Les Ghettos Du Gotha Monique Et Michel Pinçon-Charlot
Les Ghettos Du Gotha Monique Et Michel Pinçon-Charlot
Les Ghettos Du Gotha Monique Et Michel Pinçon-Charlot
L agrgation des semblables La violence spatiale L entre de service L amende plutt que des HLM Priphrique des riches, priphrique des pauvres Reconnatre son semblable Les rallyes, un apprentissage collectif La cooptation 2 - Lieux et liens du pouvoir Les relations une richesse dcisive Une soire historique au Nouveau Cercle de l Union Les cercles rencontres au sommet Des portefeuilles de relations Un G8 patrimonial le capital social en acte Les membres du G8 Une mobilisation efcace 3 - La puissance des puissants sur la ville Neuilly dfend Neuilly Prmices d une grande opration d urbanisme De 750 illions un milliard d euros Politique de l axe De l usage des lois Le fonds de solidarit de l le-de-France Les bureaux et les recettes scales l ouest Le droit au logement opposable 4 - Concurrences pour l espace Le chteau et le village Compromis Tensions Conit Soigner ses alentours Remodeler le paysage Le chteau abrite l glise et la mairie Le golf, le parc Astrix et les pistes d essai Les hauts et les bas des Champs-lyses Un bois de Boulogne sans concessions Du Racing Club au groupe Lagardre Le Cercle du Bois de Boulogne 5 - Le monde est mon jardin La mondialisation, une vieille tradition Des affaires sur tous les continents Le got de l aventure
L argent nomade les sans domiciles scaux passent la frontire Des travailleurs frontaliers Un exil qui ne va pas de soi Concurrence entre les paradis scaux 6 - Des intrts convergents entre familles et pouvoirs publics L entre-soi balnaire et le Conservatoire du littoral Une grande proprit en Bretagne sud Le point de vue de la famille Le point de vue du Conservatoire Le point de vue des sociologues Faire de ncessit vertu Les Parcs de Saint-Tropez Les chteaux ouverts au public L intervention du Conservatoire du littoral Une donation originale Keremma Les concessions prives dans le bois de Boulogne Un parc naturel protger les espaces protgs Le G8 concertation entre associations et ministre 7 - Le collectivisme pratique Les lotissements chics Des cahiers des charges contraignants Un collectivisme familial Keremma L Institut de France, gestionnaire des proprits sans hritiers Les ventes aux enchres dispersion et recomposition des patrimoines La direction de Christie s France Les commissaires-priseurs et leurs clients La vente d une collection Neuilly, un urbanisme chic, gr solidairement 8 - La mobilisation permanente Au cur des rseaux les cercles Unit et diversit Le prot de l appartenance un club est usage interne La coopration entre les cercles L Internationale des clubs Des militants spcialiss SOS Paris Le Comit Vendme La Sauvegarde de l Art Franais Rseaux nationaux et internationaux La passion du militant Conclusion
ANNEXE - Retours sur l enqute Le rapport des sociologues leur objet La rception de nos travaux par les enquts Des repres brouills Le poids des origines Du livre au lm REMERCIEMENTS Bibliographie
LE PLICAN Le capitaine Jonathan tant g de dix-huit ans Capture un jour un plican Dans une le d Extrme-Orient. Le plican de Jonathan, Au matin, pond un uf tout blanc Et il en sort un plican Lui ressemblant tonnamment. Et ce deuxime plican Pond son tour un uf tout blanc D o sort, invitablement Un autre qui en fait autant. Cela peut durer pendant trs longtemps Si l on ne fait pas d omelette avant. Robert Desnos
L Almanach de Gotha
Annuaire gnalogique des maisons souveraines, seigneuriales et princires, L Almanach de Gotha a t publi de 1763 1944 en Allemagne orientale, dans la ville ponyme. Le Gotha, c est aujourd hui la haute socit, les familles de l aristocratie et de la grande bourgeoisie.
gens de pouvoir, se dessinent les limites d un parc naturel rgional en fonction des proprits qui comptent, ou les mesures de revalorisation des Champs-lyses favorables aux intrts immobiliers mis en pril par le clin de l avenue. Le militantisme mondain s ancre dans des lieux ferms. Il relve de la gestion des relations sociales. Le militant ordinaire est, lui, encart, payant sa cotisation au parti ou l association o il s est engag. C est le cas, parfois, des militants de la bonne socit. Mais plus que la carte, ce sont des signes de reconnaissance subtils qui sont pertinents la cravate aux couleurs du club, la notice personnelle dans le Bottin Mondain. Dans cette publication, les cercles dont on fait partie apparaissent immdiatement aprs le nom et le prnom, lments de l identit, avant le nom de jeune lle de l pouse ou l adresse. Les cercles, qui peuvent paratre anodins, sont en ralit des lieux de concentration du pouvoir. S y retrouvent des hommes et des femmes qui occupent des positions dominantes dans les diffrents univers de l activit sociale. Ce qui est bien utile pour exercer son emprise sur les beaux espaces. Connatre des personnes minentes dans les affaires, mais aussi dans l urbanisme et divers secteurs administratifs, dans les arts et les lettres, et dans la politique, permet d exercer un contrle sur l amnagement du territoire, les tablissements scolaires, les lieux de spectacle et de rsidence. Le Jockey Club, le Cercle de l Union Interallie ou l Automobile-Club de France transforment des relations institutionnelles en relations interpersonnelles qui permettent de faire circuler de l information et de prendre des dcisions au plus haut niveau entre les lites. Cette connivence de fait, amnage dans des organisations ad hoc, ne signie pas pour autant que le milieu grandbourgeois fonctionne sur le modle du complot. Si la RN 13 doit tre couverte un jour Neuilly, ce n est pas la suite de sombres tractations et de manipulations, mais en raison d une solidarit qui est consubstantielle la grande bourgeoisie. Cette socit au sommet de la socit cultive un collectivisme pratique qui induit des changes de bons procds dans toutes les directions. La structure n est pas celle du don et du contre-don entre des individus, mais la production de services et de coups de main qui ne font pas forcment l objet d un rendu, mme diffr. C est au groupe des grandes familles que l on apporte son aide. La gratuit du geste n est qu apparente elle est le prix payer pour signer l appartenance au groupe. Cette courtoisie de tous les instants, chacun tant toujours prt aider son semblable, est bien plus efcace que la rciprocit immdiate puisque la position sociale de chacun dpend de celle du groupe. En aidant son maintien au sommet chacun participe la prennit de tous, et donc de soi-mme. Les lieux du pouvoir sont multiples. Il y a les espaces vous son exercice les assembles d lus, du niveau national au niveau communal, les ministres, les siges sociaux des entreprises. Dans d autres institutions, la grande bourgeoisie peut, guichets ferms, laborer ses stratgies, prendre des dcisions, monter les combinaisons qui lui permettront d atteindre ses objectifs. Ces lieux, o se concentrent les pouvoirs des lites, sont polyvalents, comme les cercles, ou spcialiss, comme les associations de dfense du patrimoine. La Demeure Historique oriente son action vers les chteaux habits par leurs propritaires. Le Comit Vendme se proccupe des amnagements de la place, occupe par des joailliers de rputation internationale. L Association pour le Rayonnement de l Opra de Paris assure la prennit d une musique trs lie en France la grande bourgeoisie. Le Golf de Morfontaine allie la pratique d un sport la vie de cercle. La Maison de la Chasse et de la Nature, la fois muse et club chic, est un lieu de rencontre entre chasseurs. La grande bourgeoisie s investit aussi dans des associations l ventail social beaucoup plus large o elle est trs prsente dans les instances de direction. SOS Paris dfend les qualits urbaines de la capitale. La Sauvegarde de l Art Franais se consacre la restauration du gros uvre d di ces religieux construits avant 1800. La Ligue Urbaine et Rurale (LUR) uvre our la dfense du patrimoine naturel et construit et la promotion d un urbanisme contemporain . Les amateurs de jardins font revivre les crations de Le Ntre. La Socit pour la Protection des Paysages et de l Esthtique de la France (SPPEPF) dfend la beaut des sites. Ce panorama des formes d intervention de la bourgeoisie sur les beaux espaces devrait galement inclure la fort et le vignoble. La spcialisation des engagements associatifs va de pair avec une concertation permanente et des structures de coordination. Les prsidents de cercle se runissent une fois par an et leurs directeurs se concertent chaque mois. ans qu il y ait du tout le souci de vouloir crer une classe unique, il s agit plutt d changer sur des questions pratiques, concernant la gestion du quotidien, du personnel , nous a dit l un d eux, prcisant qu une revue, Cercles et Clubs, sert de lien entre les diffrents cercles. Le numro 2, paru au cours de l hiver 2006, relate un voyage Stockholm des membres du Maxim s Business Club, mentionne les concerts et les confrences du Cercle France-Amriques, un concours de voitures anciennes au Polo de Paris, install dans le bois de Boulogne. Une cinquantaine de membres du Nouveau Cercle de l Union se sont retrouvs place de la Concorde le 15 ai 2006 pour une confrence donne in situ par M. tienne Poncelet, architecte en chef et inspecteur gnral des monuments historiques, qui l on doit la restauration du pyramidion dor situ au sommet de l oblisque, ainsi que la rfection des deux fontaines de Hittorff. Les liens entre les membres du Nouveau Cercle de l Union et le reprsentant de l administration du patrimoine se sont donc resserrs cette occasion, d autant que la visite s est conclue par celle des deux cryptes qui, depuis Louis-Philippe, permettent d assurer la mise en eau de ces fontaines. La place de la Concorde cristallisait ce jour-l l interaction dynamique entre un espace li au pouvoir, des membres d un cercle inuent et un reprsentant de l tat, qui appartient par ailleurs l Association des Chevaliers Ponticaux, recense par le Bottin Mondain. La revue Cercles et Clubs est donc un lieu d changes de ces institutions plus complmentaires que concurrentes. Leurs membres sont d ailleurs souvent dans plusieurs clubs la fois. Les associations de dfense ddies au patrimoine se retrouvent dans une structure similaire, baptise avec un certain humour G8. L objectif est de coordonner les actions et les interventions auprs des ministres de huit associations reconnues d utilit publique. Le militantisme grand-bourgeois est ancien. Ds le XIXe icle, les rglementations de protection du patrimoine historique se mettent en place. Les chteaux et les htels particuliers des grandes familles seront ainsi protgs. La loi sur les associations de 1901 est utilise pour donner un statut aux clubs crs la n du sicle prcdent et pour organiser les nombreuses socits informelles de dfense des lieux de vie de la haute socit. Ce militantisme sera aliment par la sociabilit qui permet de recruter au cours des dners ou dans les cercles. Malgr leur relative discrtion, ces associations se rvlent d une grande efcacit. Il est vrai que les membres sont, comme dans les cercles, des personnalits d in uence par les positions occupes dans les affaires et la politique. En retour, dans la logique du cumul qui est celle de ce milieu, le militantisme renforce l entre-soi et l esprit de classe des grandes familles. Cette mobilisation est une expression du pouvoir sur l espace que ce groupe social entend exercer pour protger son environnement. C est aussi une des manifestations de son rapport au temps, l encore plus matris que dans d autres milieux. La protection des lments du patrimoine, qu ils soient privs ou publics, est toujours aussi une protection de la mmoire et de l inscription de ces familles dans la longue dure. Provenant des gnrations antrieures, les monuments, les htels particuliers et les chteaux, les forts, les parcs et les jardins doivent tre transmis aux gnrations futures pour qu ils facilitent, grce leur valeur symbolique, le maintien dans les positions dominantes. Le militantisme bourgeois vise la dfense du cumul des diffrentes formes de richesse, conomique, culturelle, sociale et symbolique dont le patrimoine des dynasties nobles et bourgeoises, inscrit dans la longue dure, est une expression qui semble der le temps. Le contraste est grand entre le discours de ces familles sur des sujets conomiques et politiques, qui prnent la exibilit du travail et la mobilit des salaris, et leurs propres pratiques qui visent au contraire la multiplication des enracinements et la continuit travers les gnrations. La reproduction des rapports sociaux de domination entrane ainsi d tranges contradictions entre les paroles et les actes.
L agrgation des semblables La sgrgation urbaine est toujours aussi une agrgation. Cela est particulirement vrai pour les grands bourgeois qui paient les prix les plus levs du march et peuvent donc habiter o bon leur semble. Pour mesurer ce phnomne nous avons utilis les annuaires des grands cercles parisiens. Le graphique montre la distribution en 2007 des domiciles des membres du Cercle du Bois de Boulogne qui rsident en le-de-France 33 habitent dans le 16 e rrondissement. Les 17 e, 7 e, 8 e et 15 e en regroupent 27,3 et la ville de Neuilly 17,4 . Cinq arrondissements et Neuilly abritent donc 77 des membres de ce cercle. En banlieue, les villes de l ouest dominent Boulogne, Courbevoie, Levallois, Meudon, Puteaux, Rueil, Saint-Cloud, Suresnes, toutes communes situes dans les Hauts-de-Seine. Il est remarquable que ce soit pour le groupe sur lequel les contraintes conomiques sont les moins contraignantes que l on constate ce choix aussi manifeste de vivre ensemble. S il y a ghetto, c est donc sur un mode volontaire et matris. La spcicit rsidentielle de la grande bourgeoisie apparat clairement lorsque l on compare la localisation des domiciles des membres du Cercle du Bois de Boulogne celle des cadres suprieurs. Ceux-ci sont 60 habiter en banlieue, hors Neuilly. Les 40 restants se distribuent entre les diffrents arrondissements de Paris et cette ville. Hormis le poids de la banlieue, aucune prpondrance signi cative ne se dgage.
L espace n est pas seulement gnreux, il est aussi contrl. Les familles sont slectionnes par l argent, selon la logique du march. Pas de pauvres venant gcher le paysage. Mais parfois quelques nouveaux riches encore mal dgrossis. Qu cela ne tienne la sgrgation spatiale, qui est donc ici une agrgation des semblables, est conforte par la cration de lieux prservs au sein de ces espaces dj privilgis. Les cercles gurent parmi ces endroits hyper slectifs. Les villes balnaires, comme Marbella en Espagne, ou les stations de sports d hiver, telle Gstaad en Suisse, sont aussi le produit de la richesse conjugue avec la conscience d appartenir une lite, soucieuse de grer ses marges et son environnement. Les beaux quartiers sont le rsultat de cette recherche effrne de l entre-soi. Le contrle de l espace par la grande bourgeoisie va jusqu l appropriation prive d espaces publics. Des conventions accordent la jouissance d hectares du bois de Boulogne plusieurs clubs, dont un cercle qui en porte le nom et le Polo de Paris, deux institutions qui comptent parmi les plus huppes. En voyage, les privilgis de la fortune ne se mlent au commun que lorsque bon leur semble. La Mamounia, Marrakech, est un palace de renomme internationale qui permet au voyageur, dans ce pays o la misre est omniprsente, de retrouver ses semblables dans un cadre luxueux. Les palaces, travers le monde, offrent un accueil sans surprise parce que trs attentif une clientle qui trouve, dans cette forme personnalise d hbergement, une rafrmation de son importance. Les personnels de ces tablissements tiennent jour le cardex des clients, vritable chier de leurs gots. Monsieur trouvera sur la table de la chambre son champagne prfr et Madame des eurs assorties la couleur de ses yeux. Il existe des cercles dans presque tous les pays. Ils entretiennent entre eux des relations qui permettent aux membres e du Jockey Club de la rue Rabelais, deux pas de l lyse, d tre reus au Knickerbockers, l angle de la 62 ue et de la Cinquime Avenue de New York. Et donc de retrouver leurs pairs dans toute grande ville o ils se rendent, les conventions entre ces cercles tant multiples plus d une centaine pour le Cercle de l Union Interallie. Beaux quartiers, lieux de villgiature, vie de cercle, palaces, tout cela a un prix. Sans fortune ces lieux sont inaccessibles. Mais la richesse elle-mme ne suft pas. Il faut encore tre coopt dans les clubs, reu dans les soires. Cet entre-soi assure le plaisir d tre en compagnie de ses semblables, de partager le quotidien et l exceptionnel, l abri des remises en cause que peuvent gnrer les promiscuits gnantes. Il n est gure que les classes moyennes intellectuelles pour esquisser une relle volont de mixit sociale dans le lieu de rsidence, encore que les pratiques scolaires et l in ni bonheur des rencontres entre soi, par exemple l occasion d un colloque, relativisent cette propension afche mais souvent dmentie. Toutefois seule la grande bourgeoisie peut contrler de manire efcace l environnement social de ses lieux de vie. L entre-soi permet d exprimer les gots et d adopter les manires et les comportements les plus profondment intrioriss, ce qui n est gure possible dans les situations de mixit. Celles-ci mettent en vidence les ingalits et le jeu social impose de les dnier pour viter les tensions. Il faut donc les viter jusque dans la mort. e me souviens, raconte le comte d Estbe, d une vieille parente qui tait malade chez une cousine, dans un appartement trs confortable. Alors qu elle avait mme reu l extrme-onction, elle a tenu rentrer chez elle. Non, a-t-elle dit, je veux rentrer chez moi, je ne veux pas mourir dans un immeuble de rapport. Je veux mourir dans mon htel [particulier].
La violence spatiale L entre-soi grand-bourgeois est dcisif pour la reproduction des positions dominantes, d une gnration l autre, parce qu il est un ducateur efcace. Il incite viter les msalliances et permet de cultiver et d enrichir les relations hrites. En outre, on est plus riche parmi les riches le cumul des richesses, travers la mise en commun des valeurs d usage dont chacun dispose, est favoris par la proximit dans l espace. Habiter les beaux quartiers, c est la fois jouir de l ensemble des richesses ainsi regroupes et bncier de la valorisation, matrielle et symbolique, de son propre domicile par la proximit de tous les autres. Il suft de se promener avenue Henri-Martin dans le 16 e rrondissement, Neuilly, ou au sinet, pour percevoir l effet produit par la prsence simultane dans un espace restreint de demeures exceptionnelles. Les privilgis de la fortune recherchent de manire systmatique la compagnie de leurs semblables. Ils agissent de faon prserver leur environnement social avec un tel pragmatisme, vcu comme allant de soi, que leur apartheid invers fait oublier aux habitants de Neuilly qu ils vivent en anlieue , dans un hetto (pour riches) et un intense ommunautarisme (entre gens de mme naissance), toutes expressions qui renvoient instantanment dans le 9-3, SaintDenis, Aubervilliers ou Clichy-sous-Bois. L entre de service Qui n a t oblig de l emprunter ne peut prendre conscience de l humiliation que peut reprsenter l entre de service. Le portail en fer forg de l avenue du Commandant-Charcot, Neuilly, ouvrant sur une alle eurie qui donne accs un grand hall avec plantes vertes et profonds tapis, o l on peut vrier dans un immense miroir que l on est, de pied en cap, prsentable malgr l averse, n est pas pour le personnel de service. L entre pour les domestiques, qu il est plus convenable d appeler gens de maison, pour les artisans et les fournisseurs, c est sur le ct. Comme un mal invitable. Libert, galit, fraternit. Mais chacun sa place. L entre de service est l inscription cynique de l ingalit. Elle est une forme architecturale spcique aux immeubles bourgeois, dont les habitants lgitimes semblent ainsi proclamer leur regret de ne pouvoir pousser son terme la purication sociale.
L amende plutt que des HLM La loi SRU (solidarit et renouvellement urbain), du 13 cembre 2000, oblige, selon son article 5, les communes, d une certaine taille, disposer d un parc de logements sociaux reprsentant au moins 20 de leurs rsidences. Cette loi a t labore par Jean-Claude Gayssot, alors ministre communiste de l quipement, des Transports et du Logement dans le gouvernement de Lionel Jospin, partir de la loi Besson, ou LOF (loi d orientation foncire), de 1991, du nom de Louis Besson, dput-maire PS de Chambry. La commune de Saint-Maur, prs du bois de Vincennes, dans le Val-de-Marne, a pay une amende de un million et demi d euros pour n avoir que 5,3 de logements sociaux. Neuilly, la commune la plus huppe de l ouest parisien, dont Nicolas Sarkozy fut le maire de 1983 2002, se distingue encore plus avec un taux de 2,6 , l un des plus faibles observs. Avec 60 00 habitants, cette ville est en tte du palmars des rcalcitrants la mixit sociale. Alors que Nanterre, sa voisine dans les Hauts-de-Seine, compte 54 d HLM. En 2004, le budget municipal de Neuilly a d acquitter 800 00 de pnalits, au titre de la loi SRU. Mais depuis, selon Bernard Aim, le directeur de l urbanisme, la municipalit ayant manifest sa bonne volont par des investissements importants en faveur du logement social, de l ordre de 3 illions d euros par an, le prfet a lev la sanction nancire compte tenu du niveau d effort consenti. e qui nous inquite aujourd hui, ont dclar les conseillers municipaux de la gauche plurielle, c est que la ville de Neuilly a t exonre de taxe alors que le prfet a reconnu l tat de carence. ce jour, la ville acquiert des terrains et des logements dans le seul but de ne pas payer la taxe. Ce message a t lu devant la mairie de Neuilly, l occasion de la manifestation du 24 ars 2007 rclamant es logements pour tous . Sur les 29 33 rsidences principales recenses Neuilly au 1er anvier 2006, il n y avait que 937 logements sociaux, contre 391 en 2001. Mais il en
faudrait 5 00 pour atteindre le seuil des 20 . En outre, sous le label ogement social , on trouve toute une varit de catgories de nancements et donc de loyers, avec des variations dans les niveaux de prestations. Deux grands groupes peuvent tre distingus. D une part, les HLM, PCL, PLAI et PLUS, qui regroupent les logements les plus modestes et, d autre part, les PLI, ILN et PLS, dits logements intermdiaires. L Opac (Ofce public d amnagement et de construction) de la Ville de Paris indique sur son site (opacparis.fr) un loyer mensuel moyen, pour un logement de quatre pices, de 340 , pour le premier groupe, et de 696 pour le second du simple au double. Pour les HLM, le plafond de ressources annuel (revenu imposable) applicable est de 43 87 pour quatre personnes, alors qu il est de 56 53 dans les PLS, soit une diffrence de 30 . Des villes comme Neuilly, mises dans l obligation de rattraper leur retard, ne s y trompent pas et donnent la priorit aux appartements de la catgorie intermdiaire 1. Dans le dpartement des Hauts-de-Seine, 2 90 logements sociaux ont t construits en 2006, dont 9 seulement ont t nancs en PLAI, mais 49 en PLUS et surtout 42 en PLS. Ces 1 80 PLS ne vont que renforcer la sgrgation socio-spatiale puisqu ils entrent dans les quotas de 20 , alors qu ils excluent les plus pauvres. De cette manire, la modestie de la position dans la socit se trouve amplie par son redoublement pratique et symbolique dans l espace. Les lus communistes des Hauts-de-Seine demandent que les logements PLS ne soient pas comptabiliss dans le quota des 20 . En 2006, dans les Hauts-de-Seine, Chtenay-Malabry, Le Plessis-Robinson, Issy-les-Moulineaux, Meudon, Garches, Montrouge n ont construit que des PLS. Dpartement populaire et trs bourgeois la fois, les Hauts-de-Seine sont riches en raison de la prsence de nombre d entreprises du secteur tertiaire et de siges sociaux sur leur territoire. Le budget du dpartement prvoyait, par exemple, pour 2007, 440 illions d euros de droits de mutation, pour peine 170 illions d euros dans le Val-de-Marne. Mais les Hautsde-Seine comptent aussi quelques communes qui, comme Nanterre ou Gennevilliers, encore industrielles, ont une population modeste importante. Gennevilliers, qui a le revenu mdian par unit de consommation le plus faible (11 58 ), dtient un record en pourcentage de logements sociaux (63,5 ) et offre un prix au mtre carr digne d une zone rurale en dshrence (2 61 ). Neuilly-sur-Seine, avec un revenu mdian de 36 24 , n a que 2,6 de logements sociaux et le prix du mtre carr est au-dessus de 6 00 . Ce sont les communes des Hauts-de-Seine dont les habitants ont les revenus les plus faibles qui font les plus gros efforts pour loger ces mnages. Parmi les 36 communes des Hauts-de-Seine, 16 se situent au-dessous du seuil de 20 de logements sociaux. Elles sont toutes diriges par des maires de droite et ont donn une confortable majorit Nicolas Sarkozy au second tour de l lection prsidentielle de 2007.
Les communes les plus pauvres concentrent les problmes sociaux et donc les contraintes affrentes sur les budgets communaux. C est aux pauvres de nancer l aide sociale, en l absence d une vritable prquation des ressources. Or les tentatives pour mieux rpartir les recettes scales entre les communes ont un succs trs limit et les villes riches ne semblent pas disposes redistribuer le pactole dont elles disposent. Quant aux subsides du dpartement, selon Michel Laubier, conseiller gnral communiste des Hauts-de-Seine, es critres d attribution des subventions ne tiennent pas compte des niveaux de revenus des habitants . Le conseil gnral est par contre gnreux avec la population aise du dpartement il aurait consacr 200 illions d euros au ple Lonard-de-Vinci, premire universit tre nance par un dpartement. Elle a t cre en 1995, l initiative de Charles Pasqua, alors prsident du conseil gnral. Installe sur le site de la Dfense, cette structure d enseignement suprieur comprend une cole de management, une cole suprieure d ingnieurs et un institut international du multimdia. Les frais de scolarit pour 2007-2008 taient de 6 00 par an pour l cole de management, au tarif plein. Le nancement de cette universit est peu visible dans les documents ofciels. l occasion du dbat du conseil gnral sur les orientations budgtaires pour 2007, Michel Laubier s est plaint de ne pas retrouver la trace du ple Lonardde-Vinci, omme c tait dj le cas l anne dernire. Comme si vous cherchiez par tous les moyens le dissimuler, et surtout dissimuler les moyens considrables que le conseil gnral s entte lui accorder . Les communes ayant moins de 20 de logements sociaux sont en gras. Elles sont classes en fonction de ce taux, par ordre croissant. Le revenu mdian la moiti de la population considre gagne plus et l autre moiti gagne moins. L unit de consommation est un systme de pondration attribuant un coefcient chaque membre du mnage 1 pour le premier adulte, 0,5 pour les personnes de plus de 14 ns, 0,3 pour celles de moins de 14 ns. Ce systme permet de comparer les niveaux de vie de mnages de tailles et de compositions diffrentes. Le revenu mdian par unit de consommation tait en moyenne pour les Hauts-de-Seine de 21 77 , contre 18 01 pour la rgion le-de-France et 18 49 pour la France mtropolitaine.
L article 5 de la loi SRU condamne donc les communes riches et constitue en dlit, passible d une amende, l insuf sance de logements pour les plus dmunis. Les villes pratiquant l apartheid social sont mises hors la loi. La construction de logements sociaux devient un devoir de solidarit nationale avec une contribution minimale de toutes les communes. as besoin, crit Edmond Prteceille, d tre activement raciste anti-pauvre ou raciste tout court pour viter la prsence des classes populaires, la logique du march y suft, il faut seulement prendre garde empcher les dcisions politiques qui pourraient conduire l implantation de logements sociaux 2. On comprend que les dputs UMP aient tent plusieurs reprises de vider la loi de son contenu en loignant le spectre de la mixit sociale tout en neutralisant la condamnation politico-morale contenue dans ce texte lgislatif. En 2006, Patrick Ollier, dput UMP des Hauts-de-Seine, avait tent sa chance au cours de la discussion sur le projet de loi ngagement national pour le logement en essayant de faire adopter un amendement qui ferait prendre en compte les logements aids en accession dans le total des logements sociaux. chec. Le 20 vrier 2007, Yves Jego, dput UMP de Seine-et-Marne, reprend le combat et dpose un amendement, dans le cadre du projet de loi instituant un droit au logement opposable, qui demandait que les programmes d accession sociale la proprit soient inclus dans les 20 de logements sociaux par la loi SRU. Bernard Devert, prsident d Habitat et Humanisme, s est dclar choqu par cette nouvelle initiative. uand plus de trois millions de personnes recherchent un logement dcent, qui peut penser que l accession la proprit leur est possible demande-t-il dans Le Monde. Finalement la loi a t adopte sans que cet amendement ait t discut. En intgrant les logements en accession, les communes bourgeoises se rservent la possibilit de drainer les bons pauvres, ceux qui posent le moins de problmes d insertion. Si cette disposition avait t retenue, elle aurait renforc une sgrgation qui existe dj au sein du parc social les logements HLM les plus rcents, les mieux quips, dont la localisation est la plus attrayante, sont aussi habits par les mnages les moins dpourvus3. Le processus de sgrgation et d vitement des dissemblables est sans n. Mais il ne s effectue pas partout dans les mmes conditions. Volontiers dnonc et stigmatis lorsqu une commune populaire dplore la concentration de mnages en difcult sur son territoire, il passe inaperu dans les villes bourgeoises qui peuvent faire ce qu il faut en toute discrtion pour rester entre riches, puisqu il suft pour cela de laisser libre cours la loi spculative du march.
Priphrique des riches, priphrique des pauvres Le boulevard priphrique, autoroute urbaine entourant Paris, constitue une barrire visuelle, sonore et matrielle qui conforte l opposition entre Paris et sa banlieue. Sur ses 35,5 kilomtres, construits entre 956 et 973, circulent chaque jour plus de un million de vhicules. Mais selon que l on est riche ou pauvre le priphrique change de physionomie. Au nord et l est, il a un air rbarbatif au point que l on cherche avant tout le fuir. Il tranche vif dans le tissu urbain, ayant repris le trac des fortications leves dans les annes 1840. Bruyant, malodorant, obstacle infranchissable, sinon par les passages peu engageants des anciennes portes de la ville, datant de l poque o elle tait enferme dans ses remparts, il vient parachever l accumulation de cits d HBM ou d HLM, de stades, de gymnases, de casernes, de lyces, d entrepts de la voirie parisienne, de dchetteries, de parkings de la fourrire, qui, tablis l emplacement des bastions et des murailles militaires, continuent de marquer la sparation de la capitale d avec son pays. Paris et sa banlieue se tournent le dos, s ignorant l o elles sont en contact apparent il ne viendrait pas l ide d un Parisien de franchir pied ce monstre urbain et l on ne voit gure de banlieusard se risquer traverser les sinistres changeurs pour rejoindre la ville lumire aux abords si rpulsifs. La volont de bien dlimiter la frontire entre Paris et la banlieue est souligne dans le cadre des rexions sur la conception du priphrique par l inspecteur gnral, chef des services techniques de topographie et d urbanisme. aris, crivait-il, doit tre dnie d une manire lgante et prcise, an que les trangers, abordant l le-de-France, puissent dire, voici Paris, sans la confondre avec Levallois, Aubervilliers, Pantin, Vitry ou Malakoff4. Ne sont nommes que des communes toutes populaires l poque. Mais, l ouest, partir de la porte d Asnires, le paysage change. Apais, en tranche, enterr, le priphrique se fait discret. On le traverse sans en prendre conscience. e deuxime maillon du priphrique, au droit du bois de Boulogne est trait en 1970 avec beaucoup d gards pour ne pas trop altrer l agrment du bois et mnager le confort des riverains, tout en vitant l hippodrome d Auteuil. Le ruban aux couleurs de la capitale est coup le 25 vril 1973 hauteur de la porte Dauphine par Nicole de Hauteclocque, prsidente du conseil de Paris5. Les dbats ont t ardents pour mnager le confort des Neuillens. Ainsi entre Bernard Lafay, conseiller municipal du 17e rrondissement, et Achille Peretti, maire de Neuilly. Le premier dfendait un parcours du boulevard priphrique qui lui aurait fait longer la Seine Neuilly o il aurait emprunt le boulevard Knig. Achille Peretti tait en opposition totale avec un trac ui mettait en danger les quartiers rsidentiels de sa localit ( Paris-Presse, 11 ars 1965). Son idal, qui est devenu la ralit, tait de prserver la fois sa ville et le bois de Boulogne en ralisant le priphrique en souterrain. Le conseiller du 17 e n objectait le cot exorbitant en raison de la nature du sol, argileux et sablonneux dans la traverse du bois, et des frais de fonctionnement d une telle infrastructure qui doit tre gnreusement claire et ventile en permanence 6. C est pourtant la solution qui fut retenue, certainement la plus agrable pour tous les riverains potentiels de cette autoroute urbaine ce point de son parcours. L histoire se rpte l enfouissement de la RN 13 sera un autre gouffre nancier. Mais rien n est trop beau pour les beaux quartiers. Le boulevard priphrique est exemplaire de l hypocrisie de l galitarisme rpublicain. Le discours et les premires impressions plaident pour une autoroute urbaine qui fait le tour de Paris dans la plus grande indiffrence quant aux quartiers traverss, ou plutt efeurs. Mais un examen plus attentif montre que ce boulevard arien disparat sous terre l ouest, passant en quelque sorte par la porte de service. Au nord et l est, il en prend son aise et permet de jeter un regard indiscret sur les immeubles qu il serre de prs. Alors, il ait ofce de rvlateur de l htrognit des amnagements raliss avant sa cration7 , sur l emplacement des anciennes fortications. HBM et HLM l est, lgants immeubles privs l ouest. ans la mesure o la cession des terrains destins aux HBM est xe au taux unique de 100 rancs au m 2, il tait tentant de les implanter sur les sites les plus dsavantags et de valeur marchande plus faible 8. Ce que les choix dans la conception du boulevard priphrique n ont fait que conforter. Aussi modeste que le mtro, lorsqu il n est pas arien, le priphrique assure donc en catimini et en sous-sol un trac intense. Et cette discrtion permet un face--face consensuel entre des voisins, Neuillens et Parisiens, qui se connaissent et s estiment, habitant un arrondissement chic et une banlieue attrayante. Les portes qui exigent de passer sous le priphrique et les implantations diverses qui dissuadent toute promenade l est deviennent plaisantes l ouest. La porte Maillot est devenue une vritable place avec en son centre un espace vert, accessible par des souterrains, qui offre toute quitude au promeneur. L expdition vaut la peine d tre tente rien voir avec la porte de la Chapelle, on est ici l air libre, la circulation passe en tranche et en souterrains. Le trac est d une intensit comparable celui de l changeur de la Chapelle il vient de l toile, ou de la Dfense, et le croisement entre cet axe et le boulevard priphrique ouest n a rien envier celui du priphrique et de l autoroute du Nord. Mais, dans le 16 e rrondissement, on a tout simplement escamot un changeur qui est plus vaste que la place de l toile. De cet espace vert, certes entour par le ronement des moteurs, la vue est imprenable sur l avenue de la Grande-Arme et l Arc de Triomphe sur sa butte. De l autre ct, le regard porte sans obstacle jusqu la Grande Arche, aprs avoir parcouru l axe central de Neuilly et s tre un peu attard sur la fort de tours qui montent la garde devant la Dfense. Un endroit d une ampleur rare qui fait prendre la mesure de la vision des urbanistes d autrefois qui n avaient aucune rticence devant la grandeur. Il est vrai qu ils taient au service du roi. La ville est un lieu de sdimentation, voire de fossilisation des ingalits, qui inscrit dans sa structure et ses paysages le produit des rapports sociaux auxquels elle sert de cadre et de miroir. Le pouvoir des classes dominantes est donc aussi un pouvoir sur l espace. Les enjeux en ce domaine sont vitaux il y va des conditions de vie et de la reproduction des positions sociales. La haute socit ne laisse rien au hasard et sa mobilisation de tous les instants et sur tous les fronts est l une des clefs de ses succs. La capacit se reconnatre, s apprcier comme appartenant au mme monde en est une autre. C est elle qui permet cette collusion qui n est pas dlibre parce qu elle va de soi. Toutes sortes de professions peuvent ainsi tre mobilises hauts fonctionnaires, avocats, scalistes, architectes, hommes d affaires uvrant dans l immobilier, hommes politiques, tout un monde ayant du pouvoir sur la ville, sur le patrimoine, sur les projets urbains et d amnagement. Cette proximit sociale et professionnelle permettant d in uer sur les prises de dcision suppose des trajectoires scolaires similaires l Institut d tudes politiques (IEP) de Paris et l cole nationale d administration (ENA) reviennent frquemment dans les biographies. On a ainsi tout naturellement une collusion de fait entre les lites. Celle-ci a pu tre observe dans la manire dont fut dcide la couverture du boulevard priphrique de Paris pour les seuls arrondissements de l ouest. Les dbats de l poque sont rvlateurs de cette recherche d une prservation systmatique des conditions de vie de ses semblables de la part des dcideurs proches ou appartenant cette haute socit. En principe la loi est la mme pour tous. Dans les pratiques de l amnagement urbain, il y a deux poids et deux mesures. La mobilisation des semblables pour des intrts communs est une des formes d existence de la classe. Il n y a pas besoin de longs conciliabules, de ngociations tendues. La cooptation de ses pairs dans les rallyes, les cercles, les conseils d administration est un processus fondamental du fonctionnement des classes suprieures. Il assure une adquation spontane des objectifs et des moyens de les atteindre. Encore est-il ncessaire, pour cela, de reconnatre immdiatement son semblable. 1. PLAI (prt locatif aid d intgration) es logements nancs par ces prts sont destins aux mnages qui cumulent difcults conomiques et difcults sociales (site Internet du Snat).
