut du sentier ; le seuil de la porte du temple intrieur se trouve franchi. Cette exprience de l'veil sera pour le dbutant presque obligatoirement fugitive et incomplte. Il est possible que votre veil la Conscience transcendante ne soit, en premier lieu, qu'un ple veil, peine diffrenciable de votre tat d'esprit habituel. Il vous faudra prendre l'habitude de provoquer cette sensation de l'veil afin de la rendre plus profonde.
182 Qu'importe si, au dbut, il s'y mle des aspects artificiels. Qu'importe si votre veil ne contient pas toutes les caractristiques que nous avons dcrites ! A mesure que, le reproduisant plusieurs reprises chaque jour, vous vous familiariserez avec lui, il deviendra de plus en plus large et profond. Que des clairs d'veil illuminent chacune de vos journes ! Il faut, chaque jour, diffrentes reprises, prendre conscience de notre Nature vritable et vivre son niveau quelques instants, jusqu' ce que la puissance des habitudes acquises vous fasse oublier sa prsence. Il en rsultera, dans le courant de chaque journe, une srie d'veils intermittents dont il faudra, peu peu, augmenter la dure et la profondeur. Par eux-mmes, ces veils, quoique fractionns, agiront dans votre existence comme des germes qui favoriseront l'apparition de nouveaux tats d'veil. largissez, peu peu, la dure de vos veils. Avec l'habitude, vous percevrez qu'oublier l'veil pour retomber dans l'tat de conscience commun, c'est, rellement et non point allgoriquement, tomber dans une forme d'inconscience. Ainsi, pour vous, l'tat dit de veille sera devenu un sommeil de la Conscience transcendante. La sensation de s'endormir, ou de dormir au niveau spirituel aide celui qui le dsire s'veiller ce mme niveau. Le fait de glisser dans l'tat de conscience commun finira par provoquer, en vous-mme, une sorte de signal d'alarme et, ralisant que vous tes en train de quitter l'veil, vous pourrez aussitt restaurer votre conscience son niveau transcendant. L'apparition d'un tel signal d'alarme est dj le signe d'un grand progrs. Cela prouve que, grce la vigilance trs persvrante, l'tat d'veil vous est devenu familier et que l'tat de veille classique commence tre peru par vous comme un tat de semi-inconscience anormal. Persvrez ! N'interrompez jamais votre effort durant de longues priodes ! Que votre vie tout entire devienne une croissance en veil !
183 Tel est le long travail de la discipline spirituelle par lequel notre ancienne personnalit est appele mourir pour que naisse une nouvelle personnalit spiritualise et rgnre par la connaissance gnostique. Les esprits timors trouvent, devant l'ampleur de la tche, divers prtextes pour excuser ou justifier leur paresse et leur lchet face ce qui constitue l'exigence fondamentale de toute spiritualit vritable et devant tre ralise en cette vie mme. Par la persvrance, multiples sont les choses qui, premire vue impossibles, deviennent ralisables. Pour le novice se trouvant au pied d'une montagne, atteindre le sommet qui se profile dans le lointain parat une folle entreprise, mais, s'il commence tranquillement cheminer sur le sentier qui serpente, bien avant la fin de la journe, le voici juch sur le sommet qui semblait inaccessible. Il en est de mme pour la discipline spirituelle. Ayant connaissance de cette dernire, le novice est tent de penser que cela est difficile, voici une entreprise qui demande une intriorit, des prdispositions et une force de volont bien audel de mes possibilits . Il n'en est rien. Mfiez-vous de ce genre de raisonnement. Que reprsente-t-il ? Une simple manoeuvre du vieil homme qui essaie d'empcher la naissance de l'homme nouveau, en vous dtournant du chemin de la ralisation intrieure. Ne vous proccupez pas de l'aspect imposant, terrifiant ou simplement rbarbatif que peut avoir la discipline spirituelle ncessaire. Faites comme le promeneur voqu plus haut, avancez tranquillement, sans hte, mais rsolument et rgulirement. Ne vous proccupez pas du sommet, concentrez-vous sur l'accomplissement rgulier de votre marche en avant. Au bout de quelque temps, les premiers rsultats obtenus vous montreront que tout est simple pour qui sait persvrer. Les illusions doivent tre rejetes et parmi ces illusions, il y a celle qui consiste, d'une manire plus ou moins implicite, souhaiter l'avnement d'une transformation spirituelle soudaine et dfinitive. Ceux qui s'imaginent qu'il suffit d'adhrer ceci, de croire en cela ou de partir lbas, pour que, soudainement, les choses deviennent faciles et que la grande transformation s'accomplisse, s'ils ne se gurissent pas de cette illusion, ils iront, durant toute leur vie, d'enthousiasme en dception, finissant toujours, lorsque la
184 fascination exerce par la nouveaut se dissipe, par se retrouver seuls en face d'euxmmes, au point de dpart ou presque. Les mauvais sentiers sont ceux qui se nourrissent des illusions et les entretiennent. Il suffit donc de se purger des illusions relatives aux choses de la spiritualit pour liminer la possibilit d'tre la proie des mauvais sentiers. Dissipez le mirage des solutions faciles et vous cesserez de pouvoir vous laisser duper par les vendeurs de mirages. Beaucoup de gens sont la recherche de l'panouissement intrieur. Chacun formule l'objet de sa recherche diffremment, mais la recherche est la mme. Cette recherche est comme un dsir, une insatisfaction fondamentale, tout la fois obscure et lancinante, une soif, oui c'est une espce de soif. De multiples marchands sont l, vous proposant des fioles miraculeuses qui, prtendent-ils, apaiseront instantanment vos tourments ; comme il est tentant de les croire ! Ce que vous tes est le produit d'un long processus. C'est donc par un autre long processus que ce que vous tes pourra se transformer. Il n'y a que deux solutions. Ou bien renoncer et s'endormir dans la passivit, ou bien s'engager sur le long sentier qui mne la Libration. Les transformations soudaines, hautes et durables, n'existent pas. Cependant, il est vrai qu'il y a de brusques et spectaculaires closions spirituelles chez certaines individualits, mais elles ne sont que la soudaine apparition de virtualits qui se sont formes au cours d'un long cheminement dont la trame est antrieure la prsente vie. Il y a galement de brusques illuminations qui vous emmnent trs loin et trs haut, mais la totalit de ce que vous tes ne pourra se transformer d'une manire intgrale et dfinitive que par un cheminement lent et progressif. Pour notre part, nous ne voulons permettre l'entretien d'aucune illusion. Que ceux qui sont la recherche d'un miracle aillent chercher ailleurs. Le sentier que nous indiquons est long. Certes, la qute spirituelle finit par se terminer un jour, mais ne vous posez pas de questions ce sujet. N'essayez pas de vous reprsenter ce que sera votre attitude en l'aboutissement. Ne cherchez pas dterminer votre degr d'avancement lorsque vous parcourrez les mandres du sentier. Ne vous occupez
185 que d'une chose : de ce que vous tes actuellement et du travail accomplir chaque jour pour largir les lueurs de l'veil. Qu'importe le temps que vous mettrez ! Votre qute est une qute au sein de l'ternit. Dissiper toute hte est la condition requise pour avoir une bonne rceptivit. Parfois, vous serez peut-tre dcourag. Vous traverserez des priodes sombres durant lesquelles tout deviendra obscur. Ce qui tait prcdemment acquis intrieurement semblera vous chapper. La joie et la lumire intrieures dont vous aviez got des parcelles se seront dissipes. Les choses ngatives rapparatront et vous aurez l'impression de rgresser. Ne vous inquitez pas, ce genre d'preuve est classique. Les bonnes priodes succdent aux mauvaises. La progression intrieure n'est pas un mouvement ascendant et rectiligne. Les retours en arrire sont frquents. Cependant, si au travers des priodes ngatives vous gardez votre face oriente vers les ralits spirituelles, vous constaterez qu'aprs chaque priode sombre, une priode lumineuse la dchire et vous permet un essor encore plus vaste. C'est par cycles de plus en plus puissants que vous avancerez sur le Sentier. La rapparition des lments ngatifs n'est que le prlude un nouvel essor qui dpassera les prcdents. Donc, ne vous dcouragez pas. Restez froid et objectif en face des priodes ngatives. Ne vous laissez pas entraner par elles dans la formulation de dcisions regrettables. Gardez confiance ! Attendez patiemment la venue d'une nouvelle aube intrieure, en continuant votre pratique mme si les rsultats sont dcevants. La persvrance est une disposition qu'il faut entretenir et nourrir. Entranez-vous la persvrance, exhortez-vous elle. Dites-vous je ne relcherai jamais mon effort. L'veil est le but de mon existence et je n'aurai de cesse avant de l'avoir atteint . Marchez, marchez, allez de l'avant sans vous interrompre, jusqu' ce que la persvrance vous soit naturelle, facile et que plus rien ne puisse vous dcourager. Tous les espoirs vous sont permis si vous tes persvrant.
186 Restez conscient de la direction que vous voulez donner votre existence. Refusez de vous laisser submerger par les forces collectives de la passivit et de l'inertie. Se dcourager, c'est oublier l'veil vers lequel on s'achemine et devenir inconscient de la vibration dynamique que propage son vocation. Complaisez-vous journellement en la remmoration de cet objectif existentiel et la force ncessaire son accomplissement ne vous fera jamais dfaut. Il faut pourtant dire que, sur le chemin spirituel, la persvrance n'est ncessaire qu'au dbutant. Elle est requise tant que la pratique spirituelle constitue quelque chose d'extrieur que vous vous efforcez d'accomplir. Mais, lorsque la pratique spirituelle s'est parfaitement intgre votre vie, la persvrance est inutile. Vous n'en avez plus besoin, car, aussi longtemps que vous vivrez, vous pratiquerez la spiritualit, votre vie elle-mme tant devenue une pratique constante. Ds lors, les notions d'effort, de persvrance et mme de pratique s'vanouissent. N'oubliez pas que l'veil ne peut tre obtenu par la force, la volont et la persvrance. L'veil est une prise de conscience paisible et calme qui ne demande aucun effort. Dans la personnalit humaine et dans le monde, beaucoup de forces contraires cherchent vous dtourner de l'veil. Ce n'est donc pas pour produire ou obtenir l'veil que la persvrance est ncessaire, c'est pour orienter le chercheur vers la paix de l'veil que l'effort est requis. L'veil est expriment sans effort, mais il est gnralement long de mettre durablement la personnalit en ltat de rceptivit attentive qui est requise. Ainsi s'expliquent la ncessit des efforts et l'abandon des efforts qui surviennent en l'installation de l'veil.
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APPROCHE DE LA VOCATION
Lorsque la grande immobilit intrieure, la grande paix lumineuse et l'tendue sans frontire des sentiments vous sont connues, vous savez ce qu'est l'veil. Et, cependant, vous n'tes qu'au dbut du Sentier. Vous connaissez l'veil, mais l'veil se retire et la vie vous accapare. C'est cela le grand obstacle : cet accaparement de l'existence qui vous plonge dans le tourbillon quotidien du superficiel. Si vous ne ragissez pas, si vous ne luttez pas fermement, l'veil restera une ralit entrevue. Quelques souvenirs de plnitude, voil tout ce qui subsistera au terme de votre vie. Que faire ? Empchez la vie de vous accaparer. Il faut, tout prix, lutter pour empcher l'existence de noyer votre conscience dans ses replis. Il faut rsister, refuser de vous laisser entraner, et conserver en vous l'immense dpouillement, l'extraordinaire tendue et la douce paix de l'veil. Comment peut-on rsister ? En dbarrassant son existence des proccupations matrialistes superflues qui l'habitent, en la simplifiant, en la dpouillant. Le contexte matrialiste de la socit qui vous entoure cherche vous entraner dans une voie qui n'est pas la vtre. Il s'efforce, par une propagande insidieuse, d'infuser en votre esprit des proccupations et des motivations qui vous loignent du sentier spirituel.
188 Analysez vos besoins vritables, librez-vous des fausses ncessits qu'on vous a suggres, remontez le courant du conditionnement collectif. Cultiver l'veil, ce n'est pas suivre le troupeau, le troupeau est un troupeau d'endormis. Cultiver l'veil, c'est vous destiner une existence d'exception. Les initis sont le sel de la terre. Ce qui est la rgle pour la masse ne peut tre la loi que vous devez suivre. Il faut donc que vous cultiviez une indpendance d'esprit totale. Vous n'avez que faire des conseils et des raisonnements des gens du sommeil. Votre existence a un but, une vise diffrente de la leur. Vos valeurs ne sont pas leurs valeurs. Acceptez la solitude intrieure de l'initi, renforcez-la. Votre indpendance vis--vis de l'idologie mondaine tant solidement acquise, la place pour la recherche spirituelle sera faite. Alors, le but assign chacune de vos journes sera clair. Chacune d'elles deviendra une lutte entre l'veil et l'inconscience, la libert intrieure et l'accaparement. L'veil deviendra pour vous la seule chose vraiment importante et, ds lors, aucune considration ne pourra vous empcher de lutter contre l'accaparement de l'existence. Tous ceux qui s'interrogent sur les choses de la spiritualit savent bien qu'il leur manque quelque chose et qu'une exigence fondamentale reste, en eux, insatisfaite. Ils le savent bien, car sinon pourquoi chercheraient-ils ? Parmi ceux qui trouvent un moyen de satisfaire cette aspiration, il en est qui, au seuil de la dcouverte, prtextant des raisons diverses sans valeur vritable, se
189 dtournent du sentier entrevu pour retourner dans la grisaille d'une vie sans lvation. C'est alors que la puissance des forces d'ignorance peut se mesurer. Ils ont compris que l'veil ncessitait l'abandon total des vieilles formes de penses qui sont les leurs. Mais, prcisment, ils ne veulent pas abandonner ces formes de pense qui sont pourtant responsables de leurs souffrances et de leurs vicissitudes. Ils sont attachs l'obscurit et au sommeil intrieurs par la force de l'habitude et la complaisance qui l'accompagne. Leur esprit est plein de purulences, mais ils s'y sont accommods. Ils se plaignent, mais ils sont habitus leurs plaintes. Ils sont installs dans la fange intrieure. Ils sont fortement enracins dans leur attitude obscure et gotique. Dpasser l'ego, dissiper l'obscurit, asscher leurs plaies leur fait peur. Ils ont l'amour de leurs faiblesses et de leurs erreurs. Seule la partie suprieure d'eux-mmes rclame la lumire, mais son appel est touff par l'ensemble de la personnalit qui se complat en elle-mme et ne dsire pas de changement. Telle est l'impasse o aboutissent certains plerins. Sachez-le, l'veil ne pourra s'installer en vous que si vous dveloppez une soif ardente pour son obtention. Il ne pourra se rvler que dans la mesure o vous serez fermement dcid accomplir en vous-mme une rvolution radicale. L'ardeur est engendre par la comprhension. Si nous ne dsirons pas ardemment parvenir la ralisation spirituelle, c'est parce que nous n'avons pas compris en profondeur quelle est notre situation existentielle. Celui qui sait que toute vie humaine qui n'aboutit pas une ralisation effective du spirituel constitue un dramatique chec. Celui-l connat l'ardeur. L'ardeur est galement engendre par l'amour. Lorsqu'une profonde relation amoureuse nous lie au Seigneur, par notre dsir d'union mystique, l'ardeur nous emplit. En voulant comprendre, en cherchant comprendre, en essayant de comprendre, on finit par comprendre. En voulant aimer, en cherchant aimer, en essayant d'aimer, on finit par aimer. Ainsi, l'ardeur peut-tre gnre et le fruit de l'ardeur, c'est la vocation.
190 Possde la vocation spirituelle celui dont l'accs l'veil, son enracinement et son panouissement constituent le but de l'existence. Vous pouvez croire et esprer, mais, tant que vous n'avez pas la vocation, les portes de la ralisation intrieure vous resteront fermes. Avez-vous la vocation ? Interrogez-vous l-dessus, sachez o vous en tes. Avez-vous la vocation ou bien tes-vous en train de vous acheminer vers son obtention ? Si la qute spirituelle n'est pas pour vous une vritable vocation, si vous ne faites qu'ajouter la spiritualit votre vie, et non point vivre pour la spiritualit, nous ne pouvons que vous encourager continuer vous y intresser et vous souhaiter, du fond du coeur, que la bndiction de la vocation descende sur vous. Puissiez-vous dsirer et chercher la vocation ! Car la vocation survient qui la dsire et la cherche. Avoir la vocation est l'aboutissement de tout un priple. Le plus gnralement, nous avons commenc par un simple intrt pour la spiritualit. Il a fallu que cet intrt grossisse et devienne une vritable proccupation, une qute systmatique. Ensuite, il a fallu que nous fassions des expriences intrieures en lesquelles nous gotions les prludes de la vritable batitude. Puis, il a galement fallu que, durant nos priodes de plnitude mystique, l'veil s'installe en notre vie, pour qu'ensuite, pendant nos cycles ngatifs, lorsque nous tions momentanment privs de ces expriences, nous ralisions la terrible chute qui s'accomplissait en nous. Ainsi, par de tels mandres, nous sommes arrivs, un jour, la conclusion que la vie sans veil ne valait pas la peine d'tre vcue, qu'elle n'tait que tnbres, bassesses et mdiocrits.
191 Alors, ce jour-l, nous avons su que la vocation nous habitait et que, ds lors, le seul et vritable but de notre vie tait celui de la ralisation spirituelle. Pour celui qui en est ce stade, tout commence. La vie profane s'achve. C'est une deuxime naissance. Il entre de plain-pied dans la vie mystique. Quiconque a compris que la vocation nous engageait dans une entreprise de longue haleine, ne saurait se dcourager par le nombre d'annes qui lui seront peut-tre ncessaires pour enregistrer un dbut effectif de ralisation. Comprendre que le but de notre vie est la ralisation spirituelle et ne pas tout mettre en oeuvre pour concrtement raliser ce but, cest une mortelle ngligence. L'exigence spirituelle ne peut s'acheminer vers sa propre satisfaction que dans la mesure o elle constitue le but essentiel de notre existence, et o toute autre ambition lui est explicitement et vritablement subordonne. Ceci doit tre compris en profondeur, avec toutes les consquences qui en rsultent. C'est en lapplication effective des consquences de la vocation qui se ralise la grande slection. Car, beaucoup de gens veulent bien ornementer leur vie de spiritualit, mais ils reculent devant laridit et les exigences d'une vocation vritable. Que celui qui a la vocation rflchisse bien la tournure qu'il doit donner sa vie, car rien ne doit l'arrter, aucun sacrifice ne doit lui paratre trop fort et, d'ailleurs, il n'y a de sacrifice que dans la mesure o il y a attachement erron. Pour raliser sa vocation, il n'est pas obligatoirement ncessaire de se rfugier dans une fort ou un monastre. Accomplissons ce qui constitue nos aspirations les plus profondes. Restons dans le monde si nous y sommes profondment pousss. Quittons-le si nous y sommes profondment pousss. Mais, que nous soyons dans le monde ou en dehors de celui-ci, il nous faut organiser notre vie de manire pouvoir crotre dans la lumire de l'veil. C'est l le critre fondamental. Il n'y a pas de rgle rigide, chacun de constater ce qui, en sa vie, est ncessaire sa croissance spirituelle et ce qui lui est nfaste.
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Nous entendons par nfaste ou ncessaire les faons de vivre qui se rvlent ainsi. Il faut que nous liminions de notre faon de vivre ce qui, dans notre exprience, se rvle comme faisant obstacle l'installation des prises de conscience de l'veil, dans le contexte de chaque journe. En corollaire, il faut que nous choisissions un mode de vie permettant une progression effective au sein de l'veil. En clair, cela signifie que, si le travail que nous accomplissons pour gagner notre vie ne se rvle pas compatible avec une recherche de l'panouissement spirituel, nous devons changer de travail. Il en est ainsi pour certaines professions ou, plutt, il en est ainsi pour la manire dont certaines professions sont parfois exerces et qui demandent soit trop de temps, ce qui ne laisse mme plus le loisir de rflchi, soit trop d'efforts physiques engendrant une fatigue excessive, soit trop de proccupations qui absorbent entirement l'esprit. Les critres de la russite sociale ne doivent plus avoir cours pour nous. Le seul critre qui dtermine notre russite ou notre chec est le suivant : parviendrons-nous casser l'emprise de l'accaparement existentiel pour vivre en l'veil ? De mme, si une habitude nous gne, nous devons changer d'habitude. Si notre milieu familial ou social exerce sur nous une pression psychologique s'opposant notre croissance spirituelle, nous devons le quitter. La libration est ce prix. Si nos relations amicales et l'influence qu'elles exercent sur nous font de mme, nous devons rompre avec elles. Si l'endroit o nous vivons n'est pas favorable, nous devons nous en aller... Il en est ainsi pour toutes choses. Seul, celui qui agit de la sorte se conduit honntement vis--vis de sa vocation. Sinon, c'est un hypocrite. Les hypocrites n'auront pas droit au royaume cleste.
193 La vocation n'est pas une ide gnrale et vague. Rptons-le. Les consquences pratiques de la vocation sont les suivantes : notre but, ici bas, doit tre d'organiser notre vie de la manire la plus propice la ralisation effective de notre aspiration spirituelle et ceci d'une manire concrte et non point abstraite, car nous devons tenir compte de nos caractristiques individuelles. En effet, il ne s'agit pas de dterminer ce que l'on penserait pouvoir considrer en gnral comme favorable, mais de constater ce qui nous est personnellement favorable. Il ne s'agit pas, non plus, de rver ce que seraient les conditions de vie idales et d'en faire un projet de ralisation. Il faut, ds prsent, amnager au mieux de nos possibilits notre manire de vivre pour qu'en elle, notre spiritualit puisse s'panouir. Qui ne fait pas cela, Qui ne subordonne pas tout la spiritualit, Qui n'est pas prt abandonner tout ce qui fait obstacle sa croissance intrieure, N'ATTEINDRA PAS LE BUT. C'est une flche perdue sur l'arc de l'existence.
