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Mav 038 0240

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Le management de la diversité des équipes par la

contagion émotionnelle, au cœur de la performance de


groupe ?
Sylvie Boisard-Castelluccia, Delphine van Hoorebeke
Dans Management & Avenir 2010/8 (n° 38), pages 240 à 256
Éditions Management Prospective Editions
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.038.0240
© Management Prospective Editions | Téléchargé le 18/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 142.122.117.133)

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Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2010-8-page-240.htm

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38

Le management de la diversité des équipes


par la contagion émotionnelle, au cœur de la
performance de groupe ?

par Sylvie Boisard-Castelluccia162


et Delphine Van Hoorebeke163

Résumé

La recherche sur les effets de la diversité démographique d’une équipe de


travail sur sa performance nous apprend qu’une équipe ne peut bénéficier de
sa diversité que si elle parvient à créer un modèle mental commun. Or, avant
d’atteindre ce consensus, la confrontation des représentations mentales
des différents membres de l’équipe suscite des conflits intragroupes de type
cognitif, sources de créativité, qui ne peuvent émerger sans l’apparition
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parallèle des conflits affectifs « parasitant » les bénéfices du conflit cognitif.
Ce papier vise à expliciter comment garantir les effets bénéfiques de la
diversité démographique en présentant un levier original de gestion des
conflits intragroupes : la contagion émotionnelle positive.

Abstract

The research on the effects of the demographical diversity of a work team


on its performance teaches us that a team benefits from its diversity when
it succeeds in creating a common mental model. In order to do that, the
confrontation of the mental representations of the various members of
the team arouses intragroup cognitive conflicts, which are a source of
creativity and that cannot appear without affective conflicts, which cause
in turn “interferences” on the cognitive conflict’s benefits. This paper aims
at introducing an original tool to manage intragroup conflicts and then to
guarantee the beneficial effects of the demographical diversity: the positive
emotional contagion.

La mondialisation a eu de très fortes répercussions sur les effectifs de nombreuses


entreprises. Elles emploient désormais des salariés provenant de nombreux
pays et de cultures différentes. En conséquence, la gestion de la diversité est
devenue une préoccupation importante pour une majorité de multinationales.
Malheureusement, la notion de diversité n’est pas très bien comprise et sa
gestion ne s’en trouve que plus mystérieuse et réellement difficile à aborder.
Aussi, même si la plupart de ces entreprises s’accordent sur la nécessité de
promouvoir la diversité, seul un petit nombre d’entre elles parviennent à prendre
des mesures concrètes.
162. Sylvie Boisard-Castelluccia, Maître de Conférences, Université du Sud Toulon-Var, boisard@univ-tln.fr
163. Delphine Van Hoorebeke, Maître de Conférences, Université du Sud Toulon-Var, LEAD, vanhoorebeke@univ-tln.fr

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Le management de la diversité des équipes
par la contagion émotionnelle, au cœur de la
performance de groupe ?

La gestion de la diversité a connu ces quinze dernières années un intérêt


croissant lié à la prise en compte de la dimension « apprentissage ». La gestion
de la diversité ne consiste plus seulement à augmenter la représentation des
différentes minorités sur le lieu de travail. Elle se construit désormais sur un
nouveau paradigme d’« apprentissage et efficacité » (Thomas et Ely, 1996) qui
ne considère plus seulement les individus selon leurs apparences ou leur milieu
d’origine mais selon les différentes connaissances et perspectives qu’ils peuvent
apporter. En d’autres termes, la diversité n’est plus recherchée dans une seule
logique d’équité mais aussi dans une logique d’apprentissage de la différence.
La littérature en sciences de gestion retrace une cinquantaine d’années de
recherche sur les effets de la diversité démographique d’une équipe de travail
sur sa performance. Bien qu’elle soit concordante sur le fait que la diversité
démographique d’un groupe a une influence certaine sur ses processus et sur sa
performance, elle ne parvient pas à établir clairement si la diversité est oui
ou non une source de performance.

La diversité (ou hétérogénéité) démographique correspond au degré selon


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lequel une unité (une équipe dirigeante, une équipe de travail ou une organisation)
est hétérogène au regard des caractéristiques démographiques : l’âge, le sexe et
la nationalité, l’ancienneté et le domaine fonctionnel dans lequel l’individu exerce
sa formation et, enfin la situation de famille (Eisenhardt et al., 1999).

Des études de terrain de ces cinquante dernières années ont montré que des
variations dans la composition du groupe pouvaient avoir d’importants effets sur
son fonctionnement (Williams et O’Reilly, 1998). L’hétérogénéité démographique
en termes d’ancienneté, de sexe, et de nationalité aurait des effets négatifs sur
les comportements sur le lieu de travail et sur la performance (Chatman, Polzer,
Barsad et Neale, 1998 ; Pelled, Eisenhardt, et Xin, 1999 ; Smith et al., 1994).
A l’inverse, une homogénéité démographique accrue aurait des effets positifs
sur l’appréciation, la satisfaction, l’engagement, l’ancienneté et la performance
et réduirait le turnover (Elfenbein et O’Reilly, 2002). Des auteurs comme Earley
et Mosakowski (2000) et Murray (1989) ont eux mis en évidence une approche
intermédiaire selon laquelle homogénéité et hétérogénéité pouvaient toutes
deux être une source de performance. Les groupes hétérogènes seraient plus
efficaces dans un environnement changeant alors que les groupes homogènes
seraient plus performants dans des environnements stables et compétitifs
(Murray, 1989).

