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La Plus Precieuse Des Marchandises

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DÉCLIC .
tti)l1l1/J" f,at;
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a us rec1euse

es marc an 1ses
Un conte
Jean-Claude Grumberg
Dossier par Virginie Manouguian
Agrégée de lettres modernes

Belin:
,
EDUCATION
Sommaire
Repères ............................................................................ 4

L'auteur ............................................................................ 6

Entrer dans l'œuvre .. .. ...... .. ... ... ... .... ... ... ... .... ... ... ... .... .. .... s

La plus précieuse des marchandises .... ... .... ... ... ... . 11
de Jean -Claude Grumberg

Comprendre le texte
Mon parcours de lecture
Vérifier sa comprëhenston du texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 4
Donner ses Impressions de lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 5

Analyser les passages clés


Extrait 1 « 11 était une fois ... » . .. . . . . .. . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . 96
Extrait 2 « Les sans-coeur ont un coeur.» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
Extrait 3 « Vous voulez savoir si c'est une histoire vraie?» . . . . . . . . . 99

Comprendre les enjeux du texte 100

S'exprimer à l'oral et à l'écrit


Voc.abulalre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
Activités orales . . . . .. . . . . .. . . . . .. . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . 103
Activités écrites . . . .. . . . . .. . . . . .. . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . 105

Histoire des arts . . . . . .. . . . . .. . . . . .. . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . .. . . 106


Retenir l'essentiel
Les personnages ... .. ... . ... . ... .. . ... .. . ..... .. .. .. .. .... ... ... ... ... . . .. .. ... 110

Les lieux .. ... ... ..... .. .. . ... ... . ... .. . ... .. .. .... .. .. .. ... ... .. . ... .... .... .. .. . .. 112

L'intrigue ........................................................................... 114

Bilan ... ... ... ... ... . ... ... .. . .. .. ... ... ... ... . ... ... ... .. . .... ... ... ... ... . ... ... .. . .. 116

À\lt,US d(;Jmttr f ............. .......... ................................. ........ 118

Prolonger la lecture
Groupement de textes:
Dénoncer les horreurs de l'Hlstolre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122

Vous aimerez aussi... ... ... ... .... ... ... ... .... .. . ... .. . .... ... .... .. .... ... .. 127
La Seconde Guerre mondiale
Des puissances opposées
• En 1933, Adolf Hitler est nommé chancelier du Troisième Reich,
en Allemagne. Rapidement, il prend les pleins pouvoirs et impose
l'idéologie de son parti nationaliste et antisémite: le nazisme.
• La guerre commence avec l'invasion de la Pologne par l'Allemagne,
le 1er septembre 1939 et prend progressivement une dimension mondiale,
avec l'opposition des forces alliées qui se rallieront (Royaume-Uni, France,
URSS, États-Unis) et des forces de l'Axe (Allemagne, Italie et Japon).
• La France, alors gouvernée par le maréchal Pétain, capitule et signe
un armistice le 22 juin 1940. Le pays est occupé par les troupes alle-
mandes, d'abord partiellement, puis intégralement à partir de 1942.
Le régime de Vichy collabore avec l'Allemagne, exécutant la politique
antisémite du Troisième Reich.

La tt Solution finale >>


• Considérés par les nazis comme inférieurs, les Juifs sont d'abord
persécutés (port obligatoire de l'étoile jaune, interdiction d'accéder
à certains lieux ...), puis détenus dans des camps de concentration.

1930 1939 1945


Seconde Guerre mondiale
1945 1946
.Â.

1933 Procès de Nuremberg


1940
Arrivée d'Hitler. Capitulation de la France 1945
au pouvoir (régime de Vichy) Libération du
en Allemagne 1942
Début de la« Solution finale» camp dluschwitz
Rafle du Vélodrome d'Hiver à Paris 1945

1939
Capitulation
de l'Allemagne
Invasion de la Pologne et signature
par l'Allemagne de l'armistice
Femmes
et enfants
déportés
en train dans
les camps
de la mort,
vers 1942,
photographie.

• À partir de 1942, les Juifs sont déportés dans des camps d'exter-
mination, comme celui d'Auschwitz, en Pologne (voir carte, p. 113).
Certains y sont soumis à des travaux forcés, la plupart des autres sont
directement assassinés dans des chambres à gaz. C'est la<< solution
finale de la question juive>>, un génocide appelé <<Shoah>> (<< catas-
trophe>>, en hébreu). On estime que les deux tiers de la population
juive de l'Europe occupée, soit cinq à six millions de personnes, ont
été exterminés.

1950
1
1960
1
2020

.... .... ....


1947 1956 2019
Primo Levi, Alain Resnais, Jean-Claude Grumberg,
Si c'est un homme Nuit et Brouillard (fi lm) La plus précieuse
À

1947 des marchandises


LeJournal d'A nne Frank
Interview
de Jean-Claude Grumberg Depuis quand êtes-vous écrivain
et comment vous est venue cette
vocation?
Je suis écrivain depuis soixante
ans, mais je n'ai pas eu de voca-
tion. J'ai quitté l'école à quatorze
ans pour devenir apprenti tail-
leur, et je n'imaginais pas faire
quoi que ce soit d'autre. J'ai
commencé à faire du théâtre
en amateur, et je me suis rendu
compte que je préférais écrire
le théâtre plutôt que le jouer.
Pendant une cinquantaine d'an-
nées, j'ai donc écrit des pièces,
puis des scenarii de films pour le
cinéma et la télévision, et c'est
depuis peu que j'écris des récits
Vous avez écrit plusieurs pièces
de fiction.
de théâtre, dont certaines pour
les enfants. Destiniez-vous
également La plus précieuse
des marchandises à un jeune Dans quelle mesure votre
public? histoire personnelle a-t-elle
J'essaie de ne pas me poser la influencé l'écriture de ce texte?
question quand j'écris. Quand J e su i s f il s et pe t i t -f il s de
on parle à un enfant, on ne lui déportés, beaucoup de membres
parle pas comme à un adulte, de ma fam ille l'on t ét é. J 'ét ais un
mais on parle des mêmes enfant caché: c'est cette histoire
choses. Au début de ce conte, je qui m'a fa it écrire. J e n'avais pas
ne savais pas où j'allais. Je me de voca ti on, mai s j'a vais une
suis arrêté plusieurs années car hist oire à racont er. Et pu is, quand
j'ai été malade, puis j'ai repris on vieillit, on n'a plus d'hist oires
l'écriture; sans doute que la d'am ou r à racon t er, alors on se
petite marchandise devait me rapproche de sa j eunesse. Quand
demander de l'aide ... on n'a pas p lus d'aven ir, il rest e le
passé devant so i.
Pourquoi avoir choisi la forme du
conte pour parler de la Shoah? Quel message souhaite-
Je n'avais pas prévu d'écrire un riez-vous transmettre aux
conte sur la Shoah, j'ai commencé jeunes lecteurs qui vont
à écr i re un conte . Ce qui me vous lire?
préoccupe, mon histoire, est venu J 'aimera i s que mon texte
naturel lement. Le conte est un leur donne envie de li re, mais
genre qui permet de mettre à sur t out d'écrire ! Ce que j e
di stance des choses abso lument souhaite pour eux, c'est qu'i ls
affreuses, comme le fait Perrau lt aien t envie de s'exprimer, que
dans Le Petit Poucet, qu i sert de ce soi t à l'écrit, à l'oral, par
soc le à mon h i stoire. Il évoque le dessin, parce que la vie est
la m isère et la faim sous le règne fa ite de ce p lai sir- là. On ne
de Louis XIV, mais il ne nomme peut pas guérir t ous les maux
personne. De la même man ière, les d e not re socié t é, mais on
mots «déportati on» et «Shoah» peu t aider ces j eunes à t rou -
ne sont pas employés dans le texte ver leur liberté et leur donner
parce qu 'il s'ag it j ust emen t d'un les moyens de penser par
conte et parce que les personnages eux-mêmes, c'est essentiel.
eux-mêmes ignorent ce qui se passe.

Œuvres de l'auteur
J ean-C laude Grumberg a écrit une t ren t aine de pièces de t héât re,
don t plusieurs pou r la jeunesse, t ou t es éditées chez Act es Sud-Papiers.
Not ammen t :
• L'Atelier (1979)
• Le Petit Chaperon Uf (2005)
Il a, en ou t re, publié aux Éd itions du Seu il, dans« La Librair ie
du XXIe sièc le» :
• Mon Père. Inventaire, suivi d'Une leçon de savoir-vivre (2003)
• Pleurnichard (2010)
• La plus précieuse des marchandises. Un conte (2019)
Ce dernier ouvrage a ét é couronné par de nom breux prix.
Suggérer l'horreur de la Shoah
, .
<ib<.eL qL<L .sott Lt d~ri ~t ~trt .so1.1.ffrtu.u, "'-Ov..s pow.\lo"'-S ~jo1-trs t,.: trow.vu
tl/1.COYt I(_\,\,~~ t"" pt"'-SA...t ql(_t, •~trt taeh! ....·estjAl\4i:lt s tet'¾Ll'\ll.

Jt co~prt~s e111.e0Yt P.lM ""4!w.ttv-Av..t


et tt,ttt Latt.,,, qw.t j•at tt1tlllui.t t..., s-
tt (Ao111,tj e ""'l'ltt n.pptlle plus que eu.[ :

'

* Renvoie ici à la joie que nous avons en nous.

Stéphanie Troui llard et Thibaut Lambert, Si je reviens un jour. .. Les lettres


retrouvées de Louise Pikovsky, Éditions Des ronds dans l'0, 2020.
Comprendre le contexte historique

Durant qu elle péri ode hi st orique


L'œ uvre Cette bande
l'action se situe-t-elle ? Qui sont
dessinée est inspirée de l'histoire
les personn ages représe ntés? vraie de Louise Pikovsky,
une lycéenne dont des lettres
Selon vous, où les perso nnages ont été retrouvées en 2010, lors
d'un déménagement à Paris.
vo nt-ils être conduits ? Pourquoi?
La dernière date du 22 janvier

-
_ , Imaginez la suite du t ex te:
1944,jour où elle a été arrêtée
avec sa famille.
que pourrait dire l'homme qui a
perdu ses biens et ses filles? Reli sez bien la première vignette
de la planche proposée avant de r édiger votre t ex t e.

ÀVOUS Je,Jouer /
Découvrir un film scénarlsé
par Jean-Claude Grumberg:
Amen, de Costa-Gravas (2002)
.....,.., Réalisez une fiche de présentation du film.
• Précisez le cadre spatio-temporel.
• Faites une fiche d'identité des personnages.
• Enfin, résumez l'intrigue du film.

(ifj.jf} Regardez attentivement la bande-annonce.


Dans le film, on voit régulièrement un train passer.
Selon vous, que signifient ces passages répétés?
...,.., Présentez votre travail à la classe en soignant
votre expression orale.
~

0
N
(1)-

1:
0-
"'....
~
0
J::
C\.
Sarah Cunningham, Chalet dans la forêt,
2014, photographie.
Chapitre 1

lI était une foi s, dans un grand bois, une pauvre bûche-


ronne et un pauvre bûcheron.
Non non non non , rassurez-vous , ce n'est pas Le Petit
Poucet1 ! Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste
s cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents aban-
donner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir? Allons ...
Dans ce grand bois donc, régnaient grande faim et grand
froid . Surtout en hiver. En été une chaleur accablante s'abat-
tait sur ce bois et chassait le grand froid. La faim, elle, par
10 contre, était constante, surtout en ces temps où sévissait,
autour de ce bois, la guerre mondiale.
La guerre mondiale, oui oui oui oui oui.
Pauvre bûcheron, requis 2 à des travaux d'intérêt public
- au seul bénéfice des vainqueurs occupant villes, villages,
1s champs et forêts-, c'était donc pauvre bûcheronne qui,
de l'aube au crépuscule, arpentait 3 son bois dans l'espoir
souvent déçu de pourvoir4 aux besoins de son maigre foyer.

1. Le Petit Poucet: conte de Charles Perrault (1671-1703) paru en 1697, dans


lequel un bûcheron et sa femme abandonnent leurs sept garçons dans la forêt,
car ils n'ont plus de quoi les nourrir.
2. Requis: réquisitionné, obligé de travai ller.
3. Arpentait: parcourait à grands pas.
4. Pourvoir: satisfaire.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Fort heureusement - à quelque chose malheur est bon -


pauvre bûcheron et pauvre bûcheronne n'avaient pas, eux,
20 d'enfants à nourrir.
Le pauvre bûcheron remerciait le ciel tous les jours de
cette grâce. Pauvre bûcheronne s'en lamentait, elle, en secret.
Elle n'avait pas d'enfant à nourrir certes, mais pas non
plus d'enfant à chérir.
25 Elle priait donc le ciel, les dieux, le vent, la pluie, les arbres,
le soleil même quand ses rayons perçaient le feuillage illumi-
nant son sous-bois d'une transparence féerique. Elle suppliait
ainsi toutes les puissances du ciel et de la nature de bien
vouloir I ui accorder enfin la grâce de la venue d'un enfant.
30 Peu à peu, l'âge venant, elle comprit que les puissances
célestes , terrestres et féeriques s'étaient toutes I iguées avec
son bûcheron de mari pour la priver d'enfant.
Elle pria donc désormais pour que cessent au moins le
froid et la faim dont elle souffrait du soir au matin, la nuit
35 comme le jour.
Pauvre bûcheron se levait avant l'aube afin de donner tout
son temps et toutes ses forces de travail à la construction
de bâtiments militaires d'intérêt général et même capora l1.
La pauvre bûcheronne, qu'il vente, qu ' il pleuve, qu ' il
40 neige ou qu'il règne cette chaleur suffocante dont je vous

1. Général et [ ... ]caporal: grade le plus élevé et le moins élevé dans l'armée.
Ici, jeu de mots avec l'expression « intérêt général ».
CHAPITRE 1

ai déjà parlé, cette pauvre bûcheronne donc, arpentait son


bois en tous sens, recueillant chaque brindille, chaque débris
de bois mort, ramassé et rangé comme un trésor oublié et
retrouvé. Elle relevait aussi les rares pièges que son bûcheron
45 de mari posait le matin en se rendant à son labeu r1 .
La pauvre bûcheronne, vous en conviendrez, jouissait de
peu de distractions. Elle marchait, la faim au ventre, remuant
dans sa tête ses vœux qu'elle ne savait plus désormais com-
ment formuler. Elle se contentait d'implorer le ciel de manger,
50 ne serait-ce qu'un jour, à sa faim.
Le bois, son bois, sa forêt, s'étendait large, touffu, indif-
férent au froid, à la faim, et depuis le début de cette guerre
mondiale, des hommes requis, avec des machines puissantes,
avaient percé son bois dans sa longueur afin de poser dans
55 cette tranchée des rails et depuis peu, hiver comme été, un
train, un train unique passait et repassait sur cette voie unique.
Pauvre bûcheronne aimait voir passer ce train, son train.
Elle le regardait avec fièvre, s'imaginait voyager elle aussi,
s'arrachant à cette faim, à ce froid, à cette solitude.
60 Peu à peu elle régla sa vie, son emploi du temps sur les
passages du train. Ce n'était pas un train d'aspect souriant.
De simples wagons de bois avec une sorte d'unique lucarne 2
garnie de barreaux dont était orné chacun de ces wagons.

1. Labeur: travail difficile.


2. Lucarne: petite fenêtre.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Mais comme pauvre bûcheronne n'avait jamais vu d 'autres


65 trains , celui-ci lui convenait parfaitement, surtout depuis que
son époux, répondant à ses questions, avait déclaré d'un ton
péremptoire1 qu ' il s'agissait d'un train de marchandises.
Ce mot << marchandises>> acheva de conquérir le cœur et
d'enflammer l'imagination de la pauvre bûcheronne.
10 <<Marchandises >> ! Un train de marchandises ... Elle voyait
désormais ce train débordant de victuailles2 , de vêtements,
d'objets, elle se voyait parcourir ce train, se servir et se rassasier.
Peu à peu l'exaltation fit place à un espoir. Un jour, un
jour peut-être, demain, ou le surlendemain, ou n'importe
75 quand, le train aura enfin pitié de sa faim et au passage lui
fera l'aumône 3 d'une de ses précieuses marchandises.
Bientôt elle s'enhardit4 , s'approchant du train le plus
possible, l'appelant, le hélant 5 d'un geste, l'implorant de la
voix, ou le saluant simplement quand elle était trop loin pour
so y arriver à temps .
Enfin, quelquefois, une main dépassait d'une de ces
lucarnes et lui répondait. Quelquefois aussi l'une de ces
mains lançait à son intention quelque chose qu'elle courait
alors ramasser en remerciant le train et la main .

1. Péremptoire: catégorique, qui ne laisse place à aucune contestation.


2. Victuailles: nourriture.
3. Aumône: don fait aux pauvres par charité.
4. S'enhardit: prit confiance en elle, osa avec courage.
S. Hélant: appelant.
as Ce n'était la plupart du temps qu'un bout de papier qu'elle
défroissait avec soin et un immense respect avant de le
replier et de le ranger sur son cœur. Était-ce l'annonce d'un
cadeau à venir?
Longtemps après le passage du train, lorsque la nuit
90 tombait, lorsque la faim se faisait trop sentir, lorsque le froid
la mordait davantage et afin que son cœur ne se serre pas
trop, elle redépliait le papier avec un respect religieux et elle
contemplait les gribouillis inintelligibles 1 , indéchiffrables.
Elle ne savait ni lire ni écrire, en aucune langue. Son bon-
95 homme de mari savait lui, un peu, mais elle ne voulait par-
tager avec lui, ni avec personne, ce que son train lui offrait.

1. Inintelligibles: incompréhensibles.
Chapitre 2

D ès qu'il découvrit ce wagon de marchandises


- wagon à bestiaux 1 vu la paille au sol - , il sut que leur
chance était derrière eux.Jusque-là, de Pithiviers 2 à Drancy 3,
ils avaient eu la chance au moins de ne pas être séparés. Ils
s avaient vu , hélas, tous les autres, les malchanceux, partir
les uns après les autres pour on ne sait où, et eux étaient
restés ensemble. Ils devaient, pensait-il, cette grâce à la
présence de ses jumeaux chéris, Henri et Rose, Hershele
et Rouhrele4 •
10 En vérité, les jumeaux s'étaient d'abord manifestés au
pire instant, au printemps 1942. Était-ce le moment de
mettre au monde un enfant juif? Pire, deux enfants juifs
d'un coup?

