Lame Dans Le Tasawwuf Analyse de La Vie
Lame Dans Le Tasawwuf Analyse de La Vie
Lame Dans Le Tasawwuf Analyse de La Vie
Département d’Arabe
AWWUF :
Analyse de la vie des premiers soufis
Présentée par :
Saliou NDIAYE
Sous la direction de :
M. Rawane MBAYE
Professeur titulaire
REMERCIEMENTS
A mon épouse bien aimée Madame Seynabou Djiba Ndiaye pour ses encouragements et
son assistance précieuse et continue
A tous les amis pour leur encouragement et à tous ceux qui m’ont aidé à effectuer ces
recherches et à finir ce travail,
DEDICACE
SYSTEME DE TRANSCRIPTION
INTRODUCTION 10
1. La sincérité 44
2. L’hypocrisie 48
3. Lutte contre l’hypocrisie 52
4. La sincérité et l’hypocrisie à travers les textes des soufis 54
4. 1. Présentation 54
4. 2. Textes 56
4. 3. Analyse 65
1. Le repentir 69
2. Un retour à Dieu 72
3. La volonté de s’engager pour le retour 77
3. 1. Présentation 77
3. 2. Textes 78
3. 3. Analyse 88
6
CONCLUSION 266
Bibliographie : 273
1. Ouvrages spécialisés 275
2. Ouvrages complémentaires 278
3. Documentation générale 282
Annexes : 283
1. Liste de soufis du Ier au Ve siècle de l Hégire 284
2. Les stations ou étapes de la certitude 293
Index : 295
1. Index des versets coraniques 296
2. I de des adît cités 307
3. Index des ouvrages cités 315
4. Index des noms propres 318
5. Index des termes techniques (glossaire) 328
Sommaire 337
10
INTRODUCTION
11
INTRODUCTION
Par ailleurs, on ne peut pas s’empêcher de remarquer, chez les soufis, tout au
long de l’évolution de leur mouvement, la place prépondérante qu’occupe le
concept de l’â e dans leur doctrine et vie intérieure. Ceci est d’autant plus
intéressant que toutes les tendances confondues (orthodoxes ou hétérodoxes) font
1
Abû ‛ d llah ârit sad al- u âsibî, à la fois juriste et théologien, il fut l’un des soufis les plus
connus de son temps. Il fut le maître, en théologie, de Qalânisî qui enseigna à ul- asan al sh‛arî
(324/936). Il mourut à Baghdâd en 243H/857 J.C. Une biographie plus détaillée lui est consacrée au
premier chapitre de cette présente thèse. Cf. Qushayrî, Ar-Risâla, Dâr al-ma‛rifa, Le Caire, 1981, p :
20.
2
Cette expression se traduit littéralement par « la science de la parole ». Cette formation étymologique
est sans doute liée au fait que les Théologiens se consacraient essentiellement à une apologie défensive
des principes de la foi musulmane.
12
Par une approche à la fois analytique et descriptive nous tenterons d’étudier les
tentatives de conceptualisation de la question par les plus récentes générations de
soufis. En effet, malgré la lourdeur et la confusion des emprunts qui les
1
Ces termes seront largement étudiés dans ce document. Ils signifient respectivement : l’esprit, l’âme,
le cœur, l’intérieur et la conscience. A travers une certaine littérature, ils renvoient presque tous à une
même chose.
13
Ainsi, cette étude s’appuie sur la vie du Prophète (psl), de ses compagnons et
des dévots de l’Islam pour la période comprise entre le début de la révélation et la
mort de Junayd Al-Baghdâdî 1(297H. /911 J.C.), vers la fin du troisième siècle de
l’Hégire. C’est une époque référentielle reconnue unanimement comme telle par
les soufis de toutes les générations postérieures.
D’autres analystes du a awwuf qui viennent après cette époque peuvent être
évoqués dans ce travail pour le simple but d’étayer l’argumentation de leurs points
de vue qui restent fidèles à la pratique de leurs maîtres2.
1
Surnommé le seigneur de la communauté (des soufis), Abul-Qâsim Al-Junayd b. Muh ammad est
réputé pour son érudition, son orthodoxie et ses nombreux écrits ; il se fit entouré de disciples et évolua
à Baghdad où il mourut en 297/911. Cf. infra, p : 154, pour une biographie plus complète.
2
C’est le cas de Ghazali, d I ‛ l-Askandariî, de Qushayrî de Hujwîrî…
14
Après avoir ainsi entamé l’analyse avec cet aperçu sur l’aspect dynamique du
a awwuf décrivant de l’intérieur ce que d’aucuns appellent la voie, la troisième
partie, s’arrêtant sur des aspects plus statiques cette fois-ci, se propose d’expliquer
la vie intérieure du soufi qui a atteint le sommet de l’ascension. Autrement dit, il
s’agit de voir ce vers quoi aspire l’esprit du fervent dans sa lutte pour une
éducation de son âme.
Première partie :
ET LE DETACHEMENT
16
– leur chuchota, disant : ‘votre Seigneur ne vous a interdit cet arbre que pour vous
e pêcher de devenir des Anges ou d’être i ortels’… »1
Suivant toujours la chronologie des récits coraniques, le péché qui suit est un
crime passionnel, lorsque l’un des fils d’Adam tua son frère par envie3.
Un autre péché non moins grave, vu l’intensité de son évocation par le Coran,
est celui des souverains tyrans qui se sont érigés en divinité devant leurs peuples
conduisant ceux-ci à la mécréance des signes de Dieu et à lui associer d’égal (ash-
shirk). C’est le cas du Pharaon devant l’appel de Moïse.
« Nous avons envoyé Moïse avec nos miracles vers Pharaon et ses notables. Mais ils
se montrèrent injustes envers Nos signes. »4
Par ailleurs, la plupart des peuples ont été châtié par Dieu, d’après le Coran,
pour avoir mécru à Ses signes et à Ses prophètes. Ainsi, au-delà de l’acte de
désobéissance, les péchés les plus graves et qui semblent être à l’origine de beaucoup
d’autres maux sont la mécréance des messages prophétiques et le fait d’associer à
Dieu une autre divinité.
1
Le Coran, édition du roi Fahd, d’après traduction du D. Hamidullah, Médine, 1990, Sourate Al-
Baqara (2), v. 35, 36. Toute autre citation du Coran, sous réserve de précision, sera tirée de ce
document.
2
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Baqara (2), v. 34.
3
Ibidem, Sourate Al-Mâ’ida (5), v. 28-32.
4
Ibidem, Sourate Al-A‛râf (7), v. 103.
5
Ibidem, Sourate Al-Anbiyâ’ (21), v. 51-57.
18
En définitive, quelle que soit leur nature et leur gravité les péchés de l’homme
tels qu’évoqués dans le message du prophète (psl) restent liés à deux domaines
essentiels : celui de la foi intime qui se traduit par une relation verticale entre la
personne et son Seigneur et celui de son comportement dans son environnement
naturel et social qui obéit à une relation horizontale avec ses paires et avec la créature
de manière générale. Dans ce dernier domaine l’homme commet des fautes comme le
meurtre, l’adultère, la fornication, le vol, l’injustice, la médisance….etc. Dans le
premier domaine, les péchés ne sont ni moins graves ni moins nombreuses, au
contraire, leur gravité peut même remettre en cause la foi de l’individu : la mécréance
1
uslim ajjâj et u ammad b. Ismâ‛ îl al- Buhârî sont les deux compilateurs de adît les plus
célèbres, chacun d’eux a établi un recueil qui porte le même nom (a - a , L’authentique) et qui
constitue une référence incontournable dans ce domaine.
Le premier est né à Nishapur en 204 H/820, et se consacra à la science du adît depuis son plus jeune
âge. Il fit plusieurs contrées et rencontra Al-Buhârî vers la fin de sa vie et profita de ses écrits. Il
mourut en 261H/875.
Al-Buhârî, surnommé l’Imam des compilateurs de adît, est né en 194 H/810 à Buhârâ. Il séjourna
dans plusieurs régions de l’empire musulman et compila un total de 6397 adît, soit un ensemble de
2602 cas, les répétitions exclues. Il mourut en 256 H/870. Cf. Minshâwî ‛U. ‛A. , Al-Muhadhab f
mus ala al- adît, al-azhar ash-sharîf, Le Caire, 1994.
2
Muslim,As- Sa îh, iyad, bayt al-af âr, ad t n°86. Cf. Al-Buhârî, As-Sa îh, beyrout, Dâr al-fi r,
adît n°6861 et 7532. Cf. Le Coran, Sourate Al-Furqân (25), v. 68.
19
devant les signes de Dieu, Lui associer une autre divinité, les actes de désobéissances,
les manquements aux dévotions, le reniement…
Toujours est-il que le degré de la foi en Dieu ou son absence selon les
théologiens musulmans peuvent expliquer en partie le pourquoi du péché ou
s’expliquer par le fait même de ce péché1. Mais quelle que soient les diversités
d’interprétation et de pensée sur ce point, tout porte à croire que ce qui pousse
l’individu à enfreindre le code qui organise ces deux relations est à rechercher dans
son fort intérieur.
Le verset suivant, par exemple, fait état, sans équivoque, d’une faiblesse
intrinsèque à la nature humaine :
« Et Allah veut accueillir votre repentir. Mais ceux qui suivent les passions
veulent que vous vous incliniez grande ent vers l’erreur comme ils le font). Allah
veut vous alléger les obligations , car l’ho e a été créé faible. »2
Dieu s’adresse ici aux croyants à qui Il fait profiter d’allègements, connaissant
la faiblesse naturelle de l’homme, pour ne pas qu’ils succombent aux tentations
charnelles comme le font les fornicateurs.
1
Notons que cette discussion a été à l’origine de la naissance de beaucoup d’écoles de théologie
musulmane, notamment les u‛ tazilites avec il qui pensent que celui qui commet un grand péché
parmi les musulmans n’est ni croyant ni mécréant, tandis que l’école rivale avec les sh‛arites,
maintient avec les juristes sunites que le péché n’annihile pas la foi, mais qu’il diminue son intensité.
Cf. Bâqillânî, In âf, Mu’assasa al-Hanjî, Le Caire, 1963, 2e édition.
2
Le Coran, Sourate An-Nisâ’ (4), v. 27, 28.
20
Par contre, cet autre verset évoque une faiblesse d’une autre nature.
« Allah, c’est Lui qui vous a créés faibles, puis après la faiblesse Il vous donne
la force. Il vous réduit à la faiblesse et à la vieillesse. »1
Il faut reconna tre qu’ici, elle est d’une autre nature ; le verset décrit tout
simplement la constitution physique de l’homme, depuis la naissance jusqu’à la
vieillesse.
Par contre, le premier fait état d’une faiblesse liée à un penchant inné, on peut
même dire à une nature métaphysique ou précisément psychologique de l’homme. Or
la faiblesse renvoie toujours à un manque de force ou à une attitude sans défense face
à une menace ou une force étrangère. Si selon les commentaires du verset 3, le plaisir
charnel et la passion en tant que force, sont opposés à la vulnérabilité de l’homme, on
est amené à s’interroger sur la nature essentielle de cette faiblesse. Puisqu’il ne s’agit
pas de son physique, alors en quoi son mental est-il faible face à certaines choses ?
A tout point de vue, l’ignorance est une faiblesse et elle mène toujours sa
victime à sa propre perte. Or le Coran a souvent qualifié l’homme d’ignorant. Le plus
éloquent de ces passages illustre cette ignorance par le fait qu’il ait accepté ce que
beaucoup de créatures avaient refusé de porter devant Dieu : ‘la responsabilité de
faire le bien et d’éviter le al’.
1
Ibidem, Sourate Ar-Rûm (30), v. 54.
2
Sharqâwî, Ash-Shar ‛a wal-haqîqa, al- ayât almi riyya lil-kitâba, al-askandariyya, 1972, p: 40.
3
Suyûtî , Tafsîr al-qur‘ân al-‛azîm, maktaba al-istiqâma, Le Caire, s.d., volume II, p :76
21
« Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité (de
porter les charges de faire le bien et d’éviter le al . Ils ont refusé de la porter et en
ont eu peur, alors que l’ho e s’en est chargé ; car il est très injuste [envers lui-
1
même] et très ignorant. »
Si dans son fort intérieur l’homme éprouve une attirance vers le plaisir et les
jouissances de ce monde, c’est parcequ’en lui une faiblesse l’accompagne depuis sa
création.
« On a enjolivé aux gens l’a our des choses qu’ils désirent :femmes, enfants,
trésors thésaurisés d’or et d’argent, chevaux arqués, bétail et cha ps, tout cela est
l’objet de jouissance pour la vie présente, alors que c’est prés d’Allah qu’il y a bon
retour. »3
1
Le Coran, Sourate Al-A (33), v. 72.
2
Cf infra : chap. XII pour d’autres développements, p :245.
3
Le Coran, Sourate Âl-‛Imrân (3), v. 14.
22
« Vois-tu celui qui prend sa passion pour sa propre divinité ? Et Allah l’égare
scie ent et scelle son ouïe et son cœur et étend un voile sur sa vue. »2
Par ailleurs de cette passion chez l’homme peut naître une illusion qui consiste
à avoir en soi une sensation de perfection de distinction et de puissance. Lorsque
l’individu a l’impression d’être plus important, plus intelligent, plus parfait ou plus
considérable que l’autre, lorsqu’il commence à le mépriser et à se surestimer, lorsqu’il
aime se flatter et être flatté, l’orgueil s’installe en lui.
1
Il s’agit ici de « l’â e incitatrice au mal» évoquée par le Coran : Sourate Yûsuf (12), v. 53. Cf infra,
p : 243, pour d’autres développements. Nous préférons l’expression « âme charnelle » du fait que,
comme on le verra plus loin, cette âme est essentiellement représentée par un ensemble de forces qui
luttent pour la satisfaction de certains besoins physiques ou mentaux de l’organisme.
2
Le Coran, Sourate Al-Jâtiya (45), v. 23.
23
C’est cette vice, au fond, qui est à l’origine de beaucoup de mauvaises attitudes
de l’homme dont précisément, d’après le Coran, la mécréance des signes de Dieu. En
effet, celui qui, par orgueil, croit connaître ne se rend pas compte de son ignorance,
quels que soient les arguments les signes ou l’éloquence de son interlocuteur.
« Puis quand un avertisseur Muha ad leur est venu, cela n’a fait
qu’accro tre leur répulsion,
Par orgueil sur terre et par anœuvre perfide. Cependant la anœuvre
perfide n’enveloppe que ses auteurs. »2
La passion et l’orgueil sont deux vices qui s’installent et se développent par les
mauvais comportements de l’humain. Il est ainsi à la merci de fortes suggestions
maléfiques qui le poussent à la tricherie, la tromperie, la haine, l’envie, la ruse, la
médisance, la méchanceté, les mauvais préjugés, la calomnie, l’hypocrisie…etc. Ces
suggestions seraient insufflées à partir de l’â e charnelle3.
« Que la vie présente ne vous trompe donc pas et que le Trompeur (Satan) ne
vous induise donc pas en erreur sur Allah ! »4
1. 3. La crainte du châtiment
1
Ibidem, Sourate An-Na l (16), v. 23.
2
Ibidem, Sourate Fâ ir (35), v. 43.
3
Pour les relations entre l’individu, Satan et l’â e charnelle, cf infra, chap. XII, pp : 241-250.
4
Le Coran, Sourate Al-Luqmân (31), v. 33.
24
C’est un fait très fréquent dans le Livre et par lequel des images sont proposées
à titre explicatif, dissuasif ou persuasif. Il peut obéir à un besoin pédagogique de
coller à la réalité des destinataires du message et de partir du sens le plus accessible
attenant à la mentalité la plus simple tout en laissant des signes à la compréhension et
à la méditation plus profonde des autres.
1
Le Coran, traduction de Hamidullah, les classiques Book en stock.com, Sourate An-Najm (53),v.1-2.
2
Nous soulignons des mots ou expressions de certaines citations pour une mise en relief de certains
concepts étroitement liés au développement.
3
Le Coran, Sourate Al-Qiyâma (75), v. 1-4.
4
Ibidem, Sourate Al-Mursalât (77), v. 1-7.
26
Le cas des versets suivants est éloquent à ce sujet. Les mécréants sont
comparés ici à des individus perdus dans les ténèbres d’une nuit sombre.
« Ils resse blent à quelqu’un qui a allu é un feu ; puis quand le feu a
illu iné tout à l’entour, Allah a fait dispara tre leur Lumière et les a abandonnés
dans les ténèbres où ils ne voient plus rien.
Sourds, muets, aveugles, ils ne peuvent donc pas revenir de (leur égarement).
[On peut encore les comparer à ces gens qui,] au moment où les nuées éclatent en
pluies, chargées de ténèbres, de tonnerres et éclairs, se mettent les doigts dans les
oreilles, terrorisés par le fracas de la foudre et craignant la mort ; et Allah encercle
de tous côtés les infidèles… »1
La plupart des sourates révélées avant l’Hégire font état d’une large
description des faits du jour du jugement et du châtiment horrible qui attend les
infidèles. En effet les premiers récepteurs de l’époque étaient une population
majoritairement constituée de mécréants, contrairement à la communauté de fidèles de
Médine où sont révélées les autres sourates.
1
Le Coran, Les classiques Book en stock.com, Sourate Al-Baqara (2), v. 17-20.
27
Ce qui distinguait ces hommes du commun des croyants est qu’ils prenaient
soin plus que tout autre de leur intimité avec Dieu et étaient frappés dans leur
méditation et dans leur conviction par une profonde crainte du châtiment ; et il arrivait
à certains d’entre eux de pleurer sur le sort de leur âme, par foi en l’avertissement du
Prophète qui disait :
Par ailleurs, selon Ghazali3, « on a un jour interrogé Ibn ‛Abbâs4 qu’il soit
agréé par Dieu) à propos de ceux qu craignent [Dieu], il répondit : leur cœur palpite
de crainte et leurs yeux pleurent alors qu’ils disent ‘co ent pouvons nous être gais
alors que derrière nous la mort nous poursuit et la tombe nous attend devant, alors
que notre ultime rendez-vous est le jour du jugement et notre chemin devant passer
sur la Géhenne et notre Seigneur de décider de notre sort ?’ »5
1
Le Coran, Sourate An-Nâzi‛ât (79), v. 34-41.
2
Qushayrî, Ar-Risâla, p : 100.
3
mid u ammad al-Ghazali, érudit polyvalent, juriste, théologien, philosophe et soufi de son
temps, il fut d’une pertinence remarquable et constitua une référence sur tous ces domaines. Il défendit
le a awwuf contre ses détracteurs à travers ses nombreux écrits. Il est mort en 505H/1111. Cf :
chapitre III, p : 77, pour une biographie plus détaillée.
4
‛Abd Allah b. ‛Abbâs, compagnon et cousin du prophète (psl), il rapporta beaucoup de adit et fut un
grand exégète du Coran.Né trois ans avant l’Hégire (vers 620 J. C.), ce jeune compagnon était même
comparé à la mer pour l’étendue de ses connaissances. Il est mort en l’an 68 H/688. à Taïf. Cf : Zubayr
(M. b. az-) et al, Mu‛jam asmâ’ al-‛arab, Maktaba Lubnân, Beyrouth, 1991.
5
Ghazali, Muhta ar i yâ ‛ulûm ad-dîn, Dâr al-Fikr, Beyrouth, 1986 p: 235.
6
u‛âdh b. Jabal, compagnon du prophète, il avait 20 ans au moment de l’Hégire. Médinois, il
combatit à Badr et fut envoyé par le Prophète auprès des Yéménites pour leur instruction. Il mourut en
18/639
7
Qushayrî, Ar-Risâla,op.cit., p : 101.
28
Ils sont donc préoccupés par leur sort, qui se confond à celui de leur âme comme l’a
évoqué le Coran sur plusieurs passages dont ceux-ci :
« Et rappelle par ceci (le Coran), pour qu’une âme ne s’expose pas à sa perte
selon ce qu’elle aura acquis, elle n’aura en dehors d’Allah ni allié ni intercesseur. Et
quelle que soit la co pensation qu’elle offrirait, elle ne sera pas acceptée d’elle. »1
Ainsi, l’âme peut être purifiée ou corrompue par l’individu, cause pour
laquelle les premiers soufis se réfugiaient dans le détachement par crainte du
châtiment et par volonté de purification de l’âme.
1
Le Coran, Sourate Al-An‛âm (6), v. 70.
2
Ibidem, Sourate Ash-Shams (91), v. 7-10.
29
1. 4. L’invitation au repentir :
1. 4.1. Présentation :
Considérée comme le seul recourt de l’homme pour accéder au salut, elle est
étudiée avec minutie et insistance par des soufis, notamment ceux qui se font comme
credo le repentir (at-tawba). En effet, ils pensent que c’est une obligation pour le
croyant de développer en lui cette crainte du châtiment qui est la seule à même de
l’inciter à la pénitence, par différents moyens dont ceux proposés ci-après par Al-
u âsibî1.
de celui qui considérait attentivement ses devoirs vis-à-vis de Dieu (ar-r ‛î li huqûq
al-lâl).
Sa théorie qui met l’accent sur le repentir est largement exposée dans son
ouvrage principal : ar-Ri‛â ya li huqûq al-lâh (Egard pour les droits divins)1. Le
premier texte étudié ci-après ainsi que d’autres dans la suite de cette recherche sont
tirés de ce livre.
D’autres soufis, d’une époque plus récente, ont fait des études plus poussées
sur ce qui, dans le fort intérieur de l’individu, s’oppose à cette crainte et pousse vers le
péché. Ces derniers écrits circonscrivent souvent l’analyse à un domaine plus réduit et
essayent d’objectiver leurs propos par un début de représentation d’éléments plus ou
moins abstraits et auxquels faisaient vaguement allusion les premiers auteurs. C’est le
cas de al-Hujwîrî qui, en remontant aux origines du péché, essaye de définir et de
situer la passion (al-hawâ) en l’opposant à la raison (al-‛aql)2.
Ce livre a été rédigé en guise de réponse à une question adressée à l’auteur par
l’un de ses compagnons qui voulait être édifié sur ce qu’est « la voie du a awwuf,
ses stations évolutives (maqâmât), ses tendances, les propos (des anciens soufis),
leurs indications et leurs relations »3. Ainsi, avec force détail, Hujwîrî a donné de
précieuses informations sur la question notamment sur le passé de ses maîtres
prédécesseurs. Pour ce point précis, son ouvrage reste l’une de nos références
1
Cela signifie aussi littéralement : considération des droits de Dieu sur soi.
2
Cf. texte n° 2.
3
Cf : la partie introductive de Hujwîrî, Kashf al-mahjûb, Dâr an-nahd a al-‛arabiyya, Beyrouth, 1980.
31
essentielles. Il mourut vers 465H/1073 et fut considéré comme l’un des plus éminents
soufis attaché à l’orthodoxie.
Texte n° 1 :
En effet, Dieu, le Tout-puissant, lui a interdit ce qui passionne son cœur et qui,
par son âme, lui fait plaisir. Il, le Tout-puissant, a fait dans sa constitution un léger
penchant qui a une faiblesse pour ces interdits et qui tire plaisir et satisfaction dans
leur réalisation.
1
Mu âsibî (al-) H., Ar- i‛âya li huqûq al-lâh, Dâr al-Ma‛ârif, le Caire, 1990, pp : 58-62.
32
Celui qui abandonne ce qui passionne son cœur et qui, par son â e, lui fait
plaisir, de tout ce que déteste son Seigneur, le Tout-puissant, il s’est préservé de
l’Enfer et a droit au salut, auprès de Dieu.
1
Le Coran, Sourate An-Nâzi‛ât (79), v. 40, 41.
33
Par ailleurs, ‛ d all h as‛ûd ajoute que quiconque s’e pare du voile
trouve ce qu’il y a derrière. Cela veut dire que quiconque supporte les contraintes
liées au service de Dieu, le Tout puissant, rencontre le Paradis, autrement dit, il y
entrera.
1
Ibidem, Sourate Al-Baqara (2), v. 216.
2
Ibidem, Sourate An-Nisâ‘ (4), v. 19.
34
Ainsi, Il les créa tous les deux (la punition et la rétribution pour ce qu’Il
conna t Sa créature et pour ce qu’Il veut honorer Ses a is et hu ilier Ses enne is.
Il menaça alors et fit peur à Ses serviteurs et leur fit espérer et leur promit afin
qu’ils fassent peur à leurs â es et leur fassent espérer. De ce fait, elles Le craindront
et auront espoir en Lui.
C’est de la sorte que Dieu décrit ceux qui ont co pris cela en Lui et Le
craignent. Aussi le Tout-puissant dit-Il :
« Et pour celui qui aura redouté de comparaître devant son Seigneur, et préservé son
â e de la passion… »1
Le Tout-puissant précise que c’est parce qu’il craint son Seigneur qu’il a
préservé son âme de la passion.
Il dit (ailleurs) :
«…Ils redoutent leur Seigneur et craignent une malheureuse reddition de compte. »2
Le Très-haut dit aussi :
« …qui craignent leur Seigneur algré qu’ils ne Le voient pas, et redoutent l’Heure
(la fin du monde). »3
Ainsi, Il précise qu’ils craignent ce qui leur est caché co e punition et s’Il
leur fait une pro esse invisible, ils espèrent. Ainsi, s’ils craignent et espèrent ils
fuiront par conséquent (la punition) et chercheront (la rétribution).
1
Ibidem, Sourate An Nâzi‛ât (79), v. 40, 41.
2
Ibidem, Sourate Ar- a‛d (13), v. 21.
3
Ibidem, Sourate Al-Anbiyâ’ (21), v. 49.
35
Par ailleurs, dans l’espoir d’obtenir ce qui leur est caché co e réco pense,
ils ont enduré les contraintes, co e d’ailleurs l’a si bien décrit le out-puissant
dans Son livre :
« Certes, ceux qui ont cru, é igré et lutté dans le sentier d’Allah, ceux-là espèrent la
iséricorde d’Allah… »4
Il dit ensuite :
« Quiconque, donc, espère rencontrer son Seigneur, qu’il fasse de bonnes actions et
qu’il n’associe dans son adoration aucun autre à son Seigneur »5.
Il ajoute encore :
1
Ibidem, Sourate Al-Anbiyâ‘ (21), v. 90. Dans la traduction du document de référence, c’est le mot
“amour” qui a été proposé pour le sens de “raghba”, nous avons préféré à la place le mot “désir” qui
semble le plus à même de restituer l’espoir de récompense associé à la crainte du châtiment exprimés
par ce verset à propos de l’invocation des bons serviteurs.
2
Il pourrait s’agir de asan b. ‛Alî, deuxième Imam chiite, connu pour son penchant pour l’ascétisme
et la dévotion. Il mourut à Médine à l’an 41 H/662. Mais considérant l’idée de la paraphrase, c’est
plutôt . Al- qui serait ici évoqué.
3
Dans le contexte historique de l’auteur, le mot Mujâhid est employé par les soufis pour se désigner
entre eux. En effet, le vrai combattant pour eux est celui qui combat sa propre âme afin d’obtenir
l’agrément de Dieu.
4
Le Coran, Sourate Al-Baqara (2), v. 218.
5
Ibidem, Sourate Al-Kahf (18), v. 110.
36
« Celui qui espère rencontrer Allah, le ter e fixé par Allah va certaine ent venir… »1
(Ce terme (ajal)) est traduit par certains exégètes comme la récompense de Dieu.
Dès lors qu’ils craignent ils fuient et évitent ce qui leur a été interdit comme Il
les décrit dans ses propos :
« Cela est pour celui qui craint Ma présence et craint Ma menace. »2
Du fait que l’invisible al-ghayb) ne peut pas être vu par l’œil mais se perçoit
plutôt par le cœur, à travers les réalités de la Certitude, si le serviteur se détourne du
dernier jour par la négligence, voilé en cela par l’a our de ce onde, il
n’éprouvera crainte et espoir que par si ple déclaration.
Quant à cette (sincère) crainte qui le pousse à détourner son plaisir de ce que
déteste son Seigneur le Tout-puissant, et cet espoir qui l’aide à supporter ce que
1
Ibidem, Sourate Al-‛Ankabût (29), v. 5.
2
Ibidem, Sourate Ibrâhîm (14), v. 14.
3
Ibidem, Sourate An Nâzi‛ât (79), v. 40.
4
Ibidem, Sourate Ar- a‛d (13), v. 21.
37
répugne son â e pour l’a our de son Ma tre, il ne l’éprouvera pas, tant que celle-ci
(son âme) restera sous l’influence de la passion.
Ainsi, Dieu, le Très-haut, précise que lorsqu’ils ont édité et se sont rappelés,
s’est révélée à eux la gravité de la descente en enfer, ils craignirent alors le Feu et Le
supplièrent de les en préserver et de les éloigner de la honte du Jour du jugement. En
1
Le Coran, Sourate Âl ‛Imrân (3), v. 191-194.
38
effet, espérant le salut par Son bienfait, ils se sont tournés vers Lui, par humilité,
cherchant qu’Il les sauvât de la disgrâce de ce Jour.
Ce qui donne cette crainte (al-hawf) est donc une profonde connaissance de la
gravité du châtiment. Ce qui révèle cette gravité est la culture de la crainte (at-
tahwîf), et celle-ci se développe par la méditation sur le Rendez-vous. Cette
éditation provient de l’évocation (adh-dhikr) qui provient de la vigilance du
(sommeil) de la négligence.
En réalité, Dieu le Tout-puissant nous a menacés par la punition afin que nous
nous fassions peur nous-mêmes, Il nous a promis pour que nous nous fassions
espérer. La culture de la crainte (at-tahwîf) est donc du ressort du serviteur, par le
bienfait et la faveur du Tout-puissant. Quant à la crainte en tant que telle, elle
l’envahit, il ne la a trise donc pas. Elle est engendrée par la culture de la crainte en
soi ; Dieu l’insuffle dans le cœur de celui qui la pratique co e Il l’a reco andée.
Par ailleurs, Dieu peut loger la crainte dans le cœur d’un serviteur croyant
sans qu’il ne se donne la peine de la cultiver, par gratification de Sa part. outefois,
ê e s’il n’en bénéficie pas de cette façon, il n’en trouve pas pour autant une excuse
qui lui dispense de cette attitude qui lui est recommandée. Car, Il lui demande de
(toujours) méditer sur le Rendez-vous : et c’est par là la recherche de la crainte et de
l’espoir. Il l’a enacé par la punition et lui a pro is la rétribution) afin que ceci le
pousse à méditer. Ainsi, conséquemment, il Le craindra et aura espoir en Lui.
Texte n° 2 :
Sache, puisse Dieu te fortifier, que la passion chez certains est un terme qui
renvoie aux caractéristiques de l’â e ; chez d’autres, elle est l’instinct naturel
1
Hujwîrî, ashf al-Ma jûb, Tome I et II, Dâr an-nah a al-‛arabiyya, Beyrouth, 1980, Pp: 438 – 439.
39
agissant qui la renforce, co e l’est du reste la raison al-‛aql par rapport à l’esprit
(ar-r . out esprit, en effet, qui n’a pas, dans sa constitution, une puissance
é anant de la raison, est a oindri. De ê e, toute â e l’est aussi par l’absence
d’une force de la passion.
« Et pour celui qui aura redouté de comparaître devant son Seigneur, et préservé son
âme de la passion,
Le Paradis sera alors son refuge. »1
1
Le Coran, Sourate An-Nâzi‛ât (79), v. 41.
40
Il est dit ici que la passion est une divinité qu’on adore. Et alheur à
quiconque, à la place de la Vérité adorera sa passion, celui qui, nuit et jour,
cherchera à satisfaire sa passion.
Celui qui suit la passion des plaisirs tombe dans les bassesses, néanmoins, il
épargne la créature de ses turpitudes. Quant à celui qui suit la passion de l’orgueil et
du pouvoir, il est dans les ermitages et les cours et il est la terreur des gens, du fait
qu’il a perdu le che in et qu’il conduit tout le onde vers la catastrophe.
Que Dieu nous préserve de suivre la passion. Celui dont tous les mouvements
obéissent à la passion et tendent vers sa satisfaction est en réalité très loin de la
Vérité, ê e s’il fréquentait la osquée avec toi. […]
1. 4.3. Analyse :
1
Le Coran, Sourate Al-Jâtiya (45), v. 23.
41
vulgariser sa théorie. Alors, il partage sa réflexion avec un disciple qui est sensé être
initié ou qui a fait preuve de détermination à vouloir s’engager sur la voie.
Le développement d’Al- u âsibî ne va pas plus loin ici que le premier niveau
de la « crainte » dont il a été question au début de ce chapitre : la crainte du châtiment.
De même son concept d’ « espoir » est celui lié à la récompense. Ainsi, par soucis de
simplicité, eu égard probablement au niveau de perception de son locuteur, l’auteur
s’arrête au simple niveau de rétribution ponctuelle des actes et à la conception
formelle du péché du juriste.
Ce qui est particulier et surprenant chez cet auteur c’est qu’il situe le sens de la
relation entre la passion et l’âme de la première à la seconde et non le contraire: c’est
la passion qui agit sur l’âme. Explicitement, il ne se prononce pas sur la naissance de
la passion, comme il a été évoqué précédemment dans ce chapitre et comme beaucoup
d’autres soufis l’ont fait. Sur ce, on peut reconsidérer sa pensée en reprécisant que la
passion bien qu’elle agisse sur l’âme, par la formation de l’âme charnelle1, émane bien
de celle-ci et agit sur le cœur. Par ailleurs, la lutte contre la passion est permanente
durant toute la vie du soufi ; cela intéresse aussi bien les débutants (« a - âlibûn »)
que les initiés ou « ceux qui sont sur le point d’atteindre leur but » (al- ilûn).
Plus explicatif qu’argumentatif, l’auteur ne fait pas trop recourt aux versets
coraniques et adîts comme c’est le cas de u âsibî. Ainsi, il gagne en concision et
en densité ; et son traité semble être rédigé avec méthode.
1
Voir la suite à la quatrième partie de cette thèse.
43
Quant au premier, ses fréquentes répétions font penser à un style orale, écrit et
rapporté plus tard par le disciple. Son recours considérable au Coran et aux adîts est
à lier à sa formation de juriste et de théologien, soucieux d’authentifier ses propos. En
plus, il a évolué, contrairement à Hujwîrî, dans un contexte marqué par la naissance
de la communauté des soufis qui étaient souvent exposés aux critiques des orthodoxes.
44
2. 1. La sincérité
Il peut arriver que les deux soient confondues, alors, celle de l’intérieur qui
commande l’acte s’identifie à celle qui se manifeste de fait à travers le comportement,
on peut parler alors de sincérité de l’acte.
D’autres fois, il peut arriver que l’individu ait une intention intime et secrète
d’agir pour faire croire à une deuxième intention qui se manifeste au regard du témoin
mais est loin d’être à l’origine du geste. Dans ce cas, on ne peut plus parler de
sincérité.
Ainsi, la sincérité se définit plus par rapport à cette double intention que par
rapport à l’acte, d’où la nécessité de purifier ses intentions pour être sincère. On
1
Le Coran, Sourate Ash-Shams (91), v. 7-10.
45
En Islam, un acte de dévotion ne peut être considéré comme sincère que s’il est
sous-tendu par la recherche de l’agrément de Dieu. Et il se fait dans l’application d’un
mode de vie intérieur et extérieur fondé sur le Coran et les traditions prophétiques. Sur
ce point précis l’intention devient un peu plus complexe.
Pourtant c’est seulement à ce prix que le croyant peut faire partie du nombre
des véridiques auquel le convie le Tout-puissant.
1
Muslim, op.cit., Had. N° 1907.
2
Le Coran, Sourate At-Tawba (9), v : 119.
46
Quel est le facteur qui peut être plus déterminant et plus explicatif pour
l’attitude de détachement des Soufis de la première heure que cette recherche de
sincérité qui s’accompagne d’un renoncement accompli à une considération ou
rétribution d’un autre que Dieu ?
1
Ibn ‛ â - Allah al-Iskandarî (709H/1309), soufi shadhilite qui évolua bien après la génération de
Junayd à Alexandrie. Il est l’auteur de l’ouvrage cité ci-après.
2
La sincérité est souvent exprimée avec des termes qui ont une certaine nuance entre eux. Par exemple
le terme al-ihl insiste davantage sur le sens de l’action de purification de la dévotion par l’intention
sincère, tandis que a - idq, plus statique, renvoie à la sincérité en tant que telle.
3
Ibn ‛A â’, ikam, Dâr al-kutub, Le Caire, 1970, p : 8.
4
Sharqâwî, op.cit., p : 74.
5
Ibidem, p : 246.
6
Ibn ‛A â’, op.cit., p : 87.
47
Il est certes difficile d’être catégorique pour une telle différentiation, mais il
faut toutefois reconnaître que le terme iddîq n’est employé dans le Livre qu’à côté
des prophètes, comme c’est le cas ici, ou même pour qualifier ces derniers comme ci-
dessous :
1
Il fut un soufi du cinquième siècle de l’Hégire. Cf. infra, pp : 259-260.
2
Homme de lettres égyptien, contemporain. Cf : Sharqâwî, p : 240.
