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Revue EXPRESSIONS n°11. Janvier 2021.

La préposition f « sur » en tachelhit :


Étude sémantique

Aballa ABOUDRAR
Docteur en sciences du langage, Université Sorbonne Paris-Cité,
Professeur au Maroc

Résumé : Dans ce travail nous avons


essayé d’étudier la sémantique de la Abstract : In thisworkwetried to studythe
préposition f « sur » en tachelhit, langue semantics of the prepositionf "on" in
utilisée au sud du Maroc. Cette recherche Tachelhit, a languageused in
nous a permis de découvrir que cette unité southernMorocco. This researchallowed us
lexicale a trois emplois à savoir le spatial, to discoverthatthis lexical unit has three
le temporel et le fonctionnel. Nous avons uses, namely spatial, temporal and
également mis en exergue l’idée que la functional. We have alsohighlighted the
préposition f est concurrencée dans ses ideathat the prepositionf iscompeted in its
emplois spatiaux par deux locutions spatial uses by twoprepositive phrases
prépositives à savoir f iggi n «sur le dessus namely, f iggi n "on top of" and ġiggi n "in
de » et ġiggi n «dans le dessus de ». top of".
Mots clés : préposition, sémantique, Keywords:preposition, semantics,
tachelhit, emploi, spatial, temporel, tachelhit, employment, spatial, temporal,
fonctionnel. functional.

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Revue EXPRESSIONS n°11. Janvier 2021.

Introduction

Les études faites autour des prépositions en berbère ne sont pas nombreuses. Beaucoup de
recherches doivent être faites autour de ces unités lexicales pour mieux comprendre leur
fonctionnement. Ces particules nécessitent des études minutieuses, surtout qu’elles jouent des
rôles syntaxiques et sémantiques dans les structures où elles apparaissent. Les résultats de
l’étude de ces unités contribueront à faciliter l’apprentissage du berbère comme ils seront très
utiles dans la confection des dictionnaires et dans la traduction.
La signification de la phrase n’est pas toujours liée à la valeur sémantique de ses
composantes, mais elle relève parfois de l’extralinguistique. C’est-à-dire qu’il y a des phrases
dont le sens est lié à la culture des natifs. En d’autres termes, le sens global de chaque phrase
n’est pas toujours la somme des sens de chacun de ses constituants pris indépendamment du
contexte. (Cf. l’exemple11) Le rôle de la préposition n’est pas négligeable dans les
constructions où elle apparait.Ce qui est tout à fait évident, puisque la suppression ou le
déplacement de chaque mot dans une phrase entraine souvent des modifications sur le sens
global de celle-ci.Par ailleurs, la substitution d’une préposition par une autre affecte la
sémantique de la phrase, comme on doit toujours utiliser la préposition convenable.
Dans cet article nous allons analyser la préposition« sur », en étudiant sa sémantique. Ladite
préposition est dotée de propriétés de sens qui lui permettent de fonctionner dans des
contextes divers.Ainsi, elle peut avoir une valeur spatiale, ou temporelle ou fonctionnelle. La
sémantique de la préposition f « sur » est lié à son interaction avec les autres éléments qui
l’entoure dans la phrase où elle apparait. On peut dire par exemple qu’une préposition a une
valeur temporelle car elle apparait dans un environnement qui lui donne cette valeur.
Ce travail est composé de six parties : les trois premiers points sont consacrés aux emplois
spatiaux, temporels et fonctionnels de la préposition en question. Dans les trois dernières
parties de ce papier on essayera de déterminer la différence sémantique entre la préposition f
et les locutions prépositives f iggi n« au-dessus de » et ḥ iggi n1 « dans le dessus de ». Et puis,
Nous allons essayer de montrer quand est-ce que ces prépositions sont commutables et qu’est-
ce qui les différencie au niveau sémantique. En outre, nous allons indiquer la différence
sémantiqueentre f iggi n« au-dessus de » et ḥ iggi n2 « dans le dessus de », surtout qu’elles
sont composées respectivement des prépositions f « sur » et ḥ « à, dans). Ensuite, on précisera

