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Lame Dans Le Tasawwuf Analyse de La Vie

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1

UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR

FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

Département d’Arabe

AWWUF :
Analyse de la vie des premiers soufis

THESE DE DOCTORAT DE 3e CYCLE

Présentée par :

Saliou NDIAYE

Sous la direction de :

M. Rawane MBAYE
Professeur titulaire

Année universitaire : 2007 – 2008


2

REMERCIEMENTS

A mon encadreur, le Professeur El Hadji Rawane Mbaye, pour sa disponibilité et


pour son appui en documents rares, indispensables à l’aboutissement de ce travail,

A mon épouse bien aimée Madame Seynabou Djiba Ndiaye pour ses encouragements et
son assistance précieuse et continue

A tous les amis pour leur encouragement et à tous ceux qui m’ont aidé à effectuer ces
recherches et à finir ce travail,

J’adresse mes sincères remerciements.


3

DEDICACE

A Serigne Saliou Mbacké,


Rappelé à Dieu ce soir du vendredi 28décembre 2007,
Au moment où je finissais de rédiger la conclusion de cette thèse.
4

SYSTEME DE TRANSCRIPTION

transcription Caractères arabes


’ ۶
b ‫ب‬
t ‫ت‬
t ‫ث‬
j ‫ج‬
‫ح‬
h ‫خ‬
d ‫د‬
dh ‫ذ‬
r ‫ر‬
z ‫ز‬
s ‫س‬
sh ‫ش‬
‫ص‬
‫ض‬
‫ط‬
z ‫ظ‬
‛ ‫ع‬
gh ‫غ‬
f ‫ف‬
q ‫ق‬
k ‫ك‬
l ‫ل‬
m ‫م‬
n ‫ن‬
h ‫ه‬
w ‫و‬
y ‫ى‬
NB : la voyelle u se lit « ou », les voyelles longues sont marquées par l’accent ^.
5

TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES


Pages

INTRODUCTION 10

Première partie : L’âme et le détachement 15

Chapitre I : L’âme, le péché et la passion 16

1. Le péché dans le Coran et les traditions prophétiques 16


2. Les prédispositions de l’homme au péché 19
2.1. Sa faiblesse ontologique 19
2.2. La passion et les autres vices 22
3. La crainte du châtiment 23
3.1. Les arguments coraniques 24
3.2. Les premiers soufis et la crainte du châtiment 27
4. L’invitation au repentir 29
4. 1. Présentation 29
4. 2. Textes 31
4. 3. Analyse 40

Chapitre II : L’obstacle à la sincérité 44

1. La sincérité 44
2. L’hypocrisie 48
3. Lutte contre l’hypocrisie 52
4. La sincérité et l’hypocrisie à travers les textes des soufis 54
4. 1. Présentation 54
4. 2. Textes 56
4. 3. Analyse 65

Chapitre III : L’âme et le repentir (at-tawba) 69

1. Le repentir 69
2. Un retour à Dieu 72
3. La volonté de s’engager pour le retour 77
3. 1. Présentation 77
3. 2. Textes 78
3. 3. Analyse 88
6

Deuxième partie : L’âme et la dévotion 91

Chapitre IV : La longanimité a - abr) et la reconnaissance (ash-shukr) 92

. La longani ité a - abre) et l’â e 93


1.1. La longanimité face à la douleur 94
1.2. La longanimité dans la dévotion 95
1.3. La longani ité dans l’abstinence 96
2. La reconnaissance (ash-shukr) et l’â e 97
2.1. La reconnaissance : un acte de foi 98
2.2. La reconnaissance par la dévotion 99
2.3. La reconnaissance dans le cœur 100
3. Des aspects de l’endurance vus par des spécialistes 102
3. 1. Présentation 102
3. 2. Textes 103
3. 3. Analyse 111

Chapitre V : La crainte révérencielle (al-hawf) et l’espoir (ar-rajâ’) 115

1. La crainte révérencielle et l’espoir du pardon 116


1.1. La crainte et le péché 116
.2. L’espoir du pardon 118
2. La piété et l’espoir de l’agré ent 118
2.1. La piété source de dévotion 118
2.2. L’espoir de l’agré ent 121
3. La crainte dans la littérature soufie 123
3. 1. Présentation 123
3. 2. Textes 123
3. 3. Analyse 128

Chapitre VI : L’évocation de Dieu (adh-dhikr) 130

1. La répétition incessante 132


2. L’évocation de l’intérieur ou la présence d’esprit 135
3. L’audition spirituelle (as-samâ‛) 136
4. Le dhikr et la dévotion 141
5. A propos de la mention du nom de Dieu 142
5. 1. Présentation 142
5. 2. Textes 143
5. 3. Analyse 146
7

Chapitre VII : Méthode et soumission dans la dévotion 148

1. La dévotion est-elle une méthode ? 149


1.1. Pour accéder à la certitude 149
1.2. Pour lutter contre l’â e charnelle 151
2. Une expression de la Soumission (al-islâm) 152
3. L’effort dans la servitude 154
3. 1. Présentation 154
3. 2. Texte 155
3. 3. Analyse 164

Troisième partie : L’Ame dans la connaissance (al-Ma‘rifa) 166

Chapitre VIII : Le pacte (al-mîtâq) et l’esprit ar-r ) : une relation spirituelle


167

1. Des concepts autour de la connaissance 169


1.1. a a uf et a îd 169
1.2. ‛Il , Ma‛rifa et Yaqîn 170
2. Le Pacte (al-Mîtâq) 172
2.1. Explication et sources coraniques 172
2.2. L’élite spirituelle 175
3. La littérature soufie sur la connaissance 177
3. 1. Présentation 177
3. 2. Textes 178
3. 3. Analyse 183

Chapitre IX : Au cœur de la connaissance (al-Ma‛rifa) :


L’A our et l’Agrément 187

1. De la gratification divine 188


2. Des signes annonciateurs 190
2.1. L’extase al-ghayba) 190
2.2. L’ivresse as-su r et la lucidité a - a w) 191
2.3. L’extinction al-fanâ’) et la pérennisation (al-baqâ’) 192
3. De la convenance absolue 194
3.1. L’a our de Dieu 194
3.2. Confiance en la Volonté de Dieu 198
4. Les soufis et l’a our 199
4. 1. Présentation 199
4. 2. Textes 200
4. 3. Analyse 204
8

Chapitre X : De la raison à la lumière 206

1. La raison (al-‛aql) 207


1.1. L’intelligence hu aine 207
1.2. Apologie coranique de la raison 208
2. Des considérations de la raison chez les soufis 210
2.1. Nécessité et limite de la raison 210
2.2. La perception al-ba îra) par la lumière divine 212
3. Des points de vue sur « l’œil du cœur » 215
3. 1. Présentation 215
3. 2. Textes 216
3. 3. Analyse 221

Quatrième partie : Des conceptions de l’âme 223

Chapitre XI : Le Tas awwuf et l’esprit ((ar-r )


224

1. A travers le Message prophétique 224


1.1. Le Saint-Esprit (ar-r al-qudus) 224
1.2. L’esprit hu ain ar-r ) 226
2. L’esprit hu ain chez les soufis 228
2.1. L’esprit et la vie 228
2.2. Une ontologie de l’homme 231
2.3. Point d’identification entre l’esprit et l’â e 232
3. Les emplois du concept « ar-r » (esprit) dans la littérature soufie 234
3. 1. Présentation 234
3. 2. Textes 235
3. 3. Analyse 239

Chapitre XII : L’âme charnelle et la conscience :


une relation conflictuelle ? 241

1. Des représentations de l’â e 241


1.1. Sur l’unicité de l’â e 241
.2. L’âme incitatrice au mal 243
2. Sur l’éducation de l’â e 245
2.1. La conscience au secours du cœur 245
2.2. De la sincérité à la certitude : une ascension spirituelle 247
3. Une introspection de l’â e 250
3. 1. Présentation 250
3. 2. Textes 251
3. 3. Analyse 255
9

Chapitre XIII : La purification du cœur 257

. Le cœur du soufi 257


1.1. Ses caractéristiques 257
1.2. Ses composantes 258
1. 3. Vers une hiérarchisation des états d’â e 259
2. Les étapes de la purification 260
2.1. Vers la sincérité 260
2.2. Vers la certitude 261
2. 3. L’â e apaisée 263

CONCLUSION 266

Bibliographie : 273
1. Ouvrages spécialisés 275
2. Ouvrages complémentaires 278
3. Documentation générale 282

Annexes : 283
1. Liste de soufis du Ier au Ve siècle de l Hégire 284
2. Les stations ou étapes de la certitude 293

Index : 295
1. Index des versets coraniques 296
2. I de des adît cités 307
3. Index des ouvrages cités 315
4. Index des noms propres 318
5. Index des termes techniques (glossaire) 328

Sommaire 337
10

INTRODUCTION
11

INTRODUCTION

La dévotion et la recherche de l’agrément de Dieu qui émanaient de la foi


sincère des premiers croyants de l’Islam, s’exprimant sous forme d’un certain
nombre de pratiques et comportements, ont fait qu’un groupe parmi les
musulmans se faisait distinguer de plus en plus, le long des siècles, malgré les
facteurs bouleversants qui se succédaient, et cherchait à se maintenir dans ce
sillage authentique. Ils furent désignés sous le nom de « ûfî » vers le IIe siècle
après l’Hégire, et leurs pratiques, de plus en plus singulières dans le milieu de
l’époque, furent reconnues sous le concept de « a awwuf ».

Plus tard, la systématisation de leurs pratiques connut sa maturité, ce qui fut


source de distinction remarquable. Alors, mus par un désir de partager et de
justifier leur vie intérieure, certains d’entre eux, à l’image de l- u âsibî1, du
fait de leur disposition subséquente à une certaine formation préalable, se mirent
à théoriser et à évoquer un savoir consacré aux « subtilités du cœur ». En effet,
éminent juriste (faqîh), celui-ci est considéré comme l’un des précurseurs de
l’école ash‛arite pour avoir participé à la formation de ses grands maîtres en
théologie musulmane (‛Ilm al-kalâm)2. Désormais, le a awwuf s’appuyait sur
une doctrine dont l’élaboration se poursuivait et s’étoffait avec le contact d’autres
sources de pensée au point de voir naître en son sein des tendances divergentes.

Par ailleurs, on ne peut pas s’empêcher de remarquer, chez les soufis, tout au
long de l’évolution de leur mouvement, la place prépondérante qu’occupe le
concept de l’â e dans leur doctrine et vie intérieure. Ceci est d’autant plus
intéressant que toutes les tendances confondues (orthodoxes ou hétérodoxes) font

1
Abû ‛ d llah ârit sad al- u âsibî, à la fois juriste et théologien, il fut l’un des soufis les plus
connus de son temps. Il fut le maître, en théologie, de Qalânisî qui enseigna à ul- asan al sh‛arî
(324/936). Il mourut à Baghdâd en 243H/857 J.C. Une biographie plus détaillée lui est consacrée au
premier chapitre de cette présente thèse. Cf. Qushayrî, Ar-Risâla, Dâr al-ma‛rifa, Le Caire, 1981, p :
20.
2
Cette expression se traduit littéralement par « la science de la parole ». Cette formation étymologique
est sans doute liée au fait que les Théologiens se consacraient essentiellement à une apologie défensive
des principes de la foi musulmane.
12

de cet « élément » difficilement perceptible, diversement situé chez l’individu, et


quelque peu mal conçu, comme le cœur de leur préoccupation.
En effet, différemment désignée par les concepts de ar-r a - a s al- al
al- a a - amîr , tantôt localisée à la tête de l’individu, tantôt à la poitrine, cette
1

« chose » semble être à la fois sujet et objet du a awwuf.

Dès lors, la grande question qu’on peut se poser est de savoir si la


problématique de l’âme n’est pas ontologiquement une question originelle de la
Sunna et que par conséquent, le a awwuf n’est, en définitive, sous un angle
dynamique, qu’une éducation de l’âme à la lumière du Message prophétique pour
gagner la certitude et la sincérité de la foi. Autrement dit, sous un aspect plus
statique, l’ensemble des comportements et manifestations de l’âme de celui qui a
atteint ce degré de la foi serait décrit et expliqué par cette doctrine.

Ceci a été déterminant au choix de ce thème de recherche qui s’emploie à


investir une dimension jusque là peu explorée du a awwuf qui se trouve être
l’importance de l’âme dans le Message prophétique (Coran et traditions) et dans la
vie des premiers croyants.

Ainsi, il semble particulièrement intéressant d’aboutir à des conclusions qui


pourraient participer à l’éclairage des rapports entre ce concept et la vie intérieure
du soufi. Pour cela, il s’impose de jeter un regard sur l’importance accordée à ce
domaine par les premiers croyants de l’Islam ainsi que sur son évolution selon le
penchant des uns et des autres pour la vie contemplative et selon leur degré de
perception du Message prophétique.

Par une approche à la fois analytique et descriptive nous tenterons d’étudier les
tentatives de conceptualisation de la question par les plus récentes générations de
soufis. En effet, malgré la lourdeur et la confusion des emprunts qui les

1
Ces termes seront largement étudiés dans ce document. Ils signifient respectivement : l’esprit, l’âme,
le cœur, l’intérieur et la conscience. A travers une certaine littérature, ils renvoient presque tous à une
même chose.
13

caractérisent, force sera de reconnaître que le Coran et les traditions prophétiques


resteront leurs principales sources d’inspiration.

Toutefois, il semble opportun de limiter le cadre historique de cette étude à une


époque où le a awwuf était encore plus une question de pratique et de
comportements qu’un objet d’analyse et de spéculations théoriques. De ce fait, la
proximité contextuelle des sources d’identification du soufi permet de conserver,
dans l’analyse, la pureté de sa foi et celle de sa pensée. En plus, une réduction du
champ de recherche augmente les possibilités de cerner l’essentiel de la question,
en lui fournissant les plus pertinentes réponses qui n’ont d’authenticité et de
véracité juridiques qu’en référence à une époque bien réduite, celle des premiers
croyants. Elle diminue aussi conséquemment les risques d’étalages inutiles sur des
faits et observations ne partageant pas les mêmes contextes d’évolution.

Ainsi, cette étude s’appuie sur la vie du Prophète (psl), de ses compagnons et
des dévots de l’Islam pour la période comprise entre le début de la révélation et la
mort de Junayd Al-Baghdâdî 1(297H. /911 J.C.), vers la fin du troisième siècle de
l’Hégire. C’est une époque référentielle reconnue unanimement comme telle par
les soufis de toutes les générations postérieures.

D’autres analystes du a awwuf qui viennent après cette époque peuvent être
évoqués dans ce travail pour le simple but d’étayer l’argumentation de leurs points
de vue qui restent fidèles à la pratique de leurs maîtres2.

Il s’agira, pour répondre aux questions essentielles de cette recherche de


considérer comme cadre explicatif l’analyse du Message prophétique sur la
problé atique de l’â e, ainsi qu’une étude de la vie des premiers croyants. Aussi,
s’appuie-t-elle essentiellement sur les sources suivantes :

1
Surnommé le seigneur de la communauté (des soufis), Abul-Qâsim Al-Junayd b. Muh ammad est
réputé pour son érudition, son orthodoxie et ses nombreux écrits ; il se fit entouré de disciples et évolua
à Baghdad où il mourut en 297/911. Cf. infra, p : 154, pour une biographie plus complète.
2
C’est le cas de Ghazali, d I ‛ l-Askandariî, de Qushayrî de Hujwîrî…
14

 Les commentaires coraniques ;


 Les traditions prophétiques ;
 Les sources d’hagiographie et d’histoire du prophète et des premiers
soufis ;
 Les premiers témoignages ou écrits de ces derniers.

Sur ce, le corps de cette étude va s’articuler autour de quatre grands


mouvements.

Les deux premières parties se consacrent respectivement à chacun des deux


domaines qui nous semblent être les points caractéristiques de la vie des premiers
soufis : le détachement et la dévotion.

Il s’agira, pour chaque domaine, de montrer que l’âme est au centre de


l’activité du soufi, en relevant ses préoccupations dans ce domaine et en analysant
ses comportements, se référant aux sources ci-dessus. Alors, chaque chapitre,
évoquera, pour l’aspect qui le concerne, la Sunna, l’histoire et l’analyse des
premiers écrits de soufis ce qui permet d’avoir une substance descriptive et
explicative de la question.

Après avoir ainsi entamé l’analyse avec cet aperçu sur l’aspect dynamique du
a awwuf décrivant de l’intérieur ce que d’aucuns appellent la voie, la troisième
partie, s’arrêtant sur des aspects plus statiques cette fois-ci, se propose d’expliquer
la vie intérieure du soufi qui a atteint le sommet de l’ascension. Autrement dit, il
s’agit de voir ce vers quoi aspire l’esprit du fervent dans sa lutte pour une
éducation de son âme.

A la lumière des trois précédentes, la dernière partie se propose de synthétiser


ce qui se dégage comme constante et cohérence des diversités de concepts sur
l’âme manipulés ça et là et de montrer la place qu’occupe ce domaine intérieur
dans le a awwuf de cette époque.
15

Première partie :
ET LE DETACHEMENT
16

Première partie : ET LE DETACHEMENT

Chapitre I : L’âme, le péché et la passion

La crainte du châtiment et la recherche du salut sont deux facteurs


déterminants pour l’attitude de dénuement et de sobriété des premiers croyants de
l’Islam. En effet le Coran, par ses premières révélations, a très tôt mis l’accent sur les
punitions et les tourments de l’au-delà, à côté des délices et des récompenses promises
aux bons serviteurs de Dieu. Il est donc intéressant pour donner quelques explications
au détachement du soufi, de revenir sur ce châtiment qui est essentiellement lié au
péché, à la passion et aux autres vices afin d’en tirer des relations avec la nature
humaine et l’âme de la personne.

1. 1. Le péché dans le Coran et les traditions prophétiques

Désigné sous diverses appellations (adh-dhanb, al-ithm, al-ma‛ i a al- a î a


as-sa i a), le péché de manière générale se définit par rapport à un ordre établi par
Dieu. C’est un comportement de désobéissance face à un commandement ou à une
interdiction divine de la part d’un adulte lucide1. Sa gravité peut être proportionnelle à
l’intensité de l’ordre.

Dans sa fonction de prévenir du châtiment ultime, le message du Prophète (psl)


a fait du péché le mal à éviter pour atteindre le Salut.

Le premier acte de désobéissance de l’homme rapporté par le Coran est le


péché d’Adam et Eve qui leur a valu d’être chassés du paradis.
« ‘Ô Adam habite le paradis toi et ton épouse ; et mangez en vous deux, à votre
guise ; et n’approchez pas l’arbre que voici ; sinon vous serez du nombre des
injustes.’ Puis le Diable, afin de leur rendre visible ce qui leur était caché- leur nudité
1
Celui qui commet le péché doit être pourvu de cette faculté essentielle de conscience et de
discernement, laquelle faculté exclut aussitôt d’après les juristes l’animal, l’enfant et le déficitaire
mental. L’importance de cette faculté sera abordée dans les deux dernières parties de cette recherche.
17

– leur chuchota, disant : ‘votre Seigneur ne vous a interdit cet arbre que pour vous
e pêcher de devenir des Anges ou d’être i ortels’… »1

La sévérité de la punition, considérant la gravité de l’acte qui est d’outrepasser


un interdit de Dieu, a été atténuée par leur repentir, par la reconnaissance de leur
faute ; si l’on sait que le Diable en question a été maudit à jamais pour avoir désobéi à
Dieu sans aucun regret2.

Suivant toujours la chronologie des récits coraniques, le péché qui suit est un
crime passionnel, lorsque l’un des fils d’Adam tua son frère par envie3.

Un autre péché non moins grave, vu l’intensité de son évocation par le Coran,
est celui des souverains tyrans qui se sont érigés en divinité devant leurs peuples
conduisant ceux-ci à la mécréance des signes de Dieu et à lui associer d’égal (ash-
shirk). C’est le cas du Pharaon devant l’appel de Moïse.

« Nous avons envoyé Moïse avec nos miracles vers Pharaon et ses notables. Mais ils
se montrèrent injustes envers Nos signes. »4

C’est aussi le cas de Nemrod face à Abraham5.

Par ailleurs, la plupart des peuples ont été châtié par Dieu, d’après le Coran,
pour avoir mécru à Ses signes et à Ses prophètes. Ainsi, au-delà de l’acte de
désobéissance, les péchés les plus graves et qui semblent être à l’origine de beaucoup
d’autres maux sont la mécréance des messages prophétiques et le fait d’associer à
Dieu une autre divinité.

1
Le Coran, édition du roi Fahd, d’après traduction du D. Hamidullah, Médine, 1990, Sourate Al-
Baqara (2), v. 35, 36. Toute autre citation du Coran, sous réserve de précision, sera tirée de ce
document.
2
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Baqara (2), v. 34.
3
Ibidem, Sourate Al-Mâ’ida (5), v. 28-32.
4
Ibidem, Sourate Al-A‛râf (7), v. 103.
5
Ibidem, Sourate Al-Anbiyâ’ (21), v. 51-57.
18

Le Coran et les adît du prophète (psl) concordent dans l’évocation de ces


péchés, de leur gravité et de leurs déterminantes relations avec le sort de l’individu
dans ce monde et à l’au-delà. Il arrive même que des versets coraniques soient aussitôt
révélés au prophète (psl) pour confirmation après que celui-ci se soit prononcé sur la
question. C’est le cas de cette tradition rapportée à la fois par Muslim et Buhârî1 :

« Un homme [lui] demande : ‘Ô prophète de Dieu, quel est le péché le plus


abominable devant Dieu ?’ Il lui dit : ‘invoquer un égal avec Dieu alors que c’est lui
qui t’a crée.’ Il [l’ho e] dit : ‘et quel autre [péché] ?’ Il répond : ‘tuer son enfant
de peur de ne pouvoir le nourrir.’ Il dit : ‘ensuite quel autre ?’ Il répond : ‘forniquer
avec la fe e de ton voisin.’ Sur ce, ajoute le rapporteur, Dieu le out Puissant
révèle ceci pour confirmation : ‘…qui n’invoquent pas d’autre dieu avec Allah et ne
tuent pas la vie qu’Allah a rendue sacrée, sauf à bon droit, qui ne co ettent pas de
fornication, car quiconque fait cela encourra une punition. »2

En définitive, quelle que soit leur nature et leur gravité les péchés de l’homme
tels qu’évoqués dans le message du prophète (psl) restent liés à deux domaines
essentiels : celui de la foi intime qui se traduit par une relation verticale entre la
personne et son Seigneur et celui de son comportement dans son environnement
naturel et social qui obéit à une relation horizontale avec ses paires et avec la créature
de manière générale. Dans ce dernier domaine l’homme commet des fautes comme le
meurtre, l’adultère, la fornication, le vol, l’injustice, la médisance….etc. Dans le
premier domaine, les péchés ne sont ni moins graves ni moins nombreuses, au
contraire, leur gravité peut même remettre en cause la foi de l’individu : la mécréance

1
uslim ajjâj et u ammad b. Ismâ‛ îl al- Buhârî sont les deux compilateurs de adît les plus
célèbres, chacun d’eux a établi un recueil qui porte le même nom (a - a , L’authentique) et qui
constitue une référence incontournable dans ce domaine.
Le premier est né à Nishapur en 204 H/820, et se consacra à la science du adît depuis son plus jeune
âge. Il fit plusieurs contrées et rencontra Al-Buhârî vers la fin de sa vie et profita de ses écrits. Il
mourut en 261H/875.
Al-Buhârî, surnommé l’Imam des compilateurs de adît, est né en 194 H/810 à Buhârâ. Il séjourna
dans plusieurs régions de l’empire musulman et compila un total de 6397 adît, soit un ensemble de
2602 cas, les répétitions exclues. Il mourut en 256 H/870. Cf. Minshâwî ‛U. ‛A. , Al-Muhadhab f
mus ala al- adît, al-azhar ash-sharîf, Le Caire, 1994.
2
Muslim,As- Sa îh, iyad, bayt al-af âr, ad t n°86. Cf. Al-Buhârî, As-Sa îh, beyrout, Dâr al-fi r,
adît n°6861 et 7532. Cf. Le Coran, Sourate Al-Furqân (25), v. 68.
19

devant les signes de Dieu, Lui associer une autre divinité, les actes de désobéissances,
les manquements aux dévotions, le reniement…
Toujours est-il que le degré de la foi en Dieu ou son absence selon les
théologiens musulmans peuvent expliquer en partie le pourquoi du péché ou
s’expliquer par le fait même de ce péché1. Mais quelle que soient les diversités
d’interprétation et de pensée sur ce point, tout porte à croire que ce qui pousse
l’individu à enfreindre le code qui organise ces deux relations est à rechercher dans
son fort intérieur.

1. 2. Les prédispositions de l’homme au péché

1. 2.1. Sa faiblesse ontologique :

La faiblesse de l’homme de par sa constitution ontologique est explicitement


évoquée par le Coran à plusieurs reprises. Seulement, cette faiblesse en question est de
nature différente. En effet, elle donne tantôt sur l’aspect naturel intrinsèque à
l’homme, tantôt sur son physique corporel.

Le verset suivant, par exemple, fait état, sans équivoque, d’une faiblesse
intrinsèque à la nature humaine :
« Et Allah veut accueillir votre repentir. Mais ceux qui suivent les passions
veulent que vous vous incliniez grande ent vers l’erreur comme ils le font). Allah
veut vous alléger les obligations , car l’ho e a été créé faible. »2
Dieu s’adresse ici aux croyants à qui Il fait profiter d’allègements, connaissant
la faiblesse naturelle de l’homme, pour ne pas qu’ils succombent aux tentations
charnelles comme le font les fornicateurs.

1
Notons que cette discussion a été à l’origine de la naissance de beaucoup d’écoles de théologie
musulmane, notamment les u‛ tazilites avec il qui pensent que celui qui commet un grand péché
parmi les musulmans n’est ni croyant ni mécréant, tandis que l’école rivale avec les sh‛arites,
maintient avec les juristes sunites que le péché n’annihile pas la foi, mais qu’il diminue son intensité.
Cf. Bâqillânî, In âf, Mu’assasa al-Hanjî, Le Caire, 1963, 2e édition.
2
Le Coran, Sourate An-Nisâ’ (4), v. 27, 28.
20

Par contre, cet autre verset évoque une faiblesse d’une autre nature.
« Allah, c’est Lui qui vous a créés faibles, puis après la faiblesse Il vous donne
la force. Il vous réduit à la faiblesse et à la vieillesse. »1

Beaucoup d’analystes cependant n’ont pas fait ce discernement, ce qui mène


parfois à des interprétations abusives et des analyses arbitraires. C’est ainsi qu’ils
soutiennent maladroitement, en confondant les deux « faiblesses », s’appuyant sur ce
dernier verset, qu’il est possible pour l’homme de sortir de cette faiblesse innée pour
s’élever et devenir fort grâce aux pratiques sincères2. Certes, l’idée est pertinente mais
l’illustration mène vers l’impasse. En effet, quelle peut être dans ce cas cette
deuxième faiblesse qui vient après la force ?

Il faut reconna tre qu’ici, elle est d’une autre nature ; le verset décrit tout
simplement la constitution physique de l’homme, depuis la naissance jusqu’à la
vieillesse.
Par contre, le premier fait état d’une faiblesse liée à un penchant inné, on peut
même dire à une nature métaphysique ou précisément psychologique de l’homme. Or
la faiblesse renvoie toujours à un manque de force ou à une attitude sans défense face
à une menace ou une force étrangère. Si selon les commentaires du verset 3, le plaisir
charnel et la passion en tant que force, sont opposés à la vulnérabilité de l’homme, on
est amené à s’interroger sur la nature essentielle de cette faiblesse. Puisqu’il ne s’agit
pas de son physique, alors en quoi son mental est-il faible face à certaines choses ?

 L’ignorance chez l’homme:

A tout point de vue, l’ignorance est une faiblesse et elle mène toujours sa
victime à sa propre perte. Or le Coran a souvent qualifié l’homme d’ignorant. Le plus
éloquent de ces passages illustre cette ignorance par le fait qu’il ait accepté ce que
beaucoup de créatures avaient refusé de porter devant Dieu : ‘la responsabilité de
faire le bien et d’éviter le al’.
1
Ibidem, Sourate Ar-Rûm (30), v. 54.
2
Sharqâwî, Ash-Shar ‛a wal-haqîqa, al- ayât almi riyya lil-kitâba, al-askandariyya, 1972, p: 40.
3
Suyûtî , Tafsîr al-qur‘ân al-‛azîm, maktaba al-istiqâma, Le Caire, s.d., volume II, p :76
21

« Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité (de
porter les charges de faire le bien et d’éviter le al . Ils ont refusé de la porter et en
ont eu peur, alors que l’ho e s’en est chargé ; car il est très injuste [envers lui-
1
même] et très ignorant. »

L’immensité de l’ignorance est à la dimension de la gravité de l’acte ou même


de la prétention. En effet, ici, on est loin de la simple ignorance d’un objet ou d’un fait
qui a échappé à la vigilance ou à l’acquisition de connaissance. Mais c’est beaucoup
plus complexe quant on veut évoquer l’ignorance de soi, comme c’est le cas ici. Ainsi,
ignorant sa nature et ses propres limites, l’homme a pris sur lui une responsabilité qui
lui coûtera cher.

Ce verset est doublement significatif. Autant cette fameuse ignorance


originelle relève d’un état d’âme intrinsèque et proche à l’amnésie, autant le fait
d’assurer la responsabilité de faire le bien et d’éviter le mal exige de l’homme une
bonne conscience et un bon discernement2. Pour chacun de ces aspects, c’est
l’intérieur de l’homme dont il s’agit : on est même tenté de dire son âme.

 Son penchant pour le plaisir :

Si dans son fort intérieur l’homme éprouve une attirance vers le plaisir et les
jouissances de ce monde, c’est parcequ’en lui une faiblesse l’accompagne depuis sa
création.
« On a enjolivé aux gens l’a our des choses qu’ils désirent :femmes, enfants,
trésors thésaurisés d’or et d’argent, chevaux arqués, bétail et cha ps, tout cela est
l’objet de jouissance pour la vie présente, alors que c’est prés d’Allah qu’il y a bon
retour. »3

1
Le Coran, Sourate Al-A (33), v. 72.
2
Cf infra : chap. XII pour d’autres développements, p :245.
3
Le Coran, Sourate Âl-‛Imrân (3), v. 14.
22

A bien observer, on voit que ce penchant, à beaucoup de niveaux, l’humain le


partage avec l’animal. En effet, chez ce dernier, les mâles se disputent les femelles au
prix de leur vie, les mères protègent leurs petits avec la même ténacité et c’est la force
et la distinction qui, parfois, font survivre l’espèce dans la nature. Aussi est-on tenté
de lier ce penchant à ce fameux instinct de conservation de l’espèce animale. Il s’agit
ici, pour beaucoup de théoriciens, de l’â e charnelle (an-nafs al-ammâra bis-s )1.
Toujours est-il que le siège du phénomène reste le caché, l’intérieur de l’individu et
cela ne peut être sans conséquence dans son comportement.

1. 2.2. La passion et les autres vices :

On mesure ainsi combien l’humain est vulnérable face à bon nombre de


tentations qui le poussent à céder à son penchant pour le plaisir malgré cette capacité
de discernement dont il a été doté depuis sa création. Il est ainsi disposé, pour se
satisfaire, à enfreindre des codes et à désobéir, donc à commettre des péchés. La plus
grave menace qui risque de dévoyer ce don de discernement et de prendre en otage la
conscience de l’homme semble se préciser quand celui-ci devient obsédé par la
satisfaction du plaisir. Il est alors saisi par la passion, comme le décrit le Coran.

« Vois-tu celui qui prend sa passion pour sa propre divinité ? Et Allah l’égare
scie ent et scelle son ouïe et son cœur et étend un voile sur sa vue. »2

Par ailleurs de cette passion chez l’homme peut naître une illusion qui consiste
à avoir en soi une sensation de perfection de distinction et de puissance. Lorsque
l’individu a l’impression d’être plus important, plus intelligent, plus parfait ou plus
considérable que l’autre, lorsqu’il commence à le mépriser et à se surestimer, lorsqu’il
aime se flatter et être flatté, l’orgueil s’installe en lui.

1
Il s’agit ici de « l’â e incitatrice au mal» évoquée par le Coran : Sourate Yûsuf (12), v. 53. Cf infra,
p : 243, pour d’autres développements. Nous préférons l’expression « âme charnelle » du fait que,
comme on le verra plus loin, cette âme est essentiellement représentée par un ensemble de forces qui
luttent pour la satisfaction de certains besoins physiques ou mentaux de l’organisme.
2
Le Coran, Sourate Al-Jâtiya (45), v. 23.
23

« Et assuré ent Il n’ai e pas les orgueilleux »1.

C’est cette vice, au fond, qui est à l’origine de beaucoup de mauvaises attitudes
de l’homme dont précisément, d’après le Coran, la mécréance des signes de Dieu. En
effet, celui qui, par orgueil, croit connaître ne se rend pas compte de son ignorance,
quels que soient les arguments les signes ou l’éloquence de son interlocuteur.

« Puis quand un avertisseur Muha ad leur est venu, cela n’a fait
qu’accro tre leur répulsion,
Par orgueil sur terre et par anœuvre perfide. Cependant la anœuvre
perfide n’enveloppe que ses auteurs. »2

La passion et l’orgueil sont deux vices qui s’installent et se développent par les
mauvais comportements de l’humain. Il est ainsi à la merci de fortes suggestions
maléfiques qui le poussent à la tricherie, la tromperie, la haine, l’envie, la ruse, la
médisance, la méchanceté, les mauvais préjugés, la calomnie, l’hypocrisie…etc. Ces
suggestions seraient insufflées à partir de l’â e charnelle3.

« Que la vie présente ne vous trompe donc pas et que le Trompeur (Satan) ne
vous induise donc pas en erreur sur Allah ! »4

1. 3. La crainte du châtiment

A la lumière de cette première analyse, on peut bien mesurer l’importance de


la mission prophétique qui, par la révélation coranique, vient au secours de l’humain,
en ce qu’elle constitue un rappel et un guide qui le soutiennent contre sa faiblesse
ontologique et son penchant maléfique. Ainsi, le Coran se propose comme mission
d’alerter la conscience de l’homme, d’éveiller sa capacité de discernement pour ne pas
qu’il faillasse à sa mission de faire le bien et d’éviter le mal, mais aussi d’attirer son

1
Ibidem, Sourate An-Na l (16), v. 23.
2
Ibidem, Sourate Fâ ir (35), v. 43.
3
Pour les relations entre l’individu, Satan et l’â e charnelle, cf infra, chap. XII, pp : 241-250.
4
Le Coran, Sourate Al-Luqmân (31), v. 33.
24

attention sur le châtiment qui sanctionne le pécheur à l’au-delà, à coté de la


récompense du juste.

1. 3.1. Les arguments coraniques :

Le jour du jugement dernier constitue un centre d’intérêt fondamental de la


révélation coranique durant les dix premières années de la mission du prophète (psl).
En effet, si la réalité et l’imminence de la mort ne fait l’objet d’aucune contestation
chez l’homme, le sort de ce dernier après cet évènement demeure un grand mystère et
pour beaucoup d’entre ces mécréants à qui s’adressait le Livre, la résurrection n’est
que simple fiction, à plus forte raison ce fameux jour de rassemblement où les félicités
seront séparés des damnés au sein des hommes et des génies. Aussi, tout argument de
persuasion, de par le style et de par la densité de l’évocation, a-t-il été utilisé afin
d’éveiller leur conscience.

 Dieu jure sur les éléments de Sa création :

Au moins vingt sourates du Coran commencent par un jurement. A les voir de


prés, ces passages se traduisent aussi bien par une forte exclamation devant cette
témérité et ignorance de l’homme face à une si évidente vérité (qui est aussitôt
annoncée après le jurement) que par une vive alerte au sens d’observation de l’homme
invité à se poser sur ce qui fait l’objet du jurement pour s’arrêter et s’émerveiller sur
sa particularité, son essence apparemment simple mais profondément complexe et
harmonieuse.

Ainsi peut se déclencher en lui une foudroyante prise de conscience qui le


mène à porter son attention sur le Créateur de l’objet, à écouter son message et à être
pris d’une crainte de son châtiment.
Ceci est un argument de taille qui a été pour beaucoup à cette attitude de
crainte profonde de la punition de Dieu, chez les premiers soufis.
25

On admire par exemple les versets suivants :

« Par l’étoile à son déclin!


Votre co pagnon ne s’est pas égaré et n’a pas été induit en erreur »1

« Non !...Je jure par le jour de la Résurrection !


Mais non !, Je jure par l me ui e cesse de se l mer2
L’ho e pense-t-il que nous ne réunirons jamais ses os ?
Mais si ! Nous sommes capable de remettre à leur place les extrémités de ses
doigts. »3

« Par ceux qu’on envoie en rafales


Et qui soufflent en tempête !
Et qui dispersent largement !
Par ceux qui séparent nettement,
Et lancent un rappel
En guise d’excuse ou d’avertissement !
Ce qui vous est promis est inéluctable. »4

 Le Coran fait des analogies et des paraboles :

C’est un fait très fréquent dans le Livre et par lequel des images sont proposées
à titre explicatif, dissuasif ou persuasif. Il peut obéir à un besoin pédagogique de
coller à la réalité des destinataires du message et de partir du sens le plus accessible
attenant à la mentalité la plus simple tout en laissant des signes à la compréhension et
à la méditation plus profonde des autres.

1
Le Coran, traduction de Hamidullah, les classiques Book en stock.com, Sourate An-Najm (53),v.1-2.
2
Nous soulignons des mots ou expressions de certaines citations pour une mise en relief de certains
concepts étroitement liés au développement.
3
Le Coran, Sourate Al-Qiyâma (75), v. 1-4.
4
Ibidem, Sourate Al-Mursalât (77), v. 1-7.
26

Le cas des versets suivants est éloquent à ce sujet. Les mécréants sont
comparés ici à des individus perdus dans les ténèbres d’une nuit sombre.

« Ils resse blent à quelqu’un qui a allu é un feu ; puis quand le feu a
illu iné tout à l’entour, Allah a fait dispara tre leur Lumière et les a abandonnés
dans les ténèbres où ils ne voient plus rien.
Sourds, muets, aveugles, ils ne peuvent donc pas revenir de (leur égarement).
[On peut encore les comparer à ces gens qui,] au moment où les nuées éclatent en
pluies, chargées de ténèbres, de tonnerres et éclairs, se mettent les doigts dans les
oreilles, terrorisés par le fracas de la foudre et craignant la mort ; et Allah encercle
de tous côtés les infidèles… »1

 La description terrifiante des faits du Châtiment :

La plupart des sourates révélées avant l’Hégire font état d’une large
description des faits du jour du jugement et du châtiment horrible qui attend les
infidèles. En effet les premiers récepteurs de l’époque étaient une population
majoritairement constituée de mécréants, contrairement à la communauté de fidèles de
Médine où sont révélées les autres sourates.

A la Mecque, le Coran a beaucoup évoqué les supplices à l’image des versets


suivants.

« Puis quand viendra le grand cataclysme,


Le jour où l’ho e se rappellera à quoi il s’est efforcé,
L’Enfer sera pleine ent visible à celui qui regardera…
Quant à celui qui aura dépassé les limites
Et aura préféré la vie présente,
Alors l’Enfer sera son refuge…
Et pour celui qui aura redouté de comparaître devant son Seigneur, et
préservé son âme de la passion,

1
Le Coran, Les classiques Book en stock.com, Sourate Al-Baqara (2), v. 17-20.
27

Le Paradis sera alors son refuge. »1

1. 3.2. Les premiers soufis et la crainte du châtiment

Ce qui distinguait ces hommes du commun des croyants est qu’ils prenaient
soin plus que tout autre de leur intimité avec Dieu et étaient frappés dans leur
méditation et dans leur conviction par une profonde crainte du châtiment ; et il arrivait
à certains d’entre eux de pleurer sur le sort de leur âme, par foi en l’avertissement du
Prophète qui disait :

« Si vous saviez ce que je sais vous ririez peu et pleureriez beaucoup. »2

Par ailleurs, selon Ghazali3, « on a un jour interrogé Ibn ‛Abbâs4 qu’il soit
agréé par Dieu) à propos de ceux qu craignent [Dieu], il répondit : leur cœur palpite
de crainte et leurs yeux pleurent alors qu’ils disent ‘co ent pouvons nous être gais
alors que derrière nous la mort nous poursuit et la tombe nous attend devant, alors
que notre ultime rendez-vous est le jour du jugement et notre chemin devant passer
sur la Géhenne et notre Seigneur de décider de notre sort ?’ »5

Ailleurs, u‛ dh b. Jabal6 disait : « le croyant c’est celui dont le cœur n’est


jamais rassuré que lorsqu’il aura laissé derrière lui la Géhenne. »7

1
Le Coran, Sourate An-Nâzi‛ât (79), v. 34-41.
2
Qushayrî, Ar-Risâla, p : 100.
3
mid u ammad al-Ghazali, érudit polyvalent, juriste, théologien, philosophe et soufi de son
temps, il fut d’une pertinence remarquable et constitua une référence sur tous ces domaines. Il défendit
le a awwuf contre ses détracteurs à travers ses nombreux écrits. Il est mort en 505H/1111. Cf :
chapitre III, p : 77, pour une biographie plus détaillée.
4
‛Abd Allah b. ‛Abbâs, compagnon et cousin du prophète (psl), il rapporta beaucoup de adit et fut un
grand exégète du Coran.Né trois ans avant l’Hégire (vers 620 J. C.), ce jeune compagnon était même
comparé à la mer pour l’étendue de ses connaissances. Il est mort en l’an 68 H/688. à Taïf. Cf : Zubayr
(M. b. az-) et al, Mu‛jam asmâ’ al-‛arab, Maktaba Lubnân, Beyrouth, 1991.
5
Ghazali, Muhta ar i yâ ‛ulûm ad-dîn, Dâr al-Fikr, Beyrouth, 1986 p: 235.
6
u‛âdh b. Jabal, compagnon du prophète, il avait 20 ans au moment de l’Hégire. Médinois, il
combatit à Badr et fut envoyé par le Prophète auprès des Yéménites pour leur instruction. Il mourut en
18/639
7
Qushayrî, Ar-Risâla,op.cit., p : 101.
28

Ils sont donc préoccupés par leur sort, qui se confond à celui de leur âme comme l’a
évoqué le Coran sur plusieurs passages dont ceux-ci :

« Et rappelle par ceci (le Coran), pour qu’une âme ne s’expose pas à sa perte
selon ce qu’elle aura acquis, elle n’aura en dehors d’Allah ni allié ni intercesseur. Et
quelle que soit la co pensation qu’elle offrirait, elle ne sera pas acceptée d’elle. »1

Il est important de noter qu’ici l’â e est personnifiée et confondue même à


l’individu, sans doute pour deux raisons :

 L’âme est ce qu’il y a de plus essentiel chez la personne dans son


comportement d’ici bas et pour son avenir dans l’au-delà ;
 C’est l’âme qui est responsable de l’attitude de l’individu et c’est elle
aussi qui en reçoit les récompenses.

« Et par l me et Celui qui l’a har onieuse ent façonnée ;


Et lui a alors inspiré son immoralité, de même que sa piété !
A réussi certes celui qui la purifie.
Et est perdu certes celui qui la corrompt. »2

Ainsi, l’âme peut être purifiée ou corrompue par l’individu, cause pour
laquelle les premiers soufis se réfugiaient dans le détachement par crainte du
châtiment et par volonté de purification de l’âme.

On peut comprendre maintenant par « inspiration d’i oralité », que Dieu


évoque la création de l’humain avec son penchant faible qu’on a analysé un peu plus
haut, et par « inspiration de piété » : le don de ces croyants ouverts au Message et
profondément marqués par sa teneur au point qu’ils se réfugient dans le détachement
pour échapper aux supplices et rechercher ainsi la certitude de leur foi à travers la
sincérité de leurs actes

1
Le Coran, Sourate Al-An‛âm (6), v. 70.
2
Ibidem, Sourate Ash-Shams (91), v. 7-10.
29

1. 4. L’invitation au repentir :

1. 4.1. Présentation :

Cette fameuse crainte du châtiment chez les soufis s’illustre parfaitement à


travers l’analyse de quelques passages tirés des ouvrages des grands ma tres de
l’époque. L’importance qu’ils lui accordent se justifie par le volume considérable de
leurs propos à son sujet.

Considérée comme le seul recourt de l’homme pour accéder au salut, elle est
étudiée avec minutie et insistance par des soufis, notamment ceux qui se font comme
credo le repentir (at-tawba). En effet, ils pensent que c’est une obligation pour le
croyant de développer en lui cette crainte du châtiment qui est la seule à même de
l’inciter à la pénitence, par différents moyens dont ceux proposés ci-après par Al-
u âsibî1.

Né à Basra vers 165H/782, ârit sad al- u âsibî évolua à Baghdad et


s’intéressa d’abord à la théologie musulmane en s’opposant vivement au
u‛tazilisme. Il est d’ailleurs reconnu comme l’un des précurseurs de l’école
ash‛arite car il compta parmi ses disciples al-Qalânîsî2, le maître de ul- asan al-
sh‛arî. Sans doute, pour cette formation, on nota chez lui cette forte tendance et
aptitude à conceptualiser sa pensée qui fit de lui le premier théoricien des grands
soufis. Juriste (faqîh), spécialiste du droit shafiite, il enseigna pendant longtemps
avant d’abandonner ses cours, en 232H/847 pour se consacrer à sa vie intérieure, il
fut préoccupé par son âme au point de s’évertuer à l’examiner et à la contrôler, d’où
son surnom de « al- u âsibî ». Il mourut à Baghdad en 243H/857.

Ma tre de l’introspection ou de la méditation ipsative, il s’entoura peu à peu de


disciples qui cherchèrent à mettre en pratique sa pensée. Il écrivit plusieurs ouvrages
destinés à ceux qui voulaient comprendre, parmi les disciples, ou vivre l’expérience
1
Cf. texte n° 1 ci-après.
2
Cf : Allard M., Le Problème des attributs divins dans la doctrine d’al-Ash‛arî, Imprimerie
catholique, Beyrouth, 1965.
30

de celui qui considérait attentivement ses devoirs vis-à-vis de Dieu (ar-r ‛î li huqûq
al-lâl).
Sa théorie qui met l’accent sur le repentir est largement exposée dans son
ouvrage principal : ar-Ri‛â ya li huqûq al-lâh (Egard pour les droits divins)1. Le
premier texte étudié ci-après ainsi que d’autres dans la suite de cette recherche sont
tirés de ce livre.

D’autres soufis, d’une époque plus récente, ont fait des études plus poussées
sur ce qui, dans le fort intérieur de l’individu, s’oppose à cette crainte et pousse vers le
péché. Ces derniers écrits circonscrivent souvent l’analyse à un domaine plus réduit et
essayent d’objectiver leurs propos par un début de représentation d’éléments plus ou
moins abstraits et auxquels faisaient vaguement allusion les premiers auteurs. C’est le
cas de al-Hujwîrî qui, en remontant aux origines du péché, essaye de définir et de
situer la passion (al-hawâ) en l’opposant à la raison (al-‛aql)2.

ul- asan ‛Alî b. Utmân b. ‛ lî al-Jalâbî al-Hujwîrî était un érudit soufi


du cinquième siècle de l’Hégire. Il a beaucoup voyagé et a évolué dans le Hurasân.
Auteur persan, il s’est beaucoup instruit des écrits de ses prédécesseurs comme as-
Sarrâj et al-Qushayrî. Son ouvrage principal duquel est tiré le texte en question a été
traduit en anglais et en arabe et a fait l’objet d’emprunt de la part de beaucoup
d’autres écrivains sur le a awwuf, aussi bien parmi les anciens comme Farîd D.
Attâr que les contemporains comme Qâsim Ghannî.

Ce livre a été rédigé en guise de réponse à une question adressée à l’auteur par
l’un de ses compagnons qui voulait être édifié sur ce qu’est « la voie du a awwuf,
ses stations évolutives (maqâmât), ses tendances, les propos (des anciens soufis),
leurs indications et leurs relations »3. Ainsi, avec force détail, Hujwîrî a donné de
précieuses informations sur la question notamment sur le passé de ses maîtres
prédécesseurs. Pour ce point précis, son ouvrage reste l’une de nos références

1
Cela signifie aussi littéralement : considération des droits de Dieu sur soi.
2
Cf. texte n° 2.
3
Cf : la partie introductive de Hujwîrî, Kashf al-mahjûb, Dâr an-nahd a al-‛arabiyya, Beyrouth, 1980.
31

essentielles. Il mourut vers 465H/1073 et fut considéré comme l’un des plus éminents
soufis attaché à l’orthodoxie.

1. 4.2. Textes traduits et annotés :

Texte n° 1 :

Chapitre : Ce qui incite le serviteur au repentir (at-tawba) et à abandonner son


acharnement i râr) (pour le mal)1

Ce qui substitue la persistance de son cœur dans le al et qui le détourne de


ses erreurs et péchés sont la crainte et l’espoir en son Seigneur.

En effet, Dieu, le Tout-puissant, lui a interdit ce qui passionne son cœur et qui,
par son âme, lui fait plaisir. Il, le Tout-puissant, a fait dans sa constitution un léger
penchant qui a une faiblesse pour ces interdits et qui tire plaisir et satisfaction dans
leur réalisation.

Ainsi, on a rapporté de l’Elu al- u afâ) psl , qu’il disait : « on a entouré


l’Enfer de plaisirs ». Il informa ainsi, que l’acte qui conduit l’auteur en Enfer est un
plaisir pour les âmes.

A propos de ce adît, I as‛ûd dit : « quiconque s’e pare du voile trouve


ce qu’il y a derrière ». Cela veut dire que celui qui fait s’e pare de ces actes de
plaisir prohibés rencontre l’Enfer. Quiconque laisse le voile aura alors une barrière
et une couverture entre lui et l’Enfer, il n’y entrera point. Et celui qui agit de la sorte
aura comme refuge le Paradis, par la grâce de Dieu le Tout-puissant.

1
Mu âsibî (al-) H., Ar- i‛âya li huqûq al-lâh, Dâr al-Ma‛ârif, le Caire, 1990, pp : 58-62.
32

Ainsi, le Tout-puissant déclare :


« Et pour celui qui aura redouté de comparaître devant son Seigneur, et préservé son
âme de la passion,
Le Paradis sera alors son refuge. »1

Ces propos du Prophète (psl) ci-après s’inscrivent aussi dans ce sens :

« Dieu, le Très-haut a créé l’Enfer, Il dit alors à Gabriel : Vas voir.


Il alla (et revint) en disant :
- Par Ta puissance ! Quiconque sera infor é de son existence n’y entrera ja ais !
Il l’entoura alors de plaisirs puis dit : vas le voir de nouveau.

Il alla et dit après l’avoir vu :


- Par Ta puissance ! Je crains qu’il n’y ait personne qui n’y entrera !

Il (Dieu) créa alors le Paradis et dit à Gabriel : vas le voir.


Il alla (et revint) en disant :
- Par Ta puissance ! Quiconque sera informé (de son existence) y entrera !

Il l’entoura alors de contraintes puis dit : vas le voir de nouveau.


Il alla et dit après l’avoir vu :
- Par Ta puissance ! Je crains que personne n’y entre ! »

Celui qui abandonne ce qui passionne son cœur et qui, par son â e, lui fait
plaisir, de tout ce que déteste son Seigneur, le Tout-puissant, il s’est préservé de
l’Enfer et a droit au salut, auprès de Dieu.

La plupart des actes que souhaite et recommande Dieu, le Tout-puissant, lasse


le cœur, épuise les membres et le détourne de ses (comportements) antagonistes (liés
au plaisir. Et ceci est naturelle ent contraignant et dur pour l’â e.

1
Le Coran, Sourate An-Nâzi‛ât (79), v. 40, 41.
33

Sur ce, Dieu, le Tout-puissant, dit :


« …Or, il se peut que vous ayez de l’aversion pour une chose alors qu’elle vous est un
bien. Et il se peut que vous ai iez une chose alors qu’elle vous est auvaise. »1

Et le Tout-puissant dit (ailleurs) :


« …Il se peut que vous ayez de l’aversion pour une chose où Allah a déposé un grand
bien. »2

Le véridique approuvé (psl) a aussi dit : « on a entouré le Paradis de


contraintes. » Il a ainsi informé que le voile avec lequel on a couvert le Paradis est
constitué d’actes contraignants pour l’â e. Il précise alors que quiconque fait
supporter ces contraintes à son â e jusqu’à accomplir ses devoirs vis-à-vis de Dieu,
entre au Paradis par la grâce du Tout-puissant.

Par ailleurs, ‛ d all h as‛ûd ajoute que quiconque s’e pare du voile
trouve ce qu’il y a derrière. Cela veut dire que quiconque supporte les contraintes
liées au service de Dieu, le Tout puissant, rencontre le Paradis, autrement dit, il y
entrera.

Dieu, le Savant, le Vénéré connaît le mieux Sa créature et ce qui la


perfectionne. Ainsi, Il sait d’un tel serviteur, bien avant de le créer, que s’Il le
disposait à aimer ce qui Lui convenait et à détester ce qui Le contrariait et que par la
suite il arrivait à distinguer les deux, cela aurait aiguisé ses désirs et son â e l’aurait
poussé vers ces interdits , nota ent pour celui qui s’est asservi par la satisfaction
des plaisirs de sa vie. Or celui-ci n’abandonnera ja ais ce qui fait plaisir à son â e
sauf si on crée une pénible punition et qu’on le enace par elle. Il ne supportera pas
aussi ce qu’il déteste si on ne lui trouve pas un bienfait per anent et auquel on lui fait
espérer et lequel on lui promet.

1
Ibidem, Sourate Al-Baqara (2), v. 216.
2
Ibidem, Sourate An-Nisâ‘ (4), v. 19.
34

Ainsi, Il les créa tous les deux (la punition et la rétribution pour ce qu’Il
conna t Sa créature et pour ce qu’Il veut honorer Ses a is et hu ilier Ses enne is.

Il sait que si on cache à ce faible et ignorant serviteur la rétribution et la


punition en les maintenant dans la simple évocation et non par la vue, son cœur ne lui
per ettra d’abandonner les plaisirs et de supporter les contraintes que par la crainte
effective de ce qui le enace et l’espoir réel en ce qu’on lui souhaite.

Il menaça alors et fit peur à Ses serviteurs et leur fit espérer et leur promit afin
qu’ils fassent peur à leurs â es et leur fassent espérer. De ce fait, elles Le craindront
et auront espoir en Lui.

C’est de la sorte que Dieu décrit ceux qui ont co pris cela en Lui et Le
craignent. Aussi le Tout-puissant dit-Il :
« Et pour celui qui aura redouté de comparaître devant son Seigneur, et préservé son
â e de la passion… »1

Le Tout-puissant précise que c’est parce qu’il craint son Seigneur qu’il a
préservé son âme de la passion.
Il dit (ailleurs) :
«…Ils redoutent leur Seigneur et craignent une malheureuse reddition de compte. »2
Le Très-haut dit aussi :
« …qui craignent leur Seigneur algré qu’ils ne Le voient pas, et redoutent l’Heure
(la fin du monde). »3

Ainsi, Il précise qu’ils craignent ce qui leur est caché co e punition et s’Il
leur fait une pro esse invisible, ils espèrent. Ainsi, s’ils craignent et espèrent ils
fuiront par conséquent (la punition) et chercheront (la rétribution).

1
Ibidem, Sourate An Nâzi‛ât (79), v. 40, 41.
2
Ibidem, Sourate Ar- a‛d (13), v. 21.
3
Ibidem, Sourate Al-Anbiyâ’ (21), v. 49.
35

Il a certes lié la rétribution à la punition, à la récompense, à la terreur et à


l’espoir en Dieu le Très-haut, afin qu’ils restent sou is à Lui, qu’ils l’adorent dans
l’hu ilité pour recevoir de Lui, au dernier Jour, bienfait et honneur.
Il précise que lorsqu’ils espèrent et craignent, ils se sou ettent à Lui et
s’hu ilient, co e d’ailleurs le font les gens de ce monde : celui qui craint s’hu ilie
pour celui qu’il craint jusqu’à obtenir sa grâce, et celui qui désire s’hu ilie jusqu’à
avoir de lui ce qu’il espère, en s’efforçant de lui plaire.

C’est co e cela que Dieu le out-puissant a décrit ses amis :


« Ils concouraient au bien et Nous invoquaient par désir et par crainte. Et ils étaient
humbles devant nous. »1

(A propos de cette humilité), asan2 précise qu’il s’agit d’une crainte


permanente.
Un soufi (mujâhid)3 ajoute que l’hu ilité du cœur est une hu ilité par crainte.

Par ailleurs, dans l’espoir d’obtenir ce qui leur est caché co e réco pense,
ils ont enduré les contraintes, co e d’ailleurs l’a si bien décrit le out-puissant
dans Son livre :
« Certes, ceux qui ont cru, é igré et lutté dans le sentier d’Allah, ceux-là espèrent la
iséricorde d’Allah… »4
Il dit ensuite :
« Quiconque, donc, espère rencontrer son Seigneur, qu’il fasse de bonnes actions et
qu’il n’associe dans son adoration aucun autre à son Seigneur »5.
Il ajoute encore :
1
Ibidem, Sourate Al-Anbiyâ‘ (21), v. 90. Dans la traduction du document de référence, c’est le mot
“amour” qui a été proposé pour le sens de “raghba”, nous avons préféré à la place le mot “désir” qui
semble le plus à même de restituer l’espoir de récompense associé à la crainte du châtiment exprimés
par ce verset à propos de l’invocation des bons serviteurs.
2
Il pourrait s’agir de asan b. ‛Alî, deuxième Imam chiite, connu pour son penchant pour l’ascétisme
et la dévotion. Il mourut à Médine à l’an 41 H/662. Mais considérant l’idée de la paraphrase, c’est
plutôt . Al- qui serait ici évoqué.
3
Dans le contexte historique de l’auteur, le mot Mujâhid est employé par les soufis pour se désigner
entre eux. En effet, le vrai combattant pour eux est celui qui combat sa propre âme afin d’obtenir
l’agrément de Dieu.
4
Le Coran, Sourate Al-Baqara (2), v. 218.
5
Ibidem, Sourate Al-Kahf (18), v. 110.
36

« Celui qui espère rencontrer Allah, le ter e fixé par Allah va certaine ent venir… »1
(Ce terme (ajal)) est traduit par certains exégètes comme la récompense de Dieu.
Dès lors qu’ils craignent ils fuient et évitent ce qui leur a été interdit comme Il
les décrit dans ses propos :
« Cela est pour celui qui craint Ma présence et craint Ma menace. »2

Il, le Très-haut, dit encore :


« Et pour celui qui aura redouté de comparaître devant son Seigneur, et préservé son
â e de la passion… »3
Il ajoute encore :
«…Ils redoutent leur Seigneur et craignent une alheureuse reddition de
compte. »4 […]

On cultive cette connaissance de l’i portance de la promesse et de la menace,


en développant la crainte de la violence de la punition et celle de l’espoir de
l’i ensité de la réco pense.

Cette crainte se développe par l’évocation (adh-dhikr) et par la méditation sur


la fin (la mort, la résurrection et le jugement). En effet, Dieu, le Tout-puissant, sait
que s’Il cache à cet esclave l’objet de Sa enace et de Sa pro esse, celui-ci
n’éprouvera ni crainte ni espoir si ce n’est par l’évocation et la éditation.

Du fait que l’invisible al-ghayb) ne peut pas être vu par l’œil mais se perçoit
plutôt par le cœur, à travers les réalités de la Certitude, si le serviteur se détourne du
dernier jour par la négligence, voilé en cela par l’a our de ce onde, il
n’éprouvera crainte et espoir que par si ple déclaration.

Quant à cette (sincère) crainte qui le pousse à détourner son plaisir de ce que
déteste son Seigneur le Tout-puissant, et cet espoir qui l’aide à supporter ce que

1
Ibidem, Sourate Al-‛Ankabût (29), v. 5.
2
Ibidem, Sourate Ibrâhîm (14), v. 14.
3
Ibidem, Sourate An Nâzi‛ât (79), v. 40.
4
Ibidem, Sourate Ar- a‛d (13), v. 21.
37

répugne son â e pour l’a our de son Ma tre, il ne l’éprouvera pas, tant que celle-ci
(son âme) restera sous l’influence de la passion.

En vérité, cette crainte et cet espoir s’acquièrent, grâce au bienfait du out-


puissant, par l’évocation (adh-dhikr), la méditation (al-fikr), par une attention
soutenue (at-tanbîh) et par un rappel (en soi) de la violence de la colère de Dieu, de
l’intensité de Sa punition et de l’i inence du jour du rendez-vous.
Dieu a affirmé que Ses amis les ont obtenus par cette façon :
« …Des signes pour des gens qui méditent.
Qui, debout, assis, couchés sur leurs côtés, invoquent Allah et méditent sur la
création des cieux et de la terre (disant) : « Notre Seigneur ! u n’as pas créé cela en
vain. Gloire à Toi ! Garde nous du châtiment du Feu.
Seigneur ! Quiconque u fais entrer dans le Feu, u le couvre vrai ent d’igno inie.
Et pour les injustes, il n’y a pas de secoureurs !... » »1

Jusqu’à Ses propos :


« …Et ne nous couvre pas d’igno inie au Jour de la Résurrection. Car oi, Tu ne
manques pas à Ta promesse. »

Un jour, le Prophète (psl) a lu ce verset au milieu de la nuit et dit :


« Maudit soit celui qui après avoir lu ce verset s’en essuie la barbe et n’y édite
même pas. » Alors, il pria et pleura toute cette nuit.

A ce propos, on rapporta de lui ces mots :


« Ces versets sont révélés à mon sujet. »

Ainsi, Dieu, le Très-haut, précise que lorsqu’ils ont édité et se sont rappelés,
s’est révélée à eux la gravité de la descente en enfer, ils craignirent alors le Feu et Le
supplièrent de les en préserver et de les éloigner de la honte du Jour du jugement. En

1
Le Coran, Sourate Âl ‛Imrân (3), v. 191-194.
38

effet, espérant le salut par Son bienfait, ils se sont tournés vers Lui, par humilité,
cherchant qu’Il les sauvât de la disgrâce de ce Jour.

Ce qui donne cette crainte (al-hawf) est donc une profonde connaissance de la
gravité du châtiment. Ce qui révèle cette gravité est la culture de la crainte (at-
tahwîf), et celle-ci se développe par la méditation sur le Rendez-vous. Cette
éditation provient de l’évocation (adh-dhikr) qui provient de la vigilance du
(sommeil) de la négligence.

En réalité, Dieu le Tout-puissant nous a menacés par la punition afin que nous
nous fassions peur nous-mêmes, Il nous a promis pour que nous nous fassions
espérer. La culture de la crainte (at-tahwîf) est donc du ressort du serviteur, par le
bienfait et la faveur du Tout-puissant. Quant à la crainte en tant que telle, elle
l’envahit, il ne la a trise donc pas. Elle est engendrée par la culture de la crainte en
soi ; Dieu l’insuffle dans le cœur de celui qui la pratique co e Il l’a reco andée.

Par ailleurs, Dieu peut loger la crainte dans le cœur d’un serviteur croyant
sans qu’il ne se donne la peine de la cultiver, par gratification de Sa part. outefois,
ê e s’il n’en bénéficie pas de cette façon, il n’en trouve pas pour autant une excuse
qui lui dispense de cette attitude qui lui est recommandée. Car, Il lui demande de
(toujours) méditer sur le Rendez-vous : et c’est par là la recherche de la crainte et de
l’espoir. Il l’a enacé par la punition et lui a pro is la rétribution) afin que ceci le
pousse à méditer. Ainsi, conséquemment, il Le craindra et aura espoir en Lui.

Texte n° 2 :

A propos de la Passion (al-hawâ)1

Sache, puisse Dieu te fortifier, que la passion chez certains est un terme qui
renvoie aux caractéristiques de l’â e ; chez d’autres, elle est l’instinct naturel

1
Hujwîrî, ashf al-Ma jûb, Tome I et II, Dâr an-nah a al-‛arabiyya, Beyrouth, 1980, Pp: 438 – 439.
39

agissant qui la renforce, co e l’est du reste la raison al-‛aql par rapport à l’esprit
(ar-r . out esprit, en effet, qui n’a pas, dans sa constitution, une puissance
é anant de la raison, est a oindri. De ê e, toute â e l’est aussi par l’absence
d’une force de la passion.

Par ailleurs, la faiblesse de l’esprit amoindrit la proximité divine (al-qurba),


tandis que celle de l’â e est en elle-même une proximité divine.

Le serviteur se trouve toujours face à deux appels : l’un venant de la raison et


l’autre, de la passion. Quiconque suit l’appel de la raison sera conduit à la foi et au
té oignage de l’Unicité a - a îd) ; tandis que celui qui répond à l’appel de la
passion sera ené vers la perdition et l’incroyance. Ainsi, la passion est le voile de
ceux qui sont sur le point d’atteindre le but al- ilûn), la monture (déviant) de
ceux qui sont sur la voie (al-murîdûn) et le lieu d’évite ent de ceux qui cherchent la
voie) a - âlibûn). En effet, il est reco andé au serviteur de l’éviter aussi est-il
interdit de l’utiliser co e onture. D’ailleurs, c’est dans ce sens qu’on dit que
quiconque la chevauche sera perdu et celui qui l’évite sera souverain ; comme le dit
Dieu le Très-haut :

« Et pour celui qui aura redouté de comparaître devant son Seigneur, et préservé son
âme de la passion,
Le Paradis sera alors son refuge. »1

Le Prophète, sur lui soit le salut ajoute :


« Ce que je crains le plus pour ma communauté est le fait de suivre la passion et
l’excès d’a bition. »

On rapporte d’Ibn ‛Abbâs, à propos du commentaire des paroles du Tout-


puissant :
« « Vois-tu celui qui prend sa passion pour sa propre divinité ? Et Allah
l’égare scie ent et scelle son ouïe et son cœur et étend un voile sur sa vue. »1

1
Le Coran, Sourate An-Nâzi‛ât (79), v. 41.
40

Il est dit ici que la passion est une divinité qu’on adore. Et alheur à
quiconque, à la place de la Vérité adorera sa passion, celui qui, nuit et jour,
cherchera à satisfaire sa passion.

Les passions sont de deux sortes :


 La première sorte est la passion liée aux plaisirs et au désir ;
 La deuxième est celle qui renvoie à l’orgueil et à l’obsession pour le pouvoir
(ri âsa).

Celui qui suit la passion des plaisirs tombe dans les bassesses, néanmoins, il
épargne la créature de ses turpitudes. Quant à celui qui suit la passion de l’orgueil et
du pouvoir, il est dans les ermitages et les cours et il est la terreur des gens, du fait
qu’il a perdu le che in et qu’il conduit tout le onde vers la catastrophe.

Que Dieu nous préserve de suivre la passion. Celui dont tous les mouvements
obéissent à la passion et tendent vers sa satisfaction est en réalité très loin de la
Vérité, ê e s’il fréquentait la osquée avec toi. […]

1. 4.3. Analyse :

A propos de ce qui invite le serviteur à la pénitence, Al- u âsibî, interpellé,


s’adresse à un disciple, comme c’est le cas d’ailleurs le long de son ouvrage. Ce style
d’échange entre ma tre et disciple a été souvent constaté à travers les écrits de cette
époque, notamment pour ce qui concerne les soufis. En effet, cela s’explique par au
moins deux raisons.

Trop absorbé par sa pratique, en considérant sa modeste personne, la


complexité de sa pensée et le contexte plus ou moins hostile où il évolue, le maître ne
peut pas avoir la prétention de s’adresser à tout le monde au point de vouloir

1
Le Coran, Sourate Al-Jâtiya (45), v. 23.
41

vulgariser sa théorie. Alors, il partage sa réflexion avec un disciple qui est sensé être
initié ou qui a fait preuve de détermination à vouloir s’engager sur la voie.

D’autre part, ce dialogue entretenu entre le ma tre et son disciple est un


excellent moyen didactique qui permet au premier d’articuler son enseignement
autour des points les plus motivants chez le second et de pouvoir apprécier en même
temps son niveau d’assimilation.

L’auteur propose deux moyens essentiels qui éloignent le « serviteur » de ses


péchés et le poussent vers l’attitude de pénitence : la crainte et l’espoir en son
Seigneur. On peut noter ici les débuts d’une première conceptualisation des états
d’âme (a wâl) du croyant qui, le long des siècles, sera reprise et précisée par les
suivants, au point d’aboutir à une hiérarchisation assez bien structurée vers le
quatrième siècle de l’Hégire.

Le développement d’Al- u âsibî ne va pas plus loin ici que le premier niveau
de la « crainte » dont il a été question au début de ce chapitre : la crainte du châtiment.
De même son concept d’ « espoir » est celui lié à la récompense. Ainsi, par soucis de
simplicité, eu égard probablement au niveau de perception de son locuteur, l’auteur
s’arrête au simple niveau de rétribution ponctuelle des actes et à la conception
formelle du péché du juriste.

Cependant, il précise dans son développement que ce qui pousse le croyant au


péché est son penchant naturel pour le plaisir, or c’est ce plaisir, d’après lui, qui mène
en Enfer. Ainsi, la crainte du châtiment pousse à lutter contre ce penchant qu’il situe
dans l’âme. u âsibî n’a pas insisté ni sur la manifestation ni sur ce que c’est que ce
penchant.

Par contre, Al-Hujwîrî s’arrête à ce niveau et explique que la passion (al-


hawâ) est le penchant ou la force qui agit sur l’âme : c’est elle qui fait dévier et qui
pousse le croyant vers la satisfaction du plaisir. Contrairement à la raison (al-‛aql) qui,
d’après son développement, est l’entité qui lui est opposée et qui fortifie l’esprit (ar-
42

r ). Ainsi, en s’adressant à un disciple, en adoptant donc plus ou moins le même


style que l’auteur précédent, par une approche comparative, Al-Hujwîrî met en
évidence la passion, en le situant d’abord dans le cœur, et plus précisément au niveau
de l’âme, puis en insistant sur ses méfaits et la continuité de son adversité et enfin, en
la catégorisant.

Ce qui est particulier et surprenant chez cet auteur c’est qu’il situe le sens de la
relation entre la passion et l’âme de la première à la seconde et non le contraire: c’est
la passion qui agit sur l’âme. Explicitement, il ne se prononce pas sur la naissance de
la passion, comme il a été évoqué précédemment dans ce chapitre et comme beaucoup
d’autres soufis l’ont fait. Sur ce, on peut reconsidérer sa pensée en reprécisant que la
passion bien qu’elle agisse sur l’âme, par la formation de l’âme charnelle1, émane bien
de celle-ci et agit sur le cœur. Par ailleurs, la lutte contre la passion est permanente
durant toute la vie du soufi ; cela intéresse aussi bien les débutants (« a - âlibûn »)
que les initiés ou « ceux qui sont sur le point d’atteindre leur but » (al- ilûn).

Quant aux deux catégories de passion développées par Al-Hujwîrî, elles


synthétisent et organisent toutes les formes d’expression de la passion :

 La passion qui conduit à la satisfaction des plaisirs intimes, notamment celles


liées à la chair ;
 La passion qui s’exprime par l’orgueil et l’égoïsme qui se déploie en dehors de
la personne et a comme support et but le pouvoir et le prestige.

Plus explicatif qu’argumentatif, l’auteur ne fait pas trop recourt aux versets
coraniques et adîts comme c’est le cas de u âsibî. Ainsi, il gagne en concision et
en densité ; et son traité semble être rédigé avec méthode.

1
Voir la suite à la quatrième partie de cette thèse.
43

Quant au premier, ses fréquentes répétions font penser à un style orale, écrit et
rapporté plus tard par le disciple. Son recours considérable au Coran et aux adîts est
à lier à sa formation de juriste et de théologien, soucieux d’authentifier ses propos. En
plus, il a évolué, contrairement à Hujwîrî, dans un contexte marqué par la naissance
de la communauté des soufis qui étaient souvent exposés aux critiques des orthodoxes.
44

Chapitre II. : L’obstacle à la sincérité

L’âme corrompue du verset1cité au chapitre précédent est donc celle dont le


propriétaire n’a pas résisté face à son penchant pour la passion et l’orgueil. Cette
abdication devant les tentations peut être considérée différemment. Celui qui corrompt
son âme par refus des signes de Dieu adopte une position plus délibérée que cet autre
qui, malgré son ouverture devant le Message du prophète, cède aux subtilités du
« cœur » et se trompe dans sa foi. Ce dernier n’a pas pu atteindre, dans ses
comportements extérieurs et intérieurs, ce niveau essentiel pour l’agrément de tout
acte tant recherché par le soufi : le niveau de la sincérité.

2. 1. La sincérité

Entre l’intention secrète de l’individu et son comportement manifeste il y a


toujours une relation assez complexe. Mais au fond, c’est une relation constante de
fidélité. En effet, à la base de tout comportement se cache et se manifeste une ou
plusieurs intentions. Cela peut sembler absurde, mais l’acte est toujours fidèle à l’une
de ces intentions, surtout à celle qui est intime et cachée.

Il peut arriver que les deux soient confondues, alors, celle de l’intérieur qui
commande l’acte s’identifie à celle qui se manifeste de fait à travers le comportement,
on peut parler alors de sincérité de l’acte.

D’autres fois, il peut arriver que l’individu ait une intention intime et secrète
d’agir pour faire croire à une deuxième intention qui se manifeste au regard du témoin
mais est loin d’être à l’origine du geste. Dans ce cas, on ne peut plus parler de
sincérité.

Ainsi, la sincérité se définit plus par rapport à cette double intention que par
rapport à l’acte, d’où la nécessité de purifier ses intentions pour être sincère. On

1
Le Coran, Sourate Ash-Shams (91), v. 7-10.
45

comprend alors la primauté accordée par le Prophète (psl) à l’intention sur le


comportement.
« Les actes sont appréciés sur la base des intentions, chacun sera rétribué selon son
intention… »1

En Islam, un acte de dévotion ne peut être considéré comme sincère que s’il est
sous-tendu par la recherche de l’agrément de Dieu. Et il se fait dans l’application d’un
mode de vie intérieur et extérieur fondé sur le Coran et les traditions prophétiques. Sur
ce point précis l’intention devient un peu plus complexe.

Non seulement on a l’intention de faire, mais on fait pour et seulement pour la


face de Dieu. Cela exige une indifférence absolue vis-à-vis d’un témoignage ou d’une
appréciation autre que celle de Dieu. Il n’est pas facile de faire ce dépassement plutôt
psychologique contre son penchant naturel pour l’orgueil et la passion, au point de
n’avoir qu’Allah comme Témoin et Juge de ses gestes, paroles et pensées de tous les
jours.

C’est en cela que la sincérité participe au témoignage de l’unicité ( a îd) et


se trouve être renforcée par celui-ci. En effet, comment peut-on opérer cette
abstraction du monde, des gens et de tout intérêt qui leur est relatif si on n’est pas
convaincu de l’omniprésence et de l’omniscience de celui dont l’agrément est
recherché ?

Pourtant c’est seulement à ce prix que le croyant peut faire partie du nombre
des véridiques auquel le convie le Tout-puissant.

« Ô vous qui croyez ! Craignez Allah et soyez avec les véridiques. »2

1
Muslim, op.cit., Had. N° 1907.
2
Le Coran, Sourate At-Tawba (9), v : 119.
46

Ibn ‛ â 1, à l’image d’autres Soufis, a proposé une illustration imagée et très


éloquente de la sincérité de la dévotion (al-ihl )2. Il soutient que les actes de
dévotion comme le jeun, la prière, la charité sont tous des corps sans vie et que leur
âme est la sincérité3. Aussi conseille-t-il de favoriser la discrétion pour ne pas tomber
dans le piège de l’hypocrisie.