1. Wagons à bestiaux: wagons aménagés pour le transport du bétail et ayant


servi au transport de personnes déportées durant la Seconde Guerre mondiale.
2. Pithiviers: camp d'internement situé dans la commune du même nom,
dans le département du Loiret.
3. Drancy: camp d'internement situé dans la commune du même nom, dans
le département de la Seine-Saint-Denis. Les personnes internées à Drancy
étaient déportées vers les camps d'extermination nazis, principalement ce lui
d'Auschwitz, en Pologne (voir carte p. 113).
4. Hershele et Rouhrele: Henri et Rose en yiddish, principale langue parlée
par les Juifs ashkénazes, c'est-à-dire les J uifs établis en France, en All emagne
et dans d'autres pays d' Europe depuis le Moyen Âge.
CHAPITRE 2

Fallait-il les laisser naître ainsi sous une bonne étoile


15 jaune1 ? Pourtant, grâce à eux, il en était sûr, ils avaient passé
Noël 42 au camp de Drancy en semble, toujours .
Et même leur bonne étoile et l'administration juive du
camp lui avaient trouvé un emploi ! Il venait presque de
terminer ses études de médecine - spécialité chirurgie yeux
20 nez gorge oreilles - mais à Drancy, lui avait-on dit, il y avait
beaucoup de médecins, beaucoup de malades aussi c'est
vrai - partout où il y a des juifs, il y a beaucoup de médecins
et encore plus de malades - , mais comme deux de leurs
coiffeurs venaient de partir... Coiffeur? Va pour coiffeur.
25 Il était inutile de couper les cheveux en quatre2 et de
chercher à comprendre, il n'y avait plus rien à comprendre.
Tant qu'il y avait eu les gendarmes français pour les garder,
il les avait coiffés. 11 avait vu si souvent son père agiter ses
ciseaux, les faire cliqueter3 en l'air comme s'il voulait prévenir
30 les cheveux du client qu'il allait sous peu passer à l'offensive,
et puis ensuite, fixant la nuque, concentré, fondre sur l'épi
rebelle, la petite touffe à raser d'un coup décisif. Même les
coiffeurs de métier l'avaient pris pour l'un des leurs.

1. Jeu de mots avec l'expression« naître sous une bonne étoile» (qui signifie
«naître dans des conditions très favorab les, avoir de la chance») et l'étoile jaune
que les J uifs étaient obligés de porter, cousue sur leurs vêtements.
2. Couper les cheveux en quatre: expression figurée qui signifie« se donner
du mal inutilement». Il s'agit également d'un jeu de mots autour de la profession
du personnage (coiffeur).
3. Cliqueter: produire des petits bruits métalliques.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Mais quand les gendarmes nationaux furent remplacés


35 par des vert-de-gris1 , il ne lui resta plu s que les membres de
l'administration et quelques internés qui faisaient appel à ses
services, clientèle relative et désespérée, à qui il fallait mentir
et mentir.<< Mais oui, mais oui, ça ira, ça va aller, ça va aller... >>
Au printemps 42, oui , ils avaient failli les faire passer,
40 sans savoir d 'ailleurs qu' ils seraient deux. Mais son épouse,
après réflexion, avait souhaité les garder. Elle avait fini par
mettre au monde deux petits êtres déjà juifs, déjà fichés ,
déjà classés , déjà recherchés , déjà traqués , une fillette et un
garçon, hurlant en chœur déjà comme s'ils savaient, comme
45 s'ils comprenaient. << 1ls ont les yeux de ton père>>, décréta
leur mère. Oui , leurs premiers cris furent terribles. Seule
leur mère, débordante de lait et d'espoir, sut les calmer. Ils
cessèrent bientôt de hurler en chœur et enfin, confiants,
continuèrent à téter en rêve .
50 Dans cette petite et discrète clinique d'accouchement de la
rue de Chabrol, au coin de la cité d'Hauteville2 , on leur proposa
même de garder les enfants et de les confier à une famille
sûre. Qu'est-ce qu'une famille sûre? <<Quelle famille pour eux
peut être plus sûre que celle composée de leur propre père et
55 de leur propre mère? >> s'était exclamée Dinah, tout en serrant

1. Vert-de-gris: terme péjoratif pour désigner les so ldats allemands pendant


la Première et la Seconde Guerre mondiale, en référence à la cou leur de leur
uniforme.
2. Rue de Chabrol, cité d'Hauteville: rues de Paris.
ses jumeaux contre ses
seins avec fierté. El le qui,
malgré les privations, mal-
gré Drancy, était, disait-on,
60 pourvue de lait pour quatre.
Elle débordait de lait,
d'amour et de confiance.
Dieu pouvait-il avoir donné
la vie à ces deux chérubins 1
65 sans avoir l'intention de les
aider à grandir?
Et maintenant, cahotés2
dans ce train , elle était là,
sur la paille, serrant contre
10 elle ses enfants, sans lait
pour les nourrir. Drancy avait eu raison, enfin , de son lait,
de sa confiance et de sa foi. Là, dans cette cohue, dans cette
panique, dans ces cris, dans ces pleurs, le père, le mari , le faux
coiffeur, le pas encore médecin, mais déjà le vrai juif, cherchait
75 u n e n d r o i t p o u r ab rite r sa fa m i Ile. E n o b se rv a nt se s
compagnons de voyage, les dévisageant, il eut une
illumination . Non non, on n 'emmenait pas ces vieillards ,
cet aveugle, ces enfants, ces jumeaux et les autres, non,

1. Chérubins: nom donné à des anges dans la tradition religieuse. Métaphore


qui désigne ici des enfants.
2. Cahotés: secoués.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

on ne les emmenait pas travailler. On les expédiait loin


80 d'ici, on ne voulait plus d'eux ici, même marqués, même
étoilés, même fichés, même emprisonnés, même privés
de liberté, de tout et de tout, même ainsi on ne voulait
plus d'eux.
Alors on les expédiait. Mais où? Dans quel endroit
85 de ce monde voulait-on d'eux? Quel pays était prêt à les
accueillir? Quel pays les aurait volontiers reçus en ce mois
de février 1943 ?
Le problème n'était pas là. Dinah n'avait plus ou que
très peu de lait. Drancy avait tari ses seins. Les rumeurs,
90 le départ de ses parents à elle, puis de son père à lui. 1ls
étaient partis et depuis n'avaient plus donné signe de vie.
Elle était écrasée au sol, là même où il y avait, il y a peu,
des vaches ou des chevaux qu'on emmenait certainement
vers un abattoir. Elle avait étalé son châle de laine des
95 Pyrénées qu'on lui avait laissé par grâce pour envelop-
per ses jumeaux. Le froid régnait, la guerre, la peur. Elle
en berçait un, l'autre alors pleurait. Elle berçait l'autre, le
premier grognait. C'étaient deux beaux bébés, un garçon,
une fille.<< Le choix du roi, leur répétait-on. Les plus beaux
100 bébés du monde. Avec eux deux, vous voilà comblés pour
la vie! Moi j'ai eu trois filles avant d'avoir mon garçon!
Vous, vous avez déjà les deux!>> Où sont-ils maintenant?
Chacun y allait de ses souvenirs, de ses cris, de sa colère.
CHAPITRE 2

~abattement, l'exaspération. Une femme chantait en yiddish 1


105 une berceuse. Dinah comprenait le yiddish mais affectait de
ne pas le con naître.
Que faire? Que faire, se demandait l'ex-faux coiffeur.
Jusque-là il avait cru remplir son rôle de père à la perfection
malgré toutes les difficultés. Malgré les obstacles, il avait su
110 protéger ses jumeaux. 11 avait obsédé l'administration du camp.
<< Ses jumeaux! Mes jumeaux!>>C'étaient devenus les jumeaux
de tout le monde, ceux qu' il fallait sauver, protéger, et voilà ... et
voilà. Il se sentait démuni , dépassé, il ne savait plus que faire.
Il ne pouvait rester ainsi, il se devait de reprendre son rôle,
115 il lui fallait trouver une solution. Déjà deux jours de voyage.
~odeur, l'odeur insoutenable. Le seau sur la paille dans un
coin et la honte, la honte partagée, la honte voulue, prévue
par ceux qui les expédiaient on ne sait où.
Les réduire à rien d'abord, puis à moins que rien , ne rien
120 laisser d'humain en eux, soit. Mais il se devait pour ses enfants,
qu'il voyait mordre tour à tour les seins de son épouse sans
que rien n'en sorte, il se devait de trouver une solution.
L'un de ses compagnons de voyage lui demanda s'il était
roumain. Oui il était roumain. Le Roumain lui dit que lui,
125 avant, était roumain aussi et que maintenant il était apatride2

1. Yiddish: voir note 4 , p. 18.


2. Apatride: personne sans nationalité. De nombreux J uifs d'Europe
étaient devenus apatrides après avoir été déchus de leur nationalité à la suite
de mesures antisémites.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

d'origine roumaine. Dans ce wagon, il y avait beaucoup d'apa-


trides d'origine roumaine. On les avait pris à Paris ou ailleurs
en France. L'un d'entre eux, donc, lui parla de lassi.
1
<< Vous connaissez lassi ?

130 - Bien sûr je connais lassi.


- 11 y a eu un pogrom 2 là-bas.
- Un pogrom? Il y a la guerre là-bas comme ici, plus
besoin de pogrom.
- Non non , un pogrom. Ils ont mis des milliers de juifs
135 dans un train à lassi, et ils ont fait rouler ce train, et rouler
et rouler, jusqu'à ce que les juifs dans le train meurent, de
chaleur, de soif, de faim . >>
À chaque gare où le train s'arrêtait, on le débarrassait
de ses morts et le train repartait avec les survivants. Parfois
140 il repartait dans l'autre sens, il roulait en sens contraire. Le
train n'allait nulle part, le seul but du voyage c'était ça : jeter
sur le quai à chaque gare ...
<< Ici vous voyez bien qu'on avance, qu'on ne s'arrête pas!

Et puis qu' on a froid, qu 'on n'a pas chaud.


145 - C'est comme à lassi je vous dis! Comme à lassi ! >>
Depuis, à chaque arrêt du train en pleine voie, il craignait
qu 'on reparte dans l'autre sens. Qu'on s'arrête dans une gare et
qu'on jette des wagons les mourants, les enfants, les vieillards.

1. lassi: vi lle de Roumanie (voir carte, p. 113).


2. Pogrom: mot d'origine russe signifiant« détruire »,« piller», employé
pour désigner le massacre d'une communauté juive.
CHAPITRE 2

Il se mordait les mains. Que faire? Que faire? Il gagna la


150 lucarne en s'excusant, pou ssant l'un, repoussant l'autre.
Là, un vieillard essayait de reprendre son souffle. Il haletait.
L'asthme1 , lui dit-il. Puis il sourit au père des jumeaux. Il hocha
la tête et le regarda avec des yeux qui semblaient avoir déjà tout
compris, des yeux qui avaient, depuis sa naissance, tout prévu.
155 Il n'avait pas l'air surpris, il avait juste besoin d 'un peu d'air.
La neige dehors ralentis sait la marche du train . Puis le
train s' immobilisa un court instant avant de repartir, devenu
soudain asthmatique lui aussi. C'est alors qu' il comprit.
Il bouscula les uns et les autres. Il rejoignit le châle de
160 laine des Pyrénées. Surtout ne pas choisir, surtout ne plus
réfléchir, se saisir de l'un des deux, ne pas choisir entre le
garçon et la fille . li prit le premier qui lui tomba sous la main.
11 avait déjà sorti de sa poche son châle de prière2 • L'enfant
somnolait. Dinah le regarda un instant puis referma le s yeux,
165 elle aussi, serrant l'autre jumeau .
Lui, tout en dépliant son châle, regagna la lucarne. Les
barreaux, les barreaux permettaient de sortir un bras. Le train
reprit un peu de vitesse. li découvrit la forêt, les arbres croulant
sous la neige. Il distingua une silhouette qui semblait courir
110 après le train, levant les pieds haut dans la neige, et qui criait.

1. Asthme: affection respiratoire.


2. Châle de prière: dans la religion juive, grand châ le à franges dans lequel
les croyants s'enveloppent pour prier.
Il serra l'enfant, l'enveloppa dans son châle de prière.
!..'.asthmatique le fixait et semblait lui dire des yeux:<< Ne fais
pas ça! Ne fais pas ça! Ne fais pas ce que tu veux faire!>>
Mais lui était résolu. Pas assez de lait pour deux. Peut-être
assez pour un?
Fébrile, il souleva l'enfant enveloppé dans le châle. La tête
passerait-elle? !..'.asthmatique alors lui dit en yiddish: << Ne
fais pas ça!>> Mais le père le fixa et fit comme s'il ignorait
totalement le yiddish. La tête passée, les épaules suivraient.
Puis il fit un geste en direction de la vieille qui s'arrêtait,
agenouillée dans la neige, comme si elle remerciait le ciel.
Le train sortit du bois.
Chapitre 3

P auvre bûcheronne, ce matin-là comme tous les


matins, tôt , très tôt, dans ce demi-jour d ' hiver, s'essouffle
dans la neige afin de ne pas manquer le passage de son
train. Elle se presse et se presse, ramassant çà et là quelques
s branchages que le poids de la neige et de la nuit a brisés
et jetés au sol. Elle court, elle court, arrachant ses pieds
chaussés de peaux de renardeaux retournées et façonnées
par les soins de son pauvre bûcheron de mari .
Elle court, arrachant les renardeaux à la neige. Elle court,
10 elle court, et quand enfin elle débouche haletante dans la
clairière 1 qui borde la voie ferrée, elle entend son train aha-
ner2, tout comme elle, s'essouffler, gémir, ralentir comme
elle, gêné par cette neige épaisse et drue 3 qui les empêche
l'un et l'autre d 'avancer.
1s Elle fait des gestes de ses bras tout en hurlant: << Attends-
moi ! Attends-moi!>>
Le train ahane et avance.
Mais cette fois-ci, en passant, il lui répond. Le train de
marchandises - le convoi 49 - lui répond!

1. Clairière: lieu dégarni d'arbres au cœur d'une forêt.


2. Ahaner: pousser des cris d'essoufflement.
3. Drue: dense, resserrée.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

20 Et non pas d 'un signe mais d 'un geste. Pas un de ces


gestes accompagnant le jet de ces misérables morceaux de
papier froissés et gribouillés à la hâte par une main maladroite,
non, un geste, un vrai geste. D'abord un drapeau a surgi de
l'étroite lucarne, brandi par une main, une main , humaine ou
25 divine, qui le lâche soudain, et le drapeau vient déposer sa
charge, dans la neige, à quelque vingt pas de notre pauvre
bûcheronne qui en tombe à genoux, mains serrées sur sa
poitrine, ne sachant que faire pour remercier les cieux. Enfin,
enfin, après tant de vaines 1 prières! Mais la main dans la
30 lucarne se tend maintenant vers elle et d'un doigt, d 'un doigt
péremptoire, impérieux, lui fait signe de ramasser le paquet.
Ce paquet est pour elle. Pour elle seule. li lui est destiné.
Pauvre bûcheronne se débarrasse alors de son maigre
fagot 2 d'hiver et, aussi vite que la neige le lui permet, elle se
35 précipite sur le petit paquet pour l'arracher à la neige. Puis,
avidement, fébrilement 3 , elle défait les nœuds comme on
arrache l'emballage d 'un cadeau mystérieux.
Alors apparaît, ô merveille, l'objet, l'objet qu'elle appe-
lait depuis tant de jours de ses vœux, l'objet de ses rêves .
40 Mais voilà que le petit paquet, l'objet à peine défait, au lieu
de I ui sou rire et de I ui tendre les bras, comme le font les

1. Vaines: inutiles.
2. Fagot: amas de petites branches de bois destinées à fa ire du feu.
3. Fébrilement: avec nervosité.
CHAPITRE 3

bébés sur les images pieuses1 , s'agite, hurle, serre les poings
les brandissant bien haut dans son désir de vivre, torturé
par la faim. Le paquet proteste et proteste encore.
45 Notre pauvre bûcheronne serre le petit être contre elle,
l'enfouissant sous ses fichus 2 superposés, et la voilà qui se
met à courir et courir encore, serrant son trésor contre sa
poitrine. Soudain elle s'immobilise, elle sent une bouche
avide qui vient téter son maigre sein, puis cesse et hurle de
50 nouveau, s'agitant encore davantage, se débattant, criant,
hurlant. Il a faim, cet enfant a faim, mon enfant a faim. Elle
se sent devenue mère, à la fois heureuse et mortellement
inquiète. Comblée mais dépassée. La voilà mère, et mère
sans lait. Mon enfant a faim, que faire, que faire? Pourquoi
55 le dieu du train de marchandises ne lui a-t-il pas fait don
de lait pour nourrir l'enfant qu'il lui offre? Pourquoi? À
quoi pensent donc les dieux? Avec quoi veulent-ils que je
le nourrisse?
Arrivé au logis, le petit paquet posé sur le lit se tortille
60 de plus belle, animé de l'énergie du désespoir et d'une faim
de loup pris au piège. Pauvre bûcheronne allume alors un
feu, verse de l'eau dans sa bouilloire, et cherche, cherche,
et cherche encore.

1. Pieuses: religieuses.
2. Fichus: pièces de tissu portées par les femmes sur les épaules, sur la tête
ou autour du cou.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Pendant que l'eau bout, elle trouve un reste de kacha 1 qu 'elle


65 va faire macérer2 dans l'eau bouillie, mais avant, pour cal-
mer son petit paquet, elle tend son doigt vers la bouche
avide. Le petit paquet s'en empare et tète, tète, avec une
rage obstinée. Puis soudain , s'avisant de la supercherie,
il cesse de téter et se remet à hurler. Pauvre bûcheronne,
10 pleurant en écho, le prend contre elle, tout en écrasant la
kacha pour en faire une bouillie qu'elle tente, à l'aide d'une
cuillère, de glisser dans la bouche hurlante. N'y arrivant
pas, elle retrempe ce même doigt dans la kacha écrasée et
l'offre de nouveau à la bouche de l'enfant qui tète encore
75 avec passion, puis lâche le doigt, recrachant l'amère kacha .
Pauvre bûcheronne en profite pour lui faire avaler un peu
d'eau de cuisson, puis elle retend son doigt, l'enfant tète à
nouveau. Peu à peu, avec de l'eau qui désaltère, de la kacha
qui trompe sa faim, l'enfant se calme dans les bras de sa
80 nouvelle mère tandis que pauvre bûcheronne chuchote à
son oreille comme une chanson, une berceuse revenue de
la nuit des temps et qui la surprend elle-même :
<< Dors dors ma petite marchandise, dors dors mon petit
paquet à moi , dors dors mon enfant, dors dors.>>
85 Puis elle dépose délicatement son précieux trésor au
creux de son lit. Ses yeux alors se posent sur le châle déplié

1. Kacha: plat populaire polonais à base de céréa les concassées.


2. Faire macérer: faire tremper, ici pour ramollir.
CHAPITRE 3

qu'elle a mis à sécher à même le lit. Un châle somptueux, fait


de fils si fins, tissés si serrés, orné de franges aux deux bouts
et brodé de fils d'or et d'argent. Jamais elle n'a vu ni touché
90 un châle aussi précieux. Il faut vraiment, pense-t-elle, que les
dieux aient bien fait les choses en empaquetant leur cadeau
dans une étoffe aussi somptueuse. Bientôt elle s'assoupit
à son tour, son petit paquet, sa petite marchandise chérie
serrée dans ses bras, enveloppée dans le châle féerique.
95 Elle dort notre pauvre bûcheronne, elle dort, son bébé
bien serré dans ses bras, elle repose du sommeil des justes,
elle dort là-haut, bien plus haut que le paradis des pauvres
bûcherons et des pauvres bûcheronnes, bien plus haut
encore que l'Éden 1 des heureux de ce monde, elle dort tout
100 là-haut là-haut, dans le jardin réservé aux dieux et aux mères.

