1 - Décortication
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1 - Décortication
Résumé – La décortication ostéopériostée a été imaginée et mise en œuvre au début des années soixante par Robert
et Jean Judet. Conçue sur la base d’une connaissance approfondie de la vascularisation osseuse et des processus de
consolidation, et sur une grande expérience chirurgicale, son efficacité a été confirmée expérimentalement chez
l’animal. Elle consiste à relancer les processus de consolidation par création, autour du foyer, d’un fourreau de gref-
fons osseux vivants car laissés pédiculés aux parties molles adjacentes. Elle apporte une réponse aux problèmes de
consolidation diaphysaires, pseudarthroses ou corrections de cals vicieux. Utilisée comme geste principal de relance
des processus de consolidation, ou comme geste associé (comme dans les grandes reconstructions par greffe), elle est
toujours associée à une stabilisation du foyer par ostéosynthèse. Même si sa réalisation est souvent approximative, son
utilisation est universellement mentionnée. Il est utile de rappeler ses impératifs : sa réalisation exige un matériel
simple, ciseaux de menuisier parfaitement affutés et marteau, et répond à des règles techniques extrêmement précises.
Le non-respect de ces règles en rend la réalisation et l’efficacité illusoires. Un rappel technique détaillé est présenté,
mais ne remplace pas l’incontournable compagnonnage cher à Robert Judet.
Abstract – Osteo-periostic decortication has been imagined and conceived by Robert and Jean Judet in the early
sixties. The principle is based on a solid knowledge of bone healing processes and consists in creating all around
the bone a sheet of bone fragments attached on peri-focus soft tissues. This relies on a very simple but precise
operative technic which requires perfectly sharpened bone chisels. The procedure is always combined with a rigid
bone fixation, internal or external. This technic has been described to address non unions, septic or not, and
correction of mal-unions. It cannot be applied in fresh fractures or in epiphyseal mal or non-unions. The question
of associated bone graft is raised: in most cases of standard non-unions or mal unions, Judet decortication can be
used as an isolated procedure in association with osteosynthesis. Complementary bone graft is considered only in
cases of bone loss. It became a world wild procedure, with some misuses requiring more skillful training than
academic teaching.
Figure 2. Illustration des injections vasculaires après décortication chez le lapin. Travaux de Jacques Orlandini.
Un ciseau courbe, type ciseau de Cauchois peut être utile, à temps de la décortication consiste à matérialiser cette ligne par
condition que le biseau en soit taillé du côté de la convexité le tracé d’une ligne d’attaque : un ciseau large est utilisé plein
de la courbure. fil selon l’axe du segment osseux et dans une direction, autant
que possible radiaire, perpendiculaire à la surface corticale qui,
rappelons-le, n’est à ce stade pas visible (fig. 4).
Technique opératoire C’est à partir de cette ligne tracée au ciseau dans l’axe de
l’os sur une hauteur de dix à quinze centimètres, que va débu-
L’abord osseux doit se faire par la reprise d’une ancienne ter la décortication. C’est la deuxième vraie difficulté : que ce
cicatrice ou une voie d’abord anatomique aussi directe que soit vers l’avant ou vers l’arrière, il faut que cette attaque du
possible. C’est la première difficulté : les parties molles doi- ciseau soit à peu près tangente à la surface osseuse, avec quel-
vent être écartées de façon prudente pour éviter de les décoller ques degrés d’angle d’attaque, le fil et la planche du ciseau
de l’os, et pour la même raison, rugines et écarteurs contre- fortement appliqués sur la surface corticale, ceci alors que
coudés sont formellement proscrits. On accède ainsi directe- l’on n’a pas encore de vue directe sur la corticale (fig. 5).
ment à la corticale osseuse selon une ligne imposée par l’abord C’est dire la prudence qu’il faut avoir lors de cette première
choisi. À ce stade, il est souvent difficile de localiser l’exact ligne de décortication. Le ciseau, pour ce début, est tenu per-
niveau du foyer de pseudarthrose qui souvent ne sera précisé pendiculairement au grand axe du segment osseux décortiqué.
qu’une fois levé les premières rangées de copeaux. Le premier Les risques sont un angle d’attaque trop agressif, avec un
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Figure 6. La nécessaire protection de la décortication par des lames malléables ou des écarteurs contre-coudés.
