1401 ICOMOS 1825 FR
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Inclus dans la liste indicative L’État partie a fourni une documentation complémentaire
12 avril 2010 datée du 20 février 2012, dont il est tenu compte dans la
présente évaluation.
Assistance internationale au titre du Fonds du
patrimoine mondial pour la préparation de la Date d’approbation de l’évaluation par l’ICOMOS
proposition d’inscription 14 mars 2012
Aucune
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du fleuve et dont l’actuelle Qasba forme le principal principales sont organisées en relation avec la médina
promontoire. Son climat est à la rencontre des influences d’un côté et la gare centrale de l’autre, déterminant la
maritime humide et continentale saharienne sèche. trame principale du réseau viaire. Les travaux publics
comprennent les réseaux associés (eau, assainissement,
Rabat a connu de nombreuses phases de développement électricité, éclairage) et ils sont guidés par un ensemble
jusqu’à la période contemporaine. Elles ont toutes laissé de textes réglementaires contraignants. Les travaux
des témoignages urbains et architecturaux importants qui comme l’affectation foncière sont réalisés en une seule
forment un ensemble équilibré entre parties d’époques fois, ce qui donne ampleur et unité à l’ensemble, ainsi
différentes. Le respect du patrimoine existant a été une qu’une maîtrise remarquable du réseau viaire secondaire
constante de son aménagement, depuis l’époque comme de l’équilibre du bâti entre projets publics et
almohade (XIIe siècle) jusqu’aux temps présents, en privés. Le boulevard Mohammed V reliant la médina à la
particulier au moment de sa restructuration en profondeur gare centrale via la poste en donne aujourd’hui un
par les architectes et urbanistes français, au début du exemple remarquable parmi d’autres. Plus largement, il
XXe siècle. Les constructions les plus significatives des faut noter la continuité des rues entre la ville nouvelle et la
périodes antérieures : fortifications, portes, mosquées, médina, par le biais des portes anciennes conservées et
medersas, palais, etc., sont classés monuments ainsi mises en valeur par les perspectives créées. Il en va
historiques par l’administration du protectorat. À partir de de même pour la mosquée Es-Sounna. Des vues
cette trame respectueuse de son passé, la ville exceptionnelles sur la médina et la qasba sont créées
d’aujourd’hui offre une structure urbaine en zones aux depuis des bâtiments publics comme la Résidence.
styles affirmés et aux vocations spécialisées, au sein
d’ensembles généralement bien conservés. En contrepartie de l’attention portée par ce vaste projet
moderne à l’urbanisme et au monumentalisme arabo-
Le bien est composé de trois zones urbaines distinctes. musulman antérieurs, une synthèse propre au Maroc du
La première est la plus vaste, comprenant plusieurs XXe siècle émerge, notamment pour le style des
ensembles au sein d’un territoire continu mais fortement bâtiments publics. Les diverses tendances architecturales
ramifié au sein de la ville. Les deux autres sont un européennes de cette période, riche en innovations et en
ensemble monumental et un quartier isolés, mais tous expériences, se retrouvent dans les programmes
deux relativement proches de la partie principale. immobiliers de la ville tout en manifestant des interactions
originales avec les traditions marocaines. À un bâti de
Partie 1 ; elle comprend les six composantes suivantes : base usuellement de qualité s’ajoute un souci ornemental
assez général. Un répertoire riche de formes, d’espaces
1.1 La ville nouvelle a été conçue au moment où la cité
spécifiques et de motifs décoratifs se constitue, allant du
devient capitale politique du royaume (1912), par
style néo-mauresque au néo-classicisme européen, du
l’architecte - urbaniste Henri Prost et le paysagiste Jean-
naturalisme à l’Art déco et au modernisme.
Claude Forestier, dans le contexte du protectorat français
et sous le contrôle du maréchal Lyautey. Celui-ci postule
Au sein d’un inventaire de 60 bâtiments protégés au titre
comme règle politique présidant à l’urbanisme qu’il existe
du patrimoine architectural du XXe siècle, plusieurs sont
deux ordres de villes et qu’ils doivent être tous les deux
estimés comme exceptionnels ou comme illustrant les
respectés, ce qui sera une réalité à Rabat.
principaux types architecturaux et décoratifs : la Banque
du Maroc, la cathédrale Saint-Pierre, l’ancienne
La ville nouvelle est conçue en prolongement sud de la
Résidence générale du protectorat, la Trésorerie
médina dont elle entend être une extension urbaine
générale, la Poste, la gare ferroviaire, l’hôtel Terminus, le
moderne tout en conservant sa fortification méridionale du
Bâtiment aux fresques, un bâtiment de la rue Djeddah, le
XVIIe siècle. C’est une extension de la ville, dans une
Crédit du Maroc, l’immeuble du Café des Ambassadeurs,
zone peu occupée au sein de l’ancienne enceinte des
l’agence Asfar Hassan Tour, l’hôtel Balima, le Parlement,
Almohades, dont elle reprend le projet urbain par un
le bâtiment Siemens, le siège de la Marine, le ministère de
ensemble ordonné de bâtiments répondant aux exigences
l’Économie et des Finances, etc.
de la ville nouvelle. Il s’agit de l’un des plus vastes projets
urbains du XXe siècle en Afrique, probablement le plus
En termes d’habitat, trois types de quartiers apparaissent
complet et le plus achevé. Des quartiers, des avenues,
dans la ville nouvelle : l’habitat en immeuble pour les
des zones aux fonctions bien identifiées apparaissent :
classes moyennes généralement européennes, avec des
pour l’exercice du pouvoir politique, l’administration
fonctions commerciales au niveau de la rue, des zones
coloniale et locale, pour la résidence royale, pour le
résidentielles pour les élites coloniales avec villas et
commerce et les ensembles résidentiels destinés aux
jardins d’agrément, un habitat nouveau pour les
différentes couches sociales, etc. Les perspectives de la
Marocains nouvellement arrivés dans la ville et organisé
ville nouvelle prennent pour repères visuels les
en quartiers inspirés de la médina traditionnelle (voir
témoignages monumentaux de la ville ancienne (portes,
partie 3 de la description).
mosquées), soulignant la continuité du territoire urbain et
respectant l’unité de ses anciens quartiers.
Des mosquées plus anciennes qui se trouvaient au sein
du périmètre de la ville nouvelle ont été conservées et
Un jeu de grandes artères apparait pour desservir et
incluses dans son programme urbanistique général.
structurer l’espace urbain de la ville nouvelle. Onze voies
Notons la mosquée Molina qui a été restaurée dans les
187
années 1980, et la mosquée as-Sunna, de la fin du neuve » a été édifiée au XVIIe siècle. Elle a gardé un
XVIIIe siècle, qui est la quatrième plus grande mosquée rôle militaire jusqu’au XXe siècle.
du Maroc actuel.
- Les habitations bourgeoises forment le centre des
1.2 Le Jardin d’Essais et les jardins historiques de Rabat îlots d’habitation ; beaucoup sont remarquables,
illustrent la volonté de faire de la ville une « cité-jardin », notamment les maisons Lamrini, Louis Chénier,
un concept alors nouveau en Europe. Le traitement en est Bargach, El Aïssaoui, Karrakchou, al-Alaoui,
confié à Forestier, simultanément paysagiste et urbaniste, Boudalaâ, al-Gharbi, etc. Elles respectent le plan
deux professions qui se développent. Forestier exprime général de la grande maison marocaine, comprenant
aussi la volonté d’un urbanisme prédéfini dont l’exécution une cour ou des patios intérieurs, des arcades, des
est contrôlée de bout en bout par les pouvoirs publics. pièces de réception, etc. L’architecture vernaculaire
L’ensemble végétal réalisé souligne l’inspiration apporte également un ensemble d’éléments
humaniste du projet urbain global, ainsi qu’un souci de intéressants, dont certains ont été répertoriés, comme
qualité de vie et d’environnement faisant écho à la les portes et leurs accessoires. Dans une symbiose
conservation du patrimoine bâti. Les parcs publics, les stylistique qui lui est propre, la médina de Rabat
plantations et les jardins privés se multiplient. témoigne de la diversité des influences qui se sont
intégrées au fond arabo-islamique, notamment celle
Le Jardin d’Essais est simultanément un jardin des Andalous.
d’agrément et un jardin botanique à caractère scientifique,
pour l’acclimatation d’espèces nouvelles au climat du - Les édifices religieux occupent une place importante,
Maroc côtier. L’avenue de la Victoire est conçue comme jalonnant la trame urbaine de la médina. Elle
une promenade ombragée ouvrant une perspective sur la comprend 9 mosquées, 41 oratoires de quartiers et
porte almohade Bab Rouah. Le niveau bas des 13 zaouïas de confréries musulmanes. La grande
immeubles et des maisons la bordant renforce le mosquée Al-Jamaâ al-Kabir, ou mosquée des
sentiment d’un environnement arboré continu qui conduit cordonniers, date de la fin du XIIIe siècle, mais elle a
le promeneur jusqu’au Jardin d’Essais. Le jardin Nouzhat connu plusieurs restaurations ; sa structure
Hassan et le parc de la Résidence sont deux autres architecturale suit la tradition médinoise via l’influence
jardins remarquables au sein de la ville nouvelle. de la mosquée omeyade de Damas. Citons
également la mosquée Moulay al-Makki, la mosquée
1.3 La médina de Rabat prend place dans la partie nord Moulay Slimane qui est une reconstruction du début
du bien. D’une surface de 91 hectares, elle est en partie du XIXe siècle, les mosquées al-Nakhla et al-Qubba
limitée par les vestiges de l’enceinte almohade à l’ouest, probablement de la même période, la mosquée Dinia
par la fortification andalouse au sud. Elle s’est développée qui remonte aux XIIIe-XVe siècles. La diversité des
à partir de la qasba des Oudaïa. Elle comprend deux mosquées et des minarets illustre les différentes
grandes artères orthogonales desservant un réseau viaire étapes de l’histoire urbaine.