3
Le Coran, Sourate An-Nisâ’ (4), v. 69.
4
Ibidem, Sourate Maryam (19), v. 41.
48
2. 2. L’hypocrisie
En réalité, l’hypocrite, dans son attitude, est animé par deux choses :
1
Ibidem, Sourate Al-A zâb (33), v. 24.
49
Il est en effet permis de se poser des questions, par exemple, sur le semblant de
paradoxe qu’il y a entre les deux versets coraniques suivants.
« Il est, parmi les croyants, des hommes qui ont été sincères dans leur engagement
envers Allah. Certains d’entre eux ont atteint leur fin, et d’autres attendent encore ;
ils n’ont varié aucune ent dans leur engage ent ;
Afin qu’Allah réco pense les véridiques pour leur sincérité, et châtie, s’Il veut, les
hypocrites, ou accepte leur repentir. Car Allah est Pardonneur et Miséricordieux. »3
« C’est égal pour eux [les hypocrites], que tu implore le pardon pour eux ou que tu ne
le fasses pas : Allah ne leur pardonnera jamais, car Allah ne guide pas les gens
pervers. »4
1
Mu âsibî, Ar- i‛âya li huqûq al-lâh, Dâr al ma‛ârif, le Caire, 1990, p : 133.
2
Ibidem, pp : 139, 140.
3
Le Coran, Sourate Al-A zâb (33), v. 23, 24.
4
Ibidem, Sourate Al-Munâfiqûn (63), v. 6.
50
croyants et menace de châtier ceux qui n’ont pas pu le respecter parmi eux. Le pardon
reste possible ici puisqu’ils ne sont pas exclus du groupe des croyants, il s’agit bien ici
de ceux qui ont cédé aux tentations subtiles du cœur au point de ne pouvoir atteindre
ce niveau de sincérité dont il a été question précédemment1.
Comme c’est le cas par exemple ici d’un croyant, d’après la description de
u âsibî2, qui se trompe en ayant deux intentions derrière son acte de dévotion, la
charité par exemple : être rétribué par Dieu et être loué ou remercié par le destinataire
ou par les gens. Il a subtilement cédé à l’orgueil malgré sa foi. C’est le niveau le plus
faible de l’hypocrisie et qui fait si peur au Soufi à la recherche d’une sincérité
inaliénable. Celui-ci mène un combat intérieur contre les vicissitudes du cœur, et se
réfugie souvent derrière le renoncement du monde (az-zuhd).
Quelle que soit sa faiblesse, cette hypocrisie est d’une extrême gravité chez le
Soufi encouragé en cela par les propos du Prophète (psl) rapportés de u‛ dh b.
Jabal qui l’assimile au shirk.
« La plus faible hypocrisie est une association à Dieu. »3
La plus grave doit être celle évoquée par le deuxième verset. Là, il s’agit,
d’après le contexte, de ceux qui ne croient ni aux signes de Dieu ni à la prophétie et
qui, par lâcheté, se cachent parmi les musulmans, ceux-là ne seront jamais pardonnés.
Il s’agit de ceux qui n’ont pas voulu, parce qu’en réalité ils ne croient pas4.
1
Cf. supra p : 44.
2
Mu âsibî, op.cit., p. 133
3
Ibidem, p : 186. Cf Ghazali, Muhta ar, op.cit., p : 196.
4
Cf. au début de ce chapitre, pp : 48-50.
51
« Celui qui se fait entendre dans sa dévotion ou fait de l’ostentation Dieu le lui
retournera. »1
Ainsi, jeûner par peur de reproche, faire « paresseusement »2 les prières pour
les mêmes raisons ou pour faire témoigner aux gens sa bonne foi, sont toutes des
dévotions vouées au néant. Est hypocrite au même titre celui qui pour les mêmes
motifs ou par peur de tomber dans l’ostentation refuse de ne rien faire.
Il faut cependant noter que pour tous ces cas on est aussi loin de celui qui, par
delà son intention sincère vis-à-vis de Dieu, montre son geste pour se donner comme
exemple dans le but de rappeler ou d’éduquer, ici les intentons sont nobles et louables.
On voit certes deux intentions, mais elles sont liées à deux actions différentes (faire
l’action et donner le bon exemple) qui sont toutes vouées à Dieu.
1
Muslim, Had n° 2986.
2
Le Coran, Sourate Al-Mâ‛ûn (107), v. 4, 5. Cf. sourate An-Nisâ’ (4), v. 142.
3
Ibidem, Sourate Al-Mâ’ida (5), v. 54.
4
Ibidem, Sourate Al-Baqara (2), v. 177.
5
Mu âsibî, op.cit., p : 132.
52
Un autre exemple est celui d’un soufi qui se précipitait aux combats lors des
guerres saintes, il y trouvait un plaisir énorme. Cette attirance l’alerta, provoqua en lui
une introspection. Il finit par comprendre que c’est sa propre «âme charnelle » qui,
fatigué de la vie dure de détachement qu’il menait, le poussait au suicide. Alors il
résolut de ne plus participer aux combats1. De l’extérieur, on aurait dit qu’il fait
preuve d’une légèreté vis-à-vis de la loi de Dieu, alors qu’il lutte pour gagner la
sincérité.
1
Sharqâwî, op.cit., p : 75.
2
Ghazali, Le chemin assuré des dévots vers le Paradis, traduction de M. A. Palacios, p : 47.
53
Comme arme face à ce danger pour son cœur, le soufi adopte un profil de
discrétion, de détachement et de renoncement au monde qui s’illustre davantage par le
conseil de l’Imam Alî2.
« Sois généreux sans ostentation, n’élève pas ta personne pour qu’on parle de toi ou
pour être connu. Cache et garde le silence, tu échapperas ; alors les vertueux se
réjouiront (de toi) et les débauchés seront irrités (contre toi). »3
C’est pour cela que Ghazali préconise contre l’â e, pour éviter qu’elle soit
corrompue, l’introspection et la vigilance intérieure : une pratique constante à
appliquer méthodiquement4.
A ce sujet, Al-Makkî5 a évoqué le cas édifiant d’un Soufi qui, par cette
pratique, a une fois échappé à l’illicite. Il avait été convié par des amis à partager une
grillade. Arrivé devant le plat, il changea subitement de décision et refusa poliment de
manger, il ne répondit pas aux questions. Il se leva et s’en alla. Les autres, inquiets,
durent renoncer à la viande qu’ils avaient payée. Harcelé, le vendeur finit par avouer
que ce jour là il avait trouvé l’un de ses animaux mort, alors ne pouvant pas supporter
la perte, il se résolut à le griller pour le vendre. Emu par cette coïncidence l’un des
amis alla insister auprès du soufi pour connaître la raison de son geste. Celui-ci finit
par lui expliquer qu’il a éprouvé une attirance exceptionnelle pour cette grillade, un
1
Le Coran, Sourate Al-Baqara (2), v. 34.
2
‛ lî î âlib, 4e calife du prophète (psl), il est son cousin, époux de sa fille ima, et fit partie
des combattants de Badr, il était âgé de 21 ans au moment de l’Hégire. Très réputé pour sa sobriété, son
ascétisme et son savoir, tous les soufis le reconnaissent comme l’un de leurs ma tres. Il mourut
assassiné en 40H/661. Cf. Zubayr et al, op.cit. et Hujwîrî, Kashf al-mahjûb, Dâr an-nah a al-
‛arabiyya, Beyrouth, 1980, T. I , p :273.
3
Ghazali, Muhta ar,op. cit., p : 195.
4
Cf. infra, pp: 250-255 .
5
âlib al-Makkî (386H/996), l’un des défenseurs de l’orthodoxie du soufisme, son ouvrage
principal est cité ci-après.
54
appétit qu’il n’avait jamais eu, même devant de la viande. Il refusa de céder à ce
plaisir obscur1.
2. 4.1. Présentation :
La sincérité et l’hypocrisie sont deux caractères antagonistes qui ont très tôt
intéressé le soufi dans ses réflexions. Il a été déjà vu dans ce chapitre que c’est
l’attirance vers la première et la répugnance vis-à-vis de la seconde qui ont motivé
l’attitude de détachement du soufi.
Les deux textes présentés ci-après donnent une idée de la convergence des
relations (entre ces deux notions) vers l’attitude de pénitence qui sera traitée au
chapitre suivant.
1
Makkî, Qût al-qulûb f mu‛âmalât al-ma bûb, Ma taba Mu afâ al-bâbî, Beyrouth, 1961, p : 174.
55
Le deuxième passage est d’un auteur plus ancien : Al- u âsibî1. Il traite de
l’hypocrisie avec un style différent et avec le regard profond et toujours accusateur de
l’analyste vis-à-vis de l’âme.
Texte n° 1
1
Cf. le chapitre précédent, pour plus de renseignement sur la biographie de ce soufi et sur ses écrits.
2
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Ma‛rifa, Le Caire, 1981, pp : 164 – 166.
3
Le Coran, Sourate At-Tawba (9), v. 119.
4
Dans ce passage et dans tous les autres extraits de cet auteur proposés à la suite, il est fait mention de
beaucoup de noms de soufis qu’on peut retrouver sur la liste en annexe, pour plus de précision
biographique.
5
Il s’agit ici de Junayd que la plupart des soufis de la génération d’Al-Qushayrî considèrent comme
leur ma tre. Pour cette raison, ils s’inscrivent totalement dans sa pensée et le citent très souvent dans
leurs écrits.
57
Ahmad b. hu r a disait : celui qui veut avoir Dieu le Très-haut avec soi
doit s’attacher à la sincérité car, le rès-haut dit que « Dieu est avec les sincères ».
On dit aussi que la sincérité c’est de dire la vérité algré une situation de
enace fatale. D’aucuns disent que c’est être en har onie avec sa conscience. Les
critiques soutiennent que la sincérité c’est interdire à sa bouche (shidq) tout ce qui est
prohibé (en paroles et en aliments).
‛ d al- id b. Zayd disait que la sincérité c’est d’être quitte avec Dieu
dans son comportement.
1
Le Coran, Sourate An-Nisâ’ (4), v. 69.
58
J’ai entendu du a tre al-ustâdh) Abû ‛Alî ad-Daqqâq qu’un jour, Abû ‛Alî
as-Saqafî était entrain de parler alors, ‛Abd al-lâh b. Manâzil lui dit :
« - Ô Abû ‛Alî, prépare-toi à la mort, elle est incontournable!
Abû ‛Alî lui dit :
- Et toi aussi Ô ‛Abd al-lâh, prépare-toi à la mort, elle est incontournable!
Alors, ‛Abd al-lâh se servit de son bras comme oreiller, posa sa tête et dit (en guise
d’invite :
- Je suis prêt !
Abû ‛Alî fut coupé court, car il ne pouvait pas l’affronter jusqu’à ce niveau du fait
qu’il était encore lié1, alors qu’Abd allah était dépouillé et n’avait aucune
préoccupation (pour ce monde). »
1
Il avait sans doute des biens à préserver ou une famille qui lui était liée ; il ne pouvait pas ne pas avoir
peur face à une mort imminente.
59
1
Le mot kitmân traduit ici par étouffement est le fait de cacher quelque chose par honte, par ruse ou par
lâcheté; pour ce cas-ci, il s’agit sans doute de la première raison.
60
J’ai entendu ul- usayn b. Muqsim dire que, d’après Ja‛far al-ha ,
Junayd disait :
« La véritable sincérité est de dire la vérité là où seul le mensonge semble pouvoir te
sauver la vie. […] »
Texte n° 2
La pire et la plus grave des hypocrisies est celle qui consiste pour le serviteur
(al-‛abd) à avoir pour un acte d’adoration de Dieu le out-puissant l’intention de
plaire aux serviteurs (al-‛ibâd). Dieu le Tout-puissant n’ai e pas cela.
C’est pour cette raison que l’interdit le Prophète psl :
«…Ne ja ais faire un acte d’adoration de Dieu pour plaire ou tro per les gens… »
1
Mu âsibî al-) ., Ar- i‛âya li uqûq al-lâh, Dâr al-Ma‛ârif, le Caire, 1990, pp : 134 – 136.
61
C’est pour cela qu’il disait, en caractérisant les trois hypocrites 1, qu’ils
cherchaient (à travers leurs actes) les gens et non Dieu le Tout-puissant, et ceci est
très grave devant Lui.
Dans le hadît des trois (hypocrites), le prophète (psl) posa son doigt (en guise
d’insistance sur la cuisse d’Abû Hurayra et lui dit :
Shaddâd b. Aws que l’agré ent de Dieu soit sur lui a rapporté que le
Prophète (psl) disait :
« Le pire que je crains pour a co unauté est l’hypocrisie. »
1
Pour le adît sur les trois hypocrites, le combattant, le généreux et le savant, voir supra dans ce
chapitre, pp : 48-52.
62
Quant à l’autre sorte d’hypocrisie qui est la plus subtile et la plus facile (à
co ettre c’est lorsqu’on se soucie des serviteurs gens dans un acte d’adoration
de Dieu tout en le Lui dédiant et en espérant de Lui une rétribution. Les deux
intentions se retrouvent dans le cœur : l’intention de plaire aux créatures et la
recherche de la réco pense divine. C’est certes le niveau le plus bas de l’hypocrisie,
mais il est en lui-même une association en Dieu (shirk) dans les intentions.
Il veut dire par là qu’il peut arriver dans l’hypocrisie qu’on ait deux
intentions : celle pour Dieu le Tout-puissant et celle pour sa créature.
Tâwûs dit :
« Un ho e s’est présenté devant e Prophète psl en disant :
- Ô envoyé de Dieu voilà un ho e qui donne de l’au ône et cherche à être glorifié
par les gens et à être rétribué par Dieu … ?
Le Prophète (psl) ne sut répondre sur le coup jusqu’à ce que soit révélé ce verset :
« …Quiconque, donc, espère rencontrer Son Seigneur, qu’il fasse de bonnes actions et
qu’il n’associe dans son adoration aucun autre à son Seigneur. »1 »
1
Le Coran, Sourate Al-Kahf (18), v.110.
63
Dieu le Tout-puissant a évoqué les propos de ceux qui L’ont agréé par i les
croyants :
« Nous vous donnons à anger pour la seule face de Dieu, nous n’attendons de vous
ni récompense, ni reconnaissance. »
Ils ont ainsi expulsé de leur cœur toute considération des créatures avec Dieu.
- a âk disait :
« Que personne parmi vous ne dise : ceci est par considération pour Dieu et pour toi,
ou encore : ceci est par considération pour Dieu et pour la parenté, car Il n’a aucun
associé. »
Tout ceci prouve, si besoin en est encore, que la pire des hypocrisies est de
dédier un acte d’adoration de Dieu pour les seuls serviteurs ; et la plus faible est de
considérer pour l’acte d’adoration les créatures et de chercher en ê e te ps une
récompense du Tout-puissant.
65
2. 4.3. Analyse :
Al-Qushayrî est constant dans son approche. En tant que juriste, il se soucie
beaucoup de la conformité de ses propos à la Sunna. Aussi, en développant chacun
des nombreux thèmes qu’il a organisés en chapitres, il commence toujours par
évoquer un verset coranique qui sert à la fois d’annonce et de renvoi au concept
étudié. Ainsi, sa base juridique repose sur la confirmation du Livre qui a une valeur
incontestée auprès de l’orthodoxie.
Ceux en qui se sont forgés cette attitude évoquée plus haut, au point qu’ils s’en
soient « enivrés comme l’est l’ivrogne ou l’alcoolique ».
On n’est pas très loin de la subdivision de Sharqâwî évoquée plus haut dans ce
chapitre. Seulement, ce dernier, après s’être inspiré de Qushayrî a cru bon de scinder
le premier niveau en deux étapes :
1
Cf : allâf ‛A. W., ‛Ilm u ûl al-fiqh, Dâr al-qalam, Koweit, 1981, 132p.
66
Comme troisième étape, il rejoint son prédécesseur, avec celle des véridiques (a -
iddîqûn).
Quant aux propos rapportés des soufis, l’auteur s’efforce toujours de garder ou de
prouver leur véracité en reproduisant la chaîne par laquelle les paroles lui sont
parvenues, comme il le fait avec les adîts du Prophète (psl). Et à ce niveau, les
personnes ressources qui constituent la chaîne sont des soufis qui se sont succédé dans
le temps et qui, par une transmission, le plus souvent orale, du maître au disciple, se
sont légués leurs propos.
Pour le premier cas, les définitions vont du niveau le plus bas à travers laquelle la
sincérité se résume à dire la vérité même devant une menace1, jusqu’au niveau le plus
élevé où elle se confond au témoignage de l’unicité (a - a îd)2, en passant par la
définition d I r hîm al-Ha qui la met en rapport avec l’exécution sincère et juste
des actes d’adoration. Ainsi, chacun des deux types de sincérité évoqués au début par
l’auteur se trouvent être illustrées par l’un ou l’autre de ces différents propos.
1
C’est l’une des définitions de la sincérité rapportées de Junayd dans ce texte, il l’a encore définie
comme étant « le pilier du a a u ».
2
C’est la définition proposée par al- si î dans ce même texte de Qushayrî.
67
Pour ce qui concerne les anecdotes, certains illustrent l’aspect du concept lié au
fait que le sincère n’a jamais peur de mourir pour avoir été quitte avec sa conscience
dans son comportement avec Dieu. D’autres, montrent jusqu’à quel point le Tout-
puissant peut confirmer les propos ou les décisions d’un sincère et s’accorder dans ses
décisions.
Il faut cependant noter qu’Al-Qushayrî a glissé dans son texte des propos
anonymes ce qui rompt quelque peu la cohérence de sa démarche. L’authenticité de
certains adîts qu’il a rapportés n’est pas aussi confirmée par les spécialistes des
compilations des traditions.
Le deuxième texte est un traité fait par Al- u âsibî sur l’hypocrisie. Il y dégage
deux types qui trouvent leur explication respective dans des intentions que nous avons
analysées plus haut dans ce chapitre.
Selon lui, la plus grave des hypocrisies est le fait d’ « avoir pour un acte
d’adoration de Dieu le out-puissant l’intention de plaire aux serviteurs (al-‛ibâd) ».
Cela rejoint l’intention de l’hypocrite vue plus haut qui consiste à ne pas vouloir
assumer correctement le pacte qui le lie à Dieu pour avoir été contraint de le passer
sous peine de perdre un intérêt, ce qui pousse à adopter sciemment la stratégie de se
camoufler derrière « sa bonne foi ».
L’autre, la moins grave est le fait de se soucier des gens « dans un acte
d’adoration de Dieu tout en le Lui dédiant » ; et cela recoupe la première intention de
l’hypocrite traitée dans ce chapitre et qui consiste à ne pas pouvoir assumer
correctement un pacte d’observance de règlements qui le lie à Dieu, en cédant à son
penchant pour satisfaire un besoin instinctif ou un intérêt qui peut être un besoin de
considération.
Pour avoir été juriste, Al- u âsibî soutient ses explications par des versets
coraniques et des had ts. Seulement, pour son cas, il n’a essayé de rapporter aucune
cha ne de transmission. Sans doute, il ne voyait pas la nécessité, pour le fait qu’il
68
s’adressait à un disciple qui ne doutait pas de sa bonne foi ; ou simplement parce qu’à
son époque les sciences de compilation des traditions n’étaient pas si connues comme
elles l’ont été avec Al-Qushayrî. D’autre part, ce manque vient confirmer la voie
principale de transmission qui est la tradition orale.
3. 1. Le repentir
Le repentir est certes une condition pour entrer dans la religion et faire partie
du nombre des croyants, mais au-delà de ce tournant initiatique, il reste une obligation
à perpétuer par le musulman suite à ses nombreuses défaillances vis-à-vis de la règle
de vie édictée par la Sunna. C’est la raison pour laquelle, le Coran appelle sans cesse
les croyants au repentir.
1
Le Coran,Les classiques Book en stock.com, Sourate Ar-Rûm (30), v. 30.
70
Toutefois, on est unanime à voir que Le Clément pardonne les péchés par un
repentir sincère de son serviteur. Et pour qu’il soit sincère, le repentir, d’après les
juristes, doit respecter au moins les trois conditions suivantes :
1
Idem, Sourate Âl ‛Imrân (3), v. 133-135. Dans beaucoup de citations nous avons mis en gras certains
termes, comme c’est le cas ici de « âme », pour marquer leur importance dans le développement.
2
Ibidem, Sourate At-Ta rîm (66), v. 8.
3
De la scission des compagnons de l’Imam ‛Alî lors de la bataille de iffîn contre u‛âwiya est née
une fraction qui, extrémiste et dure dans ses idées, avait condamné ces deux prétendants à mort en les
considérant comme des renégats vis-à-vis de l’Islam : ce sont les Kharijites. Cf entre autres Ibn Katîr,
al-bidâya wan-nihâya fit-târîh et Ibn Khaldûn, al-muqaddima, Dâr al-kitâb al-lubnânî, Beyrouth, 1967,
3e éd.
4
Qushayrî, Ar-Risâla,op.cit., p : 79.
71
On voit donc que le repentir n’est conditionnée par aucune force physique de
l’individu mais dépend entièrement de sa capacité de décision mentale, de son intime
conviction et de sa ferme résolution.
En réalité, l’homme est poussé à désobéir par ignorance des conséquences, par
mépris ou par faiblesse en succombant aux tentations de Satan ou de sa propre âme
charnelle (an-nafs al-ammâra).
Aussi, ce moment ultime de retour fait suite à un combat intérieur qui vient
d’être remporté par la conscience et le discernement (al-‛aql) assimilable à cette autre
âme (an-nafs al-lawwâma)2 sur l’instinct et l’ignorance. C’est pour cela d’ailleurs
qu’un asan al-Bas rî ou un h i‛î3 fait l’éloge du ‛âqil (l’intelligent) pour sa
1
Cf. une étude détaillée sur le repentir dans : Makkî, Qût al-qulûb, op. cit., vol. 1, P : 364.
2
Le chapitre XII de ce présent travail sera consacré à ce conflit au sein de l’âme et à l’étude des
concepts utilisés dans ce sens.
3
asa al- a rî (110H/729), juriste et soufi, il s’est fixé à a râ et est une référence pour le
Tas awwuf, il fut le maître de Wâsil avant que celui-ci ne décidât de fonder sa propre école : le
u‛tazilisme.
Muhammad b. Idrîs ash-sh i‛î (204H/820), né à Ghaza en Egypte en 150 H/767, il fut un savant
d’une grande culture et traita avec beaucoup d’égard les soufis de son époque. Il fut un disciple de
Mâlik b. Anas et fonda l’une des quatre écoles de droit (fiqh) des Sunnites. Il mourut en 204 H/820.
72
Par ailleurs, on répare le tort porté à sa propre âme en la purifiant de toute trace
de plaisir ou de satisfaction née du péché : par le fait même du regret et des prières
mais aussi parfois par certaines contraintes d’endurances ou de compensation exigées
par la Sunna (le jeun, le sacrifice…).
« …et repentez-vous tous devant Allah, ô croyants, afin que vous récoltiez le
succès. »2
3. 2. Un retour à Dieu
1
Anawati G. C. et Gardet L., Mystique musulmane, , Vrin, Paris,1976, 3e éd, p : 248.
2
Le Coran, Les classiques Book en stock.com, Sourate An-Nûr (24), v. 31.
73
On ne peut pas imaginer que ce modèle parfait pour les croyants puisse
commettre chaque jour cent péchés au sens juridique du terme. On ne peut alors
comprendre par ces repentirs qu’une intense activité de retour à Dieu dans le
témoignage de son unicité (at- a îd), à côté de l’insignifiance et de l’imperfection de
l’être humain. Sa prière, d’après Al-Buhârî, en est une éloquente illustration :
1
Le Coran, Sourate Al-Fajr (89), v. 27, 28.
2
Cf. infra chapitre V, p : 115, pour des développements sur la crainte révérencielle.
3
Le Coran, Sourate Al-A‛râf (7), v. 23. Cf. Sourate Al-Qas as 16. Cf. Sourate Al-Anbiyâ’
(21), v. 87.
4
Muslim, op. cit., Had n° 2702.
5
Hujwîrî, Kashf al-mahjûb, op.cit., Tome II, p: 532. La traduction littérale de udûr aurait donné
« poitrines », ici le mot « cœurs » semble être plus sensé.
74
Sur ce, la plupart des analystes accordent à ce retour (at-tawba) trois niveaux :
Le repentir ponctuel par crainte du châtiment (at-tawba dans le sens juridique
du terme) ;
Une attitude de pénitence comme acte de dévotion à récompenser lié à la
crainte révérencielle (al-inâba) ;
Le retour à Dieu, par considération à Lui seul (al-awba)2.
1
Ghazali, I yâ ‛ulûm ad-dîn, Dâr i yâ at-turât al-‛arabî, Beyrouth, vol 11, p :2072.
2
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p :536.
3
Junayd définit la tawba comme « l’oubli de la faute » et Sahl par le fait de « ne jamais oublier la
faute ». Tous les deux, d’après Qushayrî, font allusion à la profonde et intime retour à Dieu qui
caractérise le soufi. Le premier a à l’esprit l’imposante présence du Seigneur qui exclue tout autre
chose, notamment le souvenir du péché, l’autre a à l’esprit le sort de sa propre âme face à la gravité de
la faute. Ruwaym, par exemple va jusqu’à se repentir du repentir… Cf. Qushayrî, op.cit. p : 79.
4
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Baqara (2), v. 186.
75
« Nous avons effective ent créé l’ho e et nous savons ce que son â e lui suggère
et Nous sommes plus prés de lui que sa veine jugulaire. »1
1
Le Coran, op. cit., Sourate Qâf (50), v. 16.
2
Cf. infra chapitre XIII, p : 257, pour d’autres développements sur la purification du cœur.
3
Le Coran, op. cit., Sourate Al-M (83), v. 14.
4
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p: 532.
76
La tawba s’identifie alors chez les premiers soufis à un détachement des cœurs
de ses vicissitudes, par une ferme volonté de lutter contre sa propre passion. L’Imam
‛Alî recommandait ceci :
« Détachez vos cœurs de ce onde avant que ne s’en détachent vos corps. »2
Ailleurs, il ajoutait : « Que Dieu bénisse tout homme qui surmonte ses passions et
a trise les désirs de son cœur, car les désirs sont ce qu’il y a de plus difficile à
contrôler et le cœur ne cesse de récla er les plaisirs. »3
1
Notons qu’ici le sens du mot renvoie à l’aspect dynamique du concept qui recouvre en même temps la
signification du a awwuf en tant que tel : l’effort et l’exercice du soufi à se tendre vers la sincérité, la
certitude, le té oignage de l’unicité de Dieu.
2
‛Alî b. Abî âlib, Muhtârât mubawwaba min nahj al-balâgha, Ansârian publication, Qûm, éd.
Billingue, s.d., p : 577.
3
Ibidem, p : 475.
4
‛ lî usayn, descendant du prophète, 4e Imam chiite, dévot exemplaire, il mourut en 92H/711.
Cf.Hujwayrî, op.cit., p :278
5
Mahmûd A. Q., Al-falsafat a - ûfiyya fil-islâm,Dâr al-fikr, Le Caire, p: 153.
77
lui dis : ô Prophète de Dieu ! anzala est un hypocrite… Il dit : parle. Je lui racontai
les faits. Et Abû Bakr ajouta : oi aussi j’ai fait co e lui. Il dit alors ceci :
doucement anzala, douce ent, si vos cœurs gardaient pour toujours cet état
d’extase qu’ils ont lors de l’évocation de Dieu (adh-dhikr), vous vous seriez
rencontrés sur vos chemins avec les anges qui vous salueraient. »1
3. 3.1. Présentation :
Le repentir est un état d’esprit lié à une attitude conséquente qui exige de la
part du croyant une prise de décision ou une ferme résolution de détacher son cœur de
toutes les attirances de ce monde. C’est cela qui se traduit à travers les traités de
certains soufis qui représentent cette attitude continue sous forme d’un chemin ou
d’une voie difficile à emprunter que seule une volonté inébranlable peut ouvrir à celui
qui s’y engage.
Les deux premiers textes ci-après sont de Qushayrî ; ils traitent respectivement
du repentir et de la volonté qui y conduit. Avec le style déjà connu2 de l’auteur, il sera
possible d’analyser les différentes représentations proposées par les anciens soufis sur
la question.
Le troisième et dernier passage est d’un auteur plus récent : Ghazali. Il est tiré
du résumé de son plus célèbre et volumineux livre (I yâ ‛ulûm ad-dîn) qu’il a lui-
même réalisé. Avec ce texte qui analyse aussi le repentir, l’occasion est offerte de voir
un style beaucoup plus élaboré et plus méthodique qui est le reflet d’un esprit critique
bien formé qu’est celui de l’auteur. Il est certes postérieur à Junayd qu’il reconna t
d’ailleurs comme son ma tre, mais l’intérêt et l’originalité de ses écrits résident dans
son nouveau regard imprégné d’une grande culture théologique et philosophique de
1
Muslim, op. cit., Had n° 2750.
2
Pour ce qui concerne al-Qushayrî et son ouvrage, il faut se reporter au chapitre précédent.
78
A cet instant, une deuxième crise, morale cette fois-ci, survint : il hésita
longtemps avant de pouvoir abandonner sa famille et ses biens pour l’errance, de
488H/1095 à 499H/1105.
C’est ainsi qu’à partir de 488H/1095, Ghazali connut une autre vie enrichie par
une expérience qui marqua la spécificité de ses ouvrages postérieurs à cette date. En
effet, au détriment de la rhétorique, il accorda la prééminence à la pratique sincère de
la foi. L’ouvrage à partir duquel est tiré ce passage date de cette période.
Texte n° 1 :
1
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Ma‛rifa, Le Caire, 1981, pp : 76 – 79.
79
« …et repentez-vous tous devant Allah, ô croyants, afin que vous récoltiez le
succès. »1
« Celui qui se repentit de ses péchés est co e celui qui n’en avait ja ais eu.
Et si Dieu aime un serviteur celui-ci ne sera alors entravé par aucun péché. Ensuite il
lut (le verset) : Dieu aime les pénitents et aime ceux qui cherchent à se purifier.
On lui dit alors : O Envoyé de Dieu et quel est l’indicateur du repentir ?
Il répondit : le regret (an-nadâma). »
‛Alî b. Ahmad b. ‛Abdân al-Ahwâzî nous a dit que, d’après ul- asan
Ahmad b. ‛Ubayd as-Saffâr, selon uhammad al- a l b. Jâbir, d’après al-
akam b. Mûsâ, selon Ghassân b. ‛Ubayd, d’après i a arîf b. Sulaymân,
selon Anas b. Mâlik :
Le Prophète (psl) dit :
« Il n’y a rien qui puisse plaire Dieu autant qu’un jeune ho e ou fe e
repentant. »
1
Le Coran, les classiques Book en stock.com, Sourate An-Nûr (24), v. 31.
80
quitter ce qui est prohibé du point de vue de la loi (ash-shar‛) pour retourner à ce qui
est louable.
Quant aux spécialistes des fondements du droit ‛ilm al-us ûl) parmi les
orthodoxes (ahl as-sunna), ils exigent trois conditions pour que le repentir soit
acceptable :
Regretter ce qui a été commis comme déviation ;
Abandonner l’acte ou le co porte ent sur le cha p ;
Avoir la ferme décision de ne plus retourner sur les péchés commis.
Ces conditions sont nécessaires pour que le repentir soit acceptable. Ces derniers
soutiennent d’ailleurs que les propos du adît qui assimilent le regret au repentir
veulent simplement insister sur la (condition) essentielle de ce dernier ; comme par
ailleurs il psl a eu à utiliser cette ê e technique d’assi ilation en disant que le
pèlerinage c’est ‛Arafât. Il voulait dire par là que son pilier fondamental est ‛Arafât,
c’est à dire s’arrêter et se fixer un o ent à ‛Arafât. Il ne veut donc pas dire que le
seul pilier est la station de ‛ ra t, mais il en est son pilier essentiel.
Certains parmi les tenants de la sincérité ( a qîq)1 affirment que le seul regret
suffit pour la véracité du repentir, car selon eux, il est intrinsèque aux deux autres
conditions. En effet, il serait incohérent de voir quelqu’un regretter un comportement
et, si ultané ent, s’obstiner à le faire volontaire ent ou avoir la fer e intention de
recommencer.
1
L’auteur fait ici allusion, à côté des juristes (fuqahâ ), aux soufis avec l’appellation de ahl a - a qîq
qui signifie littéralement : ceux qui cherchent à atteindre la vérité et l’essentiel des choses.
81
Pour ce qui est de l’étude beaucoup plus approfondie, elle donne au tawba des
facteurs réalisateurs (asbâb), une succession cohérente (de comportements) et des
étapes (aqsâm dont la pre ière est d’éveiller le cœur du so eil de la négligence, le
fait que le serviteur prenne conscience de sa mauvaise situation. Il parvient à cela
grâce à une recherche de conformité par une attention portée à tout ce qui, venant des
avertissements de la Vérité, Exalté soit-Il, interpelle sa conscience et se fait entendre
par son cœur.
Ainsi, s’il édite en lui- ê e sur le al qu’il fait, en percevant tout ce dont il est
responsable co e auvaise action, va na tre progressive ent dans son cœur le
désir de repentir et la volonté de ro pre d’avec les auvais comportements. Alors la
Vérité, Exalté soit-Il, le conduit, par la fermeté de la décision et par la saisie de la
beauté du retour, vers les facteurs réalisateurs du repentir.
Dès lors, se délie en lui le nœud de sa persistance à évoluer dans les vilaines
actions et il se maintiendra dans la prudence et dans l’e pêche ent de son â e à
être esclave des plaisirs. Il abandonne sur le coup le mauvais comportement et se
résout de ne plus reco encer à l’avenir. Ainsi, s’il endure les exigences de son
objectif et persiste dans sa ténacité, il se verra accordé la sincérité.
82
Abû ‛Abd allah ash-Shîrâzî nous a raconté que, d’après Abû ‛Abd allah b.
u li d h z selon Ibn Zayrî, Junayd disait ceci :
« Un jour, je suis entré chez arî as- a a î) et le trouvai dans un autre état et je lui
dis :
- Qu’est-ce que tu as ? Il me dit :
- Un jeune ho e est venu e de ander ce que c’est la tawba ; je lui dis : c’est de ne
pas oublier son péché. Alors il e contredit et soutint que c’est plutôt le fait d’oublier
son péché.
Je lui dis alors que je suis du même avis que ce jeune homme. Il me demanda
pourquoi et je lui expliquai :
Si je suis dé uni et qu’Il e sort de cette situation pour e ener dans la prospérité,
le souvenir en soi de cette situation de manque est une disette ! Il se tut. »
83
Texte n° 2
Le Tout-puissant a dit :
« N’éloigne pas ceux qui, atin et soir, invoque leur Seigneur par désir de Sa
face… »2
D’après ‛Alî b. Ahmad b. ‛Abdân, selon Ahmad b. ‛Ubayd, selon Hishâm b.
‛Alî, selon akam b. Muslim, selon Ismaïl Ja‛far, selon amîd, selon Anas, le
Prophète (psl) dit :
Cet état d’esprit ou caractère est désigné par ce ot « irâda », car la volonté
est le fonde ent de toute chose. Si l’individu ne veut pas faire une chose, il ne la fera
pas.
1
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Ma‛rifa, Le Caire, 1981, pp :156 – 158.
2
Les soufis se réclament unanimement de ce passage et c’est probablement de cette expression-
« yurîdûna wajh allah » (qui désirent la face de Dieu)- qu’ils ont dérivé leur auto-désignation par « al-
murîdûn » (ceux qui, par le désir de la Face de Dieu, ont la ferme volonté de s’engager sur la voie de la
Tawba).
84
« murîd », d’après l’entende ent des gens de cette confrérie de soufis désignent
paradoxale ent celui qui n’a pas le choix irâda). En effet celui qui ne se départit
pas de son choix (irâda) ne peut pas être « murîd » et celui qui n’est pas ani é de
volonté (irâda) n’est pas « murîd » aussi.
Les gens se sont exprimés à propos du sens du mot irâda (volonté), chacun a
essayé de traduire ce qu’il a ressenti dans son cœur. La ajorité des a tres ont dit
ceci : (Avoir) la volonté (al-irâda c’est laisser tomber les habitudes (al-‛âda). Et
l’habitude, chez la plupart des gens, est d’évoluer dans le do aine de la négligence,
de se faire asservir par le plaisir et d’obéir aveuglé ent aux pulsions. Or le murîd est
celui qui se détache de tout ceci. Ainsi, par ce repli s’affir e la fer eté de sa volonté.