enfournement du ciseau qui va traverser toute la corticale ou, à protégés par la mise en place de deux lames malléables larges
l’opposé, un ciseau trop tangent, susceptible d’échapper et et modelées pour être de forme contre-coudée, exposant au
d’entraîner un dépériostage plus ou moins étendu, qui con- mieux l’os et protégeant le fourreau de décortication (fig. 6).
tre-indique la poursuite de la décortication. Cette échappée Enfin, ces copeaux sont hémorragiques, leur face profonde
de ciseau peut aussi être le fait d’un ciseau plaqué sur l’os laissant perler une « rosée sanglante », témoin de leur bonne
de façon insuffisamment vigoureuse : la décortication est une vascularisation. Ceci justifie l’usage toutes les fois où cela
intervention physiquement contraignante pour l’opérateur. est possible, d’un garrot pneumatique et du drainage aspiratif
Enfin, cette échappée est trop souvent le fait de ciseaux impar- postopératoire des foyers décortiqués.
faitement affûtés. Telles sont les règles de la décortication décrite par Robert
Les lignes d’attaque ultérieures seront plus faciles du fait Judet. Il faut y adjoindre la description des gestes associés :
du repérage plus aisé du plan de coupe requis ; un écartement
prudent de la première rangée de copeaux permet de mieux d Vis-à-vis du foyer de pseudarthrose, l’excision et l’avive-
appréhender le plan cortical. Enfin ce meilleur contrôle permet ment n’étaient recommandés qu’en cas de nécessité de
une attaque oblique du ciseau, se rapprochant du sens du fil de correction anatomique d’une position vicieuse, ou
l’os, toujours plus confortable et plus précise que l’attaque ini- évidemment dans le cas de l’excision du foyer septique
tiale strictement perpendiculaire à ces fibres. Évidemment la d’une pseudarthrose suppurée. Dans les autres cas, con-
décortication se fait toujours planche du ciseau fortement fiance était faite à la décortication et à la mise en com-
appuyée tangentiellement à la corticale, donc en adaptant pression du foyer pour obtenir la consolidation.
l’orientation à chaque rangée de copeaux. Les rangées d L’ostéosynthèse, dans les séries initiales, était volontiers
précédentes sont soigneusement protégées par le maniement confiée au fixateur externe, parfois à l’enclouage, puis
d’écarteurs simples, crochets de Farabeuf ou valves de taille rapidement de façon préférentielle à la plaque vissée
adaptée. Le ciseau courbe peut faciliter la taille des copeaux en compression.
de la face opposée à celle de l’abord.
Toute ces manœuvres sont effectuées successivement de Le matériel en place est laissé le temps de la décortication,
part et d’autre de l’os, et c’est à leur terme que la décortication d’autant plus qu’il est mécaniquement efficace et stabilise le
étant terminée, les copeaux et surtout leurs pédicules sont foyer et le segment osseux concerné, ce qui facilite grandement
22 Un siècle d’innovations françaises en chirurgie orthopédique et traumatologique
Les pseudarthroses diaphysaires Elles ont été dès l’origine retenues comme indications
privilégiées de la décortication du fait de la vitalité des
Indication historique, les pseudarthroses diaphysaires en copeaux vascularisés qui leur donnait la possibilité de survie
restent l’indication première. L’ostéosynthèse la plus fréquem- en milieu septique contrairement aux greffons libres, fussent-
ment associée est la plaque vissée, sans qu’il y ait de précision ils autologues et spongieux purs. Les règles spécifiques de la
sur le bien-fondé des plaques verrouillées. Si traditionnelle- décortication en milieu septique sont de tailler des copeaux
ment les pseudarthroses hypertrophiques étaient l’indication plutôt épais, 2 millimètres environ, de les protéger jalousement
privilégiée, les formes dites atrophiques ne paraissent pas et de sacrifier impitoyablement tout copeau libre, détaché de
donner des résultats différents (fig. 7 et 8). son pédicule et fortement susceptible de devenir un séquestre.
