Colloque Avec NS 1976
Colloque Avec NS 1976
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R. I1 y a a cela une raison tres simple. Ce que je poursuis dans mes livres, c'est
une recherche de mouvements interieurs qui existent chez tous, chez les noirs
et chez les blancs et chez les juifs, et partout. Cette ceuvre est poetique dans ce
sens qu'elle cherche a recreer une sensation a un certain niveau de profon-
deur, et a la faire exister par le langage. Toute l'attention du lecteur doit etre
centree sur cette sensation, sans qu'il se preoccupe de savoir si le personnage
qui en est le porteur est un ingenieur, ou un ouvrier, s'il est noir, blanc, etc.
Ces questions, quand j'ecris, ne presentent pour moi aucun interet parce que
je suis persuadee qu'au niveau ou se trouvent les tropismes, tout le monde
sent de la meme fagon. Ces sensations sont identiques, comme le mouvement
du sang dans les veines ou les battements du cceur. C'est cela qui m'interesse,
c'est cela que j'ai toujours voulu montrer, peu importe chez qui...
Q. Vous avez dit que vous choisissez des images tres simples, capables d'etre
transmises directement au lecteur sans qu'il ait a se creuser la tete. Pourtant,
d'un autre cote, ne vous plaignez:vous pas du "lecteur paresseux" et ne
l'obligez-vous justement a se creuser la tete, a accomplir un travail de
collaboration? Qu'attendez-vous au juste du lecteur?
R. Ce n'est pas toujours mon experience a moi. J'ai voulu, tout au long du
livre, montrer des experiences d'ecrivains qui sont differents les uns des
autres. J'ai montre l'experience d'ecrivains qui cherchent a faire le "beau
style" du dix-huitieme siecle, qui reste comrne un modele d'elegance-et
comment, a force de rechercher la beaute de la forme, oubliant la sensation
initiale, ils arrivent a quelque chose de fige de mort. Je crois que c'est Picasso
qui a dit: "Achever une ceuvre, c'est l'achever." Mon ecriture n'est pas
classique. Mes phrases sont inachevees, suspendues, separees en troncJons,
quelquefois au mepris de la rigueur grammaticale. Parfois, quand j'ecris un
texte, je me dis qu'il paralt "vivant", que c'est bien la sensation que je voulais
rendre, et quand je le relis deux ou trois jours apres, je vois que c'est mort.
Pour le juger il faut que je me dedouble, comme tous les ecrivains. J'ai
cherche a montrer ce dedoublement, quand l'ecrivain devient une sorte de
lecteur ideal qui se relit et se dit: C'est mauvais, c'est faux, c'est mort.
Q. Jusqu'a quel point souscrivez-vous a l'idee exprimee dans Les Fruits d'or,
que "le mot cree. . . le mot peut a son tour susciter chez l'ecrivain la sensa-
tion"? Sentez-vous que le mouvement createur se fasse tout seul, qu'il suive sa
propre piste sans que vous le dirigiez?
R. Je ne peux pas repondre pour les autres. Je peux dire que pour moi la
critique est venue apres, beaucoup plus tard. J'ai commence d'abord par
ecrire Tropismes et Portrait d'un inconnu. C'est parce que je ne trouvais
aucun echo nulle part, parce que je ne recevais aucune reponse, ou tres peu,
que j'ai commence a reflechir, a me demander pourquoi je ne pouvais pas
ecrire comme les autres. C'est alors que j'ai ecrit, a partir de 1947, les articles
qui composent L'Ere d u soup<,on . Quand tous ces articles rassembles ont paru
en 1956, Robbe-Grillet, qui lui aussi travaillait hors des chemins battus, a
cherche a creer un "mouvement" litteraire pour imposer de nouvelles formes.
Un critique, Emile Henriot, a associe Tropismes, reedite en 1957, et La
Jalousie, qui venait de paraltre, en les appelant: "Nouveau Roman". Mais la
Nouvelle Critique est venue apres.
Q. Le portrait que vous esquissez des femmes, surtout dans vos livres du
debut, semble etre peu flatteur; les fernmes qui y figurent se presentent
souvent comme des poupees de luxe ou des commeres bavardes, aux cervelles
creuses, tout occupees par des questions de toilette, de mariage, etc. Ces
caricatures vous semblent-elles un peu demodees aujourd'hui a la lumiere du
mouvement feministe actuel?
