Guide Du Professeur - Extrait
Guide Du Professeur - Extrait
Guide Du Professeur - Extrait
Émile Gaboriau Émile Gaboriau Émile Gaboriau Émile Gaboriau Émile Gaboria
BIBLIOTHÈQUE LA LIGNÉE
Sous la direction
de Vital Gadbois et Nicole Simard
Gaboriau
Le Petit
Vieux des
Batignolles
Guide du professeur
par Francis Favreau,
professeur au Cégep
de Saint-Hyacinthe
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page II Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
Équipe de production
Éditeur : Sylvain Garneau
Chargée de projet : Dominique Lefort
Révision linguistique : Isabelle Canarelli
Correction d'épreuves : Johanne Hamel
Typographie et montage : Carole Deslandes, Marguerite Gouin
Maquette : Nathalie Ménard
Couverture : Julie Bruneau
Il est illégal de reproduire ce livre en tout ou en partie, par n'importe quel procédé,
sans l'autorisation de la maison d'édition ou d'une société dûment mandatée.
Imprimé au Canada
1 2 3 4 5 08 07 06 05 04
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page III Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
AVANT-PROPOS
Introduction
Un auteur injustement méconnu 1
Un homme de son temps 2
Jeunesse et débuts littéraires 2
Les romans judiciaires de Gaboriau 4
L'œuvre policière de Gaboriau et Le Petit Vieux des Batignolles 7
La forme des mémoires et Le Petit Vieux des Batignolles 9
Le style de Gaboriau dans Le Petit Vieux des Batignolles 12
Quelques précisions pratiques 12
Première partie : Étude des trois extraits du manuel de l'élève : corrigé et commentaires 23
J.-B. Casimir Godeuil et Avant-propos 24
Petit lexique préparatoire à la compréhension de l'extrait 27
Analyse de l'extrait 28
Première approche : comprendre le texte 29
Deuxième approche : analyser le texte 34
Troisième approche : commenter le texte 42
Comparaison avec des passages d'autres œuvres : 45
Le Dossier n° 113 (Émile Gaboriau), Mémoires (Paul-Louis-Alphonse Canler) et Mémoires
(Eugène-François Vidocq)
La découverte du cadavre 53
Petit lexique préparatoire à la compréhension de l'extrait 57
Analyse de l'extrait 57
Première approche : comprendre le texte 58
Deuxième approche : analyser le texte 63
Troisième approche : commenter le texte 71
Comparaison avec un autre passage du roman : 75
L'interrogatoire de la concierge
Comparaison avec un passage d'une autre œuvre : 78
Thérèse Raquin (Émile Zola)
L'interrogatoire de monsieur Monistrol 82
Petit lexique préparatoire à la compréhension de l'extrait 86
Analyse de l'extrait 88
Première approche : comprendre le texte 88
Deuxième approche : analyser le texte 92
Troisième approche : commenter le texte 97
Comparaison avec un autre passage du roman : 100
L'interrogatoire de madame Monistrol
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page V Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
TA B L E D E S M AT I È R E S V
Annexes
Annexe I : Tableau synoptique d'Émile Gaboriau et de son époque 148
Annexe II : Glossaire des notions littéraires 152
Annexe III : Questions de recherche, de commentaire, de dissertation, de débat et d'écriture 155
sur l'ensemble du roman
Annexe IV : Fiche générale de questionnement d'un texte narratif 157
Annexe V : Liste des exercices supplémentaires 159
Symbole
* Les mots définis dans le Glossaire des notions littéraires
sont signalés, au fil des pages, par un astérisque.
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page VI Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page 1 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
INTRODUCTION
Le roman policier
Certes, ses romans sont embarrassés d'éléments mélodramatiques et de coups de théâtre propres
au roman-feuilleton de son temps. Mais ce sont bel et bien des romans policiers qu'il nous a donné à
lire, allant bien au-delà des nouvelles policières de Poe1 publiées quelques années auparavant.
Comme dans les romans policiers d'aujourd'hui, chez Gaboriau l'énigme d'un crime initial est
peu à peu dévoilée par un enquêteur qui relève méthodiquement les indices, qui recueille des té-
moignages, qui prend en filature des suspects, qui se déguise s'il le faut et qui raisonne sous nos yeux
pour que jaillisse la vérité. Il est donc bien injuste que Gaboriau soit un peu tombé dans l'oubli, lui
qui était célèbre auprès de ses contemporains. Il publia son œuvre entre 1861 et 1873, à l'époque où
le roman-feuilleton connaissait son apogée et où le marché du livre et de la lecture se fractionnait
sous le poids de toutes les publications.
Le roman-feuilleton
On peut parler, à la suite de Jacques Dubois, d'une division de la consommation due au feuilleton :
«Pendant que les femmes liront des romans sentimentaux, les hommes se réserveront les romans d'aven-
tures et les romans d'enquête et les enfants les récits de Ségur, Malot ou Verne2. » Le feuilleton créa
des genres dérivés et des pratiques de lecture nouvelles tout en déclinant lui-même, succombant à une
surenchère d'effets mélodramatiques et au suremploi de techniques grossières de suspense. Et c'est
sans parler des nombreuses digressions, les auteurs étant souvent rémunérés à la ligne. Si le feuilleton
avait permis à des auteurs comme Balzac3 ou Dumas4 de connaître une diffusion inespérée, il allait
être fortement déconsidéré dans la seconde moitié du XIXe siècle par la critique et, comme tel,
1. Edgar Allan Poe, 1809-1849. Écrivain américain dont les nouvelles « Double Assassinat dans la rue Morgue », « La Lettre volée »
et « Le Mystère de Marie Roget » publiées en 1841 et 1842 donnaient toute la place à la résolution de crimes par un enquê-
teur privé aux capacités intellectuelles extraordinaires. Baudelaire les traduisit et les fit publier en revue dès 1855 et en volume
un an plus tard sous le titre Histoires extraordinaires.
2. Jacques Dubois, Le Roman policier ou la modernité, Paris, Nathan, 1992, p. 17. La comtesse de Ségur publia Les Malheurs de Sophie
en 1864 ; Hector Malot, Sans Famille en 1878 ; et Jules Verne, Cinq Semaines en ballon en 1863.
3. Honoré de Balzac, 1799-1850. Auteur de 95 romans ou nouvelles qu'il va regrouper sous le titre de Comédie humaine, s'appli-
quant à décrire la société française sous la Restauration (1814-1830) grâce au retour de ses personnages d'une œuvre à l'autre.
La Vieille Fille de Balzac est le premier feuilleton publié dans La Presse d'Émile de Girardin en 1836.
4. Alexandre Dumas, 1802-1870.Auteur prolifique et sans doute l'un des plus populaires écrivains de son temps.Auteur, entre autres,
des Trois Mousquetaires (1844), du Comte de Monte-Cristo (1844) et des Mohicans de Paris (1854) où l'on retrouve l'inspecteur
Jackal.
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page 2 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
servir de valeur négative contre laquelle une littérature « légitime » se définissait. Zola1 illustre ce phé-
nomène, lui qui publia un feuilleton en 1867, Les Mystères de Marseille, mais sous pseudonyme, n'en
reconnaissant la paternité que bien des années plus tard ; on oublie habituellement de lui associer cette
œuvre, prouvant ainsi le mépris de la critique littéraire pour cette littérature « populaire »2.
1. Émile Zola, 1840-1902. Célèbre créateur des Rougon-Macquart, famille qu'il fait évoluer en 20 romans, situant l'action sous le
Second Empire (1852-1870). Zola fut étroitement lié au naturalisme qu'il contribua à développer.
2. Marc Lits note que les écrivains d'alors avaient pour le feuilleton un « double jeu d'attirance (explicable par le goût de l'argent,
le plaisir ou la notoriété qu'apportent ces publications) et de répulsion […] » dans Le Roman policier : introduction à la théorie et
à l'histoire d'un genre littéraire (Liège, Éditions du CÉFAL, 1999, p. 31).
3. Frédéric Soulié, 1800-1847.Auteur d'un des premiers romans-feuilletons, Les Mémoires du diable, en huit volumes, publié en 1837-
1838, qui influença Eugène Sue lors de la rédaction des Mystères de Paris (1842-1843).
4. Il s'agit de paroles rapportées par ses amis, donc sujettes à caution puisque ce sont des souvenirs recomposés. Cité dans Roger
Bonniot, Émile Gaboriau ou la naissance du roman policier, Paris, Éditions J.Vrin, 1985, p. 31.
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page 3 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
INTRODUCTION 3
plus absolu. Succédant à Louis XVIII, en 1824, Charles X veut toutefois restaurer un pouvoir royal ab-
solu, sans tenir compte des institutions et des aspirations républicaines et démocratiques que la Révolution
de 1789 avait créées dans le peuple et parmi la bourgeoisie d'affaires.
Durant l'enfance et l'adolescence de Gaboriau
1830-1848 : La monarchie de Juillet. L'ultraroyalisme de Charles X accouche d'une crise sociale et po-
litique qui trouve son aboutissement dans une révolution qui le chasse du pouvoir. Louis-Philippe Ier
occupe le trône laissé vacant par Charles X qui a dû abdiquer. Même si le régime de Louis-Philippe Ier
est marqué par de nombreux mouvements d'opposition, la bourgeoisie s'enrichit sous son règne,
tandis que la France se lance dans de nombreuses conquêtes coloniales, en Afrique et en Asie.
Durant l'âge adulte de Gaboriau
1848-1851 : La IIe République. Le durcissement du régime de Louis-Philippe favorise une révolution en
février 1848 qui le chasse du pouvoir. La IIe République crée un régime démocratique : suffrage universel,
Assemblée constituante, rédaction d'une nouvelle constitution qui rétablit la liberté de la presse, abo-
lit l'esclavage dans les colonies et la peine de mort pour motif politique. L'agitation politique favorise
l'élection de Louis-Napoléon Bonaparte en décembre 1848. De nombreux artistes et intellectuels
adhèrent aux idéaux de cette révolution.Victor Hugo, élu député en 1848, en est une figure marquante.
Son désenchantement reflète celui de toute une génération.
1851 : Coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre. Durcissement politique.
1852-1870 : Le Second Empire. Louis-Napoléon Bonaparte devient Napoléon III, Empereur des Français,
un an jour pour jour après son coup d'État. La liberté de la presse est de nouveau abolie, la censure,
rétablie.Victor Hugo s'exile durant tout son règne.
1870-1940 : La IIIe République. La capitulation du maréchal Mac-Mahon à Sedan le 2 septembre 1870
entraîne la journée révolutionnaire du 4 septembre durant laquelle on proclame la IIIe République et
la chute du Second Empire. Le chaos social qui suit cette défaite va durer plus de neuf mois durant
lesquels la guerre qui se poursuit sera définitivement gagnée par les Prussiens. En réaction à cette
capitulation et au pouvoir officiel qui a signé l'armistice le 28 janvier 1871, les forces révolutionnaires
constituent un gouvernement insurrectionnel, la Commune de Paris, le 18 mars 1871. Un massacre épou-
vantable (environ 20 000 morts) y met fin le 28 mai 1871. Gaboriau est resté à Paris durant la guerre
franco-prussienne et lors des émeutes et des manifestations qui mènent à la Commune. La IIIe République
prend fin le 10 juillet 1940, alors que l'Assemblée nationale vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
Les multiples déménagements n'aidèrent guère le jeune Émile à briller à l'école, ce que révèlent
les bulletins de ses 13 et 14 ans : « conduite légère, travail médiocre », « laisse à désirer, doit redou-
bler ». Comme tous les jeunes adolescents de son époque, il va dévorer les romans de Stendhal, de
Balzac et de l'Américain Fenimore Cooper. Les œuvres de ce dernier relataient les aventures d'un jeune
Blanc élevé par les Indiens. Gaboriau s'en inspira pour ses personnages d'enquêteur, véritables ava-
tars de l'Indien et de ses techniques de pistage puisqu'ils « suivent le crime à la piste, le code à la main,
à travers les broussailles de la légalité, comme les sauvages de Cooper poursuivent leur ennemi au
milieu des forêts de l'Amérique1 ».
Après deux ans comme clerc dans une étude de notaire et trois décevantes années dans l'armée,
il monta à Paris en 1855, où il vécut de petits travaux de secrétariat, avec le désir de s'illustrer en
1. Émile Gaboriau, L'Affaire Lerouge (publié en 1865). Paris, Librairie des Champs-Élysées / Hachette, coll. « Labyrinthes », 2003,
p. 47.
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page 4 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
littérature. C'est ainsi qu'il finit par être secrétaire particulier de l'écrivain Paul Féval, célèbre feuille-
toniste1. Journaliste à partir de 1858 au Tintamarre, il collabora ensuite à plusieurs journaux popu-
laires. Le Second Empire tolérant très mal la critique et la liberté de la presse, Gaboriau allait le plus
souvent possible éviter toute référence politique dans ses textes. Il écrivait pour des journaux favo-
rables au régime ou mieux, puisqu'il appréciait peu ce régime, pour des journaux apolitiques comme
Le Petit Journal, qui fit du fait divers et du divertissement son fonds de commerce.