C’est cet état d’esprit qu’on appelle « irâda » […]
On dit qu’il fait partie des caractéristiques des « engagés dans la voie » (al-
murîdûn) le fait de chercher Son amour dans les (actes) surérogatoires,
l’attache ent à la sincérité à travers leur conseil pour la co unauté, s’assurer Sa
bonne co pagnie dans la solitude, l’endurance devant la dureté des sentences, la
pro ptitude à exécuter Ses ordres, la honte devant Son regard, soutenir l’effort dans
ce qu’Il ai e, pratiquer tout oyen qui peut ener à Lui, essayer toujours de passer
85
inaperçu, ne ja ais se fixer une idée de satisfaction de soi dans son cœur, jusqu’à
arriver au Seigneur.[…]
D’après Muhammad b. al- usayn, selon Abû Bakr ar-Râzî, al-Katânî disait
que trois choses font partie des principes de l’engagé1 (al-murîd) :
Son so eil ne s’i pose que par nécessité ;
Son anger n’est que pour la survie ;
Sa parole est le ini u nécessaire. […]
Texte n° 3
1
Ce mot « al-murîd » se traduit aussi par « l’aspirant » chez certains spécialistes qui gardent toutefois
la même signification.
2
Ghazali A. H., Muhta ar I yâ ‛ulûm ad-Dîn, Dâr al-fikr, Beyrouth, 1986, pp: 217 – 219.
86
Sache que les versets et les traditions ( adît) indiquent le caractère obligatoire
du repentir. Comme le dit Dieu, le Très-haut :
« …et repentez-vous tous devant Allah, ô croyants, afin que vous récoltiez le
succès. »1
« Ô vous qui avez cru ! Repentez vous à Allah d’un repentir sincère… »2
« Dieu aime les pénitents. »3
‛ilmih . C’est pour cela que nous disons que ce savoir est nécessaire du o ent qu’il
est l’un des élé ents constitutif du repentir obligatoire, et non pas parce qu’il doit
être créé par le serviteur ; en réalité, le savoir, le regret, l’acte, la volonté et la
puissance sont du ressort du Puissant.
Dieu, le Très-haut, vous a créés de ê e que vos actes, c’est cela la vérité
reconnue par ceux qui ont la perception aiguë, tout autre chose n’est que ignorance.
Si tu dis : « Le serviteur n’a-t-il pas donc le choix de faire ou de ne pas faire ? » Nous
répondons : Si. Et cela n’est aucune ent en contradiction avec notre propos selon
lequel tout est du ressort de Dieu. En réalité, le choix (al-ihtiyâr) en tant que tel est
une création de Dieu le Très-haut.
Le serviteur est même conditionné dans son choix. En créant par exemple la
main saine (dans sa constitution), la nourriture appétissante, en créant dans cet
esto ac un désir pour cette nourriture, en créant le savoir dans le cœur co e quoi
c’est cet ali ent qui peut apaiser ce désir, en créant des suggestions qui questionnent
sur la présence d’une quelconque nuisance dans sa co position algré qu’elle soit
appétissante ou d’une chose qui s’oppose à sa conso ation, en créant le savoir qui
exclut tout empêchement, Dieu fait ainsi réunir toutes ces conditions par lesquelles
surgit la volonté de consommer (la nourriture).
Ces choses sont ainsi agencées dans l’ordre sunna de Dieu le rès-haut. Il
ne crée donc pas, par exemple, le mouvement de la main par un schème ordonné
avant d’avoir créé en elle une caractéristique appelée force et une vie et avant d’avoir
créé la volonté.
Il ne crée pas cette volonté décisive, avant d’avoir créé dans l’â e un désir et
une tendance (un besoin à satisfaire). Celle-ci n’appara t pas avant qu’il n’ait créé
cette prise de conscience qui la lie de près ou de loin à l’intérêt de l’â e.
Cette prise de conscience n’est créée qu’à travers d’autres facteurs liés à une
puissance, une volonté et un savoir. Ainsi, le savoir et la tendance naturelle (instinct
88
C’est cela la chronologie des choses à travers tout acte : tout est de la création
de Dieu le très-haut. Les uns conditionnent les autres. el est l’ordre de Dieu qu’Il a
établi au sein de Ses serviteurs et de son juge ent qui, aussi rapide qu’un clin d’œil,
est une question d’ordre global i uable. C’est à ce propos que le rès-haut dit
ceci :
« Nous avons créé toute chose avec mesure. »1
3. 3.3. Analyse :
En proposant son étude sur le repentir, al-Qushayrî n’a pas changé de style.
Après avoir recouru à un verset du Livre, il aborde la question avec deux traditions du
Prophète (psl) rapportées par une chaîne initiatique. Il procède ensuite par l’étude du
sens respectivement autour de ces trois points :
Le sens étymologique ;
Le sens proposé par les juristes ;
Et la signification plus profonde partagée par les maîtres soufis.
Enfin, il termine son explication par une illustration à partir de faits et propos
rapportés des maîtres du a awwuf.
Cette approche est la marque d’un travail bien élaboré qui cherche à se soutenir
par une argumentation solide et méthodique. En effet, loin de u âsibî qui était
encore dans le cadre d’un partage intime avec ses disciples, l’auteur de cet ép tre
cherche la vulgarisation au sein d’un atmosphère de contestation où dominent les
idées et les arguments adverses.
1
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Qamar (54), v. 49.
89
Avec une approche plus centrée sur la personne, en conservant les mêmes
intentions que son prédécesseur, à savoir défendre la doctrine face aux juristes,
Ghazali traite la même question (le repentir) en se focalisant sur la naissance et
l’évolution de l’attitude au sein de la personne. Aussi a-t-il centré son analyse autour
de ces trois points :
Déjà l’auteur montre sa capacité de se détacher des sources afin de mener parfois
des réflexions spéculatives sur la question, pour ensuite retourner à celles-ci (Coran et
adîts) afin d’illustrer ses idées avancées. Il le tire sans doute de sa formation
philosophique et théologique.
A ce sujet, à la fin du texte, il a réglé une question qui est plutôt liée à la
scolastique (‛ilm al-kalâm) ou à la théologie : la problématique du libre choix (al-
ihtiyâr) de la personne face à l’absoluité de la créativité de Dieu. Comment
comprendre que l’homme soit libre de ses choix alors que le Tout-puissant ait même
créé ses propres actes ?
1
Cf. texte n° 2.
90
En définitive, toute la littérature produite par les soufis de cette époque, malgré la
diversité dans le style, atteste que leurs auteurs ont convergé vers le même sens à
propos de la signification de leur attitude de pénitence. Il s’agissait pour celui qui s’est
résolu fermement à suivre cette voie de sincérité (al-murîd), de faire un retour à Dieu
par une attitude complexe de détachement (az-zuhd) qui se résume autour de ces
points :
L’aspirant ou celui qui s’engage dans la voie du a awwuf doit être animé de
la crainte du châtiment qui éloigne de tout comportement de désobéissance ;
Il doit s’éloigner, de par son cœur, de toutes les attirances de ce monde qui
suscitent chez l’individu le plaisir et la passion ;
Il doit observer rigoureusement une attitude de sincérité à travers ses actes de
piété et ses relations avec la société et ainsi, combattre l’hypocrisie en soi, sous
toutes ses formes ;
91
Deuxième partie:
ET LA DEVOTION
92
Si cette purification de l’âme est une voie d’accès par excellence à la sincérité
du croyant, alors, par conséquent, celle-ci va exiger de sa part une loyauté et un
dévouement sans faille vis-à-vis de son Seigneur : la dévotion s’impose alors comme
une application sincère des prescriptions et recommandations du Message
prophétique. Elle s’affirme ainsi comme une expression de la sincérité d’où sa
complémentarité avec le détachement de l’âme.
1
Cf. Ndiaye S., Le Tasawwuf du IIe au Ve siècle de l’Hégire à travers l’optique de la Sunna, mémoire
de DEA, Lettres (arabe), UCAD, 2002/2003
2
Cette spécification en question se fonde sur un authentique t qui donne la définition de ces trois
concepts ( ). Cf. Muslim, op.cit., H : 8. Cf. Buhârî, op.cit., H:50. Cf. Sharqâwî,
Ash-Shar ‛a wal-haqîqa, op. cit.
93
Cette patience qui doit être l’une des caractéristiques du dévot conditionne
ainsi sa sincérité. Beaucoup de soufis lui ont accordé une place importante dans leurs
analyses, y compris ceux des générations postérieures, compte tenu de ce rôle
déterminant, mais aussi dans le but de bien se l’approprier.
A côté de cette subdivision, celle qui se dégage des propos de ‛Abd allâh b.
‛Abbâs, compagnon du prophète, est encore plus pertinente :
1
Qushayrî, Ar-Risâla, op. cit., p: 144.
2
Ghazali, Muhtasar ihyâ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p :223.
3
Ibidem, p : 224.
94
Le croyant peut se trouver dans une situation difficile ou être frappé d’un fait
douloureux, il doit alors rester imperturbable et constant dans sa foi en se soumettant
sans rechigner à la volonté du Tout-puissant. A celui qui pratique une telle
longanimité, le Coran promet une forte récompense :
C’est cela que cherche à illustrer Junayd par les propos suivants :
« Quant à celui qui pratique le abr, il doit avaler la potion amère des épreuves sans
laisser voir la moindre contraction sur sa figure et sans faire entendre la plus légère
plainte. »5
1
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Baqara (2), v. 155, 156.
2
‛Abd al-Karîm al-Qushayrî (465H/1073), l’un des célèbres défenseurs de l’orthodoxie du a awwuf.
3
Qushayrî, op.cit., p : 144.
4
C’est un adît rapporté par Abû Hurayra. Cf : Qushayrî, op.cit., p : 144.
5
Attar F. D., Mémorial des saints, trad. Tadhkirat al-awliyâ’, seuil, Paris, 1976, p : 267, notons que
abr a été traduit dans ce document par le mot «résignation » ce qui est inacceptable vu le sens des
propos de Junayd.
95
Ce que Junayd sous-entend est loin d’être un aveu d’impuissance, mais plutôt
ce degré ultime de l’endurance qui fait que le dévot reste imperturbable face au
malheur parce qu’il le trouve tout à fait normal et juste, puisque émanant de la
Volonté de Dieu. Il peut même atteindre un niveau tel qu’il s’y pla t et se satisfait de
la décision, il aura alors agréé son Seigneur et son âme se trouverait ainsi « apaisée »
de toute décision provenant de Dieu1.
1
C’est cet état d’esprit qui plus tard sera conceptualisé sous le nom de h âl ou (maqâma) rid â
(station de l’agrément). Cf. 3e partie et annexes.
2
Abû Muhammad Ruwaym b. Ahmad, juriste et soufi, il évolua à Bagdad et mourut en 303H/916. Cf.
Qushayrî, op.cit.
3
Qushayrî, op.cit., p : 145.
4
Le Coran, op. cit., Sourate An-
5
Qushayrî, op.cit., p : 145.
6
Abû Ishâq Ibrâhîm b. Ahmad al-Ha (291H/904), soufi, compagnon de Junayd, très attaché à la
prière, il mourut noyé à Baghdâd en faisant ses ablutions au bord du fleuve.
96
C’est bien dans le but de faire supporter à son âme et à son corps les pratiques
cultuelles avec aisance que certains dévots s’adonnent à des actes surérogatoires
comme prendre l’habitude de prier « quatre cents rak‛ât, le jour et la nuit »1.
4. 1.3. a lo ga imi é da s l a s i e ce :
C’est cela qui pousse certains parmi les plus éminents d’entre eux à considérer
le abr comme le plus difficile à réaliser de tous les états d’esprit du a awwuf. Tel
est l’avis de Junayd :
« Passer de cette vie à l’autre est facile et est peu de chose pour le croyant ;
abandonner les créatures pour la cause de Dieu est pénible ; passer du « moi » à
1
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p: 543.
97
Dieu est difficile et douloureux ; ais faire preuve de patience à l’égard de Dieu est
la chose la plus déchirante »1.
Seulement, si une telle endurance doit être exercée avec une telle ardeur et une
telle assiduité par le croyant, il peut être amené à vivre la dévotion comme une
supplice ou une peine à purger propre à un déséquilibre spirituel menant vers une
mortification gratuite et excessive. C’est ici que la pratique du shukr (la
reconnaissance en Dieu), à côté du abr, revêt tout son sens, et que se justifie
l’inséparabilité des deux états d’âme, notamment dans les conceptions des générations
ultérieures2.
1
Junayd A. Q., Enseignement spirituel (traités, lettres, oraisons et sentences), présentation et
traduction de Deladrière R., Sindbad, Paris, 1983, p : 192.
2
Cf les stations ou étapes de la certitude en annexes.
3
Par le mot « reconnaissance » nous cherchons à englober les différents sens liés à l’attitude complexe
du croyant qui rend grâce à Dieu.
4
Ghazali, Muhtasar ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p : 225.
5
Le Coran, op. cit., Sourate Âl ‛Imrân (3), v. 144.
98
En prenant conscience des bienfaits qui l’entourent, telles que les richesses de
la nature et tout le confort matériel qui conditionnent et agrémentent sa vie, le croyant
s’accorde avec le Coran qu’il a été favorisé par Dieu, parmi toute sa créature 2. En
cela, il éprouve un sentiment de reconnaissance, lequel s’accentue au regard de la
santé, de l’harmonie et des attributs exceptionnels dont bénéficie sa personne
physique, au dessus de tous les éléments de la nature. Il a alors un devoir d’action de
grâce auquel l’appelle Dieu et qui doit dépasser cette première prise de conscience.
1
Qushayrî, op.cit., p : 137.
2
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Isrâ‘ (17), v. 70.
3
Junayd A. Q., Enseignement spirituel, àp. Cit., p : 192.
4
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Baqara (2), v. 152.
99
Il arrive que le soufi pousse cet acte de foi jusqu’à un niveau très profond, en
se rendant compte de son impuissance à être dignement reconnaissant envers son
Seigneur, eu égard à l’immensité de Ses bienfaits ; sur ce, cette quête désespérée
perpétue et intensifie cet état d’âme qui se reflète alors dans ses comportements
physiques et mentaux. A ce propos, Abû ‛Utmân al-Hayrî disait que « la
reconnaissance (ash-shukr véritable est celle d’être conscient de l’incapacité d’être
reconnaissant »1.
C’est ce qui explique sans doute l’attitude du Prophète (psl) qui, d’après
Aïsha , se levait souvent et priait toute la nuit, le visage en larmes, jusqu’à l’aube. Il
3
répondit alors, simplement, à l’inquiétude de celle-ci, par ces mots : « ne dois-je pas
être un serviteur reconnaissant ? »4 Ainsi, c’est par la dévotion que s’accomplit
physiquement la reconnaissance.
Par ailleurs, la zakât ou « l’aumône obligatoire » doit être prélevée des biens
de tout musulman, selon les spécification du droit, dans le but de purifier le reste du
bien, pour rejoindre le sens étymologique, mais aussi dans le but de donner la part de
grâce de ce bien. Or, ce ne sont pas que ces biens matériels qui doivent être
« purifiés », « la zakât est prescrite pour toute chose » a dit le Prophète (psl)5. Si tel
est le cas, et que même pour une maison on doit prévoir une chambre pour étranger
comme zakât, qu’en devrait-il être pour les plus grands bienfaits du corps humain ?
1
Abû ‛Utm a‛îd Ism ‛îl al-Hayrî, un soufi de Nishapur, il mourut en 298H/911. Cf. Qushayrî,
op.cit., p : 138.
2
Ghazali, Muhtasar ihyâ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p : 225.
3
Aïcha b.Abî Bakr, épouse du Prophète (58H/678) ; elle a rapporté beaucoup de t.
4
Qushayrî, op.cit., p : 137.
5
D’après un adît rapporté par Anas b. Mâlik, cf. Qushayrî, op.cit.
100
C’est ainsi que pour le devoir de zakât considéré comme un acte ponctuel par
le juriste (al-faqîh), le soufi, lui, y voit une indication (ishâra) qui renvoie à un
comportement plus constant et plus complexe grâce à sa pratique assidue de la
reconnaissance1.
«La reconnaissance est donc l’utilisation des bienfaits confor é ent à ce pourquoi
ils ont été créés. »2
Si les biens de la terre ont été mis à la disposition de l’homme, celui-ci, d’après
le Coran, a été créé pour être au service de Dieu. Alors, il doit investir tout son corps
dans cette tâche.
1
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p: 557.
2
Ghazali, Muhtasar ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p : 226.
101
Il faut d’abord reconna tre que toutes les deux dimensions précédentes de la
reconnaissance s’appuient essentiellement sur la motivation de l’individu ; et à force
d’être pratiquées, elles ont une incidence notable sur son domaine affectif qui a pour
siège l’âme et le cœur. Ainsi, le niveau le plus élevé du shukr est celui qui se situe au
cœur du dévot et qui se traduit par différents aspects.
En effet, la langue, tout en rendant grâce par la parole, doit aussi se préserver
de la calomnie, des mensonges…
Les yeux lisent le Coran et évitent de regarder l’illicite ;
L’oreille doit éviter d’écouter l’illicite.
1
Ibidem, p : 225.
2
Junayd A. Q., Enseignement spirituel, op.cit., p : 138.
3
Cf. annexe : listes des soufis. Ce sont « les gens de la hutte » qui se remarquèrent parmi les
compagnons du Prophète (psl) pour leur ascétisme.
102
4. 3.1. Présentation :
Tout en traitant la même question, ces deux textes permettent de confronter les
styles différents de leurs auteurs et de noter la complémentarité de leur contenu.
Seulement, il fait partie des rares sources qui donnent des informations assez
précieuses sur les premiers soufis. D’ailleurs, le texte dont il est question ici donne des
renseignements sur les appréciations de asa al- a rî à propos de l’endurance.
Il est décédé aux environs de 608H/12121
Texte n° 1
asan Bas rî dit un jour à ses familiers3 : « Vous autres, vous ressemblez
aux co pagnons de l’Envoyé, sur lui soit le salut ! » Eux tous de se réjouir, mais il
ajouta : « Ce sont vos visages et vos barbes qui portent cette ressemblance, mais rien
d’autre en vous. De plus, si vous les aviez vus, tous vous auraient fait l’effet
d’insensés. Eux, de leur côté, s’il vous avaient vus, n’auraient pas traité de vrai
musul an un seul d’entre vous ; étant entendu qu’eux tous, dans la pratique de la foi,
étaient comme des cavaliers montés sur des chevaux rapides, ou comme le vent, ou
1
Cf. la partie introductive de Attar F. D., Mémorial des saints, trad. Tadhkirat al-awliyâ’, seuil, Paris,
1976.
2
Ghazali A. H., Muhtasar ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p : 225.
3
Attar F. D., Mémorial des saints, op. cit., pp : 53, 54.
104
encore co e l’oiseau qui vole dans les airs ; tandis que nous cheminons comme
montés sur des ânes qui ont une plaie sur le dos. »
On raconte qu’un arabe, étant venu trouver asa a rî, lui demanda ce que
c’était que la patience. « Il y a, répondit asa a rî, deux espèces de patience :
L’une consiste à supporter courageuse ent l’affliction et les cala ités, à ne
pas commettre les actions que le Seigneur très Haut nous a interdites ;
Et l’autre à ne ja ais prêter l’oreille aux suggestions de sha ân (Satan).
- Pour oi, dit l’arabe, je n’ai ja ais vu personne plus retiré de ce monde et plus
patient que toi.
- Hélas ! dit Hasan, mon renoncement au monde et ma patience ne peuvent être
comptés pour rien.
- Pourquoi parles-tu ainsi ? s’écria l’arabe.
- Parce que, si je pratique le renonce ent, ce n’est que par crainte du feu de l’Enfer ;
et je ne suis fidèle à la patience que parce que j’espère entrer en possession du
Paradis. Or celui-là seul érite d’être co pté qui, sans s’inquiéter de sa tranquillité
à lui, pratique la patience pour le Seigneur très Haut, et dont le renoncement n’a pas
pour but le Paradis, mais uniquement le désir de plaire à Dieu. Une telle manière
d’agir est le signe anifeste de la sincérité du cœur.
Texte n° 2
1
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Marifa, Le Caire, 1981, pp :144, 145.
105
« La longani ité n’est reconnue co e telle que si elle s’opère dès le pre ier
coup. »
Quant à la longanimité qui est liée aux efforts (ou à la volonté), elle est de deux
types :
La longani ité dans l’exécution des reco andations de Dieu le rès-haut ;
La longani ité dans l’abstinence par rapport à ses interdits.
J’ai entendu du shayh Abû ‛ d ar-Ra mân as-Sulamî que, selon usa
a yâ, selon Ja‛far b. Muh ammad, Junayd disait :
« Passer de cette vie à l’autre est facile et est peu de chose pour le croyant ;
abandonner les créatures pour la cause de Dieu est pénible ; passer du « moi » à
Dieu est difficile et douloureux ; ais faire preuve de patience à l’égard de Dieu est
la chose la plus déchirante ».
On lui demanda à propos de (celui qui pratique) la longanimité, il répondit :
« C’est conna tre la fai à plusieurs reprises sans aucune grise ine. »
ul- sim al- akîm explique que les propos du Très-haut : « sois constant
(a bir) » expriment un ordre pour la dévotion (ponctuelle) (al-‛ibâda), tandis que
ceux-ci : « a longani ité n’existe que par Dieu », ils font allusion à la Servitude
(constante) (‛ubûdiyya). Celui qui monte du niveau de « pour Toi » à celui de « par
106
Toi » a évolué du stade du (simple acte de) dévotion (‛ibâda) au niveau (de la
constance) de la Servitude (‛ubûdiyya . C’est pour cela que le Prophète psl disait :
« Par Toi je vis et par Toi je meurs. »
J’ai entendu du a tre Abû ‛ d ar-Ra mân as-Sulamî que, selon Abû
Ja‛far ar-Râzî, selon ‛Iyâsh, Ahmad disait : J’ai de andé à Abû Sulaymân à propos
de la longanimité il répondit :
« Par Dieu nous ne sommes même pas constants en ce qui nous plaît, comment
pouvons nous l’être en ce qui ne nous pla t pas !? »
Dhun-Nûn disait :
« La longani ité c’est de s’éloigner des déviations péchés , être serein devant la
succession étouffante des calamités et afficher la suffisance tout en vivant la pauvreté
dans les situations de la vie. »
Ibn ‛ â disait que la longanimité est de conserver avec le malheur les règles
de bienséance.
D’aucuns disent que la longani ité c’est l’extinction al-fanâ ) dans les
calamités sans faire échapper de plaintes.
Abû ‛Utmân disait que le longanime (a - abbâr est celui qui s’est habitué à
affronter les contraintes (al-makârih).
On dit aussi que la longani ité c’est d’observer avec le alheur les ê es
règles de bienséance qu’on aurait observées dans le confort.
‛Amru b. ‛Utmân disait que la longanimité c’est d’être constant avec Dieu le
Très-haut et de recevoir les bras ouverts, dans la douceur, ses épreuves (balâ ).
a u‛âdh disait :
« La longanimité de ceux qui aiment Dieu (al-mu ibbûn) est beaucoup plus intense
que celle de ceux qui pratiquent le détachement (az-zâhidûn), ô combien ils sont
endurants ! »
Ruwaym dit que la longani ité c’est de laisser toute sorte de lamentation.
Texte n° 3
1
Le Coran, op. cit., Sourate An-Nah 96.
2
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Ma‛rifa, Le Caire, 1981, pp :137, 138.
108
ul- asan ‛Alî b. Ahmad al-Ahwâzî nous a raconté que, selon ul- asa
a - affâr, d’après al- s î, selon Munjâb, selon a a‛lî, d’après
abbâb, ‛At â dit :
Un jour, j’entrai chez ‛Aïsha que Dieu l’agrée , acco pagné de ‛Ubayd b. ‛Umayr,
je lui dis :
- Renseigne nous sur ce que vous avez remarqué de plus étonnant chez le Prophète
(psl). Elle pleura et dit :
- Il n’y a rien de plus étonnant chez lui que ceci : une nuit, il ’acco pagna dans
on lit ou d’après une autre version dans a couverture jusqu’à ce qu’on se
touchât, il me dit alors :
- O fille d’Abu Bakr, per ets oi d’aller adorer on Seigneur. Je lui dis :
- Je voulais être près de toi.
Je le lui permis.
Il alla prendre une outre d’eau et fis ses ablutions ; il versa beaucoup d’eau puis se
leva pour prier. Il pleura jusqu’à ouiller sa poitrine de lar es, il s’inclina, pleura,
se prosterna, pleura, se redressa et pleura. Il ne cessa de faire ainsi jusqu’à ce que
Bilâl v nt l’appeler à la prière. Alors, je lui dis : ô Envoyé de Dieu, qu’est-ce qui te
fait pleurer alors que Dieu a bien dit qu’Il t’a pardonné tes péchés du pre ier au
dernier?
Il répondit : ne dois-je pas être un serviteur reconnaissant ? […]
les bienfaits de la Vérité pour le serviteur sont de lui gratifier par son assistance
(tawfîq) à être reconnaissant à Son égard.
amd al- a âr dit que la reconnaissance du bienfait est de s’y voir soi
même tout-petit.
Junayd dit que la reconnaissance c’est de ne voir en soi aucun érite pour le
bienfait (dont on a bénéficié).
On dit que celui qui rend grâce (ash-shâkir) est celui qui le fait eu égard à ce
qu’on lui donne. Quant au reconnaissant (ash-shakûr c’est celui qui rend grâce pour
avoir perdu.
On dit que celui qui rend grâce (ash-shâkir) est celui qui le fait eu égard à un
soutien. Quant au reconnaissant (ash-shakûr c’est celui qui rend grâce pour avoir
accusé un refus.
On dit que celui qui rend grâce (ash-shâkir) est celui qui le fait eu égard à un
intérêt. Quant au reconnaissant (ash-shakûr c’est celui qui rend grâce pour avoir été
empêché.
On dit que celui qui rend grâce (ash-shâkir) est celui qui le fait eu égard à une
gratification. Quant au reconnaissant (ash-shakûr) c’est celui qui rend grâce pour
avoir été affligé (al-balâ ).
111
On dit que celui qui rend grâce (ash-shâkir) est celui qui le fait par la
dépense. Quant au reconnaissant (ash-shakûr) c’est celui qui rend grâce pour avoir
été à plat dans l’incapacité de donner al-matl).
J’ai entendu du a tre Abû ‛ d ar-Ra mân as-Sulamî que, selon le maître
Abû Sahl as- u‛lûkî, d’après al- ur a‛ish, Junayd dit :
« Un jour, j’étais entrain de jouer devant Sarî alors que j’étais âgé de sept ans. Il
était avec une assistance entrain de causer à propos de la reconnaissance. Il me dit :
- Mon enfant, qu’est-ce que la reconnaissance ?
Je répondis (spontanément) : « c’est le fait de ne ja ais désobéir Dieu par l’un
quelconque de Ses bienfaits. »
Il me dit : on plus grand don de la part de Dieu risque d’être ta langue.
Et depuis, je ne cesse de pleurer à propos de ces ots d’as-Sarî »
4. 3.3. Analyse :
La majorité des propos qu’il a rapporté des soufis traite séparément l’un ou l’autre
aspect de la question tel qu’il l’a analysée, à l’exception de deux explications :
Al-Hawâs est plus englobant dans sa définition, car il soutient que la
longanimité c’est de « se conformer constamment à la loi du Livre et de la Sunna »,
ainsi il voit que toute l’attitude du soufi se résume en la longanimité.
a u‛âdh soutient quant à lui que ceux qui aiment Dieu ont une
longanimité particulière ; ce qu’il illustre par les vers suivants :
« La longanimité est vraiment agréable dans tous les domaines, tous
Sauf si c’est à on égard, là elle devient désagréable. »
Autrement dit, les amoureux (al-mu ibbûn) peuvent supporter avec aisance
toutes les difficultés liées aux privations sauf s’il s’agit d’être privé de la Présence de
Dieu en eux. Il fait sans doute allusion à la fin de l’ivresse (as-sukr) et au retour de la
lucidité (a - a w)3. Cet état d’esprit du soufi sera traité dans la partie suivante. On
peut toutefois considérer ce ressentiment des amoureux comme une forme
d’expression de la longanimité dans la douleur.
Par ailleurs, il faut noter que les soufis s’expriment selon l’état d’âme âl)
qu’ils vivent au moment où ils proposent leur définition. C’est ainsi que la même
1
La traduction de Courteille en français manque de précision et comporte quelques incorrections par
endroit. On regrette de ne pouvoir travailler sur l’original qui a été écrit en Ouïgour.
2
Cf. supra, p : 54 et 77 pour l’analyse du style d’Al-Qushayrî.
3
Cf. infra chapitre IX, p :191.
114
La dernière définition est plus proche de l’état de la remise confiante en Dieu (at-
tawakkul), que l’auteur était probablement entrain de vivre. Tandis que sa première
explication rejoint l’analyse faite précédemment dans ce chapitre.
Ainsi, le soufi commence par ressentir son insignifiance2 face à tous les
bienfaits du Seigneur qui dépassent la dimension de sa modeste personne, puis il se
sent envahi par l’impression d’être incapable d’exprimer une reconnaissance digne de
ce nom3. Finalement, il considère cet état qu’il est entrain de vivre comme un bienfait
supplémentaire pour lequel il doit encore exprimer sa reconnaissance 4. Alors, il
apprécie l’infinité de la grâce5 du Seigneur et voit en toute chose, même quand il
s’agit d’une perte, un bienfait qui mérite reconnaissance. C’est par ce dernier point
que, selon l’auteur, se démarque le reconnaissant (ash-shakûr) de celui qui,
simplement, rend grâce (ash-shâkir).
1
Cf. texte n° 3.
2
Cf. texte n° 3 avec l’explication de amd al- a âr et de Junayd.
3
Cf. texte n° 3, c’est l’avis d’Abû ‛Utmân et de Ruwaym.
4
Cf. texte n° 3, étant un avis assez répandu, l’auteur l’impersonnalise par le pronom indéfini « on ».
5
Abû Bakr al-Warrâq est de cet avis.
115
Au-delà du sens commun qui renvoie à la peur, le hawf dans le a awwuf est
consacré à une attitude psychique assez complexe du croyant qui définit ses relations
spirituelles avec le Tout puissant et celles entretenues avec le reste de la créature.
Ainsi, al-Qushayrî le définit sommairement comme « la crainte de voir venir un fait
non souhaité ou de perdre une chose à laquelle on s’attache »2. Au même moment,
dans le même passage, le rajâ se traduit par « le souhait profond de voir se réaliser
une chose dans le futur ».
Ils peuvent donc être compris simplement comme deux sentiments qui, sans se
confondre, se projettent ensemble dans le futur et se soutiennent par opposition.
Le hawf est une crainte et le rajâ est un espoir, or derrière tout espoir il y a la
crainte de ne voir se réaliser l’objet de l’espoir ; cela est aussi valable pour la crainte.
Plus qu’un simple sentiment, chez le soufi, ces deux notions renvoient à des états
d’esprit permanents et soutenus.
Si les premiers soufis pratiquaient cette intense dévotion qui les caractérisait,
c’est en grande partie en faveur d’un état dans lequel baignaient leurs âmes ou leurs
cœurs : ils étaient pris entre la crainte révérencielle (al-hawf) et l’espoir (ar-rajâ ).
La crainte et l’espoir disait Sahl at-Tustarî « sont les deux parents (père et
ère de la foi … ils ne peuvent cohabiter avec l’orgueil dans un ê e cœur. »3
hawf et au rajâ . En effet, il semble qu’on ne peut les pratiquer comme on l’aurait fait
avec le abr, mais ici l’âme vit des états exclusivement statiques, qui s’affirment, se
renforcent ou s’atténuent en faveur des relations du dévot avec deux éléments
essentiels et déterminants dans la vie du Soufi : le péché et l’agrément.
« C’est le diable qui vous fait peur de ses adhérents. N’ayez donc pas peur d’eux.
Mais ayez peur de Moi, si vous êtes croyants. »1
Dans ses moments de crainte, le croyant essaye par toute sa force physique et
mentale de maîtriser son « âme charnelle » en fuyant les interdits. Il a ainsi peur de
faire un faux pas, il vit un état de crainte, communément spécifié par les soufis comme
le uzn ou l’attrition.
Quant à la tension de contrôle qu’il exerce sur lui-même, elle s’opère grâce à
sa conscience et sa ferme volonté de ne pas faillir. Cette attitude dynamique est
assimilable à une maîtrise de soi (al-wara‛). Il a alors peur de devoir rendre compte de
ses actes. C’est ce sentiment qu’éprouvait Abû bakr lorsqu’il enviait l’oiseau :
« Ô ! Si je pouvais être créé oiseau comme toi !! »2 A son tour, Abû dharr al-Ghifârî
disait avec regret « j’aurais ai é être un arbre ! »3
C’est cette attitude profonde de crainte révérencielle qui fait dire à Ahmad al-
‛ âqî4 que « le plus proche du Salut parmi la créature est celui qui craint le plus de
ne pouvoir échapper ».
1
Le Coran, op. cit., Sourate Âl ‛Imrân (3), v.175.
2
, Abû Bakr, compagnon du prophète, son premier calife, il mourut en l’an 13H/635. Pour la citation,
cf. Ghazali, Muhtasar ihyâ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p : 234.
3
Idem. Il était un compagnon du Prophète et a rapporté beaucoup de ît. Il fit partie des « gens de
la banquette » et mourut à l’an 30 de l’Hégire (651).
4
Il fit partie des compagnons de u âsibî. Cf:Attar F. D., op. cit., p : 262.
5
Le Coran, op. cit., Sourate A - alâq (65), v. 5.
118
« Dis : ‘Ô Mes serviteurs qui avez co is des excès à votre propre détri ent, ne
désespérez pas de la iséricorde d’Allah. Car Allah pardonne tous les péchés.
Oui, c’est Lui le Pardonneur, le très Miséricordieux. »1
En effet, c’est dans l’espoir de voir ses péchés effacés ou même substitués par
du bien que le croyant décide de se repentir. C’est donc en toute connaissance de sa
Miséricorde qu’il ose demander pardon. Ainsi, le repentir (at-tawba) traité
précédemment, quelles que soient ses dimensions, s’appuie toujours sur l’espoir (ar-
rajâ ).
C’est aussi par l’espoir du Salut et d’une récompense que le dévot exerce sur
lui-même des épreuves physiques et mentales caractérisant son détachement de ce
monde, ainsi que le respect scrupuleux de Ses recommandations comme signe de
reconnaissance. C’est pour cela que la longanimité du soufi dans le but d’obtenir
l’agrément est soutenue par l’espoir.
1
Ibidem, Sourate Az-Zumar (39), v. 53.
2
Qushayrî, op.cit., p : 106.
119
Certains penseurs comme Ghannî1 ont dégagé trois niveaux pour la crainte :
Une simple crainte assimilable à la peur de l’enfant face aux menaces. Elle
s’apparente à celle liée au péché, développée plus haut ;
Une crainte désespérée qui frise la terreur et la paranoïa de ceux qui se sentent
perdus ou qui doutent. Tout croyant est préservé de celle-ci par l’espoir. Elle
ne concerne pas pour cela le soufi ;
Une crainte équilibrée (mu‛tadil) du connaisseur (al-‛ârif) qui éloigne des
péchés et stimule vers la dévotion, elle s’appuie sur l’espoir.
C’est cette dernière qui semble être plus profonde que la première et qui, au delà
de l’attitude de contrôle de soi (al-wara‛), se traduit par une accentuation de la
dévotion. Ainsi, elle renvoie davantage à la piété (at-taqwâ). Cet état d’esprit a été
plus tard théorisé par Junayd2 à travers la Ma‛rifa (la Connaissance ou la Gnose).
1
Ghannî Q., op. cit., p :500.
2
Ndiaye S., op.cit., p :29.
3
Le Coran, op. cit., Sourate Fât 28.
4
Junayd A. Q., op.cit., p :154;
120
appelons que c’est ici, chez Junayd, que la longanimité est d’une ultime
intensité difficile à supporter : la disparition de l’état d’ivresse (as-sukr) par la
réapparition du moi est douloureusement ressentie et doit être supportée avec patience
dans la crainte et l’espoir. Selon lui, c’est là où s’opèrent certains écarts : les assoiffés
et nostalgiques de l’ivresse s’explosent par impatience et ils se perdent dans la
recherche de l’extinction (al-fanâ ) qui restera la finalité de leurs efforts et de leurs
lamentations1.
C’est cette idée de connaissance comme support du hawf qui pousse Ghazali à
dire que : «la crainte véritable naît de la certitude »2.
En effet, cette crainte révérencielle qui caractérisait les premiers soufis comme
l- a rî est subséquente au témoignage de l’unicité de Dieu (a - a îd). C’est cet
état d’esprit qui pousse le dévot à ne jamais être confiant de ses bonnes actions (at-ta
‛ajjub).
D’ailleurs, selon une tradition rapportée par ‛Aïsha, celle-ci demanda à être
édifiée sur ceux à qui le verset suivant faisait allusion :
« Ceux qui donnent ce qu’ils donnent, tandis que leurs cœurs sont pleins de crainte à
la pensée qu’ils doivent retourner à leur Seigneur. »3
Elle croyait qu’il s’agissait des pécheurs ; mais le Prophète (psl) lui précisa que
le verset évoquait «celui qui je ne, prie, donne de la charité et craint de n’avoir pas
suffisamment bien fait pour être agréé »4.
C’est précisément cet état de hashya ou de hayba que vivait l Imam ‛Alî.