Ceci est d’autant plus vrai qu’en matière de pseudarthrose
Les pseudarthroses en os spongieux infectée, la décortication, comme toujours premier temps de
l’intervention, doit être suivie d’un temps méticuleux et
Les pseudarthroses métaphyso-épiphysaires ou épiphy- souvent prolongé de nettoyage du foyer avec excision des tissus
saires posent des problèmes totalement différents. Qu’elles infectés et résection des fragments osseux dévitalisés.
aient ou non une répercussion articulaire, leur traitement Enfin l’existence de fragments séquestrés ou de collections
repose sur l’excision du tissu fibreux d’interposition, l’affron- péri-osseuses décollant les parties molles rend évidemment
tement des surfaces spongieuses et une fixation solide. La impossible la taille de copeaux pédiculés ; c’est dire le soin
décortication, inutile, y est d’ailleurs en règle impossible du avec lequel il faut préserver ceux qui ont pu l’être. Ceci
fait de la minceur des corticales et d’autre part souvent explique la place limitée que peut avoir la décortica-
contre-indiquée par la présence d’insertions tendineuses ou tion dans le traitement de certaines de ces pseudarthroses
ligamentaires que viendrait compromettre la décortication. infectées.
Décortication ostéo-périostée de Robert Judet 23
Les allongements de membres Il reste le cas particulier des grandes pertes de substance
volontiers infectées et reconstruites à une époque par greffe
Très tôt, Robert Judet a appliqué la décortication aux spongieuse à ciel ouvert selon la technique de Louis-Joseph
allongements progressifs de segments osseux par fixateur Papineau, diffusée par Raymond Roy-Camille [14], ou selon
externe. Le fixateur d’allongement, ou distracteur, était mono la technique plus actuelle de la membrane induite imaginée
planaire et dérivé des classiques fixateurs de Judet. L’ostéoto- par Alain-Charles Masquelet [15]. Dans ces deux techniques,
mie était un très long biseau fait sous couvert et dans le lit la décortication a sa place pour faciliter la consolidation de
d’une longue décortication, de réalisation souvent difficile l’apport osseux massif avec les extrémités osseuses receveuses.
sur des os vierges où aucune fibrose post-traumatique ou cica- Raymond Roy-Camille insistait sur cette décortication « en
tricielle ne venait renforcer l’adhérence du périoste. L’allonge- bout » qu’il nommait de façon imagée « pétalisation ».
ment était effectué de façon très progressive et l’on observait
une régénération de la diaphyse sans l’apport d’aucune greffe
osseuse. Le mérite en était attribué alors à la décortication, Spécificité selon l’os abordé
mais quelle était la part du callotasis, concept présenté plus
de 20 ans plus tard par G. Ilizarov, dans des conditions méca- Geste universel pouvant être adapté à toutes les diaphyses,
niques d’allongement progressif sensiblement identiques ? la décortication réclame en fonction du site des précautions
particulières ou une adaptation des gestes. Le fémur et le tibia,
pièces osseuses de grande taille et lourdes, se stabilisent assez
Les pertes de substance : décortication et/ou greffe facilement au prix d’une installation chirurgicale confortable.
L’inertie des os aidée par le contre-appui du poing de l’aide
Faut-il associer une greffe, corticale ou spongieuse à la opératoire fait que la progression des ciseaux est en règle facile
décortication ? Toujours ? Jamais ? Dans certains cas ? et précise.
La question se posait dès la description initiale de la technique Au fémur, la difficulté est souvent de trouver dès les
et reste d’actualité [13]. La réponse, fruit de l’expérience, premières attaques du ciseau le bon plan de coupe. La ligne
repose sur la constatation que si le rôle ostéo-inducteur de la âpre, avec son relief et ses insertions, permet la taille des plus
greffe, corticale ou spongieuse, est discutable, par contre elle beaux copeaux.
apporte un volume osseux certain. À l’opposé, la relance de Au tibia, le geste est facilité par le caractère superficiel de
la consolidation par la décortication est indiscutable alors l’os et sa forme géométrique triangulaire à la section. Il y est de
qu’elle n’entraîne que peu d’augmentation du volume osseux. règle de ne pas décortiquer le quart supérieur de la face posté-
Cela permet de clarifier les indications. Une pseudarthrose rieure, siège du hile nourricier principal.
normo-trophique sans perte du stock osseux, ne requiert La décortication de l’humérus exige souvent un repérage
qu’une décortication et une stabilisation par une synthèse premier du nerf radial qui doit se faire en évitant tout dépério-
adaptée ; en revanche, si une pseudarthrose avec perte de sub- stage qui compromettrait la suite du programme (fig. 9).