dense et hiérarchisé fait de rues, souvent commerçantes,
de ruelles et d’impasses desservant les habitations. - Les hammams sont des établissements de
Celles-ci sont regroupées en îlots enclavés, généralement purification complémentaires des lieux de culte. Au
constitués autour de grandes demeures bourgeoises. Le nombre de quatorze, ils ponctuent la trame urbaine.
réseau viaire est bien conservé. Le hammam Souk serait le plus ancien, remontant au
XIIe siècle ; plusieurs fois restauré, il présente
La médina présente plusieurs quartiers illustrant aujourd’hui un complexe architectural remarquable. Le
différentes périodes de son histoire complexe et ses hammam Jdid remonte aux constructions mérinides
différents peuplements, comme le quartier du Mellah, du XIVe siècle. Les sultans alaouites, au XVIIIe siècle,
occupé par les populations juives ayant fui l’Andalousie ont également construit des hammams dans la
aux XVIe et XVIIe siècles. Plus largement, elle comprend médina. Les plus récents remontent au XVIIIe siècle
de nombreux ensembles résidentiels très caractéristiques. et au début du XIXe siècle. Tous suivent l’organisation
La médina fut également un centre économique important traditionnelle des bains remontant à l’Antiquité.
aux fonctions commerciales diversifiées, généralement
associées à la spécialisation de rues au sein d’un réseau - Les nombreux fondouks conservés témoignent du
viaire dense. rayonnement économique de la ville. Ils sont proches
des portes, des marchés ou des lieux de commerce.
L’inventaire patrimonial de la médina comprend Ils étaient aussi en lien avec l’activité portuaire,
42 monuments et maisons remarquables qui se attestée depuis 1161. Originellement destinés à
répartissent suivant les grandes catégories suivantes : l’accueil des voyageurs et des caravanes, beaucoup
sont aujourd’hui des lieux d’artisanat. Il existe
- Les fortifications sont essentiellement représentées aujourd’hui trois grands fondouks proches du marché
par l’enceinte andalouse, déjà évoquée, et ses portes au grain. Un autre ensemble en comprend huit le long
de style morisque. Les fortifications comprennent de la rue commerçante Souiqa. Plusieurs présentent
également des vestiges de l’enceinte fluviale et du une grande qualité architecturale.
rempart côtier, différents forts des XVIIIe et XIXe
siècles. La qasba de Moulay Rachid ou « forteresse
188
1.4 La qasba des Oudaïa se dresse sur le promontoire qui constructeurs almohades, synthèse entre les influences
domine l’embouchure du Bouregreg en face de l’océan. orientales et andalouses.
C’était à l’origine une citadelle médiévale, siège du
pouvoir almoravide et noyau initial de la ville arabo- La construction originale est faite en béton de chaux ;
islamique. Vue depuis la rive nord de l’oued, elle donne composé de terre argileuse et parfois d’agrégats, celui-ci
encore l’aperçu d’un ensemble fortement défendu. Bien est particulièrement riche en chaux. L’entretien de la
que profondément transformée au cours des âges, puis fortification a nécessité de nombreuses interventions sur
rénovée à nouveau au cours du XXe siècle, elle présente la structure bâtie et des remplacements de nature
une emprise urbaine traditionnelle faite d’îlots d’habitat diverse : briques, maçonneries, etc. Les parois actuelles
desservis par un réseau viaire hiérarchisé. C’est présentent une texture lisse due soit aux crépis des
simultanément un haut lieu de l’histoire du Maroc et un restaurations récentes soit à la texture du béton ancien
site pittoresque. terni par la patine du temps.
La qasba dispose de son enceinte propre remontant aux C’est l’ensemble des murs et des portes fortifiées qui a
premiers califes almohades, épousant les formes dicté la trame viaire de la restructuration et de la
géographiques du surplomb. Bab Lakbir, la grande porte, construction de la ville moderne au XXe siècle.
est l’un des monuments les plus remarquables de
l’architecture militaire de cette période. La mosquée d’Al- 1.6 Le site archéologique de Chellah (ou Sala puis
Masjid al-‘Atiq est un autre témoignage remontant aux Chellam) est situé au sud-est de l’enceinte almohade,
premiers Almohades, mais elle a été restaurée au occupant un peu moins de 7 hectares. Il s’agissait d’un
XVIIIe siècle par les sultans alaouites, témoignant des territoire fertile et riche en eau, en léger surplomb de la
capacités de construction et d’ornementation de cette plaine environnante, ce qui favorisa l’implantation
période. humaine à partir de l’Antiquité. Il comprend aujourd’hui
29 monuments ou vestiges archéologiques répertoriés
La période de la principauté morisque (ou andalouse), au illustrant des périodes différentes d’occupation du site.
début du XVIIe siècle, a laissé des vestiges à caractère
militaire, dont la tour des Pirates dominant le Bouregreg. La partie urbaine antique n’est que partiellement mise au
Les souverains alaouites ont ensuite apporté une série de jour et ses limites ne sont pas encore pleinement
modifications au sein de la qasba, dont l’enceinte Moulay identifiées. La cité antique de Chellah, ou Sala, s’étendait
Rachid flanquée de tours et de bastions. Elle disposait de vraisemblablement jusqu’au Bouregreg. Elle est elle-
quatre portes et elle abrita notamment la résidence même faite de la superposition de deux cités antiques
princière des Alaouites, achevée à la fin du XVIIe siècle. successives.
Elle comprend une cour ornée bordée de galeries et de
nombreuses annexes, dont le Menzeh, un pavillon en La première, dite maurétanienne ou berbère préromaine,
forme de tour, le hammam, des magasins, etc. remonte aux VIIe-VIe siècles av. J.-C. ; elle a laissé les
vestiges de trois temples, à proximité du forum. Il s’agit de
Au cours de la période du protectorat, la qasba a fait constructions de pierres sèches sur des terrasses
l’objet de plusieurs campagnes de restauration, au titre aplanies et dallées ; elle disposait d’un réseau viaire
des « monuments historiques ». Ont en outre été créés : également dallé. Le site comprend en outre un ensemble
un jardin andalou, un café maure, des ateliers d’artisanat important de vestiges archéologiques urbains attribués à
traditionnel, enfin le musée des Oudaïa. l’influence phénicienne.
La qasba, ainsi que ses abords, sont aussi un espace de La ville romaine s’est ensuite développée au voisinage de
recherches archéologiques dues à la présence de cet emplacement, notamment par un ensemble
vestiges pré-islamiques ou antiques enfouis. monumental autour du forum, pendant le règne de
l’empereur Trajan. Il comprend les vestiges d’un capitole,
1.5 Les remparts et les portes almohades ont été édifiés d’un arc de triomphe, d’une basilique et de la curie, etc.
au XIIe siècle par le calife Yaâqoub El Mansour, comme Une inscription confirme le statut de municipe romain de
ensemble défensif et limite physique de son vaste projet la cité qui fut dotée d’une enceinte en 144. La ville avait
urbain. Avec la mosquée Hassan, ce sont les seuls également des thermes importants et un monument
monuments qui subsistent de « Ribat-al-Fath », le grand complexe, car remanié au Moyen Âge : le Nymphée. C’est
projet de ville capitale du califat almohade. un puissant édifice octogonal formant un château d’eau
alimenté par un aqueduc. Avec un autre réservoir, il
Les parties conservées du rempart, et comprises au sein alimentait des fontaines le bordant du côté sud.
du bien, appartiennent au mur ouest et au mur sud de L’ensemble formait un complexe hydraulique d’une
l’enceinte originelle du XIIe siècle qui englobait toute la importance rare au sein des vestiges romains d’Afrique du
ville historique. De formes rectilignes, les remparts offrent Nord.
de longues perspectives scandées par les portes
monumentales et la répétition des tours carrées flanquant Chellam, sur l’emplacement de l’ancienne Sala,
la muraille. Les alignements ouest et sud actuels correspond aux vestiges de la réoccupation du site
comprennent cinq portes et 74 tours. Les portes antique monumental à l’époque des Mérinides, aux XIIIe-
démontrent une synthèse monumentale par les XIVe siècles. Ils en font une nécropole dynastique, ceinte
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d’une muraille qui la délimite encore aujourd’hui. Elle Partie 3 ; elle est constituée par le quartier Habous de
dispose de trois portes dont la plus grande, flanquée de Diour Jamaâ.
tours, dispose de puissants arcs outrepassés ornés de
Ce quartier fut créé à partir de 1917 sur le modèle urbain
frises. La nécropole s’élève en face de l’enceinte
de la médina traditionnelle, avec des portes d’entrées. Il
almohade. Elle comprend un ensemble monumental
est destiné à accueillir une population nouvelle venue des
important à caractère archéologique. Il est groupé autour
campagnes, attirée par le développement de la capitale. Il
du complexe funéraire ou Khalwa. Celui-ci est formé
est achevé vers 1930. Les rues principales irriguent un
d’une enceinte rectangulaire comprenant un oratoire, des
ensemble de ruelles et de passages couverts. Il dispose
coupoles funéraires et une medersa. Par une porte, on
d’équipements collectifs : four, hammam, école des
accède à la cour intérieure de la mosquée d’Abou
Habous (1938), etc.