Souvent, à l’heure de la prière, il tremblait et pâlissait. Interrogé, il répondait :
« Il est l’heure d’assu er la responsabilité que Dieu avait proposée aux cieux, à la
terre et aux montagnes et qu’ils avaient refusé et seul l’Ho e l’avait acceptée ; et je
ne suis pas sûr de pouvoir bien assumer mon engagement. »1
1
A propos de l’opposition entre Junayd et allaj cf. Ndiaye S., op.cit.
2
Ghannî Q., op. cit., p: 499.
3
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Mu’minûn (23), v. 60.
4
Qushayrî, op.cit., p :102.
121
Les soufis sont donc unanimes à penser que si tous les états, attitudes ou
comportement du dévot s’appuient sur l’espoir, celui-ci se fonde sur la crainte
révérencielle. Ainsi, disait Abû Sulaymân ad-Dârây « un espoir sans crainte détruit
le cœur ».2
Dhun-Nûn, quant à lui, décrète qu’«on est sur la voie tant qu’on est avec la
crainte ».3
A ce propos, la plupart de ces soufis pensent que : «la dévotion fondée sur
l’espoir de Sa grâce et de Sa générosité est meilleure que celle motivée par la crainte
de Son châtiment »5.
Toujours est-il que la crainte et l’espoir sont deux états intimement liés et sont
à la base de la dévotion accentuée des premiers soufis. Ils ont tous les deux pour siège
1
, sî , Kitâb al-luma’ pp :179 à 182.
2
Il était de Dârâ, près de Damas, il mourut en 215H/830, cf. Attar F. D., op. cit. p:218.
3
C’est un soufi égyptien, mort en 245H/859. Cf. Qushayrî, op. cit.
4
Ghazali, Muhtasar ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p : 228.
5
Ghannî Q., op. cit., p: 501.
122
l’âme du croyant. L’espoir est un état d’esprit qui accompagne et équilibre toujours la
crainte dans son évolution complexe entre deux stades essentiels.
1
‛Alî b. Abî âlib, Du‛â’ Kumayl, Mu’assasa al-kitâb al-islâmî, Paris p: 17.
123
5. 3.1. Présentation :
Par ailleurs, chez d’autres, domine cette autre dimension qui accro t la piété
(at-taqwâ), à travers laquelle le dévot craint de ne pouvoir adorer ni suffisamment ni
convenablement son Seigneur. En cela, il est rassuré par l’espoir de Son agrément.
Texte n° 1
1
Cf. texte n° 1
2
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Ma‛rifa, Le Caire, 1981, pp :100, 101.
124
« Celui qui pleure par crainte révérencielle n’entrera ja ais en Enfer tant que
le lait ne pourra retourner à la mamelle. De même, la poussière (soulevée par une
activité) sur la voie de Dieu et la fumée de la Géhenne ne peuvent jamais être
reniflées de suite par le nez d’un ê e serviteur. »
Je dis que la crainte est liée au futur par sa signification ; en effet, elle se
traduit par la crainte de voir venir un fait non souhaité ou de perdre une chose à
laquelle on s’attache. Et la réalisation ou la perte de cette chose se projette forcé ent
dans le futur. Quant à ce qui dans le présent se réalise, la crainte n’en est pas liée.
La crainte en Dieu le Très-haut se traduit par la peur de Son châtiment dans
ce onde ou dans l’autre.
D’autre part, Dieu l’Exalté a fait de cette crainte une obligation pour les
serviteurs. Sur ce, Il dit :
« …Et craignez-Moi si vous êtes vraiment croyants. »
Il dit encore : « Ne redoutez que Moi… »
J’ai entendu le maître Abû ‛Alî ad-Daqqâq dire que la crainte est de
plusieurs étapes :
« La crainte par attrition (al- uz ) ;
La crainte par piété (al-hashya) ;
Et la crainte par connaissance (al-hayba).
La première est une condition pour la foi ; ce qui la justifie est le fait que Dieu le
Très-haut ait dit :
« Craignez-moi si vraiment vous croyez. »
J’ai entendu le a tre Abû ‛ d ar-Ra mân as-Sulamî dire que, d’après
u ammad b. ‛Alî al-Hayrî, selon Mahfûz, selon a :
« La crainte est un fouet de Dieu par lequel Il conduit les égarés jusqu’à Sa porte. »
ul- sim al- akîm soutient que la crainte est de deux sortes : la peur ou
terreur (rahba) et la crainte révérencielle (al-hashya). Ainsi, celui qui est saisi par la
terreur se réfugie dans la fuite, tandis que celui qui est pris de crainte se réfugie
auprès du Seigneur. […]
1
Le Coran, op. cit., Sourate Fâ ir (35), v. 28.
126
J’ai entendu le a tre Abû ‛Alî ad-Daqqâq dire que la crainte c’est de ne pas
s’e barrasser de « il se peut que… », « Il pourra… »
Ibn al-Jallâd dit que celui qui est saisi de crainte c’est celui qui est rassuré
par tout ce qui fait peur.
D’aucuns disent que celui qui craint n’est point celui qui pleure et essuie ses
lar es ais plutôt celui qui abandonne ce pour lequel il craint d’être puni.
On a demandé à a l : « Pourquoi ne pouvons nous pas voir celui qui est saisi
de crainte révérencielle tels qu’ils sont décrits ? Il répondit :
« Si vous craigniez vous auriez pu voir ceux qui craignent, car celui qui craint ne voit
que ceux qui sont saisis de crainte ; c’est seule une femme privée de son enfant qui est
à même de voir (comprendre) celle qui est dans la même situation. »
ul- sim al- akîm dit que quiconque a peur d’une chose la fuit et celui
qui craint Dieu le Tout-puissant s’enfuit vers Lui.
serviteur ? Il répondit : s’il se et dans la peau d’un alade, il évitera ainsi toute
chose par peur de faire durer sa maladie.
Texte n° 2
On raconte1 qu’un jour, Ja‛ ar a - âdiq, étant assis avec ses compagnons
fidèles, leur dit :
« Venez, mes amis, faisons entre nous tous cette convention que, quels que soient
ceux d’entre nous qui seront glorifiés au jour de la Résurrection, nous intercéderons
les uns pour les autres et adresserons nos supplications au Seigneur très Haut. » Ses
fidèles lui répondirent : « Fils du Prophète, toi qui a un père co e le tien qu’as-tu
besoin de notre intercession ? C’est à ton père qu’il appartiendra d’intercéder pour
tous.
- Moi, dit Ja‛ ar a - âdiq rougissant, avec toutes ces auvaises actions que j’ai
co ises, je n’oserai ê e pas au jour de la Résurrection, regarder le visage de
Muhammad, mon père, et de ima ma mère. »
On raconte que Ja‛ ar a - âdiq se confina pendant quelque temps dans une
retraite d’où il ne sortait pas. Un jour, un docteur no é Sufyân at-Tawrî, vint le
trouver et lui dit : « - Ô fils du Prophète ! Le peuple désespère d’entendre encore ta
parole bénie. Pourquoi ne sors-tu pas de cette retraite ?
- Parce que, répondit Ja‛ ar a - âdiq, les te ps sont devenus durs, que les œurs du
peuple se sont altérées et qu’il ne reste plus ni sincérité, ni pureté au ilieu des
hommes. » […]
1
Attar F. D., Mémorial des saints, op. cit., pp : 23, 24.
128
5. 3.3. Analyse :
1
Pour le style de cet auteur, voir infra, pp : 54 et 77.
2
Cette notion est longuement développée au premier chapitre de cette recherche.
129
dimension donnée, car elle est plus englobante. Par ailleurs cette crainte profonde
désignée par hashya naît impérativement de la connaissance.
Le texte suivant raconte de l’un des premiers soufis l’Imam Ja‛far trois attitudes
qui marquent sa crainte révérencielle. Plus précisément, ce texte illustre la première
dimension où le soufi se préoccupe beaucoup du châtiment du jour du Jugement.
C’est ainsi qu’il organise un pacte d’intercession entre lui et ses compagnons au
dernier Jour. Puis il observe une retraite par peur de tomber dans les tentations de
déviation de son époque.
Quant au troisième fait raconté, il semble faire partie des nombreux passages
élogieux quels que peu fondés où l’auteur, ou l’un des éléments de sa chaîne de
transmission (orale), semble attribuer des propos à un soufi sur l’appréciation de son
propre niveau spirituel. En effet, on ne peut pas comprendre qu’un personnage aussi
modeste que l’Imam Ja‛far, avec la crainte qu’il a exprimée plus haut dans le même
texte, puisse prétendre avoir complètement chassé l’orgueil de son cœur et être élevé
par Dieu à un niveau si éminent.
130
Aussi, même si quelque part ailleurs le dhikr renvoie à une mention furtive, un
bref rappel par la bouche ou dans la conscience, le Coran insiste, par d’innombrables
passages, sur un souvenir permanent de Dieu. Son évocation constante doit non
seulement être un rempart contre le grand oubli, mais surtout un moyen dynamique de
purifier le cœur et d’occuper l’â e.
« Evoquez beaucoup Allah afin que vous réussissiez. »1
1
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Jum‛a (62), v. 10. Ici le traducteur a préférer le verbe invoquer qui,
pour ce qui nous concerne, est trop restrictif et exclue l’aspect « répétition incessante » ou souvenir,
désormais nous prendrons l’initiative à chaque fois de traduire dhikr selon le sens qui nous paraît plus
adéquat.
2
Ghannî Q., op. cit, p:515.
3
Ndiaye S., op.cit., p:9.
131
Le terme Mufarridûn est probablement lié à celui de u a idûn qui désigne ceux
qui pratiquent le a îd.
Pour avoir son effet véritable de souvenir de Dieu, cette évocation ne peut
s’effectuer sans une condition préalable de volonté de retour à Dieu (at-tawba) ; celle-
ci se réalise par une recherche de pureté de l’â e (par le détachement) et du corps (par
la ahâra).
Le dhikr peut être traité sous plusieurs angles, suivant les niveaux et les
modalités qu’on lui donne. L’étude très poussée de Ghazali sur la question donne
quatre niveaux de l’évocation de Dieu.
L’évocation par la langue sans aucune présence d’esprit : le cœur est alors
absent de la pratique ;
L’évocation qui agit sur le cœur par des efforts de concentration ;
Une évocation permanente dans le cœur ;
L’Evoqué s’empare du cœur de l’évocateur, il n’a plus conscience de
l’évocation4.
1
Abû Hurayra ‛ d ar-Ra mân ad-Dûsî (58/679), compagnon du prophète, il était son serviteur et
pour cette raison sans doute a rapporté de lui près de 5374 hadît. Il fit partie des »gens de la hutte ».
2
Muslim, op.cit., H :2676.
3
Qushayrî, op.cit., p :174.
4
Ghazali, Kimiyâ sa âdat, in Ghannî Q., op. cit, p: 517.
132
Dans un même sens, l’analyse qui suit permet de voir les modalités et voies
d’évocations authentifiées au temps des premiers compagnons du Prophète (psl), afin
d’en tirer les rapports avec leur dévotion.
6. 1. La répétition incessante :
Dans certains de ses passages, le Coran est plus précis quant à l’objet de
l’évocation :
« Et évoque le nom de ton Seigneur et consacre-toi totalement à Lui. »1
« Et évoque le nom de ton Seigneur, matin et après-midi. »2
« Ceux qui ont cru, et dont les cœurs se tranquillisent à l’évocation d’Allah, n’est-ce
point par l’évocation d’Allah que se tranquillisent les cœurs ? »3
On peut bien considérer le dhikr comme faisant partie des actes de dévotion du
croyant grâce au propos rapporté du Prophète (psl) par Abû Dardâ 4, à travers lequel
il classait l’évocation de Dieu loin devant tous les autres, y compris la largesse dans
ses biens et le fait d’affronter l’ennemi au nom de Dieu. Le dhikr, selon lui, élève le
croyant aux plus hauts niveaux et fait partie de ses plus pures actions auprès de Dieu5.
1
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Muzammil (73), v. 8.
2
Ibidem, Sourate Al-Insân (76), v. 25.
3
Ibidem, Sourate Ar- a’d (13), v. 28.
4
Abû Dardâ‘ ‛ a mir ‛ mir, compagnons du prophète, il fait partie des membres de la banquette
(as -s uffa), il est mort dans le shâm en l’an 32H/653.
5
Qushayrî, op.cit., p : 172.
6
Le tasbîh 33 fois, le h amdalah 33fois et le takbîr 33 fois.
133
Les termes su ânallah (gloire et pureté à Dieu), allâhu akbar (Seul Dieu est
grand), lui font voir l’insignifiance de toute chose, y compris lui-même, à côté de
Dieu. Il mesure alors la puissance de la volonté de celui qui est le Maître de la
créature.
Le terme al amdulilâh (grâce à Dieu) le fait revoir l’immensité des bienfaits,
devant l’impuissance d’une quelconque rétribution de sa part, même de la plus petite
reconnaissance digne de ce nom.
« Quiconque prononce (cette formule) cent fois dans une journée : Lâ ilâha il-
lal-l h a dah l sharî a lah lahul-mul a lahul- amd wa huwa ‛alâ kulli
sha i adîr Il n’y a de Dieu qu’Allah Lui Seul sans associé, à Lui la Souveraineté
et la Gloire, Il est le Puissant qui est capable de toute chose , aura l’équivalent en
récompense de celui qui a affranchi dix esclaves, on notera pour son compte cent
récompenses asanât) et on effacera pour lui cent péchés (sa i ât) et cet acte sera
pour lui, ce jour-là, une protection contre Satan, jusqu’au soir.
1
Muslim, op.cit., H : 2677. On peut traduire autrement le verbe afiza, par exemple par mémoriser ;
mais l’application et la considération exercée sur ces noms sont sans doute l’objet du propos.
2
Muslim, op.cit., H : 2691.
134
Personne d’autre que lui n’aura fait eilleure chose, si ce n’est celui qui l’aura
répété plus de fois.
Quiconque dit dans une journée : su al-l h a i amdih (Exaltation et Louange
à Dieu), cent fois, ses péchés seront effacés, fûssent-ils aussi considérables que
l’écu e de la er. »
Ce qui, par contre, serait difficile à confirmer est sans doute la formalisation
postérieure sur l’attitude physiologique (respiration) de l’évocateur notée chez certains
soufis des plus récentes générations assimilable à un emprunt de pratiques orientales
(yoga).
Par ailleurs, l’invocation du‛â ) est une autre voie d’évocation de Dieu très
utilisée par le Prophète et ses premiers compagnons. Ainsi, à travers ses traditions, il a
laissé de multiples formules d’invocation de Dieu, en toute circonstance, apprises et
répétée par les fidèles. Elles ont toutes comme finalité, à l’image des noms de Dieu,
Son adoration et l’invocation de Sa miséricorde.
« Ô mon Dieu et Seigneur, me verras- u puni dans ton feu, après que j’aurais cru
sincèrement en Ton unité ? près ce u aura co e u mo cœur de a
connaissance ? Prononcé ma langue de Ton nom ?... »2
1
Pour celui-ci on a pu avoir son fameux recueil : as-sahîfa as-sajjâdiyya, cf. bibliographie
2
‛Alî b. Abî âlib, Du‛â’ Kumayl, op.cit., pp:7,8.
135
Il est intéressant de noter ici que l Imam ‛Alî accorde cette même importance à
la répétition incessante du nom de Dieu, qu’il situe presque au même niveau que cette
fameuse connaissance de Dieu (al-ma‛rifa).
L’expérience a montré chez les soufis qu’à force de pratiquer le dhikr par la
langue et à force de s’appliquer et de l’accompagner d’une concentration intérieure, le
sens profond de la formule ou du nom se fixe dans le cœur et envahit la conscience.
C’est cela qu’ils appellent l’évocation de l’intérieur qui est d’un niveau supérieur. En
effet, ici, l’évocateur, selon leurs témoignages, va jusqu’à sentir tout son corps
évoquer le nom de Dieu, suite à une grande sensation d’envahissement du sens
profond de la formule.
On peut donc parler ici d’une présence d’esprit en Dieu, continue ou prolongée
même après l’arrêt de l’activité de la langue. Ainsi, à force d’évoquer le Tout puissant,
Celui-ci se rapproche de lui et, à terme, S’empare de son être et envahit son âme.
Alors, comme disait Ghazali, il n’a même plus conscience de son activité d’évocation.
C’est sans doute ce qui se dégage des propos de Dieu à travers un adît qudsî,
lorsqu’il dit : « Je suis avec Mon serviteur s’il M’évoque… »2
Arrivé à un tel stade, le dévot se retire de l’emprise de son âme charnelle qui le
fait toujours sombrer dans la négligence (al-ghafla), pour être dominé par la crainte
révérencielle qui le pousse à rechercher l’agrément de Dieu.
1
Junayd A. Q., op.cit., p:82.
2
Muslim, op.cit., H : 2675.
136
En effet, celle-ci est d’autant plus préoccupante que parmi tous les sens, elle
est le plus à même d’échapper assez facilement au contrôle exercé par l’ascète(az-
zâhid) sur lui-même, à travers le wara‛. Celui-ci recourt souvent à l’isolement (al-
‛uzla), pour ne pas pouvoir se boucher les oreilles à tout moment.
Par ailleurs, de toutes les voies du cœur, elle est aussi la première à être ciblée
par le message coranique. C’est par elle que s’éveille l’attention à laquelle fait
allusion ce verset :
« Et quand on récite le Coran, prêtez lui l’oreille attentive ent et observez le silence,
afin que vous obteniez la iséricorde d’Allah. »4
En effet, par l’audition, la parole fait le même effet dans le cœur que celui
obtenu par le récitant, sinon même un impact plus considérable du fait que son
attention peut être mieux focalisée sur le sens et la forme, loin de toutes considérations
1
Il s’agit d’ a r uhammad s al- si î (320H/932), un grand soufi, originaire du
Khourassan, il faisait partie des compagnons de Junayd. Cf. Qushayrî, op.cit., p : 41.
2
Qushayrî, op.cit., p : 173.
3
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p: 638.
4
Le Coran, op. cit, Sourate Al-A‛râf (7), v. 204
137
méta langagières ou d’une quelconque tension introspective qui pourrait s’exercer sur
le lecteur.
L’histoire nous apprend que pour la plupart, les premiers croyants s’étaient
convertis à l’Islam sous l’effet de l’audition de versets coraniques. La conversion de
‛Umar b. al-Ha âb1 est à ce sujet très significatif.
Cette force captivante de l’audition spirituelle sur le cœur s’explique aussi par
le fait que celle-ci recrée le premier schéma : locuteur – récepteur. L’auditeur se
trouve ainsi avoir l’impression d’être interpellé par Dieu Lui-même. Cela devait être
le cas de ‛Umar b. al-Ha âb qui, en entendant réciter le verset suivant : « Le
châtiment de ton Seigneur aura lieu inévitablement »4, fut foudroyé de stupeur, hurla,
perdit connaissance et resta alité malade pendant plus d’un mois5.
1
a ‛Umar b. al- Ha âb, s’est converti sous l’effet de l’audition des premiers versets de la
sourate aha, compagnon, gendre et 2e calife du Prophète, il est connu pour sa rigueur et sa droiture. Il
mourut assassiné en 23H/645. Cf. Hujwîrî, op.cit.p :270.
2
Ce sont deux mécréants de la Mecque réputés pour leur hostilité à l’encontre du Prophète (psl). Le
second est son proche parent, son oncle.
3
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p:640.
4
Le Coran, op. cit, Sourate A - ûr (52), v. 7.
5
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p: 641.
6
Ce sont deux compagnons du Prophète réputés pour leur belle voix, le premier est l’aïeul d ul-
asan al- sh‛arî, le théologien, il fut partisan de ‛Alî î âlib contre u‛âwiya lors de la bataille
de Siffîn. Le second fit partie des compagnons de la banquette (comme le premier) il combattit à Badr
et mourut à Médine en 32H/653. Cf. Hujwîrî, op.cit., p : 286.
138
sa présence des versets coraniques, car disait-il « j’ai e écouter réciter le Coran
d’un autre que oi… »1
D’après le Prophète (psl), à propos du dhikr, Dieu dit ceci : « …Je suis avec
Mon serviteur quand il M’évoque. S’il M’évoque en lui- ê e, je l’évoque en Moi, s’il
M’évoque dans une assistance, Je l’évoque au sein d’un no bre d’individus eilleurs
que lui. S’il se rapproche de Moi d’un shibr e pan , je e rapproche de lui d’une
dhirâ‛ coudée … , s’il se dirige vers Moi, en archant, Je Me précipite à sa
rencontre. »3
Ainsi, le dhikr peut être individuel ou collectif, ou à la limite effectué dans une
assistance. Alors l’évocation peut revêtir une double signification :
1
ûsî, Kitâb al-luma’, op.cit., p:352.
2
ass . Tâbit, poète, compagnon et chantre du prophète, il mourut en 54H/674, cf. Zubayr et al,
op.cit.
3
Muslim, op.cit., H :2675.
139
« Si vous voyez des prairies du paradis allez-y brouter ! On lui demanda ce que
c’était ces prairies du paradis, il répondit les assistances de l’évocation. »1
Dieu, par Sa bonté, a des anges en mouvement qui ne font que suivre les
assistances de l’évocation majâlis adh-dhikr . S’ils en trouvent une ils s’asseyent
avec eux (les évocateurs). Ils déploient alors leurs ailes, les uns après les autres,
jusqu’à occuper l’espace entre eux et le ciel de ce onde. Dès qu’ils les évocateurs
se dispersent, ils (les anges) montent au ciel et Dieu le Tout-puissant leur demande,
bien qu’étant plus avisé qu’eux-mêmes :
- D’où venez-vous ?
Ils répondent :
- Nous venons de chez certains de Tes serviteurs sur terre ; ils magnifiaient Ta
gloire, Ta grandeur et Ton unicité et ils Te louaient et demandaient auprès de Toi.
Il dit :
- Et qu’est-ce qu’ils voulaient de ma part ?
- Ils demandaient Ton Paradis.
- Est-ce qu’ils l’ont vu ?
1
Qushayrî, op.cit., p :174.
2
Muslim, op.cit., H :2689; Buhârî, op.cit., H:6408.
140
- Non ! Ô Seigneur !
- Et qu’en aurait-il été s’ils l’avaient vu ?!
- Ils demandaient aussi protection.
- De quoi ils me demandaient protection ?
- De Ton Enfer.
- L’ont-ils vu ?
- Non ! Ô Seigneur !
- Et qu’en aurait-il été s’ils l’avaient vu ?!
- Et ils invoquaient Ton pardon.
Par ailleurs, tout porte à croire que les gens de la hutte ahl a - uffa)1 faisait
de cette activité une pratique courante au point que le Coran y fit allusion en
s’adressant au Prophète sur ces termes :
1
Ndiaye S., op.cit., p:10. Pour les compagnons de la banquette voir en annexe la liste des soufis.
2
Le Coran, op. cit, Sourate Al-kahf (18), v. 28.
141
6. 4. Le dhikr et la dévotion :
On peut apprécier à sa juste valeur la part accordée au dhikr par le soufi dans
sa dévotion de tous les jours en s’arrêtant de nouveau sur la notion du péché. En effet
l’ensemble des comportements intérieurs et extérieurs du croyant visant à rendre grâce
à Dieu et à rechercher son agrément ne constitue qu’une traduction de sa
reconnaissance (ash-shukr) profonde à Son égard. Aussi serait-ce une ingratitude
grave (kufr) de sa part que d’ignorer Ses bienfaits. Or l’ignorance ou le mépris ont
pour expression ultime l’oubli (an-nisyân). Pour cela, on peut comprendre le soufi
qui, à travers les propos de Sahl4, jure « ignorer un péché plus grave que l’oubli du
Seigneur ».5
Cet oubli est bien la plus éloquente ingratitude du serviteur vis-à-vis de son
Bienfaiteur. Aussi, avoir à l’esprit la présence continue de Dieu peut-il, par opposition
résumer tout le sens de la dévotion du croyant. N’est-ce pas un aboutissement de la
pratique du dhikr qui élève le soufi vers un état d’esprit tel que la présence divine
domine son être en tout lieu et en toutes circonstances ?
C’est pourtant à cette phase ultime que se situe le dévot « doué d’intelligence »
ainsi qualifié par le Coran : «… Ceux qui, debout, assis, couchés sur leurs côtés
évoquent Allah »6.
La pratique du dhikr peut également tirer son éminence du fait que lorsque
Mu‛âdh b. Jabal voulut avoir du Prophète (psl) un dernier conseil, à propos du
1
Selon certains historiens c’était ‛ a a Hi n, selon d’autres Umayya b. Halaf
2
Abû ‛Abd Allah Salmân al-fârisî, il fit partie des compagnons de la banquette et rejoignit ‛Alî à Kufa
durant son califat. Cf : Hujwîrî, op.cit., p : 286.
3
Suyûtî J. D., Lubâb an-nuqûl fî asbâd an-nuzûl, vol II, p:4.
4
uhammad ahl ‛ dall h a -Tastarî (283H/896), cf: Qushayrî, op.cit., p:24.
5
Qushayrî, op.cit., p:176.
6
Le Coran, op. cit, sourate Âl ‛Imrân (3), v. 191.
142
meilleur acte d’adoration à perpétuer, il lui dit : « mourir avec une langue humectée
de l’évocation de Dieu. »1
En définitive, on peut bien soutenir l’idée de Ghazali qui voudrait que le dhikr
soit le principe fondamental et l’aboutissement de la plupart des obligations de
dévotions3.
6. 5.1. Présentation :
L’autre chemin qui peut mener à cette présence d’esprit en Dieu et qui a été
précédemment traité comme l’une des modalités de l’évocation est l’audition
spirituelle (as-samâ‛). A travers elle, l’activité est cédée à l’ouie, mais on ne peut
écarter pour autant une présence implicite de la mention du nom de Dieu qui est sa
principale source d’alimentation.
Seulement, pour ce dernier cas, si les soufis ne sont pas unanimes sur la
légalité ou même la nécessité de cette pratique, leur point de divergence est à
rechercher soit au niveau du contenu soit au niveau de la mélodie ; mais ils
s’accordent à trouver les sources de l’audition en tant que telle dans la Sunna.
Texte n° 1
vous, et vous, vous ne vous souvenez pas de Moi ! Je vous invite à Ma cour, et vous
allez vous présenter à d’autres cours ! J’éloigne de vous les cala ités, et vous vous y
jetez tête baissée en multipliant vos péchés ! Demain, au jour de la Résurrection, que
répondrez-vous pour vous justifier ? »
Texte n° 2
Ceux qui écoutent l’audition sont de deux sortes : l’une d’elles s’intéresse au
sens et l’autre à la belle voix. Pour chacun de ces cas on peut trouver des avantages
et des inconvénients considérables. En effet, le fait d’écouter les voix élodieuses
stimule des données significatives (al-ma‛ânî) déjà structurées au sein des individus.
Si elles les données sont justes l’audition l’est aussi, si elles sont auvaises elle l’est
de ê e. C’est ainsi que tout ce qu’une personne dont la nature est dépravante
entend n’est que du auvais.
Tout ceci apparaît à travers les récits de Dâwûd (David) que le salut soit sur
lui. En effet, lorsqu’il fut investi par Dieu, Celui-ci lui donna une belle voix en en
faisant une musette. Les montagnes lui firent échos au point que les animaux et les
oiseaux lui venaient des montagnes et du désert afin de l’écouter ; l’eau s’arrêtait de
couler et l’oiseau to bait du ciel. Il est dit dans ces récits que ê e les gens, dans
cette contrée, n’ont rien angé pendant un ois et que les petits enfants se sont
abstenus de pleurer ou même de téter. Lorsque les gens sont retournés de cet endroit,
1
Hujwîrî, Kashf al-Mah jûb, Tome I et II, Dâr an-nah a al-‛arabiyya, Beyrouth, 1980, Pp: 650 – 652.
145
beaucoup d’entre eux ont perdu la vie à cause du plaisir qu’ils avaient à entendre ses
paroles et sa élodie. […]
Certains prétendent que l’audition nous fait to ber dans tout autre chose que
ce qu’elle est. Or ceci est inconcevable, car la sainteté (al-wilâya) s’acco plit par le
fait de voir la chose telle qu’elle est réelle ent et ainsi d’avoir une bonne vision (ar-
ru ya). Si on la voit autre ent la vision n’est pas correcte. N’as-tu pas vu que le
Prophète, sur lui soit le salut, disait :
Si la vision est correcte, les choses qu’elle voit se présentent sous leurs vraies
apparences. De ê e, l’audition correcte est d’entendre toute chose comme elle est
dans son essentialité.
Pour ce qui est de l’appréciation de ceux qui sont séduits par les usettes ou
les sonorités) et qui tombent dans la passion et le loisir, la raison fondamentale est
qu’ils entendent tout sauf ce qui en est l’essentiel. S’ils avaient entendu en
s’accordant avec les nor es de l’audition, ils se seraient départis de toutes les
entraves : Ne vois-tu pas que les gens de la perdition ahl a - alâla), en entendant les
Propos de Dieu, se sont enfoncés davantage dans l’égare ent ; comme le disait an-
a ar al- ârit : « Ce sont là les fables des anciens ! », alors qu’au ê e o ent
‛ d- llah a‛d ar qui était scribe de la révélation al- a y s’écriait :
« Gloire à Allah le meilleur des créateurs ! »1 […]
1
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Mûminûn (23), v. 14.
146
6. 5.3. Analyse :
Hujwîrî, quant à lui, avec un style plus soigné, essaye d’analyser les avis de
ses prédécesseurs sur la question de l’audition spirituelle (as-samâ‛). Son étude devait
s’articuler, d’après l’annonce de son plan, autour des deux points que sont le contenu
et la mélodie de l’audition, mais il n’en a développé que le dernier.
1
Cf. texte n° 1
2
Voir la fin du texte n°1.
3
C’est des adîts du Prophète (psl) qui, dans un style direct, rapporte les propos du Tout-puissant.
147
S’il est vrai que la mélodie a un effet stimulateur et évocateur dans le cœur de
la personne, celui-ci devrait pour autant ètre apprécié en fonction de sa qualité et de
son genre quel que soit le niveau de perception de l’écouteur. De même, la qualité de
l’audition et sa légalité sont tributaires d’un contenu conforme à la finalité de la
pratique, notamment pour celui qui s’intéresse au sens.
148
Après cette analyse sur différents aspects de la dévotion, on peut saisir à quel
point il est difficile d’en concevoir une quelconque dissociation du a awwuf. On est
même tenté de soutenir que le a awwuf n’est rien d’autre qu’une dévotion sincère.
Dans ce sens, un soufi, faqîh (juriste) de surcroît, Mâlik b. Anas, soutenait ceci :
« Celui qui emprunte la voie du a awwuf sans connaissance et application du droit
islamique (tafaqquh) est un infidèle. »1
Des chapitres précédents de cette partie on peut d’ores et déjà retenir que le
soufi cherche avant tout à être sincère dans la dévotion. Ces propos de l- a rî, au
besoin, en sont très illustratifs :
« Pour chaque prière que tu feras sans recueillement, le châtiment suivra de près. »2
Pour autant, peut-on dire que ce qui résulterait de cette attitude sincère (al-
i sân) comme caractères ou états spirituels serait tout simplement, comme le
soutiennent certains orientalistes, le fruit d’une correcte application d’un ensemble de
technique ou méthode ? On oublierait ainsi la fonction première de la dévotion qui est
avant tout l’expression de la soumission du croyant.
1
Juriste, fondateur de l’une des quatre écoles de droit sunnite, répute aussi pour son ascétisme. Mâlik
est né à l’an 95 H/714. Il s’instruit auprès des savants de Médine et se fixa à cette ville et, pour son
érudition, fut surnommé l’Imam de Médine. Il consacra quarante années de sa vie à rédiger son célèbre
ouvrage al-mu a a dans lequel il compila plus de cinq cents t du Prophètes, des propos de ses
compagnons et des sentences des suivants. Il mourut en 179 H/795. Pour la citation cf. Mahmûd A.
Q., al-falsafat a - ûfiyya fil-islâm, Dâr al-fikr, Le Caire, s.d., p:94.
2
Attar F. D., op. cit., p:56.
149
Très tôt, le soufi est tenté, ne serait-ce que pour avoir une stabilité psychique et
une fermeté dans la foi, d’accéder à ce niveau, suivant en cela les prescriptions de la
Sunna qui, déjà, donnaient une certaine orientation. D’après un adît qudsî rapporté
par Buhârî et Ahmad, Dieu annonce ceci :
« Mon esclave ne cesse de se rapprocher de Moi par les actes surérogatoires jusqu’à
ce que Je l’ai e et alors Je suis l’ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il
voit, la main par laquelle il saisit… »2
Ainsi, c’est bien par la dévotion sincère que le croyant se rapproche de son
Seigneur et grâce à Son amour ou Son agrément, il peut alors accéder à ce stade
d’illumination ou d’ouverture al- a ) ou de témoignage (al-mushâhada).
On peut penser là qu’il y a bien des moyens proposés au croyant que certains
soufis résument par le seul mot de a awwuf, pour accéder à cette certitude.
1
Ndiaye S., op.cit., pp: 10-29.
2
Qushayrî, op.cit., p:246.
150
C’est ainsi que, à propos de l’illumination par le dhikr, à cette époque des
premiers soufis, on est très loin de soutenir comme L. Gardet « qu’il s’agit bien pour
les auteurs usul ans, la foi étant supposée, d’un effet obligatoire ent produit, is à
la portée des forces hu aines par la technique, par l’art dont-il s’agit d’observer les
lois »1.
En effet, jusque là, quelle que soit son importance, la pratique du dhikr n’est ni
plus ni moins qu’un acte de dévotion dédié à Dieu en simple signe de reconnaissance,
et non une quelconque technique qui mène à un résultat certain.
Si, d’après la définition des sciences humaines, une méthode se traduit par un
savoir ou savoir faire objectivé à travers un ensemble de techniques et moyens
associés qui donnent nécessairement sur un résultat connu d’avance2, l’appréciation et
la sanction de tout acte de dévotion, y compris le dhikr, du point de vue du Soufi, ne
saurait échapper à l’Agrément ou à la Volonté du Tout puissant.
1
Anawati G. C. et Gardet L., op.cit., p :218.
2
Raynal F. & Rieunier A., Pédagogie : dictionnaire des concepts clés, ESF éditeur, Paris, p : 227.
151
mettre sur la bonne voie et d’attendre, par espoir, que le Tout puissant Se précipite à
sa rencontre.
La dévotion est par excellence la voie tracée par Dieu pour lutter contre l’â e
charnelle. Pour comprendre l’acharnement du a awwuf contre celle-ci (an-nafs al-
ammâra bis-s ), il faut repenser la menace qu’elle constitue et son rôle déterminant
dans la relation de l’individu et le péché ; et cela peut se résumer en cette
représentation que beaucoup de soufis ont de l’ange et de sa fidélité intrinsèque.
En effet, ils pensent que l’ange se nourrit de fidélité et de dévotion parce que
sa nature est spirituelle (rû î) et il n’a pas d’âme (nafs). Ainsi, l’obstacle devant la
dévotion ou la fidélité est « l’â e charnelle », d’où la nécessité de la combattre
jusqu’à son extinction1.
Junayd ne dit pas autre chose quand il affirme que chez les soufis,
l’aboutissement de leur adoration « est la victoire sur leur â e. L’Etre divin les
charge de tâches qu’acco plissent les plus hu bles et ils s’appliquent exclusive ent
à ce qui Lui est destiné, sans s’arrêter à la considération de leur propre personne. »2
L’ensemble des prescriptions de dévotion peut ainsi être considéré comme des
moyens qui fortifient mentalement et physiquement le croyant face aux assauts répétés
de Satan et des suggestions maléfiques de l’âme.
1
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:545. Ce point sera développé davantage dans la quatrième partie, pp :241-
256.
2
Junayd A. Q., op.cit., pp:137-138.
152
L’Islam comme son nom l’indique appelle à une soumission à Dieu à travers
l’acte de foi, l’application de Ses prescriptions et le témoignage de Son unicité. Il est
évident que l’expression visible de cette soumission ne peut être que les pratiques de
dévotion.
En effet, la mission assignée à l’homme sur terre et qui justifie sa création par
Dieu est d’être à Son service.
1
Le Coran, op. cit, Sourate Adh-Dhâriyât (51), v. 56.
2
Dans la troisième parte un chapitre est consacré au Mîtâq.
3
Abul ‛Abbâs Ahmad b. Muhammad b. sahl b. ‛ â , il est de Baghdad, il fut mis à mort pour être
solidaire avec Hallâj en 309H/921. Cf. Attâr F., op.cit., p : 273.
4
Qushayrî, op.cit., p:155.