1
Variété régionale de ġ iggi n « dans le dessus de »
2
Variété régionale de ġ iggi n « dans le dessus de »
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les emplois dans lesquels ce marqueur est concurrencé par f iggi n « au-dessus de » et ḥ iggi n
« dans le dessus de ».
Afin d’étudier la sémantiquementde la préposition f « sur »,nous allons faire appel à la théorie
non instrumentale telle qu’elle est illustrée par Paillard et Franckel (2007b).
Cette théorie stipule que la valeur spatiale des prépositions n’est pas prégnante. Elle s’oppose
à l’idée de la primauté de la valeur spatiale dont les autres valeurs, à savoir temporelle et
fonctionnelle, sont dérivées. Dans le schéma X R (prép) Y3, la préposition est un relateur (R)
qui met en relation deux entités X et Y. La valeur de chaque préposition est liée à son cotexte,
c’est à dire les entités X et Y. De plus, cette théorie met l’accent sur le rôle du verbe ou celui
de la rection verbale sur la sémantique de la préposition. C’est-à-dire qu’on s’intéresser aux
constructions de type verbe+complément prépositionnel où le verbe régit un complément.
Par ailleurs, cette approche s’intéresse au rapport entre X et la préposition comme elle
s’intéresse également à la relation de ce relateur avec Y et au rapport entre ces trois éléments
pris ensemble.
Le corpus utilisé dans cette étude est extrait de l’ouvrage de STROOMER (1998), lequel est
composé d’un ensemble de contes en tachelhit d’Agadir qui est une variété du berbère du
Maroc.L’auteur a recueilli ces contes au cours d’une recherche qu’il avait effectué sur le
terrain en mai et juin 1992 à Agadir, qui est une ville située au sud-ouest du Maroc. Son
ouvrage contient des contes avec leur traduction en français. Il s’agit donc d’un corpus
littéraire. Ses informatrices sont au nombre de trois et il a enregistré les textes en famille à
Agadir. Les contes berbères sont transmis oralement de génération en génération. Nous avons
choisi de travailler sur ce corpus parce qu’il est authentique et il est extrait de contes racontés
par des natifs qui les ont appris de leurs parents ou de leurs grands-parents. Les contes
berbères sont des histoires que racontaient les grands-mères aux enfants pour les amener au
sommeil. La langue tachelhit utilisé dans ces contes contient moins d’emprunts à l’arabe ou
au français en comparaison avec le tachelhit de nos jours qui contient beaucoup d’emprunts.
Dans certains cas nous allons utiliser nos exemples personnels étant donné que le tachelhit est
notre langue maternelle. Nous allons recourir à nos propres exemples quand c’est nécessaire.
C’est-à-dire quand on ne trouve pas d’exemple dans le corpus de base.

3
Prép : préposition/R : relateur/X : renvoie à l’entité liée par la préposition n « de »dans le schéma XR(prép)Y
Y : renvoie à l’entité liée par la préposition n « de » dans le schéma XR(prép)Y

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1-L’état des lieux de la prépositionf « sur »


Peu d’études ont été faites autour de la préposition f qui correspond généralement à « sur » en
français. Nous citerons dans ce qui suit certains travaux qui ont abordé ce marqueur.
Selon Chaker4 la préposition en berbère est plurifonctionnelle dans la mesure où elle
contribue à la construction des phrases relatives :
«La plupart des prépositions peuvent fonctionner comme relatifs5et introduire une
subordonnée relative : même totalement grammaticalisée, la préposition demeure donc
plurifonctionnelle et garde une «part de sa nominalité» en tant que support d'une relative :
s «avec, au moyen de» nnbi s numen = Prophète en qui nous croyons
f«sur» akal f nteddu = terre sur laquelle nous marchons
degg«dans» tamurtdeggnezdeɣ = pays dans lequel nous habitons.» (Ibid.)
La préposition f peut se substituer à certaines prépositions dans certains énoncés comme c’est
le cas pour la préposition n « de ».
C’est ce que Djemai6avance en comparant les deux exemples suivants :
(1)-a T- ig rbbi d tasεdit n
POT DIR3fs il.faire.A dieu PP heureuse de
wXam -ik !
maison ton
«Qu'elle apporte à la famille chance, richesse ! » (Dallet, 1982 : 802, aseɛdi)7
(2)-a T- ig rbbi d tasεdit f
POT DIR3fs il.faire.A dieu PP heureuse sur
wXam -ik !
maison ton
«Qu'elle apporte à la famille chance, richesse ! »
Suivant Djemai (Ibid.), l’énoncé garde le même sens même si on remplace la préposition n
par f. Cependant, nous pensons qu’il y a tout de même une différence sémantique entre les
deuxénoncés. Avec la préposition n on peut dire que la personne en question est considérée
comme la plus heureuse et celle qui a plus de chance parmi les membres de la famille. Alors