Après quelques opérettes bouffonnes, ses premiers romans, en 1861, rédigés alors qu'il était tou-
jours journaliste, révélaient quelques timides préoccupations sociales. Mais ces œuvres n'apportèrent
pas la gloire espérée et encore moins l'aisance financière. Gaboriau vivait maigrement depuis des
années, et même l'héritage d'un grand-père n'arriva pas à le sortir d'embarras. Il dut compter sans cesse
sur l'aide de son père et, depuis 1863, de son beau-frère. Sa sœur avait épousé un avocat qui jouis-
sait d'une bonne clientèle et incarnait la respectabilité bourgeoise qui lui faisait défaut. Ce beau-frère
révèle, par contraste, la situation précaire de Gaboriau qui, rappelons-le, avait quitté la voie du no-
tariat. Désespéré, il écrivit à sa sœur : « Maintenant je me couche avec cette idée funèbre : je ne suis
rien2. » Les années 1864 et 1865 furent les plus difficiles de sa vie. Très malade, au point de recevoir
de la morphine, Gaboriau était appauvri et vivait en concubinage avec une femme rencontrée quatre
ans plus tôt, Amélie Rogelet, concubinage impossible à expliquer à sa famille. Le mariage nécessitait
des dépenses et des responsabilités que ses finances et sa santé ne pouvaient lui permettre.
Le roman judiciaire
Le « roman judiciaire » de Gaboriau est aujourd'hui appelé roman policier ou roman de détection
(whodunit en anglais). Qui ? Pourquoi ? Comment ? Voilà les questions qui turlupinent l'enquêteur et qu'il
communique au lecteur. Gaboriau va mettre en scène de nombreux éléments qui seront des carac-
téristiques du genre (voir plus loin dans le guide le tableau de la page 8).
Parmi les sources d'influence de Gaboriau, on peut évidemment remonter à Edgar Allan Poe
et à ses trois nouvelles policières (« Double Assassinat dans la rue Morgue », 1841 ; « La Lettre volée »,
1. Paul Féval, 1817-1887.Auteur de romans-feuilletons très populaires de son temps : Les Mystères de Londres (1843-1844), Le Bossu
(1857), Les Habits noirs (1863-1875).
2. Roger Bonniot, op. cit., p. 81.
3. Les commentateurs de son œuvre ne s'entendent pas pour déterminer si l'expression est de lui ou de Moïse Millaud, l'éditeur
du Petit Journal.
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page 5 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
INTRODUCTION 5
1842 ; « Le Mystère de Marie Roget », 1842) mettant en scène le chevalier Dupin dans le rôle de
l'enquêteur. Si les inspecteurs de Gaboriau ont, comme Dupin, une capacité de déduction importante,
ils ne peuvent résoudre in absentia une énigme : l'action sur le terrain leur est indispensable. De plus,
élément capital pour tout rebondissement romanesque, il leur arrive de se tromper, ce qui semble dif-
ficile pour l'enquêteur des nouvelles de Poe. Selon la formule consacrée par Marius Topin, « là où le
premier [Poe] avait construit la carcasse du système, le second [Gaboriau] a mis les chairs, le sang, le
souffle, la vie1 ».
On peut certainement tenir les Mémoires d'Eugène-François Vidocq, ancien chef de la Sûreté de
Paris, comme l'une des principales sources d'inspiration des romanciers du XIXe siècle. Francis Lacassin
constate que « c'est, surtout, la fréquentation de Vidocq qui a incité à introduire dans l'espace cultu-
rel une faune de policiers, mouchards, barbouzes, voleurs, escrocs, assassins, prostituées, homosexuels ;
jusque-là considérés comme indignes d'être évoqués dans un roman. C'est la fréquentation de Vidocq
qui a incité à faire entrer dans la littérature bourgeoise un contre-univers crapuleux et ténébreux qu'au-
cun romancier convenable n'avait osé évoquer avant lui2 ».
Ainsi, Balzac le lut, mais surtout le rencontra à de multiples reprises et s'en inspira pour créer le
personnage de Vautrin qu'on retrouve dans Le Père Goriot, dans Les Illusions perdues et dans Splendeurs
et misères des courtisanes. Balzac s'approcha à plusieurs reprises du roman policier avec des romans
comme Ferragus, Chef des Dévorants ou Une Ténébreuse Affaire. Dans Splendeurs et misères des courti-
sanes, la troisième partie intitulée « Où mènent les mauvais chemins » nous permet d'assister à une
arrestation et aux ruses d'un interrogatoire mené par un juge d'instruction (on en retrouve un extrait
dans le manuel de l'élève, page 157). Gaboriau, lecteur de Balzac, connaissait ces romans.
L'influence des feuilletonistes fut aussi très importante, eux qui situaient souvent l'action de leurs
récits dans les bas-fonds criminels des grandes villes. On pourrait mentionner Eugène Sue avec Les Mystères
de Paris,Alexandre Dumas avec Les Mohicans de Paris et son policier Jackal, ou Paul Féval avec Les Mystères
de Londres et Les Habits noirs, mettant en scène une confrérie mafieuse. Le roman-feuilleton dut une
partie de sa popularité à la fascination qu'exerçait le milieu criminel. Mais ce n'était pas encore des ro-
mans policiers tels que nous l'entendons aujourd'hui, ni comme ceux que produisit Gaboriau ; le tra-
vail de l'enquêteur n'était pas au centre de l'intrigue et le crime ne constituait pas un mystère à
éclaircir.
Pour Jacques Dubois, Gaboriau est l'écrivain qui, par excellence, mélangea le personnage du jus-
ticier surhumain, propre au feuilleton, et celui du détective froid et quelque peu « dandy », que le roman
policier développerait. Dubois compare ainsi les caractéristiques de chacun :
Justicier Détective
Amateur omniscient Spécialiste qualifié par la technique
Mêlé au drame (passion) Extérieur au drame (lucidité)
En lutte avec un adversaire présent À la recherche d'un coupable absent
Qui conçoit le Droit comme Bien Qui conçoit le Droit comme Vrai3
1. Cité par Daniel Couty, dans Jean-Pierre de Beaumarchais, et autres, Dictionnaire des écrivains de langue française, Paris, Larousse,
2001, p. 679.
2. Préface de Francis Lacassin aux Mémoires de Vidocq, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1998, p. XI et XII.
3. Jacques Dubois, op. cit., p. 19.
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page 6 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
Pour tous les romans de Gaboriau, Millaud orchestra un battage publicitaire important qui confi-
nait même à la manipulation. Annonçant le début d'un feuilleton pour une date précise, le jour
dit, il déclarait à ses lecteurs que des circonstances incontrôlables en retardaient encore la
publication... Il organisait ses publicités sur le principe de l'attente et de la curiosité. Ainsi, la
publication en 1868 de Monsieur Lecoq a d'abord été précédée d'immenses affiches multicolores
sur les murs de Paris et des principales villes de France où on lisait MONSIEUR LECOQ ! répété quatre
fois en diagonale. Le lectorat qui connaissait déjà l'inspecteur (dans L'Affaire Lerouge, Le Crime
d'Orcival et Le Dossier n° 113) se mit ainsi à espérer une nouvelle publication où apparaîtrait le
personnage.
Même le canular était pour Millaud une stratégie publicitaire efficace. On n'a qu'à penser
aux annonces très réelles qui furent posées à la fin de juin 1870 invitant J.-B. Casimir Godeuil
à se présenter au Petit Journal. Le 3 juillet, Le Petit Journal titrait : J.-B. Casimir Godeuil est retrouvé !
Suivait une explication de l'importance du personnage, ancien agent de la sûreté et rédacteur
d'importants mémoires que Le Petit Journal allait bientôt publier. Chaque jour qui suivit, un ar-
ticle venait souligner la nouveauté et l'importance de ces mémoires. Mais nulle part Gaboriau
n'était évoqué comme l'auteur réel derrière Godeuil. La mystification ne pouvait être plus com-
plète. Godeuil vivait une vie réelle et le chroniqueur du journal, Thomas Grimm, alla même jus-
qu'à écrire qu'il l'avait rencontré et interviewé. Le texte de Grimm que nous reproduisons
(lignes 1 à 61) a été publié le 7 juillet, la veille de la publication du Petit Vieux des Batignolles.
Avant même la publication de ses Mémoires, on voulait susciter la curiosité du public pour le
personnage…
Les ficelles de ce jeu étaient bien grosses, mais elles atteignaient leur objectif : faire vendre
toujours plus de journaux. À ce jeu, la progression des ventes du Petit Journal fut phénoménale,
atteignant 470 000 exemplaires au début de l'année 1870.
Mais déjà à l'époque de Gaboriau, la critique sérieuse éreintait les romans-feuilletons, les mé-
prisait pour leur écriture généralement bâclée et le rabâchage de leurs schémas traditionnels. Se
sentant prisonnier d'un genre qui lui avait apporté le succès, Gaboriau allait progressivement quit-
ter le roman policier. Deux des trois romans qu'il publia après la guerre franco-prussienne de 1870,
La Dégringolade (1871) et L'Argent des autres (1873), sont caractérisés, tout comme La Vie infernale
(1869) et La Clique dorée (1870), par l'absence d'un inspecteur et se rapprochent de l'étude de mœurs.
Comme le précise Roger Bonniot : « Ce sont les victimes qui prennent leur cause en main, aidées de
leurs amis et de quelques tiers compatissants1. » Enfin, on peut ajouter deux œuvres de circonstance
au moment de la guerre de 1870, qui n'ont rien à voir avec le roman policier : La Route de Berlin (1870)
et Le Journal d'un garde national mobilisé (1871). Aucune de ces œuvres n'est encore éditée aujourd'hui.
On devrait peut-être considérer cet abandon du « roman judiciaire » par Gaboriau comme une
cause intéressante de l'utilisation du pseudonyme dans Le Petit Vieux des Batignolles. Les lecteurs du
Petit Journal ignoraient tout à fait que derrière Godeuil se cachait Gaboriau. Il ne s'agirait pas seule-
ment d'un effet* de réel renforçant un battage publicitaire (dans le but de faire de Godeuil un réel
agent de la sûreté, narrant ses aventures dans ses réels mémoires). On pourrait penser que Gaboriau
voulut se dissocier du genre, cherchant de plus en plus une légitimité dont il était privé par son
association au roman-feuilleton.
INTRODUCTION 7
Godeuil Méchinet
Lecoq Esprit scientifique : la médecine pour Lecoq acquiert une solide expérience
Godeuil, les calculs d'astronomie pour d'enquêteur (comme celle de Méchinet).
Lecoq.
Grande capacité de se déguiser.
Parisiens.
Maîtrisent l'art de l'interrogatoire.
Jeunes.
Esprit d'observation.
Esprit d'observation.
Esprit de déduction.
Se trompent parfois.
Enquêtent généralement sur un meurtre.
Célibataires.
Aiment une femme (mais Lecoq n'est pas
Ambitieux. marié, contrairement à Méchinet).
Respectent la hiérarchie.
Lecoq s'instruit auprès de Tabaret, comme
Godeuil auprès de Méchinet.
Motivés par la vérité, pas par l'argent. Enquêtent généralement sur un meurtre.
Les éléments qui caractérisaient Lecoq et Tabaret furent répartis entre Godeuil et Méchinet. Ces
caractéristiques ne sont pas récurrentes par hasard : elles vont devenir celles des enquêteurs du roman
policier lui-même. Avec Lecoq, ce n'est donc pas seulement Méchinet ou Godeuil qui se profilent, mais
aussi Sherlock Holmes, Hercule Poirot ou encore Maigret.
1. L'enquêteur est soit un amateur, soit un agent officiel de la police, mais qui ouvre une en-
quête parallèle, à l'insu de ses supérieurs.
2. Il a recours à des techniques modernes : collection d'indices, confrontation des témoignages,
filature, déguisement, utilisation de moyens de communication et de transport rapides et
efficaces (fiacre, chemins de fer, télégraphe).
3. Il n'est pas infaillible, même s'il possède un grand sens de l'observation et une capacité de
déduction supérieure.
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page 9 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
INTRODUCTION 9
4. Il respecte la loi, ses mécanismes et ses délais : Gaboriau va souvent peindre les rouages
administratifs de la justice, des sergents de ville au juge d'instruction en passant par les agents
de la sûreté et les commissaires. En ce sens, l'appellation « roman judiciaire » se trouve
justifiée.
5. Il peint de façon réaliste le criminel, ses mobiles et son action. L'enquêteur connaît le
milieu criminel, parce qu'il l'a bien étudié et qu'il aurait même pu en faire partie. Cette na-
ture double est une constante : elle permet une empathie, une perspicacité, un pouvoir de
pénétration des intentions criminelles.
6. Le crime a eu lieu avant que ne commence le récit et ce dernier est une construction
rétrospective d'une histoire antérieure1. Gaboriau va même entremêler ses romans policiers
de romans historiques, tant l'explication du crime remonte parfois loin dans le temps. Dans
Monsieur Lecoq, 500 pages sur 800 relatent une action située 40 ans avant les meurtres sur
lesquels on enquête.
7. L'enquêteur peut être marié, mais il s'agit plus souvent d'un célibataire.
8. L'enquête peut se dérouler à la campagne, mais règle générale, le crime et l'enquête ont lieu
dans une grande ville, Paris de préférence.
9. La vertu, la recherche de la vérité ou le rétablissement de l'ordre sont les principales moti-
vations de ses enquêteurs. Celle d'un avancement hiérarchique au sein de la police revient
aussi. Ces mêmes enquêteurs n'évoquent jamais la question de leur salaire ou d'une somme
d'argent qu'on leur verserait.
10. Évidemment, la fin du roman coïncide avec la résolution de l'affaire par l'enquêteur.
On retrouve dans Le Petit Vieux des Batignolles toutes les caractéristiques d'un genre pourtant nais-
sant ! Par exemple, le premier point est doublement illustré dans le roman. Godeuil est bien entendu
un amateur, tandis que Méchinet, même s'il est mandaté par le juge d'instruction, semble travailler
en parallèle : il interroge Monistrol juste après le juge d'instruction, mais avec une méthode et des in-
tentions presque contraires (chapitre 6). Il serait sans doute prématuré, au stade de l'introduction,
de s'arrêter à chacune des caractéristiques du genre auxquelles Le Petit Vieux des Batignolles satisfait.
Nous y reviendrons dans l'analyse des extraits.
