Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Colloque Avec NS 1976

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 7

Colloque avec Nathalie Sarraute 22 avril 1976

Author(s): Gretchen R. Besser


Source: The French Review , Dec., 1976, Vol. 50, No. 2 (Dec., 1976), pp. 284-289
Published by: American Association of Teachers of French

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/390088

JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide
range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and
facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at
https://about.jstor.org/terms

American Association of Teachers of French is collaborating with JSTOR to digitize, preserve


and extend access to The French Review

This content downloaded from


49.165.203.114 on Sun, 12 Jun 2022 11:48:18 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
THE FRENCH REVIEW, Vol. L, No. 2} December 1976 Printed in U.S.A.

Colloque avec Nathalie Sarraute


22 avril 1976

par Gretchen R. Besser

Q . POURQUOI AVEZ-VOUS DECIDE de situer vos histoires dans un monde


hermetiquement clos, qui n'est entame par aucun des problemes qui infectent
le monde actuel-guerres, greves, desastres naturels, epuisement des res-
sources planetaires-un univers ou il n'y a pas de pauvres, pas d'affames, pas
de noirs, pas de juifs?

R. I1 y a a cela une raison tres simple. Ce que je poursuis dans mes livres, c'est
une recherche de mouvements interieurs qui existent chez tous, chez les noirs
et chez les blancs et chez les juifs, et partout. Cette ceuvre est poetique dans ce
sens qu'elle cherche a recreer une sensation a un certain niveau de profon-
deur, et a la faire exister par le langage. Toute l'attention du lecteur doit etre
centree sur cette sensation, sans qu'il se preoccupe de savoir si le personnage
qui en est le porteur est un ingenieur, ou un ouvrier, s'il est noir, blanc, etc.
Ces questions, quand j'ecris, ne presentent pour moi aucun interet parce que
je suis persuadee qu'au niveau ou se trouvent les tropismes, tout le monde
sent de la meme fagon. Ces sensations sont identiques, comme le mouvement
du sang dans les veines ou les battements du cceur. C'est cela qui m'interesse,
c'est cela que j'ai toujours voulu montrer, peu importe chez qui...

Q. Vous avez dit que vous choisissez des images tres simples, capables d'etre
transmises directement au lecteur sans qu'il ait a se creuser la tete. Pourtant,
d'un autre cote, ne vous plaignez:vous pas du "lecteur paresseux" et ne
l'obligez-vous justement a se creuser la tete, a accomplir un travail de
collaboration? Qu'attendez-vous au juste du lecteur?

R. Je crois que ces "tropismes", ces mouvements interieurs que je cherche a


rendre, sont deja assez difficiles a saisir, a reconstituer, et a ressentir. Par
consequent, j'emploie des images faciles et claires qui renvoient a des sensa-
tions que le lecteur a conscience d'avoir lui-meme eprouvees. Par analogie,
j'espere qu'il peut retrouver ce que je veux lui montrer. La collaboration du
lecteur doit surtout consister dans une grande ouverture et dans l'oubli des
conventions. I1 ne faut pas qu'il se demande en quoi consiste l'intrigue, qui
sont ces personages, quel caractere ils ont) quelle est leur profession, ou ils se
trouvent. S'il s'occupe de ces questions, il perdra la seule chose qui compte et
qui est d'essayer de retrouver ces tropismes, ces sensations que je veux lui
284

This content downloaded from


49.165.203.114 on Sun, 12 Jun 2022 11:48:18 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
NATHALIE SARRAUTE 285

communiquer. Je voudrais trouver un lecteur qui soit assez pur pour se


debarrasser de tous ses prejuges et de tout ce qu'il a appris a attendre d'un
roman... Souvent les critiques ont trop de "culture", ils savent ce que doit etre
un roman, alors ils y cherchent ce qu'il ne faut pas y chercher. I1 faut se
laisser aller a une certaine sensation, comme on le fait en lisant des textes
poetlques.

Q. Dans quelle mesure la magnifique evocation metaphorique de l'acte crea-


teur, dans Entre la vie et la mort, reflete-t-elle votre propre experience
d'artiste?