Youssof Yaâqoub, jalonnée de tombes. Le minaret s’élève
à l’angle sud-est du sanctuaire. Le site comprend enfin un
Les lieux de culte du quartier sont illustrés par la mosquée
hammam bien conservé, l’un des rares exemples de bains
Omar Saqqaf, en bordure de l’avenue Hassan II, d’un
maures du XIVe siècle en Afrique du Nord.
style marocain typique ; ainsi que par l’oratoire de la rue
Al-Faraj.
La qualité de l’art mérinide est illustrée par des décors
géométriques en marqueterie de céramiques ou sculptés,
Les maisons sont de plan traditionnel, organisées autour
des bandeaux épigraphiques, des frises, des arcs ornés,
d’une cour centrale ; le matériau principal de construction
les décors en entrelacs de zelliges de la medersa, etc.
est le grès. De nombreux bâtiments individuels ont un
Cet art décoratif mérinide introduit une vivacité et une
intérêt remarquable, par leur traitement architectural
subtilité ornementale qui en feront la renommée. Il fut
(angles en colonnettes, motifs en creux, arcs brisés ou
ensuite repris d’une manière régulière dans l’architecture
polylobés, etc.) et/ou décoratifs, leurs portes, leurs
marocaine, jusqu’à aujourd’hui.
agencements intérieurs, les cheminées, les auvents
extérieurs, etc. Une typologie - inventaire des portes de
Abandonné en tant que nécropole après la dynastie
maisons, de leurs décorations et accessoires - a été
mérinide, Chellam devint un site sacré, autour notamment
dressée, ainsi que de leurs évolutions historiques.
du petit oratoire de la medersa et du bassin aux anguilles,
un espace redevenu naturel autour d’une source. La
Conçu par des architectes français, sous l’influence
colline accueillit à nouveau les tombes de plusieurs
stylistique de la médina, le quartier Habous de Diour
marabouts ainsi que de dignitaires de la ville.
Jamaâ est un exemple caractéristique et bien conservé
d’un style que l’on peut qualifier de néo-mauresque.
Partie 2 ; le site de la mosquée Hassan est formé de deux
composantes juxtaposées :
Conclusion
2.1 La mosquée Hassan a été entreprise par le calife La ville nouvelle de Rabat a été conçue pour être une
almohade Yaâqoub El Mansour en 1184, mais le projet de capitale moderne. Elle a bénéficié d’une trame urbaine
la plus vaste mosquée de l’Occident musulman n’était pas existante et d’un héritage bâti important, qu’elle a
totalement achevé à sa mort, peu avant la fin du contribué à faire reconnaître et à préserver. Dans ce
XIIe siècle et elle n’a guère été utilisée comme lieu de cadre ancien, le projet moderniste illustre et naturalise, au
culte, servant rapidement de carrière et de source de bois sein du contexte marocain et arabo-islamique, les
de construction. L’édifice ne conserve aujourd’hui que la tendances européennes les plus novatrices de
tour inachevée de son minaret, le sol dallé de la prière l’urbanisme fonctionnaliste naissant, des cités-jardins et
avec la base des piliers et des vestiges des murs de l’hygiénisme. L’ensemble a été accompagné d’une
extérieurs. Elle est un exemple remarquable d’un style législation et d’une réglementation d’urbanisme pionnière
arabo-andalou, puisant son inspiration constructive dans qui annonce les grandes régulations et recommandations
les mosquées de Damas et de Cordoue. Le minaret est à venir comme la Charte d’Athènes. Elle organise les
lui-même construit au milieu du mur ouest des fonctionnalités entre elles et elle fait émerger des repères
fortifications de la ville. La qualité constructive et culturels et symboliques multiples.
décorative du minaret, bien qu’il soit inachevé, a joué un
rôle d’inspiration pour de nombreux monuments La qualité générale de l’urbanisme et du bâti de Rabat est
régionaux. Par sa position, en surplomb de l’estuaire du illustrée par la permanence quasi générale des
Bouregreg, et par sa hauteur, il constitue un repère fonctionnalités et des services initiaux attribués aux
essentiel et symbolique du paysage urbain de Rabat. quartiers comme aux immeubles. Ces attributions ont été
C’est aujourd’hui un espace de promenade. conservées par la période de recouvrement de la pleine
indépendance du Maroc et de son développement actuel.
2.2 Le mausolée Mohammed V complète, depuis 1969,
l’esplanade formée par l’ancien sol de la mosquée Histoire et développement
Hassan, à l’opposé du minaret. Il s’agit de la nécropole La région a été façonnée par une longue histoire,
royale (1971). Sa construction a rassemblé les meilleures remontant aux temps les plus anciens de la préhistoire
traditions architecturales et décoratives du Maroc, nord-africaine. Dans les environs proches de la ville, des
donnant un écho contemporain à la mosquée Hassan et à traces du paléolithique supérieur et du néolithique ont été
l’ensemble proche de la médina. mises au jour.
190
Le noyau antique de la ville est créé aux VIIe et cité devient un lieu de refuge favorisé par la présence de
Vie siècles av. J.-C. par les Maurétaniens, ancêtres des nombreux remparts, notamment pour les émigrants
Berbères du Maroc. Des traces phéniciennes sont ensuite andalous après la chute de Grenade (1492).
attestées, montrant son rôle précoce d’escale atlantique
par l’embouchure du Bouregreg. Il s’agit par la suite d’une L’expulsion des Morisques d’Espagne, durant le règne de
cité-État, sous influence punique et aux relations Philippe II (1609), entraîne un afflux important de
commerciales diversifiées avec la péninsule Ibérique et la populations musulmanes et juives, qui s’installent dans la
Méditerranée. Elle émet sa propre monnaie. qasba ainsi qu’au sud de celle-ci. Ils construisent des
quartiers suivant leurs origines ; ils fondent une médina
En 40, Rome occupe la Maurétanie Tingitane. La ville, protégée par un mur d’enceinte au sud, coupant en deux
dénommée Chellah ou Sala, est réorganisée et elle l’immense espace délimité par les anciens remparts
devient municipe sous Claude. Trajan la dote d’une almohades.
enceinte urbaine au IIe siècle. C’est alors une cité
prospère fournissant des salaisons et de l’huile d’olive, un Au début du XVIIe siècle, les Morisques immigrés
port actif et un centre de garnison militaire. constituent une principauté sous la suzeraineté des
sultans saâdiens. Ils se révoltent rapidement et forment,
La région de la Maurétanie Tingitane est abandonnée à la avec Salé, une « République du Bouregreg »
fin du IIIe siècle, mais la ville de Chellah reste sous indépendante. Ils fortifient la qasba qui devient le centre
domination romaine, vivant au ralenti, jusqu’à la fin du de leur pouvoir, de type municipal. Ils se consacrent à la
Ive siècle. Elle entre alors dans une période obscure tout guerre de course ainsi qu’aux activités portuaires, faisant
en fournissant quelques vestiges de survivances de Rabat le premier port du Maroc. Des consuls
commerciales avec le monde méditerranéen et de européens s’y installent durablement.
l’influence byzantine chrétienne.
L’émergence de la dynastie alaouite met fin au pouvoir
Les sources historiques arabes parlent d’une ville antique indépendant du Bouregreg, en 1666. La forteresse et la
abandonnée, tout en ayant joué un rôle notable dans qasba connaissent d’importants travaux, dont la
l’islamisation régionale. Un vaste « ribat » aurait existé au construction de la résidence princière achevée sous le
Xe siècle, mais les vestiges arabo-islamiques les plus long règne de Moulay Ismaïl. Ce palais devient la
anciens de Chellah remontent pour l’instant au seconde résidence de la dynastie, après Meknès.
XIIIe siècle.
Les travaux défensifs se poursuivent sur le site de la
La cité ancienne, ce qui en reste, est abandonnée au qasba, à différentes reprises du XVIIe au début du
profit de l’implantation d’une nouvelle forteresse construite XIXe siècle. Il s’agit d’une période troublée et le souverain
par les Almoravides, au début du XIIe siècle, pour mieux y assigne la tribu guerrière des Oudaïa, qui lui donna son
résister à la poussée des Almohades. Elle est située sur le nom. Parallèlement, de nombreux travaux urbains sont
promontoire sud de la confluence. La conquête almohade effectués dans la médina, des mosquées construites, qui
a lieu au milieu du XIIe siècle et elle transforme le fort en lui donnent ses principaux traits actuels. Sa population est
palais fortifié ; il est aujourd’hui devenu la qasba des alors composite : au fond berbère progressivement
Oudaïa. arabisé se sont ajoutées les différentes strates morisques
et juives qui, à partir du XVIe siècle, sont venues
Le cadre d’une grande ville capitale des Almohades d’Andalousie. Le développement urbain nécessite la
« Ribat al-Fath » est donné dans le dernier quart du construction d’un aqueduc à la fin du XIXe siècle.