Pour qu’une équipe bénéficie de sa diversité et donc soit performante, elle doit
parvenir à apprendre collectivement c’est à dire à créer un modèle mental
commun ou encore un consensus caractérisé entre autres par les valeurs, les
croyances et les représentations partagées par les membres (Fiol, 1994). La
création de cette représentation commune devient alors une condition nécessaire
à la performance de l’équipe.

241
38

Or, la diversité démographique d’une équipe engendre des situations où certains


membres possèdent des représentations mentales qui ne sont pas totalement
compatibles. Une représentation mentale est « le produit et le processus
d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le
réel auquel il est confronté, et lui attribue une signification spécifique » (Abric,
1989). La représentation est alors un ensemble organisé d’opinions, d’attitudes,
de croyances et d’informations qui se réfèrent à un objet ou une situation. La
confrontation des représentations mentales des différents membres de l’équipe
suscite alors des conflits intragroupes de type cognitif, sources de créativité.
Or, les conflits cognitifs ne peuvent émerger sans l’apparition parallèle d’un autre
type de conflits intragroupes, les conflits affectifs « parasitant » les bénéfices du
conflit cognitif et affectant ainsi la capacité de l’équipe à créer un modèle mental
commun et donc sa performance.

Ce papier vise à expliciter comment garantir les effets bénéfiques de la


diversité démographique en présentant un levier original de gestion des conflits
intragroupes : la contagion émotionnelle positive. Nous montrerons, en effet,
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comment cette contagion émotionnelle réduit les effets néfastes du conflit affectif
tout en préservant les propriétés performantes du conflit cognitif.

Pour ce faire, nous exposerons, dans un premier temps, les conditions sous
lesquelles le conflit affectif représente une menace pour la diversité. Il s’agira,
plus précisément, d’expliciter comment la diversité engendre des conflits cognitif
et affectif. Puis, nous mettrons en évidence et analyserons les effets respectifs
de ces deux types de conflits sur la performance de l’équipe.

Dans un second temps, nous exposerons un nouveau levier de management de


la diversité : la contagion émotionnelle positive. Son principe consiste à impulser
une énergie émotionnelle positive au sein d’une équipe emprise à un conflit affectif
trop oppressant en vue de limiter les effets néfastes de ce dernier et par la même,
de favoriser la créativité et la performance suscitées par le conflit cognitif.

1. Le conflit affectif, une entrave a la diversité ?

1.1. La diversité, une source de conflits intragroupes


Lorsque les membres d’une équipe ne possèdent pas les mêmes antécédents
démographiques, ils peuvent posséder des modèles mentaux, des structures de
croyances différentes c’est à dire des priorités, des anticipations sur le futur, une
compréhension des alternatives qui leur sont offertes différentes.

Le conflit est « une prise de conscience par les parties impliquées de leurs
divergences ou de l’incompatibilité de leurs désirs. » (Jehn, 1997). Plus

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Le management de la diversité des équipes
par la contagion émotionnelle, au cœur de la
performance de groupe ?

précisément, il s’agit d’un processus interactif qui se manifeste en cas de


désaccord, incompatibilité, ou dissonance entre ou au sein des entités sociales
(c’est à dire individu, groupe, organisation) (Baron, 1990).

Un conflit émerge lorsqu’une ou deux entités sociales :


 s’engagent dans une activité qui va à l’encontre de leurs besoins ou
intérêts,
 ont des préférences comportementales dont la satisfaction empêche la
réalisation des préférences d’une autre entité,
 souhaitent les mêmes ressources dont l’offre est limitée, de sorte que les
volontés de chacune ne puissent être pleinement satisfaites,
 possèdent des attitudes, valeurs, dons et objectifs qui dirigent leurs
comportements mais qui sont perçus comme excluant les attitudes,
valeurs, dons et objectifs de ou des (l’)autre(s),
 disposent de préférences comportementales exclusives au regard des
actions communes,
 sont interdépendantes dans la performance, l’exercice des fonctions ou
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activités.

Les théoriciens classiques de l’organisation ont supposé que le conflit était


néfaste pour l’organisation. Depuis ces dernières années, les hypothèses
concernant le conflit organisationnel ont radicalement changé. Il est désormais
considéré comme inévitable et même comme un indicateur positif de la bonne
gestion d’une organisation. Il est généralement admis que le conflit est à la fois
fonctionnel et dysfonctionnel pour une organisation. Il est fonctionnel lorsqu’il
apporte de meilleures solutions à des problèmes ou lorsqu’il permet d’atteindre
les objectifs de l’individu, du groupe ou de l’organisation.

