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managers de demain
Delphine Theurelle-Stein, Isabelle Barth
Dans Management & Avenir 2017/5 (N° 95), pages 129 à 151
Éditions Management Prospective Editions
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.095.0129
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Isabelle Barth3
Résumé
Dans un monde complexe, mouvant et hyperconcurrentiel,
les organisations accordent une importance accrue aux
compétences relevant du savoir-être, autrement appelées
soft skills. Pour autant, l’identification et l’accompagnement
de ces compétences particulières ne vont pas de soi et incitent
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1 Cet article a fait l’objet d’une communication dans le cadre des 16 es Rencontres sur
la Prospective des Métiers qui ont eu lieu à Paris le 12 décembre 2016.
2 Delphine THEURELLE-STEIN : Doctorante, Attaché Temporaire d’Enseigne-
ment et de Recherche, École de Management de Strasbourg, Université de Strasbourg, Labo-
ratoire HuManiS (EA 7308) – delphine.theurelle-stein@em-strasbourg.eu
3 Isabelle BARTH : Professeur des universités, École de Management de Strasbourg,
Université de Strasbourg, Laboratoire HuManiS (EA 7308) – isabelle.barth@em-strasbourg.eu
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Abstract
In a complex, mov ing and hy percompetitive world,
organizations are placing increased emphasis on soft skills.
In both higher education and organizations, the question
of how to identify and develop individual soft skills is
therefore of primary importance and leads them to propose
innovative solutions. We present in this paper the design
process of a digital platform dedicated to the evaluation
and the development of soft skills. The design of this tool
is the result of an action based research project conducted
in a French Business School. This work is based both on
a synthesis of the literature - focused on the concepts of
competence, soft skills and learning - and on the results
of studies conducted respectively with twenty-three HRM
of French and international organizations, and with the
different stakeholders of the Business School. The platform
is designed in three ways : self-ref lection, experiential and
collaborative learning.
Enfin, Albandea et Giret (2016) ont interrogé « l’impact des soft skills sur le
marché du travail en France ». Leur étude, publiée par le CEREQ (Centre d’Études
et de Recherches sur les Qualifications), montre que les jeunes diplômés de
niveau Master sont d’autant mieux rémunérés qu’ils possèdent certaines
compétences relationnelles et sociales, notamment la persévérance, l’estime
4 Par opposition aux hard skills qui recouvrent les compétences académiques et tech-
niques, les soft skills désignent les compétences relationnelles et sociales (Calmans et al.,
2015).
5 http ://acteursdeleconomie.latribune.fr/debats/opinion/2015-04-10/la-guerre-des-
talents-le-retour.html
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Dès lors, les attentes en termes de soft skills sont fortes, de la part des orga-
nisations comme de celle des salariés : les thématiques de développement
personnel arrivent en deuxième position des formations effectuées en 20166,
devant les formations en langues étrangères. Elles connaissent en outre une
forte progression (15 % des demandes totales de formation en 2016, contre
9 % en 2015)7. En outre, les organisations ont de plus en plus recours aux
pratiques de mentoring (Ivanaj et Persson, 2012) ou de coaching (Rappin,
2012). Alors que le consensus règne sur l’importance de ces compétences
dites « soft », le débat est ouvert sur leur nature. Pour certains, elles relèvent
de la personnalité, donc « des caractéristiques profondes et stables de l’indivi-
du » (Bellier, 2004) ; pour d’autres, elles sont des compétences au même titre
que les compétences techniques et sont donc susceptibles d’évaluation et de
développement. Pour les organisations comme pour les individus, la question
de l’appréciation et du déploiement des soft skills est de taille, compte tenu des
enjeux précédemment identifiés.