XIIe siècle par le calife Yaâqoub El Mansour qui, par un
vaste rempart aux formes proches d’un rectangle, occupe La période du protectorat consacre le retour de la capitale
tout l’espace entre l’Atlantique, la qasba des Oudaïa et politique à Rabat, et l’apparition d’un vaste projet urbain
l’ancienne Chellah. Complété par le chantier de la grande moderniste dont le général Lyautey est l’inspirateur et le
mosquée Hassan (fin du XIIe siècle), son projet urbain fut garant. Il est marqué par le respect des architectes et
jugé trop ambitieux par ses successeurs almohades du urbanistes européens pour les legs arabo-musulmans. Le
XIIIe siècle, et ils restèrent tous deux inachevés pour nouveau plan urbain vise à réoccuper tout l’espace de
donner une simple agglomération occupant partiellement l’ancienne enceinte almohade, tout en respectant les
la vaste enceinte au pied de la qasba. données viaires et monumentales de l’ancienne ville.
Henri Prost et Jean-Claude Forestier conçoivent le
La ville passe durablement sous le pouvoir des Mérinides développement d’une vaste cité-jardin, fonctionnelle et
du milieu du XIIIe siècle au XVe siècle. Chellah renaît aux quartiers bien spécialisés, tout en respectant les
comme ribat fortifié et comme mausolée de la dynastie, valeurs du passé (voir description). Une politique de
mais c’est surtout une période d’apogée pour Salé, sur préservation et de conservation des ensembles
l’autre rive, comme principal centre économique, portuaire historiques est alors mise en place, alors que l’ensemble
et urbain. urbain de la ville nouvelle se développe rapidement, tout
au long de la première moitié du XXe siècle.
Le XVe siècle est une période agitée. L’agglomération est
pillée par le prince Ahmed Lahyani. Les Mérinides
abandonnent la nécropole de Chellah au profit de Fès. La
191
En 1956, le Maroc recouvre sa pleine indépendance. La moment où s’enclenche le projet colonial. Des éléments
politique d’un développement urbain respectueux de tous architecturaux ou décoratifs néo-mauresques existent à
ses passés est poursuivie. Alger, mais l’organisation de la ville, notamment pour des
raisons topographiques est totalement différente et
l’héritage historique moindre.
3 Valeur universelle exceptionnelle,
intégrité et authenticité L’ICOMOS considère que plus qu’une comparaison
régionale de monument à monument, il serait nécessaire
Analyse comparative d’approfondir la comparaison des typologies de
Tout d’abord, l’État partie propose la comparaison avec construction à une échelle plus large (quartiers, trame
des « villes modernes » du XXe siècle déjà inscrites sur la viaire, systèmes défensifs, etc.) et à des périodes
Liste du patrimoine mondial : le Bauhaus et ses sites à historiques données. Par ailleurs, la création d’une
Weimar et Dessau, Allemagne (1996, critères (ii), (iv) et capitale moderne, au tournant des XIXe et XXe siècles est
(vi)), la Ville blanche de Tel-Aviv, Israël (2003, critères (ii) en soi un sujet très riche, d’une part dans le contexte des
et (iv)), Le Havre, France (2005, critères (ii) et (iv)), et différents colonialismes, d’autre part dans celui de
Brasilia, Brésil (1987, critères (i) et (iv)). Aucune de ces l’émergence et l’affirmation d’États nouveaux.
réalisations urbaines ne prend en compte les contraintes
de l’existant historique au sein d’un projet moderniste, soit L’ICOMOS considère que, compte tenu des informations
pour des raisons de parti pris urbain et architectural, soit complémentaires apportées, l’analyse comparative est
par son absence ou en raison de sa destruction. satisfaisante, même si elle gagnerait à être élargie. La
démonstration du caractère rare, raffiné et précurseur du
La comparaison avec des villes non inscrites sur la Liste développement moderne de Rabat a été apportée, ainsi
du patrimoine mondial est centrée sur des ensembles que la richesse équilibrée de son patrimoine historique
urbains contemporains de Rabat ou légèrement au sein d’un ensemble urbain planifié.
antérieurs, généralement issus du contexte des
colonisations européennes : Asmara (Érythrée), Dakar L’ICOMOS considère que l’analyse comparative justifie
(Sénégal), Brazzaville (Congo), Hanoï et Saigon d’envisager l’inscription de ce bien sur la Liste du
(Vietnam), la nouvelle ville de Delhi (Inde), etc. Si patrimoine mondial.
certaines influences des urbanismes antérieurs se
manifestent parfois, comme en Érythrée, par les Justification de la valeur universelle exceptionnelle
méthodes de construction ou pour des notations Le bien proposé pour inscription est considéré par l’État
stylistiques, il s’agit généralement d’un urbanisme de partie comme ayant une valeur universelle exceptionnelle
rupture avec les apports indigènes. Rabat apparaît en tant que bien culturel pour les raisons suivantes :
comme le seul exemple réellement intégrateur des
valeurs du passé, disposant par ailleurs d’un héritage Rabat offre une synthèse originale et rare d’un
urbain, religieux, militaire et stylistique diversifié et urbanisme du XXe siècle composant avec la culture
important, tant quantitativement que qualitativement. et les traditions du pays.
Toutefois, l’urbanisme en quartiers aux vocations C’est un projet de ville capitale conduit pendant le
fonctionnelles bien identifiées se retrouve dans de protectorat (1912-1956). Il illustre une occupation
nombreuses villes de la colonisation française. rationnelle du territoire par son réseau viaire, par la
spécialisation des quartiers, par des typologies
Les comparaisons régionales complétées par la architecturales associées aux fonctions, par un
documentation envoyée par l’État partie en novembre recours à un environnement végétal du type de la
2011 concernent essentiellement Tunis, dont la protection cité-jardin européenne et par ses préoccupations
de la médina est similaire à celle de Rabat et s’en inspire hygiénistes.
(1979, critères (ii), (iv) et (v)). La ville moderne du XXe Le projet intègre une somme d’éléments
siècle a une histoire parallèle à Rabat, avec les mêmes monumentaux, architecturaux et décoratifs issus des
fonctions de capitale, et elle s’articule aussi sur la médina. différentes dynasties antérieures, chacune ayant
Par ailleurs, les données du patrimoine historique sont laissé des monuments ou des ensembles
très importantes à Tunis (Carthage, palais du Bardo, etc.), significatifs : défensifs, religieux, funéraires ou
mais elles sont dispersées et on ne retrouve pas un résidentiels.
ensemble urbain aussi intégré et aussi diversifié qu’à Rabat concrétise un urbanisme précurseur, soucieux
Rabat. Au Maroc même, neuf villes nouvelles ont été de la conservation des monuments historiques et de
entreprises par le protectorat, dont Marrakech et l’habitat traditionnel. Elle témoigne d’une
Casablanca se rapprochent le plus de Rabat. La première réglementation pionnière et annonciatrice des
bénéficie d’une urbanisation qui obéit aux mêmes politiques de préservation des patrimoines qui se
principes, à partir d’une médina exceptionnelle (1985, développeront au cours du XXe siècle.
critères (i), (ii), (iv) et (v)) ; toutefois, le style des bâtiments La réappropriation du passé et son influence en
du XXe siècle reste détaché de l’influence arabo- retour sur les architectes et les urbanistes du XXe
islamique, pour des ensembles de moindre importance et siècle a produit une synthèse urbaine originale et
de moindre qualité. Casablanca ne bénéficie pas de son
côté d’un patrimoine arabo-islamique important au
192
équilibrée, ainsi que des formes et des motifs constitutifs au sein du bien est jugé suffisant pour illustrer
décoratifs raffinés et nouveaux. convenablement ses valeurs et leurs interrelations.
L’ensemble offre à voir un héritage partagé
par plusieurs grandes cultures de l’histoire L’ICOMOS considère que les différentes dimensions de
humaine : antique, islamique, hispano-maghrébine, l’intégrité du bien sont satisfaisantes ; toutefois, il est
européenne. nécessaire de veiller à l’impact des grands travaux
envisagés extérieurement au bien et à sa zone tampon,
L’ICOMOS considère que cette justification est notamment à la vue sur le bien et sur le Bouregreg depuis
appropriée, car la ville de Rabat offre une synthèse le site proéminent de la qasba.
réussie et rare entre un projet urbanistique moderne et
un respect approfondi et systématique de l’héritage du Authenticité
passé. Les ingénieurs et les architectes du protectorat
D’une manière générale, il y a eu peu d’interventions, tant
ont su définir et réaliser une ville capitale pleinement
sur la trame viaire que sur l’immobilier de la ville moderne
aboutie, en prenant en compte l’urbanisme préexistant
et que sur les éléments monumentaux ou archéologiques
et les nombreux témoignages des dynasties marocaines
du patrimoine. Par exemple, l’enceinte funéraire de
antérieures. Ils les ont conservés et pleinement intégrés
Chellah a été préservée dans son état de ruine. Toutefois,
dans leur projet, instaurant un urbanisme précurseur et
quelques immeubles de la fin du XXe siècle altèrent
volontariste basé sur une réglementation appropriée. En
l’authenticité visuelle de la ville moderne, au sud :
retour, l’influence de l’héritage du passé a permis
l’immeubles Es-Saâda et la Caisse de dépôt et de
l’éclosion d’un style architectural et décoratif aux traits
gestion, notamment.
particuliers, véritable signature stylistique du Maroc. Le
résultat est une ville jardin aux fonctions urbaines bien
La médina, comme secteur urbain intensément occupé, a
réparties mettant en scène un dialogue passé-présent
souffert de modifications récentes, mais elle maintient son
par une grande variété de témoignages, tant de
caractère propre caractéristique de l'urbanisme islamique.
destinations fonctionnelles que d’époques.