PLUS (prt locatif usage social) es logements construits ou acquis et rhabilits sont destins tre occups par des mnages dont les revenus ne dpassent pas des plafonds de ressources moduls selon le nombre de personnes composant le mnage et la zone d implantation du logement (site Internet du ministre de la Cohsion sociale). PLS (prt locatif social) es oprations nances par des PLS sont destines accueillir des mnages dont les ressources excdent celles requises pour accder aux logements nancs par les prts PLUS et qui rencontrent des difcults pour trouver un logement, notamment dans des zones de march tendu (site Internet du ministre de la Cohsion sociale). 2. Edmond Prteceille, a sgrgation sociale a-t-elle augment , Socits contemporaines, n 2, 2006, p. 5. 3. Voir Michel Pinon, Les HLM, structure sociale de la population loge, Paris, CSU, 1976, et Les Immigrs et les HLM, Paris, CSU, 1981. 4. Bertrand Lemoine, e fer et la route les infrastructures , dans Bertrand Lemoine (dir.), Paris en le-de-France, histoires communes, Paris, ditions du Pavillon de l Arsenal, 2006, p. 2. 5. Ibid., p. 4. 6. Quel sera le trac de la partie ouest du priphrique Les projets opposs de M. eretti et du docteur Lafay , Le District de Paris, n 1, juillet 965. 7. Jean-Louis Cohen et Andr Lortie, Des fortifs au prif. Paris, les seuils de la ville, Paris, Picard diteur/ditions du Pavillon de l Arsenal, 1992, p. 80. 8. Ibid., p. 49.
La cooptation Les rallyes et les cercles manifestent ces intentions stratgiques qui supposent un degr lev de conscience des ns atteindre ne retenir parmi la population des beaux quartiers que les jeunes ou les adultes dont la position soit conforte par la naissance, par l appartenance une famille au-dessus de tout soupon. Ces institutions, par la rigueur de leur processus de cooptation, viennent ainsi parachever le travail grossier, mais essentiel, de la sgrgation spatiale. Cette rigueur de l exclusion marque les limites de la courtoisie d un groupe social qui sait trs bien interdire et s interdire la frquentation de ceux qui, trop proches pour qu il n y ait pas risque de confusion, ne sont pas pour autant du mme monde. On a alors affaire une sorte de racisme mondain qui carte sans autre forme de procs ceux que quelque stigmate social marque inexorablement. Cette discrimination sans appel distingue les lus des rejets appartenir un rallye ou un club est, d une certaine manire, comme russir ou chouer au concours d entre d une grande cole, on en est ou on n en est pas. De tels processus de slection sont exceptionnels il n y a pas, notre connaissance, d autres groupes sociaux qui cooptent ainsi
leurs membres sur les seuls critres de la position occupe dans la socit. Cette cooptation est mise en uvre aussi dans le cadre de pratiques sportives. Ainsi les golfs de Morfontaine et de Chantilly, dans l Oise, fonctionnent sous la forme de clubs dont l entre est rserve aux membres coopts. Alors que le Golf de Chantilly fait patienter longuement les candidats ordinaires, pour le marquis Christian de Lupp et sa femme, propritaires du chteau de Beaurepaire situ non loin, il n a pas t question de la liste d attente. on pouse et moi, raconte avec satisfaction le marquis de Lupp, nous sommes rentrs tout de suite, et ce n est certainement pas pour nos qualits golques C est clair Les qualits sociales sont au cur des candidatures et de leur valuation par le comit ad hoc. Car l tiquette des golfs correspond l ducation reue par les membres. Sans cette osmose, la cooptation ne saurait marcher. n ne fait pas de bruit, vous ne vous nervez jamais, vous ne jetez pas votre club de golf parce que vous avez rat un coup. La scurit est d ailleurs ce prix car uelqu un qui reoit une balle dans la gure n a plus d il Si on arrache malencontreusement une motte d herbe, on la remet sa place . Les codes vestimentaires interdisent le Lewis, le tee-shirt et le tlphone portable au bnce de la chemise polo et du pantalon. Quant la casquette, elle n est pas accepte dans l enceinte du club house. De sorte que djeuner ensemble la table d hte n est que du bonheur. n dit bonjour, on se prsente car nous sommes nouveaux, et on parle, mais ni d affaires ni de politique, prcise Christian de Lupp. On se sent donc dans un espace part, au milieu des arbres, dans le calme absolu. La fortune, pour tre pleinement gote, a besoin de se retrancher, de se mettre l abri. Non qu elle soit menace l extrieur de ces places fortes. Mais les postures et l allure gnrale, la manire de se vtir, la gestuelle, la faon de se coiffer, trahissent les origines et les positions sociales. La srnit lgante des cercles et des terrains de golf procure un plaisir sans cesse renouvel, celui d tre avec ses semblables et de ne pas craindre leur regard. La cooptation, dans ces institutions, assure aux hautes classes un entre-soi absolu o peuvent se grer sans interfrences les conditions de la reproduction des positions sociales les plus leves. Les grandes familles n ont pas besoin de statisticiens ou de sociologues pour dnir les frontires de leur groupe. Elles font elles-mmes le travail par le biais de ce processus de cooptation dans les rallyes, les cercles et les conseils d administration. Et plus gnralement l occasion de toutes les formes de la sociabilit, dans le choix du quartier de rsidence, des tablissements scolaires et des lieux de vacances. Bref, une cooptation de tous les instants qui dnit les contours du groupe, contours uctuants en fonction des volutions sociales, conomiques et politiques, mais qui mobilise, dans le processus mme de la cooptation, le groupe en tant que classe sociale consciente de ses intrts. Pour que cette cooptation soit possible, la matrise de l identication de ses semblables est indispensable et les apprentissages les plus prcoces sont, en ce domaine, les plus ef caces.
Moisset, une Histoire du catholicisme parue aux ditions Flammarion en 2006, laurat du prix d histoire du NCU. Denis de Kergorlay introduit la crmonie par un discours son image la fois trs en phase avec son milieu, fortun et aristocratique, et ouvert sur le monde. Le Bottin Mondain 2006 fait tat de ses tudes l IEP, de son appartenance au Nouveau Cercle de l Union, aux Fils de la Rvolution Amricaine (SAR). Il est mari une avocate, Marie-Christine de Percin, qui a t auditrice l Institut des hautes tudes de dfense nationale. Membre du Polo de Paris, de la Maison de la Chasse et de la Nature et du Cercle Foch, elle a t dcore de la mdaille de la Dfense nationale. Denis de Kergorlay, propritaire du chteau de Canisy, habile et dtermin pour maintenir et faire vivre la demeure de ses anctres, est membre actif d associations de dfense du patrimoine, La Demeure Historique et Europa Nostra. Il est ouvert aux autres et pratique volontiers le dialogue social. Il fut, par exemple, trsorier de Mdecins sans frontires. Dans un milieu conservateur, attach ses privilges et ses valeurs, il en incarne l une des forces, celle de la conscience, ancre dans l exprience historique, de devoir changer et s adapter, meilleure faon pour faire que cela dure. La continuit dans le changement suppose des hommes et des femmes capables de jouer les intercesseurs entre ce qui peut ou doit tre maintenu en l tat et ce qui peut tre abandonn ou modi . La reproduction est ce prix, dans le changement permanent. L Histoire du catholicisme a sans doute t rcompense ce jour-l parce que le livre aborde cette question incontournable de la continuit dans le changement, sur deux mille ans. Dans son discours, Denis de Kergorlay affrontera l analyse de la dsaffection l gard du catholicisme. Une dsaffection qui est l aboutissement du processus millnaire de construction de cette religion et de son glise, dans un monde qui a chang plus vite qu elle n a pu le faire. Pour l orateur, l glise catholique s est trouve confronte trois ordres d mancipation. Dans l ordre intellectuel, la raison s est mancipe de la foi, et la pense rationnelle et scientique se trouve coupe de la croyance. L mancipation socitale, quant elle, met mal, depuis les annes 1950, la famille et sa stabilit. D autres conceptions de cette structure sociale fondamentale se font jour, reprises par des supports populaires comme la chanson ou le cinma. Le divorce, interdit, puis moralement tabou, devient une priptie parmi d autres, et nit par tre accept mme dans les bonnes familles. Enn l mancipation physique incite depuis le dbut des annes 1960 vivre son corps en toute libert. L ide mme de pch de la chair tend disparatre. Si les questions existentielles, propres la condition humaine, sont toujours l, les glises sont souvent dsertes ou fermes. Dans l assistance, ces propos soulevrent quelques remous discrets l vocation de l mancipation physique et du droit des femmes disposer de leur corps, jusque dans le choix de l avortement. Mais l ide centrale, celle d un retour aux sources du catholicisme par une plonge dans les deux mille ans de l histoire de l glise, a plu, le public ayant t convaincu de l utilit de la dmarche devant les incertitudes de notre poque. La prsence d un moine en robe de bure crue, pieds nus dans ses sandales, les cheveux rduits par une coupe svre un anneau parfait passant juste au-dessus des oreilles et dgageant gnreusement la nuque et le sommet du crne, pouvait paratre incongrue dans ce haut lieu de la mondanit parisienne. Elle tait toutefois rvlatrice de l homologie profonde entre la religion et la bonne socit, qui ne semblait pas s offusquer de la prsence d un homme ainsi non cravat. Il est vrai qu tre en religion, en tant que prtre ou dans un ordre rgulier, n est pas rare dans les familles de ce milieu. Ce moine est d ailleurs le frre de Denis de Kergorlay. Le Bottin Mondain consacre cinq pages pleines dresser la liste des enfants des familles qui sont dans ce cas, environ 770 en 2006. Les discours prononcs, le prix remis, l assemble s est leve pour se rendre deux tages plus haut, et faire honneur au buffet. Le champagne, videmment Taittinger, fut servi volont, et les discussions allrent bon train, chacun passant de l un l autre dans une assistance o le niveau d interconnaissance est trs lev.
Les cercles rencontres au sommet Le Cercle de l Union Interallie compte plus de 3 00 membres en 2007, dont nombre de personnalits de premier plan. Son grand conseil est prsid depuis 1999 par Pierre-Christian Taittinger, ancien ministre, ancien vice-prsident du Snat, et actuel maire du 16e rrondissement de Paris. Il est issu d une famille dont la fortune est lie au champagne et l htellerie. Le prince Gabriel de Broglie, vice-prsident, narque, a t directeur gnral de Radio France. Il est conseiller d tat, membre de l Acadmie franaise, et chancelier de l Institut de France depuis 2006. Autre vice-prsident, Olivier Giscard d Estaing, frre de l ancien prsident de la Rpublique, ancien dput, est administrateur de socits. Edmond Marchegay, vice-prsident, est l ancien PDG d Air-Paris. douard de Ribes, dernier vice-prsident, ancien PDG de la banque Rivaud, administrateur de socits, ancien prsident de Path Cinma, est aussi prsident de Paris-muses et de la Socit des Amis d Orsay. Parmi les simples membres de ce grand conseil, on trouve le prince Albert I de Monaco, douard Balladur, ancien ministre de l conomie et des Finances et ancien Premier ministre, Michel David-Weill, associ-grant de la banque Lazard Frres, membre du conseil de surveillance de Publicis, prsident du conseil artistique de la Runion des Muses nationaux, membre de l Institut (Acadmie des beaux-arts). Mais aussi un exploitant agricole (domicili avenue Matignon, ct de l lyse), un ambassadeur de France, un ancien ministre des Affaires trangres. Ces lments de carrire ne sont donns qu titre indicatif et sont loin d tre exhaustifs. Ils ne reprsentent que quelques pisodes dans des vies professionnelles bien remplies. On pourrait poursuivre cette litanie les grands noms de la noblesse et les patronymes bourgeois, lis parfois la terre, mais surtout aux affaires, l industrie et la nance, la politique et l arme, s entrecroiseraient sans discontinuer. Il ne s agit pas de familles sur le dclin, contrairement ce que pensent nombre de nos collgues sociologues et de journalistes. Dans les dernires semaines de son quinquennat, Jacques Chirac a nomm le comte Augustin de Romanet de Beaune directeur gnral de la Caisse des Dpts. Il est membre du Nouveau Cercle de l Union, du Cercle de l Union Interallie, de la Socit d Histoire Gnrale et d Histoire Diplomatique, dont le prsident est le prince Gabriel de Broglie. Sa femme est ne Burin des Roziers, une autre grande famille. Augustin de Romanet est pass par l IEP de Paris et par l ENA. Les diffrentes composantes des hautes classes se rencontrent dans les cercles, au-del des clivages que peuvent induire les spcialisations des professions ou des fonctions. Politiques, hommes d affaires, grands propritaires terriens, militaires, personnalits du monde des arts et des lettres se sont donn des endroits pour mettre en commun leurs savoirs et leurs pouvoirs. Le cercle prsente l avantage d une diversication maximale des comptences. Leur mise en commun s effectue sans en avoir l air. l Interalli, ce peut tre en nageant dans la piscine qui donne sur les jardins qui s tendent jusqu l avenue Gabriel. Ou encore en jouant au bridge, l occasion d une confrence, en djeunant ou en dnant au restaurant du cercle. Ces activits, bien vivantes et apprcies des membres, n ont jamais en elles-mmes leur propre n. Elles pourraient tre pratiques ailleurs. Ce qui fait sens, c est qu elles le soient au sein d un milieu social spcique. La sociabilit mondaine est une forme euphmise et dnie de la mobilisation de la classe. Elle emprunte des manires dtournes, non pas tant pour avancer masque que parce qu elle investit tous les instants de ce milieu trs conscient des enjeux sociaux et de la convergence des intrts fondamentaux de ses membres. Le cercle est un lieu de rencontre et de concertation en mme temps qu un endroit o l on se dtend et se distrait. Les dominants des diffrents champs de l activit sociale peuvent changer leurs informations et leurs relations, et coordonner leurs stratgies. On ne peut qu tre surpris par la faiblesse des investigations sociologiques dans cette direction. Il faut se rendre l vidence la violence symbolique provoque une autocensure des thmes de recherche. Il est plus facile de dnoncer une thorie du complot que de construire l ensemble des rseaux et de leurs imbrications. La thorie du complot est rassurante car elle donne une explication ce qui parat incomprhensible et inexplicable. Mais elle rie la haute socit qui marcherait comme un seul homme pour la reproduction des rapports sociaux. Alors que le pouvoir se construit en s appuyant sur des
cercles qui s interpntrent, une juxtaposition de rseaux, d autant plus efcaces qu ils sont diversis et mconnus, le pouvoir tant la rsultante de leur combinaison. La sociabilit bourgeoise met donc en prsence les dominants de chaque univers professionnel. Elle est ncessaire au dpassement de cette segmentation institutionnelle les clubs, mais aussi les dners, les cocktails, les parties de chasse ou de golf regroupent, en mobilisant les techniques de sociabilit, comme les plans de table et les prsentations, des agents qui occupent chacun, dans sa sphre d activit, une position minente. C est l le rle essentiel des cercles. Pierre Bourdieu, dans La Noblesse d tat, l a analys, mais semble-t-il sousestim. Un dveloppement sur es afnits lectives, liaisons institutionnelles et circulation de l information est renvoy en annexe et la dnition des clubs est donne en note 1. De mme, dans le numro spcial de la revue Actes de la recherche en sciences sociales que Pierre Bourdieu et Monique de Saint Martin ont consacr l natomie du got , les clubs sont renvoys en annexe. Pourtant l essentiel y est dit sur es sortes de socits par actions qui sont riches de la richesse cumule de tous les membres []. Il est donc sans doute peu d institutions (si l on excepte en certains cas le mariage) qui soient plus directement orientes vers l accumulation rationnelle de capital social sans mme parler de tous les prots actuels ou potentiels que procurent ou promettent des relations aussi intressantes 2 . La plupart des sociologues, dont l origine est populaire ou moyenne, ne sont pas l aise en prsence des dominants, malgr une position sociale atteinte relativement leve, en tant que chercheurs au CNRS ou enseignants-chercheurs l universit. Ils n aiment pas s appesantir sur ces techniques de sociabilit qu ils craignent par-dessus tout. On peut se demander si cette timidit sociale ne justie pas trop facilement le faible intrt pour une sociologie de la haute socit. Il est vrai aussi que les crdits de recherche sont particulirement difciles obtenir en ce domaine et que, de toute faon, la faisabilit mme de telles enqutes ne va pas de soi. Mais l autocensure est souvent la rgle, le chercheur choisissant de travailler partir de dclarations publiques de dirigeants ou de patrons plutt que de solliciter un entretien. Cependant, tenter sa chance dans la grande bourgeoisie permet de vivre personnellement la distance sociale et cette exprience elle seule justie d affronter les difcults propres ce milieu. La rticence interviewer les puissants est avant tout un effet de la domination symbolique et une trs belle dmonstration de la force de ce type de violence dans les rapports sociaux, puisqu elle peut mme s exercer avant tout contact direct. Les travaux de Pierre Bourdieu ont t une source inpuisable pour nos recherches auxquelles ils ont fourni l armature conceptuelle indispensable l analyse, et par-dessus tout, la stimulation intellectuelle pour nous lancer dans cette aventure. Sans ces travaux nous n aurions peut-tre pas eu, non seulement le courage, mais tout simplement l ide de nous risquer en ces terres inconnues.
Des portefeuilles de relations On ne peut longtemps rester riche tout seul. Trs vite la richesse conomique, pour durer et tre transmise, doit tre lgitime par de la richesse sociale. Un portefeuille de relations permet de trouver des pairs dans tous les domaines de l activit conomique, administrative, politique et culturelle. Ce rseau prend une forme matrielle dans les carnets d adresses. L une de nos interviewes, de la noblesse fortune, avec des alliances travers le monde, tenait un registre compos de trois gros calepins, l lgante reliure de cuir. L un tait consacr aux adresses franaises et europennes. Les tats-Unis fournissaient la totalit des rsidences du second et l Argentine sufsait remplir le troisime. Le Bottin Mondain et les annuaires des cercles constituent des documents utiles dans ce monde pour lequel seuls comptent les semblables puisque la position sociale des uns est dpendante de celle des autres. Les rseaux personnels sont inclus dans un ensemble plus vaste qui comprend l intgralit des relations possibles. Dans l extension du rseau au-del des contacts directs, les relations institutionnalises jouent un rle dcisif. Le nouvel entrant dans un cercle qui peut compter plusieurs milliers de membres ne peut les connatre tous personnellement. Mais le principe de la cooptation donne chacun l assurance de la solidarit de tous les autres. Parce que ces relations sont contrles par le groupe lui-mme, elles assurent une base solide et authentie, sur laquelle d autres rseaux, moins formaliss, peuvent s appuyer. Le don et le contre-don sont la rgle, sans qu il y ait ncessairement une rciprocit directe. M. delon rend un service M. alaman qui rend un service Mme e Camfort qui elle-mme revient M. delon. Les renvois d ascenseur directs, en trahissant le caractre intress de l change, en ruinent la lgitimit. Comme lorsque deux chercheurs publient des comptes rendus laudatifs croiss de leurs travaux. La structure de ces changes peut tre bien plus complexe que triangulaire ce qui importe, c est que chaque membre du rseau puisse compter sur la solidarit ventuelle de tous les autres. Peu importe qui en dnitive agit en sa faveur. Les interventions peuvent paratre lgamment gratuites, alors mme que le bouillon de culture de la marmite grande-bourgeoise, en ne cessant d agiter en tous sens les particules qui le composent, fait en sorte qu aucun bienfait ne soit perdu et qu il soit retourn, aprs un certain temps, en empruntant un circuit parfois tortueux. Les familles, les cercles, les conseils d administration, les quipages de vnerie, les clubs de golf sont l pour assurer cette prquation permanente des bons et loyaux services l chelle de la classe. Les changes sont indcelables et pour en tablir la ralit il faudrait pouvoir en reconstituer l intgralit. La thorie du complot n est donc pas utile pour rendre compte de l ef cacit du collectivisme grand-bourgeois qui met en commun, au-del des valeurs d usage qu il dtient, la multiplicit des pouvoirs partiels qui, assembls, font le pouvoir. La collusion des lites est une collusion de fait. Elle n a pas besoin d tre systmatiquement organise. On se rend service parce que cela est constitutif de l appartenance la confrrie des grandes familles, o la courtoisie est structurale. Une rencontre circonstancielle devient une relation s inscrivant dans la dure. La biensance, qui est condition du maintien dans le rseau, exige que l on ne refuse pas d aider, y compris un inconnu, condition que cette personne ait toutes les caractristiques de l excellence sociale, dont l appartenance un cercle trs slectif ou des alliances familiales honorables. On comprend alors mieux l importance de la sociabilit mondaine, de ses ftes, cocktails, dners, vernissages ou premires d opra, car elle rassemble des personnes qui ne se connaissent pas toutes mais qui, par cette rencontre, vont mettre en relation les rseaux auxquels elles sont rattaches par ailleurs. Cette sociabilit est une technique sociale qui permet de tisser et retisser sans cesse le maillage inni du pouvoir. Les associations, les cercles, les conseils, les comits dessinent une toile d araigne la trame complexe. Chaque personne apporte dans l institution son carnet d adresses, en partie redondant avec celui des autres membres, mais en partie seulement. La grande bourgeoisie, parce qu elle est organise en rseaux qui eux-mmes se structurent en rseaux de rseaux, met en contacts rels et potentiels l ensemble des individus qui appartiennent objectivement la classe3. Celle-ci n est donc pas seulement le produit d une conceptualisation qui dnit le groupe des agents sociaux occupant la mme place dans l espace social, mais aussi une interrelation latente ou active entre tous les membres de la classe, toujours mme de faire appel aux uns ou aux autres, toujours mme de rpondre aux appels des uns et des autres. Aujourd hui, la grande bourgeoisie est la ralisation la plus acheve de la notion de classe sociale. Ces rseaux et cet entremlement de liens doivent tre discrets pour conserver toute leur efcacit. Il y va de la crdibilit et de la lgitimit du pouvoir qui en rsulte. Faire jouer ses relations pour la nomination un poste, pour l entre dans un cercle, pour tout avantage, risque toujours, si cela est trop public, de dvaloriser la russite. Qu il s agisse des cercles ou des liens de famille, du champ de la politique, de la nance, du rapport aux mdias, les contacts et les conciliabules, les amitis et les solidarits, doivent se faire oublier. Les dcisions et les choix doivent apparatre dicts par le souci de l intrt gnral et de l quit de traitement entre les citoyens. La discrtion impliquerait que dans les cercles les membres ne parlent ni affaires ni politique. Ce qui est un vu pieux,
et les djeuners d affaires sont une ralit mme au Jockey. Sous ce vernis de bonne conduite et de distinction, signies par la distance prise avec les soucis de basse cuisine, les tractations et les stratgies nancires s imposent, mais dans la discrtion. Le fait de discuter dans un cadre priv de questions relevant de l activit des entreprises et des collectivits publiques met bien en vidence la spcicit qu ont les cercles d entremler la vie prive et l activit sociale, dans un entre-deux informel qui laisse de la marge aux improvisations ncessaires l exercice du pouvoir. Pourtant cette attitude n est pas une simple coquetterie de la bonne ducation. Elle est une afrmation du groupe comme transcendant aux intrts particuliers qui y sont prsents. On n est pas ensemble pour faire des affaires, mais par afnits lectives. Et ce n est pas si faux c est bien le sens de la pratique gnralise de la cooptation fonde sur la proximit sociologique des personnes, des gots, des manires et des valeurs. On ne devient pas membre du Cercle de l Union Interallie ou du Nouveau Cercle de l Union en qualit de reprsentant d une tendance politique, d une institution culturelle ou d une entreprise, mais en tant qu individu, reprsentant d une famille et d un milieu. Ce qui n est pas le cas de cercles comme le Rotary ou le Lion s Club qui eux cooptent des reprsentants de professions. 1. Pierre Bourdieu, La Noblesse d tat. Grandes coles et esprit de corps, Paris, Minuit, e sens commun , 1989, p. 16, note 1. 2. Pierre Bourdieu, avec Monique de Saint Martin, natomie du got , Actes de la recherche en sciences sociales, n , octobre 976. 3. Luc Boltanski, espace positionnel. Multiplicit des positions institutionnelles et habitus de classe , Revue franaise de sociologie, XIV, 1973, p. -26, et Pierre Bourdieu, e capital social, notes provisoires , Actes de la recherche en sciences sociales, n 31, janvier 980.
culturelles, et Pierre Maillard, ancien lve de l ENS (Ulm), ambassadeur de France. Le comit d honneur est compos de Mme acques Sylvestre de Sacy, de Jean d Ormesson, de l Acadmie franaise, de Jean-Pierre Babelon et de Christian Pattyn. Les Vieilles Maisons Franaises (VMF) ont t cres en 1958 par Anne de la Rochefoucauld, marquise de Amodio. Le prsident en est aujourd hui Philippe Toussaint, inspecteur des nances, prsident de banque, ancien lve de l IEP et de l ENA, membre du Cercle de l Union Interallie, prsident de la Fdration franaise des festivals internationaux de musique, du festival Septembre musical de l Orne, et, dans un autre domaine, de l Union nationale des associations de parents d lves de l enseignement libre (Unapel, de 1992 1998). Rempart est une fdration qui, depuis 1966, regroupe des associations de chantiers de jeunesse et s inscrit dans le mouvement associatif de sauvegarde du patrimoine et d ducation populaire. Ni elle ni son prsident, Henri de Lpinay, ne sont mentionns dans le Bottin Mondain. La Fdration nationale des associations de sauvegarde des sites et ensembles monumentaux (Fnassem), fonde en 1967 par Henry de Segogne pour sensibiliser l opinion sur le patrimoine, n est pas non plus indique dans le Bottin Mondain. Celui-ci, cependant, mentionne son prsident, Klber Rossillon, polytechnicien et ingnieur militaire en chef de l armement, qui habite Neuilly. La Sauvegarde de l Art Franais est lie ds sa cration la noblesse, puisqu elle fut fonde en 1921 par le duc de Trvise et la marquise de Maill. La Sauvegarde a pour vocation d aider la restauration des glises antrieures 1800. Le vicomte Olivier de Rohan en est le prsident. Son cousin, douard de Coss Brissac, qui l avait prcd ce poste, en est aujourd hui l un des deux prsidents d honneur. L autre tant Philippe Chapu, conservateur gnral du patrimoine, ancien lve de l cole nationale des Chartes et de l cole du Louvre. Le conseil d administration regroupe, entre autres, Michel Denieul, ancien directeur de l architecture au ministre de la Culture, Christian Pattyn, Jean-Pierre Babelon, membre de l Institut, Max Querrien, conseiller d tat honoraire, qui a longtemps prsid le conseil d administration de la Caisse nationale des monuments historiques, Emmanuel de Rohan Chabot, un parent d douard de Coss Brissac, d Olivier de Rohan et de Gabrielle de Talhout, autre membre de ce conseil, ne Coss Brissac. On voit que, dans de nombreux cas, le cadre associatif permet de reconvertir dans le bnvolat ou le militantisme les charges importantes qui ont pu tre exerces, en particulier dans la fonction publique. partir des annes 1980, ces associations qui taient plutt concurrentes ont commenc crire, sur des questions ponctuelles, des lettres communes adresses aux ministres ou au prsident de la Rpublique. Puis, au cours de l lection prsidentielle de 2002, les prsidents ont souhait rencontrer Jacques Chirac. La rencontre de Provins a sign l acte de naissance du G8.
Une mobilisation efcace L une des rgles du G8 est de ne runir que les prsidents des associations, sans possibilit pour eux de se faire reprsenter aux assembles mensuelles. Ce sont les interlocuteurs privilgis des administrations et des lus. Par le nombre de cercles et d associations qu il regroupe, le G8 reprsente une spectaculaire condensation de rseaux. Mme si l homognit sociale est loin d tre absolue. Ces rseaux sont mobilisables et mobiliss pour dfendre la Corderie Royale de Rochefort, la citadelle de Lille ou les paysages menacs par l installation plus ou moins contrle d oliennes. L action entreprise sur les oliennes est exemplaire de l ef cacit des relations sociales. Au point que des rsultats ont pu tre enregistrs avant mme que les lois sur le sujet ne soient votes, grce la veille juridique mise en place par le G8 avec le concours de deux avocats issus du srail, qui assistent toutes les runions, matre de La Bretesche, ancien btonnier, et matre Patrick de La Tour. Les membres du G8 n taient pas hostiles, par principe, l installation d oliennes, ais nous voulions trs fortement insister sur la ncessit de tenir compte des paysages et d viter que les oliennes soient implantes prs des monuments historiques ou dans des paysages sensibles, explique Christian Pattyn. On a vraiment jou le jeu de ce que doit tre le G8, un lobby important, un groupe de pression efcace grce aux nombreux contacts que nous avons avec des dputs et des snateurs. Nous avons obtenu des choses trs importantes en amont, auprs du gouvernement. Comme, par exemple, que les autorisations pralables l implantation des oliennes soient entre les mains, non pas des maires, mais des prfets. Car les maires peuvent tre attirs pour des raisons nancires et mettre les oliennes en limite de leur commune et ainsi gner les communes voisines qui auraient refus d en avoir. Nous avons russi faire inscrire dans les textes qu il y ait une rexion cohrente en amont du permis de construire avec l obligation d inscrire chaque projet mener dans une zone de dveloppement de l olien (ZDE). La demande de permis de construire doit s inscrire dans le cadre de cette ZDE prtablie. Selon les textes, le maire doit venir dfendre sa demande devant une commission. C est le prfet qui approuvera ou refusera la ZDE puis le permis de construire en fonction des avis de cette commission. Enn, grce aux contacts du G8, un snateur a dpos un amendement qui a inscrit dans la loi d orientation sur l nergie, en 2005, qu il faudra tenir compte des monuments historiques et de la qualit des paysages pour l implantation des oliennes. Et Christian Pattyn se flicite que l Assemble nationale ait adopt cette proposition du Snat. est trs important pour nous, car si un prfet donne un permis de construire sans tenir compte de cette obligation, on pourra l attaquer devant les tribunaux. Les paysages dans lesquels vivent les familles de la haute socit seront toujours troitement surveills. Zones sensibles leur manire, leurs usagers ne risquent pas de laisser passer un amnagement, la construction d un quipement ou d une route, plus forte raison d une autoroute, sans ragir et sans utiliser toutes les ressources juridiques et sociales leur disposition pour contrler, modier ou empcher les travaux. Il est vraisemblable que les oliennes iront tourner ailleurs qu au fond du parc du chteau, ailleurs que sur le rivage encore sauvage d une cte prserve, ou qu en tout autre endroit plein du charme discret de la bourgeoisie. Le tarif de la location du terrain pour une olienne est de l ordre de 2 00 par an, les taxes professionnelles pouvant rapporter 10 00 au budget communal. e systme de prix est un pactole, crit Didier Wirth, prsident du Comit des Parcs et Jardins de France, dans Le Monde du 11 anvier 2007. Comme les industriels ont du mal les installer cause de la rsistance des populations, ils cherchent des communes pauvres o les maires sont plus faciles convaincre. Et ce ne sont pas ces quelques maigres ressources locatives qui pourraient dcider des communes opulentes franchir le pas. On voit mal Neuilly tre tente par l installation de quelques pylnes hlice en bordure du bois de Boulogne. Les beaux espaces sont donc doublement protgs pour leur valeur intrinsque et, au-del, par la puissance des personnes qui ont un intrt direct les dfendre. Pas seulement pour des questions bassement matrielles, mais toujours pour des enjeux culturels et symboliques qui viennent magnier la dfense de leurs intrts particuliers et en font de grandes causes nationales. La dfense de son pr carr n est en rien spcique de la bourgeoisie, mais elle a les moyens de son efcacit.