4
http://reb.centrederechercheberbere.fr/unite-et-diversite-du-berbere-le-paradigme-des-prepositions-entre-
lexique-et-grammaire.html?revue=2
5
L’auteur veut dire les pronoms relatifs
6
http://www.centrederechercheberbere.fr/prepositions-et-adjectifs-en-kabyle.html
7
DALLET J. M., 1982, Dictionnaire kabyle-français : parler des AtMangellat (Algérie), SELAF (Maghreb-Sahara 1),
Paris.
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qu’avec la préposition f l’énoncé signifie que l’introduction de la personne au sein de la


famille apportera le bonheur à celle-ci.
Serhoual (2010) affirme que la préposition x « sur » est issue du nom ixf « tête », ce dernier
ayant connu un changement a laissé apparaitre la préposition x, il s’agit d’un changement de
catégorie grammaticale. Avec le temps le terme a perdu son initiale vocalique i et la consonne
finale f ce qui nous a donné la préposition locative x :
«Le terme en question a perdu, en tarifit du moins, l’initiale vocalique i- et la consonne finale
–f ; seule la pharyngale x persiste.» (Ibid. : 220)
L’auteur a donné l’exemple suivant auquel nous ajoutons son équivalent en tachelhit :
(3)-issarsagrunm x ttabra «il a mis le pain est sur la table» (tarifit) (Ibid. : 220)
(4)-issrsaġrum f tbla «il a mis le pain sur la table» (tachelhit) (EP)8
Par ailleurs, Galand (1988) a signalé que la préposition f « sur » peut apparaitre dans
la construction des propositions relatives, mais quand on donne l’équivalent de l’énoncé en
français, la préposition disparait comme dans : lmakan ad Li f awnsawlġ « l’endroit ce-ci
défini sur (lequel) à-vous j’ai-parlé »= « cet endroit-ci, dont je vous ai parlé » » (Ibid. : 14)
Nous pensons que la suppression de la préposition f dans ce type d’exemple s’explique par le
fait qu’elle a une valeur fonctionnelle et non pas spatiale. Même si le terme lmakan
« endroit » exprime l’espace, il n’est pas le lieu où se déroule l’action mais il est plutôt le
sujet de la discussion. En outre, le berbère et le français sont deux systèmes différents.

2-L’emploi spatial de f
(5)- Ar ttazzal tfruxt, tasi d ayddid
Courir. AI fille. EA prendre.P PROX. outre. EL
n waman tiri a tn f llas
de Eaux.EA vouloir. Pour eux (eaux) sur elle
tffi. (Exemple de STROMER, désormais ST) (1998 : 118)
3FS.verser.P
La fille se précipita pour prendre une outre d’eau et voulait la verser sur l’ogresse.

(6)- Ikks as tn gmas iffi tn


3MS. Arracher. P à elle eux (eau) frère. EL 3MS.verser. P eux (eaux)