Notre travail s’inscrit dans la continuité des travaux francophones sur la compé-
tence (Gilbert et Parlier, 1992 ; Klarsfeld et Oiry, 2003 ; Retour, 2005 ; Le Boterf,
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6 http ://business.lesechos.fr/directions-ressources-humaines/0204196319865-for-
mations-les-tendances-2015-108856.php ?google_editors_picks=true
7 ht tp ://w w w.placedelaformation.com / barometre-de-la-formation-profession-
nelle-2017/
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1. Revue de littérature
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Tout comme les termes pour désigner les soft skills sont nombreux, la litté-
rature est riche de définitions pour les circonscrire. En première intention,
pour couvrir toutes les acceptions du terme, nous pourrions faire nôtre la
définition de Bellier (2004), selon laquelle une soft skill (un savoir-être pour
Bellier) serait à la fois :
9 « ce terme plutôt vague est principalement utilisé en l ’absence d ’un cadre consensuel qui
contiendrait ce vaste ensemble de compétences » (traduction des auteurs).
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• ce qui fait qu’un individu est reconnu comme adapté à son contexte
professionnel ;
• ce qui concerne son être profond et lui permet de réussir ;
• tout ce qui n’est pas de l’ordre du savoir ou du savoir-faire.
Ignatius (2016, p. 14) souligne l’aspect critique des soft skills pour la perfor-
mance des organisations et décrit « the softer but critical aspects of corporate
performance ». Pour Delamare Le Deist et Winterton (2005), ces compétences
participent pleinement des core competences définies par Hamel et Prahalad
(1990) qui garantissent des avantages compétitifs aux entreprises. Cependant,
la littérature sur les soft skills est surtout liée au champ du leadership (Plane,
2016). Les auteurs (Greenleaf, 1996 ; Goleman, 2000 ; Mintzberg, 2011) pro-
posent différentes catégorisations des soft skills et/ou mettent l’accent sur
leur importance dans le management moderne (Vernazobres, 2008 ; Payre et
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10 « un éventail de comportements qu’une personne doit avoir et doit être capable de mettre
en œuvre pour réussir les tâches et les missions d ’un métier avec compétence » (traduction des au-
teurs).
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Dès lors, au niveau individuel, deux types d’apprentissage réflexif sont pos-
sibles. L’apprentissage « en simple boucle » et l’apprentissage « en double boucle »
sont décrits dans les travaux communs d’Argyris et Schön sur l’apprentis-
sage organisationnel (2002). L’apprentissage « en simple boucle » conduit à
un simple ajustement du comportement. L’apprentissage le plus complet est
l’apprentissage « en double boucle » qui conduit non seulement à un ajustement
du comportement, mais aussi à celui du « programme maître » de l’individu,
c’est-à-dire de ses façons de faire habituelles, de ses routines.
Afin de confronter cette proposition issue de l’état de l’art aux attentes des
organisations, nous menons des études exploratoires auprès de différentes
populations : directeurs des ressources humaines, responsables pédagogiques
de l’enseignement supérieur en management et futurs utilisateurs de l’outil.
Le design de la recherche, les résultats des études et leur utilisation pour la
conception de l’outil sont présentés ci-après.
2. Méthodologie de la recherche
2.1. La recherche-intervention
Nous choisissons de mener une recherche-intervention au sein d’un établis-
sement d’enseignement supérieur en management. Selon Savall et Zardet
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Notre dispositif s’adresse aux étudiants de 1re année de ces deux programmes,
soit 520 étudiants. Il est intégré dans la maquette pédagogique du départe-
ment « Développement professionnel et personnel » qui propose un dispositif
d’accompagnement à travers des outils et des méthodes pédagogiques variés :
team building, test de personnalité, coaching individuel.
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3. Résultats de la recherche
L’importance des soft skills est unanimement reconnue par les professionnels
interrogés. À niveau d’expertise égal, ce sont elles qui conditionnent la réussite :
« C’est ce qui fait la différence entre les top managers et les autres » (DRH 10).