On peut toutefois noter que ces différentes caractéristiques illustrent un conformisme bourgeois
sécurisant : la police veille. L'évolution anglo-saxonne du roman policier, de la fin du XIXe siècle jus-
qu'au milieu du XXe siècle, en figea les formes, les procédés et les personnages, rendant parfois bien
juste la critique selon laquelle le genre est stéréotypé. Par exemple, les enquêteurs célibataires, inca-
pables de s'attacher sentimentalement, sont innombrables : Holmes ou Poirot affichent tous les deux
une excentricité de dandy (condensée par le violon de l'un et les moustaches lustrées de l'autre…).
1. Voir l'analyse classique de Tzvetan Todorov, « Typologie du roman policier », Poétique de la prose suivi de Nouvelles Recherches sur
le récit, Paris, Seuil, coll. « Points », 1971, 1978, p. 9-19.
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page 10 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
Vautrin dans Le Père Goriot (1834-1835) et dans Splendeurs et misères des courtisanes (1838-1847), et
à Hugo le personnage de Jean Valjean dans Les Misérables (1862). Gaboriau fait de son personnage
de Tabaret, dans L'Affaire Lerouge, un lecteur de ces mémoires de policiers où il prétend puiser sa science.
INTRODUCTION 11
populaire que jamais, ouvrant de nouveaux espaces appelés « récits » et « autofictions » où le croise-
ment de la fiction et de l'autobiographie est devenu un enjeu littéraire. Plusieurs œuvres contempo-
raines sont porteuses de cette ambiguïté. On peut penser à Roland Barthes par lui-même (1975), au
Livre brisé de Serge Doubrovsky, à L'Amant de Marguerite Duras ou à La Vie sexuelle de Catherine M.
de Catherine Millet.
Les mémoires s'apparentent à des genres connus comme l'histoire et l'autobiographie. La pre-
mière se veut objective ; la seconde, relatant l'aventure d'un individu, est subjective. Les mémoires
sont entre les deux : ils veulent situer le sujet dans l'histoire pour en faire un témoin privilégié. Le
rédacteur de mémoires ne cherche pas à rendre compte de toute sa vie, mais seulement de ce qui peut
la rendre exemplaire, intéressante pour le domaine public. La forme des mémoires est aujourd'hui
désuète, mais l'écriture au « je » est par contre plus vive que jamais : bien des auteurs actuels
s'amusent à s'introduire dans leur fiction, à mélanger leur vie véritable à des éléments purement ima-
ginaires. Dans le domaine québécois, Christian Mistral (Vamp, 1988) et Dany Laferrière (Pays sans
chapeau, 1996) l'ont fait à maintes reprises.
Situé entre histoire et autobiographie, le lecteur actuel de mémoires devrait douter de la vérité
de ce qu'il lit. Mais les lecteurs de Godeuil n'en doutèrent sûrement pas. D'autant plus que le réalisme
de l'œuvre était renforcé par la recherche de l'auteur, lors du canular publicitaire évoqué précédem-
ment, et par toute l'autorité de la rédaction du Petit Journal. L'effet de réel si cher au roman policier
fut rarement aussi fort.
L'EFFET DE RÉEL
L'effet* de réel, recherché dans les faux mémoires, contribue à la force du roman policier, de ses
origines à nos jours. Les mémoires ont l'avantage de communiquer au lecteur le réel directement
vécu par les yeux d'un témoin qui prend la plume. On peut songer aux aventures du chevalier
Dupin, le détective de Poe, narrées par son ami intime.
C'est ce mécanisme que comprit à merveille Conan Doyle en faisant du docteur Watson
le mémorialiste des aventures de Sherlock Holmes. Il fallait au roman policier le regard d'un té-
moin. L'inspecteur principal n'était pas bien placé pour témoigner lui-même de ses aventures,
surtout s'il était un être hors du commun. Le mémorialiste, avec sa naïveté et son intelligence
bien ordinaire, apparaissait comme un personnage transitionnel important pour le lecteur, une
sorte de faire-valoir, d'intermédiaire, d'Hermès pouvant le guider dans les méandres de
l'énigme que dénoue l'enquêteur. La formule des mémoires connut même une anomalie éton-
nante avec la publication d'un recueil de nouvelles intitulées Mémoires de Sherlock Holmes où Holmes
n'était pas le narrateur. Logiquement, ce sont les mémoires de Watson…
On peut aussi songer aux aventures d'Hercule Poirot écrites par Agatha Christie, souvent
contées par le capitaine Hastings — ou en son absence, dans Le Meurtre de Roger Ackroyd, de
façon étonnante par le docteur Sheppard.
Le roman de Gaboriau, Le Petit Vieux des Batignolles, présente bien un personnage qui va
raconter ses propres aventures. Mais ici, celui qui mène les interrogatoires et initie le person-
nage à la vie de l'agent de la sûreté, Méchinet, est le véritable héros. Godeuil est dans la posi-
tion intéressante de celui qui fait l'apprentissage de son métier auprès d'un maître : il narre à la
fois ses découvertes et celles de son voisin, bien supérieures aux siennes.
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page 12 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
Enfin, le vocabulaire judiciaire est aussi un élément non négligeable qui contribue au réa-
lisme de l'apprentissage de Godeuil. Il décrit à la fois le système judiciaire et le milieu carcéral.
Le système judiciaire est bien sûr représenté par des sergents de ville, des agents de la sûreté,
des juges d'instruction, des commissaires et des greffiers. Quant au milieu carcéral, il est peu-
plé de prévenus qu'on « emballe » au nom de la loi grâce à des mandats. On verra par des ap-
pels de note que Gaboriau ne s'appuie pas toujours sur une documentation de première main,
mais il réussit à créer l'illusion d'une enquête au sein de la police grâce aux termes qu'il utilise.
La visite rue de Jérusalem, aux cellules du secret, semble ainsi très réaliste, à défaut de l'être.
INTRODUCTION 13
Nous avons rétabli une ponctuation oubliée ou modifiée sans raison dans les éditions plus ré-
centes. Cependant, nous avons dû aménager certaines ponctuations qui n'auraient pas été acceptables
en 2004. Par exemple, Gaboriau utilisait systématiquement des virgules avant et après les tirets (—) ;
nous avons abandonné les premières. Nous avons aussi mis entre guillemets les dialogues rapportés
par un personnage et insérés dans un précédent dialogue (lignes 565 à 618 entre autres). Gaboriau
plaçait ces dialogues avec des tirets qui auraient été source de confusion pour le lecteur d'aujourd'hui.
Certaines virgules qui apparaissent surprenantes sinon fautives ont toutefois été conservées.
Quelques-unes font l'objet d'appels de note pour bien rassurer le lecteur et lui signaler qu'il ne s'agit
pas d'une coquille. De même, on verra que les points d'exclamation n'appellent pas systématiquement
une majuscule au mot suivant. La grande quantité de points de suspension surprendra aussi sans doute,
mais ils ont tous été voulus par l'auteur.
De plus, notre édition se démarque des autres actuellement disponibles sur le marché. Elle iden-
tifie clairement (et pour la première fois) l'auteur de la présentation, Thomas Grimm, présentation
autrefois attribuée à Émile Gaboriau lui-même. L'avant-propos de Godeuil est également conforme
à l'édition de 1876 (et au texte publié dans Le Petit Journal en 1870) en laissant les astérisques que
d'autres éditions contemporaines ont supprimés.
Les notes de bas de page ont été conçues pour clarifier la compréhension du contexte socio-
historique et pour aplanir les difficultés linguistiques. Nous avons utilisé le Petit Robert 1 (édition de
1996), le Littré (édition abrégée de 1959) et le Dictionnaire historique de la langue française (édition de
1993). On se reportera au Glossaire des notions littéraires, en annexe, pour l'explication des mots
suivis d'un astérisque.
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page 14 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
(NOTES DE TRAVAIL)
Le Crime d'Orcival (D) (1866): Deux braconniers découvrent le cadavre de la comtesse de Trémorel,
tout près du parc de son château à Orcival. Aucun doute : elle a été assassinée. À l'intérieur du châ-
teau, les autorités alertées vont découvrir de nombreux meubles brisés et des taches de sang qui ma-
culent les murs. Le comte Hector de Trémorel a disparu et on le croit assassiné lui aussi. On soupçonne
rapidement l'un des domestiques, Guespin, qui se serait emparé d'une forte somme d'argent que le
comte avait reçue la veille. Comme il ne peut indiquer son emploi du temps durant la nuit, le juge d'ins-
truction le fait arrêter. Arrive alors Lecoq, convoqué télégraphiquement par le juge. Lecoq se forge
rapidement l'opinion que l'assassin de la comtesse est le comte lui-même. Celui-ci aurait mis le
château sens dessus dessous à la recherche d'un document capital détenu par sa femme. Poussant l'en-
quête plus loin, la comtesse se révèle être la meurtrière de son premier mari, Sauvresy, propriétaire
du château. Conscient que sa femme l'empoisonnait à petit feu pour hériter et se rendre désirable aux
yeux d'Hector de Trémorel, et conscient également que Trémorel qu'il avait recueilli la laissait faire, Sauvresy
rédigea une lettre dénonçant les deux complices. Elle serait ouverte si un an après sa mort ils ne s'étaient
pas mariés. Ce n'était pas là leur faire plaisir : Sauvresy avait bien vu que Trémorel avait en horreur l'em-
poisonneuse et qu'il en aimait une autre, Laurence. Après avoir tué sa femme,Trémorel s'est enfui à
Paris où il a rejoint Laurence qu'il désire épouser. Mais la police retrouve Laurence, et cette dernière
adjure Trémorel de mourir avec elle. Horrifié, il refuse. Elle le tue d'un coup de pistolet.
Le Dossier n° 113 (D) (1867) : Un vol très important a été commis à la banque Fauvel. Le cais-
sier principal, Bertomy, est suspecté d'avoir dérobé trois cent cinquante mille francs qu'il avait retirés
la veille et placés dans un coffre pour un client. Il est arrêté malgré ses protestations qui ne sont d'au-
cun poids. Un agent, Fanferlot, voit dans cette affaire l'occasion de faire avancer sa carrière. Il apprend
l'existence d'une jeune femme, Nina Gypsy, entretenue par le caissier. Mais Fanferlot doit bientôt de-
mander conseil à son chef, Lecoq. Libéré par un non-lieu, Bertomy va être assisté dans son enquête
par monsieur Verduret, engagé par son père, pour l'aider à prouver son innocence.Verduret découvre
que Bertomy a été victime de deux personnages louches manœuvrant dans l'entourage du banquier
Fauvel, Louis de Clameran et Robert de Lagors. Louis de Clameran fait chanter la femme de Fauvel
qui avait eu un enfant en dehors des liens du mariage avec Gaston de Clameran qu'elle croit mort,
noyé dans les eaux du Rhône. Mais Gaston n'est pas mort, et Louis voit bien que ses combinaisons
odieuses sont menacées par ce frère qui refait surface. Louis l'empoisonne, puis rassuré par la tour-
nure des événements, manifeste son désir d'épouser la fille de Fauvel. Pour ce faire, il veut déshono-
rer un rival : le caissier Bertomy. Il en trouve le moyen en commettant ce vol dont le coupable évident
ne peut être que le caissier. L'enquête de Verduret démonte le complot et permet de récupérer
l'argent dérobé, tandis que Louis de Clameran, emprisonné, meurt d'inanition, terrifié par son frère dont
il revoit sans cesse le fantôme. Mais bientôt une autre vérité fait surface :Verduret était Lecoq qui était
aussi Caldas, l'ancien amant de Nina Gypsy qui le quitta pour Bertomy. C'était sa manière à lui, Lecoq,
de se venger de Bertomy en séduisant à nouveau Nina. L'ancien caissier recevra la direction de la banque,
son ancien patron se retirant, tandis que Nina renouera avec Lecoq.
Les Esclaves de Paris (1867): Le titre s'explique par le fait que de nombreux personnages du roman,
appartenant à la haute société de Paris, sont tenus en une véritable servitude par trois malfaiteurs qui
les font chanter. Mascarot, sorte de génie du mal, s'est entouré d'acolytes aussi brillants que lui : un avo-
cat, Catenac, et un médecin, Hortebize. Leur profession les aide à découvrir des secrets de famille qu'ils
exploitent. Mascarot a même fondé une agence de placement pour domestiques et se sert de leurs
confidences et de leurs bavardages comme précieuse source d'informations qu'il met sur fiches. Lecoq
intervient dans ce roman vers la fin pour les déjouer, un peu à la façon d'un deus ex machina.
Monsieur Lecoq (D) (1868) : Un groupe d'agents de la sûreté arrêtent un homme qui vient de
commettre trois meurtres dans un cabaret mal famé, aux limites de Paris, La Poivrière. Pendant qu'on
l'emmène au dépôt, restent à La Poivrière Lecoq et le père Absinthe, chargés de surveiller les lieux en
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page 16 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
attendant l'arrivée du commissaire et du juge d'instruction. Mais Lecoq a d'autres intentions : il enquête
brillamment sur des traces de pas dans la neige et en arrive à la conclusion que deux femmes se trou-
vaient à La Poivrière durant les assassinats et qu'elles ont rejoint un homme qui les attendait non loin.
Le meurtrier prétend s'appeler Mai et, entré à La Poivrière où on l'aurait attaqué, il a dû tirer pour dé-
fendre sa vie. Lecoq, incapable de faire progresser son enquête, va proposer au juge d'instruction Segmuller
de favoriser l'évasion de Mai pour le prendre ensuite en filature. Le magistrat hésite puis accepte. Mai,
suivi par Lecoq et le père Absinthe, méconnaissables sous leur déguisement, va toutefois déjouer leur
surveillance en escaladant le mur des jardins d'un riche hôtel particulier. Les deux agents de la sûreté,
à bout de ressource, vont demander au père Tabaret, enquêteur amateur de grand renom, des conseils.