Il est essentiel d’étudier les conflits prenant place au sein des groupes dans
la mesure où, de nos jours, les individus interagissent de plus en plus
quotidiennement. La gestion du conflit est un élément important de l’efficacité
d’une équipe. Pour être performantes, les équipes doivent être capables de gérer
les conflits qui font naturellement partis de leur environnement. Nous pouvons
distinguer dans la littérature deux types de conflits intragroupes : le conflit cognitif
et le conflit affectif.

1.2. Le conflit cognitif, une source de créativité et de


performance

1.2.1. Le conflit cognitif


Le conflit cognitif est une opposition d’idées au sein du groupe, un désaccord relatif
au contenu et aux aboutissements des tâches. Il naît des différences de jugement
ou encore des confrontations des différentes représentations individuelles. Ce

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38

type de désaccord est un élément naturel du bon fonctionnement d’une équipe.


Il est naturel en ce sens où lorsque les membres se réunissent pour prendre
d’importantes décisions, ils apportent des idées, opinions et perspectives
différentes et représentatives de l’environnement de chacun.

Pris isolément, le conflit cognitif apparaît lorsque les membres examinent,


comparent et concilient leurs différences. Ce processus est très important puisqu’il
permet d’atteindre des solutions de grande qualité comprises et acceptées par
tous. Ce conflit est bénéfique parce qu’il nécessite l’engagement de l’équipe dans
les activités essentielles à son efficacité. En facilitant la franche communication
et en utilisant à bon escient la diversité des membres, c’est-à-dire leurs différents
dons et compétences, ce type de conflit engendre de la compréhension et de
l’engagement envers les objectifs et les décisions. Il en résulte non seulement une
meilleure décision, mais une décision pouvant être appliquée plus efficacement.
Dans la mesure où le conflit cognitif est le fruit d’une confrontation de
représentations individuelles, nous pouvons en déduire qu’il suscite chez l’individu
un conflit interne s’exprimant sous forme de dissonance cognitive. La théorie de
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la dissonance cognitive de Festinger (1957) va nous aider à comprendre en quoi
le conflit cognitif est source de créativité et de performance.
1.2.2. Les apports de la psychologie cognitive : la théorie de la
dissonance cognitive
Les théories de la consonance cognitive, de manière générale, traitent des
processus de gestion des informations nouvelles et du changement d’états
cognitifs. Elles supposent que l’existence d’un univers cognitif est conditionnée
par la recherche d’une organisation harmonieuse. Si cette harmonie est perturbée,
l’organisme met en place un travail cognitif permettant son rétablissement.

La théorie de la dissonance cognitive (Festinger, 1957) est celle qui a connu le


plus grand succès.

L’hypothèse fondamentale de Festinger est la suivante :


La dissonance cognitive constitue un état pénible pour l’être humain, chez qui
il existe un besoin de maintenir la plus grande consonance possible. Donc si un
individu se trouve entretenir des notions dissonantes, il en éprouve un malaise
psychologique suscitant chez lui une tendance à la réduction de la dissonance
et à la restauration de la consonance. En outre, l’individu s’efforce d’éviter les
situations et informations susceptibles d’augmenter la dissonance.

Les termes « dissonants » et « consonants » renvoient à des relations qui existent


entre des couples de cognitions.

Les cognitions d’un individu représentent toutes les connaissances, opinions ou


croyances sur son environnement, sur lui-même, ou sur le comportement d’une

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Le management de la diversité des équipes
par la contagion émotionnelle, au cœur de la
performance de groupe ?

tierce personne constituant son modèle mental (Festinger, 1957). En d’autres


termes, les éléments de cognition correspondent pour la plupart à ce que l’individu
fait ou ressent, ou encore à ce qui existe effectivement dans l’environnement.

« Il y a consonance entre deux notions si l’une des deux découle de l’autre.


En d’autres termes, si l’une des deux implique psychologiquement l’autre. »
(Poitou, 1974). L’implication psychologique est une implication subjective, elle
n’est pas strictement logique.

Considérons deux éléments cognitifs x et y du modèle mental d’un individu. x et y


sont dans une relation dissonante si, en ne considérant que ces deux éléments,
l’opposé de x est impliqué par y.

Prenons l’exemple d’un dirigeant dont la consigne est de réduire ses dépenses
au maximum et qui en parallèle prend la décision de mettre en place une
stratégie croissance externe qu’il juge fondamentale pour la bonne marche de
son entreprise.
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Ces deux éléments sont dissonants car de l’opposé de la première cognition,
« ne pas être limité dans son budget » découle la cognition « mettre en place
une stratégie de croissance externe».

Des éléments cognitifs peuvent être dissonants pour un individu et ne pas l’être
pour un autre possédant une culture différente ou ayant vécu des expériences
différentes.

Le groupe social tel une équipe de travail est une source majeure de dissonance
cognitive éprouvée par un individu (Festinger, 1957). En d’autres termes, les
éléments cognitifs correspondant à l’opinion d’un individu peuvent être dissonants
avec la cognition (s’exprimant sous forme de la connaissance) qu’un autre
individu possède une opinion contraire à la sienne. Les informations et opinions
qui lui sont communiquées par les autres membres du groupe peuvent introduire
de nouveaux éléments dissonants avec ses cognitions déjà existantes et ainsi
générer des conflits intra groupes de type cognitif.