Selon d’autres comme Ghazali, la purification de l’intention dans l’acte peut


amener le croyant à saisir la sagesse qui le sous-tend et éviter de se tromper et de
s’efforcer pour rien. Par exemple, celui qui jeûne sans préserver ni sa langue de la
calomnie, ni son regard, ni son ventre au moment de la rupture de l’illicite, il se
trompe et n’a pas encore compris la philosophie de l’acte4.

Quel est le facteur qui peut être plus déterminant et plus explicatif pour
l’attitude de détachement des Soufis de la première heure que cette recherche de
sincérité qui s’accompagne d’un renoncement accompli à une considération ou
rétribution d’un autre que Dieu ?

Un soufi caractérise celui qui cherche à purifier sa dévotion (al-muhli ) par


une répugnance pour l’intérêt mondain et pour la considération de l’autre. « Il se
détache de toute chose pour ne chercher que la face de Dieu en toute chose »5.

La recommandation d’Ibn ‛At â résume davantage cette attitude du Soufi :


« Ignore le regard des gens qui se pose sur toi en étant témoin de Son attention sur
toi. »6

1
Ibn ‛ â - Allah al-Iskandarî (709H/1309), soufi shadhilite qui évolua bien après la génération de
Junayd à Alexandrie. Il est l’auteur de l’ouvrage cité ci-après.
2
La sincérité est souvent exprimée avec des termes qui ont une certaine nuance entre eux. Par exemple
le terme al-ihl insiste davantage sur le sens de l’action de purification de la dévotion par l’intention
sincère, tandis que a - idq, plus statique, renvoie à la sincérité en tant que telle.
3
Ibn ‛A â’, ikam, Dâr al-kutub, Le Caire, 1970, p : 8.
4
Sharqâwî, op.cit., p : 74.
5
Ibidem, p : 246.
6
Ibn ‛A â’, op.cit., p : 87.
47

L’importance de la sincérité a - idq) dans la vie du Soufi a conduit certains


théoriciens comme a‛îd b. Abil-hayr1 à la placer sur son échelle d’ascension
spirituelle comme une station (maqâma) de la vie intérieure du dévot. Il la situe à la
dix-huitième position pour un ordre qui en compte quarante.

D’autres, plus récents comme Sharqâwî, subdivisent la conquête de la


sincérité en trois phases reliées à différents termes employés par le Coran sur la
question2. Ainsi, le chemin passe d’abord par le fait d’être véridique dans l’application
des pratiques et par l’amour de la vérité. C’est donc avoir la volonté de se conformer
aux règlements tels que édictés par la sharî‛a. Ceux-là sont appelés les muttaqûn (les
pieux). Pour être parmi les sincères (a - âdiqûn), il doit accentuer son effort en
traquant ses intentions par l’introspection et en les appréciant. Il atteindra enfin le
degré ultime en se forgeant un caractère inaliénable de sincère et se trouvera une place
à côté des prophètes et des martyrs, il sera du nombre des véridiques ( iddîqûn).

« Quiconque obéit à Allah et au Messager…ceux-là seront avec ceux qu’Allah a


comblés de Ses bienfaits : les prophètes, les véridiques, les martyrs et les vertueux. Et
quels bons compagnons que ceux-là ! »3

Il est certes difficile d’être catégorique pour une telle différentiation, mais il
faut toutefois reconnaître que le terme iddîq n’est employé dans le Livre qu’à côté
des prophètes, comme c’est le cas ici, ou même pour qualifier ces derniers comme ci-
dessous :

« Et entionne dans le Live Abraha . C’était un très véridique et un prophète. »4

Quant à le principal obstacle face à la sincérité c’est sans doute l’hypocrisie


qui est une maladie du cœur humain favorisé par la disposition de celui-ci au péché et
son penchant pour l’orgueil.

1
Il fut un soufi du cinquième siècle de l’Hégire. Cf. infra, pp : 259-260.
2
Homme de lettres égyptien, contemporain. Cf : Sharqâwî, p : 240.
3
Le Coran, Sourate An-Nisâ’ (4), v. 69.
4
Ibidem, Sourate Maryam (19), v. 41.
48

2. 2. L’hypocrisie

A côté des récompenses aux véridiques, Dieu promet le châtiment aux


hypocrites.
« …afin qu’Allah réco pense les véridiques pour leur sincérité, et châtie les
hypocrites… »1

L’hypocrisie et la sincérité sont deux phénomènes qui s’expliquent par


antagonisme. Ainsi, pour ce qui est de la première, sa compréhension passe aussi par
une analyse de l’intention de l’individu. Dans ses actes de dévotion, l’hypocrite est
celui qui, au fond, cherche autre chose que la face de Dieu, tout en faisant croire à une
bonne foi. C’est alors l’intention superflue, impure ou la double intention : celle
d’avoir l’intention de faire croire à une autre.

Autant la sincérité projette l’individu vers le sommet du courage, de la pureté


et de la force, autant l’hypocrisie noient la personne dans les méandres de l’obscur, de
la trahison et de la faiblesse.

En réalité, l’hypocrite, dans son attitude, est animé par deux choses :

 Ne pas pouvoir assumer correctement un pacte d’observance de


règlements qui le lie à autrui (Dieu ou la société), en cédant à son
penchant pour satisfaire un besoin instinctif ou un intérêt non avoué qui
s’oppose au pacte. Et dans ce cas c’est par lâcheté et par faiblesse qu’il
se couvre de « sa bonne foi ».

 Ne pas vouloir assumer correctement ce pacte pour avoir été contraint


de le passer sous peine de perdre un intérêt qui pousse à adopter
sciemment la stratégie de se camoufler derrière « sa bonne foi ». Cette
attitude est beaucoup plus réfléchie et beaucoup plus dangereuse que la
première. Car elle peut s’accompagner d’attaques sournoises cherchant

1
Ibidem, Sourate Al-A zâb (33), v. 24.
49

à nuire directement ou indirectement celui avec qui on a passé le pacte


et à le considérer comme une menace.

En Islam, l’hypocrite est donc celui qui affiche au regard de la société un


comportement qui n’est pas sincère à l’égard de Dieu. Cette attitude mitigée pousse
quelqu’un comme al- u âsibî à l’assimiler au shirk, associer à Dieu une autre
divinité1. Et pour raison, il évoque la peur de perdre une considération, un intérêt ou la
peur de reproche. Il reconna t en même temps que l’hypocrisie peut se situer à de
différents niveaux2.

Il est en effet permis de se poser des questions, par exemple, sur le semblant de
paradoxe qu’il y a entre les deux versets coraniques suivants.

« Il est, parmi les croyants, des hommes qui ont été sincères dans leur engagement
envers Allah. Certains d’entre eux ont atteint leur fin, et d’autres attendent encore ;
ils n’ont varié aucune ent dans leur engage ent ;
Afin qu’Allah réco pense les véridiques pour leur sincérité, et châtie, s’Il veut, les
hypocrites, ou accepte leur repentir. Car Allah est Pardonneur et Miséricordieux. »3

« C’est égal pour eux [les hypocrites], que tu implore le pardon pour eux ou que tu ne
le fasses pas : Allah ne leur pardonnera jamais, car Allah ne guide pas les gens
pervers. »4

Tandis que le premier n’écarte pas la possibilité de pardonner les hypocrites de


leur attitude, l’autre exclue à jamais ce pardon. Evidemment, cela ne fait que renforcer
l’argument selon lequel il y a au moins deux types d’hypocrites.

En effet, l’analyse du contexte des versets permet de mieux situer la


différence. Le premier fait état d’hommes sincères dans leur engagement parmi les

1
Mu âsibî, Ar- i‛âya li huqûq al-lâh, Dâr al ma‛ârif, le Caire, 1990, p : 133.
2
Ibidem, pp : 139, 140.
3
Le Coran, Sourate Al-A zâb (33), v. 23, 24.
4
Ibidem, Sourate Al-Munâfiqûn (63), v. 6.
50

croyants et menace de châtier ceux qui n’ont pas pu le respecter parmi eux. Le pardon
reste possible ici puisqu’ils ne sont pas exclus du groupe des croyants, il s’agit bien ici
de ceux qui ont cédé aux tentations subtiles du cœur au point de ne pouvoir atteindre
ce niveau de sincérité dont il a été question précédemment1.

Comme c’est le cas par exemple ici d’un croyant, d’après la description de
u âsibî2, qui se trompe en ayant deux intentions derrière son acte de dévotion, la
charité par exemple : être rétribué par Dieu et être loué ou remercié par le destinataire
ou par les gens. Il a subtilement cédé à l’orgueil malgré sa foi. C’est le niveau le plus
faible de l’hypocrisie et qui fait si peur au Soufi à la recherche d’une sincérité
inaliénable. Celui-ci mène un combat intérieur contre les vicissitudes du cœur, et se
réfugie souvent derrière le renoncement du monde (az-zuhd).

Quelle que soit sa faiblesse, cette hypocrisie est d’une extrême gravité chez le
Soufi encouragé en cela par les propos du Prophète (psl) rapportés de u‛ dh b.
Jabal qui l’assimile au shirk.
« La plus faible hypocrisie est une association à Dieu. »3

La plus grave doit être celle évoquée par le deuxième verset. Là, il s’agit,
d’après le contexte, de ceux qui ne croient ni aux signes de Dieu ni à la prophétie et
qui, par lâcheté, se cachent parmi les musulmans, ceux-là ne seront jamais pardonnés.
Il s’agit de ceux qui n’ont pas voulu, parce qu’en réalité ils ne croient pas4.

Ainsi, entre celui qui occupe le bas de l’échelle et le sincère (a - iddîq), il y a


donc le croyant qui se démêle entre sa foi et les penchants subtiles de son âme et qui
commet, à chaque foi qu’il perd le combat (jihâd an-nafs), des actes d’hypocrisie
pour lesquels il ne sera jamais rétribué comme le dit le Prophète :

1
Cf. supra p : 44.
2
Mu âsibî, op.cit., p. 133
3
Ibidem, p : 186. Cf Ghazali, Muhta ar, op.cit., p : 196.
4
Cf. au début de ce chapitre, pp : 48-50.
51

« Celui qui se fait entendre dans sa dévotion ou fait de l’ostentation Dieu le lui
retournera. »1

Ainsi, jeûner par peur de reproche, faire « paresseusement »2 les prières pour
les mêmes raisons ou pour faire témoigner aux gens sa bonne foi, sont toutes des
dévotions vouées au néant. Est hypocrite au même titre celui qui pour les mêmes
motifs ou par peur de tomber dans l’ostentation refuse de ne rien faire.

Le Coran, dans ce sens, encourage les fidèles « qui ne craignent le blâme


d’aucun blâ eur »3. Il avertit ailleurs que « la bonté pieuse ne consiste pas à tourner
vos visages vers le levant ou le couchant »4, mais elle réside dans la sincérité et la
vraie piété.

La tradition rapportée du Prophète par Abû Hurayra est très expressive à ce


sujet. En effet, il fait cas de trois individus dont on a été témoin de leur bienfait dans
ce monde, et qui iront en enfer pour cela : Le premier est mort au cours d’une bataille
pour la cause de Dieu, le deuxième est un donateur très réputé pour ses largesses et
enfin le troisième un grand récitant de Coran. Dieu dévoilera alors leurs intentions
secrètes qui sont, respectivement, faire apprécier par les gens son courage, faire voir
sa générosité et se faire prendre pour un grand savant5.

Il faut cependant noter que pour tous ces cas on est aussi loin de celui qui, par
delà son intention sincère vis-à-vis de Dieu, montre son geste pour se donner comme
exemple dans le but de rappeler ou d’éduquer, ici les intentons sont nobles et louables.
On voit certes deux intentions, mais elles sont liées à deux actions différentes (faire
l’action et donner le bon exemple) qui sont toutes vouées à Dieu.

1
Muslim, Had n° 2986.
2
Le Coran, Sourate Al-Mâ‛ûn (107), v. 4, 5. Cf. sourate An-Nisâ’ (4), v. 142.
3
Ibidem, Sourate Al-Mâ’ida (5), v. 54.
4
Ibidem, Sourate Al-Baqara (2), v. 177.
5
Mu âsibî, op.cit., p : 132.
52

Un autre exemple est celui d’un soufi qui se précipitait aux combats lors des
guerres saintes, il y trouvait un plaisir énorme. Cette attirance l’alerta, provoqua en lui
une introspection. Il finit par comprendre que c’est sa propre «âme charnelle » qui,
fatigué de la vie dure de détachement qu’il menait, le poussait au suicide. Alors il
résolut de ne plus participer aux combats1. De l’extérieur, on aurait dit qu’il fait
preuve d’une légèreté vis-à-vis de la loi de Dieu, alors qu’il lutte pour gagner la
sincérité.

2. 3. Lutte contre l’hypocrisie

Le Soufi passe toute sa vie à la recherche de perfection dans sa foi et dans sa


dévotion ; aussi mène-t-il un combat contre ce qui, dans son fort intérieur, le pousse
vers des attitudes comme l’hypocrisie. Sur ce, on ne peut s’empêcher d’apprécier la
profonde réflexion de Ghazali qui essaye de circonscrire les obstacles qui se dressent
entre le dévot et la perfection2.

Il a évoqué : le monde (ad-dunyâ), les gens (an-nâs), le démon (ash-sha ân)


et la concupiscence (al-hawâ). Parmi ces quatre obstacles, les trois retiennent
davantage l’attention pour leur relation directe avec l’hypocrisie.

 Les gens : on peut même comprendre par cet obstacle la société de


manière générale. Par peur de reproche ou par amour de considération
des autres, l’homme peut être tenté de se couvrir d’une mauvaise foi.

 La concupiscence : comme il a été analysé précédemment, la passion


qui résulte d’une obsession à satisfaire ses désirs charnels ou instinctifs
peut s’emparer de l’individu et susciter en lui cette lâcheté ou cette
obsession par sa propre considération ( ubb al-jâh).

1
Sharqâwî, op.cit., p : 75.
2
Ghazali, Le chemin assuré des dévots vers le Paradis, traduction de M. A. Palacios, p : 47.
53

 Le démon : Iblîs a juré selon le Coran de porter préjudice à l’homme,


de le dévier de sa mission sur terre1. Aussi, profite-t-il de ses
dispositions au péché pour lui suggérer, à tout moment opportun, de
mauvaises attitudes. Le chapitre suivant donnera l’occasion d’analyser
les rapports entre ce démon et l’homme dans son combat pour le bien.

Comme arme face à ce danger pour son cœur, le soufi adopte un profil de
discrétion, de détachement et de renoncement au monde qui s’illustre davantage par le
conseil de l’Imam Alî2.
« Sois généreux sans ostentation, n’élève pas ta personne pour qu’on parle de toi ou
pour être connu. Cache et garde le silence, tu échapperas ; alors les vertueux se
réjouiront (de toi) et les débauchés seront irrités (contre toi). »3

C’est pour cela que Ghazali préconise contre l’â e, pour éviter qu’elle soit
corrompue, l’introspection et la vigilance intérieure : une pratique constante à
appliquer méthodiquement4.

A ce sujet, Al-Makkî5 a évoqué le cas édifiant d’un Soufi qui, par cette
pratique, a une fois échappé à l’illicite. Il avait été convié par des amis à partager une
grillade. Arrivé devant le plat, il changea subitement de décision et refusa poliment de
manger, il ne répondit pas aux questions. Il se leva et s’en alla. Les autres, inquiets,
durent renoncer à la viande qu’ils avaient payée. Harcelé, le vendeur finit par avouer
que ce jour là il avait trouvé l’un de ses animaux mort, alors ne pouvant pas supporter
la perte, il se résolut à le griller pour le vendre. Emu par cette coïncidence l’un des
amis alla insister auprès du soufi pour connaître la raison de son geste. Celui-ci finit
par lui expliquer qu’il a éprouvé une attirance exceptionnelle pour cette grillade, un

1
Le Coran, Sourate Al-Baqara (2), v. 34.
2
‛ lî î âlib, 4e calife du prophète (psl), il est son cousin, époux de sa fille ima, et fit partie
des combattants de Badr, il était âgé de 21 ans au moment de l’Hégire. Très réputé pour sa sobriété, son
ascétisme et son savoir, tous les soufis le reconnaissent comme l’un de leurs ma tres. Il mourut
assassiné en 40H/661. Cf. Zubayr et al, op.cit. et Hujwîrî, Kashf al-mahjûb, Dâr an-nah a al-
‛arabiyya, Beyrouth, 1980, T. I , p :273.
3
Ghazali, Muhta ar,op. cit., p : 195.
4
Cf. infra, pp: 250-255 .
5
âlib al-Makkî (386H/996), l’un des défenseurs de l’orthodoxie du soufisme, son ouvrage
principal est cité ci-après.
54

appétit qu’il n’avait jamais eu, même devant de la viande. Il refusa de céder à ce
plaisir obscur1.

En définitive, les premiers soufis préconisaient, pour arriver à bout des


obstacles qui se dressaient entre eux et la sincérité, une attitude de détachement et de
renoncement au monde. Ils parvenaient ainsi, en accordant plus d’importance à leur
relation intime avec Dieu à amoindrir l’impact négatif que pourrait avoir leur relation
horizontale sur leur dévotion. Sur ce, tous leurs efforts étaient centrés sur la
purification de l’â e : une difficile opération qui mérite une analyse approfondie
d’autant qu’elle se donne comme repère l’enseignement de la Sunna, contrairement à
d’autres tendances mystiques, et comme siège le cœur de l’homme. Ce fameux
combat repose essentiellement sur un retour à Dieu (at-tawba) qui est le socle, au
début et à la fin de la vie du Soufi.

2. 4. La sincérité et l’hypocrisie à travers les textes des soufis

2. 4.1. Présentation :

La sincérité et l’hypocrisie sont deux caractères antagonistes qui ont très tôt
intéressé le soufi dans ses réflexions. Il a été déjà vu dans ce chapitre que c’est
l’attirance vers la première et la répugnance vis-à-vis de la seconde qui ont motivé
l’attitude de détachement du soufi.

Les deux textes présentés ci-après donnent une idée de la convergence des
relations (entre ces deux notions) vers l’attitude de pénitence qui sera traitée au
chapitre suivant.

Le premier, tiré de l’Ep tre d’Al-Qushayrî, renseigne sur la sincérité, par


l’approche anecdotique qui est particulière à cet ouvrage. La richesse des définitions
proposées par différents ma tres permet de voir, à l’aide d’une confrontation, les
tendances dégagées à ce sujet.

1
Makkî, Qût al-qulûb f mu‛âmalât al-ma bûb, Ma taba Mu afâ al-bâbî, Beyrouth, 1961, p : 174.
55

Al-Qushayrî naquit en 376H/986, dans le Hurâsân. Il allia, auprès d’un


maître, à Nîshapûr, l’étude du droit islamique shafiite et la pratique du a awwuf. Il
fut un grand ma tre de l’école de théologie ash‛arite, il évolua à Baghdâd où il
enseigna le droit et la théologie, puis retourna à Nishapûr où il mourut en 465H/1072.

Compte tenu de sa formation, Al-Qushayrî fut tenté par une théorisation du


Ta awwuf, une voie qu’il considérait comme éteinte au moment de la rédaction de ce
livre et sur laquelle il jette un regard de juriste sunnite. Il l’a rédigé dans un contexte
où, les soufis, toutes tendances confondues étaient considérés par les docteurs de la loi
comme des menaces pour la foi monothéiste. Ils étaient partout persécutés et
contraints à la clandestinité.

Aussi, s’inscrivit-il dans une dynamique de réconciliation entre le a awwuf et


l’orthodoxie.

En recherchant l’authentification des principes et pratiques de la « voie » et en


revisitant la vie de ses plus grands adeptes, le livre se place dans une perspective plus
anecdotique qu’historique. En effet, les faits, paroles et gestes sont choisis et analysés
afin de dégager leur conformité avec la Sunna. Sous le même angle, l’ensemble des
concepts sont expliqués et leur sens justifiés, grâce au Coran et aux adîts
prophétiques, transmis le plus souvent par une chaîne généralement constituée de
soufis.

Le personnage d’Al-Qushayrî ne fait pas partie de l’objet d’étude de ce présent


travail puisqu’il est de loin postérieur à Junayd, mais son ouvrage du fait qu’il
informe sur la vie et les propos des premiers soufis est d’une importance considérable
pour notre recherche.
56

Le deuxième passage est d’un auteur plus ancien : Al- u âsibî1. Il traite de
l’hypocrisie avec un style différent et avec le regard profond et toujours accusateur de
l’analyste vis-à-vis de l’âme.

2. 4.2. Textes traduits et annotés :

Texte n° 1

Chapitre sur la sincérité2

Dieu le Très-haut dit :


« Ô vous qui croyez ! Craignez Allah et soyez avec les véridiques. » 3

L’I a a r u ammad b. Al-Fawrak4 que la miséricorde de Dieu soit


sur lui nous a informé que, selon ‛Abd-all h Ja‛ ar hmad al-Is a ânî, selon
ishr us abîb, selon Abû Dâwûd at-Tiyalisî, selon hu‛ba, selon
Mansûr, selon ‛il, selon ‛ d all h as‛ûd, le Prophète (psl) a dit :

« Le serviteur ne cesse d’être sincère et d’avoir co e credo la vérité jusqu’à


ce qu’il son no soit gravé auprès du rès-haut comme un véridique. Il ne cessera
de entir et de se co plaire dans le ensonge jusqu’à ce qu’il soit gravé auprès de
Dieu comme un menteur. »
Le maître (al-ustâdh)5 ajoute :
La sincérité est le pilier de la chose (du a awwuf). En elle se trouve sa complétude,
son organisation et elle vient juste (comme niveau spirituel) après le grade de la
prophétie.

1
Cf. le chapitre précédent, pour plus de renseignement sur la biographie de ce soufi et sur ses écrits.
2
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Ma‛rifa, Le Caire, 1981, pp : 164 – 166.
3
Le Coran, Sourate At-Tawba (9), v. 119.
4
Dans ce passage et dans tous les autres extraits de cet auteur proposés à la suite, il est fait mention de
beaucoup de noms de soufis qu’on peut retrouver sur la liste en annexe, pour plus de précision
biographique.
5
Il s’agit ici de Junayd que la plupart des soufis de la génération d’Al-Qushayrî considèrent comme
leur ma tre. Pour cette raison, ils s’inscrivent totalement dans sa pensée et le citent très souvent dans
leurs écrits.
57

En effet, Dieu le Très-haut dit :


«…Ceux-là seront avec ceux qu’Allah a co blés de Ses bienfaits : les prophètes, les
véridiques, les martyrs et les vertueux. Et quels bons compagnons que ceux-là ! »1

Le mot «a - âdiq » (sincère) est le substantif qui désigne l’auteur de la


sincérité (a - âdiq ). Quant au mot « idq» (véridique) il en constitue un superlatif ;
c’est celui chez qui s’est forgée définitive ent la sincérité, il s’en est ê e enivré
co e l’est l’ivrogne ou l’alcoolique.

Le niveau le plus bas de la sincérité est l’égale considération de ce qui est


caché ou révélé (parmi ses bons comportements). Le sincère (a - âdiq ) est celui qui
est vrai dans ses propos, tandis que le véridique a - iddîq) est celui qui est vrai dans,
aussi bien tous ses propos, ses actes que ses états d’â e a wâl).

Ahmad b. hu r a disait : celui qui veut avoir Dieu le Très-haut avec soi
doit s’attacher à la sincérité car, le rès-haut dit que « Dieu est avec les sincères ».

J’ai entendu d’Abû ‛A d ar-Ra mân as-Sullamî que, selon a ûr b.


‛Abdallah, selon Farghânî, Junayd disait : le sincère se remet en cause quarante fois
le jour tandis que l’hypocrite reste dans un seul état ental pendant quarante ans.

Abû Sulaymân ad-Dârânî disait que si le sincère (a - âdiq ) voulait décrire


ce qu’il a dans son cœur sa langue en serait incapable.

On dit aussi que la sincérité c’est de dire la vérité algré une situation de
enace fatale. D’aucuns disent que c’est être en har onie avec sa conscience. Les
critiques soutiennent que la sincérité c’est interdire à sa bouche (shidq) tout ce qui est
prohibé (en paroles et en aliments).

‛ d al- id b. Zayd disait que la sincérité c’est d’être quitte avec Dieu
dans son comportement.

1
Le Coran, Sourate An-Nisâ’ (4), v. 69.
58

J’ai entendu de Muhammad al- usayn que, selon Abul-‛Abbâs al-


Baghdâdî, selon Ja‛ ar a îr, selon Jarîrî, Sahl b. ‛Abd-allah disait :
« Un serviteur qui cajole ou trompe son âme ne hu era ja ais l’odeur de la
sincérité. »

a‛îd al-Qirshî disait :


« Le sincère est celui qui est prêt à mourir sans aucune crainte de voir ses secrets
découverts après lui. »

Le Très-haut dit : « souhaitez la mort si vous êtes sincères. »

J’ai entendu du a tre al-ustâdh) Abû ‛Alî ad-Daqqâq qu’un jour, Abû ‛Alî
as-Saqafî était entrain de parler alors, ‛Abd al-lâh b. Manâzil lui dit :
« - Ô Abû ‛Alî, prépare-toi à la mort, elle est incontournable!
Abû ‛Alî lui dit :
- Et toi aussi Ô ‛Abd al-lâh, prépare-toi à la mort, elle est incontournable!
Alors, ‛Abd al-lâh se servit de son bras comme oreiller, posa sa tête et dit (en guise
d’invite :
- Je suis prêt !
Abû ‛Alî fut coupé court, car il ne pouvait pas l’affronter jusqu’à ce niveau du fait
qu’il était encore lié1, alors qu’Abd allah était dépouillé et n’avait aucune
préoccupation (pour ce monde). »

J’ai entendu le shayh d ar-Ra mân as-Sullamî raconter ceci :


« Un jour, alors qu’Abul-‛Abbâs ad-Dînûrî se mettait à prêcher, une vieille, dans
l’assistance, poussa un cri strident. Choqué , Abul-‛Abbâs lui dit : meurs ! Aussitôt,
elle se leva, fit quelques pas vers lui, leva son regard et lui dit : j’y vais ! Elle
s’effondra et ourut sur le coup. »

1
Il avait sans doute des biens à préserver ou une famille qui lui était liée ; il ne pouvait pas ne pas avoir
peur face à une mort imminente.
59

l- si î disait : la sincérité est la pureté du té oignage de l’unicité de Dieu


a- a îd) à travers l’intention.

‛ d al- id b. Zayd regarda un jeune homme au corps émacié, parmi ses


compagnons et lui demanda :
- Mon garçon, tu perpétues le jeûne ?
- Pas du tout, lui dit-il, je mange régulièrement !
- Tu passes la nuit à prier ?
- Pas du tout, Je dors continuellement !
- Qu’est-ce qui t’a a aigri ? Lui dit-il.
- Une passion continue associée à un étouffement1 perpétuel !
- ‛Ad al-Wâh id lui lança croyant qu’il se oquait de lui : Tais-toi ! Qu’est-ce qui
te rend si effronté ?
Alors, le jeune homme se leva, fit deux pas et dit :
- Mon Dieu, si j’ai été sincère prends oi. Il ourut sur le coup.

On raconte qu’Abû ‛ mr az-zajjâjî disait :


- J’avais hérité de a ère décédée une aison que je vendis au prix de cinquante
Dinars. Je e résolus d’aller en pèlerinage. Lorsque j’atteignis Babel, l’un des
coupeurs de route ’intercepta et e dit :
- Combien tu as avec toi ?
Je me dis qu’il valait ieux être sincère et je lui dis :
- Cinquante Dinars.
Il me dit alors : donne-les-moi.
Je lui remis le paquet ; il co pta et trouva que c’était exacte ent cinquante Dinar. Il
me dit alors :
- Reprend-les ! Je suis frappé par ta sincérité !
Il descendit de sa monture et me dis :
- Enfourche-la.
- Non, je ne veux pas, lui dis-je.

1
Le mot kitmân traduit ici par étouffement est le fait de cacher quelque chose par honte, par ruse ou par
lâcheté; pour ce cas-ci, il s’agit sans doute de la première raison.
60

- Il le faut ! Il insista si bien que je finis par la prendre. Puis il ajouta :


- Sache que je suis sur tes pas…
L’année suivante, il e rejoignit et resta avec oi jusqu’à sa ort.

J’ai entendu de uhammad al- usayn que, selon a ûr b. ‛Abd allah,


d’après Ja‛far al-Ha , qu’Ibrâhîm al-Ha disait :
« u ne peux voir le sincère dans une quelconque activité que ce soit si ce n’est une
obligation ar ) qu’il fait ou un acte éritoire a l) qu’il exécute au nom de son
Seigneur. »

J’ai entendu ul- usayn b. Muqsim dire que, d’après Ja‛far al-ha ,
Junayd disait :
« La véritable sincérité est de dire la vérité là où seul le mensonge semble pouvoir te
sauver la vie. […] »

Texte n° 2

Chapitre sur la co aissa ce du ai ue l h pocrisie es de deu sor es : l u e es


plus grave e l au re l es moi s 1

L’hypocrisie se situe au niveau de l’intention et est de deux sortes. L’une d’elle


est plus gave et l’autre est plus subtile et plus facile à co ettre. Elles sont toutes
deux de l’hypocrisie.

La pire et la plus grave des hypocrisies est celle qui consiste pour le serviteur
(al-‛abd) à avoir pour un acte d’adoration de Dieu le out-puissant l’intention de
plaire aux serviteurs (al-‛ibâd). Dieu le Tout-puissant n’ai e pas cela.
C’est pour cette raison que l’interdit le Prophète psl :
«…Ne ja ais faire un acte d’adoration de Dieu pour plaire ou tro per les gens… »

1
Mu âsibî al-) ., Ar- i‛âya li uqûq al-lâh, Dâr al-Ma‛ârif, le Caire, 1990, pp : 134 – 136.
61

C’est pour cela qu’il disait, en caractérisant les trois hypocrites 1, qu’ils
cherchaient (à travers leurs actes) les gens et non Dieu le Tout-puissant, et ceci est
très grave devant Lui.

Dans le même sens, on a rapporté de lui (psl) ceci :


« Celui qui co et l’ostentatoire sera interpellé au Jour du juge ent devant toutes
les créatures en ces termes : ô toi le débauché, le déviant, l’hypocrite, ton travail s’est
annulé, ton espoir de réco pense s’est effondré, vas prendre ta rétribution auprès
de ceux pour qui tu agissais. »

Dans le hadît des trois (hypocrites), le prophète (psl) posa son doigt (en guise
d’insistance sur la cuisse d’Abû Hurayra et lui dit :

« Ô toi Abû Hurayra, au jour du jugement, parmi les créatures du Tout-puissant,


ceux-là seront les premiers à être happés par les flammes de la Géhenne. ; car cela
est la pire des hypocrisie devant Dieu le Tout-puissant. »

Shaddâd b. Aws que l’agré ent de Dieu soit sur lui a rapporté que le
Prophète (psl) disait :
« Le pire que je crains pour a co unauté est l’hypocrisie. »

On rapporte de lui toujours ceci :


« J’ai vu le Prophète psl entrain de pleurer et je lui de andai :
- Qu’est-ce qui te fait pleurer ? Il répondit :
- Une chose que je redoute pour les gens de ma communauté : associer (Dieu avec
quelqu’un ash-shirk) ; certes, ils ne vont adorer ni des idoles, ni le soleil, ni la lune,
ni les pierres, ni les icônes ( a an) ; ais ils feront de l’ostentatoire dans leurs actes.
C’est pour cela que le pire que je crains pour eux est l’hypocrisie. »

1
Pour le adît sur les trois hypocrites, le combattant, le généreux et le savant, voir supra dans ce
chapitre, pp : 48-52.
62

Quant à l’autre sorte d’hypocrisie qui est la plus subtile et la plus facile (à
co ettre c’est lorsqu’on se soucie des serviteurs gens dans un acte d’adoration
de Dieu tout en le Lui dédiant et en espérant de Lui une rétribution. Les deux
intentions se retrouvent dans le cœur : l’intention de plaire aux créatures et la
recherche de la réco pense divine. C’est certes le niveau le plus bas de l’hypocrisie,
mais il est en lui-même une association en Dieu (shirk) dans les intentions.

En effet, tandis que le premier (de la première sorte) se souciait exclusivement


des gens et ne cherchait pas la face de Dieu le Tout-puissant, le second cible aussi
bien Dieu que les gens. Il a ainsi co is l’association par la recherche de la grâce de
Dieu et de celle des créatures.

Ainsi, Abû Hurayra rapporte ces propos du Prophète (psl) :


« Dieu l’Exalté dit : Je suis si Suffisent pour avoir à partager avec un associé un acte
qui nous est dédié ense ble. Je n’en suis pour rien, il l’acte est entière ent pour
l’associé. »

Il veut dire par là qu’il peut arriver dans l’hypocrisie qu’on ait deux
intentions : celle pour Dieu le Tout-puissant et celle pour sa créature.

Tâwûs dit :
« Un ho e s’est présenté devant e Prophète psl en disant :
- Ô envoyé de Dieu voilà un ho e qui donne de l’au ône et cherche à être glorifié
par les gens et à être rétribué par Dieu … ?
Le Prophète (psl) ne sut répondre sur le coup jusqu’à ce que soit révélé ce verset :

« …Quiconque, donc, espère rencontrer Son Seigneur, qu’il fasse de bonnes actions et
qu’il n’associe dans son adoration aucun autre à son Seigneur. »1 »

Le Tout-puissant le révéla donc en réponse à ce demandeur qui questionnait (à


propos du sort de) celui qui cherchait à la fois Dieu et les créatures.

1
Le Coran, Sourate Al-Kahf (18), v.110.
63

Mahmûd b. Labîd a rapporté du Prophète (psl) que celui-ci dit :


« - Le pire que je crains pour vous est la petite association à Dieu (ash-shirk al-
a ghar). On lui dit :
- Qu’est-ce que la petite association ? Il répondit :
L’ostentatoire (ar-riyâ ) ; Dieu dira (à ses auteurs) le Jour de la rétribution des actes
des serviteurs : allez voir ceux pour qui vous faisiez de l’ostentatoire dans le bas
monde si vous aurez des réco penses auprès d’eux. »

l- ism u aymira a rapporté du Prophète (psl) que celui-ci dit :


« Dieu le Très-haut dit qu’aucun acte qui co portera ne serait-ce qu’une once
d’hypocrisie ne sera agréé. »

Et en plus on a le adît d’Abû Hurayra où Dieu, l’Exalté et le très Haut


disait :
« Allez voir si vous allez trouver la rétribution auprès de ceux pour qui vous
agissiez. »

Un jour, ‛Umar dit à u‛âdh b. Jabal, en le voyant entrain de pleurer :


- Qu’est-ce qui te fait pleurer ? Celui-ci répondit :
- Un adît que j’ai entendu du propriétaire de ce ausolée, c'est-à-dire le Prophète
psl , je l’ai entendu dire ceci :
« La plus faible hypocrisie est une association à Dieu. »

Il y a un autre adît qui mentionne le terme « yasîr » (plus facile à commettre)


à la place de « adnâ » la plus faible… . […]

Un homme dit à ‛ da a - âmit :


- Je combats avec mon sabre sur la voie de Dieu et en cela, je cherche la face de Dieu
et les louanges des croyants. Il lui dit :
- u n’auras rien !
Il insista (à cette question) trois fois et eut la même réponse. A la troisième reprise il
ajouta :
64

- Dieu le Tout-puissant dit : « Je suis si Suffisent pour avoir à partager avec un


associé un acte qui nous est dédié ense ble. Je n’en suis pour rien, Je laisse ma part
pour l’associé. »

Dieu le Tout-puissant a évoqué les propos de ceux qui L’ont agréé par i les
croyants :
« Nous vous donnons à anger pour la seule face de Dieu, nous n’attendons de vous
ni récompense, ni reconnaissance. »

Ils ont ainsi expulsé de leur cœur toute considération des créatures avec Dieu.

- a âk disait :
« Que personne parmi vous ne dise : ceci est par considération pour Dieu et pour toi,
ou encore : ceci est par considération pour Dieu et pour la parenté, car Il n’a aucun
associé. »

Un jour, ‛Umar frappa un ho e par erreur à propos d’une pierre


précieuse ; il lui dit après s’être rendu co pte de l’erreur :
- Châtie-moi !
Celui-ci dit :
- Non, je laisse tomber, par considération pour Dieu et pour toi.
- u n’as rien fait (de bon) ; soit c’est par considération pour oi seul et que je
co prenne ou c’est pou la face Dieu Seul.
- J’abandonne au no de Dieu, Lui Seul !
- Dans ce cas, je suis d’accord.

Tout ceci prouve, si besoin en est encore, que la pire des hypocrisies est de
dédier un acte d’adoration de Dieu pour les seuls serviteurs ; et la plus faible est de
considérer pour l’acte d’adoration les créatures et de chercher en ê e te ps une
récompense du Tout-puissant.
65

2. 4.3. Analyse :

Al-Qushayrî est constant dans son approche. En tant que juriste, il se soucie
beaucoup de la conformité de ses propos à la Sunna. Aussi, en développant chacun
des nombreux thèmes qu’il a organisés en chapitres, il commence toujours par
évoquer un verset coranique qui sert à la fois d’annonce et de renvoi au concept
étudié. Ainsi, sa base juridique repose sur la confirmation du Livre qui a une valeur
incontestée auprès de l’orthodoxie.

En suivant la progression logique et décroissante de la valeur juridique des


références fixées par les spécialistes de la science des fondements du droit (‛ilm u ûl
al-fiqh)1, l’auteur encha ne, à la suite du verset, avec un adît du Prophète (psl) qui
s’impose comme un argument de plus dans son raisonnement.

Enfin, au troisième niveau de son argumentation, al-Qushayrî explique le


concept en l’illustrant par divers propos des ma tres de référence du a awwuf. Et
dans cette partie, l’avis de Junayd est souvent le dominant.

L’auteur situe la sincérité à deux niveaux :


 Ceux qui, à travers leurs actes visibles et ponctuels essayent d’être justes, en
disant la vérité et en ce conformant à ce qui est recommandé, ce sont les
sincères (a - âdiqûn) ;

 Ceux en qui se sont forgés cette attitude évoquée plus haut, au point qu’ils s’en
soient « enivrés comme l’est l’ivrogne ou l’alcoolique ».

On n’est pas très loin de la subdivision de Sharqâwî évoquée plus haut dans ce
chapitre. Seulement, ce dernier, après s’être inspiré de Qushayrî a cru bon de scinder
le premier niveau en deux étapes :

1
Cf : allâf ‛A. W., ‛Ilm u ûl al-fiqh, Dâr al-qalam, Koweit, 1981, 132p.
66

 Les pieux (al-muttaqûn) ;


 Et les sincères (a - âdiqûn).

Comme troisième étape, il rejoint son prédécesseur, avec celle des véridiques (a -
iddîqûn).

Toutefois, la concision de Qushayrî, plus englobante, semble plus pertinente


quand on considère le contenu des différents concepts.

Quant aux propos rapportés des soufis, l’auteur s’efforce toujours de garder ou de
prouver leur véracité en reproduisant la chaîne par laquelle les paroles lui sont
parvenues, comme il le fait avec les adîts du Prophète (psl). Et à ce niveau, les
personnes ressources qui constituent la chaîne sont des soufis qui se sont succédé dans
le temps et qui, par une transmission, le plus souvent orale, du maître au disciple, se
sont légués leurs propos.

Ainsi, les paroles rapportées sont de deux sortes :


 Des définitions ou clarifications de la sincérité proposées par des soufis qui
s’expriment sur la question selon leur connaissance, mais surtout selon leur foi
ou leur propre état d’âme ;
 Des faits exceptionnels que l’auteur considère comme une expression de la
sincérité.

Pour le premier cas, les définitions vont du niveau le plus bas à travers laquelle la
sincérité se résume à dire la vérité même devant une menace1, jusqu’au niveau le plus
élevé où elle se confond au témoignage de l’unicité (a - a îd)2, en passant par la
définition d I r hîm al-Ha qui la met en rapport avec l’exécution sincère et juste
des actes d’adoration. Ainsi, chacun des deux types de sincérité évoqués au début par
l’auteur se trouvent être illustrées par l’un ou l’autre de ces différents propos.

1
C’est l’une des définitions de la sincérité rapportées de Junayd dans ce texte, il l’a encore définie
comme étant « le pilier du a a u ».
2
C’est la définition proposée par al- si î dans ce même texte de Qushayrî.
67

Pour ce qui concerne les anecdotes, certains illustrent l’aspect du concept lié au
fait que le sincère n’a jamais peur de mourir pour avoir été quitte avec sa conscience
dans son comportement avec Dieu. D’autres, montrent jusqu’à quel point le Tout-
puissant peut confirmer les propos ou les décisions d’un sincère et s’accorder dans ses
décisions.

Il faut cependant noter qu’Al-Qushayrî a glissé dans son texte des propos
anonymes ce qui rompt quelque peu la cohérence de sa démarche. L’authenticité de
certains adîts qu’il a rapportés n’est pas aussi confirmée par les spécialistes des
compilations des traditions.

Le deuxième texte est un traité fait par Al- u âsibî sur l’hypocrisie. Il y dégage
deux types qui trouvent leur explication respective dans des intentions que nous avons
analysées plus haut dans ce chapitre.

Selon lui, la plus grave des hypocrisies est le fait d’ « avoir pour un acte
d’adoration de Dieu le out-puissant l’intention de plaire aux serviteurs (al-‛ibâd) ».
Cela rejoint l’intention de l’hypocrite vue plus haut qui consiste à ne pas vouloir
assumer correctement le pacte qui le lie à Dieu pour avoir été contraint de le passer
sous peine de perdre un intérêt, ce qui pousse à adopter sciemment la stratégie de se
camoufler derrière « sa bonne foi ».

L’autre, la moins grave est le fait de se soucier des gens « dans un acte
d’adoration de Dieu tout en le Lui dédiant » ; et cela recoupe la première intention de
l’hypocrite traitée dans ce chapitre et qui consiste à ne pas pouvoir assumer
correctement un pacte d’observance de règlements qui le lie à Dieu, en cédant à son
penchant pour satisfaire un besoin instinctif ou un intérêt qui peut être un besoin de
considération.

Pour avoir été juriste, Al- u âsibî soutient ses explications par des versets
coraniques et des had ts. Seulement, pour son cas, il n’a essayé de rapporter aucune
cha ne de transmission. Sans doute, il ne voyait pas la nécessité, pour le fait qu’il
68

s’adressait à un disciple qui ne doutait pas de sa bonne foi ; ou simplement parce qu’à
son époque les sciences de compilation des traditions n’étaient pas si connues comme
elles l’ont été avec Al-Qushayrî. D’autre part, ce manque vient confirmer la voie
principale de transmission qui est la tradition orale.

Seulement, on reconnaît que les écrits de ces deux auteurs se complètent et


Convergent tous vers la pénitence. De même le siège des deux questions qu’ils ont
traitées est le domaine intérieur et intime de l’individu. Ils sont aussi d’une richesse
considérable quant à l’information fournie à propos de leurs prédécesseurs et leur
référence a toujours été le Message prophétique, la vie du Prophète et de ses
compagnons.
69

Chapitre III : L’âme et le repentir (at-tawba)

Etymologiquement, at-tawba signifie « le retour ». Ce premier sens du terme


est plus proche de sa signification chez le Soufi que de l’acceptation simple du juriste
(al-faqîh) qui le limite à un repentir ponctuel du péché commis.

En effet, le a awwuf lui donne une signification beaucoup plus profonde.


L’homme se trouve être détourné de sa mission originelle dès son avènement sur terre
par sa faiblesse ontologique et par les ruses de Satan. Pour ne pas faillir, il doit alors
opérer un retour à Dieu (at-tawba) certes difficile, mais il est aidé en cela par le
Message prophétique. Il répondra alors à l’appel du Coran :
« Dirige tout ton être vers la religion exclusive ent, telle est la nature qu’Allah a
originelle ent donnée aux ho es. Pas de change ent à la création d’Allah. Voila
la religion de droiture ; mais la plupart des gens ne savent pas. »1

Le terme pénitence semble pouvoir allier ces deux significations, en renvoyant


aussi bien à l’acte ponctuel qu’à l’attitude continue et permanente caractérisant une
station (maqâma) de l’âme du Soufi. Seulement pour être plus proche de la
terminologie des spécialistes du soufisme, le concept tawba est traduit dans cette
recherche par le mot « repentir ».

3. 1. Le repentir

Le repentir est certes une condition pour entrer dans la religion et faire partie
du nombre des croyants, mais au-delà de ce tournant initiatique, il reste une obligation
à perpétuer par le musulman suite à ses nombreuses défaillances vis-à-vis de la règle
de vie édictée par la Sunna. C’est la raison pour laquelle, le Coran appelle sans cesse
les croyants au repentir.

1
Le Coran,Les classiques Book en stock.com, Sourate Ar-Rûm (30), v. 30.
70

« Et concourez au pardon de votre Seigneur….


…et pour ceux qui, s’ils ont co is quelque turpitude ou causé quelque préjudice à
leurs propres âmes en désobéissance à Allah , se souviennent d’Allah et de andent
pardon pour leurs péchés – et qui est-ce qui pardonne les péchés sinon Allah ? – et
qui ne persistent pas scie ent dans le al qu’ils ont fait. »1
« Ô vous qui avez cru ! Repentez vous à Allah d’un repentir sincère. Il se peut que
votre Seigneur vous efface vos fautes… »2

Le repentir a fait l’objet de beaucoup de divergences entre théologiens et


juristes musulmans du fait de sa contiguïté avec le péché et de sa relation avec la foi.
Les Kharijites3 et les u‛tazilites, considérant que le grand péché commis exclue le
coupable de la foi, exige alors ce repentir, à chaque fois pour redevenir croyant après
ce « reniement ».

De l’autre côté, les juristes sunnites et notamment les hanafites et les


théologiens ash‛arites soutiennent que le repentir est certes une obligation après tout
péché, non pas pour retrouver la foi mais pour tout simplement être pardonné de ce
péché ponctuel qui n’est pas source de reniement mais une défaillance à corriger, un
égarement de la voie droite.

Toutefois, on est unanime à voir que Le Clément pardonne les péchés par un
repentir sincère de son serviteur. Et pour qu’il soit sincère, le repentir, d’après les
juristes, doit respecter au moins les trois conditions suivantes :

 Regretter l’acte, eu égard à Dieu Seul. Ce regret (an-nadâma), selon les


propos du Prophète (psl)4, reste l’élément essentiel du repentir.

1
Idem, Sourate Âl ‛Imrân (3), v. 133-135. Dans beaucoup de citations nous avons mis en gras certains
termes, comme c’est le cas ici de « âme », pour marquer leur importance dans le développement.
2
Ibidem, Sourate At-Ta rîm (66), v. 8.
3
De la scission des compagnons de l’Imam ‛Alî lors de la bataille de iffîn contre u‛âwiya est née
une fraction qui, extrémiste et dure dans ses idées, avait condamné ces deux prétendants à mort en les
considérant comme des renégats vis-à-vis de l’Islam : ce sont les Kharijites. Cf entre autres Ibn Katîr,
al-bidâya wan-nihâya fit-târîh et Ibn Khaldûn, al-muqaddima, Dâr al-kitâb al-lubnânî, Beyrouth, 1967,
3e éd.
4
Qushayrî, Ar-Risâla,op.cit., p : 79.
71

 Quitter les conditions du péché. En effet, si une mauvaise fréquentation pousse


l’individu à la calomnie, pour se repentir sincèrement de cette faute, la rupture
à la fréquentation devient une exigence.
 Avoir la plus ferme résolution de ne plus jamais recommencer qui est
d’ailleurs très liée au regret. Il ne s’agit donc pas de suspendre provisoirement
au péché dans ses plus secrètes intentions, en envisageant quelque part son
probable recommencement1.

On voit donc que le repentir n’est conditionnée par aucune force physique de
l’individu mais dépend entièrement de sa capacité de décision mentale, de son intime
conviction et de sa ferme résolution.

En effet, ce regret qui na t d’une prise de conscience de la gravité de la faute


eu égard à ses conséquences, mesurée à l’insignifiance de la satisfaction de la pulsion
de l’â e charnelle, fait corps avec la ferme volonté d’agir sur ses sens en guise de
réparation et de retour (at-tawba).

En réalité, l’homme est poussé à désobéir par ignorance des conséquences, par
mépris ou par faiblesse en succombant aux tentations de Satan ou de sa propre âme
charnelle (an-nafs al-ammâra).

Aussi, ce moment ultime de retour fait suite à un combat intérieur qui vient
d’être remporté par la conscience et le discernement (al-‛aql) assimilable à cette autre
âme (an-nafs al-lawwâma)2 sur l’instinct et l’ignorance. C’est pour cela d’ailleurs
qu’un asan al-Bas rî ou un h i‛î3 fait l’éloge du ‛âqil (l’intelligent) pour sa

1
Cf. une étude détaillée sur le repentir dans : Makkî, Qût al-qulûb, op. cit., vol. 1, P : 364.
2
Le chapitre XII de ce présent travail sera consacré à ce conflit au sein de l’âme et à l’étude des
concepts utilisés dans ce sens.
3
asa al- a rî (110H/729), juriste et soufi, il s’est fixé à a râ et est une référence pour le
Tas awwuf, il fut le maître de Wâsil avant que celui-ci ne décidât de fonder sa propre école : le
u‛tazilisme.
Muhammad b. Idrîs ash-sh i‛î (204H/820), né à Ghaza en Egypte en 150 H/767, il fut un savant
d’une grande culture et traita avec beaucoup d’égard les soufis de son époque. Il fut un disciple de
Mâlik b. Anas et fonda l’une des quatre écoles de droit (fiqh) des Sunnites. Il mourut en 204 H/820.
72

capacité de discernement qui lui permet d’adhérer à la droiture et de ne pas succomber


aux tentations.
D’aucuns excluent toute idée de réparation dans le péché pour ce qu’il
constitue un intime retour à Dieu, tout en concédant l’obligation de redresser les
préjudices portés à l’autre s’il y’en a1. Mais à le considérer de prés, tout du repentir est
réparation : on ne répare pas seulement les torts portés à l’autre mais aussi ceux faits à
la communauté en heurtant sa conscience sociale ou en ternissant son image, d’où la
justification de certains châtiments public par les juristes.

Par ailleurs, on répare le tort porté à sa propre âme en la purifiant de toute trace
de plaisir ou de satisfaction née du péché : par le fait même du regret et des prières
mais aussi parfois par certaines contraintes d’endurances ou de compensation exigées
par la Sunna (le jeun, le sacrifice…).

Il faut cependant noter que la méditation de certains versets coraniques va


pousser des croyants à y voir moins une invite à un acte ponctuel qui cherche à faire
« effacer» le péché qu’un appel à une attitude permanente de retour à Dieu. C’est le
cas du verset suivant.

« …et repentez-vous tous devant Allah, ô croyants, afin que vous récoltiez le
succès. »2

3. 2. Un retour à Dieu

Au moment où le juriste considère la tawba comme une simple condition pour


effacer le péché, le Soufi, lui, se l’impose, non pas pour être croyant comme le
pensent les u‛tazilites, mais pour accéder à la sincérité de la foi. Le premier se situe
sous l’angle de la rétribution ponctuelle de ses actes, tandis que l’autre cherche
l’agré ent de son â e par la perfection de celle-ci, encouragé en cela par la fameuse
promesse coranique :

1
Anawati G. C. et Gardet L., Mystique musulmane, , Vrin, Paris,1976, 3e éd, p : 248.
2
Le Coran, Les classiques Book en stock.com, Sourate An-Nûr (24), v. 31.
73

« Ô toi, âme apaisée,


Retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agrée. »1
C’est pour cela que chez . Al- a rî la crainte révérencielle (at-taqwâ) qui
doit être l’attitude permanente du sincère est intimement lié à la tawba2.

Si par ailleurs le juriste considère que le péché se définit par un comportement


concret commis à l’encontre des obligations, ce qui soutient par conséquent le
caractère limitatif du repentir, le Soufi, dans sa méditation du Coran, décèle des
imperfections dans l’attitude intérieure (psychologique) du croyant assimilables à un
péché d’un autre niveau d’où l’explication du retour à Dieu (at-tawba), de la part
même des prophètes3.

Dans ce sens s’inscrit la recommandation du prophète (psl) :


« Ô vous les gens, repentez-vous à Dieu, je me repentis à lui cent fois le jour.»4

On ne peut pas imaginer que ce modèle parfait pour les croyants puisse
commettre chaque jour cent péchés au sens juridique du terme. On ne peut alors
comprendre par ces repentirs qu’une intense activité de retour à Dieu dans le
témoignage de son unicité (at- a îd), à côté de l’insignifiance et de l’imperfection de
l’être humain. Sa prière, d’après Al-Buhârî, en est une éloquente illustration :

«Ô on Dieu, purifie on cœur de l’hypocrisie, es actes de l’ostentation, a


langue du mensonge et mes yeux de la déloyauté ; Toi qui connaît la perfidie des yeux
et ce que cachent les cœurs. »5

Le commentaire de Hujwîrî va plus loin en faisant allusion aux mu‛ iz


(miracles) du prophète (psl) qui pourraient amener celui-ci, par leur perception, à

1
Le Coran, Sourate Al-Fajr (89), v. 27, 28.
2
Cf. infra chapitre V, p : 115, pour des développements sur la crainte révérencielle.
3
Le Coran, Sourate Al-A‛râf (7), v. 23. Cf. Sourate Al-Qas as 16. Cf. Sourate Al-Anbiyâ’
(21), v. 87.
4
Muslim, op. cit., Had n° 2702.
5
Hujwîrî, Kashf al-mahjûb, op.cit., Tome II, p: 532. La traduction littérale de udûr aurait donné
« poitrines », ici le mot « cœurs » semble être plus sensé.
74

accorder une certaine importance à sa personne ce qui est assimilé à la perception


d’autrui, chose incompatible avec la certitude du té oignage de l’unicité ; cela pour
lui, mérite un retour à Dieu.

Dans le même sens, Ghazali soutient que l’intensité de la tawba est


proportionnelle au niveau de prise de conscience du péché ou de sa gravité. Le
repentir est donc inconcevable sans conscience de la faute. Ainsi, du simple savoir de
celle-ci à la certitude de la gravité de son mal pour la foi et pour l’â e, le retour à
Dieu s’opère d’une intensité variable et proportionnelle1.

Sur ce, la plupart des analystes accordent à ce retour (at-tawba) trois niveaux :
 Le repentir ponctuel par crainte du châtiment (at-tawba dans le sens juridique
du terme) ;
 Une attitude de pénitence comme acte de dévotion à récompenser lié à la
crainte révérencielle (al-inâba) ;
 Le retour à Dieu, par considération à Lui seul (al-awba)2.

Les propos rapportés de certains d’entre ces détenteurs de la doctrine au IIIe


siècle de l’Hégire montrent que le but du Soufi, pour ce qui est de la tawba est de se
situer au deuxième ou troisième niveau3.

En définitive, il s’agit pour lui, en plus de la crainte de Dieu à cause de son


pouvoir, de se sentir plein de honte devant Lui, du fait qu’Il est tout prés. C’est le
Coran qui le rappelle ainsi :
« Et quand Mes serviteurs t’interrogent sur Moi, alors je suis tout proche : je réponds
à l’appel de celui qui Me prie quand il Me prie. »4

1
Ghazali, I yâ ‛ulûm ad-dîn, Dâr i yâ at-turât al-‛arabî, Beyrouth, vol 11, p :2072.
2
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p :536.
3
Junayd définit la tawba comme « l’oubli de la faute » et Sahl par le fait de « ne jamais oublier la
faute ». Tous les deux, d’après Qushayrî, font allusion à la profonde et intime retour à Dieu qui
caractérise le soufi. Le premier a à l’esprit l’imposante présence du Seigneur qui exclue tout autre
chose, notamment le souvenir du péché, l’autre a à l’esprit le sort de sa propre âme face à la gravité de
la faute. Ruwaym, par exemple va jusqu’à se repentir du repentir… Cf. Qushayrî, op.cit. p : 79.
4
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Baqara (2), v. 186.
75

« Nous avons effective ent créé l’ho e et nous savons ce que son â e lui suggère
et Nous sommes plus prés de lui que sa veine jugulaire. »1

Par ailleurs, le Soufi sent un besoin de purification du cœur par la tawba2. En


effet, d’après le Coran, l’excès de péchés a une incidence néfaste sur le cœur de
l’Homme.
« Ce qu’ils ont acco pli couvre leurs cœurs. »3

Aussi, assimile-t-on la tawba à une purification, à l’image de celle du corps par


les rituels de la Sunna. C’est ainsi que, par exemple pour les ablutions, chaque geste
s’accompagne d’un repentir intérieur qui lui donne un sens plus profond.

« Autant la salât ne peut être correcte sans la purification du corps, autant la


Ma‛rifa le té oignage de l’unicité de Dieu ne peut être assurée sans la purification
du cœur. »4

Le tableau ci-après résume les analyses de Hujwîrî dans ce sens.

Purification du corps : Puri ica io du cœur a -tawba :


les gestes d’ablution Les intentions correspondantes
Se laver les mains Se laver le cœur des plaisirs mondains
Rincer la bouche Interdire à la bouche d’évoquer autre que Lui
Inspiration de l’eau Interdire au nez les odeurs conduisant au plaisir mondain
Se laver le visage Tourner le dos à la créature et faire face à Dieu
Se laver les bras Eviter de commettre avec eux quelle que faute que ce soit
Se laver les pieds Eviter de commettre avec eux quelle que faute que ce soit

1
Le Coran, op. cit., Sourate Qâf (50), v. 16.
2
Cf. infra chapitre XIII, p : 257, pour d’autres développements sur la purification du cœur.
3
Le Coran, op. cit., Sourate Al-M (83), v. 14.
4
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p: 532.
76

Si la purification du corps s’effectue avec de l’eau pure remplissant les


conditions nécessaires, celle du cœur aussi ne peut se faire que par le « a îd »1.

La tawba s’identifie alors chez les premiers soufis à un détachement des cœurs
de ses vicissitudes, par une ferme volonté de lutter contre sa propre passion. L’Imam
‛Alî recommandait ceci :
« Détachez vos cœurs de ce onde avant que ne s’en détachent vos corps. »2
Ailleurs, il ajoutait : « Que Dieu bénisse tout homme qui surmonte ses passions et
a trise les désirs de son cœur, car les désirs sont ce qu’il y a de plus difficile à
contrôler et le cœur ne cesse de récla er les plaisirs. »3

En un mot, ce retour à Dieu est soutenu par un intense effort psychologique de


vouloir oublier tout ce qui peut séparer de Dieu.

Seulement, par le principe d’équilibre qui fonde sa philosophie, l’Islam refuse


tout extrême et recommande fortement la modération. Cette quête du pur et du sincère
ne doit pas conduire à des efforts de privation excessifs qui sont d’ailleurs rejetés par
les soufis de la première génération, en l’occurrence ‛ lî za al-‛ bidîn4, l-
a rî5,…

C’est d’ailleurs cet appel à la modération qui se dégage de ce adît rapporté


par anzala, un compagnon du Prophète (psl) :
« Nous étions chez le Prophète psl , il nous ser onna et évoqua l’enfer. Puis je
rentrai et je me mis à badiner avec les enfants et à plaisanter avec (ma) femme. Je
ressortis et parlai de mon (étonnant) comportement à Abû Bakr que j’ai rencontré. Il
dit : oi aussi j’ai fais la ê e chose. Nous allâ es rencontrer le Prophète psl) et je

1
Notons qu’ici le sens du mot renvoie à l’aspect dynamique du concept qui recouvre en même temps la
signification du a awwuf en tant que tel : l’effort et l’exercice du soufi à se tendre vers la sincérité, la
certitude, le té oignage de l’unicité de Dieu.
2
‛Alî b. Abî âlib, Muhtârât mubawwaba min nahj al-balâgha, Ansârian publication, Qûm, éd.
Billingue, s.d., p : 577.
3
Ibidem, p : 475.
4
‛ lî usayn, descendant du prophète, 4e Imam chiite, dévot exemplaire, il mourut en 92H/711.
Cf.Hujwayrî, op.cit., p :278
5
Mahmûd A. Q., Al-falsafat a - ûfiyya fil-islâm,Dâr al-fikr, Le Caire, p: 153.
77

lui dis : ô Prophète de Dieu ! anzala est un hypocrite… Il dit : parle. Je lui racontai
les faits. Et Abû Bakr ajouta : oi aussi j’ai fait co e lui. Il dit alors ceci :
doucement anzala, douce ent, si vos cœurs gardaient pour toujours cet état
d’extase qu’ils ont lors de l’évocation de Dieu (adh-dhikr), vous vous seriez
rencontrés sur vos chemins avec les anges qui vous salueraient. »1

3. 3. La volonté de s’engager pour le Retour

3. 3.1. Présentation :

Le repentir est un état d’esprit lié à une attitude conséquente qui exige de la
part du croyant une prise de décision ou une ferme résolution de détacher son cœur de
toutes les attirances de ce monde. C’est cela qui se traduit à travers les traités de
certains soufis qui représentent cette attitude continue sous forme d’un chemin ou
d’une voie difficile à emprunter que seule une volonté inébranlable peut ouvrir à celui
qui s’y engage.

Les deux premiers textes ci-après sont de Qushayrî ; ils traitent respectivement
du repentir et de la volonté qui y conduit. Avec le style déjà connu2 de l’auteur, il sera
possible d’analyser les différentes représentations proposées par les anciens soufis sur
la question.

Le troisième et dernier passage est d’un auteur plus récent : Ghazali. Il est tiré
du résumé de son plus célèbre et volumineux livre (I yâ ‛ulûm ad-dîn) qu’il a lui-
même réalisé. Avec ce texte qui analyse aussi le repentir, l’occasion est offerte de voir
un style beaucoup plus élaboré et plus méthodique qui est le reflet d’un esprit critique
bien formé qu’est celui de l’auteur. Il est certes postérieur à Junayd qu’il reconna t
d’ailleurs comme son ma tre, mais l’intérêt et l’originalité de ses écrits résident dans
son nouveau regard imprégné d’une grande culture théologique et philosophique de

1
Muslim, op. cit., Had n° 2750.
2
Pour ce qui concerne al-Qushayrî et son ouvrage, il faut se reporter au chapitre précédent.
78

l’époque associé à sa ferme volonté de rester fidèle à la pensée de ses prédécesseurs


attachés à l’orthodoxie.

Né en 450H/1058 à ûs, Ghazali connut une haute formation intellectuelle ; il


fut tour à tour théologien ash‛arite, juriste shafiite, puis maître soufi. Sa vie fut
marquée par un évènement important qui s’est déroulé en deux temps :

Il connut une première crise psychologique. Après avoir tant utilisé le


raisonnement, la logique et la rhétorique en défendant avec engagement la Sunna
contre le u‛tazilisme, les philosophes et les ésotéristes (ismaéliens), Ghazali
découvrit soudain les limites de cette faculté et par conséquent, la relativité des vérités
qu’elles délivrent. Ainsi, connut-il sa soif de « Certitude ». Après avoir examiné les
moyens d’accéder à la connaissance, il fut tenté par la pratique du soufisme afin
d’atteindre la Vérité absolue.

A cet instant, une deuxième crise, morale cette fois-ci, survint : il hésita
longtemps avant de pouvoir abandonner sa famille et ses biens pour l’errance, de
488H/1095 à 499H/1105.

C’est ainsi qu’à partir de 488H/1095, Ghazali connut une autre vie enrichie par
une expérience qui marqua la spécificité de ses ouvrages postérieurs à cette date. En
effet, au détriment de la rhétorique, il accorda la prééminence à la pratique sincère de
la foi. L’ouvrage à partir duquel est tiré ce passage date de cette période.

III. 3.2. Textes traduits et annotés :

Texte n° 1 :

Chapitre sur le repentir1

1
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Ma‛rifa, Le Caire, 1981, pp : 76 – 79.
79

Dieu le Très-haut dit :

« …et repentez-vous tous devant Allah, ô croyants, afin que vous récoltiez le
succès. »1

a r uhammad al- usayn b. Fawrak nous a dit que, d’après


Ahmad b. Mahmûd b. Harâz, d’après uhammad a l b. Jâbir, d’après a‛îd b.
‛Abd allah, d’après Ahmad b. Zakariyyâ, d’après son père, selon Anas b. Mâlik,
l’Envoyé de Dieu psl dit :

« Celui qui se repentit de ses péchés est co e celui qui n’en avait ja ais eu.
Et si Dieu aime un serviteur celui-ci ne sera alors entravé par aucun péché. Ensuite il
lut (le verset) : Dieu aime les pénitents et aime ceux qui cherchent à se purifier.
On lui dit alors : O Envoyé de Dieu et quel est l’indicateur du repentir ?
Il répondit : le regret (an-nadâma). »

‛Alî b. Ahmad b. ‛Abdân al-Ahwâzî nous a dit que, d’après ul- asan
Ahmad b. ‛Ubayd as-Saffâr, selon uhammad al- a l b. Jâbir, d’après al-
akam b. Mûsâ, selon Ghassân b. ‛Ubayd, d’après i a arîf b. Sulaymân,
selon Anas b. Mâlik :
Le Prophète (psl) dit :
« Il n’y a rien qui puisse plaire Dieu autant qu’un jeune ho e ou fe e
repentant. »

La pénitence (at-tawba) est la première demeure (manzil) des différentes


fixations à connaître par ceux qui empruntent le chemin (as-sâlikûn). Elle est aussi la
première des différentes stations (maqâmât) à parcourir par les disciples a - âlibûn).

Par ailleurs, le sens étymologique du mot tawba est le retour (ar-rujû‛) ; on


dit de quelqu’un, avec l’e ploi de tâba le ê e verbe conjugué à l’acco pli, à la
troisiè e personne du singulier , qu’il est retourné. Ainsi, le repentir est le fait de

1
Le Coran, les classiques Book en stock.com, Sourate An-Nûr (24), v. 31.
80

quitter ce qui est prohibé du point de vue de la loi (ash-shar‛) pour retourner à ce qui
est louable.

Le Prophète psl a dit que le regret c’est le repentir.

Quant aux spécialistes des fondements du droit ‛ilm al-us ûl) parmi les
orthodoxes (ahl as-sunna), ils exigent trois conditions pour que le repentir soit
acceptable :
 Regretter ce qui a été commis comme déviation ;
 Abandonner l’acte ou le co porte ent sur le cha p ;
 Avoir la ferme décision de ne plus retourner sur les péchés commis.

Ces conditions sont nécessaires pour que le repentir soit acceptable. Ces derniers
soutiennent d’ailleurs que les propos du adît qui assimilent le regret au repentir
veulent simplement insister sur la (condition) essentielle de ce dernier ; comme par
ailleurs il psl a eu à utiliser cette ê e technique d’assi ilation en disant que le
pèlerinage c’est ‛Arafât. Il voulait dire par là que son pilier fondamental est ‛Arafât,
c’est à dire s’arrêter et se fixer un o ent à ‛Arafât. Il ne veut donc pas dire que le
seul pilier est la station de ‛ ra t, mais il en est son pilier essentiel.

De même, pour le repentir, son pilier fondamental est le regret.

Certains parmi les tenants de la sincérité ( a qîq)1 affirment que le seul regret
suffit pour la véracité du repentir, car selon eux, il est intrinsèque aux deux autres
conditions. En effet, il serait incohérent de voir quelqu’un regretter un comportement
et, si ultané ent, s’obstiner à le faire volontaire ent ou avoir la fer e intention de
recommencer.

C’est cela le sens donné au tawba dans le cadre général.

1
L’auteur fait ici allusion, à côté des juristes (fuqahâ ), aux soufis avec l’appellation de ahl a - a qîq
qui signifie littéralement : ceux qui cherchent à atteindre la vérité et l’essentiel des choses.
81

Pour ce qui est de l’étude beaucoup plus approfondie, elle donne au tawba des
facteurs réalisateurs (asbâb), une succession cohérente (de comportements) et des
étapes (aqsâm dont la pre ière est d’éveiller le cœur du so eil de la négligence, le
fait que le serviteur prenne conscience de sa mauvaise situation. Il parvient à cela
grâce à une recherche de conformité par une attention portée à tout ce qui, venant des
avertissements de la Vérité, Exalté soit-Il, interpelle sa conscience et se fait entendre
par son cœur.

Il est rapporté de la tradition (al-habar qu’un avertisseur (ou un éveilleur de


conscience de la part de Dieu est placé dans le cœur de tout usul an.
Dans une (autre) tradition il est rapporté que dans le corps se trouve un muscle
qui, par sa santé, assainit tout le corps et, par sa maladie, infecte tout le corps : il
s’agit du cœur.

Ainsi, s’il édite en lui- ê e sur le al qu’il fait, en percevant tout ce dont il est
responsable co e auvaise action, va na tre progressive ent dans son cœur le
désir de repentir et la volonté de ro pre d’avec les auvais comportements. Alors la
Vérité, Exalté soit-Il, le conduit, par la fermeté de la décision et par la saisie de la
beauté du retour, vers les facteurs réalisateurs du repentir.

Le premier de ceux-ci réside dans l’abandon des auvais co pagnons. Ce


sont eux qui, en effet, vont le pousser à renoncer à sa décision, ils le mèneront ainsi à
douter de sa constance. Son succès ne peut s’acco plir que par la bonne
fréquentation et par le témoignage (de Son unité) qui accentue son désir pour la
pénitence et développe en lui la nécessité d’aller jusqu’au bout de sa décision. Une
telle attitude dope sa crainte (al-hawf) et son espoir (ar-rajâ).

Dès lors, se délie en lui le nœud de sa persistance à évoluer dans les vilaines
actions et il se maintiendra dans la prudence et dans l’e pêche ent de son â e à
être esclave des plaisirs. Il abandonne sur le coup le mauvais comportement et se
résout de ne plus reco encer à l’avenir. Ainsi, s’il endure les exigences de son
objectif et persiste dans sa ténacité, il se verra accordé la sincérité.
82

Si le repentir est rompu une ou plusieurs fois et qu’il reprend la volonté de le


renouveler, il en sera de ê e. Le décourage ent n’est pas donc per is pour
(retourner) au repentir concernant ceux qui se trouvent dans cette situation ; car
chaque délai est fixé pour un temps bien déterminé.

On a raconté d’Abû Suleymân ad-Dârânî ceci :

« Un jour, j’ai fréquenté une assistance très éloignée ) des préoccupations de ce


onde. Les propos ont fait alors un effet dans on cœur. Lorsque je disposai il n’en
resta plus rien comme trace ! Je retournai une deuxième fois à cette assemblée et les
propos que j’y ai entendus restèrent avec oi jusque sur le che in du retour puis les
effets disparurent de on cœur. J’y retournai une troisiè e fois et les traces des
propos restèrent dans on cœur jusque chez oi. Je coupai alors es attaches
mondaines et pris mon engagement à rester sur la voie. »

Abû ‛Abd allah ash-Shîrâzî nous a raconté que, d’après Abû ‛Abd allah b.
u li d h z selon Ibn Zayrî, Junayd disait ceci :

« Un jour, je suis entré chez arî as- a a î) et le trouvai dans un autre état et je lui
dis :
- Qu’est-ce que tu as ? Il me dit :
- Un jeune ho e est venu e de ander ce que c’est la tawba ; je lui dis : c’est de ne
pas oublier son péché. Alors il e contredit et soutint que c’est plutôt le fait d’oublier
son péché.
Je lui dis alors que je suis du même avis que ce jeune homme. Il me demanda
pourquoi et je lui expliquai :
Si je suis dé uni et qu’Il e sort de cette situation pour e ener dans la prospérité,
le souvenir en soi de cette situation de manque est une disette ! Il se tut. »
83

Texte n° 2

Chapitre sur la volonté (de s e gager sur le chemi ) al-Irâda)1

Le Tout-puissant a dit :
« N’éloigne pas ceux qui, atin et soir, invoque leur Seigneur par désir de Sa
face… »2
D’après ‛Alî b. Ahmad b. ‛Abdân, selon Ahmad b. ‛Ubayd, selon Hishâm b.
‛Alî, selon akam b. Muslim, selon Ismaïl Ja‛far, selon amîd, selon Anas, le
Prophète (psl) dit :

« Si Dieu veut du bien pour un serviteur Il le fait travailler


On lui dit : comment Il le fait travailler Ô envoyé de Dieu ?
Il répond : Il l’accorde à faire du bien. […] »

La volonté (al-Irâda) est le point de départ du chemin de ceux qui empruntent


la voie (as-sâlikûn . C’est un no donné à la pre ière de eure de ceux qui
cherchent la face de Dieu le très-Haut.

Cet état d’esprit ou caractère est désigné par ce ot « irâda », car la volonté
est le fonde ent de toute chose. Si l’individu ne veut pas faire une chose, il ne la fera
pas.

Seulement, au moment où le premier caractère de celui qui emprunte la voie


de Dieu est conceptualisé sous le mot irâda par le fait qu’il soit assi ilable à cette
intention qui soutient le co porte ent et par la ê e, celui qui s’y identifie al-
murîd) est, d’après l’éty ologie, celui qui est ani é de volonté co e d’ailleurs le
mot « ‛âlim » (savant) désigne étymologiquement celui qui a du savoir, le mot

1
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Ma‛rifa, Le Caire, 1981, pp :156 – 158.
2
Les soufis se réclament unanimement de ce passage et c’est probablement de cette expression-
« yurîdûna wajh allah » (qui désirent la face de Dieu)- qu’ils ont dérivé leur auto-désignation par « al-
murîdûn » (ceux qui, par le désir de la Face de Dieu, ont la ferme volonté de s’engager sur la voie de la
Tawba).
84

« murîd », d’après l’entende ent des gens de cette confrérie de soufis désignent
paradoxale ent celui qui n’a pas le choix irâda). En effet celui qui ne se départit
pas de son choix (irâda) ne peut pas être « murîd » et celui qui n’est pas ani é de
volonté (irâda) n’est pas « murîd » aussi.

Les gens se sont exprimés à propos du sens du mot irâda (volonté), chacun a
essayé de traduire ce qu’il a ressenti dans son cœur. La ajorité des a tres ont dit
ceci : (Avoir) la volonté (al-irâda c’est laisser tomber les habitudes (al-‛âda). Et
l’habitude, chez la plupart des gens, est d’évoluer dans le do aine de la négligence,
de se faire asservir par le plaisir et d’obéir aveuglé ent aux pulsions. Or le murîd est
celui qui se détache de tout ceci. Ainsi, par ce repli s’affir e la fer eté de sa volonté.
C’est cet état d’esprit qu’on appelle « irâda » […]

J’ai entendu du a tre (al-ustâdh) Abû ‛Alî ad-Daqqâq raconter de Mimshâd


ad-Dînûrî qui disait :
« Je sais que les ascètes (fuqarâ ) vivent toujours des états (a wâl) intenses, je ne
plaisante ja ais avec eux. Un jour, un ascète s’est présenté à oi et e dit : Ô
a tre, j’ai erais que tu e donne une bouillie…
Alors je laissai entendre de a bouche, sans ’en rendre co pte : « volonté (irâda)
et bouillie ! »
Choqué, l’ascète se retira, alors que, ne sentant pas son absence, je co andai la
bouillie et je e is à le chercher sans le trouver. Je ’infor ai de sa situation, on
e dit qu’il s’était retiré précipita ent en ur urant : « volonté et bouillie !volonté
et bouillie !... » Il s’enfuit jusque dans la brousse et ne cessa de répéter ces ots
jusqu’à sa ort. […] »

On dit qu’il fait partie des caractéristiques des « engagés dans la voie » (al-
murîdûn) le fait de chercher Son amour dans les (actes) surérogatoires,
l’attache ent à la sincérité à travers leur conseil pour la co unauté, s’assurer Sa
bonne co pagnie dans la solitude, l’endurance devant la dureté des sentences, la
pro ptitude à exécuter Ses ordres, la honte devant Son regard, soutenir l’effort dans
ce qu’Il ai e, pratiquer tout oyen qui peut ener à Lui, essayer toujours de passer
85

inaperçu, ne ja ais se fixer une idée de satisfaction de soi dans son cœur, jusqu’à
arriver au Seigneur.[…]

D’après Muhammad b. al- usayn, selon Abû Bakr ar-Râzî, al-Katânî disait
que trois choses font partie des principes de l’engagé1 (al-murîd) :
Son so eil ne s’i pose que par nécessité ;
Son anger n’est que pour la survie ;
Sa parole est le ini u nécessaire. […]

Texte n° 3

Trente-unième chapitre sur le repentir2 :

Sache que le sens du repentir (at-tawba) est lié à trois choses :


 Une prise de conscience (‛ilm) ;
 Une attitude mentale âl) ;
 Et un comportement (visible) i‛l).