8
EP : exemple personnel
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f llas(ST, 1998 : 118)


sur elle
Son frère la (l’outre) lui (sa sœur) arracha des mains et la versa sur sa sœur.
(7)- Iffi f llas lgdran
3MS. Verser. P sur elle (ogresse) goudron. EL (ST, 1998 : 118)
Il versa du goudron sur l’ogresse.
La première constatation à partir de ces exemples est l’emploi du verbe d’action verser et la
seconde est que X a pour trait [+concret/-animé]. Il s’agit d’un liquide ou d’un produit
visqueux. Y correspond à elle (l’ogresse) a pour trait [+concret/+animé].
Cependant, dans ces trois exemples et après l’action de « verser » tout X ne sera pas sur Y.
Encore faut-il parler de la zone I-E ou des zones puisqu’il y aura des parties du corps qui ne
seront pas mouillées. La zone I-E veut dire que X est à I tant qu’il est dans le domaine Y et il
est à E quand il sera hors de Y.
Certes dans ces énoncés on a le même verbe et Y correspond à un être animé (féminin), or X
présente certaines différences dans la mesure où l’un (l’eau) est [+liquide] alors que est [-
liquide] et avec le temps il n’y aura plus de traces d’eau mais il y aura celles du goudron.
La particule f est dite spatiale dans ces énoncés car Y représente un espace-lieu qui est le
corps. La valeur spatiale n’est pas liée àf elle-même mais à son co-texte, c’est-à-dire en
fonction des éléments qu’elle met en relation. La valeur spatiale de la préposition en (7) est
due aux éléments X et Y qu’elle met en relation et qui sont d’ailleurs concrets. En changeant
X et Y, la préposition f ne gardera plus la valeur localiste ce que corrobore les exemples ci-
après.

3-L’emploi temporel de f
(8)iɛmr arrabay f stta
3MS remplir. A réveil. EL sur six (Exemple personnel, désormais EP)
Il a mis le réveil sur six heures
Selon le schéma XR(prép)Y, X c’est le réveil en tant qu’objet pour se réveiller,f joue le rôle
de relateur reliant les deux élément X et Y. Ce dernier correspond dans cet exemple au chiffre
six. Dans tout l’énoncé il n’y a qu’un seul élément qui laisse apparaitre la valeur temporelle
c’est « arrabay » parce qu’il est monosémique et il ne désigne que la machine d’horlogerie qui
compte le temps et qui est utilisée pour se réveiller. Certes, Y ne donne aucune information
temporelle (quand il est hors contexte alors que X a une signification temporelle même hors
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contexte) nonobstant l’énoncé reste sans aucune ambiguïté surtout qu’on se réveille
généralement le matin ce qui exclue six heures de l’après-midi. Du reste la routine veut qu’on
se couche le soir et qu’on se réveille le matin. En outre, la présence du verbe « ɛmr » (régler,
remplir) et de l’élément représentant le temps rendent la signification de l’énoncé tout à fait
clair. La valeur temporelle de f est donc liée ici à son environnement. Afin de rendre la valeur
temporelle de f plus pertinente dans cet énoncé on a l’exemple suivant :
(9)iɛmr arrabay f stta n ziksbah (EP)
3MS remplir. A réveil. EL sur six de matin. EL
Il a mis le réveil sur six heures du matin
Le réveil doit sonner à un moment précis délimité par Y, ni avant ni après. On a ici ce que
Franckel et Paillard (2007b) appellent « la concomitance ». Il faut que le moment six heures
arrive pour que le réveil sonne. L’événement X (sonner) est dépendant de celui de Y (être six
heures). Le réveil ne pourra pas sonner à n’importe quelle heure mais à l’heure précisée.
L’événement X est dans la zone I qui est très délimitée ni avant ni après six heures. Signalons
aussi que X a pour trait [+concret+objet] alors qu’en ce qui concerne Y c’est [+/-abstrait-
objet]. La préposition f a ici une valeur temporelle puisque les deux éléments X et Y qu’elle
met relation ne sont pas tous les deux concrets et que le terme « arrabay » a une acception
temporelle.

4-L’emploi fonctionnel de f
(10)Aškn d uskayn akwin f
3MP. Venir. P Prox lévriers. EL 3MP. Descendre. A sur
wušn lli (ES, 1998 : 132)
chacal. EA celui
Les lévriers arrivèrent et sautèrent sur le chacal
(11) izzol ḥmad f tlfrracht (EP)
3MS.Prier. P Ahmed sur tapis. EA
Ahmed a fait la prière sur le tapis.
(12) Izzol ḥmad f lmayyit (EP)
3MS.Prier. P Ahmed sur tapis. EL
Ahmed a fait la prière du mort (suivant le rituel)
En (10) X est représenté par un N pluriel alors que Y désigne un N singulier. Il est tout à fait
clair que R n’a pas ici une valeur locative : d’abord X et Y appartiennent au champ lexical des
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animaux caractérisés par la férocité et l’animosité, en outre le domaine Y n’est pas