Nous allons voir dans le paragraphe suivant que ce conflit cognitif va susciter un
apprentissage individuel, lui-même facteur de créativité et de performance.
1.2.3. Le conflit cognitif, source d’apprentissage individuel
Dans cet article, nous nous intéressons exclusivement au processus
d’apprentissage relatif à la modification voire au changement complet de
représentations et défini comme suit par Giordan (1993) : « L’apprentissage n’est
pas un simple enregistrement d’informations par un sujet, mais implique une
transformation de ses structures mentales. […] Apprendre c’est transformer ses

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conceptions ou plutôt, passer d’un réseau explicatif à un autre plus pertinent,


pour traiter un contexte donné ». En ce sens, il s’agit d’un processus complexe et
souvent désagréable pour l’individu.

Les activités de confrontations entre la conception antérieure de l’individu et les


réalités observées doivent convaincre ce dernier que ses représentations sont
incomplètes ou inadéquates par rapport au problème traité et, éventuellement,
que d’autres sont plus opérationnelles.

« Il faut donc introduire, au départ de tout apprentissage, une ou plusieurs


dissonances qui perturbent les conceptions mobilisées. Cette dissonance, seul
moyen de progresser, crée une tension qui rompt ou déplace le fragile équilibre
que le cerveau a réalisé. » (Giordan, 1993).

L’appropriation de savoir procède de bouleversements et de crises. « Pour


apprendre, il faut être perturbé dans ses certitudes. » (Giordan, 1999).

En d’autres termes, une dissonance cognitive doit créer une tension telle qu’elle
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rompt le fragile équilibre atteint par le cerveau de l’apprenant.

Tout apprentissage réussi est un changement de conceptions, consécutif à des


confrontations entre des informations nouvelles et le savoir antérieur de l’individu.
La structure mentale de celui-ci est alors transformée et sa grille de références
largement réélaborée. Chaque modification est vécue par l’individu comme une
expérience désagréable. En effet, cet apprentissage va changer le sens de ses
expériences passées et troubler la façon dont il interprétait la réalité.

Ainsi, en suscitant de la dissonance cognitive, le conflit cognitif va déclencher


chez l’individu un apprentissage individuel qui peut prendre, selon le niveau de
dissonance, la forme d’un apprentissage incrémental ou d’un apprentissage
radical (Boisard-Castelluccia, 2004). L’individu apprenant modifie ou change
radicalement ses représentations mentales créant ainsi de la nouveauté. On peut
alors parler de créativité, elle-même source de performance.

1.3. Le conflit affectif, un trouble-fête ?

1.3.1. Le conflit affectif


Le conflit affectif est un conflit d’ordres personnel et relationnel au sein du
groupe, caractérisé par des frictions, des frustrations et des disputes entre
différentes personnalités. Le conflit affectif implique un désaccord personnel ou
une désaffection individuelle.

Les conflits cognitif et affectif naissent nécessairement ensemble, l’un ne pouvant


apparaître sans l’autre. En effet, lorsque les membres possèdent des perspectives

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Le management de la diversité des équipes
par la contagion émotionnelle, au cœur de la
performance de groupe ?

différentes, il y a souvent désaccord cognitif. Ce dernier étant fréquemment mal


interprété et perçu comme une critique personnelle, le conflit affectif émerge
nécessairement en parallèle. De même, lorsqu’un individu possède une certaine
rancœur à l’égard de l’un de ses collègues, il sera plus enclin à contredire
les opinions de ce dernier. La propension à se méprendre et à interpréter un
désaccord cognitif comme de l’animosité personnelle est particulièrement grande
lorsque les questions sont importantes et que le potentiel personnel de gain
ou de perte est grand. Les membres offensés par ce qu’ils ont perçu comme
une critique personnelle vont répondre par une autre attaque personnelle, en
amplifiant le conflit affectif. Ce cercle vicieux produit de l’animosité et un refus de
tolérer l’opposition ou de continuer à travailler ensemble. On observe alors une
baisse de la qualité des solutions et une érosion de l’engagement de l’équipe. Il
semblerait que cette situation de conflit affectif soit très néfaste.

Pour expliquer cet état de fait, il s’agit d’envisager que même si conceptuellement
l’affectif est distingué de l’émotion, leur lien est tel qu’il est souvent envisagé
qu’ils sont plus qu’indissociables, l’émotion étant considérée par certains
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comme dimension de l’affectif. Ainsi, selon Derbaix (1987), l’affectif rassemble
les émotions, les sentiments et les humeurs. Or, les émotions possèdent non
seulement des caractéristiques spécifiques qui peuvent nuire aux relations
humaines mais aussi la particularité de ne pas toujours être gérables.
1.3.2. Les effets des conflits affectif et cognitif sur la performance de
l’équipe
Des études statiques, c’est-à-dire ne considérant qu’un instant t, ont montré que
le conflit affectif est néfaste à la performance de l’individu et du groupe dans son
ensemble, à la satisfaction des membres et à la probabilité que les individus
composant ce groupe travaillent de nouveau ensemble dans le futur (Jehn, 1995).
L’anxiété engendrée par l’animosité interpersonnelle est susceptible d’inhiber le
travail cognitif et de distraire les membres de leur tâche. De ce fait, ils travaillent
moins efficacement et produisent des produits sous optimaux.

