Le Devoir de Loyauté Du Dirigeant Social
Le Devoir de Loyauté Du Dirigeant Social
Le Devoir de Loyauté Du Dirigeant Social
DIRECTEUR DE MÉMOIRE :
EMMANUEL CORDELIER
Maître de conférences à l’INU CHAMPOLLION
LE DEVOIR DE LOYAUTÉ DU
DIRIGEANT SOCIAL : UNE RACINE
MORALE ET JURIDIQUE DU DROIT
DES SOCIÉTÉS.
Remerciements
Aux personnes qui m’ont formé et ont contribué à mon édification académique, culturelle et
personnelle.
Sommaire
Titre 1 : Le devoir de loyauté du dirigeant dans les relations internes à la
société.
Introduction
« L’entreprise ne peut exiger la loyauté de ses salariés : elle doit la mériter ». Cette citation du
théoricien du management Charles HANDY, bien que juridiquement erronée puisque le droit
français place un devoir de loyauté à la charge des salariés, a le mérite de montrer que la loyauté est
une notion qui s’inscrit dans la complexité et ne dépend pas exclusivement de la vertu de son
débiteur. Cette complexité se fait croissante lorsqu’on considère que l’objet de la loyauté est une
personne morale qui entretient déjà, par essence, une relation complexe avec les personnes
physiques. Si le professeur HANDY limite son propos aux salariés, ne serait-il pas pertinent
d’étendre la question de la loyauté à la personne du dirigeant ? Il est de coutume de dire que la
différence entre un droit et un pouvoir est que le droit s’exerce dans l’intérêt personnel de son
titulaire et le pouvoir dans l’intérêt d’autrui. A ce titre, pourrait se poser la question de la nature des
prérogatives d’un dirigeant de société. Si l’on considère que la société est l’incarnation juridique
d’une activité économique, l’entreprise, exercée par une personne physique dans le but de répondre
à la nécessité d’un revenu, alors la société apparaît comme un simple outil dont il semble difficile
de concevoir qu’il puisse être utilisé dans un intérêt autre que celui de la personne qui le manie.
Ainsi, dans les sociétés unipersonnelles, il semblerait de prime abord légitime que les prérogatives
du dirigeant relèvent du droit exercé dans son intérêt propre. Toutefois, cette analyse commence à se
trouver remise en cause lorsque l’on insère l’activité économique dans un environnement
économique complexe et que l’on intègre des paramètres tels que les besoins des clients de cette
activité ou la nécessité du financement de l’action étatique à travers le prélèvement fiscal. De même
elle semble perdre encore en pertinence lorsqu’on accorde le terme « associé » au pluriel. Enfin, elle
apparaît totalement obsolète lorsqu’on ajoute l’intérêt de salariés et de créanciers à l’équation.
L’exercice d’une activité économique semble donc relever d’une communauté d’intérêts ce qui
explique que le Droit français ait fait le choix de considérer les prérogatives d’un dirigeant de
société comme un pouvoir et non comme un droit. Il faut donc en déduire que le dirigeant social
doit agir dans l’intérêt de la société. Partant de ce constat, il n’y a qu’un pas à franchir pour dire
qu’il doit lui être loyal.
Ce pas, le Droit français l’a franchi timidement et la question de l’existence d’un devoir de
loyauté du dirigeant de société appelle discussion. Pour comprendre cette ambivalence, il est
nécessaire d’appréhender le concept, ce qui suppose d’en définir les termes. Selon l’article 1832 du
code civil : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat
d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
profiter de l'économie qui pourra en résulter ». En mettant en avant les trois éléments constitutifs
d’une société : l’affectation de biens, autrement appelée l’apport, la volonté de prendre part aux
bénéfices et aux pertes de l’entreprise et l’affectio societatis, cette définition fait apparaître la
société comme une communauté d’intérêts forgée par contrat. Comme ont pu le faire remarquer
Anne FAUCHON et Philippe MERLE1 , cette définition opère une synthèse entre conception
contractuelle et institutionnelle de la société. Néanmoins il semble tout de même qu’elle soit
quelque peu réductrice. En effet, l’article 1842 du code civil dispose que l’immatriculation d’une
société la dote de la personnalité morale. Et l’article 1833 lui attribue dans son second alinéa un
intérêt propre appelé intérêt social. Il semble donc que la société ne doive pas être simplement
regardée comme la communauté des intérêts de ses associés mais également comme une personne
dotée d’un intérêt propre2. Le terme de « dirigeant » mérite lui aussi quelques éclaircissements.
Définir le dirigeant d’une société de manière générale n’est pas aisé en cela que ses prérogatives
précises dépendent de l’organisation de la société, de la forme sociale et dans une certaine mesure,
de la réalité effective de chaque société. En dépit de cette difficulté, il est généralement admis
qu’est dirigeant de société celui qui occupe une fonction d’orientation, de gestion ou de
représentation de la société. A titre d’exemple, peuvent être cités le conseil d’administration, son
président et le directeur général d’une SA, comme répondant à cette définition. 3 Enfin, le terme de
« devoir de loyauté » requiert également une définition. Dans une acception restreinte, l’expression
« devoir de loyauté du dirigeant » fait référence à une obligation du dirigeant, que Julia HEINICH
définit synthétiquement comme « une obligation de non-concurrence de plein droit à la charge du
dirigeant »4, à laquelle il faudrait ajouter, une obligation d’information au profit des associés.
Cependant, le terme « loyauté » semble disposer d’une charge sémantique plus large. Le
Vocabulaire Juridique de Gérard CORNU définit notamment la loyauté comme de la « bonne foi
contractuelle ». Si cette définition semble perfectible en cela qu’appliquée à la loyauté du dirigeant
de société, elle ne rend compte que d’une analyse contractuelle de l’entité sociale et élude une
vision plus organique, son assimilation à la bonne foi permet de confirmer la possibilité une
acception large du concept de loyauté. Cette interprétation est soutenue par Nadège JULLIAN
1 A. FAUCHON, P. MERLE, Droit commercial, sociétés commerciales, 24ème édition, Dalloz, 2020, p.45
2 Cela étant, il semble juste de considérer que l’intérêt social représente une communauté d’intérêts. La différence
tient dans le fait que celle-ci ne se réduit pas aux associés et englobe les salariés, les créanciers, l’État, les clients et
même l’environnement.
3 Art. L225-35 ; L225-51 ; L225-53 ; L225-56 pour la définition des prérogative de ces organes.
4 Julia HEINICH, « Devoir de loyauté du dirigeant envers la société : pas de responsabilité en cas d'autorisation
unanime des associés », revue des contrats, n°4, 10/12/2020, p.56
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
lorsqu’elle évoque dans une citation du dictionnaire d’Emile LITTRE 5 « une exigence de loyauté au
sens de celui qui obéit aux règles de l’honneur et de la probité », rendant ainsi compte de la
dimension morale de la notion. Le devoir de loyauté du dirigeant pourrait donc faire référence à une
obligation globale du dirigeant d’agir de bonne foi envers la société, dont l’obligation de non-
concurrence évoquée par Julia HEINICH ainsi que celle d’information, seraient des déclinaisons.
En combinant cette idée avec les dispositions de l’article 1832 du code civil qui met en avant une
conception contractuelle de la société fondée sur l’intérêt des associés et celles de l’article 1833
alinéa 2 : « La société est gérée dans son intérêt social... », il semble possible de définir le devoir de
loyauté du dirigeant comme une obligation de bonne foi dans la tâche qui lui incombe de gérer la
société conformément à l’intérêt social et des associés.
Cette définition posée, une difficulté émerge : celle de l’existence dans le droit positif d’une
obligation de loyauté du dirigeant. Une réponse rapide à cette question consisterait à citer les arrêts
VILGRAIN6 et KOPCIO7 et à affirmer que qu’un tel devoir de loyauté existe bel et bien dans le
droit positif. Une réponse plus nuancée tenant compte des précédents développements consisterait à
induire une différence entre devoir de loyauté stricto sensu et devoir de loyauté lato sensu. Il
s’agirait d’affirmer qu’il existe un devoir d’information et de non concurrence à la charge du
dirigeant appelé devoir de loyauté mais qu’il n’existe pas en droit positif d’obligation générale de
loyauté. Cette affirmation serait formellement fausse mais partiellement juste dans sa matérialité.
D’une part cette affirmation serait fausse car les arrêts précités évoquent en toutes lettres un devoir
de loyauté. L’arrêt VILGRAIN retient sans équivoque que « M. Bernard VILGRAIN a manqué au
devoir de loyauté qui s'impose au dirigeant d'une société… ». De même l’arrêt KOPCIO retient que
le gérant d’une SARL ou le directeur général d’une SA est « tenu à une obligation de loyauté à
l'égard de cette entreprise… ». Dans ces deux arrêts, la chambre commerciale utilise le terme
d’obligation de loyauté et non d’obligation d’information ou de non-concurrence. L’absence de
restriction ou de précision quant à ce devoir de loyauté permet d’affirmer qu’il s’agit dans ces arrêts
de consacrer un devoir général de loyauté du dirigeant de société au sens de la définition large posée
précédemment : une obligation de bonne foi dans la tâche qui lui incombe de gérer la société.
Toutefois, sur le plan matériel, depuis plus de vingt ans que ces arrêts ont fait jurisprudence, cette
obligation de loyauté ne s’est jamais affranchie du domaine de l’information des associés ou de la
5 Nadège JULLIAN « L’adage Volenti non fit injuria et le devoir de loyauté du dirigeant », La semaine juridique –
entreprise et affaires – n°45, 05/11/2020 page 17. Citation : E. LITTRE, dictionnaire de la langue française t. 3 :
Hachette, 1876, p.352.
6 Cour de cassation, chambre commerciale, 27 février 1996 n°94-11.241
7 Cour de cassation, chambre commerciale, 24 février 1998 n°96-12.638
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
non-concurrence. Il ne semble donc pas inepte d’affirmer qu’en l’état actuel de la jurisprudence, il
n’existe pas d’obligation générale de loyauté indépendante de ces deux manifestations que sont
l’information des associés et l’absence de concurrence à la société. Néanmoins, cette analyse
mériterait d’être sérieusement nuancée pour deux raisons. D’une part, au regard de la formulation
des arrêts et en tenant compte du fait que l’arrêt KOPCIO constitue une extension du domaine de
l’obligation de loyauté posée dans l’arrêt VILGRAIN, il semble possible de se fonder sur ce devoir
pour soutenir un prétention différente des domaines dans lesquels il a été consacré. En d’autres
termes, l’absence d’extension effective du devoir de loyauté au cours des deux dernières décennies
ne prouve pas qu’une telle extension est impossible et ne sera pas opérée à l’avenir. D’autre part, il
semble pertinent de regarder certains dispositifs juridiques du droit des sociétés comme relevant de
ce devoir de loyauté alors qu’ils en sont juridiquement indépendants. Le lien doit ici être établi sur
le plan idéologique et doctrinal, de sorte qu’il semble juste d’affirmer que la volonté de promouvoir
la loyauté du dirigeant de société est une idée qui irrigue une grande partie du droit des sociétés. En
droit positif, il apparaît possible de considérer que certaines dispositions du droit des sociétés ou du
droit pénal des affaires sont des manifestations spécifiques d’une obligation générale de loyauté du
dirigeant de société. Établir une telle filiation permettrait de rendre compte d’une proximité
idéologique entre plusieurs dispositions sans commettre de contre-sens juridique, un tel régime
spécial ayant vocation à déroger au général.