La prise de conscience consiste à se rendre compte de la gravité du pêché et du


fait qu’il constitue un voile qui sépare le serviteur de tout ce qui lui est caché. Dès
l’instant que tu accèdes à cette connaissance, il en résulte un état dans le cœur qui se
traduit par un chagrin causé par la peur de perdre l’ai é le désiré : c’est le regret.
Par elle s’affermit la volonté du repentir et de ro pre avec ce qui s’est passé. Ainsi,
la pénitence est d’arrêter i édiate ent de co ettre le péché en question et
d’avoir la fer e intention de ne plus reco encer.

A ce propos, il a dit, sur lui soit le salut :


« Le regret est du repentir. »
En effet, le regret survient après la prise de conscience co e nous l’avons évoqué.

1
Ce mot « al-murîd » se traduit aussi par « l’aspirant » chez certains spécialistes qui gardent toutefois
la même signification.
2
Ghazali A. H., Muhta ar I yâ ‛ulûm ad-Dîn, Dâr al-fikr, Beyrouth, 1986, pp: 217 – 219.
86

Précision sur le caractère obligatoire du repentir :


Le bon sens s’accorde avec cette obligation, d’après nos précisions ci-après :

Sache que les versets et les traditions ( adît) indiquent le caractère obligatoire
du repentir. Comme le dit Dieu, le Très-haut :
« …et repentez-vous tous devant Allah, ô croyants, afin que vous récoltiez le
succès. »1
« Ô vous qui avez cru ! Repentez vous à Allah d’un repentir sincère… »2
« Dieu aime les pénitents. »3

Le Prophète (psl) dit :


« Le pénitent est l’a i de Dieu et le repentant est co e celui qui n’a ja ais co is
le péché (en question). »

Il a dit aussi, que le salut soit sur lui :


« Dieu est plus satisfait du repentir du serviteur croyant q’un ho e décrit dans la
situation ci-après : en traversant un territoire austère ayant avec lui sa monture et ses
provisions, il se reposa et s’endor it. A son réveil, il vit que sa onture a disparu
(avec les provisions). Il alla à sa recherche jusqu’à ce qu’il f t épuisé par la chaleur
et la soif ; il se dit alors : « je vais retourner sur es pas, e coucher là où j’étais et
attendre paisiblement la mort. ». Il se coucha, (ferma les yeux) attendant la mort, et
lorsqu’il rouvrit les yeux, il vit devant lui sa monture et ses provisions. Dieu est plus
co blé du repentir du serviteur croyant que l’est cet ho e pour le retour de sa
monture. »

La communauté des savants est unanime sur le caractère obligatoire du


repentir. Si tu te dis comment le repentir peut être obligatoire alors qu’il est le fruit
d’un regret qui vient du cœur, alors que cela ê e n’est pas le fait d’une résolution
ou d’un choix ? Nous répondons alors que la cause de cet état d’esprit est du
domaine de la résolution : c’est le fait de chercher cette prise de conscience alab
1
Le Coran, Les classiques Book en stock.com, Sourate An-Nûr (24), v. 31.
2
Ibidem, Sourate At-Tah rîm (66), v. 8.
3
Ibidem, Sourate Al-Baqara (2), v. 222.
87

‛ilmih . C’est pour cela que nous disons que ce savoir est nécessaire du o ent qu’il
est l’un des élé ents constitutif du repentir obligatoire, et non pas parce qu’il doit
être créé par le serviteur ; en réalité, le savoir, le regret, l’acte, la volonté et la
puissance sont du ressort du Puissant.

Dieu, le Très-haut, vous a créés de ê e que vos actes, c’est cela la vérité
reconnue par ceux qui ont la perception aiguë, tout autre chose n’est que ignorance.
Si tu dis : « Le serviteur n’a-t-il pas donc le choix de faire ou de ne pas faire ? » Nous
répondons : Si. Et cela n’est aucune ent en contradiction avec notre propos selon
lequel tout est du ressort de Dieu. En réalité, le choix (al-ihtiyâr) en tant que tel est
une création de Dieu le Très-haut.

Le serviteur est même conditionné dans son choix. En créant par exemple la
main saine (dans sa constitution), la nourriture appétissante, en créant dans cet
esto ac un désir pour cette nourriture, en créant le savoir dans le cœur co e quoi
c’est cet ali ent qui peut apaiser ce désir, en créant des suggestions qui questionnent
sur la présence d’une quelconque nuisance dans sa co position algré qu’elle soit
appétissante ou d’une chose qui s’oppose à sa conso ation, en créant le savoir qui
exclut tout empêchement, Dieu fait ainsi réunir toutes ces conditions par lesquelles
surgit la volonté de consommer (la nourriture).

Ces choses sont ainsi agencées dans l’ordre sunna de Dieu le rès-haut. Il
ne crée donc pas, par exemple, le mouvement de la main par un schème ordonné
avant d’avoir créé en elle une caractéristique appelée force et une vie et avant d’avoir
créé la volonté.

Il ne crée pas cette volonté décisive, avant d’avoir créé dans l’â e un désir et
une tendance (un besoin à satisfaire). Celle-ci n’appara t pas avant qu’il n’ait créé
cette prise de conscience qui la lie de près ou de loin à l’intérêt de l’â e.
Cette prise de conscience n’est créée qu’à travers d’autres facteurs liés à une
puissance, une volonté et un savoir. Ainsi, le savoir et la tendance naturelle (instinct
88

ou pulsion sont toujours à l’origine de la volonté décisive. Celle-ci et la puissance


font naître le mouvement.

C’est cela la chronologie des choses à travers tout acte : tout est de la création
de Dieu le très-haut. Les uns conditionnent les autres. el est l’ordre de Dieu qu’Il a
établi au sein de Ses serviteurs et de son juge ent qui, aussi rapide qu’un clin d’œil,
est une question d’ordre global i uable. C’est à ce propos que le rès-haut dit
ceci :
« Nous avons créé toute chose avec mesure. »1

3. 3.3. Analyse :

En proposant son étude sur le repentir, al-Qushayrî n’a pas changé de style.
Après avoir recouru à un verset du Livre, il aborde la question avec deux traditions du
Prophète (psl) rapportées par une chaîne initiatique. Il procède ensuite par l’étude du
sens respectivement autour de ces trois points :

 Le sens étymologique ;
 Le sens proposé par les juristes ;
 Et la signification plus profonde partagée par les maîtres soufis.

Enfin, il termine son explication par une illustration à partir de faits et propos
rapportés des maîtres du a awwuf.

Cette approche est la marque d’un travail bien élaboré qui cherche à se soutenir
par une argumentation solide et méthodique. En effet, loin de u âsibî qui était
encore dans le cadre d’un partage intime avec ses disciples, l’auteur de cet ép tre
cherche la vulgarisation au sein d’un atmosphère de contestation où dominent les
idées et les arguments adverses.

1
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Qamar (54), v. 49.
89

Avec une approche plus centrée sur la personne, en conservant les mêmes
intentions que son prédécesseur, à savoir défendre la doctrine face aux juristes,
Ghazali traite la même question (le repentir) en se focalisant sur la naissance et
l’évolution de l’attitude au sein de la personne. Aussi a-t-il centré son analyse autour
de ces trois points :

 Une prise de conscience (‛ilm) ;


 Une attitude mentale âl) ;
 Et un comportement (visible) i‛l).
On note que les deux premiers points rejoignent le développement d’Al-Qushayrî
sur la question de la volonté de s’engager sur la voie du repentir1.

Déjà l’auteur montre sa capacité de se détacher des sources afin de mener parfois
des réflexions spéculatives sur la question, pour ensuite retourner à celles-ci (Coran et
adîts) afin d’illustrer ses idées avancées. Il le tire sans doute de sa formation
philosophique et théologique.

A ce sujet, à la fin du texte, il a réglé une question qui est plutôt liée à la
scolastique (‛ilm al-kalâm) ou à la théologie : la problématique du libre choix (al-
ihtiyâr) de la personne face à l’absoluité de la créativité de Dieu. Comment
comprendre que l’homme soit libre de ses choix alors que le Tout-puissant ait même
créé ses propres actes ?

Ainsi, en développant ses idées, Ghazali utilise le questionnement suscité par le


doute de son interlocuteur imaginaire. Cette compétence et cette complexité dépassent
de loin la simplicité des auteurs qui l’ont précédé.

Seulement, les traditions qu’il a proposées souffrent d’un manque


d’authentification par l’absence de l’évocation de la cha ne de transmission alors qu’à
son époque les sciences de compilation des traditions étaient déjà stabilisées.

1
Cf. texte n° 2.
90

En définitive, toute la littérature produite par les soufis de cette époque, malgré la
diversité dans le style, atteste que leurs auteurs ont convergé vers le même sens à
propos de la signification de leur attitude de pénitence. Il s’agissait pour celui qui s’est
résolu fermement à suivre cette voie de sincérité (al-murîd), de faire un retour à Dieu
par une attitude complexe de détachement (az-zuhd) qui se résume autour de ces
points :

 L’aspirant ou celui qui s’engage dans la voie du a awwuf doit être animé de
la crainte du châtiment qui éloigne de tout comportement de désobéissance ;
 Il doit s’éloigner, de par son cœur, de toutes les attirances de ce monde qui
suscitent chez l’individu le plaisir et la passion ;
 Il doit observer rigoureusement une attitude de sincérité à travers ses actes de
piété et ses relations avec la société et ainsi, combattre l’hypocrisie en soi, sous
toutes ses formes ;
91

Deuxième partie:
ET LA DEVOTION
92

Deuxième partie: ET LA DEVOTION

Chapitre IV : La longanimité (a - abr) et la reconnaissance (ash-shukr)

En plus du détachement, l’autre pôle sur lequel s’appuie le a awwuf de cette


première heure est la dévotion.1

Si cette purification de l’âme est une voie d’accès par excellence à la sincérité
du croyant, alors, par conséquent, celle-ci va exiger de sa part une loyauté et un
dévouement sans faille vis-à-vis de son Seigneur : la dévotion s’impose alors comme
une application sincère des prescriptions et recommandations du Message
prophétique. Elle s’affirme ainsi comme une expression de la sincérité d’où sa
complémentarité avec le détachement de l’âme.

Au-delà de l’aspect juridique du domaine extérieur de la dévotion que


d’aucuns spécifieront plus tard sous le nom de « islâm » tout court2, comme l’un des
trois composantes de la religion, à côté de la foi (al-îmân) et de la perfection (al-
i sân), il est important d’analyser le comportement intérieur du croyant à partir de
caractères ou états d’âme qui, tout en restant dans l’optique de la Sunna, fondent et
justifient les pratiques visibles. Ceci permet de mieux comprendre la place accordée à
l’â e par le soufi dans son dévouement.

A ce propos, la longanimité a - abr) et la reconnaissance (ash-shukr), à force


d’être pratiqués, seront intensément vécus (états d’âme) et vont se forger en caractères
permanents (stations ou maqâmât) chez le dévot, à travers son exécution des
obligations (al- ar i ) et des recommandations (as-sunan).

1
Cf. Ndiaye S., Le Tasawwuf du IIe au Ve siècle de l’Hégire à travers l’optique de la Sunna, mémoire
de DEA, Lettres (arabe), UCAD, 2002/2003
2
Cette spécification en question se fonde sur un authentique t qui donne la définition de ces trois
concepts ( ). Cf. Muslim, op.cit., H : 8. Cf. Buhârî, op.cit., H:50. Cf. Sharqâwî,
Ash-Shar ‛a wal-haqîqa, op. cit.
93

4. 1. La longanimité (a - abr) et l’âme

Le concept de abr peut renvoyer à plusieurs entendements parmi lesquels on


retient : l’endurance, l’abstinence, la te pérance et la retenue. Le mot Longanimité,
plus englobant, semble répondre à la délicate traduction de abr. En effet, il peut être
compris comme la patience dans l’endurance et face à la douleur et aux tentations.

Selon l’Imam ‛Alî, la pratique de l’endurance par le croyant est déterminante


pour sa foi. Il disait ceci : « l’i portance de la longani ité a - abr) pour la foi est
comparable à celle de la tête pour le reste du corps »1.

Cette patience qui doit être l’une des caractéristiques du dévot conditionne
ainsi sa sincérité. Beaucoup de soufis lui ont accordé une place importante dans leurs
analyses, y compris ceux des générations postérieures, compte tenu de ce rôle
déterminant, mais aussi dans le but de bien se l’approprier.

Ainsi, Ghazali discerne deux types de longanimité :


 La longanimité dans la dévotion ;
 La longanimité face au plaisir et à la passion2.

A côté de cette subdivision, celle qui se dégage des propos de ‛Abd allâh b.
‛Abbâs, compagnon du prophète, est encore plus pertinente :

« La longanimité dans le Coran présente trois dimensions : la longanimité dans


l’exécution des obligations pour la face de Dieu le très Haut, qui conna t trois cents
niveaux, la longani ité dans l’abstinence à l’égard des interdits de Dieu, qui a six
cents niveaux et la longanimité face au malheur qui présente neuf cents niveaux. »3

1
Qushayrî, Ar-Risâla, op. cit., p: 144.
2
Ghazali, Muhtasar ihyâ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p :223.
3
Ibidem, p : 224.
94

4. 1.1. La longanimité face à la douleur :

Le croyant peut se trouver dans une situation difficile ou être frappé d’un fait
douloureux, il doit alors rester imperturbable et constant dans sa foi en se soumettant
sans rechigner à la volonté du Tout-puissant. A celui qui pratique une telle
longanimité, le Coran promet une forte récompense :

« Très certainement, Nous vous éprouverons par un peu de peur, de faim, de


diminution de bien, de personnes et de fruits. Et fait la bonne annonce aux endurants
Qui disent, quand un alheur les atteint, ‘certes nous so es à Allah, et c’est à lui
que nous retournerons’. »1

Pour ce cas, ce qui est à l’origine du comportement d’endurance échappe au


choix ou à la volonté du croyant, il ne l’a pas cherché comme dit al-Qushayrî2, mais il
doit endurer une douleur provenant d’une décision divine3.

Toutefois, on est loin d’une simple résignation ou d’une reprise tardive de la


pratique après une explosion affective ou un aveu d’impuissance face à la situation.
L’endurance dont il s’agit doit s’affirmer dès le début et d’après le Prophète (psl) :« la
longani ité n’est reconnue co e telle que si elle s’opère dès le pre ier coup. »4

C’est cela que cherche à illustrer Junayd par les propos suivants :

« Quant à celui qui pratique le abr, il doit avaler la potion amère des épreuves sans
laisser voir la moindre contraction sur sa figure et sans faire entendre la plus légère
plainte. »5

1
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Baqara (2), v. 155, 156.
2
‛Abd al-Karîm al-Qushayrî (465H/1073), l’un des célèbres défenseurs de l’orthodoxie du a awwuf.
3
Qushayrî, op.cit., p : 144.
4
C’est un adît rapporté par Abû Hurayra. Cf : Qushayrî, op.cit., p : 144.
5
Attar F. D., Mémorial des saints, trad. Tadhkirat al-awliyâ’, seuil, Paris, 1976, p : 267, notons que
abr a été traduit dans ce document par le mot «résignation » ce qui est inacceptable vu le sens des
propos de Junayd.
95

Ce que Junayd sous-entend est loin d’être un aveu d’impuissance, mais plutôt
ce degré ultime de l’endurance qui fait que le dévot reste imperturbable face au
malheur parce qu’il le trouve tout à fait normal et juste, puisque émanant de la
Volonté de Dieu. Il peut même atteindre un niveau tel qu’il s’y pla t et se satisfait de
la décision, il aura alors agréé son Seigneur et son âme se trouverait ainsi « apaisée »
de toute décision provenant de Dieu1.

Par ailleurs, selon Ruwaym2, le premier niveau de cette longanimité est de


« laisser toute sorte de lamentation » et le dernier semble être la satisfaction sublime
qui voit la douleur se muer en plaisir de vivre sa servitude (‛ubûdiyya) pour Dieu3.

4. 1.2. La longanimité dans la dévotion :

Les actes de dévotion comme la prière, le jeun, l’aumône présentent souvent


des désagréments et de la peine pour « l’â e charnelle » du croyant qui a cette
fameuse attirance pour le plaisir, le confort et la paresse. C’est alors faire preuve
d’endurance ou de longanimité que de l’affronter en se donnant à la dévotion. Au bout
de ce chemin long et difficile le Coran promet la récompense :

« Et nous récompenserons ceux qui ont été constants (al-ladhîna s abarû), en


fonction du eilleur de ce qu’ils faisaient. »4

D’ailleurs, certains soufis n’hésiteront pas à définir la longanimité comme tout


simplement le fait de « se conformer à la loi du Livre et de la Sunna »5. C’est cela que
6
que soutient al-Ha . En effet, appliquer rigoureusement les obligations et
recommandations exige de la part du dévot de faire violence contre ses propres

1
C’est cet état d’esprit qui plus tard sera conceptualisé sous le nom de h âl ou (maqâma) rid â
(station de l’agrément). Cf. 3e partie et annexes.
2
Abû Muhammad Ruwaym b. Ahmad, juriste et soufi, il évolua à Bagdad et mourut en 303H/916. Cf.
Qushayrî, op.cit.
3
Qushayrî, op.cit., p : 145.
4
Le Coran, op. cit., Sourate An-
5
Qushayrî, op.cit., p : 145.
6
Abû Ishâq Ibrâhîm b. Ahmad al-Ha (291H/904), soufi, compagnon de Junayd, très attaché à la
prière, il mourut noyé à Baghdâd en faisant ses ablutions au bord du fleuve.
96

passions et ses désirs, de faire ainsi preuve de longanimité. On mesure donc


l’importance de celle-ci et sa position médiane entre le détachement et la dévotion.

C’est bien dans le but de faire supporter à son âme et à son corps les pratiques
cultuelles avec aisance que certains dévots s’adonnent à des actes surérogatoires
comme prendre l’habitude de prier « quatre cents rak‛ât, le jour et la nuit »1.

4. 1.3. a lo ga imi é da s l a s i e ce :

S’abstenir du péché en s’éloignant de tout interdit n’est possible que grâce à


une force de retenu opérée par le croyant sur ses désirs et ses penchants, sur son
propre moi, sur son âme charnelle. Il pratique ainsi le abr qui traduit alors une
certaine ma trise de l’individu de ses sens, chose fondamentale pour le détachement et
la dévotion. Cette longanimité renvoie à la continence au vrai sens du terme. Elle est
en elle-même une véritable dévotion, du moment qu’elle se fonde sur la fidélité, en
s’abstenant des interdits de Dieu, donc en se conformant à la Sunna.

En définitive, ces trois dimensions de la longanimité s’appuient toutes sur une


force intérieure chez l’individu, sur une intense volonté d’auto domination et sur une
tension constante de dévouement à l’égard de Dieu. La pratique du abr a donc pour
siège l’âme de la personne et n’a de sens que dans la dévotion, la retenue et la
continence. Elle marque aussi bien le début que la fin de la vie du Soufi à la recherche
de la sincérité et de la certitude dans sa foi.

C’est cela qui pousse certains parmi les plus éminents d’entre eux à considérer
le abr comme le plus difficile à réaliser de tous les états d’esprit du a awwuf. Tel
est l’avis de Junayd :

« Passer de cette vie à l’autre est facile et est peu de chose pour le croyant ;
abandonner les créatures pour la cause de Dieu est pénible ; passer du « moi » à

1
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p: 543.
97

Dieu est difficile et douloureux ; ais faire preuve de patience à l’égard de Dieu est
la chose la plus déchirante »1.

Afin de bien mesurer la peine qui va avec la pratique de la longanimité,


Junayd la considère comme le plus douloureux de quatre faits ou états d’esprit dont le
moins pénible est la mort. Cela fait penser aux multiples niveaux du abr dont faisait
allusion ‛Abd allah b. ‛Abbâs.

Seulement, si une telle endurance doit être exercée avec une telle ardeur et une
telle assiduité par le croyant, il peut être amené à vivre la dévotion comme une
supplice ou une peine à purger propre à un déséquilibre spirituel menant vers une
mortification gratuite et excessive. C’est ici que la pratique du shukr (la
reconnaissance en Dieu), à côté du abr, revêt tout son sens, et que se justifie
l’inséparabilité des deux états d’âme, notamment dans les conceptions des générations
ultérieures2.

4. 2. La reconnaissance (ash-shukr) et l’âme :

Le shukr3, comme le soutient Ghazali4 commence par une prise de conscience,


celle de reconnaître les bienfaits de Dieu pour soi. Elle se prolonge à travers une
pratique aussi complexe que celle du abr. Dans ce sens, le Coran promet une
récompense aux reconnaissants.
« …Et Allah récompensera bientôt les reconnaissants. »5

A l’image de beaucoup de penseurs, al-Qushayrî accorde trois dimensions à la


reconnaissance :

1
Junayd A. Q., Enseignement spirituel (traités, lettres, oraisons et sentences), présentation et
traduction de Deladrière R., Sindbad, Paris, 1983, p : 192.
2
Cf les stations ou étapes de la certitude en annexes.
3
Par le mot « reconnaissance » nous cherchons à englober les différents sens liés à l’attitude complexe
du croyant qui rend grâce à Dieu.
4
Ghazali, Muhtasar ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p : 225.
5
Le Coran, op. cit., Sourate Âl ‛Imrân (3), v. 144.
98

« Le shukr se subdivise en un shukr par la langue, à travers la reconnaissance de Ses


bienfaits, un shukr par le corps et le shukr par le cœur… »1 Ceci apparaît bien dans
l’analyse de la vie des premiers soufis.

4. 2.1. La reconnaissance : un acte de foi

En prenant conscience des bienfaits qui l’entourent, telles que les richesses de
la nature et tout le confort matériel qui conditionnent et agrémentent sa vie, le croyant
s’accorde avec le Coran qu’il a été favorisé par Dieu, parmi toute sa créature 2. En
cela, il éprouve un sentiment de reconnaissance, lequel s’accentue au regard de la
santé, de l’harmonie et des attributs exceptionnels dont bénéficie sa personne
physique, au dessus de tous les éléments de la nature. Il a alors un devoir d’action de
grâce auquel l’appelle Dieu et qui doit dépasser cette première prise de conscience.

La reconnaissance doit d’abord se traduire en parole, en cela, elle est un acte


de foi. C’est sans doute le sens des propos de Junayd : « le devoir de l’action de grâce
(ash-shukr) est la reconnaissance des bienfaits par le cœur en ê e te ps que par la
langue ».3

Au delà de l’acte ponctuel de rendre grâce à Dieu, le Coran appelle, par


plusieurs passages, à une constance, une attitude permanente de shukr. L’acte doit se
forger en une habitude, se cristalliser en un état d’esprit et se fixer dans son âme pour
en être le moteur de la foi. C’est pour cela que le shukr est souvent opposé à la
mécréance (al-kufr), et il est pour autant mis au même degré que le dhikr (le fait
d’avoir constamment à l’esprit le Tout-puissant) :

« Souvenez-vous de Moi et Je Me souviendrai de vous ; soyez reconnaissant envers


Moi et ne Me reniez pas. »4

1
Qushayrî, op.cit., p : 137.
2
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Isrâ‘ (17), v. 70.
3
Junayd A. Q., Enseignement spirituel, àp. Cit., p : 192.
4
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Baqara (2), v. 152.
99

Il arrive que le soufi pousse cet acte de foi jusqu’à un niveau très profond, en
se rendant compte de son impuissance à être dignement reconnaissant envers son
Seigneur, eu égard à l’immensité de Ses bienfaits ; sur ce, cette quête désespérée
perpétue et intensifie cet état d’âme qui se reflète alors dans ses comportements
physiques et mentaux. A ce propos, Abû ‛Utmân al-Hayrî disait que « la
reconnaissance (ash-shukr véritable est celle d’être conscient de l’incapacité d’être
reconnaissant »1.

4. 2.2. La reconnaissance par la dévotion :

Le shukr dépasse alors ce stade d’une simple prise de conscience pour se


traduire par « le respect et l’ardeur dans les prescriptions de Dieu , à sou ettre à
toutes ses parties du corps »2.

C’est ce qui explique sans doute l’attitude du Prophète (psl) qui, d’après
Aïsha , se levait souvent et priait toute la nuit, le visage en larmes, jusqu’à l’aube. Il
3

répondit alors, simplement, à l’inquiétude de celle-ci, par ces mots : « ne dois-je pas
être un serviteur reconnaissant ? »4 Ainsi, c’est par la dévotion que s’accomplit
physiquement la reconnaissance.

Par ailleurs, la zakât ou « l’aumône obligatoire » doit être prélevée des biens
de tout musulman, selon les spécification du droit, dans le but de purifier le reste du
bien, pour rejoindre le sens étymologique, mais aussi dans le but de donner la part de
grâce de ce bien. Or, ce ne sont pas que ces biens matériels qui doivent être
« purifiés », « la zakât est prescrite pour toute chose » a dit le Prophète (psl)5. Si tel
est le cas, et que même pour une maison on doit prévoir une chambre pour étranger
comme zakât, qu’en devrait-il être pour les plus grands bienfaits du corps humain ?

1
Abû ‛Utm a‛îd Ism ‛îl al-Hayrî, un soufi de Nishapur, il mourut en 298H/911. Cf. Qushayrî,
op.cit., p : 138.
2
Ghazali, Muhtasar ihyâ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p : 225.
3
Aïcha b.Abî Bakr, épouse du Prophète (58H/678) ; elle a rapporté beaucoup de t.
4
Qushayrî, op.cit., p : 137.
5
D’après un adît rapporté par Anas b. Mâlik, cf. Qushayrî, op.cit.
100

Aussi le shukr s’affirme-t-il par l’asservissement de tout le corps dans la dévotion


pour rendre grâce à Dieu :

 Les membres du corps rendent grâce à travers la prière ;


 La langue glorifie le Tout Puissant ;
 Le ventre est aussi éprouvé par le jeun dans cette action de grâce.

C’est ainsi que pour le devoir de zakât considéré comme un acte ponctuel par
le juriste (al-faqîh), le soufi, lui, y voit une indication (ishâra) qui renvoie à un
comportement plus constant et plus complexe grâce à sa pratique assidue de la
reconnaissance1.
«La reconnaissance est donc l’utilisation des bienfaits confor é ent à ce pourquoi
ils ont été créés. »2

Si les biens de la terre ont été mis à la disposition de l’homme, celui-ci, d’après
le Coran, a été créé pour être au service de Dieu. Alors, il doit investir tout son corps
dans cette tâche.

On voit à ce niveau combien la longanimité dans la dévotion, développée


précédemment, sous-tend cette action de grâce continue. Le abr et le shukr se
rejoignent et deviennent deux états d’esprit nécessairement intrinsèques.

4. 2.3. a reco aissa ce da s le cœur :

A l’image de tous les membres du corps qui doivent se soumettre à la pratique


de reconnaissance, le cœur qui semble être le point central, bien qu’échappant à la vue
et étant trop subtile pour se soumettre aisément à la volonté, doit aussi participer à
l’action de grâce.

1
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p: 557.
2
Ghazali, Muhtasar ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p : 226.
101

Il faut d’abord reconna tre que toutes les deux dimensions précédentes de la
reconnaissance s’appuient essentiellement sur la motivation de l’individu ; et à force
d’être pratiquées, elles ont une incidence notable sur son domaine affectif qui a pour
siège l’âme et le cœur. Ainsi, le niveau le plus élevé du shukr est celui qui se situe au
cœur du dévot et qui se traduit par différents aspects.

Le cœur doit, pour rendre grâce, avoir en présence la mansuétude et la


générosité du Tout-puissant. Seulement, pour vivre constamment cet état d’esprit, le
cœur a besoin d’être soutenu par ses prolongements. En effet, les organes des
différents sens tels que la vue, l’ouïe, le goût, le toucher sont des issues qui mènent
droit au cœur1.

Aussi, doivent-ils participer à l’action de grâce du cœur, sous forme


d’abstinence et de fidélité.

 En effet, la langue, tout en rendant grâce par la parole, doit aussi se préserver
de la calomnie, des mensonges…
 Les yeux lisent le Coran et évitent de regarder l’illicite ;
 L’oreille doit éviter d’écouter l’illicite.

C’est ici que la reconnaissance rejoint de nouveau la longanimité par la


continence, et cela traduit les propos de Junayd qui définissaient la reconnaissance
« par le fait de ne ja ais désobéir Dieu par l’un quelconque de Ses bienfaits. »2

Le abr et le shukr sont deux pratiques qui clarifient pour beaucoup la


dévotion accentuée de beaucoup de compagnons du Prophète (psl), notamment les ahl
a - uffa3. Ainsi, si par volonté de longanimité, ils mettaient à rude épreuve leur corps,
ils ne perdaient pas à l’esprit que le but ultime était l’agrément de Dieu qu’ils
servaient par reconnaissance (ash-shukr), mais aussi par crainte de Sa puissance et de

1
Ibidem, p : 225.
2
Junayd A. Q., Enseignement spirituel, op.cit., p : 138.
3
Cf. annexe : listes des soufis. Ce sont « les gens de la hutte » qui se remarquèrent parmi les
compagnons du Prophète (psl) pour leur ascétisme.
102

Sa colère (al-hawf) et enfin, dans l’espoir (ar-rajâ ) d’être récompensé par Sa


gratitude.

4. 3. Des aspects de l’endurance vus par des spécialistes

4. 3.1. Présentation :

L’endurance ou encore la longanimité est différemment appréciée, selon


l’expérience des uns et des autres, par les premiers ma tres du a awwuf. Ainsi, des
théoriciens, à leur suite, ont essayé de fixer les nombreuses définitions laissées à la
postérité, en réunissant le plus important nombre de propos qui ont été le plus souvent
transmis par la tradition orale. Parmi les recueils les plus célèbres à ce sujet figurent le
Mémorial (Tadhkira) de F. ‛ âr et l’Ep tre (ar-Risâla) d’où sont tirés les passages
étudiés ci-après.

Tout en traitant la même question, ces deux textes permettent de confronter les
styles différents de leurs auteurs et de noter la complémentarité de leur contenu.

arîd ad- î ammâd Muhammad b. Abû Bakr ‛ âr est originaire du


Kadakan, près du Nîshapûr, dans le Hurasân. Il serait né vers 520H/1126. Il fut
commerçant puis s’engagea dans la voie du a awwuf. Il effectua de nombreux et
longs voyages afin de rencontrer les grands maîtres de son époque de qui il a sans
doute recueilli le contenu de son plus célèbre traité écrit en Ouigour, puis traduit en
arabe et en français : Tadhkirat al-awliyâ (Mémorial des saints).

Ainsi, il a essayé de compiler ce qu’il a pu obtenir de la vie de soixante douze


soufis des plus anciens, grâce à l’apport de certaines sources qui étaient déjà connues
à l’époque comme les traités de Hujwîrî et de Qushayrî. Mais son principal support
reste la tradition orale qui, comme cela se reflète dans son livre, retient plus
facilement le miraculeux et s’appuie essentiellement sur l’anecdotique.
103

Seulement, il fait partie des rares sources qui donnent des informations assez
précieuses sur les premiers soufis. D’ailleurs, le texte dont il est question ici donne des
renseignements sur les appréciations de asa al- a rî à propos de l’endurance.
Il est décédé aux environs de 608H/12121

Quant au deuxième texte, il est extrait du traité de Qushayrî, un auteur déjà


connu ; il se démarque par sa recherche d’authentification et de justifications des
propos recueillis, pour rester fidèle à l’orthodoxie.

Au-delà de la longanimité, le concept d’endurance peut aussi renvoyer à une


forme de reconnaissance, notamment lorsque celle-ci, comme il a été développé plus
haut dans ce chapitre, dépasse le stade d’une simple prise de conscience pour se
traduire par « le respect et l’ardeur dans les prescriptions de Dieu , à sou ettre à
toutes ses parties du corps »2. Le troisième texte qui est toujours d’al-Qushayrî
renseigne sur cet aspect, à travers différentes définitions de la reconnaissance
proposées par de grands maîtres.

4. 3.2. Textes traduits et annotés :

Texte n° 1

asan Bas rî dit un jour à ses familiers3 : « Vous autres, vous ressemblez
aux co pagnons de l’Envoyé, sur lui soit le salut ! » Eux tous de se réjouir, mais il
ajouta : « Ce sont vos visages et vos barbes qui portent cette ressemblance, mais rien
d’autre en vous. De plus, si vous les aviez vus, tous vous auraient fait l’effet
d’insensés. Eux, de leur côté, s’il vous avaient vus, n’auraient pas traité de vrai
musul an un seul d’entre vous ; étant entendu qu’eux tous, dans la pratique de la foi,
étaient comme des cavaliers montés sur des chevaux rapides, ou comme le vent, ou

1
Cf. la partie introductive de Attar F. D., Mémorial des saints, trad. Tadhkirat al-awliyâ’, seuil, Paris,
1976.
2
Ghazali A. H., Muhtasar ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p : 225.
3
Attar F. D., Mémorial des saints, op. cit., pp : 53, 54.
104

encore co e l’oiseau qui vole dans les airs ; tandis que nous cheminons comme
montés sur des ânes qui ont une plaie sur le dos. »

On raconte qu’un arabe, étant venu trouver asa a rî, lui demanda ce que
c’était que la patience. « Il y a, répondit asa a rî, deux espèces de patience :
 L’une consiste à supporter courageuse ent l’affliction et les cala ités, à ne
pas commettre les actions que le Seigneur très Haut nous a interdites ;
 Et l’autre à ne ja ais prêter l’oreille aux suggestions de sha ân (Satan).

- Pour oi, dit l’arabe, je n’ai ja ais vu personne plus retiré de ce monde et plus
patient que toi.
- Hélas ! dit Hasan, mon renoncement au monde et ma patience ne peuvent être
comptés pour rien.
- Pourquoi parles-tu ainsi ? s’écria l’arabe.
- Parce que, si je pratique le renonce ent, ce n’est que par crainte du feu de l’Enfer ;
et je ne suis fidèle à la patience que parce que j’espère entrer en possession du
Paradis. Or celui-là seul érite d’être co pté qui, sans s’inquiéter de sa tranquillité
à lui, pratique la patience pour le Seigneur très Haut, et dont le renoncement n’a pas
pour but le Paradis, mais uniquement le désir de plaire à Dieu. Une telle manière
d’agir est le signe anifeste de la sincérité du cœur.

Texte n° 2

Chapitre sur la longanimité1

Dieu le Très-haut dit :


« Sois constant, en vérité, ta longanimité n’existe que par Dieu. »

‛Alî b. Ahmad nous a informé que, selon Ahmad b. ‛ a dallah, d’après


Ahmad b. ‛Umar, selon Muhammad b. Mardâs, d’après Yûsuf b. ‛ ayya, selon
‛ â b. Abî Maymûna, d’après Anas b. Mâlik, le Prophète (psl) dit :

1
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Marifa, Le Caire, 1981, pp :144, 145.
105

« La longani ité n’est reconnue co e telle que si elle s’opère dès le pre ier
coup. »

La longanimité est de plusieurs sortes :


 Longanimité face à quelque chose qui relève des propres efforts du serviteur ;
 Longanimité face à une chose qui échappe à sa volonté.

Quant à la longanimité qui est liée aux efforts (ou à la volonté), elle est de deux
types :
 La longani ité dans l’exécution des reco andations de Dieu le rès-haut ;
 La longani ité dans l’abstinence par rapport à ses interdits.

Quant à celle qui est indépendante de la volonté du serviteur c’est sa


longanimité face à la douleur liée aux décisions divines.

J’ai entendu du shayh Abû ‛ d ar-Ra mân as-Sulamî que, selon usa
a yâ, selon Ja‛far b. Muh ammad, Junayd disait :
« Passer de cette vie à l’autre est facile et est peu de chose pour le croyant ;
abandonner les créatures pour la cause de Dieu est pénible ; passer du « moi » à
Dieu est difficile et douloureux ; ais faire preuve de patience à l’égard de Dieu est
la chose la plus déchirante ».
On lui demanda à propos de (celui qui pratique) la longanimité, il répondit :
« C’est conna tre la fai à plusieurs reprises sans aucune grise ine. »

‛ lî î âlib dit à ce propos :


« L’i portance de la longani ité a - abr) pour la foi est comparable à celle de la
tête pour le reste du corps ».

ul- sim al- akîm explique que les propos du Très-haut : « sois constant
(a bir) » expriment un ordre pour la dévotion (ponctuelle) (al-‛ibâda), tandis que
ceux-ci : « a longani ité n’existe que par Dieu », ils font allusion à la Servitude
(constante) (‛ubûdiyya). Celui qui monte du niveau de « pour Toi » à celui de « par
106

Toi » a évolué du stade du (simple acte de) dévotion (‛ibâda) au niveau (de la
constance) de la Servitude (‛ubûdiyya . C’est pour cela que le Prophète psl disait :
« Par Toi je vis et par Toi je meurs. »

J’ai entendu du a tre Abû ‛ d ar-Ra mân as-Sulamî que, selon Abû
Ja‛far ar-Râzî, selon ‛Iyâsh, Ahmad disait : J’ai de andé à Abû Sulaymân à propos
de la longanimité il répondit :
« Par Dieu nous ne sommes même pas constants en ce qui nous plaît, comment
pouvons nous l’être en ce qui ne nous pla t pas !? »

Dhun-Nûn disait :
« La longani ité c’est de s’éloigner des déviations péchés , être serein devant la
succession étouffante des calamités et afficher la suffisance tout en vivant la pauvreté
dans les situations de la vie. »

Ibn ‛ â disait que la longanimité est de conserver avec le malheur les règles
de bienséance.

D’aucuns disent que la longani ité c’est l’extinction al-fanâ ) dans les
calamités sans faire échapper de plaintes.

Abû ‛Utmân disait que le longanime (a - abbâr est celui qui s’est habitué à
affronter les contraintes (al-makârih).

On dit aussi que la longani ité c’est d’observer avec le alheur les ê es
règles de bienséance qu’on aurait observées dans le confort.

Abû ‛Utmân disait :


« La meilleure récompense pour la dévotion est celle destinée à la longanimité,
aucune autre rétribution ne lui est supérieure ».
107

Dieu le Tout-puissant dit :


« Et nous récompenserons ceux qui ont été constants (al-ladhî a abarû), en fonction
du eilleur de ce qu’ils faisaient. »1

‛Amru b. ‛Utmân disait que la longanimité c’est d’être constant avec Dieu le
Très-haut et de recevoir les bras ouverts, dans la douceur, ses épreuves (balâ ).

Quant à al-Ha , il soutient que la longani ité c’est de se conformer


constamment à la loi du Livre et de la Sunna

a u‛âdh disait :
« La longanimité de ceux qui aiment Dieu (al-mu ibbûn) est beaucoup plus intense
que celle de ceux qui pratiquent le détachement (az-zâhidûn), ô combien ils sont
endurants ! »

C’est eux al-mu ibbûn) qui ont chanté ceci :


« La longanimité est vraiment agréable dans tous les domaines, tous
Sauf si c’est à on égard, là elle devient désagréable. »

Ruwaym dit que la longani ité c’est de laisser toute sorte de lamentation.

Dhun-Nûn soutient que la longani ité c’est de chercher assistance en Dieu le


Très-haut. […]

Texte n° 3

Chapitre sur la reconnaissance2 :

Dieu le Tout-puissant dit :


« Si vous reconnaissez (Nos bienfaits) Nous vous en augmenterons. »

1
Le Coran, op. cit., Sourate An-Nah 96.
2
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Ma‛rifa, Le Caire, 1981, pp :137, 138.
108

ul- asan ‛Alî b. Ahmad al-Ahwâzî nous a raconté que, selon ul- asa
a - affâr, d’après al- s î, selon Munjâb, selon a a‛lî, d’après
abbâb, ‛At â dit :
Un jour, j’entrai chez ‛Aïsha que Dieu l’agrée , acco pagné de ‛Ubayd b. ‛Umayr,
je lui dis :
- Renseigne nous sur ce que vous avez remarqué de plus étonnant chez le Prophète
(psl). Elle pleura et dit :
- Il n’y a rien de plus étonnant chez lui que ceci : une nuit, il ’acco pagna dans
on lit ou d’après une autre version dans a couverture jusqu’à ce qu’on se
touchât, il me dit alors :
- O fille d’Abu Bakr, per ets oi d’aller adorer on Seigneur. Je lui dis :
- Je voulais être près de toi.
Je le lui permis.
Il alla prendre une outre d’eau et fis ses ablutions ; il versa beaucoup d’eau puis se
leva pour prier. Il pleura jusqu’à ouiller sa poitrine de lar es, il s’inclina, pleura,
se prosterna, pleura, se redressa et pleura. Il ne cessa de faire ainsi jusqu’à ce que
Bilâl v nt l’appeler à la prière. Alors, je lui dis : ô Envoyé de Dieu, qu’est-ce qui te
fait pleurer alors que Dieu a bien dit qu’Il t’a pardonné tes péchés du pre ier au
dernier?
Il répondit : ne dois-je pas être un serviteur reconnaissant ? […]

On dit que Sa propre reconnaissance se manifeste par le fait de donner


beaucoup de réco pense pour un acte d’adoration insignifiant. C’est à l’i age de
leur propos : un ani al reconnaissant est celui qui fournit plus de beurre qu’on ne lui
donne du fourrage.

On s’accorde à dire que la véritable reconnaissance est le fait de glorifier le


bienfaiteur par l’évocation de ses faveurs. Ainsi, la reconnaissance du serviteur pour
Dieu le Très-haut est aussi le fait de Le agnifier pour Ses bienfaits qu’Il lui accorde.
Quant à la reconnaissance de la Vérité, l’Exalté, pour Son serviteur c’est de le
glorifier par l’évocation de ses bienfaits. Ces derniers sont ses actes d’obéissance et
109

les bienfaits de la Vérité pour le serviteur sont de lui gratifier par son assistance
(tawfîq) à être reconnaissant à Son égard.

La reconnaissance du serviteur est, en réalité, la mention par la langue et la


prise de conscience par le cœur des bienfaits du Seigneur le rès-haut.
La reconnaissance comprend :
 La reconnaissance par la langue, c’est le fait de reconna tre les bienfaits qui
se caractérise par l’inaction ;
 La reconnaissance par le corps et les membres, elle se manifeste par
l’application et la servitude ;
 La reconnaissance par le cœur, c’est le fait de s’isoler, sous l’e prise du
témoignage, à perpétuer le respect de la sainteté.

D’aucuns disent cela autrement) :


 Une reconnaissance qui est celle des savants (‛âlimûn) qui se fait à travers
leurs propos ;
 Une reconnaissance qui caractérise les dévots, elle est de deux sortes : celle
qui se anifeste par leurs co porte ents c’est la reconnaissance des
connaisseurs (‛ârifûn), elle se manifeste aussi par la recherche de droiture
(istiqâma pour Sa face dans toutes leurs situations et états d’esprit.

Abû Bakr al-Warrâq disait :


La reconnaissance du bienfait est de témoigner la grâce et de respecter la sainteté.

amd al- a âr dit que la reconnaissance du bienfait est de s’y voir soi
même tout-petit.

Junayd dit que la reconnaissance a une i portance par le fait qu’elle


demande, à travers son expression, une augmentation (des bienfaits), elle est ainsi au
niveau de Dieu une chance pour le (reconnaissant).
110

Abû ‛Utmân dit que : « la reconnaissance (ash-shukr) véritable est celle


d’être conscient de l’incapacité d’être reconnaissant »

On dit que la reconnaissance (ash-shukr) pour avoir été reconnaissant (ash-


shukr) est la plus complète des actes de grâce (ash-shukr). En effet, dans ce cas, on
rend grâce pour avoir été conscient que sa propre reconnaissance provient de Son
accord (at-tawfîq) lequel est le fruit de Son bienfait pour soi ; ensuite, de nouveau, on
Lui rend grâce pour avoir rendu grâce et ainsi de suite.

On dit que rendre grâce c’est de re onter un bienfait au pourvoyeur dans


l’inaction.

Junayd dit que la reconnaissance c’est de ne voir en soi aucun érite pour le
bienfait (dont on a bénéficié).

Ruwaym dit que la reconnaissance est une arque d’i puissance.

On dit que celui qui rend grâce (ash-shâkir) est celui qui le fait eu égard à ce
qu’on lui donne. Quant au reconnaissant (ash-shakûr c’est celui qui rend grâce pour
avoir perdu.

On dit que celui qui rend grâce (ash-shâkir) est celui qui le fait eu égard à un
soutien. Quant au reconnaissant (ash-shakûr c’est celui qui rend grâce pour avoir
accusé un refus.

On dit que celui qui rend grâce (ash-shâkir) est celui qui le fait eu égard à un
intérêt. Quant au reconnaissant (ash-shakûr c’est celui qui rend grâce pour avoir été
empêché.

On dit que celui qui rend grâce (ash-shâkir) est celui qui le fait eu égard à une
gratification. Quant au reconnaissant (ash-shakûr) c’est celui qui rend grâce pour
avoir été affligé (al-balâ ).
111

On dit que celui qui rend grâce (ash-shâkir) est celui qui le fait par la
dépense. Quant au reconnaissant (ash-shakûr) c’est celui qui rend grâce pour avoir
été à plat dans l’incapacité de donner al-matl).

J’ai entendu du a tre Abû ‛ d ar-Ra mân as-Sulamî que, selon le maître
Abû Sahl as- u‛lûkî, d’après al- ur a‛ish, Junayd dit :
« Un jour, j’étais entrain de jouer devant Sarî alors que j’étais âgé de sept ans. Il
était avec une assistance entrain de causer à propos de la reconnaissance. Il me dit :
- Mon enfant, qu’est-ce que la reconnaissance ?
Je répondis (spontanément) : « c’est le fait de ne ja ais désobéir Dieu par l’un
quelconque de Ses bienfaits. »
Il me dit : on plus grand don de la part de Dieu risque d’être ta langue.
Et depuis, je ne cesse de pleurer à propos de ces ots d’as-Sarî »

Ash-Shiblî dit que la reconnaissance est de considérer le Pourvoyeur et non le


bienfait.

On dit aussi que la reconnaissance c’est de bien garder ce qu’on a et de


chercher ce qu’on n’a pas.

Abû ‛Utmân soutient que la reconnaissance du commun se manifeste par la


considération du manger et des habits, tandis que la reconnaissance des particuliers
est à la di ension de ce qu’ils reçoivent de significatif al-ma‛ânî) dans leur cœur.
[…]

4. 3.3. Analyse :

L’extrait du témoignage d’Attâr sur asa al- a rî se présente en deux


parties : un portrait dans lequel H asan compare ses contemporains aux compagnons
du Prophète (psl), puis des échanges entre lui et un arabe, à travers lequel il donne son
opinion sur la longanimité (a - abr).
112

Cette comparaison de asan est très édifiante quant aux caractéristiques du


contexte historique qui a prévalu à la particularisation et à l’isolement progressif
d’une minorité de dévots qui ont été désignés ou indexés par la suite sous le nom de
« porteurs de laine » (al-mutas awwifûn), ce qui a du reste évolué vers la naissance
du concept a awwuf. En effet, déjà à son époque la sincérité de la foi faisait défaut si
bien que les musulmans de son temps, selon lui, ne ressemblaient au Prophète (psl) et
à ses compagnons que par l’habillement, par l’apparence.

En répondant aux questions de l’arabe, asan donne la signification qu’il


accorde à la patience (ou longanimité). On retrouve à travers ses propos deux des trois
types de longanimité traités plus haut dans ce chapitre :
 La longanimité face à la douleur ;
 La longanimité dans l’abstinence.

On note cependant une légère incohérence dans sa classification, quand il dissocie


le fait de « ne pas commettre les actions que le Seigneur très Haut nous a interdites »
et le fait de « ne ja ais prêter l’oreille aux suggestions de shaytân » ; car les deux
attitudes se confondent. Des manquements de ce genre sont imputables plus aux
défaillances caractérisant la transmission orale qui est la source principale de ce
document qu’à l’appréciation d’Al- a rî qui avait la réputation d’être un bon
analyste.

A la fin de ses propos, il renseigne que la dimension la plus élevée de la patience


se confond à la reconnaissance. En effet, selon lui, le meilleur dévot dans la patience
et le détachement est celui qui cherche, par son attitude, l’Agrément de Dieu. C’est ici
que la longanimité et la reconnaissance se fondent dans une attitude d’endurance dans
la dévotion pour « plaire à Dieu ».
113

Il faut avouer que la qualité du document d’Attâr, en plus de la faiblesse de ses


sources qui sont souvent anonymes est beaucoup amoindrie par la traduction peu
précise de cette version1.

Quant à Al-Qushayrî, fidèle à sa méthode2, il traite la longanimité en s’appuyant


sur les sources de la Sunna (Coran et adîts). Son analyse de ce concept recoupe
parfaitement ce qui a été présenté dans la première partie de ce chapitre ; il a ainsi
étudié le concept par rapport à la volonté du croyant.

La majorité des propos qu’il a rapporté des soufis traite séparément l’un ou l’autre
aspect de la question tel qu’il l’a analysée, à l’exception de deux explications :
Al-Hawâs est plus englobant dans sa définition, car il soutient que la
longanimité c’est de « se conformer constamment à la loi du Livre et de la Sunna »,
ainsi il voit que toute l’attitude du soufi se résume en la longanimité.

a u‛âdh soutient quant à lui que ceux qui aiment Dieu ont une
longanimité particulière ; ce qu’il illustre par les vers suivants :
« La longanimité est vraiment agréable dans tous les domaines, tous
Sauf si c’est à on égard, là elle devient désagréable. »

Autrement dit, les amoureux (al-mu ibbûn) peuvent supporter avec aisance
toutes les difficultés liées aux privations sauf s’il s’agit d’être privé de la Présence de
Dieu en eux. Il fait sans doute allusion à la fin de l’ivresse (as-sukr) et au retour de la
lucidité (a - a w)3. Cet état d’esprit du soufi sera traité dans la partie suivante. On
peut toutefois considérer ce ressentiment des amoureux comme une forme
d’expression de la longanimité dans la douleur.

Par ailleurs, il faut noter que les soufis s’expriment selon l’état d’âme âl)
qu’ils vivent au moment où ils proposent leur définition. C’est ainsi que la même

1
La traduction de Courteille en français manque de précision et comporte quelques incorrections par
endroit. On regrette de ne pouvoir travailler sur l’original qui a été écrit en Ouïgour.
2
Cf. supra, p : 54 et 77 pour l’analyse du style d’Al-Qushayrî.
3
Cf. infra chapitre IX, p :191.
114

personne, en deux moments différents, peut analyser le concept différemment. C’est le


cas de Dhun-Nûn avec les deux définitions suivantes :

 « La longani ité c’est de s’éloigner des déviations péchés , être serein


devant la succession étouffante des calamités et afficher la suffisance tout en
vivant la pauvreté dans les situations de la vie. »
 « La longani ité c’est de chercher assistance en Dieu le Très-haut. »

La dernière définition est plus proche de l’état de la remise confiante en Dieu (at-
tawakkul), que l’auteur était probablement entrain de vivre. Tandis que sa première
explication rejoint l’analyse faite précédemment dans ce chapitre.

Par ailleurs, al-Qushayrî a aussi montré1 que la reconnaissance du dévot est un


état d’esprit profond qui s’exprime par l’endurance dans la dévotion et la recherche de
la droiture : c’est « la reconnaissance des connaisseurs (al-‛ârifûn) ».

Ainsi, le soufi commence par ressentir son insignifiance2 face à tous les
bienfaits du Seigneur qui dépassent la dimension de sa modeste personne, puis il se
sent envahi par l’impression d’être incapable d’exprimer une reconnaissance digne de
ce nom3. Finalement, il considère cet état qu’il est entrain de vivre comme un bienfait
supplémentaire pour lequel il doit encore exprimer sa reconnaissance 4. Alors, il
apprécie l’infinité de la grâce5 du Seigneur et voit en toute chose, même quand il
s’agit d’une perte, un bienfait qui mérite reconnaissance. C’est par ce dernier point
que, selon l’auteur, se démarque le reconnaissant (ash-shakûr) de celui qui,
simplement, rend grâce (ash-shâkir).

1
Cf. texte n° 3.
2
Cf. texte n° 3 avec l’explication de amd al- a âr et de Junayd.
3
Cf. texte n° 3, c’est l’avis d’Abû ‛Utmân et de Ruwaym.
4
Cf. texte n° 3, étant un avis assez répandu, l’auteur l’impersonnalise par le pronom indéfini « on ».
5
Abû Bakr al-Warrâq est de cet avis.
115

Chapitre V : La crainte révérencielle (al-hawf) et l’espoir ar-rajâ’)

Il est de toute évidence, comme l’a remarqué Q. Ghannî1 que le hawf et le


rajâ sont deux concepts soufiques concomitants relevant du domaine des idées (al-
ma‛ânî), ou simplement du domaine mental.

Au-delà du sens commun qui renvoie à la peur, le hawf dans le a awwuf est
consacré à une attitude psychique assez complexe du croyant qui définit ses relations
spirituelles avec le Tout puissant et celles entretenues avec le reste de la créature.
Ainsi, al-Qushayrî le définit sommairement comme « la crainte de voir venir un fait
non souhaité ou de perdre une chose à laquelle on s’attache »2. Au même moment,
dans le même passage, le rajâ se traduit par « le souhait profond de voir se réaliser
une chose dans le futur ».

Ils peuvent donc être compris simplement comme deux sentiments qui, sans se
confondre, se projettent ensemble dans le futur et se soutiennent par opposition.

Le hawf est une crainte et le rajâ est un espoir, or derrière tout espoir il y a la
crainte de ne voir se réaliser l’objet de l’espoir ; cela est aussi valable pour la crainte.
Plus qu’un simple sentiment, chez le soufi, ces deux notions renvoient à des états
d’esprit permanents et soutenus.

Si les premiers soufis pratiquaient cette intense dévotion qui les caractérisait,
c’est en grande partie en faveur d’un état dans lequel baignaient leurs âmes ou leurs
cœurs : ils étaient pris entre la crainte révérencielle (al-hawf) et l’espoir (ar-rajâ ).
La crainte et l’espoir disait Sahl at-Tustarî « sont les deux parents (père et
ère de la foi … ils ne peuvent cohabiter avec l’orgueil dans un ê e cœur. »3

Cette connotation de dynamisme fort perceptible avec les deux précédentes


notions (le abr et le shukr) qui renvoie à une pratique n’est pas tout à fait liée au
1
Ghannî Q., Târîh at-tasawwuf fil-islâm, Ma taba an-nah a, Le Caire, p: 497.
2
Qushayrî, op.cit., p : 105.
3
Sahl at-Tustarî (283H/896), soufi qui a évolué en Egypte. Cf. Attar F. D., op. cit. p : 233.
116

hawf et au rajâ . En effet, il semble qu’on ne peut les pratiquer comme on l’aurait fait
avec le abr, mais ici l’âme vit des états exclusivement statiques, qui s’affirment, se
renforcent ou s’atténuent en faveur des relations du dévot avec deux éléments
essentiels et déterminants dans la vie du Soufi : le péché et l’agrément.

5. 1. La crainte révérencielle et l’espoir du pardon

Une explication du hawf et du rajâ peut se dégager à partir de l’attitude du


croyant vis-à-vis de l’interdit.

5. 1.1. La crainte et le péché :

A l’unanimité, ce qui permet aux soufis d’affirmer, à l’instar de Shaqîq al-


Balahî1que le croyant vit la crainte révérencielle est « son abstention des interdits ».
Ainsi, le premier indicateur du hawf est la peur du péché. Cela fait penser à l’attitude
conséquente qui est cette pratique de l’introspection de l’âme très cher à u âsibî
mais qui remonte aux premiers compagnons du Prophète (psl). C’est bien l’Imam ‛Alî
qui disait que « celui qui règle ses comptes avec son âme gagnera le Salut. »2 Or cette
pratique naît de la crainte révérencielle, raison pour laquelle il poursuit en disant :
« quiconque craint sera rassuré »3.

La crainte en question ne s’applique ni sur l’interdit ni sur l’acte de


désobéissance, mais plutôt, sur les conséquences de celui-ci : le châtiment du Tout
puissant, un châtiment qui obéit à sa volonté illimitée, inconditionnée et, à la limite,
inconnue. C’est ici que, progressivement, cette première peur se traduit en une crainte
de Dieu, en toute connaissance de Sa puissance, Sa volonté et Sa redoutable colère.

Ainsi, plus la prise de conscience du péché et la connaissance de ses


conséquences se développent, plus la crainte gagne en intensité et la pénitence
s’impose comme un chemin de repentir incontournable pour « retourner à Dieu ».
1
Shaqîq b. Ibrâhîm al-Balahî, (174H/791). Cf. Attar F. D., op. cit., p: 199.
2
‛Alî b. Abî âlib, Nahj al-balâgha, V. II, p: 191.
3
Idem.
117

On s’enfuit de tout ce dont on a peur à l’exception de Dieu. Quand on craint la


colère du Tout puissant, on n’a aucune autre issue que de s’enfuir vers lui. On peut
ainsi comprendre l’invite de Dieu à tourner le dos à tout autre que Lui, à travers
l’expression du hawf comme c’est le cas dans ce verset :

« C’est le diable qui vous fait peur de ses adhérents. N’ayez donc pas peur d’eux.
Mais ayez peur de Moi, si vous êtes croyants. »1

Dans ses moments de crainte, le croyant essaye par toute sa force physique et
mentale de maîtriser son « âme charnelle » en fuyant les interdits. Il a ainsi peur de
faire un faux pas, il vit un état de crainte, communément spécifié par les soufis comme
le uzn ou l’attrition.

Quant à la tension de contrôle qu’il exerce sur lui-même, elle s’opère grâce à
sa conscience et sa ferme volonté de ne pas faillir. Cette attitude dynamique est
assimilable à une maîtrise de soi (al-wara‛). Il a alors peur de devoir rendre compte de
ses actes. C’est ce sentiment qu’éprouvait Abû bakr lorsqu’il enviait l’oiseau :
« Ô ! Si je pouvais être créé oiseau comme toi !! »2 A son tour, Abû dharr al-Ghifârî
disait avec regret « j’aurais ai é être un arbre ! »3

C’est cette attitude profonde de crainte révérencielle qui fait dire à Ahmad al-
‛ âqî4 que « le plus proche du Salut parmi la créature est celui qui craint le plus de
ne pouvoir échapper ».

Ceux là sont rassurés par le Coran en ces termes :


« Quiconque craint Allah cependant, Il lui efface ses fautes et lui accorde une grosse
récompense. »5

1
Le Coran, op. cit., Sourate Âl ‛Imrân (3), v.175.
2
, Abû Bakr, compagnon du prophète, son premier calife, il mourut en l’an 13H/635. Pour la citation,
cf. Ghazali, Muhtasar ihyâ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p : 234.
3
Idem. Il était un compagnon du Prophète et a rapporté beaucoup de ît. Il fit partie des « gens de
la banquette » et mourut à l’an 30 de l’Hégire (651).
4
Il fit partie des compagnons de u âsibî. Cf:Attar F. D., op. cit., p : 262.
5
Le Coran, op. cit., Sourate A - alâq (65), v. 5.
118

5. 1.2. espoir du pardo :

Cet état d’esprit de crainte et de peur pouvait être comparable à un névrosisme


psychique, à la terreur d’un déséquilibré mental, s’il n’était pas associé à l’espoir du
pardon évoqué à plusieurs reprises par Dieu Lui-même :

« Dis : ‘Ô Mes serviteurs qui avez co is des excès à votre propre détri ent, ne
désespérez pas de la iséricorde d’Allah. Car Allah pardonne tous les péchés.
Oui, c’est Lui le Pardonneur, le très Miséricordieux. »1

A ce propos, l’image employée par Al-Qushayrî est très éloquente :


« Le hawf et le rajâ sont co e les deux ailes d’un oiseau ils équilibrent et
conditionnent la foi. »2

En effet, c’est dans l’espoir de voir ses péchés effacés ou même substitués par
du bien que le croyant décide de se repentir. C’est donc en toute connaissance de sa
Miséricorde qu’il ose demander pardon. Ainsi, le repentir (at-tawba) traité
précédemment, quelles que soient ses dimensions, s’appuie toujours sur l’espoir (ar-
rajâ ).

C’est aussi par l’espoir du Salut et d’une récompense que le dévot exerce sur
lui-même des épreuves physiques et mentales caractérisant son détachement de ce
monde, ainsi que le respect scrupuleux de Ses recommandations comme signe de
reconnaissance. C’est pour cela que la longanimité du soufi dans le but d’obtenir
l’agrément est soutenue par l’espoir.

5. 2. La piété et l’espoir de l’agrément

5. 2.1. La piété : source de dévotion.

1
Ibidem, Sourate Az-Zumar (39), v. 53.
2
Qushayrî, op.cit., p : 106.
119

Certains penseurs comme Ghannî1 ont dégagé trois niveaux pour la crainte :

 Une simple crainte assimilable à la peur de l’enfant face aux menaces. Elle
s’apparente à celle liée au péché, développée plus haut ;
 Une crainte désespérée qui frise la terreur et la paranoïa de ceux qui se sentent
perdus ou qui doutent. Tout croyant est préservé de celle-ci par l’espoir. Elle
ne concerne pas pour cela le soufi ;
 Une crainte équilibrée (mu‛tadil) du connaisseur (al-‛ârif) qui éloigne des
péchés et stimule vers la dévotion, elle s’appuie sur l’espoir.

C’est cette dernière qui semble être plus profonde que la première et qui, au delà
de l’attitude de contrôle de soi (al-wara‛), se traduit par une accentuation de la
dévotion. Ainsi, elle renvoie davantage à la piété (at-taqwâ). Cet état d’esprit a été
plus tard théorisé par Junayd2 à travers la Ma‛rifa (la Connaissance ou la Gnose).

A ce propos, le Coran affirme que :


« Les seuls à redouter Dieu, parmi Ses serviteurs, sont les savants. »3

La véritable crainte révérencielle d’après beaucoup de soufis na t de la


connaissance de Dieu (al-ma‛rifa), voire de la certitude (al-yaqîn). Plus on témoigne
de Sa puissance, de Sa volonté, de Son unité, plus on Le redoute et par conséquent
plus on cherche alors son agrément.

Il est intéressant pour comprendre ce degré ultime de la crainte révérencielle


que vit le soufi de revoir l’analyse de Junayd. En effet, selon lui, l’accomplissement
du soufi avec sa pérennisation (al-baqâ ) dans cet état de témoignage de Son unicité
sans ivresse, dans la lucidité a - a w), ne peut être effectif qu’au bout d’un
cheminement soutenu entre la crainte et l’espoir. « Il doit prendre conscience qu’il a
besoin de Lui en associant crainte et espoir, dans le respect de ses prescriptions. »4

1
Ghannî Q., op. cit., p :500.
2
Ndiaye S., op.cit., p :29.
3
Le Coran, op. cit., Sourate Fât 28.
4
Junayd A. Q., op.cit., p :154;
120

appelons que c’est ici, chez Junayd, que la longanimité est d’une ultime
intensité difficile à supporter : la disparition de l’état d’ivresse (as-sukr) par la
réapparition du moi est douloureusement ressentie et doit être supportée avec patience
dans la crainte et l’espoir. Selon lui, c’est là où s’opèrent certains écarts : les assoiffés
et nostalgiques de l’ivresse s’explosent par impatience et ils se perdent dans la
recherche de l’extinction (al-fanâ ) qui restera la finalité de leurs efforts et de leurs
lamentations1.
C’est cette idée de connaissance comme support du hawf qui pousse Ghazali à
dire que : «la crainte véritable naît de la certitude »2.

En effet, cette crainte révérencielle qui caractérisait les premiers soufis comme
l- a rî est subséquente au témoignage de l’unicité de Dieu (a - a îd). C’est cet
état d’esprit qui pousse le dévot à ne jamais être confiant de ses bonnes actions (at-ta
‛ajjub).

D’ailleurs, selon une tradition rapportée par ‛Aïsha, celle-ci demanda à être
édifiée sur ceux à qui le verset suivant faisait allusion :
« Ceux qui donnent ce qu’ils donnent, tandis que leurs cœurs sont pleins de crainte à
la pensée qu’ils doivent retourner à leur Seigneur. »3

Elle croyait qu’il s’agissait des pécheurs ; mais le Prophète (psl) lui précisa que
le verset évoquait «celui qui je ne, prie, donne de la charité et craint de n’avoir pas
suffisamment bien fait pour être agréé »4.

C’est précisément cet état de hashya ou de hayba que vivait l Imam ‛Alî.
Souvent, à l’heure de la prière, il tremblait et pâlissait. Interrogé, il répondait :
« Il est l’heure d’assu er la responsabilité que Dieu avait proposée aux cieux, à la
terre et aux montagnes et qu’ils avaient refusé et seul l’Ho e l’avait acceptée ; et je
ne suis pas sûr de pouvoir bien assumer mon engagement. »1

1
A propos de l’opposition entre Junayd et allaj cf. Ndiaye S., op.cit.
2
Ghannî Q., op. cit., p: 499.
3
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Mu’minûn (23), v. 60.
4
Qushayrî, op.cit., p :102.
121

Les soufis sont donc unanimes à penser que si tous les états, attitudes ou
comportement du dévot s’appuient sur l’espoir, celui-ci se fonde sur la crainte
révérencielle. Ainsi, disait Abû Sulaymân ad-Dârây « un espoir sans crainte détruit
le cœur ».2

Dhun-Nûn, quant à lui, décrète qu’«on est sur la voie tant qu’on est avec la
crainte ».3

5. 2.2. espoir de l grément :

A ce niveau où se situe la crainte révérencielle, la préoccupation essentielle du


dévot est l’agrément de ses bonnes actions. Ainsi, tout en reprenant et perpétuant ses
actes avec de plus en plus de soin, derrière le goût amère de l’insatisfaction et la
crainte de suffisance (‛ujb), il vit dans un nouvel espoir fondé sur la mansuétude de
Dieu. Cet autre espoir se comprend aisément à travers l’illustration imagée de
Ghazali. En effet, à l’image d’un paysan qui attend sa récolte, le dévot qui a préparé
son cœur par le détachement comme l’autre prépare la terre par le nettoyage et la
fertilisation, s’il sème une foi intense dans ce cœur et l’arrose par la dévotion, il peut
bien espérer une bonne récolte4. Il est alors évident que l’espoir va se traduire par une
intensification de la dévotion, car plus on espère tirer des profits, plus on renforce son
investissement.

A ce propos, la plupart de ces soufis pensent que : «la dévotion fondée sur
l’espoir de Sa grâce et de Sa générosité est meilleure que celle motivée par la crainte
de Son châtiment »5.

Toujours est-il que la crainte et l’espoir sont deux états intimement liés et sont
à la base de la dévotion accentuée des premiers soufis. Ils ont tous les deux pour siège

1
, sî , Kitâb al-luma’ pp :179 à 182.
2
Il était de Dârâ, près de Damas, il mourut en 215H/830, cf. Attar F. D., op. cit. p:218.
3
C’est un soufi égyptien, mort en 245H/859. Cf. Qushayrî, op. cit.
4
Ghazali, Muhtasar ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p : 228.
5
Ghannî Q., op. cit., p: 501.
122

l’âme du croyant. L’espoir est un état d’esprit qui accompagne et équilibre toujours la
crainte dans son évolution complexe entre deux stades essentiels.

D’une part, la crainte se révèle par la peur de commettre le péché, la crainte de


faillir aux recommandations, on parle alors de uzn (attrition) et en ce moment, la
tension exercée par le croyant sur lui-même pour se ma triser afin d’échapper au
péché, se traduit par le wara‛. Il est alors équilibré et rassuré par l’espoir du pardon.

D’autre part, le dévot, en toute connaissance de l’unicité de Dieu, voit sa


crainte prendre une nouvelle dimension. En effet, au dessus de tout, il a peur de
contrarier le Seigneur et craint de ne pouvoir assumer correctement ses responsabilités
devant Lui, alors la crainte se spécifie sous l’appellation de hashya. Il se fait alors le
devoir d’intensifier la dévotion et de chercher la perfection, cette nouvelle tension qui
s’applique cette fois-ci sur Dieu sous forme de piété (taqwal-lâh), s’appuie sur
l’espoir de son agré ent. C’est cela justement qui se dégage de la lecture attentive de
l’extrait suivant de la prière de l Imam ‛Alî :

« Ô Seigneur, fortifie mes membres pour Ton service et renforce dans la


décision mes motivations ; accorde-moi l au he ici é da s la crai e et la continuité
de l’occupation de on service, jusqu’à ce que je puisse courir vers oi, dans les
domaines des devançants, me précipiter vers Toi avec ceux qui se précipitent, me
languir de Ta proximité avec ceux qui se languissent, me rapprocher de Toi du
rapprochement des sincères, Te craindre de la crainte de ceux qui ont atteint la
certitude. »1

1
‛Alî b. Abî âlib, Du‛â’ Kumayl, Mu’assasa al-kitâb al-islâmî, Paris p: 17.
123

5. 3. La crainte dans la littérature soufie :

5. 3.1. Présentation :

Les deux dimensions de la crainte révérencielle traitées plus haut dans ce


chapitre sont souvent perceptibles dans les écrits des spécialistes. En effet, à travers
cet extrait de l’Epître de Qushayrî1, on remarque, en analysant les propos de certains
soufis, cette première dimension de la crainte qui fait naître la fameuse attitude de
contrôle de soi. Alors, le croyant se soucie beaucoup de sa relation avec le péché et de
son sort au Jour du jugement. Son seul espoir réside alors dans le pardon du Tout-
puissant.

Par ailleurs, chez d’autres, domine cette autre dimension qui accro t la piété
(at-taqwâ), à travers laquelle le dévot craint de ne pouvoir adorer ni suffisamment ni
convenablement son Seigneur. En cela, il est rassuré par l’espoir de Son agrément.

Le deuxième texte, tiré du traité de F.Attâr, délivre de précieuses informations


concernant un soufi de la première heure : l’Imam Ja‛ ar a - âdiq. En effet on a peu
d’écrits à son propos qui traitent du a awwuf. Dans ce passage, le soufi donne son
avis sur la crainte et ses déclarations illustrent la première dimension de la notion.

5. 3.2. Textes traduits et annotés :

Texte n° 1

Chapitre sur la crainte2 :

Dieu le Très-haut dit :


«…Ils invoquent leur Seigneur, par crainte et par désir. »

1
Cf. texte n° 1
2
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Ma‛rifa, Le Caire, 1981, pp :100, 101.
124

Abû Bakr Muhammad b. Ahmad b. ‛Abdûs al-Hayrî al-‛Adl nous a informé


que, d’après Abû Bakr Muhammad b. Dalûba ad-Daqqâq, d’après Muhammad b.
Yazîd, selon ‛ mir b. al-Furât, selon al- as‛ûdî, d’après Muhammad b. ‛Abd ar-
Ra mân, d’après ‛ s al a, d’après Abû Hurayra, l’Envoyé de Dieu psl a dit :

« Celui qui pleure par crainte révérencielle n’entrera ja ais en Enfer tant que
le lait ne pourra retourner à la mamelle. De même, la poussière (soulevée par une
activité) sur la voie de Dieu et la fumée de la Géhenne ne peuvent jamais être
reniflées de suite par le nez d’un ê e serviteur. »

a‛îm Ahmad b. Muhammad b. Ibrâhîm al-Mahrajânî nous a informé


que, d’après Abû Muhammad Abd-Allah uhammad al- usayn b. ash-
Sharafî, d’après ‛Abd-Allah b. Hâshim, selon ah a‛îd al-Qattân, d’après
hu‛ba, selon Qutâda, d’après Anas, l’Envoyé de Dieu psl a dit :
« Si vous saviez ce que je sais vous ririez peu et pleureriez beaucoup. »

Je dis que la crainte est liée au futur par sa signification ; en effet, elle se
traduit par la crainte de voir venir un fait non souhaité ou de perdre une chose à
laquelle on s’attache. Et la réalisation ou la perte de cette chose se projette forcé ent
dans le futur. Quant à ce qui dans le présent se réalise, la crainte n’en est pas liée.
La crainte en Dieu le Très-haut se traduit par la peur de Son châtiment dans
ce onde ou dans l’autre.

D’autre part, Dieu l’Exalté a fait de cette crainte une obligation pour les
serviteurs. Sur ce, Il dit :
« …Et craignez-Moi si vous êtes vraiment croyants. »
Il dit encore : « Ne redoutez que Moi… »

Il a aussi loué les croyants pour leur crainte ; aussi dit-Il :


« Ils craignent leur Seigneur au dessus d’eux… »
125

J’ai entendu le maître Abû ‛Alî ad-Daqqâq dire que la crainte est de
plusieurs étapes :
 « La crainte par attrition (al- uz ) ;
 La crainte par piété (al-hashya) ;
 Et la crainte par connaissance (al-hayba).

La première est une condition pour la foi ; ce qui la justifie est le fait que Dieu le
Très-haut ait dit :
« Craignez-moi si vraiment vous croyez. »

La seconde (al-hashya) est conditionnée par le savoir (al-‛ilm . C’est ainsi


que le Très-haut dit : « Les seuls à redouter Dieu, parmi Ses serviteurs, sont les
savants. »1

Quant à la troisième (al-hayba), elle fait partie des conditions de la


connaissance [de Dieu] (al-ma‛rifa) par les propos du Très-haut : « Dieu vous
demande de prendre garde de Lui »

J’ai entendu le a tre Abû ‛ d ar-Ra mân as-Sulamî dire que, d’après
u ammad b. ‛Alî al-Hayrî, selon Mahfûz, selon a :
« La crainte est un fouet de Dieu par lequel Il conduit les égarés jusqu’à Sa porte. »

ul- sim al- akîm soutient que la crainte est de deux sortes : la peur ou
terreur (rahba) et la crainte révérencielle (al-hashya). Ainsi, celui qui est saisi par la
terreur se réfugie dans la fuite, tandis que celui qui est pris de crainte se réfugie
auprès du Seigneur. […]

J’ai entendu de uhammad al- usayn que, selon ‛Abd-Allah b.


Muhammad ar-Râzî, selon Abû ‛Utm a disait que la crainte est la lampe
du cœur, c’est par elle qu’il perçoit ce qu’il y a de bon et de auvais en toute chose.