communément conçu pour exprimer une localisation statique de X. Le schéma suivant est mal
venu : X {s’allonger/s’asseoir} (R)Y. Le domaine Y n’est pas conçu pour une telle relation.
Tous ces éléments nous permettent de dire qu’il s’agit d’une attaque et non d’une localisation.
Sur le domaine Y on peut identifier des zones (I-E) occupées par X qui est pluriel alors que Y
est singulier. Par ailleurs la zone (I-E) liée à Y ne peut pas contenir X puisque le nombre ou le
volume de X dépasse celui de Y. La relation entre X et Y ne dépend pas foncièrement de R.
Dans l’exemple (11) le schéma X{être debout/assis}RY est juste ce qui donne à la préposition
f une valeur spatiale. Encore une fois on remarque que X est le localisé et Y est le localisateur
puisque X est attaché à la zone I-E appartenant au domaine Y. C’est en effet les indices
contextuels mis en œuvre par R qui donnent à celui-ci une valeur spatiale.
En ce qui concerne l’énoncé (12) il est similaire à (10) dans le sens où X{être
debout/assis}RY n’est pas possible. X ne peut pas être localisé concrètement par Y à cause de
l’ordre social et conventionnel c’est-à-dire les contraintes strictes imposées par les « routines
sociales ».
L’énoncé (12) signifie en fait que Y est devant X. Selon le rite religieux X est dans une
position debout et Y est allongé en face de X. Y est localisé par rapport à X. Il n’existe aucun
contact entre X et Y or il y a plutôt une certaine distance. Le sens général de cet énoncé ne
peut guère être lié au sens propre des différents indices contextuels mis en relation par la
préposition f nonobstant X et Y soient des entités concrètes. Le sens de l’énoncé n’est pas lié
à l’ensemble des significations des éléments qui le constituent mais plutôt à
l’extralinguistique. L’énoncé doit être appréhendé indépendamment du sens constitué par la
combinaison des unités dont il est constitué. Il s’agit d’un sens lié à la culture d’une
communauté linguistique ou au contexte de l’énonce. L’exemple (11) peut être utilisé pour
désigner le fait que Ahmed a perdu son tapis et qu’il ne le retrouvera jamais comme on ne
peut plus revoir quelqu’un qui est mort. On considère ici le tapis comme un être humain à qui
on a rendu les derniers devoirs.
En comparant (11) et (12), on constate que la seule différence notable est liée à N
correspondant à Y. Ainsi les traits sémantiques de talfrracht sont bel et bien différents de
ceux de lmayyit. En (11) le N correspondant à Y a trait les sémantiques suivants [+objet-
humain], tandis que lmayyit a les suivants [-objet+ humain]. La routine sociale ou
l’expérience veut qu’on se met debout sur talfrrachtet jamais sur lmayyit. Par ailleurs

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talfrracht est un espace lieu contrairement lmayyit. Conséquemment f a une valeur spatiale en
(11) et une autre fonctionnelle en (12)
À partir des exemples précédents on constate que certaines acceptionsde la préposition f sont
liées à l’extralinguistique comme c’est le cas en (10) et en (12).

5-Les prépositions ḥ iggi n (à dessus de) et f iggi n (sur dessus de)


(13)ig t ḥ iggi n uġrud
3MS. Mettre. P lui à dessus de dos. EA
n s
de POSS (ST, 1998 : 127)
Le mit sur son dos. (Le frère mit l’enfant sur son dos)
(14) Yawi tn ar yat tagant,
3MS. Emmener. P eux jusqu’à une désert.EL
iggi n yat tdrart, isrs
Dessus de une montagne. EA 3MS. Poser. P
tn ḥ iggi n s
eux à dessus de POSS (ST, 1998 : 117)
Il (le père) les (enfants) a emmenés dans un désert et les a laissés sur une montagne
(15) Tgnn yan umsmar ḥ iggi n lɛfit
3FS. Mettre. P un clou. EA à dessus de feu. EL
aylliḥ irġa mzyan tg t
jusqu’à 3MS. Etre chaud. P bien 3FS. Mettre. P DIR.3MS
in ḥ iggi n lεql n ufrux
Pdist à dessus de cerveau. EL de garçon. EA (ST, 1998 : 130)
Elle mit un clou dans le feu jusqu’à ce qu’il fût devenu tout rouge et elle le mit sur la
fontanelle du petit.
(16)tluh t in f iggi n urgaz
3FS. Jeter. P DIR. 3FS Pdist sur dessus de homme. EA
n s
de POSS (ST, 1998 : 130)
Elle jeta la viande sur son mari

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Revue EXPRESSIONS n°11. Janvier 2021.