Au delà de la valeur juridique d’un devoir général de loyauté, il n’est pas inintéressant d’en
questionner la nécessité : est-il nécessaire d’agir par le droit pour que le dirigeant de société œuvre
dans l’intérêt de la société ? La doctrine libérale classique tendrait à répondre par la négative et à
« laisser faire, laisser aller » en attendant que la régulation se fasse d’elle même, sous l’action d’une
« main invisible ». Cette sérénité repose sur une idée : celle que le dirigeant de société a un intérêt
personnel à protéger l’intérêt de la société. Celui-ci peut être de nature sociologique : être chef
d’entreprise constitue une position enviable dans la Société, d’autant plus enviable au regard du
succès que rencontre l’entreprise. Par conséquent, le dirigeant d’une société a intérêt à œuvrer pour
le succès de celle-ci et à éviter d’être privé de son poste par les associés ou par sa dissolution. De
même l’incitation peut être de nature économique. En effet, la fonction de dirigeant social peut être
rémunérée, parfois même dans des proportions si importantes qu’elles en deviennent
problématiques, et celui qui l’occupe n’a pas intérêt à se priver de ce revenu. Au delà, d’une
rémunération forfaitaire il est possible d’établir une corrélation mathématique entre les résultats de
la société et le niveau de rémunération du dirigeant. Plusieurs mécanismes juridiques permettent
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
cela, le plus iconique étant celui des stock options, qui permettent à un dirigeant l’achat d’actions à
prix fixe différé dans le temps et lui garantissent un enrichissement instantané si la valeur des parts
sociales s’est appréciée durant son mandat. Il faut donc relever que le lien unissant un dirigeant à sa
société permet une convergence d’intérêt entre les deux entités. Toutefois, cette architecture
primaire qui tend à la convergence des intérêts ne permet pas d’écarter purement et simplement la
possibilité d’un conflit d’intérêts entre la société et le dirigeant. C’est dans ces hypothèses qu’un
devoir du loyauté du dirigeant, entendu au sens large, a vocation à se manifester. Ainsi présentée,
l’idée d’une obligation de loyauté du dirigeant de société semble vertueuse et c’est probablement
pour cette raison qu’elle trouve une résonance dans certaines préconisations formulées au titre de la
gouvernance d’entreprise ou corporate governance. En effet, certains acteurs militant pour un
assainissement des pratiques de gestion ont pu proposer d’étendre l’application de certaines règles
juridiques qui peuvent être regardées comme des déclinaisons d’un devoir de loyauté général du
dirigeant d’entreprise. D’autres ne semblent pas relever de ce devoir mais l’influencent
indirectement ou se placent dans son sillage. Toutefois ce constat enthousiaste vis-à-vis du devoir de
loyauté et de ses déclinaisons doit être nuancé à l’aune d’une étude desdites déclinaisons.
De manière évidente, la première manifestation du devoir de loyauté qui vient à l’esprit en est
plus une application directe spécifique qu’une déclinaison à proprement parler. Il s’agit des deux
obligations qui ont permis la consécration du devoir : l’obligation d’information et de non-
concurrence issue respectivement des arrêts VILGRAIN et KOPCIO. Elle ont vocation à
s’appliquer dans l’hypothèse où un dirigeant de société pourrait trouver un profit dans la réalisation
d’une situation qui ferait de l’ombre aux associés ou concurrence à la société. L’obligation de non-
concurrence peut également être précisée par voie contractuelle. Toutefois ces deux obligations ne
sont pas les seules manifestation du devoir de loyauté. Les dispositions relatives aux conventions
réglementées relèvent elles aussi d’une forme de loyauté vis-à-vis de la société puisqu’il s’agit
d’éviter que sa direction ne détourne ses moyens à des fins personnelles différentes de l’intérêt
social. Les plus graves de ces détournements font également l’objet d’une incrimination en droit
pénal des affaires, à l’image de l’abus de confiance ou de l’abus de biens sociaux. Là encore il
s’agit de promouvoir une forme de loyauté en sanctionnant et dissuadant la commission d’actes
graves de déloyauté. De même, la faculté laissée au dirigeant de consentir à un accord de non-
concurrence relève du devoir de loyauté. Sans doute d’autres exemples pourraient-ils être
pertinents, mais l’exigence d’un propos synthétique invite à cibler les développements sur ces
éléments principaux qui ont le mérite de mettre en lumière les principaux aspects du devoir de
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
loyauté. Également, il semble plus pertinent de resserrer les développements autours des trois
formes de sociétés commerciales les plus répandues en France : SA, SARL et SAS.
En dépit de leurs vertus, ces différentes manifestations du devoir de loyauté peuvent soulever des
difficultés, c’est pourquoi il convient d’adopter, à leur égard, un regard critique. A titre d’exemple,
si les différentes obligations d’information des associés à la charge du dirigeant sont nécessaire à
l’exercice de leur prérogatives, il n’est pas certain qu’elles y soient suffisantes en raison du degré de
technicité des documents. De la même manière, les dispositions incriminant certains actes relevant
de la déloyauté peuvent parfois se montrer d’une sévérité injustifiée, ou à l’inverse trop permissives.
Cela laisse une grande liberté d’appréciation au juge qui peut soulever un problème de sécurité
juridique, ces dispositions étant sanctionnées par des peines privatives de liberté. De même, le
régime juridique de l’obligation de non-concurrence réduit le risque de conflit d’intérêt sans
l’exclure totalement au nom de la liberté de travail et d’entreprise du dirigeant. Le soin de préciser
et de renforcer cette obligation est laissé aux parties mais il ne semble pas non plus exister
d’obligation de rémunérer le sacrifice du dirigeant qui peut pourtant s’avérer substantiel. Si le code
de gouvernement d’entreprise AFEP-MEDEF préconise bien une telle rémunération, c’est dans les
sociétés où cela est le moins nécessaire.
Ces réflexions soulèvent une double question. Il s’agit de savoir comment le devoir de loyauté
du dirigeant de société se manifeste en droit des sociétés et quelles difficultés peuvent émerger à
cette occasion.
Répondre à cette question suppose d’étudier les mesures mises en œuvre pour garantir la loyauté
du dirigeant de société tant dans les rapports internes à celle-ci (Titre I) que dans les rapports qui lui
sont externes (Titre II).
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
transparence constitue per se une application directe et concrète d’un devoir de loyauté du dirigeant.
Il s’agit de l’hypothèse qui a conduit à la consécration de la jurisprudence VILGRAIN (§1).
Toutefois il faut remarquer qu’il ne s’agit pas, en l’espèce, de loyauté à la société mais à ses
associés comme en témoigne la précision « à l'égard de tout associé » dans la solution de la Cour de
cassation, ainsi que les faits de l’espèce. En effet, il était reproché au dirigeant de ne pas avoir
informé une associée souhaitant céder ses parts, de leur véritable valeur, viciant ainsi son
consentement à la vente. Cette transaction mettait d’abord en cause les intérêts patrimoniaux des
associés. La société était l’objet de la vente et son intérêt ne semblait pas directement en cause. De
ce point de vue, la jurisprudence VILGRAIN pourrait apparaître comme ayant vocation à moraliser
la conduite des affaires dans une hypothèse précise de cession de droits sociaux mais pas forcément
la gestion de la société. Ironiquement, la jurisprudence qui a consacré le devoir de loyauté du
dirigeant social apparaît donc comme une hypothèse quelque peu marginale d’application du devoir
de loyauté en cela que, contrairement à d’autres manifestations de ce devoir, celle-ci protège un
intérêt différent de l’intérêt social : l’intérêt patrimonial des associés.
Ce constat mérite cependant d’être nuancé. En effet si l’intérêt social n’est pas directement
protégé, la société n’est pas pour autant entièrement déconnectée de l’opération. Il faut indiquer que
la solution posée dans l’arrêt VILGRAIN a été réitérée et précisée. De cette manière, la Cour de
cassation a pu indiquer que ce devoir de loyauté puisait sa source dans la fonction même de
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
dirigeant social8. Ainsi, si cette manifestation de l’obligation de loyauté ne protège pas directement
l’intérêt social elle trouve néanmoins sa source dans la vie sociale et de ce fait, ne saurait être
déconnectée du droit des sociétés. De la même manière, il faut relever que la notion d’intérêt social
rend compte d’une communauté d’intérêts de plusieurs personnes. Or, bien que cela soit discutable,
il est souvent considéré que les principales personnes intéressées à la vie sociales sont les associés
de la société. Bien que cette analyse contractuelle de la société aille à contre courant de la tendance
actuelle, la jurisprudence récente de la Cour de cassation n’y semble pas totalement imperméable
puisqu’elle permet que l’unanimité des associés puisse valablement autoriser une atteinte à l’intérêt
social9. Suivant ce raisonnement, si l’on adopte la perspective des intérêts des associés, le devoir de
loyauté du dirigeant de société envers eux apparaît comme une hypothèse de protection directe de
leurs intérêts, contrairement à la protection de l’intérêt social qui en constituerait une protection
indirecte.
L’inverse est également vrai et la protection des associés sert également l’intérêt social.
Également, il semble pertinent de noter que toute cession de parts sociales n’a pas vocation à
liquider entièrement la participation d’un associé. On peut tout à fait envisager l’hypothèse d’un
associé qui souhaiterait réduire sa participation au capital de la société, pour diversifier un
portefeuille d’investissements ou céder progressivement sa place par exemple, tout en conservant
une partie de ses droits. Dans cette hypothèse, l’absence de transparence du dirigeant quant à la
valeur des parts sociales pourrait créer un conflit de nature à nuire à la vie sociale et à la bonne
conduite des affaires de la société. Aussi, l’exigence de transparence permet dans cette hypothèse un
assainissement des relations entre l’associé et la direction. Il s’agit de ce que ce le professeur
8 Laurent GODON, « Précisions quant au fondement juridique du devoir de loyauté du dirigeant social envers les
associés. Il s'agit d'un devoir autonome, puisant sa source, non dans le droit commun des contrats, mais dans la «
fonction » de direction elle-même », Note sous Cour de cassation (com.) 12 mai 2004, Beley c/ SA Former, revue
des sociétés 2005 p.140.
9 Cass. Com. 18 mars 2020, n°18-17.010
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
Thierry FAVARIO qualifiait de « devoir de délicatesse »10 dans le commentaire d’un arrêt relevant
de cette jurisprudence.
Dans son article, le professeur FAVARIO relève que les faits de l’arrêt sous analyse portent sur la
captation par le dirigeant d’une opportunité d’affaire qui intéressait les associés en propre et non la
société. De ce constat, il déduit que « le lien avec la société était donc ténu et c'est le principal
enseignement de l'arrêt : un dirigeant social est tenu envers les associés d'une obligation de
transparence s'agissant pourtant d'une opération s'inscrivant dans un contexte plus privé que
fonctionnel ». Tout d’abord, il faut noter qu’il est indéniable que la société apparaît au second plan
dans cette affaire et que la protection de l’intérêt social ne constitue qu’un but secondaire, voire une
externalité positive, de l’obligation de transparence issue de la jurisprudence VILGAIN, appliquée
en l’espèce. Cela étant, l’intérêt de la société ne semble pas beaucoup plus lointain dans cet arrêt
que dans l’arrêt VILGRAIN. En effet, outre l’enjeu lié à la concorde entre associés et direction de la
société, il semble pertinent de relever que l’identité du propriétaire de l’immeuble dans lequel la
société exerce son activité est susceptible d’avoir une influence directe sur ladite activité à travers le
montant du loyer à acquitter et ses modalités de recouvrement. De ce point de vue, l’impact sur la
vie sociale pourrait être plus important que celui engendré par le changement d’identité d’un
associé, par exemple dans un contexte de crise sociale et de procédure collective. Aussi, le lien avec
la société n’apparaît pas forcément plus ténu que dans l’affaire VILGRAIN et l’arrêt commenté
semble donc se limiter à étendre le devoir de loyauté à une autre hypothèse particulière présentant
un degré comparable de connexité à la vie sociale. En dépit de cette remarque, l’expression de
« devoir de délicatesse » a le mérite de rendre compte d’un aspect quelque peu informel du lien
avec la société.