R. Ces images de femmes que j'ai montrees sont des images de comportement
feminin, qu'on continue a voir partout. Beaucoup de femmes acceptent de
jouer ce role qui leur est impose par la societe. Elles se conforment a des
images convenues. Je les ai montrees telles qu'elles apparaissent, telles
qu'elles sont a la surface. Au fond, la ou derriere l'apparence se meuvent les
tropismes, nous sommes tous semblables. Quant a moi, j'ai toujours lutte
pour la liberation de la femme. En 1935, je faisais des conferences pour
obtenir le vote des femmes, mais il etait tres difficile de reunir des femmes qui
s'interessent a cette question. Maria Verone et moi, nous avons fait des
conferences devant dix personnes. Certaines femmes craignaient d'etre con-
voquees, parce que cela facherait leur mari ou leur pere. C'est de Gaulle qui a
donne aux femmes le droit de vote; elles ne l'ont pas obtenu par leurs
revendication. Et encore maintenant, les femmes sont maintenues dans une
condition qui, a mon avis, les empeche de developper toutes leurs facultes.
Des etudiantes, partout, dans la plupart des pays ou je suis allee, m'ont dit: Je
fais des etudes, mais je n'ai qu'un desir, c'est de me marier et d'avoir des
enfants. Les filles qui me disaient: Moi, ce qui m'interesse, c'est le travail, la
recherche, la decouverte du monde, etc.-ce que n'importe quel garcon, meme
s'il n'est pas tres intelligent, vous repondra-c'etaient des exceptions.
Le mouvement feministe ici est tout a fait recent. Les pays latins sont en
retard. Il y a encore une image de la femme et de la feminite (la femme qui
doit seduire l'homme, qui doit se consacrer a lui, etc.) qui est tres forte ici. Je
pense... j'espere... qu'on en sortira, mais ce n'est pas encore fait.
Q. Vous etes vous-meme parmi les quelques femmes exceptionnelles qui ont
n I / -
pu vralment reu
R. Depuis que
je ne travailler
ment travaille
laire. Je n'ai j
abdication, que
j'aie consacre be
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dix-sept ans. J
scolaires, sur
revolutionnaire
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Q. Vous avez
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R. Non, je ne
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lentement. n a
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parlee. La confe
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sique. A ce poin
Q. A une epoq
sexualite-au c
dans le roman
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R. Ce qui m'in
comme insign
mots anodins,
C'est quand il n
realite... Les q
defriche. Vrai
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accumulees, sur
que tout le mo
ment a cela, et
on m'a souvent dit que chez moi il y a un erotisme secret qui se trouve
repandu partout, dans les images, dans les rapports entre les gens. Si on
prend Portrait d'un inconnu, il existe entre le pere et la fille des rapports
assez erotiques, une sorte de passion frenetique. Ou dans certains des Tro-
pismes... I1 y en a un, par exemple, dans lequel un vieil homme repete sans
arret a une jeune fille, ttDover, Dover, Shakespeare, Shakespeare", etc. C'est
a mes yeux une scene de viol-intellectuel, il est vrai. Puisque l'erotisme est
repandu partout, pourquoi le chercher seulement dans l'acte sexuel? C'est
une limitation.
Q. Au cours d'une interview en 1966, vous avez declare que vous n'envisagiez
jamais d'ecrire des scenarios pour l'ecran, les images d'un film ne pouvant pas
rendre le mouvement des tropismes. Mais etant donne la mise en scene de
plusieurs de vos pieces depuis lors, avez-vous change d'avis?
R. Non, parce que dans mes pieces tout est dans le dialogue. Or le principal
interet d'un film est les images. Je ne vois pas comment on pourrait faire
passer mes images sur l'ecran sans aplatir tout, sans enlever tout ce qui fait
pour moi l'interet de mes livres.
Q. Vous avez dit que vous etes en train d'ecrire un nouveau roman?'
Q. Aimez-vous ecrire?
t Depuis cette interview, le roman en question a paru chez Gallimard (septembre, 1976) sous
le titre7 disent les imbeciles. La traduction7 intitulee fools say7 sortira chez George Braziller a
New York au mois de janvier.