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Nous avons vu comment on pouvait parvenir , clairement, savoir que nous ne sommes ni le corps ni le mental de l'homme. Est-ce dire que le corps et le mental de l'homme utiliss en cet instant mme sont sans relation avec moi ? Une telle dduction serait compltement errone. Le corps et le mental de l'homme ne sont pas moi au sens limitatif de cette acceptation, mais ils sont utiliss par moi. Ils sont ma manifestation. Confondre ce par quoi je me manifeste et ce que je suis, voil qui est absurde. J'ai dissip cette absurdit, mais il me reste viter une deuxime absurdit, celle du mpris de la manifestation. En cette prsente condition d'existence, l'homme constitue mon instrument de perception et d'action. Moi-mme, en ma nature propre, je n'agis jamais et je reste ternellement immuable. C'est l'homme qui, manifestation individualise de mon statique fait d'tre, agit dans le monde de la manifestation universelle. C'est galement lui qui est prsentement linstrument de perceptions grce auquel ma conscience peroit les apparences phnomnales. J'agis au niveau de ma manifestation temporelle. Je n'agis pas au niveau de ma Nature propre qui est Conscience intemporelle dpouille de tout. J'ai deux aspects, l'aspect de mon tre et l'aspect de ma manifestation. En l'aspect de ma manifestation, l'homme est ce que je suis. Mais moi, je ne suis pas rductible l'homme, car je le dpasse infiniment en mon aspect intemporel.
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M'identifier l'homme, c'est me rduire lui, m'enfermer en lui. Connatre ma Nature propre constitue une gnose indispensable, mais la connaissance de l'intemporel doit se complter par la comprhension du temporel. Si je connais l'intemporel sans avoir compris le temporel, je vais me rfugier dans l'intemporel. Me rfugiant dans l'intemporel, je me rduis ma nature propre, mon simple fait dtre, statique et impuissant. La manifestation de l'tre, si elle est ignorante de l'essence de l'tre, constitue un emprisonnement tnbreux. Mais, par contre, si la manifestation est consciente de son essence intemporelle, elle devient une glorieuse extension de celle-ci. Ainsi, la dsidentification illuminatrice de l'homme doit s'accompagner de l'acceptation et de l'accomplissement de l'homme, instrument de perception et d'action dans le temporel. Je suis par nature intemporel, mais je ne me limite pas l'intemporel. Connaissant l'intemporel, j'apprhende le temporel. La cration existe, non pour que je m'en retire, mais pour que je m'intgre elle par une participation volontaire ; pour que je ralise, en ma manifestation individuelle et fragmentaire, les potentialits volutives que contient la manifestation cosmique et universelle. Double est donc la tche accomplir : connatre notre Nature transcendante et panouir notre manifestation humaine. L'panouissement de la personnalit humaine prsuppose une rcupration de l'homme que j'avais abandonn en mon processus de dsidentification. Cette rcupration de l'homme ne consiste pas retrouver l'tat d'esprit qui tait le mien avant la dsidentification. Car, rcuprer l'homme, ce n'est en aucun cas croire et se percevoir nouveau circonscrit par lui. Cette rcupration de l'homme se fait par la constatation suivante :
196 Je suis l'tre intemporel et je suis talement la personnalit humaine, laquelle est une extension passagre de mon ternelle non-manifestation. Au dbut de la qute spirituelle, il est ncessaire de casser l'identification au moi humain et l'emprisonnement en ce dernier pour dcouvrir que notre Ralit profonde et essentielle ne se situe pas en l'homme. Ceci constitue une recherche de l'Essence, mais, la recherche de l'Essence, doit succder, sans l'exclure, l'oeuvre de transformation de la substance. Le gnostique qui ne cherche pas fuir le monde s'aperoit que le moi humain et l'tre transcendant ne s'annulent pas. Le moi humain et ltre transcendant sont tout les deux nous-mmes. Notre Ralit les englobe. Le premier est une manifestation limite, conditionne et temporaire, tandis que le second demeure en son illimitation non manifeste et ternelle. Celui qui comprend cela au plus haut niveau peut dire je en parlant de l'homme, sans pour cela faire montre d'ignorance mtaphysique, comme c'est le cas pour le profane. Car, s'il inclut l'homme en sa Ralit, il a cess en son exprience de limiter sa Ralit l'homme. Nous savons que notre Nature vritable, notre Nature profonde, notre Essence sont absolument indpendantes du corps et de la personnalit humaine. Nous savons que ce corps et cette personnalit ne sont en aucune faon notre limite. Si la prise de conscience de notre Essence a t suffisamment profonde et intense, nous ne nous sentons plus enchans et enferms dans l'homme. C'est trs bien. Mais, maintenant, qu'allons-nous faire de cette Connaissance transcendante ? Allons-nous l'utiliser pour nous dgoter de l'homme, pour nous retirer de la vie humaine ? La tentation des doctrines qui prchent la retraite hors des agitations du monde s'offre nous. Il nous est, en effet, loisible de chercher demeurer le plus possible dans l'exclusive et silencieuse contemplation extatique du transcendant. Mais en
197 faisant cela, il est peu probable que nous accomplissions la finalit de notre manifestation humaine. Il est et reste constamment ncessaire de dpasser l'homme pour connatre notre Essence. Ceci est fondamental, car, si nous vivons sans connatre notre origine, nous sommes une manifestation ignorante de ses racines. Or, c'est par la connaissance de nos racines que nous nourrissons notre apprhension intrieure des sucs de l'ambroisie spirituelle. Mais, allons-nous rester uniquement proccups par nos racines, sans nous intresser aux fleurs et aux bourgeons phmres ? Le but des racines n'est pas simplement de puiser la vie, c'est galement de permettre la vie de sortir de terre et de se manifester en la surface des choses. La connaissance de notre Essence ne doit pas aboutir la ngation ou au dsintressement de notre manifestation. Si l'Essence s'est manifeste, ce n'est pas pour que la finalit de cette manifestation consiste prendre conscience de son Essence, afin de s'anantir en elle. Car, si cela tait, y aurait-il une absurdit plus vidente que cette manifestation qui sort de l'Essence dans le but d'y retourner le plus vite possible ? Il apparat donc que, si connatre son Essence est indispensable, comprendre et panouir notre manifestation est galement ncessaire. Notre Essence est l'ternelle Conscience. Notre manifestation individuelle est le corps humain avec les sentiments et les penses qui s'y expriment. Notre manifestation universelle, cest la Totalit du cosmos. Tant que nous sommes des hommes, la base de notre manifestation ne saurait tre les sentiments ou les penses, mais le corps. Le corps, qui est la chose la plus extrieure par rapport l'Essence, est donc la chose la plus importante au niveau de la manifestation. En la prsente manifestation, le corps est la base de tout, sentiments et penses lui sont subordonns. Toute altration du corps se rpercute dans les sentiments et les penses qui ne peuvent s'exprimer, ici-bas, qu'avec la permission du corps. L'inconscience de celui-ci, c'est l'interruption de toute
198 expression sentimentale ou psychique. Sa mort, c'est la fin de toute expression matrielle; par ces deux lapalissades, se constate la primaut du corps. Cette primaut est lie la condition humaine. La mort est un changement de condition et ce qui caractrise la mort, c'est la perte du corps physique. Avec cette perte la condition humaine prend fin. Une autre condition dexistence, non humaine, lui succdera. Cette dernire sera diffrente et appartiendra un autre plan de la manifestation cosmique, prcisment parce que la base de la manifestation individuelle ne sera plus le corps physique. Par la Connaissance transcendante, nous avons conscience d'exister au-del du corps, des sentiments et des penses. Par la ralisation de notre finalit temporelle, nous devons vivre en premier chef dans le corps puis dans les sentiments et ensuite dans les penses. Le corps doit tre l'assise et le pilier soutenant la ralisation de notre temporalit humaine. Si les fondations sont ngliges, la maison n'est pas solide. Mais, si les fondations ne supportent rien, elles sont inutiles. Il nous faut donc valoriser la vie corporelle. Cela signifie que nous devons soigner, entretenir et dvelopper le corps avec amour. Le premier objectif d'un panouissement humain intgral rsidant dans la recherche de la sant, de la force et de la joie corporelle. Ne mprisez pas le corps ! Le corps, ce temple de l'Esprit, doit tre respect, purifi et fortifi. Rendez-le puissant, agile et vigoureux ! Apprenez vivre avec le corps ! Participez ses joies ! Faites descendre la lumire en lui !
199 Pratiquement, cela signifie qu'il est ncessaire de s'adonner la pratique rgulire d'une ou de plusieurs mthodes de culture, de dveloppement et d'panouissement corporel. Il est normal que le choix de la mthode se fasse en fonction du caractre personnel et il n'est pas ncessaire de devenir un expert. Il est mme dconseill de consacrer la pratique corporelle un temps excessif, le but n'tant pas de raliser des performances, mais, simplement, d'entretenir et de dvelopper le corps. Notons qu'une pratique diversifie en laquelle on s'adonnera telle discipline corporelle pendant un certain temps, puis ensuite une autre et une autre encore, et ainsi de suite est prfrable au fait de s'enfermer dans la pratique exclusive d'une seule discipline. En d'autres termes, l'amateurisme clair est plus souhaitable que le professionnalisme absorbant. Cependant, un panouissement corporel qui ne s'accompagne pas d'un panouissement et d'un raffinement des sentiments fait de la personnalit une brute obtuse. Alliez donc la robustesse extrieure et l'extrme sensibilit intrieure. Ne brisez jamais votre sensibilit. Cultivez-la ! Une culture de la sensibilit ne s'accompagnant pas d'un enrichissement constant de la pense, engendre une personnalit superficielle, instable, frivole ou tourmente. Sans lui permettre de vous emprisonner en ses structures, abreuvez le mental pour qu'il croisse en force et en profondeur. Tout au long de votre vie, dveloppez un got pour l'tude de la mtaphysique et les comprhensions qui en rsultent. Triple doit tre la culture de l'homme. Il faut dvelopper le corps, il faut dvelopper les sentiments et la sensibilit, il faut dvelopper les penses. C'est en cette triple culture que se trouvent la joie, la grandeur, la matrise, l'panouissement et la ralisation de la personnalit humaine, fragment de la Totalit cosmique.
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S'enfermer dans la tour d'ivoire d'une spiritualit compltement introvertie, en se dsintressant des ralits sociales, n'est pas une attitude juste. C'est pourquoi notre enseignement propose un quilibre entre l'esprit d'action et l'esprit de contemplation. tre un homme d'action, un militant qui oeuvre pour l'amlioration des ralits politiques et sociales, c'est un corollaire de toute spiritualit intgrale. Nombreuses sont les oeuvres raliser. Il nous faut ressusciter, en notre monde contemporain, de nombreuses valeurs traditionnelles qui courent le risque de se perdre. Il nous faut laborer de nouvelles valeurs sociales destines remplacer ce qui est devenu caduc. Il faut galement renouveler les voies d'approche du spirituel, laborer la gestation d'une nouvelle socit qui ne soit base ni sur le totalitarisme, ni sur l'exploitation de l'homme par l'homme. Le rle que les spiritualistes doivent assumer ne consiste pas tre des excroissances sociales, mais, au contraire, des ferments dans la pte collective. En bref, loin de fuir la socit, de dmissionner devant la ralit, il s'agit de s'intgrer dans le courant des forces positives qui, en notre temps, oeuvre l'ternelle transformation du monde. Ceci dit, notre enseignement n'a pas pour objet l'analyse des conjonctures sociales. Il n'incite aucun engagement politique particulier. Son but est, et reste, d'ouvrir en chacun l'accs la ralisation spirituelle. Cependant, il importait de prciser, avec toute l'intensit ncessaire, que notre perspective ne s'accompagne, ne fusse implicitement, d'aucune incitation la dmission politique, l'indiffrence sociale, l'attitude ractionnaire, peureusement et gostement conservatrice. Ce qui, d'ailleurs, ne veut pas dire, non plus, qu'elle soit conciliable avec l'un de ces fanatismes idologiques qui, par leur intolrance,
201 leur troitesse de vue et leur matrialisme actif et dogmatique, sont incompatibles avec toute espce de spiritualit. La ralit sociale est une ralit vivante et aucune thorie prfabrique ne peut valablement et dfinitivement indiquer le genre d'action qu'il faut accomplir. C'est toujours en fonction de l'analyse de la conjoncture historique du moment que doit se dterminer l'action de ceux qui ne sont la proie d'aucune chimre doctrinale. Notre enseignement ne peut donc qu'inviter chacun chercher, en toute libert, le type d'action le plus socialement fcond, car l'amour de nos semblables, qui est proportionnel notre croissance spirituelle personnelle, ne peut, lorsqu'il est vridique, demeurer une charit verbale ou superficielle qui n'engage rien et se proccupe du sort de nos frres avec suffisamment de lgret pour ne vouloir aucun changement profond amliorant leur sort. Il ne peut se contenter de rester une simple utopie, en refusant de se confronter avec la pesanteur des institutions humaines. Par ailleurs, l'avnement intrieur de l'veil clarifie l'action sociale et politique, car, grce lui, l'individu cesse de faire, sur les ralits collectives, la projection dualisante des problmes psychologiques qui l'habitent. Dpouill de ces derniers, il peut jeter un regard, la fois objectif et dpassionn sur le monde, pour agir en ce dernier sans accrotre la confusion gnrale, ainsi que le font, en toute bonne foi, de nombreux rformateurs et rvolutionnaires dont l'action est entache par leur propre confusion. Pour en revenir l'erreur qu'il y a de fuir l'aspect social des choses, nous nous apercevons, si nous rflchissons correctement, que vouloir s'manciper de la ralit humaine et parvenir l'insensibilit vis--vis du monde, pour se perdre dans la Transcendance divine, c'est manger le fruit d'une comprhension incomplte. En effet, il apparat particulirement incohrent de s'imaginer que le but spirituel de l'homme doit tre de se dtourner de la condition en laquelle il est venu s'incarner. Souscrire une telle vision, c'est dclarer implicitement l'absurdit de la cration tout entire et, en ce cas, mettre en cause l'intelligence cratrice elle-mme. Nous sommes venus sur terre pour raliser la condition humaine et non pour la fuir. Le dpassement du stade humain comprend l'panouissement pralable des potentialits contenues dans ce stade.
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Comprenez toutes les consquences de ce fait. Visible et invisible s'interpntrent. Matriel et spirituel se compltent. Transcendant et immanent, loin de s'opposer, appartiennent la mme Vrit suprme dont ils sont l'envers et l'endroit. Pour une spiritualit intgrale, il ne s'agit pas de fuir asctiquement la condition humaine, il faut transfigurer toutes les activits de l'homme.
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raison mme de la nature de l'Etre cette manifestation est une manifestation psychique, voil qui apparat vident qui sait rflchir ! L'ensemble des penses qui composent l'univers sont engendres passivement par l'Etre sans participation directe de sa part. Par sa seule prsence, la conscience de l'Etre provoque en son sein, l'apparition des penses cosmiques dont l'univers est constitu. L'univers, qui n'est que la somme des penses de l'Etre, constitue pour ce dernier l'immense rverie que contemple sa Conscience, mais cette rverie n'est pas une rverie fantaisiste, C'est un songe cohrent , et c'est pourquoi la science humaine est possible. Cette dernire reposant sur l'tude des lois qui rgissent la production des phnomnes composant le rve de l'Etre. En tant qu'homme nous sommes une pense de l'Etre, se mouvant au sein de l'univers des penses de l'Etre. Les penses de l'Etre tant des penses conscientes. La conscience de l'Etre est la fois intrinsque, et extrinsque la cration. Par rapport l'Etre, la pense de l'Etre est irrelle. C'est une simple rverie. L' Etre seul est rel, car lui seul possde l'Etre. Ce qui est rel c'est l'Etre, qui est conscience ; ce qui est irrel, cest l'ensemble des apparences phnomnales de l'univers. Les divers contenus de la Cration, tirent leurs apparences de La manifestation des penses de l'Etre; et ils tirent leur ralit de l'unique Conscience universelle de l'Etre, prsente en chacun d'eux. Cependant pour l'homme biologique, qui n'est qu'un contenu particulier du rve cosmique, le monde est une ralit objective. Car si l'homme est une simple pense de l'Etre, tout ce qui l'entoure est aussi l'expression de la manifestation psychique de l'Etre, Ainsi, chaque homme a le mme degr de ralit que ce qui l'entoure , et de ce fait, son niveau, le monde est une ralit objective. Que le monde soit pour l'homme une ralit objective, le simple fait de trbucher par inadvertance sur une pierre insouponne suffit nous le prouver. Il importe donc de conserver le sens du rel au niveau de l'action et de la pense. Bref, garder comme on dit vulgairement "les pieds sur terre". Mais par ailleurs, il importe galement au niveau de notre conscience, de percevoir l'irralit du monde. Car si le monde est une ralit objective pour notre corps et notre mental; c'est une simple perception subjective pour notre conscience. Laquelle n'est rien d'autre que la prsence en nous de la conscience de l'Etre. Les perceptions du monde extrieur sont habituellement dites objectives, par rapport aux perceptions se rapportant au monde intrieur ,qui elles sont dites subjectives, Ceci est vrai pour
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l'homme, mais pour la conscience intemporelle qui est notre vritable nature, les perceptions du monde extrieur, et les perceptions du monde intrieur, soit toutes deux subjectives. Elles forment un tout cohrent, qui constitue le rave de la vie individuelle. Pour l'intemporelle conscience, qui d'une manire impersonnelle constitue ce que nous sommes rellement ; notre naissance a t le commencement confus d'un rve, interrompu durant nos priodes de sommeil profond. Rve qui prendra fin au moment de la mort, et qui s'intgre dans l'immense rve de l'univers. De mme, la vie post-mortem est le dbut d'un autre rve individuel, constituant galement une fraction du grand rve collectif. Au cours de la vie nocturne, aussi longtemps que nous sommes plongs dans un rve, ce qui nous arrive est peru comme rel. C'est seulement lorsque nous cessons de rver, que nous ralisons que tout ce qui a t peru n'avait pas de vritable ralit, et n'tait que le simple produit de notre mental. Semblablement, la vie l'tat de veille est pour notre conscience intemporelle une simple rverie, engendre par la pense de l'Etre. par contre, cette rverie de l'tat de veille est une ralit pour notre corps, car ce dernier est lui-mme un lment de ladite rverie ontologique. La rverie de l'existence humaine nous parait relle parce que notre conscience est accapare par elle, et de ce fait plonger en elle. Il y a l un leurre que la Connaissance mtaphysique doit dissiper ; afin que nous cessions d'tre la proie de l'illusion existentielle qui nous fait prendre pour rel, ce qui au niveau de notre Conscience n'est qu'une suite de fantasmes hallucinatoires. Nous sommes la proie de la grande hallucination de l'existence, voil ce dont il faut prendre conscience! Lorsque notre Conscience prend connaissance de sa vritable nature, elle rintgre le niveau qui lui est ontologiquement propre ; et de par ce fait elle entre dans une vacuit absolue. Cette entre (figurative car en ralit il n'y a pas de dplacement spatial) dans la vacuit absolue, constitue une sortie du grand rve de l'univers phnomnal. Ds lors pour la conscience individuelle le monde cesse d'tre peru comme une ralit ; et devient un simple songe traversant le champ de sa perception. En cette ralisation intrieure il y a cessation de l'illusion existentielle, mais non point cessation du rve existentiel. Il est possible de rver tout en sachant qu'il s'agit d'un rve. Beaucoup de gens ont fait ce genre d'exprience au cours de la vie nocturne, ceci tant provoqu par un mlange des tats de conscience de rve et de veille. Il s'agit de provoquer le mme phnomne au cours de l'tat de veille, pour tout la fois percevoir la vie humaine et raliser qu'elle n'est qu'un rve, Cette exprience rsultant d'un mlange de l'tat de conscience de veille, avec l'tat de conscience ontologique. Vivre l'existence comme une ralit absolue, c'est se trouver emprisonn dans l'univers comme au fond d'un puits. Le but est de vivre la vie humaine partir du point de vue de notre vritable nature, et non de l'apparente ralit humaine. Il ne s'agit pas de fuir ou de dnigrer la vie humaine. ce qu'il faut c'est la vivre comme un rve, qui interrompu chaque soir recommence chaque matin.
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Il est donc trs important de parvenir crer en nous la sensation du rve. Ceci est d'ailleurs beaucoup plus facile qu'on le croit gnralement : Lorsque regardant ce qui nous entoure, et percevant ce qu'il advient l'homme qui regarde, nous sentons intrieurement avec une force variable que tout ce que nous percevons n'est qu'un rve, il y a rvlation de la subjectivit phnomnale. Cette sensation du rve doit s'intgrer dans notre vie pour l'imprgner d'une manire spcifique. Pour parvenir cela, diffrentes reprises au cours de chaque journe, prenons conscience du fait d'tre plong clans un rve. En ce domaine comme en beaucoup d'autres, les rsultats sont lis l'intensit et la rgularit de la pratique. Il faut prendre conscience de l'illusion phnomnale de frquentes reprises quotidiennes, jusqu' ce que votre croyance en la ralit du monde extrieur se disloque. En cette dislocation vient l'preuve du vide. Tout s'croule, plus rien n'a de sens. Percevoir, non point concevoir, mais percevoir que le monde est un simple rve, c'est sentir s'vanouir tout espce d'attachement, c'est perdre tout intrt pour la fantasmagorie du quotidien. Vous comprendrez que vos amours, vos intrts, n'taient que des affections et des curiosits vis--vis d'un mirage. Vous vivrez l'acidit dissolvante de cette comprhension, et vous sentirez que tout est vide. Il n'y a qu'une suite de fantasmes colors reposant sur le nant. L'homme et le monde sont drisoires. Parvenu ce degr de comprhension, pour ne point sombrer dans le dsespoir ou l'apathie, accrochez-vous la seule Ralit, celle de l'Etre ternel et intemporel. Ainsi la dislocation de votre croyance en la ralit du monde, s'accompagnera d'un renforcement compensatoire de votre perception de l'Etre Divin. Vous quitterez une fausse ralit pour entrer dans une vraie ralit. Et puis, peu peu, vous rconcilierez en vous les deux aspects de l'Etre vous raliserez que la Connaissance de l'aspect Absolu et non manifest vous dtache des choses du monde ; mais que ce dtachement ne ncessite pas un dsintressement total pour l'aspect relatif et manifest. La merveille de la fantasmagorie phnomnale vous sera rvle. Vous vivrez la vie humaine en sachant, et en sentant intrieurement qu'il s'agit d'une grande
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rverie hallucinatoire, dont la ralit au niveau humain n'est que relative. Vous goterez les dlices et les tragdies de l'existence; tout en jouissant de l'absolue libert d'une conscience intemporelle que rien ne peut atteindre ; et qui au-del de tout, contemple paisiblement le spectacle de la mouvance cosmique. En celui qui a cette vision, la plus grande paix et le plus total dtachement s'installent. En Celui qui a cette vision, la joie la plus haute, et l'nergie la plus intense se manifestent.