Le caractère informel de cette manifestation du devoir de loyauté n’est pas sa seule particularité.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
juridique ne s’en trouve pas atteint. L’incertitude quant aux actes susceptibles de constituer une
déloyauté pourrait même conduire à dissuader le dirigeant de toute mauvaise foi et s’avérer in fine
vertueuse.
En cela, cette manifestation de l’obligation de loyauté se révèle être quelque peu marginale,
comparée aux autres obligations d’information au bénéfice des associés prévues par le code de
commerce.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
De plus, il faut relever qu’un certain nombre des informations auxquelles les associés ont accès a
vocation à permettre un meilleur encadrement de la gestion des dirigeants. Au-delà des décisions
d’assemblées, il existe des procédures d’alerte qui peuvent être mises en œuvre par les associés.
Dans les SARL, deux procédures principales sont à la disposition des associé. La première est
prévue à l’article L223-36 : « Tout associé non gérant peut, deux fois par exercice, poser par écrit
des questions au gérant sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l'exploitation. La
réponse du gérant est communiquée au commissaire aux comptes ». La seconde est prévue aux
articles L 223-37 et R223-30. Il s’agit de la possibilité pour l’associé de demander une expertise de
gestion. Ces dispositions sont à rapprocher de celles prévues en matière de SA aux articles L225-
108 et L225-232 qui permettent respectivement de poser des questions écrites à la direction de la
SA avant la tenue d’une assemblée et d’interroger le président du conseil d’administration sur une
opération de gestion ainsi que la requête d’une expertise en l’absence de réponse. Encore une fois,
le régime de la SAS reste silencieux sur les procédures d’alertes.
Le bon exercice de ces prérogatives est garanti par le droit à l’information dont bénéficient les
associés ou actionnaires.
11 Cette énumération ne prétend à l’exhaustivité. Les assemblées générales de ces formes sociales disposent d’autres
prérogatives mais elles ne sont pas forcément pertinentes dans le cadre de ces développements.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
Il faut commencer par citer les dispositions de l’article L225-109 qui obligent les dirigeants
sociaux de sociétés anonymes cotées à révéler le nombre d’actions de la société qu’ils détiennent
directement ou indirectement. Cette mesure permet de mettre en lumière tout à la fois le degré
d’influence des dirigeants au sein des assemblées générales ainsi qu’une partie des rapports
patrimoniaux qu’ils entretiennent avec la société. Ce faisant, cela contribue à lever l’opacité qui
peut entourer la rémunération des dirigeants, donne une idée du poids que peut avoir le vote des
dirigeants lors d’une assemblée et contribue à exposer d’éventuelles fautes de gestion ainsi qu’à
prévenir ou sanctionner les délits d’initiés. A titre d’exemple, le fait que la presse ait communiqué
sur la coïncidence entre la révélation d’une défectuosité des produits commercialisés par INTEL en
2018 et la vente de parts sociales par son PDG, illustre l’efficacité potentielle du mécanisme 12. En
outre, cette mesure illustre une tendance du législateur français à introduire une différentiation entre
les sociétés cotées et celles qui ne le sont pas. Si de telles mesures sont encore trop marginales, il
faut saluer l’effort fait en vue d’une meilleure prise en compte de l’envergure des sociétés dans le
droit.
L’article L225-115 liste d’autres documents à communiquer aux actionnaires. Les 1° et 2° ont
notamment vocation à fournir aux actionnaires des renseignements pertinents pour donner quitus de
leur gestion aux dirigeants en connaissance de cause. Les documents listés à l’article L225-115 ont
également la particularité d’être accessibles en permanence pour les associés. Anne FAUCHON et
Philippe MERLE relèvent également dans leur ouvrage les dispositions des articles L225-116,
R225-90 et R225-91 qui permettent aux actionnaires d’obtenir la liste de leurs homologues et
précisent que ces dispositions permettent aux minoritaires de se regrouper pour exercer leurs droits
12 Elsa Trujillo « Meltdown et Spectre l’étrange calendrier de ventes d’actions du PDG d’INTEL », LE FIGARO,
publié le 04/01/2018, mis à jour le 04/01/2018, consulté le 23/02/2021, en ligne.
https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2018/01/04/32001-20180104ARTFIG00269-meltdown-et-spectre-l-
etrange-calendrier-de-ventes-d-actions-du-pdg-d-intel.php
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
ou tenter de renverser la direction en place13. Concrètement cela peut passer par un regroupement en
vue d’obtenir le quantum d’actions nécessaires à l’exercice de la procédure de question prévue à
l’article L225-232 ou par la formation d’un pacte extra-statutaire visant assurer un vote majoritaire
ou une minorité de blocage contre une décision.
Les articles L223-19 et suivants prévoient une obligation d’information comparable aux
dispositions de l’article L225-115 1° et 2° permettant aux associés d’approuver les comptes en
connaissance de cause ou d’identifier des opérations susceptibles de faire l’objet d’une question. La
différence de niveau d’exigence s’explique par la différence de taille entre une SARL qui est
nécessairement une PME limitée à 100 associés et la SA qui peut être une entreprise multinationale.
Si l’on peut se réjouir que le législateur ait pris en compte l’envergure des sociétés lors du vote de
ces dispositions on peut regretter qu’il l’ait fait indirectement en établissant une différentiation entre
deux formes sociales. En effet il existe des PME constituées sous la forme de SA pour lesquelles les
exigences d’information propres à cette forme sociale peuvent s’avérer lourdes ainsi, a contrario,
que des SARL de taille moyenne qui jouissent d’une envergure, notamment financière,
suffisamment importante pour justifier une obligation d’information plus dense et plus proche de ce
qui se fait en matière de SA.
De même il faut relever la nature technique de certains documents, notamment comptables, qui
doivent être communiqués aux associés. En effet, ils peuvent apparaître opaques à des associés non-
initiés aux arcanes de la gestion d’entreprise. Même si l’associé peut recourir aux services d’un
expert, on peut douter de la fréquence de l’utilisation de cette faculté dans la pratique, en particulier
lorsqu’il est question d’une PME, notamment en raison du coût que cela peut impliquer. Aussi, au
regard de ces réserves, il pourrait être judicieux de se demander si les différents devoirs
d’information au profit des associés garantissent effectivement l’exercice éclairé de leurs droits.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
En premier lieu, il semble pertinent de voir un impératif de loyauté derrière les dispositions qui
commandent d’informer les associés afin qu’ils soient en mesure de décider en connaissance de
cause, quel que soit l’objet de leur décision. Permettre le bon exercice d’un droit rejoint le concept
de bonne foi.
En deuxième lieu, plusieurs de ces documents ont vocation à rendre compte de la gestion du
dirigeant. C’est donc la valeur de loyauté qui commande de dresser un portrait aussi fidèle de la
gestion de la société à travers la communication d’informations pertinentes afin que les associés
puissent se prononcer sur sa ratification.
En troisième lieu, un certain nombre de ces documents est de nature à révéler d’éventuels actes
de déloyauté commis par la direction de la société. En dissuadant la commission de tels actes par
l’assurance de leur découverte, ou en permettant leur sanction, les devoirs d’information prévus par
le code de commerce sont de nature à réduire les tentations de déloyauté auxquelles les dirigeants
pourraient être exposés durant leur mandat et à permettre la sanction de celles qui viendraient à être
commises.
Enfin, il convient de noter que cette manifestation de loyauté est d’autant plus importante et
d’autant plus forte qu’il peut exister une méfiance des dirigeants vis-à-vis des associés 14. Il n’est pas
tout à fait certain de savoir si le principal bénéficiaire de cette manifestation légale de l’obligation
de loyauté du dirigeant est l’associé ou la société, toutefois il semble juste d’affirmer que
matériellement, les deux en bénéficient.
Comme cela a pu être expliqué précédemment, le principal intérêt des obligations d’information
est de permettre le bon exercice de droits décisionnels des associés ou la bonne application de
dispositions légales. A travers ces droits et dispositions, le devoir de loyauté trouve à se manifester
de manière encore plus concrète en cela qu’il n’est plus question de précaution ou de contrôle mais
bien d’encadrer de manière effective et de sanctionner l’action du dirigeant.
14 A. FAUCHON, P. MERLE, Droit commercial, sociétés commerciales, 24ème édition, DALLOZ 2020, page 625.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
assemblées d’associés. Les compétences précises dont sont issues ce pouvoir sont nombreuses et il
semble pas pertinent de les détailler de manière exhaustives. C’est pourquoi, a été fait le choix de
centrer les développements autours d’une situation présentant un risque particulier de conflit entre
l’intérêt du dirigeant et celui de la société : la signature d’une convention entre la société et son
dirigeant en tant que personne physique (§1). Les actionnaires ne sont cependant pas les seuls à
disposer d’un pouvoir de contrôle sur ce qui se passe au sein de la société. Le commissaire aux
comptes, lorsqu’il a été nommé, joue également un rôle important en la matière. De la même
manière l’exercice des compétences des associés ne serait pas pleinement effectif sans la possibilité
de recourir à l’appareil judiciaire (§2).
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
Les régimes de la SA, de la SARL et de la SAS prévoient des dispositions assez proches en
matière de conventions réglementées. La principale différence intervient au niveau de la lourdeur et
de la complexité des procédures de contrôle. Ce constat appelle la même remarque qu’en matière de
devoir d’information au bénéfice de l’associé : s’il est heureux que le législateur ait prévu un
allègement des formalités pour des formes sociales adaptées à des sociétés de moindre envergure,
on peut regretter qu’il persiste à ajuster le régime en fonction de la forme sociale et non de la taille
de la société. En effet, à l’aune de l’écart colossal qui existe entre le fonctionnement, les enjeux et
les intérêts gravitant autour d’une PME familiale et ceux d’une société du CAC40, l’argument de la
nécessité d’un traitement égal à situation égale, la situation égale étant matérialisée par la forme
sociale, apparaît pour le moins anecdotique. Le seul véritable mérite de ce mode de fonctionnement
est d’éviter la désincitation produite par les effets de seuil.
B) L’interdiction des conventions les plus périlleuses et son exception, des outils de promotion
de la loyauté.
Le régime prévu en matière de SA étant le plus complet, c’est celui dont l’étude doit être
privilégiée pour rendre compte de la matérialité du droit applicable aux conventions réglementées.