1. Éden: nom donné au paradis dans la Bible (Genèse), dans la tradition juive,
puis chrétienne.
Pauvre bûcheronne (Eugénie Anselin) et pauvre bûcheron (Philippe Fretun)
dans La plus précieuse des marchandises, mise en scène de Charles Tordjman,
théâtre du Rond-Point Paris 2020.
Chapitre 4

La nuit venue, tandis que pauvre bûcheronne et son


don des cieux dorment, pauvre bûcheron, harassé1 par son
labeur d'intérêt général, rentre au logis. Au bruit qu'il fait,
la petite marchandise se réveille et, retrouvant sa faim inas-
s souvie2 , pleure aussitôt.
<< Qu'est-ce que c'est que ça? rugit pauvre bûcheron.
- Un enfant, répond pauvre bûcheronne en se dressant,
son petit paquet dans les bras.
- Qu'est-ce que c'est que cet enfant-là?
10 - La joie de ma vie, poursuit pauvre bûcheronne, sans
ciller3 ni trembler.
-La quoi?
- Les dieux du train m'en ont fait don.
- Les dieux du train?!
1s - Pour qu'il devienne l'enfant chéri que je n'ai jamais eu.>>
Pauvre bûcheron se saisit alors de la petite marchandise,
l'arrachant à l'étreinte de pauvre bûcheronne, ce qui a pour
effet paradoxal de faire cesser les cris et les pleurs du bébé

1. Harassé: épuisé.
2. Inassouvie: qui n'a pas été comblée.
3. Ciller: battre des cils. Ici, bouger.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

qui aussitôt, de ses petites mains avides, se saisit de la barbe


20 de pauvre bûcheron qu'il tente immédiatement de téter.
<< Ne sais-tu pas ce que c'est que cet enfant-là? Ne sais-tu
pas? >>
Et il lâche soudain l'enfant sur le lit dans un geste de
dégoût, comme on jette au rebut 1 un morceau de viande
25 avariée2 .
<< 11 pue! Ne sais-tu pas à quelle espèce il appartient?
-Je sais que c'est mon petit ange à moi! déclare pauvre
bûcheronne tout en reprenant l'enfant dans ses bras. Et ça
deviendra le tien si tu le veux bien.
30 - Cela ne peut être ni mon, ni ton petit ange! C'est un
rejeton 3 de la race maudite! Ses parents l'ont jeté du train
dans la neige car ce sont des sans-cœur !
- Non non non! Ce sont les dieux du train qui m 'en ont
fait don!
35 - Tu déparles 4 la vieille, une fois grand il sera comme
eux, sans cœur !
- Pas si c'est nous qui l'élevons.
- Et comment le nourriras-tu?
- Il est si petit, tout à l'heure je lui ai donné un doigt à
40 suçoter et cela a suffi à calmer sa faim .

1. Comme on jette au rebut: comme on met à la poubelle.


2. Avariée: qui n'est plus bonne à consommer.
3. Rejeton: enfant (familier).
4. Déparles: dis n'importe quoi (vieilli).
CHAPITRE 4

- Ne sais-tu pas qu 'on n'a pas le droit sous peine de


mort de cacher des san s-cœur? 1ls ont tué Dieu .
- Pas lui, pas lui! Il est si petit.
- Ils ont tué Dieu et ce sont des voleurs .
45 - Dieu merci nous n'avons jamais eu, ici-bas, rien à voler.
Et bientôt, si tu le veux bien , il m'aidera à fagoter au bois.
- S' il s le trouvent chez nous, ils nous colleront au mur.
- Qui le saura?
- Les autres bûcherons nous dénonceront aux chasseurs
50 de san s-cœur.
- Non non, je dirai que cet enfant est mien, que je suis
devenue enfin grosse de tes œuvres 1 .
- Et que tu as mis bas 2 sur le tard un lardon de quinze
livres 3 ?
55 -Au début il ne sortira pas.
- 11 ne peut être nôtre, il est marqué.
- Comment ça marqué?
- Ignores-tu que les sans-cœur sont marqués et que c'est
ainsi qu 'on les reconnaît4 ?
60 - Corn ment ça ?

1. Je suis enfin devenue grosse de tes œuvres: je suis enfin tombée enceinte
de toi.
2. Mis bas: accouché (terme habituellement employé pour les animaux).
3. Quinze livres: environ 7,5 ki logrammes (une livre correspond
à 500 grammes environ).
4. Référence à la circoncision, excision pratiquée sur le sexe des garçons,
notamment dans certaines communautés religieuses.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

- Leur nature n'est pas comme la nôtre.


-Je n'ai vu aucune marque.>>
Pauvre bûcheron s'affaire à défaire le petit paquet dont
il fait apparaître la nature toute nue.
65 << Vois , vois!
-Vois quoi?
- La marque.
-Quelle marque? interroge pauvre bûcheronne tout en
jetant un œil à son tour. Je ne vois pas de marque?
10 -Vois, il n'est pas fait comme moi.
- Non, mais elle est faite comme moi. Vois comme elle
est bel le. >>
Pauvre bûcheron détourne les yeux précipitamment,
puis, après s'être gratté l'occiput1 sous son bonnet, referme
75 le petit paquet qui repousse de ses petits poings fermés les
mains qui l'assaillent.
<< Que fais -tu? s'inquiète pauvre bûcheronne voyant
pauvre bûcheron s'en saisir et gagner la porte. Où vas-tu?
-Je vais le redéposer près de la voie ferrée. >>
ao Pauvre bûcheronne se jette alors comme une furie et tente
d'arracher son petit paquet à pauvre bûcheron. N'y parvenant
pas, elle lui barre maintenant le passage tout en déclarant :
<< Fais ça bûcheron et tu devras me jeter avec elle sous
les roues du train de marchandises et les dieux, tous les

1. Occiput: partie située à l'arrière de la tête, au-dessus de la nuque.


CHAPITRE 4

a5 dieux, ceux des cieux, de la nature, du soleil et du train, te


poursuivront où que tu ailles! Quoi que tu fasses! Tu seras
maudit à jamais et pour toujours!>>
Pauvre bûcheron, immobile, hésite un instant. 11 rend à
pauvre bûcheronne le<< petit paquet>> devenu<< petite mar-
90 chandise>> puisque sa nature nous a été dévoilée et que
cette nature est incontestablement féminine.
La petite marchandise, donc, passant ainsi de bras en bras,
au milieu des cris et de la fureur, se met elle aussi à couiner
subitement comme un millier de trompettes bouchées.
95 Pauvre bûcheron, qui ne semble pas être un très grand
mélomane1 , se bouche aussitôt les oreilles en hurlant:
<<Soit! Soit! Qu'il en soit ainsi et que tout le malheur
qui surviendra soit ton malheur!>>
Pauvre bûcheronne alors, serrant sa petite marchandise
100 contre son cœur, dit:
<< Elle fera mon bonheur et le tien.
- Merci! Garde tout le bonheur pour toi! Grand bien te
fasse! Mais sache que je ne veux plus l'entendre, ni la voir,
jamais! Va la mettre dans la remise 2 au bois coupé! Fais-la
105 taire et tiens-toi-le pour dit!>>
Pauvre bûcheronne, tout en berçant sa petite marchan-
dise, gagne la remise au bois coupé vide de planches et s'y

1. Mélomane: amateur de musique.


2. Remise: lieu couvert où l'on met à l'abri du matériel.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

installe avec l'enfant que les dieux lui ont donnée à chérir.
Pauvre bûcheron entre sur ses talons et lui jette une peau
110 d'ours piquée et rongée par les mulots.
<< Tiens ! Et va pas en pl us te choper la crève!
- Moi les dieux me protègent>>, lui répond pauvre
bûcheronne.
L'.enfant pleure encore dans un demi-sommeil.
11s Pauvre bûcheron en ressortant ordonne:
<<Fais-la taire! Si non ... >>
Pauvre bûcheronne la berce encore, la serrant bien fort,
en lui couvrant le front de petits baisers tout doux. Elles
s'endorment ainsi toutes deux. Le silence s'installe, à peine
120 troublé par les ronflements tragiques 1 provenant du nez du
pauvre bûcheron, et les soupirs d'aise s'élevant à l'unisson
de la petite marchandise, don de Dieu, et ceux de sa nouvelle
et aimante maman, toutes deux blotties sous la peau d'ours
rongée par les mulots.

1. Tragiques: ici, très bruyants.


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Chapitre 5

Le train de marchandises, désigné comme convoi 49


par la bureaucratie de la mort, parti de Bobigny-Gare, près
de Drancy-Seine, le 2 mars 1943, arriva le 5 mars au matin
au cœur de l'enfer, son terminus .
s Après avoir déchargé sa cargaison d'ex-tailleurs pour
hommes, dames et enfants , morts et vivants, accompa-
gnés de leur famille, proche ou lointaine, ainsi que de leurs
clients et fournisseurs, sans oublier, pour les croyants, de
leurs ministres du culte, et pour les grabataires, vieillards,
1
10 malades, impotents , de leur médecin personnel, le train ,
ex-convoi 49, pressé sans doute de devenir convoi 50 ou 51,
redémarra immédiatement en sens inverse.
Pauvre bûcheronne ne le vit pas repasser à vide, absorbée
qu'elle était dans sa nouvelle fonction de mère de famille.
1s Pas plus qu'elle ne vit passer le convoi 50 ni les suivants.
Après réception de la marchandise, il fut aussitôt procédé
à son tri. Les experts trieurs, tous médecins diplômés, après
examen, ne conservèrent que dix pour cent de la livraison.
Une centaine de têtes sur mille. Le reste, le rebut, vieillards ,

1. Grabataires, vieillards, malades, impotents: personnes âgées et malades.


CHAPITRE 5

20 hommes, femmes, enfants, infirmes, s'évapora après traite-


ment en fin d'après-midi dans la profondeur infinie du ciel
inhospitalier1 de Pologne.
C'est ainsi que Dinah, dite Diane sur ses papiers provi-
soires, et son tout nouveau livret de famille, et son enfant,
2s Henri , frère jumeau de Rose, s'affranchirent de toute pesan-
teur en gagnant les limbes du paradis2 promis aux innocents.

1. Inhospitalier: hostile, f raid.


2. Limbes du paradis: dans les religions juive et chrétienne, lieu où sont
accu eillies les âmes des personnes mortes ayant été jugées bonnes de leur
vivant.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Chapitre 6

Üans bien des contes, et nous sommes bien dans un


conte, on trouve un bois. Et dans ce bois, un espace plus
touffu qu'alentour, où l'on ne pénètre qu'avec difficulté, un
espace sauvage et secret, protégé des intrus par sa végéta-
s tion même. Un lieu retiré où ni homme, ni dieu, ni bête ne
pénètre sans trembler. Dans le vaste bois où pauvre bûche-
ron et pauvre bûcheronne tentent de subsister1 , il existe un
tel lieu, là où les arbres poussent plus dru et plus serré. Un
endroit que la hache des bûcherons respecte et où on ne
10 trouve aucun sentier tracé. Une forêt touffue dans laquelle
on ne se glisse qu'en silence. Les enfants, bien sûr, n'ont
pas le droit d'y aller. Et même leurs parents craignent d'y
mettre le pied et de s'y égarer.
Pauvre bûcheronne connaît son bois comme sa poche
1s - les châles dans lesquels elle s'enveloppe hiver comme été
n'ont pas de poche, en auraient-ils qu'elle n'aurait, elle, rien à
y mettre-, malgré tout, disons qu'elle connaît ce lieu réservé,
pense-t-elle, aux fées et aux lutins ainsi qu'aux sorcières et
à leurs loups-garous. Elle sait également qu'un être humain
20 y vit seul, un être qui fait peur et horreur à tous et toutes,

1. Subsister: survivre.
CHAPITRE 6

et que même les vert-de -gris


et leurs misérables milicien s1
craignent de croiser. Un être que
certains disent maléfique, tandis
2s que d'autres le nomment l'ami des
bêtes et l'ennemi des hommes .
Elle-même l 'a entraperçu cer-
tains jours alors qu'elle fagotait
à la lisière de cette forêt où il
30 semble régner en maître absolu
et solitaire.
Elle sait également hélas, elle
l'a compris au petit matin, que sa
petite marchandise ne pourra sur-
35 vivre et prospérer sans lait.
Après le départ de pauvre
bûcheron , elle s'est enroulée dans
ses fichus et y a glissé sa petite
marchandise, enveloppée, elle,
40 dans son châle fourni par les dieux
eux-mêmes, ce châle frangé d'or
et d'argent et qui semble tissé par
des mains de fée.

1. Miliciens: civi ls armés co ll aborant avec les mi litaires, nazis dans ce contexte.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Ensuite elle a gagné cette partie du bois où nul ne s'aven-


45 ture sans trembler ni remettre son âme à Dieu. En lisière
elle trouve l'obscurité qui règne en permanence dans cette
partie du bois. Elle guette. L'homme est-il là? La voit-il? Et
la chèvre? La chèvre est-elle encore de ce monde? Don ne-
t-elle encore du lait?
50 Avant de partir, elle a tenté de nourrir à nouveau sa petite
marchandise chérie avec un reste de bouillie de kacha. Peine
perdue. La kacha fut recrachée. Et maintenant, la petite tête
froide de la petite marchandise dodeline sans force. Il lui
faut du lait, pense-t-elle, du lait, du lait, sinon ... Non non,
55 impossible, les dieux ne lui en ont pas fait don pour la laisser
mourir dans ses bras!
Pauvre bûcheronne pénètre dans l'obscurité, passant sous
les branches basses, en invoquant les dieux du train, et de la
nature, et des bois, et des chèvres. Elle implore même l'aide
60 des fées, on ne sait jamais, et même les esprits malins1 qui ne
sauraient sans déchoir2 s'acharner sur une innocente enfant.
<<Aidez-moi, aidez-moi tous>>, murmure-t-elle dans le fouillis
des branchages qui craquent sous ses pas. Nul ici jamais ne
vient fagoter. La neige même ne se dépose que rarement au
65 sol. Elle fond au sommet des arbres et s'accumule sur les
branches basses.

1. Malins: malfaisants.
2. Déchoir: s'abaisser.
CHAPITRE 6

<<Qui va là?>>
Pauvre bûcheronne s'immobilise.
<< Une pauvre bûcheronne>>, répond -elle d'une voix
10 tremblante.
La voix reprend:
<< Que la pauvre bûcheronne ne fasse plus un pas!>>
Elle s'immobilise. La voix reprend:
<<Que veut la pauvre bûcheronne?
75 - Du lait pour son enfant!
- Du lait pour son enfant? >>
On entend alors comme un rire sinistre.
Puis, après quelques grattements de bottes sur le bois
pourri, paraît un homme coiffé d'une chapka 1 et armé d 'un
80 fusi 1.
<< Pourquoi ne lui donnes-tu pas du tien?
- Je n'ai pas de lait, hélas. Et si cette enfant que tu
vois - elle sort l'enfant de sous son châle - n'a pas de lait
aujourd ' hui, elle mourra.
85 -Ta fille mourra? La belle affaire! Tu en feras une autre.
- Je n'ai plus l'âge. Et puis cette enfant m'a été confiée
par le dieu du train de marchandises qui passe et repasse
sur la voie ferrée.
- Que ne t'a-t -il donné du lait avec! >>

1. Chapka: chapeau de fourrure en forme de toque, d'origine russe.


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

90 Il laisse échapper de nouveau une sorte de rire amer à


glacer les os.
La bûcheronne répond, craintive mais décidée:
<< 11 a oublié. Les dieux ne peuvent penser à tout, ils ont
tant à faire ici-bas.
95 - Et ils le font si mal!>> conclut l'homme.
Puis après un silence il l'interroge encore:
<< Dis-moi, pauvre bûcheronne, d'où veux-tu que je te
tire du lait?
- Du pis 1 de ta chèvre.
100 - Ma chèvre? Comment sais-tu que j'en ai une?
- Je l'ai entendue bêler en fagotant à la lisière de ton
domaine.>>
Il rit encore, puis, sérieux, se reprend et demande:
<<Que me donneras-tu en échange de mon lait?
105 -Tout ce que j'ai!
- Et tu as quoi?
- Rien.
- C'est peu.
- Tous les jours que les dieux feront, je viendrai, hiver
110 comme été, t'apporter un fagot contre deux gorgées de lait.
-Tu veux me payer mon lait avec mon bois?
- Ça n'est pas ton bois.

1. Pis: mamelle.
CHAPITRE 6

- Ça n'est pas le tien non plus.


- Pas pl us que ton lait n'est ton lait!
115 - Corn ment ça ?
- C'est le lait de ta chèvre.
- Mais cette chèvre est mienne. Rien dans la vie ne se
don ne sans contrepartie.
- Sans lait ma fille va mourir, sans contrepartie.
120 -Tant de gens meurent!
- Ce sont les dieux qui me l'ont confiée, si tu m'aides à
la nourrir elle vivra, ils t'en seront reconnaissants et ils te
protégeront.
- 1ls m'ont déjà assez protégé comme ça.>>
125 Il arrache sa chapka et découvre un front cabossé, une
tempe écrasée et une oreille manquante.
<< Désormais je me passe de leur protection et me protège
tout seul.
- Ils t'ont gardé en vie cependant, et ta chèvre aussi.
130 - Grand merci.
-Je t'amènerai deux fagots chaque jour pour une seule
gorgée de lait.
- On voit que tu t'y connais en affaires!>>
Il rit encore.
135 << Les dieux ne t'ont-ils pas donné avec la fillette quelque
objet précieux?>>
Notre pauvre bûcheronne, désolée, va pour lâcher<< hélas
non>>, quand soudain son visage s'éclaire. Elle libère sa petite
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

marchandise du châle de prière et le tend à l'homme à la


140 chèvre qui le prend avec dédain.
<< C'est un châle divin, vois comme il est fin.>>
L'.homme se le passe autour du cou .
<< Regarde comme il est beau! À coup sûr ce sont des
doigts de fée qui l'ont tissé et brodé d'or et d'argent.>>
145 La petite marchandise pleure doucement. Les grands
cris sont passés, elle n'a plus de vigueur1 .
L'.homme à la chèvre et à la gueule cassée examine l'en-
fant puis conclut :
<<Cette créature divine a faim, comme un vulgaire enfant
150 d'humain . Je vais te donner une mesurette2 de lait de ma
chèvre. Ce qu'il te faudrait, c'est du lait d'ânesse, mais je n'en
ai point, alors ce lait de chèvre que je vais te donner pendant
trois mois tous les matins, tu le couperas d'eau bouillie, à
proportion de deux mesures d'eau pour une mesure de lait,
155 et tu compléteras sa nourriture avec de la bouillie, et puis
des fruits et légumes frais au printemps. >>
li lui rend l'enfant. Elle la prend avec amour, puis se jette
aux genoux de l'homme et tente de lui embrasser la main.
Celui-ci recule.
160 <<Relève-toi!>>
Pauvre bûcheronne laisse couler ses larmes.