APPROCHE DE L'IMMUABLE
Demeurez tranquillement assis pendant que se droule la vie quotidienne de votre foyer. Vos enfants sont peut-tre l en train de jouer, et il y a peut-tre de la musique ... Vous restez ainsi, en contemplant le spectacle existentiel. Ce spectacle fait de perceptions visuelles, de sons, d'odeurs, de penses ... Ces perceptions sont celles de tous les jours, mais vous constatez que le simple fait de savoir qu'elles sont un spectacle, et de prter une attention particulire leur spectacle global, les accompagne d'une saveur intrieure particulire, subtile et indescriptible. Il y a en l'instant que nous dcrivons une intensit spcifique de la conscience. Cette intensit est une prsence calme. Le spectacle n'est pas seul, il y a un spectateur. D'habitude les vnements du quotidien absorbent votre attention, vous tes plong, immerg en eux, brass dans leur saveur; et voici que le regard calme et dpassionn que vous tes en train de leur porter modifie la perspective. Tout cela, ce logement, ces bruits, ces enfants, ces proccupations et ces soucis ventuels. Tout cela qui tait votre vie, devient le spectacle que vous contemplez. Percevoir en l'instant que la vie est un spectacle, telle est la premire exprience laquelle il faut aboutir. C'est trs simple, asseyez-vous et regardez ... Ne faites rien, le faire relve du spectacle, contentez-vous de regarder, de voir avec intensit; regardez le spectacle du corps, qui lui-mme voit le spectacle du monde, et fait partie intgrante de lui , contemplez le spectacle des penses qui vont et viennent. Restez assis, laissez peu--peu une grande paix et une grande tranquillit descendre en vous. Devenez un simple regard. Sentezvous exister en-tant eue Conscience prsente et attentive. Lorsque l'on devient paisible, attentif et silencieux, la Conscience cesse d'tre noye au sein des perceptions. Une distance apparat. Celui qui peroit et ce qui est peru deviennent distinct. Comprenez cela, puis l'ayant compris constatez le : quand vous devenez tranquille et silencieux, vous pouvez vous sentir exister en tant que Conscience spectatrice. Vous tes alors un espace intrieur attentif et lucide, il y a vous, il y a cet espace, et il y a les perceptions. Les perceptions du monde, les perceptions du corps, et la perception des penses. Cette prise de conscience contient une dsidentification spontane, quelle soit ou ne soit pas formul mentalement : vous vous sentez tre distinct de tout ce que vous percevez c'est la
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premire tape. Cette premire tape contient elle-mme trois degrs. Des degrs que le dbutant doit aborder dans une succession paisible. Le premier consiste voir le monde extrieur comme spectacle. Le second regarde le corps assis comme tant lui-mme un spectacle. Le troisime contemple les penses comme faisant partie du mme spectacle. Lorsque seul le monde extrieur et le corps physique sont perus comme un spectacle, on se sent exister comme un esprit pensant. Une telle prise de conscience n'est pas libratrice, il faut aller plus loin, tre encore plus calme et plus attentif, de manire constater que les penses font elle-mme partit du spectacle. Ce spectacle a un cot lumineux et un cot sombre. Le ct lumineux c'est celui des perceptions visuelles. Quand aux penses, elles se meuvent sur l'envers du tissu phnomnal. Le cot sombre, l'obscurit en laquelle se dveloppent les cogitations humaines. Apprenez percevoir l'existence interne et externe comme un spectacle global, puis approfondissez les consquences de cette comprhension. L'attachement ne peut survivre un tel approfondissement. L'attachement se produit lorsque la conscience est entrane par les perceptions humaines, cause de cet entranement la voici enferme en elles, tant enferme en elles, elle s'assimile au peru par un phnomne d'intgration. Cette intgration provoque une fixation du sentiment d existence au niveau humain, qui se traduit par la formulation mentale :"Je suis un homme". Fort de cette affirmation identificatrice, on craint ce que l'homme craint, et on dsire ce que l'homme dsire. Par contre, lorsque ma conscience n'est pas captive par le spectacle du monde intrieur et extrieur, je me perois comme tant distinct des perceptions, me percevant comme distinct, les dsirs et les craintes de l'homme ne sont pas miens, ils sont de simples modalits du spectacle. Spectacle que Moi, pure Conscience, je contemple dans une indiffrence parfaite. Lorsque les dsirs et les craintes de l'homme sont vcus comme des spectacles, ils n'ont pas de racine . Ils n'ont pas de racine car la profondeur consciente de moi-mme demeure inaffecte. Il s'ensuit une transformation involontaire au niveau des ractions de l'homme. Les contenus du spectacle se modifient lorsque la conscience demeure spectatrice. Les dsirs et les craintes de l'homme passent devant mon regard intemporel sans trouver d'endroit o s'accrocher, et il en rsulte un dtachement intgral. A quoi d'ailleurs pourrait-on s'attacher lorsque tout est peru la manire d'un spectacle ? Le monde ne parait rel qu' celui dont la Conscience est captive. Lorsque le spectacle me captive j'oublie qui je suis, et je m'identifie au hros. M'identifiant au hros je connais l'cre saveur des affres de l'angoisse. Je m'imagine perdre certaines choses et en gagner d'autres, car je me trouve l'intrieur du rve. Demeurant spectateur, je comprends d'exprience que la vie humaine n'est qu'un tissu de perceptions. La suite coordonne de ces perceptions forme le grand rve de l'existence. C'est un rve rcurrent qui recommence tous les matins, mais qui n'en demeure pas moins une fantasmagorie dnue de toute ralit profonde. Ne prenez surtout pas cela comme une affirmation spculative. Au moment prcis o vous
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sentez que vous tes le spectateur immatriel du monde extrieur et intrieur, vous percevez que le monde dans son ensemble est irrel, qu'il n'est qu'un mirage projet sur l'cran sans fond de la Conscience. Le monde napparat rel qu' celui qui se trouve l'intrieur de son rve. Ds que vous sortez d ce rve, ds que vous vous veillez votre ralit profonde, en percevant que vous tes Conscience spectatrice, non insr dans la trame des perceptions, l'irralit du monde est pour vous une exprience vidente. Ne discutez pas au sujet de l'irralit du monde, apprenez la percevoir. Laissez l'usage sans fin du verbe aux philosophes striles .Dveloppez en vous une sensibilit mditative, cette sensibilit mditative nat au sein d'un trs grand calme, lorsque vous n'tes plus qu'une conscience attentive au contenu de l'instant qui passe. Voyez l'erreur des asctes qui, plongs dans le rve, entrent en lutte contre le rve lui-mme. Le dtachement est une douce ralit pour qui se sent exister comme Pure Conscience. A quoi s'attacher lorsque l'on voit que le conjoints les enfants, la maison ... ne sont que des lments de la rverie qui se droule devant notre intemporelle Conscience ? On peut rver tout en sachant qu'il s'agit d'un rve. Telle est l'attitude que vous devez chercher acqurir au sein de la vie quotidienne. Vivez chaque journe comme le passage d'un songe reli aux songes prcdents. Une grande douceur s'installera en vous. Percevant le songe des jours, percevant l'homme agir et penser en ce songe, vous demeurez intrieurement dans les abmes d'une paix parfaite. Considrons donc que vous avez atteint la premire tape. L'homme est tranquillement assis avec un livre pos devant lui, et vous vous sentez exister en tant que prsence immatrielle et consciente. Vous tes ce quelque chose d'impalpable qui, l'instant mme, peroit le monde des choses et le monde des penses. Vous existez et vous sentez votre pure existence. Vous percevez le simple fait d'Etre, qui telle une vidence gnralement ignore demeure derrire les perceptions physiques et mentales. C'est la premire tape : vous tes attentif au peru, et vous sentez peut-tre confusment que quelque chose peroit. La deuxime tape consiste diriger l'attention sur le percipient. On peut y parvenir en se posant la question qui suis-je ? Qui suis-je moi qui en cet instant mme perois le monde extrieur, le corps et les penses ? D'vidence je ne puis tre ce que je perois, je suis ncessairement celui qui peroit. Qui suisje alors ? Je suis ce qui peroit, mais qu'est-ce-qui peroit ? Quelle est la nature de ce tmoin du monde physique et du monde psychique ?
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Je ne puis rpondre mentalement cette question, puisque toute pense ne fait que s'inscrire au sein du peru. Je ne puis rpondre cette question qu'en ttonnant au sein d'une sensation interne, peut-tre imprcise au dbut. Dirigeant toute mon attention sur ce que je suis, lorsque je me sens tre spectateur. M'intriorisant de la sorte, peu--peu, la perception de ce que je suis, rpondra la question qui suis-je ? Je suis Conscience lgre et pure, mais je ne suis pas la conscience de ceci ou cela. Je suis la Conscience en elle-mme, et cette conscience en elle-mme est un vide, un infini. Dirigeant mon attention vers elle je me sens devenir immense. L'univers entier n'est qu'une bulle phmre surgissant au sein de ce vide sans fond. Je suis cela. Cette Ralit sans borne, impalpable, incommensurable, ineffable. Je suis ce vide conscient plein d'une batitude qui dpasse la joie. Je n'ai ni forme, ni contour, ni mouvement. J'emplis la totalit de l'abme. Je suis totalement immatriel et intemporel. Je suis cela, que ceux qui, plongs dans le rve, ont appel Dieu, car ils ressentaient obscurment une prsence infinie et englobante. Je ne suis ni un homme, ni une me, ni un esprit incarn ou dsincarn. Je n'ai ni naissance, ni mort, ni corps physique, ni corps psychique. Je suis la plnitude sans fin du vide ternel. Je suis Etre Pur, Conscience Pure, et suprme Batitude. Ayant compris cela, possdant ce sujet une connaissance ferme et vritable, je prte nouveau attention au monde que j'avais oubli. Le spectacle du quotidien continue se drouler ... Les enfants ont peut-tre cess de jouer et maintenant ils ont faim, le corps est un peu ankylos et la musique s'est arrte ... Percevant tout cela, je constate que derrire le spectacle du monde le vide sans fond demeure. Alors je me lve, je fais manger, je parle aux enfants ... et pendant ce temps l l'ineffable plnitude demeure. Peu--peu, au fil des jours, et grce une volont paisible et persvrante, soutenue par .des moments de quotidienne mditation, je m'aperois que je puis demeurer conscient du vide chaque instant. Aucune espce d'activit ne peut me sparer de Lui. Il demeure constamment prsent, et sa perception, et l'immersion en Lui constitue une telle batitude, que plus rien d'autre ne saurait tre dsir Voici le travail auquel vous tes convis: par la mditation dcouvrez votre ternelle nature profonde, et apprenez vous immerger totalement en Elle. Par une volont, une aspiration, et un rappel constant, efforcez-vous de demeurer aussi longtemps que possible, de multiples reprises, et au sein de toutes les espces d'activits humaines, conscient de votre Ralit transcendante. Pour mditer il suffit de s'asseoir et de devenir le spectateur. La mditation les yeux ferms aide le dbutant mieux plonger dans le vide, mais il ne faut pas se limiter cette pratique, car la mditation les yeux ouverts a pour inestimable avantage de vous permettre de constater que le
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vide et perptuellement prsent, et qu'il n'est pas ncessaire de ne plus percevoir le monde, et d'arrter le mentale pour s'immerger dans sa Ralit. A chaque instant il y a le vide et il y a les perceptions. Voil ce qu'il faut constater pour ne pas tre spar du vide. Aboutir au vide en cessant de percevoir le monde .et en arrtant les penses, est une voie restrictive. Le vide demeure que l'homme pense ou ne pense pas. Il demeure, que. les perceptions physiques soient douloureuses ou agrables. Il demeure dans le sommeil profond, le rve ou l'tat de veille. Voil ce dont il faut devenir conscient. Apprenez donc percevoir le vide au sein de toutes activits. Peu--peu vous saurez, de plus en plus fortement, que l'homme bouge, agit, se dplace et pense, alors que vous demeurez immuable, en votre plnitude impalpable.
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APPROCHE DU SOI
Entrez dans le silence de votre SOI. Vous connaissez votre moi superficiel, le moi de la personnalit psychologique et sociale. Cependant la surface n'a de signification qu'en la profondeur qui l'engendre. C'est pourquoi il vous faut connatre votre identit profonde, il vous faut connatre ce que vous tes rellement. Votre identit essentielle peut s'appeler le Moi transcendantal, le Moi profond, nous la nommons ici votre Soi. Entrez donc dans le silence de votre Soi. Vous tes le spectateur silencieux du monde. Prendre conscience de votre existence spectatrice, c'est entrer dans le silence de votre Soi. A chaque instant la prsence silencieuse de la Conscience du Soi demeure en vous. Bien souvent elle est obnubile, dissimule, voile par l'attention porte aux perceptions du monde, ou bien aux penses. Cependant, que votre attention soit perdue ou non dans un ocan de perceptions absorbantes, cela ne change rien pour la Conscience du Soi qui demeure inaltrable. Vous l'oubliez ou vous la retrouvez, mais elle demeure. Ne l'oubliez pas, et focalisez votre attention sur sa prsence. C'est une exprience immdiatement possible. A l'instant mme vous sentez que vous tes le spectateur du monde. Quiconque le veut bien, peut constater que ce spectateur est parfaitement silencieux. Qui ne peroit pas son silence se confond avec les penses. Ce sont elles qui jugent analysent, cogitent, se souviennent. Qui devient par ce mouvement intrieur trs simple le spectateur de tout ce qui est perceptible, connat le Silence. Lorsque la, conscience s'extriorise, vous tes plongs dans le monde. Lorsque la conscience s'introvertit, vous pouvez tre plong dans le monde de vos penses, de vos souvenirs, de vos impressions et de vos fantasmes. S'il en est ainsi votre introversion manque de profondeur, il faut aller plus loin, il faut vous retirer plus profondment en vous-mme de manire devenir le spectateur du monde physique et psychique. Ayant compris cela ne vous attardez pas trop sur le monde psychique. Lui prter une trop grande attention le renforce, et le rend plus difficile dpasser dans l'instant. Celui qui sait pouvoir tre le spectateur du monde extrieur et intrieur n'a pas prter une attention particulire l'intriorit psychologique. Il s'installe dans l'intriorit de l'intriorit, et devient le spectateur indiffrent de tout. Un tel spectateur n'a aucune prfrence pour les perceptions externes ou internes, il est spectateur un point c'est tout. Il laisse venir lui tout ce qui parvient jusqu' sa conscience, mais il ne s'intresse rien. Si une pense vient, il la laisse, si une perception visuelle ou auditive s'impose, il l'accepte galement. Ainsi il voit les choses apparatre puis disparatre. Toute son attention est investie dans la perception de luimme. Et c'est en cette perception de lui-mme qu'il connat son propre silence. Avec le silence vient la tranquillit, puis la paix. C'est une paix lgre, arienne et douce. Il y a aussi dans la perception de Soi une fracheur qui rassrn. Une joie trs subtile et discrte qui ptille lgrement. Plus son attention s'investit dans la perception du Soi, plus les penses se rarfient, plus les perceptions du monde s'annihilent. Celui qui devient conscient du Soi - regarde le monde sans le voir. Il est parfaitement intrioris. Il demeure dans une solitude vaste et bienheureuse. Plus rien ne le sollicite. Les passions et les dsirs se sont teints.
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Dans un grand nombre de cas la perception du silence intrieur de Soi-mme prcde la perception du vide. Le vide c'est l'espace dans lequel se dveloppe infiniment le silence. Lorsque percevant le silence, votre attention s'immerge compltement en Lui, vous constatez qu'il ne contient aucune limite spatiale. Entrant dans cette absence de limite vous percevez alors que vous tes infini. Vous devenez immense, et d'immensit en immensit, vous vous acheminerez vers l'insondable et l'incommensurable vide. Devenez donc ce que vous tes, et que vous aviez oubli. Cessez de vous prendre pour un individu. veillez-vous votre Ralit impersonnelle et immuable. L'immuabilit du vide provient du-fait qu'il contient tout. Seuls les contenus bougent l'intrieur du contenant. Fiais le vide et le silence ternels qui tout englobent, et tout contiennent, ne peuvent aucunement se dplacer, car l'espace n'a aucun endroit o n'tant pas, il puisse aller. Fondez-vous dans cette mer sans rivage. Devenez le vide ternel. Par la perception de votre Soi, dplacez peu peu votre sentiment d'existence, et sentez vous exister en tant que le Soi . Alors pour vous il n'y aura plus de naissance ni de mort. Dissipant l'illusion de l'individualit, vous serez devenu la Ralit impersonnelle et intemporelle, qui perdure dans son immuabilit informelle. Lorsque sortant de votre Soi, vous prtez attention aux gens qui vous entourent, vous remarquez aussitt qu'ils sont inconscients de leur Soi, de leur Ralit profonde. Vous les contemplez en train de s'agiter sur la surface deux-mmes. Vous regardez la multitude des gestes, des paroles et des penses, par lesquelles ils se masquent leur Ralit profonde. Cette turbulence gotique s'accroche de multiples colifichets, et ainsi rsiste la Rvlation du vide et du Silence ternel. Vous voyez les gens comme des enveloppes de chair et de penses, des enveloppes sans consistance, des enveloppes ignorantes du vide qu'elles contiennent. En chaque personne, au-del des apparences substantielles, vous retrouvez votre propre Vide, votre propre Silence. A la manire des vases communicants, toutes les individualits vivantes aboutissent l'ocan informel de la mme Conscience, dont la vacuit et la plnitude resplendissent en chacun, derrire l'enveloppe corporelle et l'enveloppe psychique. Sortant de votre Soi, vous retrouvez la mme ralit en tout individu, et ds lors vous savez d'exprience qu'il n'y a qu'un Soi. L'identit de chaque personne est votre identit. Il n'y a qu'une identit, qu'une ralit profonde. La diversit des personnes n'apparat qu'en surface. Dans cette surface bruyante et colore qui est pose sur le Vide. En vrit toutes les formes contiennent le Vide, voici ce qui vous apparat clairement. Cette diversit, cette mouvance du monde d'o vient-elle? Pour le savoir il faut fermer les yeux et plonger dans votre Soi. Dans la fracheur ternelle du Silence intrieur. Il faut vous absorbez totalement dans votre Ralit profonde. Il arrivera un moment o la pense s'arrtera compltement. Vous serez alors fondu dans le Vide infini. Vous demeurez au-del de toute ide de fusion. Lorsque sortant de votre Soi vous reviendrez dans le monde, et ouvrirez les yeux, vous saurez que tout cet univers surgit sans cesse du vide.
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Le monde entier, avec ses innombrables galaxies merge du vide de votre Soi. Le monde sort de vous-mme et s'y rsorbe. Voici ce que vous apprendrez d'exprience. De ce vide sort une nergie infinie, engendrant de multiples formes penses qui deviennent substantielles. Le monde entier est une cration mentale. Non point, bien sr, du mental de l'homme qui lit, mais du mental cosmique, dont le mental humain n'est qu'un minuscule mais indissociable fragment. Considrant le monde sans son aspect perceptible nous disons : C'est une cration de la pense cosmique . Considrant le monde sans son aspect cintique nous disons : Le monde est une manifestation de l' nergie Cosmique . De mme que ce Vide est votre Soi, cette pense et cette nergie cosmique sont votre manifestation. Ne demandez pas la parcelle de voir la totalit. Ne demandez pas l' homme de percevoir l'ensemble de l'univers. Mais comprenez qu'ayant quitt l'homme, et tant devenu pour un moment indissociable du non-manifest, le manifest devient votre manifestation. Chaque fois que vous redescendez au niveau de l'homme, vous serez nouveau une parcelle du monde. Chaque fois que vous vous immergerez dans le vide, le monde sera votre manifestation. Cette Connaissance doit imprgner le niveau de l'homme. Ainsi la parcelle humaine cessera de se croire tre une entit spare. Ouvrant nouveau les yeux vous regardez ceux qui vous entourent, imprgn de l'exprience prcdente vous ne les percevez plus comme des marionnettes vides, vous voyez en eux votre propre manifestation. Ils sont votre corps. Ils sont la concrtisation de votre nergie. Alors vous sentez que les autres sont galement votre Soi. Ils sont vous-mme, car ce que vous tes, c'est la fois le vide sans fin et le rugissement des mondes. De mme que l'ignorant se dit : "Je suis un corps et un mental" - Vous dites dsormais : Je suis le Vide infini et l'univers - Je suis indissociable du vide et indissociable de l'univers . Peu-peu, cette connaissance acquise par la contemplation imprgnera toute la vie de l'homme. Si vous tes enracin dans la perception du vide, lorsque des perceptions s'imposeront vous ne verrez en elles que votre manifestation. Autrui n'est plus distinct de vous. Vous tes la montagne et l'oiseau. Vous tes la fleur et locan. Vous tes le soleil et les toiles. Que ce sentiment d'unit illumine toutes vos journes; et transfigure la vie humaine. Ds-lors l'univers est le champ de vos libres bats. Vous tes libre. La parcelle n'est qu'un jeu de l'Unique. Jouez ternellement en plongeant dans le silence et en courant dans le bruit. Allez de par l'univers en de multiples conditions d'existence. Que votre flicit grandisse et dpasse tout ce qui
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est exprimable.