Le code de commerce établit une distinction entre les conventions purement et simplement
interdites, celles qui tombent sous le coup de la procédure de réglementation particulière et celles
dites libres, qui devraient appartenir à l’un de ces deux régimes particuliers mais y dérogent en
raison d’éléments de faits. L’article L225-43 dispose comme il suit : « A peine de nullité du contrat,
il est interdit aux [dirigeants] autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme
que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte
courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les
tiers ». Son deuxième alinéa pose une exception à l’application du premier. Il s’agit de la situation
dans laquelle « […]la société exploite un établissement bancaire ou financier… ». Dans ce cas,
« […] cette interdiction ne s'applique pas aux opérations courantes de ce commerce conclues à des
conditions normales ». Cet alinéa opère une extension de l’exception concernant les « conventions
portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales » posée par l’article
L225-39. En effet, ce dernier article permet à de telles opérations de déroger aux dispositions
relatives à la procédure de contrôle.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
L’interdiction des opérations de crédit posée à l’article L225-43 relève d’une obligation de
loyauté à deux niveaux. D’une part elle permet d’éviter la tentation pour un dirigeant de société de
se faire consentir un avantage par sa société dans des conditions plus favorable que le respect de
l’intérêt social ne le commanderait. Il s’agit également de demeurer fidèle au principe de spécialité
des sociétés matérialisé par l’objet social. D’autre part et de manière complémentaire, il s’agit
d’éviter de faire supporter à la société un risque anormal, l’opération n’entrant pas dans le champ de
ses activités habituelles. De manière quelque peu ironique, l’exception à cette interdiction
concernant les opérations normales conclues à des conditions classiques permet aussi une extension
conventionnelle du devoir de loyauté du dirigeant. Il s’agit d’offrir la possibilité d’une obligation
statutaire ou contractuelle pour le dirigeant d’un établissement bancaire d’être client de sa société.
En effet, compte tenu de la confiance nécessaire à la bonne marche des affaires dans le secteur
bancaire et de la méfiance qui peut exister au sein du grand public à l’encontre des grandes
entreprises en général et des banques en particulier, il serait sans nul doute très mal vu que l’un des
dirigeants d’une banque donnée préfère abonder la clientèle de la concurrence.
Par principe, les conventions jugées moins dangereuses par le législateur sont soumises à une
procédure de contrôle.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
Il faut commencer par noter la lourdeur de la procédure qui exige a minima une autorisation,
une ratification et l’établissement d’un rapport spécial. Il est heureux que le législateur l’ait allégée
pour le SAS et les SARL mais l’allègement demeure lui même léger. En effet, l’autorisation
préalable n’est supprimée que dans les SAS et dans les SARL recourant aux services d’un
commissaire compte, cette dernière hypothèse ayant vocation à se raréfier du fait des dispositions
de la loi PACTE. Du reste, seule disparaît la confirmation annuelle dans ces deux types de sociétés.
Il en résulte que la procédure présente tout de même une certaine lourdeur.
Au delà, il faut commenter l’esprit de cette procédure : une convention particulièrement risquée
est soumise à ratification par l’assemblée générale des associés avec éventuellement une
autorisation préalable du conseil d’administration ou de la même assemblée. L’assemblée générale
apparaît clairement comme dépositaire de l’intérêt social puisque c’est elle qui a le dernier mot sur
le destin de la convention réglementée. De ce point de vue, cette disposition doit être rapprochée de
la solution de la chambre commerciale de la Cour de cassation dans l’arrêt rendu le 18 mars 2020 15
et critiquée au même titre (cf : supra). Incontestablement, cette procédure a pour objectif de
contrôler et d’encadrer l’action notamment du dirigeant social dans une situation qui présente un
risque particulier de conflit d’intérêt. De ce point de vue, elle peut être considérée comme un moyen
d’éviter qu’il ne se montre déloyal envers la société en faisant primer son intérêt propre sur l’intérêt
social.
L’éloignement de l’intéressé des débats et du vote qui statue sur la convention réglementée
appelle un commentaire particulier. Cette mesure doit être considérée comme un moyen d’éviter
que l’associé, sans préjudice de sa qualité de dirigeant, soit à la fois juge et partie à la convention,
ce qui ne manquerait pas de faire émerger un conflit d’intérêt, quelle que soit la nature de la
convention. Le risque serait qu’il se serve de son influence, déterminée par son droit de vote ou plus
informelle, au sein de l’assemblée générale, pour imposer, dans son intérêt, une convention
contraire à l’intérêt social. En premier lieu il faut remarquer qu’il n’est pas certain que son seul
éloignement du vote et des débats suffise à contrer une influence informelle qu’il pourrait exercer
sur les autres associés. Ensuite, bien qu’elle apparaisse vertueuse, cette mesure peut sembler
paradoxale : pourquoi s’embarrasser d’une mesure visant à éviter le vote d’une opération contraire à
l’intérêt social alors que l’engagement financier des actionnaires semble suffire par ailleurs à les
désigner comme dépositaires de ce même intérêt social ? En réponse à ce paradoxe on peut relever
que cette mesure promeut la démocratie sociale, en faisant obstacle à une éventuelle tyrannie de la
15 Cass. Com. 18 mars 2020 n°18-17.010
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
majorité, exercée par un associé influent et que cette volonté s’inscrit dans la filiation d’autres
dispositifs prévus par le code de commerce au profit d’associés minoritaires. Il s’agit en somme
d’éviter que la société ne soit dépouillée par 50 % plus une voix au détriment de l’autre moitié des
associés. Cette analyse confirme donc que cette procédure a vocation à promouvoir la loyauté en
diminuant la capacité d’un dirigeant ou d’un associé à agir en dépit de l’intérêt social. On peut
également noter qu’il ne s’agit pas spécifiquement du devoir de loyauté du dirigeant mais plus
largement de la loyauté des personnes influentes au sein de la société, incluant le dirigeant.
Au delà de ces considérations, il faut noter que les associés ne sont pas les seuls garants de
l’intérêt social. Leur rôle s’articule avec celui du commissaire aux comptes et celui du juge.
§2 : Le contrôle externe des situations de conflit d’intérêt interne, le rôle du commissaire aux
comptes et du juge.
Comme exposé en introduction, la société au sens juridique et commercial a vocation à trouver
sa place au sein de la Société au sens politique. A ce titre, son intérêt et sa destinée n’intéressent pas
uniquement ses organes de gestion ou de décision mais également les tiers. On peut citer à ce titre
l’État qui prélève des impôts pour financer l’entretien de la paix sociale notamment à travers
système judiciaire, permettant ainsi la bonne conduite des affaires. Il faut également mentionner les
salariés qui ne sont que rarement partie aux décisions de la société mais dont la subsistance est
directement adossée à son activité économique, les créanciers dont l’intérêt dépend de sa santé
financière et les entreprises concurrentes qui sont reliées entre elles par l’entremise du marché sur
lequel elles évoluent. Enfin, on peut également prendre en compte les individus anonymes dont la
vie peut être impactée directement ou indirectement, à la marge ou substantiellement, par l’activité
de la société. Il peut par exemple s’agir de consommateurs ou de personnes victimes d’un accident
industriel. Parce que la situation d’une société dépasse le strict cadre social, il semble normal que le
juge ait vocation à l’encadrer (B). De même, le caractère particulièrement technique de la gestion
d’une entreprise justifie le recours à un technicien pour son contrôle (A).
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
exercice ». Ils doivent en outre communiquer aux organes compétents de la société certaines
informations : information sur les comptes aux dirigeants, rapports aux associés, observations
relatives aux comptes prévisionnels… De même ils doivent avertir les magistrats du parquet ou
Tracfin lorsqu’ils découvrent des actes pénalement répréhensibles ou soupçonnent la société de
participer à des activités de blanchiment ou de financement du terrorisme. A cela s’ajoute une
mission d’alerte lorsque le commissaire aux comptes découvre des faits de nature compromettre
l’exploitation de la société. Pour faire le lien avec les développements précédents, il faut mentionner
que le commissaire aux comptes joue un rôle important en matière de conventions réglementées,
notamment en matière d’information des associés à travers son rapport spécial ainsi qu’en matière
d’identifications de ces conventions.16 Sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans le détail, Anne
FAUCHON et Philippe MERLE relèvent dans leur ouvrage que les missions des commissaires aux
comptes ont eu tendance à s’étendre et à se diversifier, au point qu’ils la qualifient de plus proche
d’un « commissariat aux sociétés » que d’un commissariat aux seuls comptes17.
D’emblée, il faut noter que la mission de contrôle technique du commissaire aux compte relève
de nombreux impératifs de la vie des affaires, le contrôle du respect par le dirigeant des obligations
issues de son devoir de loyauté n’en étant qu’un parmi d’autres. Il serait donc abusif de dire que ce
contrôle constitue une manifestation de ce devoir en particulier. Toutefois, les missions du
commissaire aux comptes peuvent être regardées comme de nature à promouvoir le devoir de
loyauté du dirigeant et certaines de ses différentes manifestations. En effet, comme toute mesure
d’information elles permettent une transparence de nature à décourager ou permettre la sanction
d’une déloyauté. Le caractère d’expertise de cette mission permet de mettre en lumière
d’éventuelles déloyautés indécelables sans une compétence technique particulière. De même, le
caractère externe à la société du commissaire aux comptes est de nature à lui conférer une certaine
impartialité et à le mettre à l’abri du risque de développer une forme d’entre-soi et de complaisance
avec ses dirigeants et associés, ce qui protège notamment sa capacité à contrôler la bonne exécution
du devoir de loyauté du dirigeant et des obligations qui en sont issues. En dépit de leurs obligations
de diligence, il faut tout de même noter que le droit ne demande heureusement pas aux
commissaires aux comptes d’être infaillibles18.
16 Bruno DONDERO, « Le commissaire aux comptes et les conventions réglementées », La gazette du palais n°224,
11/08/2012, LEXTENSO, page 8.
17 A. FAUCHON, P. MERLE, Droit commercial, sociétés commerciales, 24ème édition, DALLOZ 2020, page 666.
18 Olivia DUFOUR, « Les commissaires aux comptes offrent « une assurance élevée mais non absolue » », Petites
affiches n°6 8 janvier 2015 page 3.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
Malgré la tendance à l’inflation des missions du commissaire aux comptes, la loi PACTE 19 et son
premier décret d’application en date du 24 mai 2019 ont marqué un important recul de son rôle. En
effet, en rehaussant les seuils au-delà desquels sa désignation devient obligatoire 20, ce texte fait
échapper de nombreuses sociétés à l’audit d’un commissaire aux comptes et notamment au contrôle
de la loyauté du dirigeant qu’il permet. Pour autant, il semble excessif de voir dans ce texte un refus
du législateur et du gouvernement de poursuivre leur œuvre de moralisation de la vie des affaires et
sociale ou, sur le thème qui intéresse le présent travail, un recul de l’obligation de loyauté du
dirigeant. Il y a deux raisons à cela. D’une part et en dépit de cette loi, les obligations du dirigeant
restent inchangées, seul leur contrôle s’amoindrit. D’autre part, il ne s’agit pas tant d’ouvrir la porte
à de quelconques malversations que d’alléger les charges pesant sur les PMEs, comme l’explique
Xavier DELPECH « la certification légale des comptes, principale mission confiée aux
commissaires aux comptes, présente une charge financière importante pour les entreprises, et
notamment les plus petites d'entre elles. […] la loi PACTE a pris le parti de privilégier l'objectif de
simplification et d'allégement des charges pour favoriser le développement des petites entreprises au
détriment de la fiabilité de l'information financière fournie par ces dernières »21. Cette mesure relève
donc plus d’un arbitrage que d’une réelle volonté politique. Au crédit de cet arbitrage, peut être
portée une analyse en terme d’externalités générées. En effet, alléger les charges pesant sur les
entreprises permet de faciliter a minima la survie d’une entreprise, sinon son développement ou ses
investissements. Cela se traduit par une conservation ou un accroissement des emplois, un maintien
ou un développement de la concurrence, des gains de compétitivité entraînant un enrichissement
relatif et potentiellement une baisse des prix ou l’émergence de produits innovants. Ces externalités
positives ne semblent pas fondamentalement remises en causes par la hausse d’inexactitudes
comptables ou de malversations que l’on peut redouter en l’absence de commissaires aux comptes.