A l’inverse, des niveaux modérés de conflit cognitif sont bénéfiques à la


performance du groupe sur certain type de tâches (Jehn, 1995 ; Jehn & Shah,
1997). L’équipe bénéficie de la diversité des idées et des opinions sur le travail
à réaliser. Le conflit cognitif améliore la qualité des décisions dans la mesure
où la synthèse qui naît du conflit est généralement supérieure aux perspectives
individuelles.

Jehn et Mannix (2001) se sont intéressés à la dynamique des conflits qui émergeait
au sein d’une équipe en travail. Ils ont conclu de leur étude que les groupes
les plus performants dans la réalisation d’un projet commun étaient caractérisés
par un modèle particulier de conflits constituant une norme à privilégier. Plus
précisément :

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38

 le niveau de conflit affectif est faible avec une augmentation à la fin du projet.
Ce phénomène s’explique par les effets de l’interdépendance des individus
accentués sous la pression de la date limite ;
 le niveau de conflit cognitif est modéré à mi-parcours du projet alors qu’il est
relativement faible en début et fin de période. A mi-parcours, les membres
s’engagent dans une activité de discussions sur leurs objectifs et de débats
sur les différentes opinions de chacun pour déterminer le contenu spécifique
du produit final ou de la décision. Dans les groupes qui ont, jusqu’à ce point,
bien géré le conflit affectif, les individus sont à l’aise les uns avec les autres
et s’engagent dans un conflit de type cognitif sans l’assimiler à des attaques
personnelles.

Nous pouvons envisager les deux configurations conflictuelles suivantes :

1) le niveau de conflit cognitif (CC) excède celui du conflit affectif (CA) :


CC > CA
Dans ce cas, l’équipe bénéficie pleinement de sa diversité et donc du débat
d’opinions qu’elle suscite. L’effet négatif du conflit affectif est neutralisé. L’émotion
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du groupe est gérable.

2) A l’inverse, le niveau de conflit affectif est supérieur ou égal à celui du


conflit cognitif : CA ≥ CC
L’équipe est submergée par ses conflits affectifs de sorte qu’elle ne peut bénéficier
pleinement de la richesse de sa diversité. Les débats d’opinions deviennent
stériles et peuvent être assimilés à des règlements de compte. L’émotion des
membres du groupe a pris le pouvoir.

Aussi, selon nous, gérer efficacement la diversité démographique d’une équipe


reviendrait à garantir une configuration conflictuelle de type 1 c’est à dire une
situation où le conflit cognitif excède le conflit affectif.

2. Un management de la diversité par les émotions

2.1. Le conflit affectif expliqué par les émotions


Il ne faut pas négliger que dans les relations de groupes, l’émotion joue un rôle
proéminent, puisqu’elle représente le fondement même de l’existence de relations
interindividuelles (Andersen et Guerrero, 1998).
2.1.1. L’émotionnel : un point central d’un groupe de travail
harmonieux?
En effet, « la diffusion des émotions dans un groupe est une caractéristique
intrinsèque à l’existence d’un groupe » (Sandelands et St Clair, 1993, p. 445).

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Le management de la diversité des équipes
par la contagion émotionnelle, au cœur de la
performance de groupe ?

Selon Ekman (1979), les émotions résultent d’interactions sociales quelles


soient réelles, remémorées, anticipées ou imaginées. Certaines d’entre elles
sont particulièrement socialement dépendantes, telles que la jalousie, la honte,
la culpabilité, l’embarras et la fierté. Leur impact provient de leur universalité
(Ekman,1979). Cela indique combien l’influence des émotions dans un groupe est
importante, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un groupe à diversité démographique.
Dans un tel contexte, l’émotion prévaut, elle va, non seulement, permettre à
l’individu de s’exprimer et de se faire comprendre, mais aussi de faire face à
des situations dites problématiques : obstacles ou impossibilité de réaliser ses
projets, confrontation à un conflit. Des mécanismes d’adaptation sont, alors,
mis en œuvre, déclenchant des résistances, des réactions de défense, le « faire
face ». Ce « coping » ou faire face est défini comme « des efforts, à la fois
orientés vers l’action et intra psychiques, pour gérer (i.e., maîtriser, tolérer, réduire
et minimiser) les demandes et conflits environnementaux et internes, qui mettent
à l’épreuve ou excèdent les ressources d’une personne » (Lazarus et Launier,
1978). Historiquement, le « faire face » est considéré comme une réponse à
l’émotion. Par exemple, chez les animaux, il correspond à un comportement acquis
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pour pouvoir répondre aux dangers et survivre (Folkman et Lazarus, 1988). Ce
dernier suit un processus cognitif, tel que la suppression, ou le reniement, mais
aussi la recherche de management des états émotionnels. Il s’agit de réponses
d’ajustement à un problème.
2.1.2. Une réaction biologique
Pour aller plus avant, il est indispensable de ne pas renier l’aspect biologique de
ces réactions émotionnelles qui peuvent « prendre le pouvoir ». En effet, selon
Goleman (1997, p.29), l’intensité de l’émotion ressentie influe directement sur
le comportement. Lors d’une émotion intense, le néo-cortex gauche, cerveau
pensant, n’a pas le temps de choisir la réaction la mieux adaptée, seule
l’amygdale du cerveau droit, qui commande les émotions, agit. C’est à cause de
ce processus que, parfois, les émotions deviennent incontrôlables et provoquent
des comportements dits automatiques, c’est-à-dire involontaires, dépourvus
d’effort et cognitivement inertes. De façon très synthétique, à ce moment, il se
produit une hyper-sollicitation de certaines des régions émotionnelles du cerveau
(notamment l’hypothalamus, les amygdales…).