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niveau superficiel de la manifestation existentielle, me voici empli d'un vaste dynamisme grce auquel la vie est pour moi une pure merveille. . Le pouvoir psychologique que confre le dtachement nous donne la possibilit de fermer notre personnalit, et de la rendre impermable vis--vis des forces de la vie. Mais ceci n'est qu'un mdiocre usage de ce pouvoir psychologique. Par lui il est galement possible de raliser une ouverture de la personnalit d'un type nouveau. En cette ouverture existentielle, tous les fruits de la vie sont dsirs et gots. Cependant les joies les dsirs et les projets qui s'lvent spontanment, en vertu du dynamisme intrinsque de la nature, ne crent dans la personnalit aucun attachement. La vrit suivante m'apparat : Je puis jouir de tout sans m'attacher rien . Je m'attache lorsque je me prends pour un homme. Mais quand ayant conscience de ma vritable Nature Intemporelle et Transcendante, je ne fais que vivre au travers de l'homme, alors je puis jouir de tout ce qui existe sans m'attacher rien. Entirement ouvert vis--vis de l'existence, je jouis intensment de la ferie quotidienne, qui se rvle celui qui sait contempler avec un regard veill les choses simples de la vie de tous les jours. Je ne suis enchan par rien, et rien n'est capable de m'affliger profondment. Quelle que soit leur intensit, mes douleurs et joies ce ne sont que des maelstrms superficiels, derrire lesquels perdure la Conscience de l'ternelle Immuabilit de l'tre. Ralisant cela j'accomplis le but de la Cration. La Cration est le jeu merveilleux que l'ternel se joue lui-mme. Par la joie le jeu cosmique est motiv. En la joie existentielle des individualits, il accomplit sa finalit intrinsque. L'ternelle Conscience Spectatrice, qui est ma vritable nature, joue avec les passions et les dceptions de la personnalit humaine. Elle les englobe dans une vaste treinte amoureuse, qui surgissant hors d'elle-mme ne modifie en rien son inaltrable immuabilit. Pour natre cette vie suprieure, en laquelle la plnitude d'en haut s'est jointe la plnitude d'en bas, il faut d'abord mourir notre ancienne personnalit faite d'identification errone et d'attachements mesquins. cette mort intrieure une rsurrection vis--vis de l'existence succde. C'est en elle que le transcendant et l'humain ralisent leurs noces mystiques. Dlaisser l'humain pour atteindre le transcendant peut tre un retrait ncessaire, constituant une tape importante, mais ce n'est pas l'ultime, car en l'ultime rien ne saurait tre rejet, et tout doit fleurir.
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acceptation plnire. tre prt vivre toutes les conditions d'existence possibles pendant des ternits successives, telle est la manifestation de cette acceptation. Une telle acceptation procde d'une nergie qui, tel un torrent entranant tout, ne s'arrte et ne s'en ferme en rien. Cette acceptation ne saurait s'accompagner d'attachement. L'attachement rsulte d'un manque d'intensit et d'ardeur, cause duquel l'homme s'accroche ceci ou cela. Lnergie lorsqu'elle est suffisamment vaste et gnreuse, ne saurait se limiter, elle englobe et dpasse tout. C'est un amour sans frontire. tant sans frontire il ne peut tre attach, l'attachement tant limitation et fixation. Accepter l'incarnation c'est dsirer sans passion, sans attachement et en toute plnitude, faire l'exprience de tout ce qui existe. Plus ma conscience est intense, plus mon apprhension des choses est puissante. Mon acceptation me pousse donc m'veiller vis--vis du monde, en l'veil ma jouissance du monde est plus forte. Il est donc deux formes d'veil. L'veil vis--vis du Transcendant, dans lequel j'oublie le monde ; et l'veil vis--vis du monde, dans lequel j'apprhende ce dernier. Par l'veil au Transcendant je connais ma vritable nature ; et par l'veil au monde j'accomplis la plnitude du jeu de l'existence. La souffrance elle-mme fait partie de ce jeu. Celui qui est veill sait qu'au sein de la souffrance, derrire elle, et derrire son invitable rejet par l'homme, il y a une Conscience ternelle qui contemple cette pre exprience. Une exprience qu'elle a voulue, qu'elle a engendre, et l'accomplissement de laquelle elle consent. veillez en vous une plnitude d'nergie. Plnitude qui procde de l'acceptation totale de votre condition d'existence. Soyez attentif l'instant : coutez les bruits du monde qui viennent vos oreilles. Regardez attentivement les formes et les couleurs. Absorbez-vous en elles, en faisant taire toute cogitation. Respirez les odeurs, prtez attention la pntration de l'air dans le corps. Sentez la prsence du corps. Sentez vivre le corps des pieds la tte. Sentez la chaleur et l'nergie qui l'anime. tant conscient de tout cela, laissez se dvelopper en vous une euphorie profonde. Soyez parfaitement heureux d'tre l, au sein des perceptions qui forment le monde. Laissez monter la joie. Laissez-la dilater votre cur et exalter votre esprit. En cette joie profonde vous acceptez totalement l'existence, et vous constatez que cette adhsion vcue ne s'accompagne d'aucun attachement. En cet instant, vous tes prt vivre des milliers d'annes ; cependant l'annonce immdiate de la mort ne ternirait en rien votre batitude immatrielle, et non dpendante.
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imiterez tout ce qu'il fait. Non, vous resterez vous-mme. Mais cela signifie simplement qu'tant capable de vous mettre sa place quelques instants, vous serez capable de le comprendre en profondeur. En vous ouvrant autrui, vous partagez son tat d'esprit, mais cela n'a rien voir avec la tlpathie. Nous n'avons pas dit que vous alliez lire les penses d'autrui. Cela peut arriver. Cela peut tre mme une consquence involontaire de l'ouverture. Mais l'ouverture en soi n'est pas la tlpathie. Ce sont deux choses distinctes. L'ouverture dont nous parlons est quelque chose de plus subtil. Il n'est pas trs intressant de lire les penses. Les penses ne sont que des phnomnes partiels, qui n'expriment qu'un aspect de la ralit intrieure. Par l'ouverture vous communiez avec l'tat d'esprit gnral d'autrui, c'est quelque chose de plus vaste que les penses. C'est le champ au sein duquel les penses apparaissent. C'est aussi plus confus, beaucoup moins prcis que les penses. Cet tat d'esprit gnral c'est la base fondamentale de l'exprience existentielle que ralise l'autre. C'est cela qu'il faut sentir. Avec l'ouverture vient la capacit d'une relle communication. Tout dsir de convertir autrui A telle ou telle idologie s'vanouira de vous. Car ce dsir procde d'un tat qui est le contraire de l'ouverture. Vouloir inculquer ceci ou cela dans le mental d'autrui, ce n'est pas tre ouvert. Dans votre ouverture, votre dsir ne sera pas de projeter l'intrieur d'autrui certains lments qui vous sont personnels, mais tout simplement d'tablir une vritable communication en se mettant son niveau. Lorsque vous tes branch au niveau d'une personne, vous parlez avec cette personne de ce qui l'intresse. Vous ne cherchez pas lui inoculer vos propres centres d'intrt. Si elle est intresse par le sport, c'est de sport que vous parlerez. Si elle est intresse par la politique, c'est de politique que vous parlerez. Si elle est intresse par la spiritualit, vous pouvez parler de spiritualit. En faisant cela, vous ne jouez aucun rle. Vous restez vous-mme. Vous exprimez vos propres opinions et vos propres conceptions. Mais ressentant l'tat d'esprit global que ressent la personne, vous orientez vos propos sur la frquence mentale o elle se trouve. On parle de boissons avec les buveurs, gastronomie avec les mangeurs... L'tat d'ouverture est un tat en lequel l'ego imprialiste s'est tu. Dans vos rapports avec autrui, c'est l'autre qui vous proccupe, ce n'est pas vous-mme. Si votre but est sans cesse d'exprimer autrui ce qui vous intresse, vous ne savez pas ce qu'est l'ouverture. Par contre, si en prsence d'autrui vous tes capable de vous intresser ce qui l'intresse, et de communiquer ce niveau l, vous connaissez l'ouverture. Avec l'ouverture vous cessez de constamment vouloir transformer les gens. Certains spiritualistes manquent totalement d'ouverture. Ils ne savent parler que de spiritualit, et voudraient que tout le monde adhre leur doctrine. Ceci est l'expression d'un ego renferm sur lui-mme. Faites clater les structures de votre ego en l'ouvrant vis--vis des autres. Acceptez les gens tels qu'ils sont. Ce qu'ils sont fait partie de l'ordre des choses, lequel est une consquence de l'ordre cosmique et de l'ordre Divin.
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Il n'est pas en votre pouvoir de modifier l'ordre des choses. Ce n'est pas en secouant un arbre que l'on fait mrir les fruits qu'il porte. Ce n'est pas en parlant de spiritualit ceux qui ne s'y intressent pas qu'on en fait des gens spirituels. Ce qui est en votre pouvoir, c'est de communiquer avec autrui. Mais multiples sont les niveaux de communication. chaque niveau de communication, vous pouvez transmettre des lments positifs. La spiritualit n'est qu'un niveau de communication parmi beaucoup d'autres. Parlez donc de spiritualit avec qui s'y intresse, et n'importunez pas les autres. Il en sera ainsi si vous vous ouvrez autrui, et communiquez avec lui au niveau qui est le sien, sans chercher lui imposer votre propre niveau. Vous tant ouvert vis--vis d'autrui, il faudra vous ouvrir vis--vis de l'univers entier. La nature et le cosmos sont des merveilles pour qui s'ouvre vis--vis d'eux. Ouvrez-vous vis--vis de l'existence elle-mme. Acceptez tous les lments de la vie dans un tat d'ouverture. Un avnement vis--vis duquel on s'ouvre est un vnement que l'on ne juge pas. On se concentre attentivement sur lui, puis on l'accepte tel qu'il est, avec une grande sensibilit. Ds lors, la leon contenue dans l'vnement nous apparat clairement. Pour qui vit de la sorte : Chaque jour est un bon jour .
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beauts. Il n'y a pas d'autre raison. L'existence est une fantasmagorie gratuite, qui jaillit au sein des abmes ternels de la Conscience. Allez vous promener dans la nature, asseyez-vous dans un endroit propice, interrogez-vous, et regardez la rponse dans ce qui vous entoure. Revenant de votre promenade, contemplez cette rponse en toute chose. Percevez l dans l'aboiement du chien, le jeu de l'enfant, l'occupation des hommes et le balancement de l'arbre. Comprenez la beaut et la gratuit de l'existence. Tout cela est inutile. Il n'y a aucune ncessit mtaphysique. Cest un jeu libre et gratuit. Une expression de la joie. Par la joie est engendre au sein de l'ternel la multitude des univers. En la joie les myriades d'existences croissent. Vers une joie plus grande, elles voluent. Voyez combien les choses sont paradoxales ! L'homme se pose des questions, se demande pourquoi il est n, s'interroge sur le sens de l'existence, alors que la rponse s'tale sous son regard. Les questions sont le fruit du mental, elles enferment le penseur dans leur labyrinthe ; tandis que la rponse se trouve dans une plnitude qui dpasse la pense. Ne vous emparez pas mentalement de la rponse qui vient d'tre crite. Cela ne servirait rien. Vous ne feriez que vous embarrasser d'un concept. La rponse pour tre relle doit tre vcue. Le mental ne peut que raisonner, il est incapable de vivre cela. Aucun raisonnement ne mne la plnitude. Celle-ci surgit lorsque le mental se tait, et lorsque s'lve en vous le paroxysme silencieux d'une extrme lucidit sensible. Ne fabriquez aucune comprhension mentale. Vivez l'interrogation fondamentale, et laissez la rponse jaillir ; ne la fabriquez pas, allez vers l'exprience de la batitude du vcu. Les ratiocinations du mental n'acceptent pas aisment de mourir. De nouvelles questions peuvent se lever et troubler la paix obtenue. Si la vie n'a d'autre but que de goter la plnitude de l'existence, pourquoi alors la souffrance ? Telle est la vieille question use que les hommes rptent. La souffrance est l'ombre ncessaire l'existence de la Lumire. C'est la sensibilit des formes de vie qui engendre l'exprience de la souffrance, or c'est grce la sensibilit que l'extase de vivre existe. Qui se plaint de la souffrance espre l'insensibilit, mais dans l'insensibilit il n'y a que les plages grises de l'indiffrence et de l'ennui. Il faut accepter le risque de la souffrance pour connatre la jouissance de vivre. La vie est un jeu aventureux, et l'ternel qui ne peut jamais rien perdre en s'individualisant se lance dans les plus folles aventures. La Sagesse suprme, en sa globalit, contient les pires folies. Comprenez cela petits hommes enferms dans la logique de ce que vous appeliez le raisonnable. L'univers est le jeu merveilleux d'une fantasmagorie draisonnable. Vos critres sont peureux et
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mesquins. L'univers lui est un panchement sans frontires. Ne rsistez plus, laissez-vous couler en lui, acceptez sans prfrence la diversit des expriences quotidiennes offerte par le destin. Ne vous accrochez plus rien, devenez fluide et souple comme l'eau. Laissez-vous couler dans l'existence, tout ce qui doit arriver arrive, laissez-vous couler... La souffrance constitue un problme qui inquite l'homme, car celui-ci s'est loign de l'extase existentielle. Pour qui connat une plnitude de vie, la souffrance est noye dans un ocan de batitude. Ce n'est plus un problme , c'est un piphnomne. Mille annes de souffrance sont oublies dans la dgustation d'un verre de bire. D'autre part, croyez-vous que les connotations de la souffrance sont immuables ? Croyez-vous que la souffrance est vcue identiquement par tous ? Savez-vous ce que devient la souffrance pour celui qui l'accepte intgralement, et qui se laisse glisser sans rsistance vers ses rouges rivages ? Qui accepte sans rsistance la totalit de l'existence comme une jouissance gratuite verra la signification de la souffrance se modifier. L'acceptation de l'existence comme expression de jouissance s'accompagne automatiquement du dtachement et de l'absence de passion. Lorsque tout est jouissance, on ne s'accroche plus rien. Ceux qui s'accrochent sont ceux qui, par un singulier rtrcissement de leur capacit d'extase, ne trouvent plus de jouissance qu'en ceci ou cela. Si le sexe devient pour moi le seul objet de jouissance, je m'accrocherai dsesprment lui. Si l'argent, ma maison ou mes enfants jouent le mme rle, je les agripperai de toutes mes forces, car l'homme est fait pour tre heureux, et plus cette pousse vers le plaisir a d'troits canaux d'expression, plus les manifestations deviennent passionnelles et acharnes. Mais si je comprends que tout est jouissance. Si tous les actes de la simple vie quotidienne deviennent pour moi un ballet de dlectations varies et successives. quoi m'attacherais-je ? Je n'ai aucune raison de m'agripper. Toute privation est aussitt compense par d'autres sources d'extases. Parvenir la plnitude du vcu est simple. Il suffit de devenir attentif et intrieurement silencieux. De regarder et de vivre en participant pleinement. Comprenez votre ternit. Lorsqu'on a l'ternit devant soi, on ne peut rien perdre ou gagner, et la passion s'teint. Vous tes l'ternel, et l'ternel aura mille fois le temps de tout accomplir, de tout retrouver, de tout recommencer et de tout inventer. Toute peur et toute angoisse reposent sur la croyance en une ralit temporelle. C'est lorsque la superstition du temps est dissoute que la paix vient. Vous tes hors du temps. Celui-ci n'est qu'une convention passagre dnue de toute ralit profonde. Pourquoi s'attacher aux tres et aux choses ? Vous aurez mille fois le temps de tout possder. Vous aurez mille fois l'occasion de tout retrouver. Lentement, avec douceur, comme une plume qui hsite se poser, laissez de jour en jour cette comprhension descendre en vous. Oubliez peu peu les avidits drisoires.
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Avec la fin des passions, avec le commencement de la batitude, vient la connaissance de votre ralit profonde, ternelle et impalpable. Vous tes Cela, au travers de quoi se diffuse la joie. Vous tes la joie immuable et sereine de la conscience intemporelle, qui est loeil contemplateur rsidant en toute forme de vie. Mme cette connaissance il ne faut pas s'accrocher. Rien ne peut se perdre en l'ternel, et vous tes l'ternel. Dans des ternits successives, au sein de myriades de formes de vie diffrentes, vous oublierez cette Connaissance et vous la retrouverez. Ne vous accroche pas. Laissez-vous aller. Acceptez cela. Acceptez de perdre la Connaissance transcendante dont l'obtention vous a cot tant d'efforts. Acceptez de recommencer des milliers de fois la conqurir pour la perdre nouveau. Acceptez le jeu inutile et gratuit. Il n'y a rien atteindre. Vous tes cela de toute ternit. L'oubli n'est qu'un voile momentan pos sur la permanence de ce qui demeure. Vous tes l'infini devenu l'individuel, et il n'y a pas de fin aux voyages que peut accomplir, et aux merveilles que peut contempler la goutte d'eau au sein de l'ocan. Il n'y a pas de fin aux batitudes possibles, aux horreurs et tristesses acceptes, faisant resplendir les aubes nouvelles. Vous tes au-del des joies et des peines. Acceptez votre ternit. Acceptez le divertissement ternel de la manifestation Cosmique. Vous tes le spectateur ternel, dont la conscience glace s'tend travers les abmes du vide infini. Vous tes cette Conscience glace, immortelle et inaccessible, qui se rchauffe en entrant dans la multitude des tres vivants. Vous tes galement cette conscience chaude qui est l'unique prsence. Vous tes ce qui englobe le froid et le chaud, la lumire et les tnbres. Il n'y a aucun commencement et aucune fin, car jamais rien n'est obtenu, puisqu'il n'y a rien obtenir. Tout n'est qu'un jeu. Merveilleusement gratuit et drisoire. Vous tes une plnitude parfaite, laquelle ce qui advient ne peut rien ajouter. Mettez cette plnitude dans votre regard et vivez avec.
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228 Innombrables sont les occasions de contempler la beaut des choses, innombrables sont les sujets d'observation. Dans une rue triste, il suffit d'une flaque d'eau en laquelle la lumire se reflte, pour que l'instant soit illumin. Combien de temps consacrons-nous chaque jour des activits bien vaines ? Pourquoi n'y a-t-il pas dans notre vie des instants rservs la calme contemplation du monde ? Indpendamment des brefs regards jets sur la Nature qui doivent mailler nos activits quotidiennes ; et dont nous venons de parler, sachons nous rserver de longs moments de contemplations. Allons contempler le ciel ou le clair de lune, comme nous nous rendons au cinma ou au thtre. Mnageons-nous de temps autre des soires, des aprs-midi ou des matines de contemplation. Rendons-nous seul, ou bien avec des gens ayant compris l'tat d'esprit qui est le ntre, dans un lieu o la nature est belle, l dans le silence et l'immobilit, laissons glisser les heures. Ne furetons pas de droite gauche, ne faisons pas d'inventaire avec notre regard : immobilisons-le, et laissonsnous pntrer par l'ambiance, laissons-nous pntrer jusqu' l'oubli de nous-mmes. Reprons les lieurs et les poques propices, et donnons-nous souvent rendez-vous avec le spectacle du monde. Qui a longuement et paisiblement regard la nature finira par savoir pourquoi il est sorti d'elle. Vivre distraitement c'est dormir. La contemplation est une vigilance, et cette vigilance est le premier pas sur le chemin de l'veil intrieur. Vivre c'est percevoir. En dfinitive, il s'agit de participer volontairement notre mergence dans l'existence, de manire l'intensifier, l'approfondir et la comprendre. La contemplation n'a pas de fin, durant toute notre vie nous devons regarder, et la mort nous commenons percevoir autre chose. En pratiquant la contemplation du monde extrieur, nous constaterons que les manifestations de notre personnalit prennent un caractre absorbant ou dramatique, parce que nous oublions de contempler le spectacle de la grande manifestation temporelle. Le caractre tragique des vnements humains est le fruit d'un isolement sur nous-mmes. Lorsque je suis dans la peine ou la colre, j'oublie la douceur du ciel et le chant de l'oiseau. La prise de conscience de leur existence, si elle est profonde
229 et intgrale, apaise ma colre et sche mes larmes. Quelle que soit la cause de notre chagrin ou de notre mcontentement, le monde continu dployer sa beaut. Nous avons constamment le choix entre : rester conscient de cette ralit, ou bien demeurer pencher sur nos proccupations, de manire ne pas voir et ne pas sentir ce qui leur est tranger. En faisant cela, nous connaissons l'pre sensation de nous sentir trs malheureux. Cette sensation renforce le sentiment de notre individualisme, et fait de nous des egos durs et solitaires, perdus au sein d'un monde qui nous parait hostile. Quant celui qui communique avec la fte des choses, celui qui sait s'oublier dans la contemplation du vcu, il ne sera jamais irrmdiablement triste, angoiss ou rvolt. En l'ocan du manifester, bercer dans le ciel et le vent, soulever par les arbres, clairer par la rutilance de la vie ternelle, ses problmes resteront de petits problmes, car il ne sera pas enferm avec eux dans une pice obscure. En contemplant le monde extrieur, nous devons faire taire notre pense. Il faut viter de porter des jugements sur toutes les choses, de les cataloguer, et de les tiqueter. La rceptivit ncessite le silence intrieur. Si je regarde un arbre en songeant son essence, son ge, etc. Je ne contemple pas l'arbre, je ne fais que recenser mes connaissances et leur donner un sujet d'analyse. Pour vritablement contempler un arbre, il faut que mon regard soit vierge de rflexions. Il faut que je sois tout entier dans mon regard, que je ne sois plus qu'un simple regard, tout la fois extrmement attentif, parfaitement calme, et compltement dnud. Lorsque toutes les espces de considrations mentales se sont tues. La distance qui me spare de l'arbre s'estompe, et pour le temps de ma contemplation je participe la nature de l'arbre. Je ne pense pas l'arbre, je sens l'arbre de l'intrieur, et je communie avec son expression existentielle. Dans le balancement d'une branche, le sens de l'univers nous sera silencieusement et ineffablement rvl. Aucune pense ne sera mise, il nous aura suffi de voir pour comprendre .Par del la pense nous sentirons notre esprit s'battre dans l'infini ; tandis que l'infini se manifestera dans les choses. Apprenez faire taire le mental et vous perdre dans ce que vous contemplez.