153
Cette mission très limitée dans le temps, se déclare comme une course contre
la montre. Avant la mort qui ne quitte jamais son esprit, le Soufi essaye de beaucoup
faire et de bien se comporter comme pour suivre la recommandation de ce verset
coranique :
« Fuyez donc vers Allah. Moi, je suis pour vous, de Sa part, un avertisseur
explicite. »1
En effet, cette mission ne doit s’arrêter qu’à la mort : « Et adore ton Seigneur
jusqu’à ce que te vienne la certitude la ort . »2
Cette autre certitude que cherche à obtenir le Soufi dans sa foi est, à plusieurs
titres, fort assimilable à celle-ci (la mort). En effet, les exégètes sont unanimes à
penser que l’homme, une fois qu’il quitte cette vie, a un témoignage certain de
l’unicité de Dieu et est alors d’un niveau de certitude absolu. Et ce qu’il aurait désiré
le plus serait de revenir sur terre afin de s’adonner ou d’accentuer sa dévotion.
1
Le Coran, op. cit, Sourate Adh-Dhâriyât (51), v. 50.
2
Ibidem, Sourate Al- ijr (15), v. 99.
3
Ja‛far b. Muhammad, sixième Imam chiite, réputé pour sa dévotion, mourut empoisonné à Médine
en 148H/765. Cf. Attâr F., op.cit., p : 21.
4
Dâwûd Nasr a - ây, soufi des premières heures, il mourut en 162H/779. Cf. Attâr F., op.cit., p : 214.
5
Attar F. D., op. cit., p:23.
154
7. 3.1. Présentation :
Le texte ci-après est un parfait trait d’union entre les deux premières parties et
le reste de ce travail. En effet, à travers l’analyse de Junayd al-Baghdâdî, il
commence par résumer de façon descriptive l’évolution progressive du soufi dans les
deux cadres qui délimitent sa vie de servitude : le détachement et la dévotion1.
Puis, dans sa suite, il présente ce qui « peut être la réponse » à leur ferveur et
ce qu’ils « peuvent rencontrer à l’intérieur d’eux-mêmes ». C’est ce changement de
leur vie intérieure ainsi résumé que compte étudier la deuxième moitié de ce travail 2.
Son enseignement, recueilli par ses disciples, puis diffusé par des auteurs
comme al-Makkî, al-Qushayrî et al-Hujwîrî, est incontestablement considéré par ses
paires comme le fruit d’une expérience personnelle. Certains n’hésitent pas à voir en
lui le dernier des grands pratiquants du a awwuf tel qu’il a été vécu par les
compagnons de la banquette (ahl a - uffa)1.
Le texte étudié ci-après est extrait d’un recueil de ses œuvres établi et traduit
de l’arabe par oger Deladrière3.
7. 3.2. Texte :
Que Dieu t’attribue la faveur de Lui obéir, qu’Il te rende apte à te confor er à
Sa Volonté, qu’Il te ette au no bre de ceux qui sont gratifiés de Son A itié, et qu’Il
t’élise pour Son Amour ! Puisse-t-Il hâter ta course et te guider vers Lui, t’instruis de
Son dessein, et te ettre en état d’agir pour Lui selon ce qu’Il attend de toi, en
t’accoutu ant à être attentif aux découvertes intuitives istinbât) que fait
l’intelligence à Son sujet ! Puisse-t-Il aussi te soustraire à l’influence des réalités
contingentes (awârid) qui coupent de Dieu, et à l’obstacle des liens te porels !
Puisse-t-Il également faire que tes paroles soient agréées de Lui et sans tache à Ses
1
Pour plus de renseignement sur sa biographie cf. la partie introductive de Junayd A. Q., op.cit.
2
Ces notions sont largement développées dans la troisième partie.
3
Roger Deladrière est un orientaliste qui a consacré l’essentiel de ses recherches au soufisme, il est
Professeur de Philosophoie et de civilisations musulmanes à la Faculté des Langues de Lyon III.
4
Junayd A. Q., Enseignement spirituel, trad de l’arabe par Deladrière ., Sindbad, Paris, 1983, pp :
89- 98.
156
Yeux ! Qu’Il t’épargne tout ce qui pourrait te distraire de Lui, qu’Il te rende apte à Le
servir, et qu’Il te soulage en t’en re ettant à Lui pour ce qui te concerne ! Qu’Il
écarte de toi tout obstacle insurmontable sur le chemin que tu suis pour aller à Lui, et
qu’Il te cuirasse contre toute angoisse, pour qu’Il t’aide dans ta recherche de ce qui
Lui donnera satisfaction, par un pouvoir victorieux é anant de Lui, car c’est Lui qui
dispense les grâces et qui soulage les angoisses !
Dieu a des serviteurs qui sont présents en ce bas monde avec leur corps, mais
qui l’ont quitté à cause des engage ents de leur foi. Du haut de la science de la
certitude (‛ilm al-yaqîn ils regardent le but de leur destinée, à quoi ils s’appliquent
avec constance et vers quoi ils retournent. Ils ont fui les sollicitations de leur âme, de
cette âme qui incite au mal (al-ammâra bis-sû ) qui pousse à ce qui serait la perte,
qui se fait l’auxiliaire de l’Enne i, qui prend la passion co e seul a tre, qui se
plonge dans le alheur, et s’agrippe fer e ent au al ou, selon une autre leçon du
texte, « ne s’intéresse qu’au al sous toutes ses for es »).
Ils se sont comportés envers Dieu avec sincérité, observant parfaitement les
règles qui convenaient aux sollicitations qu’ils Lui adressaient. Les alheurs sont
devenus peu de chose à leurs yeux, car ils savaient quel était le prix de ce qu’ils
poursuivaient. Ils ont obtenu que chacun de leurs instants et chacun de leurs gestes
fussent exe pts de défauts. Ils ont veillé à ce que leur cœur ne se laissât point
entra ner à aucune négligence, quel qu’en f t le degré, en le aintenant sous le
157
contrôle de la pensée de Celui à qui n’échappe aucun ato e sur terre ou sur mer qui
« embrasse toute chose en Sa Science » et en Sa Connaissance. Leur âme est devenue
docile après avoir été rétive, ne gardant que l’é ulation avec celles de son espèce,
c'est-à-dire avec des âmes dirigées par leur Maître, gardées par leur Créateur et
veillées par Celui qui assure leur sauvegarde.
Imagine donc, mon ami, si tu es clairvoyant, ce qui peut être la réponse à leurs
ferventes oraisons (munâjât), et ce que peuvent être les évène ents spirituels qu’ils
rencontrent à l’intérieur d’eux-mêmes (nawâzil hâjâtihim) tu verras alors des esprits
qui rendent visite à des corps, que la crainte a flétris, que la servitude a rendus
soumis, et qui sont revêtus de la tunique de la honte. Ramassés sur eux-mêmes sous
l’effet de la proxi ité divine (qurb), silencieux par dignité, ne parlant que pour
évoquer le souvenir de Dieu, brisés par les veilles, et paralysés par la circonspection.
Leur seule société est la retraite, leur seule conversation est la méditation, et leur seul
signe de ralliement est l’invocation de Dieu dhikr). Ce qui occupe leur vie de
dévotion (shughl) est en jonction constante avec Dieu, est séparé de ce qui n’est pas
Lui ; et ils sont peu soucieux d’aller au devant du visiteur ?) quand il arrive, et de
l’acco pagner quand il s’en va. Leur nourriture est celle du je ne et de la soif, leur
unique réconfort est la remise à Dieu (tawakkul), et leur trésor est la confiance en Lui
(tiqa). Leur seul appui est de compter sur Lui (i‛timâd), leur unique remède est la
patience ( abr), et leur co pagne inséparable dans la vie est l’acceptation du destin
ri â).
L’â e de tels êtres a été préposée à l’acco plisse ent des droits de Dieu,
pro ue à l’accès au secret précieux de la Science cachée (ou, selon une autre leçon
du texte, « elle a consenti aux œuvres précieuses du service de Dieu »), et
sauvegardée contre le fardeau des épreuves (des fins dernières) : « la Grande
Frayeur ne les affligera pas et les Anges les accueilleront (par ces mots) : « voici le
jour qui vous a été promis », et : « nous sommes vos protecteurs (ou « amis », selon
certains traducteurs) dans la vie de ce bas monde et dans la vie dernière. Là il y aura
pour vous ce que votre âme désire. Là il y aura pour vous ce que vous réclamez ;
comme don accordé par un (Seigneur) absoluteur et miséricordieux ».
158
Il ne faut pas que fasse défaut à l’ho e sage ‛âqil l’une des trois conditions
spirituelles suivantes : celle dans laquelle il sait quel est son état, s’il est ieux ou
moins bien ; celle dans laquelle il se consacre à corriger son âme, lui imposer
d’acco plir ses obligations, et la scruter pour la conna tre à fond ; et celle dans
laquelle il se recueille is i âr al-‛aql) pour voir le déroulement e ce que Dieu avait
prévu pur lui (tadbîr), et comment les dispositions divines (a kâm) agissent
diverse ent sur lui nuit et jour. Mais l’esprit, qui ne co prend pas d’e blée ce
dernier état, ne saurait être clarifié qu’après avoir ené à bien l’action corrective des
deux premières conditions spirituelles.
En ce qui concerne la condition dans laquelle il devrait savoir si son état est
ieux ou oins bien, elle i plique qu’il recherche un lieu de retraite, afin de ne pas
s’exposer à des distractions qui risqueraient de co pro ettre l’action corrective qu’il
souhaite. Il s’appliquera ensuite à être en confor ité avec l’exécution des obligations
qui lui sont i posées, car sans l’acco plisse ent parfait des devoirs d’obligation
stricte ( ar id) il ne saurait s’approcher de Dieu davantage. Puis il prendra
l’attitude du serviteur qui est debout devant son Seigneur, avec la volonté d’exécuter
Ses ordres. C’est alors que lui seront dévoilées les tendances cachées que l’â e
dissi ule, et qu’il saura s’il est bien au no bre de ceux qui exécutent leur devoir ou
non. Il persévérera dans cette attitude, jusqu’à ce qu’une preuve burhân) vienne
acco pagner la connaissance de ce qu’il a découvert. S’il constate alors en lui-même
une i perfection, il s’attachera à la réfor er avant de passer à autre chose. Tel est
dans ce cas le comportement des « hommes de la sincérité » (ahl a - idq) : « Dieu
assiste de son secours qui Il veut », et : « Dieu est, en vérité, fort et omnipotent ».
accoutumée à faire le bien, cela fait désormais partie de ses qualités morales
personnelles (ahlâq , et elle ai e à croire qu’elle a le rang dont elle a été jugée
digne, pensant que ce qui lui est échu pour avoir fait le bien elle l’a érité.
Quand le onde sera devenu une chose du passé, qu’il aura disparu, ainsi que ses
habitants, et qu’il se sera écarté du cœur, celui-ci n’aura pour seul co erce que la
vision de la libre action de Dieu ( a arruf), de Ses différentes dispositions et de Sa
répartition de ce qu’Il a prédestiné. Le cœur d’un tel ho e ne tirera plus aucun
profit de ce qui se trouve dans le monde dont il est sorti, qu’il a abandonné et qu’il a
fui.
Considère le cas de ârita, quand il a dit : « J’ai détaché on â e de ce
monde », et ensuite : « et ce fut comme si je voyais se dresser le Trône de mon
Seigneur, et co e si j’apercevais les habitants du Paradis », etc. el est l’un des
états spirituels es soufis (qawm).
La réussite est pour des hommes de spiritualité sur qui leur Maître a porté Son
regard, qui leur a indiqué le chemin le plus court, les a instruits de la voie du salut, et
leur a ontré claire ent le sens caché de l’invitation à rivaliser d’e presse ent, en
161
leur faisan comprendre la signification de Son message : « luttez d’e pressement vers
un pardon de votre Seigneur et vers un Paradis, dont la largeur est celle des cieux et
de la terre, et qui a été préparé pour ceux qui craignent ». Chez ceux qui ont répondu
à cet appel et qui en ont co pris la portée, l’esprit a pris son essor, pressant les
e bres de bien s’appliquer à acco plir ce qui leur a été échu.
Maintenus constamment ans la pensée de Sa proximité, heureux de la joie qui
est apportée à leur cœur, isolés du onde dans leur retraite avec Lui, ce sont des
hommes qui ont l’intelligence de ne rien redouter d’autre que Lui sur le che in qui
mène à Lui, de ne chercher accès auprès de Lui que par Lui, et de ne rien Lui
de ander d’autre que de continuer à se réjouir de Le servir et de bénéficier du
bienfait de Son assistance pour être en conformité (avec Sa volonté). Ils ont
découragé les ennemis (a‛dâ ), la crainte a tué en eux la passion, et ils ont rempli de
joie leurs a is. Ils esti ent qu’il n’y a pas de gain plus précieux que celui qu’ils ont
obtenu, ils ne souhaiteraient pour rien au onde échanger les bienfaits qu’is ont
reçus, et ils ne désireraient faire place à rien d’autre. La science les a purifiés, la
pratique des devoirs les a disciplinés, et se consacrer à Dieu les a rendus forts et leur
a per is de se passer de tout ce qui n’est pas Lui. Ils sont en quête de Dieu et ils sont
Ses disciples, ils aiment Dieu et sont Ses bien-aimés. Ils sont éperdus tout à la fois du
désir de Le voir, de l’affliction d’en être séparés, et de la joie de s’entretenir avec Lui.
Dieu les a désirés, et ils L’ont désiré ; ils ont cherché Dieu, et ils l’ont trouvé.
Que celui qui veut le salut (najât , presse l’esprit de vie qui est en lui de
chercher à réaliser ce qu’Il souhaite, car Son vœu ce sont les saints, Son désir ce sont
les ho es sages, et ce qu’Il ai e ce sont les purs ! Sans Lui, ils ne parviendraient
pas jusqu’à Lui. Ceux à la pensée de qui Il est rappelé, Il les a conduits vers Lui, sans
être arbitraire dans ce qu’Il a exigé d’eux, sans leur faire supporter ce qui aurait été
au-dessus de leur forces, sans les abandonner à eux-mêmes, ni retenir contre eux les
insuffisances. Bien plus, Il leur a accordé la faveur d’accepter leurs excuses dans le
domaine des choses conditionnées (ou « de la relativité des choses » : ayyiz al-
quyûd), et Il les a absous de leurs défaillances dues à leur incapacité physique.
162
Ce qui coupe de Dieu les créatures, c’est unique ent le fait qu’elles suivent
leurs passions, qu’elles obéissent aux enne is, qu’elles ont co erce avec la
splendeur (fugitive) de la vie immédiate, et qu'elles préfèrent ce qui est périssable à ce
qui demeure. Hâte-toi donc, on a i, vers le bien, en cette vie qui s’est écoulée et que
tu as dissipée par ton oubli, ta négligence, tes insuffisances et tes atermoiements, afin
de sauvegarder le te ps qu’Il t’a laissé, dans une salutaire inquiétude, dans la
crainte, l’effort et la vigilance, avant que ne vienne l’heure et que la ort n’arrive !
Dieu n’agrée en effet de ceux qui sont encore sur cette terre que les ê es œuvres
qu’Il a agréées des pieux anciens.
Efforce-toi donc de rompre le joug, en rejetant tout contact avec les liens qui
distraient de Dieu ! Car appartient à Dieu un Jour où tout ce qui a été caché
appara tra claire ent et où les œuvres seront ontrées, un Jour où ê e le artyr
(shahîd) et le juste ( iddîq seront incertains de leurs œuvres, et où chacun n’espérera
qu’en l’absolution et le pardon de son Seigneur, un Jour où les regrets seront
inno brables et où les reproches seront pleins d’a ertu es ! Mais, pour l’heure, les
excuses sont encore acceptées, le temps est maintenu dans son déploiement et les
163
actions peuvent continuer à se dérouler ; le repentir est encore agréé, le péché peut
être effacé par la contrition et le remords ; la parole du Coran peut encore être
entendue et le bien suivi, la Vérité s’expri e claire ent et le che in à suivre reste
évident. Attache-toi donc à tout cela !
« A Dieu seul appartient l’argu ent pére ptoire. S’Il avait voulu, Il vous
aurait dirigés tous ». La volonté divine de guider a suscité une preuve évidente
(bayyina) chez les hommes qui sont mis sur la bonne voie (ahl al-hudâ).
Parmi les signes qui caractérisent de tels hommes, il y a leur facilité à obéir,
leur désir d’être en confor ité avec Sa volonté, et la conscience qu’ils ont de leur
impuissance et de leur incapacité totale à accomplir par leurs seules forces ce qui est
exigé d’eux. Il y a aussi leur fraternité, leur affection sincère, leur a our, leur
co passion, le fait qu’ils préfèrent à leur propre personne ceux qui sont proches de
Dieu (ahl al-qurb), leur union entre eux au no de Dieu, et l’aide qu’ils apportent
aux amis de Dieu (ahl al-walâya). Il y a encore la défense qu’ils prennent des droits
sacrés de la Vérité, et leur consentement dans la patience à leur destin ordonné par
Dieu dans l’éternité. Il y a égale ent leur continence, le fait qu’ils s’ali entent
légère ent et qu’ils ne se nourrissent que par nécessité, qu’ils se contentent de peu et
qu’ils choisissent ce qui est le plus convenable. Il y a aussi le fait qu’ils veillent à
respecter ponctuelle ent les te ps prescrits pour la Prière, et qu’ils s’appliquent à
l’observance de ce que Dieu a ordonné et de ce qu’Il a interdit, et c’est la chose la
plus ardue et la plus difficile. Il y a enfin le fait qu’ils se penchent sur ceux qui vivent
dans la pauvreté et qui aspirent à Dieu, pour leur communiquer un peu de joie, en se
êlant à eux, en s’entretenant avec eux, et en rejetant toute attitude hautaine à leur
endroit. C’est en effet à leur sujet que Dieu a fait à Son Prophète cette
recommandation : « Que tes yeux ne se détournent point d’eux, par a our de la
parure e ce monde ! ».
soins, et qu’Il nous apporte la perfection de Son assistance ! Veille à Lui rendre grâce
co e tu le dois, et à l’invoquer consta ent ! Il est Celui qui détient les bienfaits,
Celui qui a promis à Ses serviteurs les jardins du Paradis, et qui les a menacés des
feux de l’Enfer.
7. 3.3. Analyse :
Jusqu’à son époque, personne parmi les grands pratiquants du a awwuf n’a
écrit autant que lui sur la question et, surtout, n’a centré ses théories sur l’intérieur de
la personne. Junayd semble être le premier maître qui, par ses écrits, ait cherché à
élaborer un savoir cohérent et réuni qui, à la fois, soutient la pratique de ses
semblables et, la situe dans le cadre de la Sunna. Le traité ci-dessus, consacré à la
description du parcours de tout soufi dans ses relations avec Dieu, en est très
illustratif.
Dans ce texte l’auteur s’adresse à l’un de ses disciples qui, vu la hauteur de son
discours et les prières qui l’accompagnent, doit être un « initié » qui est entrain de
pratiquer la sincérité. Il est aussi, pour autant, plus déclaratif que démonstratif. Il
165
soutient ses propos par des versets et des adîts, mais il semble ne pas douter de la
bonne foi et de la compréhension de son interlocuteur pour être si catégorique.
Cette fermeté peut aussi être le fruit d’une expérience vécue transmise à l’aide
d’une réflexion d’un auteur confiant en lui-même.
166
Troisième partie:
DANS
LA CONNAISSANCE (al- a‛ri a)
167
En effet, loin de cette première ardeur où il était poussé par une ferme
croyance d’être sous Sa surveillance, appliquant en cela, par défaut, les prescriptions
du adît ci-après, il a évolué et est doublement stimulé pour être certain d’avoir
perçu Sa présence dans son cœur :
Cette perception al- a îra) du cœur en question émane d’un état d’esprit où le
soufi ne voit plus les choses, les êtres et leurs actes de la même manière que le
commun des mortels.
1
Ce concept est traduit chez beaucoup d’orientalistes par le mot « gnose », nous avons préféré nous
rapprocher de l’étymologie arabe. Ainsi, décliné du verbe ‛arafa qui signifie « connaître », le mot
ma‛rifa se traduit sous cet angle par « connaissance ». Par contre, le mot « gnose » bien que reflétant
la connotation ésotérique qui n’est pas exclue du concept étudié ici, peut être chargé du poids d’un
autre mysticisme lié à des origines différents.
168
Cette avarice en propos n’est-elle pas aussi liée à leur fameux état
psychologique ? C’est ce que du reste veut soutenir Muhammad al-Wâsi î :
« Celui qui connaît Dieu voit ses propos diminués et sa perplexité accentuée. »1
Toujours est-il que Junayd a été le premier soufi à avoir tenté de théoriser un
cadre descriptif des caractéristiques de celui dont le cœur a été gratifié de la
« connaissance de Dieu » (ma‛ri a allâh), tout en respectant les limites de la Sunna.
Ce cadre est la Ma‛rifa. C’est ce que, plus tard, Ghazali reprendra avec sa thèse de la
Certitude.
Il est donc important d’évoquer ici le travail de Junayd dans le but de bien
saisir que ce qui caractérisait ses prédécesseurs arrivés à ce stade du a awwuf était
fort tributaire du niveau de leur conception du cœur et de ses corollaires : l’esprit (ar-
r ) et l’â e (an-nafs).
Par ailleurs, on ne saurait entrer dans cette pensée de la Connaissance qui est
sa conception fondamentale du a awwuf, sans au préalable passer par un point qui,
selon l’auteur, en demeure le socle essentiel : le Pacte primordial (al-Mîtâq).
En effet, si dans sa conception, le a awwuf peut être saisi comme une voie
sincère qui cherche l’agrément de Dieu, une voie qui n’est rien d’autre que la
« soumission » (al-Islam) des premiers croyants, au terme de laquelle la Connaissance
surgit comme une gratification qui ouvre sur une autre application de la voie plus
expressive et plus soutenue, dans un spirale infini entretenu par les états successifs de
son cœur, le Pacte lui, en est la véritable et lointaine justification.
1
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:517.
169
8. 1.1. a awwuf e a îd :
Et cela ne peut être atteint pour lui que par un combat intérieur contre
l’hypocrisie et une ardeur pour la dévotion sincère.
C’est cela qui justifie le fait que certains d’entre eux emploient indifféremment
les deux termes sans aucune distinction au niveau de leur sens. Ainsi, loin du
théologien qui spécule sur une théorie appelée a îd et du juriste qui n’est pas attiré
par le côté plus ou moins ésotérique du concept, le soufi prône sa pratique, et en cela
le a îd devient indissociable du a awwuf.
1
Une étude analytique sur la définition de ce concept a été déjà effectuée. Cf. Ndiaye S., op.cit.
2
Ces deux cadres correspondent aux deux premières parties de cette thèse.
170
Le mot al-‛ilm désigne tantôt la science proprement parlée, tantôt le savoir tout
court ; mais pour être succinct, dans le domaine qui nous concerne, on s’accorde à
reconnaître comme savant ‛âlim) celui qui a acquis, par l’intelligence ou par la
mémoire, un savoir confirmé dans un domaine particulier. C’est ainsi que le
théologien, l’exégète, le juriste ou le compilateur de h adîts sont des savants
(‛ulamâ ) de l’Islam.
1
Ibn Mâjjah, Sunan, Dâr al-kutub al-‛ilmiyya, Beyrouth, s.d. T. I, H : 223, p : 81.
2
Afîfî A., At-Tasawwuf, at-tawra ar-rûhiyya fil-islâm, Beyrouth, Dâr ash-sha‛b, sd, pp205, 206.
171
On est ainsi plus proche de la sagesse (al- ikma) émanant d’une foi certaine
que d’un contenu transmissible. C’est ce qui fait dire à Hujwîrî que la Connaissance
n’est pas nécessairement acquise par l’apprentissage, mais elle est une clairvoyance
accordée par Dieu2.
1
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p: 517.
2
Ibidem, p : 513.
3
Ibidem, p : 513.
172
d’esprit où il témoigne de Son unicité (mushâhada) par le cœur ; à terme, il peut être
gratifié de Son amour1 et de Son agrément.
Notons que dans certains propos, le soufi emploi le mot a îd pour traduire
cet état d’esprit où il témoigne véritablement de Son unicité, il parle alors de la
signification de ce mot qui se confond ainsi à la Connaissance.
C’est précisément avec cet emploi que Hujwîri tire sa pertinente conclusion
qui renvoie à l’expérience pour en savoir plus à son propos :
« Le témoignage de Son unicité (at- a îd) est un secret que la Vérité (Dieu)
[gratifie] au serviteur, il ne saurait se clarifier par l’élocution. »2
8. 2. Le Pacte (al-Mîtâq) :
Junayd soutient une théorie qui semble à première vue être le fruit d’un
emprunt hellénistique4, lorsqu’il avance que nos esprits, avant de venir à ce monde
enveloppés comme ils sont dans des corps, avaient connu une existence antérieure,
dans un monde du reste inconnu qualifié souvent de pré temporel (azalî). Ils tinrent
1
Ces deux concepts seront traités dans le chapitre suivant, P : 187.
2
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p: 526.
3
Cf. Jabre F., La notion de certitude selon Ghazali, thèse de doctorat es lettres, Paris, Vrin, 1958.
4
Cf. Baudart A. et al. Histoire de la philosophie : 1. les pensées fondatrices, A. Colin, Paris, 1993,
pp :23-84 ;
173
L’indicateur temporel idh qui, contrairement à idhâ qui est plutôt prédictif,
marque absolument un fait accompli, comme d’ailleurs le signale le temps du verbe
ahadha. Ainsi, le fait évoqué par le verset s’es déroulé dans le passé.
1
Le Coran, op. cit, sourate Al-A‛râf (7), v. 172.
174
Fort de ceci, on peut bien soutenir à l’instar de tous les soufis d’ailleurs, pour
ne pas dire tous les musulmans, l’antériorité de l’existence de l’esprit ar-r )3, avant
cette vie corporelle dont il est encore conçu comme étant le moteur. On est aussi
unanime à reconnaître la survie ou la résurrection de cette quintessence après la mort.
Cela donne l’idée d’un périple de l’esprit qui a commencé dans le pré temporel
avec un engagement pris devant Dieu, et qui continue dans ce monde où il s’agit de
respecter cet engagement malgré les nombreuses contraintes liées à un nouvel
environnement temporel, et s’achève au jour de la résurrection, lorsqu’il devra rendre
compte devant son Seigneur.
Ce pacte, loin d’une simple « déclaration d’a our anticipée faite à Dieu »4,
revêt pour Junayd une solennité décisive qui justifierait même notre existence sur
terre. Ceci est en parfait accord avec le verset qui rappelle la mission de l’homme dans
ce monde.
« Je n’ai créé les djinns et les ho es que pour qu’ils ’adorent. »5
1
Etymologiquement dhurriyya est lié à dharra qui désigne l’atome ou la plus petite subdivision de la
matière.
2
Cf. infra chapitre XI sur l’esprit, p :228.
3
Dans la dernière partie un chapitre traitera ce concept.
4
Anawati G. C., Mystique musulmane, op.cit., p : 34
5
Le Coran, op. cit, Sourate Adh-Dhâriyât (51), v. 56.
175
témoignage de Son Unité sur cette terre, en surmontant cette fois des obstacles et
contraintes liés à sa nouvelle vie, à travers un combat contre des ennemis comme
l’âme charnelle et le Diable.
Ces paroles de Junayd montrent à quel degré il sera difficile pour l’homme de
se départir de ses attributs mondain, de sa corporéité, de son moi, tout en restant en
vie, pour n’avoir en conscience que Sa présence comme il l’avait témoigné alors qu’il
n’était pas (de ce monde).
C’est pourtant cela, selon lui, le véritable témoignage que seuls quelques uns,
hormis les prophètes, pourront réaliser et ainsi respecter l’engagement dans l’absolu.
L’idée de cette élite était quoiqu’on dise présente dans les propos de ses
prédécesseurs. On se rappelle de la fameuse hiérarchisation des niveaux d’adoration
par l’Imam Ja‛far as - âdiq2 :
L’adoration du commun des croyants ;
L’adoration des rapprochés de Dieu ;
L’adoration des prophètes et des élus de Dieu.
Dans son Traité du pacte pré temporel, Junayd est très explicite :
« Dieu a, par i Ses serviteurs, des êtres d’élite, et par i ses créatures des ho es
purs qu’Il a élu pour leur gratifier de Son a itié walâya , qu’Il a choisit pour leur
faire bénéficier de Sa générosité (karâma , et qu’Il a isolé du onde pour qu’ils
1
Mah mûd A. Q., Al-Falsafat as-sûfiyya fil-islâm,op.cit., p:191.
2
Ndiaye S., op.cit, p :16.
176
soient à Lui Seul. […] Il les a fait de telle sorte que leur corps soit de ce bas onde,
mais que leur âme soit lumineuse, que leur intuition soit spirituelle. »1
Il est évident que l’ampleur de la tâche que renferme cette mission de l’homme
n’est pas à la porté de tout le monde, aussi les niveaux de réalisation sont-ils divers,
selon les efforts et les circonstances des uns et des autres. Au sommet de cette
réalisation se situe selon lui l’élite, les aimés de Dieu.
appelons aussi l’attitude de l’Imam ‛Alî qui évoquait souvent ce pacte et était
frappé de crainte à chaque fois qu’on appelait à la prière5.
1
Junayd A. Q., op.cit., p:155.
2
Junayd A. Q., op.cit., p:156.
3
Junayd A. Q., op.cit., pp:51,52.
4
Le Coran, op. cit, Sourate Ibrahîm (14), v.10.
5
Cf. infra chap : V.
177
d’être guidés sur la voie de Dieu. Ainsi, après leur réalisation spirituelle obtenue à
l’issue d’un dur combat, les soufis sont renvoyés par Lui auprès des créatures, pour
assumer pleinement leur rôle de dépositaires des prophètes1.
Cette théorie, sur ce point précis a le mérite de donner un sens aux efforts et au
salut du soufi pour le reste de la communauté, ce que Junayd, en tant que juriste ne
perd pas de vue. Mais, il faut reconna tre que le dévot, telle qu’on a analysé son état
d’esprit dans les deux cadres précédents, est loin d’une quelconque prétention pour la
guidance, si ce n’est par un ferme souci d’assumer sa responsabilité devant Dieu, si
une quelconque circonstance devait l’appeler à cette tâche.
On retient aussi que pour le Pacte, l’essentiel se joue entre l’esprit (ar-r ) et
l’âme (an-nafs).
8. 3.1. Présentation :
Plus tard, plus d’un siècle après, al-Qushayrî reprend l’analyse du même
concept3. Cette fois-ci, il recueille l’avis d’autres soufis contemporains de Junayd et
permet ainsi, par son style, de confronter les propos et d’en tirer les dissemblances.
1
Junayd A. Q., op.cit., p:45.
2
Cf. texte n° 1
3
Cf. texte n° 2
178
Texte n° 1
Il est en effet l’Eternel, et tout ce qui est autre que Lui est produit dans le
temps (muhdat). Il préexiste et tout ce qui est autre que Lui a un commencement. Il
est la Divinité et tout ce qui est autre que Lui est l’objet mahlûq) de cette Divinité. Il
est Celui qui est Puissant, sans que personne L’ait rendu tel, alors que tout autre être
puissant n’est tel que grâce à Sa puissance. Il est Celui qui est Savant, sans que
personne L’ait instruit et sans qu’Il retire d’infor ation d’un autre que Lui, alors que
tout autre être savant n’est tel que grâce à Sa science. Gloire à Lui, qui est le Pre ier
sans commencement, et qui est le Perpétuel sans fin ! Ces qualifications ne sont
dignes que de Lui et ne conviennent à nul autre que Lui.
1
Junayd A. Q., Enseignement spirituel, trad de l’arabe par Deladrière R., Sindbad, Paris, 1983, pp :
121 – 124.
179
C‘est ainsi que prennent une i portance i ense, dans le cœur de tels
hommes, Sa grandeur et celle de Sa majesté, la crainte révérencielle (hayba qu’Il
leur inspire, l’efficacité irrésistible de Sa puissance, la durée de Son châti ent et la
violence de Son étreinte (bat sh), la magnificence de Sa récompense et de Sa
libéralité, la surabondance de Son don généreux du Paradis et de Sa compassion, la
multiplicité de Ses faveurs, de Ses grâces et de Ses bienfaits, Sa mansuétude et Sa
miséricorde.
els sont ceux qui constituent l’élite spirituelle de Ses saints. C’est pourquoi
l’on dit : « un tel connaît Dieu » et « un tel est savant au sujet de Dieu », quand on les
voit plonger dans la vénération et la crainte révérencielle, espérant, demandant,
désirant, re pli d’une piété scrupuleuse et anxieuse, pleurant et affligés, soumis et
humbles.
1
Le Coran, op. cit, sourate
181
Un sage vint à passer près de Mâlik b. Dînâr1, et Mâlik lui demanda : « Eclaire-nous,
que Dieu te fasse miséricorde ! » ; Le sage lui répondit : « co ent t’éclairerais-je ?
Si tu connaissais Dieu, cela te dispenserait de tout discours. »
Texte n° 2
Dieu le Très-haut dit : « ils n’ont pas esti é Dieu à Sa juste valeur. » A ce
propos, il est dit dans des commentaires qu’ « ils n’ont pas connu Dieu par sa
véritable connaissance. »
1
Ascète basrien (127H/744).
2
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Baqara (2), v. 164.
3
Le Coran, op. cit, Sourate Yûnus (10), v. 61.
4
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Marifa, Le Caire, 1981, pp : 241, 242.
182
1
Il s’agit de Junayd al-Baghdâdî.
2
L’auteur fait ici allusion à la communauté des soufis.
183
J’ai entendu du a tre Abû ‛Alî ad-Daqqâq, que Dieu lui accorde sa
miséricorde, que parmi les résultantes de la connaissance en Dieu figure le fait
d’atteindre la crainte révérencielle (al-hayba) ; en effet, plus son accentue sa
connaissance plus on développe sa crainte.
J’ai entendu du a tre Abû ‛ d ar-Ra mân as-Sulamî que, selon Ahmad b.
Muhammad b. Zayd, Shiblî dit que le connaisseur (al-‛ârif) n’a aucune relation, […]
8. 3.3. Analyse :
1
Le Coran, op. cit, Sourate An-Naml (27), v. 34.
184
perception intérieure ou intuitive a îra) est plus élevé que celui du commun des
fidèles.
1
Voir chapitre suivant.
185
Cependant tel n’est pas le cas chez tous les soufis. Par exemple, on comprend à
travers les propos d’Abû ‛Alî ad-Daqqâq que celui-ci dissocie clairement savoir (‛ilm)
et connaissance (ma‛rifa).
ien n’est plus étonnant que de pareilles déclarations. La seule explication qui
s’accorderait avec tout ce qui a été développé sur la connaissance se serait fondée sur
une parabole proposée par le soufi en évoquant ce verset.
1
Cf. supra chapitre X.
2
Le Coran, op. cit, sourate An-Naml (27), v. 34.
186
En effet, si la cité était le cœur du dévot, les rois pourraient être les attributs de
Dieu qui se manifesteraient à ce cœur et les citoyens, attributs humains et penchants
maléfiques seraient asservis ou supprimés par les rois. Cela rejoint l’idée de
l’extinction de l’âme charnelle qui sera développée plus loin1.
1
Cf. chapitre suivant.
187
1
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:526.
188
9. 1. De la gratification divine :
Parmi les propos les plus explicites concernant l’amour et l’agrément du Tout-
puissant pour Son serviteur on note ce fameux adît qudsî auquel se réfère
l’unanimité des soufis :
« Mon esclave ne cesse de se rapprocher de Moi par les actes surérogatoires jusqu’à
ce que Je l’ai e et alors Je suis l’ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il
voit, la ain par laquelle il saisit… »1
On note cependant que si la dévotion soutenue peut être considérée ici comme
un préalable à remplir par le serviteur pour être rapproché et être dans une station
d’espoir (maqâma ar-rajâ ) de Son Amour, elle ne conditionne en rien celui-ci qui est
du domaine de Sa volonté absolue. Le verset suivant est d’une parfaite illustration.
« Ô les croyants ! Quiconque parmi vous apostasie de sa religion, Allah va faire venir
un peuple qu’Il ai e et qui L’ai e, odeste envers les croyants et fier et puissant
envers les écréants, qui luttent dans le sentier d’Allah, craignant le blâ e d’aucun
blâ eur. elle est la grâce d’Allah. Il la donne à qui Il veut. Allah est i ense et
omniscient. »2
On peut noter une particularité essentielle de cet Amour qui vient de Dieu : il
n’est pas nécessairement entra né ou conditionné par un quelconque intérêt ou bienfait
porté par l’aimé à l’égard de Son essence (dhât) ou de Ses manifestations (âyât). Il
1
Cf. le commentaire de ce ad t au chap VII. Cf Qushayrî, op.cit., p:246.
2
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Mâ’ida (5), v. 54.
189
n’est pas guidé par un désir ou besoin psychologique. Il est tout simplement une
manifestation de Sa volonté absolue et de Son choix délibéré.
En effet, ici, à la volonté très limitée de l’homme (d’apostasier), Il oppose la
Sienne qui est la Volonté créatrice absolue.
En effet, Louis Gardet, de façon lapidaire, argue que l’Amour de Dieu pour
l’homme « signifie un sentiment de pitié et d’indulgence ». Ceci traduit une simple
caricature de la perception de cet Amour en Islam, conçu certes comme un attribut de
Dieu non nécessaire, mais souvent opposé à l’absoluité du précepte d’amour si chère à
la philosophie chrétienne2.