Par conséquent, il semblerait que les bénéfices de la suppression de l’obligation de recourir aux
services d’un commissaire aux comptes pour certaines entreprises en ait surpassé les coûts. Bien
entendu, ce raisonnement est éminemment discutable, la place de valeurs telles que la loyauté dans
la vie des affaires relevant avant tout du débat politique. Toutefois, cet état de faits a le mérite de
19 Loi du 22 mai 2019 n°2019-486 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE
20 « total du bilan de 4 000 000 € (contre 1 550 000 € dans l'ensemble des sociétés commerciales hors SA et
1 000 000 € dans les SAS auparavant) ; montant hors taxes du chiffre d'affaires de 8 000 000 € (contre 3 100 000 €
et 2 000 000 € dans les SAS auparavant) ; nombre moyen de salariés employés au cours de l'exercice de 50 (contre
également 50 et 20 dans les SAS auparavant) ». Source : Xavier DELPECH, Premier décret PACTE : relèvement
des seuils de désignation des commissaires aux comptes, DALLOZ actualité, DALLOZ 29 mai 2019.
21 Xavier DELPECH, Premier décret PACTE : relèvement des seuils de désignation des commissaires aux comptes,
DALLOZ actualité, DALLOZ 29 mai 2019.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
montrer que le devoir de loyauté du dirigeant est certes un impératif important de la vie sociale mais
qu’il doit être concilié avec d’autres principes, impératifs et valeurs du monde des affaires.
Si le rôle du commissaire aux comptes est surtout informatif, celui du juge s’inscrit plus dans
l’action.
Le juge pourrait également être qualifié d’oméga du devoir de loyauté en vertu de son rôle assez
classique d’appréciation et de sanction dans son application. Ce rôle s’enrichit cependant lorsqu’il
doit appliquer sa jurisprudence relative à l’obligation de loyauté. Dans cette hypothèse il dispose en
outre de la possibilité d’étendre le champ d’application de celle-ci s’il le juge opportun. Ce faisant il
contribue à l’œuvre de création prétorienne précédemment évoquée. Lorsqu’il doit appliquer les
textes, le pouvoir d’appréciation du juge est moins important. Il est limité par la spécificité desdits
textes. Dans cette hypothèse, le juge doit vérifier que les faits entrent dans le champ des textes et en
sanctionner l’application, la jurisprudence n’ayant ici qu’un rôle d’ajustement. Par exemple, en
matière de droit d’information des actionnaires d’une SA, le juge des référés peut ordonner à la
société de communiquer aux actionnaires, les documents qu’elle refuse de leur communiquer.
L’actionnaire qui démontre un préjudice peut également se voir attribuer des dommages-intérêts
dont le quantum est laissé à l’appréciation du juge. De même, en matière de convention
réglementées le juge est chargé d’annuler les conventions interdites (L225-43) et celles, passées
sans autorisation du conseil d’administration, qui ont eu des conséquences dommageables pour la
société (L225-42). De même, lorsque la nullité n’est pas possible, il peut ordonner que soient mis à
la charge de l’intéressé les conséquences de la convention préjudiciables à la société.
De ce point de vue, le rôle du juge est d’assurer l’effectivité des droits et devoirs posés par les
textes en les sanctionnant. En d’autres termes, il s’agit, par la sanction, d’assurer le caractère
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
Le pouvoir d’appréciation du juge conserve sa vigueur et dispose d’une étendue qui demeure
importante, en dépit du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, lorsqu’il s’agit de se
prononcer sur la culpabilité d’un dirigeant accusé d’une déloyauté pénalement incriminée.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien
quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou
d'en faire un usage déterminé ». Cette définition appelle à distinguer la remise préalable du bien
(§1), son détournement et le préjudice de la victime qui dans le cadre de ce travail est considérée
être la société (§2) ainsi que l’élément moral de l’infraction ou mauvaise foi de son auteur, qui dans
le cadre de ce travail est considéré être le dirigeant (§3).
Ainsi, il doit s’agir d’un bien et non d’un service. Si la jurisprudence a pu condamner l’abus
d’une prestation de service22, ce n’est qu’au prix d’un artifice juridique sans doute motivé par la
mauvaise foi patente du dirigeant d’une association qui faisait effectuer aux salariés de la structure,
des travaux dans sa propre demeure. Il n’est donc pas certain que cette jurisprudence, quelque peu
marginale à l’aune de la lettre de l’article 314-1 du code pénal, ait vocation à être étendue à des
situations de mauvaise foi moins évidente. En outre, il faut saluer l’audace de la Cour de cassation
qui, en l’espèce, a étendu la portée d’un texte, de sorte à condamner un comportement
manifestement déloyal du dirigeant d’une association envers celle-ci, sans que cela pose de réelle
difficulté sur le terrain de la sécurité juridique et de la prédictibilité du droit, l’extension semblant
plus avoir vocation à combler une lacune du texte qu’à véritablement incriminer une situation
radicalement nouvelle.
Sans que cela ne soulève véritablement de difficulté en pratique, le bien détourné doit avoir une
valeur pécuniaire. Il peut également s’agir d’un meuble corporel ou incorporel. Curieusement, la
Chambre criminelle a refusé de reconnaître la qualité de bien à une créance 23. C’est un peu
surprenant car il est difficile de voir en quoi un abus portant sur une créance serait différent et
moins condamnable ou déloyal qu’un abus portant sur tout autre bien. Toutefois il faut noter que la
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
jurisprudence ayant posé cette exclusion est assez ancienne. Aussi il n’est pas certain qu’elle serait
réitérée si la question venait à se poser aujourd’hui.
Si la remise d’un bien est la condition préalable, son détournement constitue l’élément matériel
de l’infraction.
L’article 341-1 du code pénal mentionne le « préjudice d'autrui ». Cette condition est entendue de
manière très large par la Cour de cassation qui retient un préjudice matériel, moral ou même
simplement éventuel. Sa jurisprudence tend vers une reconnaissance mécanique du préjudice dès
lors qu’est établi le détournement. Cette manière de juger a pour conséquence de recentrer
l’infraction sur le comportement de l’auteur et de limiter la possibilité pour lui d’échapper aux
poursuites d’une manière illégitime, en cas de bonne fortune au jeu par exemple, s’il a utilisé des
fonds de la société pour miser dans des paris. En terme de loyauté, cette tendance jurisprudentielle a
un aspect positif indéniable en cela qu’elle permet de sanctionner un comportement gravement
24 Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 octobre 2001 ; Cour de cassation, Chambre criminelle 14 janvier 2009.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
déloyal qui a échappé à toute conséquence. Cela étant, une réserve peut être formulée à l’encontre
de cette tendance : elle ne doit pas conduire à vider l’exigence du « préjudice d’autrui » de sa
substance. Cette critique est à rapprocher de l’analyse du professeur Didier REBUT en matière
d’atteinte à l’intérêt social en cas de compte courant débiteur dans le cadre de l’abus de biens
sociaux25.
Toutefois, elle peut potentiellement conduire à sanctionner des comportements qui ne présentent
qu’un préjudice léger ce qui est susceptible de soulever une difficulté en terme d’élément moral de
l’infraction.
Cette tendance jurisprudentielle permet donc de poursuivre plus efficacement des comportements
déloyaux, ce qui contribue à rapprocher l’infraction d’abus de confiance appliquée au dirigeant
d’une sanction de la déloyauté envers sa société et son intérêt. Si cette facilité probatoire apparaît
pertinente, il faut s’en remettre au discernement des juges du fond pour ne pas qu’elle conduise à
vider l’exigence d’un préjudice de sa substance.
L’abus de confiance apparaît donc comme une sanction relativement efficace de la déloyauté. En
dépit de ce constat, l’exception relative aux immeubles induit un tempérament important qui fait de
l’abus de confiance une sanction imparfaite de la déloyauté et donc une manifestation imparfaite du
devoir de loyauté. Cette exception relative aux immeubles n’existant pas en matière d’abus de biens
sociaux, cette dernière infraction coïncide de manière plus exacte avec l’idée de sanctionner des
comportements déloyaux.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
L’abus de bien sociaux ne peut toucher que certaines sociétés à raison de leur forme, notamment
la SA, la SAS, la SARL ou encore la SCA. Il s’agit toujours de sociétés à responsabilité limitée.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
Dans une société à responsabilité illimitée, la responsabilité dirigeant doit être recherchée sur le
terrain de l’abus de confiance qui s’inscrit ainsi dans une forme de complémentarité avec l’abus de
biens sociaux. La qualité de victime de l’infraction est donc réservée non seulement à une société
mais encore à une société constituée sous l’une des formes prévues. Cela se traduit lors des
poursuites par une restriction de la possibilité d’exercer l’action civile. En effet, seule la société
peut demander à être indemnisée que ce soit par la voix de son (nouveau) dirigeant dans le cadre de
l’action ut universi, ou par celle des associés dans le cadre de l’action ut singuli. La conséquence de
cette disposition est l’exclusion de la demande en réparation émanant de toute autre personne,
notamment d’un associé en son nom propre. Cet élément montre une nouvelle fois que le délit
s’inscrit dans la relation entre le dirigeant et la société. L’abus de biens sociaux constitue donc une
sanction du devoir de loyauté du dirigeant envers la société et non envers ses associés. La limitation
à certaines formes sociales induit un petit tempérament dans le fait que cette infraction ne permet
pas de sanctionner une déloyauté perpétrée dans une société autres que celles visées.
Il semble difficile d’imaginer une déloyauté sans intention. Aussi un dol général est-il exigé à fin
de caractérisation de l’infraction.
Toutefois, un véritable problème se pose lorsqu’un dirigeant commet un abus minime. Il s’agirait
par exemple de l’hypothèse dans laquelle un dirigeant règle des dépenses personnelles d’un montant
raisonnable avec les moyens de paiement de la société, avant de la rembourser dès le lendemain. Un
tel comportement pourrait par exemple intervenir pour une raison pratique : l’oubli par le dirigeant
de ses moyens de paiement personnels. Dans cette hypothèse, il semble tout à fait possible que ledit
dirigeant agisse en l’absence de dol général sans avoir conscience du caractère constitutif d’un
manquement, moral ou légal, de ses actes. De même il semble difficile de soutenir que le
décaissement d’une somme modeste pendant une durée pouvant se compter en heures puisse porter
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
Un autre tempérament peut être trouvé dans la manière dont la jurisprudence interprète
l’exigence d’un dol spécial.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
société lui aurait permis de quitter son poste un peu plus tard et donc de travailler un peu plus
longtemps au service de la société. Si ce dernier argument passe pour ténu et assez audacieux, il
n’est pas plus absurde que celui qui consiste à soutenir qu’en l’absence de situation particulière, le
décaissement d’une somme modeste par la société au profit du dirigeant pendant une faible durée
porte préjudice à celle-ci.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
d’une assemblée générale. Cette dernière catégorie d’abus n’est plus vraiment d’actualité puisque
certaines dispositions permettent aujourd’hui de prévenir ce type d’abus.
Ces quatre catégories d’abus permettent de couvrir un vaste champ d’actes matériels ce qui
permet de poursuivre une grande variété de comportements déloyaux du dirigeant sans que les
poursuites ne risquent d’être bridées par une omission ou une restriction quelque peu artificielle,
comme ce peut être le cas pour les immeubles en matière d’abus de confiance. La variété des actes
matériels prévus, participe donc à faire de l’abus de biens sociaux une sanction de la déloyauté du
dirigeant vis-à-vis de sa société, quelle que soit la forme qu’elle peut prendre.