R. Ce n'est pas toujours mon experience a moi. J'ai voulu, tout au long du
livre, montrer des experiences d'ecrivains qui sont differents les uns des
autres. J'ai montre l'experience d'ecrivains qui cherchent a faire le "beau
style" du dix-huitieme siecle, qui reste comrne un modele d'elegance-et
comment, a force de rechercher la beaute de la forme, oubliant la sensation
initiale, ils arrivent a quelque chose de fige de mort. Je crois que c'est Picasso
qui a dit: "Achever une ceuvre, c'est l'achever." Mon ecriture n'est pas
classique. Mes phrases sont inachevees, suspendues, separees en troncJons,
quelquefois au mepris de la rigueur grammaticale. Parfois, quand j'ecris un
texte, je me dis qu'il paralt "vivant", que c'est bien la sensation que je voulais
rendre, et quand je le relis deux ou trois jours apres, je vois que c'est mort.
Pour le juger il faut que je me dedouble, comme tous les ecrivains. J'ai
cherche a montrer ce dedoublement, quand l'ecrivain devient une sorte de
lecteur ideal qui se relit et se dit: C'est mauvais, c'est faux, c'est mort.

Q. Comrnent reconnaissez-vous que c'est mort?

R. C'est une question de sensation. On le sent ou on ne le sent pas. Generale-


ment, il faut que le texte en quelque sorte saute sur vous, vous agrippe quand
vous commencez a le lire.

Q. Jusqu'a quel point souscrivez-vous a l'idee exprimee dans Les Fruits d'or,
que "le mot cree. . . le mot peut a son tour susciter chez l'ecrivain la sensa-
tion"? Sentez-vous que le mouvement createur se fasse tout seul, qu'il suive sa
propre piste sans que vous le dirigiez?

R. Je crois que ce travail exige un enotme effort de concentration, d'attention,


de recherche, comme celui qu'exige aussi le travail, par exemple, d'un savant.
Quelquefois la sensation vous fait partir a la decouverte du mot, mais
quelquefois un mot surgit et ce mot a son tour produit une nouvelle sensation.
C'est une sorte de mouvement en chalne. Cela demande un tres gros effort de
recherche et de reflexion.

Q. Quelle est la part de la Nouvelle Critique dans la formation du Nouveau


Roman? Pensez-vous que celui-ci se so it developpe dans la direction qu'il a

This content downloaded from


49.165.203.114 on Sun, 12 Jun 2022 11:48:18 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
286 FRENCH REVIEW

prise sans l'apport et l'appui de la critique et sans la conscience des auteurs


eux-memes (qui souvent se sont dedoubles en critiques) d'avoir rejete cer-
taines conventions romanesques et de s'etre engages dans des voies inexplo-
rees?

R. Je ne peux pas repondre pour les autres. Je peux dire que pour moi la
critique est venue apres, beaucoup plus tard. J'ai commence d'abord par
ecrire Tropismes et Portrait d'un inconnu. C'est parce que je ne trouvais
aucun echo nulle part, parce que je ne recevais aucune reponse, ou tres peu,
que j'ai commence a reflechir, a me demander pourquoi je ne pouvais pas
ecrire comme les autres. C'est alors que j'ai ecrit, a partir de 1947, les articles
qui composent L'Ere d u soup<,on . Quand tous ces articles rassembles ont paru
en 1956, Robbe-Grillet, qui lui aussi travaillait hors des chemins battus, a
cherche a creer un "mouvement" litteraire pour imposer de nouvelles formes.
Un critique, Emile Henriot, a associe Tropismes, reedite en 1957, et La
Jalousie, qui venait de paraltre, en les appelant: "Nouveau Roman". Mais la
Nouvelle Critique est venue apres.

Q. Le portrait que vous esquissez des femmes, surtout dans vos livres du
debut, semble etre peu flatteur; les fernmes qui y figurent se presentent
souvent comme des poupees de luxe ou des commeres bavardes, aux cervelles
creuses, tout occupees par des questions de toilette, de mariage, etc. Ces
caricatures vous semblent-elles un peu demodees aujourd'hui a la lumiere du
mouvement feministe actuel?