1
Le Coran, op. cit., Sourate Fâ ir (35), v. 28.
126

J’ai entendu le a tre Abû ‛Alî ad-Daqqâq dire que la crainte c’est de ne pas
s’e barrasser de « il se peut que… », « Il pourra… »

J’ai entendu de uhammad al- usayn que, selon Abul-Qâsim ad-


Dimishqî, Abû ‛Umar ad-Dimishqî disait :
« Celui qui est saisi de crainte (al-h if) a plus peur de lui-même que de Satan. »

Ibn al-Jallâd dit que celui qui est saisi de crainte c’est celui qui est rassuré
par tout ce qui fait peur.

D’aucuns disent que celui qui craint n’est point celui qui pleure et essuie ses
lar es ais plutôt celui qui abandonne ce pour lequel il craint d’être puni.

On a demandé à a l : « Pourquoi ne pouvons nous pas voir celui qui est saisi
de crainte révérencielle tels qu’ils sont décrits ? Il répondit :
« Si vous craigniez vous auriez pu voir ceux qui craignent, car celui qui craint ne voit
que ceux qui sont saisis de crainte ; c’est seule une femme privée de son enfant qui est
à même de voir (comprendre) celle qui est dans la même situation. »

a u‛âdh Miskîn disait :


« Si le fils d’Ada l’ho e avait peur de l’Enfer co e il redoute la pauvreté, il
entrerait au Paradis. »

Shah al-Karmânî disait :


« L’indicateur de la crainte est l’attrition (al-h uzn) continue. »

ul- sim al- akîm dit que quiconque a peur d’une chose la fuit et celui
qui craint Dieu le Tout-puissant s’enfuit vers Lui.

On a demandé à hu - al- i rî, que Dieu lui accorde Sa miséricorde :


quand est-ce que la voie qui mène vers la crainte est la plus abordable pour le
127

serviteur ? Il répondit : s’il se et dans la peau d’un alade, il évitera ainsi toute
chose par peur de faire durer sa maladie.

u‛âdh b. Jabal disait :


« Le croyant c’est celui dont le cœur n’est ja ais rassuré que lorsqu’il aura laissé
derrière lui la Géhenne. » […]

Texte n° 2

On raconte1 qu’un jour, Ja‛ ar a - âdiq, étant assis avec ses compagnons
fidèles, leur dit :
« Venez, mes amis, faisons entre nous tous cette convention que, quels que soient
ceux d’entre nous qui seront glorifiés au jour de la Résurrection, nous intercéderons
les uns pour les autres et adresserons nos supplications au Seigneur très Haut. » Ses
fidèles lui répondirent : « Fils du Prophète, toi qui a un père co e le tien qu’as-tu
besoin de notre intercession ? C’est à ton père qu’il appartiendra d’intercéder pour
tous.
- Moi, dit Ja‛ ar a - âdiq rougissant, avec toutes ces auvaises actions que j’ai
co ises, je n’oserai ê e pas au jour de la Résurrection, regarder le visage de
Muhammad, mon père, et de ima ma mère. »

On raconte que Ja‛ ar a - âdiq se confina pendant quelque temps dans une
retraite d’où il ne sortait pas. Un jour, un docteur no é Sufyân at-Tawrî, vint le
trouver et lui dit : « - Ô fils du Prophète ! Le peuple désespère d’entendre encore ta
parole bénie. Pourquoi ne sors-tu pas de cette retraite ?
- Parce que, répondit Ja‛ ar a - âdiq, les te ps sont devenus durs, que les œurs du
peuple se sont altérées et qu’il ne reste plus ni sincérité, ni pureté au ilieu des
hommes. » […]

1
Attar F. D., Mémorial des saints, op. cit., pp : 23, 24.
128

On raconte que, quelques dissidents dirent à Ja‛ ar a - âdiq: « Tu possède


toute espèce de qualités éminentes ; tu as la science, la piété ; tu es de plus le fils de
Muha ad, ais tu es orgueilleux, au cœur superbe. » Ja‛ ar a - âdiq répondit :
« Je ne suis pas un orgueilleux, et c’est parce que j’ai chassé l’orgueil de on cœur
que le Seigneur très Haut ’a accordé un degré si élevé qu’Il e fait para tre avec
majesté aux yeux du peuple. » […]

5. 3.3. Analyse :

L’auteur du premier passage conserve son style1 en analysant la « crainte


révérencielle ». Al-Qushayrî a dégagé les deux dimensions de la crainte :

 Celle liée au châtiment et qui pousse le croyant à s’éloigner de toute forme de


péché en espérant le pardon de Dieu2 ;
 Celle liée à Son désagrément, ce qui pousse le dévot à accentuer sa piété en
espoir de Son agrément.

Il a, après son explication, rapporté beaucoup de propos illustrant, des anciens


soufis. On note que les différentes définitions reprennent, à des degrés divers son
analyse du concept. Elles se retrouvent toutes dans celle proposée par Abû ‛Alî ad-
Daqqâq qui dégage trois dimensions pour la crainte :

 « La crainte par attrition (al- uz ) ;


 La crainte par piété (al-hashya) ;
 Et la crainte par connaissance (de Dieu) (al-hayba).

La dernière dimension de la crainte qu’il a proposée semble pouvoir se contenir


dans celle de la piété car la connaissance, n’étant pas une attitude affective assez
simple comme l’attrition ou la piété, ne peut pas être l’expression de la crainte d’une

1
Pour le style de cet auteur, voir infra, pp : 54 et 77.
2
Cette notion est longuement développée au premier chapitre de cette recherche.
129

dimension donnée, car elle est plus englobante. Par ailleurs cette crainte profonde
désignée par hashya naît impérativement de la connaissance.

Le texte suivant raconte de l’un des premiers soufis l’Imam Ja‛far trois attitudes
qui marquent sa crainte révérencielle. Plus précisément, ce texte illustre la première
dimension où le soufi se préoccupe beaucoup du châtiment du jour du Jugement.
C’est ainsi qu’il organise un pacte d’intercession entre lui et ses compagnons au
dernier Jour. Puis il observe une retraite par peur de tomber dans les tentations de
déviation de son époque.

Quant au troisième fait raconté, il semble faire partie des nombreux passages
élogieux quels que peu fondés où l’auteur, ou l’un des éléments de sa chaîne de
transmission (orale), semble attribuer des propos à un soufi sur l’appréciation de son
propre niveau spirituel. En effet, on ne peut pas comprendre qu’un personnage aussi
modeste que l’Imam Ja‛far, avec la crainte qu’il a exprimée plus haut dans le même
texte, puisse prétendre avoir complètement chassé l’orgueil de son cœur et être élevé
par Dieu à un niveau si éminent.
130

Chapitre VI : L’évocation de Dieu adh-dhikr)

Dans un sens le mot adh-dhikr signifie « rappel », il peut alors renvoyer à


l’action de souvent rappeler, évoqué dans le Coran comme un devoir prophétique ; ou
celle de se rappeler de Dieu ou de l’invoquer, mentionné dans le Livre comme un
devoir ou acte de dévotion. Il peut aussi renvoyer au « rappel » en tant que tel, ce que
du reste représente le Coran pour la communauté des croyants.

En effet, le rappel prend sa plus haute dimension, lorsqu’il s’agit pour


l’homme de se souvenir de son pacte (al-mîtâq) et ainsi d’assumer ses responsabilités
devant Dieu.

Aussi, même si quelque part ailleurs le dhikr renvoie à une mention furtive, un
bref rappel par la bouche ou dans la conscience, le Coran insiste, par d’innombrables
passages, sur un souvenir permanent de Dieu. Son évocation constante doit non
seulement être un rempart contre le grand oubli, mais surtout un moyen dynamique de
purifier le cœur et d’occuper l’â e.
« Evoquez beaucoup Allah afin que vous réussissiez. »1

Le déterminant « beaucoup » renvoie à une quantité, donc à la fréquence de


l’évocation. Cela rejoint la sobre définition du dhikr donnée par Ghannî : « le dhikr
est la répétition incessante du nom de Dieu par la langue en y méditant. »2
Mais il renvoie aussi à la constance, ce qui pousse les premiers soufis à en faire une
pratique permanente3. D’ailleurs, beaucoup de propos du Prophète (psl), de source
sûre, attestent l’authenticité de cette pratique.

1
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Jum‛a (62), v. 10. Ici le traducteur a préférer le verbe invoquer qui,
pour ce qui nous concerne, est trop restrictif et exclue l’aspect « répétition incessante » ou souvenir,
désormais nous prendrons l’initiative à chaque fois de traduire dhikr selon le sens qui nous paraît plus
adéquat.
2
Ghannî Q., op. cit, p:515.
3
Ndiaye S., op.cit., p:9.
131

Abû Hurayra1 raconte qu’un jour, le Prophète, entouré de ses compagnons en


route pour la Mecque, s’est exclamé en disant : « En vérité, les Mufarridûn ont pris
les devants ! » On lui demanda : « qui sont-ils les Mufarridûn ?» Il répondit : « ceux
et celles qui évoquent beaucoup Dieu »2.

Le terme Mufarridûn est probablement lié à celui de u a idûn qui désigne ceux
qui pratiquent le a îd.

Pour avoir son effet véritable de souvenir de Dieu, cette évocation ne peut
s’effectuer sans une condition préalable de volonté de retour à Dieu (at-tawba) ; celle-
ci se réalise par une recherche de pureté de l’â e (par le détachement) et du corps (par
la ahâra).

Certes, le Coran recommande au même titre la méditation (at-tafakkur) et


l’évocation. Seulement, tandis que la première ne devant pas s’exercer sur Lui se
projette sur Ses Manifestations et Ses signes (al-âyât), avec comme moyen l’intellect
(al-‛aql), la deuxième, elle, de loin la plus prisée par les soufis, s’emploie par
l’attention soutenue (al-himma) et s’exerce sur Lui3.

Le dhikr peut être traité sous plusieurs angles, suivant les niveaux et les
modalités qu’on lui donne. L’étude très poussée de Ghazali sur la question donne
quatre niveaux de l’évocation de Dieu.
 L’évocation par la langue sans aucune présence d’esprit : le cœur est alors
absent de la pratique ;
 L’évocation qui agit sur le cœur par des efforts de concentration ;
 Une évocation permanente dans le cœur ;
 L’Evoqué s’empare du cœur de l’évocateur, il n’a plus conscience de
l’évocation4.

1
Abû Hurayra ‛ d ar-Ra mân ad-Dûsî (58/679), compagnon du prophète, il était son serviteur et
pour cette raison sans doute a rapporté de lui près de 5374 hadît. Il fit partie des »gens de la hutte ».
2
Muslim, op.cit., H :2676.
3
Qushayrî, op.cit., p :174.
4
Ghazali, Kimiyâ sa âdat, in Ghannî Q., op. cit, p: 517.
132

Dans un même sens, l’analyse qui suit permet de voir les modalités et voies
d’évocations authentifiées au temps des premiers compagnons du Prophète (psl), afin
d’en tirer les rapports avec leur dévotion.

6. 1. La répétition incessante :

Dans certains de ses passages, le Coran est plus précis quant à l’objet de
l’évocation :
« Et évoque le nom de ton Seigneur et consacre-toi totalement à Lui. »1
« Et évoque le nom de ton Seigneur, matin et après-midi. »2
« Ceux qui ont cru, et dont les cœurs se tranquillisent à l’évocation d’Allah, n’est-ce
point par l’évocation d’Allah que se tranquillisent les cœurs ? »3

On peut bien considérer le dhikr comme faisant partie des actes de dévotion du
croyant grâce au propos rapporté du Prophète (psl) par Abû Dardâ 4, à travers lequel
il classait l’évocation de Dieu loin devant tous les autres, y compris la largesse dans
ses biens et le fait d’affronter l’ennemi au nom de Dieu. Le dhikr, selon lui, élève le
croyant aux plus hauts niveaux et fait partie de ses plus pures actions auprès de Dieu5.

La répétition plusieurs fois du nom de Dieu ou de formules d’invocation a une


valeur incontestablement reconnue chez les premiers musulmans. Par exemple, après
chaque prière des cinq canoniques, le Prophète (psl), a recommandé la répétions en un
nombre déterminé de trois formules d’évocation de Dieu6.

L’évocateur considère profondément ces noms de Dieu à répéter, en allant


même au-delà du sens littéral.

1
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Muzammil (73), v. 8.
2
Ibidem, Sourate Al-Insân (76), v. 25.
3
Ibidem, Sourate Ar- a’d (13), v. 28.
4
Abû Dardâ‘ ‛ a mir ‛ mir, compagnons du prophète, il fait partie des membres de la banquette
(as -s uffa), il est mort dans le shâm en l’an 32H/653.
5
Qushayrî, op.cit., p : 172.
6
Le tasbîh 33 fois, le h amdalah 33fois et le takbîr 33 fois.
133

Les termes su ânallah (gloire et pureté à Dieu), allâhu akbar (Seul Dieu est
grand), lui font voir l’insignifiance de toute chose, y compris lui-même, à côté de
Dieu. Il mesure alors la puissance de la volonté de celui qui est le Maître de la
créature.
Le terme al amdulilâh (grâce à Dieu) le fait revoir l’immensité des bienfaits,
devant l’impuissance d’une quelconque rétribution de sa part, même de la plus petite
reconnaissance digne de ce nom.

En définitive, un adît du Prophète (psl) rapporté par Abû Hurayra permet de


renforcer l’authenticité de l’importance de la répétition des noms de Dieu :
« Allah a quatre vingt dix neuf no s, celui qui prend soin d’eux entre au Paradis. »1

D’ailleurs, ce hadît pousse beaucoup de dévots à s’appliquer à la lecture du


Coran, du fait qu’il renferme en son sein tous les noms de Dieu, mais du fait qu’il
constitue le rappel par excellence et que sa lecture fait partie des voies du dhikr,
conformément aux recommandations de la Sunna.

Afin d’illustrer davantage les bienfaits, selon le Prophète (psl), liés à la


répétition incessante des noms de Dieu, le adît ci-après renseigne sur la valeur
ésotérique de cette application.
Selon Muslim2 :
D’après Abû Hurayra, le Messager de Dieu (psl) a dit :

« Quiconque prononce (cette formule) cent fois dans une journée : Lâ ilâha il-
lal-l h a dah l sharî a lah lahul-mul a lahul- amd wa huwa ‛alâ kulli
sha i adîr Il n’y a de Dieu qu’Allah Lui Seul sans associé, à Lui la Souveraineté
et la Gloire, Il est le Puissant qui est capable de toute chose , aura l’équivalent en
récompense de celui qui a affranchi dix esclaves, on notera pour son compte cent
récompenses asanât) et on effacera pour lui cent péchés (sa i ât) et cet acte sera
pour lui, ce jour-là, une protection contre Satan, jusqu’au soir.
1
Muslim, op.cit., H : 2677. On peut traduire autrement le verbe afiza, par exemple par mémoriser ;
mais l’application et la considération exercée sur ces noms sont sans doute l’objet du propos.
2
Muslim, op.cit., H : 2691.
134

Personne d’autre que lui n’aura fait eilleure chose, si ce n’est celui qui l’aura
répété plus de fois.
Quiconque dit dans une journée : su al-l h a i amdih (Exaltation et Louange
à Dieu), cent fois, ses péchés seront effacés, fûssent-ils aussi considérables que
l’écu e de la er. »

Il est aussi unanimement reconnu qu’au-delà des heures de prières, des


moments ou instances étaient consacrés au dhikr. Ainsi, l’évocation de Dieu, par la
répétition incessante de Ses noms fait partie intégrante de la Sunna et était pratiquée
individuellement ou collectivement.

Ce qui, par contre, serait difficile à confirmer est sans doute la formalisation
postérieure sur l’attitude physiologique (respiration) de l’évocateur notée chez certains
soufis des plus récentes générations assimilable à un emprunt de pratiques orientales
(yoga).

Par ailleurs, l’invocation du‛â ) est une autre voie d’évocation de Dieu très
utilisée par le Prophète et ses premiers compagnons. Ainsi, à travers ses traditions, il a
laissé de multiples formules d’invocation de Dieu, en toute circonstance, apprises et
répétée par les fidèles. Elles ont toutes comme finalité, à l’image des noms de Dieu,
Son adoration et l’invocation de Sa miséricorde.

La lecture de recueil d’invocation des premiers soufis comme ceux de l Imam


‛Alî et de son petit fils, ‛Alî Zayn al-‛Âbidîn1, fait ressentir la profondeur de la
soumission du dévot, la reconnaissance de ses faiblesses à côté de Sa miséricorde.

« Ô mon Dieu et Seigneur, me verras- u puni dans ton feu, après que j’aurais cru
sincèrement en Ton unité ? près ce u aura co e u mo cœur de a
connaissance ? Prononcé ma langue de Ton nom ?... »2

1
Pour celui-ci on a pu avoir son fameux recueil : as-sahîfa as-sajjâdiyya, cf. bibliographie
2
‛Alî b. Abî âlib, Du‛â’ Kumayl, op.cit., pp:7,8.
135

Il est intéressant de noter ici que l Imam ‛Alî accorde cette même importance à
la répétition incessante du nom de Dieu, qu’il situe presque au même niveau que cette
fameuse connaissance de Dieu (al-ma‛rifa).

6. 2. L’évocation de l’intérieur ou la présence d’esprit :

L’expérience a montré chez les soufis qu’à force de pratiquer le dhikr par la
langue et à force de s’appliquer et de l’accompagner d’une concentration intérieure, le
sens profond de la formule ou du nom se fixe dans le cœur et envahit la conscience.
C’est cela qu’ils appellent l’évocation de l’intérieur qui est d’un niveau supérieur. En
effet, ici, l’évocateur, selon leurs témoignages, va jusqu’à sentir tout son corps
évoquer le nom de Dieu, suite à une grande sensation d’envahissement du sens
profond de la formule.

« En ce qui concerne l’évocation intérieure disait Junayd, il s’agit des


senti ents vrais du cœur et de ce qui reste caché au fond de la conscience, et qui ne
s’expri e pas par les ouve ents de la langue et des e bres. »1

On peut donc parler ici d’une présence d’esprit en Dieu, continue ou prolongée
même après l’arrêt de l’activité de la langue. Ainsi, à force d’évoquer le Tout puissant,
Celui-ci se rapproche de lui et, à terme, S’empare de son être et envahit son âme.
Alors, comme disait Ghazali, il n’a même plus conscience de son activité d’évocation.

C’est sans doute ce qui se dégage des propos de Dieu à travers un adît qudsî,
lorsqu’il dit : « Je suis avec Mon serviteur s’il M’évoque… »2

Arrivé à un tel stade, le dévot se retire de l’emprise de son âme charnelle qui le
fait toujours sombrer dans la négligence (al-ghafla), pour être dominé par la crainte
révérencielle qui le pousse à rechercher l’agrément de Dieu.

1
Junayd A. Q., op.cit., p:82.
2
Muslim, op.cit., H : 2675.
136

D’ailleurs, à propos de ce niveau de dhikr, al- si î1 disait ceci :


« C’est quitter le do aine de la négligence pour s’envoler dans les airs du
témoignage (al-mushâhada), sous la domination de la crainte révérencielle et de
l’ardent a our de Dieu . »2

6. 3. L’audition spirituelle (as-samâ‛) :

Le Soufi ne perd jamais de vue l’importance accrue de l’influence exercée par


la perception du monde extérieur sur la vie intérieure de la personne : autrement dit,
les organes de sens constituent, pour la plupart, des voies d’accès au cœur pour ne pas
dire à l’âme. Parmi eux on distingue notamment l’ouïe3.

En effet, celle-ci est d’autant plus préoccupante que parmi tous les sens, elle
est le plus à même d’échapper assez facilement au contrôle exercé par l’ascète(az-
zâhid) sur lui-même, à travers le wara‛. Celui-ci recourt souvent à l’isolement (al-
‛uzla), pour ne pas pouvoir se boucher les oreilles à tout moment.

Par ailleurs, de toutes les voies du cœur, elle est aussi la première à être ciblée
par le message coranique. C’est par elle que s’éveille l’attention à laquelle fait
allusion ce verset :

« Et quand on récite le Coran, prêtez lui l’oreille attentive ent et observez le silence,
afin que vous obteniez la iséricorde d’Allah. »4

En effet, par l’audition, la parole fait le même effet dans le cœur que celui
obtenu par le récitant, sinon même un impact plus considérable du fait que son
attention peut être mieux focalisée sur le sens et la forme, loin de toutes considérations

1
Il s’agit d’ a r uhammad s al- si î (320H/932), un grand soufi, originaire du
Khourassan, il faisait partie des compagnons de Junayd. Cf. Qushayrî, op.cit., p : 41.
2
Qushayrî, op.cit., p : 173.
3
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p: 638.
4
Le Coran, op. cit, Sourate Al-A‛râf (7), v. 204
137

méta langagières ou d’une quelconque tension introspective qui pourrait s’exercer sur
le lecteur.

De ce point de vue, l’audition spirituelle (as-samâ‛) rejoint dans sa définition


fonctionnelle l’évocation de Dieu (adh-dhikr).

L’histoire nous apprend que pour la plupart, les premiers croyants s’étaient
convertis à l’Islam sous l’effet de l’audition de versets coraniques. La conversion de
‛Umar b. al-Ha âb1 est à ce sujet très significatif.

Certains mécréants de l’époque comme ‛ a Ra î‛a ou Abû Jahl2, avouait


ouvertement l’effet fascinant qui se dégageait de ces versets qui, pour eux, étaient une
œuvre surhumaine3.

Cette force captivante de l’audition spirituelle sur le cœur s’explique aussi par
le fait que celle-ci recrée le premier schéma : locuteur – récepteur. L’auditeur se
trouve ainsi avoir l’impression d’être interpellé par Dieu Lui-même. Cela devait être
le cas de ‛Umar b. al-Ha âb qui, en entendant réciter le verset suivant : « Le
châtiment de ton Seigneur aura lieu inévitablement »4, fut foudroyé de stupeur, hurla,
perdit connaissance et resta alité malade pendant plus d’un mois5.

Le prophète lui-même demandait à certains compagnons qui avaient une belle


voix comme Abû Mûsâ al-ash‛arî et notamment ‛ dallah as‛ûd6 de réciter en

1
a ‛Umar b. al- Ha âb, s’est converti sous l’effet de l’audition des premiers versets de la
sourate aha, compagnon, gendre et 2e calife du Prophète, il est connu pour sa rigueur et sa droiture. Il
mourut assassiné en 23H/645. Cf. Hujwîrî, op.cit.p :270.
2
Ce sont deux mécréants de la Mecque réputés pour leur hostilité à l’encontre du Prophète (psl). Le
second est son proche parent, son oncle.
3
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p:640.
4
Le Coran, op. cit, Sourate A - ûr (52), v. 7.
5
Hujwîrî, op. cit., Tome II, p: 641.
6
Ce sont deux compagnons du Prophète réputés pour leur belle voix, le premier est l’aïeul d ul-
asan al- sh‛arî, le théologien, il fut partisan de ‛Alî î âlib contre u‛âwiya lors de la bataille
de Siffîn. Le second fit partie des compagnons de la banquette (comme le premier) il combattit à Badr
et mourut à Médine en 32H/653. Cf. Hujwîrî, op.cit., p : 286.
138

sa présence des versets coraniques, car disait-il « j’ai e écouter réciter le Coran
d’un autre que oi… »1

A l’époque du Prophète (psl), le sam ‛ était bien une réalité et ne se limitait


pas aux versets coraniques. C’est ainsi qu’il faisait composer et réciter des poèmes à
. b. Tâbit2. Ses compagnons aussi en firent autant.

D’autre part, l’analyse du had t tiré du recueil de Muslim permet aussi de


penser que l’audition s’exerçait, à l’image du dhikr, sur des formules de prières ou
d’invocation de Dieu.

D’après le Prophète (psl), à propos du dhikr, Dieu dit ceci : « …Je suis avec
Mon serviteur quand il M’évoque. S’il M’évoque en lui- ê e, je l’évoque en Moi, s’il
M’évoque dans une assistance, Je l’évoque au sein d’un no bre d’individus eilleurs
que lui. S’il se rapproche de Moi d’un shibr e pan , je e rapproche de lui d’une
dhirâ‛ coudée … , s’il se dirige vers Moi, en archant, Je Me précipite à sa
rencontre. »3

Au-delà de l’assistance divine promise à tout évocateur et de la


proportionnalité de cette assistance par rapport à la volonté et à l’attention soutenue
(al-himma) de l’évocateur, le h adît renseigne sur des modalités de l’évocation.

Ainsi, le dhikr peut être individuel ou collectif, ou à la limite effectué dans une
assistance. Alors l’évocation peut revêtir une double signification :

 appeler Dieu au sein d’une assistance, sous un angle strictement


communicationnel ou instructif ;
 appeler Dieu au sein d’une assistance par l’audition spirituelle de Sa parole,
de Ses noms ou par des prières qui lui sont adressées.

1
ûsî, Kitâb al-luma’, op.cit., p:352.
2
ass . Tâbit, poète, compagnon et chantre du prophète, il mourut en 54H/674, cf. Zubayr et al,
op.cit.
3
Muslim, op.cit., H :2675.
139

Pour cette dernière signification le samâ‛ et le dhikr se retrouvent comme


deux composantes d’un même élément. Et une telle assistance a été magnifiée dans un
autre propos par le Prophète (psl) qui l’assimilait à une prairie du paradis :

« Si vous voyez des prairies du paradis allez-y brouter ! On lui demanda ce que
c’était ces prairies du paradis, il répondit les assistances de l’évocation. »1

Afin de renforcer l’idée de l’authenticité de cette pratique d’évocation au sein


d’une assistance au temps du Prophète (psl), il est important de lire l’intégralité d’un
long adît rapporté par Buhârî et Muslim, au début duquel il annonce que Dieu a créé
des anges chargés uniquement de la suivie de « ces assistances d’évocation »2.

« Muhammad b. Hâtim b. Maymûn nous a raconté, d’après a z, d’après


Wuhayb, d’après Suhayl, d’après son père :
Selon Abû Hurayra, le Prophète (psl) a dit :

Dieu, par Sa bonté, a des anges en mouvement qui ne font que suivre les
assistances de l’évocation majâlis adh-dhikr . S’ils en trouvent une ils s’asseyent
avec eux (les évocateurs). Ils déploient alors leurs ailes, les uns après les autres,
jusqu’à occuper l’espace entre eux et le ciel de ce onde. Dès qu’ils les évocateurs
se dispersent, ils (les anges) montent au ciel et Dieu le Tout-puissant leur demande,
bien qu’étant plus avisé qu’eux-mêmes :
- D’où venez-vous ?
Ils répondent :
- Nous venons de chez certains de Tes serviteurs sur terre ; ils magnifiaient Ta
gloire, Ta grandeur et Ton unicité et ils Te louaient et demandaient auprès de Toi.
Il dit :
- Et qu’est-ce qu’ils voulaient de ma part ?
- Ils demandaient Ton Paradis.
- Est-ce qu’ils l’ont vu ?

1
Qushayrî, op.cit., p :174.
2
Muslim, op.cit., H :2689; Buhârî, op.cit., H:6408.
140

- Non ! Ô Seigneur !
- Et qu’en aurait-il été s’ils l’avaient vu ?!
- Ils demandaient aussi protection.
- De quoi ils me demandaient protection ?
- De Ton Enfer.
- L’ont-ils vu ?
- Non ! Ô Seigneur !
- Et qu’en aurait-il été s’ils l’avaient vu ?!
- Et ils invoquaient Ton pardon.

Il leur dit alors :


- Je leur ai pardonné, leur ai donné ce qu’ils ’ont de andé et Je les ai
protégés de ce qu’ils craignaient.
Ils dirent aussitôt :
- Parmi eux il y avait un tel, un esclave pécheur, il ne faisait que passer puis
s’est assis avec eux.
Il dit :
- Je lui ai aussi pardonné, ce sont là les bons hommes (al-qawm), personne
parmi ceux qui partagent leur assistance ne peut être malheureux. »

Par ailleurs, tout porte à croire que les gens de la hutte ahl a - uffa)1 faisait
de cette activité une pratique courante au point que le Coran y fit allusion en
s’adressant au Prophète sur ces termes :

« Reste en la compagnie de ceux qui, matin et soir, évoquent leur Seigneur, en


désirant Sa face. Que tes yeux ne se détachent pas d’eux en convoitant le clinquant de
la vie de ce monde. »2

Selon beaucoup d’exégètes, le contexte déterminant de la révélation de ce


verset a été le fait qu’un dignitaire Qurayshite1 voulait voir le Prophète (psl) alors que

1
Ndiaye S., op.cit., p:10. Pour les compagnons de la banquette voir en annexe la liste des soufis.
2
Le Coran, op. cit, Sourate Al-kahf (18), v. 28.
141

celui-ci avait en sa présence l’un des soufis de la banquette, en l’occurrence Salmân


Al-fârisî2. Offusqué, le Qurayshite exigea qu’il se départ t de cette compagnie
insignifiante3

6. 4. Le dhikr et la dévotion :

On peut apprécier à sa juste valeur la part accordée au dhikr par le soufi dans
sa dévotion de tous les jours en s’arrêtant de nouveau sur la notion du péché. En effet
l’ensemble des comportements intérieurs et extérieurs du croyant visant à rendre grâce
à Dieu et à rechercher son agrément ne constitue qu’une traduction de sa
reconnaissance (ash-shukr) profonde à Son égard. Aussi serait-ce une ingratitude
grave (kufr) de sa part que d’ignorer Ses bienfaits. Or l’ignorance ou le mépris ont
pour expression ultime l’oubli (an-nisyân). Pour cela, on peut comprendre le soufi
qui, à travers les propos de Sahl4, jure « ignorer un péché plus grave que l’oubli du
Seigneur ».5

Cet oubli est bien la plus éloquente ingratitude du serviteur vis-à-vis de son
Bienfaiteur. Aussi, avoir à l’esprit la présence continue de Dieu peut-il, par opposition
résumer tout le sens de la dévotion du croyant. N’est-ce pas un aboutissement de la
pratique du dhikr qui élève le soufi vers un état d’esprit tel que la présence divine
domine son être en tout lieu et en toutes circonstances ?
C’est pourtant à cette phase ultime que se situe le dévot « doué d’intelligence »
ainsi qualifié par le Coran : «… Ceux qui, debout, assis, couchés sur leurs côtés
évoquent Allah »6.

La pratique du dhikr peut également tirer son éminence du fait que lorsque
Mu‛âdh b. Jabal voulut avoir du Prophète (psl) un dernier conseil, à propos du

1
Selon certains historiens c’était ‛ a a Hi n, selon d’autres Umayya b. Halaf
2
Abû ‛Abd Allah Salmân al-fârisî, il fit partie des compagnons de la banquette et rejoignit ‛Alî à Kufa
durant son califat. Cf : Hujwîrî, op.cit., p : 286.
3
Suyûtî J. D., Lubâb an-nuqûl fî asbâd an-nuzûl, vol II, p:4.
4
uhammad ahl ‛ dall h a -Tastarî (283H/896), cf: Qushayrî, op.cit., p:24.
5
Qushayrî, op.cit., p:176.
6
Le Coran, op. cit, sourate Âl ‛Imrân (3), v. 191.
142

meilleur acte d’adoration à perpétuer, il lui dit : « mourir avec une langue humectée
de l’évocation de Dieu. »1

D’ailleurs, quel peut être le principe fondamental de la prière (a - alât), l’un


des piliers (‛imâd) de la religion, si ce n’est d’avoir à la longue cette présence
continue de Dieu à l’esprit qui est naturellement incompatible à un quelconque
penchant pour le péché ?

« Accomplis la salât. En vérité, la salât préserve de la turpitude et du blâmable.


L’évocation d’Allah est certes ce qu’il y a de plus grand. »2

En définitive, on peut bien soutenir l’idée de Ghazali qui voudrait que le dhikr
soit le principe fondamental et l’aboutissement de la plupart des obligations de
dévotions3.

 Le jeûne par exemple aboutit à une inhibition de la passion et des plaisirs du


cœur qui, ainsi vidé, est apprêté à l’évocation de Dieu ;
 La alât, le pilier des obligations est en elle-même une pratique du dhikr ;
 Le but du pèlerinage est de se souvenir du Seigneur de la « maison ».

6. 5. A propos de la mention du nom de Dieu

6. 5.1. Présentation :

On a vu précédemment que la finalité du dhikr et le sommet de sa réalisation


élèvent le soufi vers un état d’esprit tel que la présence divine domine son être en tout
lieu et en toutes circonstances. Les propos de Sahl at-Tustarî rapporté par ‛ âr à
travers le premier passage ci-après se situent à ce niveau. Et sans doute, selon sa
propre expérience, la mention du nom de Dieu est la voie principale qui permet
d’accéder à ce sommet.
1
Sha‛râni ‛A. W., Al-Anwâr al qudsiyya, Maktaba al-‛ilmiyya, Le Caire, 1966, Tome I, p : 44.
2
Le Coran, op. cit, Sourate Al-‛An abût (29), v. 45.
3
Ghazali, imiyâ’ sa‛âdat, in Ghannî Q., op. cit, p:516.
143

L’autre chemin qui peut mener à cette présence d’esprit en Dieu et qui a été
précédemment traité comme l’une des modalités de l’évocation est l’audition
spirituelle (as-samâ‛). A travers elle, l’activité est cédée à l’ouie, mais on ne peut
écarter pour autant une présence implicite de la mention du nom de Dieu qui est sa
principale source d’alimentation.

Seulement, pour ce dernier cas, si les soufis ne sont pas unanimes sur la
légalité ou même la nécessité de cette pratique, leur point de divergence est à
rechercher soit au niveau du contenu soit au niveau de la mélodie ; mais ils
s’accordent à trouver les sources de l’audition en tant que telle dans la Sunna.

Au deuxième passage, Hujwîrî1 s’arrête sur ce point précis et essaye de donner


les différents points de vue. En effet, animé par un souci d’authenticité par rapport à la
Sunna, l’auteur ne manque pas de fonder son analyse sur des versets et des adîts,
tout en recourant à des analogies faites par rapport à l’attitude de certains compagnons
du Prophète.

6. 5.2. Textes traduits et annotés :

Texte n° 1

Il (Suhayl At-Tustarî) disait aussi2 : « les pratiques traditionnelles de


l’Envoyé, sur lui soit le salut ! sont comme le Paradis ; de même que celui qui entre
dans le Paradis est à l’abri des châti ents du Seigneur très Haut, de ê e quiconque
s’applique à ettre à exécution ces pratiques n’a pas à craindre ces châti ents. »
« Sache, disait-il encore, que la plus grande grâce que le Seigneur très Haut fasse à
quelqu’un de Ses serviteurs, c’est de le rendre appliqué à bénir Son saint nom.
Chaque jour, Il interpelle Ses serviteurs : Quoi ! Leur dit-Il, Moi, Je pense toujours à
1
Pour ce qui concerne cet auteur et ses écrits, il faut se reporter à la présentation faite au premier
chapitre de cette thèse.
2
Attar F. D., Mémorial des saints, op. cit., p :235.
144

vous, et vous, vous ne vous souvenez pas de Moi ! Je vous invite à Ma cour, et vous
allez vous présenter à d’autres cours ! J’éloigne de vous les cala ités, et vous vous y
jetez tête baissée en multipliant vos péchés ! Demain, au jour de la Résurrection, que
répondrez-vous pour vous justifier ? »

Texte n° 2

Chapi re des ugeme s sur l audi io spiri uelle1

Sache que l’audition as-samâ‛), selon sa nature, est différemment appréciée


co e d’ailleurs sont différents les ultiples désirs du cœur. Il est injuste de se
fonder exclusive ent sur un seul juge ent au détri ent d’autres.

Ceux qui écoutent l’audition sont de deux sortes : l’une d’elles s’intéresse au
sens et l’autre à la belle voix. Pour chacun de ces cas on peut trouver des avantages
et des inconvénients considérables. En effet, le fait d’écouter les voix élodieuses
stimule des données significatives (al-ma‛ânî) déjà structurées au sein des individus.
Si elles les données sont justes l’audition l’est aussi, si elles sont auvaises elle l’est
de ê e. C’est ainsi que tout ce qu’une personne dont la nature est dépravante
entend n’est que du auvais.

Tout ceci apparaît à travers les récits de Dâwûd (David) que le salut soit sur
lui. En effet, lorsqu’il fut investi par Dieu, Celui-ci lui donna une belle voix en en
faisant une musette. Les montagnes lui firent échos au point que les animaux et les
oiseaux lui venaient des montagnes et du désert afin de l’écouter ; l’eau s’arrêtait de
couler et l’oiseau to bait du ciel. Il est dit dans ces récits que ê e les gens, dans
cette contrée, n’ont rien angé pendant un ois et que les petits enfants se sont
abstenus de pleurer ou même de téter. Lorsque les gens sont retournés de cet endroit,

1
Hujwîrî, Kashf al-Mah jûb, Tome I et II, Dâr an-nah a al-‛arabiyya, Beyrouth, 1980, Pp: 650 – 652.
145

beaucoup d’entre eux ont perdu la vie à cause du plaisir qu’ils avaient à entendre ses
paroles et sa élodie. […]

Certains prétendent que l’audition nous fait to ber dans tout autre chose que
ce qu’elle est. Or ceci est inconcevable, car la sainteté (al-wilâya) s’acco plit par le
fait de voir la chose telle qu’elle est réelle ent et ainsi d’avoir une bonne vision (ar-
ru ya). Si on la voit autre ent la vision n’est pas correcte. N’as-tu pas vu que le
Prophète, sur lui soit le salut, disait :

« Ô mon Dieu ! Fais-nous voir les choses telles qu’elles sont… »

Si la vision est correcte, les choses qu’elle voit se présentent sous leurs vraies
apparences. De ê e, l’audition correcte est d’entendre toute chose comme elle est
dans son essentialité.

Pour ce qui est de l’appréciation de ceux qui sont séduits par les usettes ou
les sonorités) et qui tombent dans la passion et le loisir, la raison fondamentale est
qu’ils entendent tout sauf ce qui en est l’essentiel. S’ils avaient entendu en
s’accordant avec les nor es de l’audition, ils se seraient départis de toutes les
entraves : Ne vois-tu pas que les gens de la perdition ahl a - alâla), en entendant les
Propos de Dieu, se sont enfoncés davantage dans l’égare ent ; comme le disait an-
a ar al- ârit : « Ce sont là les fables des anciens ! », alors qu’au ê e o ent
‛ d- llah a‛d ar qui était scribe de la révélation al- a y s’écriait :
« Gloire à Allah le meilleur des créateurs ! »1 […]

1
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Mûminûn (23), v. 14.
146

6. 5.3. Analyse :

Ce court passage qui relate l’avis de Sahl à propos de la mention continue du


nom de Dieu par le croyant1 est tiré du Mémorial des Saints de F. Attâr. Le soufi
considère le fait, chez le dévot, de « s’appliquer à bénir son saint no » comme le
plus grand bienfait qui lui a été accordé par le Tout-puissant.

En analysant les propos, on comprend que l’évocation, de manière générale,


avait une place considérable dans l’ensemble des comportements qui animaient la vie
des soufis de son temps et que, plus particulièrement, la répétition incessante des
noms de Dieu était non seulement une pratique courante, mais elle était aussi fort
appréciée à l’époque.

Toutefois, le fait que Sahl, selon l’auteur, ait pu rapporté personnellement de


Dieu des propos2, atteste d’une pratique peu orthodoxe connue chez certains soufis de
l’époque et farouchement combattue par les juristes. En effet, c’est contredire la lettre
de la Sunna que de proposer à la communauté, à la suite du Prophète (psl), le dernier
des envoyés, des échanges de ce genre avec Dieu, à l’image des hadîts qudsî3.

D’ailleurs ces propos peuvent être attribués injustement à Sahl, si l’on


considère les sources de l’auteur qui manquent parfois de rigueur et le contexte
historique et géographique où il a évolué en écrivant son livre. En effet, l’accalmie
dans les relations entre soufis et juristes qui a suivi la réhabilitation du a awwuf par
Ghazali a fait place, dans le Hurâsân, à une atmosphère populaire friande en mythes
et miracles à propos de ces « saints ».

Hujwîrî, quant à lui, avec un style plus soigné, essaye d’analyser les avis de
ses prédécesseurs sur la question de l’audition spirituelle (as-samâ‛). Son étude devait
s’articuler, d’après l’annonce de son plan, autour des deux points que sont le contenu
et la mélodie de l’audition, mais il n’en a développé que le dernier.
1
Cf. texte n° 1
2
Voir la fin du texte n°1.
3
C’est des adîts du Prophète (psl) qui, dans un style direct, rapporte les propos du Tout-puissant.
147

Sa recherche d’objectivité et d’impartialité sur la question s’est heurtée à la


primauté qu’il a accordée à son avis personnel qui penche pour la légalité, dans
l’audition, du fait d’être intéressé par la mélodie. En effet, après avoir évoqué
brièvement l’inquiétude de l’autre avis de voir la mélodie « nous faire tomber dans
tout autre chose que ce qu’est » l’audition, il soutient que l’acceptation et la légalité
de toute mélodie dépend de celui qui écoute. Ainsi, la mélodie ne fait que remuer ce
qui est déjà en l’individu et que tout dépend de la perception qu’on en a.

S’il est vrai que la mélodie a un effet stimulateur et évocateur dans le cœur de
la personne, celui-ci devrait pour autant ètre apprécié en fonction de sa qualité et de
son genre quel que soit le niveau de perception de l’écouteur. De même, la qualité de
l’audition et sa légalité sont tributaires d’un contenu conforme à la finalité de la
pratique, notamment pour celui qui s’intéresse au sens.
148

Chapitre VII : Méthode et soumission dans la dévotion

Après cette analyse sur différents aspects de la dévotion, on peut saisir à quel
point il est difficile d’en concevoir une quelconque dissociation du a awwuf. On est
même tenté de soutenir que le a awwuf n’est rien d’autre qu’une dévotion sincère.
Dans ce sens, un soufi, faqîh (juriste) de surcroît, Mâlik b. Anas, soutenait ceci :
« Celui qui emprunte la voie du a awwuf sans connaissance et application du droit
islamique (tafaqquh) est un infidèle. »1

La dévotion est, peut-on dire, le socle du a awwuf, seulement, faudrait-il


qu’elle s’applique dans un cadre de pratiques et à travers des états d’esprit qui la situe
fondamentalement dans la vie intérieure de l’individu. Il faudrait donc avant tout
qu’elle concerne l’âme du croyant, car c’est justement à ce niveau que se déroule le
combat pour la sincérité.

Des chapitres précédents de cette partie on peut d’ores et déjà retenir que le
soufi cherche avant tout à être sincère dans la dévotion. Ces propos de l- a rî, au
besoin, en sont très illustratifs :

« Pour chaque prière que tu feras sans recueillement, le châtiment suivra de près. »2

Pour autant, peut-on dire que ce qui résulterait de cette attitude sincère (al-
i sân) comme caractères ou états spirituels serait tout simplement, comme le
soutiennent certains orientalistes, le fruit d’une correcte application d’un ensemble de
technique ou méthode ? On oublierait ainsi la fonction première de la dévotion qui est
avant tout l’expression de la soumission du croyant.

1
Juriste, fondateur de l’une des quatre écoles de droit sunnite, répute aussi pour son ascétisme. Mâlik
est né à l’an 95 H/714. Il s’instruit auprès des savants de Médine et se fixa à cette ville et, pour son
érudition, fut surnommé l’Imam de Médine. Il consacra quarante années de sa vie à rédiger son célèbre
ouvrage al-mu a a dans lequel il compila plus de cinq cents t du Prophètes, des propos de ses
compagnons et des sentences des suivants. Il mourut en 179 H/795. Pour la citation cf. Mahmûd A.
Q., al-falsafat a - ûfiyya fil-islâm, Dâr al-fikr, Le Caire, s.d., p:94.
2
Attar F. D., op. cit., p:56.
149

7. 1. La dévotion est-elle une méthode ?

7. 1.1. Pour accéder à la certitude :

A partir de la génération de Junayd jusqu’à celle plus récente de Ghazali, une


conceptualisation de plus en plus fine a été faite de cette fameuse quête de certitude
notée très tôt chez les premiers soufis de l’Islam1. Plusieurs notions renvoyant
pratiquement à la même chose ont été ainsi proposées : le a îd, la Ma‛rifa, le
Yaqîn.

Tous ces concepts renvoient aux mêmes caractéristiques, à un même état


d’esprit, celui par lequel le croyant éprouve une intime conviction dans le cœur, par
des manifestations différemment appréciées, de l’unicité de Dieu et de l’évidence de
Ses signes.

Très tôt, le soufi est tenté, ne serait-ce que pour avoir une stabilité psychique et
une fermeté dans la foi, d’accéder à ce niveau, suivant en cela les prescriptions de la
Sunna qui, déjà, donnaient une certaine orientation. D’après un adît qudsî rapporté
par Buhârî et Ahmad, Dieu annonce ceci :

« Mon esclave ne cesse de se rapprocher de Moi par les actes surérogatoires jusqu’à
ce que Je l’ai e et alors Je suis l’ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il
voit, la main par laquelle il saisit… »2

Ainsi, c’est bien par la dévotion sincère que le croyant se rapproche de son
Seigneur et grâce à Son amour ou Son agrément, il peut alors accéder à ce stade
d’illumination ou d’ouverture al- a ) ou de témoignage (al-mushâhada).

On peut penser là qu’il y a bien des moyens proposés au croyant que certains
soufis résument par le seul mot de a awwuf, pour accéder à cette certitude.

1
Ndiaye S., op.cit., pp: 10-29.
2
Qushayrî, op.cit., p:246.
150

Il est cependant important de noter dans le adît précédent que si la dévotion


sincère à travers « les actes surérogatoires » sont, sans aucune autre condition, à
l’origine d’un rapprochement vers Dieu, l’illumination par contre, ou l’état de
certitude est tributaire de Son amour ou de Son agrément. Cela suggère une
reconsidération des idées, à la limite caricaturistes, qui assimilent la dévotion à des
méthodes ou à des techniques.

C’est ainsi que, à propos de l’illumination par le dhikr, à cette époque des
premiers soufis, on est très loin de soutenir comme L. Gardet « qu’il s’agit bien pour
les auteurs usul ans, la foi étant supposée, d’un effet obligatoire ent produit, is à
la portée des forces hu aines par la technique, par l’art dont-il s’agit d’observer les
lois »1.

En effet, jusque là, quelle que soit son importance, la pratique du dhikr n’est ni
plus ni moins qu’un acte de dévotion dédié à Dieu en simple signe de reconnaissance,
et non une quelconque technique qui mène à un résultat certain.

Si, d’après la définition des sciences humaines, une méthode se traduit par un
savoir ou savoir faire objectivé à travers un ensemble de techniques et moyens
associés qui donnent nécessairement sur un résultat connu d’avance2, l’appréciation et
la sanction de tout acte de dévotion, y compris le dhikr, du point de vue du Soufi, ne
saurait échapper à l’Agrément ou à la Volonté du Tout puissant.

Chez les dévots de cette première génération, la répétition incessante en dhikr,


par exemple, n’est qu’un acte de dévotion à travers lequel il cherche l’agrément par
l’application de la tradition prophétique.

On peut cependant concéder que pour gagner la certitude, la dévotion sincère,


aux yeux de ces premiers croyants, reste un moyen fondamental : il permet de se

1
Anawati G. C. et Gardet L., op.cit., p :218.
2
Raynal F. & Rieunier A., Pédagogie : dictionnaire des concepts clés, ESF éditeur, Paris, p : 227.
151

mettre sur la bonne voie et d’attendre, par espoir, que le Tout puissant Se précipite à
sa rencontre.

7. 1.2. Pour lutter co re l me char elle :

La dévotion est par excellence la voie tracée par Dieu pour lutter contre l’â e
charnelle. Pour comprendre l’acharnement du a awwuf contre celle-ci (an-nafs al-
ammâra bis-s ), il faut repenser la menace qu’elle constitue et son rôle déterminant
dans la relation de l’individu et le péché ; et cela peut se résumer en cette
représentation que beaucoup de soufis ont de l’ange et de sa fidélité intrinsèque.

En effet, ils pensent que l’ange se nourrit de fidélité et de dévotion parce que
sa nature est spirituelle (rû î) et il n’a pas d’âme (nafs). Ainsi, l’obstacle devant la
dévotion ou la fidélité est « l’â e charnelle », d’où la nécessité de la combattre
jusqu’à son extinction1.

Junayd ne dit pas autre chose quand il affirme que chez les soufis,
l’aboutissement de leur adoration « est la victoire sur leur â e. L’Etre divin les
charge de tâches qu’acco plissent les plus hu bles et ils s’appliquent exclusive ent
à ce qui Lui est destiné, sans s’arrêter à la considération de leur propre personne. »2

L’ensemble des prescriptions de dévotion peut ainsi être considéré comme des
moyens qui fortifient mentalement et physiquement le croyant face aux assauts répétés
de Satan et des suggestions maléfiques de l’âme.

Seulement, on est encore loin de l’application d’une méthode, puisque, selon


l’intime conviction du soufi, l’issue heureuse de ce combat dépend, malgré tous ses
efforts, de la volonté de Dieu.

1
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:545. Ce point sera développé davantage dans la quatrième partie, pp :241-
256.
2
Junayd A. Q., op.cit., pp:137-138.
152

7. 2. Une expression de la Soumission (al-Islâm):

L’Islam comme son nom l’indique appelle à une soumission à Dieu à travers
l’acte de foi, l’application de Ses prescriptions et le témoignage de Son unicité. Il est
évident que l’expression visible de cette soumission ne peut être que les pratiques de
dévotion.

En effet, la mission assignée à l’homme sur terre et qui justifie sa création par
Dieu est d’être à Son service.

« Je n’ai créé les djinns et les ho es que pour qu’ils M’adorent. »1

Soucieux de cette mission et du Pacte (al-mîtâq)2 qu’il a passé devant Dieu, le


soufi, derrière sa dévotion sincère et soutenue, ne cherche point l’illumination comme
finalité, mais il pense accomplir un devoir et assumer ainsi sa responsabilité à vivre en
plénitude sa servitude (‛ubûdiyya).

Ainsi, la dévotion sincère est l’expression manifeste de sa ferme motivation à


magnifier la divinité (ulûhiyya) du Tout puissant en s’appliquant dans sa servitude
contenue au sein d’un faisceau de quatre principes :

 Respecter ses engagements ;


 Respecter les délimitations ;
 Agréer tout ce qui peut arriver (de Dieu) ;
 Être endurant face à toute perte.
On ne peut ainsi résumer autrement que ne l’a fait Ibn ‛ â al-Baghdâdî3 les
principes qui fondent la ‛ubûdiyya.4

1
Le Coran, op. cit, Sourate Adh-Dhâriyât (51), v. 56.
2
Dans la troisième parte un chapitre est consacré au Mîtâq.
3
Abul ‛Abbâs Ahmad b. Muhammad b. sahl b. ‛ â , il est de Baghdad, il fut mis à mort pour être
solidaire avec Hallâj en 309H/921. Cf. Attâr F., op.cit., p : 273.
4
Qushayrî, op.cit., p:155.
153

Cette mission très limitée dans le temps, se déclare comme une course contre
la montre. Avant la mort qui ne quitte jamais son esprit, le Soufi essaye de beaucoup
faire et de bien se comporter comme pour suivre la recommandation de ce verset
coranique :
« Fuyez donc vers Allah. Moi, je suis pour vous, de Sa part, un avertisseur
explicite. »1

En effet, cette mission ne doit s’arrêter qu’à la mort : « Et adore ton Seigneur
jusqu’à ce que te vienne la certitude la ort . »2

Cette autre certitude que cherche à obtenir le Soufi dans sa foi est, à plusieurs
titres, fort assimilable à celle-ci (la mort). En effet, les exégètes sont unanimes à
penser que l’homme, une fois qu’il quitte cette vie, a un témoignage certain de
l’unicité de Dieu et est alors d’un niveau de certitude absolu. Et ce qu’il aurait désiré
le plus serait de revenir sur terre afin de s’adonner ou d’accentuer sa dévotion.

De même, ce soufi qui a conquis cette certitude dans sa foi sous-estime sa


propre reconnaissance, accentue sa dévotion, et éprouve une sorte de gène à chaque
fois qu’il pense devoir rendre compte devant Dieu et son Prophète (psl). C’est ce
sentiment qu’éprouvait l’Imam Ja‛ ar a - âdiq3 lorsqu’il s’adressait à d a-
4
âï en ces termes :
« Ô Dâwûd ! Je crains qu’au jour de la résurrection, on aïeul Muhammad, ne me
reproche de n’avoir pas pratiqué les œuvres qu’il avait reco andées et ne e fasse
rougir. »5

Ainsi, au-delà de la soumission, l’accentuation de la dévotion sincère chez le


soufi est l’expression fondamentale de sa certitude.

1
Le Coran, op. cit, Sourate Adh-Dhâriyât (51), v. 50.
2
Ibidem, Sourate Al- ijr (15), v. 99.
3
Ja‛far b. Muhammad, sixième Imam chiite, réputé pour sa dévotion, mourut empoisonné à Médine
en 148H/765. Cf. Attâr F., op.cit., p : 21.
4
Dâwûd Nasr a - ây, soufi des premières heures, il mourut en 162H/779. Cf. Attâr F., op.cit., p : 214.
5
Attar F. D., op. cit., p:23.
154

7. 3. L’effort dans la servitude :

7. 3.1. Présentation :

Le texte ci-après est un parfait trait d’union entre les deux premières parties et
le reste de ce travail. En effet, à travers l’analyse de Junayd al-Baghdâdî, il
commence par résumer de façon descriptive l’évolution progressive du soufi dans les
deux cadres qui délimitent sa vie de servitude : le détachement et la dévotion1.

Puis, dans sa suite, il présente ce qui « peut être la réponse » à leur ferveur et
ce qu’ils « peuvent rencontrer à l’intérieur d’eux-mêmes ». C’est ce changement de
leur vie intérieure ainsi résumé que compte étudier la deuxième moitié de ce travail 2.

Au-delà de ce premier intérêt, le texte permet aussi d’illustrer la question


étudiée dans ce présent chapitre concernant la relation entre cette dévotion appliquée
et cet autre état d’esprit exceptionnel (la Certitude) : est-ce aussi simple de la
considérer comme une relation de cause à effet ? Devrait-on plutôt voir la dévotion
comme une expression obligatoire de la servitude et la Certitude comme récompense
non obligatoire de la part du Tout-puissant ? L’analyse de ce passage permet d’avoir
quelques éléments de réponse qui vont dans le même sens que ce qui précède.

Né à i awand, Abul-Qâsim al-Junayd b. Muhammad a grandi et évolué à


Baghdâd où il fut disciple de son oncle le soufi Sarî as-Saqatî. Il étudia parallèlement
le droit islamique (fiqh) et se révéla comme un brillant juriste. Il reçut également la
formation d’al-Mu âsibî dans le cadre du a awwuf et fut compagnon de Nûrî et de
Sumnûn3.

Il se particularisa par sa rigueur dans la dévotion et le respect de la Sunna, son


savoir immense et polyvalent, son éloquence et sa maîtrise des techniques de
l’argumentation et de la rhétorique.
1
C’est ce qui a été traité dans les deux premières parties de cette thèse.
2
Il s’agit des deux dernières parties de cette recherche.
3
Cf. la liste des soufis en annexe pour ces personnages évoqués.
155

Son enseignement, recueilli par ses disciples, puis diffusé par des auteurs
comme al-Makkî, al-Qushayrî et al-Hujwîrî, est incontestablement considéré par ses
paires comme le fruit d’une expérience personnelle. Certains n’hésitent pas à voir en
lui le dernier des grands pratiquants du a awwuf tel qu’il a été vécu par les
compagnons de la banquette (ahl a - uffa)1.

Il est par ailleurs l’auteur de la première doctrine élaborée du soufisme


orthodoxe qui est centrée sur les trois points suivants : le Pacte prétemporel (al-
Mîtâq), l’extinction de l’âme charnelle (al-Fanâ ) et la Pérennisation (al-Baqâ )2 . Ce
sont là les grands axes de sa fameuse théorie de la connaissance (al- a‛rifa).

Le texte étudié ci-après est extrait d’un recueil de ses œuvres établi et traduit
de l’arabe par oger Deladrière3.

7. 3.2. Texte :

Remède aux insuffisances (Dawâ at-tafrît)4

Que Dieu t’attribue la faveur de Lui obéir, qu’Il te rende apte à te confor er à
Sa Volonté, qu’Il te ette au no bre de ceux qui sont gratifiés de Son A itié, et qu’Il
t’élise pour Son Amour ! Puisse-t-Il hâter ta course et te guider vers Lui, t’instruis de
Son dessein, et te ettre en état d’agir pour Lui selon ce qu’Il attend de toi, en
t’accoutu ant à être attentif aux découvertes intuitives istinbât) que fait
l’intelligence à Son sujet ! Puisse-t-Il aussi te soustraire à l’influence des réalités
contingentes (awârid) qui coupent de Dieu, et à l’obstacle des liens te porels !
Puisse-t-Il également faire que tes paroles soient agréées de Lui et sans tache à Ses

1
Pour plus de renseignement sur sa biographie cf. la partie introductive de Junayd A. Q., op.cit.
2
Ces notions sont largement développées dans la troisième partie.
3
Roger Deladrière est un orientaliste qui a consacré l’essentiel de ses recherches au soufisme, il est
Professeur de Philosophoie et de civilisations musulmanes à la Faculté des Langues de Lyon III.
4
Junayd A. Q., Enseignement spirituel, trad de l’arabe par Deladrière ., Sindbad, Paris, 1983, pp :
89- 98.
156

Yeux ! Qu’Il t’épargne tout ce qui pourrait te distraire de Lui, qu’Il te rende apte à Le
servir, et qu’Il te soulage en t’en re ettant à Lui pour ce qui te concerne ! Qu’Il
écarte de toi tout obstacle insurmontable sur le chemin que tu suis pour aller à Lui, et
qu’Il te cuirasse contre toute angoisse, pour qu’Il t’aide dans ta recherche de ce qui
Lui donnera satisfaction, par un pouvoir victorieux é anant de Lui, car c’est Lui qui
dispense les grâces et qui soulage les angoisses !

Dieu a des serviteurs qui sont présents en ce bas monde avec leur corps, mais
qui l’ont quitté à cause des engage ents de leur foi. Du haut de la science de la
certitude (‛ilm al-yaqîn ils regardent le but de leur destinée, à quoi ils s’appliquent
avec constance et vers quoi ils retournent. Ils ont fui les sollicitations de leur âme, de
cette âme qui incite au mal (al-ammâra bis-sû ) qui pousse à ce qui serait la perte,
qui se fait l’auxiliaire de l’Enne i, qui prend la passion co e seul a tre, qui se
plonge dans le alheur, et s’agrippe fer e ent au al ou, selon une autre leçon du
texte, « ne s’intéresse qu’au al sous toutes ses for es »).

S’ils ont fui, c’est pour répondre à l’appel de la Révélation (tanzîl),


parfaitement claire et sans équivoque possible, après avoir entendu cette parole :
« vous qui avez la foi, acquiescez à Dieu et à l’Envoyé, quand Il vous appelle à ce qui
vous fera vivre ! ». Cet appel, soumis à l’exa en de leur discerne ent, a retenti
suavement dans leur entendement, et leur esprit, purifié des souillures cachées du
désir de rester dans ce onde d’illusions dâr al-ghurûr), les a conduit là où ils ont
humé une brise fraîche. Ils se sont alors hâtés de couper les liens susceptibles de
distraire leur cœur, qu’ils tiennent sous leur contrôle, en obligeant leur â e à
s’attacher aux œuvres pies, et buvant la potion a ère de l’endurance aux souffrances.

Ils se sont comportés envers Dieu avec sincérité, observant parfaitement les
règles qui convenaient aux sollicitations qu’ils Lui adressaient. Les alheurs sont
devenus peu de chose à leurs yeux, car ils savaient quel était le prix de ce qu’ils
poursuivaient. Ils ont obtenu que chacun de leurs instants et chacun de leurs gestes
fussent exe pts de défauts. Ils ont veillé à ce que leur cœur ne se laissât point
entra ner à aucune négligence, quel qu’en f t le degré, en le aintenant sous le
157

contrôle de la pensée de Celui à qui n’échappe aucun ato e sur terre ou sur mer qui
« embrasse toute chose en Sa Science » et en Sa Connaissance. Leur âme est devenue
docile après avoir été rétive, ne gardant que l’é ulation avec celles de son espèce,
c'est-à-dire avec des âmes dirigées par leur Maître, gardées par leur Créateur et
veillées par Celui qui assure leur sauvegarde.

Imagine donc, mon ami, si tu es clairvoyant, ce qui peut être la réponse à leurs
ferventes oraisons (munâjât), et ce que peuvent être les évène ents spirituels qu’ils
rencontrent à l’intérieur d’eux-mêmes (nawâzil hâjâtihim) tu verras alors des esprits
qui rendent visite à des corps, que la crainte a flétris, que la servitude a rendus
soumis, et qui sont revêtus de la tunique de la honte. Ramassés sur eux-mêmes sous
l’effet de la proxi ité divine (qurb), silencieux par dignité, ne parlant que pour
évoquer le souvenir de Dieu, brisés par les veilles, et paralysés par la circonspection.
Leur seule société est la retraite, leur seule conversation est la méditation, et leur seul
signe de ralliement est l’invocation de Dieu dhikr). Ce qui occupe leur vie de
dévotion (shughl) est en jonction constante avec Dieu, est séparé de ce qui n’est pas
Lui ; et ils sont peu soucieux d’aller au devant du visiteur ?) quand il arrive, et de
l’acco pagner quand il s’en va. Leur nourriture est celle du je ne et de la soif, leur
unique réconfort est la remise à Dieu (tawakkul), et leur trésor est la confiance en Lui
(tiqa). Leur seul appui est de compter sur Lui (i‛timâd), leur unique remède est la
patience ( abr), et leur co pagne inséparable dans la vie est l’acceptation du destin
ri â).

L’â e de tels êtres a été préposée à l’acco plisse ent des droits de Dieu,
pro ue à l’accès au secret précieux de la Science cachée (ou, selon une autre leçon
du texte, « elle a consenti aux œuvres précieuses du service de Dieu »), et
sauvegardée contre le fardeau des épreuves (des fins dernières) : « la Grande
Frayeur ne les affligera pas et les Anges les accueilleront (par ces mots) : « voici le
jour qui vous a été promis », et : « nous sommes vos protecteurs (ou « amis », selon
certains traducteurs) dans la vie de ce bas monde et dans la vie dernière. Là il y aura
pour vous ce que votre âme désire. Là il y aura pour vous ce que vous réclamez ;
comme don accordé par un (Seigneur) absoluteur et miséricordieux ».
158

Il ne faut pas que fasse défaut à l’ho e sage ‛âqil l’une des trois conditions
spirituelles suivantes : celle dans laquelle il sait quel est son état, s’il est ieux ou
moins bien ; celle dans laquelle il se consacre à corriger son âme, lui imposer
d’acco plir ses obligations, et la scruter pour la conna tre à fond ; et celle dans
laquelle il se recueille is i âr al-‛aql) pour voir le déroulement e ce que Dieu avait
prévu pur lui (tadbîr), et comment les dispositions divines (a kâm) agissent
diverse ent sur lui nuit et jour. Mais l’esprit, qui ne co prend pas d’e blée ce
dernier état, ne saurait être clarifié qu’après avoir ené à bien l’action corrective des
deux premières conditions spirituelles.

En ce qui concerne la condition dans laquelle il devrait savoir si son état est
ieux ou oins bien, elle i plique qu’il recherche un lieu de retraite, afin de ne pas
s’exposer à des distractions qui risqueraient de co pro ettre l’action corrective qu’il
souhaite. Il s’appliquera ensuite à être en confor ité avec l’exécution des obligations
qui lui sont i posées, car sans l’acco plisse ent parfait des devoirs d’obligation
stricte ( ar id) il ne saurait s’approcher de Dieu davantage. Puis il prendra
l’attitude du serviteur qui est debout devant son Seigneur, avec la volonté d’exécuter
Ses ordres. C’est alors que lui seront dévoilées les tendances cachées que l’â e
dissi ule, et qu’il saura s’il est bien au no bre de ceux qui exécutent leur devoir ou
non. Il persévérera dans cette attitude, jusqu’à ce qu’une preuve burhân) vienne
acco pagner la connaissance de ce qu’il a découvert. S’il constate alors en lui-même
une i perfection, il s’attachera à la réfor er avant de passer à autre chose. Tel est
dans ce cas le comportement des « hommes de la sincérité » (ahl a - idq) : « Dieu
assiste de son secours qui Il veut », et : « Dieu est, en vérité, fort et omnipotent ».

En ce qui concerne la condition dans laquelle l’on se consacre à corriger son


â e et à la scruter pour la conna tre à fond, elle i plique qu’on en ait pris la fer e
résolution et qu l’on veuille faire un exa en loyal mu a a) de son comportement
(mu‛âmala). En cette matière les âmes, en effet, se laissent souvent abuser par un
certain no bre de choses, et seul parvient à s’en aviser celui qui exa ine ce qui se
passe quand un élément passionnel (hawâ : intervention du « moi » dans l’opinion ou
le senti ent s’introduit dans l’a our, devenu habituel, du bien. Quand l’â e s’est
159

accoutumée à faire le bien, cela fait désormais partie de ses qualités morales
personnelles (ahlâq , et elle ai e à croire qu’elle a le rang dont elle a été jugée
digne, pensant que ce qui lui est échu pour avoir fait le bien elle l’a érité.

L’Enne i Satan la guette…, et il voit, par le pouvoir de ses prestiges, la


défaillance secrète dont elle est inconsciente. Il lui enlève alors furtivement, grâce à
la préso ption, ce qu’il ne parviendrait pas à lui dérober autre ent. Mais si l’homme
ressent la douleur du coup qu’il lui porte et reconna t que c’est lui qui enfonce sa
pique, il se hâtera de se mettre en sécurité auprès de Celui qui est le seul à pouvoir
assurer sa sauvegarde contre lui. Il s’exa inera à fond, pour savoir quel est l’état de
son â e qui a per is à son enne i de l’atteindre. Il la préservera alors en se ettant
à l’abri, en dressant une barrière défensive, avec la conscience aiguë de son
dénuement (iftiqâr), et en demandant protection (i‛ i âm . C’est ainsi qu’a agi
Joseph, fils de Jacob et descendant d’Abraham, tous des prophètes et des êtres
nobles ; il s’est écrié en effet : « Seigneur ! Si Tu ne détournes point de moi leurs
prestiges, je leur céderai et je serai du nombre des insensés ». Joseph avait compris
que les prestiges des ennemis, unis à la puissance de la passion, ne sauraient être
écartés par les seules forces de l’â e. « Son Seigneur l’exauça, et détourna de lui
leurs prestiges. Il est l’Audient, l’O niscient ».

Quant à la condition dans laquelle il se recueille pour voir le déroulement des


dispositions divines et la façon dont le destin gouverne ce que Dieu a prévu, c’est la
situation la plus é inente et l’état le plus élevé. Dieu a ordonné à toutes Ses créatures
de l’adorer avec persévérance et de le servir sans se lasser. Il a dit : « Je n’ai créé
les djinns et les ho es que pour qu’ils M’adorent ». Il leur a donc imposé de
l’adorer continuelle ent, et Il leur a garanti en échange pour la vie i édiate ce qui
est nécessaire pour subsister (kifâya), et pour la vie future la plus magnifique des
récompenses. Il a dit : « Vous qui croyez, inclinez-vous ! Prosternez-vous ! Adorez
votre Seigneur ! Et faites le bien ! Peut être serez-vous bienheureux ». Et tout ceci est
i posé à l’ense ble des créatures.
160

(L’ho e sage, de la troisiè e condition spirituelle se tient en arrêt pour


observer comment agissent les dispositions divines, lui à qui a été proposée la plus
haute des sciences et des connaissances. Ne sait-il point que Dieu a dit : « chaque
jour Il est affairé », c'est-à-dire qu’Il s’occupe des affaires des créatures. oi donc,
qui est en arrêt (wâqif), vois-tu bien que tu fais partie des créatures dont Il s’occupe
des affaires, et vois-tu si ton affaire (sha n) est agréée de Lui ? Personne ne pourra
recueillir son esprit, tant que ce bas onde, et ce qui s’y trouve, ne se sera pas écarté
de lui et ne sera pas sorti de son cœur.

Quand le onde sera devenu une chose du passé, qu’il aura disparu, ainsi que ses
habitants, et qu’il se sera écarté du cœur, celui-ci n’aura pour seul co erce que la
vision de la libre action de Dieu ( a arruf), de Ses différentes dispositions et de Sa
répartition de ce qu’Il a prédestiné. Le cœur d’un tel ho e ne tirera plus aucun
profit de ce qui se trouve dans le monde dont il est sorti, qu’il a abandonné et qu’il a
fui.
Considère le cas de ârita, quand il a dit : « J’ai détaché on â e de ce
monde », et ensuite : « et ce fut comme si je voyais se dresser le Trône de mon
Seigneur, et co e si j’apercevais les habitants du Paradis », etc. el est l’un des
états spirituels es soufis (qawm).

Aspire donc avec ardeur, on a i, à œuvrer pour sauver ton â e, à la


délivrer, et à la libérer du joug de la passion avilissante et du commerce complaisant
des gens du siècle ! Il est râre en effet que le fait pour une â e d’avoir go té, si peu
que ce f t, à l’oubli de Dieu dans la négligence, n’entra ne pas pour elle un certain
endurcissement, qui étourdit la raison, lui fait oublier la connaissance, et ouvre
discrètement la porte de l’i piété. Celui qui soulève le voile des i perfections, se
verra découvrir celui de la mauvaise conscience (intiwâ ), et il ne humera plus la
douce brise du plaisir de bien agir.

La réussite est pour des hommes de spiritualité sur qui leur Maître a porté Son
regard, qui leur a indiqué le chemin le plus court, les a instruits de la voie du salut, et
leur a ontré claire ent le sens caché de l’invitation à rivaliser d’e presse ent, en
161

leur faisan comprendre la signification de Son message : « luttez d’e pressement vers
un pardon de votre Seigneur et vers un Paradis, dont la largeur est celle des cieux et
de la terre, et qui a été préparé pour ceux qui craignent ». Chez ceux qui ont répondu
à cet appel et qui en ont co pris la portée, l’esprit a pris son essor, pressant les
e bres de bien s’appliquer à acco plir ce qui leur a été échu.
Maintenus constamment ans la pensée de Sa proximité, heureux de la joie qui
est apportée à leur cœur, isolés du onde dans leur retraite avec Lui, ce sont des
hommes qui ont l’intelligence de ne rien redouter d’autre que Lui sur le che in qui
mène à Lui, de ne chercher accès auprès de Lui que par Lui, et de ne rien Lui
de ander d’autre que de continuer à se réjouir de Le servir et de bénéficier du
bienfait de Son assistance pour être en conformité (avec Sa volonté). Ils ont
découragé les ennemis (a‛dâ ), la crainte a tué en eux la passion, et ils ont rempli de
joie leurs a is. Ils esti ent qu’il n’y a pas de gain plus précieux que celui qu’ils ont
obtenu, ils ne souhaiteraient pour rien au onde échanger les bienfaits qu’is ont
reçus, et ils ne désireraient faire place à rien d’autre. La science les a purifiés, la
pratique des devoirs les a disciplinés, et se consacrer à Dieu les a rendus forts et leur
a per is de se passer de tout ce qui n’est pas Lui. Ils sont en quête de Dieu et ils sont
Ses disciples, ils aiment Dieu et sont Ses bien-aimés. Ils sont éperdus tout à la fois du
désir de Le voir, de l’affliction d’en être séparés, et de la joie de s’entretenir avec Lui.
Dieu les a désirés, et ils L’ont désiré ; ils ont cherché Dieu, et ils l’ont trouvé.

Que celui qui veut le salut (najât , presse l’esprit de vie qui est en lui de
chercher à réaliser ce qu’Il souhaite, car Son vœu ce sont les saints, Son désir ce sont
les ho es sages, et ce qu’Il ai e ce sont les purs ! Sans Lui, ils ne parviendraient
pas jusqu’à Lui. Ceux à la pensée de qui Il est rappelé, Il les a conduits vers Lui, sans
être arbitraire dans ce qu’Il a exigé d’eux, sans leur faire supporter ce qui aurait été
au-dessus de leur forces, sans les abandonner à eux-mêmes, ni retenir contre eux les
insuffisances. Bien plus, Il leur a accordé la faveur d’accepter leurs excuses dans le
domaine des choses conditionnées (ou « de la relativité des choses » : ayyiz al-
quyûd), et Il les a absous de leurs défaillances dues à leur incapacité physique.
162

Il leur a appris par le (Coran) comment, par la faveur de Sa direction


bienveillante ( u ba) et par l’abondance de Ses bienfaits, Il a veillé à la sauvegarde
des communautés anciennes, en leur assurant un heureux passage de ce monde à
l’autre et en les sauvant du funeste châtiment. Il leur a indiqué la voie de la gratitude
(shukr), celle qui a Son agrément. Il les a préservés de la considération de ce qui est
douteux et a bigu et il a protégé leur cœur, leurs yeux et leurs oreilles du contact
avec les choses grossières. Ils ont été ainsi prémunis contre le commerce de ce genre
de réalités périssables ; les isères de ce bas onde n’ont plus co pté à leurs yeux,
et ils se sont accoutumés à aimer ce que leur Maître avait choisi pour eux.

Leur oblation (qurbân) est de proclamer Sa sainteté et Sa gloire, de le louer et


d’attester qu’il n’y a pas d’autre divinité que Lui. Leur réconfort et leur joie, ce sont
leurs oraisons quand ils le rencontreront, lors de leur retour à Lui (ma‛âd), ils ne se
détourneront pas !

Ce qui coupe de Dieu les créatures, c’est unique ent le fait qu’elles suivent
leurs passions, qu’elles obéissent aux enne is, qu’elles ont co erce avec la
splendeur (fugitive) de la vie immédiate, et qu'elles préfèrent ce qui est périssable à ce
qui demeure. Hâte-toi donc, on a i, vers le bien, en cette vie qui s’est écoulée et que
tu as dissipée par ton oubli, ta négligence, tes insuffisances et tes atermoiements, afin
de sauvegarder le te ps qu’Il t’a laissé, dans une salutaire inquiétude, dans la
crainte, l’effort et la vigilance, avant que ne vienne l’heure et que la ort n’arrive !
Dieu n’agrée en effet de ceux qui sont encore sur cette terre que les ê es œuvres
qu’Il a agréées des pieux anciens.

Efforce-toi donc de rompre le joug, en rejetant tout contact avec les liens qui
distraient de Dieu ! Car appartient à Dieu un Jour où tout ce qui a été caché
appara tra claire ent et où les œuvres seront ontrées, un Jour où ê e le artyr
(shahîd) et le juste ( iddîq seront incertains de leurs œuvres, et où chacun n’espérera
qu’en l’absolution et le pardon de son Seigneur, un Jour où les regrets seront
inno brables et où les reproches seront pleins d’a ertu es ! Mais, pour l’heure, les
excuses sont encore acceptées, le temps est maintenu dans son déploiement et les
163

actions peuvent continuer à se dérouler ; le repentir est encore agréé, le péché peut
être effacé par la contrition et le remords ; la parole du Coran peut encore être
entendue et le bien suivi, la Vérité s’expri e claire ent et le che in à suivre reste
évident. Attache-toi donc à tout cela !

« A Dieu seul appartient l’argu ent pére ptoire. S’Il avait voulu, Il vous
aurait dirigés tous ». La volonté divine de guider a suscité une preuve évidente
(bayyina) chez les hommes qui sont mis sur la bonne voie (ahl al-hudâ).