L’exigence d’un acte contraire à l’intérêt social constitue le principal élément permettant
d’assimiler l’abus de biens sociaux à la sanction d’une déloyauté. En effet, il semble difficile de
qualifier de déloyal un acte qui ne porte pas préjudice à la société intéressée. Également, le
caractère extensif de l’interprétation de cette notion par la jurisprudence à travers sa volonté de
privilégier son acception institutionnelle, de même que la reconnaissance de l’intérêt de groupe,
permettent de mieux rendre compte de la réalité en évitant que les associés ne puissent sauver un
acte délictueux du dirigeant, ou à l’inverse, qu’un dirigeant ne soit condamné pour avoir géré des
affaires dans une perspective dépassant le seul cadre social. Dès lors, la condition du caractère
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
contraire à l’intérêt social ainsi que son interprétation permettent une sanction pertinente de la
déloyauté à travers l’abus de biens sociaux.
Ce constat mérite cependant d’être nuancé. Le professeur Didier REBUT s’est notamment
prononcé en faveur d’un assouplissement de la condamnation pénale du dirigeant qui aurait un
compte courant débiteur. « Il faut cependant constater que les juges répressifs semblent enclins à
considérer que le bénéfice d'un compte courant débiteur est nécessairement contraire à l'intérêt
social au sens du délit d'abus de biens sociaux. Leur analyse procède des articles L. 223-21, L. 225-
41 et L. 225-91 du code de commerce qui font interdiction aux dirigeants de se faire consentir un
découvert en compte courant par la société. Ils en déduisent que le dirigeant qui viole cette
interdiction commet un acte contraire à l'intérêt social susceptible d'être qualifié d'abus de biens
sociaux. C'est ce qui ressort de la motivation de plusieurs décisions où le bénéfice d'un compte
courant débiteur a été qualifié en lui-même d'acte contraire à l'intérêt social […]. Mais cette
qualification méconnaît le délit d'abus de biens sociaux qui n'a pas pour objet de punir la violation
de prescriptions formelles du droit des sociétés. Il ne peut en aller ainsi que si cette violation donne
lieu à un paiement dépourvu de contrepartie ou expose l'actif social à un risque injustifié. Or, cette
absence de contrepartie ou cette exposition de l'actif social à un risque injustifié ne ressortent pas
nécessairement de la violation de l'interdiction sur le bénéfice d'un compte courant débiteur. C'est
pourquoi l'équivalence faite par les juges répressifs entre la violation de cette interdiction et la
commission d'un acte contraire à l'intérêt social est éminemment contestable »33.
Lue a contrario, cette analyse tend à montrer qu’en dépit de la jurisprudence en vigueur, un
dirigeant qui se ferait consentir un prêt d’un montant raisonnable par sa société, par le biais d’un
compte courant débiteur par exemple, et le rembourserait quelques mois plus tard avec des intérêts,
sans que le remboursement n’ait été soumis à un aléa particulier, ne commettrait pas un acte
contraire à l’intérêt social. Le versement d’un intérêt non-dérisoire constituerait une contrepartie
pour la société. De même, en l’absence d’aléa particulier il ne semble pas que l’opération fasse
courir un risque anormal au patrimoine social. Une telle interprétation, un peu plus souple et sans
doute un peu moins théorique, de l’intérêt social, aurait également le mérite de renforcer la
correspondance entre la caractérisation de l’abus de biens sociaux et la sanction d’une déloyauté du
dirigeant.
33 Didier REBUT, « Abus de biens sociaux – éléments constitutifs », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale,
DALLOZ, 2010, actualisé en 2018, alinéas 45 et 46.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
Également, s’est posée en jurisprudence la question de l’usage des biens de la société en vue de
commettre une infraction profitable à la société. Après certaines hésitations jurisprudentielles,
l’arrêt Carignon34 a retenu en 1997 que « quel que soit l'avantage à court terme qu'elle peut
procurer, l'utilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit tel que la
corruption est contraire à l'intérêt social en ce qu'elle expose la personne morale au risque anormal
de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à
sa réputation ». La Cour de cassation exclut donc la conformité à l’intérêt social d’une infraction
censée être profitable à la société. Si cette solution a le mérite de désapprouver et dissuader la
commission d’une infraction, elle semble légèrement biaisée sur le plan de la rigueur théorique. En
effet, il est possible d’imaginer des situations dans lesquelles le bénéfice attendu de l’infraction
serait supérieur au préjudice encouru tant en matière fiscale que pénale ou d’image. Dans ces
hypothèses la commission de l’infraction relèverait de la faute lucrative et constituerait un acte sans
doute illégal et immoral mais conforme à l’intérêt social. Par conséquent, dans cette hypothèse,
l’acte du dirigeant ne constituerait pas une déloyauté envers la société. Si les vertus de la solution
posée par la Cour de cassation invitent à l’indulgence vis-à-vis de cette petite imperfection, il faut
remarquer qu’elle relève plus de la sanction du dirigeant envers la Société et l’ordre public, ce qui
induit un tempérament dans une conception de l’abus de bien sociaux comme sanction d’une
déloyauté envers la société.
Les différents exemples développés dans cette partie ont en commun de relever d’un devoir de
loyauté du dirigeant dans ses relations avec la société ou ses organes. Ce devoir se manifeste
également dans les relations du dirigeant avec des personnes externes à la société et se matérialise
principalement par l’encadrement de la concurrence qu’il est susceptible de faire à la société.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
35 Cour de cassation, Chambre commercial 7 juin 1994 DALLEST contre Sarl PRO SI DEX.
36 Cour de cassation, Chambre commerciale, 11 juin 1964 : MAIS ATTENDU QUE LA COUR D'APPEL RELEVE
QUE VALBY, SIMPLE PORTEUR DE PARTS N'EXERCANT DANS LA SOCIETE "CUISINE DE FRANCE"
AUCUNE FONCTION DE GERANCE NI D'EMPLOI SALARIE, ETAIT, A DEFAUT D'UNE INTERDICTION
FORMULEE AUX STATUTS OU RESULTANT D'UN ENGAGEMENT PARTICULIER SOUSCRIT PAR LUI
DONT LA SOCIETE NE JUSTIFIE PAS, LIBRE DE S’INTERESSER A UNE NOUVELLE ENTREPRISE,
MEME SUSCEPTIBLE D'ENTRER EN CONCURRENCE… »
37 Raymonde VATINET, Déloyauté contractuelle ou concurrence déloyale ? (de la prétendue obligation de non-
concurrence du salarié et du mandataire social), DALLOZ, Revue sociétés, 1995 page 275.
38 Cour de cassation, chambre commerciale, 24 février 1998, n°96-12.638
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
Par la suite, la jurisprudence s’est employée à dissiper le doute. Dans un arrêt de 2011 40 elle a
réaffirmé qu’il s’agissait d’une obligation de non-concurrence en condamnant la captation d’un
marché par le dirigeant pour le compte d’une société concurrente qu’il dirigeant également. De
même, Laurent GAUDON relève que cet arrêt réitère le caractère consubstantiel de la fonction de
direction du devoir de loyauté qui fonde l’obligation de non-concurrence : « On ne saurait mieux
exprimer ainsi l'idée que l'obligation de loyauté et de fidélité s'apparente à un « devoir fonctionnel »
en ce sens qu'elle est attachée à la fonction de direction elle-même, indépendamment de la forme de
la société en cause, et qu'il n'est nullement besoin de l'avoir stipulée »41. Dans un article de 2017,
Jean-Marc MOULIN note a posteriori que cet arrêt rendu au visa de l’article L223-22 du code de
commerce a également marqué une évolution du le fondement juridique utilisé par la Cour de
cassation : « Rappelons ici qu’un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le
15 novembre 2011 a permis de bien distinguer l’action en responsabilité diligentée contre le gérant
en exercice d’une société pour manquement à son obligation de loyauté fonctionnelle fondée sur un
texte spécial du droit des sociétés, d’éventuelles actions intentées par la société contre son ancien
dirigeant social sur le fondement de l’article 1382 du Code civil pour concurrence déloyale ou, à
tout le moins, usage de moyens déloyaux »42. Cette remarque fait écho à un regret qu’exprimait
Laurent GAUDON dans son article : « Tantôt, la Cour de cassation se montre rigoureuse en
39 Marie-Laure COQUELET « Concurrence déloyale et obligation de loyauté de l’ancien dirigeant », DALLOZ revue
des sociétés, 1998, page 546.
40 Cour de cassation, chambre commerciale, 15 novembre 2011, 10-15.049
41 Laurent GAUDON « l’obligation de non-concurrence de l’associé et du dirigeant de société », DALLOZ, Revue
sociétés, 2012 page 292.
42 Jean-marc MOULIN, « Retour sur l’obligation de non-concurrence des dirigeants sociaux » LEXTENSO, Gazette
du palais, n°23, paru le 20 juin 2017, page 60.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
considérant que l'action en dommages et intérêts fondée sur l'article 244 de la loi de 1966 doit être
nettement distinguée de celle basée sur la concurrence déloyale; tantôt au contraire elle n'hésite pas
à sanctionner des agissements relatifs à la période contractuelle sous couvert de concurrence
déloyale et à faire en conséquence application de l'article 1382 du Code civil. […] de nombreux
auteurs regrettent que contrairement à une saine orthodoxie juridique et par un abus de langage, la
Cour de cassation sacrifie à l'approximation en attribuant la qualification d'acte de concurrence
déloyale à des agissements qui devraient être uniquement sanctionnés dans le cadre de la
concurrence interdite par le contrat ».
Cet arrêt de 2011 a achevé de fixer le régime actuel du devoir de non-concurrence du dirigeant.
Depuis lors, cette obligation n’a été qu’ajustée à la marge par la jurisprudence.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
Cette solution pousse à s’interroger en détail sur l’hypothèse du cumul des mandats au lieu du
cumul d’un mandat et d’un contrat de travail. Jean-Marc MOULIN soutient que, le cumul de
mandats n’étant pas prohibé par principe, l’existence d’un conflit d’intérêt doit être prouvée lorsque
le dirigeant accepte de diriger une société tierce. « Un raisonnement similaire peut être tenu mutadis
mutandis si l’on envisage la situation du dirigeant social qui ambitionne d’exercer un autre mandat
social. Un tel cumul de mandats n’est pas en soi prohibé en droit français, il serait même plutôt la
règle pour les chefs d’entreprises, sous réserve des quelques dispositions qui tentent bien mollement
de limiter ce type de cumul. C’est donc, en réalité, toujours par rapport aux activités effectivement
développées par les sociétés auxquelles participe le dirigeant social qu’il conviendra concrètement
de déterminer si celui-ci fait ou non une concurrence déloyale à la société qu’il dirige. Les
pourcentages de chiffre d’affaires, l’aspect stratégique de telle ou telle branche d’activité exprimé,
par exemple, en dépenses de R&D, les zones géographiques de présence, voire simplement la
loyauté que chacun doit à ses engagements envers autrui seront autant de critères permettant de le
43 Cette liberté est fondée par le décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791 et la loi Le Chapelier des 14 et 17 juin 1791.
Sa valeur constitutionnelle a été établie par le Conseil constitutionnel dans la décision n° 81-132 DC du 16 janvier
1982.
44 Cour de cassation, chambre commerciale, 8 février 2017 n°15-17.904. L’attendu de principe ne mentionne pas la
situation de concurrence des deux sociétés, cela s’évince des faits.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
déterminer »45. Il faut donc que la société tierce soit une concurrente de la première pour que la
situation vienne à poser problème.