Prmices d une grande opration d urbanisme En 1973 la famille de Nicolas Sarkozy achte un appartement l extrmit ouest de l avenue Charles-de-Gaulle. Clair, ce logement bncie d une vue imprenable sur les tours de la Dfense et les embouteillages rcurrents gnrs par la densit des bureaux de l autre ct de la Seine1. La carrire politique de Nicolas Sarkozy dmarre peu aprs ds mars 977 il est lu sur la liste municipale prsente par Achille Peretti, gaulliste, maire depuis 1947 et qui le restera jusqu sa mort en 1983. En dernire position sur cette liste, Nicolas Sarkozy entre au conseil municipal de l une des communes les plus riches de France, o rsident de manire concentre des lites appartenant toutes les sphres de l activit sociale. Hommes politiques, banquiers, cinastes, industriels, acteurs et actrices, hauts fonctionnaires, rentiers, princes, barons d Empire et bourgeois, un bouillon de culture idal pour se construire une destine hors du commun. Il deviendra maire en 1983 et le restera jusqu la prise de ses nouvelles fonctions ministrielles en 2002. L avenue Charles-de-Gaulle, appele autrefois avenue de Neuilly, a connu une volution qui rappelle, sous d autres modalits, celle des Champs-lyses. La croissance de la circulation automobile et le remplacement du tissu rsidentiel par des immeubles de bureau ont dgrad l atmosphre urbaine. Neuilly s est retrouve coupe en deux parties ingales, avec au sud le quartier de Bagatelle-Saint-James dont l urbanisation est plus rcente que celle des rues du centre, de part et d autre de l avenue. Au-del, vers le nord, s tendait l ancien domaine des Orlans avec ses vieilles demeures. Ce qui a contribu accentuer une dichotomie que les vieux Neuillens se font un plaisir de souligner. Les Balaman dnissent trois Neuilly celui du centre, o ils habitent, entours de familles traditionnelles la fortune ancienne le Neuilly du boulevard Maurice-Barrs, en lisire du bois, o sont domicilies les trs grandes fortunes, les illiardaires et enn le Neuilly des nouveaux riches, Bagatelle, ce pdoncule qui, au sud-ouest, s enfonce entre le bois et la Seine. Les conditions rsidentielles sont exceptionnelles, sauf sur l avenue Charles-de-Gaulle qui reprsente nanmoins deux kilomtres et demi de ce qu il est convenu d appeler l Axe historique. Cet axe prend naissance l Arc de Triomphe du Carrousel. Sur certains plans anciens, il se prolonge jusqu la Croix de Noailles, en fort de Saint-Germain. Une vieille histoire, continue par tous les rgimes qui ajoutrent, chacun leur tour, un segment ce long ruban de gloire et de pouvoir qui joint en une envole rectiligne les monuments parmi les plus glorieux et les quartiers les plus hupps. Louvre, place de la Concorde, Champs-lyses, Arc de Triomphe de l toile, avenue de la Grande-Arme, porte Maillot, avenue Charles-deGaulle pour traverser Neuilly, esplanade, tours et Grande Arche de la Dfense pour couronner le tout, provisoirement, car les e e e travaux continuent au-del2. Fendant le 8 rrondissement, se glissant entre le 16 t le 17 , traversant la ville la plus bourgeoise de France, Neuilly, jamais cet itinraire tir au cordeau, cet axe dit historique ne quitte la richesse et le pouvoir, conomique ou politique. Le statut d axe historique n est pas pour rien dans l effort entrepris la n des annes 1980 pour enfouir la circulation de l avenue Charles-de-Gaulle. cette poque une premire tranche fut couverte. 440 mtres de ot automobile quasi ininterrompu et double sens furent escamots au prot d un terre-plein accueillant, euri et dot de bancs. Cette premire tranche de travaux, dnomme adrid-Chteau , du nom des deux avenues qui se rejoignent au centre de la dalle, a t termine en 1992 en mme temps que s achevaient les travaux du prolongement de la ligne n du mtropolitain. Selon certains responsables, rce d habiles ngociations menes par notre municipalit3 , celle-ci a obtenu de la RATP un nancement de 75 des travaux de la premire tranche.
La ligne n fut effectivement la premire. e vrai dpart du premier mtro a lieu 1 heure de l aprs-midi le 19 uillet 1900, porte Maillot, crit Pierre Miquel. C est alors le terminus de la ligne n , la premire construite par l ingnieur Fulgence Bienvene4. Il faut attendre 1937 pour que le terminus soit report la Seine, au pont de Neuilly. a station Pont-de-Neuilly est une sorte de bout du monde, o les voitures de luxe des propritaires d htels [particuliers] pouvaient apercevoir, quand ils circulaient la pointe du jour, des les de travailleurs se rendant dans les usines, la sortie du mtro. Il sufsait de passer le pont pour accder la banlieue rouge, celle des grvistes du Front populaire 5. En 1992, la Grande Arche de la Dfense est atteinte ces travaux considrables avalisaient la continuit de l axe du pouvoir qui traverse tout l ouest de Paris. Depuis la dalle eurie agrmente de fontaines, sur laquelle dbouche l escalier du mtro Pont-de-Neuilly, on dcouvre l ouest les tours de la Dfense et l est l Arc de Triomphe. Les travaux d embellissement de cet axe qui, au long des sicles, en ont construit la perspective, ont rendu uide le passage entre Paris et sa banlieue l o il croise l anneau des anciennes fortications. Une unit urbaine et sociale, rendue manifeste par la qualit des architectures et des amnagements urbains, laquelle rpond l homognit des populations de part et d autre du priphrique, lui aussi enterr cet endroit. Cette connivence profonde explique que l on ait parl de 21e rrondissement propos de Neuilly. On voit mal Bagnolet revendiquer ce label alors mme que la Ville de Paris y possde, par l intermdiaire de son Ofce public d amnagement et de construction (Opac), 573 logements HLM.
De 750 illions un milliard d euros Cette avenue de Neuilly, devenue Charles-de-Gaulle, est aujourd hui stratgiquement dsigne sous le nom de RN 13. Une banalisation trs intresse. La plupart des routes nationales, depuis la politique de dcentralisation du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, relvent d un statut dpartemental. L le-de-France bncie de quelques exceptions pour des axes ayant un trac particulirement important, ce qui est le cas de la nationale 13, reste dans le giron de l tat. Ce que les diles de Neuilly ne cessent de rappeler en sacriant la mmoire du Gnral l intrt bien compris de leurs lecteurs c est la RN 13 qu il faut faire disparatre, si possible aux frais de l tat. L enjeu est de taille le cot de l escamotage des 160 00 vhicules du ot quotidien pourra avoisiner le milliard d euros. Enterrer 1,4 kilomtre Neuilly reprsente trois fois le cot du tramway parisien entre le pont du Garigliano et la porte d Italie, soit 8 kilomtres, ou trois fois le viaduc de Millau. Tous ces millions d euros permettraient, il est vrai, de remplacer le ruban de bitume par une promenade plante de six hectares qui unierait la ville. Dbut 2007, les accords des diffrentes administrations concernes ont t donns, dont celui de Dominique Perben, ministre des Transports, en octobre 006. Le ministre UMP s est prononc sur la base d un rapport de la Commission particulire du dbat public (CPDP) qui lui a t remis en juillet. Depuis 2002, selon les dispositions de la loi relative la dmocratie de proximit, les projets d amnagement les plus importants doivent tre soumis dbat sous l autorit d une Commission nationale du dbat public (CNDP). La sance de clture a t organise en mai 006 au thtre de Neuilly, dans le cadre de ce nouveau dispositif de mocratie participative . Selon le maire, Louis-Charles Bary, la majorit des usagers de la RN 13, dans son parcours neuillen, sont des Parisiens et des Franciliens. Ce n est donc pas la ville de Neuilly de nancer cette opration, mais l tat, la rgion et au dpartement. La commune, elle, pourrait prendre en charge la dcoration orale de ce qui serait une magnique promenade qui endrait sa lgitimit artistique et urbanistique l axe historique , selon ses propres termes. Le principe tant dsormais acquis et approuv, reste l pineuse question du nancement. Comme l a rappel Roland Peylet, conseiller d tat et prsident de la CPDP, dans la sance de clture, a question du nancement est certainement et assez logiquement l une de celles qui a suscit le plus de commentaires, ce qui tmoigne certes de son importance, mais aussi de la difcult, pour la partie la moins avertie du public, de saisir la complexit des mcanismes de nancement public . Malgr ce ou, plusieurs hypothses ont pu tre formules par ailleurs. L tablissement public d amnagement de la
Dfense (Epad), prsid, jusqu en dcembre 005, par Nicolas Sarkozy, pourrait apporter quelques centaines de millions d euros sous le prtexte de contribuer ainsi l amlioration de la desserte du ple d affaires et donc de l acheminement des milliers de cadres et d employs qui y travaillent. Mais le recouvrement de la RN 13 va dans le sens du tout voiture, et il serait sans doute plus judicieux que les nancements de l Epad, s il devait y en avoir, aident au dveloppement des transports en commun. Il est donc probable que le gros des fonds ncessaires sera recherch sous la forme d une concession d exploitation au secteur priv, assortie de l tablissement d un droit de page. ertes, admet Michel Laubier, conseiller gnral communiste et premier adjoint au maire de Nanterre, cette avenue est une vritable nuisance pour Neuilly. Il faudrait arriver diminuer la circulation automobile. Mais la couvrir est beaucoup trop coteux. Pour cet lu, l urgence est ailleurs. l faudrait avant toute chose nir les travaux entrepris, par exemple Nanterre, o, depuis dix ans nous avons les autoroutes A 86 et A 14 avec un norme changeur dont les travaux d enfouissement ont commenc puis se sont arrts faute de crdits. Nanterre est littralement coupe en deux. Il serait urgent de terminer les travaux engags Un conseiller municipal vert de Neuilly, Thierry Hubert, note qu l ne saurait y avoir d amnagement Neuilly sans programmation des amnagements similaires dans les communes moins favorises exposes des situations de nuisances identiques, voire plus graves, compte tenu de la vulnrabilit et des moindres moyens des populations qui y vivent . En ce qui concerne le nancement, il crivait que Neuilly, u potentiel scal considrable , doit faire un effort nancier important6. Selon Yann Aubry, responsable de la politique de la Ville et des Transports au cabinet de Jean-Paul Huchon, prsident socialiste de la rgion le-de-France, il y aurait bien, derrire ce projet d enfouissement de la RN 13, celui d une densication des immeubles de bureaux au niveau du pont de Neuilly. Deux tours de cinquante tages seraient construites face la Dfense. De quoi gnrer des ressources scales qui viendraient s ajouter aux revenus d une commune dj prospre. Deux tours de cette taille pourraient rapporter, au titre d immeubles de grande hauteur, 215 illions d euros la commune, qui lui seraient verss par le promoteur. En outre, selon la DDE (direction dpartementale de l quipement), la taxe professionnelle produite par ces nouvelles activits pourrait atteindre, annuellement, 2,9 illions d euros. Un pactole non ngligeable, justiant une fois encore le dicton selon lequel l pleut toujours o c est mouill . Mais pactole ncessaire si l on en croit Bernard Aim, directeur de l urbanisme a ville de Neuilly, en rcuprant les six hectares de la dalle qui couvriront la RN 13, devrait en payer les amnagements (bassins, fontaines, massifs de eurs) et se trouverait face des investissements et des frais de fonctionnement trop importants pour son budget . Comme il est hors de question d augmenter des impts locaux, qui pourtant sont considrs comme peu levs par les Neuillens eux-mmes, cette ide de densication de e qui ne serait que l amorce de la Dfense a t avance. Roland Peylet a pris acte que le maire de Neuilly xcluait toute participation autre que marginale la construction de l ouvrage proprement dit, les ventuelles ressources supplmentaires dont elle pourrait bncier grce celui-ci ou grce des programmes immobiliers exceptionnels devant tre consacrs aux seules dpenses lui incombant, savoir celles relatives aux amnagements urbains qui prendront place sur la couverture . Le prsident de la CPDP a galement dclar que l hypothse de la construction des deux tours ui pourraient le cas chant apporter au budget de la commune des recettes scales du fait du dpassement du plafond lgal de densit ne relve pas du bat public . Cette option n avait pas encore t discute en mai 006 par le conseil municipal. L un des lments essentiels du projet, qui aura les plus profondes consquences sur les ressources gnres par l opration, un impact certain sur le paysage urbain et des effets sensibles sur les ux de circulation n avait donc pas t encore soumis aux dbats du conseil municipal au moment de la clture du dossier. Durant la mme sance de clture, le prsident de la CPDP a relev la discrtion des lus socialistes de la rgion et de la municipalit parisienne. L absence du conseil rgional dans le dbat s explique, selon Yann Aubry, par le fait qu il y a d autres priorits l chelle de la rgion et que la majorit socialiste n entend pas s impliquer dans la conception de cette opration, ni a fortiori dans son nancement. Le processus de dcentralisation, qui a conduit accorder la rgion ne comptence pleine et entire de l organisation des transports en commun, s est opr en l absence des transferts nanciers qui auraient d y tre lis. Les nances ne suivant pas, les lus socialistes du conseil rgional ont engag un bras de fer avec l tat pour qu il lui transfre les moyens d assumer cette responsabilit. Et cela reprsente des centaines de millions d euros. Alors, conclut Yann Aubry, nous demander de participer sur le plan nancier l enfouissement de l avenue Charles-deGaulle, cela nous laisse pantois . En effet, durant la priode 2000-2006, 9 illiards d euros ont t inscrits au contrat de plan tat-rgion, dont 1,25 pour les investissements routiers. Le projet de couverture de la RN 13 reprsenterait donc 80 de la somme totale consacre aux routes pour toute l le-de-France sur sept ans. Quant Nicolas Revel, du cabinet de Bertrand Delano, il admet que la majorit municipale de la capitale se contente d observer les grandes manuvres qui se droulent Neuilly. n ne croit pas une seconde un nancement public. L tat ne nance plus d oprations de cette nature et de ce montant. La rgion semble dcide ne pas y consacrer un centime, la priorit de ses engagements tant l amlioration des transports collectifs. La seule solution pour que cela puisse se faire reste donc la cration d un page. Si, dans la suite de l lection prsidentielle, le nouveau gouvernement dcidait de nancer cette opration, alors mme qu il refuse de nancer le prolongement du tramway des marchaux l est et se dsengage globalement des transports collectifs, ce serait une dcision trs politique et franchement inacceptable. Ce projet de tunnel a t initi et instruit par la ville de Neuilly et par la DDE. Nicolas Sarkozy a occup dans cette conguration des positions qui lui assuraient un pouvoir certain. Ancien maire de la ville, ancien prsident du conseil gnral des Hauts-de-Seine, il tait par ailleurs ministre de l Intrieur et de l Amnagement du territoire, ce qui n a certainement pas t sans importance pour le projet d enfouissement de la RN 13.
Politique de l axe La machine tatique est en route au plus haut niveau depuis que le gouvernement a dcid de saisir la Commission nationale du dbat public. Cette dcision tait une conrmation de l intrt du projet d enfouissement et de couverture de l avenue Charles-de-Gaulle. L application de la loi de 2002 a permis aux minoritaires du conseil municipal, cologistes ou socialistes et aux habitants ne se reconnaissant pas dans la majorit de s exprimer. Mais cette dmocratie participative a aussi comme consquence de lgitimer encore un peu plus l avis de la majorit, et de rendre le projet de souterrain incontournable. Des travaux d amnagement, tardifs mais bienvenus, sont en cours la porte des Lilas et au niveau de La PlaineSaint-Denis. Ce que les habitants de Neuilly approuvent certes, mais pour mieux justier le milliard prvisionnel que coterait l enfouissement de la RN 13. C est ainsi que le Cahier d acteurs n de la commission de dbat public prsente une photo de dalle arbore accompagne du commentaire suivant ous ne sommes pas Neuilly mais La Plaine-Saint-Denis. Tant mieux pour les Dionysiens, mais n oubliez pas les Neuillens L illustration est celle de la couverture de l autoroute A1. Le mme article rappelle es travaux en cours pour la couverture du priphrique la porte des Lilas . Et les habitants de Neuilly de prendre la posture de militants, car est pour notre ville une occasion unique de requali cation urbaine . L association Maillot-Sablons-Madrid (MSM) a protest en posant des plaques utoroute Charles-de-Gaulle en novembre 001 aux coins des rues et de faux radars en dcembre 003. Les assembles gnrales de MSM se tiennent au thtre de la ville, n prsence d minentes personnalits . Mais seuls 30 des adhrents ont une adresse sur l avenue borde de bureaux. Ainsi les nuisances, relles pour un nombre de familles limit, ne sont pas le moteur de l action de la plupart des militants de la cause du tunnel. La runication des deux parties, nord et sud, de la ville est une proccupation plus rpandue. La possible densication des bureaux au pont de Neuilly, et donc des ressources municipales, joue aussi un
rle. Situs sur l axe historique, les Neuillens prouvent leur confrontation avec le magma automobile comme une aberration qui, non seulement les gne dans leur vie quotidienne mais en outre menace la qualit urbaine d une remarquable voie triomphale qu ils aimeraient voir tenir son rang dans la traverse de leur commune. Enterrer cette saigne disgracieuse, c est certes apporter quelques familles une amlioration de leurs conditions de vie, et tous les Neuillens de solides plusvalues immobilires, mais c est aussi supprimer le maillon faible d une artre exceptionnelle et prserver l un des lments structurants du patrimoine de la rgion le-de-France, dont le rayonnement est national. Mais o est la poule et o est l uf de ce processus qui voit l tat venir en aide aux plus nantis pour prserver les beaux espaces o ils vivent Ayant des ressources importantes, ils peuvent habiter l o le cot de l immobilier est le plus lev. Mais ces lieux tant parmi les plus beaux, les plus chargs d histoire ou de qualits architecturales et urbaines, l intervention des pouvoirs publics pour en prserver la qualit rejoint l intrt gnral pour la dfense d un patrimoine qui est en partie collectif. Le souci des administrations pour la sauvegarde de ces espaces en conforte la valeur esthtique, historique, mais aussi nancire. Cercle vertueux ou cercle vicieux En tout cas la circularit est structurelle et l on ne voit pas comment il pourrait en aller un jour autrement. La grande bourgeoisie, en dfendant la qualit de ses lieux de vie, dfend toujours aussi des intrts plus gnraux. Amnager l axe historique sur toute sa longueur proterait d abord aux familles les plus aises. En mme temps, cet amnagement serait objectivement un plus pour la rgion, et nalement pour la nation qui en tirerait des bnces touristiques, conomiques et de prestige importants dans la concurrence internationale. 1. Pascale Nivelle et lise Karlin, Les Sarkozy, une famille franaise, Paris, Calmann-Lvy, 2006. 2. Voir notre ouvrage Quartiers bourgeois, Quartiers d affaires , Paris, Payot, ocuments , 1992. 3. Le projet de dnivellation et de couverture de la RN 13 Neuilly-sur-Seine , Cahiers d acteurs , n , mars 006. 4. Pierre Miquel, Petite Histoire des stations de mtro, Paris, Albin Michel, 1993, p. 6. 5. Ibid., p. 6. 6. Cahiers d acteurs , n , avril 006.
Les bureaux et les recettes scales l ouest L tablissement public d amnagement de la Dfense ayant ni d amnager, il a cd la place un tablissement public de gestion du quartier de la Dfense, par une loi adopte en premire lecture au Snat le 18 anvier 2007. Dpose l Assemble nationale par le snateur UMP Roger Karoutchi, inscrite en urgence l ordre du jour, elle a t dnitivement
adopte le 6 vrier par les seuls dputs UMP. Une telle prcipitation peut s expliquer par le statut drogatoire de cette loi. 2 L tablissement public a t en effet dispens de la demande d agrment pour les 300 00 de bureaux supplmentaires prvus. Le conseil d administration de ce nouvel tablissement public est compos par des reprsentants des deux municipalits concernes, Puteaux et Courbevoie, et du conseil gnral des Hauts-de-Seine, dont le prsident tait alors Nicolas Sarkozy. Alors que seules les villes de Puteaux et de Courbevoie peroivent les taxes lies aux nombreux siges sociaux de la Dfense, le dpartement des Hauts-de-Seine intervient hauteur de 50 dans les dpenses du nouvel tablissement public. De plus, les tours obsoltes qui vont tre dtruites et reconstruites seront exonres de la redevance bureau. Ces centaines de milliers de mtres carrs nouveaux ne vont pas contribuer faciliter la circulation. De surcrot ces bureaux, qui n auront mme pas fait l objet d une demande d agrment, sont en contradiction avec la volont de rquilibrage vers l est. Enn les 2 2 textes prvoient qu en le-de-France 25 de logements doivent tre construits pour 10 de bureaux. La complexit de la lgislation et de la rglementation de l urbanisme s accompagne de discours qui prennent beaucoup de liberts avec les faits. Ainsi de la mixit sociale, vante, mme par les lus dont les communes ne comptent qu un pourcentage inme de logements sociaux. Ainsi de la ncessit de mettre en commun des ressources par trop ingalement rparties mais le fonds de solidarit voit baisser les versements des communes riches. Ainsi de la ncessit de matriser la circulation mais on augmente encore les ux vers la Dfense. La contradiction n est qu apparente. Le discours rserv au champ politique se doit de tendre au consensuel, de dfendre des objectifs irrfutables la mixit sociale et l amlioration de la circulation. Mais, dans la pratique, les dominants uvrent toujours la perptuation de leurs avantages. Ils vont limiter de fait l arrive de catgories populaires dans leur lieu de rsidence. On retrouve sur ce cas particulier de l urbanisme l aptitude des puissants pratiquer un cynisme qui leur permet de traiter sparment la pense et l action. Ainsi de leur capacit vanter les mrites de la concurrence et de l organisation librale de l conomie et par ailleurs de recourir un collectivisme qui est leur plus grande force. Le maintien des privilges doit toujours user de cette dualit structurelle qui oppose le discours la pratique, qui prche le blanc pour avoir le noir, la libert pour asservir au travail, l galit pour maintenir l ingalit.
Le droit au logement opposable Les Enfants de Don Quichotte ont popularis le problme du relogement des sans-abri d une faon spectaculaire avec les alignements de tentes rouges sur les quais du canal Saint-Martin, que les journaux tlviss ont montrs pendant des semaines. Sous leur pression, les politiques ont ragi d autant plus rapidement que la campagne de l lection prsidentielle tait en train de monter en puissance. Une loi crant un droit au logement opposable a t vote. Ce texte, trs gnral, prvoit qu une personne sans abri pourra se retourner contre les autorits comptentes a n qu un logement lui soit attribu. n pourra voter toutes les lois possibles, s il n y a pas de logements et la volont d en construire pour les plus dmunis, quoi s opposera-t-on se demande Michel Laubier. Il y a 80 00 demandes de logements sociaux dans le seul dpartement des Hauts-de-Seine et en 2005 on n en a construit que 1 34. Le dcit est norme entre l offre et la demande qu est-ce que la loi va pouvoir changer D autant qu il faut tenir compte de la logique sgrgative qui est sans n. Sur le total des logements sociaux construits, prs de la moiti, 43 , sont des PLS (prts en location sociale), c est--dire des HLM plutt haut de gamme qui ne concernent donc pas les mnages les plus pauvres. En outre le logement social de fait a disparu avec la spculation immobilire effrne de ces dernires dcennies, supprimant les logements rgis par la loi de 1948. On ne voit pas quels logements pourraient tre rquisitionns bas prix pour loger les sans-abri. C est donc une hypocrisie que de faire voter des lois pour se refaire une lgitimit sociale en priode prlectorale, lois dont les intentions ne seront pas applicables. L hypocrisie est d autant plus manifeste que l tat, par l intermdiaire des prfets, a tous les pouvoirs pour imposer un effort aux villes qui, comme Neuilly, refusent de construire des logements sociaux pour les plus dmunis. Le prfet peut en effet promulguer un arrt de constat de carence et intervenir en se substituant aux municipalits rcalcitrantes. L administration peut lancer elle-mme des programmes de construction locative sociale. Mais de telles procdures n ont presque jamais t utilises depuis l entre en vigueur de la loi SRU. En matire de logement social tout est affaire de volont politique. Avec un patrimoine de 10 00 logements sociaux, la ville de Nanterre impose encore aux promoteurs, que ce soit Nexity, la Cogedim ou Bouygues, d en inclure 40 dans toute opration de plus de 1 00 2. Les promoteurs ayant besoin de travailler, c est--dire de construire, ils en passent par les exigences municipales. Les maires de droite et les prfets pourraient trs bien adopter la mme attitude. Ce n est pas le cas. On voit que le principe d galit, solennellement inclus dans la devise rpublicaine et inscrit sur les frontons de nos mairies, qui vaut donc pour tous les citoyens et en tous domaines, devrait aussi valoir pour les usages de l espace et les conditions de logement. Ces ingalits urbaines se sont amplies en mme temps que le capitalisme passait d un stade industriel et bancaire une logique purement nancire, dans la ction absolue de l argent produisant de l argent. La coexistence, conictuelle mais rgle, entre catgories bourgeoises et catgories populaires, dans les mmes immeubles et dans les mmes quartiers, la proximit spatiale de la rsidence du patron et de celle des ouvriers, cde la place une sgrgation-agrgation toujours plus afrme, particulirement sensible dans les plus grandes villes. L inscription des lignes de division de la socit dans l espace urbain s ampli e en mme temps que la spculation immobilire. Ces divisions tendent se ger, les catgories populaires n ayant plus la possibilit de construire une carrire rsidentielle. Les jeunes couples qui commenaient leur vie commune dans le logement social pour la poursuivre dans l accession la proprit, restent bloqus dans les cits. Avec un effet ngatif sur la disponibilit du logement social, rduite par le manque de mobilit. On a parl de ghettos propos de certains quartiers, en banlieue mais aussi dans le cur des villes. Cette notion de ghettosation a t critique1. Il est vrai qu en France le ghetto est social, et beaucoup moins ethnique qu aux tats-Unis. Mais la sgrgation s afrme et dlimite de plus en plus nettement les zones en fonction des niveaux de richesse. Entre 954 et 999 le poids des ouvriers, employs et personnels de service est pass de 60 30 dans la population active rsidant Paris. Les autres catgories ont connu l volution inverse. Paris, ville populaire, est devenue une ville de cadres et de riches. Une volution qui menace maintenant les catgories moyennes comme les enseignants du primaire ou du secondaire qui ne peuvent plus se loger dans la capitale. Tout le monde ne peut rsider dans Paris, mais il est signicatif que les moins riches soient limins de la ville o se concentrent tous les pouvoirs. C est cela, l inscription de la logique sociale dans la logique urbaine 2. 1. Voir Loc Wacquant,Parias urbains. Ghetto, banlieues, tat,Paris, La Dcouverte, 2006. 2. Voir nos ouvrages Paris mosaque. Promenades urbaines, Paris, Calmann-Lvy, 2001, et Sociologie de Paris, La Dcouverte, epres , 2004.
Le chteau et le village
Le chteau de Canisy, dans la Manche, a t class comme l une des sept merveilles du dpartement par le conseil gnral. otre chteau, selon Denis de Kergorlay, son propritaire actuel, est entr dans son deuxime millnaire. Il est toujours rest dans notre famille. Compromis Au cur d un parc de trente hectares, le chteau est son aise. Mais il est gnreux et il sait partager vingt de ces hectares sont ouverts aux habitants de Canisy et des alentours. Les dix autres sont usage privatif, rservs la famille et aux htes du chteau. Sur les chemins du parc de petits panneaux indiquent la frontire et demandent au promeneur de ne pas s aventurer au-del. n tant que propritaire d un monument historique, je suis heureux de le faire partager, explique Denis de Kergorlay. Cette ouverture s inscrit dans une longue tradition familiale. Ainsi l glise paroissiale a t construite par l arrire-grand-pre du propritaire actuel en bordure du parc, sur un e terrain dont 1/5 est pris sur la proprit des Kergorlay. Cette coproprit originale est visible l intrieur du btiment, puisque la partie construite sur le domaine du chteau correspond la chapelle prive, dont l usage tait autrefois rserv la famille des chtelains. Elle se dveloppe sur trois niveaux, comme l ensemble de l di ce. La crypte est occupe par le cimetire familial, o Denis de Kergorlay sera enterr. e ne sais pas quand, dit-il avec humour, mais je sais o. Le fait d tre appel rejoindre ses anctres dans un endroit part, spar de la foule ordinaire des morts du cimetire communal, dsigne dj le futur dfunt comme un membre de la ligne. Lui aussi aura les honneurs d tre mentionn, d avoir son portrait dans les nouveaux livres que l on crira sur sa famille 1. Au rez-de-chausse de l glise, les bancs attendent les dles, qui pourront patienter avant le dbut de l of ce en dchiffrant les inscriptions qui, sur les murs et au sol, immortalisent quelques Kergorlay. Au balcon sont d autres bancs, en surplomb du reste de l glise, d o l on peut lire sur les vitraux la devise de la famille ide-toi, Kergorlay, et Dieu t aidera , qui accompagne le blason de vair d or et de gueules. Le btiment a deux entres, l une donne sur le village tandis que l autre, sur le ct, ouvre sur le parc et permet d accder directement la chapelle. Il y a quelques annes encore, celle-ci tait spare de la nef par une haute et large grille de fer forg qui orne aujourd hui, plus qu elle ne la ferme, l entre principale du parc du chteau. Les relations avec la municipalit de Canisy se sont rcemment dtriores. Il est possible que ces symboles, par leur force mme, aient jou ngativement en faisant de Denis de Kergorlay, dans les reprsentations de certains, le nouveau seigneur. Les traces des rapports sociaux d autrefois, comme cette chapelle prive dans l glise du village avec ses spultures part, sont encore visibles. Elles font percevoir le chtelain du XXIe icle comme le continuateur de ses anctres. Certains de ceux-ci furent guillotins pendant la Terreur. Denis de Kergorlay, devenu maire de Canisy, s tait tonn de ce que le 14 uillet ne soit pas clbr de faon plus clatante dans la commune, qu il n y ait ni bal ni feu d arti ce cette occasion. Il dcouvrit alors que cette discrtion dans les clbrations nationales tait lie au pass de sa famille. En 1985, le chtelain avait t sollicit par quelques lus et quelques familles du village pour remplacer le maire subitement dcd. Noblesse oblige et chteau contraint alors relativement disponible, il ne pouvait gure refuser de se prsenter aux lections. Il fut maire de 1985 1995, deux mandatures au cours desquelles le conseil municipal montra un consensus sans faille autour de l avenir du chteau. Denis de Kergorlay ne sollicita pas un nouveau mandat en raison d un emploi du temps trop charg.
Tensions Les relations entre le chteau et le village se dgradrent alors progressivement, les nouveaux lus tant dans la dure du mandat lectif de cinq ans et dsirant aller vite dans la ralisation de lotissements. La pression de Saint-L, chef-lieu de la Manche, 20 00 habitants en 1999, quelque huit kilomtres, se fait sentir. Avec 1 00 habitants en 2005, Canisy a connu un accroissement de sa population de 7 depuis 1999, de plus de 50 depuis 1968, date laquelle le village comptait 662 habitants. La commune rurale prend peu peu une allure de commune dortoir et les constructions neuves se multiplient. Pendant la priode o Denis de Kergorlay tait maire, il n avait pas mis en uvre la loi de protection applicable sur un rayon de 500 mtres autour des monuments historiques classs. Il n tait encore que peu impliqu dans la gestion de son domaine. e ne connaissais pas cette loi, dit-il. Et j ai accord des permis de construire pour un lotissement de maisons individuelles. Et mme plus, ma famille et moi-mme, nous avons vendu des terres pour raliser des logements sociaux, la demande du maire d alors. Or la loi du 25 vrier 1943 impose un primtre de protection de 500 mtres autour d un monument protg. Toute modication doit avoir l aval de l architecte des Btiments de France. Il s agit de garantir le maintien du cadre dans lequel il a t construit, souvent un paysage ou un environnement urbain remarquables. Cet crin d origine, lui aussi protg, garantit une prennit plus grande de l uvre architecturale. Lorsque le chtelain tait aux commandes de la municipalit, la situation n tait pas toujours simple grer. tais dans la contradiction suivante en tant que maire je dfends l ide du dveloppement, mais en tant que chtelain, je dfends le chteau. La tempte de 1999, qui a ananti des rideaux d arbres centenaires, a dvoil des vues inattendues sur les lotissements rcents. Plus grave encore, le nouveau plan local d urbanisme (PLU) prvoit une zone caractre industriel et commercial en bordure du parc. i je ne m y oppose pas ds aujourd hui, il risque de se construire un jour un centre commercial avec des enseignes lumineuses Cette menace a dtrior les relations entre le chtelain, qui entend faire jouer la protection des 500 mtres, et le conseil municipal dont il ne fait plus partie.
Conit L image du chteau gnreux, qui offre du terrain pour la construction de l glise et qui ouvre son parc aux habitants, est devenue aux yeux de certains celle de emmerdeur, celui qui empche le village de se dvelopper car il prend trop de place . la cohabitation paisible, voire amicale, a succd une situation conictuelle puisque Denis de Kergorlay attaqu le PLU auprs du tribunal administratif pour non-respect de la protection des abords d un monument historique . Avant d en arriver au tribunal administratif, Denis de Kergorlay a mobilis son capital de relations pour parvenir un dialogue et une entente avec les lus en charge de l urbanisme Canisy. Le chtelain, vice-prsident de La Demeure Historique, une association qui regroupe les propritaires privs de monuments historiques, n ignore plus rien de la lgislation pour la dfense du patrimoine. Il s est mis en contact avec Michel Clment, directeur du patrimoine et de l architecture au ministre de la Culture, qui lui a conseill de dposer une demande de cration de zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) auprs du prfet de la Manche. Lequel a donn son accord de principe sur cette cration. Le maire de Canisy s y est oppos. La politique de conciliation a donc chou. Pour convaincre ses interlocuteurs, Denis de Kergorlay fait visiter les abords du parc, l o les terrains devraient accueillir les lotissements et l ventuel centre commercial. Il montre aussi les photographies prises par le rgisseur du domaine, Hubert Poisson, de son ULM (ultra lger motoris), avec lequel il survole rgulirement la rgion. L un de ces clichs, ancien, rvle un chteau pos au cur d un crin de verdure, dans un paysage normand encore intact. Un autre, pris en 2006, montre des lotissements ayant pris d assaut les abords immdiats du parc. Il est sans doute temps pour Denis
de Kergorlay de marquer son dsaccord avec l extension de cette urbanisation qui risque de dgrader un ensemble architectural et vgtal remarquable, agrment de vastes pices d eau, refuges pour les canards et les cygnes noirs. La dfense du patrimoine est certes une ncessit, l amnagement urbain et l quipement des communes aussi. L occupation de l espace est un enjeu o peuvent se dvelopper des contradictions, d autant plus difciles rsorber que les zones constructibles se rduisent. 1. Comme celui de Jacques Dumont de Montroy, Les Kergorlay dans l Oise et en Normandie, Beauvais, GEMOB, 2006.