R. Ces images de femmes que j'ai montrees sont des images de comportement
feminin, qu'on continue a voir partout. Beaucoup de femmes acceptent de
jouer ce role qui leur est impose par la societe. Elles se conforment a des
images convenues. Je les ai montrees telles qu'elles apparaissent, telles
qu'elles sont a la surface. Au fond, la ou derriere l'apparence se meuvent les
tropismes, nous sommes tous semblables. Quant a moi, j'ai toujours lutte
pour la liberation de la femme. En 1935, je faisais des conferences pour
obtenir le vote des femmes, mais il etait tres difficile de reunir des femmes qui
s'interessent a cette question. Maria Verone et moi, nous avons fait des
conferences devant dix personnes. Certaines femmes craignaient d'etre con-
voquees, parce que cela facherait leur mari ou leur pere. C'est de Gaulle qui a
donne aux femmes le droit de vote; elles ne l'ont pas obtenu par leurs
revendication. Et encore maintenant, les femmes sont maintenues dans une
condition qui, a mon avis, les empeche de developper toutes leurs facultes.
Des etudiantes, partout, dans la plupart des pays ou je suis allee, m'ont dit: Je
fais des etudes, mais je n'ai qu'un desir, c'est de me marier et d'avoir des
enfants. Les filles qui me disaient: Moi, ce qui m'interesse, c'est le travail, la
recherche, la decouverte du monde, etc.-ce que n'importe quel garcon, meme
s'il n'est pas tres intelligent, vous repondra-c'etaient des exceptions.
Le mouvement feministe ici est tout a fait recent. Les pays latins sont en
retard. Il y a encore une image de la femme et de la feminite (la femme qui

This content downloaded from


49.165.203.114 on Sun, 12 Jun 2022 11:48:18 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
NATHALIE SARRAUTE 287

doit seduire l'homme, qui doit se consacrer a lui, etc.) qui est tres forte ici. Je
pense... j'espere... qu'on en sortira, mais ce n'est pas encore fait.

Q. Vous etes vous-meme parmi les quelques femmes exceptionnelles qui ont
n I / -

pu vralment reu

R. Depuis que
je ne travailler
ment travaille
laire. Je n'ai j
abdication, que
j'aie consacre be
vie d'une femm
de la chance, m
dix-sept ans. J
scolaires, sur
revolutionnaire
comme les egal

Q. Vous avez
l'impression m

R. Non, je ne
litterature, le
lentement. n a
enseignee au ly
parlee. La confe
a cette langue
sique. A ce poin

Q. A une epoq
sexualite-au c
dans le roman
allusion? Ne vo
un champ feco

R. Ce qui m'in
comme insign
mots anodins,
C'est quand il n
realite... Les q
defriche. Vrai
decouvertes, i
accumulees, sur
que tout le mo
ment a cela, et

This content downloaded from


49.165.203.114 on Sun, 12 Jun 2022 11:48:18 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
288 FRENCH REVIEW

on m'a souvent dit que chez moi il y a un erotisme secret qui se trouve
repandu partout, dans les images, dans les rapports entre les gens. Si on
prend Portrait d'un inconnu, il existe entre le pere et la fille des rapports
assez erotiques, une sorte de passion frenetique. Ou dans certains des Tro-
pismes... I1 y en a un, par exemple, dans lequel un vieil homme repete sans
arret a une jeune fille, ttDover, Dover, Shakespeare, Shakespeare", etc. C'est
a mes yeux une scene de viol-intellectuel, il est vrai. Puisque l'erotisme est
repandu partout, pourquoi le chercher seulement dans l'acte sexuel? C'est
une limitation.

Q. Je voudrais poser plusieurs questions sur vos pieces. Premierement, si vos


personnages n'ont pas de personnalite individualisee ni meme de noms
propres, comment reparl;issez-vous le dialogue entre F. 1, 2, 3 ou H. 1, 2, 3?

R. Je le fais presque au hasard, pour qu'il y ait un changement de volx. Ce


sont des pieces que j'ai toujours commence par ecrire pour la radio. I1 faut qu'il
y ait des voix differentes qui se repondent. Mais ce ne sont pas des person-
nages que j'ai cherche a creer. En travaillant, je ne les distingue guere les uns
des autres.