Son patrimoine bâti suscite aujourd’hui un intérêt pour la
rénovation des logements traditionnels. D’une manière
Intégrité et authenticité
générale, il n’y a pas eu d’interventions outrancières ou
dégradantes et des programmes de rénovations sont
Intégrité
prévus.
Le plan d’urbanisme de la ville moderne et de ses
quartiers traditionnels ou néo-traditionnels a été Les mosquées ont été fréquemment restaurées, comme
pleinement conservé. La ville moderne a été peu affectée, celle de la qasba récemment. Le renouvellement de ces
si ce n’est par quelques constructions élevées des années lieux d'utilisation intense a toujours été constant, et les
1970, au sud-est du bien. Bien qu’un temps abandonné, états antérieurs du bâtiment rarement connus avec
le Jardin d’Essais a été restauré et il a conservé sa précision.
structure d’origine ainsi qu’un patrimoine d'espèces
végétales de grande valeur. L’authenticité d’usage des différents éléments constitutifs
de la ville est bien préservée, en lien avec le maintien des
L’habitat des différents quartiers a été maintenu dans un intégrités fonctionnelles urbaines et de son réseau viaire.
état d’intégrité satisfaisant. Les problèmes de certains
immeubles sont plus de maintenance ou de restauration L’ICOMOS considère qu’en l’absence de données
que d’atteinte à leur intégrité. Le rôle des quartiers quantifiées sur l’authenticité individuelle des immeubles
dessinés par l’urbanisme du début du XXe siècle a d’habitation, il est difficile de donner un bilan précis de
globalement été conservé, ainsi que leurs relations l’authenticité du patrimoine bâti. De nombreux éléments
fonctionnelles avec leur environnement. individuels figurent toutefois dans les descriptions des
inventaires et ils permettent d’envisager un niveau
Les éléments archéologiques comme le site de Chellah d’authenticité important, notamment de l’authenticité
permettent de comprendre l’urbanisme d’une ville antique, urbaine perçue. Plus largement, les conditions
sur le bord d’un estuaire, auquel se juxtapose une d’authenticité en termes urbains et monumentaux sont
nécropole mérinide disposant de toutes les composantes satisfaisantes.
de ce type de fondation. La mosquée monumentale
d’Hassan est également bien lisible, tant par la puissance L’ICOMOS considère que, malgré certaines lacunes ou
de son minaret inachevé que par le sol conservé de menaces, les conditions d’intégrité et d’authenticité sont
l’espace de prière. Plus largement, l’intégrité paysagère remplies.
urbaine a été convenablement maintenue.
Critères selon lesquels l’inscription est proposée
L’enceinte almohade a été conservée dans une quasi- Le bien est proposé pour inscription sur la base des
intégralité, ainsi que bon nombre d’autres vestiges critères culturels (ii), (iv) et (v).
défensifs des différentes périodes de l’histoire de Rabat.
Dans chacun des domaines : urbain, monumental, Critère (ii) : témoigner d’un échange d’influences
architectural, décoratif et végétal, le nombre d’éléments considérable pendant une période donnée ou dans une
193
aire culturelle déterminée, sur le développement de Critère (v) : être un exemple éminent d’établissement
l’architecture ou de la technologie, des arts humain traditionnel, de l’utilisation traditionnelle du
monumentaux, de la planification des villes ou la territoire ou de la mer, qui soit représentatif d’une culture
création de paysages ; (ou de cultures), ou de l’interaction humaine avec
l’environnement, spécialement quand celui-ci est devenu
Ce critère est justifié par l’État partie au motif que le bien
vulnérable sous l’impact d’une mutation irréversible ;
est considéré comme un exemple remarquable de
l’urbanisme et de l’architecture du début du XXe siècle, Ce critère est justifié par l’État partie au motif que le bien
au moment où la conception moderniste se développe s’est formé par paliers successifs au cours des deux
dans le monde. Il témoigne de la diffusion de derniers millénaires. Sur le site propice de l’estuaire du
conceptions urbaines venant d’Europe dans le cadre fleuve du Bouregreg donnant sur l’océan Atlantique,
d’une autre culture, celle du Maghreb, en retour, de l’antique Sala, devenue Rabat, témoigne de la longue
l’influence de l’architecture et des arts décoratifs histoire d’un centre de pouvoir politique, d’abord projeté
autochtones sur les débuts de l’architecture du puis effectif. La synthèse qu’elle offre aujourd’hui
XXe siècle dans le Bassin méditerranéen. Synthèse témoigne d’une longue interaction de l’homme avec
d’éléments marocains et européens, le bien possède un l’environnement produisant un établissement humain
caractère original et tout à fait nouveau. dense et original.
L’ICOMOS considère que ce critère a été justifié. Le L’ICOMOS considère que le bien témoigne
bien représente un projet urbain moderne qui s’inspire insuffisamment de ses relations à un territoire pour
des valeurs du patrimoine arabo-islamique antérieur. Il pleinement justifier ce critère. Il est d’une part morcelé,
témoigne de la diffusion des idées européennes du parfois à petite échelle, ce qui ne témoigne guère d’une
début du XXe siècle, de leur adaptation au Maghreb et, relation privilégiée à un environnement. D’autre part, la
en retour, des échanges avec l’architecture et des arts relation à l’estuaire, qui fonde la détermination
décoratifs autochtones. géographique du lieu, et la fonction portuaire ne sont
pas présentes dans le bien proposé pour inscription, ou
L’ICOMOS considère que ce critère a été justifié. de manière très marginale. Il eût fallu pour cela
considérer l’ensemble Rabat-Salé et se préoccuper des
vestiges portuaires.
Critère (iv) : offrir un exemple éminent d’un type de
construction ou d’ensemble architectural ou
technologique ou de paysage illustrant une période ou L’ICOMOS considère que ce critère n’a pas été justifié.
des périodes significative(s) de l’histoire humaine ;
Ce critère est justifié par l’État partie au motif que L’ICOMOS considère que le bien proposé pour
l’ensemble historique de Rabat est un legs bien inscription remplit les conditions d’intégrité et
documenté de diverses cultures successives. Il illustre d’authenticité, répond aux critères (ii) et (iv) et que la
l’utilisation adaptative de matériaux et de techniques valeur universelle exceptionnelle a été démontrée.
traditionnelles, notamment les techniques du pisé riche
en chaux et de la taille du grès dunaire et calcaire dont Description des attributs de la valeur universelle
la maîtrise est donnée à voir dans nombre de exceptionnelle
monuments du bien. Outre la reprise du grès dans des Rabat apporte le témoignage d’une ville capitale conçue
bâtiments publics, l’utilisation de matériaux modernes dans le cadre du protectorat, au début du XXe siècle. Le
s’est accompagnée d’un ordonnancement architectural projet réalise l’adaptation des valeurs modernistes de
original tout en créant un contraste avec les matériaux l’urbanisme et de l’architecture au contexte du Maghreb,
des époques antérieures. La blancheur immaculée des tout en s’inscrivant dans la trame de la ville ancienne et de
quartiers modernes laisse mieux apparaître l’ocre du ses nombreuses composantes historiques et
pisé et du grès des monuments emblématiques de la patrimoniales.
ville.
Bien conservée, la ville moderne a été conçue de
L’ICOMOS considère que le bien apporte un exemple manière rationnelle, comprenant des quartiers, des
éminent et achevé d’urbanisme moderne pour une ville immeubles et des monuments aux fonctions bien
capitale du XXe siècle. Il se définit par une organisation déterminées et dont témoignent tant les perspectives
territoriale fonctionnelle qui assume un respect et une visuelles des avenues que les signatures
intégration des valeurs culturelles du passé au sein du architecturales ;
projet moderniste. La synthèse des éléments décoratifs, La ville moderne est caractérisée tant par la
architecturaux et paysagers, de même que le jeu cohérence et la complémentarité de ses espaces
d’opposition entre présent et passé, offrent un ensemble publics, de ses avenues, que par sa mise en œuvre
urbain raffiné et rare. des idées hygiénistes illustrées par les réseaux d’eau
et d’égouts, par les parcs et les plantations des
L’ICOMOS considère que ce critère a été justifié. avenues ;
L’habitat est illustré par des quartiers bien spécifiques
qui témoignent des traditions arabo-islamiques
194
(médina, qasba), des quartiers résidentiels et des De nombreuses carrières affectaient autrefois le flan
immeubles des classes moyennes de la ville collinaire de Rabat au-dessus du Bouregreg. Elles sont
moderne, enfin le quartier néo-traditionnel des Habous aujourd’hui arrêtées.