Lupp en est aussi le maire. Inscrit l inventaire supplmentaire des monuments historiques depuis 1976, le chteau est entour, au sud, par un vaste parc, des tangs et un bois qui sont inclus dans le Parc naturel rgional Oise-Pays de France. Il est protg au nord par l Oise et l ouest et l est par des terres agricoles qui font partie du domaine. De tous cts une barrire verte, qui permet au marquis de Lupp de conclure e suis scuris. e Toutefois le chteau reoit des visites l glise et la mairie sont installes dans le parc. L glise, du XVI icle, tait celle du chteau. Dgrade pendant la Rvolution, transforme en mairie, elle fut rendue au culte en 1813. Les chtelains accueillirent la mairie dans les communs et rent don de l glise la commune. Les habitants de Beaurepaire, pour aller au mariage de l un des leurs ou pour accomplir leur devoir lectoral, doivent emprunter l alle ombrage de plusieurs centaines de mtres qui conduit de la route dpartementale au chteau. pied, cette longue marche d approche a quelque chose d impressionnant, comme s il s agissait de franchir un sas pour passer de l ordinaire l extraordinaire. Pour accder l glise, les dles empruntent une passerelle de bois qui enjambe les douves du chteau o nagent paisiblement es cygnes de richesse , comme dit avec humour le chtelain lui-mme. Devenu glise communale, le btiment, d un trs beau style Renaissance, est entretenu aux frais du village. Il a toutefois bnci, en 1988, pour la rfection de la toiture, des subventions de l tat et du dpartement, le monument tant inscrit. Il s y est ajout un chque de Marcel Dassault, dput d une autre circonscription de l Oise, envoy sous enveloppe l adresse ommune de Beaurepaire. Toit de l glise . Les membres de la famille Lupp apprcient cet endroit au point d y clbrer les mariages des neveux et nices, des cousins et cousines et bien sr de leurs propres enfants. Christian de Lupp conduira lui-mme la crmonie civile pour sa lle qu il mariera en septembre 007. Comme il dit, c est la joie e tout pre et maire . La famille a fourni sans discontinuer le premier magistrat du village depuis 1890 cent dix-sept ans de bons et loyaux services. Les locaux de la mairie sont deux pas du chteau, au premier tage des communs le bureau du maire, avec la photocopieuse la disposition des habitants le samedi matin, la petite bibliothque, la salle du conseil. Sous le regard d un portrait de Jacques Chirac, alors prsident de la Rpublique, une grande table et neuf siges attendent les conseillers municipaux. Une armoire contient les archives communales. Dans un coin est relgu l isoloir pour l accomplissement du devoir lectoral. Le cadastre, un service important dans une commune rurale, a droit une petite pice pour lui seul. La commune paie l lectricit. L occupation des locaux se fait par accord tacite pas de contrat de location. Pour le maire, cela va de soi, il est chez lui mais les conseillers sont hbergs titre gracieux. Depuis le temps, cette mairie dans les communs, cela va de soi pour les Lupp. est normal, je n ai jamais fait de chantage, dclare Christian de Lupp. Je n ai jamais dit Je me tiens la disposition de mon successeur pour le dmnagement des archives De toute faon, cela risque fort de durer le ls de l actuel marquis est conseiller municipal. Il faut dire que la commune a un train de vie modeste. Le budget a t de 80 00 en 2006. Les habitants sont ravis de pouvoir proter des salles de rception du chteau pour les crmonies familiales. De mme, les ftes du village ont lieu au chteau, comme l arbre de Nol. Une fois par an la commune offre un djeuner. En alternance dans un restaurant et dans le parc du chteau, o se trouve d ailleurs aussi le cimetire communal. Une telle situation n est pas unique. La mairie d pinay-Champltreux occupe l ancienne maison de l intendant dans le parc du chteau dont le duc de Noailles est le propritaire. Le chteau du Fayel, proprit des Coss Brissac, abrite l glise du village. Beaurepaire ne fait que pousser un peu plus systmatiquement la symbiose entre le chteau et la commune. Brcy les alentours du chteau sont remodels, Beaurepaire les emblmes du village, lac et religieux, font partie du parc. Deux faons de gommer les limites entre le chteau et la commune pour en faire une entit uni e.
Les 130 hectares permettent aux joueurs de pratiquer leur sport dans les meilleures conditions, sans engorgement sur le terrain. est merveilleux, on joue trs facilement, commente douard de Coss Brissac. Au fond, le luxe, c est d tre son aise. Si vous tes nombreux, vous vous gnez. Vous tes oblig d avoir une discipline rigoureuse et a embte les puissants qui sont l. L ambassadeur des tats-Unis ou les associs de la banque Lazard ne sont pas habitus attendre sur un terrain de golf. Morfontaine fait partie des cercles recenss par le Bottin Mondain. La prsidente actuelle, Anne-Marie de Chalambert, y est mentionne, avec une adresse avenue Henri-Martin et deux autres lies au golf Apremont, dans l Oise, et Arcangues, dans les Pyrnes-Atlantiques, o le village et le chteau sont entours par un parcours de golf qui garantit la tranquillit des lieux. Georges Hervet, hritier de la banque familiale du mme nom, est membre du Golf de Morfontaine et donne des adresses sur le boulevard Maurice-Barrs Neuilly, face au bois de Boulogne, dans les Parcs de Saint-Tropez, dans le Cher et Cabourg. Ces adresses dessinent un espace rsidentiel que l on qualierait volontiers de rve o la quitude accompagne une srnit de bon aloi. Pour faire image, on opposera les adresses que pourrait donner un tourneur sur mtaux de Villeneuve-Saint-Georges, habitant un petit logement avec vue imprenable sur la route nationale 6 et les voies arrivant de la gare de Lyon et au-dessus duquel les avions sortent leur train d atterrissage en approche de l aroport d Orly. L t il a pour habitude de passer quinze jours au camping-caravaning des Sables-d Olonne. Il y retrouve sa sur et son beau-frre d Hnin-Litard o il lui arrive d aller fter Nol ou le Nouvel An. Nous avons bnci pour cette enqute d un accueil aimable et conant. Mais l ouverture du milieu grand-bourgeois aux sociologues a ses limites malgr des appuis que nous pensions dcisifs et de nombreuses dmarches, nous n avons pas pu visiter le golf, qui se rvle tre l un des endroits les plus ferms de cet univers. Impossible mme de connatre le montant de l action et celui des cotisations. est priv, les membres sont chez eux. Le refus tait sans appel. L histoire de ce club de golf, laquelle s entremlent celles d hritiers et d hritires de la haute noblesse franaise et d une famille juive de banquiers internationaux, met en lumire la lente et patiente construction, au l des gnrations, d un espace familial et d un espace gographique o s enracinent les diffrentes formes de richesse. Mais sur les 1 00 hectares, on trouve, ct du golf, les 185 hectares lous un centre d essais automobile. Cr en 1956 par Simca, ce centre est pass sous le contrle de Chrysler, puis de Peugeot, auquel succde Valo, le principal quipementier automobile franais, qui se retire en 1993 aprs un recentrage de ses activits. Le centre d essais est alors lou Matra Automobile et prend la forme d un GIE (groupement d intrt conomique), le Ceram (Centre d essais et de recherche automobile de Mortefontaine). Il comporte 15 m de pistes, dont un anneau de vitesse de 3 m, permettant de rouler jusqu 250 m/h un circuit routier de 5 m, terrain d essais pour les pneumatiques, les suspensions, les problmes de la liaison au sol un circuit ville avec des zones de manuvre. Le Ceram sert la mise au point des nouveaux vhicules, celle des quipements et leur prsentation commerciale. En 2003, la socit Pininfarina acquiert le ple ingnierie de Matra Automobile et gre aujourd hui le site de Mortefontaine. Les essais sont en principe rservs aux vhicules grand public et leurs quipements. Il arrive que des propritaires de voitures de grosses cylindres viennent savourer les hautes performances de leurs bolides, ce qui peut gner les golfeurs. Il y a une certaine tension entre ces deux manires d occuper cette partie du domaine, o, avant la seconde guerre mondiale, se trouvait le terrain de polo, l emplacement de l actuel anneau de vitesse. Cette tension exprime une contradiction interne la grande bourgeoisie. Les socits impliques dans les essais disposent avec le Ceram d un lieu prsentant des intrts certains pour leurs activits proximit de Paris et de Roissy, isolement, desserte par autoroute. Mais les membres du club de Morfontaine, qui pourraient trs bien par ailleurs tre actionnaires des socits l origine de ces essais, vivent mal les nuisances qui en dcoulent. On se trouve dans une situation semblable celle du triangle d or, dans le 8e rrondissement, dlimit par les Champs-lyses, et les avenues Montaigne et George-V. Les habitants fortuns de ce quartier ont t confronts une invasion par des activits commerciales productrices de prots importants mais qui ont dstructur le tissu urbain existant. Les beaux espaces de la bourgeoisie ne sont jamais l abri de telles contradictions d autant plus difciles rsorber qu elles sont internes au groupe, voire au groupe familial, et parfois intrieures l individu lui-mme, administrateur d une socit qui par ailleurs vient le troubler dans la quitude de son espace rsidentiel ou de loisir.
Au milieu des annes 1980, la banque Barclays et la Compagnie gnrale des eaux sont la recherche de terrains accessibles depuis une autoroute pour crer un parc d attraction de label franais. Or les terres des Gramont sont prs de l autoroute A1. Les premiers contacts avec eux ont lieu en 1985. ais les terrains taient inconstructibles. a a t toute une histoire, raconte Diane de Gramont. Mais nalement nous avons obtenu les permis de construire en 1987, la condition que le parc ne soit accessible que par l autoroute, et que l changeur pour y accder soit aux frais des investisseurs. Ouvert du dbut avril la mi-octobre, le parc accueille prs de deux millions de visiteurs par an, il emploie 120 permanents et 1 00 saisonniers. Contrl et gr par la socit Grvin ie, il est devenu l un des lments de la Compagnie des Alpes lorsque celle-ci a lanc, en 2002, une OPA amicale sur Grvin. Le parc Astrix est donc l une des socits d exploitation d un groupe, n d ailleurs la mme anne, en 1989, d une initiative de la Caisse des dpts, mais qui est cot sur le second march. Il rassemblait l origine des socits d exploitation de domaines skiables (Tignes, Les Arcs, Mribel, Serre-Chevalier en France, Courmayeur en Italie) puis s est intress aux parcs de loisirs (Astrix, Bagatelle, la Mer de sable d Ermenonville, France miniature, Walibi en Belgique) en commenant par prendre le contrle de Grvin. Le parc Astrix est l une des pices du puzzle de l un des plus grands groupes de loisirs d Europe. Le Ceram et Astrix sont deux entreprises importantes, qui s insrent l une et l autre dans des rseaux et des structures de socits qui tiennent une place non ngligeable dans la vie conomique. Ces socits ont pour bailleurs les hritiers Gramont qui leur ont lou les terrains avec des baux long terme. Ce faisant, ils sont devenus des partenaires de ces groupes. Cette solution permet aux hritiers de conserver la proprit des terres du domaine, tout en leur assurant des revenus rguliers. Mais cela n est pas all sans rcriminations de la part du voisinage et des membres du Golf de Morfontaine. l y a eu beaucoup d opposants ce parc chez les notables, se souvient Diane de Gramont. Vous allez bloquer l autoroute, a va tre pouvantable, nous a-t-on dit. Mme les membres du Golf de Morfontaine nous ont un peu tourn le dos, ayant peur de voir leur parcours automobile encombr par les visiteurs du parc. 1. George D. ainter, Marcel Proust 1871-1922, Paris, Mercure de France, 1992, p. 85-186. 2. lisabeth de Gramont, Mmoires, tome , Au temps des quipages , Paris, Grasset, 1920, et Mmoires, tome , Les Marronniers en eur, Paris, Plon, 1928.
propritaire, cela paraissait naturel 38 chefs de famille sur les Champs-lyses taient dans ce cas 1. La construction des htels particuliers avait t la seule forme d urbanisation dans ce quartier encore loign du centre de la capitale. Puis quelques commerces apparurent, lis l un des luxes de l poque, le cheval et les voitures hippomobiles (sellerie, carrosserie). Cependant les industries, les banques, les groupes nanciers la recherche, pour leurs siges sociaux, de localisations dignes de l image qu ils entendent donner d eux-mmes, sont attirs par un quartier devenu un des hauts lieux du hic parisien . Puis les ambassades, la joaillerie et la haute couture, les cabinets d avocats et autres socits de conseil tentent eux aussi de s approprier la griffe spatiale de ce beau quartier. l occasion de successions les appartements et les htels particuliers sont achets par des socits qui s y installent. Les salons et salles manger deviennent des bureaux, les structures intrieures des immeubles sont ramnages, une opration devenue frquente et dsigne par le nologisme de faadisme. La haute couture installe ses ateliers dans les tages. Les grandes familles ont t l origine de l urbanisation de ces quartiers excentrs. La voracit immobilire du monde des affaires va les submerger. Les familles de la grande bourgeoisie dlaissent alors un habitat qu elles avaient pourtant faonn pour leur usage. Le quartier est progressivement vid de sa substance rsidentielle. La population du 8e rrondissement tait passe de 15 00 habitants en 1805 108 00 en 1891, durant un sicle d urbanisation intensive et fastueuse. On n y compte plus que 68 00 habitants en 1968 et 39 00 en 1999 alors qu la mme date quelque 225 00 ersonnes y travaillent. Le dpeuplement parat aussi irrversible que l invasion par les activits qui bouleversent de fond en comble l atmosphre du quartier 2. Les membres des quelques familles de la haute socit qui rsident encore dans les rues de ce quartier, ou qui s y rendent parce qu elles y ont leur bureau ou leur cercle (le Travellers est au numro 5 de l avenue, le Jockey est tout proche, rue Rabelais) parlent volontiers de aune propos des badauds qui montent et descendent es Champs . Ils rejettent ainsi dans l animalit ceux qui ne leur ressemblent pas et disqualient sans appel leur faon d tre et de faire. L allure distingue, la tenue irrprochable, l lgance et la distinction des promeneurs d autrefois ont cd la place aux postures ngliges de passants qui appartiennent de toute vidence un autre monde. Les grands bourgeois contraris, exclus de fait de l avenue devenue infrquentable certains jours certaines heures, supportent mal, l heure du djeuner, de croiser les midinettes sortant des ateliers de couture, croquant dans leur sandwich tout en faisant du lche-vitrines. Lorsqu on sait se tenir, on ne mange pas dans la rue. Les touristes, l t, leur offrent un spectacle insoutenable certains se promnent en short, voire en arcel (tricot de corps sans manches), on en a mme vu torse nu, dgustant assis sur un bord de trottoir un ig Tasty dgoulinant La perception des hirarchies sociales passe par celle du maintien du corps, de la gestion des besoins de ce corps. Leur manifestation trop explicite n est gure la bienvenue. L opposition entre le as et le aut du monde social renvoie aux oppositions terre/debout, avachi/digne, vautr/ redress. Toutes ces oppositions se retournent d ailleurs en dcontract/guind lorsqu elles sont perues d un autre point de l espace social. La manire de grer le corps est lue comme une expression symbolique de la place dans le monde et du rapport celui-ci, dominant ou domin. Cette manire d apprhender la position sociale de l autre permet de renvoyer l origine du systme des diffrences et des ingalits la nature et donc l ordre intangible des choses. Il fallut la mobilisation de patrons d entreprise, d habitants du 8e rrondissement et de personnalits des arts et des lettres pour arrter ce qui tait peru comme une dgradation. Le comit Remontons les Champs-lyses a t cr en 1988 avec un nom qui est aussi un calembour. Il signiait que l avenue tait tombe assez bas pour qu il soit urgent de prendre des mesures conservatoires. Ce comit et d autres concernant les Champs-lyses ou les alentours, comme le comit Montaigne et le comit George , ont mobilis leurs relations pour que la Ville de Paris entreprenne une remise en valeur de cette avenue qui fut aristocratique et lgante. Des travaux de rnovation ont transform le paysage urbain. Les automobiles avaient submerg les contre-alles, envahies par un stationnement plus ou moins sauvage. Elles ont t rendues aux pitons. Les places perdues par le stationnement en surface ont t compenses par un parking en sous-sol. Une deuxime range d arbres masque la densit des constructions et celle de la circulation. Jean-Michel Wilmotte, designer la mode, a conu un nouveau mobilier urbain. Des copies de lampadaires du XIXe icle, ainsi que des colonnes Morris, dans lesquelles on a install des cabines tlphoniques, et un ou deux kiosques journaux, donnent un petit air haussmannien et l. Cette coexistence avec un design trs moderne a t parfois critique. Les commerces, les terrasses des cafs et les restaurants ont d limiter leur emprise sur la voie publique et rendre leur prsence plus discrte par une modication des enseignes. Les sols des trottoirs ont t recouverts de dalles de granit clair, qui vient du Tarn. Il aurait fallu, selon Philippe Denis qui eut pendant des annes son bureau proximit, prfrer un granit sombre de Bretagne, moins salissant, qui aurait moins craint les outrages des chewing-gums d une jeunesse peu prvenante pour les semelles des promeneurs. Ce qui n empche pas l avenue d avoir retrouv une nouvelle fracheur. Les commerces et les tablissements de luxe sont revenus. La reconqute aboutira-t-elle L ouverture d un luxueux htel international en juillet 997 a sembl manifester un changement. L ancien immeuble de Louis Vuitton a accueilli l htel Marriott au n 0. Au premier tage l atrium, anqu d un bar o un pianiste cre une atmosphre feutre, a grande allure et rend sensible le passage de l agitation des trottoirs ce calme d un autre monde. Les enseignes du luxe sont de retour Cartier, Montblanc, Lancel, Hugo Boss ont franchi le pas. La rapparition de Vuitton au n 01, l angle de l avenue George-V, est un signe fort. Le Fouquet s, juste en face, a fait appel Jacques Garcia, architecte d intrieur et dcorateur fort en vogue, pour restaurer les salles de ce restaurant frquent par les acteurs, ralisateurs, scnaristes et producteurs. Les maisons de production sont nombreuses avoir leurs locaux dans le quartier. Ce qui a valu ce restaurant le label de ieu de mmoire , cr par le ministre de la Culture pour le protger d une menace de fermeture. Le mme Jacques Garcia a assur la dcoration du palace Fouquet s Barrire qui a ouvert en 2006, occupant une grande partie de l lot o se situe le restaurant. Le soir de son lection la prsidence de la Rpublique, Nicolas Sarkozy est venu y fter sa russite. Les Champs-lyses avaient connu et perdu trois grands palaces, de stature internationale. L lyse-Palace au 103 de l avenue ne survcut pas la Grande Guerre. Ds 1919 il est achet par le Crdit commercial de France (CCF, aujourd hui intgr au groupe HSBC) pour son sige social. L Astoria, prs de l toile, survivra jusqu en 1957. Il est achet par Marcel Bleustein-Blanchet qui y installe Publicis et le premier drugstore parisien. Mais l immeuble brle en 1972. Le Claridge, au numro 4, a cd la place une galerie marchande, les tages tant occups par une luxueuse rsidence htelire. Seule maison de luxe de cette importance tre reste dle l avenue, la parfumerie Guerlain doit depuis quelque temps se sentir moins seule. Le 27 vril 1938 la famille Guerlain ouvre e plus grand institut de beaut du monde dcor par Christian Brard et Giacometti dans l htel particulier de la famille, construit en 1914 par l architecte du Ritz, au 68, avenue des Champs-lyses3 . Si une certaine reconqute est en cours, la diversit des enseignes et des clients reste grande. Ainsi la bourgeoisie peut prouver quelques difcults contrler les forces qui travaillent la ville. Sa mobilisation semble tre parvenue enrayer un processus qui paraissait inluctable. Mais le combat est sans cesse recommencer. Avec les grandes ftes populaires sur es Champs , la prsence de commerces qui attirent, grce la desserte par le RER, une clientle plus jeune et plus mlange, des salles de cinma encore nombreuses, bien que menaces, les lumires de la ville et un pseudo-luxe clinquant mais pas totalement inabordable, les Champs-lyses restent un lieu de dtente, de sortie pour une population que les grands bourgeois ne ctoient plus gure dans l intimit de leurs beaux quartiers de l ouest. Dsormais, c est un tourisme de masse qui contribue tirer l avenue vers les grands boulevards. En matire urbaine rien n est jamais acquis.
1. Jusqu en 1903 l Annuaire du Commerce Didot-Bottin recense par rue la fois les familles de la bonne socit et les commerces, et ce depuis 1797. partir de 1903 la maison Didot-Bottin ditera de manire spare l Annuaire du Commerce et le Bottin Mondain. Voir Cyril Grange, a Liste mondaine. Analyse d histoire sociale et quantitative , Ethnologie franaise, 1990/1, et Les Gens du Bottin Mondain. Y tre c est en tre, Paris, Fayard, 1996. 2. Voir Quartiers bourgeois, Quartiers d affaires , op. cit. 3. Source <www.prodimarques.com/sagas>.
Le Cercle du Bois de Boulogne En 2007 ce cercle familial comptait 3 50 adultes et 2 70 nfants et adolescents (jusqu 25 ns). Sa concession avec la Ville de Paris arrivait chance le 31 cembre 2005 et son renouvellement s annonait difcile cause d un vu du conseil de Paris, adopt en octobre 004, portant sur l amnagement et la valorisation du bois de Boulogne, dans la perspective de l organisation des jeux Olympiques de 2012. Ce vu a t vcu au cercle avec une grande motion. On peut en effet y lire a Ville dcide d ouvrir au public, dans un dlai maximum de deux ans, d importants espaces actuellement compris dans le primtre de concessions ar le non-renouvellement de la concession du Tir l Arc, permettant un gain de 1,57 hectare, tout en veillant au redploiement de cette activit sur un autre site ar la rednition de l actuelle concession du Tir aux Pigeons, permettant d ouvrir, aprs ramnagement dans le respect du site class, un minimum de 3 hectares, tout en prservant sur le site une pratique sportive de qualit et ouverte au
plus grand nombre. Dans la perspective des jeux Olympiques, il s agissait de reconqurir 11 hectares d espaces naturels. Ce vu tait applicable mme au cas o la candidature de Paris n aurait pas t retenue. Les forces vives du cercle se sont mobilises pour construire un projet novateur. Au 31 cembre 2005, alors que la Ville de Paris avait lanc un appel d offres, le Cercle du Bois de Boulogne s tant retrouv seul candidat sa succession, sa concession fut prolonge pour de courtes priodes, en attente de l organisation d un nouvel appel d offres. Elle doit maintenant se terminer le 31 ot 2007. Le dernier renouvellement rappelle l obligation de dpolluer le site de tir avant son retour la ville. Le tir aux pigeons vivants la cration du cercle, puis en argile a conduit une accumulation de rsidus de plomb. Le dossier de consultation tabli par le bureau des concessions sportives de la mairie de Paris, dans le cadre de l appel d offres pour l attribution de la concession de l ancien Tir aux Pigeons tait clair emprise au sol totale du site est d environ 4 hectares . Qui seraient autant de supercie de moins pour la nouvelle concession pour laquelle postule le Cercle du Bois de Boulogne. Peut-tre parce qu il n avait aucune marge de manuvre, ni sur le plan juridique, la concession arrivant chance, ni sur le plan politique, compte tenu d une majorit municipale ne pouvant admettre le principe de la rservation d hectares de bois public sous le seul critre de la prfrence sociale, le Cercle du Bois de Boulogne a renonc sa spcicit de club. Il se prsente maintenant comme une simple association sportive. On peut ainsi lire dans son dossier de candidature dpos le 12 uin 2006 qu n de souligner sa volont d ouverture, l Association a dcid de changer de nom et de rformer sa politique d admission. Dsormais, l Association Sportive du Cercle du Bois de Boulogne s appellera, sous rserve de l acceptation de la Ville de Paris, l Association Sportive de Paris Bois de Boulogne (ASPBB). Par ailleurs le principe de l admission par parrainage est supprim. la place sera installe une commission d admission dont la mission sera d tudier l ensemble des dossiers qui lui seront soumis sur la base des critres rpondant la vocation sportive et socio-ducative du Club . L attribution de la concession est sollicite pour une dure de vingt ans. L association propose e futurs partenariats qui seront mis en place avec les coles et les associations sportives parisiennes .
Alors que le Cercle du Bois de Boulogne compte parmi ses membres nombre de personnalits on peut tre surpris par le peu d chos soulevs par ce qui semble tre un coup dur pour la bourgeoisie. Pierre-Christian Taittinger, maire du 16e rrondissement, dans lequel est inclus le bois de Boulogne, est membre d honneur du cercle, comme des autres clubs qui y sont implants. Le premier mariage de Nicolas Sarkozy y a t ft le 23 eptembre 1982, Charles Pasqua et Brice Hortefeux en tant les tmoins. L attitude des responsables du cercle est apparemment plus mesure que ce que l on pouvait attendre. Le Cercle du Bois de Boulogne est une institution plus que centenaire, o nombre de familles de la haute socit ont des souvenirs. C est d une partie des ieux de mmoire de leur pass dont ils vont tre privs, certains diraient mme spolis 2. Est-ce que les membres du cercle, sentant la partie perdue, ont prfr adopter un prol bas an de prserver l avenir d autres concessions, notamment celle du Polo Ou bien ont-ils fait le pari que la lourdeur administrative, couple avec l ventuel succs de la droite aux municipales de 2008, pourraient permettre de revenir au statu quo ante dans l indiffrence gnrale Ou bien encore, l offre de cercles tant abondante, sinon plthorique Paris et dans sa rgion, analyse aurait t faite que les membres trs sportifs pourront continuer pratiquer leur discipline favorite, notamment le tennis ou la natation au sein de la nouvelle structure, tandis que ceux, plus gs, qui frquentent le cercle pour les plaisirs de la conversation, pour retrouver des amis ou des personnes de leur famille au restaurant, pourront trs bien se replier sur d autres clubs. moins que, compte tenu de la proximit de Neuilly et du 16 e rrondissement, cette partie du bois, proche de ces quartiers trs rsidentiels puisse de fait rester peu frquente par d autres milieux sociaux. En juillet 007, il a t propos au conseil de Paris que le site soit occup par la Ligue de tennis de Paris, en partenariat avec le Cercle du Bois de Boulogne. Celui-ci contribuera aux investissements ncessaires (4 illions d euros) ainsi qu au loyer qui sera augment. 1. Patricia Jolly et Bndicte Mathieu, n empire sportif, Lagardre joue les champions , Le Monde, 19 cembre 2006. 2. Jean-Pierre Chaline, avec Nathalie Duval, Le Cercle du Bois de Boulogne. Tir aux pigeons: cent ans d histoire, 1899-1999, Paris, Le Cercle du Bois de Boulogne, 1999.
rseaux de liens commerciaux et d amiti, qui se sont transmis de gnration en gnration. ai toujours entendu parler du Liban la maison. Les amis de mes parents venaient dner et nous tions trs contents de les accueillir dans le bonheur et la conscience de la richesse de ces amitis internationales. Cette affaire familiale, aux ramications mondiales, fut vendue au dbut des annes 1990, lorsque le pre de Dominique-Henri Freiche cessa son activit. Le ls ne souhaitait pas reprendre cette socit, que son pre lui avait propose mais ne voulait pas lui imposer. Pour le ls, le got des voyages mais surtout l envie de crer ses propres affaires l ont emport sur le devoir de prenniser l uvre de ses anctres. Encore que Dominique-Henri Freiche a hrit de ce rapport au monde, dont il a fait son jardin. La grande bourgeoisie est cosmopolite structurellement les affaires, les rsidences, les loisirs et la culture s enracinent depuis longtemps l chelle de la plante. L ducation intgre cette dimension cosmopolite. La mre de Dominique-Henri Freiche est italienne et est aussi issue d une famille de voyageurs qui nirent d ailleurs par s tablir en France. Trs tt elle persuada ses enfants de l intrt pour eux de parler plusieurs langues trangres et fut assez intransigeante dans cet aspect de leur ducation. N au Gabon, Dominique-Henri Freiche parle cinq langues couramment le franais, l anglais, a seule langue internationale dans le domaine des affaires , l espagnol, le portugais et, bien sr, l italien. Tout en tant averti des dangers, en particulier sanitaires, que cachent les plus passionnants des voyages, DominiqueHenri Freiche a t lev dans une conception du monde qui en faisait un jardin, un lieu parcourir en tous sens sans crainte. Trs jeune, il a possd le mode d emploi de la plante qui allait tre le thtre de son existence. Sa vie s est dploye l chelle de la terre qu il ne parcourut pas en aventurier, sans feu ni lieu, mais en professionnel des affaires et en gourmet de la vie. Le message fut capt assez tt pour qu il prfrt les grandes vacances dans la brousse gabonaise, o ses grands-parents taient propritaires de forts, plutt que sur les plages de Menton o sa famille avait une villa. Aprs des tudes de droit et de gestion des entreprises, en France et aux tats-Unis, Dominique-Henri Freiche part pour la Guine-quatoriale avec deux amis. Ils ont tous les trois 26 ns et le projet de reprendre une plantation sur une le. De nombreuses terres y sont l abandon et le gouvernement souhaite les rhabiliter. Les investisseurs ont des garanties car le pays met en place un certain nombre de procdures en prvision de l entre du pays dans la zone franc. En 1986, les trois amis vendent la plantation un groupe espagnol. Elle s tait dveloppe et sa vente leur a procur une certaine aisance. la n des annes 1980, la mondialisation prend une ampleur nouvelle avec a possibilit de faire en Asie, en Inde, ou mme en Afrique, un certain nombre d oprations de travail qui ne peuvent plus se faire en France, cause du renchrissement du cot de fabrication . Autrement dit, la perspective des dlocalisations industrielles est apparue comme une piste explorer. Dominique-Henri Freiche fait alors, pendant six mois, le rand tour de l Asie, o il visite une vingtaine de pays. Puis il fonde une socit spcialise dans la dlocalisation des entreprises textiles au Sri Lanka, qui cre des zones franches pour dynamiser son conomie, ainsi qu en Inde et au Bangladesh, tandis qu il habite Hong-Kong. Au bout de dix ans, il vend une partie des actions de cette socit, tout en en restant administrateur. Il a conserv une maison au Sri Lanka, o il sjourne encore cinq mois par an. Dans la montagne, 2 00 mtres d altitude, au milieu des plantations de th, il joue dans un club de golf fond il y a un sicle par un cossais. Il fait de longues promenades cheval dans un paysage de lacs, de sapins et de rivires. son retour en France, aprs ses dix annes passes en Asie, Dominique-Henri Freiche a t nomm par dcret du Premier ministre, alors douard Balladur, auditeur l Institut des hautes tudes de dfense nationale (IHEDN). Cr en 1936, ce service de l tat est implant l cole militaire, Paris. Directement plac sous l autorit du Premier ministre, il runit en sessions des personnalits et des responsables civils et militaires, pour les sensibiliser aux questions de la dfense du territoire national. L IHEDN gure parmi les coles et les instituts mentionns dans les notices de la liste mondaine du Bottin Mondain. L IHEDN apparat chez nombre de nos enquts. La proximit sociale entre les auditeurs de l IHEDN doit tre importante, si l on en juge par le fait que, sur les quatrevingt-quatre de sa promotion, Dominique-Henri Freiche compte encore aujourd hui quarante amis, dont une vingtaine de trs bons amis. Il est vrai qu il s inscrit parfaitement dans la sociabilit grande bourgeoise. Depuis 1982 il est membre de l Automobile-Club de France o ses parrains furent le clbre journaliste du Figaro, James de Coquet, aujourd hui disparu, et le comte Carlotto, industriel italien du textile. L Union-IHEDN rassemble plusieurs milliers d anciens auditeurs rpartis en associations internationale, nationale, rgionales et thmatiques dans lesquelles les auditeurs se retrouvent pour poursuivre les rexions qu ils ont commenc dvelopper l institut. Malgr les nombreux voyages organiss par l IHEDN, Dominique-Henri Freiche avoue que e reste du monde lui a manqu. Il est alors all tenter sa chance au Cambodge o il a vcu pendant un an et demi Phnom Penh. Aprs la priode des Khmers rouges et l occupation vietnamienne, le pays tait reconstruire avec des conditions scales avantageuses pour les investisseurs trangers. Dominique-Henri Freiche a achet des terrains, puis, avec deux associs, un Cambodgien et un Franais de Hong-Kong, il a ralis quelques oprations immobilires. Comme la communication tait difcile, il a pris des cours de khmer dans une cole cambodgienne. En 1996 il reoit n message d un ami qui tait administrateur dans le groupe de Franois Pinault, PPR (Pinault, Printemps, Redoute), [lui] disant que Franois Pinault souhaitait rencontrer des hommes d affaires ayant cr des socits en Asie . Dominique-Henri Freiche a alors 40 ns. l issue d un djeuner qu il n est pas prs d oublier, Franois Pinault lui propose d entrer dans son groupe pour tenter de le dvelopper en Asie. D.-H. Freiche rside alors pendant deux ans Singapour d o il dirige la nouvelle liale PPR Asie avec la double mission d amliorer les conditions d achat du groupe dans cette partie du monde, et d y implanter un certain nombre de socits du secteur de la grande distribution, le Printemps, la Redoute, Conforama ou la Fnac. Puis il rentre en France pour prendre en charge le dveloppement international de l ensemble du groupe. Bien qu alors install Paris, il passera son temps voyager, estimant ses dplacements 1 00 eures d avion par an, soit une moyenne quotidienne de trois heures. e lundi Santiago du Chili, le mercredi Varsovie et le samedi Tokyo, c tait fatigant mais terriblement passionnant de contribuer au dveloppement d un groupe aussi magnique, avec le monde comme terrain de manuvre. La gnralisation de l internationalisation des affaires, avec les dlocalisations des industries manufacturires et des services, assure une longueur d avance ceux qui bncient de dispositions cosmopolites1. C est--dire la grande bourgeoisie qui a, depuis longtemps, des intrts un peu partout travers le monde, qui voyage et qui envoie ses enfants tudier ici et l. Le monde est le jardin de jardiniers, enfants de jardiniers qui ont transmis leur descendance les savoir-faire, les connaissances, les trucs du mtier qui permettent aux nouvelles gnrations d inscrire positivement et avec succs leurs existences dans le jardin du monde.