Q. En ecrivant des scenarios, avez-vous rencontre des problemes specifiques,


des difficultes a exprimer les tropismes ou a introduire la sous-conversation
dans la conversation vocalisee?

R. Oui. D'habitude dans mes romans je montre les mouvements interieurs


des images, le dialogue n'en est que l'aboutissement. Ici, tout doit etre
exprime dans le dialogue lui-meme. Alors les gens parlent d'une maniere qui
paralt tout a fait naturelle, mais en realite ils disent des choses qu'on ne dit
jamais, ils expriment ce qui se passe en eux. Par exemple, dans Le Silence on
se trouve en presence de quelqu'un de silencieux. Dans un roman, j'aurais
montre, de l'interieur, le malaise que provoque ce silence. Ici, il faut que ce
malaise s'exteriorise. Alors, autour de celui qui se tait, on s'agite... on
l'interroge, on le supplie... Dans un roman, le dialogue serait realiste, mais
prepare par un pre-dialogue. Ici le dialogue est irreel parce qu'il contient le
pre-dialogue: ce que d'ordinaire on ne dit pas.

Q. Dans la mise en scene de vos pieces au theatre, s'est-il produit des


changements de signification ou de perspective grace a l'apparition d'acteurs
vivants sur la scene?

R. Certainement la mise en scene a change quelque chose pour moi. Moi, je


ne vois pas du tout les personnages. Ce ne sont pas eux qui m'interessent.
Quand Jean-Louis Barrault me demandait: Celui-la, quel age a-t-il? je n'en
avais aucune idee. Alors, de les voir sur la scene, c'etait un peu comme si je
voyais la piece de quelqu'un d'autre. Je ne les imagine pas a l'avance.

Q. Trouvez-vous que la forme theatrale impose une distance, une objectivite,

This content downloaded from


49.165.203.114 on Sun, 12 Jun 2022 11:48:18 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
NATHALIE SARRAUTE 289

du fait que le spectateur vo it et entend les acteurs de l'exterieur? L' illusion


d'etre situe a l'interieur d'une conscience serait-elle donc detruite?

R. Je ne le crois pas. Je crois plutAt que le spectateur attentif collabore,


participe a ce qui se passe devant lui. n se sent concerne. Quand il lit un livre,
il peut s'arreter, penser a autre chose, se laisser distraire. Tandis qu'au
theatre, il estttpris".

Q. Au cours d'une interview en 1966, vous avez declare que vous n'envisagiez
jamais d'ecrire des scenarios pour l'ecran, les images d'un film ne pouvant pas
rendre le mouvement des tropismes. Mais etant donne la mise en scene de
plusieurs de vos pieces depuis lors, avez-vous change d'avis?

R. Non, parce que dans mes pieces tout est dans le dialogue. Or le principal
interet d'un film est les images. Je ne vois pas comment on pourrait faire
passer mes images sur l'ecran sans aplatir tout, sans enlever tout ce qui fait
pour moi l'interet de mes livres.

Q. Vous avez dit que vous etes en train d'ecrire un nouveau roman?'

R. Je viens de le finir. Je suis en train de penser a une piece. Cela m'amuse.


Chaque fois que j'ai fini un roman, j'essaie d'ecrire une piece. C'est apres Les
Fruits daor que j'ai ecrit Le Silence et Le Mensonge. Et puis, j'ai ecrit Isma
apres Entre la vie et la mort, et Cvest beau apres Vous les entendez? Chaque
fois cela me detend un peu.

Q. Aimez-vous ecrire?

R. Oui, certainement. C'est le plus souvent une souffrance, et en meme


temps, c'est... ma raison d'etre.

t Depuis cette interview, le roman en question a paru chez Gallimard (septembre, 1976) sous
le titre7 disent les imbeciles. La traduction7 intitulee fools say7 sortira chez George Braziller a
New York au mois de janvier.

This content downloaded from


49.165.203.114 on Sun, 12 Jun 2022 11:48:18 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms

Vous aimerez peut-être aussi