de Diour Jamaâ ;
La ville intègre en son sein une somme importante L’ICOMOS considère que certain des projets sont
d’éléments monumentaux, architecturaux et bénéfiques au bien, comme l’implantation du tunnel ou
décoratifs issus des différentes dynasties le projet de tramway destiné à désengorger la circulation
antérieures, chacune ayant laissé des monuments au sein de la ville moderne. Toutefois, d’autres ont un
ou des ensembles significatifs : défensifs, religieux, impact visuel plus discutable, comme le grand pont en
funéraire, résidentiel ; construction sur le Bouregreg. De même, la situation
Rabat concrétise un urbanisme précurseur, soucieux d’un projet d’immeuble de 16 étages (secteur ZP3) et du
de la conservation des monuments historiques et de grand théâtre doit être clarifiée.
l’habitat traditionnel, établissant pour cela une
législation pionnière de leur conservation ; Des études d’impact sur le patrimoine approfondies
La réappropriation du passé et son influence en doivent être établies pour tous les projets d’infrastructure
retour sur les architectes et urbanistes du XXe siècle à proximité du bien, même s’ils ne sont pas
a produit une synthèse urbaine, architecturale et explicitement dans la zone tampon proposée, comme un
décorative originale et raffinée ; certain nombre de constructions sur la rive droite du
L’ensemble offre à voir un héritage partagé fleuve, et le Comité du patrimoine mondial devrait en
par plusieurs grandes cultures de l’histoire être informé suffisamment en amont des mises en
humaine : antique, islamique, hispano-maghrébine, œuvre, conformément au paragraphe 172 des
européenne. Orientations devant guider la mise en œuvre de la
Convention du patrimoine mondial.
L’État partie indique de lui-même que toutes ces Des enjeux environnementaux naturels se situent au
opérations doivent être contrôlées et suivies avec niveau du périmètre d’inscription et de la zone tampon ;
beaucoup de rigueur, pour ne pas risquer de porter ils concernent essentiellement des secteurs fragiles tels
atteinte au cadre urbain général du bien. Il estime que la vallée du Bouregreg et le littoral atlantique.
également que « le projet d’aménagement des berges du
Bouregreg ne compromet aucunement les vues Un risque incendie existe au niveau des espaces verts
imprenables de la ville de Rabat sur la médina de Salé et lors des saisons sèches, notamment au Jardin d’Essais
l’embouchure du fleuve qui les sépare ». et au Jardin du Triangle au sein du bien. Un risque
incendie existe pour les bâtiments publics et
D’autres pressions, à caractère de spéculations foncières d’habitation, mais le recours aux matériaux inflammables
et immobilières, peuvent menacer l’intégrité sociale de est faible, notamment en zones traditionnelles.
certains quartiers, comme la qasba des Oudaïa.
195
Catastrophes naturelles Rabat. La médina de Salé et ses monuments historiques
bénéficient néanmoins d’une protection de niveau
La côte atlantique marocaine est historiquement sensible
national. Pour l’État partie, le projet d’aménagement des
aux raz-de-marée (tsunamis) ; la mise en place d’un
berges du Bouregreg ne compromet aucunement les vues
système de surveillance et d’alerte est envisagée à
imprenables depuis la ville de Rabat sur la médina de
l’échelle régionale (Espagne, Portugal, Maroc).
Salé et sur l’embouchure du fleuve qui les sépare.
Délimitations du bien proposé pour inscription Suite aux recommandations de l’ICOMOS, l’État partie a
et de la zone tampon décidé d’étendre la zone tampon (documentation
Le bien occupe une surface totale de 348,59 ha ; il complémentaire de février 2012) aux zones suivantes :
comprend un peu plus de 50 000 habitants.
- le lit et les berges du fleuve côtier du Bouregreg au
Le palais royal constitué par les demeures et espaces niveau du centre urbain historique,
privés de la famille royale n’a pas été intégré dans le - la partie aval de la rive droite du Bouregreg ainsi que
périmètre de la proposition d’inscription, en raison de sa son embouchure maritime,
fonction dynastique et des impératifs de sécurité qui y - la médina de Salé, sur la rive droite, au nord du bien,
sont associés. Cet espace clos symbolise la monarchie - le lycée Moulay Youssef, entre le bien et la zone du
régnante et il est hautement protégé. Il est géré par des palais royal, au sud du bien.
institutions propres qui garantissent la préservation et la
conservation de l’intégralité de son patrimoine. Il constitue L’ICOMOS considère que les limites du bien sont
une protection complémentaire pour le site candidat, pleinement justifiées par l’État partie et qu’elles sont
même s’il n’est pas officiellement inscrit dans la zone satisfaisantes.
tampon.
L’ICOMOS considère que la nouvelle zone tampon
La ville de Salé, sur la rive nord de l’embouchure du étendue proposée par l’État partie dans sa documentation
Bouregreg, est géographiquement et historiquement très complémentaire de février 2012 est satisfaisante et qu’elle
liée au développement de Rabat, dont elle apparaît correspond à ses recommandations ; la surface et le
comme un élément jumeau à de nombreuses périodes. nombre d’habitants de la zone tampon étendue sont à
Toutefois, le choix de Rabat comme capitale du royaume, préciser.
au début du XXe siècle, entraîne une urbanisation et un
projet moderne dont elle est exclue. La valeur universelle
L’ICOMOS considère que les délimitations du bien
exceptionnelle étant axée sur cet urbanisme moderne
proposé pour inscription sont satisfaisantes et que la
dans le respect des composantes plus anciennes, la
zone tampon étendue est également satisfaisante ; il
proposition d’inscription s’est focalisée sur la ville de
reste à préciser sa surface et sa population.
196
Droit de propriété le Plan d’aménagement de Rabat Hassan (homologué
Le bien correspond pour sa plus grande partie à des en 1997), en particulier les secteurs M (médina), B
propriétés privées familiales, individuelles ou en indivis, (ville nouvelle) ;
parfois en sociétés foncières (31,8 %). Une partie notable le futur Plan d’aménagement unifié (PAU) de Rabat
du domaine privé appartient à l’État (15,5 %). prévoit de créer des zones de protection
architecturale. Ce projet vise à encadrer une
Une partie importante du foncier n’est toutefois pas restauration appropriée du patrimoine bâti et non bâti
« immatriculée », ce qui n’est pas légalement obligatoire ainsi que la protection du caractère propre de zones
(47,3 %) ; il s’agit de biens de différents statuts de de la ville nouvelle considérées comme peu ou mal
propriété régis par le droit commun musulman et par la Loi protégées. Il vise également à mieux prendre en
marocaine des obligations et contrats : biens Melk privés, compte le paysage urbain à ses différentes échelles,
biens Habous (legs et donations), biens privés de l’État et notamment en régulant les hauteurs des bâtiments. Il
biens collectifs appartenant à des collectivités ethniques. s’appliquera aux principales zones de développement
de la zone tampon.
Le domaine public est diversifié dans son droit de
propriété (État, ministères, collectivités locales, fondations Protection traditionnelle
religieuses…) mais relativement restreint dans son
emprise foncière (5,4 %). L’entretien des bâtiments, notamment des bâtiments
traditionnels et des lieux dédiés au culte, constitue une
Protection forme de protection traditionnelle du bien.
Les bâtiments, les ensembles d’édifices et les sites L’ICOMOS considère que les mesures de base de la
constituant les éléments les plus importants du bien sont protection des monuments et des sites archéologiques
« classés » ou « inscrits » au titre des monuments sont en place et que, par leur ancienneté, elles ont
historiques du Maroc. Vingt arrêtés ont été pris, dont contribué de manière fondamentale à l’histoire de la
beaucoup remontent au protectorat et aux origines même protection du bien.
du projet de la ville moderne, au début du XXe siècle. Des
dispositifs sont mis en place pour en assurer l’exécution Les nouvelles dispositions annoncées pour une protection
(voir gestion). urbaine plus large, une protection du paysage urbain
formé par le bien (nouvelle loi sur la protection du
La protection des monuments historiques et des sites patrimoine culturel) et une protection – régulation de la
archéologiques se base essentiellement sur la Loi 22-80 zone tampon, (projet de plan PAU) sont en cours de
relative à la conservation des monuments historiques promulgation.
(25 décembre 1980), et son Décret d’application n° 2-81-
25. Elle organise les procédures pour le classement ou L’ICOMOS considère que la protection légale en place
pour l’inscription ; elle organise la protection des biens est appropriée. Elle sera renforcée par la promulgation
classés ou inscrits. de la nouvelle loi sur le patrimoine culturel et du plan
PAU.
Un projet de nouvelle loi sur la protection du patrimoine
culturel est en cours de promulgation, afin de tenir compte Conservation
de l’évolution des concepts de patrimoine et de l’évolution
des menaces pouvant les affecter. Inventaires, archives, recherche
197
géographique (SIG), École nationale de l’architecture Par leur rôle symbolique, la mosquée de Hassan et le
de Rabat (en cours), mausolée de Mohammed V font l'objet d’une attention
l’étude sur l’architecture du XXe siècle, Direction de particulière. Sur le minaret, une intervention de nettoyage
l’architecture (en cours). et de rejointoiement est prévue.
Les principaux lieux de compilation de l’information sont : Globalement, la ville moderne a été conservée en bon
état, notamment par la continuité de ses fonctions
la Division de l’inventaire et de la documentation du publiques, religieuses ou commerciales ainsi que de ses
patrimoine, Rabat, bâtiments d’habitation. Toutefois, la tour construite dans
la Photothèque de la Direction du patrimoine, Rabat, les années 1970 au sein du bien proposé pour inscription
le Service de la documentation à la Division des apporte une rupture à l’unité architecturale et au paysage
interventions techniques, Rabat, urbain de ce quartier.
l’Agence urbaine de Rabat.