Pour reprendre les termes biologiques et la description détaillée du processus,


c’est l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (AHHS) qui est hyperactivé dans
ce cas. Cet axe est un processus émotionnel, dont les trois étapes (hypothalamus,
hypophyse et glandes surrénales) sont reliées par des neurotransmetteurs
puis hormones (sérotonine, dopamine et œstrogènes). A chaque étape, les
neurotransmetteurs (substances chimiques) sont libérés par une région locus
des émotions (Hypothalamus), puis le message est transmis à l’hypophyse qui
libère, à son tour, des hormones qui enclenchent la synthèse surrénalienne
(action des glandes surrénales), message déclencheur de production des

249
38

‘adaptogènes164’ (adrénaline, noradrénaline cortisol165). L’activation forte de ces


régions émotionnelles du cerveau perturbe et affaiblit l’action du cortex préfrontal
et de l’hippocampe dans leur rôle d’inhibiteurs et de diminution des hormones
du stress, mais aussi dans leur rôle mnésique (mémoire) et catalytique des
comportements (Maheu et Lupien, 2003).

En d’autres termes, lors d’un tel processus, les émotions - au travers des
neurotransmetteurs et hormones - « prennent le pouvoir ». Elles perturbent
biologiquement le cortex qui n’arrive plus à mémoriser, ni à agir pour inhiber les
émotions négatives et à conduire l’individu à penser à autre chose (focalisation
de l’individu sur le problème qui a été marqué par un processus émotionnel à plus
long terme) (Quirk et Beer, 2006). C’est ce dernier processus qui est relié tant à
des variables psychologiques et affectives (Cherniss, 1980 ; Lee et Ashforth, 1993)
qu’à des conséquences organisationnelles, telles que les attitudes négatives au
travail et la baisse de performance (Lee et Ashforth, 1996 ).

2.2. La contagion émotionnelle, un levier de management de la


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diversité

2.2.1. Une réaction contagieuse


Plus encore, les émotions peuvent être synchronisées ou imitées et
devenir contagieuses. La synchronisation apparaît quand deux individus
expriment des comportements similaires ou quand une personne répond aux
changements comportementaux de l’autre en adoptant les mêmes changements
comportementaux (Andersen et Guerrero, 1998). Trois explications à ces
processus :
(1) L’une des explications est la contagion émotionnelle, même si elle
reste inexpliquée par la recherche. Hatfield et al. (1994) définissent la contagion
émotionnelle comme une tendance automatique, non intentionnelle et souvent
inconsciente à imiter et synchroniser des expressions faciales, des mouvements
du corps et des vocalisations pendant les rencontres avec d’autres individus.
(2) Selon certains chercheurs, le mécanisme de transmission est cognitif
et lié à un raisonnement conscient, une analyse et une imagination justifiées par
cette transmission, proches de l’empathie. L’individu imagine ce qu’il ressentirait
à la place de l’autre et ainsi partage ses émotions.

(3) Une explication est neurologique. Selon certains chercheurs, ce


processus de mimique est issu d’un processus neurologique, déclenché, en
partie, par des neurones miroir. Buccino et al. (2004) ont comparé l’activation des
neurones « moteur » pendant l’observation de déplacements moteurs d’humains
et d’autres espèces. Leur étude indique l’inexistence d’activation du cortex
164. Adaptogènes : ayant pour objectif l’adaptation du corps, le rééquilibrage de l’organisme face à ces perturbations.
165. Cortisol ≈ cortisone naturelle du corps