Le got de l aventure Jean d Harcourt cultive la plante comme son verger puisqu il a fait ousser des arbres fruitiers travers le monde. J ai commenc au Maroc partir de proprits qui appartenaient diffrents membres de ma famille. Puis en Colombie o j ai failli me faire assassiner. En Patagonie je me suis investi dans l levage de moutons et de bufs. Puis Caen, o je faisais des pommes, des poires, des fraises, des groseilles et des framboises . Sans oublier toutes les activits agricoles lies au domaine de Normandie dont Jean d Harcourt a hrit avec son frre. C est un de ses anctres qui a fond Port-Harcourt, au Nigeria, au XIXe icle. plus de 75 ns aujourd hui, il est trs investi dans une nouvelle aventure en Afrique. e suis tomb par hasard,
comme beaucoup de choses dans ma vie, sur quelqu un qui montait un projet en Guine-Bissau, dans l archipel des Bijags. J y suis all et je m y suis intress. C est trs beau. Il y a environ 80 les et lots dont seuls 21 sont habits. Il y a des tribus qui font un peu de culture du riz et qui vivent de la pche et de la cueillette. Sur l une d entre elles, des gens de Dakar ont obtenu l autorisation du gouvernement de faire un petit ensemble de maisons. Comme l archipel est class patrimoine mondial par l Unesco, il a fallu galement obtenir son autorisation. L ensemble respectera totalement le style du pays et les traditions architecturales. Les murs sont monts dans ce que l on appelle du banco, une espce d argile qui est cuite sur place et que l on mlange avec du ciment. L-bas ce sont les femmes qui sont maons, et elles montent les murs en les ptrissant. Toutes les maisons seront construites ainsi. ais avec quand mme le confort moderne. Il y aura dans ce programme, lutt haut de gamme , une vingtaine de maisons. L le est inhabite, de sorte que ceux et celles qui travaillent sur ce chantier font chaque jour l aller et retour avec l le dans laquelle ils vivent. est le bout du monde puisqu il faut aller Dakar, puis Bissau, puis prendre soit un petit avion, soit un bateau. Les terres sont vierges. Le dpaysement est total et on peut avoir le bonheur de la grande dcouverte et de la cration d autant que les les sont sacralises, il y a de la magie. C est la prolongation de ma recherche de l authenticit , conclut Jean d Harcourt. Les affaires, mais aussi l aventure, la dcouverte le nomadisme distingu de ces aristocrates et grands bourgeois allie l utile l agrable. La recherche d investissements rentables et le plaisir de l exploration du monde. C est l chelle de la terre que se construisent et se grent les espaces de la haute socit. Parfois avec de moins louables objectifs, comme celui d chapper au sc. 1. Voir Anne-Catherine Wagner, La Dcouverte, epres , 2007.Les Classes sociales dans la mondialisation ,
Un exil qui ne va pas de soi L exil dor a ses contraintes il faut prouver que l on a pass moins de 183 jours en France, dans l anne, pour tre considr comme un expatri. En pratique c est assez difcile contrler. Il n y a pas un agent des impts derrire chaque personne physique arguant des 183 jours hors de France. Il est ais de se jouer du dcompte en l absence de contrles aux
frontires. C est toutefois moins facile pour les personnes mdiatises. La rumeur belge soutient que, lorsqu ils sont de passage dans leur appartement parisien, les exils scaux n clairent qu aprs avoir calfeutr les ouvertures. Ils rglent toutes leurs dpenses en liquide, pour ne pas laisser de traces. Mais on peut trs bien vivre en France avec une carte bancaire au nom d une socit domicilie dans un paradis scal, c est incontrlable. Pour les familles qui cumulent fortune et anciennet, l ancrage territorial qui en est le corollaire constitue lui seul un frein l exil. Certes, les affaires et la mondialisation, les mariages internationaux, les coles et les tudes suprieures aux tats-Unis, les lieux de villgiature exotiques, les chasses au grand gibier dans les forts tropicales inscrivent les vieilles familles dans un internationalisme qui est consubstantiel la richesse et au pouvoir. Mais, paralllement cet internationalisme distingu, l anciennet est aussi lie un patrimoine qui a des racines profondes les maisons de famille, les chteaux sur les terres des anctres, les villas des bords de mer, les htels particuliers et les appartements parisiens. Ces enracinements vont de pair avec des rles sociaux tous les chelons de la nation conseiller municipal ou maire de la commune, certaines dynasties fournissant des dputs et parfois des ministres. Lorsque la source de la fortune est encore dans le domaine de la production, il peut y avoir des fonctions dans l entreprise, comme chez les Peugeot ou les Michelin. Mme si la richesse est devenue nancire et dconnecte du secteur productif, la mmoire du pass industriel compte encore on l a vu, en 2004, avec le tricentenaire des Wendel pour lequel le muse d Orsay fut mobilis avec une exposition la gloire de la famille et un millier de ses membres runis sous la grande verrire pour une photographie commmorant tout la fois la dynastie et le holding familial. Souvent ces lignes ont aussi l honneur de voir leur patronyme sur les plaques des rues de nos villes et de nos villages. Voil de quoi faire hsiter devant l exil scal. Il s y ajoute un rapport la fortune qui prend en compte le fait qu elle est hrite. Le descendant doit tout ses anctres, mme s il a fait fructier ce qu il a reu. Le sentiment d une dette l gard du pays et des gnrations antrieures pse sur la dcision d un ventuel dpart l tranger. Il en va autrement pour les ouveaux riches . Si cette expression a quelque chose de pjoratif, cela tient au fait que ces familles viennent seulement d arriver la tte de fortunes considrables, des tard venus en quelque sorte. La richesse vat-elle survivre la premire gnration Et aux suivantes Ces nouveaux riches fournissent probablement les gros bataillons de l exil scal. C est l avis de Philippe Marini, snateur UMP de l Oise, rapporteur gnral de la commission des nances du Snat, auteur, en 2007, d un rapport consacr l impt de solidarit sur la fortune et aux dlocalisations scales. es gens qui partent sont des gens en phase de russite, dit-il, des entrepreneurs, pour lesquels l ISF joue un rle psychologique considrable. Ils paient peu d impt au titre mme de l ISF, mais il y a dans leur conduite une part d irrationnel 8. Avant que l alchimie du temps ait pu en faire de grands bourgeois, ces migrs conomiques prouvent par leur dsertion le peu de cas qu ils font de leurs concitoyens. L argent est la valeur premire, loin devant le culte des anctres et la clbration des lieux de mmoire. Leurs racines sont nancires et le dmnagement scal montre qu ils n hsitent pas se dlocaliser eux-mmes pour ne pas payer leurs impts. Toutefois il semble bien que, mme exiles, ces familles dsirent conserver des liens avec le territoire national. Les fortunes, loin de souffrir de l loignement du sol natal, grossissent par l effet des conomies d impts. On peut le supposer l examen des adresses mentionnes dans le Bottin Mondain la suite de l adresse bruxelloise ou suisse. Selon Yves Jacquin Depeyre, conomiste et spcialiste de la scalit des non-rsidents, cette prsence des expatris se fait sentir dans les zones de villgiature en France. Sur les bords de mer les plus chics, ils sont nombreux parmi les propritaires de villas. Ainsi au Cap-Ferret, ou au Cap-Ferrat 9. O l on ne les voit pas souvent ils ne doivent pas tre localiss plus de six mois par an en France. Ils ne vont donc occuper leurs lieux de villgiature que quelques semaines. Comme ils n ont pas de besoins nanciers pressants, ils ne louent pas ces maisons le reste de l anne. Mais leur prsence s est fait sentir sur le march immobilier local. a saison se rduit un mois, les prix ambent et les commerants se dsolent. La croissance des richesses conduit une pression la hausse sur le march immobilier dans les rgions privilgies. n 2005, 12 des acquisitions ont t le fait de non- rsidents , avec des pointes de 20 30 dans les quartiers parisiens les plus recherchs le de la Cit, Saint-Germain-des-Prs, place Vendme, place des Vosges. es volets sont souvent ferms et le phnomne est aussi triste et proccupant [ Paris] qu au Cap-Ferrat. Cette pression sur le march immobilier ayant un effet de levier rend plus difcile aux salaris le logement dans Paris et dans les zones trs demandes. Avec comme corollaire un accroissement de l amplitude des migrations alternantes alors qu une part non ngligeable du parc immobilier reste sous-occupe. e march immobilier est spcique. Il a pour objet des biens qui ne sont pas transportables et dont l offre n est pas extensible. Pour permettre l af ux de capitaux non rsidents de s investir, il faut repousser distance les personnes qui vivent et travaillent sur place10 . Loin de soulager la tension sur le march immobilier, l exil de Franais fortuns aurait donc plutt tendance accentuer les phnomnes de sgrgation.
Concurrence entre les paradis scaux Le choix de l exil s accompagne parfois de l abandon de la nationalit franaise par naturalisation dans le pays de destination. C est ainsi que Johnny Halliday a fait savoir qu il demandait la nationalit belge pour retrouver ses racines familiales du ct paternel. on pre tait un homme relativement connu dans les cafs bruxellois, dans les bars et les bistrots, comme un personnage assez folklorique, raconte Jean-Pierre Stroobants, correspondant du Monde Bruxelles. Il y avait un a priori plutt favorable au dpart mais, en y regardant de plus prs, les dputs sont en train de voir a d un autre il. Tout le monde a compris dsormais que le but de sa demande tait quand mme l atterrissage Monaco. S il n y avait pas eu l exil Gstaad et l ampli cation des rumeurs sur Monaco, a serait pass plus facilement. En effet, les avantages scaux confortables qu offre la principaut mongasque ses rsidents ne sont pas accords aux ressortissants franais, mais jusqu prsent les Belges peuvent en bncier. Aprs avis de la commission des naturalisations de la Chambre, les dputs taient appels trancher le 6 ars 2007. Le dlai fut report de six mois, au motif que la vrication de la bonne foi des intentions du prtendant tait ncessaire. Mais pendant cette priode, une rvision de la convention scale entre la Belgique et la principaut de Monaco est prvue, qui annulerait les prrogatives des citoyens belges admis bncier des exemptions d impt en vigueur sur le rocher. La naturalisation du chanteur ne lui servirait plus rien, d autant plus qu entretemps l lection de Nicolas Sarkozy, riche en promesses d embellies scales pour les plus fortuns, incite songer au retour. La Belgique, le Luxembourg, la principaut de Monaco, la Suisse, offrent des avantages scaux aux portes de la France. Mme sur le territoire national, il existe au moins une le prserve des mfaits du sc. Dans les Antilles, SaintBarthlemy est un paradis tropical de 25 m2, avec quelques centaines de rsidences luxueuses. Une villa avec quatre chambres et vue sur mer, y compris depuis la piscine dbordement, est loue par l agence Sibarth 27 00 ollars par semaine, en haute saison (soit environ 20 00 ). Sibarth gre 250 villas de ce type. Mais l le jouit surtout d un statut trs particulier qui en fait un paradis scal. De Washington o elle habitait, Gabrielle Steers s envolait rgulirement pour Saint-Barth. D origine allemande, elle a fait des tudes de droit Munich, puis aux tats-Unis o elle a enseign l universit de Washington la littrature allemande tout en poursuivant des tudes d histoire de l art. Elle a pous un membre du Congrs. tait seulement quatre heures d avion, c tait un peu une maison de campagne. J y ai connu Edmond de Rothschild, David Rockefeller [qui a lanc SaintBarth] et bien d autres qui, depuis, sont partis. Car maintenant Saint-Barth est devenu un produit de masse. l poque on protait de trs belles plages avec des amis. Les transports, dans l le, s effectuaient sur des nes. Ce que mon mari et moi nous apprciions le plus au monde, c tait l authenticit. Les dbuts de Saint-Barth, dans les annes soixante, c tait la recherche du calme, de la solitude et de l innocence.
Les rsidents privilgis de cette le ne payent ni taxes ni impts. Cette aberration, pour un territoire qui relve tout de mme des lois de la Rpublique franaise, a sa source dans les quatre-vingt-quatorze annes pendant lesquelles il a t sous administration sudoise, laquelle exemptait les liens de toute forme de prlvement scal. L le fut rtrocde la France en 1877, sous rserve de l accord de ses habitants. Ceux-ci en protrent pour refuser toute imposition. Bien que le Conseil d tat ait rfut le bien-fond de cette drogation, le privilge demeure. Le 11 cembre 2006, au cours d une mission sur France 2, Complment d enqute , anime par Benot Duquesne, celui-ci interrogea le ministre du Budget, JeanFranois Cop qui rpondit qu il fallait gulariser les choses en respectant les spcicits de cette le et en lui donnant l autonomie scale . Dans des termes moins langue de bois, cela reviendra prconiser le maintien des privilges scaux et lgaliser l illgalit. Le ministre, mis devant l numration de tous les cadeaux scaux offerts aux plus riches, en a perdu son sang-froid. est un discours d un autre temps, s est-il exclam, opposer les mchants et les gentils, les riches et les pauvres, j en ai vraiment ras-le-bol Selon Philip Beresford, qui ralise chaque anne le classement des plus grandes fortunes britanniques pour le Sunday Times, uelque 6 00 millionnaires trangers se sont transfrs avec armes et bagages Londres 11 . Sept des dix plus grosses fortunes du pays sont dtenues par des trangers. Mais pas encore d exils franais au sommet de la distribution. Pourtant le statut de sident non ordinaire qui leur est attribu est trs avantageux. Les expatris ne sont imposs que sur les revenus gnrs en Grande-Bretagne. Ceux produits par le patrimoine situ hors des frontires ne sont pas pris en compte. D autant que la double imposition tant exclue par la convention scale franco-britannique, l expatri ne paie pas d impts en France. Le systme suisse est diffrent, mais au moins aussi allchant. Environ 3 00 exils trangers y bncient du orfait scal . Mais pas les ressortissants helvtes qui, eux, ont tendance s exiler Monaco ou en Grande-Bretagne. L un des principaux avantages de la Suisse, le secret bancaire, commence se lzarder. C est du moins l avis de Georges Halvick, patron d un Family Ofce dans ce pays, une socit de services qui gre les patrimoines de familles fortunes. a pression de l Europe est forte, analyse cet expert de la fortune, et si l avenir de la Suisse devenait europen, le secret bancaire serait mis mal. C est pourquoi, dans la trajectoire scale d un nouvel enrichi, ce pays peut tre une tape avant une destination plus lointaine comme Singapour, ou Duba. Certes, le Luxembourg est plus proche et a toujours, jusqu nouvel ordre, son statut de place offshore. Mais il est aujourd hui possible d tre en contact tlphonique ou lectronique avec Singapour, dans toutes sortes de langues, tout moment, sans avoir prendre en compte les dcalages horaires. Cela vite bien des voyages inutiles et fatigants. Singapour n a toujours pas sign de trait, elle n est pas ofciellement une place offshore, alors que dans la pratique elle fonctionne comme telle. Les paradis scaux sont en pleine expansion12. En janvier 007, les syndicalistes runis en marge des rencontres de Davos, n ont dnombr 73, dont la moiti ont moins de 25 ns d existence, crit Frdric Lematre. Certaines multinationales sont passes matres dans l art d utiliser ce subterfuge. Comme Boeing, qui a cr 31 liales dans des paradis parfois trop petits pour qu un avion de ligne puisse y atterrir Ou la banque Morgan Stanley, qui a aujourd hui 99 liales dans ces paradis scaux, contre 2 en 1997 13 . L offre est abondante ne pas acquitter les impts auxquels le contribuable serait assujetti s il se comportait en travailleur ordinaire, vivant et travaillant au pays, est surtout une question de choix entre les multiples solutions prsentes sur ce march bien particulier. Les grandes fortunes sont nombreuses cder la tentation et aller au paradis avant que l heure en soit venue. Combien y a-t-il de Franais exils l tranger pour des raisons scales On parle de plusieurs dizaines de milliers entre la Belgique, la Suisse, le Luxembourg, Monaco et la Grande-Bretagne. Le rythme actuel se situe autour de 500 600 exils par an. Prs de 3 00 seraient partis aussitt aprs l arrive de la gauche au gouvernement, en 1981, puis en 1997, la suite de la dissolution prmature de l Assemble nationale par Jacques Chirac. La part est difcile faire entre rfugis scaux et hauts cadres ayant leur emploi dans l administration europenne. En Belgique, avec les familles ayant lu domicile Bruxelles, dans la rgion de Tournai, comme les Mulliez, et celles ayant choisi Courtrai et ses environs, J.-P. troobants estime la population des rfugis scaux 3 00, peut-tre 4 00 familles, ce qui reprsenterait 10 00 15 00 ersonnes. Mais de nouvelles occasions apparaissent qui gnrent de nouveaux ples d expatriation. Ainsi le Maroc, avec Marrakech, devient la mode et offre lui aussi des opportunits scales. Panama est une niche sre pour les trs gros patrimoines. Chypre est demeure un petit paradis scal, insr maintenant dans la Communaut europenne, ce qui peut lui valoir son succs, mais aussi sa disparition si les tats membres exigent un minimum d alignement de sa scalit. Actuellement le taux d imposition des entreprises y est de 10 , l un des plus bas de l Union europenne. L offre s accrot en fonction de la demande la Suisse se plaint de la concurrence de l Irlande qui offre un taux d imposition des socits limit 12,5 . Quant aux anciens pays du bloc communiste, leur surenchre, dans leur logique du libralisme sauvage triomphant, prend des allures de dumping scal. Sans doute les Mulliez, en contribuables frontaliers, ont-ils trouv la solution optimale, celle qui permet de concilier les racines, la prservation de l identit, et l exil, dans leur cas peu traumatisant. Dans la concurrence entre les paradis scaux, la proximit gographique et culturelle joue un rle essentiel pouvoir mnager, pargner ses origines, ses liens nationaux, en allant s installer dans un ailleurs pas trop lointain, est primordial. Cette conguration permet une continuit qu un loignement plus important peut rompre. 1. Challenges, ortunes de France. Classement 2006 , n 4, 13 uillet-30 ot 2006. 2. Bertrand Gobin, avec Guillaume d Herblin, Le Secret des Mulliez. Rvlations sur le premier empire familial franais, Rennes, ditions La Borne Seize, 2006. Ce livre, dit compte d auteur, est une mine d informations. On peut le commander sur le site <lempiredesmulliez.com>. 3. Challenges, op. cit. 4. Francine Rivaud et Anna Rousseau, familles au capital plus ou moins verrouill , Challenges, op. cit. 5. Laurent Dassault, cit par Jean-Pierre de La Rocque, nvestir entre soi, c est tellement enrichissant , Challenges, op. cit., p. 8-69. 6. Bertrand Gobin, op. cit., p. 87. 7. Voir Bertrand Gobin, op. cit. 8. SF. Les exils scaux sont de plus en plus jeunes , interview de Philippe Marini, L Express , jeudi 15 vrier 2007, propos recueillis par Thomas Bronnec. 9. Yves Jacquin Depeyre, u Cap-Ferret au Cap-Ferrat , Le Monde, 7 eptembre 2006. 10. Ibid. 11. Marc Roche, alle des milliardaires , Le Monde, 13 vrier 2007.
12. Christian Chavagneux et Ronen Palon, Les Paradis scaux, Paris, La Dcouverte, epres , 2007 (nouvelle dition). 13. Frdric Lematre, e l art de contourner le sc , Le Monde, 27 anvier 2007.
La grande bourgeoisie matrise la culture dominante, aime les produits du terroir et les paysages bucoliques, recherche le calme, le luxe et la discrtion, cultive la courtoisie comme mode de relation aux autres, respecte les hritages du pass et les monuments historiques. Le mode de vie grand-bourgeois est porteur de valeurs universelles et donc de l intrt gnral. La haute socit est en position de dfendre, en s appuyant sur l esthtique et le droit, des valeurs partages en dfendant les siennes. SOS Paris en est un exemple. Cette association est porteuse d une ide de Paris fonde sur des rfrences au pass, travers les monuments, mais aussi les charmes des quartiers populaires, les qualits de la table et des vins, la tradition des industries du luxe. Les mmes se retrouveront dans les associations qui veillent sur les jardins, reconstituent les potagers des chteaux, participent la gestion des forts en tant que veneurs ou collaborent avec le Conservatoire du littoral pour arracher le bord de mer l emprise des promoteurs. Pour que cela fonctionne, les passerelles avec l tat sont de la premire importance. Heureusement, elles vont de soi patrons et hauts fonctionnaires ont frquent les mmes tablissements, souvent Sciences-Po et l ENA. Les carrires sont diverses, mais les passs sont communs. Cette proximit facilite la multiplication des associations, des commissions et des comits o, entre soi, on peut faire des choix raisonns et laborer les meilleures stratgies, comme travers le G8, ce regroupement des prsidents d associations de dfense du patrimoine et de hauts fonctionnaires du ministre de la Culture. Les rseaux de la grande bourgeoisie peuvent produire, dfendre et faire aboutir leurs projets et leurs souhaits avec d autant plus de facilit qu ils se prsentent comme conformes au bien commun.
Le point de vue du Conservatoire tait en effet au tout dbut de la cration du Conservatoire du littoral, conrme Emmanuel Lopez, qui en est aujourd hui le directeur. Ce devait tre en 1977, car la loi de cration du Conservatoire date de 1975 et la mise en service effective de l tablissement public de 1976. La proprit de Madame de Beaumont a t la premire acquisition en Bretagne. Je me souviens d avoir tout de suite compris que cette famille avait une vision intelligente de l avenir de cette proprit. Elle conservait la partie btie, qu elle occupait. Cette famille estimait qu elle n tait pas en mesure de contrler la pression des voitures ou du camping sauvage. Il fallait une autorit lgitime pour protger ce site, avec un garde ayant la capacit de verbaliser. Ce qui n est pas possible ni pour des personnes prives, ni pour des associations. L accs la mer est peru comme un droit, comme un bien public. Donc mme un garde priv n aurait pas pu interdire tel ou tel pique-nique. Cette famille avait compris cela. uridiquement le Conservatoire du littoral garantit la prennit de la protection. Le terrain est inalinable, le Conservatoire ne peut pas le revendre. Ils avaient donc avec nous une garantie de prennit avec un transfert des responsabilits sur la collectivit publique. Ce qui n est pas scandaleux, car la collectivit publique, de fait, avait pris possession de ce terrain avec une frquentation trs forte que la famille n tait pas en mesure de contrler.
tait intelligent, et je garde un bon souvenir de cette opration, car le domaine tait vaste. Il y avait une partie naturelle en bord de mer, de la lande et des ajoncs, et une partie agricole. La partie agricole, comme le maire de Molan tait alors prsident du conseil gnral, on avait coordonn tout a et on l avait fait acheter par le dpartement. Celui-ci avait videmment les mmes objectifs de protection. C tait le dbut du Conservatoire. Aujourd hui, avec le recul, nous aurions peut-tre tout repris, l espace naturel et l espace agricole. ans ce cas-l, on tait dans une ngociation intressante, parce qu amiable, avec un plus affectif. En Bretagne la structure foncire est spcique. Ce sont quelques grandes proprits aristocratiques, mais pour le reste le littoral a toujours t habit puisque la piraterie a t limine depuis longtemps, alors qu elle tait encore active en Corse et en Provence, jusqu au dbut du XIXe icle. En Bretagne, la structure foncire est donc trs clate, avec pour rgle de petites parcelles. Il y a par exemple 295 propritaires pour la seule pointe du Raz.
Le point de vue des sociologues Dans cette opration chacun a trouv son compte. Les intrts de la famille et les objectifs d intrt gnral, ici reprsent par le Conservatoire du littoral, taient convergents. La volont de contrler les usages faits des bords de mer tait commune. La transaction, dont nous ne connaissons pas le montant, s est effectue l amiable. Quand il n y a pas accord, n va devant le juge , prcise Emmanuel Lopez. Mais dans 80 des cas, ce n est pas ncessaire. Ce sont les Domaines qui font les estimations. Si la famille de Jacqueline de Beaumont s est garantie contre toute initiative immobilire, elle s est aussi acquis la reconnaissance de tous les amoureux des rivages. Ce gain symbolique assoit la lgitimit de la prsence d une famille qui n est pas originaire de la rgion. Madame de Beaumont, avec un franc-parler teint d humour, admet que sa famille a t gagnante dans l opration. ujourd hui, cela ne change rien je vais la mer comme avant et je ne paie plus l entretien des chemins. Ceux-ci, soigneusement baliss, permettent d agrables promenades sur les hauteurs dominant l ocan. Hors saison, on y croise de temps autre un couple g dans un paysage de plein vent, fait de vagues, de rochers et de landes sauvages. Les rsidences de la famille, dissmines sur le plateau, l abri de haies et de portails au maniement lectri, sont discrtes et le touriste de passage ne prendra pas conscience de leur prsence. Emmanuel Lopez, au nom du Conservatoire, exprime le mme objectif que la famille, dans un langage plus administratif. ls avaient donc avec nous une garantie de prennit avec un transfert de responsabilit sur la collectivit publique. Dans ce cas encore, le pragmatisme de la bourgeoisie a pris le dessus en privilgiant l intrt de la famille long terme plutt qu courte vue. Cette attitude correspond une capacit de prvision acquise dans la ncessit de se projeter dans l avenir pour assurer la transmission aux gnrations suivantes, pour maintenir la dynastie familiale. Elle suppose aussi une capacit nancire qui mette l abri de la ncessit, de l urgence, de telle sorte que des intrts matriels immdiats ne remettent pas en question des considrations plus long terme.
Faire de ncessit vertu Les Parcs de Saint-Tropez La loi du 31 cembre 1976 a cr une servitude de passage sur les proprits riveraines du domaine public maritime, accordant tous la libert d accs aux rivages. Les Parcs de Saint-Tropez, lotissement priv de luxe, regroupent 150 maisons sur 120 hectares entre la ville de Saint-Tropez et la plage des Salins, sur le cap Saint-Pierre et la pointe des Rabiou. Ce lotissement est gardienn, la voierie est prive, ainsi que quelques espaces collectifs, dont des courts de tennis. La gestion, cone du personnel permanent, procure des conditions de sjour exceptionnelles, surtout en t, l cart des foules touristiques. Aussi ce domaine est-il un lieu de villgiature apprci des grandes fortunes, avec parmi les propritaires, Bernard Arnault, Franois Pinault ou Albert Frre. Disposer de telles demeures surplombant la Mditerrane, au milieu de parcs donnant de tous cts sur la mer, constitue un privilge dont on peut prendre la mesure depuis le sentier du littoral. Des panneaux plants et l soulignent toutefois qu arpenter un tel lieu n est d qu la tolrance des propritaires. Autoriss longer leurs pelouses et entrevoir leurs piscines, les marcheurs devraient apprcier sa juste valeur le cadeau qui leur est ainsi fait. ous avons amnag tout le long des rivages une promenade pour les pitons nous vous souhaitons d en proter agrablement , est-il prcis en prambule. Les conseils qui suivent sont agrments d un avertissement os gardes sont asserments pour dresser procsverbaux aux contrevenants. La dernire phrase est quivoque erci pour le respect de ces dispositions an de nous aider maintenir ce privilge dans les Parcs. Ce privilge semble bien tre celui dont jouissent ces randonneurs admis ctoyer l olympe et combls par tant de bont. Cette faon de renverser les situations est monnaie courante dans les rapports sociaux dans lesquels sont impliqus des dominants.
Les chteaux ouverts au public Les chtelains qui ouvrent leur demeure aux touristes, an de pouvoir bncier des aides publiques pour l entretien des monuments historiques, transgurent la ralit de la relation. Les chtelains recourent la fois la diversit des formes d ouverture et un travail symbolique sur sa signication sociale. L ouverture aux trangers, ceux qui ne font pas partie de la famille ni du mme monde, est un sacrilge ambigu. En mme temps qu il est profanation, il est tmoignage d intrt et d admiration pour un pass fastueux, ce qui vient conforter le chtelain dans sa certitude d appartenir une lite, une famille hors du commun et l histoire nationale. Le chtelain a le sentiment de remplir un devoir, une responsabilit hrite avec le chteau maintenir un patrimoine et crer les conditions pour qu il devienne accessible au peuple de France. Mais, dans ce processus, bien loin de perdre leur identit en perdant le monopole de l usage du chteau, les chtelains ont l impression de la conforter en rafrmant publiquement leur appartenance une ligne, une socit d exception. Au lieu d tre vcue comme un renoncement, l ouverture au public permet, en transformant une contrainte administrative en choix dlibr, de renouer avec le prestige des chtelains d autrefois.
L intervention du Conservatoire du littoral De faon analogue, les familles qui vendent des terres en bordure de mer au Conservatoire du littoral n ont pas le sentiment de droger au devoir de transmettre leur proprit dans son intgrit. Au contraire, cette transaction va non seulement leur permettre de garantir la prennit d un site, mais en plus apporter la famille l aura de la gnrosit l gard du peuple. La domination autorise ces tours de passe-passe smantiques et symboliques et les dominants ont toujours le beau rle. Avec le Conservatoire du littoral, les familles qui vendent la partie non btie de leur proprit, que ce soit en Bretagne, en Corse ou Port-Cros, etrouvent le partage des mmes valeurs de prennit des sites. Mais ces valeurs aristocratiques, le Conservatoire veut les faire partager. La beaut, oui, conclut Emmanuel Lopez, mais pour tous . La gnrosit de cette ide est transmue en gain symbolique au prot des donateurs ou des vendeurs, et d autant
plus que les biens cds sont importants. Mais on peut apprendre aussi que, ans cette ngociation, la famille nous a fait payer la clture entre eux et nous . Ou que la famille qui a vendu de nombreux hectares sur l le de Port-Cros a pu transformer une partie de la transaction en paiement de droits de succession sous la forme d une dation. L article 6 de la loi du 30 cembre 1995 permet en effet de remettre en paiement de tels droits des terrains btis ou non btis situs dans les zones d intervention du Conservatoire. Il est donc dsormais possible pour des propritaires, souvent en situation d indivision lorsqu ils hritent, de se librer des droits de succession qu ils ont acquitter, en remettant l tat, non pas une somme d argent, comme c est la rgle en matire de liquidation de sommes dues au Trsor public, mais en cdant tel ou tel espace naturel situ en bord de mer. Cette mesure est d autant plus importante qu l occasion d une succession les hritiers sont parfois obligs de vendre ou de morceler des proprits familiales, qui constituent de remarquables ensembles naturels. Ds lors qu il s agit des puissants, le fonctionnement des services administratifs semble s assouplir et s adapter aux conditions particulires, aux intrts des personnes ou des familles. Y aurait-il deux poids et deux mesures Les expropriations pour les uns et les transactions l amiable pour les autres On peut supposer que la connivence qui conduit des amnagements conciliants des pratiques administratives est lie la qualit des lieux et des biens et qu elle relve aussi de la proximit entre les fonctionnaires ayant pouvoir de dcision et les administrs appartenant la haute socit. Ceux-ci sont mieux arms, culturellement et socialement, pour mener des ngociations efcaces et faire valoir leur point de vue sans qu ils aient recourir de manire manifeste quelque forme de pression que ce soit. On agit avec prudence lorsqu on a affaire des agents sociaux que l on sait pourvus de relations puissantes. Aux les Chausey, le Conservatoire du littoral a sign une charte partenariale avec les trois familles de la grande bourgeoisie parisienne qui possdent une partie de l archipel. Celui-ci est trs diffrent mare basse et mare haute car il est situ dans la baie du mont Saint-Michel, l une des zones maritimes o l amplitude des mouvements de la mer est des plus importantes au monde. Un arrt prfectoral d attribution confre au Conservatoire la gestion des 5 00 hectares et des centaines d lots qui dcouvrent aux basses mers. En rguler la frquentation touristique n tait pas la porte des propritaires et le Conservatoire a donc pris ces espaces maritimes sous sa responsabilit. es propritaires, selon Emmanuel Lopez, ont eu l intelligence de comprendre que nous pouvions tre leurs allis. Ce qui correspondait, par ailleurs, parfaitement leurs intrts de propritaires amoureux de cet endroit magnique et trs riche sur le plan biologique.
Une donation originale Keremma Un phalanstre familial persiste depuis prs de 200 ns Keremma, sur les communes de Goulven, Trez et Plounevez-Lochrist, sur la cte nord du Finistre, en Bretagne. Louis et Emma Rousseau, qui en furent les fondateurs au XIXe icle, ont aujourd hui quelque 2 00 descendants. Plusieurs centaines d entre eux habitent encore sur le domaine de manire principale ou secondaire. Keremma ce nom est compos de Ker, maison en breton, et du prnom Emma. Louis Rousseau, n en 1787, achte un espace affag de 300 hectares d un seul tenant en 1823. L affagement est l octroi par une famille noble, ici le duc de Penthivre, de terres vaines, c est--dire incultes, mettre en valeur. Situes en bord de mer, il s agit de dunes et de marcages. Louis Rousseau et sa jeune femme Emma ont comme objectif de xer les sables volants et d asscher les marais pour y crer des exploitations agricoles. Louis Rousseau fut trs inuenc par le saint-simonisme puis par le catholicisme social. Il eut l ambition de crer une communaut capable de vivre en autarcie. Une digue est construite, puis des fermes, 400 autres hectares sont achets. Des arbres sont plants pour couper le vent. Bref, conclut l une des descendantes, Dominique Brehon, l s agissait d amliorer la Bretagne par la mise en valeur de terres jusqu alors inutilisables, une forme de colonisation en France mme . Le site devient remarquable, les dunes sont xes et les habitants restent dles aux terres des anctres tout en diversiant leurs activits professionnelles. Il y aura beaucoup d of ciers, des personnages importants dont un sous-secrtaire d tat la Marine. Les promeneurs, de plus en plus nombreux, frquentent les dunes et les plages. Paul-Armand Rousseau, dans son discours prononc le jour de la donation des 110 hectares d espace dunaire au Conservatoire du littoral, le 14 uillet 1987, se souvient eu peu les dgradations s accentuaient, surtout les dimanches. Les autos s arrtaient en haut des dunes, souvent mme dans les plantations d oyats, on installait des tentes dans ces oyats, on allumait des feux de pique-nique au milieu d eux. Des criteaux furent installs pour inciter respecter le site. Rien n y t. Notre famille ne parvenait plus s opposer aux graves dgradations et la situation devenait inquitante1. Car les promeneurs renvoyaient la famille Rousseau l image de riches propritaires jaloux d un bien qu ils ne dsiraient pas ouvrir au public . Le Conservatoire du littoral a fait ce que tentaient de faire les descendants de Louis Rousseau, mais avec l ef cacit et la lgitimit de l institution. La convention de donation comportait des engagements prcis de la part du Conservatoire pour remettre de l ordre dans l utilisation des dunes et des plages. Le stationnement anarchique des voitures et le camping sauvage ont t interdits. Les dunes de Keremma, le plus vaste massif dunaire de la cte bretonne, ont t replantes. out tait pitin, des vhicules partout. Ces familles, l encore de la grande bourgeoisie parisienne, ont compris qu elles n arriveraient jamais rguler elles-mmes les foules de promeneurs en qute de nature sauvage , commente Emmanuel Lopez. La situation tait devenue assez dlicate, d autant que les descendants de Louis Rousseau, qui tait n prs d tampes, taient toujours considrs comme des trangers, et le sont encore, alors que nombre d entre eux ont eu des responsabilits lectives au niveau local et dpartemental. Le ls an de Louis Rousseau, Armand, ingnieur des Ponts et Chausses, fut dput, snateur, prsident du conseil gnral du Finistre, sous-secrtaire d tat aux Travaux publics puis la Marine et enn gouverneur gnral de l Indochine. Plusieurs descendants assurrent les responsabilits de maire de Trez, dont le pre de Dominique Brehon, le gnral Louis Pichon. Jacques Rousseau a t adjoint au maire et est encore aujourd hui conseiller municipal. Il n est paradoxal qu en apparence que le Conservatoire du littoral, dont l une des missions est d utoriser l accs libre et responsable de chacun aux rivages2 , soit ainsi appel la rescousse pour mettre un terme une frquentation anarchique des bords de mer. Ici un milieu instable et fragile qui ossde une richesse oristique et faunistique d un grand intrt cologique 3 . Mais l interdiction des parkings sauvages et quelques autres mesures, pour rglementer la frquentation des lieux, ont permis de satisfaire l exigence premire du Conservatoire, rvenir, en crant un patrimoine de protection, la perte dnitive d un capital biologique, esthtique, identitaire permettre la restauration d cosystmes prcieux et de paysages remarquables 4 . Les effets pervers du tourisme de masse sur l environnement sont indniables, et les descendants de Louis Rousseau ont pu, en faisant donation au Conservatoire, en limiter les consquences sur l espace dunaire auquel ils taient attachs. Ce contrle de la frquentation a restaur le charme de cet endroit dont le calme tait certaines priodes trs malmen. La protection du littoral et le maintien de conditions de sjour agrables pour les riverains vont de pair. Ce qui est d autant plus apprci que le rle de surveillance et de rpression est alors assum par une institution ofcielle. Aujourd hui le domaine familial ne comprend plus les dunes devenues la proprit du Conservatoire du littoral. Mais l accs des descendants de Louis Rousseau est toujours aussi libre, comme il l est pour tout promeneur condition de respecter les quelques consignes de bon sens qui visent prserver cette zone ctire indemne de toute construction. De sorte que, comme dit Dominique Brehon, n a t gnreux, il faut le dire, mais c tait un intrt bien compris car les abords du domaine familial, ct mer, sont sauvegards de manire prenne. 1. Jean-Marie Ballu, Dunes de Keremma. La donation au Conservatoire du littoral , juillet 988, Association de Keremma.