Mais dans cette hypothèse faudrait-il tout de même prouver le conflit d’intérêt ou celui-ci
devrait-il être présumé du fait de cette situation de concurrence entre les deux sociétés ? La
rédaction de l’arrêt du 11 février 1964 tendrait à plaider vers une présomption. Toutefois la
rédaction de l’arrêt du 15 novembre 2011 (n°10-15.049) se veut plus subtile. En effet, elle semble
exclure implicitement le cumul des mandats de représentation sociale entre sociétés concurrentes, la
négociation de marchés étant intrinsèque à la fonction : « … sa qualité de gérant de la société Clos
du Baty, lui interdisant de négocier, en qualité de gérant d'une autre société, un marché dans le
même domaine d'activité ». Toutefois elle n’exclut pas explicitement le cumul d’un mandat de
représentation et d’un autre de gestion, dénué de prérogatives de représentation. De même, dans
l’hypothèse d’une pluralité de mandataires sociaux, elle ne semble pas non plus exclure un mandat
de représentation, à condition que lesdites prérogatives de représentation ne s’étendent pas à la
branche d’activité effectivement concurrente. Il faut noter qu’il ne s’agit là que d’une analyse
implicite fondée sur la lettre de l’arrêt et qu’en l’absence de confirmation plus explicite, il serait
hasardeux pour un dirigeant d’accepter une mandat social dans une société concurrente à celle qu’il
dirige. De même, l’arrêt de 2017 n’ayant pas été publié, il semble également périlleux pour un
dirigeant d’accepter un emploi salarié dans une société concurrente, sauf à être placé dans une
situation de nature à exclure avec certitude tout conflit d’intérêt46.
Enfin, on peut questionner la pertinence de l’exigence de preuve d’un conflit d’intérêt, qui
semble être établie en matière de cumul du mandat et d’un contrat de travail et qui est supposée, par
transposition de la solution, en cas de cumul de deux mandats 47. En effet, l’exigence d’une
démonstration de l’existence d’un conflit d’intérêt effectif ou potentiel, semble être de nature à
laisser une certaine latitude au conflit d’intérêt pour prospérer, cette preuve pouvant être difficile à
apporter. Il pourrait être mieux équilibré de partager la charge de la preuve : la partie alléguant la
violation de l’obligation de non-concurrence devrait ainsi apporter la preuve de la situation de
concurrence des deux société et voir de ce fait la déloyauté présumée. A son tour, le dirigeant accusé
pourrait se défendre en prouvant l’absence effective de conflit d’intérêt.
45 Jean-marc MOULIN, « Retour sur l’obligation de non-concurrence des dirigeants sociaux » LEXTENSO, Gazette
du palais, n°23, paru le 20 juin 2017, page 60.
46 Il faut noter qu’au regard des incertitudes jurisprudentielles, même dans une situation exclusive de tout conflit
d’intérêt, une action, contentieuse à l’encontre du dirigeant pourrait être tentée.
47 Il semble judicieux de rappeler qu’il ne s’agit là que d’une interprétation de la jurisprudence dont l’effectivité
apparaît hautement incertaine.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
En l’état actuel du droit, le dirigeant peut se défendre en établissant qu’il a été autorisé à
concurrencer la société par l’unanimité des associés.
Cet arrêt a de quoi laisser perplexe. Comme le relève Nadège JULLIAN, cet arrêt améliore la
sécurité juridique des dirigeants en prévenant « un volte-face de la part des associés, bien plus gênés
qu’ils ne le prévoyaient de la concurrence du dirigeant ». En cela elle relève qu’il est toujours
question de loyauté « mais cette fois [de] la loyauté des associés à l’égard du dirigeant ». Cet arrêt
marque donc un léger recul de l’obligation de non-concurrence du dirigeant en posant une
circonstance exonératoire de responsabilité qui montre le caractère non-absolu de cette obligation.
Cette limitation a un aspect positif parce qu’elle met un dirigeant de bonne foi à l’abri d’un
comportement déloyal de ses associés. Néanmoins, la situation d’un dirigeant à la tête de deux
société concurrentes reste problématique, porteuse du germe d’un conflit d’intérêt et donc de la
déloyauté du dirigeant. Par conséquent, on peut appréhender que cette décision se révèle incitative
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
et aboutisse à ce que ce cas de figure se répande. Cela étant, les associés n’ayant par principe aucun
intérêt à cela, le risque apparaît tout de même limité.
Également, cette décision apparaît quelque peu surprenante dans la manière dont elle traite
l’intérêt social. Comme le relève Nadège JULLIAN, cette solution « fait la part belle à l’analyse
contractuelle de la société ». Il faut noter d’emblée que la tendance actuelle est plus à l’analyse
institutionnelle de celle-ci et qu’en conséquence cette décision s’inscrit à contre-courant de cette
tendance. Ce constat est issu de la déclaration de la Cour de cassation évoquant un « fait
dommageable portant atteinte à un droit ou à un intérêt dont la victime pouvait disposer ». Dans son
commentaire, Nadège JULLIAN assimile cet intérêt à un intérêt pécuniaire disponible par principe,
à l’inverse, par exemple, de l’intégrité du corps humain50. Cette analyse peut apparaître quelque peu
réductrice et il semble juste de soutenir que cet intérêt est l’intérêt social. En effet, la concurrence
exercée à l’encontre de la société ne porte pas uniquement atteinte à ses finances mais également à
son activité, aux perspectives de développement de celle-ci et au final, à plus ou moins grande
échelle à sa vie toute entière. Même si la qualification d’intérêt pécuniaire n’est pas fausse, les
données liées à l’activité de la société ayant vocation in fine à se traduire en termes financiers, elle
ne rend pas compte de la communauté d’intérêts qui gravite autours de la société : salariés,
créanciers, administration fiscale… Il semble donc pertinent d’identifier l’intérêt en jeu comme
l’intérêt social. Or, cela revient à admettre que l’intérêt social puisse se trouver à la disposition des
associés.
D’une part on peut relever qu’une telle solution s’inscrit une nouvelle fois à contre-courant de la
tendance actuelle. D’autre part on peut relever une discordance avec le choix fait en droit pénal et
notamment en matière d’abus de biens sociaux, de consacrer l’indisponibilité de l’intérêt social pour
les associés. Si, de prime abord, il ne semble pas surprenant que le droit pénal soit plus sévère que
sa contrepartie civile, les choses semblent moins évidente lorsqu’on analyse cela sous l’angle de la
déloyauté. En effet, la concurrence exercée par le dirigeant porte atteinte à l’intérêt social comme
l’abus de biens sociaux, bien que d’une manière différente. Comme en matière d’abus de biens
sociaux, cette atteinte est susceptible de léser tout à la fois les associés, les salariés et les créanciers
de la société ainsi que l’administration fiscale. La différence réside dans le fait que le plus souvent
l’infraction entraîne une perte là où la concurrence génère un manque à gagner. Il pourrait même
être soutenu que la concurrence est plus néfaste en cela qu’elle limite la capacité de l’entreprise à
50 Article 16-1 du code civil : « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps
humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial ».
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
acquérir de l’influence sur un marché, là ou l’infraction se contente le plus souvent d’en limiter les
bénéfices. Tout comme en matière d’abus de biens sociaux, la concurrence exercée par le dirigeant a
vocation à l’enrichir ou à enrichir une société tierce. Enfin, le préjudice consécutif à un abus de
biens sociaux ne semble pas fondamentalement plus lourd que celui issu d’un acte de concurrence
du dirigeant. Cela dépend de chaque situation analysée in concreto. La seule différence tangible
réside dans la nature des actes perpétrés : d’une part il y a abus des biens, du crédit, du pouvoir ou
des voix au sein de la société, de l’autre il y a usage de la liberté d’entreprendre. En dépit de cette
différence, lorsqu’on se place sur le terrain du préjudice subi, ces deux types d’actes apparaissent
gravement préjudiciables et de ce fait moralement très déloyaux. Si l’on peut admettre que la
différence entre ces deux comportements justifie l’incrimination de l’un et non celle de l’autre, il
semble plus discutable d’induire une différence de traitement au niveau de l’objet du préjudice
lorsque celui-ci est identique et ledit préjudice comparable.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
L’action en concurrence déloyale est fondée sur les articles 1240 et 1241 du code civil dont les
dispositions sanctionnent la responsabilité extra-contractuelle des individus. La faculté de l’ancien
dirigeant à concurrencer sa société n’est donc bornée que par le droit commun. Cette action est très
ancienne puisque Jean-Christophe RODA relève des procès en concurrence déloyale à la moitié du
XIXème siècle51. La nature de concurrence déloyale est sujette à de nombreux débats doctrinaux.
Jean-Christophe RODA la définit comme un « comportement anormal qui cause du tort aux
concurrents ». De manière logique au regard de son fondement textuel, cette action suppose de
prouver l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. Toutefois, la jurisprudence
retient fréquemment « qu’il s’inférait nécessairement des actes déloyaux constatés, l’existence d’un
préjudice », se gardant ainsi d’exiger sa démonstration. De même, il arrive que le lien de causalité
soit présumé52.
51 Jean-Christophe RODA, « Droit de la concurrence », Mémento, DALLOZ, première édition, juillet 2019. Page 139.
52 Jean-Christophe RODA, « Droit de la concurrence », Mémento, DALLOZ, première édition, juillet 2019. Page 142.
53 Jean-Christophe RODA, « Droit de la concurrence », Mémento, DALLOZ, première édition, juillet 2019. Page 143.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
variées, notamment celle d’une une perte de chance, d’une perturbation de l’entreprise victime, ou
encore d’une dégradation de l’image. Le lien de causalité est souvent présumé ou éludé des débats
mais il arrive en des circonstances particulières que les juges exigent la démonstration de cet
élément54.
Ces dispositions ont vocation à s’appliquer à tous les concurrents de la société, incluant, le cas
échéant, son ancien dirigeant.
La distinction existante entre la période contemporaine du mandat et celle qui lui est postérieure
se justifie pleinement notamment par la nécessité pour le dirigeant d’avoir un revenu. Une
obligation de non-concurrence de plein droit postérieure au mandat serait excessive en cela qu’elle
serait de nature à obérer sérieusement la faculté du dirigeant à exercer une activité et à se
reconvertir, en particulier dans le cadre de petites entreprises dans lesquelles le dirigeant est souvent
technicien dans un domaine particulier et où la nécessité d’un revenu plus marquée. De même, il
semblerait quelque peu illogique et excessif d’exiger du dirigeant le même niveau de loyauté envers
la société après son mandat que pendant.
54 Jean-Christophe RODA, « Droit de la concurrence », Mémento, DALLOZ, première édition, juillet 2019. Pages
153 à 158.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
L’action en concurrence déloyale permet donc de sanctionner une déloyauté de l’ancien dirigeant
envers sa société. Pour autant, il serait, semble-t-il, abusif de la considérer comme une
matérialisation de obligation de loyauté du dirigeant en cela que la sanction de la concurrence
déloyale ne fait pas peser sur lui une obligation particulière, cette obligation de loyauté dans la
concurrence étant la même pour tous les concurrents. Elle s’applique à lui comme n’importe quel
acteur du marché et l’astreint simplement à se comporter comme les autres sans chercher un
avantage indu. Au surplus il faut remarquer que l’ancien dirigeant est plus susceptible que d’autres
de se rendre coupable d’un acte de concurrence déloyale et devrait ainsi être encouragé à la
prudence. La sanction de la concurrence déloyale ne procède donc pas spécialement du devoir
général de loyauté du dirigeant mais s’inscrit dans son prolongement lorsqu’il s’agit d’encadrer sa
concurrence. Au delà, la sanction générale de la concurrence déloyale montre que le devoir de
loyauté du dirigeant n’est pas un particularisme du droit des société mais seulement l’un des devoirs
de loyauté existant en droit français. Ainsi le devoir de loyauté du dirigeant pourrait être regardé
comme une étoile parmi d’autres dans la constellation du devoir général de bonne foi contractuel
posé à l’article 1104 et anciennement à l’article 1134 du code civil. Enfin, on peut relever que le
caractère de plus en plus punitif de l’action en concurrence déloyale 56 tend à renforcer cette
obligation générale de loyauté de la concurrence et indirectement celle à la charge de l’ancien
dirigeant à ce titre.