Pour f iggi n nous nous contenterons du seul exemple que nous avons trouvé dans l’ouvrage
de Stroomer (1998).
Dans les trois premiers exemples à savoir (13), (14) et (15) l’élément qui correspond à X est
soit un pronom personnel soit un N et la même remarque est valable pour Y. L’autre
constatation est que X et Y ont le trait [+concret], corollairement on peut énoncer l’hypothèse
selon laquelle la préposition ḥ iggi n n’apparait que dans des emplois locatifs et cela est
imputable surtout au nom iggiqui signifie le haut/le sommet.Iggi joue ainsi un rôle primordial
dans la signification de la locution prépositive ḥiggi n. Le N de la locution prépositive
(prép+N+prép) a pour rôle de donner plus de précision à la localisation de X par rapport à Y.
La préposition indique une zone précise dans le domaine de Y, c’est sa face supérieur (le
dessus).
En (14) la localisation se précise au fil de l’énoncé. On part du général vers les détails : le
désert→lamontagne→au-dessus de la montagne.
Par ailleurs la première unité lexicale de la locution prépositive « prép+N+prép » peut s’élider
comme le prouve l’exemple (14) et sa présence tend à donner plus de précision au sens locatif
de la locution prépositive.
Ainsi l’énoncé « Yawitnaryattagant, iggi n yattdrart » est en fait « Yawitnaryattagant, ariggi
n yattdrart ». Puisque la préposition ar est employée précédemment dans le même énoncé son
réemploi n’est pas apparemment nécessaire.
De toute évidence R tend à localiser X d’une manière précise au sein de la zone I-E sur le
domaine Y. Par ailleurs, de (13) à (15) l’emploi des verbes statiques « poser » et «mettre »
contribue à donner à ḥ iggi n une valeur spatiale.
Concernant f iggi n dans l’exemple (16), cette préposition est tout à fait différente de ḥ iggi n.
si cette dernière signifie la partie ou la face supérieure ou haute de Y or f iggi n désigne toute
zone I-E du domaine Y. En jetant la viande celle-ci peut tomber sur n’importe quel partie ou
membre du corps de N correspondant à Y. Ce sens est surtout dû à la polysémie de f.

6-La préposition f peut-elle commuter avec ḥiggi n (au-dessus de) ?


Nous allons procéder à la substitution de ḥ iggi n par f afin de s’arrêter sur les changements
sémantiques voire l’agrammaticalité de l’énoncé en question. Il est indubitable que c’est
uniquement les emplois spatiaux de f qui sont concernés puisque ḥ iggi n n’a que la valeur
locative.
(17a)ig t ḥ iggi n uġrud
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Revue EXPRESSIONS n°11. Janvier 2021.

3MS. Mettre. P lui à dessus de dos. EA


n s
de POSS (ST, 1998 : 127)
Le mit sur son dos. (Le frère mit l’enfant sur son dos)
(17b)ig t f uġrud n s.
3MS. Mettre. P lui sur dos. EA de POSS
Le mit sur son dos. (Le frère mit l’enfant sur son dos) (EP)