Un parc naturel protger les espaces protgs J ai soutenu de mon mieux, crit le marquis de Breteuil, les efforts entrepris par mes amis, le snateur douard Bonnefous et le conseiller gnral Claude Dumond, pour la cration d un parc rgional dans la Valle de Chevreuse1. Ce parc est le bienvenu car il protge un lieu de promenade apprci des Parisiens. Mais, tout en prservant des espaces naturels trs sollicits par les loisirs d urbains en mal de campagne et de forts, cette classication vient redoubler celles dont bnciaient dj quelques demeures historiques remarquables. Il en est ainsi du chteau de Breteuil, qui appartient au marquis qui en porte le nom, du chteau de Dampierre, la famille du duc de Luynes, et du chteau de Mauvires, au comte et la comtesse de Bryas. proximit, toujours dans le primtre du parc, l ancienne abbaye des Vaux de Cernay est devenue un htel de luxe aprs avoir t la proprit d Henri de Rothschild. Connu aussi sous son nom d auteur dramatique, Andr Pascal, il est le grand-pre de Monique de Rothschild, qui chasse courre dans les forts de l Oise et qui a d excellents souvenirs d enfance des journes passes dans cette splendide demeure. La prsence de ces domaines exceptionnels a d jouer dans la dcision de la cration d un parc rgional et dans sa dlimitation prcise. Les rois, les princes, la noblesse en gnral, ont accord beaucoup de place la chasse dans leurs loisirs et la chasse courre en particulier, grande consommatrice d espaces boiss. Les percements d alles en toiles des forts domaniales en tmoignent encore aujourd hui. La fort, lieu o la haute socit de l Ancien Rgime ctoyait le peuple des campagnes, reste un espace contrast socialement. Le Bottin Mondain met en vidence la concentration des familles de la noblesse et de la grande bourgeoisie dans les limites du Parc naturel rgional Oise-Pays de France, dit aussi des Trois Forts (Halatte, Chantilly et Ermenonville). Sur les 368 familles de cet annuaire qui donnent pour adresse principale l Oise, 141, soit 38 , se situent l intrieur des limites du parc. Pour ce qui est des rsidences secondaires, 83 sur 256 sont aussi dans le parc, soit plus de 32 . Au total, 71 familles mentionnes dans le Bottin Mondain ont une adresse Senlis et 37 Chantilly, les deux principales communes du parc. Ces deux villes sont dj protges puisque Senlis bncie du label de secteur sauvegard, tandis que Chantilly jouit du primtre de protection de son chteau, class monument historique. Les trois forts sont des sites classs depuis 1930.
Le Parc naturel rgional Oise-Pays de France a une forme assez circulaire, le centre tant occup par Senlis. Il englobe donc les trois forts, qui enserrent dans leur crin de verdure de nombreux villages harmants , voire ien lchs , comme disent les habitants chics de la rgion. De quoi abriter agrablement l existence de familles aises, dans un cadre paisible et dans de grandes maisons qui favorisent une intense sociabilit. Si les parcs naturels rgionaux ont pour mission de favoriser les activits conomiques locales, comme l artisanat, l levage ou les produits du terroir, et de sensibiliser le public la protection du patrimoine la fois naturel et culturel, celui des Trois Forts assure, aussi, la prennit des espaces et des modes de vie grand-bourgeois. Les chteaux, les alles forestires perces pour la chasse courre, les abbayes, les terrains de golf et leurs clubs, les villages sous surveillance, l omniprsence du cheval et des sports questres, des centres de ville qui mettent en scne le mode de vie des propritaires de belles demeures et de gros 4 le parc rgional est marqu par cette omniprsence de l aisance matrielle. La langue administrative a l art d euphmiser les enjeux sociaux de ce type de protection. est la qualit naturelle, culturelle, patrimoniale, paysagre et l identit de son territoire qui caractrisent chaque parc naturel rgional , peut-on lire dans une brochure ofcielle. Celui de l Oise-Pays de France, cr le 13 anvier 2004, par dcret du Premier ministre, est a concrtisation d une volont commune et forte pour que ce territoire soit un territoire reconnu, prserv et dvelopp durablement . Mais l examen du primtre de ce parc permet de mettre en vidence la complicit entre les enjeux cologiques et les enjeux sociologiques. Ceux-ci sont importants et se jouent au mtre prs comme la dlimitation des grands crus classs, comme toute classication, celle-ci est l objet d enjeux sociaux. Mais tout le monde ne souhaite pas tre dans la course parmi les maires tous ne font pas acte de candidature. Certains sont opposs leur intgration dans le parc, car ils souhaitent conserver leur pouvoir de dcision intact, sans avoir se conformer aux impratifs d une tutelle supplmentaire. Leurs projets d urbanisation peuvent tre incompatibles avec la charte du parc et ils choisissent alors de rester en dehors de ses limites. Le projet du Parc naturel rgional Oise-Pays de France a t labor au dbut des annes 1990, avec l objectif de protger le patrimoine, en particulier naturel, tout en favorisant et en matrisant le dveloppement conomique et social. Selon Sylvie Capron, la directrice du parc, es trois forts de l Oise sont un vritable carrefour, une plaque tournante pour les espces animales et vgtales. Ce secteur a un intrt rgional et doit donc tre prserv. Mais, du fait qu il s agit d un vritable corridor cologique, au sein du continuum forestier allant jusqu aux Ardennes, ce parc a galement un intrt national . Entre 990 et 004, il a fallu en dessiner les pourtours. l ouest de la fort de Chantilly, la valle de l Oise constitue une frontire naturelle qui a aussi marqu les activits humaines. La rive droite est plus urbanise et plus industrielle. La rive gauche, o commencent les massifs forestiers apparat tout naturellement comme la zone protger, en tendant cette protection vers l est, jusqu aux limites du massif, c est--dire jusqu Raray et Ermenonville. Faire le tour du parc rvle quelques entorses ce schma de principe. En commenant le priple par Asnires-surOise, hauteur de l abbaye de Royaumont, on constate une premire drogation. La commune de Boran-sur-Oise, qui se situe sur la rive droite, est incluse dans le parc. Les responsables administratifs ont considr que les villages de Boran et de Prcy, lui aussi sur la rive droite, prsentaient des congurations architecturales et urbanistiques intressantes, qui pouvaient justier leur inclusion. Mais les projets municipaux taient incompatibles avec la charte du parc. Le maire de Boran a accept de procder la rvision du POS de faon pouvoir s intgrer dans la nouvelle instance. Tandis que la municipalit de Prcy faisait le choix inverse, en obtenant toutefois le statut de commune associe au parc. La composition socio-professionnelle des populations actives ayant un emploi est trs proche dans ces deux communes peu d agriculteurs, entre 36 et 40 de cadres et de professions intermdiaires, un peu plus de 50 d employs et d ouvriers (recensement Insee de 1999). Par contre le Bottin Mondain indique trois familles ayant leur adresse principale ou une adresse secondaire Boran, mais aucune Prcy. Le comte Philibert de Moustier et Madame, ne Marie-Laure O zoux mentionnent une seule adresse, celle du chteau de Boran. Le comte Pierre-Emmanuel de Moustier est n Boran, et donne le chteau comme adresse secondaire. Enn Christian de Panaeu a pous Sonia de Moustier et le couple possde une adresse secondaire Boran, au Colombier. Le chteau de Boran est la maison de famille des Moustier, et on peut faire l hypothse que cela a jou un rle dans l incursion des limites du parc sur la rive droite de l Oise. Saint-Leu-d Esserent, sur la rive droite aussi, a t ignore malgr la prsence d une magnique abbatiale des XIIe et XIIIe sicles. n n a rien demand, reconnat le maire, mais on ne nous a pas consults. Il est vrai que cette ville de 5 00 habitants, la composition sociale assez populaire, avec seulement 8 de cadres mais 59,5 d employs et d ouvriers, a un maire communiste, locataire du chteau de La Guesdire, du XVIIe icle, devenu htel de ville depuis 1962. Les catgories
administratives de paysage, d identit patrimoniale recouvrent aussi des enjeux sociaux. Alain Blanchard, le maire de SaintLeu, autrefois technicien EDF, admet le principe du parc rgional comme fond. ul ne peut contester, dit-il, la ncessit de protger les forts de la pollution, de la pression foncire, des zones d activit et des infrastructures routires. Il est juste sur le fond de prserver ce patrimoine, mais je suis proccup car le parc couvre pour l essentiel les espaces des gens riches. Il ne faudrait pas que ce parc soit une zone prserve o la population vivrait bien au dtriment des familles des alentours qui habitent des zones moins protges et plus industrielles. En effet le parc rgional accrot les phnomnes de sgrgation il renchrit les prix fonciers et immobiliers et les jeunes couples de milieu modeste sont obligs d aller vivre dans le nord de l Oise, ce qui les loigne de leurs lieux de travail situs bien souvent Paris ou Roissy, avec l aroport. Saint-Leu-d Esserent, chaque jour, 30 00 vhicules traversent la ville, dont 10 00 sont des poids lourds polluants. andis que les familles aises du parc ne connaissent pas de problmes majeurs de circulation. Les centres des villes comme Senlis ou Chantilly deviennent inaccessibles pour les bourses modestes. Les produits des piceries atteignent des prix prohibitifs, comme ce kilo de tomates, cueillies la main , vendu 12 . Les familles populaires n ont pas d autre choix que d aller se ravitailler dans les centres commerciaux priphriques. Ces villes et ces villages dans ces zones boises et prserves taient dj trs chers, mais le parc a eu comme effet pervers de renchrir des prix dj levs. Le parc, en continuant vers le nord, englobe la commune de Saint-Maximin, la population populaire, avec 67 d employs et d ouvriers, mais vite la ville de Creil, du moins sa partie urbanise et populaire, pour n en retenir que la base militaire et les plateaux agricoles et forestiers. Saint-Maximin a la particularit d hberger des demeures des Rothschild et surtout des carrires de pierre. La pierre qui en est tire, dite de Saint-Maximin, est un vritable patrimoine local. Par contre les grandes cits de Creil n avaient pas vocation tre intgres dans le primtre du parc. Le parc vite aussi une partie de Verneuil-en-Halatte, une commune non industrielle et ne comportant que trs peu de logements sociaux. e maire n tait pas favorable au parc, selon Sylvie Capron, parce qu il tait plutt dans une optique de dveloppement et qu il ne souhaitait pas que le parc puisse interfrer dans les affaires de la commune. Aussi la ville n est pas incluse dans le primtre du parc. Mais par contre toute la partie de la fort d Halatte qui se situe sur le territoire communal de Verneuil en fait bel et bien partie. Beaurepaire, le village du marquis de Lupp, qui abrite la mairie dans les communs de son chteau, a t intgr en entier au parc, mais rien de plus normal il se trouve sur la rive gauche. La partie de Pont-Sainte-Maxence qui se situe sur la rive droite n a pas t incluse parce que trs industrielle, contrairement la volont afrme de la municipalit. On remarque aprs cette ville une excroissance du primtre hauteur du domaine de La Villette. Celui-ci ntressait beaucoup les crateurs du parc , selon sa directrice. our des raisons cologiques car ce domaine fait le lien avec le marais de Sacy, et permet de prserver les corridors cologiques. Puis la limite s affranchit de l Oise et oblique vers l est en contournant les forts d Halatte et d Ermenonville. La dnition du primtre dans la plaine du Valois fut rendue dlicate par la prsence d une communaut de 62 communes. Les lus taient majoritairement opposs l entre dans le parc, craignant les interfrences entre les deux entits et la confusion dans les prises de dcision. La solution fut de n inclure que les communes les plus proches et les plus tournes vers Senlis. Certaines, comme Baron, ont t partiellement intgres. Le maire tait hostile l intgration, mais la partie la plus proche de la fort d Ermenonville, site class, est dans le parc. Le Bottin Mondain indique plusieurs familles dans cette zone, route de Montlognon les comtes Gilles et Brice de La Bdoyre, la comtesse tienne de La Bdoyre, les barons Bruno de Rosnay et Hugues Parmentier. Cette inclusion partielle du territoire communal a peut-tre voir avec la prsence de ces domaines, que leurs propritaires aient fait valoir leur dsir d tre inscrits dans les limites du parc, ou que les domaines eux-mmes aient t sufsamment intressants du point de vue de la conservation de la nature. Ce ne sont que des suppositions, car il est aussi des familles qui prfrent garder leur libert. Le comte douard de Coss Brissac, dont le chteau du Fayel, dans l Oise, est situ en dehors du primtre du Parc naturel rgional Oise-Pays de France, est trs satisfait car ous n avons pas besoin de contraintes bureaucratiques, nous savons trs bien faire par nous-mmes ce qu il faut pour que les beaux espaces perdurent pour les gnrations venir . Le territoire communal d Ermenonville a t intgr dans sa totalit, en raison de l importance des parties boises, de mme qu Mortefontaine. Quant Survilliers et Fosses, les limites du parc vitent soigneusement les zones industrielles et les zones d activit. Les communes du Val-d Oise, de Chtenay-en-France pinay-Champltreux, o le duc de Noailles hberge la mairie dans le parc de son chteau, ont elles-mmes venues taper la porte pour manifester leur intrt pour le parc , conclut Sylvie Capron. quelques nuances prs, ce sont les communes dj les plus prserves qui ont bnci des mesures de protection. Les dbats territoriaux sont parfois vifs. amais avec les HLM de Creil , aurait jur un maire de droite, jugeant les cantons de Montataire et de Creil eu frquentables . Les grandes familles de la noblesse et de la bourgeoisie ancienne inscrivent leur existence dans des espaces varis, mais toujours protgs. L appartement parisien bn cie du primtre de sauvegarde et de mise en valeur du faubourg SaintGermain. La maison de famille dans l Oise est situe l intrieur des limites du Parc naturel rgional Oise-Pays de France. Le chalet Gstaad, en Suisse, est construit l o le rglement d urbanisme est si draconien que les nouvelles fortunes ellesmmes hsitent s y risquer. La maison en Bretagne, qui vient de Madame, est bien l abri depuis que le Conservatoire du littoral a pris la responsabilit des terrains en bord de mer. Ce qui ne peut que rencontrer un consensus gnral. Qui, aujourd hui, pourrait envisager de raser un htel particulier du faubourg Saint-Germain Qui pourrait concevoir de raliser une piste de karting dans la fort d Halatte, ou d ouvrir un casino sur la pointe du Raz L une des forces de la grande bourgeoisie est d incarner l intrt gnral, parce qu elle contrle les espaces les plus prcieux, parce qu elle possde les demeures, les uvres et les anctres qui ont fait la richesse symbolique de la France. 1. Henri-Franois de Breteuil, Un chteau pour tous. Cinq sicles de souvenirs d une famille europenne, Paris, Philippe Gentil, 1975, p. 60.
Renaud Donnedieu de Vabres, est, lui, prsent dans le Bottin Mondain par sa mre, le Who s Who indique des tudes l IEP de Paris et l ENA, une naissance Neuilly et une adresse personnelle dans le faubourg Saint-Germain. Mais les passerelles entre les instances dirigeantes de ces associations et le ministre sont aussi le fait de la mobilit des personnes. Christian Pattyn a t le premier directeur du Patrimoine, nomm en 1978. Il a d ailleurs trs bien su cohabiter pendant deux ans avec le nouveau ministre de la Culture, de gauche, Jack Lang. Christian Pattyn incarne lui seul l arrt ministriel puisque, lorsqu il tait directeur du patrimoine, il avait dj eaucoup de relations avec les prsidents des associations de dfense du patrimoine . Il n en reste pas moins que ette ide que, par un arrt, on cre un groupe de rexion commun entre le ministre et des associations de droit priv, c est une premire, conclut Christian Pattyn. Aujourd hui, plus de vingt ans aprs avoir quitt les fonctions de directeur du patrimoine, je me trouve, parfois, face au directeur de l architecture et du patrimoine, mon septime successeur, dans la position de celui qui revendique ou qui n est pas d accord . Il est normal, de la part des hauts fonctionnaires, d entretenir des relations avec les reprsentants d associations, de syndicats ou de partis politiques, mais les passerelles, les contacts s tablissent plus aisment, avec plus d ef cacit, lorsqu on est entre gens du mme monde. Les intrts des grandes familles pour le patrimoine se confondent sans difcult avec ceux des familles plus modestes. En partie grce la magie sociale qui, en s appuyant sur le droit et l esthtique, parvient transformer ces intrts particuliers en intrts gnraux, le patrimoine de qualit des uns se confondant avec le patrimoine national. Il n y a alors aucun inconvnient, au contraire, ce que les reprsentants de l tat et ceux du mouvement associatif patrimonial se concertent, pour le plus grand bien de la nation.
7. Le collectivisme pratique
Les lotissements chics
La multiplication des lotissements chics, notamment dans les rgions de villgiature, sur la cte d Azur ou en Corse, permet d assurer l entre-soi auquel les familles de la haute socit sont attaches. Les associations de copropritaires emploient du personnel qui assure l entretien courant des plantations et des villas, et leur surveillance diurne et nocturne. Certains villages de l Oise o les rsidences secondaires abondent proximit de la fort de Chantilly, recourent aussi ce mode collectif de gardiennage. Des cahiers des charges contraignants Le contrle collectif sur les biens immobiliers des lotissements chics prend aussi la forme du cahier des charges. Il s agit alors de dnir en commun une sorte de plan local d urbanisme l chelle du lotissement. Plus restrictif et contraignant que le plan communal labor par les services de la mairie, ce PLU petite chelle restreint la marge de manuvre des propritaires individuels tout en prservant des aspects de la coproprit qui paraissent importants sauvegarder. esprit des prescriptions ci-dessus, est-il crit dans le cahier des charges de 1959 du domaine de l Escalet, Ramatuelle, est de donner au lotissement et aux constructions qui y sont ralises, une unit et une harmonie gnrale, tout en conservant le maximum d indpendance chaque acqureur-constructeur. Ces rgles seront appliques avec toute la souplesse dsirable, mais avec le dsir d viter dans l intrt de tous la disparit de constructions anarchiques. Un additif prcise en 1968 qu il convient de prserver l unit des matires et des couleurs. a pierre employe sera de la mme nature et couleur que celles des rochers du Domaine de l Escalet. Les enduits seront choisis dans une gamme colore compose de terre d ombre naturelle ou calcine, terre de Sienne naturelle ou brle, ocre jaune, ocre rouge. Le blanc pourra servir de support ces teintes qui resteront franches. On retrouve cette logique collective un degr suprieur dans les associations syndicales autorises de nombreux lotissements chics la villa Montmorency, dans le 16e rrondissement de Paris, le parc de Maisons-Laftte, les Parcs de SaintTropez 1. Les copropritaires se donnent des contraintes de manire prserver la valeur d usage de leur bien immobilier et sa valeur marchande. Les deux sont lies la qualit exceptionnelle de ces espaces dpend de l autocontrle exerc par les propritaires eux-mmes sur le comportement des uns et des autres. Keremma, des rgles xent la taille minimale des parcelles 3 00 2 et exigent l usage de cltures vgtales. Cette prservation de l espace de vie est aussi une mtaphore de la prservation du milieu social. Il s agit d assurer la possibilit d une continuit de gnration en gnration autrement dit, ces lotissements chics, parce qu ils sont proprit collective (et prive) d une partie du groupe, ralisent concrtement le collectivisme pratique, c est--dire la gestion en commun de ses intrts vitaux par le groupe lui-mme. Le recours une gestion collective grce une association syndicale autorise de copropritaires apparat comme le moyen le plus rationnel pour faire face aux problmes poss par l entretien et la surveillance de rsidences dlaisses durant de longs mois. L implication de l tat et des services publics dans la gestion des biens de la haute socit peut tre dniche dans les moindres recoins de l enqute et sous des formes parfois inattendues. Ainsi, la diffrence des syndicats de copropritaires, qui relvent du droit priv, les associations syndicales autorises, mises en place dans la seconde moiti du XIXe icle, ont le statut d un tablissement public administratif relevant de la tutelle du prfet. Tout propritaire d un ensemble immobilier ainsi gr en est obligatoirement membre. Le percepteur est le comptable de l association, il prlve la contribution de chaque membre qui est perue en mme temps que la taxe d habitation, sur l avis de laquelle elle gure. Ce type d associations, rgi par la loi du 21 uin 1865, est moins frquent en milieu urbain, encore que la villa Montmorency soit gre de cette manire. La vocation premire de ces associations fut l organisation et la gestion de l irrigation de zones agricoles. es revendications de la chambre des proprits immobilires se rglent sur celles des agriculteurs, explique Hlne Michel. Par exemple, ds 1875, les propritaires urbains mnent une action pour pouvoir bncier de la loi du 21 uin 1865, relative l organisation d associations syndicales libres de propritaires, jusque-l bnciant aux seuls propritaires fonciers dans le but d amliorer l agriculture 2. Hlne Michel relve que les responsables de ces deux organisations, la chambre des proprits immobilires et les associations syndicales libres agricoles, appartiennent au mme monde . oucher d Argis, prsident de la chambre syndicale des proprits immobilires de la Ville de Paris de 1889 1899, a des responsabilits au sein de la Socit des agriculteurs de France. De leur ct, le marquis lie de Dampierre, son prsident, ainsi que le marquis de Vog qui lui succde, sont tous deux membres de la Chambre des proprits immobilires de Paris 3. La loi est donc modie le 23 cembre 1888 et tendue aux propritaires urbains qui peuvent ainsi raliser des travaux d assainissement ou de voirie dans des lotissements ou des villas prives.
Un collectivisme familial Keremma Avant la cration du Conservatoire du littoral, l association familiale de Keremma avait essay d obtenir le classement du site, qui fut refus. partir de 1976, il parut vident que la solution pouvait venir de la nouvelle institution. L association signa une convention de partenariat avec le Conservatoire aux termes de laquelle les terrains feraient l objet d une donation en cas de russite de l exprience. La priode probatoire, couverte par la convention, tait la condition ncessaire pour obtenir une unanimit familiale, garante de la poursuite du processus, du transfert de proprit des dunes au Conservatoire
et, en consquence, de la transmission aux gnrations venir d un espace naturel prserv. Les 110 hectares sur 9 kilomtres de ctes intacts de toute urbanisation appartenaient 57 propritaires, descendants de Louis Rousseau. Leur accord unanime ne fut pas le plus difcile obtenir. La crmonie ofcielle de la donation eut lieu pour son bicentenaire en 1987. Cette opration a contribu souder encore un peu plus le groupe familial, dj mobilis par la transmission de la mmoire du couple des fondateurs, Louis et Emma. Cette transmission aux jeunes gnrations peut s appuyer sur les nombreux textes rdigs par des membres de la famille dont deux arrire-petits-ls du fondateur Henri Rousseau, qui a crit un essai, Premiers Temps de Keremma. Mythe et ralit, publi compte d auteur, et Jean Touchard, qui fut secrtaire gnral de la Fondation nationale des sciences politiques, auteur d une thse, Aux origines du catholicisme social, Louis Rousseau 1787-18564. L association Keremma dite, tous les quatre ans, un annuaire avec les coordonnes des 946 foyers (dition 2006) o l on trouve des descendants de Louis et Emma Rousseau. Les noms des conjoints, les prnoms et les dates de naissance des enfants mineurs, les professions, y sont indiqus. Ce dernier lment permet de mettre en vidence un milieu social assez homogne et assez lev. Jacques Rousseau, gophysicien ptrolier la retraite, est pass par Polytechnique comme son arrire-grand-pre, son grand-pre et son pre, et aussi comme son frre et deux cousins germains et comme quatre de ses cinq oncles du ct paternel. Des dynasties de polytechniciens aussi fournies doivent tre rares. Si au dpart la famille Rousseau comportait pour l essentiel des militaires, avec de nombreux ofciers de marine, et de hauts fonctionnaires, elle s est largie aux professions librales, avec des architectes et des mdecins. Sur les 946 descendants, plus de la moiti (503) rsident en le-de-France, dont 262 Paris et 106 dans les Hauts-de-Seine, dont beaucoup Neuilly, et 4 seulement en Seine-Saint-Denis. Sans relever exclusivement de la grande bourgeoisie, puisque les situations conomiques sont assez diverses, cette famille appartient une certaine lite dans laquelle le capital culturel et le capital social sont importants. La Dpche de Keremma donne des nouvelles des uns et des autres, les naissances, les dcs, les mariages, les anniversaires des plus g(e)s et traite de la vie Keremma dans un bulletin qui parat deux fois par an. Quant L cho ctier, manation aussi de l association, sa parution est estivale. Un site sur Internet complte ce dispositif qui montre une belle vitalit pour des bicentenaires. Cette richesse sociale s inscrit sous les frondaisons de vieux htres qui ont d connatre Louis Rousseau et Emma, dans une fort cre de toutes pices au XIXe icle. leur abri s grnent quelque 160 maisons. Celles des cinq enfants des fondateurs, qui forment l ossature autour de laquelle le phalanstre a grandi, sont dans un alignement parfait, relies entre elles par une alle centrale qui est l artre la plus frquente. Les enfants y rencontrent des inconnu(e)s qu ils saluent d un chaleureux onjour ma tante ou onjour mon oncle . C est la tradition et il y a peu de chances de se tromper. Les comptitions cyclistes sur cette alle font partie des bons souvenirs. Les constructions qui parsment les 450 hectares reprsentent diffrentes poques, de la Restauration et du Second Empire au fonctionnalisme moderne en passant par l clectisme du dbut du XXe icle. Les dimensions des btiments sont aussi trs variables et renvoient aux ingalits de ressources. Mais, comme le dit Dominique Brehon, le seul critre de lgitimit qui a cours Keremma, c est de faire partie de la famille. Les Rousseau et les branches qui en sont issues clbrent chaque anne leurs retrouvailles estivales entre le 25 uillet et le 15 ot. ce moment-l, Keremma fait le plein. Une messe est dite dans la chapelle de Saint-Guevroc, qui est reste proprit de la famille bien que situe au cur des dunes. Une centaine de chaises l intrieur ne sufsent pas accueillir les dles, dont la plupart participent l of ce, clbr conjointement par un prtre de la famille et le recteur de Trez, debout dans les dunes. Plus tard, un vaste pique-nique familial ou un dner tournant, au cours duquel on va les uns chez les autres, sans oublier l assemble gnrale de l association et celle du syndicat de la coproprit ce moment est un temps fort de la ractivation des liens et des solidarits de la famille. Ces festivits de l t sont aussi l occasion de rapprocher joyeusement les gnrations qui se rencontrent peu le reste de l anne. Ce sont surtout des retraits qui occupent la quarantaine de rsidences principales, les autres maisons tant des rsidences secondaires. Les vacances, au milieu de cousins et de cousines, offrent les conditions pour qu il y ait des alliances entre les diffrentes branches de la gnalogie. On en compte une douzaine, dont celui de Jacques Rousseau qui a pous sa lointaine cousine, Marie-France Pichon. Ainsi les branches familiales s entremlent, l image des maisons et des jardins qui, faute de limites bien marques hsitent appartenir l un ou l autre. La silhouette d une vieille tante, au dtour d un chemin, dans la lumire du sous-bois, donne au lieu une intimit, une familiarit que ne procurerait pas une maison de famille isole dans son parc, non loin d autres maisons de familles, mais celles-ci allognes. Keremma est certes une collectivit, un exemple de ce collectivisme pratique des classes dominantes qui savent grer en commun leurs intrts sans pour autant renier leur adhsion l individualisme consubstantiel au libralisme conomique, auquel par ailleurs ils adhrent. Au-del des contraintes statutaires, la libert de chacun reste grande puisque les maisons peuvent tre vendues une personne trangre la famille. Il y a certes une pression du groupe pour viter qu une partie du domaine sorte du phalanstre et les ventes se font principalement l intrieur de la tribu. Une vingtaine de maisons sur les 160 en seraient sorties. l inverse il est des descendants qui, pour des raisons de successions compliques, ont une demeure, peu distante de Keremma, mais en dehors du domaine. C est le cas de Dominique Brehon. Quant aux fantaisies architecturales, elles sont bien acceptes, d autant que la taille des parcelles et la couverture boise donnent aux maisons une grande indpendance. C est l une forme du cumul dont les dominants sont des spcialistes. Individualisme et collectivisme peuvent coexister dans un tel domaine. Cette forme de cumul s ajoute celle qui mle les diffrentes formes de richesse, conomique, culturelle, sociale. Pas de famille pauvre Keremma, et plutt des familles aises. Culturellement, le capital scolaire est important. Les maisons elles-mmes et les biens qu elles abritent sont parfois de grande valeur esthtique, comme dans les cinq maisons des enfants de Louis et Emma qui ont aujourd hui une belle patine et l ameublement des origines, agrment de tableaux d poque ou de marines rcentes. La richesse sociale ici va de soi, elle est inscrite dans la conguration des lieux, dans l association Keremma et ses publications. L annuaire lui seul en est la dmonstration. Le symbolique partir de cet ensemble n a pas de mal s imposer c est ainsi que la donation du bord de mer a suscit un intrt considrable dans la presse et a t salue par plus de cinquante articles 4 dans les hebdomadaires et 12 dans les quotidiens nationaux, 16 dans les quotidiens rgionaux, 11 dans des publications diverses (de Rustica des revues de droit public), 11 dans des revues spcialises dans la protection de la nature et des sites 5. 1. Voir notre ouvrage, Grandes Fortunes. Dynasties familiales et formes de richesse en France, Paris, Payot, etite bibliothque Payot , 2006 (nouvelle dition), chapitre I a collectivisation de la proprit individuelle les lotissements chics , p. 45. 2. Hlne Michel, La Cause des propritaires. tat et proprit en France, n XIXe -XXesicle, Paris, Belin, 2006, p. 8. Voir galement La Chambre des propritaires, n 8, mars 875, et n 18, dcembre 888. 3. Hlne Michel, op. cit. 4. Jean Touchard, Aux origines du catholicisme social, Louis Rousseau 1787-1856, Paris, Armand Colin, 1968.
5. Voir Jean-Marie Ballu, Dunes de Keremma. La donation au Conservatoire du littoral, op. cit., p. 3 sq., o l on trouve la reproduction de l ensemble de ces articles.
apparemment fonds perdus reviendra toujours au gnreux donateur la densit des rseaux est telle que personne n est jamais oubli dans cette redistribution gnralise au plus haut niveau.
Les commissaires-priseurs et leurs clients Que ce soit Thomas Seydoux pour les tableaux impressionnistes ou Christiane de Nicolay-Mazery pour les collections de meubles et d objets d art, les responsables de Christie s doivent avoir des contacts suivis avec les familles susceptibles de vendre et celles en mesure d acheter. Le plus simple est encore de faire partie du mme monde en ce domaine la culture acquise l cole ne suft pas. Encore faut-il matriser les techniques des mondanits et savoir tre familier avec les princes et les chefs-d uvre, avoir cette lgance que l on n acquiert gure l cole et qui permet de traiter sur un pied d galit avec les uvres et avec ceux qui ont en charge de les transmettre qui de droit. En raison de la vive concurrence qui oppose les grandes maisons internationales, notamment Sotheby s et Christie s, les acteurs de ce secteur ne doivent laisser chapper aucune occasion. Une connaissance en amont des familles susceptibles de se sparer d une collection de porcelaines, ou d uvres d art de toute nature, est indispensable. Pas de meilleure solution pour connatre les intentions d une famille que d en tre des familiers. La sociabilit mondaine est un aspect essentiel pour qui fait commerce de patrimoines. Pour tre, au bon moment, l o il faut, quand se prparent les dcisions, rien de mieux que de faire partie du milieu social et d tre naturellement associ aux projets des familles. Les raisons de la vente d objets prcieux sont diverses depuis l envie de recommencer une collection ou de la faire voluer, jusqu l obligation de s en sparer en raison de problmes familiaux ou de difcults nancires lies la scalit ou aux droits de succession. Il peut arriver ainsi que l on soit contraint de se dfaire de l ensemble du mobilier d un chteau devant l inluctabilit de sa vente. Bref, orsque les objets arrivent chez Christie s, dit Christiane de Nicolay-Mazery, nous sommes chargs de les mettre en valeur, de faire des recherches sur les provenances possibles et de les proposer grce au catalogue ceux qui vont les aimer leur tour et de trouver les collectionneurs qui vont les adopter pour une nouvelle priode de leur vie . La provenance recense les propritaires successifs de l objet et leurs noms prestigieux pourront amplier la magie de l uvre. Il faut une correspondance entre les objets et ceux qui les approchent, les ont possds ou vont les acheter. L origine indique dans les catalogues signie que l objet n est pas anodin. Il est authenti par ses propritaires prcdents, grands collectionneurs, personnages historiques, grandes familles ou, bien sr, lieux prestigieux comme Versailles, Compigne, Saint-Cloud ou Fontainebleau. Dans ces ventes aux enchres, l enjeu est aussi que la ligne de l objet ne soit pas interrompue. On conoit que Christiane de Nicolay-Mazery dise tre passionne par son mtier. Elle est faite pour lui, comme les objets qu elle voit passer d un amateur un autre sont faits pour elle, ou plutt pour son milieu marqu par la connivence avec le monde de l art et des crateurs. Elle apprcie ce rle de mdiation et de circulation des belles choses qu elle contribue faire revivre. Cette passation se fait souvent de propritaires gs des acqureurs plus jeunes, mieux arms pour assurer l insertion des uvres dans des maisons porteuses d avenir. Christiane de Nicolay-Mazery dit se refuser ne faire qu un mtier commercial. Ce qui donne du sens son activit, c est une vision vivante de l aristocratie et de la grande bourgeoisie comme gardiennes d un patrimoine transmettre aux gnrations venir dans une sorte de dveloppement durable propre aux grandes familles dont le rseau en expansion s largit aujourd hui aux frontires du monde.