1. Vigueur: force.
2. Mesurette: petite dose.
CHAPITRE 6

<<Tu es bon, tu es bon, murmure-t-elle.


- Non non non non, nous avons conclu un marché.
J'attends tes fagots dès demain.
165 - Qui t'a cassé la tête, homme de bien?
- La guerre.
- Celle-ci?
- Une autre, qu'importe. Ne t'agenouille plus jamais
devant moi, ni devant quiconque, ne dis plus jamais que je
110 suis bon, et ne va pas répandre le bruit que j 'ai une chèvre
et que je donne du lait. Viens, je vais te donner ce qui te
revient.>>
Ainsi fut fait.
Tous les matins la pauvre bûcheronne déposa son fagot
1
115 et ramassa en retour un gorgeton de lait chaud .
Et c'est ainsi que la pauvre petite marchandise misérable
et si précieuse, grâce à l'homme des bois et à sa chèvre,
subsista et survécut. Cependant elle n'était jamais rassasiée
et la faim la travaillait sans cesse. Elle suçait tout ce qui lui
1ao tombait sous la bouche et, redevenue vigoureuse, elle hurlait
sans retenue.

1. Gorgeton: petite gorgée (familier).


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Chapitre 7

Sans ciseaux, armé d'une simple tondeuse, le père des


jumeaux, le mari de Dinah, notre héros, après avoir vomi
son cœur et ravalé ses larmes, se mit à tondre et à tondre
des milliers de crânes, livrés par des trains de marchandises
s venant de tous les pays occupés par les bourreaux dévoreurs
d'étoi lés.
Ces crânes, cette tondeuse, la pensée secrète aussi que
peut-être, peut-être ... firent de lui, malgré lui, momentané-
ment un survivant.
Chapitre 8

'
A la nuit tombée, lorsque pauvre bûcheron rentrait,
traînant ses membres endoloris et sa carcasse brisée par
sa journée de labeur d'intérêt général, il ne voulait ni voir,
ni encore moins entendre la petite jumelle solitaire. Pauvre
s bûcheronne tentait donc de l'endormir avant son retour.
Mais il arrivait que la petite grogne encore ou s'agite dans
son sommeil. Parfois même, taraudée 1 par la faim, elle se
réveillait en pleurant, ou en hurlant soudain de peur comme
si tous les loups de la terre s'étaient donné rendez-vous
10 pour se jeter ensemble à ses trousses au plus profond de
son sommeil.
Pauvre bûcheron tapait alors de son gros poing sur la
table tout en grommelant dans sa barbe 2 d'une voix rendue
haineuse par l'alcool de bois qu'il consommait avec ses
1s camarades de travail: << Je ne veux ni voir ni entendre ce sup-
pôt3 du diable! Cette sans-cœur de malheur! Fais -la taire
ou par le ciel je te la saisis et te la jette aux pourceaux4 ! >>

1. Taraudée: tourmentée.
2. En grommelant dans sa barbe: en marmonnant dans sa barbe sans être entendu.
3. Suppôt: ici, serviteur, comp lice.
4. Pourceaux: porcs.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Fort heureusement, se disait la pauvre bûcheronne, il n'y


a plus de pourceaux aux alentours, les traqueurs de sans-
20 cœur et de boustifaille1 les ayant déjà tous réqui sitionnés
puis bouffés. Fort heureusement également, pauvre bûche-
ron , épuisé comme il l'était, ne tardait guère à dodeliner du
bonnet2 avant de s'effondrer tête sur la table , et de s'endormir
ainsi du sommeil des injustes 3 .

1. Boustifaille: nourriture, repas (familier).


2. Dodeliner du bonnet: s'endormir (familier).
3. Détournement de l'expression« dormir du sommeil du juste»,
c'est-à-dire paisiblement, avec la conscience tranqui lle.
Chapitre 9

LJ ne certaine nuit cependant, la petite marchandise


s'agita plus que de coutume, réveillant pauvre bûcheron
dans son premier sommeil. Celui -ci alors, dans sa grande
ire1 , en vint à vouloir porter la main sur elle. Pauvre bûche-
s ronne saisit alors au vol la grosse paluche calleuse2 de son
pauvre bûcheron de mari, la retint un instant en suspens,
avant de la poser délicatement, bien à plat, sur la poitrine
toute secouée de sanglots de sa chère petite marchandise.
Pauvre bûcheron, effleurant ainsi de sa paume malgré lui
10 cette peau si douce et si blanche, tenta d'arracher sa main
de l'étreinte de la pauvre bûcheronne, mais celle-ci , de ses
deux mains réunies, la tenait fermement plaquée sur la cage
thoracique de la fillette, tout en murmurant à l'oreille de
pauvre bûcheron, qui ne cessait lui de hurler qu'il ne vou-
1s lait plus de cette créature du diable, de cette sans-cœur de
malheur, pauvre bûcheronne, toujours pesant sur la main
du pauvre bûcheron, murmura délicatement :
<<Sens-tu? Sens-tu? Sens-tu le petit cœur qui bat? Le
sens-tu ? Le sens-tu ? 11 bat, i I bat. >>

1. Ire: co lère (soutenu).


2. Paluche caleuse: grosse main abîmée par le travai l (familier).
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

20 <<Non non! >> clamait le bonnet du bûcheron s'agitant


en tous sens.<<Non non!>> hurlait sa barbe broussailleuse.
<< Non non!>>
La bûcheronne, toujours chuchotante, poursuivait :
<<Les sans-cœur ont un cœur. Les sans-cœur ont un
25 cœur comme toi et moi.
- Non non!
- Petits et grands, les sans-cœur ont un cœur qui bat
dans leur poitrine. >>
Pauvre bûcheron dégagea soudain sa main d'un coup
30 d 'épaule tout en secouant toujours sa tête et en crachant
maintenant entre ses dents, répétant les tristes slogans de
ces jours si sombres : <<Les sans-cœur n'ont pas de cœur !
Les sans-cœur n'ont pas de cœur ! Ce sont des chiens errants
qu'il faut chasser à coups de hache! Les sans-cœur jettent
35 leurs enfants par les lucarnes des trains et c'est nous, pauvres
couillons , qui sommes obligés de les nourrir! >>
Il crachait ainsi sa bile la plus noire1 tout en éprouvant
lui-même un trouble, une chaleur, une douceur nouvelle que
le bref contact de sa paume avec la peau et le cœur de la
40 petite marchandise avait fait naître jusque dans son propre
cœur à lui qu' il sentait battre, désormais, dans sa propre
poitrine. Oui, son cœur battait comme en écho avec le petit

1. Bile [ ... ] noire: dans les premières théories de la médecine, substance


associée à la mélanco lie et à la colère.
CHAPITRE 9

cœur de la petite marchandise qui se calma enfin, dans les


bras de la bûcheronne, et qui tendait maintenant ses petits
45 bras en direction de pauvre bûcheron.
Celui-ci recula, effrayé. Quand la pauvre bûcheronne
tendit à son tour l'enfant vers lui, il recula encore, comme
frappé en pleine poitrine, tout en répétant machinalement
qu'il ne voulait plus voir, ni nourrir cette chose, et tout en
50 refoulant, au plus profond de l'obscurité de sa carcasse, l'en-
vie de répondre à ces bras tendus, offerts, en se saisissant de
l'enfant pour la presser contre son visage, contre sa barbe.
Il reprit pied enfin, en même temps que ses esprits, et
reprit également l'offensive, menaçant la pauvre bûcheronne
55 d'avoir demain à choisir entre lui, honnête bûcheron son
mari, et ce résidu de fausse couche tueur de Dieu qu'elle
tenait dans ses bras. Et avant que pauvre bûcheronne eût pu
lui répliquer, il s'écroula sur sa couche, et s'endormit cette
fois du sommeil du presque juste.
--

,
Chapitre 10

Le lendemain, où qu'il posât sa main, ce fut le cœur


de la petite marchandise qu'il sentit battre sous sa paume.
Désormais, dans le secret de son cœur noyé dans une dou-
ceur inconnue, il nommait lui aussi la petite sans-cœur sa
s petite marchandise à lui. Et lorsque, par grand et rare hasard,
il se trouvait en tête à tête avec elle, il tendait vers elle un
doigt hésitant qu 'aussitôt la petite agrippait et ne voulait plus
lâcher. 11 éprouvait alors une joyeuse et bienfaisante douceur.
Un jour même, la petite, se traînant à quatre pattes sur
10 le sol de la hutte1 , s'accrocha au bas de son pantalon, et
ainsi, s'aidant de ses deux mains, elle se redressa en se
cramponnant à un de ses genoux rapiécés 2 . Pauvre bûcheron
ne put réprimer un cri : <<Oh la vieille! Viens! Viens voir!
Viens voir!>> La petite maintenant ne se tenait plus que d'une
1s main, chancelante 3 , cherchant son équilibre. Pauvre bûche-
ron exultait4 : <<Tu la vois ? Tu la vois? >> Pauvre bûcheron ne
s'extasia puis applaudit. La petite tentant d'applaudir à son
tour lâcha le pantalon, et se retrouva sur le cul, au sol, dans

1. Hutte: cabane.
2. Rapiécés: dont on a recousu le tissu troué.
3. Chancelante: qui manque d'équilibre.
4. Exultait: éprouvait et manifestait une joie extrême.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

un grand éclat de rire. Pauvre bûcheron, cul par-de ssus tête 1,


20 arracha l'enfant du sol et la brandit comme un trophée de
victoire, hurlant de joie et s'exclamant: <<Alléluia 2 !>>
Les jours suivants, pauvre bûcheron tout comme pauvre
bûcheronne ne ressentirent plus le poids des temps , ni la
faim , ni la misère, ni la tristesse de leur condition. Le monde
2s leur parut léger et sûr malgré la guerre, ou grâce à elle, grâce
à cette guerre qui leur avait fait don de la plus précieuse
des marchandises. 1ls partagèrent tous trois un plein fagot
de bonheur, orné de quelques fleurs que le printemps leur
offrait pour éclairer leur intérieur.

1. Cul par-dessus tête: bouleversé, ému (expression fami lière).


Ici, jeu de mots avec « se retrouva sur le cu l ».
2. Alléluia: cri ou chant religieux qui exprime la joie.
Chapitre 11

Lajoie, le bonheur aidant, pauvre bûcheron travailla


avec plus d'entrain, plus de force, ses camarades l'appré-
cièrent davantage et malgré son mutisme1 le convièrent
encore plus souvent à leurs libations 2 d'après boulot.
s L'un d'entre eux, plus entreprenant, s'était improvisé pro-
ducteur d'alcool de bois fait maison. Il leur fournissait
la boisson. J'ignore la recette de cet alcool de bois fait
maison , mais même si je la connaissais, je ne vous la
livrerais pas. Sachez simplement qu'il est déconseillé
10 d'en consommer et que cet alcool de bois, à haute dose,
peut rendre aveugle. << Qu'importe, à la guerre comme
à la guerre, et pour ce qu'il y a à voir! >> avait décrété le
distillateur 3 amateur. Les camarades étaient braves et
soiffards 4 • 1ls levaient le coude 5 après leur journée de
1s travail , les camarades n'ayant pas chez eux une petite

1. Mutisme: attitude d'une personne qui ne parle pas.


2. Libations: moments où est consommé de l'alcoo l. Allusion aux libations
religieuses, actes qui consistaient, dans !'Antiquité, à répandre un liquide,
souvent du vin, à l'attention d'une divinité.
3. Distillateur: personne qui transforme l'alcoo l en boisson propre
à la consommation.
4. Soiffards: qui boivent beaucoup (familier).
S. Levaient le coude: buvaient (familier).
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

marchandise, don du train et des cieux, capable de leur


faire aimer la vie, fût-elle la leur.
Après le travail - gloup gloup gloup - certains soirs,
pauvre bûcheron consentait à lever le coude avec ses col-
20 lègues, retardant ainsi le plaisir de rentrer près de sa petite
marchandise adorée. Il faisait ainsi partager sa bonne
humeur nouvelle à ses compagnons d'infortune - gloup
gloup gloup- et on portait un toast 1 , puis un autre. À quoi?
À qui? L'un d'entre eux proposa de boire à la fin prochaine de
25 cette guerre maudite- gloup gloup gloup- lis burent ensuite
à la fin des sans-cœur maudits - gloup gloup gloup - Un
camarade à propos des sans-cœur déclara alors que le train
qui passait plein et qu'on voyait repasser vide transportait on
ne sait où des sans-cœur venus des sept coins du monde.
30 Un autre renchérit: << Pendant que nous on se crève le cul
et la paillasse pour des salaires de misère, les sans-cœur,
eux, sont baladés gratos en trains spéciaux!>>
Un troisième précisa enfin: << Les sans-cœur ont tué
Dieu et ont voulu cette guerre! 1ls ne méritent pas de vivre
35 et leur guerre maudite ne finira que lorsque la terre se sera
enfin débarrassée d'eux à jamais!>> - gloup gloup gloup -
<< À leur disparition ! >> - gloup gloup glou p - << À mort les
sans-cœur ! >> conclurent-ils en chœur.
Pas tout à fait en chœur...

1. Portait un toast: trinquait pour célébrer quelque chose.


CHAPITRE 11

40 Pauvre bûcheron, notre pauvre bûcheron -tous étaient


bûcherons et pauvres-, le nôtre, donc, avait bu mais s'était
tu. Les camarades se tournèrent alors vers lui comme un
seul homme, attendant d'entendre sa parole. Ils n'eurent
pas longtemps à attendre - gloup gloup gloup -, pauvre
45 bûcheron s'essuya la bouche d'un revers de poignet, puis
dans le silence, il s'entendit dire et se surprit lui-même:
<< Les sans-cœur ont un cœur.
- Quoi quoi quoi? Qu'est-ce qu'il dit? Qu'est-ce qu'il
veut dire?>>
50 Pauvre bûcheron, alors, se surprit encore à proférer1 ,
d'une voix assourdissante cette fois, d'une voix qu'il n'avait
jamais sentie sortir de sa propre gorge, pauvre bûcheron,
dis-je, après avoir jeté son gobelet de fer sur la table bran-
lante qui s'écroula, reprit: << Les sans-cœur ont un cœu r ! >>
55 Puis il partit d'un bon pas, zigzagant cependant, vers sa
hutte, son chez-soi, sa hache sur l'épaule, effrayé soudain
d'avoir ainsi crié sa vérité, la vérité: les sans-cœur ont un
cœur. Effrayé et en même temps soulagé et fier, fier d'avoir
crié à la face des autres, de s'être libéré, d'avoir fini soudain
60 toute une vie de soumission et de mutisme. 11 marchait vers
sa bûcheronne bien-aimée et vers la prunelle de ses yeux
que l'alcool de bois n'avait pas réussi à détruire ce soir-là. Il
marchait vers sa petite marchandise dont les dieux, ou on

1. Proférer: prononcer à voix haute.


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

ne sait qui d'autre, lui avaient fait don. Il marchait. Il sentit


65 alors son cœur battre et battre, puis il se surprit à chanter,
à chanter en marchant une chanson qu'il n'avait jamais
chantée, ni celle-là ni une autre d'ailleurs. Il marchait et il
chantait, ivre de liberté et d'amour.
Les camarades, consternés, constatèrent: << 11 tient pl us
10 du tout l'alcool! Il est bourré! Il débloque! - gloup gloup
gloup - Il ira mieux demain à la fraîche.>> Et ils se mirent
à chanter eux aussi des chansons que leurs maîtres, les
chasseurs de sans-cœur, leurs envahisseurs, leur avaient
apprises, des chansons qui disaient ceci :
15 << Nous planterons nos couteaux dans les poitrines vides
des sans-cœur jusqu'à ce qu'il n'en reste aucun et qu'ils
nous aient rendu tout ce qu'ils nous ont volé - gloup gloup
gloup- Que crèvent les sans-cœur ! - gloup gloup gloup. >>
Le fabricant d'alcool de bois, tout en chantant, songeait
ao qu'autrefois, avant guerre, les autorités locales offraient
une prime à chaque tête de bête nuisible qu'on ramenait
en mairie - gloup gloup gloup.
Chapitre 12

Les jours, les mois passèrent. Le faux coiffeur, le père


des ex-jumeaux, tondait, tondait et tondait. Puis ramas-
sait les cheveux , les blonds, les bruns, les roux, et il en
faisait des ballots 1 . Ballots qui rejoignaient d'autres bal -
s lots, d'autres mi 11 iers de bal lots, faits d'autres cheveux.
Les blonds, les plus recherchés, les bruns, et même les
roux. Que faisait-on des cheveux blancs? Tous ces cheveux
en partance vers le pays des généreux conquérants afin
d'y devenir perruques, parures, tissus d'ameublement ou
10 simples serpillières 2 •
Le père des ex-jumeaux souhaitait mourir, mais tout au
fond de lui poussait une petite graine insensée, sauvage,
résistant à toutes les horreurs vues et subies, une petite
graine qui poussait et poussait, lui ordonnant de vivre,
1s ou tout au moins de survivre. Survivre. Cette petite graine
d'espoir, indestructible, il s'en moquait, la méprisait, la
noyait sous des flots d'amertume 3 , et pourtant elle ne ces-
sait de croître, malgré le présent, malgré le passé, malgré

1. Ballots: petits paquets.


2. À leur arrivée au camp, les déportés étaient tondus et leurs cheveux
recyclés pour l'industrie allemand e.
3. Amertume: sentiment de tristesse et de rancœur.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

le souvenir de l'acte insensé qui lui avait valu que sa chère


20 et tendre ne lui jette plus un regard, ne lui adresse plus une
seule parole avant qu'ils ne se quittent sur ce quai de gare
sans gare à la descente de ce train des horreurs. Il n'avait
même pas pu tenir serré contre sa poitrine, ne fût-ce qu'une
seconde, son jumeau restant avant qu'ils ne se quittent pour
2s toujours et à jamais. Il en aurait pleuré encore, s'il avait eu
dans ses yeux quelques larmes de reste.
Chapitre 13

Les jours, les mois passèrent, et petite marchandise, un


de ces jours plus heureux que d'autres, se tint soudain bien
droite et fit ses premiers pas. Depuis, elle trottait devant ou
derrière pauvre bûcheronne et le soir elle courait au-devant
s de pauvre bûcheron. Et quand celui-ci la hissait jusqu'à son
visage, jusqu'à sa barbe, elle tentait de lui ôter son bonnet,
ou de lui tirer les poils, ou , bonheur suprême, d 'attraper à
pleines mains son gros nez. Pauvre bûcheron en était tout
bouleversifié1 • Il tendait alors la petite marchandise à pauvre
10 bûcheronne et se mouchait bien fort avant d'essuyer ses
yeux humides. Un de ces jours, encore plus beau, la petite
fonça sur pauvre bûcheron, bras tendus, en criant: <<Papa!
Papa! >> dans cette langue bizarre qu'on parlait dans ce pays
lointain. Papa se disait papouch, maman mamouch.
1s << Papouch ! Mamouch ! >>
Ils se serraient alors tous trois dans un même enlace-
ment qui finissait par des rires et même par une chanson
qui parlait de père, de mère, d'enfant perdu et retrouvé.