Celui-ci leur révèle que Mai est le duc Martial de Sairmeuse et qu'une haine ancestrale existe entre
les Sairmeuse et les D'Escorval.
Le roman se poursuit ensuite avec un long retour en arrière jusqu'en août 1815 et raconte dans
le détail les raisons de cette haine entre les deux familles. Le duc de Sairmeuse, émigré durant l'Empire,
est de retour sur ses terres qui ont été vendues comme biens nationaux à un riche bourgeois, Lacheneur.
Associé aux D'Escorval, dont le fils Maurice veut épouser sa fille Marie-Anne, Lacheneur cherche à sou-
lever le pays contre le duc de Sairmeuse. Mais sa tentative échoue. Il doit s'enfuir tandis que le baron
d'Escorval est condamné à mort. La suite est une série de rebondissements feuilletonesques qui op-
poseront les deux familles dont la haine est encore ravivée par le meurtre de Marie-Anne par Blanche
de Sairmeuse. Or, quelqu'un sait qu'elle a assassiné Marie-Anne et la fait chanter depuis des années.
Tout cet arrière-plan historique explique les meurtres. Lecoq le met à jour, résolvant ainsi l'énigme. Blanche
s'était rendue à La Poivrière, manipulée par le fils de Lacheneur, le frère de Marie-Anne, qui y avait pré-
paré un guet-apens. Mais Martial de Sairmeuse, qui avait découvert que sa femme était victime de chan-
tage, intervint à ce moment et abattit les trois bandits qu'avait recrutés Jean Lacheneur. Noblesse oblige,
le duc de Sairmeuse obtiendra un non-lieu et Lecoq un avancement.
Le Petit Vieux des Batignolles (1870) : On trouvera le résumé complet de l'œuvre un peu plus loin.
La Corde au cou (D) (1872): L'histoire, si elle reprend le schéma feuilletonesque des amours contra-
riées mais triomphantes à la toute fin, laisse une large place à l'enquête policière. Elle implique un fin
limier de la Sûreté, Goudard, et un juge d'instruction, Galpin-Daveline.Tout accuse Jacques de Boiscoran
d'une tentative de meurtre sur son voisin, le comte de Claudieuse, aggravée de l'incendie de son châ-
teau.Tout en protestant de son innocence, Boiscoran refuse de révéler ce qu'il faisait au moment du
crime. En fait, il a été l'amant de madame de Claudieuse avant de tomber amoureux de Denise de
Chandoré à laquelle il est fiancé. Boiscoran, convoqué par madame de Claudieuse la nuit du crime, est
prié par elle de lui remettre ses lettres. Aussi est-il persuadé que madame de Claudieuse est la cou-
pable puisqu'il n'a aucun moyen de prouver la liaison qu'il a eue avec elle et qu'elle avait juré à son
ancien amant de se venger. Mais elle est innocente, elle aussi, ce que révèle l'enquête efficace de l'agent
Goudard, déguisé en chanteur de rue. Il démasque Cocoleu, un jeune paysan un peu simple d'esprit,
qui est le réel coupable et qui a agi en croyant plaire à madame de Claudieuse.
La Clique dorée (1870) : Encore une histoire d'amours contrariées. Le roman débute par une ten-
tative de suicide manquée, celle d'Henriette, fille du comte de La Ville-Haudry. Le roman retourne en-
suite vingt ans en arrière pour comprendre les origines d'un tel désespoir. Henriette n'a pu s'unir à
l'homme qu'elle aimait, Daniel Champcey, un brillant officier. Sa belle-mère avait contrecarré ses pro-
jets pour mieux se livrer à ses activités : elle dirigeait en effet une bande criminelle et comptait mettre
la main sur l'argent de son nouveau mari le comte, comme elle l'avait déjà fait avec ses maris précé-
dents. L'intervention de Daniel, parti au loin durant de longues années (en Cochinchine), va permettre
que la vérité éclate, favorisant son mariage avec Henriette.
La Route de Berlin (1870) : Présenté comme « récit militaire », ce roman historique est d'actua-
lité au moment de la déclaration de la guerre franco-prussienne. Sa rédaction et sa publication vont
interrompre celles du Petit Vieux des Batignolles qui demeurera inachevé. Le roman évoque les sou-
venirs glorieux de 1792, l'année de la victoire de Valmy qui fit reculer l'invasion prussienne.
Le Journal d'un garde national mobilisé (1871) : Mobilisé par la garde nationale lors de la guerre
franco-prussienne, Gaboriau va assumer, entre autres, la surveillance des fortifications de Paris. Il ra-
conte aux lecteurs du Petit Journal les événements dans le détail, au jour le jour.
La Dégringolade (1871): Roman de 1100 pages constitué aux trois quarts du récit d'un jeune homme,
Raymond Delorge, trouvé moribond boulevard Clichy. Il s'agit encore une fois de complots, d'amours
contrariées et de vengeance. Le père de Raymond, un général, a été tué alors qu'il connaissait les dé-
tails d'un coup d'État auquel il ne voulait pas participer. Plusieurs années plus tard, Raymond est de-
venu ingénieur et s'est épris de Simone de Maillefert, fille de la duchesse de Maillefert. Mais madame
la duchesse lui préfère le comte de Combelaine comme gendre. Ce dernier est un imposteur qui tente
d'assassiner Raymond pour s'en débarrasser, le laissant pour mort boulevard Clichy. Arrive alors l'an-
cien palefrenier du père de Raymond qui démasque le faux comte de Combelaine, révélant, preuves
à l'appui, ses iniquités. Plus rien n'empêche alors le mariage de Raymond avec Simone de Maillefert.
L'Argent des autres (1873) : On retrouve dans ce roman les ressorts convenus du feuilleton. Une
famille bourgeoise, les Favoral, connaît de gros déboires, le père, caissier de la banque Thaller, ayant dé-
tourné des sommes importantes. Son fils Maxence, aidé du marquis de Trégars, va peu à peu dénouer
le complot ourdi par son père, comprenant qu'il était l'amant de la femme de son patron. Le père Favoral
se suicide avant que la police ne l'arrête. Cela n'assombrit pas, on s'en doute, la finale du roman, ponc-
tuée du mariage de Maxence et de Lucienne, une voisine.
Chapitre 2 (p. 31) Arrivés aux Batignolles, ils remarquent de nombreux curieux difficilement
contenus par la police. Méchinet se fait reconnaître et monte, accompagné de Godeuil, à l'appartement
où un meurtre vient d'avoir lieu. La solution du meurtre semble simple: la victime a réussi à écrire quelques
lettres (Monis…) désignant son neveu Monistrol.
Chapitre 3 (p. 38 ; 2e extrait analysé, p. 124 du manuel de l'élève) Godeuil, à qui personne ne
prête attention, s'approche du cadavre et remarque qu'il a dû mourir sur le coup, car la blessure fa-
tale a été provoquée par un couteau catalan. Comment aurait-il pu alors rédiger ces lettres ? Observant
les mains du cadavre, Godeuil découvre que c'est l'index gauche qui est souillé, ce qui remet tout en
question. L'assassin n'a sûrement pas été assez stupide pour se désigner lui-même. Donc, Monistrol est
innocent. Mais un agent de la sûreté arrive en annonçant que Monistrol a été arrêté et qu'il a tout avoué.
Chapitre 4 (p. 44) L'agent de la sûreté raconte dans le détail l'arrestation et l'aveu de Monistrol.
La vive réaction de madame Monistrol laisse croire à un attachement véritable pour son époux. Méchinet
ne comprend pas les aveux de Monistrol, tandis que le commissaire ne cherche pas à élucider l'appa-
rente contradiction entre ces aveux et l'impossibilité pour la victime d'écrire elle-même le nom de son
assassin.
Chapitre 5 (p. 50) Godeuil montre à Méchinet le bouchon à demi recouvert de cire verte
qu'il a remarqué plus tôt. Méchinet y voit là une pièce à conviction importante. Puis, il interroge la concierge
de l'immeuble. Celle-ci est convaincue que l'assassin est bel et bien Monistrol, neveu de Pigoreau, la
victime. Son commerce n'allait pas bien et sa femme vivait au-dessus de ses moyens. Elle aurait vu Monistrol
la veille au soir, accompagné de son chien Pluton, rendre visite à son oncle. Il aurait été la dernière per-
sonne à l'avoir vu vivant. Finalement, les médecins demandés par la police déclarent que la mort de
Pigoreau a été instantanée: ce ne peut donc pas être la victime qui a tracé les lettres incriminant Monistrol.
Chapitre 6 (p. 59 ; 3e extrait analysé, p. 142 du manuel de l'élève) Méchinet et Godeuil se ren-
dent ensuite rue de Jérusalem pour rencontrer Monistrol qui y est écroué. Ce dernier semble déses-
péré. Il maintient ses aveux.Toutefois il semble ne pas savoir comment a été assassiné son oncle.Après
cet interrogatoire, Méchinet est sceptique : Monistrol pourrait bien jouer la comédie.
Chapitre 7 (p. 66 ; 4e extrait analysé, p. 110 du guide du professeur) Il est vingt-deux heures
et Méchinet rentre chez lui, toujours accompagné de Godeuil. Sa femme leur fait bon accueil et veut
tout savoir de cette nouvelle enquête. D'après elle, c'est madame Monistrol qui est l'instigatrice de toute
l'affaire et son mari n'a été qu'un exécutant. Godeuil s'oppose à cette interprétation. Leur discussion
soulève un certain nombre d'objections qu'elle résout chaque fois. Mais il est tard et Méchinet met
fin à la conversation.
Chapitre 8 (p. 72) Le lendemain matin, Méchinet, vêtu avec plus de soin que de coutume, mène
l'enquête auprès des commerçants voisins des Monistrol, rue Vivienne. Il ne recueille que des éloges
sur monsieur et madame Monistrol : on dit de monsieur Monistrol qu'il était le meilleur des hommes
et de sa femme qu'elle est sage et remarquablement belle. Le couple passe pour être très uni. Avant
d'entrer dans le commerce des Monistrol, Méchinet et Godeuil en inspectent l'extérieur : tout semble
indiquer un commerce en difficulté, tant la devanture que ce qui y est exposé.
Chapitre 9 (p. 78) Entrant dans le commerce des Monistrol, Méchinet et Godeuil y rencon-
trent madame Monistrol qui répond à leurs questions. Mais sa douleur et la coquetterie de sa parure
éveillent la suspicion de Godeuil qui y décèle une mise en scène. Les enquêteurs apprennent que Monistrol
était absent l'avant-veille au soir et qu'il n'avait pas d'alibi, s'étant rendu chez un artisan qui était
malheureusement absent.
Chapitre 10 (p. 83) Toujours dans la boutique des Monistrol, les deux enquêteurs poursui-
vent leur interrogatoire. Godeuil songe que madame Monistrol pourrait bien être coupable et cela le
décide à poser pour la première fois une question. Madame Monistrol, éplorée, dit ne rien comprendre
de l'attitude de son mari qui s'obstine à maintenir ses aveux. Elle accepte une perquisition, Méchinet
G-1) Intro (Gaboriau) 11/08/04 14:24 Page 19 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
cherchant surtout à vérifier si des bouteilles cachetées de cire verte ne se seraient pas trouvées à la
cave. Mais menacés par le chien Pluton, les enquêteurs comprennent que ce dernier n'obéit qu'à ses
maîtres. Godeuil croit déceler là une contradiction puisque si le chien avait accompagné Monistrol jusque
chez Pigoreau, il aurait dû suivre l'omnibus que Monistrol est censé avoir pris.
Chapitre 11 (p. 89) Sortis de la boutique des Monistrol, Méchinet et Godeuil s'attablent dans
un restaurant pour mettre de l'ordre dans leurs idées. Ils concluent à la culpabilité, au moins morale,
de madame Monistrol et à la complicité présumée d'un intime de la famille, sans doute un amant de
celle-ci. Sachant madame Monistrol convoquée au Palais de Justice, ils profitent de son absence pour
retourner à la boutique interroger innocemment la jeune employée. Cette dernière leur donne l'adresse
de Victor, un ouvrier bijoutier, ami de la famille, qui réalise à l'occasion de menus travaux pour Monistrol.
Chapitre 12 (p. 94 ; 5e extrait analysé, p. 130 du guide du professeur) Godeuil et Monistrol se
rendent en toute hâte au Palais de Justice chercher un mandat d'arrestation contre Victor. Ils évitent
de se faire voir de madame Monistrol qui s'y trouve et réussissent à convaincre le juge d'instruction
qui leur signe le mandat. Méchinet vérifie ensuite si le marchand de vin habituel de Victor ne vendrait
pas de ce vin cacheté à la cire verte. C'est le cas. Méchinet et Godeuil ne doutent plus de sa culpabi-
lité. L'arrestation de Victor se fait sans difficulté. Il est écroué et avoue son crime : il désirait se débar-
rasser de Monistrol et enrichir la femme qu'il aimait. Monistrol est libéré : il explique qu'il a voulu se
sacrifier par amour pour sa femme qu'il croyait coupable. Cette dernière est acquittée, tandis que Victor
est condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Madame Monistrol (aucun prénom connu) Épouse de monsieur Monistrol depuis quatre
ans, et maîtresse de Victor, un des ouvriers de son mari. Sur elle, les opinions sont partagées. La concierge
rappelle que le petit vieux des Batignolles ne l'appréciait pas, qu'il ne croyait pas qu'elle aimât son mari
et qu'elle avait un genre trop relevé. Brouillée avec l'oncle de son mari, parce qu'il ne voulait pas leur
prêter cent mille francs, elle serait, d'après Caroline Méchinet, l'instigatrice du meurtre. Par contre, les
commerçants voisins ont d'elle une image beaucoup plus positive. Remarquablement belle, on la trouve
également sage, sa réputation est immaculée. On la dit éprise de son mari, ce qui se révèle faux. Elle
vivra ensuite misérablement avec son mari, ayant ouvert un débit de vins mal famé.