250
Le management de la diversité des équipes
par la contagion émotionnelle, au cœur de la
performance de groupe ?

frontal (néo-cortex, cognitif), mais une activation des régions du cerveau liées au
mouvement. Ainsi, selon ces auteurs, l’observation de mouvements uniquement
humains génère, de façon effective, l’activation des neurones « moteur » chez
les humains observateurs.
2.2.2. Une réaction prometteuse ou nuisible au groupe de travail
En regard de cette caractéristique contagieuse, les émotions peuvent se propager,
tel une épidémie à l’ensemble du groupe et défavoriser l’essence même de l’équipe
et sa performance. A cet égard et pour appuyer cet état de fait, il est question de
constater l’épidémie psychologique et émotionnelle au travers, notamment du
suicide, sujet amplement traité de ce point de vue. Déjà dans ses écrits de 1897,
Durkheim distinguait le suicide causé par le moral et celui induit d’une épidémie
dans un groupe sous l’influence d’une pression commune. Le premier est issu
d’une imitation avec des attributs psychologiques alors que le second est un
fait social (p.131-130). Selon lui, lorsque plusieurs cas de suicide se produisent
dans la même famille, cela peut s’expliquer par la contagion, car rien n’est plus
contagieux que le suicide (p.141-142), issu de ressentis d’émotions négatives. La
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contagion de ce comportement est avérée depuis longtemps (Wheeler, 1966).

Or, cette contagion émotionnelle est présente dans les groupes de travail, comme
le démontrent plusieurs études. Shaw et Duffy (2000), dans leur étude de 143
groupes de travail d’étudiants, montrent que l’existence d’une envie, jalousie intra-
groupe mène à la baisse de la performance du groupe, liée avec davantage de
fainéantise du groupe, moins de cohésion et de puissance du groupe. Mason et
Griffin (2002) montrent, au travers de la contagion émotionnelle, la transmission
entre individus d’un même groupe, d’attitudes au travail, telles que la satisfaction au
travail influant sur la qualité d’action du groupe et sa performance. Selon Ashforth
et Humphrey (1995) dans la dynamique de groupe, la contagion émotionnelle a
un effet cohésif et catalytique des conflits. La contagion émotionnelle de groupe
influence la performance d’équipe au travail et la cohésion sociale de groupe
(van Hoorebeke, 2006). Deux études ont investigué la contagion de l’humeur
et de l’affectif dans les groupes de travail. La première (George, 1990) montre
une grande entente affective au travail dans un groupe de vendeurs, la seconde
(Totterdell et al., 1998) dévoile que la moyenne de l’humeur d’un des membres
peut prédire l’humeur du groupe, à un moment t. Dans ce sens, l’effet de la
contagion est souvent associé avec une convergence d’humeur et d’attitudes au
travail (Mason et Griffin, 2002).

2.2.3. Management de la diversité = gestion de la contagion


émotionnelle ?
Dans ce contexte spécifique du travail dans lequel la gestion de la diversité
est recherchée, il existerait une solution pour favoriser les émotions et affectifs
positifs dans un groupe : la contagion émotionnelle positive, catalytique des

251
38

conflits et cohésive. L’objectif est de chercher à renverser ou changer la situation


lors d’un conflit comportant de la contagion émotionnelle négative en contagion
positive. Selon Hatfield et al (1994) et Barsade (2002), le groupe serait divisé en
deux profils : des contagieux et des susceptibles à être contaminés. De façon
simpliste, l’existence de contagieux provoque la contagion des contaminés. En
cela, l’émotion peut, au travers d’un contagieux être transmise et contaminer les
individus susceptibles de l’être. Dernièrement, Barsade (2002) démontre par une
expérimentation que non seulement l’émotion de groupe influence la dynamique
et la performance de groupe, mais également qu’elle est dépendante d’une
contagion. Ces résultats sont corroborés par Van Hoorebeke (2007). De façon
plus poussée, Barsade (2002), dans son étude dans une étude expérimentale
sur 223 individus , décomposés en 29 équipes, induit la performance de groupe
en favorisant la contagion émotionnelle au sein de chaque groupe, au travers
de l’action d’un acteur complice de l’expérimentation. Ce complice, sélectionné
pour sa contagiosité, selon l’échelle de Hatfield et al. (1994), propage une
émotion négative ou positive, à travers un jeu d’acteur. Le complice joue le rôle
de l’évaluateur satisfait ou déçu du travail de l’équipe. Selon les groupes et
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pendant l’exécution de leur travail, l’acteur diffuse, ainsi, une contagion positive
ou négative. Les résultats obtenus montrent que les équipes où la contagion
émotionnelle de groupe a été incitée et jugée positive ont connu une meilleure
performance.

Conclusion

Cette suggestion pourrait paraître manipulatoire. Or, nous pouvons retrouver ce


type de méthode d’action dans le cadre des études en gestion du changement.
L’objectif y est de faire accepter un changement par des individus au travers
d’outils tels que diverses formes d’informations, de formations ou d’influence
par des leaders ‘les champions’ (Grima et Trépo, 2003) capables de conduire la
majorité à adhérer au changement par des tactiques de persuasion rationnelles
(sensibiliser les cibles par la communication orale, articuler l’insertion du projet
avec les priorités de la cible, convaincre directement les cibles par la parole). La
proposition de cet article s’oppose, dans ses caractéristiques (rationnel/irrationnel)
mais non dans sa procédure, à cette méthode d’adoption du changement. A cet
égard, selon nous et d’autres chercheurs dont Lebon, 1896 ; Durkheim, 1897;
Hatfield et al., 1994, il ne faut pas oublier l’aspect émotionnel des individus, à
certains moments destructeur, - Reis (1939) parle de peste émotionnelle - mais
aussi bénéfique et stimulateur.