1
A ce sujet Ghazali a apporté des détails. Cf. Ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., Pp:2584-2597.
2
Anawati G. C et Gardet L.., Mystique musulmane, op.cit., pp : 161, 162.
190
« Allah a très certaine ent agréé les croyants quand ils t’ont prété le ser ent
d’allégeance sous l’arbre. »1
« Voilà le jour où leur véracité va profiter aux véridiques : ils auront des jardins sous
lesquels coulent les ruisseaux pour y demeurer éternellement. Allah les a agréés et
eux L’ont agréé. Voilà l’énor e succès. »2
Ainsi, depuis ce bas-monde, le dévot peut déjà bénéficier de Son Agrément et
il vivra alors dans un « noble état de grâce et d’a our » du Tout-puissant3.
C’est cela qui fait dire à Al- u âsibî que « l’agré ent (ar-ri â) fait partie des états
de grâce du out Puissant et n’est pas du no bre des acquisitions du dévot »4.
Il faut noter que cet état de grâce caractérisant l’Amour et l’Agrément de Dieu
chez le dévot, portés sur sa modeste personne, est du domaine de son intimité. Il en est
informé soutient Al-Qushayrî par le Tout-puissant, à travers des signes5.
1
Le Coran, op. cit, Sourate Al-
2
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Mâ’ida (5), v. 119.
3
Qushayrî, op.cit., p:247.
4
Hujwayrî, op. cit. Tome II, p:407.
5
Qushayrî, op.cit..
6
Etymologiquement al-ghayba signifie « l’absence » et certains spécialistes conservent cette traduction
littérale dans leur emploi.
7
Qushayrî, op.cit., p:63.
191
forgeron. Une brusque analogie d’avec les brûlés de l’enfer l’avait frappé et mis dans
cet état d’hypnose1.
Ailleurs, ‛ li za al-‛ bidîn, un jour, alors qu’il priait, était si absorbé qu’il
n’avait pas pris conscience que sa maison était entrain de brûler2.
C’est à travers cette illustration que certains propos trouvent leurs sens :
« L’extase est co e un essage de la Vérité suprê e annonçant cette bonne
nouvelle : la montée vers la station de la vision de Dieu »4.
Si les soufis de cette première période ne sont pas unanimes sur le nombre de
signes, sur leur nature, leurs manifestations et les étapes connues par le dévot avant de
vivre l’état d’agrément, on retient que tous les signes sont d’ordre psychique et sont
liés à l’épuration du cœur à travers le détachement et la dévotion.
1
Idem.
2
Idem.
3
Cf. chapitre précédent sur l’évocation, p :135.
4
Kalabâdhî, kitâb at-ta‛âruf, trad Gardet L., le Caire, p:83.
5
Ibidem, p :82.
192
1
Qushayrî, op.cit., Pp :64, 65.
2
Junayd A. Q., op.cit., p:167.
193
1
Qushayrî, op.cit., Pp :61 à 67.
194
On constate que c’est seul avec l’assistance (tawfîq) de Dieu que le dévot
pourrait se hisser au sommet de cette ascension :
« C’est ainsi qu’Il te protège contre toi- ê e et qu’Il te fera parvenir alors à ta
pérennisation par ton extinction. »1
On est tenté de dire que ce combat oppose toi contre toi : ton âme charnelle
(an-nafs al-ammâra bis-sû ), contre ton esprit ar-r ), et se termine par l’extinction
de la première2.
9. 3. De la convenance absolue :
« Par i les ho es il en est qui prennent en dehors d’Allah des égaux à Lui, en les
ai ant co e on ai e Allah. Or les croyants sont plus ardents en l’a our
d’Allah. »4
1
Junayd A. Q., op.cit., p:154.
2
Ce conflit sera abordé dans la dernière partie, p :241.
3
Muh âsibî, op.cit.,p : 364.
4
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Baqara (2), v. 165.
195
Ainsi, l’Amour de Dieu se traduit d’abord en une fidélité absolue pour Lui et
pour Son prophète (psl). Et il semble même être proportionnel au degré de foi et de
fidélité :
« Les croyants sont les plus ardents en l’a our d’Allah »
En effet, la fidélité a ses exigences et plus on les respecte et les assure, plus
son amour pour Dieu se trouve être fortifié.
« L’a our est confor ité, c’est à dire obéissance à Dieu en ce qu’Il ordonne,
abstention de ce qu’Il prohibe, agré ent de ce qu’Il décide et décrète. »3
Ainsi, le soufi, dans ses activités de détachement et de dévotion voit cet état
d’esprit (l’Amour de Dieu) se fortifier en lui de jour en jour. Comme dans un cercle
vicieux, cet amour renforce tous les comportements de soumission du dévot.
1
Qushayrî, op.cit., P :249.
2
Muslim, op.cit., H : 44. Cf. Buharî, op.cit., H :15.
3
Kalabâdhî, Kitâb at-ta‛âruf, le Caire, 1934, p:79.
196
Afin de montrer les différents niveaux de cet amour qui, à terme, s’assimile à
l’harmonie et à la convenance avec la volonté du Tout-puissant, un auteur trouve deux
stades :
Plus que tout autre, ce deuxième niveau, conceptualisé quelques fois sous le
mot ‛ishq, dépend de la gratification du Tout-puissant. Il est récurrent dans les
invocations de l Imam ‛Ali.
« Fais que a langue soit occupée à on souvenir, que on cœur soit re pli de on
amour. »3
1
Le Coran, op. cit, Sourate Al-
2
Kalabâdhî, op.cit., p:80.
3
‛Alî b. Abî âlib, Du‛â’ Kumayl, p : 18.
4
Alors que le Prophète était encore vivant, Uways, éloigné de la communauté, retenu par la maladie de
sa maman, avait embrassé l’Islam et sa conversion était annoncée par Muhammad (psl) qui ne l’aura
pas rencontré. Il rejoignit Médine après 632 et fit partie ainsi des Tâbi‛ n (les suivants) ; cf : Hujwîrî,
op.cit., p : 291.
5
Attar F. D., op. cit., p:36.
197
Toutefois, on est encore loin des commentaires de certains propos de soufis qui
étaient d’une extrémité et d’une incohérence incompatible à la Sunna du Prophète
(psl). C’est ainsi qu’on attribue à Ra i‛a3 des propos à travers lesquels elle répondit,
dans un rêve au Prophète (psl), lorsque celui-ci voulut savoir s’il était lui-même
concerné par son amour :
« L’a our du Seigneur très haut, répondit-elle, re plit telle ent on coeur qu’il n’y
reste de place ni pour l’a itié, ni pour l’ini itié envers qui que ce soit. »4
1
Ghazali, Ihyâ‘ ‛ulûm ad-dîn, op.cit. P:2582.
2
Idem.
3
R i‛a al-‛ da i a, une femme ascète, très célèbre pour son culte d’amour pour Dieu, elle mourut
en 135H/752. Cf. Attar F., op.cit., p : 82.
4
Attar F. D., op. cit., p:92.
198
L’agrément du soufi pour son Seigneur renvoie sur plusieurs aspects à une
remise confiante de soi en Dieu (at-tawakkul). Seulement, tandis que ce dernier
s’inscrit dans le domaine de l’acquisition où le dévot, par un effort psychique,
reconnaît en toute chose son impuissance et place, en toute chose, son issue ( awl) et
sa puissance (quwwa) en Dieu, l’agrément est quant à lui, du ressort de son
assentiment et de sa convenance absolue par rapport à Sa volonté. Très lié à l’autre
Amour et Agrément qu’il reçoit de son Seigneur, celui-ci en est une gratification
subséquente. Le Serviteur agréé agrée son Seigneur.
Quand il vit cet état d’esprit il annihile sa propre volonté, ses désirs et ses
souhaits quels qu’ils soient, dans la volonté du Tout-puissant. Il est en harmonie avec
Sa volonté.
C’est ainsi que lorsqu’il invoque son Seigneur, il se trouve tenaillé entre
l’obligation d’assumer sa servitude (‛ubûdiyya) et le gène d’émettre son propre
souhait malgré la reconnaissance absolue de la primauté de Sa volonté.
1
‛Alî b. Abî âlib, Du‛â‘ umayl, op.cit., p : 19.
2
Janâbî (al) M., i ma ar-rûh as-sûfiy, Damas, Dâr al-madâ, 2001, p:146.
199
Mais avec l’Agrément, le choix doit rena tre et se confondre cette fois-ci au
choix du Tout-puissant, car, en ce moment, Dieu est « l’ouïe par laquelle il entend, la
vue par laquelle il voit et la main par laquelle il saisit ».
Le dévot qui vit cet état d’esprit est décrit par usayn b. ‛Ali1 dans ses
propos :
« Celui qui a confiance au bon choix de Dieu, n’approuvera que ce qu’Il aura choisi
pour lui »2
.
Par conséquent, l’agrément c’est aussi, selon al- u âsibî « la quiétude du
cœur devant le déroule ent des sentences divines. »3
9. 4.1. Présentation :
1
Troisième Imam chiite, mort en 61/681, tué à Karbalâ Cf. Hujwîrî, op.cit., p : 277.
2
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p: 405.
3
Ibidem, p : 407.
4
Cf. texte n° 1
5
Cf. texte n° :2
200
En effet, à travers ces propos, non seulement les comparaisons qui y sont faites
peuvent renvoyer au sens profane de l’amour, mais, les frappantes déclarations,
placées dans l’optique de la Sunna frise l’incohérence ou même l’hérésie. Pour cela,
une analyse approfondie peut aider à situer les points de divergence d’avec la
tendance orthodoxe.
Texte n° 1 :
1
Junayd A. Q., op. cit., pp : 152, 153.
201
tour mènera à la « jonction » i i âl) avec Lui. De celle-ci na tra pour l’ho e
l’ « explication » (bayân), et cette explication sera suivie de la « désorientation » (ou
« perplexité » : ayra), qui fera dispara tre l’explication et qui entra nera pour
l’ho e qu’il ne pourra plus rien dire de Lui.
Il en est ainsi, parce qu’il sera passé de l’ « ivresse » de l’e prise divine
(sakrat al-ghalaba) à la lucidité du « dégrisement » ( a a - a w). Il lui est rendu
alors la vision selon laquelle les choses occupent leur vraie place et sont mises là où
elles doivent être, en vertu de la perception de Ses attributs et de la « pérennisation »
(baqâ ) des traces divines, et de la considération de Son action, après avoir atteint le
but qu’Il lui assignait.
Texte n° 2
1
Attar F. D., op. cit., pp : 92 – 94.
202
- J’ai e telle ent le Seigneur très Haut que je ne ’inquiète pas de l’ini itié de
ha ân.
On raconte que R i‛a vit en songe l’Envoyé, sur lui soit le salut ! Qui la
salua et lui dit :
-ÔR i‛a ! M’ai es-tu ?
- Ô Envoyé de Dieu ! Répondit-elle, peut-il se trouver quelqu’un qui ne t’ai es pas ?
Et cependant l’a our du Seigneur très Haut re plit telle ent on cœur qu’il n’y
reste de place ni pour l’a itié ni pour l’ini itié envers n’i porte quel autre. […]
On raconte que, pendant l’été, R i‛a se retirait dans une maison isolée dont
elle ne sortait pas. Sa servante lui dit :
- Maîtresse, sors de cette maison et viens contempler les oeuvres de la toute-
puissance du Seigneur très Haut.
- Entre plutôt toi-même, répondit-elle, et viens contempler la toute-puissance en elle-
même.
Et elle ajoutait : « Mon rôle à oi, c’est de conte pler la toute-puissance. » […]
Texte n° 3
Sache que l’a our que Dieu le rès-haut a pour le serviteur est le fait de lui
vouloir du bien et de lui accorder Sa iséricorde. L’a our al-ma abba) est l’un des
1
Hujwîrî, op.cit., P: 550.
203
noms déclinés à partir de (Sa) volonté (al-Irâda), co e l’est l’agré ent ar-Ri â).
De ê e la colère, la clé ence et tous les no s de cette sorte ne sont liés qu’à la
Volonté de la Vérité le Très-haut. Cette Volonté en question est un attribut originel
qui Lui revient et par lequel Il motive Ses actes.
En définitive, l’a our que Dieu a pour le serviteur se traduit par le fait qu’Il
le gratifie d’inno brables bienfaits et qu’Il le réco pense dans ce onde et dans
l’autre, le sécurise par rapport à tout ce qui i plique punition, le protège du péché,
l’honore par des états élevés et des stations subli es, le préoccupe au point qu’il ne
puisse pas se tourner vers autre que Lui, lui fait parvenir les faveurs pré temporels
afin qu’il se départisse de tout et s’isole dans la recherche de Son agré ent.
Quand la Vérité favorise le serviteur par la gratification de ces valeurs, ils (les
soufis désignent la particularité de Sa volonté ainsi anifestée par l’a our al-
ma abba . elle est la pensée de l’école de ârit al- u âsibî, de Junayd d’un bon
no bre de a tres. La plupart de l’ense ble des juristes des deux groupes1et des
théologiens2 (mutakallimûn) des sunnites, que Dieu les agrée tous, est aussi de cet
avis. […]
Quant à l’a our de Dieu chez le serviteur, c’est un attribut qui se réalise dans
le cœur du fidèle croyant et se traduit par le fait de agnifier et d’exalter Dieu , afin
de chercher l’agré ent de l’Ai é. Ainsi, il est à la li ite de la patience en cherchant
à Le voir, agité par le désir de se rapprocher de Lui. Il ne trouve le cal e qu’à Ses
côtés et s’habitue à Sa ention en se départant de tout ce qui ne l’évoque pas. Il
s’interdit toute stabilité et le cal e le fuit. Il coupe ses liens avec tous les habituant et
les sociabilisant, tourne le dos aux passions et va à la rencontre du Souverain de
1
Sans doute, il s’agit ici des shiites et des sunnites.
2
Probablement, il fait allusion à l’école ash‛arite.
204
l’A our en suivant Sa loi. Il conna t ainsi Dieu le rès-haut et se trouve être sanctifié
par les attributs de la complétude (al-kamâl).
9. 4.3. Analyse :
L’amour que Dieu a pour son serviteur se confond chez Junayd à Son
agrément, aussi son expression la plus manifeste est Son assistance (at-tawfîq) pour le
dévot. Ainsi, par Son amour, Il l’aide à s’approcher de Lui. Or cette assistance
apparaît depuis la confession de Son unité et accompagne le serviteur jusqu’à la
Pérennisation. On comprend par là que cet amour n’est pas conditionné par quoi que
ce soit, mais dépend simplement de la volonté de Dieu. C’est plutôt l’affection
(amour) que le dévot éprouve pour le Seigneur qui est proportionnelle à son degré de
sincérité1.
Ce passage de Junayd est certes identique aux précédents par son style
analytique, mais son accessibilité et sa clarté est atténuée par la densité des concepts
plus ou moins hermétiques qui, pour chacun d’eux, est chargé de beaucoup de
signification pour la communauté des soufis.
1
Cf. la troisième partie de ce présent chapitre, p :194.
2
Voir les signes dans la deuxième partie de ce chapitre.
3
Voir le développement de ces concepts en infra chapitre IV et V.
205
Comme on l’a évoqué un peu plus haut dans ce chapitre, les propos du
deuxième récit par lesquels elle déclare ne pouvoir aimer le Prophète à cause de
l’intensité de son amour de Dieu sont déconcertants. Cela fait même penser à une
personnification de Dieu de sa part au sens profane de l’amour.
L’amour que Dieu a pour Son serviteur est une gratification divine qui se
résume en Son assistance (at-tawfîq) et dépend exclusivement de sa volonté.
L’amour du serviteur se traduit par « le fait de agnifier et d’exalter (Dieu),
afin de chercher l’Agré ent de l’Ai é », ainsi que d’avoir confiance en Sa
volonté.
206
« Certes, Nous avons honoré les fils d’Ada . Nous les avons transportés sur
terre et sur mer, leur avons attribué de bonnes choses comme nourriture, et Nous les
avons nettement préférés à plusieurs de Nos créatures. »1
C’est pour cela que le Coran présente la raison (al-‛aql) comme un don, un
signe de préférence et sur ce, selon le soufi, le fidèle est appelé à l’utiliser à bon
escient, en l’éloignant des malices et subtilités de l’âme charnelle.
1
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Isrâ’ (17), v. 70.
2
H. Piéron définit le narcissisme comme étant la persistance ou le retour d’un stade archaïque du
développement psycho sexuel dans lequel l’objet d’amour est la personnalité propre, cela peut se
traduire par l’égoïsme humain dans une certaine mesure. Cf. H. Piéron, Vocabulaire de la psychologie,
PUF Quadrige, Paris, 2000, 6e éd, p : 291.
207
Toutefois, on peut noter d’emblais que c’est par la conscience que s’opèrent
les facultés de l’intelligence. En effet, grâce aux organes de sens dont le contrôle
1
H. Piéron, op. cit. p : 232.
2
Idem.
3
H. Piéron, op. cit. p : 375.
208
Le Coran s’adresse à l’homme doué de raison selon ses propres termes. Ainsi,
à travers ses interpellations, on comprend qu’au-delà des sources émotives que
constituent les miracles prophétiques, la raison est confirmée comme la voie royale
pour accéder à la foi. D’ailleurs, il a été démontré que l’éloquence et la rhétorique 3
coranique sont, à plusieurs titres, une adresse à la fois défiante et édifiante à la raison
humaine :
1
Cf. chapitres sur la pénitence et la longanimité, p :96 .
2
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Qiyâma (75), v. 2.
3
Cf. chapitre I sur les arguments coraniques, p :24.
4
Le Coran, op. cit, Sourate Az-Zuhruf (43), v. 2,3.
209
« Annonce la bonne nouvelle à Mes serviteurs qui prêtent l’oreille à la parole, puis
suivent ce qu’elle contient de eilleur. Ce sont ceux là qu’Allah a guidés et ce sont
eux les doués d’intelligence ! »1
« Ne méditent-ils pas sur le Coran ? Ou y’a-t-il des cadenas sur leurs cœurs ? »2
« Ne vous ai-je pas engagés, enfants d’Ada , à ne pas adorer le Diable ? Car il est
vraiment pour vous un ennemi déclaré,
Et [ne vous ai-je pas engagés] à ’adorer ? Voila un chemin bien droit.
Et il a très certaine ent égaré un grand no bre d’entre vous. Ne raisonnez-vous
donc pas ? »3
« A quiconque nous accordons une longue vie, nous faisons baisser sa forme. Ne
comprendront-ils donc pas ? »4
1
Ibidem, Sourate Az-Zumar (39), v. 17, 18.
2
Ibidem, Sourate Muh ammad (47), v. 24.
3
Ibidem, Sourate Yâsîn (36), v. 60-62.
4
Ibidem, Sourate Yâsîn (36), v. 68.
210
Selon Junayd, les soufis ont le regard perpétuellement fixé sur ce que leur
prescrit la parole divine, selon les exigences que leur impose la servitude (al-
‛ubûdiyya)2 ; et par l’intelligence, ils agissent pour le meilleur3.
C’est bien la raison qui permet au soufi d’analyser le fond du message pour en
tirer une attitude conséquente conforme au plus sincère choix possible en toute
connaissance de cause et du sort réservé au serviteur de Dieu qu’il est. C’est pour
cette utilité que beaucoup d’entre eux n’ont pas cessé de faire l’éloge de la raison (al-
‛aql), à l’image de l- a rî4.
1
Ce conflit se manifeste à partir du IIIe siècle de l’Hégire, mais avant cette période, et pour le contexte
temporel qui concerne cette présente étude, beaucoup de témoignages ont montré que les plus éminents
juristes étaient aussi des soufis. Pour d’autres précisions sur l’époque conflictuelle cf. S. Ndiaye, op.cit.
2
Junayd, op. cit. p: 55.
3
Ibidem, pp :59, 60.
4
S. Ndiaye, op. cit, p: 12.
211
En effet, autant la raison est capable de faire opérer une analyse pure et
décisive pour déterminer la vérité, autant, il est difficile pour elle d’adopter une
attitude de distanciation quand il s’agit d’opérer un choix qui ébranle l’ego ou qui
menace la quiétude ou le confort de l’individu. C’est ainsi que la raison aliénée se
charge toujours de justifier des manquements du dévot. Fort de cela, des soufis
comme al- u âsibî accordent à l’intelligence une seule fonction essentielle :
l’introspection. Et ce qui, selon lui, peut sauver d’un tel égarement est le respect de
« la voie droite » (a - ir al-mustaqîm), celle tracée par le Message prophétique.
Le soufi est d’avis que, certes, le cadeau le plus précieux accordé à l’homme
est la raison mais, dans son dispositif de fonctionnement, à travers ses relations avec
les sens, elle est exposée à l’influence de l’âme charnelle3.
Par ailleurs, la raison est assurément un outil qui permet d’accéder à une
science certaine (‛ilm al-yaqîn). Seulement, en analysant le message coranique, on est
1
Abû ‛ lî al- u ayl b. ‛I , un soufi très célèbre, originaire de Hurasân, il est mort en 187H/803.
Cf. Hujwîrî, op.cit., p : 308.
2
Attar F. D., op. cit., p:107.
3
Nas r S. ., As-Sûfiyya bayn al-ams wal-yawm, Beyrout, 1975, p : 67. Cf. à la fin de ce chapitre un
passage de Ghazali sur l’intellect.
212
d’avis qu’avec la raison on ne peut pas aller au-delà de cette science acquise. Or, de
l’autre côté, le savoir qui permet d’accéder à la Certitude est gratifié1.
« …Et de Sa science, ils n’e brassent que ce qu’IL veut. »2
Il existe donc une science qui ne s’acquiert pas, mais se donne, comme ce fut
le cas avec cet homme qui en a été gratifié et qui dévoilait au prophète Mûsâ des
choses qui échappaient à l’entendement humain et perturbaient le bon sens.
« …Ils trouvèrent l’un de Nos serviteurs à qui Nous avions donné une grâce, de Notre
part, et à qui Nous avions enseigné une science émanant de Nous. »3
Le passage le plus frappant, mais aussi le plus éloquent est sans doute ce
fameux verset d’une beauté extrême qui a suscité beaucoup de commentaire du côté
notamment des soufis4 :
« Allah est la Lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche
où se trouve une lampe. La lampe est dans un (récipient) de cristal et celui-ci
ressemble à un astre de grand éclat ; son co bustible vient d’un arbre béni : un
olivier ni oriental, ni occidental dont l’huile se ble éclairer sans ême que le feu ne
1
Ghazali, Ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op. cit.p:34.
2
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Baqara (2), v. 255.
3
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Kahf (18), v. 65-82. Notons que dans ce passage le Livre n’est pas
explicite quant au nom du serviteur en question.
4
Ghazâlî a consacré un ouvrage entier à ce verset : Mishkât al-anwâr (Le Tabernacle des lumières), il a
sans doute fait beaucoup d’emprunt de concepts notamment hellénistiques, mais son analyse s’est
fondamentalement inspirée de la pensée de ses maîtres prédécesseurs du a awwuf.
213
la touche. Lumière sur lumière. Allah guide vers sa lumière qui Il veut. Allah propose
aux hommes des paraboles et Allah est omniscient. »1
« Est-ce que celui dont Allah ouvre la poitrine à l’Isla et qui détient ainsi une
lu ière venant de son Seigneur…Malheur donc à ceux dont les cœurs sont endurcis
contre le rappel d’Allah. Ceux-là sont dans un égarement évident. »4
Cette lumière de Dieu se perçoit par le cœur.
1
Coran, op. cit, sourate An-Nûr (24), v. 35.
2
Coran, op. cit, sourate Al-Baqara (2), v. 19,20.
3
Ghazali, Mishkât al-anwâr, op. cit.p:37-61.
4
Coran, op. cit, Sourate Az-Zumar (39), v. 22.
5
Coran, op. cit, Sourate Al-Anfâl (8), v. 29.
214
« Et quant à ceux qui luttent pour Notre cause, Nous les guiderons certes sur Nos
sentiers. »1
Sur ce, on peut comprendre pourquoi le soufi accorde une plus large
considération à cette lumière qu’à la raison naturelle aliénable. Cela n’exclut point la
nécessité de cette dernière. Mais elle s’impose plutôt sous un angle de
complémentarité2. Elle permet d’accéder incontestablement au savoir acquis dont on a
besoin pour accomplir correctement les pratiques de servitude. Quant à ce qui mène
vers la certitude en l’unicité de Dieu, c’est la lumière3.
Plus tard, des penseurs musulmans, reprenant les écrits de Platon et d’Aristote,
ont tenté de faire une conciliation entre cette lumière et la raison, à travers la fameuse
théorie de « l’é anation de l’intellect »4.
1
Coran, op. cit, Sourate Al-‛An abût (29), v. 69.
2
Sharqâwî, Ash-Sharî a wal haqîqa, op. cit., Pp: 60-81.
3
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:511 et cf Junayd, op. cit. p :130.
4
Il s’agit ici essentiellement d’al-Farabî et d’Ibn Sînâ ; les traités ultérieurs de Ghazali n’ont pas
manqué de s’en inspirer pour repréciser la position de ses ma tres soufis. Cf. développement au chapitre
XII, p :245.
215
Le premier texte est extrait d’un traité de Ghazali : Mishkât al-anwâr (Le
Tabernacle des lumières). Ecrit pendant les dernières années de sa vie, ce livre est une
synthèse de beaucoup de thèmes déjà abordés par l’auteur dans ses ouvrages
précédents. Il date de la dernière période de sa vie1.
Comme il l’a indiqué tout au début, il est une réponse adressée à un frère qui
voulait de sa part un commentaire du verset de la lumière2. L’idée générale est fondée
sur une double analogie établie avec habileté :
F. Attâr rapporte des propos d’Al- is âmî3 qui révèle comment, au bout de sa vie
de détachement et de dévotion, il est parvenu à avoir une autre perception de la
créature4. Moins éloquent que Ghazali, Al- is âmî emploie néanmoins des images qui
font plus penser à une expérience personnelle authentique qu’à une élaboration
conceptuelle théorique.
1
Cf. note biographique sur l’auteur au chapitre III, p :77.
2
Coran, op. cit, Sourate An-Nûr (24), v. 35.
3
azîd a r ‛ s l- is âmî est originaire de is âm. Il voyagea beaucoup et eut à rencontrer
l’Imâm Ja‛ ar. On lui attribua beaucoup de miracles et il se particularisa, selon certaines sources, par
ses exclamations et ses affirmations déroutantes. Il mourut en 261H/875.
4
Cf. texte n° 2
216
Texte n° 1
Ce sont là sept i perfections, qui sont inséparables de l’œil externe. Si donc il existait
un œil d’une autre sorte, exe pts de tous ces défauts, ne ériterait-il pas mieux,
vraiment ! Le nom de « lumière » ?
1
ha ali A. ., Le Tabernacle des lumières, trad. Mishkât al-anwâr par Deladrière R., Sindbad, Paris,
1981, pp : 40 – 44.
217
Nous disons donc que l’intellect érite ieux que l’oeil externe d’être appelé
lu ière, car il échappe par l’élévation de son rang aux sept i perfections :
En pre ier lieu, l’œil ne se voit pas lui- ê e, tandis que l’intellect perçoit les
autres tout en se percevant lui-même dans ses diverses attributions : il se perçoit en
effet « connaissant » et « pouvant », il perçoit la connaissance qu’il a de lui-même, la
connaissance qu’il a de cette connaissance, la connaissance de la connaissance de
cette connaissance, et ainsi de suite à l’infini. C’est là une propriété inconcevable pou
ce qui perçoit par un corporel. Derrière cela réside un ystère qu’il serait trop long
d’exposer.
Deuxiè e ent, l’œil ne voit pas ce qui est trop éloigné ni ce qui est
exagéré ent proche de lui. Pour l’intellect, ce qui est près et ce qui est loin sont
indifférents. En un clin d’eil il onte et s’élève au plus haut des cieux, et le te ps
d’un batte ent de paupières il reto be et redescend jusqu’aux confins des terres.
Bien plus, quand on connaît les vérités spirituelles, il est de toute évidence que sa
nature sainte le met bien au-dessus et hors de l’atteinte des notions de proxi ité et
d’éloigne ent, liées au onde des corps. Il est en effet le symbole de la lumière de
Dieu, et le sy bole ne saurait anquer de resse bler à son odèle bien qu’il n
puisse s’élever jusqu’à la ci e de l’équivalence. Peut être cela va-t-il t’inciter à
méditer sur le mystère de la parole du Prophète : « Dieu a créé Adam à son image. »1
roisiè e ent, l’œil ne perçoit pas ce qui se trouve derrière des voiles.
L’intellect, lui, se eut libre ent dans le do aine du rône et du Piédestal divins 2 et
de ce qui se situe derrière les voiles des cieux, ou dans le plérôme suprême et le
Royaume céleste3, tout aussi libre ent qu’il se eut dans son univers propre et dans
son royaume immédiat, à savoir le corps qui lui est affecté en propre. De toutes les
1
Tradition transmise par Abû Hurayra et citée dans les recueils canoniques. Selon une variante Adam
a été créé « à l’image du Tout-miséricordieux » (ar-Ra mân).
2
De nombreux versets coraniques mentionnent le Trône divin (al-‛Arsh), entre autres le verset 54 de la
sourate VII : « Votre Seigneur est Dieu, qui créa les cieux et la terre en six jours puis siégea sur le
Trône. » Quant au Piédestal divin (al-Kursî), il est dit au verset 255 de la sourate II.
3
Le plérôme suprême (al-mala al-a‛lâ) désigne l’Assemblée des anges. Dans le Coran, le oyaume
céleste (al-Malakût) englobe les cieux et la terre.
218
réalités, aucune n’et cachée à l’intellect. S’il a un voile de l’intellect, dans la esure
où il serait voilé, c’est de son propre fait, en raison de certaines propriétés qui lui
sont liées, co e l’œil ui se cache lui-même en fermant les paupières. Tu en saurs
davantage au troisième chapitre de cet ouvrage.
Quatriè e ent, l’œil perçoit l’extérieur des choses et leur surface, ais non
leur intérieur, bien plus qu’il n’en perçoit que le oule et la for e, et non pas leur
véritable nature. L’intellect, lui, pénètre à l’intérieur et au cœur des choses et il saisit
leur nature profonde et leur essence intelligible. Il découvre leur cause, leur raison
d’être, leur finalité et leur har onie interne ikma . Il trouve d’où elles ont été
créées, co ent et pourquoi elles ont été créées, de co bien d’élé ents réels elles
sont la so e et elles se co posent, quel rang elles occupent dans l’Existence, quelle
es leur relation avec leur Créateur et quelle est leur relation avec le reste de Ses
créatures, tout ceci entre autres objets de recherche qu’il serait trop long d’exposer et
pour lesquels je préfère abréger.
Cinquiè e ent, l’œil ne voit que quelques êtres, puisqu’il est incapable de
percevoir les réalités intelligibles et même beaucoup de réalités sensibles. Il ne
perçoit ni les sons, ni les odeurs, ni les saveurs, ni la chaleur et le froid. Pas plus que
l’œil ne saisit les facultés de perception elles-mêmes, ouïe, vue, odorat, goût, ni à plus
forte raison les états intérieurs et psychologiques, comme la gaieté et la joie,
l’affliction et le chagrin, la souffrance et le plaisir, la passion et le désir, ou encore la
puissance, la volonté et la connaissance, etc., parmi toutes les choses qui existent et
qui sont incalculables et innombrables. Son domaine est donc très restreint et son
cha p d’action très réduit, puisqu’il ne peut aller au-delà des couleurs et des formes,
qui sont ce qu’il y a de plus bas chez les êtres, ceux que l’on peut énu érer et la
multitude inno brable constituée par l’i ense ajorité des autres êtres. Il se eut
libre ent auprès d’eux, portant sur chacun un juge ent s r et vrai. Leur nature
secrète lui est transparente, et leur essence cachée lui est évidente.
Co ent l’œil externe pourrait-il donc rivaliser de gloire avec l’intellect et lui
disputer le titre de « lumière » ? Certainement pas ! Il n’est lu ière que relative ent
219
aux autres choses, ais par rapport à l’intellect il n’est que ténèbres. Plus
exactement, il fait partie des informateurs, chargés souverainement par lui de son
ministère le moins précieux, à savoir celui des couleurs et des formes, dont il lui
apporte les renseigne ents sur lesquels l’intellect décidera selon ce qu’exige sa
perspicacité et son jugement sans appel.
Les cinq sens externes sont les observateurs de l’intellect. Mais il en a d’autres
à l’intérieur, tels que l’i agination (hayâl), la faculté estimative (wahm), la faculté
cognitive (fikr), la faculté de rappel (dhikr) et la mémoire (hifz). Derrière ces
observateurs des serviteurs et des défenseurs, qui lui sont soumis en fonction du
onde qui est le sien. Il se sert ‘eux et les traite à son grè, ieux encore que ne le fait
un roi avec ses esclaves. Il serait trop long de développer ce sujet, et d’ailleurs nous
en avons parlé au chapitre des « Merveilles du cœur » dans notre I yâ .
Sixiè e ent, l’œil ne voit pas ce qui est illi ité, car il voit des corps, qualifiés
par certains attributs, selon lesquels un corps ne saurait être conçu que limité.
L’intellect, lui, perçoit les objets de la connaissance, et on ne peut les concevoir
limités. Sans doute au moment où il considère des choses particulières, le résultat
immédiat de cette connaissance se présente-t-il à lui comme illimité. Mais il a la
possibilité de percevoir ce qui est illimité.
Septiè e ent, l’œil voit petit ce qui en réalité est grand ; il perçoit le soleil
co e ayant la di ension d’un bouclier, et les étoiles sous l’aspect de pièces de
onnaies rependues sur un tapis azuré. L’intellect, lui, saisit que les étoiles et le soleil
sont cent fois plus grands que la terre. L’œil voit les étoiles co ei obiles, ainsi
que l’o bre qui est devant lui ; de même il ne voit pas sur le moment le petit enfant
entrain de grandir, alors que l’intellect saisit que la taille de cet enfant aug ente et
que sa croissance est continue, que l’o bre bouge consta ent et qu’en un instant
les étoiles parcourent un no bre considérable de illes. […]
Texte n° 2
« Douze années de suite, je fus le forgeron de ma personne [de mon âme], que je
plaçai dans le foyer de l’ascétis e, pour la faire rougir au feu de l’épreuve, la pauser
sur l’enclu e de la crainte et la battre avec le arteau de la répri ande. Je fis ainsi
d’elle un iroir qui e servit à ’exa iner moi-même pendant cinq années, où je ne
1
Attar F. D., Mémorial des saints, trad. Tadhkirat al-awliyâ‘ par Courteille A. P., seuil, Paris, 1976,
pp : 159,160.
221
Son explication commence par montrer les limites de la vue de l’œil externe,
pour ensuite montrer, par une comparaison, que ces limites sont dépassées avec l’œil
du cœur. L’approche est concrète et très pédagogique.
Pour l’auteur, ces entraves sont un voile qui empêche à l’intellect d’accéder
parfois à la vérité des choses. On peut donc dire que, selon lui, c’est l’intellect ainsi
voilé qui devient la raison corruptible à laquelle font allusion ses maîtres soufis.
Autrement dit une raison pure ou purifiée serait un œil du cœur, un intellect.
222
C’est seulement à l’issue de cette dernière étape qu’il put purifier son cœur et
avoir la perception intérieure al- a îra).
1
Cette conception sera largement développée dans les chapitres suivants.
223
Quatrième partie:
DES CONCEPTIONS DE
224
Quatrième partie : C C P I
Dans leurs conceptions, l’élément le plus proche de l’âme dans le cœur et qui
fait aussi l’objet d’une égale attention de leur part est l’esprit ar-r ). Y’a-t-il
d’ailleurs une différence essentielle entre l’âme et l’esprit ? La réponse à cette
question pourrait contribuer à la convergence des représentations sur la question.
« …à Jésus fils de Marie Nous avons apporté les preuves et l’avons fortifié par le
Saint-Esprit. »1
« Et quand Allah dira : ô Jésus, fils de Marie, rappelle-toi de Mon bienfait sur toi et
sur ta mère quand Je te fortifiais du Saint-Esprit… »2
« Dis : c’est le Saint-Esprit qui l’a fait descendre de la part de ton Seigneur en toute
vérité, afin de raffer ir [la foi] de ceux qui croient, …»3
« Ce [Coran] ci, c’est le Seigneur de l’univers qui l’a fait descendre, et l’Esprit fidèle
est descendu avec cela
Sur ton cœur, pour que tu sois du nombre des avertisseurs. »4
Le rang éminent qu’il occupe au sein du monde angélique fait qu’il est souvent
distinctement évoqué à côté des siens :
« Durant celle-ci descendent les anges ainsi que l’Esprit, par per ission de leur
Seigneur pour tout ordre. »6
1
Coran, op. cit, Sourate Al-Baqara (2), v. 87, 253.
2
Ibidem, Sourate Al-Mâ’ida (5), v; 110.
3
Ibidem, Sourate An-Na l (16), v. 102.