55 Jean-marc MOULIN, « Retour sur l’obligation de non-concurrence des dirigeants sociaux » LEXTENSO, Gazette
du palais, n°23, paru le 20 juin 2017, page 60.
56 Jean-Christophe RODA, « Droit de la concurrence », Mémento, DALLOZ, première édition, juillet 2019. Page 142
et 156.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
Au delà, il est possible d’alourdir et de préciser conventionnellement les obligations pesant sur le
dirigeant en matière de loyauté. L’outil privilégié pour cela est l’accord de non-concurrence.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
de non-concurrence est celui des cafetiers. Il arrive que les clients d’un débit de boissons soient plus
attachés à un gérant avenant, aux animations qu’il propose, ou à l’ambiance qu’il sait insuffler, qu’à
l’établissement dans lequel il exerce. En l’absence de clause de non-concurrence, si ce cafetier
décidait de quitter l’établissement qu’il gère et d’en ouvrir un autre plus loin en ville, il y aurait sans
doute une proportion non négligeable de clients pour le suivre et cesser de fréquenter le premier
établissement. Dans ce type d’hypothèse, une protection de la société uniquement fondée sur la
prohibition de la concurrence déloyale s’avérerait insuffisante et l’interdiction pure et simple de la
concurrence serait nécessaire.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
En terme de loyauté, l’accord de non concurrence doit être regardée comme un instrument de
promotion et d’organisation de la loyauté du dirigeant envers sa société. En effet, elle a le mérite
d’étendre l’obligation de non-concurrence, corollaire de la loyauté, à la période post-contractuelle
qui est tout aussi périlleuse que le temps du mandat et est, en vertu de l’effet relatif des conventions,
plus difficile à encadrer. Ensuite, elle permet d’ajuster cette obligation aux besoins de la société et
permet ainsi un renforcement du caractère intuitu personae de la relation entre le dirigeant et la
société. De même, ce type d’accord permet de poser conventionnellement les termes de la non-
concurrence. De ce fait, l’obligation perd quelque peu du caractère d’ordre public qu’elle pouvait
avoir du fait de son origine jurisprudentielle pour devenir un terme des relations contractuelles qui
unissent dirigeant et société, que le dirigeant doit donc accepter. Ainsi, la clause de non-concurrence
permet non-seulement de renforcer le devoir de loyauté du dirigeant envers la société mais
également au-delà de la loyauté d’épaissir légèrement la relation qui unit le dirigeant et la société.
De ce point de vue, ce type d’accord replace le devoir de loyauté du dirigeant dans le contexte de la
relation contractuelle qui l’unit à la personne morale et rappelle qu’il participe de l’économie
générale de ce lien conventionnel.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
contrat de travail, elle exige également qu’un tel accord soit rémunéré et cette condition peut être
exigée à l’égard du dirigeant par exception (B). Ces conditions permettent de nuancer l’importance
du devoir de loyauté du dirigeant (C).
60 Sophie SCHILLER, « Pactes d’actionnaires : clauses statutaires et pactes extrastatutaires – Clauses relatives à la
situation des dirigeants », DALLOZ, Répertoire des sociétés, octobre 2020, actualisé en mars 2021.
61 Cour de cassation, Chambre sociale, 14 mai 1992, n°89-45300
62 Cour de cassation, Chambre commerciale, 8 juin 2017 n°15-27146
63 Cour de cassation, Chambre commerciale, 4 janvier 1994 n°92-14121
64 Jean-Christophe RODA, « Droit de la concurrence », Mémento, DALLOZ, première édition, juillet 2019. Page 174.
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Ce constat conduit à situer le devoir de loyauté dans le contexte juridique général : la loyauté du
dirigeant doit certes s’adapter aux grand principes du droit mais peut être suffisamment importante
pour leur constituer un tempérament. Également, l’encadrement et la reconnaissance du caractère
nécessaire de l’obligation de non-concurrence peuvent être de nature à renforcer l’adhésion du
dirigeant en introduisant une dose de réciprocité de la loyauté et donc à améliorer l’acceptabilité de
cette manifestation de son devoir de loyauté.
Bien que la jurisprudence puisse se montrer exigeante dans les conditions de validité de l’accord
de non-concurrence, le gouvernement d’entreprise en propose un encadrement encore plus
pointilleux.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
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Le devoir de loyauté du dirigeant social : une racine morale et juridique du droit des sociétés.
En offrant une indemnité, la société se garde de toute ingratitude envers le sacrifice de son
dirigeant et renforce ainsi la justification et l’acceptabilité de cette manifestation de son devoir de
loyauté ainsi que la loyauté que la société peut effectivement inspirer à son dirigeant et donc le
respect de son obligation générale de loyauté.
Au delà de la seule rémunération, les préconisations encadrent aussi la clause dans sa mise en
œuvre.
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§2 : Les préconisations relatives à la mise en œuvre de la clause, les témoins d’un objectif
dépassant la promotion de la loyauté du dirigeant.
Dans son article 24.3 le code AFEP-MEDEF préconise que soit insérée dans l’accord de non-
concurrence une stipulation permettant à la société de renoncer à la mise en œuvre de l’accord au
moment du départ du dirigeant. Cette préconisation qui vise l’accord de non-concurrence pour la
période post-contractuelle, permet tout à la fois de délier le dirigeant d’une obligation contraignante
ayant perdu son utilité et pour la société de ne pas devoir verser une indemnité au titre d’une
obligation qui ne lui profiterait pas effectivement. Les vertus de cette préconisation sont
synallagmatiques : elle permet à la société de faire l’économie d’une dépense ayant perdu de son
utilité ainsi qu’au dirigeant de ne pas se trouver lié par une obligation sans réel intérêt, tout en
prévenant une éventuelle contestation de l’obligation à ce titre. De même, l’article 24.2 rappelle que
la conclusion d’un accord de non concurrence est logiquement soumis à la procédure des
conventions réglementée, celui-ci intervenant entre le dirigeant et sa société. Également, l’article
préconise à fin de transparence, que la décision en soit publiée. Enfin, l’article 24.5 exclut la
possibilité pour la société de faire conclure un accord de non-concurrence au dirigeant lors de son
départ. Ce faisant elle évite tout à la fois que soit conclu à la hâte un accord ayant vocation à
augmenter artificiellement la rémunération du dirigeant ou, à l’inverse qu’il soit exercé des
pressions sur le dirigeant en instance de départ afin qu’il accepte une obligation particulièrement
contraignante sans avoir pu préparer sa reconversion ou en échange d’une indemnité insuffisante.
L’analyse de ces préconisations, de même que celles relatives à la rémunération du dirigeant font
émerger un constat : elles n’ont pas pour vocation première de promouvoir la loyauté du dirigeant
de société. En effet, ces préconisations semblent plus orientées vers la protection de l’intérêt social
contre le risque de connivence de la direction et des associés ou vers la protection des intérêts du
dirigeant. Dans le premier cas, il s’agit de protéger la société et à travers elle la communauté
d’intérêts qui l’entoure, d’autant plus importante que l’envergure d’une société cotée peut être
grande ; ainsi, plus spécifiquement, que l’intérêt du petit porteur. Dans le second il s’agit de
moraliser la relation entre société et dirigeant en faisant en sorte qu’il ne se trouve pas à la merci de
cette entité dotée le plus souvent d’une puissance, notamment économique, colossale. Pour autant et
tel qu’expliqué précédemment, ces mesures ne sont pas décorrélées du devoir de loyauté du
dirigeant. Protéger l’intérêt social d’une connivence entre associés et direction renforce
indirectement le devoir de loyauté du dirigeant à l’intérêt social et relève partiellement de celui-ci.
De même protéger l’intérêt du dirigeant est de nature à renforcer son implication ainsi que son
engagement envers la société et du même coup sa loyauté à celle-ci. Si, au regard de l’objectif de
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ces préconisations, il semble abusif de les considérer comme de véritables manifestations du devoir
général de loyauté du dirigeant, on peut établir qu’elles peuvent en relever de manière indirecte,
qu’elles œuvrent dans le sens de son renforcement et peuvent ainsi se placer dans son
prolongement. Cela montre que le devoir de loyauté du dirigeant est un principe consubstantiel de la
fonction de direction d’une société et qu’il est si profondément implanté dans le droit de la gestion
des sociétés, qu’il se trouve renforcé dès lors qu’est prise une mesure de moralisation de la vie
sociale en rapport avec la fonction de direction. Au delà, cela conduit également à replacer le devoir
de loyauté du dirigeant dans son contexte juridique, la loyauté ayant vocation à être exigée dans
d’autres branches du droit et appartenant à une exigence d’objet et d’application plus large : la
bonne foi.
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Conclusion
Au terme de ces développements il apparaît sans nul doute que le dirigeant de société est astreint
envers celle-ci à un devoir de loyauté. Il s’agissait de savoir comment ce devoir général et théorique
trouvait à se manifester. Le parti a été pris d’organiser les différentes manifestations de ce droit
selon un plan thématique, aussi il peut être complémentaire de les rappeler dans un ordre plus
formel.
Ce devoir trouve également à s’exprimer dans un certain nombre de dispositions de droit pénal
des affaires. Dans cette matière, a été privilégiée l’étude des deux infractions les plus connectées à
ce devoir : l’abus de confiance et l’abus de biens sociaux.
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parfois des obligations spécifiques. Ainsi, le devoir de loyauté du dirigeant pourrait être décrit
comme l’une des racines principales de l’arbre du droit des sociétés, nourrissant celui-ci et lui
faisant parfois pousser une nouvelle branche.
Au regard de l’importance du devoir de loyauté, il pourrait sembler judicieux de lui donner une
assise législative dans les textes du code civil relatifs aux sociétés. Cette assise pourrait prendre la
forme d’un nouvel alinéa de l’article 1833.
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Bibliographie
I) Ouvrages
Gérard CORNU, Association HENRI CAPITANT, Vocabulaire juridique, 11ème édition,
PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE, 2017.
Michel VERON, Guillaume BEAUSSONIE Droit pénal des affaires, 12ème édition, DALLOZ
cours, 2019.
« Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées », actualisé en janvier 2020, Édité par
l’AFEP et le MEDEF.
Xavier DELPECH, Premier décret PACTE : relèvement des seuils de désignation des
commissaires aux comptes, DALLOZ actualité, DALLOZ 29 mai 2019.
Olivia DUFOUR, « Les commissaires aux comptes offrent « une assurance élevée mais non
absolue » », Petites affiches n°6 8 janvier 2015 page 3.
Julia HEINICH, « Devoir de loyauté du dirigeant envers la société : pas de responsabilité en cas
d'autorisation unanime des associés », revue des contrats, n°4, 10/12/2020, p.56.
Nadège JULLIAN « L’adage Volenti non fit injuria et le devoir de loyauté du dirigeant », La
semaine juridique – entreprise et affaires – n°45, 05/11/2020 page 17.
Didier REBUT, « Abus de biens sociaux – éléments constitutifs », Répertoire de droit pénal et de
procédure pénale, DALLOZ, 2010, actualisé en 2018, alinéas 45 et 46.
IV) Jurisprudence
Introduction
Cour de cassation, Chambre commercial 7 juin 1994 DALLEST contre Sarl PRO SI DEX.
Clause de non-concurrence