230 Il y a deux manires de dpasser le mental. La premire consiste devenir l'observateur de tout ce qui est peru intrieurement et extrieurement. Lorsque vous n'tes plus que l'observateur ; lorsque votre attention est entirement investie en ce que vous tes en tant que spectateur ;le spectacle disparat, le mental s'arrte, et vous demeurez en votre silence. C'est un retrait hors du monde. La deuxime manire de dpasser le mental consiste vous concentrer sur le peru, afin de vous intgrer lui. Quand cette concentration est parfaite c'est la perception de vousmme qui disparat, et c'est le spectacle qui seul demeure. Il y a pntration l'intrieur du monde. Ces deux pratiques sont complmentaires. Dans l'une comme en l'autre le mental s'arrte et lego disparat. En devenant le tmoin de tout, vous dcouvrez votre Transcendance. En devenant un avec le peru vous dcouvrez votre Immanence. En toutes nos contemplations du monde, nous devons dlaisser la pense. Lorsque lego a t oubli, lorsque la pense s'est tue, dans le rveil du cur et l'extension de la sensibilit, les choses nous montrent leur vrai visage. L'instant est pure extase pour qui sait voir. Il n'est pas question ici de littrature potique. Il faut duquer votre regard, duquer votre perception pour vous perdre en elle. Le sommeil intrieur consiste vivre sans voir, toujours occup, toujours proccup par nos petits problmes. Projetant sur tout ce que nous regardons nos apprciations, nos connaissances, nos gots et nos humeurs. En vivant de la sorte nous ne voyons jamais rien, l'ego interpose constamment devant notre regard la trame de son contenu et de ses agitations. Croyant regarder le monde nous ne faisons que regarder notre nombril. Pour vritablement voir, il faut nous oublier, nous oublier totalement. Il faut que la taie qui couvre nos yeux soit dchire. Il faut que l'ego se taise. Il faut que la pense se taise. Alors alors seulement le rel peut tre vu et avec la perception du rel la coupe de notre vie sera comble. Lorsquabsorb dans lobjet de notre contemplation nous avons oubli lego, que sommes-nous ? Nous ne sommes plus une petite personnalit humaine en train de mdiocrement regarder, rflchir, analyser, apprcier, s'motionner. Que sommesnous ? Nous sommes conscience. Nous sommes un avec la conscience du monde. Cette conscience qui se manifeste dans le silence de lego n'est pas lie notre petite personnalit. Cette conscience qui surgit n'est pas notre conscience, puisque
231 lego a t oubli. Cette conscience qui, sous-jacente celle de lego dissip, se rvle est la conscience du monde - c'est la conscience de l'arbre et de l'oiseau. C'est l'unique conscience qui, sous les petites consciences fragmentaires des individualits, perdure en son ternelle extase temporelle. Derrire la conscience embryonnaire du roc et de la plante, derrire la conscience de chaque animal et de chaque homme, derrire ce qui constitue leur individualit, la mme et unique conscience contemple ce qui est. Participer consciemment la conscience cosmique, c'est l'ultime aboutissement de la contemplation du monde extrieur. Contempler le monde extrieur c'est apprendre se dpasser ; et lorsque nous avons dpass la personnalit humaine, l'unit avec le tout peut tre perue.
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233 Ne croyez pas que l'infini ne se reflte que dans les hommes veills. Partout l'infini se travestit. Comprenez que l'infini savoure la jouissance comme il savoure la souffrance. Cette dernire n'tant repoussante que pour l'homme. Comprenez que l'infini s'incarne dans le bien comme dans le mal. Continuez accomplir le bien, puisque tel est votre rle, mais reconnaissez que c'est l'infini luimme le rle de ceux qui accomplissent le mal. Comprenez que l'infini est le spectateur de la joie de l'avare, de l'goste et du sadique, au mme titre qu'il est le spectateur des extases du saint, de l'amour de la mre, et des contentements du jardinier. Acqurez ainsi un profond respect pour tout ce qui vit. Dveloppez la sensibilit d'une secrte connivence avec tous les tres vivants. L'infini assume tous les rles sans aucune ncessit. C'est un fragment de son jeu ternel. Quand vous voyez un tre, ne voyez pas seulement cet tre-l, sachez et ressentez intrieurement : Voici l'infini sous la forme de la mouche, voici l'infini sous la forme du chien, sous la forme du petit bureaucrate goste, sous la forme du rude paysan, sous la forme du policier, sous la forme du voyou, sous la forme de l'arbre, sous la forme du champignon... Faites cela et constatez la diffrence. Quand vous aurez compris ceci, vous n'aurez aucun reproche faire qui que ce soit. Comment reprocher l'infini de jouer tel ou tel rle ? Vous tes anims d'une tolrance sans limites. Cette tolrance ne vous empche cependant pas de jouer votre rle, et de vous opposer, qui vous devez vous opposer. Vous savez que vous tes l'infini, et que tous les tres vivants sont des manifestations de l'infini. Vous le savez et le ressentez profondment, d'autres personnes ne le savent pas. Cela fait partie du rle existentiel que l'infini assume au travers d'elles. Il n'y a pas chez elles ignorance spirituelle, mais un oubli de leurs origines. L'infini joue oublier sa propre nature, et l'infini joue ensuite se la rappeler. Telle est la distinction entre l'veil et le non-veil.
234 L'existence de cette distinction n'a rien de regrettable. Quauriez-vous dire contre tels ou tels types de rle assums par l'ternel ! En certaines personnes l'ternel se dsintresse compltement de son origine transcendante. En d'autres personnes, il cherche retrouver le souvenir de cette origine. Et en certaines personnes il retrouve plus ou moins parfaitement ce souvenir. Cependant dans tous les cas c'est lui-mme qui assume le rle. Retrouver le souvenir de son origine ne peut tre appel une ralisation, ou une dlivrance, car en fait il n'y a rien obtenir, rien raliser, rien dlivrer. Tels qu'ils sont, tous les tres sont dans leur nature profonde parfaits, raliss et libres. Ils sont ainsi, ils le seront de toute ternit. Le reste n'est qu'un rle assum au sein des apparences.
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APPROCHE DE LA DLIVRANCE
Connaissant l'veil, il faut dvelopper en vous une puissante ardeur pour l'instauration de sa continuit. Certains ne sont pas des authentiques amoureux de la Vrit. Ils se contentent de flirter avec elle. Quelques moments quotidiens d'veil suffisent leur exigence. Ils n'ont pas rellement compris que le but de la vie humaine tait de parvenir un veil constant. Demeurez en tat d'veil nuit et jour, mme pendant le sommeil, tel est l'objectif atteindre. Ils n'ont pas une juste perspective de l'existence. Ils n'ont pas saisi l'enjeu dramatique qui se profile en toute vie. Ils n'ont pas ralis que seul l'veil constant leur procurera la dlivrance dfinitive des liens temporels. Ils n'ont pas vu toute l'horreur repoussante de leur emprisonnement dans la condition humaine. Ils n'ont pas un vritable et ardent amour du Principe Suprme. De toutes ces raisons accumules provient leur manque d'ardeur. Ayez soif d'une connaissance intgrale, inbranlable et sans faille. Aspirez cela. N'aspirez qu' cela tout au long de vos journes. Dsirez sortir du sommeil intrieur, comme un homme qui se voyant noy suffoque, et veut sortir sa tte de l'eau. Vous tes submergs par l'inconscience de la Transcendance. Vous tes noys dans une mare. Comprenez cela et demeurez ardent. tant devenu ardent, chacune de vos journes sera obsde par le dsir de rester constamment en tat d'veil. Mais vous vous heurterez aux caprices du mental, et malgr vos efforts, malgr votre soif de Ralisation, la constance dans l'veil vous chappera. Parfois vous serez veill vis--vis de la Transcendance, mais d'autres moments vous serez oublieux d'elle. Perdu dans les caprices et les proccupations du mental. Redescendu au niveau de l'homme. gar dans la fantasmagorie phnomnale. Alors votre soif de l'veil s'exacerbera. Vous vous rvolterez contre la tyrannie du sommeil. Vous dsesprez devant votre impuissance. Vous vous dgoterez de votre incapacit. Vous crierez ! Vous appellerez le Seigneur votre secours ! Vous le supplierez de vous sauver et vous octroyer sa grce ! De faire descendre sur vous la force ncessaire pour demeurer en tat d'union avec sa Ralit ineffable. d'autres moments, vous vous dcouragerez. Le poids de la tche accomplir vous crasera. Il faut maintenir l'esprit constamment fix sur le Divin. Il faut tre parfaitement dtach. Comment y parvenir ? N'est-ce pas impossible ? Vouloir tout instant immerger le mental dans le Divin, et demeurer sans attachement, n'est-
236 ce pas ambitionner une ralisation surhumaine et inaccessible ? N'est pas contre nature et inhumain ? N'est-ce pas au-dessus de vos forces ? Si vous rflchissez correctement, vous vous apercevrez que tous les sentiments que nous venons de dcrire, qu'il s'agisse de supplications, de rvolte ou de dcouragement, ont en dfinitive pour effet de vous maintenir loign de la Dlivrance. Ils sont en fait responsables de la continuit de votre emprisonnement dans la condition humaine. La Dlivrance effective ncessite leur abandon. Car lorsque vous vous dsesprez, vous dcouragez ou vous rvoltez. Lorsque vous priez, aspirez, suppliez, vous vous maintenez et vous vous enracinez dans la condition d'un homme. Or la dlivrance ne consiste-t-elle pas prcisment dans la pleine comprhension du fait que vous n'tes pas un homme ? l'instant mme o vous regrettez de ne pas tre en veil, o vous priez pour tre en veil, vous n'tes pas oublieux de la Transcendance, puisque vous pensez elle et son absence. Ds lors, pourquoi gaspiller cet instant en cultivant des penses, des sentiments de regret ou d'aspiration l'veil ? Pourquoi ne pas tre en veil, en prenant l'instant mme conscience de la prsence de l'infini ? Si vous comprenez cela, vous comprenez que la recherche de l'veil est une absurdit. Car au moment mme o vous cherchez, vous vous privez de l'veil, en vous plaant au niveau humain dans un tat de recherche, au lieu de vous placer au-del du niveau humain, dans un tat d'veil. Ds que vous vous souvenez de l'veil, n'admettez aucune pense de regret pour n'avoir pas t prcdemment en veil. Ne cultivez aucune aspiration intrieure pour atteindre l'veil, que vous placeriez une distance imaginaire. Ds que vous vous souvenez de l'veil, soyez en tat d'veil, par un mouvement intrieur trs simple de prise de conscience. Tout effort pour obtenir l'veil vous maintient loign de l'veil. Comprenez cela. Les efforts se situent dans le mental, et l'veil consiste dpasser le mental. Comment voulez-vous dpasser le mental si vous vous absorbez dans un mouvement du mental ? L'effort est un mouvement du mental, et tout mouvement du mental n'atteint que ce qui est contenu dans le mental. Le mental est une bulle. Soit vous tes enferms dans les tourbillons qui s'agitent dans cette bulle. Soit vous tes hors de la bulle. S'veiller c'est crever la bulle du mental. Que ce passe-t-il lorsque vous faites un effort pour atteindre l'veil ? : Ayant pens l'veil vous cherchez atteindre le contenu de cette pense. C'est une
237 dmarche compltement errone, car comment voulez-vous que le contenu d'une pense vous fasse sortir du mental ? Vous courez aprs votre ombre. Voyez la profonde btise de cette dmarche. On vous dit de dpasser le mental, et au lieu de cela vous vous emparez de l'ide de l'veil, vous cultivez cette ide, vous cherchez l'agrandir, goter sa saveur, et la maintenir constamment dans votre esprit. N'y parvenant pas vous cultivez d'autres ides, savoir : l'ide de la supplication, l'ide de la rvolte, l'ide du dcouragement, l'ide de l'impossibilit... Croyez-vous sincrement que le dpassement du mental s'obtienne par la culture d'ides varies ? Nombreux sont ceux qui tombent dans le pige du mental. Ce pige consiste chercher l'veil avec lui. Pour qui tombe dans ce traquenard la dmarche vers l'veil devient une effroyable contrainte. Lveil devient une ide obsdante que l'on cherche constamment imposer notre esprit. Le dtachement devient une attitude rpressive et frustrante. Il n'y a plus de joie, plus de batitude, plus rien qu'une terrible austrit intrieure. Certains ont le courage de demeurer dans cette austrit et ils se desschent peu peu... D'autres se dcouragent et abandonnent... Mais tout cela est faux. Sachez-le, si le maintien de l'veil devient un effort, une contrainte, s'il ne provoque pas en vous un sentiment d'euphorie paisible, vous avez perdu l'veil, et vous tes tombs dans le pige du mental. Lveil n'est pas la rsultante d'un effort mental. Lveil est une prise de conscience douce, paisible et joyeuse. Pour vous veiller, ne faites aucun effort, devenez attentif, lucide, vigilant... Sentez que vous tes le tmoin du monde. Prenez conscience de l'immuabilit, de l'intemporalit, du silence et de la batitude du tmoin... Cela ne demande aucun effort. La paix et la joie accompagnent cette prise de conscience. Le dtachement qui survient n'est pas ressenti comme une privation, mais comme une bienheureuse libration des liens temporels. Lorsque vous arrivez ce stade de comprhension, toute recherche cesse. Vous tes en veil, ou bien vous n'tes pas en veil, mais vous ne demeurez plus dans cette espce de bizarre, mais parfois invitable pour le dbutant, position intermdiaire, qui consiste ardemment dsirer quelque chose que nous avons porte de notre exprience, et que rien ne nous empche de saisir.
238 Ds que le souvenir de l'existence de l'veil surgit, soyez en veil. En agissant, de la sorte ne perdez pas de temps dsirer l'veil. teignez tout dsir d'veil, ou toute dmarche vers l'veil, dans l'ocan de leur satisfaction immdiate. Lorsque toute recherche cesse, vous tes compltement seul. Toute la spiritualit mentale faite d'aspiration, de dsir, de supplication, de prire, de nostalgie... Tout cela s'croule. Il n'y a plus rien demander et plus personne qui s'adresser. Car demander ou s'adresser, c'est se placer volontairement dans une attitude qui tourne le dos la connaissance silencieuse de l'veil. Chercher et aspirer, c'est l'instant o l'on cherche et l'on aspire l'veil, se priver stupidement d'un veil possible. Chercher c'est avoir soif. Dpasser la recherche c'est boire l'eau de l'ternelle source. Il faut en arriver l, et pour en arriver l il a fallu dcouvrir en notre exprience ce qu'tait l'veil. Puis il a fallu cultiver une intense passion pour son obtention dfinitive. C'est indispensable, car tant que l'veil n'est pas la proccupation fondamentale de chacune de vos journes, vous ne connaissez pas l'ardeur. Aussi longtemps que vous n'avez pas l'ardeur, vous n'tes pas en tat de vritable recherche spirituelle. Il ne saurait tre srieusement question de dpasser la recherche, alors que celle-ci n'existe pas. Certains dilettantes, peuvent s'imaginer que le dpassement de la recherche est effectuable pour celui qui n'a qu'une comprhension mentale de l'veil, ou bien pour celui qui connaissant l'veil par une exprience authentique, ne s'est pas sincrement engage dans une recherche quotidienne et ardente, de l'veil constant et ininterrompu. Mais les dilettantes ont tort et se tiennent bien loin de la Ralit. Un authentique dpassement de la recherche ne conduit cependant pas au but. Car l'veil est toujours intermittent. Chaque fois que le souvenir de l'veil surgit, je m'veille aussitt. Le problme qui subsiste c'est : comment me souvenir constamment de l'veil ? Car aussi longtemps que le souvenir de la Transcendance n'est pas constant, je reste distinct et spar d'elle. Ainsi pense celui qui a dpass la recherche ; et pensant cela il fait la dmonstration de son immaturit spirituelle. Car quelles que soient les observations dsidentificatrices qu'il a menes vis--vis de l'homme, ces dernires n'ont pas port leur fruit maturit. Si tel tait le cas, il ne penserait pas ainsi. En fait, penser cela, c'est continuer se prendre pour un homme. Vous vous prenez pour un homme, et vous prenant pour un homme vous vous trouvez enchan cette condition d'existence. Ds lors vous concevez qu'il doit exister une
239 dlivrance qui vous librera de cette condition. L'veil tant, supposez-vous, un tat dans lequel vous cessez de vous prendre pour un homme ; vous vous dites que l'veil constant vous dlivrera de lenchanement la condition humaine. Une telle comprhension, et le raisonnement qui l'accompagne sont errons. Ils consistent se prendre pour un homme, qui se dlivrerait de la condition humaine en accdant l'veil constant. La bonne question n'est pas pose. Cette question est la suivante : suis-je un homme qui doit se dlivrer, ou bien ne suis-je pas un homme ? La rponse cette question tant : je ne suis pas un homme, mais l'Infini luimme, qui demeure ternellement au-del de tout enchanement : la perspective se trouve modifie. Pour me dlivrer de la condition humaine, il suffit donc de comprendre d'une manire totalement exhaustive, et au niveau le plus profond que je suis cet infini sans rivage. Comprenant cela je me dlivre d'une illusion. De l'illusion de mon emprisonnement en la condition humaine. Je m'imaginais tre un homme, et de ce fait je me croyais emprisonn. Dissipant cette funeste imagination, je ralise que j'ai toujours t, et que je suis ternellement, en ma transcendance, libre de tout emprisonnement. Que voulez-vous dlivrer ? Est-ce ce vide silencieux et sans fin que vous percevez en l'veil et qui est votre vritable nature, que vous voulez dlivrer de quelque chose ? Voyez combien cela est absurde. Cet ternel ineffable qui peroit l'homme est ternellement libre et bienheureux. Ce que vous tes, au-del du temps et de l'espace, n'a aucun affranchissement souhaiter. Comprenez cela. Comprenez-le vritablement en plongeant en vous mme. L'ide de la dlivrance est lie la notion d'emprisonnement. Comprenez que vous n'tes pas emprisonn, et l'ide de la dlivrance perdra toute signification. Comprenant que vous tes cela, cette ineffabilit transcendante et silencieuse, vous savez que la dlivrance est un vain mirage li l'illusion de l'emprisonnement. La fausse dlivrance c'est celle qui veut dlivrer l'homme.
240 Elle est fausse, car si nous voulons librer l'homme, c'est parce que nous nous prenons pour un homme. la notion d'homme est lie la notion d'emprisonnement, et cette notion d'emprisonnement engendre son contraire, l'ide de la dlivrance. La vraie dlivrance n'est donc pas la dlivrance de l'homme, c'est la dlivrance de la croyance qui nous fait penser : je suis un homme . Si cette croyance s'croule, il n'y a plus d'homme dlivrer, et parce que nous constatons qu'il n'y a personne dlivrer, nous sommes dlivrs de l'illusion de l'emprisonnement. Ceci est la vraie libration. Cette vraie libration repose donc sur la dsidentification. L'accomplissement de cette dsidentification n'a aucun rapport avec l'asctisme et le renoncement au monde. Renoncer au monde, s'enfermer dans une grotte, un monastre, ou devenir un ascte errant mendiant sur les routes. Accomplir tout cela pour nous dtacher des liens de ce monde, c'est tre identifi, et croire que l'on est un homme. La dsidentification consiste ne pas vous prendre pour un homme, que cet homme vive ici ou l, qu'il soit continent ou qu'il ait des enfants, qu'il soit pauvre ou riche, n'a aucune importance fondamentale. L'identification consiste penser : Je suis un moine, un ermite, un pre de famille, un ouvrier, une femme, un homme, etc. La dsidentification consiste ne pas se prendre pour l'homme que nous percevons. Si vous renoncez au monde en croyant : je renonce au monde , vous tes tombs dans le mme pige que celui qui pense : j'ai une femme, un mari, ou des enfants . Ayant compris cela vous savez qu'il n'y a aucune espce d'acte particulier, aucune attitude asctique ou anti-asctique,qui peut vous procurer la dsidentification. Ds lors vous laissez l'homme agir selon ses aspirations et prdispositions, et vous ne vous identifiez pas lui. Quant au dtachement il est la consquence immdiate de la dsidentification. Qui est vraiment dsidentifi ne peut s'attacher quoi que ce soit. Vivez comme tant la pure Conscience infinie qui peroit l'homme et le monde. Est-ce dire que, ds les premiers instants de cette comprhension, l'homme demeurera dans l'tat d'veil constant ? Non, il se peut qu' nouveau les perceptions, les penses, les sentiments et les sensations de l'homme accaparent votre conscience, et lui fassent oublier sa propre batitude transcendante. Mais quelle importance cela a-t-il ? Vous n'en tes pas moins la Pure Conscience infinie. Votre momentane prsence en l'homme, et la momentane prdominance
241 des perceptions humaines ne changent rien votre Nature profonde, et votre ternelle libert. Lorsque les perceptions de l'homme emplissent exclusivement votre conscience, vous perdez momentanment la batitude. Mais la batitude n'est pas quelque chose atteindre. Elle est votre nature profonde, et il suffit d'carter le caractre exclusif des perceptions humaines pour la retrouver. Vous n'avez donc rien souhaiter. De par les automatismes mentaux inscrits dans l'homme, cet instrument de perception, il se peut que pendant encore longtemps l'homme ne demeure veill que d'une manire intermittente. Cela n'a aucune importance. Au cours de chaque journe, chaque fois que sera constat le non-veil de l'homme, ce dernier instaurera immdiatement l'veil en lui ainsi peu peu, l'homme, non point vous qui tes immuable, cessera de s'accrocher la souffrance et la limitation, pour demeurer dans la batitude et l'illimit. Au niveau de l'homme le but est toujours l'veil constant direz-vous ? : Oui, mais le changement de perspective que nous venons d'exposer constitue une des conditions fondamentales, permettant la ralisation effective de la constance de l'veil. Car comment voulez-vous installer dfinitivement votre conscience dans sa propre nature Transcendante, aussi longtemps que vous persistez vous prendre pour un homme ? Lorsque le contemplateur ternel que vous tes sera install dans sa vritable nature ; la perception du monde sera telle pour lui un enchanement dont il faut qu'il s'isole ; ou bien le jeu d'une fantasmagorie colore qui traverse le champ de sa perception ? Ce qui est transcendant peut-il tre enchan par la Manifestation Cosmique ? De toute vidence, c'est impossible. Ds lors il apparat clairement que toutes les fuites, recherches d'isolement, ou de dlivrance du monde, sont lies l'illusion de se prendre pour quelque chose de non transcendant, pouvant de quelque manire que ce soit tre enchane.
242 Se dlivrer c'est donc se dlivrer de l'illusion. La dlivrance de l'illusion ne signifie pas la disparition de la fantasmagorie phnomnale, comme certains se le sont imagin C'est la disparition du concept erron de l'emprisonnement. Sortant de l'hallucination qui me faisait croire emprisonn je suis dlivr, car je m'aperois que je suis libre. tant libre je n'ai rien combattre, rejeter ou carter. Je vis d'instant en instant, avec vigilance et lucidit. Toute thorie mentale tant dissoute et abandonne.