Parmi les signes qui caractérisent de tels hommes, il y a leur facilité à obéir,
leur désir d’être en confor ité avec Sa volonté, et la conscience qu’ils ont de leur
impuissance et de leur incapacité totale à accomplir par leurs seules forces ce qui est
exigé d’eux. Il y a aussi leur fraternité, leur affection sincère, leur a our, leur
co passion, le fait qu’ils préfèrent à leur propre personne ceux qui sont proches de
Dieu (ahl al-qurb), leur union entre eux au no de Dieu, et l’aide qu’ils apportent
aux amis de Dieu (ahl al-walâya). Il y a encore la défense qu’ils prennent des droits
sacrés de la Vérité, et leur consentement dans la patience à leur destin ordonné par
Dieu dans l’éternité. Il y a égale ent leur continence, le fait qu’ils s’ali entent
légère ent et qu’ils ne se nourrissent que par nécessité, qu’ils se contentent de peu et
qu’ils choisissent ce qui est le plus convenable. Il y a aussi le fait qu’ils veillent à
respecter ponctuelle ent les te ps prescrits pour la Prière, et qu’ils s’appliquent à
l’observance de ce que Dieu a ordonné et de ce qu’Il a interdit, et c’est la chose la
plus ardue et la plus difficile. Il y a enfin le fait qu’ils se penchent sur ceux qui vivent
dans la pauvreté et qui aspirent à Dieu, pour leur communiquer un peu de joie, en se
êlant à eux, en s’entretenant avec eux, et en rejetant toute attitude hautaine à leur
endroit. C’est en effet à leur sujet que Dieu a fait à Son Prophète cette
recommandation : « Que tes yeux ne se détournent point d’eux, par a our de la
parure e ce monde ! ».

Puisse Dieu nous mettre ensemble au nombre de ceux qui reconnaissent la


Vérité divine, qui la mettent en pratique, et qui en font leur unique préoccupation sans
se laisser distraire par rien d’autre ! Qu’Il nous préserve dans ce qu’Il a confié à nos
164

soins, et qu’Il nous apporte la perfection de Son assistance ! Veille à Lui rendre grâce
co e tu le dois, et à l’invoquer consta ent ! Il est Celui qui détient les bienfaits,
Celui qui a promis à Ses serviteurs les jardins du Paradis, et qui les a menacés des
feux de l’Enfer.

7. 3.3. Analyse :

Jusqu’à son époque, personne parmi les grands pratiquants du a awwuf n’a
écrit autant que lui sur la question et, surtout, n’a centré ses théories sur l’intérieur de
la personne. Junayd semble être le premier maître qui, par ses écrits, ait cherché à
élaborer un savoir cohérent et réuni qui, à la fois, soutient la pratique de ses
semblables et, la situe dans le cadre de la Sunna. Le traité ci-dessus, consacré à la
description du parcours de tout soufi dans ses relations avec Dieu, en est très
illustratif.

En effet, avec une description d’une rare cohérence et d’une organisation


méthodologique digne de sa formation, l’auteur présente l’évolution extérieure du
soufi vers « la proximité divine (qurb) » en mettant l’accent sur son changement de
comportement qui marque sa décision de retourner à Dieu. Aussi observe-t-il un
détachement de ce monde en « coupant les liens susceptibles de distraire son cœur,
qu’ils tient sous son contrôle, en obligeant son â e à s’attacher aux œuvres pies, et
buvant la potion a ère de l’endurance aux souffrances. »

En faisant de son intense servitude une expression de reconnaissance


obligatoire vis-à-vis de son Seigneur, le soufi finit par être récompensé par le fait de
voir son cœur purifié. Junayd s’attarde sur l’aspect de ce cœur purifié en insistant sur
le comportement de l’âme.

Dans ce texte l’auteur s’adresse à l’un de ses disciples qui, vu la hauteur de son
discours et les prières qui l’accompagnent, doit être un « initié » qui est entrain de
pratiquer la sincérité. Il est aussi, pour autant, plus déclaratif que démonstratif. Il
165

soutient ses propos par des versets et des adîts, mais il semble ne pas douter de la
bonne foi et de la compréhension de son interlocuteur pour être si catégorique.
Cette fermeté peut aussi être le fruit d’une expérience vécue transmise à l’aide
d’une réflexion d’un auteur confiant en lui-même.
166

Troisième partie:
DANS
LA CONNAISSANCE (al- a‛ri a)
167

Troisième partie : CONNAISSANCE (al-Ma‛ri a)1

Chapitre VIII : Le Pacte (al-mîtaq) et l’esprit ar-r ) : une relation spirituelle

Le détachement et la dévotion sont les deux cadres essentiels de l’évolution


dynamique du soufi qui, une fois de plus, ne cherche que l’agrément de son Seigneur.
Par cet agrément, lorsqu’il fera partie des aimés de Celui-ci, s’exprimeront en lui une
dévotion accentuée et une attirance effrénée vers Dieu, chose propre à un état d’esprit
complexe qui mérite d’être analysé.

En effet, loin de cette première ardeur où il était poussé par une ferme
croyance d’être sous Sa surveillance, appliquant en cela, par défaut, les prescriptions
du adît ci-après, il a évolué et est doublement stimulé pour être certain d’avoir
perçu Sa présence dans son cœur :

« Adore Dieu comme si tu le voyais, car si tu ne Le vois pas, Lui te voit. »

Cette perception al- a îra) du cœur en question émane d’un état d’esprit où le
soufi ne voit plus les choses, les êtres et leurs actes de la même manière que le
commun des mortels.

Jusqu’à l’avènement de Junayd, aucun parmi eux n’a tenté d’expliquer


comment ils vivaient ce niveau très élevé de la foi. Ils se contentaient d’exclamations,
d’expressions et d’indications très brèves mais assez éloquentes sur le fruit de leurs
propres expériences décrit à l’aide de mots très récurrents comme : l’amour (al-
ma abba), l’agrément (ar-ri â),le témoignage (al-mushâhada), l’unité de Dieu (a -
a îd) …etc.

1
Ce concept est traduit chez beaucoup d’orientalistes par le mot « gnose », nous avons préféré nous
rapprocher de l’étymologie arabe. Ainsi, décliné du verbe ‛arafa qui signifie « connaître », le mot
ma‛rifa se traduit sous cet angle par « connaissance ». Par contre, le mot « gnose » bien que reflétant
la connotation ésotérique qui n’est pas exclue du concept étudié ici, peut être chargé du poids d’un
autre mysticisme lié à des origines différents.
168

Cette avarice en propos n’est-elle pas aussi liée à leur fameux état
psychologique ? C’est ce que du reste veut soutenir Muhammad al-Wâsi î :
« Celui qui connaît Dieu voit ses propos diminués et sa perplexité accentuée. »1

Toujours est-il que Junayd a été le premier soufi à avoir tenté de théoriser un
cadre descriptif des caractéristiques de celui dont le cœur a été gratifié de la
« connaissance de Dieu » (ma‛ri a allâh), tout en respectant les limites de la Sunna.
Ce cadre est la Ma‛rifa. C’est ce que, plus tard, Ghazali reprendra avec sa thèse de la
Certitude.

Il est donc important d’évoquer ici le travail de Junayd dans le but de bien
saisir que ce qui caractérisait ses prédécesseurs arrivés à ce stade du a awwuf était
fort tributaire du niveau de leur conception du cœur et de ses corollaires : l’esprit (ar-
r ) et l’â e (an-nafs).

Par ailleurs, on ne saurait entrer dans cette pensée de la Connaissance qui est
sa conception fondamentale du a awwuf, sans au préalable passer par un point qui,
selon l’auteur, en demeure le socle essentiel : le Pacte primordial (al-Mîtâq).

En effet, si dans sa conception, le a awwuf peut être saisi comme une voie
sincère qui cherche l’agrément de Dieu, une voie qui n’est rien d’autre que la
« soumission » (al-Islam) des premiers croyants, au terme de laquelle la Connaissance
surgit comme une gratification qui ouvre sur une autre application de la voie plus
expressive et plus soutenue, dans un spirale infini entretenu par les états successifs de
son cœur, le Pacte lui, en est la véritable et lointaine justification.

Avant de revenir sur ce Pacte primordial dans ce chapitre, il est essentiel de


clarifier quelques concepts employés dans le cadre de la Connaissance.

1
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:517.
169

8. 1. Des concepts autour de la connaissance (al-Ma‛rifa) :

8. 1.1. a awwuf e a îd :

Le a awwuf, pour ramasser les multiples définitions1 rencontrées,


n’est que l’application de l’Islam dans la ferveur et la sincérité. Au-delà d’un mode de
vie, le a awwuf est la conduite de toute une vie.

Pendant les trois premiers siècles de l’Islam, il a essentiellement deux cadres 2


d’expression dynamique : le détachement et la dévotion entre lesquels prime
l’évolution affective du croyant face aux nombreux obstacles qui se dressent dans sa
vie intérieure et qui lui empêchent de reconnaître la Souveraineté de son Seigneur
Unique.

Quant au terme a îd (unicité de Dieu), il est employé par le théologien dans


le sens d’une application de son acte de foi prononcé à travers la formule monothéiste
consacrée : lâ ilâha illal-lâh (il n’y a de dieu que Dieu). La définition du soufi
englobe ce premier sens et va au-delà et le considère comme un état qui s’empare du
croyant et dans lequel il ne perçoit que la seule souveraineté de Dieu.

Et cela ne peut être atteint pour lui que par un combat intérieur contre
l’hypocrisie et une ardeur pour la dévotion sincère.

C’est cela qui justifie le fait que certains d’entre eux emploient indifféremment
les deux termes sans aucune distinction au niveau de leur sens. Ainsi, loin du
théologien qui spécule sur une théorie appelée a îd et du juriste qui n’est pas attiré
par le côté plus ou moins ésotérique du concept, le soufi prône sa pratique, et en cela
le a îd devient indissociable du a awwuf.

1
Une étude analytique sur la définition de ce concept a été déjà effectuée. Cf. Ndiaye S., op.cit.
2
Ces deux cadres correspondent aux deux premières parties de cette thèse.
170

8. 1.2. ‛Ilm a‛rifa et Yaqîn :

Le mot al-‛ilm désigne tantôt la science proprement parlée, tantôt le savoir tout
court ; mais pour être succinct, dans le domaine qui nous concerne, on s’accorde à
reconnaître comme savant ‛âlim) celui qui a acquis, par l’intelligence ou par la
mémoire, un savoir confirmé dans un domaine particulier. C’est ainsi que le
théologien, l’exégète, le juriste ou le compilateur de h adîts sont des savants
(‛ulamâ ) de l’Islam.

Ces derniers ne conçoivent d’ailleurs pas une bonne dévotion sans un


minimum de savoir dans ces domaines. Ils s’arrogent même le titre de « dépositaire»,
tel qu’annoncé par le fameux adît du Prophète (psl) :
« Les savants (al-‛ulamâ ), sont les dépositaires des prophètes »1.

Les soufis reconnaissent la nécessité de ce savoir acquis (al-‛ilm) pour une


bonne application de la shari‛a, mais elle demeure une condition insuffisante : le
savoir est nécessaire mais n’est pas suffisant pour impliquer un bon savoir-faire ou un
bon savoir être.

Selon eux, ce savant ne saurait être reconnu comme dépositaire de la Sunna


que si son savoir émane d’une forte conviction subséquente d’une pratique et
application correcte et sincère, c’et de ce savoir que faisait souvent allusion asa al-
a rî. Un tel savoir, pour eux ne peut être obtenu que par l’expérience d’une
éducation poussée de son coeur et de son corps. Il a fallu un autre mot à certains
comme Junayd pour le désigner: al- a‛rifa (la connaissance).

Si l’on comprend les explications de certains d’entre eux, cette Connaissance


n’est ni l’affaire de la mémoire ni celle de l’intelligence de l’individu, mais plutôt,
celle d’une autre perception ultrasensible2 qui donne une autre façon de voir les
choses et les actes.

1
Ibn Mâjjah, Sunan, Dâr al-kutub al-‛ilmiyya, Beyrouth, s.d. T. I, H : 223, p : 81.
2
Afîfî A., At-Tasawwuf, at-tawra ar-rûhiyya fil-islâm, Beyrouth, Dâr ash-sha‛b, sd, pp205, 206.
171

Selon Bis âmî par exemple :


« La Connaissance est le fait de saisir que toute action ( arakât) ou état (sakanât) de
la créature est de Dieu. »1

On est ainsi plus proche de la sagesse (al- ikma) émanant d’une foi certaine
que d’un contenu transmissible. C’est ce qui fait dire à Hujwîrî que la Connaissance
n’est pas nécessairement acquise par l’apprentissage, mais elle est une clairvoyance
accordée par Dieu2.

Tandis que le savoir (al-‛Ilm) s’appuie sur l’intelligence et la mémoire qui


utilisent les sens, la Connaissance, elle, est plus proche du domaine affectif du cœur.

On se rapproche de la conception de Junayd qui disait ceci :


« Le plus noble propos du domaine du a îd est celui de Abû Bakr qui
disait :’gloire à Celui qui a fait que Sa créature n’a aucun moyen de Le connaître que
par l’i puissance de Le conna tre.’ »3 Il emploie ici indifféremment le mot a îd à
la place du mot a awwuf ou même de a‛rifa.

Par ailleurs, il s’oppose à la réfutation de la « connaissance » possible de Dieu


qui se dégage de certains commentaires maladroits. Ce qui, au contraire selon lui, est
très édifiant ici est qu’Abû bakr soutient qu’aucun parmi les moyens d’analyse,
d’investigation ou de raisonnement dont dispose l’homme ne peut faire accéder à la
connaissance de Dieu. Celui-ci cependant Se fait connaître à ceux qui Le cherchent
dans l’humilité et la dévotion, expression ultime de leur aveu d’impuissance face à Sa
toute puissance.

Cette Connaissance peut donc être conçue comme l’aboutissement de ce long


combat entre le dévot et sa propre âme ce qui situe alors ce dernier dans un état

1
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p: 517.
2
Ibidem, p : 513.
3
Ibidem, p : 513.
172

d’esprit où il témoigne de Son unicité (mushâhada) par le cœur ; à terme, il peut être
gratifié de Son amour1 et de Son agrément.

Notons que dans certains propos, le soufi emploi le mot a îd pour traduire
cet état d’esprit où il témoigne véritablement de Son unicité, il parle alors de la
signification de ce mot qui se confond ainsi à la Connaissance.

C’est précisément avec cet emploi que Hujwîri tire sa pertinente conclusion
qui renvoie à l’expérience pour en savoir plus à son propos :
« Le témoignage de Son unicité (at- a îd) est un secret que la Vérité (Dieu)
[gratifie] au serviteur, il ne saurait se clarifier par l’élocution. »2

Quant à la « Certitude » ou Yaqîn, elle peut se situer à cheval entre le savoir et


la Connaissance. En effet autant on peut être certain de quelque chose par le savoir
appuyé sur l’expérimentation, l’analyse et le raisonnement et par nos sens comme
support, autant pour autre chose comme la connaissance de Dieu, on peut atteindre ce
stade par le don de la Connaissance dans le cœur : c’est aussi cela que développent
certains soufis comme étant la véritable Certitude3.

8. 2. Le Pacte (al-Mîtâq) :

8. 2.1. Explication et sources coraniques :

Junayd soutient une théorie qui semble à première vue être le fruit d’un
emprunt hellénistique4, lorsqu’il avance que nos esprits, avant de venir à ce monde
enveloppés comme ils sont dans des corps, avaient connu une existence antérieure,
dans un monde du reste inconnu qualifié souvent de pré temporel (azalî). Ils tinrent

1
Ces deux concepts seront traités dans le chapitre suivant, P : 187.
2
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p: 526.
3
Cf. Jabre F., La notion de certitude selon Ghazali, thèse de doctorat es lettres, Paris, Vrin, 1958.
4
Cf. Baudart A. et al. Histoire de la philosophie : 1. les pensées fondatrices, A. Colin, Paris, 1993,
pp :23-84 ;
173

alors, en ce monde, face à leur Seigneur, en témoignant Sa souveraineté unique, un


pacte (mîtâq) d’adoration qu’ils sont appelés à respecter dans le monde actuel.

En réalité, ce pacte n’est ni une invention, ni un emprunt hétérodoxe de sa part,


car il est bien une réalité coranique :
« Et quand ton Seigneur tira une descendance des reins des fils d’Ada et les fit
témoigner sur eux-mêmes :
« Ne suis-Je pas votre Seigneur ? »
Ils répondirent : « mais si, nous en té oignons… »
Afin que vous ne disiez point au jour de la résurrection : « vrai ent, nous n’y avons
pas fait attention ». »1

On retient du commentaire de ce verset que le Tout-puissant s’adressait aux


dhurriyya (traduit ici par descendance) des hommes (fils d’Ada ).

L’indicateur temporel idh qui, contrairement à idhâ qui est plutôt prédictif,
marque absolument un fait accompli, comme d’ailleurs le signale le temps du verbe
ahadha. Ainsi, le fait évoqué par le verset s’es déroulé dans le passé.

Or ce fait nous a concernés aussi, en tant que fils d’Ada et ceci en


considération au discours universel et atemporel du Coran, et surtout en analysant la
raison du Pacte ou de son évocation, donnée aussitôt après : « afin que vous ne disiez
point… ». Le Livre s’adresse à nous et implique tout fils d’Ada .

La traduction par descendance semble inappropriée quand on sait qu’il s’agit


ici d’un témoignage fait avant nous, avant l’existence temporel de tout homme, donc
dans le pré temporel des fils d’Adam.

1
Le Coran, op. cit, sourate Al-A‛râf (7), v. 172.
174

Cependant une traduction étymologique du mot dhurriyya1 aurait été plus


adéquate. Ainsi, à défaut de pouvoir parler d’ascendance, il aurait s’agit de substances
ou de quelque chose de moins épais que nos corps et aux quelles nous sommes liés,
des prémices qui nous auraient représentés à ce lieu mystérieux avant notre existence
corporelle : beaucoup d’exégètes s’accordent à dire qu’il s’agissait de nos formes
spirituelles ou tout simplement de nos esprits2 (al-ar ).

Fort de ceci, on peut bien soutenir à l’instar de tous les soufis d’ailleurs, pour
ne pas dire tous les musulmans, l’antériorité de l’existence de l’esprit ar-r )3, avant
cette vie corporelle dont il est encore conçu comme étant le moteur. On est aussi
unanime à reconnaître la survie ou la résurrection de cette quintessence après la mort.

Cela donne l’idée d’un périple de l’esprit qui a commencé dans le pré temporel
avec un engagement pris devant Dieu, et qui continue dans ce monde où il s’agit de
respecter cet engagement malgré les nombreuses contraintes liées à un nouvel
environnement temporel, et s’achève au jour de la résurrection, lorsqu’il devra rendre
compte devant son Seigneur.

Ce pacte, loin d’une simple « déclaration d’a our anticipée faite à Dieu »4,
revêt pour Junayd une solennité décisive qui justifierait même notre existence sur
terre. Ceci est en parfait accord avec le verset qui rappelle la mission de l’homme dans
ce monde.
« Je n’ai créé les djinns et les ho es que pour qu’ils ’adorent. »5

Selon toujours sa théorie, l’esprit, cette quintessence de l’homme, car c’est


bien lui qui a fait le pacte, après avoir témoigné de la Souveraineté Unique et non
partagée de Dieu (a - a îd) dans un état de solitude avec Lui où il n y avait ni
obstacles ni voile, a pour mission fondamentale de retrouver cet état primordial de

1
Etymologiquement dhurriyya est lié à dharra qui désigne l’atome ou la plus petite subdivision de la
matière.
2
Cf. infra chapitre XI sur l’esprit, p :228.
3
Dans la dernière partie un chapitre traitera ce concept.
4
Anawati G. C., Mystique musulmane, op.cit., p : 34
5
Le Coran, op. cit, Sourate Adh-Dhâriyât (51), v. 56.
175

témoignage de Son Unité sur cette terre, en surmontant cette fois des obstacles et
contraintes liés à sa nouvelle vie, à travers un combat contre des ennemis comme
l’âme charnelle et le Diable.

8. 2.2. éli e spiri uelle :

« Le but ultime de la quintessence du témoignage de Son unicité (at- tawh îd)


est que le dévot doit retourner co e il n’a ja ais été et que Dieu reste co e Il n’a
ja ais cessé d’être. »1

Ces paroles de Junayd montrent à quel degré il sera difficile pour l’homme de
se départir de ses attributs mondain, de sa corporéité, de son moi, tout en restant en
vie, pour n’avoir en conscience que Sa présence comme il l’avait témoigné alors qu’il
n’était pas (de ce monde).

C’est pourtant cela, selon lui, le véritable témoignage que seuls quelques uns,
hormis les prophètes, pourront réaliser et ainsi respecter l’engagement dans l’absolu.

L’idée de cette élite était quoiqu’on dise présente dans les propos de ses
prédécesseurs. On se rappelle de la fameuse hiérarchisation des niveaux d’adoration
par l’Imam Ja‛far as - âdiq2 :
 L’adoration du commun des croyants ;
 L’adoration des rapprochés de Dieu ;
 L’adoration des prophètes et des élus de Dieu.

Dans son Traité du pacte pré temporel, Junayd est très explicite :
« Dieu a, par i Ses serviteurs, des êtres d’élite, et par i ses créatures des ho es
purs qu’Il a élu pour leur gratifier de Son a itié walâya , qu’Il a choisit pour leur
faire bénéficier de Sa générosité (karâma , et qu’Il a isolé du onde pour qu’ils

1
Mah mûd A. Q., Al-Falsafat as-sûfiyya fil-islâm,op.cit., p:191.
2
Ndiaye S., op.cit, p :16.
176

soient à Lui Seul. […] Il les a fait de telle sorte que leur corps soit de ce bas onde,
mais que leur âme soit lumineuse, que leur intuition soit spirituelle. »1

Il est évident que l’ampleur de la tâche que renferme cette mission de l’homme
n’est pas à la porté de tout le monde, aussi les niveaux de réalisation sont-ils divers,
selon les efforts et les circonstances des uns et des autres. Au sommet de cette
réalisation se situe selon lui l’élite, les aimés de Dieu.

On remarque ici une note de prédestination qu’il essaye de justifier par la


spontanéité de la réponse des uns par rapports aux autres lors du Pacte :
« …quand Il les a convoqués et qu’ils ont répondu à Son appel i édiate ent. »2

Seulement, un tel choix délibéré ne peut émaner que de la Volonté du Tout


Puissant qui gratifie Son amour à qui Il veut.
C’est donc Dieu, depuis la prééternité, qui a fait son choix sur un groupe
restreint d’individus et « Il a fait d’eux des ho es qui repoussent toute prétention à
Le conna tre à partir d’une définition. Des ho es qu’Il a choisis pour Lui-même, à
qui Il a accordé tous Ses soins, et sur qui, pour Lui-même, Il a répandu Son amour. »3

Ce qui réconforte l’idée de ce penchant pour l’adoration de Dieu est sans


doute cette quête effrénée de certitude qui caractérisait les premiers compagnons du
Prophète (psl) et à laquelle invite le Coran à plusieurs reprises4.

appelons aussi l’attitude de l’Imam ‛Alî qui évoquait souvent ce pacte et était
frappé de crainte à chaque fois qu’on appelait à la prière5.

Quelle serait la nécessité d’une élite devrait-on poser à Junayd ? Celui-ci


soutient, en restant fidèle à la Sunna, qu’en dehors des prophètes les gens ont besoin

1
Junayd A. Q., op.cit., p:155.
2
Junayd A. Q., op.cit., p:156.
3
Junayd A. Q., op.cit., pp:51,52.
4
Le Coran, op. cit, Sourate Ibrahîm (14), v.10.
5
Cf. infra chap : V.
177

d’être guidés sur la voie de Dieu. Ainsi, après leur réalisation spirituelle obtenue à
l’issue d’un dur combat, les soufis sont renvoyés par Lui auprès des créatures, pour
assumer pleinement leur rôle de dépositaires des prophètes1.

Cette théorie, sur ce point précis a le mérite de donner un sens aux efforts et au
salut du soufi pour le reste de la communauté, ce que Junayd, en tant que juriste ne
perd pas de vue. Mais, il faut reconna tre que le dévot, telle qu’on a analysé son état
d’esprit dans les deux cadres précédents, est loin d’une quelconque prétention pour la
guidance, si ce n’est par un ferme souci d’assumer sa responsabilité devant Dieu, si
une quelconque circonstance devait l’appeler à cette tâche.
On retient aussi que pour le Pacte, l’essentiel se joue entre l’esprit (ar-r ) et
l’âme (an-nafs).

8. 3. La littérature soufie sur la Connaissance

8. 3.1. Présentation :

Junayd, comme noté précédemment a bâti sa doctrine du a awwuf sur le


concept de Connaissance (al- a‛rifa). Aussi est-il intéressant de lire entièrement le
traité2 qu’il a consacré à la signification de ce mot. D’une simple représentation
statique de l’état mental correspondant à l’appropriation d’un savoir chez l’individu,
en passant par un niveau suppérieur de prise de conscience intuitive et insufflée, il la
fait évoluer vers un cadre dynamique dans lequel, l’initié (al-‛ârif) entretient avec son
Seigneur une harmonieuse relation.

Plus tard, plus d’un siècle après, al-Qushayrî reprend l’analyse du même
concept3. Cette fois-ci, il recueille l’avis d’autres soufis contemporains de Junayd et
permet ainsi, par son style, de confronter les propos et d’en tirer les dissemblances.

1
Junayd A. Q., op.cit., p:45.
2
Cf. texte n° 1
3
Cf. texte n° 2
178

8. 3.2. Textes traduits et annotés :

Texte n° 1

e la co aissa ce/ a‛rifa1

u as posé la question de la connaissance et des oyens d’y parvenir asbâb).


La connaissance, qu’il s’agisse des ho es qui ont des qualifications spirituelles
particulières al-h a) ou qu’il s’agisse du co un des croyants (al-‛âmma), est
unique, car l’objet de cette connaissance est le ê e. Elle a cependant un degré
initial et un degré suprê e, où se situe l’élite spirituelle, bien qu’elle soit dépourvue
de toute limite et de toute fin accessibles. Pour ceux qui possèdent la connaissance,
son objet est infini.

Comment, en effet, la connaissance pourrait-elle englober Celui que la pensée


n’atteint pas, que la raison ne cerne pas, que l’esprit n’i agine pas, et dont la
anière d’être échappe à la réflexion ! La plus savante des créatures à Son sujet est
celle qui reconnaît avec le plus de force son impuissance à saisir Sa grandeur ; ce qui
revient à dire que Son essence se révèle dans le fait ê e qu’elles sont conscientes de
leur i puissance à saisi Celui à qui rien n’est se blable.

Il est en effet l’Eternel, et tout ce qui est autre que Lui est produit dans le
temps (muhdat). Il préexiste et tout ce qui est autre que Lui a un commencement. Il
est la Divinité et tout ce qui est autre que Lui est l’objet mahlûq) de cette Divinité. Il
est Celui qui est Puissant, sans que personne L’ait rendu tel, alors que tout autre être
puissant n’est tel que grâce à Sa puissance. Il est Celui qui est Savant, sans que
personne L’ait instruit et sans qu’Il retire d’infor ation d’un autre que Lui, alors que
tout autre être savant n’est tel que grâce à Sa science. Gloire à Lui, qui est le Pre ier
sans commencement, et qui est le Perpétuel sans fin ! Ces qualifications ne sont
dignes que de Lui et ne conviennent à nul autre que Lui.
1
Junayd A. Q., Enseignement spirituel, trad de l’arabe par Deladrière R., Sindbad, Paris, 1983, pp :
121 – 124.
179

L’élite spirituelle des saints se trouve au degré le plus élevé de la


connaissance, sans qu’elle ait pour eux de li ite et de fin accessible ; quant aux
croyants ordinaires, ils se situent au degré initial de la connaissance, et les sages (ou
les « gnostiques » al-‛ârifûn) leur apportent des témoignages et des indications sur
ces deux degrés, inférieur et supérieur, de la connaissance.

Leur témoignage, en ce qui concerne le niveau le plus bas, consiste dans la


procla ation de Son unicité, dans la négation radicale de l’existence d’êtres pareils à
Lui, et dans la profession de foi en Son Livre et en les obligations et les interdictions
qui y sont formulées. Leur témoignage, en ce qui concerne le niveau le plus élevé de
la connaissance, consiste alors à accomplir leur devoir envers Lui (ou « ce à quoi il a
droit »), à Le révérer dans la crainte à tout moment, à Lui donne la préférence sur
toutes Ses créatures, à pratiquer les vertus les plus nobles, à s’abstenir de tout ce qui
ne rapproche pas de Lui. La connaissance par laquelle l’élite spirituelle surpasse le
co un des croyants, est le senti ent intense, éprouvé par le cœur, de l’infinité de Sa
grandeur et de Sa majesté, de Sa puissance agissante et de Sa science qui englobe
tout, de Sa générosité débordante, de Sa libéralité et de Ses bienfaits.

C‘est ainsi que prennent une i portance i ense, dans le cœur de tels
hommes, Sa grandeur et celle de Sa majesté, la crainte révérencielle (hayba qu’Il
leur inspire, l’efficacité irrésistible de Sa puissance, la durée de Son châti ent et la
violence de Son étreinte (bat sh), la magnificence de Sa récompense et de Sa
libéralité, la surabondance de Son don généreux du Paradis et de Sa compassion, la
multiplicité de Ses faveurs, de Ses grâces et de Ses bienfaits, Sa mansuétude et Sa
miséricorde.

Quand la conscience de tout cela a pris une pareille ampleur, la Grandeur du


Tout-puissant est devenue i ense dans leur cœur ; ils Le vénèrent et ils Le révèrent
avec crainte, ils L’ai ent, et ils se sentent indignes devant Lui, ils ont peur de Lui et
ils espèrent en Lui. Ils acco plissent alors leur devoir envers Lui, ils s’abstiennent de
tout ce qu’Il a interdit, et c’est à Lui qu’ils consacrent tous leurs efforts, corps et
â es. Ils y sont poussés par ce qui est établi dans leur cœur, par cette conscience
180

subli e et l’i ensité de Sa grandeur et de celle de Sa réco pense et de Son


châtiment.

els sont ceux qui constituent l’élite spirituelle de Ses saints. C’est pourquoi
l’on dit : « un tel connaît Dieu » et « un tel est savant au sujet de Dieu », quand on les
voit plonger dans la vénération et la crainte révérencielle, espérant, demandant,
désirant, re pli d’une piété scrupuleuse et anxieuse, pleurant et affligés, soumis et
humbles.

Quand ces marques de vertus apparaissent en eux, les musulmans


co prennent alors qu’ils connaissent Dieu et qu’ils sont savants à Son sujet ieux
que le co un des croyants. C’est ainsi que Dieu les a décrit : « les seuls à redouter
Dieu, parmi Ses serviteurs, ce sont les savants »1 ; et David avait dit : « Mon Dieu !
IL n’a point de science celui qui ne e redoute pas. »

La connaissance par laquelle ceux qui appartiennent à l’élite spirituelle


surpassent le commun des croyants, est donc cette connaissance sublime. Quand elle
a pris une telle a pleur, qu’elle s’est établie dans leur cœur et qu’elle s’y aintient,
elle est désormais une certitude (yaqîn) puissante ; les qualités morales (ahlâq) du
serviteur sont alors parfaites et pures de toute tache. En même temps que la
connaissance sublime de la grandeur et de la majesté divines, il lui a été donné de
réfléchir et de méditer : sur les créatures, comment Dieu les a créées et comment Il les
a produites d’une anière parfaite ; sur les destins, comment Il les a déterminés et
co ent ils s’ordonnent har onieuse ent selon les dispositions qu’Il a prévues pour
eux et les o ents qu’Il a fixés ; sur les affaires de l’Univers , co ent Il les dirige
selon Sa volonté (normative (irâda)) et Son libre vouloir (à la fois volonté créatrice et
libre décision mashî a) de sorte que rien n’échappe à l’efficacité de Sa volonté et à
l’ordonnance de Son libre vouloir.

L’un de ce qui possède la science a déclaré : « la considération de la


puissance divine ouvre dans le coeur la porte du sentiment de la grandeur de Dieu. »

1
Le Coran, op. cit, sourate
181

Un sage vint à passer près de Mâlik b. Dînâr1, et Mâlik lui demanda : « Eclaire-nous,
que Dieu te fasse miséricorde ! » ; Le sage lui répondit : « co ent t’éclairerais-je ?
Si tu connaissais Dieu, cela te dispenserait de tout discours. »

Ils Le connaissent par ailleurs de la manière indiquée (par le Coran), à savoir


que si l’on considère «l’opposition de la nuit et du jour »2 , la révolution du
firmament, le fait que la voûte céleste reste suspendue « sans aucun pilier »,
l’écoule ent des eaux des rivières et des fleuves, l’on co prend que tout cela a un
Auteur et un Organisateur, à qui rien n’échappe, des actions de Ses créatures, « pas
même le poids d’un ato e »3 . Ils L’adorent alors selon les indications qu’Il a
données sur Lui- ê e, co e s’ils Le voyaient avec leurs yeux, bien que Dieu, dans
la de eure de Sa ajesté, échappe à toute vision. out ceci ontre bien qu’ils sont
ceux qui connaissent et qui savent le ieux l’i ensité de Sa grandeur, car ils sont
ceux qui le révèrent et qui Le craignent le plus.

Texte n° 2

Chapitre sur la connaissance en Dieu4

Dieu le Très-haut dit : « ils n’ont pas esti é Dieu à Sa juste valeur. » A ce
propos, il est dit dans des commentaires qu’ « ils n’ont pas connu Dieu par sa
véritable connaissance. »

‛ d ar-Ra mân b. Muhammad b. ‛Abd-Allah al-‛Adl nous a informé que,


selon Muhammad b. al-Qâsim al-‛I î, selon Muhammad b. Ashras, selon Sulaymân
b. Îsâ ash-shajarî, selon ‛Ubâd b. Katîr, selon Hanzala b. Abû Sufyân, d’après al-
Qâsim b. Muhammad, ‛Aïsha que Dieu l’agrée dit :

1
Ascète basrien (127H/744).
2
Le Coran, op. cit., Sourate Al-Baqara (2), v. 164.
3
Le Coran, op. cit, Sourate Yûnus (10), v. 61.
4
Qushayrî (al-) A. K., Ar-Risâla, , Dâr al-Marifa, Le Caire, 1981, pp : 241, 242.
182

Le Prophète (psl), un jour, a dit que le support de la maison est sa fondation,


de même, celui de la religion est la connaissance en Dieu le Très-haut (al-ma‛rifa
bil-lâh), la Certitude et la raison subjuguant.
Je lui dis : ô ! Qu’est-ce que la raison subjuguant (al-‛aql al-qâmi‛) ? Il répondit :
c’est de s’abstenir de toute désobéissance à Dieu et s’acharner à la dévotion.

Le Maître1 précise que la connaissance (al-ma‛rifa), selon les savants est le


savoir (al-‛ilm), car tout savoir est de la connaissance et toute connaissance est du
savoir ; et tout savant en Dieu (‛âlim bil-lâh) est un connaisseur (‛ârif) et tout
connaisseur est savant.

Chez cette communauté2, la connaissance est la caractéristique de celui qui


connaît la Vérité exalté soit-Il, par Ses noms et Ses attributs et, en plus, est sincère
dans ses relations avec Dieu, puis se départit de ses mauvais caractères et de ses
entraves. Ainsi, il se tient patiemment devant la porte, il perpétue la solitude dans son
cœur ; Dieu lui accorde succès par la beauté de ses entreprises. Dieu se confirme
dans tous ses états. Les mauvaises tendances de son âme se détachent de lui. Il ne
subsiste dans son cœur aucune incitation qui l’invite vers autre chose que Lui. Ainsi,
il devient étranger parmi les gens, exempt de toute entrave de son âme, épuré de toute
cohabitation et de toute considération. Ses intimités avec Dieu le Très-Haut restent
dans la discrétion. Son retour à Dieu est sincère à tout instant. Il est refait de la part
de la Vérité l’Exalté pour avoir été infor é de Ses secrets liés au déroule ent de Ses
destinées. On le désigne alors par « connaisseur » (‛ârif), et son état-ci est appelé
connaissance (al-ma‛rifa).

En définitive, dans la mesure de sa désobéissance par rapport à son âme se


réalise la connaissance de son Seigneur le Tout-puissant.

Les maîtres ont discuté à propos de la connaissance et chacun s’est expri é en


fonction de ce qui l’a le plus arqué à l’instant.

1
Il s’agit de Junayd al-Baghdâdî.
2
L’auteur fait ici allusion à la communauté des soufis.
183

J’ai entendu du a tre Abû ‛Alî ad-Daqqâq, que Dieu lui accorde sa
miséricorde, que parmi les résultantes de la connaissance en Dieu figure le fait
d’atteindre la crainte révérencielle (al-hayba) ; en effet, plus son accentue sa
connaissance plus on développe sa crainte.

Je l’ai entendu dire que la connaissance (al-ma‛rifa) entraîne une stabilité


dans le cœur, de la ê e anière que le savoir (al-‛ilm) i plique l’équilibre. Celui
dont la connaissance aug ente, voit aussi sa stabilité s’accentuer.

J’ai entendu du a tre Abû ‛ d ar-Ra mân as-Sulamî que, selon Ahmad b.
Muhammad b. Zayd, Shiblî dit que le connaisseur (al-‛ârif) n’a aucune relation, […]

Je l’ai entendu dire que selon Muhammad b. Muhammad b. ‛Abd al-wahhâb,


Shiblî, lorsqu’il a été interpellé sur la connaissance, disait :
Son commencement est Dieu le Très-haut et sa fin est l’infini.

Je l’ai entendu dire, selon son père, selon Abul-‛ s ad- î rî a


disait : Depuis que je connais Dieu le Très-haut, n’entre plus dans on cœur ni vérité
ni ensonge. |…]

On interpella Abû Yazîd à propos de la connaissance, il répondit simplement :


« En vérité, quand les rois entrent dans une cité ils la corrompent, et font de ses
honorables citoyens des hu iliés. Et c’est ainsi qu’ils agissent. »1

8. 3.3. Analyse :

Le concept de Connaissance développé ici par Junayd dans ce texte et repris


après lui par d’autres soufis est loin d’avoir sa connotation habituelle qui signifie un
savoir acquis par le moyen de l’intelligence et de la mémoire. Mais, comme il a été
brièvement défini plus haut dans ce chapitre, il la considère comme un état d’esprit
exceptionnel du croyant dont la fermeté de la foi en Dieu est telle que son niveau de

1
Le Coran, op. cit, Sourate An-Naml (27), v. 34.
184

perception intérieure ou intuitive a îra) est plus élevé que celui du commun des
fidèles.

La Connaissance n’est donc ni une action de l’intelligence ou même de l’esprit


sur un objet, puisque le dévot ne peut pas connaître de lui-même, ni à plus forte raison
un contenu ou même un fait transmissibles du ma tre au disciple. Elle est l’état intime
de l’esprit auquel s’est révélée la Toute-puissance de Dieu et qui s’est trouvé être
éclairé par la proximité de Sa présence. Pour Junayd, elle est donc une dimension
spirituelle particulière qui est le fruit de la seule gratification divine.

De ce fait, elle se manifeste dès l’apparition des premiers signes d’illumination


(kashf) ou d’ouverture ( a ) et se poursuit jusqu’au niveau ultime du témoignage de
l’unicité de Dieu ( ush hada a - a îd) où se confondent amour et agrément de
Dieu1. C’est à ce stade ultime que, selon ses écrits, la Ma‛rifa et le a îd sont deux
concepts interchangeables.

Rigoureux et méthodique, Junayd s’adresse à un disciple pour lui donner


quelques éléments des caractéristiques de cet esprit. Il ne prétend donc pas lui
transmettre le fruit de sa perception intime.

Fidèle à son approche, al-Qushayrî se prononce bien après Junayd sur la


même question, en s’appuyant, par ordre chronologique sur le Livre, les adîts, ses
propres explications et enfin sur les propos de ses maîtres prédécesseurs. On remarque
qu’il se donne toujours une liberté de réfléchir sur la question après l’avis des sources
de la Sunna avant de remonter aux propos des soufis. Ceci est la marque d’un auteur
sûr de lui qui, compte tenu de sa formation et de son engagement, a son mot à dire sur
la question.

1
Voir chapitre suivant.
185

En analysant les propos qu’il a rapportés de ses prédécesseurs, on a une


précision supplémentaire sur le sens donné par Junayd à la connaissance. En effet, à
travers les propos qu’il lui a attribués, le ma tre de la Ma‛rifa ne dissocie pas
connaissance et savoir (‛ilm). Autrement dit, pour lui, si l’on considère ce qu’il a
développé plus haut, n’est véritable savant que celui qui vit la « Connaissance »
ma‛rifa).

Cependant tel n’est pas le cas chez tous les soufis. Par exemple, on comprend à
travers les propos d’Abû ‛Alî ad-Daqqâq que celui-ci dissocie clairement savoir (‛ilm)
et connaissance (ma‛rifa).

Les autres propos renforcent tous la thèse de Junayd développée au texte


précédent à l’exception des deux derniers avis qui méritent une analyse
supplémentaire :

« Depuis que je connais Dieu le Très-haut, n’entre plus dans on cœur ni


vérité ni mensonge. » Tel est l’avis d’ a qui est plus ou moins déroutant, sauf
s’il entend par là son dépassement de la raison spéculative. Ainsi, il se serait
entièrement confié à la perception, voire à la lumière1 qui l’envahit, plutôt qu’à cet
instrument d’analyse.

Quant à Abû Yazîd, il résume son avis en ce verset :


« En vérité, quand les rois entrent dans une cité ils la corrompent, et font de ses
honorables citoyens des hu iliés. Et c’est ainsi qu’ils agissent. »2

ien n’est plus étonnant que de pareilles déclarations. La seule explication qui
s’accorderait avec tout ce qui a été développé sur la connaissance se serait fondée sur
une parabole proposée par le soufi en évoquant ce verset.

1
Cf. supra chapitre X.
2
Le Coran, op. cit, sourate An-Naml (27), v. 34.
186

En effet, si la cité était le cœur du dévot, les rois pourraient être les attributs de
Dieu qui se manifesteraient à ce cœur et les citoyens, attributs humains et penchants
maléfiques seraient asservis ou supprimés par les rois. Cela rejoint l’idée de
l’extinction de l’âme charnelle qui sera développée plus loin1.

1
Cf. chapitre suivant.
187

Chapitre IX : Au cœur de la Connaissance (al-Ma‛rifa): l’Amour al-ma abba)


et l’Agrément ar-ri â)

Si le soufi, à travers les deux cadres précédent (le détachement et la dévotion),


a connu une évolution dynamique guidée par l’effort et la persévérance, dans une
complexité d’états d’esprit subtils et interdépendants, il semble arrivé dans ce cadre-ci
à l’ultime degré de foi tant souhaité et auquel ont aspiré, d’après plusieurs
témoignages, les compagnons du Prophète (psl).
Il est important d’analyser ce stade de certitude conceptualisé plus tard par
Junayd sous le nom de Ma‛rifa, grâce aux quelques indications et témoignages assez
sobres, venant de ceux qui ont vécu l’expérience, afin de bien situer le centre de leur
préoccupation spirituelle qui, essentiellement, devait être l’âme.

Toutefois, si l’on s’accorde avec Hujwîrî que ce niveau de « a îd est un


secret que la Vérité (Dieu) gratifie au serviteur » et qu’il ne saurait « se clarifier par
l’élocution »1, il serait prétentieux que de vouloir décrire avec précision l’état d’esprit
que vit le soufi à ce stade. Une simple analyse basée sur des récits et témoignages
autour de concepts récurrents et assez évocateurs de la Connaissance comme l’a our
et l’agré ent, permettra d’indiquer le seuil d’un domaine réservé exclusivement à la
perception du cœur (al- a îra), là où le raisonnement trouverait ses limites alors que
commencerait le règne de la lumière divine.

Il convient cependant d’analyser ces deux concepts sous deux angles


différents. En effet, selon qu’on se situe du côté divin ou du côté du dévot, on peut
aboutir à de différentes considérations. Ainsi, on peut dissocier l’Amour qui vient de
Dieu de cet autre qui est l’ultime expression de l’affection du dévot pour son
Seigneur.

1
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:526.
188

9. 1. De la gratification divine :

Parmi les propos les plus explicites concernant l’amour et l’agrément du Tout-
puissant pour Son serviteur on note ce fameux adît qudsî auquel se réfère
l’unanimité des soufis :
« Mon esclave ne cesse de se rapprocher de Moi par les actes surérogatoires jusqu’à
ce que Je l’ai e et alors Je suis l’ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il
voit, la ain par laquelle il saisit… »1

En effet, ces propos renvoient à la vie de dévotion et de persévérance qui ne


cesse de rapprocher le soufi de Dieu et le met ainsi dans les conditions d’espérer son
Amour et d’être simultanément l’objet de son Agrément. Ici, le semblant
d’identification qui fait suite à l’Amour ne serait rien d’autre que l’expression de Son
Agrément.

On note cependant que si la dévotion soutenue peut être considérée ici comme
un préalable à remplir par le serviteur pour être rapproché et être dans une station
d’espoir (maqâma ar-rajâ ) de Son Amour, elle ne conditionne en rien celui-ci qui est
du domaine de Sa volonté absolue. Le verset suivant est d’une parfaite illustration.

« Ô les croyants ! Quiconque parmi vous apostasie de sa religion, Allah va faire venir
un peuple qu’Il ai e et qui L’ai e, odeste envers les croyants et fier et puissant
envers les écréants, qui luttent dans le sentier d’Allah, craignant le blâ e d’aucun
blâ eur. elle est la grâce d’Allah. Il la donne à qui Il veut. Allah est i ense et
omniscient. »2

On peut noter une particularité essentielle de cet Amour qui vient de Dieu : il
n’est pas nécessairement entra né ou conditionné par un quelconque intérêt ou bienfait
porté par l’aimé à l’égard de Son essence (dhât) ou de Ses manifestations (âyât). Il

1
Cf. le commentaire de ce ad t au chap VII. Cf Qushayrî, op.cit., p:246.
2
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Mâ’ida (5), v. 54.
189

n’est pas guidé par un désir ou besoin psychologique. Il est tout simplement une
manifestation de Sa volonté absolue et de Son choix délibéré.
En effet, ici, à la volonté très limitée de l’homme (d’apostasier), Il oppose la
Sienne qui est la Volonté créatrice absolue.

Par ailleurs, si l’homme exprime naturellement son amour envers quelqu’un ou


quelque chose par divers comportements psychologiques1, l’amour divin, lui, se
traduit par l’Agrément de Dieu.

Considérant l’analyse de certains orientalistes, il est important de repréciser la


compréhension de l’Amour de Dieu chez le soufi, qu’on a trop vite assimilée à Sa
miséricorde.

En effet, Louis Gardet, de façon lapidaire, argue que l’Amour de Dieu pour
l’homme « signifie un sentiment de pitié et d’indulgence ». Ceci traduit une simple
caricature de la perception de cet Amour en Islam, conçu certes comme un attribut de
Dieu non nécessaire, mais souvent opposé à l’absoluité du précepte d’amour si chère à
la philosophie chrétienne2.

En réalité, si en Islam la miséricorde de Dieu embrasse sur terre toute sa


créature (les fidèles et les infidèles), son Amour par contre n’est réservé qu’à certains
parmi eux, ce qui donne un premier élément de distinction entre amour et pitié.

D’autre part, l’expression essentielle de cette gratification va au delà des


bienfaits terrestres connus de tous et à la portée de tous. Elle va aussi au-delà des
récompenses de l’autre monde, comme les délices du Paradis réservées au croyants,
mais elle est quelque chose de plus essentielle, tant recherchée par les premiers
croyants : elle est Agrément de Dieu. L’aspiration pour elle était si forte que le Coran
en annonça la bonne nouvelle à certains :

1
A ce sujet Ghazali a apporté des détails. Cf. Ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., Pp:2584-2597.
2
Anawati G. C et Gardet L.., Mystique musulmane, op.cit., pp : 161, 162.
190

« Allah a très certaine ent agréé les croyants quand ils t’ont prété le ser ent
d’allégeance sous l’arbre. »1
« Voilà le jour où leur véracité va profiter aux véridiques : ils auront des jardins sous
lesquels coulent les ruisseaux pour y demeurer éternellement. Allah les a agréés et
eux L’ont agréé. Voilà l’énor e succès. »2
Ainsi, depuis ce bas-monde, le dévot peut déjà bénéficier de Son Agrément et
il vivra alors dans un « noble état de grâce et d’a our » du Tout-puissant3.
C’est cela qui fait dire à Al- u âsibî que « l’agré ent (ar-ri â) fait partie des états
de grâce du out Puissant et n’est pas du no bre des acquisitions du dévot »4.

9. 2. Des signes annonciateurs :

Il faut noter que cet état de grâce caractérisant l’Amour et l’Agrément de Dieu
chez le dévot, portés sur sa modeste personne, est du domaine de son intimité. Il en est
informé soutient Al-Qushayrî par le Tout-puissant, à travers des signes5.

9. 2.1 e ase al-ghayba)6 :

En extase, le dévot est plongé provisoirement dans un état psychique


d’inconscience. Absorbé et envahi par une forte sensation, il perd la faculté de ses
sens, tout en restant éveillé. « Son cœur, dit Al-Qushayrî, est préoccupé par autre
chose que ce qui l’entoure »7.

Il poursuit son explication en illustrant par quelques anecdotes dont celle


concernant Ar-Ra î‛a aytam qui, se rendant chez ‛ d allal as‛ûd, entra tout
un jour dans cet état, pour avoir vu du fer chauffé à blanc, en cours de route, chez un

1
Le Coran, op. cit, Sourate Al-
2
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Mâ’ida (5), v. 119.
3
Qushayrî, op.cit., p:247.
4
Hujwayrî, op. cit. Tome II, p:407.
5
Qushayrî, op.cit..
6
Etymologiquement al-ghayba signifie « l’absence » et certains spécialistes conservent cette traduction
littérale dans leur emploi.
7
Qushayrî, op.cit., p:63.
191

forgeron. Une brusque analogie d’avec les brûlés de l’enfer l’avait frappé et mis dans
cet état d’hypnose1.

Ailleurs, ‛ li za al-‛ bidîn, un jour, alors qu’il priait, était si absorbé qu’il
n’avait pas pris conscience que sa maison était entrain de brûler2.

Cet état est un signe de rapprochement du serviteur à son Seigneur. Il renvoie


au niveau supérieur de l’évocation (adh-dhikr) où « l’Evoqué s’e pare du cœur de
l’évocateur au point qu’il n’a ê e plus conscience de l’évocation »3

C’est à travers cette illustration que certains propos trouvent leurs sens :
« L’extase est co e un essage de la Vérité suprê e annonçant cette bonne
nouvelle : la montée vers la station de la vision de Dieu »4.

Si les soufis de cette première période ne sont pas unanimes sur le nombre de
signes, sur leur nature, leurs manifestations et les étapes connues par le dévot avant de
vivre l’état d’agrément, on retient que tous les signes sont d’ordre psychique et sont
liés à l’épuration du cœur à travers le détachement et la dévotion.

9. 2.2 ivresse as-su r) e la lucidi é a - a w) :

Suivant son intensité ou suivant le degré de purification du cœur l’extase


devient plus fréquente et son expression physique apparente varie selon les différents
sujets.
« Si l’extase d’un ho e est faible il l’exhibe. Cette exhibition anifeste à l’extérieur
ce qui est senti intérieurement. Si son extase est forte, au contraire, il reste maître de
soi et se tait. »5

1
Idem.
2
Idem.
3
Cf. chapitre précédent sur l’évocation, p :135.
4
Kalabâdhî, kitâb at-ta‛âruf, trad Gardet L., le Caire, p:83.
5
Ibidem, p :82.
192

Pour le premier, il éprouve le besoin de s’exprimer et les propos peuvent être


d’une brutalité et d’une incohérence choquante, à l’image des paroles d’un enivré. On
dit qu’il est dans un état d’ivresse (as-sukr).
Le second vit son extase dans la lucidité et n’éprouve pas le besoin de
« délirer ». Il est dans un état d’a - a w.

Si ces deux manifestations sont remarquables chez les soufis, la hiérarchisation


soutenue par cet auteur relève d’une simple attitude subjective réfutée par d’autres 1.

L’état du sukr provient-il de la brutalité du choc ou de la faiblesse du cœur ?


La position de Junayd semble plus cohérente et plus modérée. Elle se dégage à travers
l’explication des termes techniques suivants.

9. 2.3 e inction (al-fanâ ) et la perrennisation (al-baqâ ) :

A une étape de son évolution, lorsqu’il s’est suffisamment rapproché de Dieu


par la dévotion et le détachement, le dévot vit un état d’extase continu où il est
alternativement balancé entre ces deux manifestations (as-su r a - a w), jusqu’à
l’extinction finale (al-fanâ ), celle de son âme charnelle ; alors, d’après Junayd, il
continue à vivre l’extase mais dans la lucidité a - a w) : il connaît alors la
pérennisation (al-baqâ )2.

Cette évolution progressive de l’état d’esprit du soufi est succinctement


retracée à ce niveau en trois étapes par Al-Qushayrî :

 L’étape de la mu ara caractérisée par une attention soutenue (himma) à


l’égard de Dieu ;
 L’étape de la mukâshafa ou celle du dévoilement : c’est le début de la
perception par le cœur al- a îra), cela correspondrait à l’illumination ou à
l’ouverture (al- a ) du soufi ;

1
Qushayrî, op.cit., Pp :64, 65.
2
Junayd A. Q., op.cit., p:167.
193

 L’étape de la mushâhada où le dévot bénéficie de l’agrément, tombe dans


l’emprise du Tout-puissant et témoigne avec certitude de Son unicité1.
Cette dernière étape correspond à ce que Junayd appelle l’extinction finale ou
l’extinction du tout (fanâ al-kull) qui, avec la pérennisation sont deux expression
d’un même état : l’agré ent.

En effet, la pérennisation en la Vérité (al-baqâ bil-haqq), par le témoignage


de Son unicité et par son agrément correspond à l’extinction des vicissitudes de la
création (al-fanâ ‛an al-halq) ou simplement de l’extinction de l’âme charnelle
(fanâ an-nafs).
Junayd, encore plus explicite, préfère situer l’évolution au niveau de différents
types d’extinction.

Il est intéressant de noter dans ce tableau combien sa description se retrouve


dans la hiérarchisation de Qushayrî. Le premier fait une introspection de l’âme dans
son évolution, tandis que le deuxième analyse la relation existant entre le cœur du
dévot et le Tout-puissant.

Une évolution vers l’état d’agrément


étapes Vers l e i c io de l me char el es é a s de commu ica io du cœur
le (Junayd) avec le Tout-puissant (al-Qushayrî)
L’extinction des attributs indivi- L’état de la mu ara : c’est le dévot
1 duels par l’effort de se départir des qui, par l’attention soutenue s’efforce de
caractères et des tendances naturel- maintenir la relation avec Dieu, dans le
les maléfiques (par le détachement détachement et la dévotion
L’extinction des satisfactions L’état de la mukâshafa : le dévot a des
2 personnelles tirées des actes moments d’illumination et gagne
d’obéissance (hypocrisie et auto- progressivement la certitude par une
satisfaction) perception du coeur

1
Qushayrî, op.cit., Pp :61 à 67.
194

L’extinction des expériences et L’état du mushâhada : le dévot


3 prodiges réalisées de la conscien- témoigne de l’unicité de Dieu
ce, elle se produit sous l’emprise
du Tout-puissant

On constate que c’est seul avec l’assistance (tawfîq) de Dieu que le dévot
pourrait se hisser au sommet de cette ascension :
« C’est ainsi qu’Il te protège contre toi- ê e et qu’Il te fera parvenir alors à ta
pérennisation par ton extinction. »1

On est tenté de dire que ce combat oppose toi contre toi : ton âme charnelle
(an-nafs al-ammâra bis-sû ), contre ton esprit ar-r ), et se termine par l’extinction
de la première2.

9. 3. De la convenance absolue :

9. 3.1. mour de Dieu :

Du côté de l’homme, la relation dialectique entre sa foi et l’amour qu’il a pour


Dieu est remarquable. Ainsi, la foi est conditionnée par l’amour et celui-ci est une
expression nécessaire pour la première3. D’ailleurs, cet amour en question, à la
lumière des versets coraniques, doit être d’un autre sens plus profond, impliquant la
fidélité et se traduisant par la vénération.

« Par i les ho es il en est qui prennent en dehors d’Allah des égaux à Lui, en les
ai ant co e on ai e Allah. Or les croyants sont plus ardents en l’a our
d’Allah. »4

1
Junayd A. Q., op.cit., p:154.
2
Ce conflit sera abordé dans la dernière partie, p :241.
3
Muh âsibî, op.cit.,p : 364.
4
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Baqara (2), v. 165.
195

Ainsi, chez le soufi, l’amour et la foi son indissociables ; et le premier est si


déterminant que, selon une tradition du Prophète (psl), dans l’autre monde, il jouera
un rôle décisif sur le sort de l’individu :
« L’Ho e sera associé à celui qu’il ai e »1.

L’amour pour un souverain se traduit nécessairement par la reconnaissance de


sa souveraineté à travers un dévouement absolu. De même, pour Dieu, la foi est une
première traduction de son amour qui, de façon récurrente, entraînera la fidélité et la
dévotion.

Or, en Islam, le Prophète est incontournable en matière de foi, raison pour


laquelle l’amour voué par le dévot pour le Tout-puissant passe d’abord par lui. Et
comme il est rapporté dans beaucoup de ses propos, cet amour doit être au dessus de
toute considération ou de toute autre affection :
« Un serviteur ne croit effective ent que lorsqu’il ’ai e plus que sa fa ille, ses
2
biens et tout le monde. »

Ainsi, l’Amour de Dieu se traduit d’abord en une fidélité absolue pour Lui et
pour Son prophète (psl). Et il semble même être proportionnel au degré de foi et de
fidélité :
« Les croyants sont les plus ardents en l’a our d’Allah »

En effet, la fidélité a ses exigences et plus on les respecte et les assure, plus
son amour pour Dieu se trouve être fortifié.
« L’a our est confor ité, c’est à dire obéissance à Dieu en ce qu’Il ordonne,
abstention de ce qu’Il prohibe, agré ent de ce qu’Il décide et décrète. »3

Ainsi, le soufi, dans ses activités de détachement et de dévotion voit cet état
d’esprit (l’Amour de Dieu) se fortifier en lui de jour en jour. Comme dans un cercle
vicieux, cet amour renforce tous les comportements de soumission du dévot.
1
Qushayrî, op.cit., P :249.
2
Muslim, op.cit., H : 44. Cf. Buharî, op.cit., H :15.
3
Kalabâdhî, Kitâb at-ta‛âruf, le Caire, 1934, p:79.
196

Par ailleurs d’autres versets coraniques convoquent vers la sincérité de cet


amour :
« Allah n’a pas placé pour l’Ho e deux cœurs dans sa poitrine. »1

Afin de montrer les différents niveaux de cet amour qui, à terme, s’assimile à
l’harmonie et à la convenance avec la volonté du Tout-puissant, un auteur trouve deux
stades :

 L’amour de confession partagé par le « vulgaire et les privilégiés » ;


 L’amour d’ « extase, il n’est plus en cet a our aucune vue de soi, ni du créé,
aucune vue des causes secondes et des conditions, mais totale absorption dans
la seule vue de ce qui est pour Dieu et vient de Dieu. »2

Plus que tout autre, ce deuxième niveau, conceptualisé quelques fois sous le
mot ‛ishq, dépend de la gratification du Tout-puissant. Il est récurrent dans les
invocations de l Imam ‛Ali.
« Fais que a langue soit occupée à on souvenir, que on cœur soit re pli de on
amour. »3

Uways al-Qaranî4 faisait allusion à cet état d’esprit en ces termes :


« Le salut est dans l’unicité tawhîd qui consiste à chasser de ton cœur l’a our du
onde entier pour le re plir exclusive ent de l’a our du Seigneur très haut. »5

L’effort évoqué ici implicitement renvoie à la dévotion et au détachement ;


quand au succès au bout de ce processus, cela requiert une assistance divine.

1
Le Coran, op. cit, Sourate Al-
2
Kalabâdhî, op.cit., p:80.
3
‛Alî b. Abî âlib, Du‛â’ Kumayl, p : 18.
4
Alors que le Prophète était encore vivant, Uways, éloigné de la communauté, retenu par la maladie de
sa maman, avait embrassé l’Islam et sa conversion était annoncée par Muhammad (psl) qui ne l’aura
pas rencontré. Il rejoignit Médine après 632 et fit partie ainsi des Tâbi‛ n (les suivants) ; cf : Hujwîrî,
op.cit., p : 291.
5
Attar F. D., op. cit., p:36.
197

Par ailleurs, Abû Bakr fait la même remarque :


« Celui qui go te de l’a our pur pour Dieu le très haut sera préoccupé au point de
n’avoir aucun soucis pou ce onde. »1

Ce niveau d’amour se confond, en toute évidence, au témoignage de l’unicité


connu sous le concept de a îd et de ma‛rifa. D’ailleurs, dans le même sens, asan
b. ‛Ali aurait soutenu que « quiconque connaît (‛arifa) son Seigneur L’ai era »2

Toutefois, on est encore loin des commentaires de certains propos de soufis qui
étaient d’une extrémité et d’une incohérence incompatible à la Sunna du Prophète
(psl). C’est ainsi qu’on attribue à Ra i‛a3 des propos à travers lesquels elle répondit,
dans un rêve au Prophète (psl), lorsque celui-ci voulut savoir s’il était lui-même
concerné par son amour :
« L’a our du Seigneur très haut, répondit-elle, re plit telle ent on coeur qu’il n’y
reste de place ni pour l’a itié, ni pour l’ini itié envers qui que ce soit. »4

Est-ce réellement des propos de Rabi‛a ou est-ce une influence de l’absoluité


du précepte d’amour messianique détaché de la foi ?

De toute évidence, il était inimaginable de remarquer chez un compagnon du


Prophète (psl) d’avoir un amour pour Dieu excluant celui-ci. Cela aurait été une
prétention qui s’inscrirait paradoxalement dans l’inutilité de sa prophétie.
En définitive, la ma abba ne saurait exclure « ce qui est pour Dieu et vient de
Dieu ».

1
Ghazali, Ihyâ‘ ‛ulûm ad-dîn, op.cit. P:2582.
2
Idem.
3
R i‛a al-‛ da i a, une femme ascète, très célèbre pour son culte d’amour pour Dieu, elle mourut
en 135H/752. Cf. Attar F., op.cit., p : 82.
4
Attar F. D., op. cit., p:92.
198

9. 3.2. Confiance en la Volonté de Dieu :

L’agrément du soufi pour son Seigneur renvoie sur plusieurs aspects à une
remise confiante de soi en Dieu (at-tawakkul). Seulement, tandis que ce dernier
s’inscrit dans le domaine de l’acquisition où le dévot, par un effort psychique,
reconnaît en toute chose son impuissance et place, en toute chose, son issue ( awl) et
sa puissance (quwwa) en Dieu, l’agrément est quant à lui, du ressort de son
assentiment et de sa convenance absolue par rapport à Sa volonté. Très lié à l’autre
Amour et Agrément qu’il reçoit de son Seigneur, celui-ci en est une gratification
subséquente. Le Serviteur agréé agrée son Seigneur.

Quand il vit cet état d’esprit il annihile sa propre volonté, ses désirs et ses
souhaits quels qu’ils soient, dans la volonté du Tout-puissant. Il est en harmonie avec
Sa volonté.

C’est ainsi que lorsqu’il invoque son Seigneur, il se trouve tenaillé entre
l’obligation d’assumer sa servitude (‛ubûdiyya) et le gène d’émettre son propre
souhait malgré la reconnaissance absolue de la primauté de Sa volonté.

C’est pour cela que l’Imam ‛Ali se repentait de ses invocations :


« Ô Toi qui rapidement agrées, pardonne à celui qui ne possède que la requête, car tu
fais ce que tu veux. »1

Par ailleurs, certains analystes l’assimilent à la « neutralisation du choix »


ra al-ihtiyâr) par une domestication ou une modération de la volonté (tahdhîb al-
irâda)2. Seulement, en cela on décèle une part de contrition qui relève de la
longanimité a - abr), surtout quand on s’arrête à une simple annihilation du choix.

1
‛Alî b. Abî âlib, Du‛â‘ umayl, op.cit., p : 19.
2
Janâbî (al) M., i ma ar-rûh as-sûfiy, Damas, Dâr al-madâ, 2001, p:146.
199

Mais avec l’Agrément, le choix doit rena tre et se confondre cette fois-ci au
choix du Tout-puissant, car, en ce moment, Dieu est « l’ouïe par laquelle il entend, la
vue par laquelle il voit et la main par laquelle il saisit ».

Le dévot qui vit cet état d’esprit est décrit par usayn b. ‛Ali1 dans ses
propos :
« Celui qui a confiance au bon choix de Dieu, n’approuvera que ce qu’Il aura choisi
pour lui »2
.
Par conséquent, l’agrément c’est aussi, selon al- u âsibî « la quiétude du
cœur devant le déroule ent des sentences divines. »3

9. 4. Les soufis et l’amour :

9. 4.1. Présentation :

A travers l’analyse de Junayd on dissocie difficilement ces trois concepts :


l’Agrément, l’Amour (de Dieu) et la Pérennisation. C’est ainsi qu’en parcourant son
texte sur « les étapes de la connaissance »4, on voit qu’il décrit un processus qui mène
vers la Pérennisation laquelle est, pour lui, l’ultime signe annonciateur de
l’Agrément. Or la réussite de ce parcours par le dévot se réalise grâce à une assistance
divine (tawfîq) qui n’est encore qu’une expression de Son amour.

L’intérêt de ce passage réside surtout dans l’approche analytique et


méthodique adoptée par Junayd qui renseigne sur la haute capacité de restitution de
l’auteur de ses propres expériences, dans la lucidité, à travers une organisation
didactique remarquable, contrairement aux simples et étonnantes déclarations
attribuées à R i‛a sur sa propre expérience de l’Amour de Dieu5.

1
Troisième Imam chiite, mort en 61/681, tué à Karbalâ Cf. Hujwîrî, op.cit., p : 277.
2
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p: 405.
3
Ibidem, p : 407.
4
Cf. texte n° 1
5
Cf. texte n° :2
200

En effet, à travers ces propos, non seulement les comparaisons qui y sont faites
peuvent renvoyer au sens profane de l’amour, mais, les frappantes déclarations,
placées dans l’optique de la Sunna frise l’incohérence ou même l’hérésie. Pour cela,
une analyse approfondie peut aider à situer les points de divergence d’avec la
tendance orthodoxe.

Par contre, mieux structuré et plus explicite sur la question de l’Amour, le


troisième texte qui est de Hujwîrî résume la pensée de ses maîtres sur la question. Il
dissocie clairement l’amour du côté de Dieu et celui du côté du serviteur.

9. 4.2. Textes traduits et annotés :

Texte n° 1 :

es é apes de la co aissa ce de l i é e de l e is er à l ê re1

Sache que l’adoration de Dieu commence par sa connaissance, que le


fondement de la connaissance de Dieu est de confesser Son Unité, et que la règle à
observer quand on confesse Son Unité est de nier de Lui toute description répondant
aux questions « comment (est-Il) ? », « d’où (vient-Il) ? », et « où (est-Il) ? » C’est par
Lui- ê e que l’on a une preuve à Son sujet, et c’est par Son assistance tawfîq) que
l’on peut tirer argu ent des indications qu’Il fournit sur Lui- ê e. C’est par Son
assistance, que la confession de Son Unité a lieu, et par celle-ci qu’a lieu ensuite
l’adhésion de la foi en Lui a dîq . Puis, à partir de cette dernière, l’assenti ent ou
« la réalisation de la vérité » : a qîq) à Son sujet ; et ainsi se produit la
connaissance de Dieu, à la suite de cet assentiment.

A partir de cette connaissance, aura lieu l’acquiesce ent (istijâba) à Ses


exhortations, qui entra nera l’ascension de l’esprit : taraqqî) vers Lui., laquelle à son

1
Junayd A. Q., op. cit., pp : 152, 153.
201

tour mènera à la « jonction » i i âl) avec Lui. De celle-ci na tra pour l’ho e
l’ « explication » (bayân), et cette explication sera suivie de la « désorientation » (ou
« perplexité » : ayra), qui fera dispara tre l’explication et qui entra nera pour
l’ho e qu’il ne pourra plus rien dire de Lui.

Dans cette suppression de toute possibilité d’expression à Son sujet, il


réalisera ce qu’est son être pour Dieu, et à partir de là se produira la réalisation de
la présence divine (chuhûd) par la disparition de son existence (individuelle). Par la
perte (de conscience) de son existence, son être sera pur, et par cette pureté il sera
privé de ses attributs (individuels). Par son absence (ou « inconscience » : ghayba) à
lui-même, il sera totalement présent (ou « conscient » : ha ara) (à Dieu), et sa totale
présence à Dieu sera sa totale perte de lui-même. Il sera à la fois un être privé
d’existence mawjûd mafqûd et un privé d’être existant (mafqûd mawjûd), qui est là
où il n’était pas et qui n’est plus là où il était. Il sera ensuite, après n’avoir pas été, là
où il avait été (kâna kâna ; avant son existence temporelle). Il sera alors lui-même
(huwa huwa), après n’avoir pas été lui-même. Il sera un existant qui est (mawjûd
mawjûd , après avoir été un existant privé d’être (mawjûd mafqûd).

Il en est ainsi, parce qu’il sera passé de l’ « ivresse » de l’e prise divine
(sakrat al-ghalaba) à la lucidité du « dégrisement » ( a a - a w). Il lui est rendu
alors la vision selon laquelle les choses occupent leur vraie place et sont mises là où
elles doivent être, en vertu de la perception de Ses attributs et de la « pérennisation »
(baqâ ) des traces divines, et de la considération de Son action, après avoir atteint le
but qu’Il lui assignait.

Texte n° 2

-ÔR i‛ a ! Lui demandait-on1, aimes-tu le Seigneur très Haut ?


- Oh ! Vrai ent oui, je L’ai e.
- Et ha ân, le considères-tu comme un ennemi ?

1
Attar F. D., op. cit., pp : 92 – 94.
202

- J’ai e telle ent le Seigneur très Haut que je ne ’inquiète pas de l’ini itié de
ha ân.

On raconte que R i‛a vit en songe l’Envoyé, sur lui soit le salut ! Qui la
salua et lui dit :
-ÔR i‛a ! M’ai es-tu ?
- Ô Envoyé de Dieu ! Répondit-elle, peut-il se trouver quelqu’un qui ne t’ai es pas ?
Et cependant l’a our du Seigneur très Haut re plit telle ent on cœur qu’il n’y
reste de place ni pour l’a itié ni pour l’ini itié envers n’i porte quel autre. […]
On raconte que, pendant l’été, R i‛a se retirait dans une maison isolée dont
elle ne sortait pas. Sa servante lui dit :
- Maîtresse, sors de cette maison et viens contempler les oeuvres de la toute-
puissance du Seigneur très Haut.
- Entre plutôt toi-même, répondit-elle, et viens contempler la toute-puissance en elle-
même.
Et elle ajoutait : « Mon rôle à oi, c’est de conte pler la toute-puissance. » […]

On rapporte que Râbi‛a gémissait continuellement.


- Mais tu n’as al nulle part, lui disait-on, pourquoi gémir ainsi ?
- Hélas ! Répondit-elle, le al dont je souffre est tel qu’aucun édecin ne peut le
guérir ; seule, la vue du Seigneur lui servira de re ède. Ce qui ’aide à supporter ce
al, c’est l’espoir que, dans l’autre onde, j’arriverai au but de es désirs. […]

Texte n° 3

e comme de l amour de ieu le rès-haut entre Lui et Ses amis1

Sache que l’a our que Dieu le rès-haut a pour le serviteur est le fait de lui
vouloir du bien et de lui accorder Sa iséricorde. L’a our al-ma abba) est l’un des

1
Hujwîrî, op.cit., P: 550.
203

noms déclinés à partir de (Sa) volonté (al-Irâda), co e l’est l’agré ent ar-Ri â).
De ê e la colère, la clé ence et tous les no s de cette sorte ne sont liés qu’à la
Volonté de la Vérité le Très-haut. Cette Volonté en question est un attribut originel
qui Lui revient et par lequel Il motive Ses actes.

Par ailleurs, suivant les nor es de l’éloquence et de l’éty ologie, certains de


ces attributs se spécifient plus que d’autres.

En définitive, l’a our que Dieu a pour le serviteur se traduit par le fait qu’Il
le gratifie d’inno brables bienfaits et qu’Il le réco pense dans ce onde et dans
l’autre, le sécurise par rapport à tout ce qui i plique punition, le protège du péché,
l’honore par des états élevés et des stations subli es, le préoccupe au point qu’il ne
puisse pas se tourner vers autre que Lui, lui fait parvenir les faveurs pré temporels
afin qu’il se départisse de tout et s’isole dans la recherche de Son agré ent.

Quand la Vérité favorise le serviteur par la gratification de ces valeurs, ils (les
soufis désignent la particularité de Sa volonté ainsi anifestée par l’a our al-
ma abba . elle est la pensée de l’école de ârit al- u âsibî, de Junayd d’un bon
no bre de a tres. La plupart de l’ense ble des juristes des deux groupes1et des
théologiens2 (mutakallimûn) des sunnites, que Dieu les agrée tous, est aussi de cet
avis. […]

Quant à l’a our de Dieu chez le serviteur, c’est un attribut qui se réalise dans
le cœur du fidèle croyant et se traduit par le fait de agnifier et d’exalter Dieu , afin
de chercher l’agré ent de l’Ai é. Ainsi, il est à la li ite de la patience en cherchant
à Le voir, agité par le désir de se rapprocher de Lui. Il ne trouve le cal e qu’à Ses
côtés et s’habitue à Sa ention en se départant de tout ce qui ne l’évoque pas. Il
s’interdit toute stabilité et le cal e le fuit. Il coupe ses liens avec tous les habituant et
les sociabilisant, tourne le dos aux passions et va à la rencontre du Souverain de

1
Sans doute, il s’agit ici des shiites et des sunnites.
2
Probablement, il fait allusion à l’école ash‛arite.
204

l’A our en suivant Sa loi. Il conna t ainsi Dieu le rès-haut et se trouve être sanctifié
par les attributs de la complétude (al-kamâl).

9. 4.3. Analyse :

L’amour que Dieu a pour son serviteur se confond chez Junayd à Son
agrément, aussi son expression la plus manifeste est Son assistance (at-tawfîq) pour le
dévot. Ainsi, par Son amour, Il l’aide à s’approcher de Lui. Or cette assistance
apparaît depuis la confession de Son unité et accompagne le serviteur jusqu’à la
Pérennisation. On comprend par là que cet amour n’est pas conditionné par quoi que
ce soit, mais dépend simplement de la volonté de Dieu. C’est plutôt l’affection
(amour) que le dévot éprouve pour le Seigneur qui est proportionnelle à son degré de
sincérité1.

Toutefois, on a vu que cette attitude de loyauté chez le serviteur lui autorise


d’espérer et le met dans une situation d’attente de Son amour. Par ailleurs, comme ses
paires, Junayd s’est aussi fixé des signes qui marquent l’apparition de cette assistance
ou de cet amour, comme l’extase2, l’illu ination etc.… A ce sujet, tous les soufis
s’accordent pour dire que c’est la crainte révérencielle et la reconnaissance3 qui sont
les signes les plus manifestes de cette assistance.