1. Bouleversifié: néologisme indiquant un bouleversement ou une émotion


intense.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Chapitre 14

LJ n jour que pauvre bûcheronne et petite marchandise


revenaient toutes deux de fagoter, elles croisèrent dans le
sous-bois le distillateur d'alcool de bois et accessoirement
collègue et même camarade de pauvre bûcheron. Le distil-
s lateur, découvrant la petite, s'informa poliment:<< D'où sort
cette enfant?>> Pauvre bûcheronne répondit qu'elle était
sienne. Le distillateur fixa alors la petite marchandise lon-
guement, comme s'il voulait la soupeser. Puis il fixa pauvre
bûcheronne avant de lui sourire et de la quitter, non sans
10 avoir soulevé son chapeau de taupe, tout en déclarant d'une
voix enjouée: << Bonjour à vous!>>
Chapitre 15

Cematin-là, peu avant l'aube, le camarade au chapeau


de taupe, accompagné de deux miliciens encombrés de fusils
datant d'une précédente guerre mondiale, ou plus sûrement
de l'époque de l'invention de la poudre par les Chinois, tous
s trois donc vinrent prendre livraison de la petite marchandise.
Pauvre bûcheron les accueillit sur le pas de la porte. D'abord
il nia. Il dit que c'était sa fille. L'un des miliciens demanda
pourquoi il n'avait pas déclaré sa naissance en mairie. Il
répondit qu'il n'aimait pas remplir des papiers, et qu'elle
10 avait grandi ainsi, sans papiers. Enfin il accepta, sous peine
de mort- la loi c'est la loi camarade - , il accepta, dis-je, mais
il demanda, comme une faveur spéciale, de remettre l'enfant
à son camarade de travail, afin de faire ça en douceur, afin
de ne pas effrayer avec des fusils ni la petite, ni surtout son
1s épouse. 11 fit passer le camarade devant lui en prévenant sa
pauvre bûcheronne d'une voix haute:
<<C'est le camarade de chantier! Prépare la petite! Et sers
à boire aux camarades!>>
La bûcheronne surgit, elle portait l'enfant qui aussitôt tendit
20 ses bras vers le bûcheron. Celui-ci alors saisit sa hache et en
frappa le camarade distillateur tout en criant à sa bûcheronne:
<<Sauve-toi! Emporte la petite!>>
Puis il redonna un coup sur la taupe qui ornait le crâne
de son camarade de travail. Il sortit enfin de la cabane, la
2s tête haute, et attaqua l'un des miliciens. Il l'abattit comme
une bûche pourrie. L'autre alors, reculant, trébucha, tira en
l'air puis visa le bûcheron qui, hache levée, s'avançait vers
lui. Pauvre bûcheronne alors sortit en courant tandis que le
bûcheron hurlait en s'affalant:
30 << Cours ma belle! Cours! Sauvez-vous! Sauvez-vous!
Que Dieu fasse crever tous les maudits sans âme ni foi !
Que vive notre... et il murmura ... petite marchandise!>>
Chapitre 16

C ours cours cours pauvre bûcheronne! Cours et serre


contre ton cœur ta si fragile marchandise! Cours sans te
retourner! Non non, ne cherche pas à revoir pauvre bûche-
ron gisant dans son sang, ni les trois larves par sa hache
s fendues comme bois pourri. Non non , ne cherche pas des
yeux ton ex-logis de rondins assemblés par les mains de
ton pauvre bûcheron. Oublie cette cabane où vous avez
partagé tous trois ce si fugitif 1 bonheur. Cours cours cours
et cours encore!
10 Courir? Vers où? Où courir? Où se cacher?
Cours sans réfléchir! Va va va! Droit devant toi. Non
non non, ne pleure pas, ne pleure pas, il n'est pas temps
de pleurer.
Dans la poitrine de pauvre bûcheronne, là où repose,
1s bercée par la course, sa petite marchandise tant aimée,
là, dans sa poitrine haletante, son cœur cogne cogne et
cogne, puis soudain se tord. La douleur lui coupe les jambes,
arrache son souffle. Elle sait, elle sent que les chasseurs
de sans-cœur sont déjà à ses trousses pour lui arracher sa
20 petite marchandise chérie .

1. Fugitif: bref, passager.


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Elle veut s'arrêter, glisser au sol, s'y répandre, disparaître


dans les fougères, se dissoudre dans l'herbe haute en serrant
de plus en plus fort sa petite tant aimée. Mais à ses pieds
les renardeaux vei lie nt. 1ls courent, ils courent, ils courent,
25 ils ont l' habitude, eux, de poursuivre et d'être poursuivis.
Ils courent, ils s'arrachent du sol , ils courent sans peur et
sans reproche. Vers où? Vers où courent-ils? N'ayez crainte,
ils savent s'y rendre, ils connaissent le chemin, le chemin
du salut1 .
30 Et soudain voici pauvre bûcheronne et sa si précieuse
petite marchandise en lisière de cette partie du bois si touffue
que nul ne sait comment y pénétrer. Les renardeaux, eux, ne
ralentissent même pas l'allure, ils s'y jettent, ils bondissent
d 'une racine à l'autre, se heurtant aux branches basses,
35 trébuchant sur les débris de bois mort qui jonchent le sol.
Une voix, une voix alors, une voix connue , à la fois crainte
et souhaitée, retentit :
<<Qui va là?
- Pauvre bûcheronne, crie-t-elle, tandis que les renar-
40 deaux courent toujours.
- Que veut pauvre bûcheronne?
- Asile2 ! Asile pour moi et ma ... dont les dieux m 'ont
fait don. >>

1. Salut: fait d'échapper à un danger, à un malheur ou à la mort. Au sens


religieux, fait d'être sauvé du péché.
2. Asile: refuge.
CHAPITRE 16

La voix reprend:
45 <<J'ai entendu des coups de feu, t'étaient-ils destinés?
- Ils voulaient ... ils voulaient ... ils voulaient me la ...
-Avance! Marche sans crainte!
-1 ls voulaient ... >> Pauvre bûcheronne est hors d' ha lei ne.
Sa voix la fuit, ses jambes se brisent. Les renardeaux eux-
50 mêmes s'immobilisent, vaincus par les racines, les ronces
et la fatigue.
Pauvre bûcheronne voudrait tout dire à l'homme au fusil
à la chèvre et à la tête cassée, tout, des craintes, des sans-
cœur, de la hache aussi. Elle reprend avec difficulté:
55 << Ils voulaient ... ils voulaient ... alors pauvre bûcheron
avec sa hache les a ... les a ... >>
L'.homme apparaît.
<< N'en dis pas plus, je connais la noirceur du cœur des
hommes, ton bûcheron et sa hache ont bien travaillé. Et
60 si tes tourmenteurs le justifient, je saurai à mon tour bien
travailler.>>
Il fait glisser alors son fusil d'une épaule à l'autre puis
tend les bras.
<<Confie-moita petite marchandise et suis-moi.>>
65 Pauvre bûcheronne lui tend alors l'enfant que l'homme
au fusil à la chèvre et à la tête cassée reçoit avec douceur et
dignité comme il sied 1 aux porteurs d'objets sacrés.

1. Sied: convient.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Ils avancent tous trois en silence. Le bois touffu s'éclaircit


et bientôt apparaît un jardin que pauvre bûcheronne n'avait
10 jamais vu. Elle prenait livraison de son lait quotidien en
lisière du bois, là où elle déposait son fagot.
En cette fin de printemps, en ce début d'été, les fruits
sur les arbres semblent se tendre vers l'enfant. Les fleurs
se dressent et s'offrent elles aussi à la cueillette, comme
75 pour consoler pauvre bûcheronne et sa fillette. Les dieux
font bien les choses de ce côté-ci du bois, pense-t-elle, oui,
les dieux font bien les choses quand ils y pensent et quand
ils le veulent.
L'homme, toujours portant l'enfant, s'approche d'une
80 cabane, une cabane de rondins elle aussi, dressée à côté d'un
rocher. 11 ne pénètre pas dans la cabane, il se dirige droit à
la roche et se glisse dans une sorte de grotte où une chèvre
minuscule, aux pis lourds cependant, lui fait fête dans sa
joie de recevoir ainsi un peu de visite.
85 L'.homme au fusil et à la tête cassée dépose alors l'en-
fant face à la chèvre. Elles sont de même hauteur. L'.homme
fait ainsi les présentations: << Fille des dieux, voilà ta mère
nourricière, ta troisième maman.>>
L'enfant, ravie, enlace la chèvre, celle-ci s'abandonne
90 dans ses bras, les yeux perdus, là où vont se perdre les
yeux des chèvres. Puis toutes deux joignent leurs fronts et
restent ainsi, la chèvre et la fillette, yeux dans les yeux, front
contre front, tandis que sanglote pauvre bûcheronne et que
murmure l'homme au fusil à la chèvre et à la tête cassée:
9s << Pourquoi pleures-tu, pauvre bûcheronne, tu auras désor-
mais pour elle du lait à volonté que tu n'auras même plus
à venir chercher. Certes, j'y perds un fagot, mais j'y gagne
une camarade de jeux pour ma chèvre solitaire, ainsi nous
sommes gagnants tous quatre. Nul ne peut rien gagner en
100 ce bas monde sans consentir à y perdre un petit quelque
chose, fût-ce la vie d'un être cher, ou la sienne propre.>>
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Chapitre 17

Les jours succédèrent aux jours, les trains aux trains.


Dans leurs wagons plombés, agonisait l' humanité. Et l'hu-
manité faisait semblant de l'ignorer. Les trains provenant
de toutes les capitales du continent conquis passaient et
s repassaient, mais pauvre bûcheronne ne les voyait plus.
Ils passèrent et repassèrent, nuit et jour, jour et nuit, dans
l'indifférence générale. Nul n'entendit les cris des convoyés,
les sanglots des mères se mêlant aux râles des vieillards, aux
prières des crédules 1 , aux gémissements et aux cris de terreur
10 des enfants séparés de leurs parents déjà livrés au gaz2 •

1. Crédules: ceux qui croient faci lement des choses invraisemblab les.
2. Dans la Solution fina le mise en place par les nazis pour exterminer les J uifs,
ces derniers étaient tués par asphyxie dans des chambres à gaz (voir Repères,
p. 5).
Chapitre 18

Et puis, et puis, les trains cessèrent de rouler. Ne


roulant plus, ils cessèrent de livrer leur si misérable car-
gaison de crânes à raser. Plus de trains , plus de crânes.
Cependant que notre héros, ex-père de jumeaux, ex-mari
s de son épouse bien-aimée, devenu soudain ex-raseur des
crânes , s'effondra, vaincu par la faim, la maladie et le déses-
poir. Autour de lui les rares survivants encore conscients
murmuraient: << Il faut tenir, tenir, tenir, et tenir encore,
ça va bien finir par finir, déjà on entend les canonnades 1
10 au loin. >> Un camarade lui glissa même dans le tuyau de
l'oreille :<< Les rouges 2 arrivent, les têtes de mort 3 vont finir
par chier dans leurs bottes.>>
En attendant, lesdites têtes de mort leur faisaient creuser
des fosses à même la neige afin d'y faire brûler le trop-plein
1s des cadavres amoncelés au pied des crématoi res 4 qu'ils

1. Canonnades: coups de canon.


2. Les rouges: les soldats de l'URSS, qui formaient !'Armée rouge et portaient
une étoile rouge sur leur uniforme. Les camps de concentration sont libérés
entré l'été 1944 et 1945. Le 27 janvier 1945, !'Armée rouge entre dans celui
d'Auschwitz.
3. Têtes de mort: SS (soldats allemands) dont l'insigne était une tête de
mort.
4. Crématoires: fours crématoires servant à l'incinération des cadavres
(voir note 2, p. 74).
devaient également détruire d'urgence afin d'éliminer avec
les derniers témoins les traces de leur crime immense. Les
cheveux, si précieux hier, n'étaient plus récoltés. Pire, les che-
veux emballés, déjà prêts à l'usage, n'étaient plus expédiés. 1ls
20 s'entassaient, abandonnés, près d'une montagne de lunettes,
coincés entre des monceaux de vêtements, homme, dame et
enfant. Eux aussi devaient disparaître.
Tenir, tenir, tenir, ça va bien finir par finir. Lui aussi désor-
mais voulait disparaître, en finir, en finir, en finir. De jour
2s comme de nuit, il délirait. Il délirait en piétinant la neige, il
délirait en creusant, il se remémorait, pire, il revivait l'instant
fatal, l'instant où il avait arraché des bras de son épouse l'un
de leurs jumeaux, il revivait sans cesse l'instant où il l'avait
précipité du train dans la neige. Cette neige qu'il piétinait
CHAPITRE 19

30 et piétinait tout en creusant son propre trou pour s'y faire


enfin brûler à son tour. Pourquoi , pourquoi , pourquoi ce
geste fatal, insensé? Pourquoi n'avoir pas accompagné son
épouse et leurs deux enfants jusqu'au bout, jusqu'au but du
voyage? S'élever ensemble, tous les quatre, ensemble, s'éle-
35 ver dans les cieux, en volutes 1 de fumée, de fumée épaisse
et sombre. 11 s'effondra soudain. Deux camarades, au risque
de leur propre survie, le traînèrent dans une baraque2 proche
afin de lui éviter d'être jeté à demi vivant dans les flammes.
Quand il reprit connaissance, il se sentit bien dans cette
40 baraque, parmi les corps amoncelés 3. Il trouva le lieu propice
à y espérer la mort, la délivrance, enfin.

1. Volutes: spirales.
2. Baraque: construction provisoire, généralement faite de planches.
3. Amoncelés: entassés.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Chapitre 19

La mort ne vint pas et la délivrance se présenta à lui


sous l'apparence d'un jeune soldat étoilé de rouge dont
les yeux exorbités témoignaient de l'horreur qu'il venait de
découvrir. Après avoir constaté que le cadavre qui le dévisa-
s geait vivait encore, le jeune soldat étoilé lui glissa le goulot
de sa gourde dans la bouche et quelques biscuits dans les
mains, puis il le prit dans ses bras, l'arrachant au tas de
mourants, et le déposa devant la baraque, sur un bout de
terrain sans cadavres, sous le soleil du printemps renaissant.
10 Là même où hier encore régnaient la neige, les bottes et les
cravaches des casquettes à têtes de mort, l'herbe repoussait
grasse et touffue, parsemée d'une multitude de fleurettes
blanches. C'est alors qu'il entendit un oiseau chanter à tue-
tête l'hymne du retour à la vie. Et c'est alors que des larmes
1s jaillirent de ses yeux devenus aussi secs, pensait-il, que son
cœur. Ces larmes lui rappelèrent qu'il était redevenu un vivant.
Comment trouva-t-il la force de se dresser, puis de mar-
cher, et de marcher, et de marcher encore? Le chant du
rossignol suffit-il pour que naisse 11idée que sa fille, sa si
20 petite fille inconnue et chérie avait pu survivre, peut-être, elle
aussi? Et que si elle avait survécu, il se devait désormais, il
en avait le devoir, de tout faire, de tout faire pour la retrouver.
CHAPITRE 19

Il se mit donc en marche, suivant les rouges qui avançaient


droit devant eux. Il tomba d'inanition 1 près d'une église. Un
25 prêtre le releva, le nourrit, pria pour lui, et il repartit, marchant,
marchant toujours.
Il arriva enfin près d 'un camp dit de regroupement, peuplé
de réfugiés et autres personnes déplacées fuyant les rouges,
mais rattrapées par leur avance fulgurante . Son aspect
30 spectral 2 orné de son numéro tatoué sur son avant-bras 3
lui servit de passeport. Il y fut logé et nourri , mais une fois
installé, il revécut l'instant fatal , le train, la neige, le bois, le
châle, la vieille, l'espoir aussi. Et surtout, surtout le regard de
son épouse se détournant de lui à jamais et pour toujours.
35 Pourquoi , pourquoi n 'avait-il pas laissé le sort commun les
détruire tous les quatre ensemble, ensemble?
Pauvre bûcheronne ne s'aperçut pas que les trains de mar-
chandises ne traversaient plus son bois, trop captivée par le
spectacle de sa petite marchandise à elle qui grandissait et
40 prospérait à vue d'œil. La petite ne cessait de rire, de chanter, de
gazouiller et de danser avec sa chèvre devenue plus que sa sœur,
sous l'œil bienveillant de l'homme au fusil et à la tête cassée.
Pauvre bûcheronne ne se souvenait pas avoir vécu tant de
bonheur tout le long, le long de sa vie. ~homme au fusil, lui,

1. Inanition: épuisement causé par le manque de nourriture.


2. Spectral: très pâle et très maigre, comme un fantôme.
3. À leur arrivée dans les camps, les déportés étaient tatoués d'un numéro
de matricule qui devenait leur nouvell e identité.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

45 guettait, l'oreille tendue vers l'Est. 11 savait que les rouges


avançaient. 11 se réjouissait tout en les craignant. 11 les craignait
comme il avait craint les vert-de-gris à têtes de mort ainsi que
leurs valets et autres collaborateurs. Une fois par semaine,
il se rendait dans l'un des villages proches de sa forêt afin
50 d'y troquer ses fromages de chèvre contre des produits de
première nécessité. Là on ne parlait que de la fin prochaine de
cette guerre affreuse, avec espoir, ou regret. Bientôt les avions
étoilés de rouge bombardèrent les positions des vert-de gris,
puis la canonnade prit le relais. Les chasseurs de sans-cœur
55 désormais se terraient ou fuyaient vers l'Ouest.
Fusil en main, l'homme à la tête cassée arpentait son fief1
sur le flanc est de son domaine, bien décidé à faire respecter
ses droits de propriété aux nouveaux envahisseurs. Deux
soldats rouges se glissèrent avec précaution dans le bois.
60 Apercevant un homme armé d'un fusil, ils le couchèrent au sol
d'une rafale de mitraillette. Puis, avec précaution, l'un des sol-
dats s'en approcha, retourna le corps du pied, puis constatant
que le visage de l'homme n'avait rien d'attrayant, il adressa
une grimace de dégoût à son compagnon en concluant d'une
65 voix méprisante: <<Un vieux, moche.>> Constatant également
que l'homme à terre était seul, ils repartirent, rejoignant le gros
de la troupe des étoilés de rouge qui préférèrent contourner
le bois plutôt que de s'y engager.