Après une période d’abandon, le Jardin d’Essais a fait
Il existe également des archives du protectorat français l’objet d’une profonde restructuration, sans doute
concernant le bien au Centre d’archives d’Aix-en- excessive, mais elle a permis de réintroduire de
Provence, France. nombreuses espèces végétales disparues, et l’ICOMOS
note que la découverte des plans d’origine du jardin
État actuel de conservation permettra de conduire de manière plus appropriée les
travaux à venir.
Les biens constituant la ville de Rabat se trouvent
généralement dans un assez bon état de conservation. Le quartier des Habous de Diour Jamaâ est conservé en
Cependant, l’analyse détaillée de la situation montre que relativement bon état général, sans avoir souffert
l’état de conservation diffère d’un quartier à l’autre et, au d’altérations irréversibles. Toutefois, de nombreux
sein d’un quartier, d’un élément à l’autre. logements ont souffert d’une surpopulation récente.
L'enceinte de Chellah est dans son ensemble assez bien Mesures de conservation mises en place
conservée ; d’importants progrès ont été accomplis ces
dernières années. L’ICOMOS considère toutefois que la Elles sont encadrées par le Plan d’aménagement de
conservation des stucs et des zelliges à l'extérieur pose Rabat Hassan et elles prévoient un ensemble de mesures
d'importants défis ; une attention particulière devrait être de conservation. Le contenu des interventions est précisé
accordée aux critères d'intervention pour conserver les dans le Programme d’action prévisionnel à cinq ans de la
vestiges originaux en évitant toute tentative de Direction du patrimoine (voir Plan de gestion). Il prévoit
reconstruction. notamment pour l’exercice en cours :
L’aspect de la qasba des Oudaïa s’est notablement le plan de sauvegarde du quartier d’habitation des
amélioré suite à la restauration des murailles, le Oudaïa,
programme doit être poursuivi à la porte al-Kebir. le plan de sauvegarde de la médina, dont la
L’élimination du trafic routier entre la qasba et la médina, réhabilitation de la rue des Consuls,
par l’ouverture du tunnel, a fortement amélioré la situation. le plan de sauvegarde et de restauration de la ville
L’espace libéré doit maintenant être requalifié en tenant nouvelle, appuyé sur une charte architecturale,
compte du contexte patrimonial et de son rôle de liaison le projet de restauration de la tour Hassan,
entre deux éléments essentiels de la valeur du bien. les projets de restauration sur le site archéologique du
Chellah,
Dans la médina, la détérioration la plus palpable est au le projet de restauration de Bab Lakbir des Oudaïa,
niveau de certaines rues commerçantes, où des le projet de restauration de Bab Laalou,
rénovations peu respectueuses ont été effectuées par les le projet d’inventaire du patrimoine culturel et artistique
occupants. Il existe un projet de rénovation de la plus de l’ensemble historique de Rabat.
importante de ces voies, la rue des Consuls. À l’opposé,
la médina montre un processus de retour de la population Entretien
qui génère des rénovations plus conformes à ses valeurs
architecturales anciennes. L’entretien du bien est assuré pour sa partie publique par
la ville de Rabat. Les sites et monuments classés ou
Les revêtements de l’enceinte almohade ont été restaurés inscrits sont gérés par les personnels qui leur sont
dans de nombreux endroits ces dernières années. Même affectés, sous la responsabilité du Service du patrimoine
si les choix techniques sont discutables, ils s’apparentent de la région. Les bâtiments privés par leurs propriétaires
à des techniques traditionnelles. L’ICOMOS considère et leurs occupants.
que la notion de réversibilité devrait guider leur mise en
œuvre. Les grandes portes monumentales ont été Efficacité des mesures de conservation
restaurées et beaucoup d’entre elles transformées en L’ICOMOS considère que les mesures de conservation
espaces culturels. sont appropriées. Elles seront renforcées par les
dispositions réglementaires du projet de Plan
198
d’aménagement urbain. Un processus d’aide et de conseil Cadre de référence : plans et mesures de gestion,
aux propriétaires privés plus explicite serait également y compris la gestion des visiteurs et la présentation
nécessaire.
La Fondation pour la sauvegarde du patrimoine culturel
de Rabat a établi un Programme d’action pour 2012, pour
L’ICOMOS considère que l’état de conservation du bien le suivi et la coordination des actions prévues au Plan de
est globalement satisfaisant. gestion, notamment pour la conservation du bien ;
14 actions sont prévues à ce titre.
Gestion
Différents textes juridiques définissent le cadre de la
Structures et processus de gestion, y compris les gestion, notamment de la restauration et de l’entretien
processus de gestion traditionnels technique du bien. L’ensemble des dispositions
réglementaires et organisationnelles, le Programme
La structure sommitale pour le pilotage de la gestion
d’action prévisionnel à cinq ans (voir conservation) sont
transversale du bien et la coordination entre les acteurs
regroupés dans le Plan de gestion.
décisionnels liés à la conservation du bien est en cours de
mise en place : la Fondation pour la sauvegarde du
Il convient d’ajouter d’autres initiatives royales,
patrimoine culturel de Rabat. Elle se situe dans la
ministérielles, municipales (Agence d’urbanisme) ou
continuité de la candidature et elle se fixe pour but de
régionales (Agence pour l’aménagement de la vallée du
réunir les acteurs publics, les élus, la société civile
Bouregreg) qui, outre les programmes de conservation
(associations), les fondations religieuses, les experts et de
déjà évoqués, sont :
gérer les relations internationales, sous la présidence du
souverain et de son épouse. Elle comprend un conseil
d’orientation regroupant les différents acteurs de la le projet de Musée national de l’archéologie,
gestion et de la conservation du bien, et elle s’appuie sur La réhabilitation de l’ancien siège du ministère de la
un comité de direction. Communication,
le projet du Plan vert de Rabat, etc.
La Direction nationale du patrimoine assure la direction
scientifique, notamment pour les travaux de restauration. Préparation aux risques
Elle est représentée par l’Inspection régionale des Un suivi des différents paramètres climatiques et
monuments historiques et des sites et la Direction d’environnement est effectué, en relation avec les
régionale (ou Service du patrimoine) qui assure la tutelle menaces potentielles. Une station fixe de suivi des
administrative, la gestion des projets et leur suivi. Elle pollutions de l’air par la circulation automobile urbaine est
supervise également le Musée archéologique et le Musée en place. L’ouverture prochaine du tramway doit diminuer
national des bijoux. Ces différentes institutions l’usage des véhicules privés dans le centre historique de
administratives sont à considérer comme les acteurs Rabat.
techniques de la gestion et de la conservation du bien.
La coordination des secours de la protection civile
La structure technique de gestion du bien, en termes comprend plusieurs plans d’interventions, pour les risques
d’administration des sites et des monuments, est assurée liés aux bâtiments et aux constructions, les risques
au niveau du ministère de la Culture par la Direction du d’inondation et les risques d’incendies et de feux de
patrimoine et ses trois divisions (études et interventions forêts.
techniques, inventaire et documentation, musées).
Implication des communautés locales
Les autres principales structures impliquées dans la
protection et la gestion du bien sont : Elle se fait pour l’instant par le biais de la municipalité de
la Maison royale pour le site de Hassan ; Rabat, et par les fondations religieuses en ce qui
au niveau national : le ministère des Habous et des concerne les biens à caractère cultuel et spirituel. Un outil
Affaires religieuses ; le ministère de l’Habitat, de d’enquête d’opinion est envisagé.
l’Urbanisme et de l’Aménagement, sa Direction de
l’architecture ; Ressources, y compris nombre d’employés,
au niveau régional : la Division de l’urbanisme ; expertise et formation
au niveau subrégional et municipal : l’Agence urbaine La Fondation dispose en propre de cadres permanents
et la Division de l’urbanisme de Rabat ; l’Agence pour (février 2012), notamment d’un directeur délégué
l’aménagement de la vallée du Bouregreg. (architecte du patrimoine et géographe), d’un architecte
du patrimoine, d’un architecte urbaniste, d’un archéologue
Au niveau des biens, les trois infrastructures suivantes conservateur et de différents personnels administratifs.
sont actuellement en place : le musée des Oudaïa, le
Musée archéologique et le site archéologique du Chellah. Dans les différents services en charge du bien, les
personnels de formation supérieure ou spécialisée sont :
199
- les architectes et urbanistes : 10 6 Suivi
- administrateurs et juristes : 5
- techniciens spécialisés : environ 50 Le suivi du bien est annoncé comme devant se mettre en
place. Il suivra une série d’indicateurs qui se regroupent
La préfecture de Rabat dispose également d’un nombre dans les principales catégories suivantes :
important de techniciens (15), d’ouvriers (67), de jardiniers
(200) et de gardiens (127). l’évaluation et le diagnostic de l’état de conservation
des biens, et son report sur une cartographie,
Il existe localement des formations en conservation du des enquêtes d’opinion,
patrimoine, en architecture et en archéologie. l’analyse photographique de l’évolution de l’état des
biens sur des intervalles réguliers,
Le site archéologique fermé de Chellah, les palais et l’utilisation des nouvelles technologies 3D pour le suivi
bâtiments ouverts au public, les musées et autres lieux de l’état de certains bâtiments monumentaux tels la
patrimoniaux ont un gardiennage spécifique. Ils disposent tour Hassan, les portes almohades, la porte de
en tout d’une cinquantaine de personnels de gardiennage
Chellah,
et d’autant de personnels techniques et administratifs.
un recensement de l’usage et de l’occupation du bâti
Les lieux publics et les monuments symboliques, comme
d’habitation,
la mosquée de Hassan, font l’objet d’une surveillance
une mesure des taux d’empiétement sur les vestiges
publique adaptée, et ils disposent en propre d’un
archéologiques et les monuments historiques.
personnel nombreux (80 personnels). Il existe plusieurs
postes de police au sein du bien. Les personnels affectés
Les responsables et le détail de ces grands indicateurs
aux monuments, sites et musées ne sont pas détaillés. Il
sont définis, leur fréquence de mise en œuvre est
existe par exemple une vingtaine de gardes pour le site
généralement annuelle.
archéologique de Chellah.