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244 L'univers entier repose sur Elle. On connat la Vrit ou bien on ne la connat pas, c'est tout. Et cette connaissance est effective ou ne l'est pas, d'instant en instant. Toi qui connais la Vrit qui englobe tout, pourquoi cherches-tu ? Pourquoi t'obstines-tu dans l'illusion de la sparation ? Que d'espoirs, que de secrets dsirs et d'avidit dans cette illusion. Tu peux pleurer plerin, car si tu comprends ce que nous t'expliquons, sans ruser, sans l'enrober dans les mandres illusoires que scrte le mental, si tu comprends vritablement, tu vas perdre tes dernires illusions. Ce seront les dernires douleurs de l'accouchement spirituel. Tu vas cesser de chercher et comprendre que tu as trouv. Il ne s'agit pas d'tudier un nouvel aspect de la spiritualit. Ds cet instant tu peux comprendre, dans l'aveuglante dchirure d'un clair rvlateur, que la qute est finie. Lche prise, abandonne tes derniers espoirs, tes dernires illusions. Cesse d'attendre et ralise par la comprhension. O veux-tu arriver ? O veux-tu aller ? Que veux-tu atteindre ? Tu es cette Vrit que tu cherches extrieurement toi-mme. Un plerin ardent et sincre peut chercher pendant des sicles. Il peut chercher pendant des ternits. Mais il cessera toute recherche, lorsqu'il comprendra qu'il tait lui-mme la destination qu'en ses rveries il projetait au loin. Vas-tu enfin comprendre cela, ou bien vas-tu, une fois encore, repartir dans les fantasmagories du mental chercheur ? Si tu as la perception intrieure de la Vrit il n'y a rien atteindre, rien purifier, rien perfectionner, rien accomplir.
245 Ne laisse plus le mental crer le mirage de la distance. En cet instant mme, tu es l'tre ternel. Tu es celui qui n'a ni commencement ni fin. Tu es celui qui joue le jeu du monde et qui n'a rien acqurir. Vas-tu comprendre enfin. Faut-il que nous enfoncions cette comprhension dsintgrante dans ton ego rebelle. Il n'y a qu'un Seul et Unique tre ; dont la Ralit englobe le Manifest et le Non-Manifest. Comprends cela, et explique-nous ensuite ce qu'il y a encore chercher. La recherche est une maladie de l'esprit. Le matrialiste cherche un ensemble de possessions et de jouissances. Il est tendu par le dsir et l'espoir. Je serai heureux quand j'aurai ceci ou cela . Parfois il l'obtient, et il est fugitivement heureux. Nais il y a toujours de nouvelles choses dsirer, de nouvelles choses chercher. Il y a galement l'envers de la mdaille, la croyance en la possession sparatiste s'accompagnant inluctablement de l'exprience douloureuse des privations possessives. Et puis il y a la mort, qui est pour lui la privation dfinitive. Le spiritualiste est encore plus ambitieux, et donc plus malade. En fait on peut dfinir la spiritualit comme le paroxysme de cette maladie. Heureusement les paroxysmes peuvent tre librateurs. Donc, le spiritualiste est un malade, il est malade de recherche et d'espoir, car lui il voudrait une jouissance, une tranquillit, une batitude, une extase, non point momentanes, mais ternelles. Le spiritualiste se prtend dtache, quelle blague. Cest un malin, il se dtache de l'phmre, mais c'est dans lespoir de trouver mieux. L'hypocrite renonce parfois thtralement quelques possessions passagres ; il critique l'esprit de possession et d'avidit ; alors qu'il entretient secrtement une avidit d'autant plus intense qu'elle est sublime. Il veut possder l'Absolu lui-mme. Il veut cesser dfinitivement de souffrir dans le Paradis ou le Nirvna. Il veut jouir d'une batitude ternelle, et ce sujet il prend des garanties, en demandant explicitement aux dogmes religieux de lui donner une assurance formelle. Car s'il accepte d'adopter un credo, de respecter une morale ou de suivre une discipline spirituelle, il veut que cela soit payant . Son engagement est une spculation o lego pense long terme y retrouver son compte.
246 Mais tout cela n'est qu'illusion. L'illusion commence avec le sentiment de sparativit ; l'illusion continue lorsqu'au sein du sentiment de sparativit le dsir d'acquisition matrielle ou spirituelle apparat. Comprenez ceci : Vous ne pouvez rien acqurir rien possder, rien atteindre, rien esprer, puisque vous tes partie indissociable de la Totalit ternelle, la fois immuable et mouvante, universelle et individualise, de l'tre unique. En ce que vous tes, au moment mme o vous lisez, se trouve l'aboutissement de votre recherche spirituelle. Oui, cet homme dote d'un corps fort ou malingre, jeune ou vieux. Ce mental plein de penses peut-tre mdiocres. Ce monde plein de violence et de crimes. Tout cela constitue un tat de conscience, qui est une expression directe et indissociable de l'tre ternel. Tout cela est vous-mme, car vous tes insparable de l'univers. De mme que l'univers est indissociable de la Transcendance de laquelle il est issu. Acceptez le moment prsent, et voyez qu'en lui, s'il est illumin par la comprhension, votre qute dfinitivement. Abandonnez tout espoir vous faisant attendre quelque chose. Abandonnez toute tentative de fuite vers un ailleurs hypothtique ou futur. Abandonnez toute recherche cratrice d'illusions sans fin. Pour l'Absolu il n'y a pas de prfrant ou de supriorit entre l'illumination et l'ignorance. Or vous tes cet Absolu. Acceptez ce qui EST, intgralement, consciemment, avec allgresse et plnitude. Dsormais n'attendez plus rien, vivez votre vie, car votre vie est ternelle, et l'instant prsent est parcelle de cette ternit sans commencement. Vous tes l'tre Suprme, puisque l'tre Suprme est unique, et puisque l'tre Suprme est le seul tre. Que voulez-vous atteindre ? Vous tes la fois l'individuel et l'universel. L'immuable et le changeant. L'audel et l'en dedans.
247 Voyez l'absurdit de la recherche, et riez du jeu qui prend fin. Vous avez jou cache-cache avec vous-mme, vous l'tre ternel et Unique qui englobe tout. Vous vous tes amus vous individualiser, et en vous individualisant oublier ce que vous tes. Puis, vous vous tes amus vous chercher, mais voici que le jeu prend fin, car vous vous tes retrouv. Un autre jeu commence, et chaque jour est un jeu. Vivez le jeu extraordinaire de la vie humaine. Ce jeu qui consiste, en une fraction de votre ternit, a boire quand vous avez soif, manger, dormir, parler, lire, voyager et travailler, aimer et lutter... Vivez cela, d'instant en instant. Tout dsir d'atteindre une libration abandonne. De quoi l'Absolu que vous tes voudrait-il se librer ? Le dsir de libration est engendr par l'illusion de l'emprisonnement. Constatez que vous tes libre. C'est en votre totale et ternelle libert que vous avez voulu jouer le jeu de la vie humaine. Pourquoi donc maintenant vouloir quelque chose de diffrent ? C'est vous qui avez engendr cet tat de conscience qui est celui de la vie humaine. Reconnaissez en elle la concrtisation de votre propre dsir antrieurement formul, et acceptez votre propre volont Cosmique. Volont par laquelle vous tes ici-bas. La condition humaine n'est pas asservissante pour celui qui connat sa Nature vritable et intemporelle. En quoi le spectateur ternel pourrait-il tre li tel ou tel spectacle phmre ? Captiv par le spectacle vous vous tes identifi au hros, et vous avez oubli que vous tes le Spectateur. Voici qu' nouveau vous vous sentez tre celui qui regarde. Cependant, cette prise de conscience ne saurait engendrer la fin du spectacle, car le spectacle contient un dynamisme intrinsque. La vie continue donc. Pourquoi cela serait-il regrettable ? Le spectacle est-il pour le spectateur un asservissement ou bien un loisir momentan ? Ayant compris l'aspect cosmiquement ludique de l'existence, ne vous attardez plus sur la distinction entre le spectateur et le spectacle, car cela aussi contient un aspect illusoire. Le spectacle et le spectateur ne font qu'un, puisque le spectacle de l'existence est compos par les perceptions qui traversent la conscience de Celui qui existe. La conscience n'est pas quelque chose de spatial que l'on puisse isoler de ce qu'elle contient.
248 Par la discrimination entre le spectateur et le spectacle, vous avez appris que la conscience n'tait pas limite par ce qui tait peru, c'est dire par le spectacle. Il faut maintenant aller plus loin. Cette discrimination qui a t une aide devient un obstacle, si vous tes amen imaginer l'existence de deux ralits sparables. Car si la conscience n'est pas limite par le peru, elle n'en est pas non plus distincte, puisque le peru est imprgn de conscience. Il y a le peru subjectif, imprgn par la conscience troitement focalise en une perception individualisante. Il y a le peru objectif, imprgn par la conscience plus largement focalise en une perception collective. Il y a conscience sans perception, mais il n'y a pas de perceptions en dehors de la conscience. En chaque perception la conscience, l'unique et universelle Conscience est donc Prsente. De ce fait, croire qu'il faut liminer les perceptions pour atteindre la conscience, c'est tre la proie d'une singulire chimre. Pitinons encore sur ce thme en nous exprimant diffremment : le fait d'tre est-il quelque chose qui englobe toutes les manires d'exister, ou bien est-il une ralit particulire qui exclut certains modes d'existence ? Rflchissez cela. Si le fait d'tre est englobant et non excluant, ce qui est une vidence, cela signifie qu'en cet instant mme tout ce que vous percevez intrieurement et extrieurement fait partie intgrante de l'tre. Attardons-nous quelques instants sur les consquences de cette comprhension : l'Esprit est-il contenu dans le corps, lequel est lui-mme une partie du monde matriel ? La conception courante, ne de l'ignorance mtaphysique, donne une rponse affirmative. Vous devez avoir compris que le corps physique et le monde matriel sont contenus dans l'Esprit, et non le contraire. Car au sens absolu, il n'y a pas de monde extrieur - extrieur l'Esprit. Et il n'y a pas de ralit physique, par opposition la ralit de l'Esprit. L'Esprit est le Tout, et tout est contenu dans l'Esprit. L'extriorit, la corporalit, la matrialit, sont des catgories spcifiques de perceptions. C'est la spcificit de ces perceptions qui vous donne l'exprience
249 quotidienne d'un monde extrieur, peupl de corps matriels. Mais en soi, c'est-dire en dehors de la vrit de cette spcificit perceptive, cela n'a aucune ralit. N'interprtez pas cela de travers en concluant que le monde extrieur tel que vous le voyez et le sentez n'existe pas. Car ces perceptions existent bel et bien, et leurs spcificits les distinguent de la spcificit du monde intrieur. Ce qui dans l'exprience humaine quotidienne se prsente comme le monde extrieur est donc form par un type spcifique de perceptions ; tandis que ce qui apparat comme constituant pour chacun de nous notre monde intrieur est form par un autre type spcifique de perceptions. Tel est l'vidence qu'il nous faut trangement rappeler tous ceux qui oublient ce genre d'vidence. Mais tout cela n'est que perceptions, et ne possde aucune ralit en dehors de son apparence et de sa ralit perceptive. Toutes les perceptions produites par l'Esprit Unique sont contenues dans cet Esprit. L'Esprit pense et peroit ce qu'il pense. En consquence, la comprhension de l'Esprit n'est pas atteinte par celui qui s'isole ou qui limine tel ou tel type de perceptions. Ce qui veut dire, en termes peut-tre plus clairs et plus oprationnels que la gnose suprme n'est pas atteinte par celui qui, grce au dveloppement d'une capacit d'isolement, cesse de percevoir le corps ainsi que le monde extrieur, et qui interrompt toute perception mentale en arrtant sa pense. C'est pourtant ce qu'ont cru ceux qui ont recherch un tat dfinitif de transe contemplative. Par la transe contemplative, l'individualit vit un type spcial d'exprience. Mais toutes les expriences sont contenues dans l'Esprit. C'est la comprhension de cela qui est illuminante et qui met fin la recherche ; car seul celui qui ne sait pas d'une manire profonde et totale qu'il est cet Esprit qui tout englobe, peut s'imaginer qu'il faut poursuivre exclusivement tel ou tel type d'exprience. L'veil et le non-veil sont inclus dans votre ralit englobante. Si vous comprenez vritablement cela, vous cesserez de rechercher l'veil et de fuir le sommeil. Le dsir d'veil qui a t l'indispensable moteur de votre qute doit tre abandonn en l'aboutissement de la qute.
250 Est-ce dire qu'en dfinitive vous tournez le dos la spiritualit, et vous vous complaisez dans l'identification ignorante ? Non, et sur ce point nous vous demandons de faire trs attention, car s'il y a mauvaise comprhension le plerin qui sort de la qute peut, ou bien raliser l'objet de la qute, ou bien retomber en l'tat d'ignorance de celui qui n'a jamais rien cherch. ce stade, plus fin que l'paisseur d'un cheveu est l'espace qui spare l'erreur de la comprhension dfinitive de la Vrit. Essayons d'tre clair : lorsque l'veil est connu, il faut abandonner la recherche de l'veil. Abandonner la recherche de l'veil ce n'est pas tourner le dos l'veil. D'ailleurs comment pourriez-vous tourner le dos l'veil, si l'veil vous est vritablement connu ? Dans la recherche d'une Ralisation spirituelle, c'est dire dans la recherche de quelque chose de diffrent, diffrent de ce qui EST, il y a un attachement, une angoisse, un dsir, un espoir, une volont d'acquisition gotique, et cela est un lien de l'ignorance, et cela rsulte de la non-comprhension de la globalit de l'tre. Comprenant quveil et non-veil ne sont que des spectacles diffrents perus par ce Que vous tes, vous comprenez que la recherche de l'veil rsulte de l'illusion en laquelle on s'identifie ce qui est peru. L'attachement l'veil est la forme la plus subtile de l'attachement, et de l'identification errone qui le motive. Donc vous cessez de chercher l'veil. Vous acceptez le non-veil et l'veil comme tant au mme titre contenu dans le spectacle existentiel. Et que se passe-t-il ? Vous constatez que l'veil ne disparat pas. Pourquoi disparaitrait-il ? L'veil et le non-veil alternent comme prcdemment l'intrieur de chacune de vos journes. L'veil est toujours aussi ineffable. Le non-veil est toujours aussi stupide et obscur. De ce fait, peu peu, tout naturellement, l'veil prendra une place de plus en plus importante dans votre vie, jusqu' finir par l'imprgner totalement. Mais ayant abandonn tout espoir, toute attente, toute recherche tendue vers le futur, vous aurez renonc toute avidit spirituelle. Comme un fleuve qui coule vers la mer, votre existence ira vers la batitude intgrale.
251 L'effort continuera tre requis, aussi longtemps que l'veil ne sera pas dfinitivement installe. Il faudra sans cesse rinstaurer la vigilance de l'veil. Il faudra, avec une patience indracinable, sortir le mental de son assoupissement. Cependant de cet effort vous n'attendez plus rien. Le dsir de Ralisation spirituelle est mort en vous. Vous avez cess de jauger votre degr de Ralisation. Cela ne vous intresse plus. Vous savez que c'est un pige du mental. A chaque jour suffit sa peine. En chaque journe vous luttez contre le sommeil et vous vous immergez en l'veil. Vous faites cela sans raison. Sans rien attendre et sans rien chercher. Le rsultat ou le non-rsultat vous est indiffrent, puisqu'il est contenu dans votre Ralit englobante. Vous savez que dsormais vous ne pouvez plus vivre sans veil, c'est tout ce que vous savez. Qu'importe la dure du temps qui, en toute quitude, vous achemine vers la Lumire Absolue. Vous tes un enfant de l'ternit. Vous tes l'infini qui joue se perdre et se retrouver. Vouloir obtenir ceci ou cela c'est crer des obstacles. Lveil s'instaure ds que vous vous le rappelez. Or plus vous demeurez en veil, plus un got profond et exigeant pour la batitude qu'on y trouve s'installe. Ds lors il vous suffit de vivre la vie de tous les jours, avec autant de vigilance que possible. Tout regard vers le futur est une drogue obnubilatrice. La notion de recherche implique une distance entre vous et ce que vous cherchez. Cette distance n'existe pas vis--vis de l'veil. Ds que vous vous rappelez l'veil, vous tes veill. Si vous n'tes pas en veil, c'est que vous l'avez oubli. Ds lors, il n'y a aucun moment qui doive tre consacr la stupide recherche de ce que vous possdez instantanment.
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APPROCHE DE LA LIBERT.
Il faut dissiper l'illusion de non-ralisation. Vous avez toujours t Ralis puisque vous tes la Ralit. En dchirant l'illusion par laquelle vous vous prenez pour un homme, vous ralisez d'une manire soudaine que vous tes libre, et que vous avez toujours t libre. C'est lorsque l'hallucination de l'emprisonnement s'vanouit que la Ralit de la libert apparat. Les choses perues n'enchanent jamais le spectateur. Voici pourquoi vous tes libres. Ce que vous percevez savoir le monde, les tres, le corps, les sensations et les contenus mentaux, tout cela n'est qu'une fantasmagorie qui traverse votre ternit. Cette condition d'existence telle que vous la percevez est un produit de votre volont. C'est vous qui avez voulu faire l'exprience aigre douce de la condition humaine, et c'est vous qui avez dtermin les contenus de cette existence temporelle. Reconnaissez ce fait. N'attribuez la responsabilit du peru personne. C'est vous qui tes responsable. Il en est ainsi, car il n'y a qu'une seule volont qui engendre l'univers. Volont dont vous tes partie intgrante, de ce fait c'est votre volont. C'est vous qui avez engendr les servitudes, les limitations, les souffrances, les attachements, les passions, les garements, les jouissances, les beauts et les extases de la condition humaine. Au trfonds de vous mme gt la volont que cela soit. Cessez de tricher, de dissimuler et d'oublier. Admettez-le, vous avez voulu vivre l'aventure de l'existence humaine. Vous avez voulu vous lancer dans la folie de l'ignorance et l'aveuglement. Cela s'est accompli. Maintenant vous mergez hors de cette ignorance, de cet oubli, de ce rve et de ce sommeil. Vous ralisez que tout ceci est votre jeu, un jeu libre et gratuit.
253 Vous ne venez de nulle part et vous n'allez nulle part, car vous tes le spectateur ternel. La perception du monde surgit, et s'engloutit au sein de votre immuabilit ternelle. Tel que vous tes, dpourvu de forme, dpourvu de limite, sans mouvement, sans devenir et sans antriorit, vous avez toujours t, et vous serez toujours. l'instant mme en regardant ce qui vous entoure, vous ralisez que vous tes le spectateur silencieux du peru. Tel qu'il est, ce spectateur qui regarde d'un il gal les penses de l'homme, et les couleurs du monde, il a toujours t. Pour lui il n'y a pas d'enchanement au pass ou au devenir. Le peru n'est qu'une simple distraction qui passe devant son regard. En comprenant : Je suis ce spectateur , une espce particulire de clart mentale s'tablit, et vous regardez les choses avec une perception neuve. Un recul, une prise de distance vis--vis du peru est tablie. Vous n'tes plus colls sur la vitre des choses. Intrieurement sont apparus un silence, un espace incommensurable, une fracheur, une lgret, une libert, une suavit inexprimable. Rien de plus simple, il suffit de regarder ce qui vous entoure puis de penser : Je suis le spectateur , de le constater et surtout de le sentir. Sentir Je suis le spectateur du monde, du corps et du mental , c'est dboucher sur une exprience intrieure libratrice, car en vrit ce qui est peru ne peut enchaner celui qui peroit. l'instant mme o vous ralisez cela. Le raliser c'est le comprendre, le sentir, et donc le vivre. cet instant-l, vous dcouvrez votre libert ternelle. Les choses du monde, du corps et de l'esprit pensant n'ont plus aucun pouvoir sur vous. Tout ce qui peut survenir en ce monde ou dans n'importe quel univers paradisiaque ou dmoniaque ne vous affecte plus.
254 Le spectacle n'atteint jamais le spectateur. Un spectateur qui se passionne pour une reprsentation peut pleurer et rire avec ce qu'il peroit, cependant il demeure jamais spar de ce qu'il contemple. Quant vous spectateur fait de vacuit consciente, vous n'avez ni forme, ni substance, ni organe, ni membres. Impossible pour vous de rire ou de pleurer. Joies et peines relvent du peru existentiel et non point du Tmoin ternel. En votre immuabilit vous demeurez dans une batitude qui est jamais au-del des joies et des peines.
En cet espace sans limites qui est votre nature vritable, aucune dpendance ou contrainte ne saurait exister. Vous dcouvrez donc votre totale libert. Toutes les recherches de libert dans le monde extrieur proviennent d'une nostalgie de votre ternelle libert intrieure. Le voile de l'oubli s'est pos sur votre me et vous ne savez plus pourquoi vous tes entrs dans la limitation de la condition humaine. Il vous reste cependant une obscure certitude cause de laquelle vous savez que la libert est votre hritage naturel. Vous pensez que vous devez tre libre, mais cette aspiration se heurte aux dures limitations du monde extrieur qui vous impose ses lois. La grandeur de votre cur touffe dans le carcan du monde. S'il en est ainsi vous cherchez dans le monde extrieur ce qui demeure en votre intriorit transcendante. En aucun des mondes de la galaxie ou du psychisme cosmique ne se trouve la libert parfaite. L'univers est la projection d'une structure complexe dont toutes les sphres obissent un dterminisme particulier. La libert est l'apanage du spectateur et non des vhicules biologiques ou psychiques au travers desquels le spectateur peut percevoir telle ou telle condition d'existence. Dans le monde des phnomnes, la parfaite libert ne saurait exister. La volont de l'homme peut accomplir certains choix, mais ces choix ne sont que l'expression d'une libert relative. L'homme est dtermin, limit, emprisonn, conditionn par un ensemble de lois inhrentes l'univers dans lequel il volue. La totale libert n'existe que pour la conscience intrieure qui peroit l'homme. Dans la prise de conscience, je suis le spectateur , cette libert devient la vtre. Vous retrouvez un hritage oubli. Vous tes un roi qu'une maladie mentale avait convaincu d'tre un esclave.