1. Fief: domaine.
Le lendemain matin, après une nuit d 'angoisse, pauvre
10 bûcheronne découvrit le corps gisant1 de l'homme à la tête
cassée et au cœur compatissant2 • Elle pleura beaucoup, ce
qui fit pleurer sa petite marchandi se. Et même la chèvre aux
yeux tendres pleurait. Renonçant à l'ensevelir, elle recouvrit
sa dépouille de branchages fleuris , puis pauvre bûcheronne
1s improvisa une prière sou s forme d'un remerciement et d'un
souhait: qu 'enfin cet homme si bon trouve la paix et le bonheur

1. Gisant: étendu sur le sol.


2. Compatissant: qui partage les souffrances d'autrui.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

qui lui furent refusés sur cette terre, qu' il les trouve là où les
dieux l'accueilleront. Elle eut une pensée pour les dieux du
train mais ne la formula pas, elle n'avait plus confiance en eux.
80 Elle savait que si l'enfant, son enfant avait survécu, ce
n'était pas grâce à eux, c'était grâce à la main la lâchant du
train sur la neige, grâce à la bonté de l'homme au fusil et à
sa chèvre. << Bénissez-les>>, conclut-elle.
Elle ramassa les quelques hardes1 , enveloppa les fromages
85 fraîchement fabriqués et les ustensiles pour les faire dans le
châle de prière, puis, sa fillette à la main, sa chèvre tenue en
laisse, chargée comme un baudet2 , elle se mit en marche. Ne
sachant où aller, elle se mit à marcher droit devant elle, vers
l'est, là où, dit-on, le soleil continue de se lever.
90 Sur la route elle croisa des centaines de tanks et des
camions étoilés de rouge. Elle traversa des villages en ruine,
et, s'arrêtant enfin sur la place de l'un d'entre eux, choisis-
sant une ruine qui lui parut confortable, elle s'y installa. Elle
étala le châle de prière sur un pan 3 de mur encore debout,
95 y disposa ses quelques fromages rescapés et attendit les
chalands 4 , sa fille confortablement installée sur ses genoux,
tandis que la chèvre broutait un reste de talus 5 •

1. Hardes: vêtements misérables.


2. Chargée comme un baudet: excessivement chargée («baudet» signifie
«âne», en langage fami lier).
3. Pan: morceau.
4. Chalands: personnes qui achètent chez un marchand.
S. Talus: terrain en pente.
Chapitre 20

Dans le camp dit de regroupement, se côtoient et


se heurtent les anciennes victimes et leurs anciens bour-
reaux1. Les uns cherchant à << se reconstruire>>, comme on
ne le disait pas encore à l'époque, les autres cherchant à
s se fondre dans la foule des réfugiés . Ne pas rester là, par-
tir, fuir encore, soit, mais où aller? Où aller, se demandait
notre héros, ex-raseur de crâne, ex-étudiant en médecine,
ex-père de famille, ex-vivant devenu ombre. Retourner dans
le pays d'où il était venu en train après avoir été raflé2 par
10 la police de ce pays? Partir vers où? Le nord, l'est, l'ouest?
Et une fois là, reprendre ses études de médecine? Ouvrir
un salon de coiffure afin d'imposer au monde les cheveux
coupés court, très court, la mode des crânes nus? Non
non, de toute manière il ne pouvait quitter la région sans
1s savoir, savoir si sa fille, sa petite fille si fragile, sa petite ...
quel prénom portait-elle? Quel prénom lui avait-il donné?
Comment s'appelait-elle? Il ne savait plus, il ne se souvenait
plus du prénom de sa propre fille.

1. Bourreaux: personnes qui exercent des vio lences physiques sur d'autres.
2. Raflé: enlevé au cours d'une arrestation massive exécutée par la po lice.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

Le jour même il quitta le camp , pécule1 en poche, fourni


20 par la direction afin de permettre à ceux qui souhaitaient
partir de partir, et ainsi de débarrasser le plancher en libé-
rant la paillasse qu'ils occupaient2 • Il marche, il marche
et marche encore à la recherche de la voie ferrée, du bois,
des virages , de la vieille agenouillée dans la neige. Il trouve
25 enfin une voie de chemin de fer abandonnée, la végétation
l'envahit déjà.
Il suit cette voie ferrée. Il trouve un bois qu'il traverse,
puis un autre, qu'il traverse encore, puis un autre encore.
Il n'y avait plus de neige, rien ne ressemblait à rien, sinon
30 les vieilles croisées qui ne répondaient jamais à son salut.
C'était comme chercher une aiguille dans une botte de foin .
Il abandonna la voie ferrée, déjà elle-même abandonnée par
ses train s, et i I se mit à marcher à travers les vil les et les
villages . Partout la fête battait son plein . La guerre était finie
35 pour tout le monde, sauf pour lui et les siens.
Les chants , les drapeaux, les discours, les pétards même,
toute cette folie, toute cette joie lui rappelaient qu'il était
seul, qu'il serait seul à jamais, seul à respecter le deuil , à
porter le deuil de l'humanité, le deuil de tous les massacrés,
40 le deuil de son épouse, de ses enfants, de ses parents à lui ,

1. Pécule: petite somme d'argent.


2. J eu de mots avec l'expression« débarrasser le plancher», qui signifie partir
au plus vite, et les« paillasses», lits misérables constitués de sacs de toi le
bourrés de paill e et posés à même le sol.
CHAPITRE 20

de ses parents à el le. 11 traversait les vi lies et les villages, tel


un spectre, témoin des libations, de la liesse1 , des saluts,
des serments: plus jamais ça, plus jamais.
Il ne savait pas ce qu'il cherchait au juste. Il marchait.
45 Sa tête lui tournait et il se rappela qu'il avait faim. Il avait
faim malgré tout. Sur une petite table il vit des fromages,
des tout petits fromages, il eut soudain envie de fromage.
Ces fromages minuscules s'étalaient sur une nappe bizarre
qui ne convenait pas aux fromages exposés, une nappe qui
50 semblait tissée de fils d'or et d'argent. Il posa une main
sur la nappe avec quelques pièces de monnaie et soudain,
soudain, il comprit. li leva alors les yeux sur la femme, pas si
vieille, assise derrière la petite table couverte de cette nappe
bizarre. La femme avait une enfant sur ses genoux. Toutes
55 deux lui souriaient et semblaient l'encourager à choisir un
des fromages . La vieille lui parla dans une langue qu'il ne
comprenait pas. Elle lui fit signe de se servir, mais lui n'avait
d'yeux que pour la fillette. Celle-ci lui fit également signe
des yeux et des mains de se servir et lui vanta leur qualité,
60 puis elle lui désigna la chèvre à ses côtés, lui indiquant que
c'était du lait de cette chèvre que les fromages naissaient.
11 ne comprit pas tout mais i I comprit l'essentiel. Sa fil le,
c'était sa fille, sa fille jetée du train, sa fille vouée aux fours,
sa fil le qu' i I avait sauvée.

1. Liesse: grande joie co llective.


LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

65 Un cri, un cri terrible, un cri de joie, de peine, de vic-


toire, un cri se forma dans sa poitrine, mais rien, rien ne
sortit de sa bouche. 11 se saisit d'un fromage, fixant toujours
la fillette, sa fille. Elle vivait, elle vivait, elle était heureuse,
elle souriait. Il esquissa lui-même un sourire, puis, tendit
10 une main tremblante vers la joue de la fillette pour caresser
cette joue tentante. La fillette se saisit alors de sa main et
la porta à ses lèvres avant d'éclater de rire. 11 retira sa main
précipitamment.
Au bord du malaise il se retira, toujours regardant la
75 vieille, la chèvre, et sa petite fille qu'il venait de remettre
au monde. Il fixait de toute l'intensité de ses yeux cette
marchande de fromages et sa propre fille assise sur ses
genoux et s'embrassant. 11 les fixait de tous ses yeux comme
s'il voulait graver dans ses pupilles, dans son cœur, dans
80 son âme, leur image de bonheur partagé. Pourquoi se
faire connaître? Pourquoi rompre l'équilibre? Qu'avait-il à
apporter à sa propre fil le? Rien, moins que rien . 11 fit encore
quelques pas, s'arrêtant encore. Peut-être fallait-il malgré
tout ... peut-être devait-il. .. puis il s'arracha au prix d'un effort
85 surhumain chargé d'une joie et d'une tristesse mêlées. Il
s'éloigna à grands pas.
11 avait vaincu la mort, sauvé sa fi lie par ce geste insensé,
il avait eu raison de la monstrueuse industrie de la mort.
Il eut le courage de jeter un dernier regard sur sa fillette
CHAPITRE 20

90 retrouvée et reperdue à jamais. Elle faisait déjà l'article1 à


un nouveau chaland montrant de ses petites mains la pro-
venance du fromage en désignant du doigt la chèvre chérie
et sa maman adorée.
Allez , il est temps maintenant de quitter notre petite
95 marchandise et de la laisser vivre sa vie. Pardon? Vous vou-
lez savoir ce qu'il advint de son ex-père? On dit, mais on
dit tellement de choses, qu'il retourna dans le pays où la
police l'avait raflé, lui , sa femme et ses deux jeunes enfants
avec des milliers d'autres, femmes , hommes, enfants, on
100 dit donc qu'il y retourna et y finit ses études de médecine,
qu'il devint pédiatre, et qu'il consacra sa vie à soigner et à
aimer les enfants des autres.
La petite marchandise, elle, devint pionnière d'élite2 •
Elle reçut un foulard rouge et une étoile rouge également à
10s épingler sur son corsage blanc. Une photo d'elle parut en
couverture d'un magazine, elle y était rayonnante. Le pho-
tographe lui avait demandé de sourire.
On dit même, mais on dit, je vous l'ai déjà dit, on dit
tellement de choses, que le grand médecin , de passage dans
110 ce pays - comme tous les ans il y venait le jour anniversaire
de la libération du camp qui avait englouti son épouse et
l'un de ses enfants ainsi que ses parents et les parents de

1. Elle faisait déjà l'article: ell e vantait déjà les mérites de ses fromages.
2. Pionnière d'élite: membre des Pionni ers, organisation de jeunesse
communiste, dont elle a le grade le plus élevé.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

son épouse -, on dit donc qu'il vit cette photo, qu'il crut
reconnaître son épouse et sa propre mère, on dit même
11s qu'il écrivit au magazine d'Étatjeunesse et Joie pour entrer
en contact avec la pionnière d'élite, Maria Tchekolova, qu'on
présentait comme la pionnière la plus méritante parce que
fille d'une pauvre femme, une pauvre bûcheronne illettrée
devenue marchande de fromages.
120 Non, on ne sait rien, ou du moins je n'ai rien entendu
dire moi-même, sur le succès ou l'échec de la tentative que
fit l'ex-père des jumeaux. On ne sait donc pas, et on ne saura
jamais, s'il a pu ou non retrouver enfin sa fille.
Épilogue

V oilà, vous savez tout. Pardon? Encore une question?


Vous voulez savoir si c'est une histoire vraie? Une histoire
vraie? Bien sûr que non, pas du tout. Il n'y eut pas de trains
de marchandises traversant les continents en guerre afin de
s livrer d'urgence leurs marchandises, ô combien périssables 1 .
Ni de camp de regroupement, d'internement, de concentra-
tion, ou même d'extermination. Ni de familles dispersées
en fumée au terme de leur dernier voyage. Ni de cheveux
tondus récupérés, emballés puis expédiés. Ni le feu, ni la
10 cendre, ni les larmes. Rien, rien de tout cela n'est arrivé, rien
de tout cela n'est vrai. Pas plus que ne le sont pauvre bûche-
ronne et son pauvre bûcheron, pas plus que les sans-cœur
et les chasseurs de sans-cœur. Rien, rien de tout cela n'est
vrai. Ni la libération des villes et des champs, des bois et
1s des camps, qui n'existaient pas. Ni les années qui suivirent
cette libération. Ni la douleur des pères et mères cherchant
leurs enfants disparus. Ni même les châles de prière frangés
et brodés d'or et d'argent. Ni l'homme à la chèvre et à la
tête cabossée, ni l'homme coiffé - Dieu merci si toutefois

1. Périssables: se dit de marchandises dont la durée de consommation est


limitée, ici cela concerne les déportés qui vont mourir.
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

20 il existe!-, ni l'homme coiffé d'une taupe éventrée et retour-


née en guise de chapeau. Rien, rien de tout cela n'est vrai.
Ni la hache du pauvre bûcheron, la hache qui coupa la taupe
en deux avant d'écrabouiller les deux misérables miliciens
chasseurs de sans-cœur.
25 Rien, rien n'est vrai.

La seule chose vraie, vraiment vraie, ou qui mérite de


l'être dans cette histoire, car il faut bien qu'il y ait quelque
chose de vrai dans une histoire sinon à quoi bon se décar-
casser à la raconter, la seule chose vraie, vraiment vraie
30 donc, c'est qu'une petite fille, qui n'existait pas, fut jetée
de la lucarne d'un train de marchandises, par amour et par
désespoir, fut jetée d'un train, enveloppée d'un châle de
prière frangé et brodé d'or et d'argent, châle de prière qui
n'existait pas, fut jetée dans la neige aux pieds d'une pauvre
35 bûcheronne sans enfant à chérir, et que cette pauvre bûche-
ronne, qui n'existait pas, l'a ramassée, nourrie, chérie, et
aimée plus que tout. Plus que sa vie même. Voilà.

Voilà la seule chose qui mérite d'exister dans les histoires


comme dans la vie vraie. L'amour, l'amour offert aux enfants,
40 aux siens comme à ceux des autres. L'amour qui fait que,
malgré tout ce qui existe, et tout ce qui n'existe pas, l'amour
qui fait que la vie continue.
Appendice 1 pour amateurs
d'histoires vraies

Le convoi numéro 45 partit de Drancy le 11 novembre


1942 avec à son bord sept cent soixante-dix-huit hommes,
femmes et enfants, dont un grand nombre de vieillards
et d'invalides , parmi lesquels figurait l'aveugle Naphtali
s Grumberg, grand-père de l'auteur.
Deux rescapés en 1945.
Le convoi 49 partit le 2 mars 1943 transportant un millier
de juifs dont le père de l'auteur, Zacharie Grumberg, ainsi
que Silvia Men kès, née le 4 mars 1942, gazée le 4 mars 1943,
10 jour anniversaire de sa naissance.
En 1945 six survivants dont deux femmes .
Le Mémorial de la déportation des juifs de France, établi
en 1978 par Serge Klarsfeld d 'après les listes alphabétiques
des Juifs déportés de France, fait office pour nombre
1s d'entre nous, enfants de déportés, de caveau de famille.
Cet ouvrage précise qu'Abraham et Chaja Wiesenfeld, ainsi
que leurs jumelles Fernande et Jeannine, nées à Paris le
9 novembre 1943, quittèrent Drancy le 7 décembre de cette
même année 1943, soit vingt-huit jours après leur naissance.
20 Convoi numéro 64 (voir Klarsfeld , op. cit.).

1. Appendice: partie ajoutée en prolongement d'un texte.



Mon parcours de lecture
Vérifier sa compréhension du texte
Répondez aux questions suivantes.

Où le couple de bûcherons vit-il? Que désire la pauvre


bûcheronne?

Quels personnages rencontre-t-on pour la première fois


dans le train?

Quelle« marchandise» pauvre bûcheronne reçoit-elle?


Comment pauvre bûcheron l'accueille-t-il?

· Vers quelle destination roulent les voyageurs de ce train?

Comment les sentiments de pauvre bûcheron à l'éga rd


de la petite marchandise évoluent-ils?

• Quel personnage vient plusieurs fois en aide à pauvre


bûcheronne? En échange de quoi accepte-t-il de l'aider?

Quels sont les personnages qui survivent à la fin de l'histoire?


Que devient chacun d'e ux dans le dernier chapitre?

0 À qui le narrateur s'adresse-t-il dans l'épilogue?

• Qu'apprend-on dans I' « Appendice pour amateurs


d'histoires vraies»?
Donner ses Impressions de lecture

Que pensez-vous du titre La plus précieuse des marchandises?

&;) À votre avis, pourquoi l'auteur a-t-il sous-titré son œuvre


<< Un conte»?

Selon vous, quels adjectifs qualifient le mieux le récit que vous


venez de lire?
,
Captivant Effrayant Emouvant

Optimiste Révoltant Tragique

· Quel personnage avez-vous préféré? Dressez-en le portrait


et montrez comment ce personnage évolue du début à la fin
du récit.

0 Qu'avez-vous pensé de l'attitude des collègues du bûcheron,


en particulier du distillateur?

• Relevez au moins trois références à la Seconde Guerre mondiale


et expliquez-les. Vous pouvez vous aider des notes de bas
de page dans le texte.

Si vous pouviez écrire une lettre à l'auteur pour lui poser


des questions, lesquelles formuleriez-vous?
Analyser les passages clés
« Il était une fols... » (chapitres l et 2, p. 12-26)
➔ Comment le lecteur dêcouvre-t-11 t'intrigue du récit
derrière l'univers du conte?

~ Quels éléments du chapitre 1 appartiennent à l'univers


traditionnel du conte merveilleux?

Quelle période historique est évoquée dès la première page


du récit? En quoi cela est-il surprenant pour un conte?

'
A quel conte célèbre le narrateur fait-il allusion dans le premier
chapitre? Comment comprenez-vous cette référence à la lecture
du deuxième chapitre?

0 Reliez les événements suivants aux dates et lieux correspondants:


Événements Dates Lieux

Déportation • • Printemps 1942 • • Drancy

Internement en camp de détention • • Noël 1942 • • Paris

Naissance des jumeaux • • Février 1943 • • Train

LANGUE Relisez l'évocation du train vu par pauvre bûcheronne


dans le chapitre 1 (p. 15-16, 1. 57-77). Choisissez ensuite
l'un des parcours suivants, puis répondez aux questions.

*------------
Pauvre bûcheronne imagine que le train transporte des marchandises.
Faites-en la liste.

Relevez les énumérations dans l'évocation du train. Que révèlent-elles


des espoirs de pauvre bûcheronne?
***-------------
En vous appuyant sur la description du train et les figures de style
récurrentes, montrez comment le train excite l'imagination
de pauvre bûcheronne.

• Le train est-il perçu de la même manière par les passagers


qui s'y trouvent? Complétez le tableau suivant à l'aide
du chapitre 2.

Point de vue Point de vue


de pau vre bûcheronne du père des jumeau x

'
A plusieurs reprises,
Repère Iitté raire
le narrateur manifeste
Le point de vue du narrateur peut être :
sa présence et - externe (il raconte l'histoire comme
commente son texte. un simple témoin);
Relisez le début - interne à la première personne (c'est
du chapitre 1 (p. 13, un personnage de l'histoire) ou à la troisième
personne (il entre momentanément dans
1. 3-7). Quels procédés
les pensées d'un personnage);
emploie-t-il? Quel est - omniscient (il sait tout des personnages,
l'effet produit sur de leurs pensées).
le lecteur?

a. A' la fin du chapitre 2, quel geste le père des jumeaux


s'apprête-i I à effectuer et pourquoi?
Comment les interventions de l'homme asthmatique
renforcent-elles la tension dramatique du récit?
b. Comment le lecteur comprend-il alors que le destin
des personnages principaux est lié?
ExtftMJt 2 « Les sans-cœur ont un cœur. »
(chapitres 9 à 11, p. 53-62)

➔ Comment ,, la petite marchandise>>


remet-elle en cause les convictions du bûcheron?
Dans le chapitre 9, relevez les termes et expressions
qui appartiennent au champ lexical de la colère. Selon vous,
pourquoi le bûcheron rejette-t-il la petite marchandise?

a. LANGUE Indiquez le niveau de langue et les types de phrases


employés dans les propos du bûcheron et de ses collègues
à l'encontre des « sans-cœur » (p. 60-62).
b. Quel sentiment ces procédés traduisent-ils?

a. Relevez dans les chapitres 9 à 11 les expressions


qui caractérisent la petite fille, puis classez-les
dans le tableau suivant.