Ce passage de Junayd est certes identique aux précédents par son style
analytique, mais son accessibilité et sa clarté est atténuée par la densité des concepts
plus ou moins hermétiques qui, pour chacun d’eux, est chargé de beaucoup de
signification pour la communauté des soufis.

Le texte suivant d’Attâr se démarque par sa discontinuité. Du type narratif


dialogué, il rapporte quatre situations d’échange de propos entre R i‛a al-‛adawiyya
et des inconnus, probablement des disciples ou des admirateurs.

1
Cf. la troisième partie de ce présent chapitre, p :194.
2
Voir les signes dans la deuxième partie de ce chapitre.
3
Voir le développement de ces concepts en infra chapitre IV et V.
205

La première est d’une incohérence déconcertante pour deux raisons. D’abord,


on ne voit rien dans la première réponse de R i‛a déclarant aimer Dieu énormément
qui puisse entraîner la question suivante. Ensuite, les derniers propos attribués à cette
ascète sont absurdes car, considérant tout ce qu’elle vient de dire, on se demande
comment le plus grand ennemi de Dieu ne pourrait-il pas être son ennemi ? Enfin, le
style impersonnel de l’auteur s’apparente à une certaine incertitude et à une légèreté
de ses sources. C’est une remarque d’ailleurs valable pour les autres récits.

Comme on l’a évoqué un peu plus haut dans ce chapitre, les propos du
deuxième récit par lesquels elle déclare ne pouvoir aimer le Prophète à cause de
l’intensité de son amour de Dieu sont déconcertants. Cela fait même penser à une
personnification de Dieu de sa part au sens profane de l’amour.

L’approche de Hujwîrî dans le troisième passage est par contre plus


méthodique. En dégageant clairement deux parties dans ses explications, il vient
renforcer ce qui a été démontré plus haut :

 L’amour que Dieu a pour Son serviteur est une gratification divine qui se
résume en Son assistance (at-tawfîq) et dépend exclusivement de sa volonté.
 L’amour du serviteur se traduit par « le fait de agnifier et d’exalter (Dieu),
afin de chercher l’Agré ent de l’Ai é », ainsi que d’avoir confiance en Sa
volonté.
206

Chapitre X : De la raison à la lumière

« Certes, Nous avons honoré les fils d’Ada . Nous les avons transportés sur
terre et sur mer, leur avons attribué de bonnes choses comme nourriture, et Nous les
avons nettement préférés à plusieurs de Nos créatures. »1

Si des philosophes contemporains, psychanalystes et épistémologues,


s’attaquent parfois à cette idée de la supériorité de l’homme sur les autres espèces de
la nature, en la considérant fondamentalement comme un ensemble d’opinions érigés
en connaissances nécessaires à une conciliation psychologiques entre la haute idée
qu’il a de lui-même et ses conséquences néfastes de prédateur sur la nature, une
simple illusion versée dans le compte du narcissisme humain2, il n’en demeure pas
moins que, par exemple, sa domination incontestables au niveau du règne animal lui
vient d’un avantage lié à une supériorité sur le plan de l’évolution.

En effet, le philosophe aura beau ravalé l’homme au rang d’animal dénaturé et


dangereux, mais il lui sera difficile de ne pas reconnaître la préciosité de sa raison
qu’il détient au détriment des autres espèces et qui est après tout la source de ses
propres spéculations : l’homme est le plus intelligent.

C’est pour cela que le Coran présente la raison (al-‛aql) comme un don, un
signe de préférence et sur ce, selon le soufi, le fidèle est appelé à l’utiliser à bon
escient, en l’éloignant des malices et subtilités de l’âme charnelle.

1
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Isrâ’ (17), v. 70.
2
H. Piéron définit le narcissisme comme étant la persistance ou le retour d’un stade archaïque du
développement psycho sexuel dans lequel l’objet d’amour est la personnalité propre, cela peut se
traduire par l’égoïsme humain dans une certaine mesure. Cf. H. Piéron, Vocabulaire de la psychologie,
PUF Quadrige, Paris, 2000, 6e éd, p : 291.
207

10. 1. La raison (al-‛aql)

10. 1.1 i ellige ce humai e :

Selon la psychologie plusieurs définitions peuvent être données.


« L’intelligence générale est le facteur général co un à toutes les opérations
mentales. »1
« L’intelligence est la capacité de résoudre des problè es, de trouver une issue
convenable à des situations nouvelles, d’un ordre quelconque. »2

Plus spécifiques, la deuxième définition exclue les capacités instinctives ou


apprises, plus ou moins automatisées. Ici, elle fait plus appel à la réflexion et au
raisonnement. C’est cela le propre de l’intelligence humaine.

En effet, à travers cette réflexion ou ce raisonnement défini communément


comme « un acte de pensée logique tendant à tirer une conclusion particulière de
données générales (déduction) ou une conclusion générale de données particulières
(induction) ou même une conclusion particulière de faits particuliers (analogie) »3,
s’opèrent les facultés de l’intelligence humaine sur les objets les faits et les idées
grâce à un « organe » qui, à travers différentes représentations, centralisent toutes ces
opérations : la raison.

Par ailleurs, se déroulant dans la conscience de l’individu, ces activités de


réflexion ne peuvent être perçues à partir de l’extérieur que par des manifestations du
comportement. Aussi, de leur subjectivité, a-t-on du mal à définir ou à analyser
objectivement le processus de leur évolution psychique.

Toutefois, on peut noter d’emblais que c’est par la conscience que s’opèrent
les facultés de l’intelligence. En effet, grâce aux organes de sens dont le contrôle

1
H. Piéron, op. cit. p : 232.
2
Idem.
3
H. Piéron, op. cit. p : 375.
208

préoccupe énormément le soufi1, l’individu prend conscience de la présence ou de


l’état de l’objet (ou idée) sur lequel agit sa raison comme « moteur de réflexion ».

En définitive, on peut se faire une représentation de l’intelligence humaine,


comme un ensemble de fonctions dont « l’organe oteur » est la raison ; elle agit sur
l’objet (objet, fait, idée), par différentes opérations mentales grâce aux informations
fournies par la conscience.

De surcroît, dans le domaine religieux, la raison constitue, un organe de


surveillance qui analyse et classe selon des critères logiques et moraux au moment où
la conscience en est le siège de perception interne.

Cette représentation fait penser au concept de « l’â e qui ne cesse de blâ er »


(an-nafs al-lawwâma)2 évoqué dans le Coran. Elle explique aussi l’importance
morale de la conscience qui, sur bien des points, est confondue à la raison.

10. 1.2 apologie cora i ue de la raiso :

Le Coran s’adresse à l’homme doué de raison selon ses propres termes. Ainsi,
à travers ses interpellations, on comprend qu’au-delà des sources émotives que
constituent les miracles prophétiques, la raison est confirmée comme la voie royale
pour accéder à la foi. D’ailleurs, il a été démontré que l’éloquence et la rhétorique 3
coranique sont, à plusieurs titres, une adresse à la fois défiante et édifiante à la raison
humaine :

« Par le Livre explicite !


Nous en avons fait un Coran arabe afin que vous raisonniez. »4

1
Cf. chapitres sur la pénitence et la longanimité, p :96 .
2
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Qiyâma (75), v. 2.
3
Cf. chapitre I sur les arguments coraniques, p :24.
4
Le Coran, op. cit, Sourate Az-Zuhruf (43), v. 2,3.
209

« Annonce la bonne nouvelle à Mes serviteurs qui prêtent l’oreille à la parole, puis
suivent ce qu’elle contient de eilleur. Ce sont ceux là qu’Allah a guidés et ce sont
eux les doués d’intelligence ! »1

Ainsi, ce livre invite à l’introspection, à la réflexion et à l’analyse qui sont


autant d’attitudes de la raison permettant à l’homme de se hisser au dessus de
l’animal, afin de percevoir le fond de son message. Mieux, il s’étonne même parfois
de l’incrédulité de l’homme qui se détourne malgré l’évidence qu’il dévoile pour tout
être doué de raison.

« Ne méditent-ils pas sur le Coran ? Ou y’a-t-il des cadenas sur leurs cœurs ? »2

« Ne vous ai-je pas engagés, enfants d’Ada , à ne pas adorer le Diable ? Car il est
vraiment pour vous un ennemi déclaré,
Et [ne vous ai-je pas engagés] à ’adorer ? Voila un chemin bien droit.
Et il a très certaine ent égaré un grand no bre d’entre vous. Ne raisonnez-vous
donc pas ? »3

« A quiconque nous accordons une longue vie, nous faisons baisser sa forme. Ne
comprendront-ils donc pas ? »4

Ainsi, le Coran demande à l’homme d’utiliser sa raison pour échapper aux


tentations du Diable, pour réfléchir sur son message ainsi que sur la vie afin de
percevoir et de comprendre les signes qui mènent vers le « droit chemin ». Cette
attitude coranique se traduit par une forte recommandation de la Sunna de cultiver
l’esprit et d’aller vers les connaissances, vers la science.

1
Ibidem, Sourate Az-Zumar (39), v. 17, 18.
2
Ibidem, Sourate Muh ammad (47), v. 24.
3
Ibidem, Sourate Yâsîn (36), v. 60-62.
4
Ibidem, Sourate Yâsîn (36), v. 68.
210

Par ailleurs, l’importance de la raison se traduit par sa primauté sur le plan


juridique (fiqh). Ainsi, ni l’enfant, ni le handicapé mental ne sont assujettis à une
quelconque obligation cultuelle, par leur manque de raison.
Cette importance est pour beaucoup sur l’attitude souvent hostile de la plupart
des juristes (al-fuqaha ) à l’égard du a awwuf1 qu’ils accusent souvent à tort d’avoir
peu de considération pour le raisonnable à travers ses pratiques et interprétations.

10. 2. Des considérations de la raison chez les soufis :

10. 2.1. Nécessité et limite de la raison :

Il convient de revoir la position des soufis de la première heure vis-à-vis de la


raison (al-‛aql) pour comprendre l’origine de ce conflit qui les opposait à des juristes
vers la fin du troisième siècle après l’Hégire.

Selon Junayd, les soufis ont le regard perpétuellement fixé sur ce que leur
prescrit la parole divine, selon les exigences que leur impose la servitude (al-
‛ubûdiyya)2 ; et par l’intelligence, ils agissent pour le meilleur3.

C’est bien la raison qui permet au soufi d’analyser le fond du message pour en
tirer une attitude conséquente conforme au plus sincère choix possible en toute
connaissance de cause et du sort réservé au serviteur de Dieu qu’il est. C’est pour
cette utilité que beaucoup d’entre eux n’ont pas cessé de faire l’éloge de la raison (al-
‛aql), à l’image de l- a rî4.

Ainsi, c’est par intelligence que le soufi a choisi d’opérer un détachement de


ce monde, après réflexions et introspection de son âme ; et c’est la raison qui l’a
poussé vers la dévotion sincère.

1
Ce conflit se manifeste à partir du IIIe siècle de l’Hégire, mais avant cette période, et pour le contexte
temporel qui concerne cette présente étude, beaucoup de témoignages ont montré que les plus éminents
juristes étaient aussi des soufis. Pour d’autres précisions sur l’époque conflictuelle cf. S. Ndiaye, op.cit.
2
Junayd, op. cit. p: 55.
3
Ibidem, pp :59, 60.
4
S. Ndiaye, op. cit, p: 12.
211

Interrogé sur ce qu’est pour lui la racine de la religion, un célèbre soufi de


cette époque, F. b. ‛Iyâ 1, avait simplement répondu : « l’intelligence, la
connaissance de Dieu, la patience et la reconnaissance »2.
Il faut dire que l’essentiel de la littérature des soufis de cette époque oppose la
raison à la passion (al-hawâ) et la prend pour une faculté émanant de l’esprit (ar-r ).
Ainsi, si entre autre l- a rî se distingue par l’apologie de cette faculté c’est grâce
à la considération de cette pûreté qui l’assimile à la fameuse perception de l’intérieur.

Cependant, cette importance accordée à la raison n’exclue pas chez lui un


certain contrôle qu’il devra exercer sur elle. En effet, pour le soufi, l’intelligence est
susceptible d’être aliénée par la puissance de l’âme charnelle ou par les suggestions
maléfiques du diable. Ainsi, se permet-il d’avoir des doutes sur tout fruit de la pensée.

En effet, autant la raison est capable de faire opérer une analyse pure et
décisive pour déterminer la vérité, autant, il est difficile pour elle d’adopter une
attitude de distanciation quand il s’agit d’opérer un choix qui ébranle l’ego ou qui
menace la quiétude ou le confort de l’individu. C’est ainsi que la raison aliénée se
charge toujours de justifier des manquements du dévot. Fort de cela, des soufis
comme al- u âsibî accordent à l’intelligence une seule fonction essentielle :
l’introspection. Et ce qui, selon lui, peut sauver d’un tel égarement est le respect de
« la voie droite » (a - ir al-mustaqîm), celle tracée par le Message prophétique.

Le soufi est d’avis que, certes, le cadeau le plus précieux accordé à l’homme
est la raison mais, dans son dispositif de fonctionnement, à travers ses relations avec
les sens, elle est exposée à l’influence de l’âme charnelle3.

Par ailleurs, la raison est assurément un outil qui permet d’accéder à une
science certaine (‛ilm al-yaqîn). Seulement, en analysant le message coranique, on est

1
Abû ‛ lî al- u ayl b. ‛I , un soufi très célèbre, originaire de Hurasân, il est mort en 187H/803.
Cf. Hujwîrî, op.cit., p : 308.
2
Attar F. D., op. cit., p:107.
3
Nas r S. ., As-Sûfiyya bayn al-ams wal-yawm, Beyrout, 1975, p : 67. Cf. à la fin de ce chapitre un
passage de Ghazali sur l’intellect.
212

d’avis qu’avec la raison on ne peut pas aller au-delà de cette science acquise. Or, de
l’autre côté, le savoir qui permet d’accéder à la Certitude est gratifié1.
« …Et de Sa science, ils n’e brassent que ce qu’IL veut. »2

Il existe donc une science qui ne s’acquiert pas, mais se donne, comme ce fut
le cas avec cet homme qui en a été gratifié et qui dévoilait au prophète Mûsâ des
choses qui échappaient à l’entendement humain et perturbaient le bon sens.
« …Ils trouvèrent l’un de Nos serviteurs à qui Nous avions donné une grâce, de Notre
part, et à qui Nous avions enseigné une science émanant de Nous. »3

10. 2.2. a percep io par la lumière divi e al- a îra)

La notion de lumière a une récurrence notable dans la révélation coranique.


Mais, sur chacun des nombreux passages où elle est mentionnée, on remarque, de
façon plus ou moins explicite, son rapport sémantique, tantôt symbolique, tantôt
énigmatique avec la problématique de la guidance divine (hudal-lâh).

Le passage le plus frappant, mais aussi le plus éloquent est sans doute ce
fameux verset d’une beauté extrême qui a suscité beaucoup de commentaire du côté
notamment des soufis4 :

« Allah est la Lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche
où se trouve une lampe. La lampe est dans un (récipient) de cristal et celui-ci
ressemble à un astre de grand éclat ; son co bustible vient d’un arbre béni : un
olivier ni oriental, ni occidental dont l’huile se ble éclairer sans ême que le feu ne

1
Ghazali, Ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op. cit.p:34.
2
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Baqara (2), v. 255.
3
Le Coran, op. cit, Sourate Al-Kahf (18), v. 65-82. Notons que dans ce passage le Livre n’est pas
explicite quant au nom du serviteur en question.
4
Ghazâlî a consacré un ouvrage entier à ce verset : Mishkât al-anwâr (Le Tabernacle des lumières), il a
sans doute fait beaucoup d’emprunt de concepts notamment hellénistiques, mais son analyse s’est
fondamentalement inspirée de la pensée de ses maîtres prédécesseurs du a awwuf.
213

la touche. Lumière sur lumière. Allah guide vers sa lumière qui Il veut. Allah propose
aux hommes des paraboles et Allah est omniscient. »1

Au de là des nombreux commentaires, on peut retenir de ce verset les cinq


points suivants :

 La problématique de la lumière chez les soufis n’est pas une notion


hétérodoxe, elle est fondamentalement coranique.
 La métaphore du verset a comme tableau de fond les ténèbres, ce qui fait jaillir
la préciosité de la lumière et fait penser à ce fameux navigateur perdu, au
milieu de la tempête, en pleine mer, dans l’obscurité de la nuit2.
 Il s’agit d’une lumière divine qui se confond parfois à Son essence. Ce qui fait
dire à Ghazali que la véritable lumière est Dieu et que le nom de lumière
appliqué à un autre être est purement métaphorique3.
 C’est Seul Dieu qui peut guider vers cette « lumière ». On rejoint le sens du
verset suivant qui dévoile une donnée sur le moyen de perception de cette
lumière qui, cette fois-ci, n’est plus l’œil.

« Est-ce que celui dont Allah ouvre la poitrine à l’Isla et qui détient ainsi une
lu ière venant de son Seigneur…Malheur donc à ceux dont les cœurs sont endurcis
contre le rappel d’Allah. Ceux-là sont dans un égarement évident. »4
Cette lumière de Dieu se perçoit par le cœur.

 La guidance vers cette lumière est conditionnée par la volonté du Tout-


puissant qui apprécie le degré de la crainte révérencielle (taqwal-lâh) de celui
à qui Il la destine.
« Ô vous qui croyez ! Si vous craignez Allah, Il vous accordera la faculté de
discerner, vous effacera vos méfaits et vous pardonnera. »5

1
Coran, op. cit, sourate An-Nûr (24), v. 35.
2
Coran, op. cit, sourate Al-Baqara (2), v. 19,20.
3
Ghazali, Mishkât al-anwâr, op. cit.p:37-61.
4
Coran, op. cit, Sourate Az-Zumar (39), v. 22.
5
Coran, op. cit, Sourate Al-Anfâl (8), v. 29.
214

« Et quant à ceux qui luttent pour Notre cause, Nous les guiderons certes sur Nos
sentiers. »1

Sur ce, on peut comprendre pourquoi le soufi accorde une plus large
considération à cette lumière qu’à la raison naturelle aliénable. Cela n’exclut point la
nécessité de cette dernière. Mais elle s’impose plutôt sous un angle de
complémentarité2. Elle permet d’accéder incontestablement au savoir acquis dont on a
besoin pour accomplir correctement les pratiques de servitude. Quant à ce qui mène
vers la certitude en l’unicité de Dieu, c’est la lumière3.

Plus tard, des penseurs musulmans, reprenant les écrits de Platon et d’Aristote,
ont tenté de faire une conciliation entre cette lumière et la raison, à travers la fameuse
théorie de « l’é anation de l’intellect »4.

Seulement, si on est unanime à reconnaître que la conscience et la raison


accordent à l’homme « la faculté de discerner », au détriment de l’animal, ce
discernement qu’évoque le verset ci-dessus n’est gratifié qu’à « ceux qui craignent
Allah ».
Ainsi, le soufi pense, à juste titre, que c’est par la crainte révérencielle (à
travers le détachement et la dévotion) que la raison se purifie et que le discernement
s’opère par l’avènement d’une lumière divine dont les premiers rayons accessibles
restent la Sunna.

En effet, considérant la subjectivité de la question, la sincérité dans


l’application de la Sunna est le seul garant de conformité et de droiture qui puisse
sauver le dévot de la force de sa passion, de la ruse du Diable et des méandres de
l’illusion.

1
Coran, op. cit, Sourate Al-‛An abût (29), v. 69.
2
Sharqâwî, Ash-Sharî a wal haqîqa, op. cit., Pp: 60-81.
3
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:511 et cf Junayd, op. cit. p :130.
4
Il s’agit ici essentiellement d’al-Farabî et d’Ibn Sînâ ; les traités ultérieurs de Ghazali n’ont pas
manqué de s’en inspirer pour repréciser la position de ses ma tres soufis. Cf. développement au chapitre
XII, p :245.
215

10. 3. Des points de vue sur « l’œil du cœur »

10. 3.1. Présentation :

Le premier texte est extrait d’un traité de Ghazali : Mishkât al-anwâr (Le
Tabernacle des lumières). Ecrit pendant les dernières années de sa vie, ce livre est une
synthèse de beaucoup de thèmes déjà abordés par l’auteur dans ses ouvrages
précédents. Il date de la dernière période de sa vie1.

Comme il l’a indiqué tout au début, il est une réponse adressée à un frère qui
voulait de sa part un commentaire du verset de la lumière2. L’idée générale est fondée
sur une double analogie établie avec habileté :

 Entre l’œil, l’organe de la vue et l’œil du cœur, « miroir de la vision


intérieure » ;
 Entre la lumière naturelle de l’astre et la lumière divine.

Dans ce passage Ghazali essaye de restructurer la pensée de ses maîtres sur la


question de la perception (Al- a îra) par le cœur. Très pédagogique, son approche
s’appuie sur le concret et, par analogie aboutit à une bonne abstraction de sa
représentation.

F. Attâr rapporte des propos d’Al- is âmî3 qui révèle comment, au bout de sa vie
de détachement et de dévotion, il est parvenu à avoir une autre perception de la
créature4. Moins éloquent que Ghazali, Al- is âmî emploie néanmoins des images qui
font plus penser à une expérience personnelle authentique qu’à une élaboration
conceptuelle théorique.

1
Cf. note biographique sur l’auteur au chapitre III, p :77.
2
Coran, op. cit, Sourate An-Nûr (24), v. 35.
3
azîd a r ‛ s l- is âmî est originaire de is âm. Il voyagea beaucoup et eut à rencontrer
l’Imâm Ja‛ ar. On lui attribua beaucoup de miracles et il se particularisa, selon certaines sources, par
ses exclamations et ses affirmations déroutantes. Il mourut en 261H/875.
4
Cf. texte n° 2
216

10. 3.2. Textes traduits et annotés :

Texte n° 1

Précision : sur la lumière e sur l œil du cœur)1

Sache que la lumière de la vision interne est marquée par plusieurs


imperfections :

 Elle voit les autres mais ne se voit pas elle-même ;


 Elle ne voit pas ce qui est trop éloigné d’elle ;
 Elle ne voit pas ce qui se trouve derrière un voile ;
 Elle voit l’extérieur des choses ais non leur intérieur ;
 Elle voit certains êtres et non tous les êtres ;
 Elle voit ce qui est limité et non ce qui est illimité ;
 Dans l’acte ê e de la perception visuelle elle se tro pe souvent, croyant
petit ce qui est grand, proche ce qui est éloigné, croyant en mouvement ce qui
est i obile ou l’inverse.

Ce sont là sept i perfections, qui sont inséparables de l’œil externe. Si donc il existait
un œil d’une autre sorte, exe pts de tous ces défauts, ne ériterait-il pas mieux,
vraiment ! Le nom de « lumière » ?

Or, sache-le ! Il y a effective ent dans le cœur (qalb) de l’ho e un œil


(‛ayn) qui possède cette sorte de perfection. On l’appelle tantôt intellect ‛aql), tantôt
esprit r ), tantôt âme humaine (nafs insânî). Laisse de côté la question de ces
différentes déno inations, qui font croire aux gens peu clairvoyants qu’elles
s’appliquent à des réalités ultiples ! Nous n’entendons, quant à nous, ne désigner
que ce qui distingue l’ho e raisonnable de l’enfant à la a elle, de la bête et du
fou. Appelons-le donc « intellect », suivant en cela l’usage courant !

1
ha ali A. ., Le Tabernacle des lumières, trad. Mishkât al-anwâr par Deladrière R., Sindbad, Paris,
1981, pp : 40 – 44.
217

Nous disons donc que l’intellect érite ieux que l’oeil externe d’être appelé
lu ière, car il échappe par l’élévation de son rang aux sept i perfections :

En pre ier lieu, l’œil ne se voit pas lui- ê e, tandis que l’intellect perçoit les
autres tout en se percevant lui-même dans ses diverses attributions : il se perçoit en
effet « connaissant » et « pouvant », il perçoit la connaissance qu’il a de lui-même, la
connaissance qu’il a de cette connaissance, la connaissance de la connaissance de
cette connaissance, et ainsi de suite à l’infini. C’est là une propriété inconcevable pou
ce qui perçoit par un corporel. Derrière cela réside un ystère qu’il serait trop long
d’exposer.

Deuxiè e ent, l’œil ne voit pas ce qui est trop éloigné ni ce qui est
exagéré ent proche de lui. Pour l’intellect, ce qui est près et ce qui est loin sont
indifférents. En un clin d’eil il onte et s’élève au plus haut des cieux, et le te ps
d’un batte ent de paupières il reto be et redescend jusqu’aux confins des terres.
Bien plus, quand on connaît les vérités spirituelles, il est de toute évidence que sa
nature sainte le met bien au-dessus et hors de l’atteinte des notions de proxi ité et
d’éloigne ent, liées au onde des corps. Il est en effet le symbole de la lumière de
Dieu, et le sy bole ne saurait anquer de resse bler à son odèle bien qu’il n
puisse s’élever jusqu’à la ci e de l’équivalence. Peut être cela va-t-il t’inciter à
méditer sur le mystère de la parole du Prophète : « Dieu a créé Adam à son image. »1

roisiè e ent, l’œil ne perçoit pas ce qui se trouve derrière des voiles.
L’intellect, lui, se eut libre ent dans le do aine du rône et du Piédestal divins 2 et
de ce qui se situe derrière les voiles des cieux, ou dans le plérôme suprême et le
Royaume céleste3, tout aussi libre ent qu’il se eut dans son univers propre et dans
son royaume immédiat, à savoir le corps qui lui est affecté en propre. De toutes les

1
Tradition transmise par Abû Hurayra et citée dans les recueils canoniques. Selon une variante Adam
a été créé « à l’image du Tout-miséricordieux » (ar-Ra mân).
2
De nombreux versets coraniques mentionnent le Trône divin (al-‛Arsh), entre autres le verset 54 de la
sourate VII : « Votre Seigneur est Dieu, qui créa les cieux et la terre en six jours puis siégea sur le
Trône. » Quant au Piédestal divin (al-Kursî), il est dit au verset 255 de la sourate II.
3
Le plérôme suprême (al-mala al-a‛lâ) désigne l’Assemblée des anges. Dans le Coran, le oyaume
céleste (al-Malakût) englobe les cieux et la terre.
218

réalités, aucune n’et cachée à l’intellect. S’il a un voile de l’intellect, dans la esure
où il serait voilé, c’est de son propre fait, en raison de certaines propriétés qui lui
sont liées, co e l’œil ui se cache lui-même en fermant les paupières. Tu en saurs
davantage au troisième chapitre de cet ouvrage.

Quatriè e ent, l’œil perçoit l’extérieur des choses et leur surface, ais non
leur intérieur, bien plus qu’il n’en perçoit que le oule et la for e, et non pas leur
véritable nature. L’intellect, lui, pénètre à l’intérieur et au cœur des choses et il saisit
leur nature profonde et leur essence intelligible. Il découvre leur cause, leur raison
d’être, leur finalité et leur har onie interne ikma . Il trouve d’où elles ont été
créées, co ent et pourquoi elles ont été créées, de co bien d’élé ents réels elles
sont la so e et elles se co posent, quel rang elles occupent dans l’Existence, quelle
es leur relation avec leur Créateur et quelle est leur relation avec le reste de Ses
créatures, tout ceci entre autres objets de recherche qu’il serait trop long d’exposer et
pour lesquels je préfère abréger.

Cinquiè e ent, l’œil ne voit que quelques êtres, puisqu’il est incapable de
percevoir les réalités intelligibles et même beaucoup de réalités sensibles. Il ne
perçoit ni les sons, ni les odeurs, ni les saveurs, ni la chaleur et le froid. Pas plus que
l’œil ne saisit les facultés de perception elles-mêmes, ouïe, vue, odorat, goût, ni à plus
forte raison les états intérieurs et psychologiques, comme la gaieté et la joie,
l’affliction et le chagrin, la souffrance et le plaisir, la passion et le désir, ou encore la
puissance, la volonté et la connaissance, etc., parmi toutes les choses qui existent et
qui sont incalculables et innombrables. Son domaine est donc très restreint et son
cha p d’action très réduit, puisqu’il ne peut aller au-delà des couleurs et des formes,
qui sont ce qu’il y a de plus bas chez les êtres, ceux que l’on peut énu érer et la
multitude inno brable constituée par l’i ense ajorité des autres êtres. Il se eut
libre ent auprès d’eux, portant sur chacun un juge ent s r et vrai. Leur nature
secrète lui est transparente, et leur essence cachée lui est évidente.

Co ent l’œil externe pourrait-il donc rivaliser de gloire avec l’intellect et lui
disputer le titre de « lumière » ? Certainement pas ! Il n’est lu ière que relative ent
219

aux autres choses, ais par rapport à l’intellect il n’est que ténèbres. Plus
exactement, il fait partie des informateurs, chargés souverainement par lui de son
ministère le moins précieux, à savoir celui des couleurs et des formes, dont il lui
apporte les renseigne ents sur lesquels l’intellect décidera selon ce qu’exige sa
perspicacité et son jugement sans appel.

Les cinq sens externes sont les observateurs de l’intellect. Mais il en a d’autres
à l’intérieur, tels que l’i agination (hayâl), la faculté estimative (wahm), la faculté
cognitive (fikr), la faculté de rappel (dhikr) et la mémoire (hifz). Derrière ces
observateurs des serviteurs et des défenseurs, qui lui sont soumis en fonction du
onde qui est le sien. Il se sert ‘eux et les traite à son grè, ieux encore que ne le fait
un roi avec ses esclaves. Il serait trop long de développer ce sujet, et d’ailleurs nous
en avons parlé au chapitre des « Merveilles du cœur » dans notre I yâ .

Sixiè e ent, l’œil ne voit pas ce qui est illi ité, car il voit des corps, qualifiés
par certains attributs, selon lesquels un corps ne saurait être conçu que limité.
L’intellect, lui, perçoit les objets de la connaissance, et on ne peut les concevoir
limités. Sans doute au moment où il considère des choses particulières, le résultat
immédiat de cette connaissance se présente-t-il à lui comme illimité. Mais il a la
possibilité de percevoir ce qui est illimité.

Ce serait trop long de développer ce point. Mais si tu veux, prends comme


exemple les évidences suivantes : l’intellect appréhende les no bres, or la série des
no bres n’a pas de fin. Il peut ê e saisir le résultat obtenu en doublant le no bre
deux, puis le nombre trois et toute la suite des nombres ; là encore on ne saurait
concevoir de limite. Il est capable de saisir toutes sortes de relations entre les
no bres, donc sans li ites concevables. Mieux encore, il perçoit qu’il a connaissance
d’une chose, et qu’il a la connaissance de cette connaissance, puis la connaissance de
la connaissance de cette connaissance, avec la possibilité de ne ja ais s’arrêter et
ceci pour un seul et unique objet de connaissance !
220

Septiè e ent, l’œil voit petit ce qui en réalité est grand ; il perçoit le soleil
co e ayant la di ension d’un bouclier, et les étoiles sous l’aspect de pièces de
onnaies rependues sur un tapis azuré. L’intellect, lui, saisit que les étoiles et le soleil
sont cent fois plus grands que la terre. L’œil voit les étoiles co ei obiles, ainsi
que l’o bre qui est devant lui ; de même il ne voit pas sur le moment le petit enfant
entrain de grandir, alors que l’intellect saisit que la taille de cet enfant aug ente et
que sa croissance est continue, que l’o bre bouge consta ent et qu’en un instant
les étoiles parcourent un no bre considérable de illes. […]

Les erreurs co ises par la vue sont ultiples, et l’intellect y échappe. Si tu


objectes à cela le fait patent que des gens intelligents se trompent, je te répondrai
qu’ils prennent pour des juge ents de l’intellect ce qui n’est en eux qu’i aginations,
conjectures ou croyances, sache-le ! […]

Quand l’intellect est libéré du voile de la conjecture et de l’i agination, ce qui


est très difficile, on ne saurait concevoir qu’il se tro pe. Ce n’est qu’après la ort
qu’il sera totale ent libéré de ces tendances naturelles. C’est alors que le voile sera
enlevé et que les secrets appara tront claire ent. […]

Texte n° 2

On raconte que1 Bayezid disait :

« Douze années de suite, je fus le forgeron de ma personne [de mon âme], que je
plaçai dans le foyer de l’ascétis e, pour la faire rougir au feu de l’épreuve, la pauser
sur l’enclu e de la crainte et la battre avec le arteau de la répri ande. Je fis ainsi
d’elle un iroir qui e servit à ’exa iner moi-même pendant cinq années, où je ne

1
Attar F. D., Mémorial des saints, trad. Tadhkirat al-awliyâ‘ par Courteille A. P., seuil, Paris, 1976,
pp : 159,160.
221

cessais d’enlever la rouille de ce iroir à l’aide des actes de piété et d’adoration.


Une année, co e j’eu is a confiance dans es actes de piétés et dans es
œuvres, il se noua autour de es reins une ceinture d’infidélité, qui ne put en être
détachée qu’au bout de cinq ans d’efforts. Alors, je renouvelai entière ent a foi
religieuse. En y regardant avec attention, je reconnus que toutes les créatures
n’étaient que des cadavres. Je récitai pour elles la prière funèbre avec les quatre
Tekbir et, à mon retour de cette cérémonie, je me lavai les mains de toute assistance
hu aine, et c’est avec l’aide de Dieu que je revins à Dieu. »

10. 3.3. Analyse :

Dans ce premier passage, Ghazali fait l’apologie de l’intellect (al-‛aql), ce


qu’on a traduit plus haut par raison. Mais pétri de sa formation philosophique, il
emprunte des concepts pour mieux expliquer l’élément moteur de la perception
intérieure al- a îra) que ses maîtres prédécesseurs ont essayé de théoriser et qui n’est
pas exactement la raison au sens connu du terme. En effet, l’intellect expliqué par
l’auteur, appelé aussi l’œil du cœur, est différent de la raison.

Son explication commence par montrer les limites de la vue de l’œil externe,
pour ensuite montrer, par une comparaison, que ces limites sont dépassées avec l’œil
du cœur. L’approche est concrète et très pédagogique.

En définitive, on comprend par intellect, une faculté émanant du cœur qui


apprécie, réfléchit et analyse comme du reste le fait la raison. L’unique différence
entre les deux est que les jugements de l’intellect sont si purs qu’ils échappent aux
imaginations, aux conjectures et aux croyances, contrairement à ceux de la raison.

Pour l’auteur, ces entraves sont un voile qui empêche à l’intellect d’accéder
parfois à la vérité des choses. On peut donc dire que, selon lui, c’est l’intellect ainsi
voilé qui devient la raison corruptible à laquelle font allusion ses maîtres soufis.
Autrement dit une raison pure ou purifiée serait un œil du cœur, un intellect.
222

A ce propos sa conclusion est très édifiante : « Quand l’intellect est libéré du


voile de la conjecture et de l’i agination, ce qui est très difficile, on ne saurait
concevoir qu’il se tro pe. Ce n’est qu’après la ort qu’il sera totale ent libéré de
ces tendances naturelles. C’est alors que le voile sera enlevé et que les secrets
apparaîtront clairement. »1

Pour ce qui est de l’explication d’ azîd al- is âmî, notamment à la fin du


passage, le soufi, dans sa simplicité qui dénote d’un témoignage authentique par son
expérience, soutient qu’il a finit par acquérir une nouvelle perception différente de sa
façon de voir habituelle, après avoir traversé les étapes suivantes, dans sa vie :

 Douze années d’ascétisme (de détachement) ;


 Cinq années de dévotion accentuée ;
 Une année de crise pour avoir perçu la considération de son propre mérite qu’il
entretenait dans ses actes de dévotion ;
 Cinq années d’efforts de repentir.

C’est seulement à l’issue de cette dernière étape qu’il put purifier son cœur et
avoir la perception intérieure al- a îra).

1
Cette conception sera largement développée dans les chapitres suivants.
223

Quatrième partie:
DES CONCEPTIONS DE
224

Quatrième partie : C C P I

hapitre : Le a awwuf et l’esprit ar-r )

Suite à cette analyse des pratiques et témoignages des premiers adeptes du


a awwuf dans le cadre de leur évolution dynamique à travers le détachement et la
dévotion où l’expérience spirituelle se traduit pour la plupart d’entre eux par un état
d’esprit particulier ( a‛rifa), on est de plus en plus convaincu que cette voie est
fondamentalement liée à l’â e du croyant. Mieux, le a awwuf, en soumettant le
dévot à un effort personnel et permanent de sincérité et de rigueur sur soi, oblige
celui-ci à se situer en même temps et entièrement dans son propre cœur. Pour cela,
tout en étant à la fois le point de départ et le lien de convergence de sa vie pratique,
l’âme fait alors l’objet de plusieurs représentations de la part des soufis, du point de
vue de son essence, de sa situation et de ses relations avec l’individu.

Dans leurs conceptions, l’élément le plus proche de l’âme dans le cœur et qui
fait aussi l’objet d’une égale attention de leur part est l’esprit ar-r ). Y’a-t-il
d’ailleurs une différence essentielle entre l’âme et l’esprit ? La réponse à cette
question pourrait contribuer à la convergence des représentations sur la question.

11. 1. A travers le Message prophétique :

On peut noter deux significations du r (l’esprit) à travers le Coran et les


adît.

11. 1.1. e ai - spri ar-r al-qudus) :

Le Coran confirme l’existence du Saint-Esprit comme elle est notée dans la


révélation des religions antérieures.
225

« …à Jésus fils de Marie Nous avons apporté les preuves et l’avons fortifié par le
Saint-Esprit. »1
« Et quand Allah dira : ô Jésus, fils de Marie, rappelle-toi de Mon bienfait sur toi et
sur ta mère quand Je te fortifiais du Saint-Esprit… »2

Ainsi, le Saint-Esprit se manifeste ici comme une assistance divine aux


prophètes. Mais loin de l’idée d’une identification ou d’une union transcendante du
Prophète à cet Esprit, auquel cas on pourrait supputer sur l’éventuelle élévation ou
mutation de l’esprit de l’être, le Coran, par d’autres passages, renseigne clairement sur
la nature et la relation de cet Esprit avec le Prophète : il s’agit d’une créature qui vient
assister une autre créature. En effet, c’est cette même créature qui est le médium de la
révélation coranique.

« Dis : c’est le Saint-Esprit qui l’a fait descendre de la part de ton Seigneur en toute
vérité, afin de raffer ir [la foi] de ceux qui croient, …»3
« Ce [Coran] ci, c’est le Seigneur de l’univers qui l’a fait descendre, et l’Esprit fidèle
est descendu avec cela
Sur ton cœur, pour que tu sois du nombre des avertisseurs. »4

Il s’agit bien, comme l’ont notés unanimement tous les commentateurs5, de


l’ange Gabriel, porteur de la révélation, qui est venu assister, de cette manière, le
Prophète (psl), comme il a eu à le faire avec d’autres.

Le rang éminent qu’il occupe au sein du monde angélique fait qu’il est souvent
distinctement évoqué à côté des siens :
« Durant celle-ci descendent les anges ainsi que l’Esprit, par per ission de leur
Seigneur pour tout ordre. »6

1
Coran, op. cit, Sourate Al-Baqara (2), v. 87, 253.
2
Ibidem, Sourate Al-Mâ’ida (5), v; 110.
3
Ibidem, Sourate An-Na l (16), v. 102.
4
Ibidem, Sourate Ash-Shu‛arâ (26), v. 192-194.
5
Suy î J. D., Lubâb an-nuqûl fî asbâd an-nuzûl, vol II, p: 270.
6
Coran, op. cit, Sourate Al-Qadar (97), v. 4.
226

Parmi les autres missions dévolues à cet Esprit est l’annonce de bonnes
nouvelles aux rapprochés de Dieu. C’est lui qui informa Marie de la volonté du Tout-
puissant de créer en son sein un prophète.
« Nous lui envoyâmes Notre Esprit, qui se présente à elle sous la for e d’un être
humain parfait. »1

Plus tard, cet être a fait l’objet de beaucoup de spéculation dans la pensée de
certains philosophes musulmans. C’est ainsi qu’al-Farabî, dans sa théorie de
l’émanation, le conçoit comme « l’intellect agent qui est l’intermédiaire entre la
raison divine et l’â e parfaite. »2

Seulement, les conceptions du a awwuf de cette première époque, fort


encrées dans les principes de la Sunna, ne rejettent certes pas que le Saint-Esprit
puisse être à l’origine de l’inspiration (al- a y) des prophètes ou même de
l’assistance de certains dévots poètes, comme il a été question avec . b. Tâbit, mais,
elles sont encore loin d’une divinisation de cet Esprit qui lui donnerait une place
motrice dans la conduite des lois de l’univers.

En effet, le prophète (psl) avait prié pour que le Tout-puissant aide le poète
assân, par le Saint-Esprit, à répondre aux attaques satyriques des mécréants de la
Mecque. Sa prière ayant été exaucée, il l’encouragea en ces termes :
« Le Saint-Esprit ne cessera de t’assister… »3

11. 1.2. espri humai ar-r ):

« …Et ils t’interrogent au sujet de l’esprit, dis : l’esprit relève de l’ordre de on


4
Seigneur. Et on ne vous a donné que peu de connaissance. »

1
Ibidem, sourate Maryam (19), v.17.Dans la version de référence « rajul » a été traduit littéralement
par « homme », ici l’expression « être humain » nous paraît plus opportune.
2
Baudart A. et al, Histoire de la philosophie : 1. Les pensées fondatrices, Paris, A. Colin, 1993, p:180.
3
Muslim, op.cit., H : 2490.
4
Coran, op. cit, Sourate Al-Isrâ‘ (17), v. 85. Le commentaire de référence a traduit ici le mot ar-r
par l’âme, nous avons préféré le mot « esprit » qui est plus approprié à l’étymologie et qui est à même
227

Cette fois ci la révélation fait allusion à un autre concept qui est parfois
assimilé à l’âme (an-nafs) de la personne. Il s’agit de son esprit qui est ici conçu
comme une composante essentielle de l’entité d’un être vivant.

Mais cette fois-ci le Coran est peu explicite à propos de cet esprit. Les
commentateurs précisent que les mécréants de Quraysh, sous l’instigation des juifs
avaient été amenés à demander au Prophète (psl) ce qu’était l’esprit et comme
réponse, le verset précédent lui a été révélé1.

Le Livre entoure cette « chose » de mystère en l’éloignant, vers le Seigneur, de


toute possibilité d’appréhender ou de comprendre exactement ce qu’est son essence.
Par ailleurs, Dieu insiste sur l’exclusivité de son appropriation à travers d’autres
passages dont celui-ci :

« Quand ton Seigneur dit aux anges : Je vais créer d’argile un être hu ain.
Quand Je l’aurai bien for é et lui aurai insufflé de Mon esprit, jetez-vous devant lui,
prosternés. »2

Ainsi, l’esprit vient en complément à la création de l’homme de la part de Dieu


qui est son Possesseur. La possession divine renforce l’idée du mystère et insinue en
même temps sa préciosité et sa supériorité sur tous les autres éléments constitutifs de
l’être.

D’autre part, l’existence en l’homme de cette chose ainsi que sa puissance ont
été confirmées à travers les propos du Prophète (psl) :
« Les esprits sont co e des soldats ar és… »3

de donner la connotation de pureté liée au r . Toutefois cette assimilation semble réconforter l’idée
de l’unicité de cette entité qui sera développée plus loin.
1
Il s’agirait d’a - a ar al- rit qui a été envoyé poser la question. Cf : Hujwîrî, op. cit. Tome II,
p:502 et cf: Suy î . D., Lubâb an-nuqûl fî asbâd an-nuzûl, vol I, p:236.
2
Coran, op. cit, Sourate âd (38), v. 71, 72.
3
Muslim, op.cit., H :2638. Cf Buhârî, op.cit., H.3336.
228

Au-delà de cet aspect, le message prophétique n’a pas insisté outre mesure sur
son essence et sur le comment de ses relations avec l’existence de l’être. On peut
cependant retenir à son propos les points suivants :

 L’existence de l’esprit est antérieure à la vie corporelle et cela réconforte la


thèse de Junayd à propos du périple de l’esprit dans le Mîtâq1 ;
 L’élément le plus précieux de l’être et qui est immatériel est l’esprit ;
 Il transcende le matériel et subsiste à cette vie corporelle, en quoi il représente
l’essence même de l’homme.

Pour marquer leur survivance, le Prophète (psl) ne soutient-il pas, en utilisant


une parabole, que les esprits des martyrs sont accrochés aux pattes d’oiseaux verts ? Il
soutient d’autre part avoir rencontré, durant son voyage nocturne (al-isrâ ) et son
ascension (al-mi‛râj), des prophètes qui l’ont précédé et qui n’étaient plus en vie sur
cette terre2.

Sur la base de toutes ces considérations, le soufi de l’époque s’est fait une
représentation de l’esprit.

11. 2. L’esprit humain che les soufis :

11. 2.1. espri e la vie

A cette époque, les soufis divergeaient en interprétations quant à la relation de


l’esprit à la vie. Il se dégageait deux positions.

Certains pensaient que « l’esprit n’est pas la vie ais il n’y a pas de vie sans
esprit »3. Ainsi, il ne la conditionne pas mais ils sont néanmoins liés. L’esprit est
déposé auprès de toute personne vivante. Il peut s’éloigner du corps sans que celui-ci

1
Cf. supra chapitre VIII, p :172.
2
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:503.
3
Ibidem, p: 502.
229

ne perde la vie, comme c’est le cas durant le sommeil1. Seulement, on soutient ici que
son départ enlève toujours la conscience de l’individu2. C’est justement pour cette
raison d’instabilité que l’on refuse, avec cette position, d’établir une quelconque
relation de cause à effet entre l’esprit et la vie. En effet, au moment du sommeil le
corps est bien maintenu en vie, mais il est réduit à une existence sans conscience ce
qui s’apparente à la vie végétative.

Dès lors, on peut aboutir à une hypothèse : l’être humain est animé par deux
vies :
 Une vie spirituelle dont le moteur est l’esprit ar-r ) et auquel elle est liée ;
 Une vie végétative dont le moteur reste à être déterminé.
Fort de ce qui a été retenu des phénomènes comme les pulsions et l’instinct
liés à la satisfaction corporelle et à la conservation de l’individu et pour tout ce que
ceci entretient avec l’âme charnelle, on peut même avancer que celle-ci devrait être le
moteur de la vie végétative.

Pour l’autre interprétation, on pense que « l’esprit c’est ce qui donne vie au
corps »3.
Cette idée s’appuie sur les nombreux passages coraniques dans lesquels il est
précisé que c’est grâce au souffle de « l’esprit », après que le corps d’Adam soit créé
que celui-ci est en vie4. Ainsi, « Dieu, le très Haut a créé le corps et a confié sa vie à
l’esprit, a créé le cœur et s’est chargé lui-même de sa vie »5.

‛Amr b. ‛Utmân al-Makkî6 va plus loin dans cette interprétation en définissant


des relations d’ordre originel dans la création. Ainsi, selon lui, Dieu a d’abord créé les
esprits (al-ar ) avant les cœurs puis il a créé les corps. « Il e prisonna l’esprit

1
Coran, op. cit, Sourate Az-Zumar (39), v. 42.
2
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:503.
3
Ibidem, p: 502.
4
Coran, op. cit, sourate âd (38), v. 71, 72.
5
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p: 510.
6
‛ d all h ‛ mr ‛ tmân al-Makkî, mort à Baghdad en 291/913. Cf : Qushayrî, op.cit., p :36.
230

dans le cœur, le cœur dans le corps puis fit chevaucher le tout par la raison (al-
‛aql). »1

De ce dernier point de vue, on peut retenir ceci :


 L’esprit est le moteur de la vie (végétative et spirituelle) ;
 Il est crée avant le cœur et est logé par la suite dans celui-ci ;
 Le cœur est créé avant le corps, on note ici que ce cœur est spirituel ;
 Il y a un emboîtement, sous forme de cercle concentrique, de l’esprit, du cœur
et du corps, le tout lié, d’une certaine manière, à la raison ;
 Dans le corps vivant il y à le cœur spirituel et le physique corporel ;
 Dans ce cœur spirituel il n’y a pas que l’esprit ;
 Pendant que l’esprit assure la vie à tout le corps, Dieu se charge Lui-même de
la vie de ce cœur spirituel y compris celle de l’esprit lui-même.

L’argument qui devrait servir à soutenir le dernier point serait probablement ce


adît du Prophète (psl) à travers lequel il soutient que « Dieu a entre ses deux doigts
l’ense ble des cœurs des fils d’Ada co e un seul cœur dont Il dispose pour faire
ce qu’Il veut »2.

Si tel est le cas, on peut interpréter cette disposition comme suit : Dieu pourrait
personnellement intervenir dans les relations entre les éléments constitutifs de ce cœur
spirituel dont le plus précieux est l’esprit tout en confiant sa vie spirituelle à ce
dernier. Dès lors, les deux thèses sur la relation entre l’esprit et la vie se complètent
plus qu’elles ne se contredisent.

En définitive, on peut retenir ces représentations essentielles :


 Dieu a créé l’esprit, l’a logé dans le cœur et a logé celui-ci dans le corps ;
 L’esprit assure la vie spirituelle en maintenant en activité tous les éléments de
ce cœur dont l’âme charnelle elle-même ;

1
Hujwîrî, op. cit. Tome II, p:553.
2
Muslim, op.cit., H : 2654.
231

 Celle-ci, à son tour, par l’activité de l’esprit, assure la vie corporelle ou


végétative et se renforce par le développement de ce domaine, ce qui, par
ailleurs explique l’acharnement du soufi contre elle et son dégoût pour cette
vie terrestre ;
 Dieu dispose de ce cœur comme Il l’entend, en intervenant en son sein (par
l’illumination ou par l’Agrément…).

11 2 2 e o ologie de l homme :

De ce qui précède, on retient que l’esprit (ar-r ) et l’âme (an-nafs)


entretiennent des relations dont la nature reste à être élucidée. De ces relations on
retient cependant que l’esprit a une ascendance sur l’âme et une antériorité sur la
création de l’homme. Ceci rejoint la thèse de l’antériorité de la vie spirituelle (al-
ayât al-azalî), celle du périple de l’esprit suite à un pacte (mîtâq) qu’il a passé avec
le Tout-puissant.

Par ailleurs, l’unanimité qui voudrait que le r soit le plus noble des
constituants du cœur1 confirme son ascendance et fait penser à l’importante mission
qui lui revient en se départant de tous les obstacles de sa voisine, « l’â e charnelle »
pour témoigner de l’unicité de Dieu.
Ainsi, « les esprits (al-ar ) qui sont privés de la félicité appartenant au
monde du Mystère divin, que les âmes (an-nufûs) ne sauraient percevoir et qui est
inaccessible au sens, désirent la disparition de ces derniers ; et ils prennent
conscience du fait que c’est leur disparition ou extinction qui leur per ettra de jouir
de cette pérennisation ».2

Fondamentalement, ceci semble être la pratique du a awwuf: une élévation, à


travers ce combat intérieur, qui nécessairement passera par des stations (maqâmât) et
des états a wâl)3.

1
Qushayrî, op.cit., P :76.
2
Junayd, op. cit. p :165.
3
Quelles que soient leurs tendances, les soufis postérieurs, y compris les monistes, maintiennent cette
idée essentielle. Cf : Janâbî (al) M., Hikma ar-rûh as-sûfiyy, Damas, Dâr al-madâ, 2001,p: 97.
232

On note qu’ici revient l’idée de l’emprisonnement de l’esprit évoqué plus haut


ou à la limite de celle d’une entrave qui, cette fois ci, lui vient plus précisément de
l’âme charnelle.

11 2 3 Poi d ide i ica io e re l espri e l me :

La confusion ou l’assimilation entre l’esprit ar-r ) et l’âme (an-nafs) est


chose courante dans la pensée islamique. C’est ainsi que, par exemple, dans les
théories platoniciennes reprises par des philosophes musulmans comme Ibn Sînâ, on
avance l’idée d’une âme parfaite en lui donnant les mêmes représentations que celles
faites par les soufis sur l’esprit1.

Ailleurs, le soufi Ghazali, en empruntant des concepts péripatéticiens, a


expressément confondu quelque part dans son ouvrage sur le verset de la lumière, les
entités comme : l’intellect (al-‛aql), l’esprit et l’âme, en les considérant comme des
noms désignant la même chose2.
L’assimilation est aussi notée dans certaines versions des adîts du Prophète
(psl). Par exemple, on retient d’un même compilateur, deux versions d’un même
propos, légèrement différentes par la chaîne de transmission et par le contenu.

La première est rapportée d mm alama :


« Lorsque le r l’esprit est enlevé du corps, la vue le suit. »3

La deuxième est rapportée d urayra :


« …Lorsque sa vue suit son nafs â e … »4

1
Baudart A. et al, Histoire de la philosophie, op. cit. pp :176-178.
2
Il nous semble que la différence fondamentale entre Ghazali et les philosophes musulmans
platoniciens est que le premier a tenté de traduire la pensée orthodoxe soufie à travers des concepts
empruntés de l’hellénistique, tandis que les autres ont tenté d’adapter la pensée philosophique
platonicienne à la tradition musulmane. Au moment où ceux-ci s’appuient sur la pensée grecque, celui-
là s’appuie sur celle du a awwuf.
3
Muslim, op.cit., H : 920.
4
Ibidem, H :921.
233

Est-ce ainsi gratuit de confondre l’âme et l’esprit au moment de la mort ? Il est


possible que le Prophète lui-même, en deux occasions, ait pu employer
indifféremment les deux mots pour désigner la même chose. Cela pourrait aussi
provenir de « l’erreur » d’un élément de l’une des deux cha nes de transmissions qui a
du utilisé inconsciemment l’un des mots à la place de l’autre en faveur d’une identité
sémantique courante à l’époque.

Toutefois, une analyse des passages coraniques permet de noter deux choses :
 Le plus souvent c’est le terme r qui est employé à chaque fois qu’il s’agit de
faire allusion à l’origine de la vie, à la sainteté ou à la pureté;
 Tandis que c’est le terme nafs qui est apparenté au séjour terrestre, à la
déchéance, à la mort et au jugement.

De tout ce qui précède, associé à la thèse de Junayd sur l’extinction de l’âme


charnelle1 responsable de l’entrave de l’esprit, on peut d’avantage éclairer, en ces
points, les relations entre celui-ci et l’âme :

 Au début de la vie, en venant accompagner le corps, l’esprit est d’une pureté


angélique ;
 Pour son séjour terrestre, s’opère en lui une mutation : il est doté d’un adjuvant
qui se traduit par un ensemble de facultés et de tendances qui assurent le
confort, la vie et la survie du corps qui doit le contenir.
 Les tendances maléfiques sont les manifestations de facultés de l’adjuvant
conceptualisées sous le nom d’âme charnelle ;
 Par cette mutation, l’esprit devient âme, un mutant qui voit s’opposer en son
sein les tendances angéliques de l’origine et celles maléfiques de l’adjuvant ;
elle traduit ainsi l’idée d’entrave ou de souillure ;
 Pour avoir subi ce changement et pour avoir séjourné sur terre l’esprit est
désigné sous le nom de nafs (âme) ;

1
Cf infra, p :192.
234

 Lorsque le soufi, dans son combat d’épuration, réussit à éteindre son âme
charnelle, le mutant (l’âme) se trouve être pacifié et apaisé (a - a s al-
mu ma’inna) par la même occasion et alors son esprit illuminé domine dans
son cœur : c’est un moment de Certitude ;
 La mort est un autre moment de Certitude1 (al-yaqîn), l’âme charnelle qui
empêchait à l’esprit d’avoir ses facultés de perception angéliques perd les
siennes ; l’adjuvant qu’elle est dispara t par ce retour des facultés supérieures.
Par ces deux dernières occasions, l’esprit sort de ses entraves et retrouve ses
facultés d’origine : alors, il devient avec l’âme un tout, indissociable. A cet instant, on
peut employer indifféremment l’un ou l’autre des deux concepts pour désigner la
même chose.

11. 3. Les emplois du concept « ar-r » (esprit) dans la littérature soufie

11. 3.1. Présentation :

Les deux textes ci-après constituent deux occasions d’illustration des différents
emplois du concept « ar-r » à travers les écrits des spécialistes. En effet,
respectivement, ce concept peut être employé comme une disposition, une force ou
une faculté2, ou bien comme une entité autonome3.

Le premier emploi est de Ghazali. A travers ses démonstrations à propos de sa


théorie de la lumière, il utilise ce concept dans une hiérarchisation des facultés
mentales de la personne qui, à l’image d’une pyramide qui fait sans doute penser à
Maslow4, se superposent et s’imbriquent de façon structurante.

1
D’après le Coran, le moribond est dans un état de certitude. Cf. Sourate Al H ijr (15), v. 99
2
Cf. texte n° 1
3
Cf. texte n° 2
4
Maslow A. (1908 – 1966), psychologue américain, il est l’auteur d’une théorie humaniste de la
motivation selon laquelle la plupart des besoins des individus peuvent s’organiser selon une pyramide
ascendante constituée de cinq niveaux : les besoins physiologiques, les besoins de sécurité, les besoins
sociaux, les besoins d’indépendance et les besoins de réalisation de soi. La similitude au niveau de la
structuration des deux schémas est frappante.
Cf : Raynal F. & Rieunier A., Pédagogie : dictionnaire des concepts clés, ESF éditeur, Paris, p : 218.
cf : Maslow A.,Vers une psychologie de l’Être, Fayard, 1972.
235

Ici, plus que jamais, le concept de lumière chez Ghazali est plus proche de la
notion mentale ou du domaine psychique de l’individu. Aussi, ces différentes facultés
font simplement penser à des intelligences.
Le texte suivant, d’un contenu moins objectif, propose une autre
hiérarchisation d’une autre nature faite par un ancien soufi et rapportée par Hujwîrî.
D’abord, il s’agit ici d’un autre emploi du concept « ar-r » : c’est cette composante
ontologique de l’être vue dans ce chapitre qui a été créée avant son existence terrestre
et qui subsiste après sa mort.

C’est donc un être pur à ses origines et qui, après son séjour dans ce monde par
l’existence du corps d’un croyant au sort heureux, conservera plus ou moins sa pureté
originelle. Alors, il connaîtra, après la mort, un sort proportionnel au niveau de la
purification de l’âme de son ancien dépositaire. Cela le situe à un des dix niveaux de
la Félicité, selon la représentation assez subjective du soufi.

11. 3.2. Textes traduits et annotés :

Texte n° 1

Les facultés humaines (al-ar al-bashariyya)1 de nature lumineuse,


exposées selon leur différents degrés, et dont la connaissance fera comprendre les
symboles coraniques

 La première est la faculté sensible (ar-r al- assâs . C’est elle qui recueille
ce qu’apportent les cinq sens. Elle est co e l’origine et le principe de la

1
Ghazali A. H., Le Tabernacle des lumières, trad. Mishkât al-anwâr par Deladrière R., Sindbad, Paris,
1981, pp : 75 – 78.
Le mot r , au pluriel ar , peut désigner selon les textes ou les auteurs tantôt le souffle vital, tantôt
l’âme, ou l’esprit, ou encore un être ou une réalité de nature angélique. Ici, Ghazali l’a substitué au mot
quwwa, utilisé par les philosophes au sens de « faculté ».
236

faculté animale (ar-r al- ayawânî , puisque c’est par elle que l’ani al est
tel. Elle existe déjà chez l’enfant à la a elle.

 La deuxième est la faculté imaginative (ar-r al-hayâlî . C’est elle qui fixe
les données des sens, et qui les conserve en les gardant en elle, afin de les
présenter à la faculté intellectuelle ar-r al-‛aqlî), qui est au dessus d’elle,
quand celle-ci en a besoin. Elle ne se trouve pas chez le petit enfant au début
de son développe ent. C’est pourquoi après avoir eu envie d’une chose pour
la prendre, il l’oublie quand elle a disparu et son â e nafs) ne le désire plus.
Ceci jusqu’au o ent où, ayant grandi, il pleure et la récla e dès qu’on
l’éloigne de lui, parce que l’i age en est demeuré en lui, conservée dans son
imagination.

Cette faculté peut se trouver chez certains animaux, mais pas chez tous,
co e c’est le cas pour le papillon qui se jette dans le feu. Il se dirige vers lui parce
qu’il ai e arde ent la lu ière du jour, et qu’il croit que le fla beau est une fenêtre
ouverte à la lumière. Il se précipite donc sur lui et ressent une douleur ; il s’en
éloigne alors, ais il se retrouve dans l’obscurité, et il y retourne encore et encore.
S’il avait en lui cette faculté qui aurait conservé et fixé la sensation de douleur, il n’y
retournerait pas après avoir eu al une pre ière fois. En revanche, le chien qu’on a
frappé une fois avec un bâton s’enfuit après cela dès qu’il l’aperçoit.

 La troisième est la faculté intellectuelle ar-r al-‛aqlî). Elle atteint les


essences intelligibles (ma‛ânî) tirées de la sensation et de l’i agination. Elle
constitue la substance propre à l’ho e. On ne la trouve pas chez les
animaux ni chez les jeunes enfants. Les objets de sa perception sont les
connaissances nécessaires et universelles (kulliyya), co e nous l’avons dit à
propos de la supériorité de la lu ière de l’intellect sur celle de l’œil.

 La quatrième est la faculté cogitative ar-r al-fikrî). C’est elle qui s’e pare
des connaissances intellectuelles pures, pour opérer sur elles en les composant
et en les unissant et en tirer des connaissances supérieures. Quand elle obtient
237

par exemple deux conclusions, elle les combine encore entre elles, et déduit
une nouvelle conclusion. Et elle peut continuer ainsi indéfiniment.

 La cinquième est la faculté sainte prophétique ar-r al-qudsî an-nabawî).


Elle appartient en propre aux prophètes et à quelques saints (awliyâ . C’est
en elle que se dévoilent les dispositions de l’Invisible et les lois du Monde
futur, et tout un ensemble de connaissances issues du royaume des cieux et de
la terre, et même des connaissances « seigneuriales », qui dépassent les
capacités des facultés intellectuelles et cogitative. C’est à cette faculté sainte
que Dieu fait allusion dans Sa parole : « et c’est ainsi que Nous t’avons révélé
un Esprit [issu] de Notre ordre ; tu ne connaissais ni le Livre ni la Foi, mais
Nous en avons fait une lu ière par quoi Nous guidons… »1

Il y a donc un niveau situé au-delà de la raison, où se manifeste ce qui ne se


manifeste pas à elle. Et cela est parfaitement admissible, même pour un homme
co e toi, attaché au onde rationnel. Ce n’est pas plus difficile à ad ettre que le
fait que la raison soit elle-même à un niveau qui se situe au-delà du discernement et
de la sensation, et que puissent se révéler à elle des choses extraordinaires et
merveilleuses, hors de portée pour le discernement et la sensation. Ne limite donc pas
à ton âme la perfection ultime ! […]

Maintenant que tu connais ces cinq facultés, sache qu’elles sont toutes des
lu ières, puisqu’elles rendent anifestes les différentes catégories des choses
existantes ! […]

1
Coran, op. cit, Sourate Ash-Shûrâ (42), v. 52.
238

Text n° 2

Abû a r al- si î1, qui a beaucoup parlé à propos de l’esprit (ar-r ), fait
partie des plus grands maîtres, que Dieu les agrée tous. On a rapporté de lui ceci :
Les esprits sont (différemment) situés à dix niveaux :
 Au premier se situent les esprits des dévots sincères (muhli ûn), enfermés
dans une obscurité, et on ignore à quoi ils sont destinés.

 Au deuxième se situent les esprits des (bons) serviteurs (al-‛ibâd) qui


connaissent la félicité dans les cieux de ce monde (ad-dunyâ), par le fruit des
actes de dévotion qu’ils ont acco pli et par la force desquels ils évoluent.

 Au troisième se situent les esprits des adeptes (al-murîdûn) ; ils sont au


quatrième ciel entrain de jouir des plaisirs de la sincérité (a - idq), à l’o bre
de leurs actes, avec les anges.

 Au quatriè e se situent les esprits de ceux qui s’attachent à la Sunna,


accrochés au Piédestal (al-‛arsh) dans des lampions lumineux : leur
nourriture est la Miséricorde et leur boisson est la bonté et la proximité.

 Au cinquième se situent les esprits des loyaux (ahl al-wafâ ) qui palpitent dans
les voiles de la pureté aux stations de l’élitis e.

 Au sixième se situent les esprits des martyrs, accrochés aux pattes des oiseaux,
au Paradis, ils se promènent ainsi où ils veulent, d’un instant à l’autre, dans
les prairies (du Paradis).

 Au septième se situent les esprits des endurants (al-mushtâqqûn) qui sont


dans les voiles de la pureté, dans la simplicité de la commodité.

1
Hujwîrî, Kashf al-Mahjûb, Tome I et II, Dâr an-nahda al-‛arabiyya, Beyrouth, 1980, P: 507.
a r uhammad s al- si î est un soufi du Hurâsân de la tendance orthodoxe, il fut l’un
des ma tres à pensée d’Al-Qushayrî. Sans doute pour cela son nom figure dans la plupart de ses chaînes
de transmission dans son Epître. Il mourut en 320 H/932.
239

 Au huitième se situent les esprits des connaisseurs (al-‛ârifûn) qui, matin et


soir, entendent la parole de Dieu dans les lieus de la sainteté. Ils sont au
Paradis et voient ce monde.

 Au neuvième se situent les esprits des amoureux (de Dieu) (al-mu ibbûn) qui
se sont noyés dans le témoignage de la Beauté et de la station du dévoilement.
Ils ne connaissent que Lui et ne peuvent se fixer nulle part ailleurs.

 Au dixième se situent les esprits des derviches (darâwîsh) qui se sont stabilisés
au point de l’extinction (al-fanâ ), qui ont connu une mutation de leurs
attributs et une transformation de leur état.

11. 3.3. Analyse

Ghazali a employé dans ce passage le concept « ar-r » au sens figuré. En


effet, il entend par ce mot une faculté ou une disposition accordé à l’être. Pour ce fait,
son analyse a conduit à plusieurs facultés qui agissent à des niveaux différents.

Avec habileté, l’auteur montre à la foi, l’interdépendance dans leur


structuration et la hiérarchisation de ces dispositions. En définissant parallèlement leur
fonction ou utilité pour l’être, il ne manque pas de montrer celles d’entre elles qui sont
partagées à côté de celles qui sont spécifiées à des catégories données d’individus ou
d’âges. Ainsi, par sa progression complexifiée, Ghazali dresse une pyramide dont la
base est la faculté sensible et au sommet se situe la faculté sainte prophétique (ar-r
al-qudsî an-nabawî).

En analysant sa définition de cette dernière faculté, on retrouve cette


disposition qui permet, chez les prophètes et les saints, d’avoir une perception
particulière : l’œil du cœur traité précédemment. A ce propos, il soutient bien qu’ « Il
y a donc un niveau situé au-delà de la raison, où se manifeste ce qui ne se manifeste
pas à elle ».
240

Cependant, on peut s’interroger sur le pourquoi de l’emploi par l’auteur de ce


concept qui, à proprement parler, signifie « esprit », à la place du mot « quwwa »
(force), qui est certainement mieux connu puisqu’il est souvent utilisé par les
philosophe pour désigner « faculté ».

Entre autres interprétations, on peut comprendre que la préoccupation


essentielle de l’auteur était de faire comprendre le sens de la dernière faculté à qui
appartient proprement le concept « ar-r », par une élaboration à la fois comparative
et progressive basée sur une analogie par rapport à d’autres forces. De ce fait, l’emploi
transversal du même mot « ar-r » facilite la perception de la similitude, du point de
vu de la catégorisation.

Par ailleurs, malgré la ressemblance des expressions, cette sainte faculté


prophétique (ar-r al-qudsî an-nabawî) est différente de l’Esprit saint (ar-R al-
qudus) développé plus haut. Ce dernier étant une créature à part1.

Quant à la classification de si î rapportée par al-Hujwîrî, elle utilise le


concept « r » au vrai sens du terme. Elle semble informer sur le sort des esprits
après leur séjour sur terre, mais rien dans le développent du rapporteur n’est édifiant à
ce sujet. On se fonde seulement sur quelques indices, comme l’évocation, au sixième
niveau, de l’esprit des artyrs, et du séjour de certains au Paradis.

Par ailleurs, c’est des affirmations de ce genre, bâties sur une expérience
subjective qui pousse les orthodoxes à s’attaquer aux soufis. Il est en effet difficile de
soutenir, dans le cadre de la Sunna, une pareille classification.

1
Cf. la première partie de ce chapitre, p :224.
241

Chapitre XII : L’âme charnelle et la conscience : une relation conflictuelle

Si le soufi se préoccupe tant de son cœur dans sa vie pratique de dévotion


comme dans ses propos et essais théoriques, c’est à cause surtout de sa propre
considération de la présence en son sein d’une entité diversement représentée dont le
sort est intimement lié à la finalité de son action : il s’agit de l’â e.

12. 1. Des représentations de l’âme :

12. 1.1. Sur l u ici é de l me :

Le a awwuf conçoit une multiplicité d’âmes dans le cœur de l’être humain.


Telle est la première impression qui se dégage de la lecture de passages coraniques ou
de celle des propos et théories de soufis sur la question. C’est ainsi que ça et là on peut
noter l’existence de sept âmes.

 L’âme qui incite au mal ou âme charnelle, an-nafs al-ammâra bis-sû 1 ;


 L’âme qui fait des reproches ou qui se lamente, an-nafs al-lawwâma 2;
 L’âme inspirée, an-nafs al-malhama3 ;
 L’âme apaisée, a - a s al-mu ma inna4 ;
 L’âme qui agrée, a - a s ar-r iya5 ;
 L’âme agréée, a - a s al-mar iyya6 ;

Seulement, au-delà de cette première impression, une analyse de ces messages


peut révéler une autre représentation.

1
Coran, op. cit, Sourate Yûsuf (12), v. 53.
2
Ibidem, Sourate Al-Qiyâma (75), v.2.
3
Ibidem, Sourate Ash-Shams (91), v. 8. Cf pour tous ces types d’âmes cf. Ghazali, Ihyâ’ ‛ulûm ad-
dîn, op.cit. Pp: 1342-1360.
4
Ibidem, Sourate Al-Fajr (89), v. 27.
5
Ibidem, Sourate Al-Fajr (89), v. 28.
6
Idem.
242

Précédemment, l’étude faite sur la raison a abouti sur un schéma qui la


représente comme étant « un organe de surveillance » sur le plan moral qui classe et
apprécie, selon des critères, l’attitude de l’individu. Cette appréciation peut être
négative, ce qui se traduit par une auto-blamation, par des reproches que la raison
adresse au moi.

Or concernant l’âme qui fait des reproches, en commentant le passage où elle


est mentionnée, les exégètes sont unanimes à l’assimiler à ce qui, dans le fort intérieur
de l’individu, lui fait des reproches quant aux insuffisances de ses bienfaits ou à
propos de ses mauvaises attitudes. Aussi remarque-t-on une parfaite identification
entre elle et la raison (al-‛aql) à travers la capacité de perception et de distinction de
celle-ci qui s’assimile alors à la conscience.

Il est fort probable que le terme nafs ait été employé dans ce contexte non pas
pour désigner ce mutant par lequel l’esprit a pu transcender son existence pré temporel
(al-azalî), mais pour simplement évoquer la faculté principale de discernement donnée
à l’homme et qui émane de sa raison.

Quant aux autres types d’âmes, elles renvoient fondamentalement à une même
chose. En effet, chacun de ces passages souligne, au fond, un caractère essentiel
permanent ou situationnel qui émane d’une capacité ou d’une faculté appartenant à
une même source. Cette source étant l’essence même de l’humain, son âme, on est
ainsi amené, fort de ce qui a été noté à propos de l’esprit 1, à soutenir l’idée de son
unicité fondée sur une diversité d’états qu’elle prend lors d’une évolution plus ou
moins irrégulières qui la conduit à faire des bouts extrêmes et à observer des
mutations propres à un changement de nature.

Considérons à ce propos quelques passages coraniques.


« …Je ne ’innocente cependant pas, car l’â e est très incitatrice au al… »2

1
Cf. chapitre précédent, p :224.
2
Coran, op. cit, Sourate Yûsuf (12), v. 53.
243

L’incitation au mal est une faculté de toutes les âmes, si on comprend l’idée
d’absoluité et de totalité que sous-entend la formulation1. C’est cela qui a poussé le
soufi à caractériser cette faculté comme une « âme incitatrice au mal ».

L’âme peut certes se départir de cette chose, mais cela se réalise au prix d’un
effort de purification auquel d’ailleurs invite le verset suivant :
« A réussi certes celui qui la purifie,
Et est perdu certes celui qui la corrompt. »2

C’est ainsi que l’âme purifiée serait interpellée, à travers ces termes, lors de sa
récompense par Dieu :
« Ô toi âme apaisée,
Retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée. »3

L’apaisement, la satisfaction et l’agrément ne sont donc que d’autres situations


déterminantes de l’âme4 et auxquelles aspire le soufi. Mais pour cela il faudra
combatte et « éteindre » son âme charnelle par la dévotion car, disait Junayd, « quand
l’â e s’est accoutu ée à faire le bien, cela fait désor ais partie de ses qualités
morales personnelles »5.

12. 1.2. me i ci a rice au mal (an-nafs al-ammâra bis-sû )

Dans cette situation par laquelle sa faculté dominante est l’incitation au mal et
qui correspond à la situation que traverse, pendant presque toute sa vie, le cœur du
croyant ou celui de l’homme de manière générale, l’âme est dominée par le plaisir et
la passion6. Cette incitation peut se comprendre par la naissance en l’individu de
différentes forces ou attirances, en différents moments, pour différentes raisons toutes
liées au confort, à la vie, à la survie et à la satisfaction corporelle ou mentale de la

1
Cf. infra chapitre I, sur le penchant naturel de l’Homme, p :19.
2
Coran, op. cit, Sourate Ash-Shams (91), v. 9, 10.
3
Ibidem, Sourate Al-Fajr (89), v. 27,28.
4
Pour la satisfaction et l’agrément cf. infra chapitre IX ; pour l’apaisement cf. chapitre suivant.
5
Junayd, op. cit. p :93.
6
Cf. infra chapitre I.
244

personne. Ces forces sont assimilables à tout point de vue à celles dont il est parfois
question en psychologie.

En effet, le besoin de manger pour sa survie apparaît dès la sensation de faim.


Celui de se mettre en sécurité na t avec le sentiment d’être menacé ou de voir ses
intérêts mis en péril.

Par ailleurs, il y a une force qui, au-delà de cet ensemble de réflexes que nous
adoptons au moment du danger, nous pousse à avoir des attitudes semblables,
affectives et physiques pour conserver notre personne ou notre espèce. Les
psychologues l’appellent instinct1 : l’amour du parent pour son enfant, la peur ou la
fuite devant la menace, l’attirance pour le sexe opposé pour la reproduction2…

Toute satisfaction d’un besoin ou désir venant de ces forces fait na tre une
sensation de plaisir. A la longue, la recherche de ce plaisir se mue en une force
supplémentaire qui émane de l’âme et qui va jusqu’à s’identifier à la passion et, à la
limite, à l’obsession : ainsi, petit à petit, prend forme l’âme charnelle, cet adjuvant de
l’esprit3.
« Vois-tu celui qui prends sa passion pour sa propre divinité ? »4

Ce sont ces forces qui, développées et favorisées en l’individu, sont à l’origine


d’attitudes néfastes et nuisibles qui, progressivement, se forgent en caractères
immoraux. Elles conduisent à l’égoïsme, l’orgueil, la méchanceté, la malhonnêteté, la
cupidité qui sont les caractéristiques d’une âme corrompue.