Victor (aucun nom de famille) Ouvrier bijoutier, employé par Méchinet. Il a son établi dans
son appartement de Montrouge. Âgé d'une trentaine d'années, fluet, blond, il connaît depuis longtemps
la victime, Pigoreau. Sa liaison avec madame Monistrol le décide à commettre le meurtre : il se débar-
rasse ainsi du mari (en traçant le message incriminant, Monis…, et en se faisant accompagner de Pluton)
tout en enrichissant sa maîtresse. Godeuil le trouve insolent et cynique. Il est condamné à l'empri-
sonnement à perpétuité.
Chapitre 12 Aussitôt sur le trottoir, ils foncent au Palais de Justice. Ils y arrivent après 3 heures
puisque madame Monistrol est reçue par le juge d'instruction. Le mandat leur est rapidement délivré.
Très rapidement, ils se rendent chez Victor. Après une rapide visite au marchand de vin, ils frappent à
la porte. L'arrestation de Victor, la fouille de ses tiroirs, tout cela ne prend que quelques minutes et
vingt minutes plus tard, ils roulent vers la préfecture. Par après, incarcéré, il avoue tout. Le lendemain,
Monistrol est mis en liberté.
PREMIÈRE PARTIE
Un chapitre
des
Mémoires d'un agent de la sûreté
Il y a de cela trois ou quatre mois, un homme d'une qua-
rantaine d'années, correctement vêtu de noir, se présentait aux
bureaux de rédaction du Petit Journal.
Il apportait un manuscrit d'une écriture à faire pâmer d'aise1
5 l'illustre Brard, le prince des calligraphes.
– Je repasserai, nous dit-il, dans une quinzaine, savoir ce
que vous pensez de mon travail.
*
**
Religieusement, le manuscrit fut placé dans le carton des
« ouvrages à lire », personne n'ayant eu la curiosité d'en dé-
10 nouer la ficelle...
Et le temps passa...
Je dois ajouter qu'on dépose beaucoup de manuscrits au
Petit Journal, et que l'emploi de lecteur n'y est pas une siné-
cure.
*
**
15 Le monsieur, cependant, ne reparut pas, et on l'avait ou-
blié, quand un matin, celui de nos collaborateurs qui est chargé
des lectures nous arriva tout émoustillé.
– Par ma foi ! s'écria-t-il en entrant, je viens de lire
quelque chose de véritablement extraordinaire.
20 – Quoi donc ? lui demandâmes-nous.
– Le manuscrit de ce monsieur, vous savez, tout de noir
habillé... Ah! il n'y a pas à m'en défendre2, j'ai été empoigné!...
Et comme nous le raillions de son enthousiasme, lui qui par
état3 ne s'enthousiasme guère, il jeta le manuscrit sur la
25 table en nous disant :
– Lisez plutôt !...
*
**
1. pâmer d'aise : être paralysé par le contentement, l'admiration.
2. m'en défendre : m'en justifier, en étant mis pour « d'avoir eu du plaisir ».
3. état : métier, profession.
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 25 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
** Malheureusement J.-B. Casimir Godeuil, qui avait promis d'apporter la suite de son manuscrit, a complètement disparu, et
toutes les démarches tentées pour le retrouver sont restées infructueuses. Nous nous sommes néanmoins décidé à publier son
unique récit qui contient un drame des plus émouvants. (Note de l'Éditeur.)
Avant-propos
(lignes 62 à 103)
1. Thomas Grimm : pseudonyme d'Amable Escoffier (1837-1891), journaliste de carrière. Au printemps 1869, il remplaça le chro-
niqueur Timothée Trimm (pseudonyme de Léo Lespès) qui tenait une chronique très appréciée à la une du Petit Journal.Thomas
Grimm était un pseudonyme qui rappelait celui de son prédécesseur et embrouilla sans doute les lecteurs les moins attentifs. Il
est remarquable que ni l'édition Dentu (1876) ni l'édition Gallimard (2001) n'aient mentionné que cette présentation était le
travail de Grimm, laissant croire qu'il s'agissait d'un texte de Gaboriau.
2. poésie : se dit de tout ce qu'il y a d'élevé et de touchant. (Littré)
3. irrécusablement : de façon irrécusable. L'adverbe n'est plus en usage.
4. mathématique : logique.
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 27 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
Avant d'analyser un extrait, il faut faire remarquer à l'élève qu'il y a des mots se trouvant dans le Petit
Robert 1 qui n'ont pas été définis en note de bas de page et dont le sens demande parfois d'être éclairci
selon le contexte : ces mots ont été mis en caractères gras dans le passage à analyser. On soulignera
également que cette recherche sera profitable à la compréhension, à l'analyse et au commentaire qui
suivront.
1. chemin de fer : ses débuts datent de 1828 en France. À partir de 1832, la construction d'un réseau étendu, rayonnant à partir de
Paris, sera entreprise. Au 31 décembre 1869, on compte 16 938 km de chemin de fer à vocation nationale et 1173 km de che-
min de fer à vocation locale. À la même date, on calcule que le réseau s'accroît de 808 km par an en moyenne.
2. télégraphe électrique : la formulation tient du pléonasme. Le télégraphe fut créé en 1837 par Samuel Morse. Une première ligne
fut installée en France en 1845 entre Paris et Rouen. Le premier câble transatlantique français fut installé entre Brest et Saint-
Pierre-et-Miquelon en 1869.
3. trois millions d'habitants : Paris s'était agrandi en 1860 en intégrant une partie des villages voisins. De nouvelles banlieues avaient
vu le jour par la suite. La statistique officielle établit la population de Paris à deux millions en 1870. Le chiffre de Godeuil est donc
exagéré.
4. deux cents : Godeuil sous-estime grandement les forces de l'ordre puisqu'on compte 5768 sergents de ville en 1867. À ces ser-
gents s'ajoutent les inspecteurs (ou agents de la sûreté) et les commissaires. Peut-être ne tient-il compte que des inspecteurs,
qui ne sont que 96 vers 1860 ?
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 28 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
Empoigner (ligne 22) — enpuigner 1174 ; de en- et poing. 2. (FIG.) Émouvoir, intéresser profondément.
— Passionner.
Scabreux (ligne 38) — 1501 ; lat. scaber « rude, raboteux ». 1. (LITTÉR.) Qui crée une situation embar-
rassante et des risques d'erreur.
La province (ligne 46) — 1170 ; lat. provincia, de vincere « vaincre ». 6. En France, l'ensemble du pays
(notamment les villes, les bourgs) à l'exclusion de la capitale.
Mémoires (ligne 56) — 1320 ; de 1. mémoire [...] (1552) 5. (PLUR.) n. m. pluriel : Relation écrite qu'une
personne fait des événements auxquels elle a participé ou dont elle a été témoin.
Convaincre (qqn) de (ligne 64) — XIIe ; lat. convincere ➾ conviction [...] 2. Donner des preuves de (sa
faute, sa culpabilité) ; amener (qqn) à reconnaître qu'il est coupable.
Faux (ligne 64) — fals 1080; puis faus; lat. falsus, p. p. adj. de fallere «tromper» [...] III. 2. Contrefaçon
ou falsification d'un écrit.
Positif (ligne 84) — 1265 ; « certain, réel » ; lat. positivus [...] XVIIe. II. 2. Qui a un caractère d'utilité pra-
tique.
Le positivisme d'Auguste Comte contribue sans doute ici à alimenter les sens du mot positif, en lui confé-
rant une connotation de vérité à caractère scientifique, atteinte par induction, à la suite d'une corré-
lation entre les faits : irrécusablement et mathématique colorent de leur sens le mot positif. Il faut donc
être chaque fois attentif au contexte.
Malheureux (ligne 90) — v. 1050 ; de malheur I. [...] 2. n. (XIIe) UN MALHEUREUX, UNE MALHEUREUSE: per-
sonne qui est dans le malheur. [...] ‡ Spécialt (du sens anc. « méchant, scélérat ») Personne que
l'on méprise et que l'on plaint. Par extension : insensé, fou.
ANALYSE DE L'EXTRAIT
Puisqu'il s'agit ici d'analyser un premier extrait, vous ne trouverez que les éléments essentiels des
réponses, souvent sans les preuves, toujours sans les explications. Il vous appartient de formuler vos
réponses dans des phrases complètes. Afin de vous guider dans cette tâche, la réponse à la première
question de chacune des trois étapes vous est donnée dans une forme plus achevée.
Les questions sont posées de façon à susciter chez l'élève l'impression qu'il construit quelque chose,
que les réponses qu'il donne contribuent à enrichir et à raffiner son analyse. Ce sera une occasion in-
téressante, lors d'une discussion de groupe, de faire surgir preuves et explications, pour demander en-
suite un exposé ou une rédaction plus élaborés.
Dans l'ensemble de notre démarche, nous vous suggérons une approche qui va du particulier
au général. Les trois ordres de questions vont dans ce sens.Toutefois, nous avons indiqué certaines ques-
tions d'ordre général (identifiées par ce symbole : ➲) qui permettent une saisie plus globale du texte,
celle qui guide le lecteur après une première lecture de l'œuvre. Cependant, les réponses que nous
suggérons à ces questions sont plus élaborées que celles qui résultent d'une première lecture afin que
vous puissiez en voir tout de suite les ramifications.Votre pratique pédagogique vous fera choisir la porte
d'entrée qui vous semble la plus propice.
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 29 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
Les questions qui suivent visent à vous faire bien saisir le sens général du texte et plus particu-
lièrement le sens de certains mots, tournures, courts passages ou constructions narratives. Certaines
questions pourraient être reprises plus loin, de manière à vous permettre d'atteindre une com-
préhension plus fine, plus nuancée, plus intégrée du texte.
1. Relevez les informations concernant Godeuil dans cet extrait. Établissez ses caractéristiques
physiques et son état civil. Vous devez déduire certaines informations.
Ce type de collecte d'informations est toujours aisé pour les élèves. Elle est pourtant nécessaire pour
donner une consistance au personnage principal. On pourra faire remarquer aux élèves deux lacunes
révélées par ce tableau : a) on ne sait rien du passé personnel de Godeuil (son milieu, son éducation,
sa famille, ses études) ; et b) on ne sait rien de son présent non plus (marié ? des enfants ? riche ? pour-
quoi n'est-il plus agent ? que fait-il ?). Ces deux lacunes participent au genre des mémoires que les ques-
tions 15 et 20 exploreront.
On pourra aussi faire remarquer aux élèves que même si la caractéristique physique peut sem-
bler mince, elle constitue pourtant un des seuls éléments qui permettent de situer l'année pendant
laquelle les événements se déroulent. Si Godeuil a environ une quarantaine d'années en 1870, et si les
événements du Petit Vieux des Batignolles se déroulent quand il achevait ses études de médecine à vingt-
trois ans (hors extrait, lignes 104 et 105), on peut situer l'action du roman aux alentours de 1853.
Cet exercice a le même but que le précédent, donner une consistance au personnage principal, mais
il demande à l'élève plus de déductions. On livre ici ensemble les caractéristiques psychologiques et
morales. On pourrait utilement demander aux élèves d'en faire la distinction. Les caractéristiques mo-
rales relèvent habituellement d'un choix, de valeurs acceptées par le personnage et véhiculées dans
son action. Sa décision de rédiger ses mémoires pour être « utile » à la société serait un exemple de
caractéristique morale. Par contre, les caractéristiques psychologiques sont imposées par la nature,
le personnage n'y peut rien. Sa « modestie » semble ainsi une dimension importante du personnage.
Évidemment, certaines distinctions entre caractéristiques psychologiques et morales sont impossibles
à faire. Mais elles engendrent souvent un débat fertile en classe. Si c'est ce qu'on recherche, on de-
mandera aux élèves de distinguer les caractéristiques psychologiques et morales lors de la collecte
d'informations.
3. Dans la préface, « J.-B. Casimir Godeuil » (lignes 1 à 61), relevez les huit passages où le nar-
rateur se révèle homodiégétique*, c'est-à-dire ayant participé à l'action du récit dont il raconte
l'histoire.
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 31 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
4. Le « nous » utilisé dans la note de l'éditeur (page 104 du manuel de l'élève) appartient à un
autre narrateur. Trouvez l'élément syntaxique qui permet de l'affirmer.
Le « nous » utilisé dans la préface comprend le « je » qui écrit et le groupe des collaborateurs du
Petit Journal. Par contre, le «nous» utilisé dans la note est un «nous» de majesté. Syntaxiquement,
ce « nous » ne révèle pas un groupe.
Le « nous » utilisé dans la préface comprend le « je » qui écrit (« Je dois ajouter », ligne 12) et le groupe
des collaborateurs du Petit Journal (« L'un de nous s'empara du manuscrit », ligne 28). Par contre, le
« nous » utilisé dans la note est un « nous » de majesté puisqu'il laisse le participe passé « décidé » sans
« s » : « Nous nous sommes néanmoins décidé à publier. » Syntaxiquement, ce « nous » ne révèle pas
un groupe, mais une autorité : l'éditeur du livre.
Ce « s » manquant à « décidé » n'est pas une coquille. La note est telle quelle dans l'édition originale
de Dentu. On peut considérer la note de Dentu comme une fiction attribuable à un narrateur hété-
rodiégétique*, n'ayant pas participé à l'action qu'il raconte. Rien ne prouve que cet éditeur a entre-
pris lui-même les démarches pour retrouver Godeuil, ni même qu'il l'ait rencontré. C'est pourquoi le
« nous » de la note n'était pas considéré comme homodiégétique* et n'était pas inclus dans la réponse
à la question 1.