Chapitre 9 Chapitre 10 Chapitre 11

b. Surlignez de deux couleurs différentes les expressions


péjoratives et mélioratives. Que remarquez-vous?

, a. Quelle onomatopée
Coup de pouce Une onomatopée
est répétée dans le
est un mot qui im ite le son de la chose
chapitre 11? que l'on sou haite nommer.
b. Selon vous, quel est Exemples: « boum » la chute ;
l'effet produit par cette « cui-cui » l'oiseau.

répétition?

Observez le dernier paragraphe du chapitre 11: quelle menace


implicite contient-il?
ExtrQi;t 3 • Vous voulez savoir si c'est
une histoire vraie?» (chapitre 20, épilogue et appendice, p. 83-91)
➔ Quelles leçons peut-on tirer du conte?
a. Observez le premier paragraphe de l'épilogue (p. 89).
Qui est désigné par la périphrase« leurs marchandises,
ô combien périssables» (1. 5)? Vous pouvez vous aider des notes
de bas de page.
b. Relevez dans le passage Coup de pouce La périphrase
une autre expression est une figure de style qui consiste
construite sur ce même à remplacer un mot par sa définition.
procédé. Selon vous, quel est Exemple: « la capitale de la France »
l'effet recherché par l'auteur? pour« Paris».

a. Reportez dans le tableau suivant les faits et personnages


énumérés dans l'épilogue qui appartiennent au récit et ceux
qui appartiennent à !'Histoire.

Les éléments du récit Les références à !'Histoire

b. À votre avis, l'auteur pense-t-il réellement


que « Rien, rien n'est vrai » ?
Quel registre emploie-t-il ici et que dénonce-t-il
implicitement?

Parmi les déportés évoqués dans I'« Appendice pour amateurs


d'histoires vraies», quels sont ceux qui se rapprochent des
personnages de l'histoire?

D'après le narrateur, à la fin de ce conte, quelle est« la seule chose


qui mérite d'exister dans les histoires comme dans la vie vraie»?
Comprendre les enjeux du texte
Des personnages aux destins croisés
a. Deux couples sont évoqués dans le conte, lesquels?
À la fin du conte, quels personnages ont survécu?
b. Quels sont les deux moments du conte où ces personnages
se croisent «physiquement»?

a. Quel personnage solitaire joue aussi un rôle important?


Entourez les périphrases employées par le narrateur pour
le désigner.

Le distillateur L'homme à la chèvre L'homme à la tête cassée

L'homme au fusi l Pauvre bûcheron

b. Comment le point de vue de pauvre bûcheronne sur


ce personnage évolue-t-il?
p
c . .1 Et vous, que pensez-vous de ce personnage?

a. Quel personnage fait le lien entre ceux évoqués aux


questions 1 et 2?
b. En vous appuyant sur les expressions qui le désignent
à différentes étapes de l'histoire, montrez comment
ce personnage passe de« petit paquet» à « petite marchandise»,
pour devenir enfin « la plus précieuse des marchandises».
« La plus précieuse
« Petit paquet» « Petite marchandise»
des marchandises»
Dire l'lndlclble

Que désignent les expressions « la bureaucratie de la mort» et


« la monstrueuse industrie de la mort»? Selon vous, pourquoi
l'auteur emploie-t-il ces périphrases?

Relevez dans le texte des exemples de jeux de mots et


d'ex pressions détournées. Expliquez l'effet comique produit.

• Les interventions du narrateur sont souvent ironiques. Relevez


trois exemples et expliquez-les.

Relisez les chapitres 2, 5 et 12: qu'y apprend-on sur le sort


réservé aux déportés?

Un conte pour réfléchir


&-.)À plusieurs reprises, l'homme à la tête cassée rappelle que
« Rien dans la vie ne se donne sans contrepartie». Dans quelle
mesure cette phrase pourrait-elle constituer une morale
du conte? Débattez-en en classe.

• Quel espoir le père des jumeaux nourrit-il? Est-il récompensé?

Selon vous, en adoptant la forme du conte et en recourant


à l'humour, que vise ce récit?
S'exprimer à l'oral et à l'écrit
Vocabulaire
Coup de pouce Le zeugma consiste
Ide ntifiez les fi gures de st y les à coordonner dans un groupe verbal
présentes dans les phrases deux éléments différents sur le plan
de la syntaxe et du sens. En grec,
suiva ntes. Ai dez-vo us
zeûgma signifie «attelage».
d'un dictionnaire si nécessa ire.

« Seule leur mère, débordante de lait


et d'espoir, sut les ca lmer.» (p. 20) •
• Anaphore
« Ils cessèrent bientôt de hurler en chœur et enfin,
confiants, continuèrent à téter en rêve.» (p. 20) •
• Énumérati on
« La honte, la honte partagée, la honte vou lue,
prévue par ceux qui les expédiaient •
on ne sait où.» (p. 23) • Euphém isme

« Les réduire à rien d'abord,


puis à moins que rien, ne rien laisser • • Gradati on
d'humain en eux, soit.» (p. 23)

« Le train de marchandises, désigné comme • Mét aphore


convoi 49 par la bureaucratie de la mort» (p. 40) •
«Le train [ ... ] arriva le 5 mars au matin • Para llélisme
au cœur de l'enfer, son terminus.» (p. 40) •
• Pér iphrase
«[Diane et Henri] s'affranchirent de toute pesanteur
en gagnant les limbes du paradis •
promis aux innocents.» (p. 41)
• Zeugma
« Notre héros, ex-raseur de crâne,
ex-étudiant en médecine, ex-père de fami lle, •
ex-vivant devenu ombre.» (p. 83)
Quell es ex press ions ou jeux de mot s se cac hent dans les phrases
sui va ntes? Expli quez leur se ns.

a.« Fallait-il les laisser naître ainsi sous une bonne étoile jaune?» (p. 19, 1. 14-15)

b. «Coiffeur? Va pour coiffeur. Il était inutile de couper les cheveux en quatre»


(p. 19, 1. 24-25)

c. « Fort heureusement éga lement, pauvre bûcheron, épuisé comme il l'était,


ne tardait guère à dodeliner du bonnet avant de s'effondrer tête sur la
table, et de s'endormir ainsi du sommei l des injustes.» (p. 52, 1. 25-33)

d. « 11crachait ainsi sa bile la plus noire tout en éprouvant lui-même un trouble.»


(p. 54, 1. 37)

e. « Pauvre bûcheron se levait avant l'aube afin de donner tout son temps
et toutes ses forces de travai l à la construction de bâtiments militaires
d'intérêt général et même capora l. » (p. 14, 1. 37-39)

Activités orales a?
' '
A l'origin e, les contes étai ent transmi s oralement. A votre t our,
faites une lect ure ex press ive d'un chapitre du réc it.

• Sélectionnez un passage du conte qui vo us plaît (environ deux pages).


• Entraînez-vo us à le lire plu sieurs fois à voix ha ute. So ignez votre
débit et vei llez à parler distinctement. Pensez à varier le ton , pour
rendre votre récit dynamiq ue et captivant.
• Po ur vo us co rriger et améliorer votre lecture, enregistrez-vo us sur
un dictaphone ou un logiciel comme Audacity®.
• Lisez votre texte devant vos camarades.
Transposez le chapitre 4 en scène de théâtre que vous jouerez
devant vos camarades.

• Par gro upes de deux élèves , répartissez-vous les rôles de pauvre


bûcheron et pauvre bûcheron ne.
• Identifiez les répliques des personnages et les passages narratifs.
Vo us transformerez ceux-ci en didascalies (indications de mise
en scène).
• Apprenez vos répliques par cœur, en vei ll ant à ce que votre ton
et vos gestes correspondent au sens
du texte et à l'intention des personnages. Méthode Pour apprendre
votre texte, surlignez vos
• Jo uez la scène devant la classe. répliques et lisez-les d'abord
plusieurs fois à haute voix.

Imaginez le discours que le père des jumeaux aurait pu faire


en retrouvant sa fille à la fin du conte.

• Au brouillon, li stez les arguments qu'i l lui donnerait pour justifier


le fait de l'avoir abandonnée.
• Classez ces argum ents du moins fort au plus fort.
• Réfléchissez aux émotions du personnage à ce moment précis.
• Prononcez ce discours
devant la classe, Coup de pouce Aidez-vous
de votre connaissance de l'œuvre
en employant un ton adapté.
et des passages où le père des jumeaux
repense à son geste pour dresser
la liste de vos arguments.
Activités écrites _ I
• Imaginez le contenu d'un des papiers jetés du train et ramassés
par pauvre bûcheronne.

• Votre texte devra faire 5 à l O lignes.


• Aidez-vo us du contexte du récit et de vos connaissances en histoire
pour écrire le message.

Après que son mari a jeté la petite fille à travers la lucarne


du train, la mère des jumeaux refuse de lui adresser la parole.
Imaginez sa réaction si elle acceptait de lui parler. Rédigez
pour cela un dialogue entre les deux personnages.

• Préparez le contenu des prises de parole de chaque personnage


en imaginant les reproches de la mère et la justification du père.
• Veillez à respecter la présentation du dialogue (gui ll emets, t irets)
et à varier les verbes de paroles : dire, répondre, affirmer, poursuivre ...
• Rédigez un texte d'une trentaine de li gnes.

À votre tour, écrivez un conte pour évoquer votre enfance.

• À la manière de Jean-Claude Grumberg, imaginez un récit


et des personnages qui vous permettront d'aborder votre histoire
personnelle par la mise à distance et le détour.
• Vous vei llerez à respecter les procédés d'écriture propres
au conte (form ule traditionnell e, personnages types, temps du récit
au passé ... ).
Histoire des arts
Lecture d'images G)
Observez attentivement les images pages 26, 32 et 56
et répondez aux questions suivantes.

Une famille en construction


0 Observez les images proposées et décrivez-les: nature
de l'image, composition, couleurs.
G Dans les deux photographies de mise en scène (p. 26 et 32),
identifiez les personnages. Comment les avez-vous reconnus?
0 À quels passages du conte chacune de ces images pourrait-elle
correspondre?
0 Comment les images des pages 32 et 56 montrent-elles une
évolution dans la relation que pauvre bûcheron entretient avec
« la petite marchandise»?
'
I
Réalisez une bande-annonce
~ Vous êtes réalisateur(trice) et devez, par groupes de six à
huit élèves, imaginer la bande-annonce d'une adaptation du conte.
Réalisez d'abord un storyboard: déterminez trois moments
clés du conte, puis découpez-les en plans. Illustrez-les ensuite par
des images, accompagnées de courts textes.
Distribuez les différents rôles techniques (cadreur,
technicien du son ... ) et artistiques (acteurs, maqui !leur... ).
Donnez des indications de jeu à vos acteurs et répétez
les différentes scènes. Lorsque tout le monde est prêt ... action!
'
A l'aide d'un logiciel de montage (Movie Maker®, Final
Cut®... ) ou de votre smartphone, enchaînez les plans. Insérez
enfin des éléments textuels (date de sortie, nom des acteurs ... ).
Atelier cinéma e
Le Dictateur
de Charlie Chaplin

Année de sortie: 1940


Images: noir et blanc
Genre: comédie satirique
Principaux interprètes: Charlie Chaplin,
Paulette Goddard, Jack Oakie

Le réalisateur
Charlie Chaplin, né en 1889, est un acteur, réalisateur, producteur
et compositeur britannique. Devenu célèbre grâce au cinéma
muet et burlesque, il signe en 1940 son premier film parlant avec
Le Dictateur, dans lequel il parodie Hitler et dénonce les mesures
antisémites durant la Seconde Guerre mondiale.

Le fllm
En Tomania, un jeune barbier juif regagne son salon
dans un ghetto après des années d'absence. Amnésique,
il ignore les discriminations anti-juives instaurées
par Adenoid Hynkel, le dictateur, auquel notre barbier
ressemble étrangement ...

0 Comment le spectateur comprend-il que le barbier retrouve


son salon après plusieurs années?

0 Que signifient les inscriptions en lettres blanches sur les vitrines


des magasins? Par qui sont-elles inscrites et pourquoi?

0 En quoi cette scène est-elle comique? Selon vous, pourquoi


le réalisateur choisit-il l'humour pour évoquer la discrimination
des Juifs?
••
Les personnages
Des personnages
aux destins croisés

ROSE, LA PETITE MARCHANDISE


Rose (Rouhrele en yiddish) es t née au print em ps 1942
avec son frère jumeau, Henri (Hershel en y iddish). Avec
leurs paren t s, ils son t int ernés au camp de Drancy pu is
déport és, en févr ier 194 3, vers un camp d'extermination
nazi. Sauvée par un gest e d'amour désespéré de son père,
qu i la j ette hors d u t ra in, elle es t recueillie par pauvre
bûcheronne et pauvre bûcheron. Grâce à eux, elle survit
à la Shoah . Rebaptisée Maria Tchekolova, elle deviendra
mem br e d'une o rgan isati on de j eunesse commun ist e.

'
LE PERE
Au début du réc it, le père des j umeaux est étudiant en méde-
cine. Raflé avec sa fem me et ses enfant s, il est interné dans
le camp de Drancy. Dans le t ra in qu i les condu it ensu ite vers
les camps de la mort, il se saisit d'un des jumeaux qu'il jette
du train, enve loppé d'un châle de prière, pour le confier à pauvre
bûcheronne. À l'arr ivée au camp d'ext ermination , sa femme,
Dinah, et son fils, Henri, sont tués ; lui est ass igné à la tonte
des déportés. Survivant à la libérati on des camps, il ret rouve
par hasard sa f ille, à la f in du con t e; il la reconnaît immédiat e-
ment , mais déc ide de ne pas lui dévoiler son identité.
PAUVRE BÛCHERONNE
Pauvre bûcheronne vit dans
la forêt avec son mari, sans PAUVRE BÛCHERON
enfant. Elle arpente les bois
à la recherche de fagots Le mari de pauvre bûcheronne a
pour chauffer leur misérable été réquisitionné pour des travaux
maison. Elle est fascinée d'intérêt général. Rustre et peu
par le train de marchandises bavard, il déteste les « sans-
qui passe tous les jours et cœur », autrement dit les Juifs.
espère en voir tomber quelque C'est I a rai son pour I aq uel le
nourriture. Un jour, une main il refuse que sa femme garde
lui fait signe de prendre un la petite fille tombée du train.
paquet qui exauce autre- Il accepte toutefois qu'elle
ment ses prières: il s'agit la nourrisse à l'écart du logis, puis
d'un enfant! La pauvre femme, finit peu à peu par l'aimer comme
qui désespérait d'en avoir un, un véritable père. Cet amour le
supplie son mari de garder et pousse même à se révolter contre
d'élever ce qu'elle considère l'antisémitisme de ses collègues
comme un don des dieux. et, ainsi, à attirer l'attention de
la milice sur l'enfant cachée ...

LHOMME ÀLA CHÈVRE ET ÀLA TÊTE CASSÉE


Cet ancien soldat, mutilé pendant la Première Guerre
mondiale, vit au fond des bois, refusant toute compagnie
humaine. Pauvre bûcheronne obtient qu' il lui donne du
lait de sa chèvre pour nourrir la petite fille, en échange
de fagots de bois. À la mort de pauvre bûcheron, l'homme
à la chèvre recueille pauvre bûcheronne et sa fille. Il est
abattu par l'armée soviétique qui libère les territoires
occupés par l'Allemagne nazie.
Les lieux
Les lieux du récit

LE BOIS
L'action du conte se situe dans un grand
bois, dont la situation géographique n'est
pas clairement précisée. C'est un lieu froid
et hostile, et peu de gens y vivent: un couple
de bûcherons et, dans un lieu plus sombre et
reculé, un homme et sa chèvre.

LA MAISON DES BÛCHERONS


Pauvre bûcheron et pauvre bûcheronne
vivent dans une maison misérable située
dans le bois. La petite marchandise est
d'abord recueillie dans la remise. Mais,
l'affection de pauvre bûcheron pour la
petite fil le grandissant, celle-ci finit par
rejoindre le foyer, jusqu'à ce que la milice
vienne la chercher.

LE TRAIN
Le bois est traversé par une ligne de chemin de fer
sur laquelle circule des trains de marchandises,
qui ne sont autres que des convois nazis en route
pour les camps de la mort. Les personnes sont
transportées dans des wagons à bestiaux, dans
des conditions plus que sommaires.
l LE TRAJET DU TRAIN

URSS

Espagne -c- ._,


---- Frontières avant la guerre • Troisième Reich Pays cités dans le récit
.••••• Trajet du train

LES CAMPS
Le train circule d'ouest en est (de la France à la
Pologne) dans l' Europe occupée par l'Allemagne
nazie durant la Seconde Guerre mondia le. En février
1943, le train qui emporte la petite marchandise,
son frère jumeau et ses parents part de la gare de
Bobigny, près du camp d'internement de Drancy,
en région parisienne, où ils se trouva ient depuis
plusieurs mois. Après un voyage de trois jours dans
des conditions inhumaines, ils parviennent «au cœur
de l'enfer, son terminus»: le camp d'extermination
d'Auschwitz, en Pologne. Le nom du camp n'est
jamais cité, mais le narrateur évoque la Po logne,
et l'on sait que les convois au départ de Drancy
avaient pour destina t ion prioritaire Auschwitz.
Le père des jumeaux survit jusqu'à la libérat ion du
camp par l'armée soviétique en janvier 1945. Il est
ensuite conduit jusqu'à un camp de regroupement,
où les rescapés étaient recueillis.
L'intrigue
Il était une fois ... une précieuse
petite marchandise
Pauvre bûcheronne vit seule dans les bois avec pauvre bûcheron.
Affamée, elle rêve que le train qu'elle voit tous les jours passer lui apporte
de quoi survivre. Un jour, une main fait passer un paquet par la lucarne:
c'est une petite fille que son père, un déporté juif, tente de sauver.

.-,-

La pauvre femme supplie son mari d'adopter l'enfant. Il refuse d'abord mais,
peu à peu, finit par l'aimer et par la considérer comme sa propre fille. De son
côté, le père de la petite fille, à son arrivée au camp d'extermination, a perdu
sa femme et son fils, et a été affecté à la tonte des déportés.
Un jour, pauvre bûcheron s'insurge devant
l'antisémitisme de ses collègues, ce qui éveille
les soupçons d'un homme qui le dénonce
à la milice. Pauvre bûcheron est tué. Pauvre
bûcheronne et l'enfant se réfugient chez "l
l'homme à la tête cassée, dont la chèvre avait
autrefois nourri la petite marchandise.

À la fin de la guerre, l'homme à la tête cassée est tué et pauvre bûcheronne


et sa fille tentent de survivre en vendant du fromage dans un village.
Le père, rescapé du camp, y rencontre par hasard sa fille et découvre qu'elle
a survécu grâce à son geste. Il décide de la laisser avec sa mère adoptive.