255 Laissez les esclaves vivre dans leur univers d'esclave. Laissez l'homme vivre dans son monde limit et conditionn. Reconnaissez-vous comme tant un fils de l'illimit et de l'immortel. Vous n'appartenez pas ce monde dchu. Vous n'tes sujet aucun emprisonnement dans le corps et dans le temps. Vous demeurez a jamais au-del de toute ralit cosmique et temporelle L'univers n'est qu'un spectacle. Ce spectacle est jamais distinct de votre Ralit transcendante, mais n'est cependant pas spar de vous puisqu'il n'est rien d'autre que la manifestation de votre nergie, qui jaillissant en toute libert de votre abme intemporel, engendre pour le plaisir la multiplicit de ses phantasmes tranges et colors que nous appelons les mondes. Vous savez que l'univers existe parce que vous le percevez. Or les perceptions du monde sont le spectacle contempl par votre Conscience intemporelle, et engendre par votre nergie. Comment ai-je pu engendrer la multiplicit des mondes alors que prsentement je n'en perois qu'un infime fragment ? Penseront certains. Pour employer une image, nous vous dirons que cela provient du fait que vous avez coll votre il dans un instrument de perception limit. En tant prsente l'intrieur d'une multiplicit innombrable d'organes de perceptions individualiss crs par son nergie, la conscience unique engendre en elle-mme une multiplicit de champs de perception. La vie humaine c'est tout simplement l'apparition d'un champ de perception limit et conditionn par l'instrument humain. Le fait que dans la conscience universelle apparaisse une multiplicit de champs de perception ne signifie pas que la Conscience devienne multiple. Et de ce fait dire que l'Unique devient le multiple ainsi que nous l'avons crit en reprenant une expression traditionnelle, c'est user d'une expression inexacte, car l'unique conscience, qui est votre conscience, demeure jamais non morcele. C'est l'intrieur de sa globalit qu'apparat une multiplicit diffrencie de champs de perception. Un de ces champs de perception enregistre ce qui est peru par l'homme qui lit ces lignes en cet instant. Cet homme ne saurait avoir la capacit de percevoir l'ensemble de l'univers. C'est au-del de l'homme que demeure la Conscience omniprsente. Dire : pourquoi est-ce que je ne perois pas la totalit de l'univers ? revient absurdement souhaiter que l'homme peroive ce qui est audel de son champ de perception. C'est lorsque vous avez dpass l'homme, et donc
256 dpasse celui qui s'interroge. C'est lorsque vous entrez dans le vide de votre silence infini que vous tes omniprsent. Cet univers de plantes, d'animaux, d'arbres et d'hommes n'est qu'un mirage, une fantasmagorie qui traverse l'abme sans fond de votre Conscience. S'identifier l'homme c'est s'imaginer illusoirement que l'on tombe dans le temps. Raliser l'instant mme : Je suis le tmoin ! C'est sortir des tnbres de l'ignorance. Ignorance en laquelle vous avez oubli votre ralit mtaphysique. chaque instant vous tes dans la connaissance ou bien vous tes dans l'ignorance. tre dans la connaissance c'est percevoir votre immensit intrieure, qui demeure immuablement l'arrire-plan de toutes les perceptions physiques et psychologiques. tre dans l'ignorance, c'est oublier votre vritable nature, et s'imaginer absurdement tre l'instrument humain au travers duquel vous apprhendez le monde des hommes. Il faut sortir de l'ignorance afin d'merger dans la lumire de la Connaissance. C'est cela le travail de l'initiation. Buvez longs traits l'lixir de la Connaissance. Lorsque vous vous sentez prdispos l'veil, retirez-vous, isolez-vous et enivrez-vous de la batitude qui rsulte de la Connaissance mtaphysique. En profitant ainsi des priodes favorables, vous dveloppez peu peu un amour profond de la Connaissance. Alors le monde du sommeil de l'ignorance vous deviendra de plus en plus insupportable. De plus en plus rares et courtes se feront vos priodes de sommeil. Vous approcherez de l'aube d'une lumire dfinitive.
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258 C'est simple. C'est si simple. Le mental a peur, et il nous souffle l'intrieur de l'oreille que cette simplicit est ardue. C'est faux, rien n'est plus simple. C'est la simplicit mme. Seul un regard simple peut percevoir la limpidit de la vie. Lorsque l'veil se manifeste, aucun phnomne extraordinaire ne se produit. Pas de roulement des tambours clestes, pas d'clairs lumineux, pas de vision extraordinaire ou merveilleuse. C'est la vie qui est extraordinairement merveilleuse, c'est la vie qui, en sa simplicit, possde une transparence transcendantale. Nous voici bien loin des rveries gotiques, de ceux qui se reprsentent la ralisation spirituelle comme l'accs un tat surhumain, projeter les ambitions, et les rveries les plus folles de l'ego, dans la ralisation spirituelle, est une manire d'agir regrettablement classique. Par contre, accepter la simplicit et le dpouillement de la vritable ralisation, en laquelle rien ne nous distingue apparemment des autres hommes, accepter une ralisation, qui n'est lie aucun pouvoir magique, aucune gloire manifeste, une ralisation en laquelle nous sommes extrieurement de simples hommes, menant la vie banale de tous les hommes, c'est devenir mur pour une effective ralisation. Lorsque l'veil transcendantal est l, tout est comme avant. Rien n'est apparemment chang. Nos faons de voir et de penser sont seulement un peu diffrentes. Si peu dans un sens ; et tellement radicalement dans un autre. Nous sommes plus calmes, la vie est belle, et nous sommes heureux, c'est tout, cependant nous avons dit par ailleurs, qu'il fallait s'efforcer l'veil. Est-ce exact ? : Oui, c'est indispensable pour le dbutant. Ceci n'est pas contradictoire, car la persvrance et la progression sont ncessaires, aussi longtemps que vous croyez en elles. Mais lorsquayant assimil l'ensemble de la maeutique, vous vous apercevez de la possibilit d'une ralisation immdiate, alors la ralisation immdiate devient effectivement possible. Ainsi, deux tapes sont quand mme distinguer : la premire : prise de contact, survol, tude, approfondissement, et mise en pratique progressive de la maeutique, puis, seconde tape, devant survenir aussi rapidement que possible, en fonction des
259 prdispositions personnelles ; et consistant prendre conscience de l'immdiatet possible de la ralisation transcendante, et raliser cette immdiatet. Chez nombre de gens, le passage de la premire la deuxime tape, rencontre des rsistances. Certaines personnes sont d'accord avec l'ensemble de ce qui constitue l'essence de la spiritualit ; mais ce qu'elles refusent d'admettre, c'est que la Ralit transcendantale au-del de laquelle il n'y a rien puisse tre perue ds cet Instant. Elles parlent de degrs, d'tapes successives, de long cheminement, de progression initiatique... En ralit, leur ego a peur de la proximit de l'infini, au contact duquel les fondations de ses structures se trouveraient dissoutes. Admettre la maeutique au titre d'une philosophie, d'une mtaphysique, d'un ensemble de concepts spiritualistes, ou mme d'une esprance, d'une finalit lointaine, ne les gne pas. Nais la considrer comme une mthode, aboutissant une exprience transcendantale qui peut tre vcue l'instant mme, terrifie secrtement leur ego. Ce dernier exprime sa crainte par une rsistance souterraine ; qui se manifeste consciemment par l'vocation, et l'utilisation de multiples thories mentales teintes spiritualistes, destines dmontrer que : ce n'est pas si facile que cela . De telles affirmations, avec l'attitude psychologique qui les accompagne, vont l'encontre des possibilits rvles par l'exprience, et empche celle-ci de se manifester. Dans le cas spcial de l'incroyant ou du matrialiste, ladite rsistance de l'ego se trouve renforce par un ensemble de croyances, dans lesquelles la personnalit est plus ou moins affectivement investie, il en rsulte un blocage gnral, souvent insurmontable par une simple dmarche intrieure. Le blocage en question, ne pouvant alors tre rsolu que par une conversion, progressive, en laquelle on commencera par se dsengager motivement et affectivement dans la rfutation du spirituel ; pour ensuite adopter intellectuellement une comprhension spiritualiste ; et qu'enfin il soit possible de raliser en soi mme, une ouverture la perception immdiate de la ralit transcendante ; ncessitant le dpassement des rsistances de l'ego dont nous venons de parler. Mais si vous n'tes pas handicap par le blocage gnral de l'incroyance, votre objectif doit tre de raliser que la pure conscience vide de contenus, est prsente l'instant mme, et que sa perception demeure d'une extrme simplicit. La libration temporelle est toute proche. Prenez conscience de ne pas tre l'homme, mais d'tre la pure conscience. Si vous faites cela, comme la pure
260 conscience n'a jamais t enchane la temporalit, vous vous trouvez aussitt libr du monde. Une simple prise de conscience immdiatement ralisable suffit. Ne tombez pas dans les piges du mental. Ce n'est pas un but lointain, c'est, rptons-le : une possibilit immdiate. Rien ne vous spare de la pure conscience. Il n'y a aucune volution accomplir pour l'atteindre. Toute volution se situe au sein de la temporalit. En l'intemporel aucun changement n'est envisageable, car l o il n'y a pas de temps, il n'y a pas d'apparitions, pas de disparitions, pas de mutations. Tous ces phnomnes supposant de par leur prsence mme une mesure temporelle. En l'intemporel, tout EST immuablement. De ce fait, il n'y a aucune volution de notre nature intemporelle raliser. Quant dire qu'il faut voluer, pour permettre notre nature temporelle de percevoir l'intemporel, c'est galement erron ; car la perception de l'intemporel n'est pas une espce de facult nouvelle, qu'il faudrait dvelopper en nous. Nous percevons l'intemporel constamment, et nous n'avons jamais arrt de le percevoir, ce qu'il faut, c'est simplement rendre cette perception consciente. Tout le monde sent son existence, sentir son existence c'est percevoir l'tre, qui est pure conscience intemporelle. Chacun peroit l'tre depuis sa naissance, mais cette perception personne n'y prend garde. La ralisation spirituelle ne consiste pas raliser une nouvelle forme de perception ; mais approfondir et dpouiller de tout le fatras des concepts mentaux, et des identifications multiples, une perception qui est notre depuis toujours. Ceci afin de l'apprhender en toute puret. La temporalit n'est qu'un voile multicolore dpos sur l'intemporalit de l'tre pur. Seul le fuit de garder obstinment, et exclusivement, votre esprit braqu sur le monde extrieur, et sur l'homme vous empche de percevoir la pure conscience de l'tre. Il suffit de la regarder avec les yeux de l'esprit pour la voir. Il suffit de regarder... C'est si facile de regarder intrieurement quelque chose. Il est simplement ncessaire d'y penser, pour tourner notre conscience dans la bonne direction. De tourner sa perception vers elle-mme, c'est--dire vers son essence ineffable et Pure ; au lieu de la conserver aveuglment dirige vers les contenus vanescents
261 qui la traversent ; et qui constituent la personnalit humaine, ainsi que le monde phnomnal qu'elle apprhende. Mettez fin vtre enttement, vous tes comme un gosse boudeur qui garde la tte enfonce dans les tnbres, alors que tout n'est que lumire autour de lui. Contempler l'indiscernable plnitude sans fond qui est perptuellement prsente.
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263 l'tions, la vie en sa simplicit quotidienne suffirait nous combler ; et nous repousserions les thories et idologies du matrialisme ou du spiritualisme, comme autant de jouets d'enfants. Tous nos espoirs, toutes nos recherches, toutes nos croyances, toutes nos spculations, sont des symptmes de notre non-maturit, ce sont des phnomnes de compensation, par lesquels nous essayons de combler l'immense vide qu'il y a en nous. Mais les scurits et les satisfactions qu'elles pourront nous donner seront toujours relatives ; et tel le juif errant l'homme cherchera indfiniment, tant qu'il ne sera pas parvenu l'veil. L'tat d'veil ne contient rien de particulier. Il est simplement produit par une modification l'intrieur de notre conscience. Les visions mystiques, les perceptions surnaturelles, les pouvoirs psychiques, les miracles, tout cela c'est bon pour les nafs. L'veill n'en a nul besoin. Si le prince des armes clestes vous apparat, que ce soit sous l'aspect du christ, de Krishna, ou d'un Bodhisattva, demandez-lui d'allumer votre feu et de prparer votre soupe. Il ne s'agit pas de nier la ralit de ces phnomnes mystiques. L'esprit humain, correctement entran, spcialement prdispos ou intensment orient, peut percevoir ou produire ce genre de choses. Mais cela n'a rien voir avec la Ralit suprme, qui se trouve au-del des visions, des apparitions, des manifestations psychiques, et des miracles de toute espce. La Ralit suprme ne possde ni son, ni forme, ni couleur particulire. La Ralit suprme se manifeste en toutes choses. En dfinitive, il n'y a pas de Ralit suprme, il n'y a que la Ralit en son infinitude. Cette Ralit, vous l'apprhendez dans le boire et le manger, dans le sommeil et le travail,, dans la parole et le silence... Cela l'veill le sait et le peroit, c'est pourquoi sa vie est simple. En cette simplicit l'infini se reflte, et ds lors, que pourrait-on chercher ou dsirer de plus ? Quand nous savons cela d'exprience, quand nous constatons au sein de notre vie, que toutes les dmarches, toutes les approches , toutes les pratiques, toutes les spculations de la maeutique, et de toutes formes de spiritualit finissent aprs un laps de temps plus ou moins long, par nous ramener au vcu de l'instant prsent. Quand la totalit de la maeutique, et de notre recherche intrieure finit par se rsumer et se condenser, dans le regard qu' l'instant mme nous posons sur les choses. Quand ce regard sur les choses, sur nous-mmes, et sur l'incommensurable, que nous avons appris porter, n'est mme plus un regard volontaire, et qu'il est devenu tout simplement notre regard. Quand tous les efforts pour nous veiller, ou nous spiritualiser ont t abandonns, au sein d'une plnitude quotidienne et
264 immatrielle, qui les rendaient inutiles ; et en laquelle nous avions perdu toute ardeur, toute motivation, tout attachement, toute passion pour ce genre de recherche. Quand parler de la maeutique, parler de la spiritualit, parler de la philosophie, constitue pour nous un acte qui nous apparat comme une dmarche artificielle, vis--vis de laquelle nous n'avons plus de got ; car sous sentons que toutes les paroles que nous prononons se situent ct de la Ralit, c'est--dire de la vie en sa simplicit insondable. Lorsque nous acceptons quand mme, et bien volontiers d'en parler, car cela nous apparat ncessaire pour aider autrui. Mais lorsque toutes ces paroles, ces thories, ces pratiques sont pour nous-mmes comme vides de sens ; et constituent d'inutiles pesanteurs dont s'embarrassent ceux qui ne savent pas vivre. Quand notre opinion est encore plus svre vis--vis des livres, quels qu'ils soient. Alors, pour notre propre usage, nous rejetons la maeutique comme un vieux vtement us. Nous rejetons la philosophie et la spiritualit, tout en comprenant que ces bquilles sont ncessaires ceux qui cherchent. Nous rejetons tous les mots, et tous les systmes transcendants, spirituels, religieux, initiatiques, sotriques, philosophiques, mtaphysiques, etc. Nous nous contentons de vivre. Bien que notre faon de vivre soit l'aboutissement de notre qute spirituelle, en elle, il y a rejet de toute espce de qute ou de spiritualit. On ne cherche plus lorsque l'on a trouv. On ne transporte pas un radeau sur ses paules, lorsque ce dernier nous a permis de franchir le fleuve. La maeutique, ainsi que toute espce de doctrine, discipline ou rvlation spirituelle, sont un radeau, rien de plus... Comparativement la vie des autres, la radicale diffrence de notre vie, de notre faon d'aborder la vie, est vidente, mais pour nous mme, elle constitue une existence normale et simple, qui s'coule naturellement. Alors la boucle est acheve. Nous sommes revenus du grand voyage intrieur. Nous sommes revenus au point de dpart. Toute sagesse tapageusement apparente est dissipe, car notre connaissance intrieure a cess d'tre quelque chose port artificiellement sur notre dos, pour devenir partie intgrante de nous-mmes. Nous sommes un homme comme les autres. Les joies et les chagrins de tous les hommes sont ntres.
265 O se situe notre accomplissement spirituel ? Impossible de le dire. Parler ne serait pas dsigner, mais construire un nouveau systme idologique. Nous n'avons d'ailleurs conscience d'aucun accomplissement, simplement, nous avons souvenir autrefois d'avoir cherch spirituellement, puis d'avoir abouti dans notre recherche, mais actuellement, nous n'avons pas sensation d'avoir accompli, ou de nous trouver sur un sommet. Les accomplissements et les sommets font partie des systmes idologiques prcdemment cits. L o nous sommes, il n'y a plus de systmes, et le mirage des accomplissements et des sommets s'est dissip. Qu'est-ce c'est que cette histoire de sommet. Il n'y a que la vie en sa plnitude quotidienne. Il n'y a rien d'autre, car tout est contenu en elle. tant arriv au bout du chemin, on s'aperoit que l'veil, la spiritualit, la ralisation intrieure, l'illumination, et autres termes similaires, ne sont que des mots. De simples mots. Le systme de pense des hommes est tellement artificiel, qu'il est ncessaire d'utiliser une dnomination quelconque pour dsigner l'tat de celui qui s'est libr de l'artificialit, et c'est d'ailleurs pourquoi nous avons nous-mmes utilis le mot veil, ainsi que quelques autres... Si on disait aux gens, que l'aboutissement de la spiritualit consiste simplement vivre, personne ne comprendrait ; et une multitude d'imbciles dclareraient avoir parcouru un chemin, dont ils ignorent jusqu' l'existence ; tandis que d'autres concluraient absurdement que ledit chemin n'existe pas, ou bien constitue une illusion, pourtant, c'est bien de vivre dont il s'agit. Mais voil, et c'est l l'extraordinaire, les gens ne savent pas vivre. Il faut leur apprendre. Apprendre vivre la vie vritable. Pour y parvenir, il faut d'abord constater notre impuissance vivre correctement, constater l'insatisfaction profonde qui nous hante, constater la fort des interrogations fondamentales qui nous blessent. Alors, pour mettre fin notre impuissance, notre insatisfaction, et pour rpondre nos interrogations, nous entrerons dans le systme artificiel d'une spiritualit quelconque... Tant que nous serons intgrs dans ledit systme, les choses nous apparatront d'une manire dualitaire. Il y aura ce qui est spirituel, et ce qui ne l'est pas, le sacr et le profane le pur et l'impur, l'veil et le non-veil, Etc.
266 Mais lorsque nous commenons dpasser le, ou les systmes spirituels auxquels nous avons adhr, nous cessons de voir les choses d'une manire dualiste. Il nous apparat que tout est spirituel, tout est sacr, tout est pur, tout est initiatique, tout est Divin... De ce fait, nous cessons de savoir ce que spirituel, sacr, pur, initiatique, Divin, et autres termes peuvent bien vouloir dire. De mme, plus les choses de l'veil s'intgrent en nous, plus les notions d'veil, de ralisation, d'illumination, perdent le grand intrt qu'elles avaient pour nous. La vie en sa simplicit nous parat de plus en plus suffire, tout contenir, et tout englober. Ainsi, la ncessit de l'entre dans les systmes artificiels de la spiritualit s'accompagne, de la ncessit de parvenir dpasser lesdits systmes. Il y a donc problme, lorsque les systmes en question ne contenant pas leur propre dpassement prtendent tre une fin en eux-mmes ; ou bien lorsque l'individu n'est pas capable de briser leurs attaches trompeuses. mesure que nous sortons des systmes idologiques, l'extraordinaire stupidit qui tait la ntre nous remplit d'incrdulit. Cette incrdulit devient stupeur, devant la masse d'illusions ignorante qui pse sur l'ensemble des hommes. Puis on s'habitue cet tat de choses, tandis que l'on constate que l'veil, l'illumination, la ralisation spirituelle n'existent pas, ce n'tait que des mots, destins vous aider sortir de l'ignorance. Maintenant vous n'avez plus besoin des mots. Que vous reste-t-il ? La vie, la simple vie infinie. La vie profonde, sans souci, sans regret, sans attachement au pass, sans angoisses du futur, la vie en l'heureuse plnitude des jours qui passent, oui vraiment, lorsque l'on saute de l'autre ct du mur, le mur cesse d'exister, et on sait que l'veil et la Spiritualit n'existent pas. L'veil et la spiritualit sont une illusion, qui aide percer le mur des illusions. Puisse-t-il en tre ainsi pour vous !
267 Vivre, c'est exister, et tout ce qui existe participe l'tre, duquel on ne peut rien dire. Ainsi, la qute spirituelle aboutit une connaissance totalement informulable, qui est ngation de toute espce de formulation. Il nous apparat donc que les notions de Dieu, de la spiritualit, de l'initiation, sont intrinsques l'tat d'ignorances dans lequel nous tions. Car lorsque nous finissons, par profondment, vritablement, et intgralement savoir, que seul l'tre est, il n'y a plus rien dire, et tout concept est faux. Il n'y a plus aucun systme suivre, approfondir ou croire, et nous restons en paix, au sein de la manifestation existentielle qui est la ntre.
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O sont donc passs tous les actes que vous avez accomplis depuis votre enfance ?
Que reste-t-il des dsirs qui vous ont habit et des checs que vous avez vcus ? En quel abme tout cela s'est-il englouti ? Parmi la multiplicit des choses que vous avez chries ou redoutes, quelquesunes surnagent peut-tre encore et peuplent votre vie actuelle. Mais, combien ont disparu jamais ? Mais lorsque nous commenons dpasser le, ou les systmes spirituels auxquels nous avons adhr, nous cessons de voir les choses d'une manire dualiste. Il nous apparat : que tout est spirituel, tout est sacr, tout est pur, tout est initiatique, tout est Divin... De ce fait, nous cessons de savoir ce que spirituel, sacr, pur, initiatique, Divin, et autres termes peuvent bien vouloir dire. De mme, plus les choses de l'veil s'intgrent en nous, plus les notions d'veil, de ralisation, d'illumination, perdent le grand intrt quelles avaient pour nous. La vie en sa simplicit nous parat de plus en plus suffire, tout contenir, et tout englober. Ainsi, la ncessit de l'entre dans les systmes artificiels de la spiritualit s'accompagne, de la ncessit de parvenir dpasser lesdits systmes.