Cette faculté ou âme incitatrice au mal veut s’assurer l’absoluité de la


satisfaction temporelle de tous les besoins liés à cette vie au détriment d’une

1
Cf. Piéron H., Vocabulaire de la psychologie, PUF Quadrige, Paris, 2000, 6e édition, 590p.
2
Cette attirance est spécifiée par les psychanalystes comme étant la pulsion, notons qu’ils placent la
libido et la pulsion à la base de la vie affective de l’homme.
3
Cf. chapitre précédent.
4
Coran, op. cit, Sourate Al-Jâtiya (45), v. 23.
245

quelconque considération de foi, d’éthique ou de justice et à l’encontre de la morale


ou du bon sens (al-‛aql) (d’où les lamentations de celui-ci).

On comprend alors pourquoi les soufis tiennent beaucoup à leur détachement.


Junayd les caractérise comme ceux qui « ont fui les sollicitations de leur âme, de
cette â e qui incite au al, qui pousse à ce qui serait la perte, qui se fait l’auxiliaire
de l’Enne i Satan , qui prend la passion co e seul a tre, qui se plongent dans le
alheur et qui s’agrippent fer e ent au al »1.

12. 2. Sur l’éducation de l’âme :

Le soufi, parle « d’extinction de l’â e charnelle» à travers l’anéantissement de


ces mauvais caractères ou attributs de l’âme, pour dire autrement que celle-ci doit
quitter cet état de déchéance pour s’apaiser et être dominée afin de permettre enfin à
l’esprit (ar-r ) de se libérer et de s’élever vers les stations de la perfection. Il ne
s’agit donc pas d’une suppression quelle qu’elle soit de l’âme en tant qu’entité du
cœur mais il est plutôt question, et essentiellement, de son éducation à travers la
domination voire la suppression de ses facultés ou caractères maléfiques.

Pour cela le cœur aura besoin d’une assistance de l’un de ses principaux
constituants : la raison.

12. 2.1. a co scie ce au secours du cœur :

Le Prophète affirme dans l’un de ses adît que « quiconque a dans son cœur
un conseiller aura trouvé un protecteur auprès de Dieu »2.

En effet, à l’au-delà, si l’homme est appelé à répondre de ses actes, c’est parce
qu’il a été doté de cette fameuse intelligence qui lui permet de distinguer, de réfléchir
et d’opérer son propre choix. Ainsi, la raison juge et apprécie les comportements et

1
Junayd, op. cit. pp :90, 91.
2
Ghazali, Ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op. cit.p: 1358.
246

est, par la même occasion, la source de toute bonne qualité morale. Elle est la
principale conseillère de l’individu dans son fort intérieur, en ce qu’il ne cesse de
montrer le bon choix et de blâmer l’âme charnelle dans ses dérives.

Seulement, pour éviter qu’elle soit corrompue, la raison naturelle a besoin, à


tout moment selon le soufi, de s’appuyer sur l’assistance divine1.

Dans un premier temps, l’assistance se manifeste par le Message prophétique


d’où le rôle important de la raison dans la recherche et l’assimilation du savoir qui
aide à maintenir le soufi sur la bonne voie. En effet, c’est elle qui pousse la personne à
opérer le choix judicieux d’un retour à Dieu (at-tawba) et à se maintenir sur la voie de
la perfection. Le Coran fait allusion à ce choix en ces termes :
« Annonce la bonne nouvelle à Mes serviteurs
Qui prêtent l’oreille à la Parole, puis suivent ce qu’elle contient de eilleur. Ce sont
ceux-là qu’Allah a guidés et ce sont eux les doué d’intelligence. »2

« Le dévot [après avoir été édifié de la droiture] est en permanence, en son sein,
tiraillé entre deux invites : celle de la raison et celle de la passion. »3

On a vu plus haut que cette raison ou conscience a comme support et


prolongement les cinq sens qui peuvent aussi être asservis par l’âme charnelle4. Cette
ambivalence fait qu’ils doivent être les premiers à être dominés par le dévot, pour les
mettre au service de Dieu car ils feront l’objet de jugement.
« L’ouïe, la vue et le cœur : sur tout cela, en vérité, on sera interrogé. »5

Dans un second temps, après les efforts assidus et permanents du soufi sur
cette voie, son cœur, purifié, acquiert une raison pure (ou surnaturelle), appelée aussi

1
Cf : infra chapitre X.
2
Coran, op. cit, Sourate Az-Zumar(39), v. 17,18.
3
Hujwîrî, op. cit. Tome I, p:438.
4
Cf. infra chapitre X, pp :243-247.
5
Coran, op. cit, Sourate Al-Isrâ’ (17), v.36.
247

« l’œil du cœur », assistée et illuminée par la lumière divine de laquelle celui-ci opère
sa faculté de perception exceptionnelle al- a îra).

En effet, c’est à ce propos que Ghazali a fait son brillant parallélisme. Pour lui,
le cœur spirituel dispose d’un œil qui se ternit comme un miroir souillé par le
penchant maléfique de l’âme et par les péchés. Le soufi se doit de le nettoyer par le
détachement et la dévotion. Lorsqu’il sera suffisamment propre, il sera à même de
recevoir les rayons de la lumière divine qui feront fonctionner sa perception comme le
fait la lumière naturelle pour la vue de l’œil1. Il aura atteint la Certitude.

12. 2.2. De la sincérité à la certitude : une ascension spirituelle

Le principal credo du soufi durant toute sa vie reste la sincérité. On a vu


combien elle conditionne toutes ses pratiques. En réalité, depuis la grande sédition (al-
fitna al-kubrâ)2 jusqu’au deuxième siècle de l’Hégire, si un certain nombre de fidèles
se faisaient de plus en plus distinguer par leur totale indifférence à ce monde de
passion au point d’être particulièrement indexés par la société, on le doit à une quête
de sincérité de leur part. Pour cela, ils se sont très tôt adonnés à un exercice spirituel
qui leur permettait de surmonter constamment les obstacles à la sincérité que sont :
l’ego qui se fait auxiliaire de Satan et la société corrompue3.

Ils considéraient à tout instant leur cœur, afin de traquer les subtiles
manifestations de leur âme charnelle. C’est cette attitude qui a été conceptualisé par
al- u âsibî sous l’appellation de « méditation ipsative » (mu âsaba an-nafs)4. Il
s’agit d’une introspection de l’âme à l’aide de la conscience (al-‛aql). Selon l’auteur,
suivant la résistance et l’obstination de son âme charnelle, on doit régulièrement tenir
une « dispute » avec elle de deux façons.

1
Ghazali, Mishkât al-anwâr, op. cit.pp:37-61.
2
Mort du troisième calife assassiné, ‛Utmân b.‛Affân, en 35/657, début de la crise dans l’empire
musulman, période marquée par la lutte pour le pouvoir et les guerres fratricides.
3
Cf. infra chapitre II, p :48.
4
Littéralement : l’auto juge ent de l’â e.
248

D’abord, « attaque la par le Livre et la Sunna en lui montrant les preuves,


inspecte ses défauts en lui rappelant ses rebuts et ses ensonges jusqu’à ce qu’elle
avoue et reconnaisse la vérité et que cesse ses fausses allégations.
Si elle persiste, envahis la par la crainte de l’enfer, du châti ent. Et en faisant
tout ceci, fais-toi aider contre elle par Dieu le Tout-puissant, et tu t’en re ets à Lui en
ayant bon espoir. »1

On voit que cet exercice ne peut être mené que par une dure et ferme volonté
de la conscience d’agir contre les manifestations de l’âme charnelle. C’est ce qui
explique l’acharnement du dévot contre celle-ci, par l’activation d’un certain nombre
d’états qui sont propres à élever son esprit au-dessus de ses entraves.

Ainsi, L’exercice de u âsibî révèle en palimpseste que le coeur du dévot a


besoin de vivre un certain nombre d’états d’esprit comme :

 Le repentir (at-tawba) ;
 La crainte révérencielle (al-hawf) ;
 La remise confiante en Dieu (at-tawakkul) ;
 L’espoir (ar-rajâ ).

Il serait intéressant de voir cette pratique à travers l’optique de la psychologie


dont l’une des spécialités, en l’occurrence la psychanalyse, quelque peu chargé
idéologiquement à travers son approche préconçu à l’égard de la religion, a trop vite
fait, dans la confusion, de jeter le tort sur toute idée de contrôle des pulsions, ce
qu’elle soupçonne d’être à l’origine d’un certain nombre de maladies2 psychiques.

Ce qui est en effet surprenant, après cette attitude répulsive à l’égard de


certaines croyances, c’est que le psychanalyste, pour guérir son malade va simplement

1
Mu âsibî H., Ar-ri‛âya, op. cit., p :263.
2
Cf. les écrits de Freud S. et de Freud A. Cf : Feud S., Cinq leçons sur la psychanalyse, Paris, Payot,
1990,p :65.
249

aider à faire réappara tre l’idée refoulée (la pulsion), afin de « la traiter dans la
conscience »1 par une introspection personnelle du malade.

En effet, Freud reconna t, comme du reste l’avait admis depuis longtemps le


soufi, que c’est dans la conscience que se guérit le mal :

« Nos observations nous ont montré de façon certaine que la force psychique et
physique d’un désir est bien plus grande quand il beigne dans l’inconscient que
lorsqu’il s’i pose à la conscience. On le co prendra si l’on songe qu’un désir
inconscient est soustrait de toute influence ; les aspirations opposées n’ont pas de
prise sur lui. Au contraire, un désir conscient peut être influencé par tous les autres
phéno ènes intérieurs qui s’opposent à lui. »2

On note en passant que les aspirations opposées dont il est question dans cette
citation équivalent aux aspirations spirituelles et aux valeurs auxquelles croit le soufi.

L’analyse des trois solutions possibles attendues de cette application


psychanalytique avec le malade est plus édifiante quant à son recoupement avec la
méditation ipsative.

«Le alade accepte le désir et reconna t qu’il a eu tort de le refouler ;


Le désir lui-même est dirigé vers un but plus élevé et pour cette raison moins sujet à
critique c’est ce que je no e la subli ation du désir) ;
On reconna t qu’il était juste de rejeter le désir, ais on re place le écanis e
automatique, donc insuffisant, du refoulement par un jugement de condamnation
orale rendu avec l’aide des plus hautes instances de l’ho e ; c’est en pleine
lumière que l’on trio phe du désir. » 3

Ainsi, c’est après refoulement et apparition de symptômes, donc après maladie,


que la psychanalyse préconise cette méthode de traitement des désirs et pulsions et
1
Freud S., Cinq leçons sur la psychanalyse, op.cit. ,pp :30, 31.
2
Ibidem, p : 64.
3
Ibidem, pp : 30, 31.
250

ceci, sans compter les nombreux efforts qui sont parfois vains pour ramener ces idées
à la conscience.

Au même moment, le soufi avait déjà vu la nécessité d’appliquer ce même


traitement sur l’âme dès la première apparition de ces désirs. Force est de reconna tre
alors qu’il se situe au niveau de la prévention des troubles psychiques et mérite, pour
cela, plus de considération.

12. 3. Une introspection de l’âme :

12. 3.1. Présentation :

Considérant son importance pour la prévention de certains conflits dans le


domaine psychique notée précédemment, il est opportun d’analyser davantage cette
pratique (l’introspection de l’âme) à travers les écrits de son propre concepteur1.

En effet, en avertissant l’un de ses disciples à propos de la passion de l’âme, al-


u âsibî présente celle-ci comme la seule issue par laquelle le Diable fréquente le
cœur et comme le premier ennemi de l’être. Enfin, en guise de recommandation, il lui
propose une pratique de contrôle à exercer sur elle : c’est l’introspection.

Plus tard, Ghazali reprend l’explication de ce procédé2. Il est intéressant de


comparer les deux productions qui sont d’un style différent. Très pédagogique,
Ghazali se sert d’une situation concrète mettant en jeu deux associés, en l’occurrence,
la raison et l’âme. Ainsi, le contrôle de la première sur la deuxième s’exerce en six
moments successifs, suivant l’évolution de leurs relations.

1
Cf. texte n° 1
2
Cf. texte n° 2
251

12. 3.2. Textes traduits et annotés

Texte n° 1

Chapi re sur l aver isseme à propos de la passio de l me1

En réalité, ton ennemi2 ne peut avoir de toi ce qu’il veut si ce n’est à travers la
passion de ton â e. Si ce n’était pas cela, ses invites t’auraient fait gagner davantage
de proximité par rapport à ton Seigneur. En ce moment, son invite serait un facteur de
rapproche ent. En effet, si ton enne i t’appelle et que tu refuse de répondre à son
appel, par cet acte, en refusant de le suivre dans ce qui ne plait pas à ton Seigneur le
Tout-puissant, tu Lui es alors obéissant.

Le fait de te préserver de lui a été motivé par la crainte de Dieu le Tout-


puissant et l’espoir de Sa réco pense. Ainsi, en refusant, tu t’es servi de la crainte et
de l’espoir là où il faut.

Si ton âme ne penchait pas pour ce monde, tu aurais davantage gagné en


proxi ité par ses orne ents. Si on t’éprouve par ce onde et ses illusions et que tu
refuses de te pencher vers elles en désirant l’autre onde, tu obéis à ton Seigneur
par cette épreuve. Le facteur de (cette obéissance) est bien ce monde.

C’est pour cela que le out-puissant dit :


« Nous avons placé ce qu’il y a sur la terre pour l’e bellir, afin d’éprouver les
ho es et afin de savoir qui d’entre eux sont les eilleurs dans leurs actions. »3
Il t’infor e qu’Il veut un bon co porte ent vis-à-vis de l’e bellisse ent. Il a
donc embelli la terre pour voir ceux qui sont meilleurs dans leurs actions à son égard.
Or la eilleure action à l’égard de ces e bellisse ents est de s’en détacher ; et
d’accorder la pri auté à l’autre onde.
1
Muhâsibî (al-) H., Ar- i‛âya li huqûq al-lâh, Dâr al-Ma‛ârif, le Caire, 1990, pp : 257, 258.
2
Il s’agit ici de Satan, le diable.
3
Coran, op. cit, Sourate Al-Kahf (18), v. 7.
252

Si cela t’échappe au point d’accorder la priorité à tout orne ent sur lui
l’autre onde , tu t’attires la colère du Tout-puissant.
C’est cela ta crainte obligatoire vis-à-vis de Dieu le Tout-puissant.

Aucun, par i ceux de ce onde ne peut te nuire en t’invitant à la perdition et


à l’erreur si ton â e refuse de le suivre. Au contraire, tu seras ré unéré si tu t’en
empêches, si tu refuses et si tu te préserves ; et ce, conformément au propos du Tout-
puissant et de Son Envoyé (psl).

De la ê e anière, celui qui t’ouvre les hostilités, qui cherche à te nuire, qui
t’encha ne et qui te tend des pièges, si tu ne désobéis pas Dieu en cela, si tu ne te
confor es pas à lui l’enne i , il ne te nuira pas. Au contraire, il t’a exposé aux
bienfaits et s’est crevé lui-même.

Sauf pour le cas d’un enne i qu’on t’a de andé de co battre : les mécréants.
Ce qui est alors bénéfique pour toi est de le combattre ; et quel que soit le cas parmi
les deux possibilités, tu seras le grand gagnant : soit tu vaincs ou tu es tué. Une
victoire de ta part te vaut une immense récompense et la mort te vaut le martyr,
conformément au propos du Tout-puissant :
« Dis : Qu’attendez-vous pour nous, sinon l’un des deux eilleures choses ? »1

Ainsi, le oyen de tout enne i est d’a ener ton â e à te nuire par sa passion.
[…]
u ne peux pas être sincère avec Dieu si tu ne l’es pas avec ton â e, et ceci tu
ne peux pas l’être sans la conna tre. u ne peux pas la conna tre sans l’avoir
inspectée et exposée à la mort ; et c’est par là que tu considères ses états. u ne peux
pas bien considérer ses états sans lui faire des reproches sur ce pourquoi tu crois
qu’elle a bien agi ; tu la conda nes alors pour ce qui s’est dévoilé de auvais en elle.

Ainsi, si tu l’accuses tu l’inspectes. En l’inspectant tu découvres ses états, et si


tu les découvres tu te rends compte de ses prétextes, de sa fourberie et de ses

1
Coran, op. cit, Sourate At-Tawba (9), v. 52.
253

mensonges. En les découvrant tu prends garde à eux ; en le faisant tu te rends compte


de ses ruses quand il s’agit d’adorer son Seigneur, le out-puissant, ainsi que de ses
parures par ce qui ne plaît pas à son Créateur. En effet, elle est la mine de tous les
maux et l’instigatrice de tous les alheurs dont son Créateur t’a infor é. Elle est
incitatrice au mal et est soumise à la passion dégradante.

Prends garde à elle et combats-la1 par ta religion.

Texte n° 2 :

Trente-huitième chapitre sur la surveillance et l i rospec io de l me2

Sache que le fait de croire au jugement du Jour du grand exposé doit entraîner
une anticipation par l’auto juge ent et par la préparation. Il disait, sur lui soit la
grâce et le salut :
« Jugez-vous vous- ê e avant qu’on ne vous juge. »

Dieu le Très-haut dit :


« Au jour de la résurrection, Nous placerons les balances exactes. Nulle âme ne sera
lésée en rien, fût-ce du poids d’un grain de outarde que Nous ferons venir. Nous
suffisons largement pour dresser les comptes. »3
« …Qu’a donc ce livre à n’o ettre de entionner ni pêché véniel ni pêché
capital ? »4
« … Et sachez qu’Allah sait ce qu’il y a dans vos â es. Prenez donc garde à Lui. »5

1
Dans le texte on a le verbe “ittahama” qui signifie littéralement “accuser”.
2
Ghazali A. H., Muhtasar Ihyâ’ ‛ulûm ad-Dîn, Dâr al-fikr, Beyrouth, 1986, pp: 277 - 279
3
Coran, op. cit, Sourate Al-Anbiyâ’ (21), v. 47.
4
Ibidem, Sourate Al-Kahf (18), v. 49.
5
Ibidem, Sourate Al-Baqara (2), v. 235.
254

Sache que celui qui juge son âme à tout instant et à travers ses moindres
suggestions verra ses afflictions diminuer au Jour du jugement. Celui qui ne juge pas
son âme verra son amertume durer et ses arrêts se multiplier au Jour du jugement.

Dieu le Très-haut dit :


« Ö les croyants ! Soyez endurants. Incitez-vous à l’endurance. Luttez consta ent
contre l’enne i et craignez Allah, afin que vous réussissiez !1 »

Astreignez donc vos â es d’abord par l’auto convention al-mushara a), puis
par l’autocontrôle al-murâqaba), par l’auto juge ent al-mu âsaba), par
l’autopunition al-mu‛âqaba), par l’effort personnel (al-mujâhada) et enfin par la
vigilance (al-mu‛âyana). Voilà six situations par lesquelles on attache l’â e .

Nous expliquons cette pre ière situation qui est l’auto convention :
Sache que c’est la raison qui fait du co erce sur la voie de l’au-delà, et son
associée se trouve être l’â e, car c’est par sa coopération qu’elle peut atteindre son
objectif. Seule ent, cette associée n’est pas digne de confiance, surtout si elle est
seule, car sa vision n’est que honte et hypocrisie. Ainsi, elle a besoin de la raison pour
passer avec elle un contrat au début de tout. […] C’est ainsi que la raison va lui
assigner sa fonction, lui poser les conditions, la conduit sur la voie du salut et l’oblige
à assumer (ses responsabilités).

La deuxième situation : l’autocontrôle


En effet, du o ent que l’â e est une associée tra tresse, il n’est pas indiqué de la
négliger à aucun o ent, de peur qu’elle ne trahisse et qu’elle ne fasse perdre le
capital à la place du bénéfice. Aussi, l’autocontrôle est-il nécessaire, durant le repos
co e durant l’activité, à tout instant. […]

1
Ibidem, Sourate Âl ‛Imrân (3), v. 200. Le terme “r i û » traduit ici par « luttez constamment contre
l’ennemi », signifie dans d’autre commentaire « astreignez-vous », c’est précisément ce dernier sens
qui correspond à l’analyse de Ghazali.
255

La troisième situation : le juge ent de l’â e après travail effectué


Dieu le Très-haut dit :
« Que chaque â e voit bien ce qu’elle a avancé pour de ain. »1

[…] Il t’est obligatoire de juger ton âme à la fin de la journée pour le travail
quotidien.

La quatrième situation : l’autopunition


C’est le cas lorsque l’â e fait preuve de négligence dans la dévotion et qu’elle
renouvelle les péchés après juge ent. On ne doit pas l’ignorer, si non elle
s’e pressera de retourner à ces déviations. Ainsi, si elle ontre un désir de
gour andise, on la punit par la fai . Si elle regarde à ce qui est interdit, qu’on la
punisse par le détourne ent du regard et par la privation du so eil… […]

La cinquième étape : l’effort personnel al-mujâhada)


C’est le cas lorsque sa trahison est découverte. On la co bat en lui faisant supporter
des efforts pénibles. Par exe ple, lorsqu’elle répugne la prière collective ou les
prières surérogatoires, qu’il lui i pose de veiller en priant la nuit….[…]

La sixième étape : la vigilance :


Sache que le pire de tes enne is est ton â e […] ne sois donc ja ais inattentif à son
égard.

12. 3.3. Analyse :

l- u âsibî considère que le plus grand ennemi de l’homme est sa propre


âme et plus précisément, c’est sa passion qui est à l’origine de tous ses maux et de sa
faiblesse face à tout autre ennemi comme le Diable. Aussi, donne-t-il à son disciple
des recommandations allant dans le sens de la contrôler et de la dominer.

1
Coran, op. cit, Sourate Al- ashr (59), v. 18.
256

Il revient de nouveau sur la crainte et l’espoir, en les considérant comme les


meilleures forces à lui opposer. En effet, c’est par la crainte révérencielle que le dévot,
à la fin de chaque journée doit contrôler et mesurer l’attitude de son âme, dans les
moindres faits et pensées, afin d’en tirer les enseignements qu’il faut. Ainsi, en le
faisant on ne manquera pas de se rendre compte de son hypocrisie et de ses intentions
cachées. Cette prise de conscience permet de condamner et de rectifier les mauvaises
attitudes de l’âme.

Il y a cependant un passage qui doit davantage attirer l’attention du lecteur,


c’est là où il évoque la ma trise de soi devant un ennemi qui offense ou provoque,
c’est le meilleur moyen de lui faire perdre la face. Et il précise que pour le cas où le
combat est demandé, dans le cadre de la Sunna, contre un mécréant, il faudra alors
combattre.

Cela est édifiant quant à l’attitude du soufi de l’époque face à la lutte armée. Il
était d’ailleurs fréquent de voir des soufis tomber dans les champs de bataille. En
outre, un bon nombre des combattants de Badr faisait partie des compagnons de la
banquette (ahl a - uffa), considérés comme les précurseurs du soufisme. D’ailleurs le
plus grand combattant de l’Islam, de tous les temps, est un lointain ma tre du
a awwuf : l’Imam ‛Alî. Le soufi n’est donc pas opposé au principe de cette lutte
armée mais, il lui pose des conditions et la relègue au second plan derrière la lutte
contre sa propre âme.

A la lecture du deuxième texte, on comprend davantage l’intention constante


de Ghazali qui est de rester fidèle à la pensée des grands soufis tout en clarifiant leur
essai, à travers des théories plus élaborées et plus accessibles. Ici, il reprend
l’introspection de u âsibî sous une forme plus concrète et plus compréhensible.
257

Chapitre XIII : La purification du cœur

Le soufi reste conscient que ses relations avec le reste de la communauté,


régies par la dimension sociale de la religion, de même que son attitude qui se doit
d’être exemplaire au sein des hommes, pour ce que l’Islam offre comme valeurs
universelles, sont toutes sous-tendues par un engagement qu’il a pris devant Dieu et
qui ne peut être respecté qu’avec « un cœur sain »1. Il s’efforce alors de vivre
pleinement son intimité avec Dieu en se suffisant de Lui comme Témoin ; ce qui se
traduit par une attitude de sincérité avec laquelle s’ouvre la Certitude qui l’aidera à
accomplir convenablement sa mission.

Dès lors, tout, en lui, converge vers son propre cœur.

13. 1. Le cœur du soufi :

13. 1.1. Ses caractéristiques :

Le cœur qui préoccupe tant le dévot est loin d’être cet organe biologique
responsable de la circulation du sang. Cependant ses caractéristiques qui relèvent de
l’abstrait peuvent être mieux perçus grâce à un parallélisme analogique effectué par la
plupart des analystes2. Ainsi, il entretiendrait avec la vie spirituelle du dévot les
mêmes relations fonctionnelles qui relient l’organe biologique au reste du corps.

En réalité, cette analogie n’est qu’une illustration des propos du Prophète (psl)
selon lesquels « dans le corps du fils d’Ada se trouve un orceau de chair qui, par
sa santé, assainit tout le corps : il s’agit du cœur »3.

Le soufi s’est donc fait une représentation de son cœur qui, en définitive, se
résume en ces points :

1
Coran, op. cit, Sourate Ash-Shu‛arâ (26), v. 89.
2
Cf. les écrits de Ghazali sur la question : Ghazali, Ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op. cit.pp: 1342-1360.
3
Ghazali, Muhtasar ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p: 138.
258

 Le cœur est spirituel et est créé avant le corps humain ;1


 Il est le moteur de la vie mentale de la personne : il est donc le siège des
facultés cognitives, affectives et perceptivo-motrices2 ; on note ici un
recoupement avec les propriétés du cerveau qui, scientifiquement, est
responsable de toutes ces dispositions étudiées par la psychologie ;
 Le cœur doit être épuré car il est souillé de beaucoup de vices inhérents à la
faiblesse ontologique de l’homme3;
 Il est le siège de la volonté humaine, celui de sa liberté d’opérer un choix4 ;
 Il est à l’origine de l’attirance de l’individu pour la vie spirituelle ;
 Il est le dépositaire de la vie humaine.

13. 1.2. Ses composantes :

L’attribution de toutes ces caractéristiques au cœur spirituel s’explique par


l’existence et l’interaction de différents éléments le constituant dans la représentation
du soufi. S’il est le siège de la vie et du penchant spirituel de la personne c’est parce
qu’il renferme l’esprit (ar-r ) à partir duquel émanent ces dispositions.

Par ailleurs, on a vu précédemment que cet esprit, pur à ses origines, une fois
en contact avec le corps se trouve être entravé ou emprisonné par d’autres facultés ou
forces qui luttent pour le confort corporel et la domination de l’ego5 ; en cela il subit
une mutation et est alors désigné sous le nom d’âme (an-nafs). Ces dites forces sont
conceptualisées sous le terme d’ « âme charnelle ». Du fait qu’il enferme l’âme en
son sein, le coeur devient souillé. Par conséquent, la purification du cœur n’est rien
d’autre que l’éducation de l’âme vue plus haut6.

D’autre part, la raison est une autre composante du cœur. De ce fait, il est le
siège de l’intelligence avec ses facultés corollaires que sont la mémoire et

1
Cf. infra chapitre IX.
2
Cf. infra chapitre X.
3
Cf. infra chapitre I et chapitre XII.
4
Ce point ainsi que les deux suivants sont tirés de l’analyse des trois derniers chapitres.
5
Cf. infra chapitre XI.
6
Cf. infra chapitre XII.
259

l’imagination. On peut même dire qu’elle est une faculté émanant de l’esprit comme
l’est du reste l’âme charnelle par rapport à l’âme. C’est pour cette raison que dans
plusieurs passages le Coran fait allusion à la compréhension par le cœur :
« Nous avons destiné beaucoup de Djinns et d’ho es pour l’Enfer. Ils ont des
cœurs, ais ne co prennent pas. Ils ont des yeux, ais ne voient pas. Ils ont des
oreilles, ais n’entendent pas… »1

13 1 3 Vers u e hiérarchisa io des é a s d me :

De ce conflit évoqué plus haut et qui a pour siège le cœur, entre l’âme
charnelle, les passions et le Diable d’un côté, contre la raison et la foi de l’autre côté,
l’âme conna t une succession d’états dont ceux évoqués plus haut. D’ores et déjà, à
partir du IIIe siècle de l’Hégire, la réflexion des soufis, pratiquants et théoriciens
confondus, s’oriente vers une stabilisation du nombre et des caractéristiques de ces
états du cœur.

Jusqu’à cette époque, les soufis n’ont fait qu’évoquer dans leurs expériences
les traits distinctifs de deux à trois états spirituels qu’ils ont personnellement vécus et
qui, pour le concerné, résument toute la vie du dévot. C’est ainsi qu’à travers les écrits
de l’Imam ‛Alî, on perçoit essentiellement trois états : la Crainte, l’Amour et
l’Agrément. Chez l’Imam Ja‛far et asan Al- a rî on note la prédominance de la
Crainte révérencielle. ârit al- u âsibî lui, se préoccupe du repentir sous-tendue
par la Crainte et l’Espoir.

C’est seulement après Junayd que, certains penseurs, plus théoriques que
pratiques, bénéficiant d’une vue d’ensemble sur l’œuvre de leurs prédécesseurs se
mirent à affiner la conception de ces états.

C’est ainsi qu’à côté du mot « âl » qui, depuis longtemps servait à désigner
ces états apparaît un nouveau concept « maqâma » qui, pour certains, désigne la
même chose et pour d’autre, marque une nuance, bien qu’étant très proches du

1
Coran, op. cit, Sourate Al-A‛râf (7), v. 179.
260

premier1. Ainsi, le mot « âl » signifierait : un état d’âme parmi ceux évoqués plus
haut et il se particulariserait par son instabilité car surgissant comme une gratification
divine. Quant au mot « maqâma » (station ou étape), il renverrait à un état plus stable
et acquis par l’effort constant du dévot2.

Pour la première tendance on peut retenir le cas des écrits d’ a‛îd b. Abil-
Hayr3 qui, non seulement a stabilisé quarante états qu’il a désigné sous le nom de
« maqâma », mais a établi une hiérarchisation plutôt subjective de ces stations. Il est
intéressant de comparer son échelle à celle d’ âlib Al-Makkî4 plus réduite afin
de mesurer combien il est difficile de fixer et partager des repères pour une expérience
aussi intime que la purification du cœur du soufi.

13. 2. Les étapes de la purification :

13. 2.1. Vers la sincérité :

Depuis le repentir (at-tawba) jusqu’aux premières lueurs de la Certitude, le


soufi, dans le cadre de son détachement et de sa dévotion, s’efforce de lutter contre
son âme charnelle. Il aura atteint la première étape de la purification de son cœur
lorsqu’il aura réussi « l’extinction des vices de son â es (al-fanâ ‛a a - ifât) ».

Chez Junayd cela correspond à l’étape de la première extinction, ce que


Qushayrî décrit par l’étape de la mu âdara (présence continue) pendant laquelle, le
dévot, par l’attention soutenue (al-himma) et par l’engagement, s’efforce de maintenir
une relation continue avec son Seigneur en gravitant les états d’esprits subséquents5.

1
Hujwîrî, op. cit. Tome I, p:408.
2
Cf. annexe II.
3
C’est un soufi qui a évolué entre le IVe et le Ve siècle de l’Hégire. Cf: Nasr S. H., As -
bayn al-’ams wal-yawm, trad. du persan par: Yazîjî, dâr muttahida lin-nashr, Beyrout, 1975,p: 93.
4
Cf. annexe II.
5
Cf. infra chapitre IX.
261

Ici, grâce à sa raison (al-‛aql) qui s’affermit par la connaissance du Message


prophétique, le soufi atteint le premier niveau de la Certitude connu sous l’expression
de ‛ilm al-yaqîn (le savoir certain)1.

On note avec beaucoup de penseur combien la volonté et l’engagement occupe


ici une place déterminante sur la voie de cette épuration. C’est le lieu de rappeler
l’attachement de l- a rî à cette libre volonté humaine lorsqu’il aurait campé celle
de Dieu dans la simple manifestation de Ses ordres et de Ses recommandations 2 ; ce
qui conduit à relativiser l’idée fataliste de Junayd sur la prédestination de l’élite
spirituelle. Ainsi, un libre choix a toujours marqué la décision d’engagement de tout
homme doué de raison et non assujetti à une contrainte extérieure.

Cependant, le soufi ne perd jamais de vue que sa vie est une question du cœur,
or Dieu a bien averti en ces termes :

« …sachez qu’Allah s’interpose entre l’ho e et son cœur. »3

Aussi, est-il persuadé que sa volonté a besoin d’une assistance divine. C’est
pour cela qu’arrivé à ce stade de sincérité, le soufi, en la personne de Zayn Al-
‛Âbidîn, prie le Tout-puissant de l’assister à aller plus loin :

« Ô Seigneur, facilite ma voie vers l’acco plisse ent de on Agrément. »4


« Fais-moi emprunter un chemin facile vers Ton amour. »5

13. 2.2. Vers la Certitude :

Le soufi aborde la deuxième étape de la purification du cœur lorsqu’il vit pour


la première fois des moments d’ouverture al- a )6. Il gagne ainsi progressivement

1
Qushayrî, op.cit., p : 74.
2
Janâbî (al) M., Hikma ar-rûh as-sûfiy, op.cit.p: 19.
3
Coran, op. cit., Sourate Al-Anfâl (8), v. 24.
4
‛Ali Zayn al-‛Âbidîn, As-Sahîfa‘ as-sajjâdiyya, Téhéran, Mu’assasa al-ba‛ta, s.d., p:118.
5
Ibidem, p : 119.
6
Il est fait cas de ces étapes au chapitre IX.
262

un second niveau de la Certitude plus connu sous l’expression de ‛ayn al-yaqîn (la
vision certaine)1. Cette étape de dévoilement (mukâshafa) voit le dévot se soumettre à
une autre épreuve, celle de l’extinction des satisfactions personnelles tirées de ses
actes d’adoration. Il lutte alors contre l’autosatisfaction ou une quelconque
considération de son mérite dans ce qu’il vit.

Le passage imagé de Junayd décrit parfaitement ceux qui traversent cette


étape :
« Leur esprit purifié des souillures cachées du désir de rester dans ce monde
d’illusion dâr al-ghurûr) les a conduit là où ils ont humé une brise fraîche. Il se sont
alors hâté de couper les liens susceptibles de distraire leur cœur qu’ils tiennent sous
leur contrôle, en obligeant leur â e à s’attacher aux œuvres pies, et buvant les
potions a ères de l’endurance aux souffrances. »2

Les points essentiels qui se dégagent de l’analyse de ce passage suffisent pour


caractériser l’état de la purification du cœur à cette étape.

 Le soufi contrôle son propre cœur et ma trise son âme qui est assujettie aux
œuvres pies ;
 L’esprit (ar-r ) qui était entravé est libéré et a tendance à s’élever vers le
domaine spirituel où il se sent attiré ;
 Le cœur perçoit des lueurs de la certitude (la brise fra che) ;
 L’extinction des vices correspond à une mutation de l’âme qui,
progressivement, tend vers l’apaisement : c’est la purification du cœur ; l’âme
se réduit à l’esprit, les deux font corps ;
 L’effort du soufi est concentré sur l’évocation permanente de Dieu dans son
cœur, ainsi, toute source de « distraction » est combattue.
« … Il guide vers Lui celui qui se repent, ceux qui ont cru et dont les cœurs se
tranquillisent à l’évocation d’Allah. »3

1
Qushayrî, op.cit., p : 74.
2
Junayd, op. cit. p : 153.
3
Coran, op. cit., Sourate Ar- a‛d (13), v. 28.
263

C’est à l’issue de cette étape que le cœur, avec l’assistance, l’amour et


l’Agrément de Dieu peut vivre l’état ultime du témoignage de Son unicité
(mushâhada at-tawh îd). Le soufi atteint alors la Certitude (h aqq al-yaqîn) et son
âme est apaisée1.
« Leur âme est devenue docile après avoir été rétive. »2

13. 2.3 me apaisée :

Pour au moins deux raisons, le soufi cherche à apaiser son âme par la
Certitude.
 Il est persuadé que c’est par cet apaisement que sa foi s’affermit et que
s’accomplit sa servitude.
« C’est Lui qui a fait descendre la quiétude dans les cœurs des croyants afin qu’ils
ajoutent une foi à leur foi. »3

 Il est aussi convaincu qu’à l’au-delà ne peut accéder au Salut que « celui qui
vient à Allah avec un cœur sain »4.

Ainsi, l’aboutissement de toute sa vie de dévotion est l’accès à ce stade où


l’âme, tout en assurant ses fonctions vitales pour le corps, redevient esprit pur et est à
même de témoigner l’unicité de son Seigneur. C’est cela le bonheur promis au fidèle
par le Coran :
« Il y a pour eux une bonne annonce dans la vie d’ici-bas tout comme dans la vie
ultime. »5

C’est avec cette âme apaisée que l’esprit (ar-r ) libère toutes ses potentialités
et entre en communication avec la lumière divine. La plupart de ceux qui ont vécu
l’expérience refusent d’aller plus loin que d’émettre des exclamations, paraboles ou

1
Qushayrî, op.cit., p : 74.
2
Junayd, op. cit. p: 90.
3
Coran, op. cit., Sourate Al-
4
Ibidem, Sourate Ash-Shu‛arâ (26), v.89.
5
Ibidem, Sourate Yûnus (10), v. 64
264

propos imagés pour communiquer la nature et les caractéristiques de cette perception


intérieure. Ceux qui ont osé franchir ce pas, notamment parmi la génération
postérieure, n’ont fait que brouiller davantage ou blasphémer.

Tout au plus, on peut retenir que « ceux qui sont dotés des visions intérieures »
ne voient aucune chose sans voir Dieu en même temps. L’un d’eux a même dit plus :
« Je ne vois aucune chose sans voir Dieu avant elle »1.

Cet état renvoie à la convenance absolue avec la volonté divine2 où le soufi a


la vision selon laquelle « les chose occupent leur vraie place et sont mises là où elle
doivent être, en vertu de la perception de Ses attributs. »3

Par ailleurs, le rêve est souvent utilisé comme un élément d’illustration dans
l’explication des caractéristiques de cette vision intérieure. En effet, si la psychologie
fait essentiellement remonter les explications des rêves dans le passé immédiat ou
lointain de la personne4, il faut avouer que certaines visions à l’état de sommeil
échappent à cette explication. Comment peut-on expliquer un rêve qui annonce un fait
qui, par la suite, se réalise exactement comme il a été perçu dans le sommeil ?

Quant à l’explication du soufi, elle illustre parfaitement sa représentation de


l’âme. Selon lui, l’esprit pur ou l’âme apaisée est en perpétuelle communication avec
la lumière divine qui est atemporel. Alors, l’âme peut être informée du passé, du
présent ou du futur. Seulement les sens et le penchant maléfique (âme charnelle) ont
un pouvoir inhibiteur qui empêche cette communication.

« Si de telle visions se produisent en état de rêve, le sommeil a pour effet de


neutraliser le pouvoir inhibiteur des sens à l’égard de la lu ière divine intérieure, car
les sens la distrairaient et l’entra neraient vers le onde sensible. Mais une lu ière

1
Ghazali, Muhtas ar ih yâ’ ‛ulûm ad-dîn, op.cit., p: 60. Les derniers propos sont attribués à Abû
Bakr, premier calife du Prophète (psl).
2
Cf. chapitre IX.
3
Junayd, op. cit., p : 153.
4
Cf. Freud S., op. cit., p :65.
265

prophétique peut dominer et prendre l’ascendant sur les sens.»1 C’est pour cette
raison que le Prophète a cette même vision à l’état de veille.

Le soufi, avec une âme apaisée, peut avoir cette même vision en dehors du
sommeil, ce qui correspond aux manifestations de l’ouverture (al- a ) ou du
témoignage (al-mushâhada). Seulement, pour son cas, cela est à la fois une
consécration et une épreuve supplémentaire qui met à nu sa propre insatisfaction de
son dévouement, ce qui le pousse à redoubler d’effort pour être digne de Son
Agrément2.

La certitude éclaboussante qu’il a alors de Ses manifestations et de Son unicité


le met dans une situation ambiguë d’incertitude. Il est incertain de Sa satisfaction (ar-
rid â) jusqu’à ce qu’Il agrée.

« Ô toi âme apaisée


Retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée ;
Entre donc parmi Mes serviteurs,
Et entre dans Mon Paradis. »3

1
Ghazali, Le Tabernacle des lumières, op. cit., p : 74.
2
Sha‛râni A. W., Al-Anwâr al-qudsiyya, Tome I, p: 160.
3
Coran, op. cit., Sourate Al-Fajr (89), v. 27-30.
266

CONCLUSION
267

CONCLUSION :

Comme toute personne qui embrasse la foi musulmane, le soufi, dans la


pratique de sa religion, est essentiellement motivé par deux préoccupations : la crainte
du Châtiment du Jour des comptes ( a m al- isâb) et l’espoir du Salut. En effet, une
première lecture du Message prophétique (Coran et adît) donne une idée de la terreur
qui attend tout homme ingrat (kâfir) envers son Seigneur, mécréant et pécheur.

Ainsi, le Livre, par divers arguments s’est évertué à convaincre l’homme, à


qui ce Message universel est destiné, de l’imminence et de la gravité de cette punition.
Aussi, la recherche du Salut se traduit-elle simplement par l’obéissance (a - ‛a) à
Dieu et à Son Prophète par le respect des prescriptions de la Sunna.

Seulement, grâce à leur profonde méditation des versets coraniques et de


l’attitude exemplaire de leur Prophète, les premiers croyants, au-delà d’un
conformisme superficiel assimilable quelque peu à une simple identification sociale
ou tout au plus à une quête de rétribution ponctuelle de la part de Dieu, font de cette
recherche du Salut une action soutenue et essentiellement située dans le cœur de
l’homme. Ils furent suivis en cela par quelques uns des autres générations suivantes
qui, pour cette même raison, furent désignés sous le nom de « soufis ». En effet, le
soufi ne veut pas se contenter de demander pardon après chaque péché ou de
renouveler indéfiniment sa volonté de ne pas désobéir ; il se pose la question sur ce
qui, en lui-même, dans son fort intérieur, favorise ces manquements : il cherche à se
débarrasser définitivement des origines de ce mal.

Dès lors, il apprend à se connaître lui-même grâce aux indications que son
Créateur lui donne sur sa nature, dans le Message prophétique. Progressivement,
associant méditation et pratiques, il se rend compte que ses comportements maléfiques
sont intéressés et motivés en ce qu’ils renforcent l’ego (égoïsme), et trouvent leur
explication par la connaissance de la nature et de l’évolution d’une essence subtile et
abstraite qui domine l’intérieur de la personne : l’âme.
268

Par ailleurs, le soufi se rend compte aussi que, pour bien des comportements
louables, par leur parfaite exécution mais seulement limitée par un défaut de sincérité,
le croyant risque de se tromper plus qu’il ne trompe le témoin ou, de manière
générale, la société. Or tout ce qui compte est avant tout la pureté de l’intention. Il se
donne alors le devoir de lutter contre sa propre hypocrisie.

Seulement, opérer une telle abstraction du monde, des gens et de tout intérêt
qui leur est relatif dans la dévotion n’est pas chose aisée. Seul un niveau extrême de la
foi assimilable à la Certitude peut conduire celui qui s’engage dans le chemin à
l’atteindre. Et, selon le soufi, l’obstacle majeure qui se dresse devant lui est toujours
cette réalité subtile : l’âme.

Ainsi, conscient de tout ceci, les premiers soufis se résolurent à vivre leur
servitude (‛ubûdiyya) dans la sincérité espérant atteindre un jour le seuil de la
Certitude, ce qui leur permettra d’atteindre un niveau de piété digne de Son agrément
(haqqa tuqâtih). C’est cela qui explique leur engagement à conna tre le cœur et à
combattre l’âme charnelle.

Leur évolution entre les deux pôles que sont le détachement et la dévotion
s’effectue à travers leur relation avec la société, à travers leurs comportements
extérieurs, mais surtout, par une attitude intérieure subjuguée par la méditation. Pour
cette raison, toute analyse de leur vie doit passer par l’étude des différents états
d’esprit qu’ils traversent entre ces deux pôles et qui expliquent fondamentalement leur
attitude extérieure. D’ailleurs, la compréhension du a awwuf qui, avant d’être
théorie, est d’abord une pratique de la part de ces hommes, passe par cette approche
qui a conduit notre démarche.

C’est cette méditation évoquée plus haut qui les a poussés à situer la naissance
de ces états et par conséquent, à reconsidérer leur cœur et à fouiller leur âme qui
semble être leur point de départ. Ils échangèrent intimement le fruit de leur expérience
propre entre paires et entre maîtres et disciples, puis, les premiers essais théoriques
commencèrent à être réalisés. C’est ainsi, qu’Al- u âsibî, réussit à conceptualiser, à
269

travers ses premiers échanges, deux états d’esprit qui expliquent une bonne partie de
la vie du soufi, ce sont la crainte révérencielle et l’espoir.

C’est ainsi que par crainte l’ascète détache son cœur de tout ce qui conduit à la
déviation et observe son retour à Dieu (at-tawba). Et c’est grâce à elle aussi qu’il se
fait une obligation de suivre les recommandations de Dieu, dans la sincérité. De ce
fait, il conna t alors d’autres états d’esprits comme le repentir et la longanimité.

C’est par espoir de son pardon qu’il observe le repentir et l’espoir de sa


récompense le conduit à accentuer sa dévotion. Il conna t alors d’autres états d’esprit
comme la reconnaissance, l’agré ent et l’a our de Dieu. En cela, le soufi acquiert la
Certitude tant espérée.

Progressivement, à la suite de ce premier théoricien, d’autres soufis


continuèrent la conceptualisation de ces états intérieurs, jusqu’à l’avènement de
Junayd qui fit une élaboration théorique unique à son époque. Cependant, leurs
définitions, bien qu’étant inspirées par les lettres de la Sunna, étaient plutôt
subjectives et étaient, le plus souvent, le fruit d’une expérience personnelle. Les textes
étudiés dans cette recherche ont révélé la différence des approches, la relativité au
niveau des explications et la constance au niveau de la pratique.

Ainsi, pour ce qui concerne le cœur et plus particulièrement l’âme, bien


qu’ayant adopté la même attention sur la question, depuis les compagnons du
Prophète jusqu’à Junayd, les propos des premiers ont été moins riches que les
explications et argumentations des derniers et cela, pour plusieurs raisons. D’abord,
l’élaboration des sciences religieuses qui s’est effectuée progressivement dans le
temps depuis l’avènement de l’Islam, a permis aux soufis qui étaient de grands
spécialistes des différents domaines concernés par ces sciences d’affermir et
d’enrichir de plus en plus leur technique d’argumentation théorique.
270

Ensuite, évoluant dans un contexte de protestation, d’accusation et de menaces


dont ils étaient victimes, les derniers se souciaient plus que les anciens à faire preuve
de conformité par rapport à la Sunna dans leurs explications et prenaient de plus en
plus en compte le niveau intellectuel de leurs vis-à-vis.

Enfin, poussés par cette nouvelle situation à écrire pour faire connaître les
caractéristiques essentiels qui particularisent leur voie, afin, d’une part, de montrer
leur fidélité à la Sunna et d’autre part, d’éviter les amalgames, les soufis du troisième
siècle de l’Hégire s’éloignaient de plus en plus de l’échange oral et intime entre ma tre
et disciple pour passer à une intention de vulgarisation, même si, par la forme, certains
en conservaient le style dans leurs écrits.

Sur ce, leur conception du cœur, de l’esprit, de l’â e et de leurs corollaires a


été de plus en plus préoccupante au cours des générations et les résultats obtenus
quelque peu disparates ont été déjà considérables à ce siècle.

Notre objectif, par cette recherche, a été d’en faire un ensemble cohérent
soutenu par l’analyse de la vie des pratiquants de référence du a awwuf, à cette
époque. C’est ce qui a conduit aux présentes représentations.

Le cœur du soufi est différent de l’organe biologique, mais il est plutôt la


dimension spirituelle de l’homme, il englobe et dépasse la dimension mentale. Par
analogie, il est aussi important dans sa vie spirituelle que l’est cet organe pour sa vie
biologique. Créé avant le corps humain dont il est le contenu substantiel et immatériel,
il est le moteur de sa vie mentale et est donc le siège de ses facultés cognitives,
affectives et perceptivo-motrices. Par conséquent, il est le siège de la volonté
humaine.

Si par ailleurs, il est considéré comme le dépositaire de la vie, le siège de la foi


et que le soufi, durant toute sa vie, se préoccupe de sa purification, c’est compte tenu
des éléments qui sont supposés le constituer : l’esprit, l’â e charnelle et la raison.
271

L’élément le plus précieux et le plus pur de l’être et qui est immatériel est
l’esprit. Il transcende le matériel et subsiste à cette vie corporelle, en quoi il représente
l’essence même de l’homme. Ainsi, créé avant le cœur, il est le moteur de la vie, est
logé dans celui-ci et est attiré par la dimension angélique. Pour cela il est le détenteur
de la foi. Il est doté d’une faculté de perception illuminée par la lumière divine (al-
a îra) qui est son arme principale et que d’aucuns d’entre les soufis appellent
intellect. C’est cette faculté qui, une fois sur terre, s’embarrasse de voiles issues des
réalités de cette vie et voit ainsi ses capacités réduites, pour cela les soufis l’appellent
désormais simplement : la raison.

A partir de là, on comprend pourquoi le mot « al-‛aql » est employé, selon les
situations, pour désigner l’une ou l’autre nature de cette faculté. Le soufi cherche à
réacquérir la première nature avec insistance, accepte et utilise de façon contrôlée la
deuxième nature qui est susceptible d’être corrompue par l’â e charnelle.

En effet, à l’issue de cet embo tement, sous forme de cercle concentrique, de


l’esprit, du cœur et du corps, le premier, à l’image de sa faculté de perception, a connu
une mutation pour avoir été dès lors, subjugué par un ensemble de forces ou de
facultés qui apparaissent en lui avec la vie terrestre. Cet ensemble de facultés devant
lequel résiste la raison (al-‛aql) animée par la foi, se préoccupe du confort et des
plaisirs de la vie terrestre : il est formalisé sous le nom d’âme charnelle ou âme
incitatrice au mal (an-nafs al-ammâra bis-s ) qui, en s’agrégeant à l’esprit aurait
fait de lui un mutant connu sous le nom d’âme (an-nafs).

L’âme est donc une autre nature de l’esprit, un esprit travesti et souillé. Par là,
on comprend la préoccupation du soufi à vouloir purifier son âme ; dès lors le combat
s’identifie à une éducation de l’âme du moment qu’il s’agit essentiellement de
ma triser ces forces aliénantes qu’est l’âme charnelle.

D’ailleurs, selon Junayd et la plupart d’entre eux, l’extinction de ces facultés


ou attributs permet au croyant d’avoir la Certitude et de se réconcilier avec son
272

Seigneur dans une parfaite harmonie qu’ils ont décrite à travers la théorie de la
Connaissance (al- a‛rifa).

Avec cette victoire, l’esprit retrouve sa faculté de perception qui dépasse les
limites connues de la raison. On note que ce qui est au départ de cette issue heureuse
pour l’âme ainsi apaisée est la sincérité de la foi : c’est la règle de conduite
incontournable des soufis.

Toutefois, ce début de conceptualisation va ouvrir la voie à la théorisation


effrénée des échanges d’expériences, ce qui par exemple va aboutir à la
hiérarchisation des états d’âmes (a wâl), mais surtout à un essai audacieux
d’explication, par l’emprunt de concepts et de fragments de pensées étrangères, des
sensations, visions ou expériences intimes, sur lesquelles les premiers soufis ne se
sont jamais prononcés pour le fait qu’ils les considéraient comme appartenant au vécu,
à la pratique, à l’expérience et non à l’oralité ou à la théorisation. Cette nouvelle
tendance n’a pas manqué de susciter des controverses et des adversités entre soufis et
juristes des siècles suivants.

Enfin, on voit, par cette étude, combien la pensée du a awwuf recoupe sur
bien des points les connaissances psychologiques de la personne et combien ces
caractères, suscités et développés par sa pratique, fondent la dimension morale et
éthique du croyant.
273

BIBLIOGRAPHIE
274

BIBLIOGRAPHIE :

Cette bibliographie s’est constituée à partir de cinq genres de documentations


qui sont :

 Le Coran et ses commentaires : des ouvrages d’exégètes du livre saint et


parfois des traductions ;

 Les recueils de traditions prophétiques et quelques références de théologie


ou de droit musulman ;

 Les écrits des soufis : ils sont très riches en témoignages et se


particularisent aussi par une recherche de vulgarisation et d’explications à
travers des analyses justificatives. Ils sont souvent produits en arabe et
ignorent les paradigmes scientifiques modernes comme l’analyse
historique et la démarche épistémologique. Seulement, leur teneur révèle
parfois une profonde et surprenante ma trise de l’art de l’argumentation et
des techniques d’expression.

 Les recherches universitaires : plus récentes, elles retracent souvent la


formation du a awwuf, sous un angle historique ou doctrinale en
s’appuyant souvent sur les productions des théoriciens soufis.

 Enfin, les ouvrages sur la psychologie et la philosophie occidentale.

Le classement s’est fait en trois rubriques : les ouvrages spécialisés qui sont les
premières sources de la recherche, les ouvrages complémentaires et la
documentation générale. Chacun des deux premiers rubriques présente des sous
classements selon les types de documents présentés par ordre alphabétique, avec
comme entrée le nom de l’auteur.
275

1. Ouvrages spécialisés :

a. Commentaires coraniques et traditions prophétiques :

 ‛Ammâr M. b., ‛Ilal a âdît f itâb a - a , Sahîh, Bayt al-af âr ad-dawliyya,

iya , pp:1285-1299.

 Buhârî (Imam M. al), Sahîh, , dâr al-fikr, Beyrouth 10 volumes, 6e édition,

sd, 4311p.

 Ibn Mâjja, Sunan, Dâr al-kutub al-‛ilmiyya, Beyrouth, s.d., T.I, 718p, T.II,

844p.

 Le Coran, édition du roi Fahd, Médine 1990, 604p, traduction du Saint Coran.

 Le Coran, Les classiques Bookendstock.com, s.d. 567p, traduction de

Mouhammad Hamidullah.

 Minshâwî ‛U. ‛A., Al-Muhadhab fî mustalah al-hadît, al-azhar ash-sharîf, Le

Caire, 1994, 111p.

 Muslim (Imam), Sahîh, Bayt al-af âr ad-dawliyya, iya , 1473p.

 Nasafî (Imâm ‛Abd-Allah an-), Tafsîr an-nasaf , juz’ ‛amma, al-azhar ash-

sharîf, Le Caire, 1994, 109p.

 Nasafî (Imâm ‛Abd-Allah an-), Tafsîr an-nasafî, sûrat al-an‛âm, al-azhar ash-

sharîf, Le Caire, 1995, 63p.

 Qur’ân (al) al-Karîm, riwâyat Hafs, , Majma‛ al-malik Fahd, Madîna al-

munawwara 1990, 604p.

 alâh ‛Amru b.), iyâna a muslim, Sahîh muslim, Bayt al-afkâr ad-

dawliyya, iya , pp:1215-1282.


276

 Suy î (Jalâl ad-dîn as-) et Mahallî (Jalâl ad-dîn al-), Tafsîr al-qurân al-

‛azîm, maktabat al-istiqâma, le Caire, sd, T. I, 240p T.II, 279p.

 Suy î (Jalâl ad-dîn as-), Lubâb an-nuqûl fî asbâb an-nuzûl, Tafsîr al-qur ân

al-azîm, maktabat al-istiqâma, le Caire, sd , T. I, 240p T.II, 279p (à la marge

du document).

 a m M. b., F ma‛rifat an-nâsih wal-mansûh, Tafsîr al-qur’ân al-azîm,

maktabat al-istiqâma, le Caire, sd , T. I, 240p T.II, 279p (à la marge du

document).

b. Hagiographie et histoire :

 Hamidullah M., Le prophète de l’Islam sa vie, son oeuvre, 2 tomes en 2

volumes, éd AIEF, Paris, 5e édition, 1989.

 aykal M. ., Hayât Muhammad, ma tabat an-nah a al-mi riyya, Le Caire,

1968, 634p.

 Ibn Hishâm (A. M.), Sîrat sayyidinâ Muhammad rasûl al-lâh

 Ibn Katîr, al-bidâya wan-nihâya fit-târîh,

 abarî M. b. . a -), Târîh ar-rusul wal-mulûk

c. Soufisme :

 ‛Alî b. Abî âlib (Imame), Muhtârât mubawwaba min nahj al-balâgha,

Ansâriyan Publication ,Qûm, édition bilingue, s. d., 731p.


277

 ‛Alî b. Abî âlib (Imame), Du‛â’, établi par al- umayl b. Ziyâd, Mu’assasa

al-kitâb al-islâmî, Paris, s.d., 19p.

 ‛Alî Zayn al-‛Âbidîn, as-Sahîfat as-sajjadiyya al-kâmila, Mu’assasa al-ba‛ta,

Téhéran, s.d., 331p

 Ghazali A. ., Epître sur la science divine, ed. Al-Birunî, Beyrouth, 71p,

traduction de: Ar-Risâla al-laduniyya par Dr. M. Daher.

 ha ali A. ., Le Chemin assuré des dévots vers le paradis, édition albouraq,

Beyrouth, 2000, 151p, traduction de : Minhâj al-‛âbid n ilal-janna par M. A..

Palacios.

 ha ali A. ., Le tabernacle des lumières, Sindbad, Paris, 1981, 119p,

traduction de: Mishkât al-anwâr par Deladrière R.

 ha ali al) A. ., Ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, 10 volumes, Dâr ihyâ’ at-turât al-

‛arabî, Beyrouth, s.d. 5534p.

 ha ali al) A. ., Muhta ar ihyâ’ ‛ulûm ad-dîn, Dâr al-fikr, Beyrouth, 1986,

316p.

 Hujwîrî A., Kashf al-mahjûb, 2tomes en un volume, Dâr an-nahd a al-

‛arabiyya, Beyrouth, 1980, 709p.

 bn ‛Atâ’-allah al-askandarî, i am, Dâr al-kutub,Le Caire, 1970, 164p.

 Junayd A. Q., Enseignement spirituel (traités, lettres, oraisons et sentences),

Sindbad, Paris, 1983, 229p, textes établis et trad. de l’arabe par Deladrière R.

 Kalabâdhî, Kitâb at-ta‛âruf, A. J. Arberry, le Caire, 1934.

 Makkî al) A. ., Qût al-qulûb f mu‛âmalât al-ma bûb, 2 tomes en 2

volumes, Ma tabat Mu afâ al-bâb al- alabî, Le Caire, 1961, 550p/ 607p.
278

 Mu âsibî al) ., Ar- i‛âya li huqûq al-lâh, Dâr al-ma‛ârif, le Caire, 1990,

431p.

 Mu âsibî al) ., Risâlat al-mustarshidîn, Ma tabat al-ma bû‛ât al-islâmiyya,

Allep, 1974, 220p.

 Qushayrî (al) A. K., Ar-Risâla, Dâr al-ma‛rifa,Le Caire, 1981, 406p.

 Sha‛rânî (al) A. W., al-Anwâr al-qudsiyya, Tome I, Maktabat al-ilmiyya, Le

Caire, 1966, 207p.

 Sulamî as-, Tabaqât as-sûfiyya, Le Caire, 1953.

 sî Ab na r as-Sarrâ a -), Kitâb al-luma‛, établi par Nicholson, Gibb

Memorial, 1914.

2. Ouvrages complémentaires:

a. Soufisme, droit, théologie et philosophie musulmane

 ‛Afîfî Abul-‛allâ), At_Tasawwuf (at-tawrat ar-rûhiyya fil-islâm) dâr ash-

sha‛b, Beyrout, s.d., 316p.

 Allard M., Le problème des attributs divins dans la doctrine d’al-Ash‛arî,

Imprimerie catholique, Beyrouth, 1965, 450p.

 Anawati G C, et Gardet L., Mystique musulmane, 3e édition, Vrin, Paris,

1976, 310p.

 Attâr (Farîd ad-dîn), Le mémorial des saints, Editions du Seuil, Paris, 1976,

309p, traduction de:Tadhkirat al-awliyâ’ par Courteille A. P.

 Avicenne, Livre des directives et remarques, traduction de Goichon (M),

Beyrouth, 1951, 552p.


279

 Baudart A. et al. Histoire de la philosophie : 1. les pensées fondatrices, A.

Colin, Paris, 1993, 192p.

 Biruni (al) A. R., Le livres de l’Inde, traduction de Monteil V, Sindbad,

UNESCO, Paris, 1996, 366p.

 Bâqillânî A. B. al-, al-Insâf fîmâ yajib I‛tiqâduh walâ yajuz al-jahl bih,

Mu’assasa al-hanjî, Le Caire, 1963, 2e édition, 208p.

 Chahine O., L’originalité créatrice de la philosophie musulmane,

Maisonneuve, Paris, 1972, 301p.

 Chevalier J., Le soufisme et la tradition islamique, RETZ, Paris, 1974, 255p.

 Corbin H., Histoire de la philosophie islamique, Tome I, Gallimard, Paris,

1964, 383p.

 Farabî (al-), Traité des opinions des habitants de la cité idéale, traduction de

Sabri T., Vrin, Paris, 1980, 158p.

 Fattâh I. A. H., Nash’at al-falsafat as-sûfiyya wa tatawwuruhâ, al-maktab al-

islâmî, Beyrouth, 1974, 255p.

 Ghallâb M., At-Tasawwuf al-muqâran, Maktabat an-nahda Le Caire, s.d.,

168p.

 Ghallâb M., At-Tanassuk al-islâmî, al-ahrâm, Le Caire, 1970, 335p.

 Ghannî Q., Târîh at-tasawwuf fil-islâm, Maktabat an-nahd a, Le Caire,

1972, 908p.

 ha ali al) A. ., al-Munqidh min ad-dalâl, Damas, 1956, 55p.

 allâf A. W., ‛Ilm usûl al-fiqh, Dâr-al-qalam, Koweit, 1981, 132p.

 ilâl I., At-Tasawwuf al-islâmî bayn ad-dîn wal-falsafa, Dâr an-nahd a Le

Caire, , 1975, 207p.


280

 Ibn Taymiya A., Majmû‛al-fatâwâ, maktabat al-ma‛ârif, abat, s.d., 36

volumes.

 Iqbâl M., econstruire la pensée religieuse de l’Islam, Préface de Louis

Massignon, Adrien- Maisonneuve, 1955.

 Janâbî M al-, i mat ar-rûh as-sûfî, al madâ, Damas, 2001, 456p.

 Mahmoud A. ., al-Mohasibi, L. O. Paul Gauthner, Paris, 1940, 260p.

 Mahmûd A. Q., Al-Falsafat as-sûfiyya fil-islâm, Dâr al-fikr, Le Caire, s.d.,

701p.

 Massignon L., La passion d’al-Hallaj, 2 tomes en 2 volumes, Paris,

Gallimard, Paris, 1975, 708p/386p.

 Mubârak Z., At-Tasawwuf al-islâmî fil-adab wal-ahlâq, 2 tomes en 1

volume, Dâr al-Jîl, Beyrouth, s. d., 302p/ 269p.

 . ., As-Sûfiyya bayn al-ams wal-yawm, tarjama: Yazîjî, dâr

-nashr, Beyrout, 1975, 206p.

 Sharqâwî (ash-) . M., Ash-Shar ‛a wal-haqîqa, al- - -

kitâba, Alexandrie, 1972, 228p.

 Shuon F., Le soufisme voile et quintessence, Dervy-Livres, Paris, 139p.

 Tirmîdhî (al-) H., ‛Ilm al-awliyâ’, Jâmi‛a ‛ayn ash-shams, 1983, 276p.

b. Philosophie occidentale et psychologie

 Baudart A. et al, Histoire de la philosophie : 1. les pensées fondatrices,

Armand Colin, Paris, 1993, 192p.

 Freud A., Le moi et les mécanismes de défense, Puf, Paris, 166p.


281

 Freud S., Cinq leçons sur la psychanalyse, Payot, Paris, 1990, 154p.

 Freud S., Introduction à la psychanalyse, Ebooks Libres et gratuits,

http://www.coolmicro.org/livres.php, 2003, 236p.

 Lagache D., L’unité de la psychologie, Puf, Payot, Paris, 1949, 55p.

 Madkûr I., l’organon d’Aristote dans le monde arabe, ses traductions, son

étude et ses applications, 1969, 2e édition, 312p.

 Maslow A.,Vers une psychologie de l’Être, Fayard, 1972.

 Naville P., La psychologie, science du comportement, Gallimard, Paris, 1949,

253p.

 Nicolas S., Histoire de la psychologie, Dunod, Paris, 2002, 124p.

 Osterrieth P. A., Introduction à la psychologie de l’enfant, De Boek, Paris,

17e édition, 1997, 170p.

 Piéron H., Vocabulaire de la psychologie, PUF Quadrige, Paris, 2000, 6e éd,

590p.

c. Thèses et articles :

 Jabre F., La notion de certitude selon Ghazali, thèse de doctorat es lettres,

Paris, Vrin, 1958, 474p.

 Maqdîsî Ibn Qudâma al-, Kitâb at-tawwâbîn (Le livre des penitents),

établissement et introduction de Makdîsî G., Thèse de doctorat es lettres,

Université de Paris, Damas, 1961, 338p.


282

 Mbaye R., La pensée et l’action d’El Hadji Malic Sy, un pôle d’attraction

entre la sharia et la Tariqa, Thèse de doctorat d’Etat es lettres et sciences

humaines, Sorbonne nouvelle, Paris III, 1992/1993, 2634p.

 Nashâr (al) M., al-Ghazali wa nazariyat al-ma‛rifa, in ‛Alam al-fikr n° 4,

1989, Koweït, pp: 157 à 172.

 Ndiaye S., Le Tasawwuf du IIe au Ve siècle de l’Hégire à travers l’optique de

la Sunna, Mémoire de DEA d’arabe, Lettres, UCAD, 2002/2003, 64p.

3. Documentation générale :

 Dictionnaire de l’ slam Encyclopeadia universalis), A. Michel, 1997, 926p.

 Fröhlich W. D., Dictionnaire de la psychologie, Librairie G. française, Paris,

1997, 510p.

 Ibn Haldûn ‛A. R., Muqaddima, 7 volumes, Dâr al-kitâb al-lubnânî,

Beyrouth, 3e édition, 1967, 8959p.

 Ibn Khaldûn, Discours sur l’histoire universelle, UNESCO, Beyrouth, 1968,

T. I, 476p, T.II, 452p, traduction de : Muqaddima par Monteil V.

 Leiden E. et Brill J., Shorter encyclopaedia of Islam, 1953, 671p.

 Raynal F. et Rieunier A., Pédagogie : dictionnaire des concepts clés, ESF

éditeur, Paris, s.d. p

 Ziriklî H. D. az-, al-A‛lâm, Dâr al-‛ilm lil-malâyîn, 8 volumes, Beyrouth,

1979, 4e édition.

 Zubayr M. Ibn az- et al, Mu‛jam asmâ’al-‛arab, Maktaba al-lubnân,

Beyrouth, 1991, T. I, 980p, T.II, 920p.


283

ANNEXES
284

ANNEXE I. LISTE DE SOUFIS DU Ie AU Ve S E LE DE L’ E RE

Cette liste est loin d’être exhaustive mais cherche plutôt à rappeler les noms
des Sûfîs les plus représentatifs de ce moment. Elle présente les quatre rubriques
suivantes :
- (A) : quelques noms parmi les ascètes des premières heures de l’Islam ;
- (B) les premiers ma tres après le prophète qui ont essayé d’assurer la
continuité de cet ascétisme. Le mot « génération » semble plus indiqué ici pour
désigner un groupe d’individus ayant en commun les mêmes aspects
comportementaux physiques ou moraux et évoluant dans un même cadre
temporel.
- (C) : la génération composée essentiellement de praticiens qui ont
respecté l’orthodoxie dans sa rigueur ;
- (D) : Les rares théoriciens qui sont apparus à la fin de la génération
précédente sont fréquents dans celle-ci. Ils alliaient la pratique à une
systématisation théorique qui fonda le « a awwuf » en tant que science. C’est
le moment de la déviation de certains soufis ce qui explique la subdivision de
cette rubrique en deux.
Pour chaque rubrique, afin de restituer l’environnement et l’évolution historiques des
différentes générations, l’ordre chronologique est adopté, en s’appuyant en général sur
les dates de décès.

A. Les précurseurs

1. ‛ lî î âlib (40/H), compagnon du prophète, quatrième calife.


2. les trois autrespremiers califes : Abû bakr, ‛Umar b. al-Hattâb,
‛Utmân b. ‛Affân
3. asan b. ‛Alî, petit fils du Prophète, deuxième Imam chiite
4. Ahl as-suffa (les gens de la banquette), ils étaient plus d’une centaine,
voire des centaines, on peut noter quelques noms :
- Bilâl b. Rabâh (20/H), compagnon du prophète,
285

- Salmân al- fârisî, compagnon,


- Abu Dharr Jundub b. Junâda al-ghifârî (30/H), compagnon,
- udha a isl b. al- yamânî (33/H), compagnon,
- Suhayb b Sannân ar-rûmî (36/H), compagnon,
- Abû ‛Ubayda ‛Âmir b. ‛Abdallâh b. al-Jarrâh (18/H),
compagnon
- Abul-Yaqzân ‛Ammâr b. Yâsir, compagnon, mort à Siffîn du
côté de Alî
- as‛ûd ‛ d- ll h as‛ûd (32/H), compagnon
-‛ a as‛ d, compagnon
- Al-Miqdâd b. al-aswad
- abbâb b. aratt
- ‛Utba b. Ghazwân (17/H), grand archer
- Zayd b. al-Hattâb (12/H)
- Abû Kabsha (15/H)
- Ab ar ad a z usayn al-ghanawî (12/H)
- ‛Ukâsha b. Muhsin (12/H), le paradis lui est promis sans
jugement par le Prophète (psl)
- ‛Abd-Allâh b. ‛Umar
- Jundub b. Junâda
- S afwân b. al-Baydâ
- Abûd-Dardâ ‛Uwaymir b. ‛Âmir (32/H)
- ‛Abd-allâh b. Badr al-Jumhî
- Abû Lubâba b. ‛Abd al-Mundhir
- a s ‛ mir al qaranî, suivant.

B. La première génération

5. a‛îd b. al-Mus îb (94/H)


6. ‛ lî usa za al-‛ idî ), ( 95 / H), quatrième Imam Shiite.
7. asan al- bas rî (110 / H), il est reconnu de tous les sufis comme
leur maître, il se fixe à Bas râ.
8. aram ayyân
286

C. La deuxième génération

9. R i‛a al ‛ dawiyya (135 /H), elle fit signe d’une première déviation
de l’orthodoxie avec son célèbre « amour ».
10. Mâlik b. Dînâr, compagnon de Râbi a, en prônant le célibat à l’image
des moines, il fit parti des exceptions de cette génération qui ont dévié de
l’orthodoxie.
11. Ja‛far b. Muhammad as-Sâdiq (148/H), sixième Imam Shiite.
12. Muqâtil b. sulaymân (150/ H)
13. Sufyân at-tawrî (161/H), compilateur de hadîts
14. Hâshim as-sûfi, contemporain de Sufyân at-tawrî, il est du kûfa.
15. Ibrâhîm b. adham (Abû Ishâq) (162/H), dur ascète, il pratiqua
l’errance et mourut dans le sham.
16. Shaqîq b. Ibrâhîm al -balahî (Abû ‛Alî) (174/H), du Hurâsân, il fut
aussi un combattant
17. Dâwûd b.Nâsir at-T î (Abû sulaymân) (165/H), il fréquentait Abû
Hanîfa et évolua à Baghdad.
18. Mâlik b. Anas (179/H) , juriste, fondateur de l’école mali ite
19. Fudayl (al) b. ‛Iyâd (Abû ‛Alî) (187/H), du Khourassane, il mourut à la
Mecque.
20. Ma‛r al-Karhî (Abû Mahfûz) (200/H), ses deux parents étaient
chrétiens
21. ‛ da as-sûfî (210/H), shiite, il se fixa à Baghdad
22. ‛ d ar-Rahmân ad-dârânî (Abû Sulaymân) (215 / H), il évolua à
Baghdad.
23. Fath b ‛Alî al-Musûlî (220/ H)
24. ishr al- âfi (Abû Nasr) (227 / H) , il évolua et mourut à Baghdad.
25. mad il- a rî ul- asan) (230 / H), de Damas.
26. Hâtim b. Alwân al-asamm ‛ d ar-Rahmân) (237 / H), il fut
aussi un combattant.
27. hmad al alahî âmid) (240 / H ), du Hurâsân.
28. amza uhammad al ara î (Abul-‛ s) (241 / H) .
287

29. ârit b. Asad al Muhâsibî (Abû ‛Abdallah) (243 / H), originaire de


Basrâ il mourut à Baghdad, il est le premier théoricien connu du
Tasawwuf.
30. Ahmad ‛ sim al. Antâkî (Abû ‛Alî), compagnon d’al. Muhasibi.
31. ‛ s ar usayn an-Nahasî (Abû Turâb) (245 / H), il pratiqua
l’errance et fut dévoré par les fauves.
32. Ah mad b. yahyâ al. Jallâ ‛ bdallah) originaire de Baghdad,
il fut compagnon de Dun-nûn
33. Dhun-Nûn al Misrî (abul-fayd) (245/ H), il se fixa en Egypte
34. uhammad assân al bisrî (A ‛ bayd), compagnon d’Abû turâb
35. Abû ‛ sim ashish (253/h)
36. Sarî b al-Mughlis as- Saqatî ul- asan) , (253/H), élève de al-kurhî
et maître de Junayd, il se fixa à Baghdâd
37. Muhammad b karam ( 255 / H) , maître fondateur des qaramites.
38. Zakariyyâ b. yahyâ al harawî (255 / H)
39. Yah u‛âdh ar-Râzî (Abû zakariyyâ ) (258 / H), il mourut à
Nishapûr.
40. ayfûr b. ‛Is al-Bistâmî (Abû Yazîd), (261 / H), maître de la
solitude.
41. ‛Isâ b. Adam (Abû Mûsâ), neveu et disciple de Bistâmî.