(18a) isrs tn ḥ iggi n s


3MS. Poser. P eux à dessus de POSS (ST, 1998 : 117)
Il les a laissés sur elle (une montagne)
(18b) ‫٭‬isrs tn f s
3MS. Poser. P eux sur POSS (EP)
Il les a posé sur vers
(19a)Tgnn yan umsmar ḥ iggi n lεfit
3FS. Mettre. P un clou. EA à dessus de feu. EL (ST,
1998 : 130)
Elle a mis un clous sur le feu
(19b) Tgn yan umsmar f lεfit
3FS. Mettre. P un clou. EA sur feu. EL (EP)
Elle mit un clou sur le feu
La substitution de ḥ iggi n par f dans les exemples (17a et b) et (19 a et b) ne pose aucun
problème puisque l’énoncé est acceptable. La différence notable entre ḥ iggi n par f, c’est que
la première ne fait pas allusion à l’idée de contact entre X et Y mais plutôt à l’idée de
localisation et précision, c’est-à-dire qu’elle précise une zone sur le domaine Y alors que f
signale qu’il y a un contact entre X et Y sans préciser une zone sur Y.
Cependant l’exemple (18b) est agrammatical car le pronom possessif s doit être remplacé par
un autre pronom personnel de la troisième personne du singulier llas(lui). Ce problème est
présent uniquement quand le substantif est remplacé par un pronom, mais quand on a un
substantif après ḥ iggi n la substitution se fait sans aucun problème comme on peut le
constater avec les exemples (17) et (19).

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Revue EXPRESSIONS n°11. Janvier 2021.

7-La préposition f peut-elle commuter avec f iggi n


Il est indubitable que f peut alterner avec f iggi n surtout que f fait partie de la locution
prépositive f iggi n. La seule différence notable est que f iggi n précise une zone sur le
domaine Y à savoir la surface de la partie supérieure de Y. Toutefois, ce fait ou cette précision
ne peut être décrite par f s’il estemployée seule. Du reste, cette particule dénote le domaine de
Y qui n’est pas précisé et qui parait absolu.

(20a)tluḥ t in f iggi n urgaz


3FS. Jetter. P DIR. 3FS Pdist sur dessus de homme. EA
n s
de POSS (ST, 1998 : 130)
Elle jeta la viande sur son mari
(20b) tluḥ t in f urgaz n s
3FS. Jetter. P DIR. 3FS Pdist sur homme. EA de POSS (EP)
Elle jeta la viande sur son mari

Conclusion
Il en ressort de ce qui précède que la préposition f est polysémique c’est-à-dire qu’elle a trois
emplois à savoir spatial, temporel et notionnel. Par ailleurs, il s’avère qu’elle peut se
substituer à f iggi n et ḥ iggi n sans que l’inverse soit toujours possible. Certes les trois
prépositions f, f igggi n et ḥ iggi n semblent synonymiques mais il y a des différences notables
entre les trois : ḥ iggi n est utilisée pour exprimer une localisation purement spatiale, f iggi n
exprime surtout le fait que Y est un support qui a un rôle autre que celui de servir de lieu ou
de localisation pour X. Le rôle que peut jouer Y dans la relation X prép Y est d’empêcher, par
exemple, ce qui peut arriver à X s’il n’est pas sur Y : poser X f iggi n Y pour qu’il ne se
renverse pas ou qu’il ne tombe pas. La valeur de cette préposition n’est pas spatiale. Il s’agit
ici d’un repérage fonctionnel, c’est à dire pourquoi X est en relation avec Y. Par ailleurs on
constate aussi que la préposition ḥ iggin est moins ambiguë car elle est purement spatiale.
Quant à la préposition f elle exprime le sens ḥ iggi n et celui de f iggi n. C’est le contexte qui
permet de déterminer le sens de f.
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Il y a sûrement d’autres prépositions en tachelhit qui sont polysémiques à l’instar de f, mais ce


postulat ne peut être confirmé ou infirmé qu’à partir de l’étude sémantique de ces relateurs.
Une étude générale de ces unités permettra aussi de mettre l’accent sur l’instabilité
sémantique de celles-ci.

Abréviations : A = aoriste ; P = thème de prétérit (= accompli) ; AI = thème d’aoriste intensif


(= inaccompli) ; PROX = particule de proximité ; POSS = affixe possessif ; PRP = affixe
personnel de préposition ; EL = état libre (nom) ; EA = état d’annexion (nom) ; DIR = affixe
personnel de la série directe ; IND = affixe personnel de la série indirecte ; IMP = impératif ;
SUJ = indice de personne (sujet) ; PI = pronoms personnels indépendants ; QLT = verbe de
qualité (ou d’état).
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