I
Quel moment de l'histoire vous a particulièrement marqué(e)
ou ému(e)? Expliquez pourquoi.
Bi Ian
Un conte pour se souvenir

O L'univers du conte traditionnel


a. Un genre revendiqué b. Un cadre spatlo·
Dès le prem ier chapitre, temporel Indéterminé
le narrateur fa it référence à L'action du conte est située
un conte patrimonial(« Il « dans un pays lointain»
était une fois») dans lequel et « dans un bois», dont
des parents pauvres doivent certains recoins sont sombres
abandonner leurs enfants et inquiétants, comme dans
faute de pouvoir les nourrir: de nombreux contes
Le Petit Poucet. traditionne ls.

c. Les références d. Des personnages


au merveilleux stéréotypés
Pauvre bûcheronne voit dans Comme dans la plupart
le châle qui entoure des contes, les personnages ne
la petite marchandise portent pas de noms mais sont
un objet magique tissé par désignés par leur métier (pauvre
les fées, de même qu'elle bûcheron, le distillateur... ) ou une
considère cette enfant de leurs particularités (l'homme I
comme un don des dieux à la chèvre et à la tête cassée)~
du train. L'homme à la tête
cassée est, lui, présenté
e. Les marques de l'orallté
comme un personnage
Les contes sont des récits
maléfique, comparé à
qui ont d'abord été transmis
un ogre effrayant.
oralement: le narrateur reprend
cette tradition en employant des
onomatopées et des tournures
familières propres au langage
oral («oui oui oui», p.13; «gloup
gloup gloup », p. 60... ).

➔ Activité 1, p. 118
de la Shoah

O Un ancrage historique
a. Des dates et des lieux précis b. L'évocation de la
Des dates (Noël 1942, 2 mars 1943, Seconde Guerre mondiale
5 mars au matin ... ) et des lieux La guerre est explicitement
(Drancy, Bobigny-Gare ... ) sont mentionnée, de même que
évoqués, ce qui ancre le conte, certains de ses acteurs:
au cadre spatio-temporel les «verts-de-gris» (les
indéterminé, dans une période Allemands), les« rouges»
historique précise. (les Soviétiques) ...

c. Les références à la Shoah


Pogroms, mesures et insu ltes antisémites, délation, déportation
et extermination des Juifs sont mentionnés tout au long du texte.
➔ Activité 2, p. 119

O Un conte satirique et philosophique


( a. Les procédés de la satire ~ Les leçons du récit
Le narrateur intervient L'épi logue rappelle
directement dans son texte pour aux lecteurs leur devoir
le commenter. Il emploie des de mémoire. Il les invite à
procédés satiriques: incises, jeux la tolérance et condamne
de mots, périphrases I ~!~tisémitisme et
euphémismes. ______, ~ négationnisme.

( c. Un chant d'amour et d'espoir


Le récit veut faire vivre à jamais« la petite graine» de l'espoir et
faire l'éloge de l'amour: celui de parents prêts à tout pour que vive
leur enfant, celui d'un homme en marge qui ouvre sa maison à
des inconnues dans le besoin.
➔ Activité 3, p. 119
Bi Ian

Le conte présente deux histoires : cell e du coup le de


bûcherons et celle de la famille des jumeaux. Replacez
les événements suivants sur les axes chronologiques.

La famille de.s jumeaux


a. Il prend un des enfants et le fait passer par la lucarne du train.
b. Déporté avec sa femme et ses jumeaux, il quitte le camp
de Drancy dans un wagon à bestiaux.
c. Libéré, il retrouve sa fil le, ma is ne révèle pas son identité.
d. Parvenus au camp d'extermination, sa femme et son fils sont
tués. Lui survit jusqu'à la libération du camp.

1 3

•••••••••
)
Pauvre bûcheron ne et pauvre bûcheron
a. L' homme à la chèvre recue ille pauvre bûcheronne et sa fille
chez lui, mais il est tué.
b. Pauvre bûcheronne implore les dieux de lui donner un enfant.
c. Pauvre bûcheronne négocie avec l'homme à la chèvre le lait de
son an imal contre des fagots de bois.
d. Pauvre bûcheron rejette d'abord l'enfant.
e. La milice vient chercher la petite fille et tue pauvre bûcheron .
f. Pauvre bûcheronne et sa fille vont vendre des fromages au village.
1 3 5
2 4 6

)
1 . e . a • ::> • p . q - ::> • p . e . q : sasuod5' è:I
'
A l'aide des indications suivantes, décodez les périphrases
employées dans le texte pour désigner les nazis.
1A - 2 E - 31 - 4 0 - 5U

L2S B45RR 21UX D2V4 R25RS D'2T 43L2S L2S T2T2S D2 M4 RT

L2S V2RTS-D2-GR3S L2S CH1 SS25RS D2 S1NS-C42R

Pauvre bûcheronne ramasse des papiers jetés du train,


qu'elle ne sait pas lire. Aidez-la à reconstituer le message
suivant en trouvant les lettres manquantes.
,,.

Les s s- cœ r o ~ u.~ c u. .

·Jnao:i un 1uo Jnao:i-sues sa7 T


- Jnao:i-sues ap sJnasselp sa7 • spf>.ap-spaA sa7 • p ow ap sa1~1 sa7 • sal!OJ 9,p sJnaJ oA9p xneaJJn oq sa7 · 2 : sasuod 9 è!

Éva Iuez-vous ! Comptez 1 point par bonne réponse


et gravissez les marches du podium.
Jusqu'où irez-vous?

-
Dénoncer les horreurs de l'Histoire
Une nouvelle our s'insurger contre le totalitarisme
Eugène Ionesco, <<Rhinocéros ►►
Eugène Ionesco (1909-1994) écrit cette nouvelle, également adap-
tée en pièce de théâtre, après la Seconde Guerre mondiale, dans un
contexte encore marqué par les dictatures. Dans ce récit, une épidémie
de << rhinocérite >> se répand dans la ville où se passe l'action: les habi-
tants se transforment un à un en rhinocéros... Implicitement, c'est le
totalitarisme, contagieux, inhumain et dur comme la peau d'un rhino-
céros, qui est dénoncé. Dans cet extrait, le narrateur rend visite à son
ami Jean, qu'il trouve malade.
Avant de lâcher son poignet, je m'aperçus que ses veines étaient
toutes gonflées, saillantes. Observant de plus près, je remarquai
que non seulement les veines étaient grossies mais que la peau tout
s autour changeait de couleur à vue d'œil et durcissait.
«C'est peut-être plus grave que je ne croyais», pensais-je.
- Il faut appeler le médecin, fis-je à voix haute.
- Je me sentais mal à l'aise dans mes vêtements, maintenant
mon pyjama aussi me gêne, dit-il d'une voix rauque1.
10 - Qu'est-ce qu'elle a, votre peau? On dirait du cuir. .. (Puis le
regardant fixement:) Savez-vous ce qui est arrivé à Bœuf? 11 est
devenu rhinocéros.
- Et alors? Ce n'est pas si mal que cela! Après tout, les rhinocéros
sont des créatures comme nous, qui ont droit à la vie au même titre
1s que nous ...
- A condition qu'elles ne détruisent pas la nôtre. Vous rendez-
vous compte de la différence de mentalité?
- Pensez-vous que la nôtre soit préférable?
- Tout de même, nous avons notre morale à nous que je juge
20 incompatible avec celle des animaux. Nous avons une philosophie,
un système de valeurs irremplaçables...

1. Rauque : enrouée.
1
- L'humanisme est périmé! Vous êtes un vieux sentimental
ridicule. Vous me racontez des bêtises.
- Je suis étonné de vous entendre dire cela, mon cher Jean!
Perdez-vous la tête?
25 Il semblait vraiment la perdre. Une fureur aveugle avait défiguré
son visage, transformé sa voix à tel point que je comprenais à peine
les mots qui sortaient de sa bouche.
- De telles affirmations venant de votre part ... , voulus-je continuer.
Il ne m'en laissa pas le loisir. Il rejeta ses couvertures, arracha
30 son pyjama, se jeta sur son lit, entièrement nu (lui, lui, si pudique 2
d'habitude!), vert de colère des pieds à la tête.
La bosse de son front s'était allongée; son regard était fixe, il ne
semblait plus me voir. Ou plutôt si, il me voyait très bien car il fonça
vers moi, tête baissée. j'eus à peine le temps de faire un saut de côté,
35 autrement il m'aurait cloué au mur.
- Vous êtes rhinocéros! criai-je.
- Je te piétinerai! Je te piétinerai! pus-je encore comprendre en
me précipitant vers la porte.
Eugène Ionesco, « Rhinocéros» [1957], dans 3 nouvelles engagées,
Belin Éducation, « Déclic», 2020, © Éditions Gallimard.

Une ~ièce de théâtre contre lantisémitisme


Jean-Claude Grumberg, Le Petit Chaperon Uf
Dans cette pièce de théâtre, Jean-Claude Grumberg (né en 1939)
détourne le conte du Petit Chaperon rouge pour évoquer la discrimi-
nation envers les Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Le caporal
Wolf, un soldat allemand déguisé en loup, interpelle la petite fille pour
un contrôle d'identité. Elle sera plus tard nommée<< UF»·, nom étrange
auquel deux lettres manquent pour former le mot «Juif>>.

1. Humanisme: philosophie qui place l'homme et son épanouissement


au-dessus de toutes les autres valeurs.
2. Pudique: qui ne veut pas se montrer dévêtu en public.
Scène 1
A l'orée d'un bois, non loin d'un village.
Un loup déguisé en garde municipal s'adresse au public.
LE LOUP. - Bonjour, bonsoir petits enfants, ici votre vieil oncle Wolf
qui raconte histoire bon vieux temps, histoire Petit Chaperon reron ...
Chaperereuuaaaaah ! Histoire Petit Capuchon. Vous connaître? Ça fait
rien, Wolf raconte quand même. Silence fixe repos! Wolf commence. Il
5 y avait une fois non pas marchande foi dans ville de Foix il y avait une
fois petite fille village, tiens elle, arrive ...

ParaÎt le Petit Chaperon vêtu de rouge qui s'adresse au public.


PETIT CHAPERON. - Bonjour bonjour je suis une petite fille de village
toujours vêtue de rouge si bien que tout le monde au village m'appelle
le Petit Chaperon ...
10 WOLF (l'interrompant). - Papapapapapapapapapa pardon Petit
Capuchon!
PETIT CHAPERON. - Bonjour monsieur.
WOLF (portant une main à sa visière). - Caporal Wolf.
PETIT CHAPERON. - Enchantée, Chaperon Rouge.
15 WOLF. - Document!
PETIT CHAPERON. - Comment?

WOLF. - Document! Papiers papirs, laissez-passer ausweis permis séjour


carte immatriculation passeport carte grise verte bleue! Exécution!
PETIT CHAPERON. - Pourquoi? je passe ici tous les jours on me
20 demande jamais rien.
WOLF. - Aujourd'hui montre document tonton Wolf.
PETIT CHAPERON. - Pourquoi?
WOLF. - Parce que loi.
PETIT CHAPERON. - Loi?
25 WOLF. - Loi dit montre document, exécution rapide fixe repos!
PETIT CHAPERON. - Et c'est la loi depuis quand?
WOLF. - Ce matin.
PETIT CHAPERON. -Ah bon, tenez.
WOLF. -Aaaaaaaaaaaaaaah ! Qu'est-ce que Wolf voit là?
30 PETIT CHAPERON. - Mon document.
WOLF. - Exact, oui. Et Wolf voit quoi sur document?
PETIT CHAPERON. - Ma photo.
WOLF. - Ouiiiiii, photo jolie, très jolie.
PETIT CHAPERON. - Merci.
35 WOLF. - Pas de quoi, et quoi encore Wolf voit?
PETIT CHAPERON. - Mon nom et mon adresse.
WOLF. - Oui, oui, je note, je note, nom adresse. Petit Chaperon vit
encore chez papa maman?
(Elfe approuve. If griffonne sur son carnet.)
Je note. Et quoi voir Wolf encore sur document à toi?
40 PETIT CHAPERON. - Ma date de naissance.
WOLF. - Exact, exact, absolu exact, date de naissance, je note. Et
dans ce coin-là là-haut que voit Wolf?
PETIT CHAPERON. - Je sais pas.
Jean -Claude Grumberg, Le Petit Chaperon Uf
Actes Sud, 2005.

Une bande dessinée our eindre l'horreur des cam s


Art Spiegelman, Maus
Maus est un roman graphique dans lequel le dessinateur, Art Spiegelman
(né en 1948), raconte la vie de son père Vladek,Juif polonais déporté à
Auschwitz. Il représente de façon détournée les différents acteurs de
/'Histoire, sous les traits d'animaux: les souris sont /esjuifs, victimes des
chats nazis.
JETEZ LE~
MO!ltT, ET
NETTOYEZ \JO',
SAL0~€RIES •,

t,1 LE, Mo~r, AVA1Et-1T ou PA1N IL'/ AVArr LÀ &E'AUCOVP PE 1RA1~s a\11 OtJT ATfEt-101) OE"<, 1EMA1•
Ou OE', lHAU,SURES, ON '1AROAIT.,, NE, ',AN', JAMAI'> o\/vP.112 ET C'~fAIT îO\/T LE t,\ONOE W\O~T OEOA.111~ ...

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.
i Livres : Jean-David
Morvan, Irena
•• •
· Primo Levi, Si c'est un homme ! Glénat, 2017
(1947) PRIMO LEVI L'histoire d'lrena
0

. Flammarion, 1988 Si c CS1 un homme • Sendlerowa,


••
Si c'est un homme • résistante polonaise,

est le témoignage ; qui sauva près de
autobiographique · 2 500 enfants juifs du ghetto
. de Primo Levi (1919- • de Varsovie.
••
1987) survivant du
· camp d'extermination ~ FIims
d'Auschwitz où il fut déporté ..

de février 1944 à janvier 1945. ~ Steven Spielberg,
••• !. La Liste de
· Simone Veil, :! Schindler, 1993
.• Une jeunesse au · Ce film raconte
:• temps de la Shoah • comment Oskar
•• Schindler, un
Le Livre de Poche, 2010 ;
• . industriel allemand, parvint

Ce texte à visée
. à protéger de nombreux Juifs en
• pédagogique contient les faisant travailler dans son usine,
:• des extraits de la •
• et à sauver de la mort près
biographie de Simone Veil, Une vie,
•• : d'un millier de déportés .
dans laquelle elle raconte notamment •

• sa déportation à Auschwitz, à l'âge ï• Alain Resnais,


•• de seize ans. ~ Nuit et Brouillard,
•• ••
~ 1956
•• .
Bandes dessinées •
:•
Ce documentaire
sur la déportation

• Sid Jacobson et Ernie Colon, • et les camps de
. La vie d'Anne Frank en bande •; concentration nazis

: tire son nom du décret
dessinée
: du 7 décembre 1941, qui ordonne
· Belin Éducation, 2021
: la déportation de tous les ennemis
• Cette bande dessinée . du Troisième Reich.
;
: est une adaptation du .
;
journal intime d'une
jeune fille juive allemande
: Site Internet W.

•••
• exilée aux Pays-Bas, . www.memorialdelashoah.org
: cachée durant deux ans (1942-1944) :• Ce site propose de nombreuses
dans une maison à Amsterdam, sous ressources sur la Shoah (documents,
: l'occupation allemande. l témoignages...).
Crédits iconographiques
Couvert ure: © Trevill ion Images/Jake Oison; p. 5: Leemage/UIG ; p. 6: © Serge Kribus; p. 8: © Des
Ronds dans l'O; p. 11: © Trevillion Images/Magdalena Russocka ; p. 12: © Trevi llion Images/Sandra
Cunningham; p. 17 : Photo12/7e Art/Universal Pictures ; p. 21: Bridgeman Images ; p. 26: Antoine
de Saint Phalle; p. 32, 93: Antoine de Saint Pha lle; p. 39: Bridgeman lmages/Bequest from the
Collection of Maurice Wertheim, Class 1906/© Succession Picasso 2021; p. 43: AKG-lmages ; p. 56:
Leemage/Photo Josse; p. 68: AKG-lmages ; p. 73, 109: AKG-lmages; p. 76: Leemage/Alessandro
Lonati; p. 81: Leemage/Photo Josse ; p. 107: Le Dictateur © Roy Export S.A.S; p. 121: © Trevi llion
Images/Magdalena Russocka; p. 126: © Flammarion, 2019 pour la présente édition. Avec l'aimable
autorisatio n de Flammarion. Copyright © MAUS: A Survivor's Tale: My Father Bleeds History
Copyright © 1973, 1980, 1981, 1982, 1983, 1984, 1985, 1986, Art Spiegelman Ali rights reserved/
MAUS Il: A Survivor's Tale: And Here My Troubles Began Copyright © 1986, 1989, 1990, 1991, Art
Spiegelman Ali rights reserved; p. 127hg: © Pocket, un département d'Univers Poche, pour la
présente édition; p. 127mg : © Le Livre de Poche; p. 127bg: © Humensis/Belin Education; p. 127hd:
© Éditions Glénat 2017; p. 127md: Photo12/7e Art/Universal Pictures ; p. 127bd: AKG-lmages/Album/
Argos Film.

Créati on couverture: SAJE.


Maquette intérieure et direction artistique: Studio Graphique Humensis.
Mise en pages: Ariane Aubert.
Illustrations (p. 110-115): Emmanue lle Pioli.
Carte et frise: Coredoc.
Iconographie: Geoffroy Mauzé.
Suivi éditorial: Mi rna Bousser.

© Éditions du Seuil , 2019 pour le texte.


Cet ouvrage a été publié aux Éditions du Seuil, dans la collection
« La Librairie du xx1esiècle» dirigée par Maurice Olender.
© Belin Éducation/Humensis, 2021 pour les notes et le dossier pédagogiq ue.
170 bis, boulevard du Montparnasse, 75680 Paris Cedex 14
LIZZI~ Pages 12-26, 53-62, 83-91: extraits du texte lus par Pie rre Arditi
~ (Enregistrements réalisés par les éditions Lizzie en 2019.)

Toutes les références à des sites Internet présentées dans cet ouvrage ont été vérifiées attentivement à la date
d'impression. Compte tenu de la volatilité des sites et du détournement possible de leur adresse, Belin Éducation ne
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Imprimé par XXXXXXXX
N° d'édition: 03581050-XX/XXXX - Dépôt légal : avril 2021
ISBN 979-10-358-1050-4
La plus précieuse Je,
des marchandises Agir dans la cité:
individu
et pouvoir
Jean-Claude Grumberg
Dossier pédagogique de Virginie Manouguian

<<Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne
et un pauvre bûcheron. Non non non non, rassurez-vous,
ce n'est pas Le Petit Poucet ! Pas du tout. >>
Sous la forme d'un conte, Jean-Claude Grumberg nous parle de
la Seconde Guerre Mondiale à travers le geste d'amour désespéré
d'un père et l'incroyable destin d'un enfant. Un texte bouleversant.

LIRE Le texte enrichi de nombreuses images dans une mise en page vivante et aérée
COMPRENDRE Des questionnaires et des activités ludiques pour s'approprier le texte
RETEN l Un dossier complet et accessible pour retenir l'essentiel
PROLONGER Un groupement de textes et des conseils pour compléter la lecture
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Couverture: Jack Oison, Rails, 2013, photographie.
ISBN 979-10-358-1050-4 o
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