Une piste de recherche adjacente découle des travaux récents de Harrison et Klein
(2007). Ces derniers ont récemment expliqué l’absence de consensus théorique
qui prévaut aujourd’hui sur les effets de la diversité démographique en remettant
en cause la définition même de cette dernière. Elle ne serait, selon eux, pas
représentative de la complexité de ce concept . « La diversité est diverse » (Klein

252
Le management de la diversité des équipes
par la contagion émotionnelle, au cœur de la
performance de groupe ?

and Harrison, 2007). Elle peut prendre les trois formes suivantes : la variété, la
séparation et la disparité.

La variété renvoie à un groupe dont les membres possèdent des connaissances,


informations et idées différentes. La séparation fait référence à un groupe dont
les individus se distinguent de part leurs valeurs, croyances et comportements ;
et la disparité marquent des différences dans le statut, le rang hiérarchique ou
encore le pouvoir exercé sur l’organisation.

Ces trois types de diversité n’ont pas le même impact sur la performance de
l’équipe. La variété montre des effets positifs sur la créativité et l’efficacité. La
séparation influence négativement la cohésion, la coordination et le moral du
groupe (Byrne, 1971 ; Harrison, Price and Bell, 1998 ; Tsui, Ashford, St Clair and
Xin, 1995). Ce dernier type de diversité induirait un mécanisme plus affectif que
cognitif à l’origine de conflits affectif affectant l’intégrité et l’identité du groupe. La
disparité altère la prise de parole, la participation et le partage d’information dans
le groupe (Bloom, 1999, Eisenhardt and Bourgeois, 1988, Pfeffer and Davis-
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Blake, 1992) . Il serait à l’origine de dynamiques de pouvoir complexes. Les
membres les plus lésés en termes de ressources comme la rémunération, le
statut ou le prestige se désengageraient ou au contraire formeraient une coalition
en vue de se partager une plus grosse part des ressources qui leur font défaut.
En résumé, la diversité démographique d’une équipe ne peut être une source de
performance qu’au prix d’une gestion efficace des conflits intragroupes. Il s’agit
plus précisément de parvenir à établir une configuration conflictuelle favorable
selon laquelle le niveau de conflit cognitif serait supérieur à celui du conflit
affectif.

Nous avons proposé un nouveau levier de gestion de ces conflits : la contagion


émotionnelle positive. L’impulsion d’une énergie émotionnelle positive parviendrait
à reduire les effets néfastes du conflit affectif et par la même préserver les bienfaits
créatifs et performants du conflit cognitif.

Une clarification s’impose, la gestion de la diversité au travers de la gestion des


conflits affectifs ne signifie pas l’éradication des conflits cognitifs, bénéfiques à
l’échange d’opinions. De la même façon, la gestion du conflit affectif ne correspond
pas à la suppression du conflit affectif. Il est bien évident que moult facteurs,
notamment individuels, interviennent dans le conflit affectif qui ne sauraient
être évincés par une contagion émotionnelle. L’objectif de tenter d’établir ou de
rétablir une contagion émotionnelle positive dans un groupe est de limiter les
effets négatifs du conflit affectif par une déviation de l’agressivité engendrée et de
l’énergie cumulée dans l’expression d’émotions positives. Il ne s’agit, donc, pas
d’une résolution du conflit affectif, mais bel et bien de son atténuation, le conflit
affectif n’est que trop intrinsèquement relié au conflit cognitif sans risquer de
défavoriser ce dernier. D’aucun préciserait que cette méthode n’est que fugacité

253
38

et ponctualité à l’instar de l’émotion, néanmoins, elle peut posséder le mérite de


créer au sein du groupe un partage d’expériences positives, un historique positif,
base originelle de la cohésion de groupe (Tickle-Degnen et Rosenthal, 1987).

En tant que proposition littérale, cet écrit possède de nombreuses limites, d’un
point de vue quantitatif. Cependant, il correspond à la phase préliminaire d’une
recherche. Son objectif, en cela, était d’établir une revue de littérature et d’en
tirer une analyse afin de percevoir où se situer les points les plus marquants de
la gestion de la diversité et les solutions envisageables pour y remédier. Grâce
à cette première étape, une étude approfondie, notamment, par expérimentation
ou par méthodes de scenario permettra de démontrer notre hypothèse ultime : la
contagion émotionnelle est un levier de gestion du conflit affectif. Une hypothèse
utile s’il en est dans un domaine aussi révélateur que celui du management de
la diversité au travail.

Le défi des chercheurs en sciences de gestion aujourd’hui est de comprendre


comment ces trois types de diversité coexistent et interagissent au sein du
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groupe. Nous souhaitons étudier plus précisément l’impact des ces trois types
de diversité sur les conflits cognitif et affectif. Y aurait-il une configuration idéale
de la diversité, qui susciterait la configuration conflictuelle la plus avantageuse ?

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