Elles sont une condition de la performance individuelle : « elles sont le vecteur
de l’intégration des capacités » (DRH 3). A contrario, l’absence de certaines soft
skills, ou leur faible niveau, nuit à la performance globale de l’organisation :
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réflexive. Or, pour exercer sa réflexivité, il faut « être dans une volonté d’amélio-
ration » (DRH 3) et « savoir comment je me situe » (DRH 1). Il faut savoir analyser
notamment ses façons d’apprendre « comment j’ai grandi, comment je découvre
les choses » (DRH 11). De plus, la réflexivité doit être encouragée, soutenue par
l’organisation « we could help (our employees) by having a culture that make them
safe to do this11 » (DHR 19). Pour favoriser la réflexivité, les DRH soulignent les
vertus de certains outils : l’évaluation par les pairs ou les communautés de pra-
tique et le coaching. Ainsi, le 360° est « un bon outil pour améliorer la perception
de soi » (DRH 5). Le coaching, quant à lui, peut être pratiqué en interne par le N+1,
moyennant une formation des managers : « on les a formés à faire du feed-back
régulier » (DRH 16). Le recours à des coachs externes est également plébiscité :
« moi, c’est simple, je ne crois qu’au coaching » (DRH 2), « en travaillant sur son
comportement […] finalement ça a transformé sa manière d’être » (DRH 17).
Pour ce faire, un dispositif est déjà en place. Les étudiants de 1re année des
programmes Grande École et Bachelor bénéficient d’un séminaire d’une se-
maine dédié au « Développement Personnel et Professionnel ». Au cours de
ce séminaire, les étudiants sont notamment invités à identifier l’ensemble de
leurs compétences et à organiser leur parcours d’apprentissage en procédant
à différents choix : spécialisation, stage, parcours associatif… En outre, chaque
étudiant passe un test de personnalité, débriefé par un coach lors d’un entretien
individuel obligatoire. Au cours de l’année, chacun a également la possibilité
de solliciter d’autres entretiens avec un coach.
11 « nous pouvons aider (nos employés) en adoptant une culture qui les encourage » (traduc-
tion des auteurs).
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Par exemple, les théories socio-constructivistes ayant été validées par les dis-
cours des DRH (efficacité du coaching) et des étudiants (plébiscite des projets
associatifs), nous avons spécifié que l’outil devrait inclure :
• une possibilité d’évaluation par les pairs ;
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L’outil ainsi conçu est une plateforme collaborative dont les contenus s’en-
richissent grâce aux contributions des utilisateurs. Chacun d’entre eux a la
possibilité d’évaluer ses soft skills, puis de les développer à travers un parcours
individuel et un parcours collectif. L’outil répond aux principes de la « gamifi-
cation » énoncés par Bonenfant et Genvo (2014, p. 2) : il invite les utilisateurs
« à collaborer, à s’entraider, à s’échanger des items, à comparer leurs résultats
afin d’atteindre leurs objectifs ». Nous présentons ci-dessous les deux parcours
proposés par la plateforme.
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Après avoir choisi les 10 Soft skills qu’il souhaite développer, l’utilisateur leur
attribue des Actions concrètes de développement. Ainsi, un étudiant voulant
développer sa Soft skill « Persévérance » peut choisir de s’engager à nager 2 km
par semaine. Dès lors, il devra valider chaque semaine le fait d’avoir nagé la
distance annoncée.
Il a la possibilité d’illustrer ses actions par des Exemples qui peuvent être de
natures diverses : textes, photos, vidéos, liens hypertextes…
Le développement effectif des Soft skills est mesuré grâce à un système d’éva-
luation à deux niveaux : une auto-évaluation de l’étudiant et une évaluation
par les pairs. Lorsque l’étudiant valide une Action, il gagne des points dans la
Soft Skill associée. Il s’agit d’une auto-évaluation basée sur du déclaratif. Mais
l’utilisateur peut également choisir de solliciter l’avis de ses pairs (groupe
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d’amis ou ensemble des utilisateurs de l’outil) pour valider le fait que cette
Action permet bien de développer la Soft skill associée. Chaque clic de validation
par un pair lui permet également de gagner des points.
Conclusion
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Nous avons également mené une étude auprès de directeurs des ressources
humaines pour connaître leurs représentations et expliciter leurs pratiques
en matière de gestion de ces compétences particulières. Enfin, nous avons
recueilli les attentes des différentes parties prenantes de l’école (étudiants et
équipe pédagogique) pour valider leurs besoins en matière d’accompagnement
au développement des soft skills.
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ARGYRIS C. et SCHÖN D.A. (2001), Apprentissage organisationnel, De Boeck
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12 Notre outil a été lauréat de l’appel à projets Initiatives d’Excellence Formation 2016
(IdEx).
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