D. La troisième génération

D.1. Les orthodoxes


42. ‛Umar b. Maslama al. add d afs) (264 / H), il s’opposait au
Samâ (chant religeux)
43. Abû Ishâq an-Nîsabûrî (265 / H)
44. Shâh b. shajjâj al-kirmâni (Abul-Fawâris) (270 /H) , compagnon
d’Abû Turâb
45. amdûn b.Ahmad al Qassâr (Abû sâlih) (271/H) son rejet de
l’apparence a inspiré les Malamites.
288

46. Fath b. Shahrûf al- Marûzi (273 / H)


47. ‛ dallah âbiq (Abû Muhammad), contemporain de Fath, il est
originaire de Kûfa.
48. Ahmad b. ‛Isâ al-Harr z a‛îd), (277/ H) il évolua à Baghdad
49. ‛Alî b. Sahl al Isbahânî (Abul- asan) (280 / H) il fut un compagnon
de Junayd
50. Sahl b ‛ dallah a -Tustar (Abû Muhammad) ( 283/ H)
51. ‛ s amza an-Nîsabûrî (288 / H)
52. amza al. Baghdâdî (289 / H) (al Bazzâz) il fut aussi juriste et
faisait partie du cercle d’Ibn Hanbal, ce dernier le surnommait « le
sûfî ».
53. amza al Hurâsânî (290 / H), il se fixe à Nishpûr
54. Ibrâhîm b.Ahmad al Hawâs (Abu Ishâq) (291 / H) il considérait la
méditation du Coran comme le moyen principal de l’épuration du cœur
.
55. ‛Amru b. ‛Utmân al. Makkî (Abû ‛Abdallah) ( 291 / H) , ancien
maître de Hallâj, il mourut à Baghdad
56. Abul- asan An. Nûrî ( 295 / H) ( Ahmad b. Muhammad)
57. Hayr b. ‛Abdallah an- Nassâj (Muhammad Ism ‛îl) il fut un noir
et compagnon de Nûrî.
58. Junayd (al) b. Muhammad (Abul-Qâsim) (297), il évolua et mourut à
Baghdad, il fit partie des plus grands théoriciens de la ma rifa.
59. um amza, contemporain de Junayd, il est mort avant lui. Il
spécula beaucoup sur la Mahabba
60. Muhammad b. ‛Amr al-warrâq at-Tirmîdhî (Abu bakr), contemporain
de Junayd, il se fixa à Balah, il interdisait l’errance à ses disciples.
61. Ahmad Nasr az-zaqqâq al- Kabîr, contemporain de Junayd, il fit partie
des plus grands soufis de l’Egypte.
62. Mansûr b. ‛Amâr (Abus-Sarî), contemporain d’al Hayrî (298 / H), il se
fixa à Basrâ et fut un grand orateur.
63. a‛îd Ism ‛îl al- Hayrî (Abu ‛Utmân) (298 / H ), se fixa à Nishapûr.
289

64. hmad uhammad asr a - ûsî (Abul-‛Abbâs) (299 / H ) il


évolua à Baghdad.
65. Muh -Maghribî (A ‛Abdallah) (299 / H) il a
vécu 120 ans .
66. Mimshâd ad- Dînûrî (299/H)
67. Ruwaym b. Ahmad a‛qûb) (303 / H) , il est de Baghdad, il
pratiqua un dur ascétisme.
68. Yusuf b. al- ass ar-R zî a‛qûb) (304 / H)
69. Ah mad b. Muhammad al-Adamî (Abul-‛Abbâs) (309 / H)
70. Mizfar al- Quramsînî, compagnon d’al-Harrâz (310 / H)
71. ‛Abdallah b. Muhammad al-Harrâz (Abû Muhammad), mort avant
310 / H
72. ul- usayn al-Bannân, compagnbon d’al- Harrâz.
73. mad u ammad al- Jarîrî u ammad) (311 / H), il fut
compagnon de Junayd.
74. Bannân b. Muhammad al- amm l ul asan) (316 / H), il se fixa
en Egypte
75. Muhammad b. Al-Fadl al-Balahî (Abû ‛Abdallah) (319), il se fixa à
Samarqand
76. Muhammad b. Mûsâ al-wasitî (Abû Bakr) (320 / H), il est du
Hurâsân.
77. Muhammad b. ‛Alî al. Katânî (Abû Bakr) (322 / H), il se fixa à la
Mecque.
78. Ahmad b. Muhammad ar.Rudhbârî (Abû ‛Alî) (322 / H) , il est de
Baghdad et se fixa en Egypte.
79. Ibrâhîm b. Dâwud (abû Ishâq) (326/A), il évolue dans le shâm
80. Muhammad b abd alwahhâb at-taqafî (abû ‛Alî) (328/H), il soutenait
la nécessité d’avoir un ma tre initiateur
81. ‛ dallāh uhammad al.taqatt (Abû muhammad) (328/H), de
Nishapûr.
82. ‛Alî b. Muhammad al-Mazîn (A ul- asan) ( 328/H), il a évolué à
Baghdad, puis mourut à la Mecque
290

83. ‛ dall h ma zil (Abû Muhammad) (329/H), compagnon de


amdûn al. Qassâr
84. ‛Alî b Muhammad b Sahl ( ul- asan) (330/H), il se fixa en Egypte.
85. Ishâq b. Muhammad an. ahra rî a‛qûb) (330/H), il se fixa
à la Mecque.
86. Abû Bakr at. Timistânî (340/H), il mourut à Nishapûr
87. Ah ad b. Muhammad ad î rî a ul ‛Abbâs) il mourut après
340/H à Samarqand.
88. Abul-Hayr al-aqta‛ (340/H), il est originaire du Maghreb
89. asa hmad ‛ lî i ) (340/H)
90. u a‛îd b. al ‛Arabî (341/H), il mourut à la Mecque
91. ul ‛Abbâs) as-Sayyârî ou Qâsim b al Qâsim (342/H)
92. Ja‛far b Muhammad (abû Muhammad) (348/H), évolua à Baghdad.
93. Muhammad b Ibrahim az-Zajjâjî an- îsa rî ‛Amru) (348/H) ,
il se fixa à la Mecque où il mourut
94. ‛ lî hmad al-Bûshanjî (abul. asan) (348/H), du Hurâsan
95. Muhammad b. Dâwûd ad-Dînûrî (Abû Bakr), il se fixa à shâm où il
mourut après 350/H.
96. ‛Abdallah b Muhammad ar-Râzî (abû Muhammad), (353/H), il est du
Nishapûr
97. Ism ‛îl a îd ‛Amru) (366/H, il mourut à la Mecque
98. Ibrâhîm b Muhammad an-Nasrabâdî (abul-qâsim), (366/H), il est du
Hurâsân
99. Ahmad ‛ tâ‘ ar-Rudh rî ‛Abdallah) (369/H), il évolua dans
le shâm.
100. ‛Alî b Ibrâhîm al-Husarî al Basrî (Abul-Hasan) (371/H), il évolua à
Baghdad.
101. a‛îd Salâm al- aghri î ‛Utmân) (373/H), il mourut à
Nishapûr
102. âlib al Makkî (386/H), théoricien de la branche orthodoxe.
103. Muhammad b. Hafîf ash-shîrâzî (Abû ‛Abdallah) (391/H)
compagnon de Ruwaym
291

104. ‛ d al-Karîm al-Qushayrî (abul-Qâsim) (465/H) théoricien de la


tendance orthodoxe
105. ‛ d allah al- s rî al ara î (481/H), du Hurâsân, juriste h anbalî.
106. Muh ammad al hazali a âmid) (505/H) , théoricien et juriste,
il s’exerça aussi à la philosophie.
107. Ibrâhîm b. Shaybân al-Quramsînî (Abû Ish âq) copmpagnon d’al-
Maghribî (299/H)

D2. Les hétérodoxes :


108. Ibn Bishr, disciple d’al- allâj, arrêté en 301/H.
109. u ilmân ad-Dimishqî, comtenporain de Junayd (297), il prônait
l’union transformante
110. usayn b. a s r al- allâj (Abû Mansûr) (309/H), ma tre de l’union
transformante, décapité.
111. Fâris ad-Dînûrî, du Hurâsân, contemporain de allâj, il prônait lui
aussi l’union transformante
112. Ibn ‛Atâ (309/H), compagnon et défenseur de allâj. Selon certains,
il l’a défendu par solidarité mais est plutôt de l’orthodoxie
113. Ibrâhîm b. Fâtik al-Baghdâdî disciple de allâj
114. u ammad b. ‛ dallah al-Hashimî (abû ‛Umar) chefs des disciples
de allâj après 309/H
115. Muhammad b ‛ lî a -Tirmîdhî (Abû ‛Abdallah) (320/H), ses écrits
reflètent les théories shiites sur la wilâya.
116. Shâkir (311/H), hallagien, exécuté
117. ‛Abdallah b. âhir al-Abharî (Abû-Bakr) vers 330/H), compagnon de
Shiblî
118. Muh ammad b. Mûsâ al-farghanî (Abû Bakr) (331/H), hallagien
119. Dalaf b. ajdar ash-Shiblî (Abû Bakr) (334/H), il fut un compagnon
de allâj, mais se démarqua de lui peu avant son exécution
120. Hârûn b. ‛Abd al-‛Azîz al-Anbârî (Abû ‛Alî) (344/H), il a fait
l’apologie de Hallâj.
292

121. a d r al- usa ash- hîr zî a ul- asa ) (354/H), compagnon


de Shiblî
122. ‛Abdallah b Mûsâ Salamî (abul- usayn) (374/H) disciple de Shiblî
123. ‛ d al-Malik b. ‛Utmân (Abû a‛d) (406/H), malamite
124. Muhammad b. ‛Abdallah b. Bakuyé (428/H.), de Shiraz, biographe et
adepte de Hallâj.
125. uhammad a h as- a dal î Ja‛ ar) (440/H), hallagien
126. Ahmad al-Ghazali (Abul-Futûh) (520/H), adepte du pur amour, frère
d’A. . Ghazali.
293

ANNEXES II Les stations ou étapes de la certitude


(maqâmât al yaqîn)
cf : entre autres, li al-Makkî dans : Qût
al-qulûb

9. al-ma abba l’amour)


8. ar-ri â l’agrément)
L’ordre d’ascension
elation d’interdépendance entre les étapes

7. at. tawakkul (la confiance)


6. az-zuhd (le renoncement)

5. al-hawf (la crainte)


4. ar-ra ‘ l’espoir)

3. ash- shukr (la reconnaissance)


A.

2. - (la longanimité)

1. at-tawba (le repentir)

Ce classement est flexible et varie suivant les différents théoriciens sûfîs.


Seulement, ils considèrent unanimement que :
- le âl est un état d’âme subite qu’éprouve le disciple (un plaisir intense, une
conviction soudaine, un désir ardent ou une illumination brutale). Il n’est pas
permanent, il est émotionnel et relève du dawq (l’expérience intime)
- la maqâma est une station spécifique marquée par un ensemble de
comportements psychophysiques qui caractérise le profil du disciple qui l’a
conquise par des efforts personnels (al-mujâhada).

Ici, les neuf (9) étapes se manifestent chacun, sous forme de âl, d’abord, puis
se renouvelant et par application du sujet, finissent par se fixer en maqâma. Chaque
étape peut être considérée comme une dominante parmi les autres stations
294

précédentes, dans l’état d’âme du disciple. Ainsi, par exemple, celui qui est à l’étape
(5), ne cesse de vivre en permanence les étapes 1, 2,3 et 4, mais la crainte
révérencielle est sa principale préoccupation. Cela explique, en partie, le fait que la
plupart des définitions données par les sûfîs à leur voie reflète essentiellement une
étape, celle qui est prépondérante chez le déclarant.

Il n’est pas aussi exclu que le disciple savoure, par anticipation des états ( âl)
supérieurs, mais il ne peut se fixer sur aucun d’eux s’il ne passe d’abord ou
simultanément par l’étape précédente ; d’où la flexibilité de la hiérarchie. Le temps
que met le disciple pour passer d’une étape à une autre est relative et dépend de
l’effort de l’individu et de la volonté divine. Par ailleurs, des étapes voisines et
complémentaires peuvent être vécues simultanément par le disciple et former ainsi
une bi polarité au sein de laquelle évolue le sûfî.
Finalement, toutes les étapes entretiennent des relations d’interdépendance et
de complémentarité.
295

INDEX
1. DES VERSETS CORANIQUES
2. DES AD T CITES
3. DES OUVRAGES CITES
4. DES NOMS PROPRES
5. DES TERMES TECHNIQUES (GLOSSAIRE)
296

INDEX DES VERSETS CORANIQUES

Il faut noter que seuls sont mentionnés dans ce tableau les versets explicitement cités dans le document.
Pour les autres implicitement évoqués, il faudra se référer aux notes de bas de pages.

N° Sourates Versets Traduction des versets Pages du


cités présent
document
Ils resse blent à quelqu’un qui a allu é un feu ; puis
1 Al- 17-20 quand le feu a illu iné tout à l’entour, Allah a fait 26
Baqara disparaître leur Lumière et les a abandonnés dans les
(2) ténèbres où ils ne voient plus rien.

2 Al- 35-36 ‘Ô Ada habite le paradis toi et ton épouse ; et 17


Baqara mangez en vous deux, à votre guise ; et n’approchez
(2) pas l’arbre que voici ; sinon vous serez du nombre
des…

3 ,, 87 …à Jésus fils de Marie Nous avons apporté les 225


preuves et l’avons fortifié par le Saint-Esprit.

4 ,, 152 Souvenez-vous de Moi et Je Me souviendrai de vous ; 98


soyez reconnaissant envers Moi et ne Me reniez pas.

5 ,, 155, Très certainement, Nous vous éprouverons par un peu 94


156 de peur, de faim, de diminution de bien, de personnes
et de fruits. Et fait la bonne annonce aux endurants
Qui disent, quand un alheur les atteint, ‘certes nous
so es à Allah, et c’est à lui que nous retournerons’.

6 ,, 165 Parmi les hommes il en est qui prennent en dehors 194


d’Allah des égaux à Lui, en les ai ant co e on ai e
Allah. Or les croyants sont plus ardents en l’a our
d’Allah.

7 ,, 177 la bonté pieuse ne consiste pas à tourner vos visages 51


vers le levant ou le couchant

8 ,, 186 Et quand Mes serviteurs t’interrogent sur Moi, alors je 74


suis tout proche : je réponds à l’appel de celui qui Me
prie quand il Me prie.

9 ,, 216 Or, il se peut que vous ayez de l’aversion pour une 33


297

chose alors qu’elle vous est un bien. Et il se peut que


vous ai iez une chose alors qu’elle vous est auvaise.

Certes, ceux qui ont cru, émigré et lutté dans le sentier


10 ,, 218 d’Allah, ceux-là espèrent la miséricorde d’Allah… 35

11 ,, 235 … Et sachez qu’Allah sait ce qu’il y a dans vos â es. 253


Prenez donc garde à Lui.

12 ,, 255 …Et de Sa science, ils n’e brassent que ce qu’IL 212


veut.

On a enjolivé aux gens l’a our des choses qu’ils


13 Âl- 14 désirent :fe es, enfants, trésors thésaurisés d’or et 21
‛Imrân d’argent, chevaux arqués, bétail et cha ps, tout cela
(3) est l’objet de jouissance pour la vie présente, alors
que c’est prés d’Allah qu’il y a bon retour.

14 ,, 144 …Et Allah récompensera bientôt les reconnaissants. 97

15 ,, 175 C’est le diable qui vous fait peur de ses adhérents. 117
N’ayez donc pas peur d’eux. Mais ayez peur de Moi, si
vous êtes croyants.

…Des signes pour des gens qui éditent.


Qui, debout, assis, couchés sur leurs côtés, invoquent 37, 141
16 ,, 191- Allah et méditent sur la création des cieux et de la
194 terre (disant) : « Notre Seigneur ! u n’as pas créé
cela en vain. Gloire à Toi ! Garde nous du châtiment
du Feu. Seigneur ! Quiconque Tu fais entrer dans le
Feu, u le couvre vrai ent d’igno inie. Et pour les
injustes, il n’y a pas de secoureurs !... »

17 ,, 200 Ö les croyants ! Soyez endurants. Incitez-vous à 254


l’endurance. Luttez consta ent contre l’enne i et
craignez Allah, afin que vous réussissiez !

18 An-Nisâ’ 19 …Il se peut que vous ayez de l’aversion pour une 33


(4) chose où Allah a déposé un grand bien.

19 An- 27, 28 Et Allah veut accueillir votre repentir. Mais ceux qui 19
Nisâ’ (4) suivent les passions veulent que vous vous incliniez
grande ent vers l’erreur co e ils le font . Allah
veut vous alléger les obligations , car l’ho e a été
créé faible.
298

20 ,, 69 Quiconque obéit à Allah et au Messager…ceux-là 47, 57


seront avec ceux qu’Allah a co blés de Ses bienfaits :
les prophètes, les véridiques, les martyrs et les
vertueux. Et quels bons compagnons que ceux-là !

Al-
21 Mâ’ida 54 …qui ne craignent le blâ e d’aucun blâ eur… 51, 188
(5)

22 ,, 110 Et quand Allah dira : ô Jésus, fils de Marie, rappelle- 225


toi de Mon bienfait sur toi et sur ta mère quand Je te
fortifiais du Saint-Esprit…

23 ,, 119 Voilà le jour où leur véracité va profiter aux 190


véridiques : ils auront des jardins sous lesquels
coulent les ruisseaux pour y demeurer éternellement.
Allah les a agréés et eux L’ont agréé. Voilà l’énor e
succès.

24 Al- 70 Et rappelle par ceci le Coran , pour qu’une â e ne 28


An‛âm s’expose pas à sa perte selon ce qu’elle aura acquis,
(6) elle n’aura en dehors d’Allah ni allié ni intercesseur.
Et quelle que soit la co pensation qu’elle offrirait,
elle ne sera pas acceptée d’elle.

25 Al-A‛râf 103 Nous avons envoyé Moïse avec nos miracles vers 17
(7) Pharaon et ses notables. Mais ils se montrèrent
injustes envers Nos signes.

26 ,, 172 Et quand ton Seigneur tira une descendance des reins 173
des fils d’Ada et les fit té oigner sur eux-mêmes :
« Ne suis-Je pas votre Seigneur ? »
Ils répondirent : « ais si, nous en té oignons… »
Afin que vous ne disiez point au jour de la
résurrection : « vrai ent, nous n’y avons pas fait
attention ».

27 ,, 179 Nous avons destiné beaucoup de Djinns et d’ho es 259


pour l’Enfer. Ils ont des cœurs, ais ne co prennent
pas. Ils ont des yeux, mais ne voient pas. Ils ont des
oreilles, ais n’entendent pas…

28 ,, 204 Et quand on récite le Coran, prêtez lui l’oreille 137


attentivement et observez le silence, afin que vous
obteniez la miséricorde d’Allah.

29 Al-Anfâl 24 …sachez qu’Allah s’interpose entre l’ho e et son 261


299

(8) cœur.

30 ,, 29 Ô vous qui croyez ! Si vous craignez Allah, Il vous 213


accordera la faculté de discerner, vous effacera vos
méfaits et vous pardonnera.

At-
31 Tawba 52 Dis : Qu’attendez-vous pour nous, sinon l’un des deux 252
(9) meilleures choses ?

32 ,, 119 Ô vous qui croyez ! Craignez Allah et soyez avec les 45, 56
véridiques.

33 Yûnus 64 Il y a pour eux une bonne annonce dans la vie d’ici- 263
(10) bas tout comme dans la vie ultime.

34 Yûsuf 53 …Je ne ’innocente cependant pas, car l’â e est très 242
(12) incitatrice au al…

35 Ar- a‛d 21 Ils redoutent leur Seigneur et craignent une 34, 36


(13) malheureuse reddition de compte.

36 Ar- a’d 28 Ceux qui ont cru, et dont les cœurs se tranquillisent à 132, 262
(13) l’évocation d’Allah, n’est-ce point par l’évocation
d’Allah que se tranquillisent les cœurs ?

37 Ibrâhîm 14 Cela est pour celui qui craint Ma présence et craint 36


(14) Ma menace.

38 Al- ijr 99 Et adore ton Seigneur jusqu’à ce que te vienne la 153


(15) certitude (la mort).

39 An- 23 Et assuré ent Il n’ai e pas les orgueilleux 23

(16)
Et nous récompenserons ceux qui ont été constants
40 96 (al- ion du meilleur de ce 95, 107
,, qu’ils faisaient.

41 102 Dis : c’est le Saint-Esprit qui l’a fait descendre de la 225


,, part de ton Seigneur en toute vérité, afin de raffermir
[la foi] de ceux qui croient, …

42 36 L’ouïe, la vue et le cœur : sur tout cela, en vérité, on 246


300

Al-Isrâ’ sera interrogé.


(17)

43 70 Certes, Nous avons honoré les fils d’Ada . Nous les 206
,, avons transportés sur terre et sur mer, leur avons
attribué de bonnes choses comme nourriture, et Nous
les avons nettement préférés à plusieurs de Nos
créatures.

44 85 …Et ils t’interrogent au sujet de l’esprit, dis : l’esprit 226


,, relève de l’ordre de on Seigneur. Et on ne vous a
donné que peu de connaissance.

Nous avons placé ce qu’il y a sur la terre pour


45 7 l’e bellir, afin d’éprouver les ho es et afin de 251
Al-Kahf savoir qui d’entre eux sont les eilleurs dans leurs
(18) actions.

46 49 …Qu’a donc ce livre à n’o ettre de entionner ni 253


,, pêché véniel ni pêché capital ?

…Ils trouvèrent l’un de Nos serviteurs à qui Nous


47 65-82 avions donné une grâce, de Notre part, et à qui Nous 212
,, avions enseigné une science émanant de Nous.

48 110 Quiconque, donc, espère rencontrer son Seigneur, 35, 62


,, qu’il fasse de bonnes actions et qu’il n’associe dans
son adoration aucun autre à son Seigneur

49 17 Nous lui envoyâmes Notre Esprit, qui se présente à 226


Maryam elle sous la for e d’un être hu ain parfait.
(19)

50 41 Et mentionne dans le Live Abraha . C’était un très 47


,, véridique et un prophète.

51 Al- 47 Au jour de la résurrection, Nous placerons les 254


Anbiyâ’ balances exactes. Nulle âme ne sera lésée en rien, fût-
(21) ce du poids d’un grain de outarde que Nous ferons
venir. Nous suffisons largement pour dresser les
comptes.

52 49 …qui craignent leur Seigneur algré qu’ils ne Le 34


,, voient pas, et redoutent l’Heure la fin du onde .

53 14 Gloire à Allah le meilleur des créateurs ! 145


301

Al-
Mu’mi
nûn (23)

54 60 Ceux qui donnent ce qu’ils donnent, tandis que leurs 120


,, cœurs sont pleins de crainte à la pensée qu’ils
doivent retourner à leur Seigneur.

55 …et repentez-vous tous devant Allah, ô croyants, afin 72, 79, 86


An-Nûr 31 que vous récoltiez le succès.
(24)

56 35 Allah est la Lumière des cieux et de la terre. Sa 212-213


,, lumière est semblable à une niche où se trouve une
lampe. La lampe est dans un (récipient) de cristal et
celui-ci ressemble à un astre de grand éclat ; son
co bustible vient d’un arbre béni : un olivier ni
oriental, ni occidental dont l’huile se ble éclairer
sans même que le feu ne la touche. Lumière sur
lumière. Allah guide vers sa lumière qui Il veut. Allah
propose aux hommes des paraboles et Allah est
omniscient.

57 Ash- 89 …sauf celui qui vient à Allah avec un cœur sain. 257, 263
Shu‛arâ
(26)
58 192- Ce [Coran] ci, c’est le Seigneur de l’univers qui l’a 225
,, 194 fait descendre, et l’Esprit fidèle est descendu avec cela
Sur ton cœur, pour que tu sois du no bre des
avertisseurs.

En vérité, quand les rois entrent dans une cité ils la 183, 185
59 34 corrompent, et font de ses honorables citoyens des
An-Naml hu iliés. Et c’est ainsi qu’ils agissent.
(27)

Celui qui espère rencontrer Allah, le terme fixé par 36


60 5 Allah va certaine ent venir…
Al-
‛An abût
(29)
Accomplis la salât. En vérité, la salât préserve de la 142
61 45 turpitude et du blâ able. L’évocation d’Allah est
,, certes ce qu’il y a de plus grand.

Et quant à ceux qui luttent pour Notre cause, Nous les 214
62 69 guiderons certes sur Nos sentiers.
,,
302

Dirige tout ton être vers la religion exclusivement, 69


63 30 telle est la nature qu’Allah a originelle ent donnée
Ar-Rûm aux hommes. Pas de changement à la création
(30) d’Allah. Voila la religion de droiture ; mais la plupart
des gens ne savent pas.

Allah, c’est Lui qui vous a créés faibles, puis après la


64 faiblesse Il vous donne la force. Il vous réduit à la 20
54 faiblesse et à la vieillesse.
,,

Que la vie présente ne vous trompe donc pas et que le


65 Al- 33 Trompeur (Satan) ne vous induise donc pas en erreur 23
Luqmân sur Allah !
(31)

Allah n’a pas placé pour l’Ho e deux cœurs dans sa 196
66 4 poitrine.
Al-
Ah zâb
(33)
…afin qu’Allah réco pense les véridiques pour leur 48, 49
67 23, 24 sincérité, et châtie les hypocrites…

,,

Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux 21


montagnes la responsabilité (de porter les charges de
68 72 faire le bien et d’éviter le al . Ils ont refusé de la
porter et en ont eu peur, alors que l’ho e s’en est
Al- chargé ; car il est très injuste [envers lui-même] et
Ah zâb très ignorant.
(33)

Reste en la compagnie de ceux qui, matin et soir, 140


69 46 évoquent leur Seigneur, en désirant Sa face. Que tes
yeux ne se détachent pas d’eux en convoitant le
clinquant de la vie de ce monde.
Al-kahf
(34)
Les seuls à redouter Dieu, parmi Ses serviteurs, sont 119, 125, 180
70 28 les savants.

Fât ir Puis quand un avertisseur (Muhammad) leur est venu, 23


71 (35) 43 cela n’a fait qu’accro tre leur répulsion,
Par orgueil sur terre et par anœuvre perfide.
Cependant la anœuvre perfide n’enveloppe que ses
auteurs.
,,

Ne vous ai-je pas engagés, enfants d’Ada , à ne pas 209


303

72 60-62 adorer le Diable ? Car il est vraiment pour vous un


ennemi déclaré,
Et [ne vous ai-je pas engagés] à ’adorer ? Voila un
chemin bien droit.
Yâsîn Et il a très certainement égaré un grand nombre
(36) d’entre vous. Ne raisonnez-vous donc pas ?

A quiconque nous accordons une longue vie, nous 209


73 68 faisons baisser sa forme. Ne comprendront-ils donc
pas ?

,,
74 71, 72 Quand ton Seigneur dit aux anges : Je vais créer 227
d’argile un être hu ain.
Quand Je l’aurai bien for é et lui aurai insufflé de
Mon esprit, jetez-vous devant lui, prosternés.

75 (38) 17, 18 Annonce la bonne nouvelle à Mes serviteurs qui 209, 246
prêtent l’oreille à la parole, puis suivent ce qu’elle
contient de eilleur. Ce sont ceux là qu’Allah a guidés
et ce sont eux les doués d’intelligence !

Az-
76 Zumar 22 Est-ce que celui dont Allah ouvre la poitrine à l’Isla 213
(39) et qui détient ainsi une lumière venant de son
Seigneur…Malheur donc à ceux dont les cœurs sont
endurcis contre le rappel d’Allah. Ceux-là sont dans
un égarement évident.
,,

77 53 Dis : ‘Ô Mes serviteurs qui avez co is des excès à 118


votre propre détriment, ne désespérez pas de la
iséricorde d’Allah. Car Allah pardonne tous les
péchés.
Oui, c’est Lui le Pardonneur, le très Miséricordieux.
,,

78
52 et c’est ainsi que Nous t’avons révélé un Esprit [issu] 237
de Notre ordre ; tu ne connaissais ni le Livre ni la Foi,
mais Nous en avons fait une lumière par quoi Nous
guidons…
Ash-
Shûrâ
79 (42) 2, 3 Par le Livre explicite ! 208
Nous en avons fait un Coran arabe afin que vous
raisonniez.

80 Az- 23 Vois-tu celui qui prend sa passion pour sa propre


Zuhruf divinité ? Et Allah l’égare scie ent et scelle son ouïe 22, 40, 244
(43) et son cœur et étend un voile sur sa vue.

Al-Jâtiya
304

(45)
81 24 Ne méditent-ils pas sur le Coran ? Ou y’a-t-il des 209
cadenas sur leurs cœurs ?

82 4 C’est Lui qui a fait descendre la quiétude dans les 263


Muh am cœurs des croyants afin qu’ils ajoutent une foi à leur
mad (47) foi.

83 Al-Fath 18 Allah a très certainement agréé les croyants quand ils 190
(48) t’ont prété le ser ent d’allégeance sous l’arbre.

Nous avons effective ent créé l’ho e et nous savons


84 ,, 16 ce que son âme lui suggère et Nous sommes plus prés 75
de lui que sa veine jugulaire.

85 Qâf (50) 50 Fuyez donc vers Allah. Moi, je suis pour vous, de Sa 153
part, un avertisseur explicite.

86 56 Je n’ai créé les djinns et les ho es que pour qu’ils 152, 174
Adh- M’adorent.
Dhâriyât
(51)
87 7 Le châtiment de ton Seigneur aura lieu inévitablement 137
,,

88 1-2 Par l’étoile à son déclin! 25


Votre co pagnon ne s’est pas égaré et n’a pas été
At฀- ûr induit en erreur
(52)

89 An-Najm 49 Nous avons créé toute chose avec mesure. 88


(53)

90 18 Que chaque â e voit bien ce qu’elle a avancé pour 255


Al- demain.
Qamar
(54)
91 10 Evoquez beaucoup Allah afin que vous réussissiez. 130
Al-

92 (59) 6 C’est égal pour eux [les hypocrites], que tu i plore le 49


pardon pour eux ou que tu ne le fasses pas : Allah ne
leur pardonnera jamais, car Allah ne guide pas les
Al-Jum‛a gens pervers.
(62)

93 Al- 5 Quiconque craint Allah cependant, Il lui efface ses 117


munâfi fautes et lui accorde une grosse récompense.
Qûn (63)

Et concourez au pardon de votre Seigneur….


305

94 8 …et pour ceux qui, s’ils ont co is quelque turpitude 70


At฀- ou causé quelque préjudice à leurs propres âmes (en
alâq désobéissance à Allah , se souviennent d’Allah et
(65) demandent pardon pour leurs péchés – et qui est-ce
qui pardonne les péchés sinon Allah ? – et qui ne
persistent pas scie ent dans le al qu’ils ont fait. »1
« Ô vous qui avez cru ! Repentez vous à Allah d’un
At- repentir sincère. Il se peut que votre Seigneur vous
efface vos fautes
(66)

95 8 Et évoque le nom de ton Seigneur et consacre-toi 132


totalement à Lui.

…Non !...Je jure par le jour de la Résurrection !


96 1-4. Mais non ! Je jure par l’â e qui ne cesse de se blâ er 25, 208
Al- L’ho e pense-t-il que nous ne réunirons jamais ses
Muzam os ?
mil (73) Mais si ! Nous sommes capable de remettre à leur
place les extrémités de ses doigts.

Al-
Qiyâma
97 (75) 25 Et évoque le nom de ton Seigneur, matin et après-midi. 132

98 1-7 Par ceux qu’on envoie en rafales


Et qui soufflent en tempête ! 25
Et qui dispersent largement !
Par ceux qui séparent nette ent,…
Al-Insân
(76)
99 34-41 Puis quand viendra le grand cataclysme,
Al- Le jour où l’ho e se rappellera à quoi il s’est 26, 32, 34,
Mursalât efforcé,[ …] 36, 39
(77) Et pour celui qui aura redouté de comparaître devant
son Seigneur, et préservé son âme de la passion,
Le Paradis sera alors son refuge.

10 An-
Nâzi‛ât 14
(79) Ce qu’ils ont acco pli couvre leurs cœurs. 75

10 Al- 27-30 Ô toi, âme apaisée,


Mut affi Retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agrée… 73, 243, 265
fîn (83)
306

10 Al-Fajr 7-10 Et par l âme et Celui qui l’a har onieuse ent 28, 243
(89 façonnée ;
Et lui a alors inspiré son immoralité, de même que sa
piété !
A réussi certes celui qui la purifie.
Et est perdu certes celui qui la corrompt.

Ash-
10 Shams 4 Durant celle-ci descendent les anges ainsi que 225
(91) l’Esprit, par per ission de leur Seigneur pour tout
ordre.

Al-Qadar
(97)
307

I CI
Voir les renseignements concernant l’éditeur et la date de parution des sources de cet index en notes de
bas de pages ou dans la bibliographie. Par ailleurs, l’index se borne à relever les citations explicites
dans ce document. Pour les références implicites, il faudra voir en bas de page.

N° Textes traduits des Hadît Sources Pages du présent


document

1 Un homme [lui] demande : ‘Ô prophète de Muslim, As-Sah îh 18


Dieu, quel est le péché le plus abominable
devant Dieu ?’ Il lui dit : ‘invoquer un égal Al-Buhârî, As-Sah îh
avec Dieu alors que c’est lui qui t’a crée.’ Il
[l’ho e] dit : ‘et quel autre [péché] ?’ Il
répond : ‘tuer son enfant de peur de ne
pouvoir le nourrir.’ Il dit : ‘ensuite quel
autre ?’ Il répond : ‘forniquer avec la fe e
de ton voisin.’ Sur ce, ajoute le rapporteur,
Dieu le Tout Puissant révèle ceci pour
confirmation : ‘…qui n’invoquent pas d’autre
dieu avec Allah et ne tuent pas la vie qu’Allah
a rendue sacrée, sauf à bon droit , qui ne
commettent pas de fornication, car quiconque
fait cela encourra une punition.

2 Al-Qushayrî, Ar-Risâla 27, 124


Si vous saviez ce que je sais vous ririez peu et
pleureriez beaucoup.

3 Muh âsibî (al-) H., Ar- 32


Dieu, le Très-haut a créé l’Enfer, Il Ri‛âya li huq q al-lâh
dit alors à Gabriel : Vas voir.
Il alla (et revint) en disant :
- Par Ta puissance ! Quiconque sera informé
de son existence n’y entrera ja ais !
Il l’entoura alors de plaisirs puis dit : vas le
voir de nouveau.
Il alla et dit après l’avoir vu :
- Par Ta puissance ! Je crains qu’il n’y aura
personne qui n’y entrera !
Il (Dieu) créa alors le Paradis et dit à
Gabriel : vas le voir.
Il alla (et revint) en disant :
- Par Ta puissance ! Quiconque sera informé
(de son existence) y entrera !...

4 Hujwîrî, Kashf al- 39


Ce que je crains le plus pour ma communauté
est le fait de suivre la passion et l’excès
d’a bition.
308

5 Les actes sont appréciés sur la base des Muslim, As-Sah îh 45


intentions, chacun sera rétribué selon son
intention…

6 La plus faible hypocrisie est une association Muh âsibî (al-) H., Ar- 50, 63
à Dieu. Ri‛âya li huq q al-lâh

7 Celui qui se fait entendre dans sa dévotion ou Muslim, As-Sah îh 51


fait de l’ostentation Dieu le lui retournera.

8 Le serviteur ne cesse d’être sincère et Al-Qushayrî, Ar-Risâla 56


d’avoir co e credo la vérité jusqu’à ce
qu’il son no soit gravé auprès du rès-
haut comme un véridique. Il ne cessera de
mentir et de se complaire dans le mensonge
jusqu’à ce qu’il soit gravé auprès de Dieu
comme un menteur.

9 Muh âsibî (al-) H., Ar- 60


…Ne ja ais faire un acte d’adoration de Ri‛âya li huq q al-lâh
Dieu pour (plaire ou tro per les gens…

10 ,, 61
Celui qui co et l’ostentatoire sera
interpellé au Jour du jugement devant toutes
les créatures en ces termes : ô toi le
débauché, le déviant, l’hypocrite, ton travail
s’est annulé, ton espoir de réco pense s’est
effondré, vas prendre ta rétribution auprès de
ceux pour qui tu agissais.
11 ,, 61
Le pire que je crains pour ma communauté
est l’hypocrisie.

12 ,, 61
…J’ai vu le Prophète psl entrain de pleurer
et je lui demandai :
- Qu’est-ce qui te fait pleurer ? Il répondit :
- Une chose que je redoute pour les gens de
ma communauté : associer (Dieu avec
quelqu’un ash-shirk) ; certes, ils ne vont
adorer ni des idoles, ni le soleil, ni la lune, ni
les pierres, ni les icônes ( ) ; mais ils
feront de l’ostentatoire dans leurs actes.
C’est pour cela que le pire que je crains pour
eux est l’hypocrisie.

13 ,, 62
Dieu l’Exalté dit : Je suis si Suffisent pour
avoir à partager avec un associé un acte qui
nous est dédié ense ble. Je n’en suis pour
rien, il l’acte est entière ent pour l’associé.
309

14 ,, 62
Un ho e s’est présenté devant e Prophète
(psl) en disant :
- Ô envoyé de Dieu voilà un homme qui
donne de l’au ône et cherche à être glorifié
(par les gens) et à être rétribué (par
Dieu … ?
Le Prophète (psl) ne sut répondre sur le coup
jusqu’à ce que soit révélé ce verset :
« …Quiconque, donc, espère rencontrer Son
Seigneur, qu’il fasse de bonnes actions et
qu’il n’associe dans son adoration aucun
autre à son Seigneur. »
15 ,, 63

- Le pire que je crains pour vous est la petite


association à Dieu (ash-shirk al- ).
On lui dit :
- Qu’est-ce que la petite association ? Il
répondit :
L’ostentatoire (ar-ri ‘) ; Dieu dira (à ses
auteurs) le Jour de la rétribution des actes
des serviteurs : allez voir ceux pour qui vous
faisiez de l’ostentatoire dans le bas onde si
vous aurez des réco penses auprès d’eux.
16 ,, 63

Dieu le Très-haut dit qu’aucun acte qui


comportera ne serait-ce qu’une once
d’hypocrisie ne sera agréé.
17 Muslim, As-Sah îh 73

Ô vous les gens, repentez-vous à Dieu, je me


repentis à lui cent fois le jour.
18 Hujwîrî, Kashf al- 73

Ô on Dieu, purifie on cœur de Al-Buhârî, As-Sah îh


l’hypocrisie, es actes de l’ostentation, a
langue du mensonge et mes yeux de la
déloyauté ; Toi qui connaît la perfidie des
19 yeux et ce que cachent les cœurs. Muslim, As-Sah îh 77

Nous étions chez le Prophète (psl), il nous


ser onna et évoqua l’enfer. Puis je rentrai et
je me mis à badiner avec les enfants et à
plaisanter avec (ma) femme. Je ressortis et
parlai de mon (étonnant) comportement à
Abû Bakr que j’ai rencontré. Il dit : moi
aussi j’ai fais la ê e chose. Nous allâ es
rencontrer le Prophète (psl) et je lui dis : ô
Prophète de Dieu ! a zala est un
hypocrite… Il dit : parle. Je lui racontai les
faits. Et Abû Bakr ajouta : oi aussi j’ai fait
comme lui. Il dit alors ceci : doucement
a zala, douce ent, si vos cœurs gardaient
pour toujours cet état d’extase qu’ils ont
lors de l’évocation de Dieu adh-dhikr), vous
310

20 vous seriez rencontrés sur vos chemins avec Al-Qushayrî, Ar-Risâla 79


les anges qui vous salueraient.
Celui qui se repentit de ses péchés
est co e celui qui n’en avait ja ais eu. Et
si Dieu aime un serviteur celui-ci ne sera
alors entravé par aucun péché. Ensuite il lut
(le verset) : Dieu aime les pénitents et aime
ceux qui cherchent à se purifier.
On lui dit alors : O Envoyé de Dieu
et quel est l’indicateur du repentir ?
Il répondit : le regret (an-nadâma).
21 ,, 79

Il n’y a rien qui puisse plaire Dieu autant


qu’un jeune ho e ou fe e repentant.

22 ,, 83

Si Dieu veut du bien pour un serviteur Il le


fait travailler
On lui dit : comment Il le fait travailler Ô
envoyé de Dieu ?
Il répond : Il l’accorde à faire du bien. […]
23 Ghazali A. H., 85
Muhtas ar Ih yâ ‛ul
Le pénitent est l’a i de Dieu et le repentant ad-Dîn
est co e celui qui n’a ja ais co is le
péché (en question).
24 86
,,
Dieu est plus satisfait du repentir du serviteur
croyant q’un ho e décrit dans la situation
ci-après : en traversant un territoire austère
ayant avec lui sa monture et ses provisions, il
se reposa et s’endor it. A son réveil, il vit
que sa monture a disparu (avec les
provisions . Il alla à sa recherche jusqu’à ce
qu’il f t épuisé par la chaleur et la soif ; il se
dit alors : « je vais retourner sur mes pas, me
coucher là où j’étais et attendre paisible ent
la mort. ». Il se coucha, (ferma les yeux)
attendant la ort, et lorsqu’il rouvrit les
yeux, il vit devant lui sa monture et ses
provisions. Dieu est plus comblé du repentir
du serviteur croyant que l’est cet ho e pour
(le retour de) sa monture.
25 94, 105
Al-Qushayrî, Ar-Risâla
la longani ité n’est reconnue co e telle
que si elle s’opère dès le pre ier coup.
26 99
,,
la zakât est prescrite pour toute chose …
311

27 108
,,
Un jour, j’entrai chez ‛Aïsha (que Dieu
l’agrée , acco pagné de ‛ a d ‛ ma r,
je lui dis :
- Renseigne nous sur ce que vous avez
remarqué de plus étonnant chez le Prophète
(psl). Elle pleura et dit :
- Il n’y a rien de plus étonnant chez lui que
ceci : une nuit, il ’acco pagna dans on lit
ou d’après une autre version dans a
couverture jusqu’à ce qu’on se touchât, il e
dit alors :
- O fille d’Abu Bakr, per ets oi d’aller
adorer mon Seigneur. Je lui dis :
- Je voulais être près de toi.
Je le lui permis.
Il alla prendre une outre d’eau et fis ses
ablutions ; il versa beaucoup d’eau puis se
leva pour prier. Il pleura jusqu’à ouiller sa
poitrine de lar es, il s’inclina, pleura, se
prosterna, pleura, se redressa et pleura. Il ne
cessa de faire ainsi jusqu’à ce que Bilâl vînt
l’appeler à la prière. Alors, je lui dis : ô
Envoyé de Dieu, qu’est-ce qui te fait
pleurer alors que Dieu a bien dit qu’Il t’a
pardonné tes péchés du premier au dernier?
Il répondit : ne dois-je pas être un serviteur
reconnaissant ? […]

28 124
,,
Celui qui pleure par crainte révérencielle
n’entrera ja ais en Enfer tant que le lait ne
pourra retourner à la mamelle. De même, la
poussière (soulevée par une activité) sur la
voie de Dieu et la fumée de la Géhenne ne
peuvent jamais être reniflées de suite par le
nez d’un ê e serviteur.
29 131
Muslim, As-Sah îh
En vérité, les Mufarridûn ont pris les
devants ! » On lui demanda : « qui sont-ils les
Mufarridûn ?» Il répondit : « ceux et celles
qui évoquent beaucoup Dieu.
30 133
,,
Allah a quatre vingt dix neuf noms, celui qui
prend soin d’eux entre au Paradis…
31 133
,,
Quiconque prononce (cette formule)
cent fois dans une journée : Lâ ilâha il-lal-
-mulk wa
lahul-
qadîr Il n’y a de Dieu qu’Allah Lui Seul sans
associé, à Lui la Souveraineté et la Gloire, Il
312

est le Puissant qui est capable de toute


chose), aura l’équivalent en réco pense de
celui qui a affranchi dix esclaves, on notera
pour son compte cent récompenses
et on effacera pour lui cent
péchés (sa i‘ ) et cet acte sera pour lui, ce
jour-là, une protection contre Satan,
jusqu’au soir.
Personne d’autre que lui n’aura fait
eilleure chose, si ce n’est celui qui l’aura
répété plus de fois.
Quiconque dit dans une journée :
- (Exaltation
et Louange à Dieu), cent fois, ses péchés
seront effacés, fûssent-ils aussi considérables
32 que l’écu e de la er. 135
,,

33 Je suis avec Mon serviteur s’il M’évoque… 138


,,

…Je suis avec Mon serviteur quand il


M’évoque. S’il M’évoque en lui-même, je
l’évoque en Moi, s’il M’évoque dans une
assistance, Je l’évoque au sein d’un no bre
d’individus eilleurs que lui. S’il se
rapproche de Moi d’un shibr (empan), je me
rapproche de lui d’une dhir ‛ coudée … ,
s’il se dirige vers Moi, en archant, Je Me
précipite à sa rencontre.
34 139
Al-Qushayrî, Ar-Risâla

Si vous voyez des prairies du paradis allez-y


brouter ! On lui de anda ce que c’était ces
35 prairies du paradis, il répondit les 139-140
assistances de l’évocation. Muslim, As-Sah îh

Dieu, par Sa bonté, a des anges en


mouvement qui ne font que suivre les
assistances de l’évocation majâlis adh-
dhikr . S’ils en trouvent une ils s’asseyent
avec eux (les évocateurs). Ils déploient alors
leurs ailes, les uns après les autres, jusqu’à
occuper l’espace entre eux et le ciel de ce
onde. Dès qu’ils les évocateurs se
dispersent, ils (les anges) montent au ciel et
Dieu le Tout-puissant leur demande, bien
qu’étant plus avisé qu’eux-mêmes :
- D’où venez-vous ?
Ils répondent :
- Nous venons de chez certains de
Tes serviteurs sur terre ; ils magnifiaient Ta
gloire, Ta grandeur et Ton unicité et ils Te
louaient et demandaient auprès de Toi.
Il dit :
- Et qu’est-ce qu’ils voulaient de a
313

35 part ? 145
- Ils demandaient Ton Paradis. Hujwîrî, Kashf al-
- Est-ce qu’ils l’ont vu ?
Ô mon Dieu ! Fais-nous voir les choses telles
36 qu’elles sont…
149, 188, 199
Al-Buhârî, As-Sah îh
Mon esclave ne cesse de se rapprocher de Al-Qushayrî, Ar-Risâla
Moi par les actes surérogatoires jusqu’à ce
que Je l’ai e et alors Je suis l’ouïe par
37 laquelle il entend, la vue par laquelle il voit,
la main par laquelle il saisit… 170
Ibn Mâjjah, Sunan

38 Les savants (al-‛ulam ), sont les


dépositaires des prophètes 182
Al-Qushayrî, Ar-Risâla

Le Prophète (psl), un jour, a dit que


le support de la maison est sa fondation, de
même, celui de la religion est la connaissance
en Dieu le Très-haut (al-ma‛ri a il-lâh), la
Certitude et la raison subjuguant.
Je lui dis : ô ! Qu’est-ce que la raison
subjuguant (al-‛a l al- mi‛) ? Il répondit :
c’est de s’abstenir de toute désobéissance à
39 Dieu et s’acharner à la dévotion.
,, 195

L’Ho e sera associé à celui qu’il ai e

40
Al-Buhârî, As-Sah îh 195
Muslim, As-Sah îh
Un serviteur ne croit effectivement que
lorsqu’il ’ai e plus que sa fa ille, ses
41 biens et tout le monde.
,, 217

42 Dieu a créé Adam à son image. …


Muslim, As-Sah îh 226

43 Le Saint-Esprit ne cessera de t’assister…


Al-Buhârî, As-Sah îh 227
Muslim, As-Sah îh
Les esprits sont co e des soldats ar és…
44
Muslim, As-Sah îh 232

Lorsque le l’esprit est enlevé du


45 corps, la vue le suit.
,, 232

46 …Lorsque sa vue suit son nafs â e …


Ghazali, 245
ad-dîn
quiconque a dans son cœur un conseiller
314

47 aura trouvé un protecteur auprès de Dieu… 253


Ghazali A. H.,
Muhtas ar Ih yâ‘ ‛ul
Jugez-vous vous- ê e avant qu’on ne vous ad-Dîn
48 juge. 257

,,

…dans le corps du fils d’Ada se trouve un


morceau de chair qui, par sa santé, assainit
tout le corps : il s’agit du cœur…
315

INDEX DES OUVRAGES CITES


t ne sont pas mentionnées dans cet index,
elles ont déjà été concernées ci-dessus. Dans ce présent tableau les noms des auteurs sont classés par
ordre alphabétique.

N° Auteurs Titres des ouvrages Pages du présent


document
1 ‛Afîfî (Abul-‛allâ), At_Tas awwuf (at-tawrat 170.
ar-rûhiyya fil-islâm)
76.
2
‛Alî b. Abî âlib Muhtârât mubawwaba min
nahj al-balâgha

3 ‛Alî b. Abî âlib Nahj al-balâgha 116.

4 ‛Alî b. Abî âlib Du‛â’, établi par al-Kumayl 122, 134, 196, 198.
b. Ziyâd

261.
5 ‛Alî Zayn al-‛Âbidîn - -
sajjadiyya al-kâmila

6 Allard M., Le problème des attributs 29.


divins dans la doctrine d’al-
Ash‛ar

7 Anawati G C, et … Mystique musulmane 72, 150, 174, 189.

8 Attâr (Farîd ad-dîn) Le mémorial des saints 94, 103-104, 115, 116, 117,
121, 127-128, 143-144,148,
153, 196, 197, 201-202,
211,220-221.

9 Baudart A. et al. Histoire de la philosophie 152, 172, 226, 232.

10 Bâqillânî A. B. al- al- f fîmâ yajib 19.


I‛tiqâduh
11 Freud A. 248.
Le moi et les mécanismes de
défense
12 Freud S.
248, 249, 264.
Cinq leçons sur la
psychanalyse
316

13 Ghannî Q. 115, 119, 120,121,


Târîh at-tas awwuf fil- 130,131,
14 142.
Ghazali A. H . islâm
52.
Le chemin assuré des dévots
vers le paradis
15 Ghazali A. .
213, 216-220, 235-237,
247,265.
Le Tabernacle des lumières

16 ha ali al) A. .
189, 197, 212, 241, 245,
257.
17
ha ali al) A. ., Ihyâ’ ‛ul ad-dîn,
27, 50, 53, 85-88, 93, 97,
Muhtas ar ihyâ’ ‛ul ad- 99,100, 101, 103, 117, 121,
dîn 253-255, 257, 264.
18 allâf A. W.
65.

19 Hujwîrî ‛Il -fiqh


30, 38-40, 53, 73, 74, 75,
Kashf al-mahjûb 76,96, 100, 136, 137, 141,
144-145, 151, 168, 171,
172, 187,190, 199, 202-
204, 211, 214,227, 228,
229, 238-239, 246,260.
20 bn‛Atâ’
46.
21 Ibn Hald n ‛A. R., i a
70.

22 Jabre F. Muqaddima
172.
23 Janâbî M. al- La notion de certitude selon
Ghazali 198, 231, 261.

24
Junayd A. Q. i at ar-rûh as -s ûfî
97, 98, 101, 119, 135, 151,
Enseignement spirituel 155-164, 176, 177, 178-
181,192, 194, 200-201,210,
214,231, 243, 245,
262,263, 264.

25 Kalabâdhî
191, 195, 196.
26 Mahmûd A. Q. Kitâb at-ta‛âruf
18.

27
Makkî al-) A. . Al-Falsafat as -s ûfiyya
fil-islâm 54, 71.
Qût al-qul b f u‛â alât
al-mah bûb
317

28 Minshâwî ‛U. ‛A.


76, 148, 175.

29
Mu âsibî al) . Al-Muhadhab fî 31-38, 49, 50, 51, 60-64,
- 194, 248, 251-253.
Ar- -lâh
30 a r S. .
211, 260.

- -
ams wal-yawm
31 Ndiaye S.
92, 119, 120, 130, 140,
149,
Le Tasawwuf du IIe au Ve 175, 210.
siècle de l’Hégire à travers
32 Piéron H. l’optique de la Sunna

Vocabulaire de la 206, 207, 244.

33
psychologie
Qushayrî (al) A. K.

Ar-Risâla 27, 56-60, 70, 74, 78-85,93,


94, 95, 98, 99, 104-111,
115,118, 120, 121, 123-
127, 131,132, 136, 139,
141, 149, 152,181-183,
188, 190, 191, 192,
193, 195, 229, 230, 231,
261,262, 263.

34 Raynal F. et …

35 Sha‛rânî ash-) A. W. Pédagogie : dictionnaire 150, 234.


des concepts clés
36 142, 265.
Sharqâwî (ash-) Al-Anwâr al-qudsiyya

37 Suy î (Jalâl ad-dîn ) Ash-Shar ‛a al-haqîqa, 20, 46, 47, 52, 92, 214.

38 Suy î (Jalâl ad-dîn ) Tafsîr al-qurân al-‛az 20.

141, 225, 227.


Lubâb an-nuqûl fî asbâb an-
nuzûl
39 sî a -)
121, 138.
40
Zubayr M. Ibn az- Kitâb al-lu a‛
53, 138.
Mu‛ja as â’al-‛arab
318

INDEX DES NOMS PROPRES


Le classement est fait par ordre alphabétique sur la base de la plus célèbre appellation. Les
nombres renvoient aux pages (y compris les bas de pages) auxquelles sont évoquées les personnages.
Ceux qui sont en gras sont les numéros des pages contenant des notes biographiques sur les concernés.

‛ d ar-Ra mân Ad-Dârânî (Abû Sulaymân), 57, 82, 106, 121


‛ d ar-Rahm uhammad ‛ d-Allah al-‛ dl , 181
‛Abd-Allah b. Hâshim , 124
‛Abd-all h Ja‛ ar hmad al-Isbahânî , 56
‛Abd al-lâh b. Manâzil , 58
‛ d al-Wâhid b. Zayd , 57, 59
Abraham, 17, 159
‛ d allah ash-Shîrâzî , 82
‛ d allah uslih d h z , 82
‛ d ar-Rahmân as-Sullamî , 57, 58, 105, 106, 111, 124, 125, 183
‛ lî as-Saqafî , 58
‛ mr az-zajjâjî , 59
i a arî . Sulaymân, 79
Abû Bakr, 76, 77, 108, 117, 171, 197, 264
Abû Bakr ar-Râzî , 85
a r uhammad hmad ‛ d s al-Hayrî al-‛ dl , 124
Abû Bakr Muhammad b. Al-Fawrak , 56, 79
ishr us a î , 56
ard , 132
Abû Dâwûd at-Tiyalisî, 56
Abû Dharr, 117
a , 108
ura ra, 51, 61, 60, 63, 124, 131, 133, 232
Ja‛ ar ar-Râzî , 106
319

Abul-‛ s ad-Dînûrî , 58, 183


Abul-‛ s al-Baghdâdî, 58
ul- asa hmad ‛ a d as-Saffâr, 79, 108
ul- usa . Muqsim , 60
ul- sim al- a îm , 105, 125, 126
Abû Muhammad Abd-Allah uhammad al- usa . ash-Sharafî , 124
a‛îm hmad uhammad I r hîm al-Mahrajânî , 124
Abû Sahl as- u‛l î 111
a‛îd al-Qirshî , 58
li al a î, 260
‛ mar ad-Dimishqî, 126
‛ tmân al-Hayrî, 99, 106, 110, 111, 125
‛il , 56
Adam, 16, 229
Ahmad al-‛ î , 117
hmad a al, 149
Ahmad b. hudrwayh , 57
Ahmad b. Mahmûd b. Harâz, 79
Ahmad b. Muhammad b. Zayd , 183
hmad ‛ a d , 83, 104
hmad ‛ mar , 104
Ahmad b. Zakariyyâ 79
‛Aïsha , 99, 108, 120, 181
‛Alî b. Abî Tâlib, 53, 70, 75, 93, 105, 116, 120, 122, 134, 135, 176, 196, 256, 259
‛ lî hmad ‛ d al-Ahwâzî, 79, 83, 104, 108
‛ lî usa (zayn al-‛ idî ), 76, 134, 191, 261
‛ mir al-Furât , 124
‛ mru ‛Utm al a î ‛ dallah), 107, 229
Anas b. Mâlik, 79, 83, 104, 124
Ansârî (Harawî),
‛ ra , 80
sh‛arî ul- asa al-), 11, 29
320

Ash‛arî (Abû Mûsâ al-), 137


Asqâtî (al-), 108
‛ î a m a , 104, 108
Attâr, 30, 102, 111, 113, 123, 142, 146, 204, 215

Baghdâd, 11, 13, 29, 55, 154


a z , 139
(Abû Yazîd ayfûr b. ‛Is al-), 171, 183, 185, 215, 220, 222
Bilâl, 108
Buhârî, 18, 73, 138, 149

D ah h âk , 64
Daqqâq, 58, 84, 124, 125, 126, 128, 183, 185
Dâwûd b.Nâs ir at -T î sula m ), 144, 153
Dhun-Nûn al Mis rî (abul-fayd ), 106, 107, 114, 121, 126

Ève, 16
321

Farabî, 214, 226


Farghânî , 57
Freud , 248
Fâtima, 53, 127
Fudayl (al) b. ‛I d ‛ lî), 126, 211

Gabriel,32, 225
Gardet, 150, 189
Ghanni, 30, 115, 119, 130
Ghassân b. ‛ a d , 79
Ghazali mid uh ammad al-), 13, 27, 46, 52, 53, 74, 77, 78, 88, 89, 93, 97,
120, 121, 131, 135, 142, 146, 149, 168, 213, 215, 221, 232, 234, 235, 239, 250, 256

a am . Mûsâ (al-), 79, 83


amd .Ahmad al Qassâr (Abû sâlih), 109
amîd , 83
Hanzala b. Abû Sufyân, 76, 181
asa al-Basrî, 35, 71, 73, 76, 103, 104, 111, 112, 120, 148, 170, 210, 211, 259, 261
Hasan b. Ali, 35, 187
Hassân, 138, 226
Hallâj ( usa . Mansûr al-), 120
Hish m ‛ lî, 83
322

usa . Yahyâ, 105, 199


Hujwîrî, 13, 30, 41, 42, 43, 73, 75, 102, 143, 146, 155, 171, 172, 187, 200, 205, 235,
240
Hurâsân, 30, 55, 102, 146

Iblîs, le Diable, 53
I ‛ s, 27, 39, 93, 97
Ibn, Abil-Hayr, 47, 260
I ‛ al-Baghdâdî, 106, 152
Ibn ‛Atâ al-Iskandarî, 13, 46,
Ibn al-Jallâd , 126
I as‛ d ‛ d all h), 31, 33, 56, 137, 190
Ibn Sînâ, 214, 232
Ibn Zayrî , 82
Ibrâhîm al-Hawâs, 60, 66, 95, 107
‛s alha , 124
Ismaïl Ja‛ ar, 83
‛Iyâsh, 106

Jacob , 159
Ja‛ ar al-Hawâs, 60, 105, 113
Ja‛far b. Muhammad as-Sâdiq, 123, 127, 128, 129, 153, 175, 259
Ja‛ ar asîr , 58
323

Jarîrî, 58
Joseph, 159
Juif, 227
Junayd (al) b. Muhammad (Abul-Qâsim), 13, 55, 56, 57, 60, 65, 74, 77, 82, 94, 95,
96, 97, 101, 104, 109, 110, 111, 119, 120, 135, 149, 151, 154, 164, 167, 168, 170,
171, 172, 174, 175, 176, 177, 183, 184, 185, 187, 192, 193, 199, 203, 204, 210, 228,
233, 243, 245, 259, 260, 261, 269, 271

Kadakan, 102

Mahfûz , 125
Mahmûd b. Labîd , 63
Makkî (Abû Tâlib al-), 53, 155
Mâlik b. Anas, 148
Mâlik b. Dînâr, 181
Marie, 226
Mansûr , 56
Mans r ‛ dallah , 57, 60
Maslow, 234
as‛ dî (al-), 124
Mimshâd ad-Dînûrî , 84
Moïse, 17, 212
u‛ dh Ja al, 27, 50, 63, 127, 142
u‛ i a, 70
Muhammad, 23, 127, 153
324

Muhammad b. Ashras , 181


Muhammad b. Fadl b. Jâbir, 79
Muhammad b. Hâtim b. Maymûn , 139
uhammad al- usa , 58, 60, 85, 125, 126
Muhammad b. al-Qâsim al-‛I î , 181
Muhammad b. Mardâs , 14
uhammad uhammad ‛ d al-wahhâb , 183
Muhammad b. Yazîd , 124
Muhâsibî, 11, 29, 40, 41, 43, 49, 50, 56, 67, 88, 116, 154, 189, 199, 203, 211, 247,
248, 250, 255, 256, 259, 268
Munjâb, 108
ur a‛ish (al-), 111
Muslim, 18, 133, 138, 139

adar al- rit ,145, 227


Nemrod, 17
Nihawand , 154
Nishapûr, 55, 102
Nûrî, 154

Qalânîsî, 11, 29
Qâsim b. Muhammad, 181
Qism b. Muhaymira , 63
325

Quraysh , 227
Qushayrî (abul- sim‛ d al-Karîm al-), 13, 30, 54, 55, 56, 65, 66, 67, 68, 77, 88,
89, 94, 97, 102, 103, 113, 114, 115, 118, 123, 128, 155, 177, 184, 190, 192, 193, 260
Qutâda, 124

R i‛a al ‛ da i a, 197, 199, 201, 202, 204, 205


Ra î‛a a tam, 190
Râzî (‛Abd-Allah b. Muhammad ar-), 125
Ruwaym hmad a‛ ), 74, 95, 107, 110

Shah al-Karmânî , 126


Sahl b ‛ dallah a -Tustarî (Abû Muhammad), 58, 74,115, 141, 142, 143, 146
a‛îd b. ‛Abd allah, 79
Salmân, 141
Sarî b al- ughlis as- a a î ul- asa ), 82, 111, 154
Sarrâj, 30
Satan, 23
Shaddâd b. Aws , 61
h i‛î, 71
Shaqîq b. Ibrâhîm al -Balahî ‛ lî), 116
Sharqâwî, 47, 65
Shiblî a r ala a dar ash-), 111, 183
hu‛ a , 56, 124
, 70
Sufyân at-tawrî, 127
326

Suhayl , 139
Sulaymân b. Îsâ ash-shajarî , 181
um amza, 154

Tâwûs , 61,
s, 78

‛Ubâd b. Katîr , 181


‛Ubâda b. as-Sâmit , 63
‛ a d ‛ ma r , 108
‛ sha uhsin
‛ mar l-Hattâb, 63, 64, 137
‛Umar b. Maslama al. add d a s ), 125, 183, 184
Umm Salama , 232
‛ tm ‛ , 247
Uways al-Qaranî, 196

Warrâq (Abû Bakr al-), 109


Wâsil,19
327

Wâsitî (Abû Bakr Muhammad b. Mûsâ al-), 59, 136, 168, 238, 240
Wuhayb, 139

ah a‛îd al-Qattân , 124


Yahyâ u‛ dh 107, 113, 126
ah a‛lî 107
su ‛ a a 104
328

INDEX DES TERMES TECHNIQUES (GLOSSAIRE)

‛a d esclave, serviteur, 60, 67


adnâ, plus proche, plus faible, 63
ahl as-suffa, les gens de la banquette, 140, 155, 256
‛âlim (plur : ‛ulam ), savant, 83, 109, 170, 182
‛ il intelligent, 71, 158, 182
‛a l intellect, raison, intelligence, 38, 41, 71, 131, 206, 207, 210, 216, 221, 230, 232,
242, 245, 247, 261, 271
‛ ri (plur. ‛ârifûn), initié, connaisseur, 109, 114, 119, 177, 179, 182, 183, 239
‛arsh trône divin, 217, 238
ash‛ari e, école de théologie musulmane,11, 19, 29, 55, 70, 78
awba, retour à Dieu, 74
âya (plur : âyât), signe ou miracle, 131, 188
‛a , œil, 216
azalî, pré temporel, 172, 231, 242

al , malheur, épreuve, 107, 110


a , pérennisation, 119, 155, 192, 193, 201
a îra, perception du cœur, 167, 184, 187, 215, 221, 222, 247, 271

amîr, conscience, le moi de la psychanalyse,12


dervish, ascète, religieux, 239
329

dhanb, péché,16
dharra, atome, 174
dhât , essence,188
dhikr, évocation de Dieu,36, 37, 38, 77, 98, 130, 131, 133, 134, 135, 136, 137, 138,
139, 141, 142, 150, 157, 191, 219
dhir ‛, coudée, 138
dhurriyya, descendance, 173, 174
du‛ , invocation, prière, 134
dunyâ, monde, 52, 238

fa l, acte méritoire, gratification, 60


a , extinction (de l’âme charnelle), 106, 120, 155, 192, 193, 239, 260
faqîh (pl. fuqahâ), juriste : spécialiste du droit musulman,11, 69, 100, 148, 210
faqîr, ascète, 84
ar i (sing: arî a), obligations, 60, 92, 158
a , illumination, 149, 184, 192, 261, 265
fikr, réflexion, méditation,37
fiqh, droit musulman, 210

ghafla, négligence, 135


ghalaba, extase, 201
ghayb, caché, divin,36, 190, 201
330

habar, information, propos rapporté du Prophète, 81


hadît qudsî, tradition en laquelle Dieu parle à la première personne, 135, 146, 149,
188
adît, tradition, propos du prophète, 18, 27, 31, 43, 55, 63, 65, 66, 80, 86, 89, 92, 113,
133, 138, 139, 143, 150, 165, 167, 170, 184, 224, 230, 232, 245, 267
h if , celui qui est saisi de crainte, 126
âl, état d’âme,41, 57, 84, 85, 89, 113, 231, 259, 260, 272
hamdalah, 132
hanafisme, hanafite, l’une des quatre écoles juridiques des sunnites, 70
haraka, action, mouvement, 171
asanât, récompenses, du bien, 133
hashya, crainte, 120, 122, 125, 128, 129
ha î a faute,16
hawâ, concupiscence, passion,38, 41, 52, 158, 211
hawf, crainte, révérencielle,37, 81, 102, 115, 116, 117, 118, 120, 248
awl , issue, 198
hayba , crainte, 120, 125, 128, 179, 183
ayra , la perplexité, 201
hikma, sagesse, 171, 217
imma, attention soutenue, préoccupation, 131, 138, 192, 260
ubb al-jâh, vanité, 52
hu ûr, présence d’esprit,
uzn, attrition, 117, 122, 125, 126, 128

‛i da, observance cultuelle, 105, 106, 238


ihlâs, la sincérité dans la dévotion, 46
i sân, perfection et beauté spirituelle, 92, 148
331

ihtiyâr, choix, 89, 198


ilhâm, inspiration,
‛ilm, savoir, 85, 89, 125, 170, 171, 182, 183, 211, 261
‛ilm al al m la scolastique, 89
‛ilm u ûl al-fiqh , le savoir des fondements du droit, 65, 80
‛im d pilier, 142
îmân, foi, 92
inâba, la pénitence, 74
irâda, la volonté, 83, 84, 180, 198, 203
ishâra, signe, indication, 100
‛ish , amour désir, 196
Islam, 92, 152
isrâ voyage nocturne, 228
i râr, acharnement,31
istiqâma , droiture, 109
itm, péché,16

jawf, intérieur (cœur),12


jihâd, effort, combat, 50

kalâm (ilm al-), la théologie musulmane,11


kamâl , complétude, 204
karâma, miracle, générosité (de Dieu), 175
kashf , dévoilement, 184
kharijisme, kharijite, un mouvement de sécession du califat de l’Imam Ali, 70
kitmân, étouffement, 59
332

kufr, ingratitude, mécréance, 98, 141, 267


kursî, siège de Dieu, 217

ma‛ î, du domaine de l’abstrait, mental, 111,115, 144


ma‛ri a connaissance, gnose, témoignage de l’unicité de Dieu, 75, 119, 125, 135,
149, 155, 167, 168, 169, 170, 171, 177, 178, 182, 183, 184, 187, 197, 224, 272
ma‛ iya, désobéissance, 16
ma abba, amour, 167, 187, 197, 202, 203
ma ri , contraintes, 106
malakût, monde du royaume (des anges), 217
manâzils, étapes, 79
maqâma, station spirituelle, ,47, 69, 79, 188, 231, 259, 260
mi‛r ascension, 30, 92, 228
mîtâq, pacte, 130, 152, 155, 167, 168, 172, 173, 228, 231
mufarridûn (sing : mufarrid), ceux qui pratiquent le Tawhîd, 131
mu ara , présence d’esprit,192, 193, 260
mu âsaba, examen de conscience, introspection, 247, 254
mu ibb, amoureux, 107, 113, 239
muhlis, celui qui cherche à purifier sa dévotion, 46, 238
mujâhada, lutte, effort, 254, 255
mujâhid,35
mu‛ iza, miracle prophétique, 73
mukâshafa, dévoilement, 192, 193, 262
mulk, royaume visible, 217
murâqaba, attention constante, 254
murîd, disciple engagé,39, 83, 84, 85, 90, 238
mushâhada, témoignage de l’unicité de Dieu, 136, 149, 167, 172, 184, 193, 194, 263,
265
mutakallim, théologien, 203
333

mu‛ adil, équilibré, 119


mu‛ azili e, mu‛tazilisme, école de théologie musulmane,19, 29, 70, 72, 78
muttaqûn, les pieux, 47, 66
mu a idûn (voir mufarridûn), 64, 131

nadâma, regret, 70, 79


nafs, âme,12, 151, 168, 177, 208, 216, 227, 231, 232, 233, 234, 236, 241, 242, 258,
271
nafs al-ammâra bis-s , l’âme qui incite au mal, âme charnelle, 22, 71, 151, 156, 194,
241, 243, 271
nâs, gens, 52
nisyân, oubli, 141,

qalb, cœur,12, 216


qawm (al-), les gens, la communauté des soufis, 140, 160
quraysh (qurayshite), tribu auquel appartenait le Prophète, 141
qurba, proximité, 39, 157, 164
quwwa, force, faculté, 198, 240

rahba , terreur, 125


ra espoir, 81, 102, 115, 116, 118, 248
ra ‛a (plur: ra ‛ât), unité de la prière, 96
334

ri sa, direction, pouvoir,40


ri â, agrément, 157, 167, 187, 189, 203, 265
ri , l’ostentatoire, 63
r (plur : ar ), 12, 38, 42, 167, 168, 174, 177, 194, 211, 216, 224, 226, 229, 231,
232, 233, 234, 235, 236, 237, 238, 239, 240, 245, 258, 262, 263
r al-qudus , 224, 239, 240
ru ya, 145

abr, longanimité, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 100, 101,105,111, 115, 116, 157, 198
abbâr, le longanime,106
âdiqûn, iddîqûn, les véridiques, 47, 57, 65, 66
a w, lucidité, clairvoyance, 113, 119, 191, 192, 201
sakana, état, stabilité, 171
alât, prière, 142
sâlik, celui qui emprunte la voie par le respect scrupuleux des directives, 79, 83
sam ‛, audition spirituelle, 136, 137, 138, 143, 144, 146
satan, 133, 159
sa i a, faute, mauvaise attitude, 16, 133
sh i‛i e, 55, 78
shâkir , celui qui rend grâce, 110, 111, 114
shakûr , reconnaissant, 110, 111, 114
sharî‛a (shariatique), la loi islamique, 47, 170
shaytan, Satan, 52
shibr, empan, 138
shidq,
shirk, 17, 49, 50, 61, 63
shukr, reconnaissance, 92, 97, 98, 99, 100, 101, 110, 115, 141, 162
siddîq, le véridique, 50, 66, 162
idq, la sincérité, 46, 47, 57, 238
335

sûfî, c’est le terme soufi qui est souvent utilisé dans ce document, les mots ascète ou
mystique englobent à peine la recherche de l’agrément hautement liée au Tasawwuf et
qui transcende une simple mortification gratuite,11
sukr, ivresse, 113, 120, 192
sunna, tradition du Prophète, elle régit le mode de vie du musulman aussi bien
temporel que spirituel, 12, 13, 14, 54, 65, 69, 72, 92, 95, 113, 143, 146, 149, 154, 164,
168, 170, 176, 184, 200, 209, 214, 238, 240, 248, 256, 267, 269, 270
sunnisme, sunnite, 19, 70
sunan, recommandations, 92

a‛a u estime de soi, 120


tafakkur, méditation, 131
tafaqquh, connaissance et application du droit islamique, 148
ahâra, purification, 131
tahwîf, cultiver en soi la crainte,37, 38
takbîr, 132, 221
âlib, celui qui cherche la voie, disciple,39, 42, 79
taqwâ, crainte révérencielle, 73, 119, 122, 123, 213
tanbîh, attention soutenue,37
taraqqî , ascension, 200
a awwuf, soufisme,11, 12, 14, 30, 31, 55, 56, 65, 69, 76, 88, 90, 92, 95, 102,112,
115, 123, 146, 148, 149, 151, 155, 164, 168, 169, 171, 177, 210, 224, 226, 231, 241,
256, 268, 270, 272
as î , 132
a dîq, adhésion intérieure, 200
tawakkul, remise confiante, 114, 157, 198, 248
tawba, retour à Dieu, 29, 54, 69, 71, 72, 73, 74, 75, 79, 80, 81, 82, 85, 118, 131, 245,
248, 260, 269
tawfîq, concordance et assistance divines, 109, 110, 194, 199, 200, 204, 205
336

a îd, (témoignage) de l’unicité de Dieu, ce terme renvoie aussi à la théologie,39,


45, 66, 73, 75, 120, 131, 149, 167, 169, 171, 172, 174, 175, 184, 187, 196, 197

‛u di a servitude, 95, 105, 106, 152, 198, 210, 268


‛u suffisance en ses bonnes actions, 121
‛ulam , savants, 170
‛uzla, isolement, 136

a y, révélation, 145, 226


walâya, amitié (de Dieu), 145, 175
ara‛, scrupule, maîtrise de soi, 117, 119, 122, 136
a an , 61
il,39, 42

yaqîn, certitude, 119, 149, 170, 172, 180, 234, 262, 263
yasîr, facile, 63
Yoga, 134

zâhid, renonceur, ascète, 107, 136


zakât, l’aumône obligatoire, 99, 100
zuhd, le renoncement, 50, 90
337

SOMMAIRE

Pages

Système de transcription 4

Table analytique des matières 5

INTRODUCTION 10

Première partie : l’âme et le détachement 15

Chapitre I : 16
Chapitre II : 44
Chapitre III : 69

Deuxième partie : l’âme et la dévotion 91

Chapitre IV : 92
Chapitre V : 115
Chapitre VI : 130
Chapitre VII : 148

Troisième partie : l’Ame dans la Ma‘rifa 166

Chapitre VIII : 167


Chapitre IX : 187
Chapitre X : 206

Quatrième partie : des conceptions de l’âme 223

Chapitre XI : 224
Chapitre XII : 241
Chapitre XIII : 257

CONCLUSION 266

Bibliographie 273

Annexes 283

Index 295
338

RESUME DE LA THESE

Ce travail essaye, par une approche à la fois analytique et descriptive, de


remonter aux origines du soufisme en Islam. A travers une documentation arabophone
assez fournie, il essaye de dégager une analyse objective qui permet d’aboutir à des
conclusions précises.
La dévotion et la recherche de l’agrément de Dieu qui émanaient de la foi
sincère des premiers croyants de l’Islam, s’exprimant sous forme d’un certain nombre
de pratiques et comportements, firent distinguer, le long des générations, parmi les
musulmans, un groupe qui, malgré les facteurs bouleversants qui se succédaient,
cherchaient à sauvegarder sa spiritualité à travers des méthodes d’éducation de l’âme.
Ces dévots furent désignés sous le nom de « sûfî » (soufis) vers le IIe siècle après
l’Hégire (VIIIe siècle) ; leurs pratiques furent progressivement conceptualisées et
identifiées sous le terme « Tasawwuf » ou soufisme.
Par différentes approches, les soufis s’accordent dans la recherche continue de
la perfection de leur soumission. Ils développent des relations entre le spirituel et la
nature de l’âme. Afin de maîtriser celle-ci dans leur quête continue du bien faire
dévotionnel, ils cherchent à mieux la connaître, ce qui les oblige à mener une vie de
« combat contre eux-mêmes » durant laquelle, à travers des expériences personnelles,
ils systématisent progressivement une voie intérieure qu’ils qualifient parfois de
Réalité spirituelle ou aqîqa. Elle doit être l’esprit qui sous-tend l’expression visible
régie par la Loi religieuse ou harîa.
L’analyse de toutes ces données quelque peu disparates et parfois peu
élaborées a permis d’aboutir à un ensemble cohérent et systémique dans lequel l’â e
et l’esprit, dans un cadre métaphysique, développent leurs relations avec le cœur et la
raison et, de ce fait, se trouvent être très liés au fondement de tous les comportements
physiques du croyant.

Mots clés : asa u sou i Islam me espri cœur su a sou isme cer i ude
détachement.

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