5. L'éditeur qui signe la note de la préface de Thomas Grimm (page 104 du manuel de l'élève),
est-ce : a) Modulo–Griffon ?, b) Le Petit Journal ? ou c) l'éditeur original, Dentu ? Soupesez
chaque hypothèse pour n'en retenir qu'une.
a) Ce n'est pas Modulo–Griffon.
b) Ce n'est pas Le Petit Journal.
c) C'est l'éditeur original, Dentu.
a) Ce n'est pas Modulo–Griffon. Bien sûr, même si Modulo est un éditeur québécois d'aujourd'hui,
il peut rédiger une note dans un texte d'abord publié en 1870 à Paris comme Le Petit Vieux des
Batignolles. Mais Modulo–Griffon ne joue pas le rôle d'éditeur littéraire qui publierait un texte
inédit. Ce texte de Gaboriau est publié chez Modulo–Griffon dans une collection pédagogique.
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 32 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
b) Ce n'est pas Le Petit Journal. On vient de voir (question 4) que les deux « nous » utilisés ne se re-
coupent pas. De plus, on peut aussi constater que le « nous » du Petit Journal est contemporain
de la première publication : « Ceci dit, nous laissons la parole à J.-B. Casimir Godeuil » (ligne 57).
Mais le « nous » de l'éditeur est postérieur, il vient après la disparition de Godeuil et après que des
« démarches tentées pour le retrouver sont restées infructueuses ».
c) C'est l'éditeur original, Dentu. Il publie le roman en 1876. La publication en feuilleton du roman
ayant été interrompue par la guerre franco-prussienne de 1870, il fallait justifier au lecteur de 1876
une œuvre inachevée. Cette note est donc une pure invention de Dentu qui, comme Thomas Grimm,
participe à la mystification voulant que Godeuil ait réellement existé. Mais cette fois-ci, la mystifi-
cation a des limites : l'œuvre est tout de même publiée dans un livre signé Gaboriau.
On peut trouver dans Seuils (1987), de Gérard Genette, un chapitre entier consacré à la note. Dans
le cas qui nous occupe ici, il s'agit d'un curieux hybride que n'évalue pas Genette : une vraie note édi-
toriale qui dit faux. Selon la terminologie de Genette, cette note éditoriale serait « allographe* »,
rédigée par un autre que l'auteur.
6. Thomas Grimm a inséré des astérisques pour découper sa préface allographe*. Retrouvez les déic-
tiques* temporels et spatiaux de chaque division et résumez chacune de ces dernières par un titre.
Cet exercice devrait mettre en relief le fait que nous avons affaire à un récit des circonstances entourant
la publication. En soi, il s'agit d'un premier narrateur qui explique comment il a fait la connaissance du
héros de l'histoire qui va devenir plus tard le narrateur principal. Le principe a été utilisé dans un récit
autobiographique plus de cent ans auparavant. Manon Lescaut (1731), de l'abbé Prévost, débute par
le récit de Monsieur de Renoncour, qui cède ensuite la parole au Chevalier des Grieux pour qu'il nous
raconte ses aventures. L'élément insolite avec cette présentation tient au fait que cette fiction est don-
née aux lecteurs du Petit Journal comme un reportage journalistique. Godeuil n'est donc pas seulement
une création de Gaboriau, il s'émancipe puisque Thomas Grimm lui fait dire des choses et faire des
actions que Gaboriau n'a pas mises en scène, et que Dentu mentionne les recherches pour le retrouver
(dans sa note de bas de page).
De plus, on peut attirer l'attention des élèves sur l'organisation temporelle du récit. Les indices
temporels sont relatifs et même s'ils manquent de précision, ils permettent une linéarité narrative.
Dans Seuils (1987), son étude sur le paratexte*, Gérard Genette consacre plusieurs chapitres très
substantiels à la question de la préface (pages 165 à 296).
EXERCICE SUPPLÉMENTAIRE A
LA NÉCESSITÉ DE LA PRÉFACE
➲ Une édition contemporaine (Liana Lévi, 1991) a fait sauter la préface de Thomas Grimm. Cela pose
la question de sa nécessité. Que perd-on comme information en supprimant la préface ?
a) On perd des informations importantes sur le personnage.
b) On perd l'occasion de comprendre les circonstances entourant la publication du roman.
c) On perd une composante de l'effet* de réel des mémoires.
d) On perd l'occasion de justifier la qualité du texte.
a) On perd des informations importantes sur le personnage. Ses caractéristiques physiques, psycho-
logiques, morales et son état civil sont plus flous. (Voir les réponses aux questions 1 et 2, toutes les
citations situées entre les lignes 1 et 61.)
b) On perd l'occasion de comprendre les circonstances entourant la publication du roman. En fait, le
lecteur ne comprendrait pas pourquoi ce qui s'annonce comme des mémoires ne contient qu'un
seul épisode. La note de l'éditeur Dentu (page 104 du manuel de l'élève) est précieuse.
c) On perd une composante de l'effet* de réel des mémoires : la préface sert à cautionner de
l'extérieur (de façon allographe*) la réalité de Godeuil. (Ne serait-ce que parce que Le Petit Journal
a fait poser des affiches pour le rechercher : lignes 44 à 46.)
d) On perd l'occasion de justifier la qualité du texte à venir et d'intriguer le lecteur : « “Il faut absolu-
ment que Le Petit Journal publie cela” » (ligne 31).
EXERCICE SUPPLÉMENTAIRE B
On pourrait croire en effet que les astérisques ne sont qu'une coquetterie typographique dont un
lecteur moderne peut se passer. Leur suppression n'obscurcit pas la lecture. Cependant, ils ont une
fonction qu'il ne faut pas négliger.
On pourrait croire en effet que les astérisques ne sont qu'une coquetterie typographique dont un
lecteur moderne peut se passer. Leur suppression n'obscurcit pas la lecture. Cependant, ils ont une fonc-
tion qu'il ne faut pas négliger. Ils ont moins pour but de clarifier le sens que d'établir clairement que la
temporalité est un facteur important. Le rythme des événements (rapide, trépidant) est ici en jeu. Les
astérisques fonctionnent un peu comme une ellipse, un passage en blanc laissant de côté des événe-
ments pour abréger et couper au plus court tout en laissant sous-entendre au lecteur qu'il y aurait
encore à dire sur la question. Les trois astérisques de Grimm ont la même fonction que les points de
suspension si nombreux dans le récit de Godeuil: ils laissent au lecteur le soin d'imaginer, mais permettent
de passer rapidement à l'événement suivant.
Ici, les questions approfondissent celles de l'étape précédente et surtout abordent les aspects for-
mels du texte. Elles permettent d'en révéler et d'en évaluer les sous-entendus, en montrant, par
exemple, le rôle de la ponctuation ou du temps des verbes, en faisant voir la portée d'une figure
de style, la force d'une argumentation, l'effet de la tonalité* dominante du texte, etc. C'est aussi
l'occasion de faire des liens entre fond et forme, de faire saisir en somme ce qui fait le propre
du texte littéraire.
8. Trouvez quelques raisons qui rendent difficile et même « scabreuse » (ligne 38), selon Grimm,
la publication anonyme des mémoires.
a) Selon Grimm : « Pour chaque ligne imprimée, il faut un homme qui en endosse la responsa-
bilité. » (lignes 38 et 39)
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 35 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
b) La publication se fait dans un journal censé informer et dire l'exacte vérité. Une publication
anonyme accroît les « risques d'erreur », le côté scabreux.
c) Il s'agit de mémoires racontant des événements vécus par leur auteur. L'anonymat les aurait
rendus suspects d'avoir été inventés, ce qui aurait été embarrassant (scabreux).
d) Par ailleurs, on ne pouvait les publier sans son consentement, ni non plus sans s'assurer de
sa collaboration pour la rédaction des futurs épisodes. Autrement, on aurait eu des embar-
ras certains.
Vous pourriez faire voir aux élèves qu'il s'agit ici d'un effet* de réel (voir introduction, page 14 du ma-
nuel de l'élève) nécessaire pour la cohérence des mémoires. Si Le Petit Journal publiait un roman, il pour-
rait le faire malgré l'anonymat de l'auteur (et c'est d'ailleurs ce qu'il fait puisque nulle part Gaboriau
n'est mentionné comme l'auteur véritable !), pas des mémoires.
L'affirmation de Grimm, « Pour chaque ligne imprimée, il faut un homme qui en endosse la
responsabilité » (lignes 38 et 39) se révèle donc paradoxale. La recherche très réelle de Godeuil
(de véritables affiches furent placardées) poussait le lecteur qui aurait vu les affiches à croire en-
suite au récit de Thomas Grimm qui « avait » fait sa connaissance. Tout cela pour mieux cacher
Gaboriau.
On pourrait aussi faire réfléchir les élèves à un aspect ironique de l'affirmation de Grimm, car
ce dernier est le pseudonyme d'Amable Escoffier (voir la note 3, p. 104 du manuel de l'élève). La
responsabilité d'un pseudonyme est-elle la même qu'un onyme* ? Sûrement pas.
Enfin, on peut aussi amener les élèves à réfléchir à une ironie encore plus piquante. L'éditeur Dentu,
qui publie le premier Le Petit Vieux des Batignolles en livre en 1876, reproduit le texte de Grimm sans
mentionner son nom. De même, les éditions Gallimard copieront l'édition de Dentu sans se douter
que la préface n'est pas de Gaboriau. Grimm qui trouvait scabreux qu'on puisse publier Godeuil sans
le connaître est lui-même publié anonymement.
9. Quelles sont les intentions de Godeuil ? Expliquez-les tout en citant les passages sur lesquels
vous vous appuyez.
L'intention de Godeuil est facile à cerner : il s'en explique clairement dans son avant-propos. Si
on résume sa pensée :
a) Il veut témoigner de certaines aventures qui lui sont arrivées.
b) Ses mémoires cherchent à peindre le crime.
c) Il cherche aussi à renseigner sur les méthodes de la police.
d) Il cherche à détourner du crime certains individus.
e) Enfin, il rend un hommage.
a) Il veut témoigner de certaines aventures qui lui sont arrivées alors qu'il était agent de la sûreté :
« Il faut qu'on sache !… » (ligne 72).
b) Ses mémoires cherchent à peindre le crime tel qu'il est, à le démystifier : « N'est-ce pas être utile,
en effet, que de dépouiller le crime de sa sinistre poésie, et de le montrer tel qu'il est: lâche, ignoble,
abject, repoussant ?… » (lignes 76 à 78).
c) Il cherche aussi à renseigner sur les méthodes éprouvées de la police. On ne lui échappe pas: «l'im-
punité est impossible » (ligne 88).
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 36 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
d) Il cherche à détourner du crime certains individus en les effrayant. Cette démonstration est né-
cessaire afin qu'un criminel y réfléchisse à deux fois avant de commettre son méfait : « Plus d'un,
que le faible murmure de sa conscience n'eût pas retenu, sera arrêté par la voix salutaire de la
peur… » (lignes 92 et 93).
e) Enfin, il rend hommage au travail des policiers. « J'essaye de décrire les luttes […] d'une poignée
d'hommes dévoués […] C'est à eux que je dédie ce livre » (lignes 95 à 102).
10. L'avant-propos de Godeuil n'est pas divisé par des astérisques. Par contre, le temps des verbes
impose des divisions logiques. En étant attentif aux temps des verbes (et aux déictiques* tem-
porels), établissez quatre divisions de cet avant-propos.
Ces divisions ne sont pas entièrement imperméables : si elles se caractérisent par un temps de verbe
dominant, il s'en trouve d'autres parfois dans la même division. Ainsi, la division 3 contient-elle des
verbes au présent, mais ceux-ci sont manifestement au service d'une pensée qui se projette dans
l'avenir.
En repérant les temps de verbe, on peut mieux faire comprendre la rhétorique de Godeuil aux
élèves :
1) l'origine du projet, située dans une anecdote personnelle ;
2) l'attestation de l'utilité de ces mémoires, contenant une réfutation ;
3) la projection future d'un changement social engendré par ces mémoires ;
4) une explication objective du contenu et du réel d'où il est puisé.
11. Chacune des quatre divisions temporelles de l'avant-propos de Godeuil (établies à la ques-
tion précédente) est utile à l'organisation de son discours et à l'expression de ses intentions
(relevées à la question 9). Expliquez ce que l'on perdrait si on éliminait une division.
• Si on élimine la division 1 (lignes 62 à 72), on perd l'origine du projet de Godeuil.
• Si on élimine la division 2 (lignes 73 à 82), on perd de vue le côté moral de l'entreprise de Godeuil.
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 37 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
• Si on élimine la division 3 (lignes 83 à 93), on perd l'intention principale de l'auteur, son projet.
• Enfin, si on élimine la division 4 (lignes 94 à 103), on perd l'aspect informatif qui répond du
réalisme de ces mémoires.
On peut scinder la classe en quatre groupes de travail, chacun cherchant à répondre à la question.
• Si on élimine la division 1 (lignes 62 à 72), on perd l'origine du projet de Godeuil. On comprend
moins bien de quels mémoires il s'agit puisque Godeuil se révèle dans la division 1 un ancien agent
de la sûreté : « l'évidence des charges que j'avais réunies contre lui [le prévenu amené devant le juge
d'instruction] » (lignes 65 et 66).