Des coopérations scientifiques existent avec l’École de L’ICOMOS considère que le projet de suivi est
Chaillot à Paris et avec le ministère français de la Culture. satisfaisant dans ses grandes lignes, mais il gagnerait à
être renforcé dans le domaine du suivi de l’habitat
Les financements globaux annoncés font ressortir un urbain, tant des quartiers traditionnels que de la ville
effort à peu près similaire pour les trois principaux nouvelle.
bailleurs de fonds : l’État, la préfecture régionale et la
municipalité, entre 6 et 7 millions chacun en US$. 7 Conclusions
L’ICOMOS considère que les projets sont chiffrés, mais L’ICOMOS reconnait la valeur universelle exceptionnelle
il n’est pas toujours aisé de comprendre leur de Rabat, capitale moderne et ville historique, et de son
programmation et leur calendrier de mise en œuvre. patrimoine en partage entre différentes périodes
historiques et différentes civilisations.
Efficacité de la gestion actuelle
Recommandations concernant l’inscription
L’ICOMOS considère qu’un système de gestion est en
L’ICOMOS recommande que Rabat, capitale moderne et
place, sous la haute autorité transversale de la
ville historique : un patrimoine en partage, royaume du
Fondation pour la sauvegarde du patrimoine et sous la
Maroc, soit inscrit sur la Liste du patrimoine mondial sur
responsabilité technique de la Direction du patrimoine. Il
la base des critères (ii) et (iv).
s’appuie sur un plan de gestion qui rassemble les
principaux projets de protection, de conservation et de
Déclaration de valeur universelle exceptionnelle
valorisation du bien et de son environnement. La
recommandée
présentation de ces programmes gagnerait à mieux faire
ressortir les besoins propres de la conservation du bien
Brève synthèse
et à les distinguer des autres projets urbains, culturels
ou affectant la zone tampon ou bien l’environnement Rabat apporte le témoignage d’une ville capitale conçue
plus lointain ; un calendrier de mise en œuvre serait dans le cadre du protectorat, au début du XXe siècle.
également nécessaire à une meilleure compréhension Le projet réalise l’adaptation des valeurs modernistes
de la planification de la gestion. de l’urbanisme et de l’architecture au contexte du
Maghreb, tout en s’inscrivant dans la trame de la ville
L’ICOMOS considère qu’un système de gestion est en ancienne et de ses nombreuses composantes historiques
place et qu’il s’appuie sur un Plan de gestion effectif et et patrimoniales. Le résultat exprime l’émergence d’un
financièrement chiffré. L’ICOMOS recommande que le style architectural et décoratif original propre au Maroc
Plan de gestion distingue mieux les projets de contemporain.
conservation du bien des autres projets et intègre un
calendrier précis de programmation. Bien conservée, la ville moderne a été conçue de manière
rationnelle, comprenant des quartiers et des bâtiments
aux fonctions bien déterminées et aux importantes
200
qualités visuelles et architecturales. La ville moderne est Mesures de gestion et de protection
caractérisée par la cohérence de ses espaces publics et
Les mesures de protection des ensembles urbains, des
par la mise en œuvre d’idées hygiénistes (réseaux, rôle
monuments et des sites archéologiques sont en place.
de la végétation, etc.). L’habitat est illustré par des
Par son ancienneté, la législation appliquée à la ville de
quartiers à l’identité bien affirmée : médina et qasba,
Rabat a contribué de manière fondamentale à l’histoire de
quartiers résidentiels et des classes moyennes de la ville
sa conservation en tant qu’ensemble urbain
moderne, enfin le quartier néo-traditionnel des Habous de
simultanément ancien et moderne. Les nouvelles
Diour Jamaâ. La ville intègre en son sein une somme
dispositions annoncées pour une protection urbaine plus
importante d’éléments monumentaux, architecturaux et
large et une protection du paysage urbain formé par le
décoratifs issus des différentes dynasties antérieures.
bien sont en cours de promulgation.
Rabat ville moderne concrétise un urbanisme
précurseur, soucieux de la conservation des monuments
La structure de gestion est en place, elle est coordonnée
historiques et de l’habitat traditionnel. La réappropriation
par la nouvelle autorité transversale de la Fondation pour
du passé et son influence sur les architectes et les
la sauvegarde du patrimoine culturel de Rabat. Elle
urbanistes du XXe siècle ont produit une synthèse
s’appuie techniquement et scientifiquement sur la
urbaine, architecturale et décorative originale et raffinée.
Direction nationale du patrimoine, ainsi que sur différentes
L’ensemble offre à voir un héritage partagé par plusieurs
structures en charge d’éléments précis du bien et sur les
grandes cultures de l’histoire humaine : antique,
services de la municipalité et de la préfecture de Rabat.
islamique, hispano-maghrébine, européenne.
De nombreux personnels qualifiés sont affectés à la
conservation et à la gestion du bien. L’ensemble des
Critère (ii) : Par son ensemble urbain, ses monuments et
dispositions réglementaires et organisationnelles ainsi que
ses espaces publics, la ville moderne de Rabat respecte
le programme d’action prévisionnel à cinq ans sont
les nombreuses valeurs du patrimoine arabo-islamique
regroupés dans le Plan de gestion.
antérieur et s’en inspire. De manière exceptionnelle, elle
témoigne de la diffusion des idées européennes du
L’ICOMOS recommande que l’État partie prenne en
début du XXe siècle, de leur adaptation au Maghreb et,
considération les points suivants :
en retour, d’une influence sur l’architecture et les arts
décoratifs autochtones.
Préciser la surface de la nouvelle zone tampon et le
nombre de ses habitants ;
Critère (iv) : La ville apporte un exemple éminent et
achevé d’urbanisme moderne, pour une ville capitale du
XXe siècle, par une organisation territoriale fonctionnelle Promulguer les projets législatifs (nouvelle loi sur le
qui assume une intégration des valeurs culturelles du patrimoine) et réglementaires (réglementation
passé au sein du projet moderniste. La synthèse des paysagère associée au nouveau PAU) ;
éléments décoratifs, architecturaux et paysagers, de
même que le jeu d’opposition entre présent et passé, Mieux distinguer les projets de conservation du bien
offrent un ensemble urbain raffiné et rare. des autres projets urbains, culturels ou affectant la
zone tampon, et les programmer suivant un
Intégrité calendrier précis ;
Les différentes dimensions de l’intégrité du bien sont Réaliser des études d’impact sur le patrimoine dans
satisfaisantes : l’équilibre entre le plan d’urbanisme de la le cadre des grands projets urbains de la ville et de
ville moderne et la conservation de ses nombreuses la vallée du Bouregreg, afin de garantir l’intégrité
strates urbaines antérieures, l’intégrité de l’habitat de visuelle du bien et de ses environs et soumettre les
ses différents quartiers, l’intégrité des ensembles projets au Centre du patrimoine mondial
archéologiques, les fortifications de l’enceinte almohade conformément au paragraphe 172 des Orientations
convenablement conservées, etc. Toutefois, il est devant guider la mise en œuvre de la Convention du
nécessaire de veiller à l’impact des grands travaux patrimoine mondial ;
envisagés extérieurement au bien, notamment à la vue
sur le bien et sur le Bouregreg depuis le site proéminent Documenter systématiquement l’état de
de la qasba. conservation et d’authenticité des immeubles dans
les inventaires ; traduire si possible les résultats par
Authenticité des indicateurs quantifiés et cartographiés ;
De nombreux éléments individuels figurent dans les
descriptions des inventaires et ils permettent d’affirmer Préciser et renforcer l’aide technique et financière
un niveau d’authenticité important des éléments qui sera apportée aux habitants pour promouvoir une
constitutifs du bien, notamment de l’authenticité urbaine conservation du bâti privé de qualité ;
perçue. Plus largement, les conditions d’authenticité en
termes urbains et monumentaux sont satisfaisantes. Renforcer le suivi de l’habitat urbain, tant des
Toutefois, des données quantifiées sur l’authenticité quartiers traditionnels que dans la ville nouvelle.
individuelle des immeubles d’habitation compléteraient
utilement la démarche d’inventaire déjà mise en place.
201
Plan indiquant les délimitations révisées du bien proposé pour inscription
Vue du boulevard Mohammed V
La médina de Rabat
La Qasba des Oudaïa