4
Ibidem, Sourate Ash-Shu‛arâ (26), v. 192-194.
5
Suy î J. D., Lubâb an-nuqûl fî asbâd an-nuzûl, vol II, p: 270.
6
Coran, op. cit, Sourate Al-Qadar (97), v. 4.
226
Parmi les autres missions dévolues à cet Esprit est l’annonce de bonnes
nouvelles aux rapprochés de Dieu. C’est lui qui informa Marie de la volonté du Tout-
puissant de créer en son sein un prophète.
« Nous lui envoyâmes Notre Esprit, qui se présente à elle sous la for e d’un être
humain parfait. »1
Plus tard, cet être a fait l’objet de beaucoup de spéculation dans la pensée de
certains philosophes musulmans. C’est ainsi qu’al-Farabî, dans sa théorie de
l’émanation, le conçoit comme « l’intellect agent qui est l’intermédiaire entre la
raison divine et l’â e parfaite. »2
En effet, le prophète (psl) avait prié pour que le Tout-puissant aide le poète
assân, par le Saint-Esprit, à répondre aux attaques satyriques des mécréants de la
Mecque. Sa prière ayant été exaucée, il l’encouragea en ces termes :
« Le Saint-Esprit ne cessera de t’assister… »3
1
Ibidem, sourate Maryam (19), v.17.Dans la version de référence « rajul » a été traduit littéralement
par « homme », ici l’expression « être humain » nous paraît plus opportune.
2
Baudart A. et al, Histoire de la philosophie : 1. Les pensées fondatrices, Paris, A. Colin, 1993, p:180.
3
Muslim, op.cit., H : 2490.
4
Coran, op. cit, Sourate Al-Isrâ‘ (17), v. 85. Le commentaire de référence a traduit ici le mot ar-r
par l’âme, nous avons préféré le mot « esprit » qui est plus approprié à l’étymologie et qui est à même
227
Cette fois ci la révélation fait allusion à un autre concept qui est parfois
assimilé à l’âme (an-nafs) de la personne. Il s’agit de son esprit qui est ici conçu
comme une composante essentielle de l’entité d’un être vivant.
Mais cette fois-ci le Coran est peu explicite à propos de cet esprit. Les
commentateurs précisent que les mécréants de Quraysh, sous l’instigation des juifs
avaient été amenés à demander au Prophète (psl) ce qu’était l’esprit et comme
réponse, le verset précédent lui a été révélé1.
« Quand ton Seigneur dit aux anges : Je vais créer d’argile un être hu ain.
Quand Je l’aurai bien for é et lui aurai insufflé de Mon esprit, jetez-vous devant lui,
prosternés. »2
D’autre part, l’existence en l’homme de cette chose ainsi que sa puissance ont
été confirmées à travers les propos du Prophète (psl) :
« Les esprits sont co e des soldats ar és… »3
de donner la connotation de pureté liée au r . Toutefois cette assimilation semble réconforter l’idée
de l’unicité de cette entité qui sera développée plus loin.
1
Il s’agirait d’a - a ar al- rit qui a été envoyé poser la question. Cf : Hujwîrî, op. cit. Tome II,
p:502 et cf: Suy î . D., Lubâb an-nuqûl fî asbâd an-nuzûl, vol I, p:236.
2
Coran, op. cit, Sourate âd (38), v. 71, 72.
3
Muslim, op.cit., H :2638. Cf Buhârî, op.cit., H.3336.
228
Au-delà de cet aspect, le message prophétique n’a pas insisté outre mesure sur
son essence et sur le comment de ses relations avec l’existence de l’être. On peut
cependant retenir à son propos les points suivants :
Sur la base de toutes ces considérations, le soufi de l’époque s’est fait une
représentation de l’esprit.
Certains pensaient que « l’esprit n’est pas la vie ais il n’y a pas de vie sans
esprit »3. Ainsi, il ne la conditionne pas mais ils sont néanmoins liés. L’esprit est
déposé auprès de toute personne vivante. Il peut s’éloigner du corps sans que celui-ci
1
Cf. supra chapitre VIII, p :172.
2
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:503.
3
Ibidem, p: 502.
229
ne perde la vie, comme c’est le cas durant le sommeil1. Seulement, on soutient ici que
son départ enlève toujours la conscience de l’individu2. C’est justement pour cette
raison d’instabilité que l’on refuse, avec cette position, d’établir une quelconque
relation de cause à effet entre l’esprit et la vie. En effet, au moment du sommeil le
corps est bien maintenu en vie, mais il est réduit à une existence sans conscience ce
qui s’apparente à la vie végétative.
Dès lors, on peut aboutir à une hypothèse : l’être humain est animé par deux
vies :
Une vie spirituelle dont le moteur est l’esprit ar-r ) et auquel elle est liée ;
Une vie végétative dont le moteur reste à être déterminé.
Fort de ce qui a été retenu des phénomènes comme les pulsions et l’instinct
liés à la satisfaction corporelle et à la conservation de l’individu et pour tout ce que
ceci entretient avec l’âme charnelle, on peut même avancer que celle-ci devrait être le
moteur de la vie végétative.
Pour l’autre interprétation, on pense que « l’esprit c’est ce qui donne vie au
corps »3.
Cette idée s’appuie sur les nombreux passages coraniques dans lesquels il est
précisé que c’est grâce au souffle de « l’esprit », après que le corps d’Adam soit créé
que celui-ci est en vie4. Ainsi, « Dieu, le très Haut a créé le corps et a confié sa vie à
l’esprit, a créé le cœur et s’est chargé lui-même de sa vie »5.
1
Coran, op. cit, Sourate Az-Zumar (39), v. 42.
2
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:503.
3
Ibidem, p: 502.
4
Coran, op. cit, sourate âd (38), v. 71, 72.
5
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p: 510.
6
‛ d all h ‛ mr ‛ tmân al-Makkî, mort à Baghdad en 291/913. Cf : Qushayrî, op.cit., p :36.
230
dans le cœur, le cœur dans le corps puis fit chevaucher le tout par la raison (al-
‛aql). »1
Si tel est le cas, on peut interpréter cette disposition comme suit : Dieu pourrait
personnellement intervenir dans les relations entre les éléments constitutifs de ce cœur
spirituel dont le plus précieux est l’esprit tout en confiant sa vie spirituelle à ce
dernier. Dès lors, les deux thèses sur la relation entre l’esprit et la vie se complètent
plus qu’elles ne se contredisent.
1
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:553.
2
Muslim, op.cit., H : 2654.
231
11 2 2 e o ologie de l homme :
Par ailleurs, l’unanimité qui voudrait que le r soit le plus noble des
constituants du cœur1 confirme son ascendance et fait penser à l’importante mission
qui lui revient en se départant de tous les obstacles de sa voisine, « l’â e charnelle »
pour témoigner de l’unicité de Dieu.
Ainsi, « les esprits (al-ar ) qui sont privés de la félicité appartenant au
monde du Mystère divin, que les âmes (an-nufûs) ne sauraient percevoir et qui est
inaccessible au sens, désirent la disparition de ces derniers ; et ils prennent
conscience du fait que c’est leur disparition ou extinction qui leur per ettra de jouir
de cette pérennisation ».2
1
Qushayrî, op.cit., P :76.
2
Junayd, op. cit. p :165.
3
Quelles que soient leurs tendances, les soufis postérieurs, y compris les monistes, maintiennent cette
idée essentielle. Cf : Janâbî (al) M., Hikma ar-rûh as-sûfiyy, Damas, Dâr al-madâ, 2001,p: 97.
232
1
Baudart A. et al, Histoire de la philosophie, op. cit. pp :176-178.
2
Il nous semble que la différence fondamentale entre Ghazali et les philosophes musulmans
platoniciens est que le premier a tenté de traduire la pensée orthodoxe soufie à travers des concepts
empruntés de l’hellénistique, tandis que les autres ont tenté d’adapter la pensée philosophique
platonicienne à la tradition musulmane. Au moment où ceux-ci s’appuient sur la pensée grecque, celui-
là s’appuie sur celle du a awwuf.
3
Muslim, op.cit., H : 920.
4
Ibidem, H :921.
233
Toutefois, une analyse des passages coraniques permet de noter deux choses :
Le plus souvent c’est le terme r qui est employé à chaque fois qu’il s’agit de
faire allusion à l’origine de la vie, à la sainteté ou à la pureté;
Tandis que c’est le terme nafs qui est apparenté au séjour terrestre, à la
déchéance, à la mort et au jugement.
1
Cf infra, p :192.
234
Lorsque le soufi, dans son combat d’épuration, réussit à éteindre son âme
charnelle, le mutant (l’âme) se trouve être pacifié et apaisé (a - a s al-
mu ma’inna) par la même occasion et alors son esprit illuminé domine dans
son cœur : c’est un moment de Certitude ;
La mort est un autre moment de Certitude1 (al-yaqîn), l’âme charnelle qui
empêchait à l’esprit d’avoir ses facultés de perception angéliques perd les
siennes ; l’adjuvant qu’elle est dispara t par ce retour des facultés supérieures.
Par ces deux dernières occasions, l’esprit sort de ses entraves et retrouve ses
facultés d’origine : alors, il devient avec l’âme un tout, indissociable. A cet instant, on
peut employer indifféremment l’un ou l’autre des deux concepts pour désigner la
même chose.
Les deux textes ci-après constituent deux occasions d’illustration des différents
emplois du concept « ar-r » à travers les écrits des spécialistes. En effet,
respectivement, ce concept peut être employé comme une disposition, une force ou
une faculté2, ou bien comme une entité autonome3.
1
D’après le Coran, le moribond est dans un état de certitude. Cf. Sourate Al H ijr (15), v. 99
2
Cf. texte n° 1
3
Cf. texte n° 2
4
Maslow A. (1908 – 1966), psychologue américain, il est l’auteur d’une théorie humaniste de la
motivation selon laquelle la plupart des besoins des individus peuvent s’organiser selon une pyramide
ascendante constituée de cinq niveaux : les besoins physiologiques, les besoins de sécurité, les besoins
sociaux, les besoins d’indépendance et les besoins de réalisation de soi. La similitude au niveau de la
structuration des deux schémas est frappante.
Cf : Raynal F. & Rieunier A., Pédagogie : dictionnaire des concepts clés, ESF éditeur, Paris, p : 218.
cf : Maslow A.,Vers une psychologie de l’Être, Fayard, 1972.
235
Ici, plus que jamais, le concept de lumière chez Ghazali est plus proche de la
notion mentale ou du domaine psychique de l’individu. Aussi, ces différentes facultés
font simplement penser à des intelligences.
Le texte suivant, d’un contenu moins objectif, propose une autre
hiérarchisation d’une autre nature faite par un ancien soufi et rapportée par Hujwîrî.
D’abord, il s’agit ici d’un autre emploi du concept « ar-r » : c’est cette composante
ontologique de l’être vue dans ce chapitre qui a été créée avant son existence terrestre
et qui subsiste après sa mort.
C’est donc un être pur à ses origines et qui, après son séjour dans ce monde par
l’existence du corps d’un croyant au sort heureux, conservera plus ou moins sa pureté
originelle. Alors, il connaîtra, après la mort, un sort proportionnel au niveau de la
purification de l’âme de son ancien dépositaire. Cela le situe à un des dix niveaux de
la Félicité, selon la représentation assez subjective du soufi.
Texte n° 1
La première est la faculté sensible (ar-r al- assâs . C’est elle qui recueille
ce qu’apportent les cinq sens. Elle est co e l’origine et le principe de la
1
Ghazali A. H., Le Tabernacle des lumières, trad. Mishkât al-anwâr par Deladrière R., Sindbad, Paris,
1981, pp : 75 – 78.
Le mot r , au pluriel ar , peut désigner selon les textes ou les auteurs tantôt le souffle vital, tantôt
l’âme, ou l’esprit, ou encore un être ou une réalité de nature angélique. Ici, Ghazali l’a substitué au mot
quwwa, utilisé par les philosophes au sens de « faculté ».
236
faculté animale (ar-r al- ayawânî , puisque c’est par elle que l’ani al est
tel. Elle existe déjà chez l’enfant à la a elle.
La deuxième est la faculté imaginative (ar-r al-hayâlî . C’est elle qui fixe
les données des sens, et qui les conserve en les gardant en elle, afin de les
présenter à la faculté intellectuelle ar-r al-‛aqlî), qui est au dessus d’elle,
quand celle-ci en a besoin. Elle ne se trouve pas chez le petit enfant au début
de son développe ent. C’est pourquoi après avoir eu envie d’une chose pour
la prendre, il l’oublie quand elle a disparu et son â e nafs) ne le désire plus.
Ceci jusqu’au o ent où, ayant grandi, il pleure et la récla e dès qu’on
l’éloigne de lui, parce que l’i age en est demeuré en lui, conservée dans son
imagination.
Cette faculté peut se trouver chez certains animaux, mais pas chez tous,
co e c’est le cas pour le papillon qui se jette dans le feu. Il se dirige vers lui parce
qu’il ai e arde ent la lu ière du jour, et qu’il croit que le fla beau est une fenêtre
ouverte à la lumière. Il se précipite donc sur lui et ressent une douleur ; il s’en
éloigne alors, ais il se retrouve dans l’obscurité, et il y retourne encore et encore.
S’il avait en lui cette faculté qui aurait conservé et fixé la sensation de douleur, il n’y
retournerait pas après avoir eu al une pre ière fois. En revanche, le chien qu’on a
frappé une fois avec un bâton s’enfuit après cela dès qu’il l’aperçoit.
La quatrième est la faculté cogitative ar-r al-fikrî). C’est elle qui s’e pare
des connaissances intellectuelles pures, pour opérer sur elles en les composant
et en les unissant et en tirer des connaissances supérieures. Quand elle obtient
237
par exemple deux conclusions, elle les combine encore entre elles, et déduit
une nouvelle conclusion. Et elle peut continuer ainsi indéfiniment.
Maintenant que tu connais ces cinq facultés, sache qu’elles sont toutes des
lu ières, puisqu’elles rendent anifestes les différentes catégories des choses
existantes ! […]
1
Coran, op. cit, Sourate Ash-Shûrâ (42), v. 52.
238
Text n° 2
Abû a r al- si î1, qui a beaucoup parlé à propos de l’esprit (ar-r ), fait
partie des plus grands maîtres, que Dieu les agrée tous. On a rapporté de lui ceci :
Les esprits sont (différemment) situés à dix niveaux :
Au premier se situent les esprits des dévots sincères (muhli ûn), enfermés
dans une obscurité, et on ignore à quoi ils sont destinés.
Au cinquième se situent les esprits des loyaux (ahl al-wafâ ) qui palpitent dans
les voiles de la pureté aux stations de l’élitis e.
Au sixième se situent les esprits des martyrs, accrochés aux pattes des oiseaux,
au Paradis, ils se promènent ainsi où ils veulent, d’un instant à l’autre, dans
les prairies (du Paradis).
1
Hujwîrî, Kashf al-Mahjûb, Tome I et II, Dâr an-nahda al-‛arabiyya, Beyrouth, 1980, P: 507.
a r uhammad s al- si î est un soufi du Hurâsân de la tendance orthodoxe, il fut l’un
des ma tres à pensée d’Al-Qushayrî. Sans doute pour cela son nom figure dans la plupart de ses chaînes
de transmission dans son Epître. Il mourut en 320 H/932.
239
Au neuvième se situent les esprits des amoureux (de Dieu) (al-mu ibbûn) qui
se sont noyés dans le témoignage de la Beauté et de la station du dévoilement.
Ils ne connaissent que Lui et ne peuvent se fixer nulle part ailleurs.
Au dixième se situent les esprits des derviches (darâwîsh) qui se sont stabilisés
au point de l’extinction (al-fanâ ), qui ont connu une mutation de leurs
attributs et une transformation de leur état.
Par ailleurs, c’est des affirmations de ce genre, bâties sur une expérience
subjective qui pousse les orthodoxes à s’attaquer aux soufis. Il est en effet difficile de
soutenir, dans le cadre de la Sunna, une pareille classification.
1
Cf. la première partie de ce chapitre, p :224.
241
1
Coran, op. cit, Sourate Yûsuf (12), v. 53.
2
Ibidem, Sourate Al-Qiyâma (75), v.2.
3
Ibidem, Sourate Ash-Shams (91), v. 8. Cf pour tous ces types d’âmes cf. Ghazali, Ihyâ’ ‛ulûm ad-
dîn, op.cit. Pp: 1342-1360.
4
Ibidem, Sourate Al-Fajr (89), v. 27.
5
Ibidem, Sourate Al-Fajr (89), v. 28.
6
Idem.
242
Il est fort probable que le terme nafs ait été employé dans ce contexte non pas
pour désigner ce mutant par lequel l’esprit a pu transcender son existence pré temporel
(al-azalî), mais pour simplement évoquer la faculté principale de discernement donnée
à l’homme et qui émane de sa raison.
Quant aux autres types d’âmes, elles renvoient fondamentalement à une même
chose. En effet, chacun de ces passages souligne, au fond, un caractère essentiel
permanent ou situationnel qui émane d’une capacité ou d’une faculté appartenant à
une même source. Cette source étant l’essence même de l’humain, son âme, on est
ainsi amené, fort de ce qui a été noté à propos de l’esprit 1, à soutenir l’idée de son
unicité fondée sur une diversité d’états qu’elle prend lors d’une évolution plus ou
moins irrégulières qui la conduit à faire des bouts extrêmes et à observer des
mutations propres à un changement de nature.
1
Cf. chapitre précédent, p :224.
2
Coran, op. cit, Sourate Yûsuf (12), v. 53.
243
L’incitation au mal est une faculté de toutes les âmes, si on comprend l’idée
d’absoluité et de totalité que sous-entend la formulation1. C’est cela qui a poussé le
soufi à caractériser cette faculté comme une « âme incitatrice au mal ».
L’âme peut certes se départir de cette chose, mais cela se réalise au prix d’un
effort de purification auquel d’ailleurs invite le verset suivant :
« A réussi certes celui qui la purifie,
Et est perdu certes celui qui la corrompt. »2
C’est ainsi que l’âme purifiée serait interpellée, à travers ces termes, lors de sa
récompense par Dieu :
« Ô toi âme apaisée,
Retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée. »3
Dans cette situation par laquelle sa faculté dominante est l’incitation au mal et
qui correspond à la situation que traverse, pendant presque toute sa vie, le cœur du
croyant ou celui de l’homme de manière générale, l’âme est dominée par le plaisir et
la passion6. Cette incitation peut se comprendre par la naissance en l’individu de
différentes forces ou attirances, en différents moments, pour différentes raisons toutes
liées au confort, à la vie, à la survie et à la satisfaction corporelle ou mentale de la
1
Cf. infra chapitre I, sur le penchant naturel de l’Homme, p :19.
2
Coran, op. cit, Sourate Ash-Shams (91), v. 9, 10.
3
Ibidem, Sourate Al-Fajr (89), v. 27,28.
4
Pour la satisfaction et l’agrément cf. infra chapitre IX ; pour l’apaisement cf. chapitre suivant.
5
Junayd, op. cit. p :93.
6
Cf. infra chapitre I.
244
personne. Ces forces sont assimilables à tout point de vue à celles dont il est parfois
question en psychologie.
Par ailleurs, il y a une force qui, au-delà de cet ensemble de réflexes que nous
adoptons au moment du danger, nous pousse à avoir des attitudes semblables,
affectives et physiques pour conserver notre personne ou notre espèce. Les
psychologues l’appellent instinct1 : l’amour du parent pour son enfant, la peur ou la
fuite devant la menace, l’attirance pour le sexe opposé pour la reproduction2…
Toute satisfaction d’un besoin ou désir venant de ces forces fait na tre une
sensation de plaisir. A la longue, la recherche de ce plaisir se mue en une force
supplémentaire qui émane de l’âme et qui va jusqu’à s’identifier à la passion et, à la
limite, à l’obsession : ainsi, petit à petit, prend forme l’âme charnelle, cet adjuvant de
l’esprit3.
« Vois-tu celui qui prends sa passion pour sa propre divinité ? »4
1
Cf. Piéron H., Vocabulaire de la psychologie, PUF Quadrige, Paris, 2000, 6e édition, 590p.
2
Cette attirance est spécifiée par les psychanalystes comme étant la pulsion, notons qu’ils placent la
libido et la pulsion à la base de la vie affective de l’homme.
3
Cf. chapitre précédent.
4
Coran, op. cit, Sourate Al-Jâtiya (45), v. 23.
245
Pour cela le cœur aura besoin d’une assistance de l’un de ses principaux
constituants : la raison.
Le Prophète affirme dans l’un de ses adît que « quiconque a dans son cœur
un conseiller aura trouvé un protecteur auprès de Dieu »2.
En effet, à l’au-delà, si l’homme est appelé à répondre de ses actes, c’est parce
qu’il a été doté de cette fameuse intelligence qui lui permet de distinguer, de réfléchir
et d’opérer son propre choix. Ainsi, la raison juge et apprécie les comportements et
1
Junayd, op. cit. pp :90, 91.
2
Ghazali, Ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op. cit.p: 1358.
246
est, par la même occasion, la source de toute bonne qualité morale. Elle est la
principale conseillère de l’individu dans son fort intérieur, en ce qu’il ne cesse de
montrer le bon choix et de blâmer l’âme charnelle dans ses dérives.
« Le dévot [après avoir été édifié de la droiture] est en permanence, en son sein,
tiraillé entre deux invites : celle de la raison et celle de la passion. »3
Dans un second temps, après les efforts assidus et permanents du soufi sur
cette voie, son cœur, purifié, acquiert une raison pure (ou surnaturelle), appelée aussi
1
Cf : infra chapitre X.
2
Coran, op. cit, Sourate Az-Zumar(39), v. 17,18.
3
Hujwîrî, op. cit. Tome I, p:438.
4
Cf. infra chapitre X, pp :243-247.
5
Coran, op. cit, Sourate Al-Isrâ’ (17), v.36.
247
« l’œil du cœur », assistée et illuminée par la lumière divine de laquelle celui-ci opère
sa faculté de perception exceptionnelle al- a îra).
En effet, c’est à ce propos que Ghazali a fait son brillant parallélisme. Pour lui,
le cœur spirituel dispose d’un œil qui se ternit comme un miroir souillé par le
penchant maléfique de l’âme et par les péchés. Le soufi se doit de le nettoyer par le
détachement et la dévotion. Lorsqu’il sera suffisamment propre, il sera à même de
recevoir les rayons de la lumière divine qui feront fonctionner sa perception comme le
fait la lumière naturelle pour la vue de l’œil1. Il aura atteint la Certitude.
Ils considéraient à tout instant leur cœur, afin de traquer les subtiles
manifestations de leur âme charnelle. C’est cette attitude qui a été conceptualisé par
al- u âsibî sous l’appellation de « méditation ipsative » (mu âsaba an-nafs)4. Il
s’agit d’une introspection de l’âme à l’aide de la conscience (al-‛aql). Selon l’auteur,
suivant la résistance et l’obstination de son âme charnelle, on doit régulièrement tenir
une « dispute » avec elle de deux façons.
1
Ghazali, Mishkât al-anwâr, op. cit.pp:37-61.
2
Mort du troisième calife assassiné, ‛Utmân b.‛Affân, en 35/657, début de la crise dans l’empire
musulman, période marquée par la lutte pour le pouvoir et les guerres fratricides.
3
Cf. infra chapitre II, p :48.
4
Littéralement : l’auto juge ent de l’â e.
248
On voit que cet exercice ne peut être mené que par une dure et ferme volonté
de la conscience d’agir contre les manifestations de l’âme charnelle. C’est ce qui
explique l’acharnement du dévot contre celle-ci, par l’activation d’un certain nombre
d’états qui sont propres à élever son esprit au-dessus de ses entraves.
Le repentir (at-tawba) ;
La crainte révérencielle (al-hawf) ;
La remise confiante en Dieu (at-tawakkul) ;
L’espoir (ar-rajâ ).
1
Mu âsibî H., Ar-ri‛âya, op. cit., p :263.
2
Cf. les écrits de Freud S. et de Freud A. Cf : Feud S., Cinq leçons sur la psychanalyse, Paris, Payot,
1990,p :65.
249
aider à faire réappara tre l’idée refoulée (la pulsion), afin de « la traiter dans la
conscience »1 par une introspection personnelle du malade.
« Nos observations nous ont montré de façon certaine que la force psychique et
physique d’un désir est bien plus grande quand il beigne dans l’inconscient que
lorsqu’il s’i pose à la conscience. On le co prendra si l’on songe qu’un désir
inconscient est soustrait de toute influence ; les aspirations opposées n’ont pas de
prise sur lui. Au contraire, un désir conscient peut être influencé par tous les autres
phéno ènes intérieurs qui s’opposent à lui. »2
On note en passant que les aspirations opposées dont il est question dans cette
citation équivalent aux aspirations spirituelles et aux valeurs auxquelles croit le soufi.
ceci, sans compter les nombreux efforts qui sont parfois vains pour ramener ces idées
à la conscience.
1
Cf. texte n° 1
2
Cf. texte n° 2
251
Texte n° 1
En réalité, ton ennemi2 ne peut avoir de toi ce qu’il veut si ce n’est à travers la
passion de ton â e. Si ce n’était pas cela, ses invites t’auraient fait gagner davantage
de proximité par rapport à ton Seigneur. En ce moment, son invite serait un facteur de
rapproche ent. En effet, si ton enne i t’appelle et que tu refuse de répondre à son
appel, par cet acte, en refusant de le suivre dans ce qui ne plait pas à ton Seigneur le
Tout-puissant, tu Lui es alors obéissant.
Si cela t’échappe au point d’accorder la priorité à tout orne ent sur lui
l’autre onde , tu t’attires la colère du Tout-puissant.
C’est cela ta crainte obligatoire vis-à-vis de Dieu le Tout-puissant.
De la ê e anière, celui qui t’ouvre les hostilités, qui cherche à te nuire, qui
t’encha ne et qui te tend des pièges, si tu ne désobéis pas Dieu en cela, si tu ne te
confor es pas à lui l’enne i , il ne te nuira pas. Au contraire, il t’a exposé aux
bienfaits et s’est crevé lui-même.
Sauf pour le cas d’un enne i qu’on t’a de andé de co battre : les mécréants.
Ce qui est alors bénéfique pour toi est de le combattre ; et quel que soit le cas parmi
les deux possibilités, tu seras le grand gagnant : soit tu vaincs ou tu es tué. Une
victoire de ta part te vaut une immense récompense et la mort te vaut le martyr,
conformément au propos du Tout-puissant :
« Dis : Qu’attendez-vous pour nous, sinon l’un des deux eilleures choses ? »1
Ainsi, le oyen de tout enne i est d’a ener ton â e à te nuire par sa passion.
[…]
u ne peux pas être sincère avec Dieu si tu ne l’es pas avec ton â e, et ceci tu
ne peux pas l’être sans la conna tre. u ne peux pas la conna tre sans l’avoir
inspectée et exposée à la mort ; et c’est par là que tu considères ses états. u ne peux
pas bien considérer ses états sans lui faire des reproches sur ce pourquoi tu crois
qu’elle a bien agi ; tu la conda nes alors pour ce qui s’est dévoilé de auvais en elle.
1
Coran, op. cit, Sourate At-Tawba (9), v. 52.
253
Texte n° 2 :
Sache que le fait de croire au jugement du Jour du grand exposé doit entraîner
une anticipation par l’auto juge ent et par la préparation. Il disait, sur lui soit la
grâce et le salut :
« Jugez-vous vous- ê e avant qu’on ne vous juge. »
1
Dans le texte on a le verbe “ittahama” qui signifie littéralement “accuser”.
2
Ghazali A. H., Muhtasar Ihyâ’ ‛ulûm ad-Dîn, Dâr al-fikr, Beyrouth, 1986, pp: 277 - 279
3
Coran, op. cit, Sourate Al-Anbiyâ’ (21), v. 47.
4
Ibidem, Sourate Al-Kahf (18), v. 49.
5
Ibidem, Sourate Al-Baqara (2), v. 235.
254
Sache que celui qui juge son âme à tout instant et à travers ses moindres
suggestions verra ses afflictions diminuer au Jour du jugement. Celui qui ne juge pas
son âme verra son amertume durer et ses arrêts se multiplier au Jour du jugement.
Astreignez donc vos â es d’abord par l’auto convention al-mushara a), puis
par l’autocontrôle al-murâqaba), par l’auto juge ent al-mu âsaba), par
l’autopunition al-mu‛âqaba), par l’effort personnel (al-mujâhada) et enfin par la
vigilance (al-mu‛âyana). Voilà six situations par lesquelles on attache l’â e .
Nous expliquons cette pre ière situation qui est l’auto convention :
Sache que c’est la raison qui fait du co erce sur la voie de l’au-delà, et son
associée se trouve être l’â e, car c’est par sa coopération qu’elle peut atteindre son
objectif. Seule ent, cette associée n’est pas digne de confiance, surtout si elle est
seule, car sa vision n’est que honte et hypocrisie. Ainsi, elle a besoin de la raison pour
passer avec elle un contrat au début de tout. […] C’est ainsi que la raison va lui
assigner sa fonction, lui poser les conditions, la conduit sur la voie du salut et l’oblige
à assumer (ses responsabilités).
1
Ibidem, Sourate Âl ‛Imrân (3), v. 200. Le terme “r i û » traduit ici par « luttez constamment contre
l’ennemi », signifie dans d’autre commentaire « astreignez-vous », c’est précisément ce dernier sens
qui correspond à l’analyse de Ghazali.
255
[…] Il t’est obligatoire de juger ton âme à la fin de la journée pour le travail
quotidien.
1
Coran, op. cit, Sourate Al- ashr (59), v. 18.
256
Cela est édifiant quant à l’attitude du soufi de l’époque face à la lutte armée. Il
était d’ailleurs fréquent de voir des soufis tomber dans les champs de bataille. En
outre, un bon nombre des combattants de Badr faisait partie des compagnons de la
banquette (ahl a - uffa), considérés comme les précurseurs du soufisme. D’ailleurs le
plus grand combattant de l’Islam, de tous les temps, est un lointain ma tre du
a awwuf : l’Imam ‛Alî. Le soufi n’est donc pas opposé au principe de cette lutte
armée mais, il lui pose des conditions et la relègue au second plan derrière la lutte
contre sa propre âme.
Le cœur qui préoccupe tant le dévot est loin d’être cet organe biologique
responsable de la circulation du sang. Cependant ses caractéristiques qui relèvent de
l’abstrait peuvent être mieux perçus grâce à un parallélisme analogique effectué par la
plupart des analystes2. Ainsi, il entretiendrait avec la vie spirituelle du dévot les
mêmes relations fonctionnelles qui relient l’organe biologique au reste du corps.
En réalité, cette analogie n’est qu’une illustration des propos du Prophète (psl)
selon lesquels « dans le corps du fils d’Ada se trouve un orceau de chair qui, par
sa santé, assainit tout le corps : il s’agit du cœur »3.
Le soufi s’est donc fait une représentation de son cœur qui, en définitive, se
résume en ces points :
1
Coran, op. cit, Sourate Ash-Shu‛arâ (26), v. 89.
2
Cf. les écrits de Ghazali sur la question : Ghazali, Ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op. cit.pp: 1342-1360.
3
Ghazali, Muhtasar ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p: 138.
258
Par ailleurs, on a vu précédemment que cet esprit, pur à ses origines, une fois
en contact avec le corps se trouve être entravé ou emprisonné par d’autres facultés ou
forces qui luttent pour le confort corporel et la domination de l’ego5 ; en cela il subit
une mutation et est alors désigné sous le nom d’âme (an-nafs). Ces dites forces sont
conceptualisées sous le terme d’ « âme charnelle ». Du fait qu’il enferme l’âme en
son sein, le coeur devient souillé. Par conséquent, la purification du cœur n’est rien
d’autre que l’éducation de l’âme vue plus haut6.
D’autre part, la raison est une autre composante du cœur. De ce fait, il est le
siège de l’intelligence avec ses facultés corollaires que sont la mémoire et
1
Cf. infra chapitre IX.
2
Cf. infra chapitre X.
3
Cf. infra chapitre I et chapitre XII.
4
Ce point ainsi que les deux suivants sont tirés de l’analyse des trois derniers chapitres.
5
Cf. infra chapitre XI.
6
Cf. infra chapitre XII.
259
l’imagination. On peut même dire qu’elle est une faculté émanant de l’esprit comme
l’est du reste l’âme charnelle par rapport à l’âme. C’est pour cette raison que dans
plusieurs passages le Coran fait allusion à la compréhension par le cœur :
« Nous avons destiné beaucoup de Djinns et d’ho es pour l’Enfer. Ils ont des
cœurs, ais ne co prennent pas. Ils ont des yeux, ais ne voient pas. Ils ont des
oreilles, ais n’entendent pas… »1
De ce conflit évoqué plus haut et qui a pour siège le cœur, entre l’âme
charnelle, les passions et le Diable d’un côté, contre la raison et la foi de l’autre côté,
l’âme conna t une succession d’états dont ceux évoqués plus haut. D’ores et déjà, à
partir du IIIe siècle de l’Hégire, la réflexion des soufis, pratiquants et théoriciens
confondus, s’oriente vers une stabilisation du nombre et des caractéristiques de ces
états du cœur.
Jusqu’à cette époque, les soufis n’ont fait qu’évoquer dans leurs expériences
les traits distinctifs de deux à trois états spirituels qu’ils ont personnellement vécus et
qui, pour le concerné, résument toute la vie du dévot. C’est ainsi qu’à travers les écrits
de l’Imam ‛Alî, on perçoit essentiellement trois états : la Crainte, l’Amour et
l’Agrément. Chez l’Imam Ja‛far et asan Al- a rî on note la prédominance de la
Crainte révérencielle. ârit al- u âsibî lui, se préoccupe du repentir sous-tendue
par la Crainte et l’Espoir.
C’est seulement après Junayd que, certains penseurs, plus théoriques que
pratiques, bénéficiant d’une vue d’ensemble sur l’œuvre de leurs prédécesseurs se
mirent à affiner la conception de ces états.
C’est ainsi qu’à côté du mot « âl » qui, depuis longtemps servait à désigner
ces états apparaît un nouveau concept « maqâma » qui, pour certains, désigne la
même chose et pour d’autre, marque une nuance, bien qu’étant très proches du
1
Coran, op. cit, Sourate Al-A‛râf (7), v. 179.
260
premier1. Ainsi, le mot « âl » signifierait : un état d’âme parmi ceux évoqués plus
haut et il se particulariserait par son instabilité car surgissant comme une gratification
divine. Quant au mot « maqâma » (station ou étape), il renverrait à un état plus stable
et acquis par l’effort constant du dévot2.
Pour la première tendance on peut retenir le cas des écrits d’ a‛îd b. Abil-
Hayr3 qui, non seulement a stabilisé quarante états qu’il a désigné sous le nom de
« maqâma », mais a établi une hiérarchisation plutôt subjective de ces stations. Il est
intéressant de comparer son échelle à celle d’ âlib Al-Makkî4 plus réduite afin
de mesurer combien il est difficile de fixer et partager des repères pour une expérience
aussi intime que la purification du cœur du soufi.
1
Hujwîrî, op. cit. Tome I, p:408.
2
Cf. annexe II.
3
C’est un soufi qui a évolué entre le IVe et le Ve siècle de l’Hégire. Cf: Nasr S. H., As -
bayn al-’ams wal-yawm, trad. du persan par: Yazîjî, dâr muttahida lin-nashr, Beyrout, 1975,p: 93.
4
Cf. annexe II.
5
Cf. infra chapitre IX.
261
Cependant, le soufi ne perd jamais de vue que sa vie est une question du cœur,
or Dieu a bien averti en ces termes :
Aussi, est-il persuadé que sa volonté a besoin d’une assistance divine. C’est
pour cela qu’arrivé à ce stade de sincérité, le soufi, en la personne de Zayn Al-
‛Âbidîn, prie le Tout-puissant de l’assister à aller plus loin :
1
Qushayrî, op.cit., p : 74.
2
Janâbî (al) M., Hikma ar-rûh as-sûfiy, op.cit.p: 19.
3
Coran, op. cit., Sourate Al-Anfâl (8), v. 24.
4
‛Ali Zayn al-‛Âbidîn, As-Sahîfa‘ as-sajjâdiyya, Téhéran, Mu’assasa al-ba‛ta, s.d., p:118.
5
Ibidem, p : 119.
6
Il est fait cas de ces étapes au chapitre IX.
262
un second niveau de la Certitude plus connu sous l’expression de ‛ayn al-yaqîn (la
vision certaine)1. Cette étape de dévoilement (mukâshafa) voit le dévot se soumettre à
une autre épreuve, celle de l’extinction des satisfactions personnelles tirées de ses
actes d’adoration. Il lutte alors contre l’autosatisfaction ou une quelconque
considération de son mérite dans ce qu’il vit.