• Si on élimine la division 2 (lignes 73 à 82), on perd de vue le côté moral de l'entreprise de Godeuil :
«j'ai la conviction d'accomplir une œuvre morale d'une haute utilité » (lignes 74 et 75). C'est l'as-
pect éditorial de cet avant-propos. Godeuil s'oppose à des préjugés : celui qui nimbe le crime d'une
poésie, celui qui empêche de voir les criminels comme les êtres les plus misérables. La morale de
Godeuil est sociale et tout à fait positiviste. Il situe son action dans l'avancement du progrès des connais-
sances utiles : « N'est-ce pas être utile, en effet, que de dépouiller le crime de sa sinistre poésie, et
de le montrer tel qu'il est : lâche, ignoble, abject, repoussant ?… N'est-ce pas être utile que de prou-
ver qu'il n'est pas au monde d'êtres aussi misérables que les insensés qui ont déclaré la guerre à la
société?» (lignes 76 à 81). Cet aspect social situe ses mémoires dans le prolongement des mémoires
véritables de Vidocq (1828 – voir l'introduction et l'extrait, p. 12 à 15 et p. 120 à 122 du manuel
de l'élève) et Canler (1862 – voir l'avant-propos de ces mémoires, p. 118 et 119 du manuel de l'élève).
• Si on élimine la division 3 (lignes 83 à 93), on perd l'intention principale de l'auteur, son projet :
engendrer la peur qui seule peut arrêter le criminel avant qu'il ne commette son action, la peur qui
seule peut transformer la société : « Le châtiment peut se faire attendre… il vient toujours »
(ligne 89). C'est une intention éminemment éducative : « Et alors, sans doute, il se rencontrera des
malheureux qui réfléchiront avant de s'abandonner… » (lignes 90 et 91).
• Enfin, si on élimine la division 4 (lignes 94 à 103), on perd l'aspect informatif qui répond du réa-
lisme de ces mémoires: «J'essaye de décrire les luttes, le succès et les défaites d'une poignée d'hommes
dévoués, chargés d'assurer la sécurité de Paris » (lignes 95 à 97). Ce réalisme est essentiel si l'on
veut s'assurer de la croyance du lecteur et de son adhésion au projet et à la morale défendus
plus haut.
La sympathie et la faveur du lecteur sont stimulées par un appareil rhétorique de persuasion que la
rhétorique latine nommait captatio benevolentiæ. L'avant-propos sert à induire chez le lecteur cet aban-
don. On peut lui dire pourquoi il doit lire le texte qui suit, et on peut aussi lui dire comment (ce que
font d'ailleurs beaucoup plus fréquemment les préfaces modernes, prenant pour implicite qu'on a alors
répondu au pourquoi). Sans entrer dans l'étude détaillée de cette rhétorique persuasive, notons qu'il
serait très mal venu qu'un auteur déclare de lui-même qu'il a du talent et que son texte est génial. L'attaque
frontale ne séduit pas.
L'exercice proposé aux élèves sert à leur montrer que chaque division est nécessaire. Pour va-
loriser un sujet, Godeuil en montre la genèse, la véridicité, l'unité, l'importance et la nouveauté, tout
cela constituant les thèmes classiques de la captatio benevolentiæ.
12. L'avant-propos de Godeuil (lignes 62 à 103) est soutenu par quelques figures de style : méta-
phore*, énumération*, répétition, gradation*, anaphore*, comparaison*, antithèse*. Arrêtez-
vous aux trois passages suivants pour trouver les figures de style utilisées et montrez comment
elles appuient le propos. Qu'est-ce que ces trois passages ont en commun ?
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 38 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
Passage 1
lignes 76 à 78 : « N'est-ce pas être utile, en effet, que de dépouiller le crime de sa sinistre poésie,
et de le montrer tel qu'il est : lâche, ignoble, abject, repoussant ?… »
Passage 2
lignes 83 à 85 : « J'établirai irrécusablement qu'on a tout intérêt – et je dis un intérêt immédiat,
positif, mathématique, escomptable même – à être honnête. »
Figure Comment la figure de style appuie-t-elle le propos ?
de style …
…
Passage 3
lignes 92 et 93 : « Plus d'un, que le faible murmure de sa conscience n'eût pas retenu, sera arrêté
par la voix salutaire de la peur… »
Figure Comment la figure de style appuie-t-elle le propos ?
de style …
…
Passage 1
lignes 76 à 78 : « N'est-ce pas être utile, en effet, que de dépouiller le crime de sa sinistre poésie, et
de le montrer tel qu'il est : lâche, ignoble, abject, repoussant ?… »
Passage 2
lignes 83 à 85 : « J'établirai irrécusablement qu'on a tout intérêt – et je dis un intérêt immédiat,
positif, mathématique, escomptable même – à être honnête. »
Passage 3
lignes 92 et 93 : « Plus d'un, que le faible murmure de sa conscience n'eût pas retenu, sera arrêté par
la voix salutaire de la peur… »
Ces passages seront mis en relief à nouveau en interprétant le thème dominant (voir la question 17).
EXERCICE SUPPLÉMENTAIRE C
Métaphore*, comparaison* … …
Antithèse* … …
Dialogues et monologue (discours directs*) … …
Discours indirects* … …
Ressemblances
Les paragraphes des deux textes sont courts et rythment les événements narrés et la pensée des
auteurs : …
Différences
Godeuil utilise plus de figures de style, et volontiers des : …
Ressemblances
Les paragraphes des deux textes sont courts et rythment les événements narrés et la pensée des
auteurs. De même, les deux auteurs apprécient beaucoup les points de suspension qui semblent
rendre vivant un narrateur homodiégétique* qui cherche ses mots et n'a pas besoin de tout dire
pour être compris.
Différences
Godeuil utilise plus de figures de style, et volontiers des énumérations* et des gradations*. Grimm
rapporte plus de propos que Godeuil. Bien sûr, le « je » chez l'un et le « nous » chez l'autre sont
remarquables.
13. Comment peut-on qualifier l'intérêt du Petit Journal à publier les mémoires de Godeuil? Donnez
des passages pour appuyer votre réponse.
Le Petit Journal est très motivé à publier les mémoires de Godeuil.
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 41 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
Le lecteur du Petit Journal dit avoir été « empoigné » (ligne 22), c'est-à-dire qu'il a été emporté par
l'histoire. L'« avis unanime » de la rédaction est aussi le symptôme d'une qualité littéraire du récit de
Godeuil (lignes 30 et 31), mais nulle part cette qualité n'est décrite. On ne sait pas explicitement
pourquoi il suscite l'« enthousiasme » (ligne 23) du lecteur qui décrit le récit comme « véritablement
extraordinaire » (ligne 19). Pourquoi faut-il « absolument » (ligne 31) le publier ? On n'en sait rien.
Cependant, on peut être surpris de l'engouement de la rédaction pour ce seul extrait. Qui dit que
les autres auraient été aussi étonnants ?
14. On a vu que Grimm utilise surtout le « nous » dans sa préface (question 3), tandis que Godeuil
privilégie le « je » dans son avant-propos (question 7). L'inverse serait sans doute impossible.
Pourquoi chaque auteur a-t-il fait ce choix ?
• Godeuil dit « je » parce qu'il traite de ce qu'il a connu personnellement. Il connaît le milieu
policier et veut transmettre ce savoir.
• Grimm privilégie le « nous » qui représente un premier lectorat, une équipe de rédaction.
• Godeuil dit « je » parce qu'il traite de ce qu'il a connu personnellement. Il connaît le milieu poli-
cier et veut transmettre ce savoir : « “Il faut qu'on sache !…” me disais-je » (ligne 72). Il rédige un
recueil de souvenirs personnels qui répond à une intention morale : « Et en publiant aujourd'hui
mes Mémoires, j'ai l'espérance, je dirai plus, j'ai la conviction d'accomplir une œuvre morale d'une
haute utilité » (lignes 73 à 75). Le « je » de Godeuil est celui du « retraité » et de l'écrivain, solitaire
au point de disparaître sans laisser de trace.
• Grimm privilégie le « nous » dans sa préface parce qu'il traite de la réaction d'un premier lecto-
rat : « L'un de nous s'empara du manuscrit et à la fin de la semaine il avait fait le tour de la rédac-
tion » (lignes 28 et 29). C'est aussi le « nous » d'une équipe de rédaction. Le « nous » de Grimm
(et celui de Dentu dans sa note) agit comme la garantie d'une qualité objective.
15. Les mémoires se distinguent par différentes caractéristiques génériques (voir l'introduction,
p. 12 du manuel de l'élève), parmi lesquelles le « je » se présente comme un témoin privilé-
gié de son époque et de son milieu. Comment ces faux mémoires correspondent-ils au genre ?
a) On fait clairement référence au genre à plusieurs reprises : dans le sous-titre, dans la préface
de Grimm, dans l'avant-propos de Godeuil, etc.
b) Ils sont écrits au « je ».
c) Il ne s'agit pas d'une autobiographie.
d) Godeuil a ressenti comme une mission le besoin de rédiger ses mémoires.
e) Ses souvenirs témoignent de façon exemplaire d'un progrès social.
f) Ils sont ceux d'un individu pris dans une action, un état.
d) Godeuil a ressenti comme une mission le besoin de rédiger ses mémoires. Il veut essentiellement
témoigner de son passage à la Sûreté : « “Il faut qu'on sache!…” me disais-je » (ligne 72).
e) Ses souvenirs témoignent de façon exemplaire d'un progrès social : « j'ai la conviction d'accomplir
une œuvre morale d'une haute utilité. […] N'est-ce pas être utile que de prouver qu'il n'est pas
au monde d'êtres aussi misérables que les insensés qui ont déclaré la guerre à la société ? » (lignes
74 et 75, 79 à 81).
f ) Ils sont ceux d'un individu pris dans une action, un état : « J'essaye de décrire les luttes, le
succès et les défaites d'une poignée d'hommes dévoués, chargés d'assurer la sécurité de Paris »
(lignes 95 à 97).
Les mémoires proposent un individu qui s'y révèle « le porte-drapeau de son rang, de sa génération,
de son époque, cédant au vertige de l'exemplarité » (Dictionnaire mondial des littératures, Larousse,
2002).
Les questions qui suivent visent à amener le lecteur à établir des relations entre différents élé-
ments du texte et, par déduction, à proposer des interprétations. Dans un premier temps, elles
présentent des réflexions sur l'ensemble de l'extrait, autour d'une problématique esquissée aux
approches précédentes. Dans un deuxième temps, elles visent à établir des liens entre le texte
analysé et des passages d'autres œuvres (Comparaison avec des passages d'autres œuvres). Cette
capacité à tisser des liens émane d'une compréhension profonde du texte, servie par une sensi-
bilité aiguë, et développe une quête permanente de cohérence de même qu'une recherche d'in-
tégration culturelle.
16. Godeuil affirme : « Plus d'un, que le faible murmure de sa conscience n'eût pas retenu, sera
arrêté par la voix salutaire de la peur… » (lignes 92 et 93) Est-il trop optimiste en misant sur
la peur pour empêcher les crimes ? Expliquez.
Personne ne pourrait nier que la peur du châtiment est sans doute un puissant moteur de
cohésion sociale. Par contre, Godeuil est beaucoup trop optimiste. Pour être efficace, la peur d'être
pris doit être plus grande que les besoins qui poussent les individus à commettre des crimes. On
pourrait dire que Godeuil ne tient pas compte des criminels poussés par la passion (la jalousie,
la vengeance) ou la nécessité (la faim).
Cela révèle sans doute sa vision du monde : on devient criminel parce qu'on le choisit. C'est une
vision bourgeoise du réel qui ne tient pas compte des facteurs psychologiques ou sociaux.
Par ailleurs, il se peut évidemment que des crimes qui n'en ont pas l'apparence échappent à la
police. Si on récupère un noyé, sait-on si on l'a poussé à l'eau, s'il a glissé ou s'il s'est suicidé ? En ce
sens, Godeuil est beaucoup trop optimiste.
Le professeur, au gré du temps qu'il a et de son plaisir à évoquer la question du crime et de sa
répression pourra faire référence à Platon ou à Marx et demander à la classe à qui sert la loi et si elle
est nécessaire.
Platon (faisant parler Calliclès) : « Certes, ce sont les faibles, la masse des gens, qui établissent les
lois, j'en suis sûr. C'est donc en fonction d'eux-mêmes et de leur intérêt personnel que les faibles font
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 43 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
les lois, qu'ils attribuent des louanges, qu'ils répartissent des blâmes. Ils veulent faire peur aux hommes
plus forts qu'eux et qui peuvent leur être supérieurs1. »
Marx: «La bourgeoisie, comme de juste, se représente le monde où elle domine comme le meilleur
des mondes2. »
17. À partir des intentions de Godeuil dégagées à la question 9, formulez le thème dominant de
l'extrait et expliquez-le.
Le thème qui semble s'imposer est celui de l'utilité morale au service d'un progrès social. En effet,
les intentions de Godeuil, auxquelles souscrit Le Petit Journal en les publiant, ont un but expli-
citement moral :
• ...
• ...
• ...
Cette morale, même en se présentant comme un intérêt individuel, est au service du bien pu-
blic. Ses mémoires se situent dans le prolongement de son action à titre d'agent : il est au service
d'un progrès social. En effet :
• une action individuelle, celle d'être honnête, a une portée collective ;
• ses mémoires contribuent à apaiser les tensions sociales.
En somme, l'entreprise de Godeuil consiste à éviter de nouveaux crimes.
Le thème qui semble s'imposer est celui de l'utilité morale au service d'un progrès social. En effet, les
intentions de Godeuil, auxquelles souscrit Le Petit Journal en les publiant, ont un but explicitement moral:
• Elles sont orientées par la moralité d'un témoignage nécessaire pour prévenir le crime: «j'ai la convic-
tion d'accomplir une œuvre morale d'une haute utilité » (lignes 74 et 75).