stance ou sur une diaphyse résiduelle grêle, a de bonne chances La clavicule se décortique bien en veillant à faire travailler
de consolider par la décortication, mais avec une zone de fra- les ciseaux dans un axe proche de l’axe claviculaire, ce qui
gilité susceptible de fracture itérative, il vaut mieux prévenir ce facilite le travail, l’os étant plus stable longitudinalement que
risque en renforçant le foyer par une greffe impactée à transversalement, et surtout cela aide à garder la plus grande
l’intérieur du fourreau de décortication ; dans un tel contexte, prudence pour prévenir une échappée de ciseau potentielle-
un certain consensus se fait sur la greffe autologue. ment catastrophique.
24 Un siècle d’innovations françaises en chirurgie orthopédique et traumatologique
Figure 9. Plaque itérative et décortication sans greffe complémentaire sur pseudarthrose humérale.
Le squelette de l’avant-bras, composé de deux os grêles voire de plasma enrichi en plaquettes auquel de multiples et
difficiles à stabiliser dans les masses musculaires, se décortique mystérieuses vertus ont été prêtées.
bien mais exige du fait de la proximité de l’environnement vas- Dans certains cas complexes de larges pertes de substance,
culo-nerveux une grande prudence. des solutions particulières sont requises, telles les greffes
osseuses ou composites micro-anastomosées, ou la membrane
induite de Masquelet ou le transport osseux par fixateur d’Ili-
Décortication et cal vicieux zarov. Le geste de décortication peut dans ces situations avoir
Indication proposée dès la première description de la une place réelle et utile, mais seulement complémentaire du
décortication, l’ostéotomie des cals vicieux en est une applica- geste principal.
tion facile. Les adhérences avec les parties molles péri-focales Dans toutes les situations « habituelles » de problèmes de
sont toujours de bonne qualité, et la rigidité de la continuité consolidation, pseudarthrose ou cal vicieux diaphysaires, la
osseuse facilite le travail du ciseau. C’est évidemment à décortication depuis près de soixante ans est devenue un geste
l’intérieur de ce fourreau soigneusement protégé par les lames familier, quotidien, que l’on fait presque « sans réfléchir », que
malléables que se fait l’ostéotomie, quel qu’en soit le type, en ce soit comme technique associée ou principale de l’interven-
fonction de la déformation à corriger ; elle peut être transver- tion. Geste de base dans les difficultés de consolidation, elle est
sale, cunéiforme, en chevron, plane oblique ou autre, et la fix- tellement entrée dans la routine que, telle une vieille com-
ation se fait en règle par plaque vissée. pagne, on finit par ne plus la remarquer. Néanmoins, elle fait
régulièrement l’objet de publications spécifiques d’auteurs
qui en redécouvrent les charmes et les qualités. . . et s’en
Conclusion : que reste-t-il de la décortication ? émerveillent [12-13].
Née d’une grande connaissance des mécanismes de forma-
Obtenir une consolidation osseuse reste le « Graal » de la tion du cal osseux, elle est l’archétype du geste chirurgical,
chirurgie orthopédique et traumatologique, et cela d’autant dont la simplicité ne doit pas faire oublier la rigueur et la préci-
plus que l’on est en situation d’échec d’un premier traitement, sion. Elle invite à l’apprentissage du geste dans un compagnon-
pseudarthrose ou cal vicieux. Les dernières décennies ont vu nage chirurgical plus cher à Robert Judet que ne l’était
proposer, avec des fortunes diverses, de multiples types de l’enseignement académique et au respect absolu de l’outil,
traitement. fut-il aussi simple qu’un marteau et un ciseau de menuisier.
On a ainsi pu voir des techniques reposant sur la mise en
charge du membre concerné dans le cadre d’un traitement
purement fonctionnel, ou dans les suites d’un geste chirurgical, References
que ce soit l’implantation d’un fixateur externe dit dynamique
ou l’alésage du canal médullaire suivi d’enclouage ; on a aussi [1] Traité de Technique chirurgicale, Masson, Paris, 1955.
observé des propositions de traitement par des stimulations [2] Judet R. Décortication ostéo-périostée. Actualité de Chirurgie
diverses, magnétiques, électriques ou biologiques, ou par l’ap- Orthopédique de l’Hôpital Raymond Poincaré, Tome IV.
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Décortication ostéo-périostée de Robert Judet 25
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