269 Il y a donc problme, lorsque les systmes en question ne contenant pas leur propre dpassement, prtendent tre une fin en eux-mmes ; ou bien lorsque l'individu n'est pas capable de briser leurs attaches trompeuses. mesure que nous sortons des systmes idologiques, l'extraordinaire stupidit qui tait la ntre nous remplit d'incrdulit. Cette incrdulit devient stupeur, devant la masse d'illusions ignorante qui pse sur l'ensemble des hommes. Puis on s'habitue cet tat de choses, tandis que l'on constate que l'veil, l'illumination, la ralisation spirituelle n'existent pas. Ce n'tait que des mots, destins vous aider sortir de l'ignorance. Maintenant vous n'avez plus besoin des mots. Que vous reste-t-il ? La vie, la simple vie infinie. La vie profonde, sans souci, sans regret, sans attachement au pass, sans angoisses du futur. La vie en l'heureuse plnitude des jours qui passent. Oui vraiment, lorsque l'on saute de l'autre ct du mur, le mur cesse d'exister, et on sait que l'veil et la Spiritualit n'existent pas. L'veil et la spiritualit sont une illusion, qui aide percer le mur des illusions, puisse-t-il en tre ainsi pour vous. Vivre, c'est exister, et tout ce qui existe participe l'tre, duquel on ne peut rien dire. Ainsi, la qute spirituelle aboutit une connaissance totalement informulable, qui est ngation de toute espce de formulation. Il nous apparat donc que les notions de Dieu, de la spiritualit, de l'initiation, sont intrinsques l'tat d'ignorance dans lequel nous tions. Car lorsque nous finissons, par profondment, vritablement, et intgralement savoir, que seul l'tre est, il n'y a plus rien dire, et tout concept est faux. Il n'y a plus aucun systme suivre, approfondir ou croire, et nous restons en paix, au sein de la manifestation existentielle qui est la ntre.
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Pansez aux choses et aux tres qui autrefois vous ont passionn et qui aujourd'hui vous laissent indiffrent. Combien, combien de choses qui vous ont paru primordiales et exaltantes ne sont plus aujourd'hui qu'un vague souvenir vent ? quoi tout cela a-t-il servi ? Toutes ces agitations, cas dsirs, ces craintes, tous ces contenus du pass, quoi ont-ils servi ?
La vie a continu et, avec le recul, vous devez voir l'inutilit de toutes les passions mortes. Il ne reste que des souvenirs. Et au cours des annes, les souvenirs se dcolorent, se dsagrgent peu peu. Venue du nant et du vide d'avant la naissance, votre vie mesure que les souvenirs disparaissent, retourne faire le mme vide et le mme nant. Comme un songe qui passe, votre existence ne laisse aucune trace dans l'Espace. Voici la vrit la plus dure comprendre : la vie humaine n'a pas de but, pas de finalit, pas de ncessit, c'est une rverie inutile qui traverse le champ de votre Conscience immacule. La Ralisation spirituelle n'est-elle pas le seul but valable, dites-vous ? Voici l'ultime secret : la Ralisation spirituelle est un hochet pour les enfants ;
Le dsir de Ralisation spirituelle n'est qu'une des ambitions absurdes qui traversent la rverie dmente dans laquelle vous tes plong.
II n'y a pas de Ralisation spirituelle, car il n'y a rien raliser. Nous sommes de toute ternit la pure Conscience et nous ne pouvons d'aucune manire, le devenir. On ne peut devenir ce que l'on est dj. De son ct, l'illusion du monde, est une simple illusion, qui n'a aucune chance de devenir autre chose qu'une illusion, et en laquelle il n'y a rien raliser.
La seule question qui subsiste, c'est : tes-vous captiv par cette illusion, sduit par elle, hypnotis par elle, enchan par elle ? Ou bien : demeurez-vous libre et dtach vis--vis de cette fantasmagorie ? Pour ne pas tre sduit et captiv par l'illusion du monda, il n'y a pas d'autre moyen que la culture, d'une lucidit acide, en laquelle on comprend, d'une manire profonde et dfinitive, que cette illusion n'a aucune valeur, aucune finalit, aucun but. C'est une absurdit gratuite, en laquelle il n'y a aucune conqute spirituelle effectuer. Cette prise de Conscience et le dtachement qu'elle engendre, c'est la Ralisation spirituelle. La vraie Ralisation et la vrais Spiritualit se situent en dehors des illusions de la via.
272 Voyez donc le pige subtil que vous tend le mental trompeur :
Il veut vous faire croire que la Ralisation et la Spiritualit se situent dans la vie individuelle.
Si vous croyez cela, vous ne faites que renforcer votre emprisonnement dans l'illusion de la vie individuelle.
Par un tour de passe-passe du mental, le moyen de libration est devenu une prison de plus.
Il y a longtemps que la Spiritualit, au lieu de librer, est devenue une faon particulire de s'emprisonner dans l'illusion du monde. On en voit, possds et habits par les dsirs et les illusions de l'argent, de la sexualit, du confort, du pouvoir, de la violence... et, parmi tous ces gens-l, il en est d'autres qui sont les dupes du dsir et des illusions de la rechercha spirituelle et de l'aspiration la Ralisation Divine. Ne croyez pas que les seconds sont suprieurs aux autres. Tous, et au mme titre, sont noys et omnibuls dans les replis de l'illusion dvoratrice. Il se peut que tout cela soit pour vous dur admettre. Tous vos efforts spirituels. Toute cette ambition. Cette vocation. Toutes ces expriences. Tous ces dsirs et ces rveries spirituels font partie intgrante de l'illusion. Ils sont la forme du pige dans lequel vous tes tomb. Ils ne mnent pas la Libration.
273 La vraie Libration, c'est le rejet dfinitif du fatras dg toutes les ambitions, les esprances, de tous les attachements, de toutes les passions, de tous les buts... Cela est la seule vraie Libration. Que vous soyez enferm dans une rverie d'homme d'affaires, de politicien, de brave pre ou mre de famille, d'obsd sexuel, d'artiste, de chercheur scientifique ou de pratiquant spirituel, vous tes enferm dans la mme illusion mondaine.
Comprenez cela. Acceptez-le. Mme si cela fait s'crouler le chteau de cartes de toutes vos croyances. Acceptez-le et soyez confronta au dnuement total, et l'inutilit parfaite. S'il en est ainsi, pourquoi avoir vous-mme parl de recherche spirituelle, nous demandez-vous ? Toute la difficult de l'enseignement spirituel rside dans le fait qu'il faut parler au sein de l'illusion commune.
Certaines paroles ne parviennent pas percer le mur pais et lastique de l'illusion en laquelle sont emprisonns les gens.
Quelque chose de totalement tranger l'illusion rebondit sur sa surface et ne pntre pas le mental d'autrui.
Il est donc ncessaire d'utiliser des propos vis--vis desquels le cocon d'illusion en lequel chacun est enferm soit permable.
274 On peut ainsi, par une srie d'tapes et de rptitions, parvenir claircir l'opacit de l'illusion. En enseignant aux gens rechercher la spiritualit l'intrieur de leur vie individuelle.
D'une part, on les maintient dans leur illusion, mais, d'autre part, on leur permet d'claircir les tnbres de leur ignorance. Alors, certains d'entre eux, un moment donn, peuvent comprendre la Vrit finale. Une maturation s'est produite en eux, et ils peuvent sortir du labyrinthe mental. Cette Vrit finale est simple. Peut-tre, l'instant mme, allez-vous la recevoir comme une rvlation dfinitive. Voici la Vrit au-del de quoi il n'y a rien : II n'y a pas de Ralisation obtenir, car vous tes Ralis depuis toujours.
La vie individuelle est une illusion pure et simple qui ne contient aucune Vrit. Rien de ce qui peut tre fait ou de ce qui peut ne pas tre fait par l'homme, ne vous rapprochera de la Vrit.
La Vrit est celle de l'immensit de votre Conscience immuable. Cette Conscience n'est pas quelque chose que vous puissiez obtenir. Elle est depuis toujours et demeurera jamais votre Vritable Nature.
275 Ce que l'on appelle la spiritualit, comme toutes lasses actions, les sentiments, et les penses humaines, constituent la trame du rve illusoire de l'existence individuelle.
Priez Dieu, tudiez la spiritualit, Pratiquez. la mditation, Enseignez la spiritualit, consiste simplement rver d'une certaine manire.
Qu'importe que votre rve soit habit par des notions spirituelles, militaires, politiques ou financires.
Pouvez-vous comprendre, une fois pour toutes, que la libration consiste cesser d'tre dupe de vos rves. C'est en cela que consiste la Libration et la vraie Ralisation : cesser d'tre dup par vos rves.
Il est vrai qu'il n'y a rien raliser et obtenir, car, vous tes depuis toujours et jamais : L'IMMENSIT INFINIE ET INDFINISSABLE DE LA CONSCIENCE.
276 Mais il est galement vrai qu'il y a une Ralisation. Une Ralisation qui ne fabrique rien, et n'obtient rien de nouveau, mais en laquelle on dissipe l'emprise de l'illusion, et o on se rappelle ce que l'on est depuis toujours.
Dissiper l'illusion, c'est cesser d'tre dupe. Les rveries humaines ne sont qu'un reflet color qui traversent notre Infinitude.
Si elles engendrent le voile de l'ignorance qui nous fait oublier ce que nous sommes, ce n'est pas cause d'une puissance qui leur serait inhrente. C'est parce que nous nous identifions, nous nous attachons, et nous nous passionnons pour elles. C'est en nous que rside la force d'ignorance. C'est nous qui mous sommes plongs dans l'ignorance. Pour redevenir libre, il faut donc nous dprendre des choses de ce monde.
Non pas un dtachement thorique, mais un dtachement effectif qui coupera tous les liens.
Il l'est probablement.
277 Car, ce qui est humain, se caractrise par la faiblesse et le relchement intrieur da l'attachement.
Si vous voulez tre libre et vous tenir debout, il faut briser tous vos liens d'attachements affectifs et intellectuels. Pour parvenir ce dtachement, il faut vous dgoter de tout. Comprendra que tout est vanit et poursuite de vent. Que tout est sans but, sans cause et sans Finalit.
Vous avez cultiv des penses contraires. Vous avez construit des valeurs. Vous croyez en l'importance de ces valeurs. Mais, si vous voulez briser les liens qui vous enchanent la condition humaine, il vous faut raliser que la seule Ralit c'est le vide sans Fond de la Conscience et, que toutes les valeurs humaines sont des reflets trompeurs au sein de l'illusion.
Tant que vous ne ressentirez pas, en profondeur, la ralit de cette vrit, vous ne serez pas dtach. Si quelque chose en vous se rebelle, s'offusque ou rsiste vis--vis de la reconnaissance de l'inanit de toutes les valeurs humaines, sachez que cette rsistance est la racine de l'attachement que vous devez dissoudra.
Le dtachement qui est l'indiffrence totale vis--vis de toutes les valeurs humaines et de toutes les aspirations conues par l'homme prsuppose que l'on ait pralablement imprgn son existence par une dmarche et une pratique spirituelle srieuse et intense.
Pourquoi ?
278 Parce que, celui qui comprend le caractre phmre, relatif, illusoire et vain de l'existence humaine, mais qui n'est pas enracin dans une dmarche spirituelle, aboutirait simplement une philosophie pessimiste et sceptique.
Puis, surmontant quelques crises dpressives ou mlancoliques, il en arrivera la conclusion que l'on doit user de cette via pour satisfaire ses dsirs et jouir de l'existence, dans la mesure du possible.
Ce que nous proposons est tout autre : Il faut totalement vous dgoter des passions et ambitions humaines afin de pouvoir vous enraciner, d'une faon stable, dans ce que vous tes vritablement, c'est--dire la Tmoin inaffect du monde, qui regarde toute chose depuis l'abme des espaces intrieurs.
En d'autres termes, si vous perdez vos illusions sur la vie humaine, ses valeurs, ses ides et ses aspirations, sans qu'il y est chez vous au moins un commencement de dpassement de la petite personnalit gotique, cela n'aboutit qu'au cynisme et l'gocentrisme.
Par contre, si vous perdez toute illusion sur la valeur de l'existence. Si vous comprenez sa nullit et que, paralllement cela, vous vous enracinez dans les immensits de votre Conscience Tmoin, c'est la Libration.
279 et le Dtachement.
L'enchantement du monde est comme une toile d'araigne, qui ne brise pas ses fils servira de pture.
Plusieurs lignes de rflexion et de prises de conscience peuvent vous amener au dtachement librateur.
Comment peut-on s'imaginer tre la fois libre et attach ? Quiconque est attach est prisonnier. Seul, celui qui se dtache de tous liens est libre.
Ne voyez pas la perspective du dtachement comme la ncessit d'un asctisme morose et frustrant.
280 Prenez conscience que tout attachement un tre, une situation, une possession, une ide, vous enchane et fait de vous un esclave.
Dsirez-vous, oui ou non, vous librer de tout lien ? C'est dur ? Pour qui est-ce dur ?
Certainement pas pour la Conscience Tmoin qui est devenue aveugle cause du voile des passions humaines.
C'est assurment dur pour le petit homme inscrit dans la trame du voil, qui a construit sa vie sur des attachements et des affections mesquines et gocentriques.
Et puis, que vous importe les souffrances ou les plaisirs de cette petite larve humaine, dont la mdiocrit dpasse tout ce qui est descriptible.
Vous n'avez rien voir avec lui. Ce n'est pour vous qu'un vhicula et un instrument de perception et d'action que vous habitez temporairement.
Revenez vous-mme.
Ayant conscience de votre Divine Dignit, brisez impitoyablement tout lien affectif et tout attachement ressenti par cet homme.
Dressez-vous sur vos triers, saisissez les rnes avec une poigne solide. Si ncessaire, enfoncez vos perons dans les flancs de l'animal et cravachez-le.
Dsormais, servez-vous de lui, mais ne vous laissez plus diriger par lui.
Comment peut-on tuer tout attachement ? De deux manires : - d'une manire visible, en se sparant du contact matriel avec ce qui nous enchana. Qu'il s'agisse d'une personne, d'une possession, ou bien d'une faon de vivre.
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- d'une manire invisible, en refusant le dveloppement et l'entretien de penses d'attachement, et en cultivant volontairement en place des penses de dtachement et d'indiffrence.
C'est parce que vous pensez quelqu'un avec attachement que des motions et des sentiments d'attachement sont ressentis.
Si vous coupez les penses d'attachement, vous brisez la racine des motions et sentiments de mme nature.
Ralisez l'impermanence de toute chose. Les plus grandes affections s'moussent. C'est une question de sicle.
Si certaines durent toute la vie, c'est simplement, parce que celle-ci est trop courte.
283 Toutes les entreprises humaines sont drisoires, vis--vis du fleuve du temps.
Vous croyez avoir connu des gens, mais, en ralit, vous n'avez jamais rencontr personne.
Tout ce que vous avez peru, ce sont vos propres crations mentales dpourvues de ralit.
Ce n'est rien d'autre. Vous tes seul. Dans votre ternit, vide et bienheureuse.
284 Vous n'avez jamais rencontr une personne relle. Vous ne ctoyez que les personnages de votre rve. Ils n'ont aucune ralit.
Acceptez cela.
Vous n'avez jamais rien possd. Vos possessions sont les chteaux d'un rveur. Au petit matin, tout ce que l'on a acquis, avec effort l'intrieur du rve, s'efface comme une fume qui s'effiloche dans le ciel. Vous n'avez jamais rien fait, accompli ou entrepris.
Captiv par l'intrigue du spectacle, le spectateur oublie qui il est. Il s'identifie au hros. Son cur bat d'motion ; il pleure, il rit, mais tout cela n'est qu'illusion.
Lorsque le rideau tombe, il comprend qu'il n'a rien vcu, et qu'il est rest dans son immuabilit spectatrice.
285
Si je fais cela, quoi bon continuer travailler, nourrir mes enfants, payer des impts ?
Puisque, en ralit, il s'agit du rve du travail, du rve des enfants et du rve des impts ?
C'est vrai, lorsque la prise de conscience du dtachement descend sur vous, rien ne vous oblige continuer.
Et, si vous le faites, qu'importe ce que dans le rve diront ou feront les autres.
Il n'est pas obligatoire, car, si vous partez sur la route, le rve continu, au mme titre que si vous restiez chez vous. Sur les routes, certains lments du rve seront diffrents.
Mais, si vous allez vivre dans la foret amazonienne, le rve serait galement diffrent.
La Libration consiste rester parfaitement dtach, et ne plus vous laisser captiver par les lments du rve, quel qu'il soit.
Vous pouvez tre libr, en vivant sur les routes, ou bien en demeurant chez vous.
Le choix ce niveau est un lment secondaire, qui rsulte des prdispositions de l'homme.
Si celui-ci n'est pas fait pour rester dans une maison et avoir un travail rgulier.
Par contre, si les prdispositions et les devoirs humains insistent rester chez soi : il faut rester chez soi.
Il s'agit d'un problme contingent, qui ne vous concerne pas, et relve des caractristiques du vhicule humain que vous habitez.
Ce qu'il faut, que votre renoncement l'illusion du monde soit intrieur et extrieur, ou purement intrieur, c'est cultiver une suprme indiffrence.
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Soyez indiffrent dans vos relations. Aimez tout le monde, mais ne vous attachez personne.
Soyez indiffrent l'activit et l'inactivit. Pas d'attachement l'activit, pas d'attachement l'inactivit.
Que l'homme fasse ce que sa conscience morale et ses prdispositions, ainsi que l'inspiration lui dicte. Mais, ne vous attachez aucune des entreprises qu'il accomplit. Le succs ou l'chec ne sont que des scnarios diffrents du rve.
Les gens, les circonstances, et les vnements ne sont que les lments du rve. Rien n'a de ralit profonde.
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Brisez toutes vos affections, pour ne laisser subsister qu'un Amour impersonnel et gnralis, qui ne s'accroche aucun individu particulier.
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Et puis, vous finirez par raliser que ce dtachement, ce fier effort vers la Libert, tout ce que nous venons de dcrire, fait galement partie du rve.
Jamais vous n'tes devenu ignorant. Jamais vous ne vous tes libr.
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Quand, les mots et les penses sont devenus impuissants, jamais inexprimables, le Secret suprme de la Vrit est l.
Que devient la flamme sur laquelle on souffle ? N'y a-t-il pas un mystre dans sa disparition ?
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Seul celui qui est au-del des mots et des penses pourrait, s'il pouvait parler, dire le pourquoi des choses.
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INVITATION
Les personnes intresses par l'enseignement, dont le prsent ouvrage ne peut que donner un aperu incomplet, peuvent crire l'adresse indique ci-aprs pour recevoir la liste des ouvrages disponibles, et leurs conditions d'expditions. De mme toute personne dsireuse d'entreprendre sur elle-mme un travail intrieur srieux, et recevoir l'indispensable initiation Traditionnelle, peut crire la mme adresse. Signalons que cette initiation est dispense d'une manire entirement gratuite, la Connaissance tant un don Lumineux, et non une honteuse manire de faire de l'argent. Elle ne s'accompagne d'aucun embrigadement de type sectaire, chacun approfondissant son veil chez lui, et ne rencontrant qu'pisodiquement un initiateur ou une initiatrice. crivez : ERIC TOLONE 13 rue du Vieux Moulin 77220 GRETZ ARMAINVILLIERS
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LIMINAIRE ............................................................................................................... 3 APPROCHE DE LA RECHERCHE DE LEXPRIENCE INTRIEURE ............. 6 APPROCHE DE LA TRANQUILLIT DESPRIT ............................................... 10 APPROCHE DE LABSENCE DE HTE.............................................................. 13 APPROCHE DU SILENCE INTRIEUR............................................................... 18 APPROCHE DE LINTROSPECTION .................................................................. 21 APPROCHE DE LOBSERVATION DU CORPS ................................................. 25 APPROCHE DE LOBSERVATION DES SENTIMENTS ................................... 31 APPROCHE DE LOBSERVATION DES PENSES ........................................... 37 APPROCHE DU PERFECTIONNEMENT MORAL ............................................. 40 APPROCHE DU MOI PROFOND .......................................................................... 44 APPROCHE DE LINVESTIGATION MTAPHYSIQUE ................................... 47 APPROCHE DE LA DESIDENTIFICATION ........................................................ 55 APPROCHE DE LTAT DVEIL ....................................................................... 60 APPROCHE DE LILLUMINATION .................................................................... 63 APPROCHE DE LINSTANT PRSENT .............................................................. 65 APPROCHE DU DTACHEMENT ....................................................................... 69 APPROCHE DU RIRE ............................................................................................ 73 APPROCHE DE LIMPERMANENCE .................................................................. 78 APPROCHE DE LINEXISTENCE DE LEGO .................................................... 82 APPROCHE DE LA PRSENCE INDPENDANTE ........................................... 86 APPROCHE DU COMPORTEMENT .................................................................... 89 APPROCHE DE LA CONSCIENCE INTENSE .................................................... 97 APPROCHE DE LA VIGILANCE........................................................................ 106 APPROCHE DU PASSE ....................................................................................... 124 APPROCHE DE LA SOLITUDE .......................................................................... 137 APPROCHE DE LAPERCEPTION ONTOLOGIQUE ....................................... 142 APPROCHE DU SENTIMENT DEXISTENCE ................................................. 147 APPROCHE DE LTRE PUR ............................................................................. 152 APPROCHE DE NOTRE IDENTIT ................................................................... 156 APPROCHE DE CELUI QUI PEROIT .............................................................. 162 APPROCHE DE LA CONSCIENCE DE SOI ...................................................... 171 APPROCHE DU DPASSEMENT DE LA PENSE .......................................... 175 APPROCHE DES CHANGEMENTS DE NIVEAUX DE CONSCIENCE ......... 178 APPROCHE DE LA PROGRESSION INTRIEURE ......................................... 180 APPROCHE DE LA VOCATION ........................................................................ 187 APPROCHE DE L'PANOUISSEMENT DE LA PERSONNALIT HUMAINE ................................................................................................................................ 194
295 APPROCHE DE L'ATTITUDE SOCIALE ........................................................... 200 APPROCHE DU REVE PHENOMENAL ............................................................ 203 APPROCHE DE L'IMMUABLE ........................................................................... 207 APPROCHE DU SOI ............................................................................................. 212 APPROCHE DE L'OUVERTURE EXISTENTIELLE ......................................... 216 APPROCHE DE L'EUPHORIE EXISTANTIELLE ............................................. 218 APPROCHE DE L'OUVERTURE VIS VIS DAUTRUI ................................. 220 APPROCHE DE L'INTERROGATION FONDAMENTALE .............................. 223 APPROCHE DE LA CONTEMPLATION DE LA NATURE ............................. 227 APPROCHE DE LA MULTIPLICIT DES RLES ........................................... 232 APPROCHE DE LA DLIVRANCE .................................................................... 235 APROCHE DE LA FIN DE LA RECHERCHE.................................................... 243 APPROCHE DE LA LIBERT ............................................................................. 252 APPROCHE DE LA RALISATION IMMDIATE ........................................... 257 APPROCHE DU DPASSEMENT DE LA SPIRITUALIT .............................. 262 APPROCHE DE LA RUPTURE DES LIENS ...................................................... 268 INVITATION ......................................................................................................... 293