Le soufi contrôle son propre cœur et ma trise son âme qui est assujettie aux
œuvres pies ;
L’esprit (ar-r ) qui était entravé est libéré et a tendance à s’élever vers le
domaine spirituel où il se sent attiré ;
Le cœur perçoit des lueurs de la certitude (la brise fra che) ;
L’extinction des vices correspond à une mutation de l’âme qui,
progressivement, tend vers l’apaisement : c’est la purification du cœur ; l’âme
se réduit à l’esprit, les deux font corps ;
L’effort du soufi est concentré sur l’évocation permanente de Dieu dans son
cœur, ainsi, toute source de « distraction » est combattue.
« … Il guide vers Lui celui qui se repent, ceux qui ont cru et dont les cœurs se
tranquillisent à l’évocation d’Allah. »3
1
Qushayrî, op.cit., p : 74.
2
Junayd, op. cit. p : 153.
3
Coran, op. cit., Sourate Ar- a‛d (13), v. 28.
263
Pour au moins deux raisons, le soufi cherche à apaiser son âme par la
Certitude.
Il est persuadé que c’est par cet apaisement que sa foi s’affermit et que
s’accomplit sa servitude.
« C’est Lui qui a fait descendre la quiétude dans les cœurs des croyants afin qu’ils
ajoutent une foi à leur foi. »3
Il est aussi convaincu qu’à l’au-delà ne peut accéder au Salut que « celui qui
vient à Allah avec un cœur sain »4.
C’est avec cette âme apaisée que l’esprit (ar-r ) libère toutes ses potentialités
et entre en communication avec la lumière divine. La plupart de ceux qui ont vécu
l’expérience refusent d’aller plus loin que d’émettre des exclamations, paraboles ou
1
Qushayrî, op.cit., p : 74.
2
Junayd, op. cit. p: 90.
3
Coran, op. cit., Sourate Al-
4
Ibidem, Sourate Ash-Shu‛arâ (26), v.89.
5
Ibidem, Sourate Yûnus (10), v. 64
264
Tout au plus, on peut retenir que « ceux qui sont dotés des visions intérieures »
ne voient aucune chose sans voir Dieu en même temps. L’un d’eux a même dit plus :
« Je ne vois aucune chose sans voir Dieu avant elle »1.
Par ailleurs, le rêve est souvent utilisé comme un élément d’illustration dans
l’explication des caractéristiques de cette vision intérieure. En effet, si la psychologie
fait essentiellement remonter les explications des rêves dans le passé immédiat ou
lointain de la personne4, il faut avouer que certaines visions à l’état de sommeil
échappent à cette explication. Comment peut-on expliquer un rêve qui annonce un fait
qui, par la suite, se réalise exactement comme il a été perçu dans le sommeil ?
1
Ghazali, Muhtas ar ih yâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p: 60. Les derniers propos sont attribués à Abû
Bakr, premier calife du Prophète (psl).
2
Cf. chapitre IX.
3
Junayd, op. cit., p : 153.
4
Cf. Freud S., op. cit., p :65.
265
prophétique peut dominer et prendre l’ascendant sur les sens.»1 C’est pour cette
raison que le Prophète a cette même vision à l’état de veille.
Le soufi, avec une âme apaisée, peut avoir cette même vision en dehors du
sommeil, ce qui correspond aux manifestations de l’ouverture (al- a ) ou du
témoignage (al-mushâhada). Seulement, pour son cas, cela est à la fois une
consécration et une épreuve supplémentaire qui met à nu sa propre insatisfaction de
son dévouement, ce qui le pousse à redoubler d’effort pour être digne de Son
Agrément2.
1
Ghazali, Le Tabernacle des lumières, op. cit., p : 74.
2
Sha‛râni A. W., Al-Anwâr al-qudsiyya, Tome I, p: 160.
3
Coran, op. cit., Sourate Al-Fajr (89), v. 27-30.
266
CONCLUSION
267
CONCLUSION :
Dès lors, il apprend à se connaître lui-même grâce aux indications que son
Créateur lui donne sur sa nature, dans le Message prophétique. Progressivement,
associant méditation et pratiques, il se rend compte que ses comportements maléfiques
sont intéressés et motivés en ce qu’ils renforcent l’ego (égoïsme), et trouvent leur
explication par la connaissance de la nature et de l’évolution d’une essence subtile et
abstraite qui domine l’intérieur de la personne : l’âme.
268
Par ailleurs, le soufi se rend compte aussi que, pour bien des comportements
louables, par leur parfaite exécution mais seulement limitée par un défaut de sincérité,
le croyant risque de se tromper plus qu’il ne trompe le témoin ou, de manière
générale, la société. Or tout ce qui compte est avant tout la pureté de l’intention. Il se
donne alors le devoir de lutter contre sa propre hypocrisie.
Seulement, opérer une telle abstraction du monde, des gens et de tout intérêt
qui leur est relatif dans la dévotion n’est pas chose aisée. Seul un niveau extrême de la
foi assimilable à la Certitude peut conduire celui qui s’engage dans le chemin à
l’atteindre. Et, selon le soufi, l’obstacle majeure qui se dresse devant lui est toujours
cette réalité subtile : l’âme.
Ainsi, conscient de tout ceci, les premiers soufis se résolurent à vivre leur
servitude (‛ubûdiyya) dans la sincérité espérant atteindre un jour le seuil de la
Certitude, ce qui leur permettra d’atteindre un niveau de piété digne de Son agrément
(haqqa tuqâtih). C’est cela qui explique leur engagement à conna tre le cœur et à
combattre l’âme charnelle.
Leur évolution entre les deux pôles que sont le détachement et la dévotion
s’effectue à travers leur relation avec la société, à travers leurs comportements
extérieurs, mais surtout, par une attitude intérieure subjuguée par la méditation. Pour
cette raison, toute analyse de leur vie doit passer par l’étude des différents états
d’esprit qu’ils traversent entre ces deux pôles et qui expliquent fondamentalement leur
attitude extérieure. D’ailleurs, la compréhension du a awwuf qui, avant d’être
théorie, est d’abord une pratique de la part de ces hommes, passe par cette approche
qui a conduit notre démarche.
C’est cette méditation évoquée plus haut qui les a poussés à situer la naissance
de ces états et par conséquent, à reconsidérer leur cœur et à fouiller leur âme qui
semble être leur point de départ. Ils échangèrent intimement le fruit de leur expérience
propre entre paires et entre maîtres et disciples, puis, les premiers essais théoriques
commencèrent à être réalisés. C’est ainsi, qu’Al- u âsibî, réussit à conceptualiser, à
269
travers ses premiers échanges, deux états d’esprit qui expliquent une bonne partie de
la vie du soufi, ce sont la crainte révérencielle et l’espoir.
C’est ainsi que par crainte l’ascète détache son cœur de tout ce qui conduit à la
déviation et observe son retour à Dieu (at-tawba). Et c’est grâce à elle aussi qu’il se
fait une obligation de suivre les recommandations de Dieu, dans la sincérité. De ce
fait, il conna t alors d’autres états d’esprits comme le repentir et la longanimité.
Enfin, poussés par cette nouvelle situation à écrire pour faire connaître les
caractéristiques essentiels qui particularisent leur voie, afin, d’une part, de montrer
leur fidélité à la Sunna et d’autre part, d’éviter les amalgames, les soufis du troisième
siècle de l’Hégire s’éloignaient de plus en plus de l’échange oral et intime entre ma tre
et disciple pour passer à une intention de vulgarisation, même si, par la forme, certains
en conservaient le style dans leurs écrits.
Notre objectif, par cette recherche, a été d’en faire un ensemble cohérent
soutenu par l’analyse de la vie des pratiquants de référence du a awwuf, à cette
époque. C’est ce qui a conduit aux présentes représentations.
L’élément le plus précieux et le plus pur de l’être et qui est immatériel est
l’esprit. Il transcende le matériel et subsiste à cette vie corporelle, en quoi il représente
l’essence même de l’homme. Ainsi, créé avant le cœur, il est le moteur de la vie, est
logé dans celui-ci et est attiré par la dimension angélique. Pour cela il est le détenteur
de la foi. Il est doté d’une faculté de perception illuminée par la lumière divine (al-
a îra) qui est son arme principale et que d’aucuns d’entre les soufis appellent
intellect. C’est cette faculté qui, une fois sur terre, s’embarrasse de voiles issues des
réalités de cette vie et voit ainsi ses capacités réduites, pour cela les soufis l’appellent
désormais simplement : la raison.
A partir de là, on comprend pourquoi le mot « al-‛aql » est employé, selon les
situations, pour désigner l’une ou l’autre nature de cette faculté. Le soufi cherche à
réacquérir la première nature avec insistance, accepte et utilise de façon contrôlée la
deuxième nature qui est susceptible d’être corrompue par l’â e charnelle.
L’âme est donc une autre nature de l’esprit, un esprit travesti et souillé. Par là,
on comprend la préoccupation du soufi à vouloir purifier son âme ; dès lors le combat
s’identifie à une éducation de l’âme du moment qu’il s’agit essentiellement de
ma triser ces forces aliénantes qu’est l’âme charnelle.
Seigneur dans une parfaite harmonie qu’ils ont décrite à travers la théorie de la
Connaissance (al- a‛rifa).
Avec cette victoire, l’esprit retrouve sa faculté de perception qui dépasse les
limites connues de la raison. On note que ce qui est au départ de cette issue heureuse
pour l’âme ainsi apaisée est la sincérité de la foi : c’est la règle de conduite
incontournable des soufis.
Enfin, on voit, par cette étude, combien la pensée du a awwuf recoupe sur
bien des points les connaissances psychologiques de la personne et combien ces
caractères, suscités et développés par sa pratique, fondent la dimension morale et
éthique du croyant.
273
BIBLIOGRAPHIE
274
BIBLIOGRAPHIE :
Le classement s’est fait en trois rubriques : les ouvrages spécialisés qui sont les
premières sources de la recherche, les ouvrages complémentaires et la
documentation générale. Chacun des deux premiers rubriques présente des sous
classements selon les types de documents présentés par ordre alphabétique, avec
comme entrée le nom de l’auteur.
275
1. Ouvrages spécialisés :
iya , pp:1285-1299.
sd, 4311p.
Ibn Mâjja, Sunan, Dâr al-kutub al-‛ilmiyya, Beyrouth, s.d., T.I, 718p, T.II,
844p.
Le Coran, édition du roi Fahd, Médine 1990, 604p, traduction du Saint Coran.
Mouhammad Hamidullah.
Nasafî (Imâm ‛Abd-Allah an-), Tafsîr an-nasaf , juz’ ‛amma, al-azhar ash-
Nasafî (Imâm ‛Abd-Allah an-), Tafsîr an-nasafî, sûrat al-an‛âm, al-azhar ash-
Qur’ân (al) al-Karîm, riwâyat Hafs, , Majma‛ al-malik Fahd, Madîna al-
alâh ‛Amru b.), iyâna a muslim, Sahîh muslim, Bayt al-afkâr ad-
Suy î (Jalâl ad-dîn as-) et Mahallî (Jalâl ad-dîn al-), Tafsîr al-qurân al-
Suy î (Jalâl ad-dîn as-), Lubâb an-nuqûl fî asbâb an-nuzûl, Tafsîr al-qur ân
du document).
document).
b. Hagiographie et histoire :
1968, 634p.
c. Soufisme :
‛Alî b. Abî âlib (Imame), Du‛â’, établi par al- umayl b. Ziyâd, Mu’assasa
Palacios.
ha ali al) A. ., Ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, 10 volumes, Dâr ihyâ’ at-turât al-
ha ali al) A. ., Muhta ar ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, Dâr al-fikr, Beyrouth, 1986,
316p.
Sindbad, Paris, 1983, 229p, textes établis et trad. de l’arabe par Deladrière R.
volumes, Ma tabat Mu afâ al-bâb al- alabî, Le Caire, 1961, 550p/ 607p.
278
Mu âsibî al) ., Ar- i‛âya li huqûq al-lâh, Dâr al-ma‛ârif, le Caire, 1990,
431p.
Memorial, 1914.
2. Ouvrages complémentaires:
1976, 310p.
Attâr (Farîd ad-dîn), Le mémorial des saints, Editions du Seuil, Paris, 1976,
Bâqillânî A. B. al-, al-Insâf fîmâ yajib I‛tiqâduh walâ yajuz al-jahl bih,
1964, 383p.
Farabî (al-), Traité des opinions des habitants de la cité idéale, traduction de
168p.
1972, 908p.
volumes.
701p.
Tirmîdhî (al-) H., ‛Ilm al-awliyâ’, Jâmi‛a ‛ayn ash-shams, 1983, 276p.
Freud S., Cinq leçons sur la psychanalyse, Payot, Paris, 1990, 154p.
Madkûr I., l’organon d’Aristote dans le monde arabe, ses traductions, son
253p.
590p.
c. Thèses et articles :
Maqdîsî Ibn Qudâma al-, Kitâb at-tawwâbîn (Le livre des penitents),
Mbaye R., La pensée et l’action d’El Hadji Malic Sy, un pôle d’attraction
3. Documentation générale :
1997, 510p.
1979, 4e édition.
ANNEXES
284
Cette liste est loin d’être exhaustive mais cherche plutôt à rappeler les noms
des Sûfîs les plus représentatifs de ce moment. Elle présente les quatre rubriques
suivantes :
- (A) : quelques noms parmi les ascètes des premières heures de l’Islam ;
- (B) les premiers ma tres après le prophète qui ont essayé d’assurer la
continuité de cet ascétisme. Le mot « génération » semble plus indiqué ici pour
désigner un groupe d’individus ayant en commun les mêmes aspects
comportementaux physiques ou moraux et évoluant dans un même cadre
temporel.
- (C) : la génération composée essentiellement de praticiens qui ont
respecté l’orthodoxie dans sa rigueur ;
- (D) : Les rares théoriciens qui sont apparus à la fin de la génération
précédente sont fréquents dans celle-ci. Ils alliaient la pratique à une
systématisation théorique qui fonda le « a awwuf » en tant que science. C’est
le moment de la déviation de certains soufis ce qui explique la subdivision de
cette rubrique en deux.
Pour chaque rubrique, afin de restituer l’environnement et l’évolution historiques des
différentes générations, l’ordre chronologique est adopté, en s’appuyant en général sur
les dates de décès.
A. Les précurseurs
B. La première génération
C. La deuxième génération
9. R i‛a al ‛ dawiyya (135 /H), elle fit signe d’une première déviation
de l’orthodoxie avec son célèbre « amour ».
10. Mâlik b. Dînâr, compagnon de Râbi a, en prônant le célibat à l’image
des moines, il fit parti des exceptions de cette génération qui ont dévié de
l’orthodoxie.
11. Ja‛far b. Muhammad as-Sâdiq (148/H), sixième Imam Shiite.
12. Muqâtil b. sulaymân (150/ H)
13. Sufyân at-tawrî (161/H), compilateur de hadîts
14. Hâshim as-sûfi, contemporain de Sufyân at-tawrî, il est du kûfa.
15. Ibrâhîm b. adham (Abû Ishâq) (162/H), dur ascète, il pratiqua
l’errance et mourut dans le sham.
16. Shaqîq b. Ibrâhîm al -balahî (Abû ‛Alî) (174/H), du Hurâsân, il fut
aussi un combattant
17. Dâwûd b.Nâsir at-T î (Abû sulaymân) (165/H), il fréquentait Abû
Hanîfa et évolua à Baghdad.
18. Mâlik b. Anas (179/H) , juriste, fondateur de l’école mali ite
19. Fudayl (al) b. ‛Iyâd (Abû ‛Alî) (187/H), du Khourassane, il mourut à la
Mecque.
20. Ma‛r al-Karhî (Abû Mahfûz) (200/H), ses deux parents étaient
chrétiens
21. ‛ da as-sûfî (210/H), shiite, il se fixa à Baghdad
22. ‛ d ar-Rahmân ad-dârânî (Abû Sulaymân) (215 / H), il évolua à
Baghdad.
23. Fath b ‛Alî al-Musûlî (220/ H)
24. ishr al- âfi (Abû Nasr) (227 / H) , il évolua et mourut à Baghdad.
25. mad il- a rî ul- asan) (230 / H), de Damas.
26. Hâtim b. Alwân al-asamm ‛ d ar-Rahmân) (237 / H), il fut
aussi un combattant.
27. hmad al alahî âmid) (240 / H ), du Hurâsân.
28. amza uhammad al ara î (Abul-‛ s) (241 / H) .
287
D. La troisième génération
2. - (la longanimité)
Ici, les neuf (9) étapes se manifestent chacun, sous forme de âl, d’abord, puis
se renouvelant et par application du sujet, finissent par se fixer en maqâma. Chaque
étape peut être considérée comme une dominante parmi les autres stations
294
précédentes, dans l’état d’âme du disciple. Ainsi, par exemple, celui qui est à l’étape
(5), ne cesse de vivre en permanence les étapes 1, 2,3 et 4, mais la crainte
révérencielle est sa principale préoccupation. Cela explique, en partie, le fait que la
plupart des définitions données par les sûfîs à leur voie reflète essentiellement une
étape, celle qui est prépondérante chez le déclarant.
Il n’est pas aussi exclu que le disciple savoure, par anticipation des états ( âl)
supérieurs, mais il ne peut se fixer sur aucun d’eux s’il ne passe d’abord ou
simultanément par l’étape précédente ; d’où la flexibilité de la hiérarchie. Le temps
que met le disciple pour passer d’une étape à une autre est relative et dépend de
l’effort de l’individu et de la volonté divine. Par ailleurs, des étapes voisines et
complémentaires peuvent être vécues simultanément par le disciple et former ainsi
une bi polarité au sein de laquelle évolue le sûfî.
Finalement, toutes les étapes entretiennent des relations d’interdépendance et
de complémentarité.
295
INDEX
1. DES VERSETS CORANIQUES
2. DES AD T CITES
3. DES OUVRAGES CITES
4. DES NOMS PROPRES
5. DES TERMES TECHNIQUES (GLOSSAIRE)
296
Il faut noter que seuls sont mentionnés dans ce tableau les versets explicitement cités dans le document.
Pour les autres implicitement évoqués, il faudra se référer aux notes de bas de pages.
15 ,, 175 C’est le diable qui vous fait peur de ses adhérents. 117
N’ayez donc pas peur d’eux. Mais ayez peur de Moi, si
vous êtes croyants.
19 An- 27, 28 Et Allah veut accueillir votre repentir. Mais ceux qui 19
Nisâ’ (4) suivent les passions veulent que vous vous incliniez
grande ent vers l’erreur co e ils le font . Allah
veut vous alléger les obligations , car l’ho e a été
créé faible.
298
Al-
21 Mâ’ida 54 …qui ne craignent le blâ e d’aucun blâ eur… 51, 188
(5)
25 Al-A‛râf 103 Nous avons envoyé Moïse avec nos miracles vers 17
(7) Pharaon et ses notables. Mais ils se montrèrent
injustes envers Nos signes.
26 ,, 172 Et quand ton Seigneur tira une descendance des reins 173
des fils d’Ada et les fit té oigner sur eux-mêmes :
« Ne suis-Je pas votre Seigneur ? »
Ils répondirent : « ais si, nous en té oignons… »
Afin que vous ne disiez point au jour de la
résurrection : « vrai ent, nous n’y avons pas fait
attention ».
(8) cœur.
At-
31 Tawba 52 Dis : Qu’attendez-vous pour nous, sinon l’un des deux 252
(9) meilleures choses ?
32 ,, 119 Ô vous qui croyez ! Craignez Allah et soyez avec les 45, 56
véridiques.
33 Yûnus 64 Il y a pour eux une bonne annonce dans la vie d’ici- 263
(10) bas tout comme dans la vie ultime.
34 Yûsuf 53 …Je ne ’innocente cependant pas, car l’â e est très 242
(12) incitatrice au al…
36 Ar- a’d 28 Ceux qui ont cru, et dont les cœurs se tranquillisent à 132, 262
(13) l’évocation d’Allah, n’est-ce point par l’évocation
d’Allah que se tranquillisent les cœurs ?
(16)
Et nous récompenserons ceux qui ont été constants
40 96 (al- ion du meilleur de ce 95, 107
,, qu’ils faisaient.
43 70 Certes, Nous avons honoré les fils d’Ada . Nous les 206
,, avons transportés sur terre et sur mer, leur avons
attribué de bonnes choses comme nourriture, et Nous
les avons nettement préférés à plusieurs de Nos
créatures.
Al-
Mu’mi
nûn (23)
57 Ash- 89 …sauf celui qui vient à Allah avec un cœur sain. 257, 263
Shu‛arâ
(26)
58 192- Ce [Coran] ci, c’est le Seigneur de l’univers qui l’a 225
,, 194 fait descendre, et l’Esprit fidèle est descendu avec cela
Sur ton cœur, pour que tu sois du no bre des
avertisseurs.
En vérité, quand les rois entrent dans une cité ils la 183, 185
59 34 corrompent, et font de ses honorables citoyens des
An-Naml hu iliés. Et c’est ainsi qu’ils agissent.
(27)
Et quant à ceux qui luttent pour Notre cause, Nous les 214
62 69 guiderons certes sur Nos sentiers.
,,
302
Allah n’a pas placé pour l’Ho e deux cœurs dans sa 196
66 4 poitrine.
Al-
Ah zâb
(33)
…afin qu’Allah réco pense les véridiques pour leur 48, 49
67 23, 24 sincérité, et châtie les hypocrites…
,,
,,
74 71, 72 Quand ton Seigneur dit aux anges : Je vais créer 227
d’argile un être hu ain.
Quand Je l’aurai bien for é et lui aurai insufflé de
Mon esprit, jetez-vous devant lui, prosternés.
75 (38) 17, 18 Annonce la bonne nouvelle à Mes serviteurs qui 209, 246
prêtent l’oreille à la parole, puis suivent ce qu’elle
contient de eilleur. Ce sont ceux là qu’Allah a guidés
et ce sont eux les doués d’intelligence !
Az-
76 Zumar 22 Est-ce que celui dont Allah ouvre la poitrine à l’Isla 213
(39) et qui détient ainsi une lumière venant de son
Seigneur…Malheur donc à ceux dont les cœurs sont
endurcis contre le rappel d’Allah. Ceux-là sont dans
un égarement évident.
,,
78
52 et c’est ainsi que Nous t’avons révélé un Esprit [issu] 237
de Notre ordre ; tu ne connaissais ni le Livre ni la Foi,
mais Nous en avons fait une lumière par quoi Nous
guidons…
Ash-
Shûrâ
79 (42) 2, 3 Par le Livre explicite ! 208
Nous en avons fait un Coran arabe afin que vous
raisonniez.
Al-Jâtiya
304
(45)
81 24 Ne méditent-ils pas sur le Coran ? Ou y’a-t-il des 209
cadenas sur leurs cœurs ?
83 Al-Fath 18 Allah a très certainement agréé les croyants quand ils 190
(48) t’ont prété le ser ent d’allégeance sous l’arbre.
85 Qâf (50) 50 Fuyez donc vers Allah. Moi, je suis pour vous, de Sa 153
part, un avertisseur explicite.
86 56 Je n’ai créé les djinns et les ho es que pour qu’ils 152, 174
Adh- M’adorent.
Dhâriyât
(51)
87 7 Le châtiment de ton Seigneur aura lieu inévitablement 137
,,
Al-
Qiyâma
97 (75) 25 Et évoque le nom de ton Seigneur, matin et après-midi. 132
10 An-
Nâzi‛ât 14
(79) Ce qu’ils ont acco pli couvre leurs cœurs. 75
10 Al-Fajr 7-10 Et par l âme et Celui qui l’a har onieuse ent 28, 243
(89 façonnée ;
Et lui a alors inspiré son immoralité, de même que sa
piété !
A réussi certes celui qui la purifie.
Et est perdu certes celui qui la corrompt.
Ash-
10 Shams 4 Durant celle-ci descendent les anges ainsi que 225
(91) l’Esprit, par per ission de leur Seigneur pour tout
ordre.
Al-Qadar
(97)
307
I CI
Voir les renseignements concernant l’éditeur et la date de parution des sources de cet index en notes de
bas de pages ou dans la bibliographie. Par ailleurs, l’index se borne à relever les citations explicites
dans ce document. Pour les références implicites, il faudra voir en bas de page.
6 La plus faible hypocrisie est une association Muh âsibî (al-) H., Ar- 50, 63
à Dieu. Ri‛âya li huq q al-lâh
10 ,, 61
Celui qui co et l’ostentatoire sera
interpellé au Jour du jugement devant toutes
les créatures en ces termes : ô toi le
débauché, le déviant, l’hypocrite, ton travail
s’est annulé, ton espoir de réco pense s’est
effondré, vas prendre ta rétribution auprès de
ceux pour qui tu agissais.
11 ,, 61
Le pire que je crains pour ma communauté
est l’hypocrisie.
12 ,, 61
…J’ai vu le Prophète psl entrain de pleurer
et je lui demandai :
- Qu’est-ce qui te fait pleurer ? Il répondit :
- Une chose que je redoute pour les gens de
ma communauté : associer (Dieu avec
quelqu’un ash-shirk) ; certes, ils ne vont
adorer ni des idoles, ni le soleil, ni la lune, ni
les pierres, ni les icônes ( ) ; mais ils
feront de l’ostentatoire dans leurs actes.
C’est pour cela que le pire que je crains pour
eux est l’hypocrisie.
13 ,, 62
Dieu l’Exalté dit : Je suis si Suffisent pour
avoir à partager avec un associé un acte qui
nous est dédié ense ble. Je n’en suis pour
rien, il l’acte est entière ent pour l’associé.
309
14 ,, 62
Un ho e s’est présenté devant e Prophète
(psl) en disant :
- Ô envoyé de Dieu voilà un homme qui
donne de l’au ône et cherche à être glorifié
(par les gens) et à être rétribué (par
Dieu … ?
Le Prophète (psl) ne sut répondre sur le coup
jusqu’à ce que soit révélé ce verset :
« …Quiconque, donc, espère rencontrer Son
Seigneur, qu’il fasse de bonnes actions et
qu’il n’associe dans son adoration aucun
autre à son Seigneur. »
15 ,, 63
22 ,, 83
27 108
,,
Un jour, j’entrai chez ‛Aïsha (que Dieu
l’agrée , acco pagné de ‛ a d ‛ ma r,
je lui dis :
- Renseigne nous sur ce que vous avez
remarqué de plus étonnant chez le Prophète
(psl). Elle pleura et dit :
- Il n’y a rien de plus étonnant chez lui que
ceci : une nuit, il ’acco pagna dans on lit
ou d’après une autre version dans a
couverture jusqu’à ce qu’on se touchât, il e
dit alors :
- O fille d’Abu Bakr, per ets oi d’aller
adorer mon Seigneur. Je lui dis :
- Je voulais être près de toi.
Je le lui permis.
Il alla prendre une outre d’eau et fis ses
ablutions ; il versa beaucoup d’eau puis se
leva pour prier. Il pleura jusqu’à ouiller sa
poitrine de lar es, il s’inclina, pleura, se
prosterna, pleura, se redressa et pleura. Il ne
cessa de faire ainsi jusqu’à ce que Bilâl vînt
l’appeler à la prière. Alors, je lui dis : ô
Envoyé de Dieu, qu’est-ce qui te fait
pleurer alors que Dieu a bien dit qu’Il t’a
pardonné tes péchés du premier au dernier?
Il répondit : ne dois-je pas être un serviteur
reconnaissant ? […]
28 124
,,
Celui qui pleure par crainte révérencielle
n’entrera ja ais en Enfer tant que le lait ne
pourra retourner à la mamelle. De même, la
poussière (soulevée par une activité) sur la
voie de Dieu et la fumée de la Géhenne ne
peuvent jamais être reniflées de suite par le
nez d’un ê e serviteur.
29 131
Muslim, As-Sah îh
En vérité, les Mufarridûn ont pris les
devants ! » On lui demanda : « qui sont-ils les
Mufarridûn ?» Il répondit : « ceux et celles
qui évoquent beaucoup Dieu.
30 133
,,
Allah a quatre vingt dix neuf noms, celui qui
prend soin d’eux entre au Paradis…
31 133
,,
Quiconque prononce (cette formule)
cent fois dans une journée : Lâ ilâha il-lal-
-mulk wa
lahul-
qadîr Il n’y a de Dieu qu’Allah Lui Seul sans
associé, à Lui la Souveraineté et la Gloire, Il
312
35 part ? 145
- Ils demandaient Ton Paradis. Hujwîrî, Kashf al-
- Est-ce qu’ils l’ont vu ?
Ô mon Dieu ! Fais-nous voir les choses telles
36 qu’elles sont…
149, 188, 199
Al-Buhârî, As-Sah îh
Mon esclave ne cesse de se rapprocher de Al-Qushayrî, Ar-Risâla
Moi par les actes surérogatoires jusqu’à ce
que Je l’ai e et alors Je suis l’ouïe par
37 laquelle il entend, la vue par laquelle il voit,
la main par laquelle il saisit… 170
Ibn Mâjjah, Sunan
40
Al-Buhârî, As-Sah îh 195
Muslim, As-Sah îh
Un serviteur ne croit effectivement que
lorsqu’il ’ai e plus que sa fa ille, ses
41 biens et tout le monde.
,, 217
,,
4 ‛Alî b. Abî âlib Du‛â’, établi par al-Kumayl 122, 134, 196, 198.
b. Ziyâd
261.
5 ‛Alî Zayn al-‛Âbidîn - -
sajjadiyya al-kâmila
8 Attâr (Farîd ad-dîn) Le mémorial des saints 94, 103-104, 115, 116, 117,
121, 127-128, 143-144,148,
153, 196, 197, 201-202,
211,220-221.
16 ha ali al) A. .
189, 197, 212, 241, 245,
257.
17
ha ali al) A. ., Ihyâ’ ‛ul ad-dîn,
27, 50, 53, 85-88, 93, 97,
Muhtas ar ihyâ’ ‛ul ad- 99,100, 101, 103, 117, 121,
dîn 253-255, 257, 264.
18 allâf A. W.
65.
22 Jabre F. Muqaddima
172.
23 Janâbî M. al- La notion de certitude selon
Ghazali 198, 231, 261.
24
Junayd A. Q. i at ar-rûh as -s ûfî
97, 98, 101, 119, 135, 151,
Enseignement spirituel 155-164, 176, 177, 178-
181,192, 194, 200-201,210,
214,231, 243, 245,
262,263, 264.
25 Kalabâdhî
191, 195, 196.
26 Mahmûd A. Q. Kitâb at-ta‛âruf
18.
27
Makkî al-) A. . Al-Falsafat as -s ûfiyya
fil-islâm 54, 71.
Qût al-qul b f u‛â alât
al-mah bûb
317
29
Mu âsibî al) . Al-Muhadhab fî 31-38, 49, 50, 51, 60-64,
- 194, 248, 251-253.
Ar- -lâh
30 a r S. .
211, 260.
- -
ams wal-yawm
31 Ndiaye S.
92, 119, 120, 130, 140,
149,
Le Tasawwuf du IIe au Ve 175, 210.
siècle de l’Hégire à travers
32 Piéron H. l’optique de la Sunna
33
psychologie
Qushayrî (al) A. K.
34 Raynal F. et …
37 Suy î (Jalâl ad-dîn ) Ash-Shar ‛a al-haqîqa, 20, 46, 47, 52, 92, 214.
D ah h âk , 64
Daqqâq, 58, 84, 124, 125, 126, 128, 183, 185
Dâwûd b.Nâs ir at -T î sula m ), 144, 153
Dhun-Nûn al Mis rî (abul-fayd ), 106, 107, 114, 121, 126
Ève, 16
321
Gabriel,32, 225
Gardet, 150, 189
Ghanni, 30, 115, 119, 130
Ghassân b. ‛ a d , 79
Ghazali mid uh ammad al-), 13, 27, 46, 52, 53, 74, 77, 78, 88, 89, 93, 97,
120, 121, 131, 135, 142, 146, 149, 168, 213, 215, 221, 232, 234, 235, 239, 250, 256
Iblîs, le Diable, 53
I ‛ s, 27, 39, 93, 97
Ibn, Abil-Hayr, 47, 260
I ‛ al-Baghdâdî, 106, 152
Ibn ‛Atâ al-Iskandarî, 13, 46,
Ibn al-Jallâd , 126
I as‛ d ‛ d all h), 31, 33, 56, 137, 190
Ibn Sînâ, 214, 232
Ibn Zayrî , 82
Ibrâhîm al-Hawâs, 60, 66, 95, 107
‛s alha , 124
Ismaïl Ja‛ ar, 83
‛Iyâsh, 106
Jacob , 159
Ja‛ ar al-Hawâs, 60, 105, 113
Ja‛far b. Muhammad as-Sâdiq, 123, 127, 128, 129, 153, 175, 259
Ja‛ ar asîr , 58
323
Jarîrî, 58
Joseph, 159
Juif, 227
Junayd (al) b. Muhammad (Abul-Qâsim), 13, 55, 56, 57, 60, 65, 74, 77, 82, 94, 95,
96, 97, 101, 104, 109, 110, 111, 119, 120, 135, 149, 151, 154, 164, 167, 168, 170,
171, 172, 174, 175, 176, 177, 183, 184, 185, 187, 192, 193, 199, 203, 204, 210, 228,
233, 243, 245, 259, 260, 261, 269, 271
Kadakan, 102
Mahfûz , 125
Mahmûd b. Labîd , 63
Makkî (Abû Tâlib al-), 53, 155
Mâlik b. Anas, 148
Mâlik b. Dînâr, 181
Marie, 226
Mansûr , 56
Mans r ‛ dallah , 57, 60
Maslow, 234
as‛ dî (al-), 124
Mimshâd ad-Dînûrî , 84
Moïse, 17, 212
u‛ dh Ja al, 27, 50, 63, 127, 142
u‛ i a, 70
Muhammad, 23, 127, 153
324
Qalânîsî, 11, 29
Qâsim b. Muhammad, 181
Qism b. Muhaymira , 63
325
Quraysh , 227
Qushayrî (abul- sim‛ d al-Karîm al-), 13, 30, 54, 55, 56, 65, 66, 67, 68, 77, 88,
89, 94, 97, 102, 103, 113, 114, 115, 118, 123, 128, 155, 177, 184, 190, 192, 193, 260
Qutâda, 124
Suhayl , 139
Sulaymân b. Îsâ ash-shajarî , 181
um amza, 154
Tâwûs , 61,
s, 78
Wâsitî (Abû Bakr Muhammad b. Mûsâ al-), 59, 136, 168, 238, 240
Wuhayb, 139
dhanb, péché,16
dharra, atome, 174
dhât , essence,188
dhikr, évocation de Dieu,36, 37, 38, 77, 98, 130, 131, 133, 134, 135, 136, 137, 138,
139, 141, 142, 150, 157, 191, 219
dhir ‛, coudée, 138
dhurriyya, descendance, 173, 174
du‛ , invocation, prière, 134
dunyâ, monde, 52, 238
abr, longanimité, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 100, 101,105,111, 115, 116, 157, 198
abbâr, le longanime,106
âdiqûn, iddîqûn, les véridiques, 47, 57, 65, 66
a w, lucidité, clairvoyance, 113, 119, 191, 192, 201
sakana, état, stabilité, 171
alât, prière, 142
sâlik, celui qui emprunte la voie par le respect scrupuleux des directives, 79, 83
sam ‛, audition spirituelle, 136, 137, 138, 143, 144, 146
satan, 133, 159
sa i a, faute, mauvaise attitude, 16, 133
sh i‛i e, 55, 78
shâkir , celui qui rend grâce, 110, 111, 114
shakûr , reconnaissant, 110, 111, 114
sharî‛a (shariatique), la loi islamique, 47, 170
shaytan, Satan, 52
shibr, empan, 138
shidq,
shirk, 17, 49, 50, 61, 63
shukr, reconnaissance, 92, 97, 98, 99, 100, 101, 110, 115, 141, 162
siddîq, le véridique, 50, 66, 162
idq, la sincérité, 46, 47, 57, 238
335
sûfî, c’est le terme soufi qui est souvent utilisé dans ce document, les mots ascète ou
mystique englobent à peine la recherche de l’agrément hautement liée au Tasawwuf et
qui transcende une simple mortification gratuite,11
sukr, ivresse, 113, 120, 192
sunna, tradition du Prophète, elle régit le mode de vie du musulman aussi bien
temporel que spirituel, 12, 13, 14, 54, 65, 69, 72, 92, 95, 113, 143, 146, 149, 154, 164,
168, 170, 176, 184, 200, 209, 214, 238, 240, 248, 256, 267, 269, 270
sunnisme, sunnite, 19, 70
sunan, recommandations, 92
yaqîn, certitude, 119, 149, 170, 172, 180, 234, 262, 263
yasîr, facile, 63
Yoga, 134
SOMMAIRE
Pages
Système de transcription 4
INTRODUCTION 10
Chapitre I : 16
Chapitre II : 44
Chapitre III : 69
Chapitre IV : 92
Chapitre V : 115
Chapitre VI : 130
Chapitre VII : 148
Chapitre XI : 224
Chapitre XII : 241
Chapitre XIII : 257
CONCLUSION 266
Bibliographie 273
Annexes 283
Index 295
338
RESUME DE LA THESE
Mots clés : asa u sou i Islam me espri cœur su a sou isme cer i ude
détachement.