• Ses mémoires cherchent à peindre le crime tel qu'il est, à le démystifier pour effrayer : « dépouiller
le crime de sa sinistre poésie, et […] le montrer tel qu'il est » (lignes 76 et 77) ; « Plus d'un […] sera
arrêté par la voix salutaire de la peur… » (lignes 92 et 93).
• Il cherche aussi à montrer qu'on n'échappe pas à la police, qu'il n'y a pas d'impunité possible, ce
qui relève plus d'une morale optimiste que de la réalité : « l'impunité est impossible » (ligne 88).
Cette morale, même en se présentant comme un intérêt individuel, est au service du bien public.
Ses mémoires se situent dans le prolongement de son action à titre d'agent : il est au service d'un pro-
grès social. En effet :
• une action individuelle, celle d'être honnête, a une portée collective. Si Godeuil mentionne le nombre
de policiers (« Ils sont deux cents », ligne 101), qu'il a soin de rendre dérisoire en regard de la po-
pulation de Paris («trois millions d'habitants», lignes 99 et 100), c'est bien pour que le lecteur prenne
conscience que la police ne peut prévenir tous les crimes ;
• ses mémoires contribuent à apaiser les tensions sociales qui freinent le progrès: «il n'est pas au monde
d'êtres aussi misérables que les insensés qui ont déclaré la guerre à la société » (lignes 79 à 81).
En somme, l'entreprise de Godeuil consiste à éviter de nouveaux crimes. Même si la police peut
les solutionner tous (« l'impunité est impossible », ligne 88), elle doit s'assurer que leur nombre
n'augmente pas. En informant le public (« Ah! si j'avais su de quels moyens disposent la justice et la
police », lignes 67 et 68), en impressionnant les esprits (« Plus d'un […] sera arrêté par la voix salu-
taire de la peur… », lignes 92 et 93), ses mémoires contribuent à apaiser les tensions sociales.
Le bénéfice individuel à être honnête («je dis un intérêt immédiat, positif, mathématique, escomptable
même», lignes 83 et 84) fait partie d'une somme sociale qui rend alors le progrès possible pour tous.
EXERCICE SUPPLÉMENTAIRE D
Le Dossier no 113
18. Dans cette œuvre antérieure, Le Dossier n° 113, Gaboriau fait le portrait du commissaire, dont
le scepticisme est un trait déterminant. Relevez les passages caractérisant ce scepticisme.
a) « nul événement ne doive émouvoir ni surprendre, toujours en garde contre les mensonges
des apparences » (lignes 1 à 3)
b) …
c) …
1. Émile Gaboriau, Le Dossier n° 113, Paris, Librairie des Champs-Élysées / Hachette, coll. « Labyrinthes », 2003, p. 19-20.
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 46 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
d) …
e) …
a) « nul événement ne doive émouvoir ni surprendre, toujours en garde contre les mensonges des
apparences » (lignes 1 à 3)
b) « après un an, il n'en conserve plus [d'illusions] » (ligne 13)
c) « il ne méprise pas absolument l'espèce humaine » (ligne 14)
d) « Tant de fois ses prévisions ont été trompées qu'il en est arrivé au scepticisme le plus complet.
Il ne croit à rien » (lignes 21 à 23)
e) « conclusion navrante qu'il n'y a pas des hommes, mais bien des événements » (lignes 25 et 26)
19. Comparez le scepticisme et la désillusion du commissaire à l'état d'esprit manifesté par Godeuil.
Le scepticisme du commissaire est le résultat de son expérience et non un trait de son caractère.
Il est devenu sceptique à force de perdre ses illusions, à force d'être « en garde contre les men-
songes » (lignes 2 et 3), de les voir à l'œuvre partout. Sa conception de la société : …
Et cela déborde le cadre de sa société pour englober l'humanité, son regard devient anthropolo-
gique et même philosophique : …
Voilà qui est très différent du discours que tenait Godeuil ! : …
Sa conception de la société n'a rien d'idéale : « il voit d'impudents coquins voler la considération
publique » (lignes 17 et 18). Il doute même de l'efficacité de la police qu'il sert : « le commissaire de
police observe et surveille tous les faits odieux que la loi ne saurait atteindre » (lignes 7 à 9). Il est le
spectateur impuissant de certains crimes. Il trouve sur son chemin des « abominations sûres de l'im-
punité » (lignes 15 et 16).
Et cela déborde le cadre de sa société pour englober l'humanité, son regard devient anthro-
pologique et même philosophique : « […] il n'y a pas des hommes, mais bien des événements »
(ligne 26).
Voilà qui est très différent du discours que tenait Godeuil ! Lui qui voulait faire peur en montrant
que toujours le châtiment arrive, donnait de son métier de policier une vision idéale. On peut même
être surpris de l'optimisme de Godeuil, comme si toutes ces années passées à côtoyer les criminels
ne l'avaient jamais altéré, ne lui avaient pas permis de voir autrement le monde et les hommes.
En opposant la brève description du commissaire aux intentions de l'avant-propos de Godeuil, on
se rend bien compte que l'absence de tout scepticisme chez Godeuil en fait un idéaliste : il place au-
dessus de tout l'utilité morale, l'honnêteté et le progrès collectif.
Le commissaire décrit par Gaboriau est proche du commissaire Maigret, de Simenon, dont les enquêtes
l'amènent à s'intéresser à toutes les classes sociales et à se méfier des apparences. En fait, il n'y a pas
réellement d'innocents sur le chemin de Maigret, car lui-même sait si bien se placer dans la position
du coupable qu'il démontre que nous le sommes tous en puissance.Voici un exemple parmi mille du
scepticisme de Maigret à qui on demande si un prévenu pourrait être innocent : « Il y a vingt ans, lorsque
j'étais encore jeune dans le métier, j'aurais peut-être répondu oui sans hésiter. Depuis, j'ai appris que
tout est possible, même l'invraisemblable1. »
Mémoires
(1862)
Il insiste particulièrement sur la deuxième raison, la paraphrasant à deux reprises et lui donnant un
développement important. Comme Godeuil, son entreprise est morale et utile, il veut « remplir un
devoir envers la société » en inspirant une « noble répugnance » aux « jeunes intelli-
gences » (lignes 12 à 16) par l'enseignement de son action. Il se répète (au point d'être maladroit)
en disant vouloir détourner «de la mauvaise voie certaines intelligences faibles ou portées à mal faire»
(lignes 29 et 30). Godeuil ne prétend pas faire autre chose. Bien qu'il évoque des moyens techniques
et la peur plutôt que la répugnance, son avant-propos a le même but moral.
Sur le plan stylistique, on peut aussi remarquer les énumérations* dont Canler émaille son texte
et qui rappellent celles de Godeuil : « c'est-à-dire laid, bas, ignoble, repoussant » (lignes 11 et 12);
« tout ce qui est vil, méprisable et honteux » (ligne 17).
Évidemment, Godeuil pouvait difficilement reprendre la proposition de Canler qui voulait éclairer
les ruses des criminels pour aider les gens honnêtes à les combattre. Cela aurait été avouer que la
police ne prévenait pas assez le crime, ou encore que la peur qu'il voulait susciter ne serait pas assez
efficace. Mais surtout, les mémoires de Godeuil étaient moins informatifs que narratifs. Il ne classa
pas les crimes et les criminels. Godeuil exposa un « drame » (ligne 55), un « récit » (ligne 58), un
« récit qui contient un drame des plus émouvants » (note de l'éditeur). Il mettait en scène l'enquête
policière.
1. Paul-Louis-Alphonse Canler, Mémoires, Paris, Mercure de France, coll. « Le Temps retrouvé », 1986, p. 17-18.
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 49 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
une douzaine de fois, tentant chaque fois de mener une vie rangée. En 1809, encore une fois repris
et fatigué de s'évader, il proposa ses services à la police. Il fut rapidement un mouchard indispensable,
puis mit sur pied une police moderne : filatures, déguisements, collectes d'indices matériels.
Il connut Hugo et Balzac, qu'il influença. Chez Gaboriau, le détective Lecoq (l'euphonie est
révélatrice) en est un peu la réminiscence. Méchinet aussi, évidemment, par son côté inquiétant
au début, ses mœurs insolites qui rappellent celles des bandits qu'il poursuit.
Mémoires
(1828)
1. Hercule, dieu réputé pour sa force, dut accomplir douze travaux. Parmi ceux-ci, il lui fallut nettoyer les écuries d'Augias, si sales
qu'elles étaient censées être impossibles à laver. Hercule y parvint en détournant le cours de deux fleuves. Comme Hercule,
Vidocq était doué d'une force extraordinaire et nettoya Paris, qu'on croyait impossible à rendre sûre. La force herculéenne de
Vidocq inspira Victor Hugo pour son personnage de forçat évadé, Jean Valjean, dans Les Misérables, lui faisant soulever une char-
rette sous laquelle gisait un homme.
2. Sainte-Pélagie : l'une des trois maisons d'arrêt (avec La Force et les Madelonnettes) à cette époque où étaient écroués les
débiteurs insolvables qu'un juge d'instruction questionnerait.
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 50 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
1. contrainte par corps : il s'agit sans doute de l'arrestation en vertu du mandat de dépôt du juge d'instruction.
2. proscripteurs de 1815 :Vidocq fait probablement référence ici aux proscripteurs de la Restauration qui s'employèrent à pour-
chasser et à bannir les anciens privilégiés de l'Empire.
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 51 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
21. Eugène-François Vidocq, dans cet extrait de ses Mémoires, après avoir narré son adolescence
délinquante, son enrôlement, ses duels, ses démêlés avec la justice, en arrive aux intentions
qui l'animent. Comparez le projet des mémoires véritables de Vidocq et des pseudo-mémoires
de Godeuil. En quoi se ressemblent-ils et en quoi sont-ils profondément différents ?
Les intentions de Godeuil et de Vidocq se ressemblent en ceci que tous deux racontent ce qui
leur est survenu pendant qu'ils travaillaient pour la police et traquaient les criminels. Godeuil :
« J'essaye de décrire les luttes, le succès et les défaites d'une poignée d'hommes dévoués »
(lignes 95 et 96). Et Vidocq va dans le même sens : « je raconterai mes travaux, les efforts que
j'ai dû entreprendre, les périls que j'ai affrontés, les ruses, les stratagèmes auxquels j'ai eu recours
pour remplir ma mission » (lignes 11 à 14). Tous deux se proposent de nous montrer les milieux
criminels en action. Godeuil a l'intention « de dépouiller le crime de sa sinistre poésie, et de le
montrer tel qu'il est » (lignes 76 et 77). Et Vidocq veut dévoiler « les expédients des voleurs, les
signes auxquels on peut les reconnaître […] leurs mœurs, leurs habitudes » (lignes 16 à 18). Tous
deux, enfin, cherchent à améliorer leur société.
Mais là semble s'arrêter la ressemblance.
• En effet, le souci du détail chez Vidocq est plus élevé : ...
• ...
• ...
Il veut véritablement dresser le tableau d'une société: son langage, son costume, ses mœurs. Il a quelque
chose du naturaliste qui cherche à faire un classement (« Je classerai les différentes espèces de mal-
faiteurs», lignes 31 et 32), ou encore du sociologue qui analyse des mécanismes sociaux («je présenterai
les traits originaux de plusieurs classes de la société », lignes 58 et 59).
Ce n'est pas ce que cherche Godeuil. Ce dernier veut raconter ses enquêtes, sans nécessairement
faire un portrait détaillé du milieu criminel. Il cherche à faire peur, à montrer une justice toute-
puissante grâce à de nouvelles technologies (le « chemin de fer » et le « télégraphe électrique », lignes
87 et 88), un monde où les criminels ne peuvent échapper au châtiment (« l'impunité est impossible »,
ligne 88) malgré le faible nombre de policiers (« Ils sont deux cents », ligne 101).
Vidocq est plus réaliste. Si on verra bien sûr ses enquêtes (« je raconterai mes travaux, les efforts
que j'ai dû entreprendre, les périls que j'ai affrontés, les ruses, les stratagèmes auxquels j'ai eu re-
cours », lignes 11 à 14), il ne veut pas en faire un objet d'épouvante pour le criminel, mais une source
d'informations pour le citoyen : « je désignerai les principaux [criminels], en leur imprimant sur le
front un sceau qui les fera reconnaître » (lignes 29 à 31). C'est à l'honnête homme qu'il revient, en
définitive, d'être sur ses gardes (Canler le rejoint là-dessus, p. 119, ligne 25 et 26). La police ne sau-
rait toujours prévenir le crime, et encore moins enrayer les crimes futurs par ses succès présents
ou passés.
1. Eugène-François Vidocq, Mémoires, Éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1998, p. 337-338.
G-2) Partie I (Gaboriau) 11/08/04 14:25 Page 52 Macintosh HD:Users:jacquesnadeau:Desktop:1) G-MONTAGE:
Enfin,Vidocq est conscient que la police n'est qu'un maillon d'un système judiciaire qui implique le
législateur et les juges. Il a une vision beaucoup plus large que celle de Godeuil. Il veut que ses mé-
moires servent à justifier des améliorations qu'il proposera: «Je mettrai au grand jour les vices de notre
instruction criminelle et ceux plus grands encore de notre système de pénalité […] Je demanderai
des changements, des révisions » (lignes 43 à 46).Ainsi, même s'il se compare à Hercule et dit de Paris
qu'elle est « la résidence la plus sûre » (ligne 15), l'hyperbole* est aussitôt démentie par un constat :
il reste encore à travailler pour améliorer la police et la loi, et pour mieux connaître les conditions d'un
milieu qui font basculer des citoyens dans le crime. Il n'a donc pas cet optimisme naïf qui caractéri-
sait Godeuil, qui pensait que les criminels s'arrêteraient d'eux-mêmes «par la voix salutaire de la peur…»
(ligne 93).