La vente d une collection C est aussi avec passion que Christiane de Nicolay-Mazery suit les objets d art et les meubles mis en vente du dbut la n du projet, lorsqu ils sont encore hez eux , dans leur demeure, jusqu au moment de la vente aux enchres. e vais dans la maison, raconte-t-elle, je m imprgne des lieux, je photographie beaucoup, pour que les objets soient restitus dans l ambiance de ceux qui les ont collectionns. Je pose le plus de questions possible sur les origines et la vie des objets. Puis nous ralisons le catalogue partir des photos et des textes des spcialistes. Nous essayons de raliser, sous la forme d un catalogue, un vrai livre qui recre l atmosphre de la maison des vendeurs. Ainsi la mmoire de la famille dont proviennent
les objets n est pas perdue. La famille bnciera pour elle-mme de ce moment arrt travers un livre qui immortalise une partie de son patrimoine. son tour le catalogue devient un objet d archive qui sera d autant plus recherch que la vente aura pu tre ralise dans un htel particulier ou un chteau renomm, dans le cadre mme o les objets ont vcu et pour lequel ils ont t rassembls et collectionns. Les beaux espaces et les grands noms ont donc non seulement le pouvoir de faire monter les enchres, mais encore ils sacralisent les catalogues, tmoins imprissables, lieux de mmoire d un moment dans l interminable saga des dynasties. Selon Christiane de Nicolay-Mazery, es quelque 10 00 abonns nos catalogues sont sduits par un objet, mais aussi par tout ce qu il y a autour. Ds qu il s agit d une collection prestigieuse, les prix s envolent . Ainsi le 16 ovembre 2006 a eu lieu, chez Christie s France, la vente de meubles anciens et d objets d art appartenant au comte et la comtesse douard Decazes, une collection provenant de leur maison de Chantilly, qu ils avaient dcid de quitter. Dans sa notice du Bottin Mondain, le comte Decazes mentionne sept dcorations, dont la Lgion d honneur, la Croix du Combattant volontaire, la Grand-Croix de l Ordre de Malte. Il est membre de l ANF et de quatre clubs, le Cercle de Deauville, le Cercle de l Union Interallie, le Jockey-Club et le Polo de Paris. Propritaire d une curie de courses, il mentionne avec son pouse ne Caroline Scott deux adresses en Suisse, Lausanne et Gstaad, et une autre Chantilly. Le catalogue dit l occasion de cette vente est illustr en couverture par une photographie reprsentant de face et en pied le comte et la comtesse douard Decazes. Ils marchent en direction du photographe, vers les tribunes ou le pesage d un hippodrome. Le comte Decazes est en tenue de propritaire d curie, longue jaquette sombre et pantalon ray, haut-deforme gris clair et eur la boutonnire. Il porte en bandoulire un tui jumelles et tient entre les mains, gantes de noir, le programme de la runion. La comtesse, gante comme son mari, mais de blanc, en robe de cocktail, porte l paule des jumelles dans leur tui et tient le mme programme en laissant apercevoir quelques lettres du titre, probablement Courses Chantilly. La couverture du catalogue n utilise donc pas une photographie d objets de la vente. Elle se contente d un portrait des vendeurs dans une situation valorisante en tenues lgantes, ils sont saisis dans un lieu et un moment o la hauteur de leur position sociale est perceptible. Ainsi les responsables de Christie s ont-ils dlibrment plac cette vente sous le label de l excellence sociale des vendeurs. C est le premier lment qui s impose l acheteur ventuel. La valeur des objets proposs tient d abord la personnalit de ceux qui les ont choisis et en ont fait le dcor de leur demeure. Ce thme revient dans les pages intrieures du catalogue l ouvrage s ouvre par deux pages d une sorte d album de photos de famille o l on voit le comte et la comtesse au pesage de Longchamp ou sur un terrain de polo, et des scnes qui leur sont familires un quipage de chasse courre et une course hippique. On retrouve certains de ces clichs en plus grand format l intrieur du volume, qui comprend 142 pages. Par exemple celui dont la lgende prcise imanche 1 er vril 2001, Prix des Pyramides Longchamp. Cheval Kalberry appartenant la comtesse douard Decazes. Sous la reproduction d un ancien portrait du comte lie Decazes, une courte notice rsume la carrire de cet anctre lev au rang de duc par Louis VIII, pour ses bons et loyaux services au gouvernement du roi. Plus tard il fonda en 1826 une socit pour dvelopper le charbon et le fer de l Aveyron, et, en 1829, son nom a t donn la cit de Decazeville en son honneur. Les photographies du catalogue montrent les objets en situation, dans la ibliothque , le ureau de Monsieur , la hambre de Madame , le oudoir de Madame , la alle Manger , le rand Salon ou alon des Broderies . L encore, en photographiant les objets dans les pices o ils taient placs, on les prsente dans l intimit de l espace quotidien de leurs propritaires. On les arrache l effet de banalisation que produit leur inventaire systmatique dans le reste du catalogue qui les prsente, plus classiquement, les uns la suite des autres. Dans la disposition qui leur tait affecte dans les pices d o ils proviennent, ils prennent une autre dimension, un peu comme dans un club, la prsence simultane de personnes appartenant la bonne socit fait rejaillir sur chacune d entre elles tout le capital symbolique des uns et des autres et donc dmultiplie l effet social produit par la mise en commun des richesses individuelles. L addition des objets au l des pages donne un aperu du mode de vie qui correspond un tel patrimoine. Le catalogue met en scne, dresse le dcor d une vie exceptionnelle, centre sur le cheval, que ce soit travers les courses hippiques, la chasse courre, en France ou en Angleterre, le polo. Les nombreux tableaux et gravures qui ont ces thmes pour sujets rappellent la spcicit de cette famille, une spcicit d ailleurs relative, tant elle est partage dans ce milieu. Une autre dimension de la vie grande-bourgeoise saute aux yeux l importance de la sociabilit qui se traduit par le nombre des objets qui renvoient aux arts de la table porcelaine, argenterie, cristal. De mme la profusion de siges, de fauteuils, de chaises, souligne combien on reoit dans ces maisons. Le tout est marqu au sceau de la culture, avec la bibliothque, les tableaux nombreux, les objets de collection rafns. Une culture qui transparat dans leurs descriptions. Comme pour cette arquise d poque Louis VI , dont la fourchette d estimation oscille entre 12 00 t 18 00 . Passons sur le terme marquise qui n est certainement pas universellement compris e dans le sens, qu il prend ici, de sige, gnralement du XVIII icle, pour une ou deux personnes, selon l ampleur de la robe d apparat. Ce meuble a une stampille de Georges Jacob . Il est n bois sculpt et dor dcor d entrelacs, reposant sur des pieds fusels cannelures rudentes, garniture de coton bleu, estampill sous la ceinture G IACOB . Voil qui n est pas accessible au premier venu. La photographie rvle une arniture de coton bleu use jusqu la trame, et largement dchire. Le canap en simili cuir de l instituteur, dans cet tat, partirait directement aux objets encombrants. Mais, dans le cas d une marquise Louis VI appartenant au comte Decazes, cette usure est comme la pourriture noble du raisin avec lequel on fait les grands sauternes une marque d excellence et d authenticit. L usure du temps n est pas un affront dans ce contexte, mais un lment de prestige qui peut s afcher avec ostentation le temps permet d tre au-del du prissable. L usure ajoute mme une bonication conomique alors que dans les autres milieux sociaux les biens accumuls perdent leur valeur au l des gnrations pour devenir trs vite obsoltes, l inverse la plupart des objets anciens qui meublent l espace de la vie quotidienne des grands bourgeois accdent au statut d objets d art. Si bien que les familles nissent par habiter des maisons qui peuvent devenir telles quelles des muses, comme celle de Nlie Jacquemart-Andr.
fait preuve de longvit. Achille Peretti pendant quarante ans, de 1943 1983, et Nicolas Sarkozy pendant prs de vingt ans, de 1983 2002. La prsence de terres vierges de toute construction, coinces entre le bois, la Seine et les fortications limitant Paris, a favoris la construction d une ville bourgeoise. Il n y avait qu une eule limite permable, le tissu industriel de LevalloisPerret, selon les prcisions de Bernard Aim. Nicolas Sarkozy a cherch renforcer ce sentiment, qui doit habiter chaque Neuillen, de partager un mme environnement par le classement des villas et des voies prives, et celui des htels et immeubles remarquables, et par la cration d espaces boiss classs (EBC) qui reprsentent 14 hectares, soit 4 du territoire communal . Dont le jardin d une des premires fortunes de France, Liliane Bettencourt, rue Delabordre. lle nous a invits djeuner, pour nous remercier. Elle tenait beaucoup prserver ce parc magnique, qu elle aime , cone Louis-Charles Bary Marie-Dominique Lelivre, dans un entretien1. La grande villa, elle, est classe timent de rfrence . Le classement des villas et des voies prives et celui des htels particuliers et des immeubles dits remarquables par leur histoire, leur architecture ou les vnements qui s y sont drouls, contribuent assurer la prennit d un urbanisme caractris par la dbauche d espace et de verdure. Un urbanisme qui satisfait son responsable, Bernard Aim, et qu il attribue plus u volontarisme de la ville qu la pression des associations. La ville lui parat marque par a beaut, la qualit et la tranquillit , ce qui montre ue l on peut bien vivre dans une ville comme Neuilly, pourtant assez dense . Ce qui est vrai comparativement d autres communes, populaires. Ainsi Neuilly compte 16 00 habitants au kilomtre carr contre 6 00 pour Nanterre, ou 10 00 Aubervilliers. Mais les comparaisons sont dlicates car les surfaces ont t values par le service du Cadastre en ne retranchant du territoire communal que les lacs, tangs et estuaires des euves. Les usines, entrepts, emprises des voies de chemin de fer, ateliers de la RATP, sont pris en compte, c est--dire tous les espaces non rsidentiels qui sont particulirement nombreux dans les communes ouvrires proches de Paris. Neuilly, la majorit des lus et des habitants se servent de cette densit pour se disculper de l absence de logements sociaux. Alors qu il sufrait qu il y ait une vritable volont politique pour imposer aux promoteurs de raliser obligatoirement tel pourcentage de logements sociaux pour des catgories modestes dans toute opration immobilire Neuilly, comme cela se fait dans de nombreuses autres communes de banlieue et Paris. Mais il y a un accord tacite entre les habitants et les responsables de la ville pour maintenir ce paradis urbain, puisqu l homognit sociale correspond une homognit idologique et politique qui aboutit des scores exceptionnels Nicolas Sarkozy a recueilli 73 des suffrages exprims au 1er our de l lection prsidentielle de 2007, et 87 au deuxime tour. 1. Paru dans Marianne, 24 vrier 2007.
8. La mobilisation permanente
Au cur des rseaux les cercles
Unit et diversit Le Bottin Mondain donne, en tte de volume, la liste des ercles et clubs . En 2006, 119 sont recenss, avec chacun l abrviation qui les signalera dans les notices de la liste mondaine. Si certains ont des effectifs rduits, d autres comptent plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de membres. On en dnombre prs de 1 00 au Jockey Club, le Cercle du Bois de Boulogne dpasse les 4 00, l Automobile-Club, le Polo de Paris et le Cercle de l Union Interallie oscillent entre 2 00 et 3 00 membres. Le magazine Cercleset Clubs, cr en 1995, est destin aux 20 00 membres d une quinzaine de cercles aux noms souvent loquents Automobile-Club de France, Cercle de Deauville, Cercle Foch, Cercle France Amriques, Club des Gentlemen Riders et des Cavalires, Maison de la Chasse et de la Nature, Maxim s Business Club, Nouveau Cercle de l Union, Polo de Paris, Union Club Bordelais, Union de Lyon, Wine usiness Club, Yacht Club de France, et deux cercles l tranger, le Cercle Munter (Luxembourg) et le MBC (Genve). La population rellement concerne est difcile chiffrer. Il faudrait ajouter aux effectifs donns ci-dessus les conjointes ou les conjoints et leurs enfants, surtout dans le cas des clubs ayant une vocation familiale comme le Cercle du Bois de Boulogne et le Polo de Paris. Celui-ci compte moins de 3 00 membres proprement dits, mais, avec les conjoints et les enfants, il accueille au total 5 00 ersonnes. Mais il faudrait dfalquer les doublons, les afliations multiples dans deux, voire trois ou quatre cercles n tant pas rares. La vitalit de ces institutions s exprime aussi par l importance des listes d attente de candidats qui, ayant manifest leur dsir d entrer dans ces clubs, patientent parfois plusieurs annes avant que les instances de cooptation se soient prononcs sur leur cas. Les cercles les plus anciens ont t constitus autour d une activit particulire l levage de chevaux et les courses pour le Jockey Club, le bridge pour Le Cent d As, le tir aux pigeons pour le Cercle du Bois de Boulogne, la pratique du cheval pour le Cercle de l trier. Ou en fonction de conditions exceptionnelles, comme le Cercle de l Union Interallie cr en 1917 pour offrir aux ofciers des armes allies un lieu o sjourner agrablement Paris. Or les motifs mis en avant au moment de la fondation sont devenus marginaux. Au Jockey Club, malgr la prsence sur les murs de nombreux tableaux ayant pour thmes des cavaliers sur leur monture, des attelages ou des courses hippiques, la Socit d Encouragement pour l amlioration des races de chevaux en France, qui le fonda en 1834, est devenue un souci secondaire. Les armes allies ont quitt le sol national, ce qui n empche pas l Interalli d tre trs vivant. En dnitive, les cercles rassemblent plusieurs dizaines de milliers de membres, dont la diversit des responsabilits sociales est une garantie d enrichissement des rseaux auquel chaque membre participe. Les conditions d accs ces cercles et clubs sont trs variables. La liste du Bottin Mondain va du Club Alpin franais au Jockey Club, le premier tant trs ouvert, le second trs ferm, tous les cas de gure existant entre ces extrmes, avec toutefois une prdominance des cercles qui mettent en uvre une slection svre. Leurs membres peroivent l existence de hirarchies et de diffrences et ils les commentent dans des jugements, parfois catgoriques, sur les institutions voisines et en quelque sorte concurrentes. Ces jugements sont des indicateurs des principales lignes de partage entre les diffrentes fractions des hautes classes. Les responsables du Bois de Boulogne prsentent leur cercle comme ouvert et moderne, puisque les femmes et les enfants y ont accs. Ils l opposent aux grands cercles masculins comme le Jockey ou l AutomobileClub, jugs dsuets dans leur souci de fermeture. Toutefois d autres membres du Cercle du Bois de Boulogne, nobles et appartenant au Jockey, ne partagent pas ce point de vue. Pour un noble du Cercle du Bois de Boulogne, le Jockey est tout de mme un lieu reposant par son homognit, source de la conance qui existe entre ses membres. Avec l Association d Entraide de la Noblesse Franaise, il s agit de lieux o l aristocratie et ses valeurs propres peuvent s af rmer l identit noble s y expose sans retenue. L autre point de vue, oppos, n est pas plus nuanc le Jockey est un lieu d un autre sicle, ce que symbolise le service assur par des valets de pied en gants blancs et habit queue-de-pie. L appartenance simultane deux ou trois clubs est frquente. Elle peut cacher des prfrences, la qualit de membre d un cercle donn ne signiant pas toujours une adhsion sans rserve ses caractristiques mais pouvant tre une simple concession la tradition familiale. on mari, rvle Mme e Quesnay, est membre de l Interalli. Il l est parce qu il en a besoin dans le cadre de son travail, a lui permet de recevoir qui il veut. Il est aussi au Jockey Club o il n a jamais mis les pieds
parce que, justement, il ne peut pas faire au Jockey ce qu il fait l Interalli et qu il le trouve un peu coinc. Les Quesnay en sont membres de naissance. Ne pas en tre serait refuser l hritage. Pour le comte d Estbe, membre du Jockey, Interalli, c est trs diffrent, il suft que vous soyez candidat. Le prsident vous reoit et vous demande si vous connaissez des membres du cercle et gnralement on vous admet . Il n est pas sr qu entrer l Interalli soit plus facile qu entrer au Jockey, mais ce qui importe c est qu un membre du Jockey ait le sentiment que l on y reoit peu prs n importe qui alors que, rue Rabelais, le critre de la naissance joue ce rle de gardefou qui ferait dfaut rue du Faubourg-Saint-Honor. l image vieillotte du Jockey s oppose ainsi le laxisme social suppos de l Interalli. Tout est dans le style. Dans le rapport l argent, qui ne manque pourtant pas au Jockey, mme si tous les membres ne sont pas de grandes fortunes. u moment du krach boursier d octobre 987, poursuit le comte d Estbe, je n ai jamais entendu quelqu un se plaindre. J ai seulement entendu on a vu pire. Alors que dans d autres cercles j ai vu des gens compltement affols, tout reposant sur l argent. L argent disparat, il n y a plus personne L argent est, au Jockey Club, comme une manire agrable de prendre la vie, il vaut mieux en avoir, mais ce n est quand mme pas tout. Nul doute que les cercles soient des lieux o vont bon train les rexions caustiques sur les autres clubs, ce qui atteste de groupes fortement intgrs. Mais travers cet effort pour se dmarquer, c est aussi l identit sociale du cercle qui s afrme et donc l identit de ses membres. Pour le comte d Estbe, l n y a pas d autres cercles, il y a le Jockey et puis c est tout. Et puis, dans les autres cercles, le prsident a une personnalit dominante, ils sont connus par leurs succs. Tandis qu ici les prsidents sont trs efcaces et trs discrets. Il n y a pas de mise en avant . Les oppositions ne s tablissent pas uniquement entre le Jockey et les autres. Ainsi, pour l un des responsables du Cercle du Bois de Boulogne, l Interalli se caractrise par le fait qu il regroupe beaucoup d trangers et l aristocratie de l argent. Ce qui pour lui n est pas un compliment. Le Polo de Paris fait, lui aussi, l objet de ses critiques en tant que symbole de l argent et de l affairisme. Ainsi il dplore la cration de l Association des Amis du Polo qui permet des hommes d affaires non membres d y tenir des djeuners professionnels. Et puis, un sport comme le polo, mme s il n est pratiqu que par quelques dizaines de membres, cote trs cher. Un responsable de l Interalli s est dmarqu, lui aussi, du Polo, en soulignant ce qu il juge tre une ouverture excessive, lie au besoin d augmenter les effectifs an de faire face de grands travaux. Il a estim que le Cercle Interalli avait plus d afnits avec celui du Bois de Boulogne, par la qualit des membres. L un des axes d opposition entre les cercles est la mesure dans laquelle on sait, ou l on ne sait pas, y entourer de discrtion la fortune. Pour certains, celle-ci ne doit pas s taler, cela fait partie des bonnes manires. Ces systmes d opposition, mrite/naissance, surann/moderne, exhibitionnisme/discrtion, dessinent les lignes de force d un espace des cercles. Ils rompent avec une reprsentation monolithique des hautes classes celles-ci sont fractionnes, multiples, concurrentes et l existence de cercles divers, non rductibles les uns aux autres, rpond aux variations dans la manire de concevoir l excellence sociale, d incarner la richesse lgitime, le pouvoir et la culture. Les sensibilits variant la marge, chacun pourra trouver le lieu o s panouir avec ses semblables. Cette diversit prsente l avantage de multiplier les rseaux et leurs maillages et donc de souder et de mobiliser l ensemble des hautes classes1. On retrouve une htrognit du mme ordre dans le domaine des rallyes. Les hautes classes, les classes dominantes, les classes privilgies le pluriel n est pas gratuit, il rpond la mosaque sociale que ces termes dsignent. Comme y correspondent les diffrences limites mais relles dans la rpartition des domiciles de leurs membres entre les beaux quartiers traditionnels du 7 e et du 8 e rrondissement et les nouveaux quartiers chics de l ouest parisien, le 16 e t Neuilly. Mais, au-del de ces variations, les classes privilgies se rejoignent pour assurer le maintien de leur position dominante, runir les conditions de sa reproduction. Si l on discute du dtail, il importe de s entendre par-dessus des divergences nalement anecdotiques. Dj les frontires entre aristocratie et bourgeoisie sont franchies mme le Jockey accepte en son sein de bons bourgeois et, depuis des dcennies, les alliances entre familles de l un et l autre bord se multiplient. Aussi les commrages lis la diversit ne sont-ils qu une autre forme de la mobilisation d un groupe qui doit envelopper la varit des positions et des sensibilits. Il y a diversit, mais plus encore identit profonde des enjeux et des intrts entre les cercles et leurs membres. Dans la pratique, au-del du discours plus ou moins ironique sur les autres, recueilli et l, c est la convergence qui l emporte.
Le prot de l appartenance un club est usage interne Les annuaires des cercles sont hors commerce, condentiels et rservs aux seuls membres. Le prot de l appartenance est usage interne c est au sein des classes dominantes qu il prsente toute sa valeur. De l extrieur, ces institutions sont considres comme dsutes, des endroits o de vieux messieurs tuent le temps, en attendant qu il ne les tue, en jouant au bridge. La communication l intrieur du groupe est si importante que, comme dans le Bottin Mondain, les adresses et les numros de tlphone sont mentionns, alors mme que les personnes concernes peuvent tre sur liste rouge. L importance de la sociabilit dans ces milieux aboutit ce que la prudence ne soit plus de mise lorsque le support sur lequel vont gurer ces renseignements est destin au milieu avec lequel on souhaite tre en contact. Le club se suft lui-mme et il craint la publicit, dont il n a aucun besoin pour se faire connatre du public concern. Exciper de sa qualit de membre ferait double emploi avec toutes les marques de distinction qui sparent dj du vulgaire celui qui la possde. Or l enjeu des cercles n est pas dans le plonasme social que constituerait leur exhibition publique, en direction des classes moyennes ou populaires. Cela redirait ce que toute la personne proclame dj par la position sociale occupe, le vtement, le langage et les manires. Leur nalit est dans la constitution de lieux o les rgles d entre assurent un entre-soi sans faille. Nombre de notices du Who s Who, trs utilis par les journalistes, ne mentionnent pas les appartenances aux cercles, qui sont en revanche indiques pour la mme personne dans le Bottin Mondain. Ce dernier est en effet destin une diffusion limite. tre, c est en tre , pour reprendre la jolie formule de Cyril Grange. Le Who s Who, lui, est plus clectique. Il recense les responsables politiques de tous bords, dont Marie-George Buffet, secrtaire nationale du PCF, et Jean-Marie Le Pen, prsident du FN. Il peut tre consult dans de nombreuses bibliothques, l achat tant plus dlicat en raison du prix prohibitif (environ 400 ). Lorsque Pierre Bourdieu crit, propos de l absence de rfrences aux cercles dans le Who s Who, que cela manifeste le peu d importance accorde ces institutions par les patrons, il en sous-estime la porte. Les cercles jouent un rle qui dborde le patronat, car on y trouve aussi des hommes politiques, des savants, des hommes de lettres, des ofciers de haut rang, ainsi, bien entendu, que des industriels et des banquiers. Ce n est pas le Medef (Mouvement des entreprises de France), mais plus que le Medef la slection pour y entrer se fait avec davantage de rigueur. On peut tre un grand patron sans tre membre d un club mondain. On ne peut pas appartenir pleinement au rand monde si l on n est pas dans l un des cercles qui comptent. Ces institutions sont symboliquement trs classantes, mais elles peuvent ignorer des personnes disposant d un pouvoir important, particulirement dans l conomie et les affaires. Un peu la faon de l Acadmie franaise qui consacre une position minente, mais ignore des talents plus nouveaux et moins tablis.
La coopration entre les cercles Des rencontres informelles rassemblent, environ tous les deux mois, les directeurs ou les secrtaires d un certain nombre de cercles. Il s agit d harmoniser les prestations offertes aux membres. La revue Cercleset Clubs, au rythme de deux numros par an, relate l activit de ceux qui participent cette concertation, travers des entretiens, des rcits de voyages et
des reportages photographiques de ftes diverses dans lesquels abondent les portraits de groupe, carnets mondains en images. De nombreuses conventions organisent des accords de rciprocit entre les clubs. Pendant la semaine de fermeture de l Interalli, en dcembre, ses membres masculins peuvent tre accueillis par l Automobile-Club et les femmes sont alors e acceptes au Jockey (au 3 tage, cela va sans dire, celui des invits, aucune femme ne pouvant pntrer au second, rserv aux membres, donc aux hommes). De mme, un accord entre le Jockey et l Interalli permet aux membres du premier cercle d utiliser les installations sportives du second, quipements dont il est lui-mme dpourvu et o sont organises des comptitions interclubs. Au-del des diffrences, les proximits sociales et la convergence des intrts rapprochent les cercles dans la pratique. Toutefois leurs initiatives communes ont des limites et la proposition avance un jour de crer un cercle des cercles qui pourrait raliser son propre terrain de golf n a pas t retenue. Chacun tient conserver sa spcicit et son autonomie et, par l, un certain nombre de traits, voire de particularismes, qui contribuent dnir son identit. Pour autant le rseau des cercles est une ralit et chacun d eux ne vit pas en vase clos. Dans ces rseaux constitus par les appartenances multiples des cercles, ce sont aussi des responsabilits, des fonctions, des positions de pouvoir qui s entremlent et s additionnent. Il ne s agit pas de familles sur le dclin la seule numration des positions professionnelles, des lments de carrire (le Who s Who dcrit les carrires dans ses notices, et ne parle jamais de profession) des 25 membres du Grand Conseil du Cercle de l Union Interallie suft montrer quel point les affaires et la politique sont prsentes dans ces clubs. Douze de ces membres appartiennent galement au Nouveau Cercle de l Union. Mais, dans le cas d espce, il s agit presque d un artice selon l accord pass entre le Nouveau Cercle et le Cercle de l Union Interallie, les membres du premier deviennent automatiquement membres du second. Les appartenances multiples de la mme personne diffrents cercles paraissent plus frquentes pour les membres du Grand Conseil que ce n est le cas pour l ensemble des membres de l Interalli. Il existerait ainsi des agents qui feraient de la vie de cercle une sorte de spcialit, y investissant plus que d autres leur sociabilit. Les clubs constituent une toile d araigne, l un des lments du maillage tiss par la grande bourgeoisie pour se maintenir au pouvoir. Certains membres du Grand Conseil sont aussi prsents au Jockey Club, l Automobile-Club de France, au Cercle du Bois de Boulogne ou au Polo de Paris. On retrouve ces afliations multiples parmi les membres du comit excutif de l Automobile-Club. Celui-ci a t fond en 1895 par le marquis de Dion, le baron de Zuylen de Nyevelt et un journaliste, Paul Meyan. Il s agissait alors d accompagner et de promouvoir le nouveau moyen de locomotion qui venait d apparatre et qui tait encore un objet de trs grand luxe, rserv une inme minorit qui faisait confectionner ses vhicules sur mesure, partir d un chssis, par des carrossiers des Champs-lyses. Aujourd hui install dans les htels Pastoret et Moreau, sur la place de la Concorde, l Auto, comme disent ses membres, au nombre de 2 00, a pour prsident le marquis Hugues du Rouret, membre de l ANF, qui frquente galement le Cercle du Bois de Boulogne, le Jockey et la Socit des Cincinnati. Il a succd au marquis Philippe de Flers, devenu prsident d honneur, administrateur de la Compagnie internationale de placements et de capita-lisation, qui est aussi membre du Jockey et du Club des Trente. Grard Fau en est vice-prsident et prsident de son association sportive. Directeur gnral de D. au SA, l un des principaux rseaux d agences immobilires et de conseil en ce domaine, fond par son pre, il est galement membre du Rotary Club de Paris et du Maxim s Business Club. Parmi les membres du Comit de l Auto on trouve en outre des afliations au Cercle de l Union Interallie, au Golf de Saint-Cloud, au Polo de Paris, au Golf du Prieur de Sailly. Les clubs les plus anciens, ceux crs au XIXe icle, ont une vocation gnraliste. On trouve dans leurs locaux un restaurant, un bar, des salons, une bibliothque, des salles de confrence les lieux de convivialit sont privilgis. Parfois des installations sportives, des courts de tennis, des piscines et des salles de gymnastique. L Automobile-Club offre dans son entresol les services d un salon de coiffure et des soins de manucure et de pdicure. D autres cercles peuvent avoir une vocation spcique. Il en est ainsi des golfs, comme ceux de Morfontaine ou de Chantilly. La pratique de ce sport est centrale, mais elle va de pair avec la sociabilit intense qui caractrise ces institutions. Il en va de mme pour le Yacht Club de France, la Maison de la Chasse et de la Nature, l Aro-Club de France. Les appartenances multiples ne sont pas contradictoires avec la spcicit sociale de chaque cercle. En outre le mme individu peut tre porteur d attributs relativement indpendants, comme le fait d tre de noblesse authentique tout en tant impliqu dans le monde des affaires, ce qui peut conduire de doubles ou triples afliations, en fonction des logiques dominantes en chaque cercle. La passion pour la chasse, le golf ou la navigation de plaisance incline complter l appartenance un club parisien et mondain par une afliation un cercle o les comptences, les services et les relations utiles une activit spcique pourront tre trouvs. Les alliances familiales viennent encore multiplier les ramications des rseaux tisss entre ces cercles. Olivier Giscard d Estaing, du Grand Conseil de l Interalli, a des liens avec le Polo, dont il n est pas membre, par son frre Valry, son cousin Philippe, son neveu Louis, qui lui est, en outre, au Club des Gentlemen Riders et des Cavalires, au Cercle de Deauville et au Cercle France-Amriques. Affaires, fonctions, familles et clubs forment un cheveau inextricable de relations et d alliances. On conoit que les cercles soient des lieux commodes pour entretenir et faire fructier ce capital social qui n a d quivalent dans aucun autre milieu.
L Internationale des clubs Le rseau ne se limite pas aux grands cercles parisiens. Des accords de rciprocit existent avec de nombreux clubs trangers, qui assurent l accueil des membres franais dans d autres pays et, en contrepartie, celui des trangers dans les cercles de Paris. ous sommes en correspondance avec le cercle le plus fastueux des tats-Unis, rappelle le comte d Estbe, le Knickerbocker Club, sur la Cinquime Avenue New York. Il parat que lorsque vous y allez, vous tes bloui par le luxe. Lorsque vous invitez un Amricain, ici, au Jockey, vous tes ensuite reu comme un roi aux tats-Unis. Notre cercle est aussi jumel avec un grand cercle anglais, le Turf, et avec le Cercle du Parc Bruxelles. Donc nous pouvons, quand nous allons l tranger, aller dans ces cercles et eux viennent chez nous pour un temps c est trs agrable, a recre un peu l Europe du XVIIIe icle. Je suis all un jour Rome, la Quascia, on parle un franais impeccable. J ai rencontr un prince romain, qui m a invit chez lui pour voir ses collections d antiques. C tait le petit-neveu de Grgoire VI je crois. La nourriture y est remarquable. Si jamais vous y tes invit, demandez les ptes au citron. Je n en connais pas la recette, mais c est un dlice. la Quascia, c est parfois trs lgant parce que vous avez un cardinal qui vient dner. C est trs beau, comme palais, c est une merveille. Mais l atmosphre est la mme. Des gens qui se connaissent, qui ne s blouissent pas, des gens qui entretiennent des rapports normaux, des gens du mme monde. L Interalli prsente dans son annuaire une liste de clubs aflis l tranger tout fait impressionnante 136 clubs y sont mentionns travers 29 pays, 44 clubs pour les seuls tats-Unis. De quoi faire le tour du monde dans des conditions exceptionnelles. Ces accords sont fonds sur la rciprocit et l Interalli accueille chaque anne environ un millier d trangers de passage Paris. Ce qui reprsente trois quatre personnes par jour, plus les familles. Les membres de cercles trangers aflis peuvent organiser l Interalli des rceptions, des mariages, des djeuners d affaires. Bien entendu la rciproque va de soi pour les membres de l Interalli se rendant l tranger. Philippe Denis, ancien prsident de SOS Paris, banquier, administrateur de socits, descend au Knickerbocker lorsqu il est de passage New York. Ce cercle occupe un htel particulier di ct du Plaza, un palace situ en bordure de Central Park. e club offre des chambres trs agrables ses htes de passage. Le personnel est charmant et met la
disposition de ceux qui ne dorment pas l des sous-sols bien amnags pour que les membres puissent se changer avant le dner. Mais les traditions se perdent, regrette Philippe Denis, et les jeunes ne font plus cet effort et passent table dans des tenues varies. Le Golf de Chantilly a des accords avec des golfs l tranger, comme celui de Saint Andrews en cosse. es cossais viennent plusieurs fois par an Chantilly. La semaine dernire, ajoute Christian de Lupp, le grand club de Bruxelles, le Ravenstein [Royal Golf Club de Belgique], tait Chantilly. Ces liens internationaux sont galement prsents dans certains cercles parisiens par l af liation de membres trangers qui reprsentent jusqu au quart des effectifs l Interalli, o l on dnombre 64 nationalits, et ne sont jamais absents mme au Jockey ou au Nouveau Cercle de l Union. C est au Travellers que le caractre international est le plus accus. Il rassemble des hommes d affaires du monde entier (environ 800 membres) et l on n y parle qu anglais. Son prsident et ses deux viceprsidents doivent, selon les statuts, tre de nationalits diffrentes. On y compte nombre de membres amricains, britanniques et de bien d autres nationalits. En ralit, le Travellers ne fait que porter son degr le plus explicite l une des logiques des cercles celle d tre aussi des lieux internationaux de rencontres. Par leur maillage, les lites du monde entier sont en contact. Les clubs sont aussi une multinationale des hautes classes, qui leur assurent, entre autres avantages, celui de trouver en tout point du globe, l occasion de voyages d agrment ou de sjours professionnels, des lieux o rencontrer, dans le confort et la discrtion, leurs pairs, leurs homologues par la position sociale. 1. Sur ce thme, voir Geoffrey Geuens, Tous pouvoirs confondus: tat, capital et mdias l re de la mondialisation, Anvers, EPO, 2003.
SOS Paris SOS Paris a t cre en 1973 par Marthe de Rohan Chabot et Marie de La Martinire. Il s agissait de tenter d empcher la ralisation de projets, chers Georges Pompidou, visant permettre une meilleure pntration de la circulation automobile dans la capitale. En plus de cet objectif marqu du sceau de l urgence, l association se proposait de lutter contre la construction de tours, la destruction de marchs couverts, la dmolition d immeubles anciens et leur remplacement par des bureaux. Par la mobilisation des habitants pour crer un rseau d alerte sur les projets et les permis de construire et par l organisation d n lobby permanent en faveur de [ces] objectifs auprs des dputs et des snateurs , SOS Paris entend fendre le patrimoine architectural de Paris, son environnement et le cadre de vie des Parisiens1 . Cette association comprend, parmi ses centaines d adhrents, des membres dont la position sociale donne une grande efcacit leur action. Jean d Harcourt a t l un des premiers adhrents de SOS Paris. e voyais tellement d horreurs se faire sur le plan architectural, dit-il, que j ai dcid de m engager, d ailleurs avec des amis comme Philippe Denis [prsident de l association de 1986 2006], Marthe de Rohan Chabot ou l crivain Philippe Jullian. Il n y avait vraiment aucun respect pour l architecture. Maintenant il y en a un peu plus. Marthe de Rohan Chabot, elle, tait ndigne par des discours clivs, avec d un ct un discours ofciel rassurant sur la protection de Paris et la loi Malraux, et de l autre les bulldozers et la construction de tours, de radiales et d autoroutes urbaines . On a l un bel exemple de contradiction interne la classe dominante, entre les partisans du tout automobile et de la modernisation sans mesure et ceux qui souhaitent conserver l unit architecturale et urbaine de la capitale. Philippe Denis en a t le prsident pendant vingt ans. Ancien banquier, il est membre de l Automobile-Club de France, du Polo de Paris, et du Maxim s Business Club. Marthe de Rohan Chabot, l une des fondatrices, issue d une grande famille de la noblesse, est une parente du vicomte Olivier de Rohan qui prside aux destines de La Sauvegarde de l Art Franais, et de la Socit des Amis de Versailles, tandis que Louis de Rohan Chabot, un autre cousin, est vice-prsident du Club de la Chasse et de la Nature. Le prsident actuel, Olivier de Monicault, dont l pouse, Catherine de Sauville de La Presle, a t auditrice l IHEDN, est aussi membre de La Demeure Historique. Louis Goupy a t recrut par son amie Marthe de Rohan Chabot, aprs une carrire de fonctionnaire international la Communaut europenne Bruxelles. En 1992, SOS Paris comptait 800 membres. En 2006, la crise du militantisme semble avoir frapp l aussi selon Louis Goupy, secrtaire gnral de 1990 2002, actuel vice-prsident, les contours sont plus ous. L association revendique 500 adhrents permanents, dles et payant leurs cotisations. 2 00 autres se montrent motivs, mais sur un mode irrgulier. Et il y a tous les sympathisants prts aider et soutenir, mais dont la pratique est rduite. Entre 5 00 t 10 00 ersonnes, selon Louis Goupy, ont t ou sont adhrentes SOS Paris. Elles sont reprsentatives de tout l ventail social parisien. travers des actions de lobbying auprs des pouvoirs publics, des manifestations sur la voie publique et des actions diverses, SOS Paris a pour objectif de faire que la capitale reste une ville vivante, avec son atmosphre, le charme de ses marchs et de ses petits bistrots de quartier, avec la diversit de ses rues et des architectures. Marthe de Rohan Chabot et Philippe Denis n ont jamais dit qu ils dfendaient les beaux quartiers et le Paris de la bourgeoisie, du moins qu ils les dfendaient en priorit. Il y a d ailleurs un dlgu de l association et des militants dans chaque arrondissement, aux professions diverses journalistes, instituteurs, employs de banque, photographes, maquettistes, employs de la Ville de Paris.
Toutefois les beaux quartiers sont surreprsents. est vrai, reconnat avec regret Louis Goupy, qu une bonne partie de nos membres se recrutent dans le Bottin Mondain. Nous avons d ailleurs cherch nous dmarquer de cette tiquette mondaine en recrutant des gens d autres quartiers, et mme de sensibilit politique marque gauche Certains sont partis en nous traitant de bourgeois La premire grande manifestation de l association a eu pour cadre le Palais de la Mutualit, rue Saint-Victor, dans le 5e rrondissement, un haut lieu des runions publiques les plus agites. n se souvenait de Maurice Thorez et de tous ceux qui y avaient harangu les foules , savoure Philippe Denis. La sance fut prside par Philippe Saint Marc, qui fut conseiller matre la Cour des comptes et professeur l Institut d tudes politiques de Paris, n homme trs remarquable, qui venait de publier un livre sur la dfense de la nature. Ce fut un succs avec la projection du plan des hauteurs et de nombreuses explications sur les POS (plans d occupation des sols) et autres ZAC (zones d amnagement concert). La foule tait trs chaude, il y avait une vritable agitation motionnelle , se souvient encore Marthe de Rohan Chabot. Olivier de Monicault, l actuel prsident, s est ainsi inquit du sort du cinma Louxor, abandonn depuis des annes. L immeuble, aux allures de temple gyptien, se dresse l angle des boulevards de La Chapelle et Magenta, au mtro Barbs-Rochechouart un quartier populaire s il en est2. Depuis, le Louxor a t rachet par la Ville de Paris pour en faire un lieu culturel. Les actions des adhrents ont pu tre spectaculaires s enchaner un arbre menac, ou la grille d un petit march couvert condamn la dmolition. L association a galement soutenu la lutte d artisans et d artistes d une cour e industrielle du 11 rrondissement menacs d expulsion our raliser une opration de promotion 3 . Les militants de SOS Paris sont sensibles cette diversit, ui fait partie du charme de Paris, de son atmosphre , selon Marthe de Rohan Chabot. ais nous ne subordonnons pas la dfense du patrimoine la dfense du social. Nous n avons pas vocation nous prononcer sur des problmes sociaux , prcise Louis Goupy. Ce combat est facilit par l insertion de certains membres de l association dans des rseaux d in uence. Ce peut tre utile pour faire aboutir une revendication sur un immeuble, une rue, tout un quartier. L avocat de SOS Paris gagn beaucoup de procs . Les recours juridiques ont t trs nombreux. l fallait agir sur tous les fronts, juridique, dans la presse, et dans la rue , selon Marthe de Rohan Chabot. SOS Paris s est oppos au projet d agrandissement du Jeu de Paume. ai invit la presse et la tlvision sur la terrasse de l Automobile-Club, place de la Concorde, endroit idal pour avoir une vue d ensemble du site concern. Le projet, dmesur, a t retir, pour tre remplac par un projet plus raisonnable que M. otard, alors ministre de la Culture, nit par accepter. Quand on a les moyens de la persuasion, il faut savoir s en servir , explique Philippe Denis. Il y a eu des priodes o a lutte tait au couteau, se souvient Marthe de Rohan Chabot. On avait mme des espions l Apur [Atelier parisien d urbanisme], qui nous disaient tout ce qui se tramait . Mais l action de lobbying a toujours t trs importante. uand j tais prsident de SOS Paris, conrme Philippe Denis, je rendais visite rgulirement tous les maires d arrondissement. Olivier de Monicault reprsente l association au sein de la Commission du Vieux Paris, organisme prsid par le maire de la capitale, qui comprend 55 membres outre des prsidents d associations, des experts, des universitaires, des journalistes, des lus, des reprsentants de l administration. La Commission e runit chaque mois, an d examiner les permis de dmolir dposs la Direction de l urbanisme de la Ville de Paris, les faisabilits, et de dbattre de l actualit patrimoniale parisienne . Son avis est consultatif. SOS Paris sige aussi, en la personne de son vice-prsident, Louis Goupy, la commission dpartementale des sites, o Philippe Denis l avait prcd. On y discute des espaces verts, et notamment des bois de Boulogne et de Vincennes. En agissant pour prserver une certaine diversit parisienne, tant urbanistique que sociologique, SOS Paris allie la dfense de la capitale la prservation d espaces qui sont chers ses adhrents. Cette mobilisation se dcline sous de nombreuses modalits, mais elle met en vidence l intrt de la haute socit pour Paris. Ayant les moyens d agir, la grande bourgeoisie ne se prive pas de la possibilit qu elle a de peser sur les conditions de l volution des paysages urbains et ruraux. Un tel engagement doit se comprendre comme une rponse aux menaces pouvant venir de tous les horizons pour le contrle d un bien rare et prcieux, l espace, que la seule richesse matrielle ne parvient pas toujours contrler.
Le Comit Vendme Cr en 1936, le Comit Vendme est contemporain du Front populaire. D l initiative d un assureur, son but tait de lutter contre les menaces qui pesaient sur le quartier, c est--dire la place elle-mme, la rue de la Paix, la rue de Castiglione et une partie de la rue Saint-Honor. Selon un banquier qui en fut le prsident, a place priclitait. C tait l poque du Front populaire et des grandes bagarres place de la Concorde. De plus la place Vendme, avec le dveloppement de l automobile, tait devenue un vritable parking. C tait aussi le dbut de la pousse vers l ouest avec le dveloppement du 16e rrondissement . Ce comit n est pas unique en son genre de nombreux quartiers chics se sont dots de structures semblables. Ds 1902, il existe une Union du Faubourg Saint-Honor. En 1916, en pleine Grande Guerre, Louis Vuitton cre Les Amis des Champs-lyses. Ce malletier de luxe tait install au numro 0 de l avenue, dans un immeuble encore orn aujourd hui d un cusson sur lequel est grav mmeuble Vuitton, 1912 . En 1976 naissait le Carr Rive Gauche qui regroupe les grands antiquaires entre le quai Voltaire et la rue de l Universit. Exemple imit en 1987 par les galeristes du Triangle Rive Droite, dlimit par les rues du Faubourg-Saint-Honor, de Miromesnil et La Botie, et travers par l avenue Matignon. Les comits Montaigne et George datent de 978 et 979, et Remontons les Champs-lyses de 1988. Le Comit Vendme runit les grands noms de la banque et de la haute joaillerie. Ces entreprises prestigieuses occupent, comme sur les Grands Boulevards, sur les Champs- lyses ou avenue Montaigne, des immeubles qui furent longtemps vocation rsidentielle et occups par des familles de la haute socit. La place Vendme est le rsultat de l une des premires oprations immobilires de grande ampleur de la capitale la n du rgne de Louis IV. Mais le renom des familles qui vivaient l, les belles adresses qu elles avaient cres par leur prsence attirrent la convoitise d entreprises la recherche de localisations valorisantes. De grands couturiers, puis de plus en plus de joailliers investirent la place pour lui donner son cachet actuel4. En 2006, le Comit Vendme est compos par les reprsentants de 81 socits, parmi lesquelles le luxe est prdominant, avec la joaillerie, mais aussi la haute couture et les palaces (Ritz, Lotti, Westin et Meurice). Le mardi 28 ovembre, le comit organise une soire sur le thme des lumires de Nol. Il y avait eu des soires semblables au dbut des annes 1990. Les attentats de 1995 interrompirent la tradition pour plus de dix ans. En 2006, le comit tente une remise en route de ces ftes. L ambiance est magique candlabres aux bougies lectries, appliques lumineuses hauteur des premiers tages des htels particuliers qui dvoilent la richesse des dcorations architecturales, une vote de pampilles qui scintillent au-dessus des rues de la Paix et de Castiglione. Bref, un dcor charg d voquer le luxe et les lumires de la haute joaillerie. Toutefois les discours recueillis auprs des joailliers, au lieu d insister sur la qualit exceptionnelle des lieux, la richesse de la dcoration et la magnicence des objets proposs dans les vitrines, mettaient en avant une volont d ouverture. Un thme nouveau et aujourd hui rcurrent, dans lequel s inscrit le remplacement des rideaux de fer par des vitres, certes blindes, mais plus accueillantes pour le badaud et qui rendent la place plus attrayante le soir. La prsence, en tant qu invit d honneur, d Henri Salvador, venu en voisin puisqu il est l un des rares habitants de la place, est un autre signe
de cette volont d ouverture. Il aura l honneur de dclencher les illuminations en appuyant sur le bouton ad hoc. est d autant plus important que la place Vendme est un but, un lieu de destination. On n y vient pas se promener par hasard, elle est l cart des circulations. On y vient parce qu on a envie d acheter un bijou. Nous devons essayer de gnrer un trac, que la place devienne un lieu visit pour lui-mme , afrme Lorenz Bumer, nouveau venu sur la place. Ses locaux, situs au premier tage, donc sans vitrine sur la voie publique, offrent une vue remarquable sur la colonne Vendme. a joaillerie doit se dmocratiser, dit-il. Bien qu ils reprsentent beaucoup d argent, je suis toujours content de montrer mes bijoux. Et puis les gens simples, peu fortuns, peuvent toujours devenir des clients. Pour un achat exceptionnel, une fois dans leur vie. Mais, mme fortuns, certains clients n osent pas franchir le pas, entrer, tellement il y a de sacr dans cet univers des pierres prcieuses. En effet, le pas est dlicat franchir pour entrer chez Lorenz Bumer il faut passer par un sas lectronique digne de la Banque de France. Un salon intime et confortable attend les visiteurs. On n ose pas dire clients tant la relation est personnalise, l art tant d ajuster le bijou par la taille, par les couleurs et l clat, avec la nuance des yeux et la chevelure et tout ce qui passe de l me par le visage, la posture, le maintien. Les joailliers de la place Vendme sont perplexes devant le succs que rencontrent leurs bijoux lorsque ceux-ci sont prsents au rez-de-chausse des grands magasins parisiens. Peut-tre parce que ces lieux n veillent pas la timidit sociale que suscitent la place Vendme, les vitrines des grands joailliers, et leur personnel affable, d une lgance rafne et s exprimant avec aisance. Mme avec des ressources sufsantes, de nouveaux enrichis ne possdant pas les codes sociaux hsiteront pntrer dans ces salons, auront de l apprhension, selon Thierry Fritsch, le PDG de la maison Chaumet, ce que les sociologues appellent de la violence symbolique, et les intresss de la timidit. La maison Chaumet a t cre en 1780. C est l une des plus anciennes de la place, mme si elle appartient maintenant la nouvelle grande fortune en tte des palmars, Bernard Arnault, puisqu elle est contrle par le groupe LVMH. Son PDG, Thierry Fritsch, accueille ses visiteurs avec une politesse exquise, une affabilit qui n a rien d obsquieux et un plaisir vident leur prsenter un immeuble exceptionnel. L ascenseur aux parois de verre fait passer en un instant du XXIe icle au XVIIIe, de salons la modernit chaleureuse aux fauteuils, moulures, dorures et tentures datant des Lumires. l image de la maison qui a toujours su faire ohabiter l histoire prestigieuse et la modernit dans un aristocratique excentrisme matris . Les clients d une telle maison ne sont pas n importe qui ils sont clients de Chaumet. En tant que tels, ils sont inscrits sur le grand-livre, et, aujourd hui, dans la mmoire de l ordinateur. Une pratique systmatique chez les joailliers qui immortalisent ainsi des immortels. n enregistre tout, depuis Napolon er, tout est archiv. Le nom de la personne, ses achats et leurs dates. Il en va de mme pour toutes les rparations. Feuilleter un registre ancien, c est feuilleter l histoire de France et l histoire du monde. Une certaine histoire du moins, car n y apparaissent que les puissants. uand vous avez des racines profondes, conclut Thierry Fritsch, vous vous sentez plus l aise pour avoir un grain de folie. Et par exemple acheter un bijou chez Chaumet. Cette maison est attentive accorder ses dles clients les soins auxquels ils s attendent. Ils peuvent tre invits dner dans l un des magniques salons du XVIIIe icle. Ou des concerts privs. Le champagne est l accompagnement naturel, et lgant, l occasion d un passage place Vendme pour faire excuter une rparation. Si celle-ci peut tre effectue immdiatement, le client est install dans un salon, te la main, tandis que dans un atelier un ouvrier s affaire sur le bijou ou la montre. Car, comme dans la haute couture, la haute joaillerie a ses ateliers dans le mme immeuble que la boutique. Le mtier volue face l internationalisation de la clientle. Des familles trangres, trs fortunes, sont toujours venues du monde entier. Mais aujourd hui les pays mergents, l accumulation nancire ultra rapide dans les anciens pays communistes, l apparition de nouvelles sources d enrichissement avec les technologies informatiques, sont l origine d une profonde diversication de la clientle. Aussi ous formons les quipes de vente recevoir n importe qui, sans ides prconues, dclare Thierry Fritsch. Aujourd hui il n y a plus aucune logique pour savoir qui vient de rentrer. Il n y a plus d uniforme, les gens riches peuvent s habiller dcontracts. Bref, avec l internationalisation, les cartes se brouillent . L largissement de l espace de recrutement des grandes fortunes introduit donc du ou dans les classements usuels. Il s ensuit un trouble dans les espaces consacrs de la grande bourgeoisie. Les halls d entre des palaces parisiens rservent des surprises des Amricains en baskets et blue-jean, des Moyen-Orientaux en tee-shirt et pantalon sans pli. Les repres deviennent incertains. Pour autant, tant donn les prix pratiqus par les grands joailliers et les palaces, la richesse reste un point commun ces clients. La dmocratisation de la haute joaillerie vise les grandes fortunes nouvelles qui peuvent hsiter franchir le seuil des maisons anciennes. Les joailliers, en initiant cette nouvelle clientle leurs codes, peuvent esprer les dliser. Agns Cromback, prsident, de Tiffany o France, une joaillerie de la rue de la Paix, est aussi prsidente du Comit Vendme. Elle paraissait comble en cette soire du 28 ovembre 2006, laquelle elle avait consacr beaucoup de temps. Henri Salvador venait d illuminer la place et avait dit quelques mots au public. Et la colonne tait sortie de la nuit, Napolon se dtachant de manire magique en ombres chinoises gigantesques sur les nuages bas. aire rayonner la place Vendme avec la mise en lumire de la colonne , le but tait atteint. e suis re de cette belle dcoration de Nol, nous cherchons mettre en valeur notre patrimoine, poursuit Agns Cromback, communiquer la gat de Nol dans ce bel crin qu est la place Vendme. En plus des joailliers, la place et ses environs immdiats hbergent des siges de banques, des palaces, des compagnies d assurances, des princes orientaux et Henri Salvador, le ministre de la Justice, de grands couturiers, des cabinets d avocats, des cabinets de conseil, des cabinets immobiliers. Les activits restent haut de gamme, mais le comit est ouvert et a du reste accueilli le prsident du groupe Swatch, qui a une boutique sur la place. Swatch fait partie du groupe Brguet, vieille maison de l endroit. Sans doute pour se faire mieux accepter, Swatch a produit des modles pcial place Vendme . Ce qui tait une manire comme une autre de reconnatre le caractre exceptionnel du lieu. n ne se fait pas d ombre, on tire tous ensemble vers le haut , af rme Agns Cromback. La soire portes ouvertes, des expositions et de nombreuses animations contribuent mettre la place en valeur t amliorer le business de chacun . Le Comit Vendme veille au moindre dtail. Lorsqu un joaillier fait des travaux, ceux-ci doivent tre cachs par une bche dont la dcoration est soumise l apprciation du comit. La griffe des joailliers est en interaction avec celle de la place, elles baissent ou montent paralllement le lieu est consacr par les activits qui s y sont tablies, et en retour il consacre celles qui viennent s y installer. Lorenz Bumer collectionne les photographies historiques et artistiques de la colonne et il en expose une partie dans le hall de ses locaux. L encore, ses bijoux et ses clichs interagissent pour dire et redire que l on se trouve dans un espace hors du commun.
La Sauvegarde de l Art Franais e L association a ses locaux dans un immeuble au 22, rue de Douai, dans le 9 rrondissement. est un immeuble de e rapport du XIX icle, prcise son prsident, le vicomte de Rohan. Il a t construit par un certain M. ruchet, reconnu comme un grand dcorateur sous la monarchie de Juillet et le Second Empire. Ce quartier tait trs la mode, surtout chez les intellectuels. Cet immeuble a t achet par un de mes parents. Sa lle unique, Aliette de Rohan Chabot, marquise de Maill, en a hrit et elle en a fait don la Sauvegarde de l Art Franais sa mort. Dans un quartier qui fut un haut lieu de l intelligentsia et des arts, la Nouvelle Athnes, ce bel immeuble abrite une
association, cre en 1921, dont le but est aujourd hui de veiller sur le patrimoine religieux de France les glises et les uvres d art qu elles contiennent. Son prsident, depuis un an la retraite, aprs une carrire professionnelle de conseiller d entreprise, est issu d une grande famille noble. Il est galement prsident de la Socit des Amis de Versailles. Par ailleurs il est membre du Jockey et de l Auto. a Sauvegarde a t cre par un personnage tout fait tonnant dont le portrait est derrire moi, dit Olivier de Rohan, en se retournant. douard Mortier, duc de Trvise, qui a t prsident de la Sauvegarde de l Art Franais jusqu en 1946, tait un passionn de patrimoine. Il est parti en guerre contre le dpeage des clotres et des chteaux que l on envoyait aux tatsUnis. Il s est investi dans cette dfense contre la dmolition des glises et des maisons anciennes, avec une volont de fer. Ses investissements ont t couronns de succs parce qu il avait un don exceptionnel pour ce qu on appelle aujourd hui la communication, sachant user de tous les mdias et de ses immenses relations, avec une force de conviction remarquable. Il a t en outre le prcurseur du fund raising, notamment aux tats-Unis. Il pouvait mobiliser la terre entire, de l opinion publique des acadmiciens et au marchal Foch, en passant par le prsident de la Rpublique. Olivier de Rohan Chabot est vicomte de Rohan, son frre, Josselin, prsident du groupe UMP au Snat, tant duc de Rohan. Au XVIIe icle, par volont royale, le nom de Rohan a t substitu, et non ajout, celui de Chabot dans cette branche de la famille qui a nanmoins souhait conserver le nom de Chabot, qui n est pas le sien c est pourquoi il n y a pas de trait d union. Aliette de Rohan Chabot, veuve du marquis de Maill, succda au duc de Trvise, dont elle tait la collaboratrice depuis l origine, la tte de la Sauvegarde. lle tait passionne de belles choses et elle tait extrmement savante. Son grand-oncle, Ludovic Vitet, licenci en droit, historien et critique d art, tait conseiller d tat. C est lui qui inaugure cette longue dynastie d un nouveau grade de la haute fonction publique, celui d inspecteur gnral des monuments historiques. Ds 1830, toute la problmatique du monument historique est rsume par les caractristiques des premiers inspecteurs, tout la fois juristes et professionnels des arts et des lettres il est affaire de droit et d esthtique. La marquise de Maill a lgu l essentiel de sa fortune la Sauvegarde en prcisant dans son testament qu elle souhaitait u elle en ft usage pour participer la restauration de prfrence des glises, dices antrieurs au XIXe icle, non classs, mais de prfrence inscrits l inventaire supplmentaire des monuments historiques . la tte de la Sauvegarde de l Art Franais, Olivier de Rohan a succd en 2005 au comte douard de Coss Brissac, qui lui-mme avait succd son propre pre en 1990. La mre d douard de Coss Brissac est ne Herminie de Rohan Chabot. Les Rohan Chabot honorent comme il convient la mmoire de leur parente Aliette, grande donatrice en faveur d une association qui fait un peu partie de la famille. Les tableaux accrochs dans les locaux pourraient l tre tout aussi bien aux murs du chteau familial. Olivier de Rohan doit se sentir familier de cet environnement qui lui rappelle sans cesse ses proches une forme de militantisme o l engagement public se confond avec les souvenirs et l histoire familiale. Un rapport assez original la vie associative, peu courant dans d autres milieux. Marthe de Rohan Chabot, qui elle aussi a beaucoup combattu pour le patrimoine, est adhrente de la Sauvegarde, comme d autres membres de la famille. Olivier de Rohan est trs actif dans le domaine de la dfense du patrimoine. Depuis 1987, il est aussi prsident des Amis de Versailles, association cre en 1907 et qui est donc centenaire. ce titre il vient d tre promu ofcier de la Lgion d honneur. Ce qui, ses yeux, conrme la considration des pouvoirs publics pour le rle de cette association il a t directeur, puis dlgu gnral et conseiller du prsident de la Fondation du patrimoine il est membre de la Socit de l histoire de France et de la Socit des Ocanistes, de l Association bretonne. Son cousin douard de Coss Brissac rivalise avec lui sur ce terrain il appartient la Commission rgionale du patrimoine et des sites et la Corephae (Commission rgionale du patrimoine historique, archologique et ethnologique) de Picardie. Tous deux se retrouvent rue de Douai ou l Auto, place de la Concorde. Ils revendiquent l un comme l autre investissement de certaines familles dans le bien public . Mais ils sont d accord aussi pour souligner l importance d un copieux carnet d adresses, tout en rappelant que e carnet d adresses, c est bien, mais le vritable talent, c est de savoir approcher les gens que l on ne connat pas, de savoir comment s ouvrent les portes et de savoir qui est vraiment important . Olivier de Rohan estime que, si son carnet d adresses comporte des relations sociales hrites, beaucoup furent accumules pendant son service militaire et surtout ensuite, pendant les vingt annes durant lesquelles il fut chasseur de ttes. n mtier qui oblige dcouvrir et prendre langue avec tous ceux qui ont le plus d avenir dans la vie des entreprises, estime-t-il. Il faut pour cela avoir le got des rencontres et des contacts et en rechercher de nouveaux dans le plus de secteurs et de milieux possible. Et ensuite savoir conserver le contact, ce qui ne saurait se faire sans rciprocit de got et d intrt. On a l un bel exemple d une famille de la noblesse qui a su se mobiliser et sait mobiliser pour les vieilles glises qui symbolisent dans la pierre, plus encore que les chteaux, l histoire des villages et de tout un peuple. Ce sont aussi des symboles de la religion chrtienne et les tmoins de l histoire de la France. Deux entits qui ne font pas l unanimit. Pour autant rares sont les Franais qui accepteraient l ide de raser de tels btiments, mme pour faire passer une ligne de TGV ou construire un hpital. Ces points de repre nationaux sont apprcis de tous et en dfendre la prennit est un combat qui rencontre un cho trs favorable, quelles que soient les opinions religieuses ou politiques et quelles que soient les positions dans la socit. On trouve dans la Socit des Amis du Louvre un autre exemple de mobilisation des grands pour une cause culturelle. a Socit des Amis du Louvre rassemble aujourd hui prs de 70 00 membres dont les cotisations et les dons lui permettent de disposer chaque anne d un budget moyen d acquisitions d uvres d art d environ 3 illions d euros (20 illions de francs). Ses dons au muse se comptent par centaines et beaucoup gurent parmi les plus illustres chefs-d uvre conservs au Louvre la Piet de Villeneuve-ls-Avignon, LeBain turc d Ingres, le Diadme de l impratrice Eugnie, etc. Ce qui la place au premier rang des mcnes les plus gnreux et les plus constants du muse 5. L effectif important des adhrents, qui suppose une certaine diversit sociale, n empche pas le conseil d administration d tre d un niveau trs lev. On y trouve, parmi les 31 membres
Rseaux nationaux et internationaux Pour le patrimoine religieux, celui des glises, des chapelles, des abbayes, des clotres, des synagogues ou des mosques, les associations sont au rendez-vous. Mais, comme le fait remarquer Olivier de Rohan, pour trouver un mcne dispos nancer la restauration de telle ou telle glise, en totalit ou en partie, faut-il encore que l existence en soit connue et que le problme de sa remise en tat soit notoire. D o l ide de crer un Observatoire du patrimoine religieux, un projet dvelopp par Batrice de Andia, en collaboration avec la Sauvegarde de l Art Franais. Les btiments vocation religieuse, quel qu en soit le dogme, catholique, protestant, juif, musulman, bouddhiste ou autre, ainsi que les objets de culte, le mobilier et les ventuels lments d ornementation (statues, tableaux), seront recenss sur un site interactif qui, selon Batrice de Andia, unira ainsi sur le plan gographique, historique, juridique, artistique et architectural, les lments du patrimoine religieux qui peuvent intresser leurs propritaires, affectataires ou usagers, les historiens et historiennes de l art, les professionnels du tourisme et de la culture ainsi que le grand public . Batrice de Andia a pour cela mobilis tous ses rseaux, la prsidence de la Rpublique et le ministre de la Culture, des prfets, et de trs nombreux responsables dans le domaine du patrimoine. 74 ns, elle a dj une vaste exprience son actif sur ces questions. Elle possde un chteau prs d Azay-le-Rideau, dont les jardins viennent de bncier du label ofciel de emarquable . Elle a dirig et coordonn 260 ouvrages sur le patrimoine architectural, urbain et sociologique de la capitale, en tant que dlgue gnrale l Action artistique de la Ville de Paris. Cette dlgation avait t cre en 1977 par Jacques Chirac, qui venait d tre lu maire de la capitale, et dont elle avait t une condisciple l Institut d tudes
politiques de Paris6. Elle a galement occup des responsabilits dans des associations de dfense du patrimoine. Elle est membre de la Commission du Vieux Paris. Depuis 2006, Batrice de Andia a t nomme au conseil d administration du Rayonnement des Chteaux de la Loire, une association franco-amricaine quivalente aux Amis de Versailles. Au cur des dispositifs mis en place pour veiller sur les monuments et les uvres d art, elle est en contact avec Olivier de Rohan, Louis Goupy, Christian Pattyn, et bien d autres militants et/ou hauts fonctionnaires qui uvrent dans le domaine du patrimoine historique. Les chteaux ne risquent pas d tre oublis. Outre Les Vieilles Maisons Franaises, qui ont une vocation plus large, La Demeure Historique veille sur les tourelles, les mchicoulis et les escaliers double rvolution7. Denis de Kergorlay en est un vice-prsident actif. La vie associative en ce domaine est intense. Le Comit des Parcs et Jardins de France, dont Didier Wirth est le prsident, a t cr en 1990 l initiative de l Association des Parcs Botaniques de France, des Vieilles Maisons Franaises, de La Demeure Historique, et d associations rgionales. La vitalit dont tmoignent toutes ces institutions se traduit aussi par l existence de rseaux qui en relient les membres un maillage serr de regards et d actions pour les vieilles pierres et les jardins qui les mettent en valeur. Didier Wirth, prsident du Comit des Parcs et Jardins, est galement, ce titre, membre du conseil d administration de La Demeure Historique. Pour chacune de ces causes, le milieu de la grande bourgeoisie est mobilis. Pour la protection et la mise en valeur des parcs et jardins, outre le prsident, Didier Wirth, font partie du bureau et du conseil d administration du Comit ad hoc quatorze personnes, dont la moiti portent un nom particule. La plupart gurent dans le Bottin Mondain mais un seul, Henri Carvallo, reprsentant de La Demeure Historique, a une notice dans le Who s Who. Sans doute les parcs et jardins mobilisent-ils davantage dans un milieu plus fminin et provincial. D ailleurs nombre de ces membres reprsentent des associations rgionales. L extension des rseaux s tend au-del d un milieu parisien. C est aussi largement parmi les lites locales que se tissent les rseaux de la haute socit. Le militantisme associatif existe dans d autres milieux sociaux. Ce serait une entreprise de grande ampleur que d essayer de crer des indicateurs de militantisme, mesurant les mobilisations des uns et des autres. Ce n est pas l objet de ce livre, mais la mise en vidence de l existence de ces rseaux dans la bourgoisie, dont nous n avons pas puis l exploration, est un apport original la connaissance de la socit franaise. En effet, si les tudes sociologiques sur les jardins ouvriers et les cits des banlieues nord et est de Paris sont nombreuses, il n en existe pas, notre connaissance, sur les associations o militent les ducs et les narques. Or le pouvoir social passe aussi par la dfense d un patrimoine li aux modes de vie aristocratiques. Le militantisme associatif tisse sans rpit des liens et des solidarits qui ont des effets en retour dans tous les domaines de la vie sociale, et ce, l chelle du monde. Comme pour les cercles et clubs, qui constituent une internationale de fait, les associations de dfense des beaux espaces, du patrimoine et des parcs et jardins ont des liens avec de nombreuses associations semblables travers le monde. C est aussi le cas pour le syndicalisme patronal et dans le domaine des affaires. Le cosmopolitisme est inhrent au pouvoir et la haute socit. Depuis trs longtemps les patrons n ont pas attendu la dlocalisation des entreprises textiles pour envoyer leurs enfants Harvard, ou pour crer des liales aux quatre coins du monde. Ernest-Antoine Seillire a cd sa place la prsidence du Medef pour prendre la prsidence de l Unice (Union des confdrations de l industrie et des employeurs d Europe). Quel que soit le domaine abord, tirer le l dvide la pelote tout se tient, les rseaux sont tellement connects entre eux qu en saisir un bout permet de voir se drouler l ensemble. Denis de Kergorlay, vice-prsident de La Demeure Historique, exerce des responsabilits galement en qualit de vice-prsident dans une autre organisation, Europa Nostra, dont l ambition est de donner une dimension europenne la dfense du patrimoine. Europa Nostra, selon Denis de Kergorlay, onctionne sur le rseau relationnel que chacun se cre. C est du lobbying en vue d in uencer des hommes politiques, mais on ne peut le faire que si on est crdible . L organisation a t cre en 1963 par des Europens de la premire gnration qui travaillaient au Conseil de l Europe. Ils voulaient se doter d un outil associatif de type ONG pour dfendre le patrimoine historique du Vieux Continent. La construction de l Europe pouvait s appuyer, selon leur ide, sur son patrimoine comme fondement d une identit et d une citoyennet europennes. Mais les moyens nanciers n ont pas t, et ne sont toujours pas, la hauteur des ambitions. Europa Nostra reoit une subvention de 40 00 de l Europe et elle doit ses moyens nanciers des familles mcnes les Leventis, des Chypriotes, dont l un d eux fut longtemps le trsorier d Europa Nostra, et les de Koster, une famille hollandaise de laquelle fut issu, un temps, le prsident de l organisation. Il faut galement ajouter des fonds lis du mcnat d entreprise. Denis de Kergorlay pense que le militantisme et le mcnat en faveur du patrimoine, l chelle du continent, devraient se dvelopper. C est en tous les cas pour lui une dimension fondatrice de la construction europenne qu il tente de mettre en uvre de faon concrte et pragmatique. Henri-Franois de Breteuil, prsident d honneur de La Demeure Historique, est aussi vice-prsident du World Monuments Fund France. Olivier de Rohan est en contact avec des mcnes amricains, dont les dons fournissent une part des moyens d action des Amis de Versailles. Pour le centenaire de cette association, il a organis un dner de 600 convives en l honneur des donateurs, dans l orangerie de Versailles. De chaque association se proccupant de plantes rares, de eurs, de jardins, d htels particuliers, de chteaux ou de centres historiques urbains poussent des ramications internationales. 1. Voir le site de l association <sosparis.free.fr>. 2. Voir le Bulletin 63 de SOS Paris, consultable sur le site de l association <sosparis.free.fr>. 3. Bulletin 56 de SOS Paris. 4. Voir, sur ce thme de l volution des quartiers sous la pression des entreprises la recherche de localisations de prestige, notre ouvrage, Quartiers bourgeois, Quartiers d affaires , op. cit. 5. Site de l association <amis-du-louvre.org>. 6. Nous avons collabor cinq de ces ouvrages, en rdigeant chaque fois une contribution apportant un clairage sociologique sur le sujet trait. 7. Voir notre ouvrage Chteaux et Chtelains, Paris, Anne Carrire, 2005.
La passion du militant